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ANNALES

EUROPEENNES.

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EXPLICATION DE LA GRAVURE :

DU FRONTISPICE.

L'Europe assise sous un Chêne, entre la Vache , le Che- val, une Chèvre et un Bélier , entourée de Poules; re-

cevant en offrande :

10. DE L'Aste : l'Eléphant, le Bânanier chargé de ses fruits, la Chévre Thibétaine et des Poissons ;

20. DE L'AMÉRIQUE : le Lama, la Vigogne, l'Arbre à Pin, des Ananas et des Poissons ; 30. De L’ArRIQUE : le Dromadaire, un Palmier, le Zèbre

et des Poissons.

Les Arbres de chaque partie du monde, couverts des

Oiseaux qui leur sont propres.

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ANNALES

DE PHYSIQUE VÉGÉTALE

ET

D'ÉCONOMIE PUBLIQUE,

RÉDIGÉES PAR UNE SOCIÉTÉ D'AUTEURS

ÆtONNUS PAR DES OUVRAGES DE PHYSIQUE, D'HISTOIRE NATURELLE

EL D'ÉCONOMIE PUBLIQUE.

TOME PREMIER.

PARIS,

M. RAUCH, Ingénieur en retraite, Directeur des Annales, CHEZ Place Royale, No 20, C. J. TROUVÉ, Imp.-Lib., rue des Filles-S.-Thomas, 12.

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1821.

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, :

ANNALES EUROPÉENNES DE PHYSIQUE VÉGÉTALE ET D'ÉCONOMIE PUBLIQUE,

Par une Société d'Auteurs connus par des ouvrages de Pnys1QUE,

d'HisTOIRE NATURELLE et d'ÉCONOMIE PUBLIQUE.

L'ssprrr de paix et de concorde que montrent tous les Gouvernemens pour le bonheur des peuples, et qui promet de faire succéder enfin aux rêves sinistres de la politique, des senti- mens de bienveillance universelle, semble in- viter toutes les rations européennes, à poser les armes de linimitié, et à contracter entre elles une alliance d'échanges de tous les biens terrestres dont la Providence a enrichi les di- verses régions de la terre (1).

C'est dans cet esprit qu’on a concu ces A4n- nales, et qu'on se livrera à l'étude de ceue

(1) Quoique ce passage soit écrit depuis un an, ot a cru devoir le conserver, malgré les événemens du

moment.

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philosophie religieuse que commande le spec- tacle des dons et des beautés! de la nature; à celle de la physique générale du globe à laquelle s'attache la chaîne harmonique de tout ce qui existe et ravit.

On s’attachera à comparer l’état actuel du do- maine de l’homme avec ce qu’il fut autrefois, et à ce qu’il peut devenir encore’: on sent que la perspective est immense : le succès sera l’ou- vrage du temps, des lumières et de la réunion des efforts communs.

L'examen des climatures qui exercent leur influence sur le règne végétal et sur le règne animal , conduira aux moyens propager au profit du so/ européen, dans l’ordre des ré- gions et des sites, les productions utiles et agréables, répandues sur toute la terre, comme à multiplier ou à améliorer celles qui y exis- tent déjà, ét qui n’ont pas encore été assez appréciées.

Tout ce qui appartient au règne animal , si richement diversifié et multiplié pour le bon- heur de l’homme, sera l’objet des mêmes re- cherches , pour augmenter les richesses natu- relles de la grande famille, et la faire jouir d’une aisance plus générale.

La salubrité de l'air et des eaux , deux choses si importantes à la santé de l’homme, et à

(5) toute l’économie animale, ÿ sera traitée avec le grand intérêt qu’elle sollicite de lobservation.

En exposant nos vues sur les pêcheries des mers et des eaux douces, on arrivera naturelle- meut à indiquer les moyens d'enrichir les eaux européennes, des nombreuses espèces de pois- sons que nous offrent celles des autres conti- nens, et à réaliser ainsi une nouvelle source d’abondance universelle.

Les merveilles toujours étonnantes de la na- ture , les voyages les plus instructifs, les tra- vaux , les déceuvertes propres à intéresser le bonheur de la société, auront leur rang res- pectif dans ce recueil ;, auquel les savans, les voyageurs et les observateurs de tous les pays. sont appelés à concourir.

Tel est le but éminemment utile des Z7- nales que nous publions, dans l'intérêt de tous les Gouvernemens , de tous les peuples, en offrant, mois par mois, une série de documens positifs et variés, tant d’après l’ordre naturel des matières que d’après l’exigeance des besoins ou des demandes du moment,

Quelle nation, en eflet, peut se flaiter de posséder seulement la moitié des richesses nh- turelles qu’il lui serait, possible de s'assurer ? L'objet de ces Annales est de dérouler surcessi- vement le tableau varié de toui ce que les

Le

(4) vastes magasins de la nature offrent à l’homme de jouissances négligées, qu'il n’a jamais goûlées , ou dont il ignore peut-être jusqu'à l'existence.

On examinera quel dut être le ministère pri- mitif des météores, dans la vue de ramener, autant que possible, le cours des élémens à une régularité plus heureuse , d’où dépendent si visiblement la constance et la bonté des récoltes et de tous les produits de la terre.

Enfin ces Annales, appropriées aux circon- stances actuelles , au vœu manifeste et général, qui a pour bui Ja félicité publique des nations, remonteront à la source de leurs besoins, et feront sortir des trésors de la nature , les seules richesses que rien ne peut suppléer; elles ou- vriront ainsi une vaste carrière aux travaux et aux découvertes utiles qui nous viendront de l’intérieur, ou qni nous seront transmis par les savans voyageurs ou observateurs de tous les pays. |

Cet ouvrage périodique, qui sera le produit de recherches immenses, embrassant tous les points de la terre et des eaux, pour découvrir dans les intarissables laboratoires de la nature toutes les productions qui peuvent augmen- ter , compléter et assurer le plus véritable bon- heur social , sera, par l’importance de ses vues»

(is: )

digne d’intéresser éminemment toutes les classes de la société, particulièrement les adminis- trateurs , les ministres du culte , les juges-de- paix, les propriétaires qui y trouveront une série de choses utiles , et spécialement relatives à la prospérité. de chaque pays, de chaque canton.

MM. les préfets et sous-préfets , ainsi que nos abonnés amateurs, sont priés de se considérer comme naturellement associés aux vues de ces Annales : on s’empressera toujours d’y insérer les observations qu’ils jugeront utiles de publier dans le sens de cet ouvrage.

SUR L’'IMMENSITÉ DE LA NATURE.

Burrow, après avoir contemplé, de son vaste génie, l’univers tel qu’il se manifeste à notre faiblesse , s'exprime ainsi, avec une noble hu- milité , dans son Introducuon à l'Histoire natu- relle.

« Lorsque, sans s'arrêter à des connaissances superficielles, dont les résultats ne peuvent nous donner que des idées incomplètes des productions et des opérations de la nature,

nous voulons pénétrer plus avant, et exami-

(6) ner avec des yeux plus attentifs la forme et Ja conduite de ses ouvrages, on est aussi surpris de la variété du dessin ; que de la multiplicité des moyens d'exécution: »

« Le nombre des productions de la nature , qoique prodigieux , ne fait alérs que la plus peute partie de notre étonnement ; sa méca- nique, son art, ses ressources , ses désordres apparens mêmes ;, emportent toute notre admi- ration ;* trop petit pour cette immensité, ac- cablé par le nombre dés merveilles, l'esprit humain succombe + il semble qué tout ce qui peut être, est; la main du Créateur ne paraît pas s'être ouverte pour donner l'être à un cer- tain nombre ‘déterminé d’espèces ; mais il semble qu’elle ait jeté, tout à la fois, un monde d'êtres relatifs, une (hfiatté de com- binaisons harmoniques et contraires , et une perpétuité de destructions ‘et de renouvelle- mens. » LP

« Quelle idée de puissance ce spectacle ne nous offre-t-il pas! Quel sentiment de respect cette vue de l’univers ne nous inspire-elle pas pour son auteur ! Que serait:ce si la faible lumière qui nous guide dévenait assez vive pour nous faire apercevoir l’ordre général des causes et la dépendance des effets ? Mais esprit le plus vaste, et le génie le plus puissant,

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(@7))

ne s’élèvera jamais à ce haut point de connais- sance. » '

« Ces premières causes nous seront à jamais cachées ; les résultats générauxrde ces causes nous sont aussi difhciles à-connaitre que ‘les causes mêmes ;! tout ce qui nous est possible , c’est d’apercevoir quelques effets particuliers, de les comparer ; de les combiner , et enfin d’y reconnaître un ordre autant relatif à la nature, que convenable à l'existence des choses que nous considérons. »

À cette idée, avouée sur l’'immensité dela nature par un dés génies les plus profonds qui ait honoré la nature humaine, on peut ajouter l'histoire du fraisier de Bernardin de Saint- Pierre, cet autre grand et gracieux écri- vain, voulant embrasser et traiter toutes les harmonies de l’univers , se trouva tout-à-coup arrêté par l'observation d’une simple plante, qui attire tant de nombreux individus de fa- milles différentes, les uns pour se nourrir des liqueurs d’or et d'argent qui sortaient des glan- des de ses feuilles, d’autres pour chercher fe repos sur ces vasles prairies, une proie, ou une ombre qu'ils savaient y irouver, qu'il finit par avouer, que la vie de l’horime suffi- rait à peine pour donner la description de tous les hôtes d’un simple fraisier.

(8 )

Cetimmense etmerveilleux édifice du monde, si admirablement orné , a paraître dans les premiers âges, comme un jardin magnifique , dont Jes beautés continues , placées les unes au- dessus des autres, dans l’ordre des latitudes, pour embellir tous les sites, semblent avoir été destinées à combler d'espérance , de joie et d'a- bondance les jours de l'homme, dans les pre- micres époques de son incomparable origine.

Quoique les lois de la nature soient im- muables comme elle , la terre paraît, par un âge connu de cinquante à soixante siècles, avoir souffert dans sa première fraîcheur et dans sa pompe primitive : les élémens qui sont attri- bués à son existence et à sa fécondité , ont éprouver une égale altération dans leurs cours : l'observation rend cette vérité manifeste ; mais, puisqu'elle montre la main de l'homme comme une cause principale, elle donne aussi l’espoir de pouvoir réparer les maux visibles par la méme puissance.

Nous avons démontré , dans notre Harmo- nie-hydro-végétale, publiée en 1802, et en- core d’une manière plus évidente dans notre Hégénération de la nature végétale, publiée en 1315, d’après les documens puisés dans les parues les mieux connues du globe, que des

déboisemens successifs (qui égalent déjà en

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Europe, la moitié de sa surface) , est résultc un déréslement sensible dans le cours des mé- téores , dans les températures et les saisons, et, par suite naturelle, une diminution dans les productions de la terre et des eaux : des faits nombreux viendront confirmer cette vérité.

Nous aurons, pour fournir un corps de preu- ves sur cel Imporlant sujet, qui s'attache à tous les élémens producteurs , à nous répé- ter dans une partie des premiers cahiers, parce que ces faits majeurs peuvent intéresser les lecteurs qui ne les ont pas encore médiiés ; et ceux qui les connaissent déjà , ne nous sau- ront pas, nous osons l’espérer , mauvais gré de les voir reproduire avec toutes les variantes que ce sujet plus général réclame : car ce n’est qu’en partant des premiers âges et en saisissant les effets les plus palpables de l’éternelle marche de la nature , que nous pourrons parcourir le tableau des productions innombrables que sa main libérale a semées dans le riche domaine de l'homme , entrevoir les causes de la dimi- nuuon de partie de cette première abondance, et des moyens faciles à employer aujourd’hui, pour la recouvrer et la rendre plus générale parmi les nauons.

Souvent un seul végétal produit, par son importance. bien appréciée, des changemens

(10) dans la fortune, les habitudes ; le bonheur'et les jouissancés des peuples. ? FOREIPE

C'est d'un grain de café, tiré du fond de VArabie , culuvé et élevé dans les serres ‘du Jardin royal des Plantes de Paris ; qu'est sorti cet arbre précieux, qui, transplanté en‘ Amé- rique, en a peuplé toutes les Antilles , qui four- nissent aujourd'hui à une consommation de cent quarante millions de livres de ‘café à lEuropeseulement : on peut dire, que cétte seule fève, cultivée par des mains modestes ; a déjà produit plus de trésors, que n’en pourrait réunir le plus riche royaume de la terre.

L'Etar, le commerce et les À méricainsen ont lobligation à la persévérance du généreux Dé- clieux , de qui on raconte Île trait stivant :

« La proviMion d’eau devint si rare dans le vaisseau qui Îe portait en Amérique, qu'elle n’était’ plus distribuée à chacun que par me- sure; cependant, sentant tout le prix du pré- cieux dépôt dont il était chargé, il partagea, avec les plantes de café qu'il avait avec ui, la porüon qu’on lui donnait pour sa boisson , et les entretint ainsi dans leur fraîcheur, jus- qu’à la Martinique , elles fructifièrent mer- veilleusement. Un pareil trait n'a pas besoin de commentaire. »

C’est encore de cet établissement incompa-

(1)

rable , par les hommes rares qui le dirigent et l’administrent , qu'est sorti récemment le pre- mier arbre à pain , envoyé à Cayenne ; et qui surpassera peut-être un jour, dans l'intérêt de la société, les bienfaits mêmes de l'arbre à café. : Cest là, que la science est réelle et intéres- sante, parce qu'elle a pour guides constans, l'expérience , le savoir palpable ‘et le véritable esprit du bien public, Si l’on faisait l’'énumé- ration de tout ce qui sort annuellement du Jardin royal des Plantes de Paris, de lumières utiles et de trésors en plantes et en graines, destinées à féconder, à enrichir la France, l’Europe et une grande partie du monde connu, on serait pénétré d'autant de reconnaissance que de juste admiration.

En appréciant le mérite des végétaux utiles

ou d'ornement, dont beaucoup de voyageurs

le de estimables nous ont enrichis, nous aurons éga- lement à signaler, parmi nos modestes arbres forestiers , des individus dédaignés parce qu’ils sont sous nos yeux, et qui cependant peuvent aller de pair avec l’arbre à pain de la mer Pa- cifique , avec l'arbre vache ou à lait végétal de l’Amérique-Sud, avec le shéréas l’arbre à beurre de l’Afrique et l'olivier de nos contrées méri- dionales.

Nous aurons à faire les mêmes remarques

(22)

sur l'utilité la plus spéciale des divers animaux que la nature a répartis aux différens climats de l'Europe, pour combler les besoins de ses habitans , et dont la multiplication trop bornée, la diminution même très-sensible, procèdent de causes connues, que nous déduirons jusqu'à la plus frappante conviction.

Il nous sera aisé de convaincre que, dans l'existence primitive des choses, tout s’est trouvé dans la plus riche proportion avec les besoins naturels de l’homme ; que son intelligence eul- uvée et le résultat de beaucoup de voyages fruc- tueux pourraient aujourd’hui augmenter les produits de ses jouissances. Espérons que les trésors que, depuis des siècles, on continue à consacrer par habitude, à des constructions stériles, que le temps finit toujours par rouler dans la poussière des vanités humaines ;, espé- rons de voir ouvrir, par la sagesse, cetie grande époque , qui invite, de toute la puis- sance de l'imagination et du besoin, à voir employer ces trésors, à muluplier aussi, sur les vides de la terre, les monumens fructueux de la nature, d’embellir enfin la demeure de l’homme des champs, en généralisant le bon- heur ; de féconder sur tous les espaces du sol et des eaux, des productions utiles et nou-

velles ; de régénérer les fontaines taries ou af- , u

(15 )

faiblies; d'enrichir les ruisseaux et les fleuves des poissons des différentes eaux du globe; de rendre les pluies plus uniformes et plus régu- lières, tout en diminuant les élémens de la grèle ; de modifier la force des vents froids et impétueux pour rétablir, augmenter même la douceur de nos anciennes climatures, et par conséquent tous les principes de la puissance végétale.

Décupler les richesses naturelles, faire rayon- ner l’aisance et le bonheur jusque dans l’humble chaumière; couvrir la terre natale des trésors répandus avec profusion sur le globe ; revêtir son manteau végétal de toute la pompe qu'il est suscepuble de recevoir des magnifiques pro- duits de la création : tel enfin sera le but de cet ouvrage.

Mais comme il nous est permis de croire que rien n’a été fait en vain dans la première origine des choses ; que le ministère, que la puissance végétale semble avoir eu à remplir dans l’harmonie des élémens, a souffert par des destructions successives , qui s'étendent sur des siècles nombreux ; que les premières bases de l’économie de la nature ont été insen- siblement altérées ; que cette influence s'est étendue sur toutes les productions, comme sur les habitans de l’air, des eaux et de la terre,

(147) nous nous ferons une loi (sans embrasser le moindre esprit systématique) d'offrir un ar- ticle, dans chaque cahier , sur ce qui a pu étre, sur ce qui est, et sur ce qu'il serait facile de faire , pour rendre à ce merveilleux labyrinthe de l’homme, ses dons, ses charmes , jusqu'aux gracieuses illusions d’une vie passagère , avertie d’une destinée plus élevée.

VUES GÉNÉRALES.

Sur l’état primitif des forêts ; leur influence sur les eaux vaporisées, sur les climatures , les inondations irrégulières, les tempêtes ét les ourasanñs terrestres’

Lorsque notre planète sortit du soufile du Créateur , tout ce qui fut nécessaire, beau, parfait, indispensable, était accompli. La loi éternelle des attractions réciproques eut avec. l’action du soleil, pour ageus principaux, les mers, les montagnes, les méiéores et les forêts, dont les corrélations intimes et continues de- vaient entretenir l'harmonie des élémens, pour la conservation de toute la nature.

À l'exception des parties occupées par les eaux , les prairies, les glaciers et les hauts

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pitons électriques et métalliques les forêts paraissent avoir, origlnairement couvert toute la surface du globe, pour remplir leur éminent ministère. |

Dans les régions chaudes, se sont trou- vés, depuis l'Équateur jusqu’au 40°, decré de chaque hémisphère, le superbe, et fructueux bananier, les girofiliers, es poivriers, les mus- cadiers, les .canneliers aromatiques, avec les riches familles de palmiers ;,les bois de rose, de sapan, d’aigle, d'ébêne, de sandal ; d’aloës, de benjoin , de calamba ; de magnoliers, de Hi- moniers, de citroniers, d’orangers et de lau- riers, qui, réfléchissant dans leur pompe le riche éclat de la création, sont destinés à dé- lecter l'homme , à embaumer la terre de leurs suayes parfums, et à rafraichir, de leur ver- dure perpétuelle, ces belles, mais. ardentes contrées qui, privées de ce bienfait, ne pour- raient être habitables sans souffrance.

Dans les pays du nord, et en général dans les régions froides et élevées, on voit au con- traire d’autres arbres veris et toujours odorants, tels que les cèdres, les familles variées des pins, des sapins, des cyprès, des ifs, des grands ge- névriers, des thuyas, et même les mélèzes, entou- rant, comme des barrières, de leur sombre verdure, les régions des neiges ei des glaces,

( 16 ) destinés aüssi à répandre l’encens de leurs ré- sinés , et à conserver aux climaturés, par leurs masses serrées et leur verdure immuable , la chaleur indispensablement nécessaire , pour maintenir tout ce qui doit vivre et végéter dans ces zones plus éloignées du soleil.

Les zones intermédiaires et tempérées, pla- cées entre les 4o° et 52° degrés, ont recu, avec la même munificence, tout qui devait con- courir à la conservation harmonique de ces douces latitudes, au moyen de l’ordonnance de leurs montagnes, de la distribution de leurs ondes, du choix et de la somptuosité de leurs végétaux.

Tout étant créé et ordonné par la sagesse éternelle, la terre à vu dans son admirable origine, ses montagnes, ses coteaux €L partie de ses plaines, magnifiquement couronnés de forêts destinées à nourrir, à protéger tout ce qui devait respirer sous leur vivifiante in- fluence ; alors sortant vierge des mains du Créa- eur , elle avait sa chaleur et ses grâces virgi- nales ; les élémens obéissaient aux diverses lois de la création ; les eaux avaient leur cours'et leur fraicheur pure; les températures et les saisons leur heureuse régularité ; le soleil et les vents alizés leurs salutaires fonctions; les ani-

maux leur abri, leur litière et leur nourriture;

(17) l’homme, placé sous le trône dela création g avait ses délectables vergers; ses frais ombrages , ses fruits savoureux , un air suave et embaumé, enfin un spectacle céleste et rayonnant de ma- jesté. | DO ER Dans cette pompe, naissante du monde > "OÙ la splendeur de la création se;dessinait par la somptuosité de sa magnificence, l’homme était dans le ravissement; la nature était pleine de mystères et de symboles merveilleux pour lui; l'âme s’enivrait dans l'enchantement des ins- pirations les plus élevées ; out ce qui existait était grand sous le charme des pensées les plus imposantes ; tout xespirai}, l'adoration ; parce que tout montrait la présence et l’ineflable bonté de Dieu. | Aujourd’hui une ce du tie de La vie est détruite : la terre a été insensiblement. dé- gradée ; près de moitié des forêts, de ce brillant manteau de la nature, étant dns. les Lois de l'auraction ont éprouver une interversion successive. Des vides immenses, se sont ouverts àl action trop immédiate du soleil, etont donné naissance à des courans, à des vents nouveaux. 1 action des mers ayant perdu son appui attractif et correspondant des forêts, l'ordre des saisons et la marche des météores ont Ê "éloigner tous les jours davantage des lois primitives. RMRU

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du moins aujourd’hui ; à n’en pouvoir plus douter, que les bruissantes forêts , qui corres- pondent avec le soleil, les mers et les mon- tagnes, exercent le plus puissant empire sur les météores aqueux, avec, lesquels elles pa- raissent ayoir des aflinités si intimes, qu'il sem- ble, ,qu'à, leur: existence, tiennent toutes les consonnances qui lient le règne végétal à l’har- monie des élémens.

. Les arbres peuvent être considérés comme les: siphons intermédiaires entre les nuages et la terre; de leurs cimes attracuves, ils com- mandent au loin aux eaux voyageuses de l’at- mosphère de venir verser, dans leurs urnes protectrices , les eaux qui doivent nourrir les sources, faire couler les ruisseaux, rafraîchir les vertes prairies, et féconder les germes con- fiés à la terre; comme, de leurs racines aspi- rantes, 1lS transmettent, par réciprocité, du sein de la terre, les fluides surabondans né- cessaires aux régions supérieures.

La corrélation qui existe entre les végétaux ét les météores aqueux , est démontrée à nos sens ; d'habiles physiciens ont constaté, par des expériences aussi ingénieuses qu’intéres- santes, dans quelle proportion les végétaux absorbent , par unê attraction qui leur est propre, les flots d’eau vaporisée qu'ils distillent

2.

( 20 ) ensuite sur la terre : il résulte, de ces expé- riences , que la masse d’eau que les forêts et ious les végétaux aspirent et expirent est im- mense ; et comme la nature économe ne fait rien en vain , elle rend la même quantité par les fleuves et par la transpiration de ces végé- taux, pour former les rosées, les brouillards et de nouveaux nuages (1).

Notre hémisphère, et les montagnes surtout, ne possédant plus la moitié des forêts qui les couronnaient , et le soleil élevant invariable- ment la même masse d’eaux dans les airs , que dans les premiers instans de la création, on doit songer avec effroi ce que peuvent, ce que doivent devenir ces mers suspendues , lorsque les végétaux diminués , sur notre continent sur- tout, ne peuvent plus en pomper la moitié.

On sait déjà que , équilibre étant ainsi in- terverti dans le cours des météores, les grandes forêts, encore existantes en Afrique et en Amérique , attirent, comme celles de la Guia- ne, des torrens d’eau , qui se déversent sur

(x) Un pommier-nain arraché en feuilles a, dans l’espace de douze heures d’un temps chaud, pompé jus- qu’à seize livres d'eau: un arbre moyen, soutiré par la force de succion de ses feuilles, de ses branches et de son écorce, de 25 à 5o livres d’eau par jour. ( Statique des végétaux. }

(21) æes contrées pendant quatre et six mois, com- me des déluges ; mais ces pays , si long-temps noyés pour nous, ne peuvent recevoir que la plus faible partie de ces masses journellement transportées dans les airs, et chassées par celles qui sans cesse leur succèdent : elles avaient, dans l’œuvre du Tout-Puissant, une destina- tion fixe, bienfaisante , dont l’homme a succes- sivement dénaturé l'emploi.

Une partie de ces eaux, attribuées autrefois

à la terre pour la féconder, ne pouvant plus s’abattre en l’absence de ces millions de siphons qui en réglaient le cours, suit aujourd'hui la route de celles qui étaient éternellement desti- nées aux pôles et aux glaciers des hautes mon- tagnes , pour alimenter les réservoirs des mers et

des fleuves.

Si l’on considère que notre pôle est déjà chargé d’une coupole de glaces de quaire à cinq mille lieues de circonférence, qu’un océan de neiges et de lacs glacés entoure, pendant huit mois, cette étonnante coupole, sur plus de six mille lieues de contour, et à plus de deux cents lieues de profondeur de continent ; que de ce pôle il sort , par les nombreuses bou- "ches de ses abîmes, des îles flottantes de glaces élevées comme des montagnes, nombreuses comme des archipels , et qui souvent échouent à huit cents pieds de profondeur, pour verur

We, (22) * rafraîchir et nourrir les mers du midi, on pourra se former une idée des froides influen- cés que peuvent exércer les vents condensés , venant d’un de ces méridiens de quatre cent cinquante lieues de rayon de glaces, sur les vides formés par le départ des forêts, et dans des pays un air plus chaud, plus raréfié doit , par les lois naturelles de la physique, les attirer sans cesse. ;

Ce soleil de glaces, cet astre des lumières bo- réales qui se refrangent si magnifiquement dans le ciel, souvent sur un râyon de mille lieues de longitude, pour éclairer et récréer des bril- Jantes couleurs de la zoné torride , des régions obscures , silencieuses ét $olitaires , se trouvât- il dans les dimensions primitives de l’harmo- nie du monde, il exercerait déjà sa froide in- fluence sur les températures du resté de Fhé- misphère, par le vidé des forêts , qui s'étend en Europe à plus de moitié de sa surface. Quels effets ne doit-on pas en redouter, lorsque ses dimensions s'étendent successivement au-delà de ces proportions primordiales ?

L'Europe entièré présente environ neuf cents millions d’arpens en surface déboisée (1) ; un vide aussi immense dans les végétaux , à qui

(1) La France et la péninsule comptent déjà seules près de 200 millions.

(25)

la Jégislation des nÉtÉOres semble, avoir, spécialement confiée par la Providences, a. successivement diminuer, l'attraction des çanx vaporisées dans la même proporuen et: Jaisser échapper una grande, ;quantité,, de £elles: qui étaient destinées à arrosex,la, terre, pour s’'en- fuir et se fixer daus des lieux où, elles tendent sans cesse à. larefroidir graduellement... so

Comme il est, da nécessité absolue, pour: la conservation de. motre, univers , que. le, soleil pompe , sans aucun intervalle de temps ; que, ces vapeurs élevées dans toutes les régions, le Vat- mosphère ,.remplissent june destination, sans jamais s'arrêter ; comme uye. route éternelle est, tracée à à celles qui doivent. alimenter. les grands: réservoirs des mers etrdes flquyes,. dn mionde, on, doit craindre que, la. portion, dont la terre se {rouve aujourd’hui, privée , ne syive celle qui se rend aux pôles:et aux glaciers, cles montagnes, pour. en:étendre et grossir la masse, aux dépens de la sic animale et végétale, de

. Supposons, au Minimum , QUE CES CAUX, qui nous étaient. départies par Paitraction des, vé- gétaux, qui m’existent,plus, ne prissent, place au pôle.et sur, les glaciers de'nos, montagnes ; que pour la muillième partie seulement; ce serait. encore l'effrayante quantité de. vingt- quatre milliards de toñnes d'eaux par. jour .

(24) pour notre hémisphère , qui ‘au lieu’ de ferti- Bser la terre , voht menacer l'existence de l'homme ; avec tout 'cé qui lui ést dssocié , du haut de ces trônes de glaces et de frimas, dés- tinés jadis à à entretenir la vie et le mouvement dans la nature éntiéré.

Cette observation conforme aux lois physiques qui régissent le: globe, n’est malheureusement plüs une hypothèse , une simple supposition : elle est déjà visiblement une SPRTIE r'éa- gi

5 Sp les dimensions la coupole de glaces

du pôle’ Boréal soit trop immenses pour que l’homme puisse les évaluer et les comparer ; sinous ne pouvons én juger que par quelques signés d’agrandissement de ce sombre domaine que le voyageur ‘intrépide aperçoit aux dé- toits de Vaigats , de Davis, d'Hudson, de Baf- fin ét du Nord , d'où dégorgent , en mugis- sant, les larges et profondes sources des mers, et par le mouvement rétrograde des animaux et des végétaux ; du moins possédons-nous , dans l'agrandissement des glaciers de nos mon- tagnes , plus faciles à observer et à saisir, le thérmomètre de l’agrandissement des pôles, parce que, existant sous les mêmes lois, ils croissent et décroissent par les mêmes phéno- mènes. 3 |

(25)

Or, voici ce que l’on marque sur les glaciers de la Suisse : Société helvétique des sciences naturelles propose un prix de 600 fr., un de 500 fr., pour les deux Mémoires qui lui par- viendront sur cette question :

« Est - il vrai que les Hautes - pe de la Suisse soient devenues plus äpres et plus froides depuis une certaine série d'années

« Les parusans de l'opinion aflirmative allè- guent, d'après des monumens historiques , que des pâturages ont existé dans des lieux élevés, aujourd’hui stériles; que les arbres ont aban- donné des hauteurs autrefois boisées ; que la ligne des neiges est moins élevée; que les glaciers sont plus étendus. »

« Il s’agit d'examiner ces faits, de chercher s'ils tiennent à des accidens locaux, ou s'ils forment un système général , etc. »

Non, ce n’est point un système général, en- tré dans la pensée de la création, que notre pôle et les glaciers de nos hautes montagnes augmentent en étendue dans le domaine des glaces et des neiges, pour refroidir successive- nent la terre ; notre globe est sorti accompli des mains de l'architecte éternel, comme les millions de sphères et de soleils qui roulent à ‘ses pieds, dans l’éternelle harmonie de tous les élémens conservateurs; mais l’homme ayant

( 26) dégradé œuvre de. Dieu ; dans ui des plus prussans agens harmoniques de natiré, il en est averti parlées souffrances qui le menheent.et latteignent déjà; ro Nt Jp 38 tan « ..#t oQC

C’est, au contraire. par sun:, résultat de Ja destruction des forêts ; comme abris centre les vents boréens ; et comme siphons des eaux va- porisées, qüe les. glaciers dorventaugmenter tons les jours davantage, jusqu’à-ce qued'homme , qui a été l'aveugle instrument'(le eette destruc- uon, comme il en est l’aveugle..viéume, vienne à réparer ; par.ses travaux, les outrâges faits à la création , et conjurer les maux prêts à l’accabler:

Nous ne parlerons point de la grande catas- trophe, qui deviendrait possible , si notre pôle continuait à augmenter en poids et en grosseur, au point d’éprouver un dérangement dans son équilible et dans l’écliptique: : malheur qui serait d'autant plus à craindre, que le pôle austral n’est pas en proportion sujet au mêmes phases.

On pressent déjà , en considérant le déboise- ment des montagnes et lagrandissement des glaciers, les causes de ces inondations subites 51 prolongées , inattendues, si souvent renouvelées dans une même année, qui bouleversent les

travaux des hommes ; et marquent par des traces

(270 de destruction, dans les pays qui avoisinent les hautes montagnes, les glaciers et les fleuves qui y ont leurs sources : mais, avant de traiter ce sujet, exposons quelques vues générales sur l'effet des abris.

Les forëts considerées comme abris.

L'effet des abris, trop palpable à nos'sens, n'a jamais pu être l’objet d’un doute, l'usage en est généralisé dans nos jardins, par un sim- ple mur : on arrête, on fixe d’une part les rayons solaires, pour obtenir les meilleurs et les plus beaux fruits, tandis que derrière. on arrête les influences ennemies de ces producuons. Les rayons solaires élastiques comme l'air qui nous les transmet, sont flexibles, dociles, et s'offrent à notre volonté, À conserver des climatures prêtes à s’éteindre, à recréer celles même qui sont détruites.

Le jardin royal des plantes de Paris, la science, toujours d'accord avec la nature, laisse entrevoir quels pouvaient avoir été les charmes de la terre dans son origine , et combien il se- rait facle de les lui rendre, présente plusieurs éxemples de hautes palissades de tuyas, de grands genevriers entremélés de genêts d’Es-

5 pagne , et d’autres arbres toujours verts, des-

(28 ) tinés à abriter , contre les vents froids , les plantes délicates ou exotiques.

Ces jolis encadremens, qui embellissent le site, entretiennent constamment, dans leur en- ceinte, une température plus douce qu’elle ne se trouve être dans les parties extérieures, en offrant en même temps une végétation plus pré- coce et plus soutenue.

Mais nous avons, pour l'intérêt de la société, à étendre ces observations sur une échelle plus grande et un champ plus vaste. Depuis les ri- vages de la Méditerranée jusqu’à la mer Gla- cale, c’est-à-dire, sur un rayon de plus de huit cents lieues de longueur et douze cents lieues en largeur , les anciens remparts dus aux grandes et nombreuses chaînes de forêts, des- tinées à arrêter, à briser, à dévorer les vents des régions glaciales, sont détruits ou inter- rompus , au point que les climatures de toutes les zones de ce vaste espace , se trouvent gra- duellement dénaturées, et que le châtaignier, le müûrier et le précieux olivier souffrent, ainsi que la vigne , dans nos latitudes les plus méri- dionales.

La Providence avait réparti, à chaque zone de la terre, une climature propre à sa latitude et aux végétaux qui devaient y croître ; les vents alizés, destinés, par leur souflle perpétuel et

(29) alternatif, à marquer les quatre grandes époques de la nature, avaient recu, pour modérateurs, les montagnes et les forêts, chargées d'empêcher le mélange des vents sauvages , de couranÿ étran- gers.

Il est connu que les sommets des hautes montagnes sont pourvus de grandes vertus at- tractives par le magnétisme et l'électricité qui y abondent, et qui paraissent avoir leur siége dans les roches graniteuses, ferrugineuses , cuivreuses , et d’autres matières métalliques. Si la nature, toujours économe dans ses plans, avait jugé cette organisation suffisante pour remplir seule une mission métérologique , elle ne les eût pas, pour compléter cette mission, couronnés partout des plus grands arbres, dont le concours paraît avoir été de nécessité ab- solue.

Nous verrons , dans les cahiers suivans, les preuves mulupliées, que toutes les montagnes réduites à une triste nudité, sont non-seulement insuffisantes pour maintenir les climatures et l’organisation végétale, maisqu’elles concourent, en cet état, au desséchement de la terre, et sont surtout , comme corps réfléchissans, les causes de la grande violence des tempêtes et des ouragans terrestres, qui dévastent tout ce

que ces belles forêts avaient été destinées à pro- téger.

\

{ 50 )

Lorsque, dans mes fonctions d'ingénieur , j'avais à atiénuer la violence des eourans d’eau, je divisais la chute, par des arrêts graduelle- ment répétés, et.je parvenais à diminuer la pente et à affaiblir le choc trop violent du cou- rant.

Les forêts parsemées sur toute:la terre , cou- vrant les vallées, les plaines, les flancs et les sommets des montagnes, remplissaient ce:mi- nistère contre les vents, par la fréquente ren- contre de leurs barrières élastiques ; et de: lim- mensité incalculable de la surface de leurs feuilles mobiles ; alors chaque courant irré- sulicr de vent, ne trouvant point d'appui pour se réfléchir, se perdait dans les massifs des fo- rêts , qui le dévoraient comme un: ennemi sou- levé contre la nature. | |

On le sait, et on le sent partout , que lesiem- pératures produites par l'influence: du soleil , sont modifiées, affaiblies; et quelquefois même annihilées par l’action des vents froids. J’ai vu porter le manteau , en plein été, au quäranté deuxième degré de latitude , lorsque la tramon- tane (mistral ) ou le vent du Nord-Ouest N ord y ‘souflait. Nous voyons également, en plein hiver, la température visiblement remonter pendant un vent du Sud, ou seulement du Sud-Onest-Sud...….. On a observé à Paris, que

à (a)

le: 2 à décembre; lebthermometre: était plus élevé par-un vent du#Sud: pe 21 juin ; par um vent ‘deiNord-Ouest-Norde: Sd. à

‘Isuivde roues; “NUE AN dent pas umiquenventdecla: présence:,:de Féloi ghementou:de:llabsenceoduiseleit; mais que , recevant Jleurs-llernièves modifications du rè- gneudes vants , onspoürrait; ét opposant x.ces métébresodestlabrisoheureusement: combinés, adowait les climätuves-et' recréer! mème les an- cienheseobstitwtiomhätmbsphériques. 2}

1 Leomontagnds }couverres/deforêis ;çom mine destinationhque nows'hepouvons méconnaîiire : elles démontrent leur puissante influence jusque dans:lés froides:latithdes:de :la Sibérie, elles saventlixer:le beau. sébeil de Fltahe seb parèr lespvällées: profondés:et solitaires dés fouitsret dés’ fleuré de Axfortunée: Proveñbeu:. Écon- tons ce ji'en dit: M." Pallas, .célébre-académiz cie Péteusbôurg ; dansses Observations sur

1 formationsdes montagnes: 0,1 spilgan ou Ifhbbé Chappe d'Auteraché a 'eu D 18GR decontredireé /sbrand:, des et Langes ; par rapport X:ha hauteur sexcessive! que cos «voya- geuts avaient attribuée: à à iccite partie: des monts Ourals , qui passe entre Solykamska et. V euk- hotoürie. I est aussi excusable d’avoir sttpposé k Sibérie; ou les plaines au-delà de ces mon

(32)

tagnes , moins élevées au-dessus de celles d'Eu- rope , que Stralenberg Yassure. Les parties bo- réales, par son voyage 4 eonduit l’observa- teur français, sont effectivement des: plaines basses , couvertes de:forêts , et très-souvent ma- récageuses. Mais il convient lui-même que le plan de la Sibérie s'élève vers le midi ;:c'est-à- dire , vers les 4lpes sibériennes , qui. forment sa frontière ; et, puisque ‘cette chaîne s’élargit et s'élève de plus en plus vers l'Orient, l’éléva- tion des plaines de da Sibérie: y devient de même plus considérable ; et leur pente plus rapide : ce qui justifie F’assertion,. de Stralen- bers. ci lliri 53 [aol saoul eall:

« Cette situation de la Sibérie en plan-in- cliné vers la mer Glaciale , son exposition aux vents: de Nord et de Nord-Est, pendant qué ceux du midi sont interceptés lpar, la grande chaîne couverte, pour la plupart, de neiges continuelles , et ceux de l'Ouest; par la chaîne ouralique , devient une cause plus puissaïite ; pour rendre le'climat de ce payS si rude:, que ne le serait l’élévation seule , ou la ‘salinité des terres à laquelle notre abbé voudrait, enuère- ment attribuer la rigueur des. froids .quis-y règnent. fa LD |

« Je citerais en preuve de cette! assention; les environs de la fonderie de Barnäoul, sur

( 55 )

VOby, garanties des vents du Nord , par une traînée de montagnes et de. forêts, qui s’avan- cent entre le Tom et l'ObY , toutes sortes de jardinages, même les »#elons et les citrouilles viennent parfaitement bien en pleine terre, tandis qu’à deux degrés plus au Sud, la pente des montagnes altaïques, exposées au Nord, ne produit rien. Je citerais les vallées de Selen- ginsk et les environs de la rivière d’Abakan, fleuris au mois d'avril au pied des montagnes, au Nord desquelles règnent les frimas et les neiges jusqu’au mois de juin. » '

« Une partie de notre Europe doit peut-être la douceur de son climat aux Æ{pes de la Scan- dinavie et de l’Ecosse , qui détournent les vents du Nord , ei à ce que ics glaces du Nord ont un débouché libre entre l’Europe et l’Amé- rique; pour être entrainées par les courans vers les tropiques ; de sorte que les vents du Nord y sont moins refroidis et moins soutenus en été. »

« Ce sont, au contraire, ces glaces renfer- mées par le cap Nord et le Spitberg , qui in- fluent déjà sur le climat de la Russie boréale, Les déserts d’Astrakan , semblent, par oppo- sition , devoir l’intensité de leur été, qui y favorise jusqu'aux plantes propres à la Perse et à la Syrie, à leur exposition aux veuts Sud

_—

1. )

( 04 )

et de Sud#Æst, et aux terres élevées qui les couvrent au. Nord, Ce n’est aussi précisément que les vents du Nord-Est et de Sud-Est , ré- fléchis par les montagnes d’Oural et le Caucase, qui y font régner les plus fortes gelées en hiver et qui amènent la fraîcheur en été. »

Bernardin de Saint Pierre, qui me donna, il y a trente ans, les premiers et précieux té- moignages de son amitié fraternelle , parce que je servais dans le même corps auquel il avait appartenu, et qui puisa, dans son génie ob- servateur , les vues les plus vastes , les plus gracieuses et les plus attachantes sur toutes les harmonies de la nature, remarque ; en par- lant des montagnes à réverbère mariume de la Laponie et de la Finlande, que les habitans de Pello, situé vers le soixante-septième degré Nord treize degrés des glaces fixes et éter- nelles du pôle) doivent à la température de leur site , le ruisseau de la montagne de Kittis, gui coule pendant tout l'hiver, tandis qu'à quatre cent$ lieues plus au Midi, les eaux cessent communément de couler dans cette saison.

Si les fluides aériformes sont moins évidens à la vue que les corps liquides , il n’est pas moins vrai que les premiers, quoique trans- parens et aériens, qui jouent le plus grand

(35) rôle dans la nature; ont aussi leurs déborde- mens | et veulent être digués par des masses fléchissantes et élastiques.

Lorsque les rayons solaires Viennent se ré- fléchir sur un coteau une chaîne de mon- tagnes , ils montent, passent et $’échappent comme des ombres : fngitives ; sans produire aucun bien, si rien ne s'oppose à leur extrême fluidité ; mais, s'ils trouvent un bois serré au sommet , 1l les arrête comme! une digue arré- térait un courant, et les force à. déposer la chaleur ,; à échauffer son versant et tout le bassin qu’il est chargé de protéger : alors , ainsi que le miroir ardent d’Archimède,, d’innom- brables feuilles spééulaires ‘et vibrantes réflé- chisserit , comme autant de petits miroirs, la chaleur multiplie sur les vignes, les guérets et les vergers (1). C'est ainsi qu’autrefois cha cun'de nos bassiié âvait; par les boisemens, sa chaleur ; ‘ses témpératures relatives, les vins et les fruits leurs qualités distinctes... Aujour-

) ‘pin n

(1 Tout est + effet et dite été apprécié dans la nature. Les feuilles des arbres de nos climats ont en général deux faces différentes : : celle inférieure tournée vers la terre, est matte ou velue , et destinée à aspirer ; tandis que la face exposée aux regards du soleil, est glacée, pour ré“

fléchir et multiplier ses rayons.

3:

(56 )

d'hui commence la confusion : les bienfaisans ravons: du soleil nous fuient avec les doux zé- phirs dans leur transparente légèreté, ou sont eux-mêmes condensés par les froids courans du Nord , qui viennent fixer et étendre librement leur glaciale influence dans nos plus riches bassihs , et arrêter Je travail de la nature dans ses plus précieuses productions.

: Bernardin de Saint Pierre, que je citerai sou- vent comme autorité, et homme éminemment observateur, attribüe avec raison à la masse des feuilles vernissées des forêts de sapins, une partie de la chaleur des étés du Nord: « Je l'ai, dit-il; trouvée si considérable, en parcourant les forêts de la. Russie , de Moscou à Péters- bourg ; que je ne doute pas qu'elle ne surpasse celle de la zone torride ; que j'ai traversée deux, fois. » |

« La chaleur est sans 08 eds Sie grande. au Nord en été. si l’on compare la tempéra- ture d’un lieu pris dans une forêt de sapins, à _celle d’un lieu pris en pleine mer sous l'é- quateur , parce que les plans réverbérans des feuilles lustrées ont uné bien plus grande étendue que ] la surface de l'Océan ; dans” un horizon de, la même grandeur. pi serait très- eurieux den. calculer la somme et la di if rence ; on pourrait en conclure celle de leur température. »

(37)

Si j'éprouve le regret de n'avoir pas fait cet arpentage possible , de la surface de la tige, des branches , des rameaux et des feuilles d’un chêne, lorsque , si souvent assis à l'ombre de son feuillage étendu , je méditais sur les bien- faisans motifs de son existence : je citerai à ce sujet , le travail d’un homme qui sera toujours d’une grande autorité toutes les fois qu'on par-

lera d'arbres.

Duhamel, à propos de la transpiration des végétaux , assure avoir calculé que les feuilles d’un moyen chêne, dont il a évalué la surface à un milliard de pieds carrés (1) , fournissaient en douze heures, dans les jours de chaleur, vingt-cinq milliers pesant d’eau : ce qui sup- poserait une surface de deux mille cinq cents pieds carrés nécessaires pour produire une once

d’eau.

Comme il est reconnu que les branches, les rameaux et les feuilles se nourrissent spéciale- ment d'air et d’eau mélés aux divers fluides répandus dans l’aumosphère, il est certain que deux mille cinq cents pieds carrés de surface doivent produire plus d’une,once d’eau ; mais,

(1) Il y a sûrement une faute d'impression.

( 58 ) comme l'évaluation de la surface des feuilles semble excessive , tenons-nous simplement à la millième partie , et voyons quels en seront en- core les résultats.

Un: arbre, offrant dans ses feuilles et ses branches, un million de pieds carrés en sur- face, produirait vingt-cinq livres d’eau par jour : termé raisonnable ; et de moitié au des- sous des résultats obtenus par d’habiles physi- ciens.

Un arpent de bois, pouvant contenir quatre c'nt quatre-vingts arbres, outre les plantes, les arbustes et les arbrisseaux , qui remplissent les intervalles des arbres et qui exercent ce- pendant aussi leur action sur l'atmosphère , offre donc une surface en feuilles spéculaires et révérbérantes de rnille arpens , et une trans- piration d’au moins douze milliers pesant d’eau par jour.

D’après cette supputauon modérée qui mon- tre, dans les bois, l’immensité dans les sur- faces réfléchissant la chaleur, l’immensité des eaux qu’ils aspirent , pour fournir une trans- piration semblable ; de l’air méphitique qu'ils ont besoin de dévorer à toute distance, on peut se former une idée de l'influence qu’exer- cent les forêts sur les températures , sur la fé- conditcet la salubrité de Ja terre, ainsi que de

(39 ) nombreux exemples le confirmeront dans le cours de cet ouvrage.

Il est reconnu que les reflets des corps ter- restres augmentent la chaleur du soleil. Les navigateurs ont observé généralement que la température d’une île est plus chaude que celle de la mer qui l'entoure ; qu’elle est plus grande lorsqu'il y a des montagnes, que dans une situa- tion unie ; et qu'une île boisée a une tempéra- ture supérieure à celle qui est nue.

Lorsque la Providence a placé, autour de l'équateur, les plus vastes forêts qu’il y ait au monde , pour tempérer, de leurs masses om- bellées et de leurs larges ombrages, les zones torridiennes (1), la volonté en a été visible- ment divine et bienfaisante ; mais comme il n’y avait qu'une même volonté dans toute la création , qui à eu pour but unique le bon- heur, la félicité et la conservation de tout ce qui devait respirer dans la nature les zones moins embrasées du soleil ont été couvertes

(1) En général, les arbres des régions situées entre les tropiques , divergent leurs rameaux en ombelle ou para- sols : ces formes se trouvent même jusque dans celles des inontagnes de ces contrées; tandis que ceux des zones froides tempérées, présentent les leurs en pyramides réfléchissantes,

(40 )

d'autres forêts, destinées à modérer l’action des vents froids, à couserver les douces clima- tures avec tous les élémens chargés d'y con- courir.

Aussi voyons-nous par tout il se trouve encore une forêt, une force et une précocité de végétation , qui ne se voit plus dans la vaste nudité de nos campagnes brülées et desséchées. Si, fatigué d’un vent froid, soufllant sur ces jeunes déserts, on se réfugie dans une forêt, on éprouve aussitôt une température douce , un calme heureux , qui portent à la médita- tion : on croit avoir changé de pays, et respi- rer sous l’empire d’une puissance tutélaire et prévoyante.

Dès l'aurore du riant printemps, les pré- mices des fleurs se trouvent à l’entrée des bois : la précoce primevère, le suave muguet et la violette modeste , s'offrent sous la chaude in- fluence des bois, d’une lune , plutôt que dans les champs découverts.

« J'ai vu, dit le baron Tschoudy , un bois de sapins en Suisse, dont les branches naturelle- , ment entrelacées, formaient un toit que cou- vrait une épaisseur considérable de neige ; il n’en était point tombé au-dessous; on y respi- rail une chaleur douce ; c'était au mots de jan- vier, on y voyait la terre bien verte et garnie

(Hi) de quelques fleurs, C’est dans ces bois sombres au loin solitaires, l’on respire l’encens des résines, qu'un saint frémissement avertit de la présence de la Divinité, et que la pensée af- franchie des liens des sens, s'élève jusqu’à elle! »

Ces effets sont tout naturels : une forêt qui arrête ou consomme un courant d'air, con- serve d’abord sa température naturelle, qui est encore augmentée par la masse de matière élec- trique qui la remplit, par le feu et la vie qui circulent dans les nombreuses classes d’oiseaux et d’animaux qui y cherchent leur pâture et leur retraite; par une végétation toujours ani- mée, toujours réverbérante ; par la fermenta- tion que les débris des animaux et des végé- taux y causent; enfin par les rayons du soleil qu'elle ne laisse point échapper, et qui aug- mentent la chaleur de l’enceinte. L'effet en est tellement sensible, que le cerf, la biche, le chevreuil, même le lourd sanglier chargé de lard, ne vivraient pas plus, pendant nos froids hivers, en rase campagne , au milieu des neiges slacées, que le lion , l'éléphant, le tigre et le léopard, hors des fraiches forêts de la zone tor- ride.

Ces riches ei élégans rideaux de verdure, que la nature avait tendus avec tant de grâce

(4)

ei de majesté ; sur la cime de nos montagnes ; ces belles et fructifiantes forêts, si injustement dédaignées, si mal appréciées, si cruellement mutilces, si ignominieusement abattues, qui présentent à elles seules de petits univers, et par ce qu’elles offrent de biens en elles-mêmes, et par ce qu'elles renferment, nourrissent et protègent d'êtres vivans sous leurs berceaux hospitaliers, pouvant seules changer et adoucir les climatures de tout un pays, doivent à ja- mais être considérées comme les plus puissans remparts que nous ayons à opposer aux aulans

du Midi etaux froids aquilons du Nord (1Y.

Vues générales sur les causes des inondations irrégulières.

Toute la science du bonheur de l’homme est dans le grand livre de la nature. La sagesse divine s’y montre partout en traits ineffacables , à tout cœur droit disposé à l’observer et à l’admi- rer avec bonne foi. Si rien ne peutétreretranché ni ajouté à l’homme, sans diminuer de sa per-

(1) Comme, dans ce cahier, on ne présente que des vues générales, de nombreux exemples viendront démontrer le bienfait des abris:

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fection ; si aucune espèce existante ne peul disparaître sans briser un chaînon de la grande chaîne qui he si harmonieusement tous les êtres les uns aux autres ; si la moindre plante, le moindre arbrisseau a eu un motif nécessaire dans la création, comme tout ce qui existe le démontre ; si nos vieux fleuves coulent ils ont couler dès la naissance du monde, il faut convenir que la charpente osseuse du elobe, a dû, telle qu’elle existe, sortir du souffle divin, et les chaînes de montagnes re- cevoir les directions , les formes, la composi- tion et les hauteurs indispensables à chaque latitude, pour réunir, en faveur de l’homme, tout les bienfaits d’un Dieu, d’un Créateur prévoyant.

L’orgueil humain crée des systèmes qui s’é- vanouissent comme la rosée du matin, tandis que tous les points de la terre présentent, comme nous le verrons, les merveilleux mys- tères d’une munificence éternelle, devant qui l’homme ne devrait cesser de se prosterner..….… Le temps n’est rien à la nature; elle est tou- jours jeune et resplendissante, partout son antique et virginale beauté n’a pas été flétrie : il n’y a vieux sur la terre que les dégrada- tions humaines.

Les montagnes ne se ressemblent pas plus

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que les noyaux en granit, en or, en cuivre, en argent et en fer massif dont beaucoup se composent; et, quoique leurs vertus attractives remplissent visiblement une mission utile dans l'harmonie du monde, notre intelligence bor- née n'a pu encore bien définir les principes cachés de leurs fonctions bienfaisantes. Leurs chaînes, leurs formes, leur direction et leur élévation différente , paraissent invariablement coordonnées ayec le cours du soleil , les vents généraux, la position des mers et des pôles, pour assurer à chaque latitude, à chaque bas- sin de la terre, les climatures relatives à la dif- férence des animaux et des végétaux que la nature y a fixés; car le renne se trouverait aussi étranger, sans ses mousses savoureuses, dans la belle et chaude Provence , que l’âne dans la froide et brillante Laponie, sans son âpre et piquant chardon.

Cette remarque est tellement dans l’ordre éternel, que des voyageurs qui ont vécu dans la Finlande encore vierge , et dans les sites les plus magnifiques de la zone torride, c’est-à-dire dans les deux zones les plus opposées de la ierre, ne savaient encore, dans leur admira- tion, à quel pays donner la préférence , tant il est vrai que, dans l’état primiuf, toutes les faces habitables du globe, depuis les pôles jus-

( 45 ) qu'à l'équateur , ont été traitées avec la même prédilection , et montrent encore leurs beautés magiques , partout l’homme conquérant et dévastateur n’a pas passé.

Si l’on voit en Russie des plaines de cent, de deux cents lieues d’étendue, dans les parties les plus éloignées des mers, nous voyons au contraire, que la France, située entre laïMédi- terranée et le vaste Atlantique, les Pyrénées et les Alpes, et par conséquent destinée , ainsi que les pays circonvoisins, à recevoir les pre- miers vents et les premières eaux du Sud et de l'Ouest, se trouve être presque sans plaines, et entrecoupée , dans toutes les directions , par des montagnes hautes, moyennes, ramifiées sans interruption , ayant plus de quinze cents lieues de développemens , s’élevant comme des remparts protecteurs , et partageant tout le ter- ritoire du royaume en dix-neuf grands bassins distincts, fertilisés par vingt mille lieues de fleuves et de rivières, deux cent mille lieues de ruisseaux et plus de dix mille petits lacs ou étangs. |

On saitque, plus les montagnes sont élevées, plus grands sont les fleuves qu’elles enfanteni ; la structure de celles de la France le démontre d’une manière visible : la Garonne a sa source au Mont-de-Gard, un des plus hauts pitons

( 46 }) des Pyrénées ; l'Allier, au Puy-de-Dôme, au au Mont-d'Or, au Cantal, au Mont-de-Lau- gère ; la Loire, au Mont-de-Mézin , au Mont- de-Gerbier ; laSeine, la Marne et la Meuse, aux plus hautes montagnes de Langres; la Moselle, au Mont-de-Faucille ; le Rhin et le Rhône, aux glaciers du Mont-Saint-Gothard.

Si les mers et les montagnes sont les grands édifices de prévoyance de Ja nature; si les arbres qui trouvent une partie de leurs alimens dans l'atmosphère, pompent, au moyen de leurs branches et de leurs feuilles, comme au- tant de langues et de poumons, les sucs mêlés avec l’air et l'eau qu'ils aspirent à de grandes distances, les forêts attirent en masse les va- peurs au,sommet des montagnes, pour entre- tenir les sources qui en découlent : ce sont les châteaux-d’eau des fleuves secondaires, comme les glaciers le sont des fleuves du premier rang. |

Les montagnes dont les hauteurs, les posi- tions et les directions sont invariables, attirent bien, dans leur nudité, une partie des eaux de Vatmosphère , pour alimenter quelques fleuves par intermittences on produire de dé- sastreuses inondationsy mais les, forêts dissé- minées , disséminent les. pluies, les sources et les rosées , pour assainir et arvoser la terre; les

(47 )

montagnes abritent peu les campagnes, mais les forêts font la loi aux vents et aux ouragans, dont elles brisent, par leurs masses flexibles, l’impétuosité; les montagnes attirent et con- centrent le tonnerre, les forêts en divisent et aspirent les principes électriques; les montagnes élèvent les nuées, qui se condensent en neiges, en givres ou grêles destructives; les forêts, au contraire ; les tiennent près de terre, pour les dilater en eaux fertilisantes ; les montagnes dépouillées se déssèchent , se dégarnissent , tan- dis que les forêts les humectent, les protègent et les nourrissent de leurs couches annuelles de feuilles, qui se convertissent en terre,

Lorsque les bois couvraient encore nos mon- tagnes , les nuages étaient répartis d’une ma- nière plus générale , ils se distillaient en pluies sur la terré et ne se dévérsaient point, comme aujourd'hui, en lavanges, qui entraînent par torrens dans les fonds des vallées >. et jusqu’à l'embouchure même des fleuyes, le peu de terres qui leur restent, ainsi que celles que les vents sont périodiquement chargés de leur ap- porter , pour nourrir les végétaux qui devraient les orner; dans:cet état primitif de nos forêts, les eaux de pluies moins rapides trouvaient dans les arbres, les buissons , les bruyères, les mousses , les herbes et les couches épaisses de

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feuilles, des obstacles continuels à leur libre écoulement; elles s’enfouissaient partie en terré pour augmenter les principes fécondateurs|, partie dans les eavités que la nature avait prépa- rées aux fontaines, chargées d'alimenter lente- ment les ruisseaux et les fleuves; et la partie surabondante s'écoulait, chargée des graisses et des huiles dues aux décompositions animales et végélales, destinées aux poissons des étangs, aux terres eLaux prairies. , ,

Par la même raison que les forêts multipliées sur les lieux éminens, rendent les pluies plus douces, plus régulières et plus abondantes, elles atürent aussi, dans la saison des frimas èt des glaces, une plus grande masse de néiges pour en revêtir la terre , et protéger contre les gelée's les graines.et les plantes que l’homme ou la na- ture lui ont confiées (1). 2914: 8l5

Le laboureur , le vigneron et jardinier voient avec effroi les aquilons de l'hiver succé- der au départ du soleil, avant que les campagnes

| (1) L'hiver de l’année dernière présente malheureuse- ment une preuve évidente de cette vérité : les céréales n'ayant pas recu leur couvert de ncige, ont été gelées jusque dans leurs racines ; il y à des cantons où, par cette caüse, on a été obligé de ressemer la moitié des champs ensemencés de blé, en grains de mars.

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solent couvertes de ce vêtement de silence et de sommeil ; non-seulement les neiges conservent et compriment la chaleur de la terre, mais ellés augmentont encore, par leur irritabilité, son énergie ; et lorsque les chauds et humides zéphirs .du ;printemps viennent en ;opérer la fonte , elles se plongent dans Je sol, pour chan- gerJeuï dongue protection en une chaleureuse fermentation des sels, et précipiter la végéta- ion.

‘On a observé dans tons les climats neigeux, et plus particulièrement encore dans les pays du Nord, l’étonnante rapidité de la végétation après la fonte générale des neiges : plus donc ilen tombe sur la terre, plus long-temps elles da couvrent ,.et plus la nature acquiert de force et d'énergie.

Sans le bienfait des neiges qui couvrent pendant six, huit et neuf mois de l’année les ælimats ,septentrionaux . ces, contrées seraient vouéesà.une éternelle stérilité; parce que les grands froids agissant immédiatement sur Îles plantes, en détruiraient jusqu'aux derniers germes. Que deviendrait l’habitant de ces pays solitaires qui chérit sa terre natale jusque sous des zones boréales, avec le renne son fidèle com- >pagnon, quilui sert de bœuf, de cheval et de vache, si, sous le brillant couvert de neiges,

2 4

(50) ue croissaient pas en abondance ces lichens des- tinés à nourrir ce précieux animal ?

Le renne qui offre, dans ses quatre mamelles, un lait plus gras que celui de la vache; dans son pélage une fourrure plus chaude que celle de la brebis, et dans sa course un service plus rapide que celui du cheval, ne traîne l’heureux Lapon et l’agile Samoïede, avec la rapidité de l'éclair sur les mers de neiges glacées, que parce que le Créateur, splendide jusque dans ces froides régions, fait croître partout sous l'empire des neiges ses riches prairies de mousses savoureuses,

Nous avons montré, dans les déboiseméns, une des causes visibles, certaines, des inonda- tions irrégulières, qui ont lieu dans les saisons de pluies, ou par les torrens d’eaux que lesorages précipitent sur la terre , et dont nos montagnes dans leur nudité, ne peuvent plus modérer! lé- coulement; mais les inondations les plus désas- treuses, sont celles qui procèdent de la fonte urop subite des neiges.

Lorsque nos montagnes et nos collines étaient encore boisées , elles se chargeaient d’une plus grande quantité de neiges et de glaces , destinées à prévenir, pendant les saisons chaudes et sèches, le tarissement des sources, et l’intermittence ‘aujourd’hui trop ordinaire de beaucoup de ri-

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vières ; et après la révolution hivernale, la fonte des neiges dans les forêts moins soumises à l’ac- tion du soleil, ou des vents chauds que celles de campagnes découvertes, était moins simul- tauée, plus successive, et les inondations qui nous menacent à chacune de ces époqnes, étaient moins subites, par conséquent plus fertilisantes et moins dangereuses.

Les pays de montagnes et ceux qui les avoi- sinent, sont les plus sujets à ces grandes scènes diluviennes , qui, au lieu de répandre pério- diquement, comme autrefois, les limons ferti - lisans des forêts, sèment aujourd'hui le ravage, l’épouvante et le désespoir sur leur passage. Ce sont d'anciens biafaits que de longs siècles de guerres ont dénaturés; car c’est aux guerres surtout qu'on doit les grands déboisemens des plus belles faces de l'Asie, de l’Europe et d’une partie de l'Afrique; elles augmenteait depuis plus de trois mille ans les plaies de la nature, et réalisent, dans leur aveugle fureur , un règne de calamités accroïssantes, dans les objets mêmes l’homme avait le plus sujet de bénir la main de son Créateur.

Les monts Pyrénéens, les Apennins, les Alpes suisses et françaises , les Alpes italiennes et ty- roliennes , les monts des Vosges, les monts Kra- paks, elc., ont été élevés dans les airs, pour

4.

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être les éternels réservoirsdes plus grands fleuves de l'Europe, qui, depuis la première vie du monde, coulent du sein de chacune de leurs doubles faces, et portent la fraichenr de leurs ondes, le mouvement, la santé et le bonheur dans toute l’étendue de leur majestueux et pai- sible cours.

Les fleuves n'avaient, comme tout ce qui ap- partieut à la création, recu dans leur origine qu’une mission bienfaisante avec un cours uni- forme et régulier ; la nature avait ; dans sa pré- voyance, couronné leurs sources d’une épaisse et brillante chevelure végétale , chargée de con- server les neiges et les glaciers, dans leurs pre micres limites ; de ne permettre au solail que des fusions régulières, et d'empêcher le trop libre échappement des eaux des montagnes ; les forêts groupées dès l’origine du monde, sur les sommités, étaient instituées les gardiennes tutélaires des sources de nos beaux et vieux fleuves , comme elles sont les citernes vivantes de nos plaines; mais, dès que la torche guer- rière les eut atteintes, les calamités de la nature ont pris naissance sur les ruines encore fumantes de ces forêts, premières nourrices du genre hu- mairie

La presque totalité de la superbe chaîne des Pyrénées, dont les cimes verdoyantes se mon-

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traient jadis avec une orgucilleuse majesté jus- ques aux rivages de l'Afrique, est déboisée sur plus de soixante lieués de cours ; les Apennins et la chaîne immense des Alpes, ces 1mposans boulevards des plus belles régions de l'Europe, font apercevoir également , à travers quel - ques débris de bois, leur dégradation et leur nudité.

De ces funestes destructions, il doit résulter naturellement un agrandissement dans les gla- cicrs, qui sont nos pôles méditerranés ; par con- séquent une influence plus âpre, plus étendue et plus durable sur les températures des pays Voisins.

Le soleil , ainsi que les vents chauds et hu- mides, n'ayant plus les mêmes masses d'arbres pour modérateur de leur action , doivent opé- rer sur ces montagnes de glaces et de neiges, des fusions plus rapides et d'autant plus abondantes que ces réservoirs sont plus étendus.

Les flancs de ces montagnes trop découvertes, recevant aussi librement l'impression simul- tance du soleil et des vents chauds, les épan- chemens des avalanches sont plus imprévus et plus multipliés. Voilà les causes irréfragables de ces désastreuses inondations que l’'Htalie, la France, la Suisse, la Bavière et l'Autriche,

ont annuellement à déplorer, et contre les-

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quelles les plus beaux travaux des ingénieurs n'auront que des durées éphémères, tant qu’on ne s'attachera pas à prévenir le mal dans son origine.

Dans les montagnes moins élevées, comme celles des Pyrénées, de l'Auvergne, des Ce- vennes, des Vosges, etc. , le domaine des neiges plus fusibles dépasse celui des glaciers, ces réservoirs éprouvaut, par les mêmes causes, une fonte trop subite; il en résulte deux grands inconvéniens : celui d’inondations extraordi- naires, et le départ prématuré des neiges et des glaces, destinées à entretenir les sources des fleuves qui en découlent, et les eaux de pluies devenues plus rares, s’'échappant précipitam- ment des flancs des montagnes mis à nu, les fleuves privés de leurs réservoirs perdent de leur volume et de leur force, dans les saisons leurs tributs seraient les plus utiles aux cam- pagnes et aux habitations; les deux revers des Pyrénées en offrent surtout la preuve.

On commence à sentir en Suisse, de quelle haute importance il est de remonter à la source des maux physiques qu'éprouve ce beau pays , et que l’ancienne Helvétie n'avait point connus. Voici ce qu’on mande de Berne à ce sujet :

« On vient de former à Untersée, le projet » d’une école pour la culture des forêts et des

( 55) » montagnes de la Suisse : ce bienfait est à » M. Kasthoffer de Berne, qui, depuis dix aus, » haut-forestier de ce canton, à eu occasion » de se familiariser avec cette importante partie » de l’économie rurale ; comme des écoles de ce » genre n'existent ni dans les parties monta- » gneuses de l'Allemagne, ni dans les Alpes » de l'Autriche, de la France et de la Savoie ; » qu'il n’y en a pas même dans ces vastes » contrées du Nord, la richesse du sol ne » peut cependant être basée que sur ce genre » deculture, on doit espérer que l'établissement » dirigé par M. Kasthofler pourra être utile à

» plus d’une nation. »

Vues générales sur la violence des tempêtes et des ouragans terrestres.

L'opinion que les ouragans et les tempêtes terrestres tourmentent et dévastent le continent de l’Europe d’une manière incomparablement plus fréquente qu’autrefois, est générale et una- nime. Cette révolution violente dans notre cons- titution atmosphérique doit avoir une cause dont il peut être utile, pour la société, de recher- cher le principe.

On sait que le feu attire le feu, que l’eau attire l’eau , et que l'air attire l'air; l'électricité, les

(56) tombés marines et terrestres l’attestent. La com- che inférieure d’air plus dilatée, plus raréhée, attire les couches supérieures ; suivant le besoin et les circonstances qui agissent.

Les grandes couches d'air produisent une: compression d'autant plus forte sûr la terre , qu'elles sont plus épaisses et plus chargées, À l'approche d’un orage, la difheulté que lon éprouve à respirer , avertit assez que l'air est épais et comprimé : ce malaise dure jusqu'à ce que le plus imposant météoré de la nature ait ouvert et dilaté les nuées

Les ouragans sont plus souvent la suite d’un seul orage considérable , ou de la rencontre de plusieurs orages qui, après s'être attirés, re- poussés, héurtés et avoir effrayé la terre et ses babitans de leurs feux et du bruit de leurs tonnerres, dil:tent ou condensent subitement les nuées, et donnent aux vents une grande violence. ù

À de certaines époques de l’année , d’innom- brablés nuages élancés des rivages de FAmé- rique, ét parcourant un bassin de plus de deux mille lieues de mers, nous arrivent périodique- ment , pour approvisionnéer lesglaciers, les mon- tagnes, les sources , et revêtir la terre des neiges qui lui sont nécessaires ; 1ls sont ordinairement précédés suivis des grands vents qui les

(57) annoncent leur succèdent, et produisent fréquemment les tempêtes terrestres les plus longues, les plus étendues : tempêtes d’antant plus violentes, que ces nuages très-chargés. par- courént une zone plus basse.

Avant de nous plaindre cependant de ces vents, qui n’ont peut-être pas été toujours mal- faisans , il est juste d’en reconnaître d’abord la nécessité.

Les grands phénomènes de la nature doi- vent leur existence à une prévoyance supé- rieure à la nôtre. Si le vent du Nord ne venait pas, depuis les siècles, soufller à point nom- sur la belle et vicille Egypte, pendant tout le temps que les pluies de lAbissinie et des monts de la Lune envoient leurs himons feruli- sans ; s'ils n’en retardaient l’écoulement vers la mer, et ne donnaient À ces flots féconds le temps de se répandre dans la plaine resserrée qui borde le Nil, cette Egypte si célèbre par sa fécondité n'aurait jamais eu sa Fhèbes aux cent portes , ni ses pyramides merveilleuses ; elle serait aussi aride que les sables de la Lybie et de l'Arabie déserte entre lesquelles elle se trouve placée.

Le vent d'Ouest est un des quatre grands vents alizés, qui, dès l’origine du monde, ont recu la fonction de purifier la terre, de con-

( 58 ) server et d'entretenir l'harmonie de notre uni- vers.

Ce vent s'élève du sein de l'Océan atlantique, toujours à l'époque précise les glaciers dés montagnes de la Lune, des Pyrénées, des Alpes, des monts Krapaks , du mont Caucase , et toutes les montagnes à neiges, ayant épuisé leurs tri- buis annuels, ont besoin d’être régénérés pour continuer de payer ces tributs dans leur 1in- variable effusion : c’est à l’époque précise les évaporations terrestres s'arrêtent, que la nature végétale entre en repos, et que la terre, qui a besoin d’être purifiée, attend depuis les rivages océaniques jusqu’à ceux de la mer Noire et de la mer Caspienne , enfin jusqu'aux vastes déserts de la grande Tartarie, son vêtement d'hiver.

En comparant les corps fluides aux corps li- quides, on peut se former une idée plus simple de leur mouvement et de leur action. L’axiome en physique, que l’angle de réflexion est égal à l'angle d'incidence, est dans la nature la source d’événemens plus grands qu’on ne lima- sine communément; la réflexion des rayons solaires, de l’eau et de l'air, peuvent produire les phénomènes les plus salutaires, comme aussi les plus nuisibles.

Chargé, pendant huit ans, de diriger de

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grandes constructions sur le Rhin, fleuve volu- mineux, rapide, capricieux et fort difhcile à traiter , à cause des fusions souvent irrégulières et imprévues des neiges et des glaces alpines , je m'étais attaché à étudier ses phases, et à suivre la parallèle de son cours, autant qu'il était possible, pour ne point heurter et irriter ses flots. J’ai remarqué, sur trente lieues de rives, que, partout les ingénieurs construi- saient des ouvrages trop inclinés sur le cours du fleuve, il y avait toujours plusieurs points de chaque rive attaqués par les eaux, suivant la plus grande exactitude des angles d'incidence et de reflexion.

Les venis suivent les mêmes lois, et offrent dans leur choc comme dans leur réflexion , les mêmes résultats, d'autant plus dangereux, que, ne pouvant voir le corps choquant à cause de sa transparente fluidité, on ne le voit, on ne le saisit que par les effets qu’il produit.

Prenons à présent, pour exemple, la struc- ture physique de la France, et voyons ce qu’elle peut éprouver et souffrir , ainsi que tous les autres pays, des vents violens qui de- viennent, par la nature des localités; beau- coup plus tempétueux qu'ils ne le sont en ar- rivant.

Le vent alizé de l'Ouest doit êire fort, doit

(60) être puissant, pour soutenir et pousser sur deux mille benes de mer, et au moins mille lieues de continent, une autre mer de gros nuages, chargés de manière à toucher presque terre, et pour les voiturer jusqu’à leur dernière destina- tion (1).

Qu'on se représente la France en relief, avec ses quinze cents lieues de chaînes de mon- tagnes à doubles faces, qui partent des Alpes à douze mille pieds, et des Pyrénées à neuf mille pieds d’élévation, qui vont, en déclinant vers l'Océan, la Manche et le Rhin, et divisent ses dix-neuf grands bassins en plus de mille autres , par des chaines ramifiées.de différentes élévations. Ces montagnes dépouillées en très- grande partie, offrent peut-être des millions de faces réfléchissantes, sur des plans perpen- diculaires, inclinés, obius, aigus, circulaires, à des courans qui, par la pression des nuages, doivent le plus souvent suivre la parallèle de l'horizon.

Ces courans resserrés dans les gorges , élar- gis dans les plaines, réfléchis sur tous les an- gles, pressés et heurtés par ceux qui les sui-

(x) Nous aurons occasion d'observer, par la suite, que les nuages sont plutôt attirés ane poussés.

(61) vent, mille fois rabatus jusqu'au fond ‘des vallées , se relevant autant de fois, pour fran- chir les montagnes, doivent , comme les vagues mugissantes , offrir cette violence, cette agita- tion énergique et tumultueuse , que nous pr é- sentent les grandes tempêtes marines, €t pro- duire dans les pays qu’ils parcourent, des scènes désastreuses..… Voilà peut-être une image vraie des tempêtes terrestres causées par les déboi- semens. ta Au lieu de utes ces SL réfléchissantes,

supposons-l& ! à présélit/couvértes de mousses , de plantes , de brüyéres de: buissons, d’ar- brisseaux et de grands arbres , qui A RUE: brisent et divisent les nuages , atténüent, par une immeusité de fetilles mobiles, de bran- ches, de rameaux et HE tiges flexibles, le choc des vents que leur fonction” ést' d’ tr blir, sans jamais les répéréuter ; : alors ‘les ‘'éouratis n'étant plus irrités par les résistances, léur violence sera amorüe, neutralisée ; et ce que nous appelons atjourd’hui tempête , se trou- vera changé en vents réguliers et salutaires.…. C’est l'effet d’un boulet de canon, frappant contre un rémpart un sac de laine : le solide et puissant rempart en souffre , ei le réfléchit encore , mais le faible sac de laine l'amortüit et le tue.

(62)

Mais si les crêtes de nos montagnes possé- daient seulement un triple rang de cèdres, qui,

par leur force et leur vigueur, l'étendue de leurs branches et la verdure immuable de leurs feuilles serrées , se jouent dans leur impassible gravité , des plus grandes tempêtes, celles que nous appelons ainsi dans nos climats, per- draient et leur nom et leur caractère malfai- sant. |

Dans ce premier cahier, nous avons consi- déré, d’une manière générale, l'état primitif des forêts, sous le rapport du grand ministère météorologique, qu'elles paraissent avoir reçu dans l'ordre de la cr éation , de l infl a1ence visible qu'elles exercent sur les climatures , sur les vents, sur les eaux vaporisées; des grandes calamités physiques toujours croissantes , qui procèdent de leur successive et ONU AU des- truction, et qui intéressent au plus. haut degré l'existence des nations. | |

La suite de cet ouvrage démontrera , par des exemples propres à faire gémir, que rien de tout ce qu'on vient d'exposer n’est hypothéu- que ; mais que la nature est battue en ruine ; que, dans cet état de subversion , elle menace l’homme ; qu'il est urgent de la régénérer , et que les sites aujourd’hui les plus arides,

(65) peuvent à notre volonté redevenir les plus rians,

les plus magnifiques de la terre.

Sur l’ancienne abondance des baleines, des phoques et des dauphins dans la Méditer- ranée et dans la mer Rouge (à)..

Comme dès les premiers temps, tout semble avoir été créé pour offrir à la contemplauon, ou pour mieux dire, à l'admiration de l’homme, une continuité de scènes imposantes, dans le spectacle de tout ce qui animait les airs, la terre et les eaux, auxquels s’étend son vaste et noble empire ; nous allons retracer, d’après des faits historiques , ce qui existait, sous ce rapport , dans les deux mers les plus ancienne- ment connues ; ce qui n'y existe plus aujour- d’hui, ou ce qui s’y trouve du moins bien sen-

siblement diminué.

(1) Nous puiserons, pour la partie des poissons, plu- sieurs de nos articles , dans l'Histoire générale des Péches de M. Noël de la Moriniére, qui a exécuté un voyage, d’une grande importance sous ce rapport , au cap Nrd. Nous nous servirons quelquefois du propre texte de cet estimable anteur, pour conserver, à ses descriptions, tout l: mérite qu’il a su leur donner par ses vastes con-

naissances et ses recherches profondes.

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On peut dire que la partie terrestre du globe est, aux vastes et profondes mers qui le cei- gnent, ce que l'éléphant, le plus intelligent et le plus colossal animal connu sur la terre, est à la baleine, de cent vingt pieds de long, sur étrente-six pieds de hauteur, chargée de six pieds d’épaisseur de lard. Ce géant de la nature, ce monument vivant de la toute-puis- sance, qui a la capacité de tout un navire mou- vant , et qui fait jaillir, aux yeux de homme, l'onde amère dans les airs comme un déluge, devient sa conquête et sa victime à sa première volonté.

Selon Bochard, le nom de la baleine dérive du Phénicien /Baal aun) ; ce qui prouve, sui- vant lui, que les Tyriens en faisaient la pêche. Rien ne nous défend de croire que la nation qui, par ses entreprises maritimes , ouvrit à son industrie, à son commerce une si vaste car- rière; qui établit des colonies sur toutes les côtes de la Méditerranée long-temps avant les Grecs, eten jeta peut-être au-delà des Colonnes d'Her- cule, ne fut pas la dernière à essayer cette pêche, maleré les dangers qui l’accompagnaient. Il est certain que Ja baleine était commune, et dès-lors bien connue, dans:les mers de la Phé- nicie. Plusieurs passages des livres sacrés :des Juifs en font mention ; mais ceux-ci n’en par-

(65) laient que d’après leurs voisins, avant l’expé- dition de la flotte de Salomon pour la terre d'Ophir.

Aristote a très-bien distingué la baleine du dauphin, d’après la situation de son évent ; et, quoiqu'il ne soit pas douteux pour nous que la Méditerranée était autrefois une mer à baleines , dont l’homme a successivement dé- truit les espèces, ou qui s’en éloignèrent pour se soustraire à ses attaques. Les Grecs se plai- saient à croire que les mers de l’Inde nourris- saient des cétacées cinq fois plus gros que le plus grand éléphant ; ils pensaient que PAt- lantique avait , comme elles , le privilège d’en posséder dont la taille énorme et gigantesque l’emportait sur celle des baleines de la mer Egée. Cette opinion, fondée sur le récit de quelques, marchands grecs qui avaient pénétré dans l'Orient, jusques aux bouches de lIndus, fut confirmée par la relation de Néarque, qui commandait la flotte d'Alexandre dans le golfe arabique. fn eflet, Néarque y trouva une grande quantité de baleines : elles s’opposèrent en quelque sorte à la navigation de sa flotte, qui cinglait vers le Midi.

Il est permis de croire qu'il y a de l’exagéra- tion dans son rapport, puisque les Grecs eu- rent plus de peur que de mal; mais on ne peut

L. 5

(66)

révoqner en doute la réunion de ces grands habitans des eaux en troupes nombreuses. De nos jours, on peut en citer de pareils exemples dans les mers de l’Australasie. Ces baleines on physetères, ainsi nommées , parce qu'elles jetaient beaucoup d’eau par leurs évens, obscurcissaient l'air par une sorte de pluie, qui empéchait de distinguer celles mêmes qui étaient les plus voisines des bâti- mens : on peut croire que c'était ou pour of- frir à l'homme le spectacle de leurs jeux, ou lintention de l’effrayer et de se défendre de cette sorte.

Néarque, s'étant assuré que le bruit des ins- trumens de guerre produisait une impression de crainte et de terreur sur ces monstrueux animaux, eut recours à cet expedient : 1l donna l’ordre de sonner toutes les trompettes , comme s’il se fût agi d’un combat; et se portant à pleines voiles vers la partie de la mer occupée par les baleines , elles rompirent leurs rangs, et lui laissèrent le champ libre. On peut con- clure de ce récit, qu’à cette époque les baleines se trouvaient en abondance dans ces parages ; tandis qu'aujourd'hui on considère comme un phénomène d’y en voir apparaitre.

1 serait possible aussi que le son des trom- pettes ;, qui anime et réjouit le cheval, dix fois

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moindre qu'une baleine, aït produit sur ces colosses une impression autre que celle qu'a supposée Néarqué, Il y a environ trois ans qu’une baleine de moyenne grandeur à échoué sur les grèves de la Manche étant restée pres- qu'a sec et ne remuant pas, on la supposa morte ; mais au premier coup de tranchant qu'on lui donna pour la dépecer , elle poussa un cri si éffroyable , qu’elle renversa les curieux qui l’entouraient comme d’un coup de ton- nerre. |

Ce qui prouve que la vue de l’homme n’ef- fraie pas, mais intéresse et réjouit peut-être même les grands habitans des mers, c’est que Cook remarqua, ainsi que tout sôn équipage avec surprise, (lans Îles parages de la T'erre-de- Feu, il relâchait en 1774, que plus de trente grosses baleines et des centaines de phoques , sous les formes de lions, d'ours, de

chevaux et de veaux marins, étaient venus

jouer autour du vaisseau ; après que les baleines eurent offert le spectacle de leurs merveilleux jets-d’eau , elles voulurent le varier , et ces énor- mes animaux se couchaient sur leurs dos, et battant de leurs longues nageoires pectorales, la surface de la mer, elles produisaient à chaque coup, un bruit paréil à l’explosion d’un

pierrier.

(68 )

Outre que ces baleines de quarante à quatre- vingts pieds de long, de dix à quinze pieds de diamètre , frappaient les flots de leurs puis- santes nageoires, elles sautaient aussi en l'air et retombaient lourdement, en faisant écumer la mer autour d'elles : on eût dit que la nature impatiente , attendait l’arrivée de l'homme pour lui présenter une fête des habitans des abimes , ou que les baleines, prenant le vaisseau mou- vant, pour un grand animal, voulaient lui témoigner leurs amitiés.

11 parait que les habitans des rivages du golfe arabique en détruisaient beaucoup cha- que année, et qu'ils se nourrissaicnt de leur chair : car, du temps de Strabon, elles étaient déjà moins nombreuses ; les ossemens de celles qui étaient poussées mortes et qui venaient s’échouer sur les côtes, servaient encore à ces ichthyophages : ils en formaient des solives quand ils construisaient leurs cabanes. Stra- bon cite d’autres nations barbares de la côte d'Afrique , qui se revêtaient de peaux de ser- pens et de poissons. Il est évident que, par ces derniers , il faut entendre les baleines et les grands squales.

Élien rapporte que , de son temps, non-seu- lement on employait les nerfs des baleines, pêchées auprès de l'ile de Cythère, à faire des

(69 ) cordes d’instrumens de musique, mais qu’on s'en servait aussi dans la composition des ma- chines de guerre : il est probable que c’est des fanons de baleine qu'Élien a voulu parler : leur force et surtout leur élasticité justifient cette conjecture.

Les anciens Grecs paraissent avoir connu les deux espèces de la famille des phoques qui ha- bitent la Méditerranée. Lorsque Protée est dé- signé comme remplissant les fonctions de con- ducteur des troupeaux de Neptune, c’est tou- jours des phoques soumis aux lois de ce dernier, que les poètes entendent parler.

Ces amphibies possédant la faculté de pro- Ancienne duire des sons, et étant doués d’une intelli- dre gence qui les distingué des autres habitans des n°74 Med eaux, Buffon à pensé, peut-être avec raison, : Fa scE que l'imagination ardente et fertile des Grecs avait donné naissance aux tritons , qui embou- DA tone

les sirènes. chaient leur conque argentine, en précédant

Pensée sur

le char du dieu des mers, et aux sirènes, qui faisaient retentir leur voix mélodieuse dans les déserts de l'Océan. Il est certain que là, il y a de la voix et de l’intelligence , il peut eu résulter une harmonie relative ; maïs nous sommes si loin de l'harmonie générale qui a pu, peut-être exister , dans l’ensemble de la na-

ture primitive , que nous aimons mieux étein-

(7%)

dre , par le doute, l'impression que petivent en avoir reçue les anciens. L'histoire si intéressante et si oubliée des dauphins , nous en fournira nn nouvel exemple. |

Les phoques étaient connus du temps d’Ho- mère ; ce peintre de la nature parle du vieux Nérée, qui mène paitre ses phoques; et lorsque, poursuivi par l’injuste courroux de Thésée, Hippolyte conduisait son char sur les bords de la mer, vers les murs de Trézène, ee furent des phoques qui , se portant brusquement sur le rivage, frappèrent ses coursiers d’épouvante , peut-être autant par l'odeur pénétranté des abîmes de la mer, qu’ils répandent au loin, que par leur forme (1).

Homère nous représente les phoques, qui sortent de l'Océan quand le soleil est parvenu au milieu de sa course : ce qui est conforme à leurs habitudes. L’odeur qui s’exhale des pho- ques est insupportable. Homère n’a pas man-

(1) Pour se faire une idée du poids et des dimensions des phoques , il est à remarquer qu'on à pris; vers le cap Horn , des mâles de dix à douze pieds de long, qui pesaient de douze à quinze cents livres, après qu'on en eut Ôté la peau, les entrailles et la graisse : poids et di- mensions que les plus grands taureaux ne peuvent at- teindre.

(71) qué d’en faire mention. « Nous étions suffoqués, » dit Ménélas à Félémaque, par les émanations » fétides de ces animaux , nourris au fond des » mers: Eh ! qui pourrait reposer auprès d’un » phoque? »

Aristote a fort bien connu le phoque , d’après sa conformation générale, ses habitudes, ses besoins particuliers.

Le phoque est un quadrupède imparfait , ainsi que le définit ce naturaliste ; ses dents sont en forme de scie : ce qui les distingue, suivant lui, des autres quadrüupèdes , qui ont les antéricures ou incisives , tranchantes, et les latérales molaires aplaties ; il semble qu’il soit ainsi organisé ; ajouté Aristote, pour qu'il forme la transition entre les quadrupèdes et les poissons, dont plusieurs ont les dents ainsi conformées. Il a dés pieds , bien qu'il nage dans l’eau , et des nageoires, quoiqu'il marche sur la terre : é’est ce qui a fait dire à Théophraste, son disciple, que les plioques lui paraissaïent d'ané nature douteuse. Les pieds antérieurs ont cinq doigts articulés et réunis par unñé membrane ; ils ne présentent que la troisième partie de cellés qui composent le bras de l'homme : cette partie se détache immrédiate- ment de la poitrine, et n’est point soutenue par les deux auires qui restent enfermées ét

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cachées sous la peau; les pieds de derrière sont aussi réunis par une membrane , et rap- prochés l’un de lautre ; ils ont plutôt la forme d’une queue de poisson que celle de véritables pieds. Suivant lui, c’est le seul quadrupède marin qui cherche sa nourriture sur les bords de la mer.

Aristote observe que cet amphibie est vivi- pare ; que la femelle du phoque est pourvue de mamelles pour allaiter; qu’elle fait ses petits à terre ; qu’elle les conduit ensuite à la mer. Il donne quelques détails sur l’accouplement des phoques, d’où il faut conclure que le nombre de ces amphibies était assez considé- rable dans la Méditerranée, pour qu'on püt les observer: dans la saison des amours, et qu’en toute supposition , ils étaient moins fa- rouches qu'aujourd'hui. En disant que cet ani- mal a sur le corps une couche si épaisse de chair ou plutôt de graisse, qu'il est difhcile de le tuer, si on ne le frappe sur la tête; il n’a point oublié les combats que se livrent les phoques, par esprit de famille, pour la possession de la partie du rivage qu'ils veulent occuper, quand ils gagnent la terre à dessein de sy reposer.

Quoique Oppien ait vécu plusieurs siècles après Aristote, et que les détails sur la pêche

(75) contenus dans son poème, semblent plutôt ap- partenir à l’âge des Romains qu'à celui des Grecs, puisqu'il écrivait sous Caracalla , néan- moins ce qu'il dit à ce sujet, en parlant des phoques, semble naturellement se ‘reporter à la pêche des Grecs.

Elien, avant lui, avait ajouté aux détails donnés par Aristote, que c’est vers le soir, et quelquefois à l'heure de midi, que les phoques sortent de la mer et viennent dormir sur le. rivage. Oppien en parle dans les mêmes termes , et il ajoute : que les petits ne viennent pas à la lumière dans l’eau, mais à terre, et qu'ils n'y restent que douze jours; le treizième, la fe- melle les prend sous sa nageoire ; elle les emporte dans la mer avec joie et comme en triomphe, pour les familiariser avec l’élément dans lequel ils sont appelés à vivre. Oppien, dansce morceau embelli d'images poétiques, compare la femelle du phoque, guidant son nourrisson au milieu des vagues, à une femme devenue mère pendant son exil, qui retourne dans sa patrie avec son enfant.

Il nous apprend aussi que souvent, malgré eux, les pêcheurs arrêtaient des phoques dans leurs filets : capture qui exigeait, de leur part, une manœuvre aussi prompte que laborieuse. pour les amener à terre. S'ils n’ont l'adresse,

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dit-il, de tuer de suite cet animal, il redouble d’eflorts; indigné, furieux de se voir capuüf, il déchire les filets avec ses ongles, et s'ouvre un passage dont les poissons profitent pour s'échapper, au grand préjudice dés pêcheurs ; mais s'ils parviennent à amener les filets jus- qu'au rivage, alors s’armant de tridens-et de bâtons, ils peuvent s’en rendre maîtres, pour- vu qu'ils s’attachent à le frapper à la tête : car c'est la seule partie il puisse être atteint et blessé à mort. Puisque du temps d’Oppien , les pêcheurs prenaient ainsi des phoques dans leurs filets , il faut conclure que l’espèce était encore commune dans la Méditerranée ; quoiqu’elle l’eût été davantage à l’époque Aristote éeri- vait:

Pline remarque, au sujet de cet amphibie, qu’il était suscepuble d’une sorte d’mstruetion ; qu'on lui apprenait à saluer de la tête et de la voix, ét à donner, suivant les ordres de son maitre, plusieurs autres signes d’intelli- gence.

Suétone rapporte que, lorsque le tonnerre se faisait entendre , l'empereur Auguste laissait voir une frayeur indigne d’un homme, et qu'il portait toujours sur Jui, en quelque lieu qu'il für, une peau de phoque, dont il.se faisait une sauve garde, On croyait que la dépouille du

(79) phoque ne pouvait être frappée par la foudre ; c’est pour cette raison que l’empereur Septime- Sévère faisait couvrir ses tentes de peaux de cet amphibie; usage qui s'était introduit chez les Romains du temps même de Pline, qui en fait mention.

Enfin, suivant Palladius, on supposait, dans les campagnes d'Italie, que la peau des phoques avait le pouvoir d’écarter la grêle et l’eflet mal- faisant des intempéries de l'air, et qu'il suffisait d'en suspendre une à un cep de vigne, pour garantir toute la plantation, Ces faits, tout mi- nutieux qu'ils sont, attestent que l’espèce n'était pas rare sur les côtes d'Italie ; tandis qu'aujour- d’hui il serait difficile, pour ne pas dire impos- sible, de réunir la quantité de peaux de phoques qu'il eût fallu pour couvrir la tente d'un seul chevalier romain.

Suivant les Périples d’ RME et d'Âr: témidore, il existait des phoques dans le golfe arabique. Une île de cette mer intérieure, située sur sa côte orientale. portait le nom d’Zl des Phogues, à cause de la grande quantité de ces amphibies qui s'y SEEN à c’est l'ile actuel- lement nommée El-Cab,, en decà du Tor, sui- vant la carte du Père Sicard. Aujourd’hui le solfe arabique ne possède plus de phoques; au moins les voyageurs qui l'ont parcouru n’en font

Ancienne existence de phoques dans Ja mer Rouge.

( 76 ) pas mention. Îl n’en faut pourtant rien conclure de défavorable au témoignage des deux Périples grecs : rien n'empêche de croire qu'il se trou- vait alors des phoques dans cette mer, comme il se voyait des élans dans les forêts de la Gaule, et des éléphans dans les plaines de la Tartarie.

Combien d’espèces d'animaux fidèles à l’ins- ünet de la liberté, ont successivement disparu de différens points du glohe, à mesure que la population de l’homme s’est accrue, et qu’éllé est parvenue à les expulser de leur sol hérédi- taire, chaque fois que les mœurs, les habitu- des, les besoins , leur ont fait repousser la main qui les caressait pour les asservir, ou qui ne cherchait à les atteindre que pour les détruire! Les baleines du Spitzherg, trop vivement pour- suivies par l’homme, n’ont-eiles pas émigré vers les glaces Les plus voisines du pôle, et les castors du Canada n’ont-ils pas mis entre eux et lui de vastes déserts”?

La diminution , la fuite, on pourrait presque dire, la disparition d'un grand nombre de races, a une cause plus réelle que celle de l’accroisse: ment de notre population, qui n’en est que l'instrument aveugle : c’est l’immense destruc- tion des grands végétaux, qui se poursuit depuis deux mille ans en Europe, et qui, intervertis-

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sant les plans de la nature, enlève à la terre, avec ses abris, ses élémens de fécondité , que l'on doit considérer comme la cause capitale de la diminution accroissante des trésors naturels qui s’offraient naguère dans une si grande abon- dance à l’homme. Par ce que nous aurons à dire sur la quantité innombrable d'animaux domes- tiques et sauvages, qui existaient dans les hospita- lières forêts; sur les pêches qui nous paraïtraient incroyables, si les faits n'étaient historiques , qui se faisaient autrefois en thons, en estur- geons, en saumons, en aloses, en harengs, en sardines, outre l’immensité de poissons qu’of- fraient les eaux douces du continent, il sera facile de se convaincre, qu’en diminuant le do- maine du règne végétal, d'iquel ressortl’existence de tousles êtres vivans, on appauvrit visiblement toutes les populations.

L'histoire du phoque, en apparence si peu de chose à nos yeux, mais qui occupe cependant sa place dans la chaîne harmonique des êtres, offre son point de contemplation , aussi bien que l'étoile merveilleuse qui, du haut de la voûte céleste , réjouit, de sa lumière seintillante, les habitans des abimes, nous fournira un exemple particulier à ce sujet.

Nous avons vu que les phoques ne peuvent naître qu’à terre, dont ils doivent respirer l’air

(78) pendant douze jours, avant de pouvoir aller habiter la mer; mais cette condition absolue pour leur existence, suppose un abri paisible, un couvert, de la sécurité, et peut-être des ali- mens pour Ja mère auprès de sa couche; ces biens réunis ne pouvaient se trouver qu'au bord des bois solitaires qui ombrageaient au- trefois les rivages de la mer; si ces berceaux hospitaliers sont détruits, la propagation con- trariée doit en diminuer lespèce, ou forcer des races entières à fuir les eaux natales, que

. leur instinet et leurs habitudes leur rendaient

Dauphins de la Méditer- ranée,

chères, pour chercher d’autres solitudes, que l’homme n'ait pas encore flétries par la destruc- tion. :

Îl est certain qu'originairement les rivages et les îles de la Méditerranée étaient richement boisés, et présentaient leurs consonnances avéc. la nature entière. Homère a chantéla majestédes bois qui, de son temps, couvraient lile de Zante; mais ces beaux ombrages qui se reflétaient ma- gnifiquement sur la mer, et réjouissaient la vue, ont disparu comme beaucoup d’autres, etle bois estaujourd’hui la première chose dontmanquent les insulaires.

Après avoir parlé de l’ancienne existence des baleines et des phoques dans la Méditerranée ,

nous sommes naturellement entrainés à par-

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ler du dauphin, considéré comme l’ami de l’homme, et dont les Grecs ont vanté l’intel- ligence, les qualités généreuses et la sensibi- lité aux charmes de la musique. Nos observa- tious nous conduiront, on pourrait dire, à une anecdote qui a eu lieu au milieu des eaux de la Méditerranée il y a environ deux ans. Notre conjecture pourra paraître plus imagi- naire que réelle; mais notre état social nous a si fort écartés des plans primitifs, nous sommes si loin des concordances générales créées par le souffle éternel, qu’il peut être permis de croire que le dauphin a conservé une sensibilité, qui s'éteint trop facilement dans le cœur de lhomme (1).

Les cétacées connus sous la dénomination gé- nérique de dauphins, ei nous n’entendons par- ler ici que des espèces qui se trouvent dans la Méditerranée , furent plutôt l’objet du culte des Grecs que celui de leur pêche.

(1) Le dauphin est voüté sur le dos, couvert d’un cuir lisse et sans poil; il a le museau long, la fente de la bouche longue, avec de petites dents aiguës ; la langue charnue , sortant de dehors et un peu découpée à l’en- tour ; le dos noir, le ventre blanc, une nageoire au milieu du dos, deux au milieu du ventre; sa chair tient entre

«celle du bœuf et du pourceau. On a péché des dauphins dont la taille passait celle du pius grand cheval.

( 80 )

Ils ne rangèrent point le dauphin vulgaire au nombre des animaux utiles que la mer ren- ferme, et dont l’homme fait sa pêche pour sa propre consommation. On ne s’attacha pas, dans les premiers temps, à s’en emparer pour en ob- tenir de l'huile ou pour en manger quelquefois la chair ; au contraire, on ne vit en Jui qu'un ami de l’homme, un poisson favorisé des dieux, et dont l’imelligence lemportait sur celle des autres espèces.

Admirateurs ardens de cet objet de leurs affec- tions, les Grecs remarquaient avec le plus vif in- térêt, que les dauphins nageaient en troupes ; d’où ils concluaient avec raison qu’ils avaient les mœurs sociales. Ils observaient que le mâle et la femelle allaient souvent de compagnie , et ils en tiraient cette conséquence que, loin d’éprou- ver une passion passagère comme le besoin qui la fait naître, ils étaient constamment unis par une réciprocité de sentimens. On leur sup- posait une excessive tendresse pour leurs petits, une grande sensibilité pour ceux de leur espèce qui avaient le malheur d’être pris : on accordait même aux dauphins la faculté de verser des larmes ; enfin on leur faisait honneur des sen- timens les plus nobles et des actions les plus généreuses.

On les considérait surtout comme fidèles

0

( 81 ) compagnons de l’homme, et qui , loin d'éviter ses regards, se plaisaient à égayer ses travaux , en venant bondir autour des barques des pé- cheurs, et pousser dans leurs filets, les trigles, les anchois , les sardines, etc.

Les Grecs pensaient aussi qu'entre tous les animaux qui habitent la terre ou la mer, le dauphin se distinguait par sa vitesse étonnante , et que, pour franchir de grandes distances , il n'avait point d’égal en rapidité. Selon eux, celle de la flèche ou de l'oiseau , qui fend les airs, lui était pas comparable ; ils prétendaient, à cette occasion, que de même qu’un nageur retient son haleine, le dauphin suspendait sa respiration ; qu'il donnait, par ce moyen, une telle force d'action à ses mouvemens, qu'il s’é- lançait comme un trait au-dessus des barques avec la plus grande facilité.

Les Grecs, en accordant au dauphin un assemblage de qualités rares, l’entourèrent d’une sorte de vénération , en placant son image jusque dans leurs temples, sur leurs monnaies, leurs médailles ; sa renommée s’é- tendit ainsi à des contrées éloignées de la Grèce, telles que la Mauritanie, l’Ibérie ou l'Espagne , etc.

C'est de Neptune en particulier qu’on le vit le plus souvent lattribut ou le symbole,

É. G

(82)

dans les premiers temps du monde. ]}après la mythologie des Grecs, ce dieu voulant épou- ser Amphitrite, la déesse rebelle aux lois de l'amour , avait rejeté sa main, et, pour éviter ses poursuites , s'était cachée dans une des salles les plus reculées du palais de l'Océan , aux ex- trémités de l'Atlantique. C’est au dauphin que Neptune fut redevable de la découverte de son asile et du bonheur de triompher de ses refus. De à les dauphins furent nommés les ministres, les courriers du dieu de la mer. La grande ra- pidité, avec laquelle ils fendaient les flots, fut considérée comme une preuve de la célérité qu’ils mettaient à remplir ses ordres.

Une tradiüon populaire, accréditée dans toutes les îles de l’Archipel, attribuait à un cétacée de cette espèce, la gloire d’avoir sauvé les jours d’Arion , qui l’avait charmé aux sons de sa lyre ; et chacun citait avec complaisance l'acte de sensibilité rare d’un autre dauphin, qui n'avait pu survivre à la perte d’un jeune enfant de la ville d’Tase.

Plutarque et Élien ont fait connaître l’action mémorable de ce dauphin qui, s’'approchant de la ville d’Iase , en Carie, s'était accoutumé à recevoir ; sur son dos, un jeune enfant qu'il emportait jusqu'à une certaine distance de la terre , et qu'il rapportait ensuite sur le rivage.

( 85 )

Cet enfant étant mort, le dauphin, qui ne le voyait plus, en conçut un tel chagrin , qu'il ne put survivre à cette perte et vint expirer, quel- ques jours après, sur le sable. En reconnais- sance de cette preuve signalée attachement , les habitans d’lase firent frapper des monnaies , qui représentent le jeune Hermias porté sur le dos d’un dauphin (1).

Faras, fils d'Hercule, ayant fait naufrage dans le golfe de Crissa , fut redevable du salut de ses jours à la générosité d’un dauphin, qui le transporta sur le rivage : des médailles le re- présentent avec un dauphin et tenant les mains élevées, dans la posture d’un homme qui de- mande assistance , qui remercie les dieux du secours qu'il a recu.

Oppien s'élève avec véhémence contre les pêcheurs barbares qui, sans respect pour le

cétacée consacré à Neptune , osent lui donner ANRT Un CAE LtRre FI VESNUE PAP TERMES ee GE, Ce

(1) Il n'y a rien d’invraisemblable ni de surnaturel, et sans citer parmi les nombreux exemples d'affection et d'intelligence de beaucoup d'animaux, l'admirable fidé- lité du chien envers l'homme , nous présenterons celui de l'éléphant, susceptible d'un si vif attachement pour son maître, qu'il arrive souvent qu'il refuse toute nourriture et se laisse mourir du chagrin de lavoir

perdu. 6.

( 84)

la mort. «Capables une telle action, s'écrie-tAl, » ces hommes dénaturés ne se feraient pas seru- » pule d’ôter la vie à leurs parens. » [l entre ensuite dans les détails d’une pêche, et repré- sente un jeune dauphin qui s'approche, sans défiance, du rivage de la Thrace ei des barques des pêcheurs ; suivi de l'œil par sa mère , il ne soupconne pas le malheur qui attend sur ces bords inhospitaliers. Soudain le harpon siffle et vient frapper linnocent animal ; atteint d’une douleur cuisante , il cherche un remède à ses maux en se plongeant au fond de Ja mer; les pêcheurs laissent filer la corde jusqu’à ce que leur victime , se sentant défaillir, remonte len- tement à la surface de l’eau, elle expire ; sa mère ne l’a point perdu un instant de vue ; son agitation décèle tout ce qu'elle éprouve de douleur à cette perte : on croirait que c’est elle qui a recu le coup dont l’objet de ses affections est frappé ; n’ayant plus rien qui l’attache à la vie, elle s’offre d’elle-même aux harpons de ses ennemis, et s'expose volontairement à une mort certaine,

Nous ayons consacré cet article au dauphin parce: qu'il fut, sans contredit, celui des ani- maux marins que les Grecs révérèrent le plus, comme l'espèce plus noble de toutes et la plus remarquable par sa bienveillance pour

(85) l’homme. Les habitudes générales et particu- lières de ,ce 'cétacée étaient déjà bien ‘connues du temps d’Aristote!: c'est aussi celui des habi- tans de la mer dont le naturaliste grec à laissé lx description la plus complète ; relativement au siècle d'Alexandre. D'après l'opinion que nous venons de pré- Matelot

F sauvé en senter des anciens, sur les qualités affectuenses 1818, par des

du, dauphin envers l'homme; et qui, plus près nt pa que nous de la nature, l’observaient avec pius

de sentiment que d'esprit; nous nous hasar- deroris à soumettre au jugement du lecteur, Ja

seène intéressante à laquelle le malheur d’un matelat a donné lieu au milieu de la Méditer-

ranée ; au mois de décembre. 1818.

Quoique plusieurs feuilles publiques de Pa- risen aient-parlé, nous nous bornerons à trans- crirey mot à mot, la relation qu’en a! don- née le journal de Marseille, 50 janvier 1819, parce que c’est dans.cette ville qu'est abordé le naufragé, et qu'il a fait le récit de son aventure singulière.

« Les curieux se: plaisent depuis quelques jours, à entendre raconter laventure: toute ré- cente d’un matelot; lequel sérvant;sur un-bà- timent qui faisaitwoile-de Constantinople pour Marseille; eut le mallieur, par un gros temps, d'être emporté: dans la mer; au moment il

(86) était occupé de la manœuvre sur le haut d’un mât. Le vent soufflait avec tant de violence ; qu'on se vit dans la cruelle nécessité d’aban- donner cet homme à son sort, »

« Il n'eut pas plutôt fait quelques: efforts pour se débattre contre les flots, qu'une mul- utude de monstres marins vinrent se ranger autour de Jui, et parurent surpris des mouve- mens de ce malheureux , qui mettait en œuvre tout ce qu'il savait de l’art de nager, il ex- cellait. Épouvanté de se trouver en présence de pareils spectateurs , ce matelot voulut se laisser aller perpendiculairement au fond des abimes, pour y mourir sans voir disputer ses membres par ces effroyables poissons ; maïs parvenu à une certaine profondeur, l'instinct de sa conservation le fiv remonter vers la sur- face de l’eau ; il ent la douleur d’y retrouver les monstres ; qui , toujours plus enchantés de sa dextérité, paraissaient impatiens de savoir: à quelle espèce appartenait ce nouvel habitant de leur élément. » |

« Enfin , après s’être ainsi w'ouvé, pendant près de trois heures , entre la vie et la mort, se démenant au milieu de cette escorte, qu'il fi- nit par se donner pour appui ; d’un intervalle à l’autre, cet infatigable nageur aperceut un bâtiment dont la route était dans sa direction ;

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les cris qu'il fit entendre décidèrent le capi- taine à aller reconnaître la détresse qui en était cause, età manœuvrer pour Île salut de celui qui présentait un spectacle aussi étonnant. Toutefois il restait beaucoup à faire, car cha- cun sait qu'en pareil cas , le plus grand danger est à l’instant ces animaux voient échapper leur proie. Le moyen dont on se servit fut de jeter, par le bord opposé à celui ou se trouvait l’homme à sauver, une assez grande quantité de provisions de bouche, qui attira successi- vement les poissons ; et l’on profita de cette diversion pour hisser brusquement le pauvre matelot , qu’un redonblement de frayeur, mêlé avec la joie de sa délivrance , avait mis dans un état bien pitoyable : aussi croira-t-on sans peine qu'il fut quelque temps à se remettre après cette cruelle agonie

On voit par ce récit, que la tradition des anciens , sur les qualités affectueuses du dau- phin envers l’homme, esteffacée de notre tem ps, et qu'il est peut-être venu dans l’idée de peu de monde, que ce bon matelot à pu devoir son salut à ces poissons hospitaliers , que, dans sou effroi , il a considérés comme des monstres prêts à le dévorer.

Ou sait que les grands poissons voraces de la Méditerranée, comme les squales et tous

( 88 )

lesautrés requins , se voient rarement en troupe, tenir la haute mer ; ils se uiennent générale- ment près des ports, dans les golfes , dans les baies, vers les écueils et les embouchures des fleuves, ils sont plus assurés de satisfaire leur irritant appétit. La nature les ayant doués d’une extrême voracité , semble les avoir des- unés à nettoyer les rivages habités, des cadavres qui pourraient les infecter, ainsi que l’hiène , le tigre, le léopard, le lion, le loup et les oiseaux de proie , sont chargés de cette mission sur la terre.

On voit que si ce matelot s'était trouvé au milieu d’une troupe de requins , au lieu de lui prêter leur appui , ils l’auraient dévoré sur- le-champ. On sait que l’appât d’une proie leur fait faire de longues routes avec les vaisseaux , et qu'aussitôt qu'on jette un corps mort dans la mer , ilest à l’instant dépecé et englouti. I] est donc évident que ce n’est point par des re- quins que ce marin a pu être soutenu el conservé pendant trois heures au-dessus des flots.

Parmi les plus gros poissons visibles dans la Méditerranée , après les requins, sont les dau-

“phins ; on sait qu'ils vivent en société et se mon- trent souvent en troupes. Or ici, ces monstres généreux, qu’un Phénicien aurait mieux recon-

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nus, sontvenus, par des mouvemens de bienveil- lance, se ranger autour de l’homme, pour qui l'instinct de leur affection est incrée , malheu- reusement muéts, mais cependant! expressifs dans leur ‘empressement, à se serrer ‘autour, de lui assez près ; pour, qu'il pût s'appuyer ;/repo= ser et reprendre haleine. Il:est possible que, si notre marin avait, dans une position aussi ex- traordinaire , été à l'instant pénétré de latta- chement que le dauphin porte à l'homme: , 1l eût, en se placantisur la croupe de, l’un d’entre eux, peut-être été porté comme un trail sur le rivage , et aurait! renouvelé ainsi, de nos jours , l'histoire d’Arion, de Taras , erdu jeune Hermias.

On ne peut rien conjecturer.sur ce que les dauphins auraient fait s'ils eussent vu. hisser le maelot.au milieu d'eux ; mais par les soins qu'ils ont pris de sa conservation , il est proba- ble qu'ils auraient puissamment défendu Fami qu'ils avaient placé dans le,cercle de leur pro- tection , contre tout requin qui.se serait. pré- senté pour l’attaquer. Il ne peut done presque point rester de doute , qu'il ne doive la vie aux soins de ces généreux cétacées : car il lui eût été difficile de la conserver en se débattant au milieu des flots, pendant trois heures , sans aucun point d'appui’, et sinon. impossible du

Puissance de la musique sur les ser- peps.

( go’)

moins plus difficile encore de se trouver , faute repos; avéc une respiration affaiblie, épuisée, assez! force de voix pour se faire entendre à wravers 16 Druissement rauque et étouffant des vagues de la mer; peut-être encore n’éñût-1l pas” été même aperçu , sans le groupe volumineux de dauphins protecteurs, rangés autour de li comme des sauveurs.

Il serait à désirer qu’un habile dessinateur I

voulüt s'occuper à transmettre, par le burin,

la scène dont nous venons parler; rendüe avec toutes les circonstances combinées, elle pourrait donner lieu à plusieurs tableaux qui seraient probablement aecueillis avée un granit intérêt du public. |

Des écrivains profonds ; mais quin’ont point fait, comme les anciens , leur$ obsérvations sur le théâtré même les scènes se passaient, ont trouvé plus commode de mettre, d’un trait plame, en doute la sensibilité du phoqué et du dauphin , aux charmes de la miusique , quoique doués d’une intelligenéeé bien constatée ; noûs choisirons, pour y répondre, parmi mille exém: ples; seulement deux ,: pris dans la classe des animaux les plus solitaires, jugés les plus im- mondes et les moins sensibles.

Me trouvant chargé, en 1785, de conduire une construction sur la Meuse, entre Givet ét

(91)

Fumay , pays rempli d’ardoises et dé: roches schisteuses, qui recèlent beaucoup de couleu- vres d'espèces variées, je m'amusai quelquefois d'aller, à l’heure de la grande chaleur, jouer de la flûte dans un bois voisin, qu'on appelait la promenade des chanoines ; je remarquai, avec surprise, que les sons de mon instrument attiraient toujours , à une certaine distance au- tour de moi, de ces serpens qui, au lien de faire des mouvemens inquiétans , semblaient au contraire se plaire à m’écouter, et qu’ils ren- aient lentement dans leurs trous dès que la musique avait cessé.

Ce fait s'était répété assez souvent pour me faire impression ; mais alors encore Jeune, et venant de lire justement le passage de l’histoire naturelle, Buffon refusait une âme aux ani- maux , c'est-à-dire, l'intelligence et la sensibi- lité, je n'osai presque plus croire que de wvils répules pussent aimer la musique, quoiqu'il me parussent cependant m'en avoir donné bien des preuves.

Enfin , M. de Humbolt, célèbre voyageur observateur, est venu confirmer mon observa- uon dans l'exemple du serpentà sonnette de l’A- mérique , le plus redoutable et le plus dange- ‘reux reptile de cette partie du monde, puisque,

(®) lorsqu'il est ivrité , sa piqure peus donner la mort en peu de minutes.

‘Ce voyageur a eu occasion d'observer que ce serpent, qui s’introduit jusque dans les cabanes habitées, effrayau les familles par sa présence ; alors il n’y a qu'un moyen de l’en ürer. sans danger: pour personne. Un homme embouche un. flageolet, dont les sons paraissent si bien caresser le, reptile, qu'il fait toutes sortes de mouvémens doux ; une fois en action , le flû- teur s'éloigne lentement de lacabane; lexeptile, attiré, par, ee. charme, le, suit. aussi Join qu'il veut le conduire , et jusqu’à ce que; par des modulations plus douces, il parvientà l’assoupir et à le tuer.

On voit dans l'intérieur de l'Afrique, des Arabes qui, à l'instar des psilles des côtes sep- tentrionales, prétendent au don de charmer les serpens, s'offrir en spectacle de lutié contre ces reptiles,

Un Arabe entre dans une chambre grillée, attenante à une autre qui contient deux, ser- peus , de quatre à huit pieds de longueur : après les avoir poussés à la plus grande irritauon;.on les lâche l’un: après l’autre contre le courageux gladiäteur ; mais au moment 1l est: prêt à succomber dans ceteffroyable combat, un autré

(95 )

Arabe quise tient en dehors, fait aussitôt en- tendre le bruit aigu d’un sifllet ; puis le son d’un flagcolet: les serpens prêtent l'oreille, leur fureur s’'apaise par degrés; ils se dégagent du corps de ce malheureux , rampent vers leur grille, et finissent par se calmer entièrementau son du flageolet.

Ces exemples sufliront sûrement à ne plus Jaisser de doute sur leffer atiachant que la musique peut produire dans le phoque et dans le dauphin; quant à leur intelligence ; tout

“aussi-bien remarquée par les anciens, elle ne

peut pas être plus douteuse non plus, quoi- qu’ils soient habitans des eaux ; car nous avons vu de simples carpes conservées dans des vi- viers, accourir à l'appel de leur nom et au son de voix de leur maitre, venir recevoir leur pètée.

Sans parler, pour le moment, de l’intelli- gence admirable des oiseaux, qui servent à nos chasses des animaux terrestres, nous ne parle- rons , pour le moment, que des pêches que le cormoran fait au profit de l’homme (1).

(1) Le cormoran, oiseau aquatique , approche de la figure du corbeau ou du pélican de mer ; il a le bec long aussi-bien que le col, et Le pied plat : on l'appelle aussi corbeau pêcheur corbeau marin; il est fort glouton et peut avaler de gros poissons , à cause qu’il a le gosier fort large.

Pèche da eormoran,

( 94 )

À la Chine, on élève les cormorans à la pêche, comme nous dressons les chiens ou même les oiseaux à la chasse; un pêcheur en peut faci- lement gouverner cent; il les tient perchés sur les bords de son bateau, tranquilles et atten- dant l’ordre avec patience, jusqu’à ce qu'ils soient arrivés au lieu de la pêche; alors, au premier signal qu’on leur donne, chacun prend l'essor et s'envole du côté qui lui est désigné. C’est une chose fort intéressante de voir comme ils partagent entreeux toute la la rgeur de la rivière ou de l'étang ; ils cherchent , ils plongent et ils reviennent cent fois sur l’eau , jusqu’à ce qu'ils aient trouvé leur proie; alors ils la sai- sissent avec le bec par le milieu du corps et la portent incontinent à leur maître. Quand le poisson est trop gros, ils s'entr'aident mutuel- lement ; l’un le prend par la queue et l’autre par la tête , et ils vont ainsi de compagnie jus- qu'au bateau on leur présente de longues rames ; ils s’y perchent avec leur poisson qu'ils n’abandonnent que pour en aller chercher un autre. Quand ils sont bien las, on les laisse re- poser quelque temps, mais on ne leur donne à manger qu'à la fin de la pêche, durant Ja- quelle ils ont le gosier serré avec un anneau ou une petite corde, de peur qu'ils n’avalent les petits poissons et qu'ils n’aient plus envie de

travailler.

(9)

La loutre, animal solitaire , vorace, très-

sauvage, véritable hiène des rivières ; des lacs

et des étangs, dans lesquels elle porte sans

cesse la destruction , prouve que l'empire de

l'homme peut s'exercer sur les êtres en appa-

rence les plus rebelles à ses vues : voici ce qu’en

dit un Francais, voyageant dans le S'maland en

Suëde , dont les eaux sont encore fort poisson-

neuses.

2 ©

er LA

« On m'y procura le divertissement d’une pêche fort en usage dans cette contrée, et qui se fait avec des loutres dressées à prendre le poisson. Vous savez que cet amphibie désole les rivières, comme le loup et le renard rava- gent les forêts. IT est pourvu de poumons plus grands, plus creux que les autres animaux ; et après avoir avalé une certaine quantité d'air, il se soutient sous l’eau assez long-temps. Les poissons forment sa nourriture la plus commune; et dommage qu’il cause est d’au- tant plus considérable, qu'il déchire encore les filets des pêcheurs. Aussi a-t-on imaginé, en Suède, la manière non-seulement de les extirper, mais encore de les apprivoiser et de les rendre utiles.

» Après avoir pris, dans quelque piége, une loutre vivante, on. l’atiache avec soin ; on la

nourrit pendant quelques jours avec du pois-

Pêche dela loutre.

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( 96 )

son et de l’eau ; on mêle ensnite dans cette nourriture du lait, de la soupe , des choux et des herbes ; et dès qu'on s’apercoit qu’elle s'accoutume à cette espèce d’aliment , on Jui retranche le poisson , dont on la déshabitue totalement. Quand , à force de lui parler et de la voir, on croit l'avoir entièrement appri- voisée, on l’attache au col avec une lisière, et on l’accoutume à suivre de bonne volonté, à obéir au premier commandement , à apporter tout ce qu’on lui demande. Aïnsi dressée, on la mène au bord d’une rivière, on prend avec soi de petits poissons morts, et d’autres un peu plus grands qui sont en vie. On y jette d’abord les petits que l'animal prend volontiers , mais qu’on Poblige de rapporter aussitôt. Îl en est de même des vivans, qu'il attrape avec la même facilité, et vient égale- ment les apporter à son maitre.

» Celui qui me proeura le plaisir de cette chasse, n’assura que la loutre qu'il avait dres- sée. lui-même à cet exercice, prenait tous les jours autant de poissons qu'il lui en fallait pour nourrir toute sa famille. »

Jai vu des habitans de la rive droite du Rhin

mettre en jeu une autre ruse : ils guettent la

sortie des loutres qu: emportent des brochets

d’

une à quatre livres dans la gueule; au mo-

( 97) ment qu'elles s'arrêtent et déposent leur proie pour la dévorer, on les surprend par un bruit subit, et aussitôt elles labandonnent et se pré- cipitent dans le fleuve. Elles recherchent en général les baies tranquilles formées par les îles boisées.

Nous avons vu faire aussi sur les bords du Rhin, on pourrait dire, autant la pêche que la chasse aux canards sauvages, et qui présente une nouvelle preuve de l'intelligence dévouée des animaux envers l’homme.

Dans les bas-fonds voisins du Rhin, on forme, au milieu des bois, des étangs arUficiels qu’on remplit par unesaignée qu’on pratique au fleuve : à une certaine distance de l’extrémité de cet étang, se trouve une cabane couverte de feuil- lage, dans laquelle se loge le pécheur ou le chasseur aux canards, qui tient la corde du filet tendu sur l’eau ; sur chaque côté latéral de la pièce d’eau, règne un sentier couvert d’arbres, et percé de distance en distance d’une galerie couverte, pour aider le manège de deux chiens dressés à cette chasse.

Une certaine quantité de canards privés , d'intelligence avec les chiens , comme avec le maitre de la chasse, vont s’abattre à grand bruit dans le fleuve, vers l’entrée de la déri- vation ; là, ils appellent les canards voyageurs

1. 7

Chasse aux canards.

(98 )

qui, arrivant par légions des pays du Nord, vol- tigent et cherchent une nappe d’eau isolée et entourée d'arbres. Aussitôt que les canards pri- ves jugent avoir assez bonne compagnie , ils se dirigent insensiblement vers l'étang, suivis de leurs victimes. Dès que les chiens, cachés sous leur galerie, apercoivent le débouquement de la troupe, ils se montrent alors à l'entrée du canal, pour en empécher la sortie ; les canards étrangers voyant que leur conducteurs ne s’en- volent pas, filent avec eux de compagnie ; alors les chiens les suivent lentement pour les pous- ser doucement vers le piège; enfin, arrivés avec leurs infidèles compagnons sous le filet, le’ chasseur aux aguets tire la corde et les enve- loppe.

Celui-cis’empressede mettre ses canards privés en liberté, qui s’envolent aussitôt à leur pre- mier poste appeler de nouveaux hôtes; les chiens retournent de leur côté faire sentinelle dans leurs guérites, pour recommencer cette ma- nœuvre.

11 y a de ces chasses qui produisent depuis quinze jusqu'à quarantes douzaine de canards, dans une bonne soirée d'automne; et comme ellessont fort multipliées le long du Rhin, ils’en prend pendant l'arrière saison , une quantité innombrable dans le voisinage de ce seul fleuve;

14 ( 99 )

c'est une faible parcelle de cette riche manne, que les mers et les lacs du Nord nous envoient chaque année en poissons et en oiseaux divers , ainsi que nous le démontrerons par la suite.

Nous voyons également le chien amphibie de ‘Terre-Neuve, se réunissent annuelle- ment de nombreux marins pour pêcher la mo- rue, admirablement placé dans ce lieu, les naufrages et les accidens des pêches exposent souvent les équipages ; dès que cet animai courageux et dévoué voit un homme en dan- ger , il s’élance et plonge dans la mer, affronte la violence des vagues et continue ses généreux efforts jusqu’à ce qu’il l'ait ramené à bord (1): il peut être comparé à cette race héroïque de chiens entretenus dans les hospices des Alpes, qui, vivant au milieu des neiges et des glaces, sont à la découverte du voyageur égaré dans les précipices , ou enterrré sous les tourmentes de neige dont il est subitement couvert. Ces ani-

maux, avec leur sonnette pendue au cou, f’aver-

(1) M. le comte Anglès, ministre d'État et préfet de police, a, dans la vue généreuse de diminuer le nombre des noyés à Paris, fait venir huit de ces précieux ani- maux, qu'on exerce depuis, pour les rendre propres à remplir sur nos eaux cette œuvre d'humanité, qui ho-

: : Aj:s nore le digne magistrat qui l’a conçue.

“1

Chiens de Terre - Neuve et des Alpes.

Chiens aux serpens.

\! ( 100 )

ussent leur présence ; ils le cherchent, le sentent et le déterrent dessous des monceaux de neige ; ils léchauflent par le souffle et le mou- vement, le préparant par leurs soins affectueux à recevoir les secours et la vie de ces pieux soli- taires , qui Suivent Ja sonnette du salut à travers les dangers et que rien sur la terre ne pourra jamais assez récompenser (1).

On ne serait pas de bonne foi de prétendre que l'éducation fait tout ; elle ne fait qu’aider les dons de la nature; car elle ne peut donner l'instinct inné, la structure , la conformation, les goûts invariables et relatifs au site et à la mission que chaque être est destiné à remplir envers l’homme.

J'ai vu, dans une île habitée du Rhin, un chien d’une taille moyenne , queue grosse et pointue, que l'instinct entraînait à la chasse des couleuvres, qui y sont assez communes , il les sentait de loin. Ces serpens, gros ou petits,

5 avaient beau se dresser et montrer la rapidité de

(1) Cette espèce de chiens a le don de sentir l’homme, enterré sous les neiges , aussi-bien que le renne, qui s’ar- rète subitement au milieu de la course la plus rapide, lorsque son odorat est frappé de l’'émanation de ses mousses, qui se trouvent à plusieurs pieds au-dessous de

lui.

( 101 )

leur dard pour se défendre, il s’élançait dessus, les coupait en deux, et jetait les restes tortueux sur la terre, en continuant ses recherches. Je l'ai vu avec différens chiens de chasse ; et tandis que ceux-ci ne cherchaient que le gibier et reculaient devant les serpens , celui-ci ne marquait pas le gibier et tombait toujours sur les repules.

L'œuvre de la création est un enchaînement immense... Il règne, dans tout ce qui existe comme dans tout ce que notre faible intelligence peut saisir, une harmonie sympathique, intime, secrète, infinie et toute divine, qui dit sans cesse à la puissance intérieure qui nous anime, que tout est co-ordonné aux besoins et à l'admiration de la créature dominante sur la terre, pour que l’homme, incomparable par son essence , ne puisse faire un pas sans trouver une jouissance ; ou une amitié dans cet univers.

Lorsqu'il n'existe pas sur la terre un seul être animé qui ne soit pour nous un objet d'affection, de bonheur ou de domination ; lorsque, dans cette belle sphère de la vie, l’homme ne voit, sur toute la partie terrestre, qu'une continuité de merveilles variées par les formes, les couleurs, les grâces et les signes visibles d’une Providence, qui lui sourit

! de tous les aspects créés, pour le remplir du

( 102 ) sentiment de sa grandeur ; ce vaste et profond océan, qui embrasse d'une manière si magni- fique et si imposante surtout, les deux uers de notre globe, et qui renferme un autre uni- vers de merveilles, doit offrir aussi son spectacle animé, ses voix éloquentes, des cœurs qui bat- tent en l'honneur et pour l’amour de l’homme, Cette vaste plaine liquide, source unique des beaux fleuves qui coulent sur la terre, n’a pas être pour lui un désert muet, mais Jui of frir, à son tour, le spectacle toujours vivant de latoute-puissance, dans l’admirable structure de la baleine, du cachalot, et les jeux de leur étonnante hydraulique ; dans lamitié intelli- gente du phoque et du dauphin , comme dans les signes précurseurs du gros temps, que les marsouins donnent en troupe au navigateur, pour lavertir du danger de la sécurité. Tout ce grand édifice est plein de monumens indestruc- tibles, dignes de nos recherches et de nos reli-, gieuses méditations (1).

(1) Nous verrons, dans le cahier suivant, d’autres habi- tans des mers, signalés par l'affection qu'ils portent à l’homme,

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DÉBOISEMENTS EN ÂSIE, EN AFRIQUE, EN AMÉ- RIQUE ET EN EUROPE; DES MAUXx FRXNAUES QU’ [ES ENTRAÎNENT À LEUR. SUITE.

Déboisements d’une partie de l'Asie. # vf ui EP

à HUE les contrées de la terre qui ont été objet de Fambition des hommes, et par con- séquent un motif de guerre, ont vu tomber ‘éurs belles forêts ; le premier et brillant dia- déme.que les conquérants enlevaient à la. ‘nature » -: Er à

Les prérnières scènes de ces Tavages se sont ‘d’abord passées dans cet antique Orient , le “berceau de la naissance , de la grandeur et de

+. 8

104 ANNALES e

la chute de l'homme , Dieu s'est manifesté à sa créature dans sa céleste effusion.

Depuis les bords révérés du Gange jusqu'aux rivages jadis célèbres de la Syrie, sur douze cents lienes d'étendue et au moins cinq cents lieues de profondeur de pays , trois mille ans de guerres ont ravagé, épuisé les plus ravis- santes productions végétales de ces superbes climats.

_ L'Inde, cette terre de prédilection , ce para- dis de l'Orient , habitée par les peuples les plus doux, a été saccagée par les grandes armées de Sésostris, de Cyrus, d'Alexandre ; subju- guée par les Mogols ; pillée par Thomas-Kouli- kam ; recherchée par les Portugais, les Fran- cais, les Hollandais, et enfin soumise aux An- glais, qui, en s’établissant sur les ruines de la grande nature , y jouissent des trésors de l’in- dustrie et des mines fatales de Golconde.

L’Indoustan à perdu, par de si grandes et de si longues vicissitudes, sa jeunesse et ses pre- _mières graces virginales ; aussi les eaux du ciel manquent-elles souvent à ces immenses et dan- gereuses rizières, établies sur l’ancien et vaste domaine des bois les plus magnifiques qui aient orné l'ancien continent, et qui, parés de tout le luxe de la nature, offraient dans leurs frais abris, dans leurs parfums délectables et

ou Cu

EUROPÉENNES, 105 leurs fruits si variés, la vie, la santé et le bon- heur aux paisibles habitans de cette illustre partie du globe.

Ninive et Babylone, dont les noms reten- tissent si pompeusement dans les premières annales du genre humain , qui ont été les foyers des premières tempêtes politiques du monde, n'ont plus d’autres témoins de leur existence passée et de leurs magnifiques ruines, que les déserts silencieux : l'Euphrate et le Tigre, ces beaux fleuves du paradis terrestre, qui rafraichissaient des belles eaux du mont Ararath ces immenses et célébres cités, énervés aujourd'hui, ne portent plus qu'avecune triste langueur le tribut affaibli de leurs eaux dans le golfe Persique.

Les successeurs du grand Cÿrus ayant voulu,

dans leur aveuglement, marcher sur les traces _gigantesques des rois de Ninive et de Babylone, ont dévasté la plus grande partie de l'Asie, trainant à leur suite, comme des torrents des: tructeurs , des millions d'hommes, jusqu'aux rives de l’Indus, dans la grande Scythie, à travers la Judée jusqu'aux derniers confins de l’ancienne Egypte, dans toute l’Asie mineure, et Jusque dans la Grèce : toutes les produc- tions de la nature furent détruites ou mutilées par ces tempêtes guerrières.

8,

106 ANNALES

Alexandre, ses successeurs » puis les Ro- mains , ensuite les Sarsins et les Turcs ont augmenté les déserts, et fini par transformer en solitudes arides , un pays naguëres s l'un des plus riants, des plus somptueux de l'u- nivers.

Ninive, Babylone , Sidon, même Jérusalem , Memphis et Thebes aux cent portes, vivent dans la mémoire des ruines et des déserts , et n'offrent plus, selon l'expression de Buffon, que du sable et du sel. Ce sont des pays dé- senchantés par le fer et le feu des conquérants qui ont toujours été les plus grands fléaux du monde.

Dans la stérile nudité de la Palestine, qui n'offre plus , sur une terre aride et sillonnée, que quelques vieux palmistes épars çà et là, qui reconnaitrait de nos jours cette belle terre de Chanaan, promise et donnée par Dieu à son peuple, comme le pays le plus fertile de l'univers ? qui, en voyant les eaux vaseuses du Jourdain, s’acheminant avec lenteur vers la mer Morte, se rappellerait le beau fleuve de la vallée de Josaphat (1)? À l'aspect aujour-

(1) Le Jourdain ne parcourt'pas la vallée de Josaphat; mais on s'est servi de cette image , pour donner plus d'expression au tableau.

EUROPÉENNES. | 107 d'hui si contristant de cette mémorable con- trée, on douterait des livres sacrés de Moïse, si toutes les parties habitées de la terre ne dé- montraient combien il faut peu de temps, pour mettre en état de ruine des pays dont la richesse et les délices portaient autrefois les hommes , dans l’enchantement de la reconnais- sance , à l’adoration du Père de la nature.

Enfin ces beaux et antiques climats, ou les premières générations du genre humain trou- vèrent la terre si belle, si libérale; les tempé- ratures si douces, l'air si suave, ces lieux en- chanteurs, animés par une piété céleste, fut brülé le premier encens sur l'autel de la religieuse reconnaissance; privés aujourd'hui de leurs rafraichissantes forêts , se trouvent sans nuages , consumés, desséchés par la pré- sence trop immédiate de l’astre bienfaisant, qui autrefois les vivifiait, et qui n’y trouve plus de paysage à embellir, ni de miroir pour le réfléchir...

Si aujourd’hui les vénérables patriarches du genre humain reparaissaient , retrouve- raient-ils leur Eden fortuné, au sein duquel ils Jouissaient sans cesse de l'accord des élé- mens et des saisons, du riant spectacle d'une terre chargée de mille fruits divers, de fleurs de toutes les couleurs et de tous. les parfums ;

108 ANNALES

qui leur rendrait ces sources fraiches et pures, : ces pelouses émaillées qui formaient leur table; ces forêts qui, dans leur silencieuse majesté, leur servaient de palais ; ces chants de milliers d'oiseaux qui se groupaient autour de leurs demeures; ce soleil vivifiant qui n’échauffait la terre que pour tout animer , et ces vents en- fin qui ne faisaient que se balancer mollement sur le feuillage, pour tout rafraichir ?.... Est-ce la Mésopotamie, l'Arménie ou la Chaldée , qui revendiquent encore l'honneur d’avoir été les berceaux de nos, premiers parents, qui leur montreraient leurs bois sacrés, leurs ruisseaux, leurs fleuves, leurs troupeaux et leurs vergers? Non, ils n’y retrouveraient plus qu'une terre chauve, desséchée, privée même du bois né- cessaire pour renouveler le moindre holo- çcauste à l'Éternel.

Déboisements en Afrique. à .

On connait peu les déboisements dans l'in- térieur de l'Afrique; mais depuis l'Océan atlan- tique jusqu’aux ruines de Carthage , et depuis les ruines de la célèbre fille de Sidon jusqu’à l'Océan de sables de la Libye, les forêts qui ornaient et rafraichissaient ces beaux pays, sur près de mille lieues de longueur, sont

EUROPÉENNES. 109

éloignées aujourd'hui de quarante et quatre- vingts lieues des rivages de la mer, dont elles embellissaient les bords.

Les pélerins qui viennent du fond du royau- me de Maroc, pour se rendre par caravanes au tombeau de Mahomet , sont obligés de suivre la route de ces déserts, plus redoutable pour eux, que les hordes d’Arabes qui les poursuivent et les pillent ; et lorsque échappés de ces dangers, ils ne sont pas ensevelis par les vagues de la mer de sables qu'ils traversent, ils signalent, commé un bienfait de la providence, ces consolants Oasis, dont les petits bouquets deboisont attiré une source du ciel, pour désal- rérer leur soif ardente.

L'Egypte ne montre plus que quelques faibles bouquets de palmiers, d’orangers, de limoniers et de citronniers le long des rives du Nil. Cette antique terre des monuments et des lumières n’a plus que de la bouse pour combustible, et pour fontaines que les eaux du Nil.

Dans ces pays déboisés , naguère resplen- dissants de la magnificence de la nature, on est réduit aujourd’hui à défendre un filet d’eau, comme on défendrait sa vie même. Les fon- taines ensevelies dans les ruines des bocages, sont remplacées par des puits fortifiés, qui sucent avec effort, du sein de la terre, des eaux

$

| à

110 ANNALES

dures et froides, souvent salées ou amères ; que le voyageur altéré désire et recherche plus ardemment que les trésors du Potose.

Les plantes et les arbres étendent leurs éma-

-_ nations et leurs influences bienfaisantes à des - distances infinies ; ils ont la propriété de re-

nouveler sans cesse l'atmosphère, en chan- geant l'air vicié ou méphitique en air vital. La nature avait affecté aux arbres, comme aux vents, la mission de purifier la terre des miasmes putrides qui s’en exhalent, surtoutdes marais et des eaux stagnantes des canaux né- gligés ; ces végétaux qui les dévorent et s’en nourrissent en deviennent plus beaux; ils les élaborent comme la chèvre élabore la ciguë, et les expirent ensuite en air pur et salubre (1). Les contrées et les pays chauds surtout, qui se trouvent privés de ces puissants préservatifs de la santé de l’homme, offrent sans cesse l'affligeant spectacle de populations entières moissonnées par ces causes funestes.

Les côtes de Barbarie, l'Egypte, l’ancienne Syrie, la Grèce et Constantinople, sont an- nuellement ravagées par la peste , dont les

(1) C’est au chapitre des marais que nous traiterons spécialement des arbres, à qui la nature a attribué le mi- nistère de purifier l’air.

EUROPÉENNES. 1frr

victimes se comptent par cent mille, quece- pendant quelques plantations heureuses au raient conservées à la vie.

Les Persans modernes, Jong-temps immolés par les maladies pestilentielles qui émanaient de leurs rizières marécageuses , appelèrent à leur secours , Comme un autre Hippocrate , le balsamique platane , et ils furent à jamais pré- servés de ces terribles fléaux.

Voici ce que rapporte, à ce sujet, Chardin dans la relation de ses voyages : « Les arbres » les plus communs en Perse sont les pla- » tanes ; les Persans tiennent qu'il a une ver- » tu naturelle contre la peste et ils assurent » qu'il n’y a plus de contagion à ITispahan, » leur capitale, depuis qu’on en a planté par » tout, comme on a fait dans les rues et dans » les jardins ».

Déboisements dans l Amérique.

L'Amérique, présentant le plus vaste des continents, s’est offerte, il y a trois siècles, aux premiers regards des Européens, comme une vierge, sortant dans tout l'éclat de son im- posante majesté du sein de la création; elle était parée de tant de beauté, de si grands at- traits ; elle se montra dans une pompe si ma-

À ï

CE

172 ANNALES

gnifique, que les Lormmes blancs d’en-deçà la grande eau, qui avaient perdu l’idée de la puissance céleste et de la bonté infinie de la Providence, se prosternèrent ravis d'un spec- tacle aussi inattendu.

Appuyée aux deux pôles du globe, soute- nue par deux vastes Océans, cachant dans les nues son front colossal, laissant échapper de son sein immense, les plus grands fleuves du monde, parée enfin de son manteau végétal , le plus riche, le plus magnifique qui se soit jamais montré aux regards de l'homme ; elle apparut, à la honte des anciens continents, comme une image vivante de la grandeur et de la munificence du créateur de l’univers. Là, se voyaient encore les pinceaux célestes, qui avaient dessiné et coloré le majestueux ta- bleau de la création, pour le bonheur de l’homme qui l'avait déjà flétri autre part.

L'Amérique qui, par les latitudes qu’elle embrasse, répond à l'Europe, à l'Asie et à l'Afrique, mais qui possède beaucoup d'ani- maux et de végétaux propres à son sol et à ses climats , montre combien les trois divisions de l'ancien hémisphère pouvaient et devaient posséder d'objets de félicités terrestres dans leur premiere jeunesse.

L'aspect de cette merveille, de ce nouveau

EUROPÉENNES, 113 wonde , avait répandu la joie et l'étonnement dans l’Europe entière ; les Européens se préci- pitèrent sur cette terre nouvelle, non pour admirer sa ravissante beauté, pour savourer ses productions délicieuses , mais pour y cher- cher des trésors ; et comiae dans leur pays on ne vit plus qu'avec de l'or, ils ne voulaient que de l'or, qui s’y trouvait malheureusement en profusion.

Le Mexique et le Pérou furent les premiers théâtres de cette ambition malheureuse ; la nature si belle et si prodigue, qui offrait les biens durables des siècles , fut dédaignée, fou- lée aux pieds, flétrie, mutilée , et aussi l'homme insensible créa la vallée des larmes et commença les déserts... (1).

L'Amérique septentrionale, qui a dix-sept cents lieues de longueur de côtes, depuis le golfe du Mexique, a été recherchée plus tard, et par les hommes qui, malheureux dans leur pays natal, semblaient d’abord ne désirer qu’une terre hospitalière, pour la cultiver ets ‘arracher à la misere. rh

Tous les pays de l’Europe ont fourni des co-

mem (1) M. de Humbold nous a assuré, que déjà le bois et

le charbon nécessaires à l'exploitation des mines, com- mexçaient à manquer dans ces belles régions.

1/4 ANNALES

lonies à cette vaste contrée , dont Guillaume Penn, qui y est arrivé en 1680, avec les qua- kers anglais, a été un des premiers et des plus sages législateurs. Il y est passé environ trois millions d'individus dans l’espace de cent qua- rante ans; mais comme l'Européen, fort éloigné: par sa civilisation, de l'état de nature, ne sa- vait pas vivre comme les naturels du pays, qui, sans rien détruire, se trouvaient heureux des fruits variés à l'infini que les arbres et les vé- gétaux leur offraient en abondance ; des riches pâturages que présentaient d'immenses prai- ries et les savanes des forêts; des innombrables espèces d'animaux et d'oiseaux qui étaient sous la main; des poissons que les ruisseaux, les fleuves, les lacs et la mer leur offraient avec profusion, ils ont voulu cultiver le blé , le coton, le riz , le tabac et l’indigo pour d’autres pays, et amasser d’autres trésors que ceux qui naissaient pour eux de toute part sur un sol riant ; ils ont repoussé la vie pastorale, la plus douce, la plus heureuse, à laquelle l'homme puisse aspirer pour s'affranchir des grands orages de la vie.

_ Ces aveugles Européens, pressés de s’enri- chir, ne voyant que des eaux remplies de poissons, des prairies riches et plantureuses, des forêts magnifiques, capables de nourrir des

EUROPÉENNES. 115

nations entières dans. une éternelle abondance , trouvèrent la nature trop avare. Il leur fallait d’autres domaines ; un commerce lucratif avec l'Europe, et ils attaquèrent dans leur impiété ces monuments séculaires, chargés de protéger et de conserver dans le bonheur les millions d'êtres qui respiraient sous leur heureuse in- fluence.

La cognée et le feu furent employés pour faire tomber et réduire en cendres des masses entières de forèts : ce que la nature avait pro- duit avec les tems, fut anéanti dans un mo- ment par l'homme destructeur. L'emplacement de Philadelphie était couvert d’une belle forêt de cyprès, qui a servi à‘ la charpente des mai- sons êt des édifices de la ville. Si l’on n'avait pris que les bois nécessaires aux habitations, le mal eût été imperceptible dans l’immensité des richesses végétales qui couvraient cette nouvelle terre de promission; mais l'aveugle avidité s’accroissant avec l’arrivée continue des émigrants, les forêts de cèdres, de noyers, de pins, de sapins, d'ifs, de cyprès, de chènes,

’érables , etc. , etc., les plus belles, les plus vastes qui ornassent la terre, tombèrent en gémissant depuis le Canada jusqu’au golfe du Mexique.

Il est reconnu que la destruction des forêts .

Canada.

116 ANNALES

de l'Amérique septentrionale, effectuée dans le simple espace de cent quarante ans, dépasse déjà la surface de toute l'Europe, et le délire de la destruction dure encore! Cette incroyable et rapide déflagration des plus imposants mo- numents de la création , est le présage certain des calamités qui vont s’appesantir sur ces ré- gions : les ruines des contrées asiatiques, et le silence de leurs déserts, la peste et ses fléaux, vont se reproduire sur cette terre jeune et vierge, si digne d’une autre destinée !.. On peut dire des forêts de l'Amérique, avec un judi- cieux écrivain : Les Européens y ont passé, elles sont disparues de la surface de la terre.

L’aveuglement des hommes sur les bienfaits des forêts est encore tel, en Amérique, que les habitants du Canada, jaloux de voir que l’An- gleterre, leur métropole actuelle, continue à tirer ses bois de construction pour la marine, des anciennes forêts des pays du nord de l’Eu- rope, se plaignent amèrement au parlement

_ de cette prédilection pour les bois de notre

continent , en annonçant qu'ils avaient, comme les années précédentes , fait des coupes im- menses, et des plus beaux arbres pour y pour- voir. Leurs descendants béniront un jour celte préférence que l’Angleterre donne avec raison,

EUROPÉENNES. 117 aux bois plus éclaircis, par conséquent plus denses ct plus durables de l'Europe.

On dirait que les Canadiens ,'qui se trouvent à quinze degrés du cercle polaire, avoisinés des plus grandes nappes d'eaux de l'Amérique, qui refroidissent beaucoup le climat, et qui éprouvent déjà, par ces causes, des hivers très- rudes de six mois de durée, sont las de jouir de leurs températures actuelles! S'ils avaient le malheur de continuer les défrichements, et d’abattre les barrières que la nature y a placées pour garantir ces pays des glaciales influences du pôle, ils verraient bientôt augmenter leurs hivers, et les récoltes diminuer avec les ha- bitants.

On écrit de Hallifax, qu'on a embarqué, dans le courant de 1817, dans ce seul port, pour deux millions et demi de potasse : ce qui suppose l'mcinération de peut-être cent mille arpents de forêts, sortis par un seul port, dans une année , pour le simple trafic de potasse... C’est ainsi que l’on traite cette belle et fertile Acadie, située sous les latitudes les plus fa- vorables, sur laquelle les infortunés Francais, enlevés comme d’une seconde patrie, ont ver- tant de larmes amères ! On détruit les forêts de ce malheureux pays , pour en avoir simple- ment la cendre, comme on va détruire les

Acadie,

118 ANNALES

veaux marins, dans les îles de la mer australe, pour en avoir les peaux et l'huile. On dirait (s'il y avait du raisonnement dans ce qui se fait) que les nations du Nouveau-Monde veulent se séparer par des déserts, pour ne plus tenter l'ambition des autres. Ces nou- veaux peuples semblent maudire d'avance leurs postérités , au risque d'en être maudits, à raison des maux qu'ils leur lèguent , en foulant aux pieds les PES saintes lois de la nature.

Ces trop précoces et trop vastes novales ont été et seront les champs des victimes; les hommes arrivés de tous les pays, sans être liés par des lois conservatrices des choses éter- nellement utiles, crurent, dans leur empres- sement de jouir , quil ne s'agissait que d’a- battre sans ménagement les vastes forèts qui couvraient ce sol, pour s’empargr leur do- maine, et oser ensuite tout exiger de la nature. Qu'en arriva-t-11? Après avoir ainsi éteint ou refoulé des nations entières d’indigènes ; la terre remplie d’une masse incalculable de prin- cipes fermentescibles, d’où tiraient leur ali- ment les milliers de végétaux qui croissaient à sa surface, laissa échapper au préjudice des destructeurs de ses premiers enfants, ces in- nombrables principes vitaux qui , dans la pre-

EUROPÉENNES. 119 mière force de leur effervescence, soulevèrent les maladies et la mort contre ceux qui sé- taient trop hâtés de la mettre à contribution.

Aussi remarque-t-on que les températures y déclinent déjà sensiblement, et plusieurs points de cette partie de l'Amérique ne sont restés habitables que pour des hommes qui, mus# par une excessive ambition , consentent à sa- crifier une partie de leur vie, dans l'intention de s'assurer pour quelques jours incertains, hélas ! un fugitif bonheur.

Les vaisseaux américains promènent déjà, depuis plusieurs années, ce qu’on appelle la Jièvre jaune ; les malheureux habitants de la ville de Malaga, et depuis, ceux de Cadix, qui pleurent encore sur les tombeaux, savent de quelle intensité était cette peste qui a mois- sonné un si grand nombre de victimes.

Voici ce que l’on mandait dans le courant de 1817 de l'Amérique septentrionale :

« Il parait que la fièvre pestilentielle , qui » maintenant désole la partie du Sud des » Etats-Unis, fait les progres les plus alar- » mants. Une proclamation du gouverneur » de New-Yorck prohibe toute correspon- » dance et toute communication entre la ville » et le comté de New-Yorck , et les villes de » Charles-Town et de Savanah de la Caroline

I, 9

Fièvre jaune.

120 ANNALES

» du Sud. Aucune personne venant de l'une » ou de l’autre de ces deux places, ne pourr: » entrer dans la première , à moins qu'il ne » se soit écoulé un intervalle de vingt jours, » depuis qu’elle aura quitté ces villes,

» À Philadelphie et partout ailleurs sur la # côte d'Amérique, mêmes précautions par » rapport aux vaisseaux venant de Charles- » Town. On ignore quelle peut être la cause » de ce fleau terrible, qui se déclare au même » moment dans l'Europe, l’Asie et l'Afrique ».

On à été obligé de prendre, dans les ports de France, des précautions sanitaires contre les bâtiments qui arrivent des Etats-Unis, presque semblables à celles qu’on est forcé de- puis plusieurs siècles , envers tout ce qui ar- rive des ports de la Turquie, de ceux de l’'E- gypte et des états barbaresques.

Cette belle portion du Nouveau-Monde, ré- gie par un gouvernement qui marque par tant de sagesse et de lumières , doit, pour ne point être long-temps assimilée à des contrées impré- voyantes par esprit de religion , faire sur elle- même un retour prudent , consulter la nature de ses sites et de ses végétaux, pour cicatriser sur une terre aussi jeune, des plaies qui pour- raient avoir les suites les plus funestes. Les maladies de la terre, dénaturées par la main de

EUROPÉENNES. toi l'homme, trouvent leurs spécifiques dans les végétaux, et l'Amérique en possède qui ont toutes les vertus à opérer ces cures.

« On mandait encore en septembre de la » même année, que la maladie contagieuse » continuait en septembre à faire des ravages » à Charles-Town ; le conseil municipal avait » recommandé aux différentes congrégations » religieuses , de s’assembler le 14, pour de- » mander à Dieu par des jeunes et des prières, » de détourner dans sa clémence, le fléau qui » afflige cette ville (1). »

Sürement les prières et la pénitence des hommes peuvent adoucir la colère céleste ; mais ces plaies envoyées à un peuple qui à mé- connu et flétri l’œuvre de Dieu , sont peut-être aussi des avertissements qui doivent le porter à arrêter le torrent de cette impiété, qui s’a- charne à déchirer , à mutiler cette nature, qui est la mère de toutes les prévoyances ter- restres, et le plus consolant symbole de la bonté divine.

Franklin , un des patriarches américains, Opinion

ne a : de Franklin rivait hysicien Priestl :< écrivait au physicien Priestley, en 1779: « Que Anne

(1) Au chapitre des marais, on sera peut-être assez heureux d'indiquer un moyen pour faire disparaître des maux de cette nature.

9:

122 ANNALES

» les végétaux aient le pouvoir de rétablir l'air » quia été corrompu par les animaux ou par » d'autres causes, c'est un systême qui me pa- » rait raisonnable , et parfaitement d'accord » avec les lois de la nature... J'espère: donc » qu'on mettra des bornes à la fureur qu’on a » d’arracher les arbres , et que cela détruira » le préjugé l’on est que leur voisinage est » contraire à la santé. »

« Je suis assuré, par une longue observa- » tion, que l’air des bois n’a rien de malsain: » car, nous autres Américains, nous avons » partout nos maisons de campagne dans les » bois, et il n'est aucun peuple, sur la terre, » q FA soit d'une meilleure santé que nous, ni » qui seit plus prolifique, etc. »

Ayant sous les yeux l'exemple des indigènes, Franklin aurait pu ajouter : que les peuples na- turels, qui passent toute leur vie dans l'air bal- samique et énergique des forêts, sont les plus agiles et les plus robustes. Dans les vastes fo- rêts du Paraguay et du Tucuman surtout, les centenaires sont moins rares que les sexagé- naires dans nos climats, et 1l est assez commun de voir dans ces pays, des hommes de cent vingt et de cent quarante ans ; on y en à trou- vé, sans infirmités , qui étaient âgés de plus de cent soixante ans.

EUROPÉENNES. 123 À l’époque ce célèbre physicien faisait part de ces observations à son ami , on s’occu- pait encore fort peu, comme on voit, des grandes lois harmoniques , qui constituent la physique végétale dans ses consonnances avec le règne animal; on songeait peu qu'en cou- vrant la terre Ge productions végétales, la na- ture l'avait couverte de mamelles , en offrant sa table splendide et variée à tous ses convives, et qu'aussitôt que l’homme porterait la main sur ces vivifiantes forêts, Les fidèles gardiennes de toutes Les richesses de La terre , 1l attaque- rait le plus grand bienfait de la providence, en détruisant l'ordre harmonique des météores et des climatures, et affaiblirait ou réduirait sensiblement des milliers de races , qui avaient été créées dans l’admirable proportion de ses besoins. Si aujourd’hui un autre Franklin ve- nait à parcourir, avec l'esprit observateur du premier, les ruines encore fumantes de cette terre, naguère pleine de beauté et de fraîcheur, il reconnaîtrait en gémissant, que l’aveugle cupidité y a détruit autant de biens dans moins d’un siècle et demi, que trois mille ans de guerres en Asie. L'Amérique méridionale, qui renferme à elle seüle les plus riches productions des trois anciens continents, a été mieux régie et mieux

LI

Amérique

méridionale.

124 ANNALES

conservée sous le sceptre de deux souverains. Les Espagnols, qu'on a accusés trop légère- ment de paresse et d’ingolence , sans faire at- tention sous quel climat ils vivaient, ont eu la sagesse qui a manqué aux autres peuples , d’é- tablir d’abord à Saint-Domingue, et ensuite dans l’intérieur de leurs immenses possessions de l'Amérique , le régime pastoral ; régime si doux et si paisible, qui, en amortissant les idées de destruction, a conservé à cette magni- fique face de la terre ses riches et délicieuses productions.

Sürement le brame qui, dans l'Inde, vit un siècle dans le calme de la paix sous son bana- nier, qui le nourrit, le loge, abrite et le vêtit, est plus sage et plus heureux dans sa modéra- tion que son voisin , qui use la vie à cultiver avec inquiétude le riz , le betel, le coton, V'in- digo , pour amasser de vains trésors qui lui’ sont le plus souvent ravis.

Le Brésil a souffert aussi de grandes exploi- tations dans les forêts , soit pour faire place aux nouvelles cultures , soit parce que présen- tant près de six cents lieues de côtes, dont les ports servent le plus souvent de relâche aux vaisseaux européens qui se rendent aux Indes orientales ou qui en reviennent , elles sont plus souvent visitées par les bâtimens de com-

EUROPÉENNES. 129

merce ; mais , en général , la cour de Lisbonne a suivi d'assez près le même régime pour ses colonies que celle de Madrid ; et, aujourd'hui que le souverain et le gouvernement sont fixés dans le Brésil même, on a lieu de présumer que cette fertile contrée , qui égale par sa sur- face plusieurs royaumes de l'Europe, atteindra une grande destinée.

Tous les peuples commerçants de l'Europe n’ont cessé de traiter d’ombrageuse la pré- voyante sagesse du Gouvernement espagnol, qui s'est refusé à laisser pénétrer les étrangers dans l’intérieur de ses vastes et opulentes pro- vinces de l'Amérique, plus riches encore par les plus rares et les plus précieuses produc- tions végétales, que par l'or, l'argent, les dia- mants , les rubis, les topazes et les perles, qui y égalent tout ce que les autres continents peuvent en ce genre réunir ensemble : sans une digue insurmontable , l’'appât de tant de trésors divers aurait attiré toutes les ambitions, et les seuls restes qui existent peut-être en- core sur la terre de la somptuosité de la na- ture , seraient déjà transformés en de tristes et arides déserts... On reconnait, à ce régime, la prudente sagesse du Gouvernement chinois.

Le Gouvernement espagnol, grave, flegma- tique et prévoyant, a gouverné paisiblement

.

L

126 ANNALES

pendant prés de trois siècles; ces fortunées contrées ; du Chili au Mexique, et des fron- tières du Brésil à la mer Pacifique, régnait une paix profonde; l'administration y devenait tous les jours plus paternelle, et dans aucune région de la terre, il n’y avait peut-être de plus véritable bonheur, parce que l'absence de toute guerre pendant plus de deux siècles, dans les climats les plus doux, en sont les élé- ments les plus certains.

Malheureusement ce calme fortuné a eu aussi un terme; les passions orageuses ont été mises en effervescence, et les résultats les plus certains de ces luttes tumultueuses sont une nouvelle effusion de sang, et la dégradation des plus beaux pays de l'univers. Les véritables amis de l'humanité et de la paix des peuples ne peuvent que faire des vœux pour la prompte fin de cette guerre intestine et le rétablisse- ment de l’ancienne autorité tutélaire : car s'il s’y formait un seul état indépendant, ce serait un germe de guerres perpétuelles pour tout ce grand continent.

Le Gouvernement du Brésil et celui des Etats- Unis ysont au moins autant intéressés que le Gouvernement espagnol lui-même ; qu'il s'y forme des royaumes ou des républiques, ils seront forcés , ou de devenir conquérants, ou

EUROPÉENNES. 127

d'avoir sans cesse les armes à la main pour se

. défendre... Cette guerre est la plus funeste

catastrophe qui ait jamais pu frapper lAmé-

rique : il est à espérer que, depuis le nou-

vel ordre de choses qui s'établit en Espagne,

cette guerre aura une fin d'heureuse réconci- lation.

Déboisements de l’Europe.

Les Romains qui voulaient dévorer toutes les réputations des conquérants , et régner dans leur ambition fantastique sur sous les peuples connus, ont commencé il y a deux mille ans, les premières destructions des forêts de l'Europe. César convient lui-même dans ses Commentaires que, pour pénétrer dans les Gaules avec ses armées, il avait été obligé de faire des abattis immenses et continuels, et de diminuer ainsi les forteresses végétales que la nature avait léguées à nos vaillants ancêtres, comme moyen de protéger leurs foyers et leur indépendance. La conquête des Gaules et de la Germanie a été d'autant plus difficile qu'il y avaitplus de forêts; les peuples les défen- daient avec d'autant plus d'opiniätreté qu'ils Jes avaient en vénération, et que les arbres, dans lesquels ils reconnaissaient un des plus

123 ANNALES

grands bienfaits du ciel, étaient pour eux un objet de culte. Tous les anciens conquérants ontété forcés de commencer par faire la guerre aux forêts, comme les premiers obstacles qui s'opposaient à leur ambition : depuis l'invasion des Romains, la guerre n’a cessé d’affliger cette belle Europe, et de détruire l'inappré: ciable richesse de ses forêts.

Les Scandinaves, les Huns, les Vandales, les Suèves , les Alains, les Gothe et les Visigoths, qui inondérent l'Europe pendant plusieurs siècles jusqu'au fond de la fortunée Bétique et de la Lusitanie, et qui se succédaient avec l'a- bondance des flots de la mer , avaient multiplié dans les vastes forêts du Nord qu'ils habitaient, et qui fournissaient seules avec les pèches gra- tuitement à tous leurs besoins : aujourd'hui que l’anéantissement de partie de ces bois a diminué les produstions et refroidi les clima- tures , on n’a plus un pareil excés de popula- tion à craindre.

Nous venons d'arriver naturellement à l'ob- servation la plus importante peut-être pour la société , observation qui va soulever une foule de préjugés. Nous l’exposerons avec courage.

Si les hommes de tous les siècles les plus éclairés n’ont pu, avec tous les efforts de la science et du génie, déchiffrer qu'un petit

EUROPÉENNES. 129

nombre des grands et impénétrables calculs de la nature; si tous ont été réduits à confesser , que ses plans sont d’un ordre et d’une sagesse supérieurs à la pénétration de l'esprit humain, à qui il est simplement donné de reconnaitre à des preuves multipliées, quetoute la création a été ordonnée pour le bonheur de l’homme, il serait peut-être sage de se borner à envisager dans quel état cette même création lui est ap- parue , de révérer ensuite cette volonté supé- rieure, d’en suivre les indications, sans trop s'attacher à des systèmes qui lui sont étrangers. Presque toutes les parties terrestres du globe Opinion sur ont été visitées par les hommes; et partout es : on n'a vu que trois choses distinctes : des eaux poissonneuses ; de riantes prairies chargées de fleurs qui parfumaient l'air; des forêts variées, avec les plantes , les oiseaux et les animaux qui appartenaient aux climats : partout la mois- son était préparée; l’homme n'avait qu'à se montrer pour en jouir; mais nulle part on n'a trouvé de champ de céréales. La nature avait une autre agronomie que la nôtre; elle nous délectait, dans ses quatre saisons, de tous les fruits , de toutes les productions des eaux et de la terre, sans exiger de l'homme d’autre peine que celle de cueillir, de ménager et de conser- ver : dans ses plaus conservateurs , il ne devait

130 ANNALES

se trouver n1 charrue, ni moulin, ni four. La déesse Céres des Grecs, beaucoup trop prônée chez les peuples policés, et que la science n’a que trop accréditée, était étrangère aux plans de la création.

Les graminées se sont trouvées par toute la ‘terre, modestement mélées avec les autres plantes, et affectées aux latitudes qui leur con- venaient ; les oiseaux les connaissaient pour leurs graines, et les animaux eomme four- rages : c'est sous ce rapport que la desserte en revenait à l'homme. C'était la seule destination que semble leur avoir donnée la nature; mais dès qu’on a établi leur funeste règne au préju- dice du domaine des fructifiantes forêts, les famines ont pris naissance chez les nations, qui ont eu le malheur de s’en faire un besoin premier et trop étendu. Jamais les peuples pri- mitifs n'ont eu le goût d’un aliment factice tel que le pain; et aujourd’hui encore, sur mille millions d'individus qui peuplent la surface du globe, prés de six cents millions n’en font au- cun usage.

Beaucoup d'écrivains qui n'avaient ni voya- ni observé , mais qui suivaient, du fond de leur cabinet, la routine des préjugés de leur temps, ont prétendu que les premiers habitans de l'Europe, privés de la science de l'agricui

EUROPÉENNES. 151 ture, avaient été réduits à la nourriture misé- rable des fruits du chêne et du hêtre, comme si Dieu, magnifique et libéral dans tout ce qu'il a fait pour l’homme , ne l'avait créé que pour la misère et le désespoir!

Lorsque nos ancêtres furent attaqués, il y a deux mille ans, par les Romains, ils for- maient déja plusieurs grands corps de nations, tant dans la Germanie que dans les Gaules. Les peuples du Nord, qui ont inondé pendant plusieurs siècles tout le Midi de l’Europe, et qui arrivaient, sans interruption, par deux, trois et quatre cent mille guerriers, avaient tous leurs berceaux dans les forêts ; la plupart connaissaient peu ou ne connaissaient pas même l’agriculture. Il y avait donc, pour de si grandes populations, une autre Providence que la déesse Cérès ; le chéne et le hêtre.

Les riches prairies, ces grands trésors de la terre, et les immenses päturages des bois, nourrissaient des troupeaux innombrables de vaches, de veaux, de bœufs, de porcs, de chèvres . et de bêtes à laine; la poule, le pigeon, l'oie, le canard, et le lapin domestiques, se multipliaient à l'infini, près des hospitalières habitations , parce que rien ne leur manquait; le sanglier, le daim, le cerf, la biche, le che- vreuil, le lapin, et le lièvre fourmillaient dans

Le

les faisans, les coqs de bruyè

1941 - ANNALES, à k les forêts ; les perdrix les gelinottes les cailles,

, et mille autres classes nombreuses, iedipfsgient tous les boc- cages , et les oiseaux de passage en doublaient » le nombre ; sle miel et la cire se trouvaient dans tous les creux d’arbres en abondance, et toutes les eaux offraient, jusque dans les moindres ruisseaux ,. et la riche série des oiseaux aqua- tiques, et tous les genres de poissons en pro- fusion (1 ). | 4

Si l’on ajoute à cette opulence naturelle

toutes les espèces de fruits mélangés par tant

de saveurs et de parfums divers; les racines succulentes, les légumes farineux, et cent autres variétés qui s’offraient partout à l’hom- me, il faut convenir qu’à toutes les nr primitives Ja nature le conviait à sa table, sous le dôme brillant des forêts, il était moins à plaindre qu'aujourd'hui, au milieu de ses guérêts, dont les récoltes tous les jours plus incertaines et plus chèrement achetées , dépendent des météores, dont le désordre a été provoqué par la destruction des bois.

Les forêts, les eaux et les prairies , sont les

(1) En 1550, on vendait, dans la Lorraine allemande, le gibier dans les boucheries , à deux sols la livre. La corde de bois , 3o sols, etc, , etc., etc.

.

,

EUROPÉENNES. 133 trois grands laboratoires visibles de la nature, d'où découlent tous les biens La doivent dé- lecter l'homme sur la’ terre. ces intaris- sables sources de Ja vie sont le plus en har- monie , se trouvent aussi avec le plus d’abon- dance les richesses naturelles, qui remplissent ces vastes réservoirs de toutes les productions

des eaux et de la terre. C’est aussi dans l’'en-

semble, dans la réunion des végétaux , que sont répandus les sentiments de douceur , de grace, de majesté, d'immensité, que font naître en nous les paysages et ces riantes Perspecis végétales.

Les forêts remplissent dis He bE , après le soleil , le plus grand ministère ; elles semblent destinées à régir toutes les harmonies du globe. Sous leur heureuse influence, tout vit et pros- père : dès qu’elles disptaitsdues les sources tarissent , les rosées s’éloignent, les prairies perdent leur fraicheur , la terre se dessèche, les oiseaux et les animaux diminuent, la

marche des météores s’intervertit, enfin le cé- :

leste et majestueux tableau du monde s’efface:

Nous verrons, dans le prochain cahier , les preuves multipliées, qu'un des pays de l’Eu- rope, situé sous les latitudes les plus douces, les arts, les sciences et l’agriculture dis- tünguent le plus l'esprit humain, a décliné

CE

4 134 © à ANNALES sensiblement dans ses productions et ses tem- pératures, parce que les faibles et éphémères céréales ont eu la puissance d’envahir le do- maine des forêts séculaires : c’est l'image vi- vante de l'esprit humain, qui a voulu corriger l'œuvre éternelle de la création : c’est l’humble hysope , substituée au cèdre majestueux, qui _ commande aux vents et aux tempêtes. À Corrélation des foréts avec les météores élec- triques et les poissons.

La nature est remplie de tant de mystères que notre ame semble pressentir et toucher, qu'on serait tenté de croire que des puis- sances tutélaires et invisibles gouvernent le monde physique et ne se rendent apparentes que par leurs effets. Tout parait animé , et les objets les plus matériels à nos yeux, semblent dirigés par un esprit de concordance générale qui nous étonne, mais que nous ne savons pas assez admirer. Cependant tout ce qui existe est mu par un enchainement irrésistible de causes secrètes , qui entretient l’ordre dans l'Univers. \

La puissance végétale , qui végétalise les eaux et l'atmosphère , parce qu'elle agit sur l’un et l’autre de ces éléments, exerce un em-

EUROPÉENNES. 135

pire évident sur l'harmonie des météores. Les météores électriques , chargés de puñifier l’es- pacé de Flair des émanations terrestres, pré- sentent à l’homme un spectacle imposant, dont le cœur le plus insensible ne peut re- pousser l'impression morale. Ces météores, à qui le Créateur a donné les plus orageuses fonc- tions à remplir, recoivent des arbres, comme conducteurs des fluides, une partie des élé- ments de leur formation : leur corrélation est telle , ils leur restent tellement subordonnés, que les bois élevés les forcent à se grouper sur leurs hautes et puissantes sommités , à diviser leurs feux destructeurs , à dilater leur sein en- flammé, pour verser des eaux fertilisantes sur la terre; à consumer, au bruit du tonnerre mais avec moins de danger pour les habita- tions, lès matières oléagineuses, alcalines, bi- tumineuses et sulfureuses, qui chargent et alterent l'air ; à pomper. enfin des zones éthé- rées , cette fraicheur, cette sérénité pures, qui allégent , qui flattent les sens, et font encore bénir ces orages effrayants, comme les répara- teurs de toute la nature souffrante.

Les arbres peuvent être considérés comme les paratonnerres naturels, destinés à attirer, à absorber ou à diviser les éléments de la foudre; plus ils sont multipliés, plus le dan-

L. 10

136 ANNALES

ger est ei pour l’homme et pour sés

troupe

ee La gréle semble aussi devoir sa formation destructive à la trop grande absence des forêts, parce que les nuages orageux n'étant plus maintenus à une distance convenable de la terre, par de grandes masses de bois, les va- peurs s'élèvent dans les régions glaciales qui congèlent les eaux vaporisées, et les font tom- ber par masses de glacons, au lieu de pluies fécondantes. Ces malheurs se renouvellent sans cesse pendant la saison des orages dans la France déboisée , et presque toujours au moment les récoltes préparées par les tra- vaux de toute une année, présentent déjà la perspective de leurs prochains tributs : leur perte devient soudain un objet de déses- poir, au lieu de la consolation qu'elles pro- mettaient.

De quelle Comme on ne détruit pas un seul cercle influence lp rmonique , sans altérer toutes les conson- forêts sont pourles pois NaNnCes qui en dépendent, la diminution des sons et les animaux et des poissons a suivi celle des forêts ; oiseaux.

et les fleuves, alimentés par les eaux qui s'écou- lent sans cesse sur les dépouilles animales et végétales répandues dans les forêts, sont plus poissonneux , les poissons plus beaux et

les étangs, les lacs, les ruisseaux , les rivières

P

EUROPÉENNES. 137

leur chair plus savoureuse; par les mêmes raisons les embouchures des fleuves, plus fré- quentées par les poissons de la mer, qui aug- mentent diminuent dans ces parages, en raison des plantes, des graisses et des limons, que leur charrient les eaux du continent.

Aussi a-t-on observé que les nombreuses légions de morues , qui fréquentaient autrefois les rivages de l'Amérique septentrionale, ont tout-à-coup disparu. On avait d’abord attribué cette disparition à l'effet du bruit du canon, ‘qui pouvait momentanément y avoir été pour quelque, chose ; mais très-assurément l’amai- grissement des eaux des fleuves, la diminution des ombrages et des végétaux qu’elles y trou- vaient autrefois, en sont la cause principale, Il en est de même des légions de harengs, de sardines , de maquereaux, de thons, d’aloses, de saumons , d’esturgeons, et de tous les pois- sons voyageurs, dont la diminution devient par ces causes tous les jours plus sensible , ainsi que celle des oiseaux voyageurs, que la pré- voyante nature envoyait à des époques fixes, sur la table de l’homme.

Ce que les mers, les eaux du continent et les forêts offraient originairement sous ce double rapport avec profusion, est incalcu- lable : l'histoire des pêches et des chasses qui

10.

138 ANNALES se faisaient 11 y a seulement un siecle, peuvent étonner aujourd'hui limagination.

Nous venons de présenter rapidement les hautes fonctions que les bois semblent avoir à remplir dans l'harmonie de la nature; le minis- tère visible qu'elles exercent sur les météores, sur les eaux vaporisées, sur les climatures, be températures et les saisons; sur la fertilité et la salubrité de la terre; enfin les grandes calami- tés qui dérivent de leur destruction, et qui affligent les pays elles disparaissent.

11 reste encore à considérer leur importance, sous le rapport du combustible indispensable pour combattre les rigueurs des saisons , pré- parer nos alimens , vivifier nos manufactures et fournir aux constructions, en un mot, à tous les arts devenus nécessaires.

Opinion Sully avait déjà prédit dans ses économies de Sully, de

Colbert, ii forêts ferait hausser le prix des denrées, et

par suite tout ce qui en dépend. Jamais pro- nostic ne s’est réalisé d'une manière plus ef- frayante pour la société : cette crainte si fon-

a royales, que la progressive diminution des

dée que la France ne périsse faute de bois , a été encore proclamée il y a cent cinquante ans, par Guillaume de Lamoïignon, un de nos plus grands magistrats , et par le grand Colbert, qui assuraient qu’il ny avait déjà dès-lors

EUROPLENNES. 139 plus assez de bois en France pour toutes les nécessités de la vie.

Louis XIV , frappé de l'exposé que lui avait présenté le ministère, sur la situation des bois du royaume, crut devoir tenir un lit de jus- tice spécial à ce sujet, et 1l vint le tenir le 13 août 1669 en son parlement de Faris, il fit lire et enregistrer cette ordonnance mémo- rable, la plus sage qui se soit jamais faite en France , pour la conservation des eaux et foréts.

Fontenelle, toujours animé de lamour de Fontenelle.

à et Réaumnr. son pays, a écrit couragèusement en 1709, sur Fimportante nécessité de conserver les bois.

Le célèbre physicien Réaumur écrivit en 1921: « L’inquiétude est générale sur le dépéris- » sement des bois du royaume ».

« On craint que les forges, etc., ne tombent » faute du bois nécessaire à leur entretien ».

« L'intérêt de l'Etat demande qu’au moins » la quantité du bois ne diminue pas, quand.

» la consommation augmente ».

« Il ne serait peut-être pas raisonnable de » souhaiter que les terres labourables fussent , » remises en bois; mais il serait extrémement » à souhaiter que les terrains laissés en bois » nous donnassent celui dont nous avons

» besoin , et qu'on empéchät leur produik

Opinion

de Buflon.

140 ANNALES » de diminuer ». Mémoires de l’ Académie, 1721 (1).

À l’époque Réaumur consignait ainsi ses.

inquiétudes sur l’état des forêts de la France, il

en existait encore trois fois autant qu’aujour- d’hui , et la consommation des bois s’est triplée depuis, par la multiplication des feux , des fonderies , des forges , des verreries, des faiïen- ceries, des manufactures , des poteries, des: fours à chaux, etc., etc.

Voici ce que Buffon, notre plus grand na- turaliste, a consigné dans son Histoire Natu- relle: « Le bois, qui était autrefois très-com- » mun en France, maintenant suffit à peine » aux usages indispensables , et nous sommes » menacés, pour l'avenir, d’en manquer abso- » lument...»

« Ceux qui sont préposés à la conservation. » des bois se plaignent eux-mêmes de leur dé- » périssement... Il faut en chercher le remède; » tout bon citoyen doit donner au public les » expériences et les réflexions qu'il peut avoir » faites à cet égard ».

Comme il n'existe point encore de statis- tique positive sur les bois de la France, Je

(x) Depuis cette époque, la charrue a plus que doublé ses envahissements aux dépens des forêts.

EUROPÉENNES, 4x

vais essayer d'en donner une idée approxi- mative.

La surface géométrique de la France se porte Ancienne kenviron cent trente-quatre millions d'arpents; Re celle des eaux et des prairies pouvant s'élever à forêts de la environ seize millions, la France était donc!" couverte originairement de cent dix-huit mil- lions d’arpents de forêts.

En 1780, la surface des forèts était estimée à treize millions d’arpents ; aujourd’hui on la suppose réduite entre six et huit millions d’ar- pents, c’est-à-dire, au seizième de l’état pri- mitif ; d’où il résulte qu'environ cent dix millions d’arpents de bois sont détruits en France.

Supposons que la surface des landes, des marais, des bruyères et des terres vagues , s'é- lève à seize millions d’arpents, il s’ensuivra que les cultures en occupent environ quatre- vingt-dix-huit millions, ou les cinq sixièmes de l’ancién domaine des forêts, qui représen- taient peut-être au centuple la valeur nutri- tive des céréales, comme nous aurons occa- sion de le faire voir plus tard.

On estime qu'il y a entre six et sept millions de feux en France, qui peuvent, avec les forges, les usines, les manufactures et les construc- tions, s'élever à une dépense de trente millions

142 ANNALES

de cordes de bois par an : les forêts existantes ne pouvant pas fournir régulièrement au sis xième de cette consommation, il faut, ou les détruire jusqu'à extinction, pour suffire au besoin du moment, ou souffrir et périr, ou replanter et resemer. Cette dernière opération _est le principal but que nous nous sommes proposé de recommander dans nos observa- tions. |

4 Suite de la pêche des anciens et du moyen âge, en poissons de mer.

L’espadon est un grand poisson qui porte au-devant de la tête un grand os noir. Il est ainsi nommé à cause de son long museau fait en forme d'épée ou espadon. Il y en a de plu- sieurs sortes : celle qui se trouve dans les mers de Provence est appelée pei esparo : c'est-à- dire, poisson épée. IL a la forme du thon, mais il est plus gros. La pointe de son museau a depuis quatre jusqu’à huit et douze pieds de long , suivant la grandeur du poisson, et envi- ron trois à cinq pouces de large. Elle est os- seuse et couverte d’une peau chagrinée. Les pécheurs des madragues craignent fort ce pois- son, parce qu'il coupe tous leurs filets avec son museau, dont l'épée fort plate est garnie

“.

r à

EUROPÉENNES, 149

Lt

de chaque côté d’une rangée de dents longues et larges en forme de scie.

Quelques-uns appellent l'espadon , poisson | je de à scie , ou empereur, à cause qu'il combat les EE requins et les baleines et que souvent il les ttrranée. blesse à mort de son arme meurtrière. La pêche du xiphias espadon était pratiquée chez les Grecs : les Romains ne la firent pas avec moins d’ardeur. On trouve célébrée dans les vers d'Ovide et d'Oppien la puissance du glaive dont il est armé; et suivant Polybe, c'était au- près du promontoire de Scy/la qu'on en fai- sait la plus grande pêche. On ne le recherchait pas alors pour sa chair, elle était réputée sèche et peu agréable ; mais pour l'huile qu’on obtenait de la couche de lard qui règne sous la peau. La pèche de ce poisson se faisait avec un nœud coulant, disposé sur deux harpons ou lances, dans lequel s’engageait le poisson pour saisir l'appat,

La pèche s’en faisait aussi par d’autres pro- cédés, sur les côtes de la mer Tyrrhénienne et sur celles de la Gaule narbonnaise. Un de ces procédés consistait, comme chez les Grecs, à se servir de barques taillées d'apres la forme de l’espadon, pourvues d’une pointe avancée qui représentait sa mâchoire, et peintes des couleurs foncées qui lui sont propres. L’espa-

144 ANNALES

don s’en approchait sans défiance, croyant voir des poissons de son espèce ; les pêcheurs profitant de son erreur , le perçaient avec des. dards. Quoique surpris , l'animal se défendait avéc vigueur, frappait de son épée le bordage: des barques trompeuses, et les mettait sou- vent en danger. Les pêcheurs saisissaient cé: moment pour essayer de lui fendre la tête, et de lui couper, s'il se pouvait, la mâchoire su- périeure. Après avoir triomphé de sa résis- tance et s’en être emparés , ils l’attachaient à. l'arrière de la barque et l’amenaient ainsi à terre,

Oppien compare cette manière de prendre lespadon en le trompant par la forme des barques, à la ruse de guerre dont se servent les assiégeants qui, après avoir défait une par- tie des assiégés dans une sortie, se revêtent de leurs armures et se présentent aux portes de la place; la troupe à qui la garde en est con- fiée , les ouvre dans l’impatience de revoir les braves qu viennent de combattre pour leur intérêt commun ; mais l'illusion ne tarde pas à s'évanouir : surprise et victime de son erreur, cette troupe, dans l'impuissance de pourvoir à sa sûreté, succombe à son tour sous les coups de l'ennemi.

Cette manière particulière et dispendieuse

,

EUROPÉENNES. 145 de faire la pêche de l'espadon permet de sup- poser que ce poisson extraordinaire était au- trefois aussi commun qu'il est devenu rare aujourd'hui dans la Méditerranée.

Les anciens prenaient aussi l'espadon dans les madragues, s'il s'y engageait imprudem- ment, soit en poursuivant le thon, soit en donnant la chasse à des scombres de moindre taille , que sa présence effrayait ; mais on pré- tend que son courage ne répondait point à la force de l'arme qu'il porte , lorsqu'il se voyait entouré de filets. «Quoiqu’il puisse les rompre, dit Oppien, il recule; il soupçonne quelque piège : sa üumidité le conseille mal ; il finit par rester prisonnier dans l'enceinte et les détours qu'ils décrivent, et par devenir la proie des pêcheurs, qui, réunissant leurs efforts, l’a- mènent sur le rivage , il trouve une mort certaine.

Ce qui est dit plus haut sur le: danger de prendre l’espadon dans des madragues, con- tredit l’assertion d'Oppien, qui à peut-être vu prendre ainsi de jeunes espadons timides et sans expérience ; mais il ne serait pas croyable que ce poisson d’une grosseur majeure , arrivant à un poids depuis cinq cents jusqu'a douze cents livres, et armé d’une manière aussi for:

146 ANNALES

midable qu'il l'est , se laissät prendre dans de frêles filets, sans tout briser.

Un fait arrivé vers la fin de 1820 vient à l'appui de l'opinion qu’on doit se former sur la force de ce poisson. Un espadon s'étant atta- ché à une corvette anglaise, qui se trouvait dans les parages du continent de l'Amérique, septentrionale, a percé les deux bordages en chéne, l’un de quatre pouces et l'autre de trois pouces d'épaisseur : sa redoutable épée entrant toujours plus avant dans le corps du bâtiment, il allait atteindre et percer des barils de rhum. qui se trouvaient dans la cale, si on ne s'en était apercu à temps. 11 faut assurément une force extraordinaire, pour produire un pareil effet.

Ces observations conduisent naturellement à la remarque, qu'on a peut-être considéré les, grands habitants des mers, trop matérielle- ment sous le rapport unique, soit de leur poids , soit de leur dimension , de leur graisse et de leur chair, sans étudier le motif de leurs formes, de leurs goûts, de leur instinct, de leur force, de leurs armes, enfin de la mis- sion réelle qu'ils ont à remplir dans les grands plans de la nature : car l'espadon armé de cette grande scie d'ivoire, qu'il doit manier avec

EUROPÉENNES. 147

une force relative à sa taille, semble être des- . tiné à combattre les forts pour protéger les faibles, ou à vivre dans les écueils, comme celui si redouté de Charybde et de Scylla, pour combattre les monstres-sous-marin, qui vivent au fond des abimes , et dont l’intrépide Colas-poisson, de Naples, a été la victime à la seconde fois que le Roi l’a engagé à y descendre, pour observer l'aspect de ces demeures pro- fondes , encore inconnues à l’homme ainsi que leurs nombreux habitants.

Les auteurs Grecs nous ont laissé beaucoup Pêches des à desirer en parlant des scombres de la Médi- ns terranée orientale : leurs erreurs ont été long- temps les nôtres, parce qu'il nous était diff cile de vérifier sur les lieux mêmes tout ce qu'ils ont vu, de reconnaitre et d'observer tout ce qui leur a échappé; en général , ils ont né- gligé d'indiquer les caractères de chaque es- pèce avec la précision nécessaire. On peut con- clure seulement de leurs écrits, que celles dont ils ont le mieux étydié les habitudes, passaient de la Méditerranée dans le Pont-Euxih, et en revenaient périodiquement.

D'après les observations les plus exactes, il n'est pas probable que les espèces de pois- sons qui se pêchaient à Trapézunte et à Sinope, vinssent toutes des Palus-Méotides, qui portent

e

Extrême abondance en poissons

146 ANNALES aujourd'hui le nom de Simon. Gyllius et Dap- per ont remarqué que plusieurs espèces de la mer Egée , traversant la Propontide, passent tous les ans dans la mer Noire, et qu'elles en reviennent en automne.

Le passage des pélamides s'accomplit, sui- vant Dapper, dans les derniers jours du mois de maï; leretour dans la Méditerranée s'effectue en octobre. Comme les poissons qui reviennent de la mer Noire sont sensiblement plus gros que lorsqu'ils y sont entrés, cette circonstance explique pourquoi, du temps d’Anistote, on ne les péchait pas au passage, mais au retour.

L'ancienne réputation du cap de Byzance a recouvré son premier éclat. Gyllius, qui résida

dans le Bos- long-temps à Constantinople, fait un magni-

phore,

fique tableau de la pêche du Bosphore : Mar- seille, Venise, Tarente, dit-il, abondent en poissons ; mais Constantinople les surpasse toutes. La pêche qu’on y fait dans le Bosphore, est si prodigieuse, que, d'un seul coup de filet, on peut remplir vingt barques, et que, sans filets, oh peut pêcher à la main, sans quitter la terre. Lorsqu'au printemps des troupes in- nombrable de poissons gagnent la mer Noire, on peut les atteindre avec une pierre, comme si l’on abattait une volée d'oiseaux; et les pé- cheurs prennent sans amorce tant de péla-

EUROPÉENNES. 149

mides, qu'il y en aurait assez pour hourrir toute la Grèce et une grande partie de l'Europe et de l'Asie. Si le goût du poisson était plus répandu parmi les Turcs , s'ils avaient l’industrie des anciens Grecs ou des pêcheurs de Marseille, de Tarente et de Venise , s'ils pouvaient pêcher librement, sans être obligés de donner au sul- tan la moitié de leur pêche, les marchés se- raient chaque jour pleins de poissons.

Pour justifier ce que ce récit peut avoir en apparence d’exagéré, nous devons ajouter que des observateurs dignes de foi nous ont as- suré avoir vu, il n’y a pas plus de deux ans, aux époques du passage, toute la mer de Mar- mara si remplie de grands poissons, qu'on élevait sur le bord ‘de la mer, des estrades, pour jouir de ce beau spectacle au clair de lune. Ces poissons , parmi lesquels il s'en trouve d'une grosseur monstrueuse , tournent continuellement le long du rivage , et en masses si serrées, qu'on dirait y voir une re- vue de tous les habitants des mers, ou défiler d'innombrables armées.

Les Grecs ne connurent pas le maquereau proprement dit, celui qui habite les mers du nord de l’Europe; mais il est certain que le trachure était pêché en Grèce , ainsi que Z'a- mie , qui était beaucoup plus estimée. Ce der-

+ -

i50 ANNALES .

nier poisson nageait aussi en grandes troupes ; comtme les tons etles pélamides : comme eux, suivant Aristote , 1l passait de la Méditerranée dans le Pont-Euxin. Oppien dit qu'il se plaît aux embouchures des fleuves, et qu'il s’'en- graisse dans les eaux douces chargées des graisses végétales qu'ils entrainent. Quoiqu'in- férieur en taille au thon, il est armé de dents fortes et serrés; s'il se voit pris à lhamecon, il a l'instinct de s’élancer vers la ligne, de la saisir et de la couper. Les poissons de cette es- pèce qui se pêchaient dans l’Hellespont étaient les meilleurs suivant Lycophron. 1

Dapper observe aussi qu'aujourd'hui, les poissons qui ont fait quelque séjour dans la mer Noire , dont les rivages sont encore garnis des végétauxetdes plantes qui leurconviennent, sont bien supérieurs en qualité à ceux qui se pêchent dans les eaux de Archipel.

Le scare, la dorade et la sargue furent également l’objet de la pèche des Grecs. Les scares d'Ephèse jouissaient d’une grande ré- putation; on en péchait beaucoup auprès de ‘ile de Rhodes, ce poisson trouvait les fonds qui lui convenaient : car chaque espèce a une prédilection pour ceux qui sont relatifs à ses goûts, à ses mœurs, à ses alimens, et cette prédilection est surtout remarquable en

« EUROPÉENNES. 151 faveur des lieux , dont les rives sont boisées et chargées des tégétaux qu’elle préfère.

Le nom de chrysophrys ou de poisson aux sourcils d’or, fut donné par les Grecs à la do- rade. Ils connurent les principales habitudes de ce spare: ils n’ignoraient pas ti ’en été ce * poisson se plait dans les étangs s’introduit l’eau de la mer; qu'il aime à frayer aux em- bouchures des fleuves , comme la plupart des poissons saxatiles.

La famille des spares à laquelle appar- tiennent la dorade et le sargue, compte un grand nombre d'espèces que les Grecs péchaient également dans toutes les eaux de l’Archipel ; mais les descriptions qu'ils en ont laissées, n'exprimant pas leurs caractères spécifiques, sont si imparfaites, que c’est un véritable dé- ‘dale, dont il est difficile de sortir avec avan- tage. Il est cependant important de remarquer que le poisson salé était devenu chez ce peuple - l’objet d’un commerce immense avant même “le règne d'Alexandre et dans les derniers siècles de la liberté de la Grèce.

La pêche du thon peut être considérée comme une des plus anciennes et des plus im- portantes de celles qui fleurirent sur les côtes, d'Espagne. Les nombreuses colonies que les Phéniciens y jetèrent, notamment dans la Bé-

2: II

Anciennes et riches

pèches du

hou,

122 ANNALES tique, façonnèrent les naturels à cette pêche , _ surtout les habitants de la célèbre Gadès , au- jourd'hui Cadix, qui y trouvèrent une féconde source de richesses. È r

Les habitants de Gadès furent, suivant Sua- rez , les premiers de l'Espagne qui pêchèrent le hs et donnérent à ce poisson les prépara- tions hab. pour être. transporté, ven. du et consommé en d’autres contrées.

On se servait de madragues pour cette pèche. Les Phéniciens en mirent l'usage en vogue parmi les Espagnols de Gadès, et il devint . commun à toutes les colonies qu'ils fondèrent | successivement depuis Emporias jusqu'aux colonnes d'Hercule , et qu'ils étendirent dans

le grand Océan, sur la côte d'Afrique jusqu’au fleuve Lixo, leurs bâtiments se rendaient pour cette pêche.

Gadès n'était pas la seule ville d'Espagne à . qui la pêche du thon procurait les faveurs de la fortune. Carteia, placée sur la côte de _ Bétique, dans la partie la plus resserrée du dé-

_troit, profitait des avantages de sa position : sa _péche rivalisait avec lle de Gadès. Malaca , Hexi et Abdera , étaient aussi de riches stations espagnoles pour la pêche du thon et du colias. Celle dans les eaux douces n’était pas moins remarquable dans la péninsule : elle se compo

EUROPÉENNES. 153 sait d'esturgeons , de saumons et d’aloses, qui fréquentaient dans une grande abondance ces beaux fleuves alors couverts de végétaux : aussi

d'Espagne continua-t-elle, sous les Romains, d'être la contrée s’'approvisionnait en pois- sons une partie des peuples d'Italie et de la Grèce. Nous aurons souvent occasion de signa- ler la cause principale de la diminution de cette abondance , qui était universelle dans les premiers temps.

Les Romains, du temps de Pline, conti- nuérent de ranger le thon parmi les cétacées, ainsi que l’avaient fait les Grecs. Cet usage qui se maintint pendant plusieurs siècles, prouve que ce poisson pélagien parvenait à une grande grosseur. C’est à lui qu'on rapporte l'étymo- logie du nom de Cétobriga, ville de la Lusi- tanie, assise sur les bords du golfe que lA- nas, aujourd'hui la Guadiana, formait à son . embouchure. Cette ville dont les sables de la mer ont énvahi le territoire, était le siège d’une pêche considérable de thons. .

Pline fait mention d’un de ces poissons qui Poids re- pesait quinze talens, ou six cent soixante- Ds quinze livres, poids de France. M. de Lacépède a révoqué en doute ce poids, qui lui paraissait supérieur à celui des plus gros thons pêchés de nos jours dans les madragues de Marseille.

IX,

L

154 ANNALES

Cependant, suivant M. Azuni , qui paraît digne de confiance, il n’est pas rare de pêcher en Sardaigne des thons qui pesent huit cents à mille livres, et souvent il en a vu de douze cents, poids qui surpasse beaucoup celui dont parle Pline.

Il a été pêché à l'ile d'Elbe, en 1766, un

thon , pesant onze cent quatre-vingt-dix livres; dans les années 1700 et 1792, il en a été pris du poids de mille livres et au-dessus. On en pêche tous les ans qui pèsent huit à neuf cents divres, poids de Toscane. . M. Azuni écrivait en 1802, en Sardaigne: « Le thon est un des plus gros poissons que l’on pêche dans cette mer. Parmi nos pêcheurs des madragues, si le poisson pris ne pèse que cent livres, on ne l'appelle que scampirro , c'est-à<dire , chétif poisson. S'il ne surpasse point trois cents livres, on lui donne à peine le nom de demi-thon ; mais de trois cents livres et en sus, 1l commence à mériter de glorieux titre de thon. Aussi il n’est pas rare qu’on en pêche en Sardaigne du poids de huit cents à mille livres , et j'en ai vu très-souvent de douze cents livres. »

« Onpêche encore aujourd’hui ,en Sardaigne, entre cinquante et soixante mille thons par an, qui produisent uu million de francs »

EUROPÉENNES. 155 ‘On voit par ce récit, fait sur Îes lieux, que: cette pêche annuelle , dont la mer fait seule les frais, équivaut, uniquement en thons , à un produit de trente-quatre mille bœufs , du poids de six cents livres; produit qui dépasse ce que tous les paccages de la Sardaigne peuvent produire ; et ce n'est peut-être que la moitié des tributs dont jouit cette seule ile, en mille différentes espèces de poissons. La pêche de ce ps était florissante sur De

portance

les côtes d'Italie et l’île de Sicile. Il y avait à qes ancien-

Cosa surtout une tonnare célèbre, réputée la Rem 1 plus productive de la mer Tyrrhénienne, le poisson étant attiré dans son voisinage par la multitude des murex qui s’y trouvaient réu- nis. Strabon, qui vivait dans le premier siècle de l'ère chrétienne, fait déjà mention des ton- nares ou madragues de l'île d’Elbe : d’autres établissements semblables étaient-PtittSsur la côte qui lui est opposée ; depuis le por d'Her- cule, aujourd'hui Porto-Ercolo jusqu’à l'em- bouchure . l'Ombrone. La même pêche n’a- vait pas moins d importance en Sicile, notam- ment à Céfalo. Cette péche était également exploitée avec le ‘plus grand succès sous le promontoire Pachynum , aujourd’hui le cap de Passaro, et depuis Drepanum jusqu'à Lilybée, La côte fournissait d’excellent sel qu’on fabr<

Lo

156 ANNALES

« quait dans les baies, et qu'on employait à la | préparation du thon. La ferra- cetaria , qui s'étendait alors depuis Ségeste jusqu'au cap appelé aujourd'hui Santo-vito, portait le nom de Cetaria , à cause dela grande quantité de thons qu'on prenait dans ces parages.

Oppien a très-bien décrit les détails de la pêche du thon, telle qu'on la pratiquait de son temps. Il pense qu'après avoir payé leur tribut aux pêcheurs de la mer Tyrrhénienne, les thons rompaient leurs rangs, et se por- taient sur tous les points de la Méditerranée. Il expose la manière dont on les entourait , et l'usage l’on était d’avoir, comme chez les Grecs, une vedette qui, du haut d’une tour élevée, annonçait la présence des thons, et si- gnalait la direction de leurs mouvements. La timidité de ces scombres et leur disposition à fuir, à la vue du premier objet qui les ef- fraie, se trouvent aussi rappelées. dans les vers d’ an

Le thon avait joui chez les Grecs d'une grande célébrité, qui se maintint sêus les em- pereurs romains. Ce poisson fut toujours con- sidéré chez les deux nations, comme un sym- bole visible dela généreuse prodigalité de la nature, On continua de pêcher beaucoup de thons à Samos, à Byzance, à Caryste el dans

e

1

EUOPÉENNES. 197

la Sicile : les produits annuels de cette pêche

placèrent toujours ce scombre au rang des poissons les plus utiles. Elle conserva long- temps sa réputation et son importance : elle perdit l’une et l’autre, lorsque les nations du Nord eurent envahi l'Italie, et que la Sicile fut tombée au pouvoir des Sarazins. Il n’en est plus fait mention dans les écrivains du Bas- Empire.

Nous devons ajouter que, vers le milieu du XV° siècle, l'Espagné tirait encore de grands avantages de la pêche des scombres; que celle du cavallar et du bisole (les deux auriols des côtes de Provence ) enrichissait les habitants des royaumes de Murcie et de Valence, et que les bénéfices qu'ils obtenaient alors de cette pêche n'étaient presque pas inférieurs à ceux de la pêche du thon, à l'époque de sa plus grande splendeur, Les Espagnols” de ces deux royaumes avaient rappelé ces siècles d’abon- dance et de prospérité si vantés chez les an- ciens. La pêche du cavallar et du bisole avait acquis une telle importance, elle employait tant de bras, qu’elle pouvait être considérée comme une des premieres pêches de la Médi- terranée.

A peu de distance de la ville d’Alicante, ap- pelée Tudemir, sous le gouvernement des

Dirmioution des poissons alimtalaires,

158 ANNALES

Maures, était une ile petite quant à son éten- due, grande sous le rapport de sa pêche ; cé- tait pour la Méditerranée, ce que fut l'ile de Rugen pour la Baltique, comme nous le ver- rons dans le prochain cahier.

Il y a eu un temps où, entre Collioure, Port vendre et le cap Cerbère ( Pyrénées-Orien- tales), un homme placé en vedette dans une tour élevée, était chargé d'annoncer aux nom- breux pêcheurs l’arrivée du thon, qu'ils ap- pellent veau de mer ; ce poisson, après avoir déjà côtoyé plus de neuf cents lieues de rives, arrivait encore dans une telle abondance, que la mer semblait en être farcie, et que, par sa masse, il formait des houles qu'on distinguait au loin.

Aussitôt l’heureux signal donné, on s'élan- çait avec alégresse dans les barques, pour faire une pêche si riche, que quoique la chair de ce poisson soit excellente, qu'elle peut être marinée, se transporter partout et se conser- ver long-temps , on était encore obligé d'en brüler une grande quantité pour en extraire simplement l'huile.

Nous en avons vu faire la pèche il y a trente ans : il ne fallait plus ni vedette, ni tour, ni canon, pour voir et annoncer l’arrivée de ce poisson : une trentaine de barques suffisaient

EUROPÉENNES. 159

pour recueillir les faibles files de ces poissons

voyageurs. Cherchant le motif de la fatale disparition Gau:es de de ces nombreuses colonies de poissons, qui" din

| eNe si périodiquement de la mer

oire, par troupes serrées, depuis le commen-

nution.

cement des siècles, pour venir consoler et ré- jouir tous les habitants des rivages de la Mé- diterranée, nous avons cru le reconnaitre, pour ce parage, dans le déboisement on peut dire complet de ces belles Pyrénées , qui, cou- vertes naguere de. vieilles, d’épaisses forêts, projetant leurs larges et noirs ombrages sur la mer, offraient avec leur sécurité au frayage, les plantes, les insectes et les gras limons que les poissons recherchent par nécessité. Le dé- boisement aujourd'hui presque général des ri- vages de la mer, est, n’en doutons pas, la cause réelle de la diminution sensible de tant et de si innombrables poissons, que la nature multipliait dans le silence des eaux, pour les ajouter aux biens terresires et combler ainsi les besoins et les jouissances de l’homme.

Ici se présente à notre admiration , après le prodige de la plus merveilleuse fécondité des poissons alimentaires, un prodige tout aussi grand : c'est cette intelligence, cette voix toute- puissante et secrète, qui donne à une époque

Merveille

des voyages périodiques

des poissons.

100 ANNALES

fixe, à des millions de gros poissons engraissés dans la mer Noire, l'impérieux signal de la quitter, pour aller habiter pendant six mois une autre mer ; de porter partout leur super- flu sur la table de l'homme, de l’étendre sur plus de mille lieues en longueur, sur cinq et six cents lieues en largeur; et, après avoir com- plété leur tribut sur cette route immense, qui s'étend depuis le Bosphore jusqu'aux Colonnes d’Hercule, cette même voix semble leur dire encore d'aller se multiplier dans le calme de ces mêmes eaux, qui ont été le théâtre de leurs sacrifices, pour conduire ensuite les gé- nérations nouvelles dans cette autre mer , qui doit les nourrir et les grossir, pour venir retrouver six mois après leurs eaux natales. Enfin l’époque arrivée pour effectuer le re- tour dans la mer Noire, toutes ces légions de poissons muets se tournent de tous les points vers l'Orient ; mais , est cette boussole qui a existé avant la nôtre, pour les diriger ? est ce pilote habile, qui va réunir et conduire tant de peuplades diverses, dispersées dans les eaux d’un immense espace ? quel est ce géographe, qui tient l'itinéraire d’une route sans traces, et sur laquelle ces poissons font cependant, chaque année, mille lieues pour aller, mille lieues pour revenir sans se tromper Jamais ?

EUROPÉENNES. 1Ô£ quel enfin est cet astronome, qui montre du fond des abimes, sur le front du brillant fr- mament, le point fixe, vers lequel tant de voyageurs épars doivent arriver de toutes les distances dans un temps donné? Cependant tout arrive au moment prescrit, tout file avec rapidité à travers les deux détroits de la Pro- pontide, comme vers une autre terre de pro- mission , et rarement la lune de mai n’a vu de parjures.... Nous verrons parmi tous les ani- maux voyageurs la terre, des airs et des eaux , ce guide invisible , cette intelligence su- périeure et mystérieuse, confondre les calculs de la science humaine.

Une multiplicité de poissons divers, comme l'anthias , le mormyre ,\'hippure , le pagre, la trigle-hirondelle, a rascasse, et quantité d’autres remarquables soit par la vivacité de leurs couleurs , ou par la bonté de leur chair , n'ont pas échappé à l'attention des Grecs, di- rigée vers tout ce qui flattait leurs yeux et leur appétit.

Un poisson plus célebre chez eux était le pompile ou luckos. Is pensaient que ce cori- phène avait été engendré du sang du ciel en même temps que Vénus: ils ui accordaient l'instinct privilégié à guider les bâtiments qui traversaient la Méditerranée et lHellespont ;

169 ANNALES c'est pour cela qu'il était consacré à Neptune, et que les marins le révéraient en particulier, comme un poisson qui présidait au bonheur de leur navigation FES Oppien représente les pompiles comme des

cormsiacre

comme de Compagnons fidéles des marins, qui égaient

bon augure bar leurs mouvemens à la surface de l’eau l’en-

ak UE mui de la navigation. Les uns, dit-il, se tiennent près du gouvernail ; d'autres nagent en avant du navire, sans jamais le perdre de vue : ils l'accompagnent dans sa course ; mais aussitôt que le pompile approche de terre, la crainte de s'échouer sur le rivage l’arrête ; il ralentit soudain sa marche; c'est un signal donné aux mariws d'être sur leurs gardes : s'ils sont près des côtes, il cesse de les accompagner : mais partout il se montre, il annonce le souffle favorable des vents et sa présence est le présage infaillible d'une heureuse navigation. On di- sait pompile d'Olynthe et de Mégare, comme anguilles de Béotie, pagres d'Erythie, saupes des ébudes , etc., pour exprimer l'excellence de leur qualité, et que ces poissons gagnaient dans les bons fonds qu'ils fréquentaient.

Lanthias, L'anthias poisson fortet vorace, vitégalement

dE en troupe. Suivant les Grecs, il n'y avait point

de poissons malfaisants sur les fonds qu'il se

plaisait à fréquenter; aucun animal dangegeyx

EUROPÉENNES. 163

pour l'homme ne pouvait habiter dans les mêmes eaux; et les plongeurs employés à la pêche des éponges, podvaient descendre avec sécurité jusqu'au fond des mers, dans les en- droits se rencontrait ce poisson ami de l'homme. « Ils croyaient, dit M. de Lacépède, que l'éclat de sa beauté était un talisman. »

Les pêcheurs Grecs avaient étudié les appé- tits , les goûts dominants à chaque espèce de poisson. Leur expérience leur avait démontré que les meilleurs fonds de pêche sont ceux qui se trouvent garnis de beaucoup de plantes marines. La raison qu'en donne Aristote est juste : les poissons herbivores y trouvent plus de pâtures; ceux dontles habitudes sont voraces, y rencontrent plus de poissons. Ils savaient très- bien que les heures du jour les plus favorables à la pêche sont celles du crépuscule du ma- tin et de celui du soir.

À la faveur de cette étude, les Grecs s'é- taient attachés à connaitre les appats naturels et factices qui convenaient le mieux à certaines espèces. Ils s'étaient assurés que toutes ne mordaient qu'à des amorces fraiches, et. que plusieurs en exigeaient qui eussent une odeur particulière, désagréable même pour l'homme, telle que les émanations de la chair grillée du polybe, celles du fromage pourri de. lait de

D Fonds fa- vorables aux

pèches.

Prépara-

164 ANNALES

chèvre. Quand les appâts naturels leur man- quaient , 1ls y suppléaient avec des substances qui les imitaient. C'est ainsi qu'avec de la laine teinte en pourpre et des plumes, ils par- venaient à imiter le murex pour attirer les thons.

La mer Egée, réputée orageuse et pleine de courants, était considérée comme le réservoir par excellence des poissons les plus recherchés pour leur qualité supérieure; et dans ce genre de réputation, la mer Tyrrhénienne était la seule qui rivalisat avec elle. On n’estimait pas au même degré les poissons de l'Adriatique, dont la chair offrait moins de saveur et de fer- meté, parce que les fonds n'étaient pas aussi favorables.

Les pêcheurs n'ignoraient pas que les aqua- tiles en général sont meilleurs pour Pusage de la table, avant la fraie qu'après avoir jeté leurs œufs : ainsi la préférence était successivement donnée aux espèces, suivant les différents mois de l’année elles se disposent à frayer.

Les Grecs donnèrent diverses préparations

tions diver- aux poissons, dont il est parlé dans ceux de

ses que les

anciens don-

leurs auteurs qui ont traité de la diététique.

naient aux Ils avaient plusieurs manières de les préparer

poissons.

avec le sel, de les mariner avec de l'huile et des aromates, par des procédés sans doute sem-

EUROPÉENNES. 165 blables à ceux que nous retrouvons dans le solfe de la Spezzia et sur d’autres points de la côte d'Italie. Ils les distinguaient d’après les espèces de poissons entiers ou divisés, soumis à ces apprêts simples ou composés. Par ces di- vers garums ils fixèrent dans le commerce la réputation de certains poissons. C'est ainsi qu'on disait congre de Sinops, pélamide de Byzance , colias d'Espagne , squatine de Snirne , thon de Gadès, coracin du Nil, an- guille du Strymon, pour indiquer les meil- leures espèces offertes à la consommation.

Eschyle et Sophocle ont parlé du garum de poisson , mais sans désigner l'espèce dont on l'obtenait : il est certain qu'il y en avait de plusieurs sortes : on pense que le plus recher- ché était fait avec les intestins du smaris, qui est le picarel des modernes. On en composait avec les viscères de diverses espèces de scom- bres , péchés sur les côtes d'Espagne. Il en venait aussi d'Egypte et d’autres contrées , dont les préparations flattaient le mieux la sensua- lité, Aussi Athenée, pour donner une idée de la saveur délicate des poissons préparés avec ces sauces ou garums , dit que les repas recher- chés, la bonne chère ne consistait qu'en viande et en fruits rares, n'étaient pas compa- rables à ceux qui se composaient de poissons

La:

160 ANNALES

ain assaisonnés. C'est en leur donnant la préférente sur tous les autres mets, TE les ichtyophages furent les sybarites de la Grèce proprement dite. Plutarque observe à cette occasion , que si d’une part, le nom de poète est donné par excellence à celui dont les vers l'emportent sur ceux de ses rivaux, de même le poisson doit être considéré comme l'aliment le plus délicat, le plus exquis, et celui qui mérite d’être préféré à tous les autres.

Parmi les différentes espèces de raies de Méditerranée , se présente la torpille électrique dont Hypocrate recommande fusage dans plu- sieurs maladies. Oppien représente cette raie: comme un poisson dont les mouvements sont lents et incertains. D’après une connaissance parfaite de l'étendue de la puissance terrible qui lui est départie, la torpille se place négli- gemment sur un fonds de sable; elle y attend qu'un poisson, trompé par sa couleur qui imite une vase rougeàtre, vienne exciter sa faim et soit immolé à ses appétits. A peine en est-il faiblement touché, que le sang cesse de circuler dans ses veines : la tête de Méduse ne produisit jamais d'effet plus prompt, il n’a pas la force de fuir. « Tel dans un songe, ajoute Oppien, l’homme effrayé qui voit le danger voudrait, maisen vain,sy soustraire : ses

EUROPÉENNES 107 pieds lui refusent leurs secour$; inhabiles à tout mouvement, ils trahissent l’action que la crainte veut leur imprimer. » Il était déjà re- connu que la vertu électrique dela torpillenese concentrait pas seulement dans l’animal, mais qu'elle pouvait transmettre l’action de ce fluide fulminant par le bois, le fer du trident, et quelle engourdissait la main de ceux qui te- naient ces instruments de pêche.

Nous verrons dans la suite, que plusieurs fleuves recelent des poissons , doués de cette vertu foudroyante à un tel degré de force, qu'ils peuvent tuer les animaux les plus grands et les plus vigoureux. Cette sorte de phéno- mène , l’on voit le faible, armé de la puis- sance la plus redoutable contre la force, est de nature à donner lieu à bien des réflexions.

Les Romains paraissent avoir long-temps piches des pêché une espèce de squale , appelé vulgaire- Romaios. ment chien de mer. La chair de ce poisson est d'une qualité trés-médiocre ; mais on sait qu’à Rome ce ne fut pas toujours aux meilleures choses que la préférence fut donnée; dans ces temps d’un luxe frivole, un poisson pêché entre l'ile de Malte et la Sicile ne pouvait pas- ser que pour excellent. Voici en quels termes Sestini s'exprime à l'égard de ce squale.

On pêche beaucoup de squales dans le I. 12

»

168 | ANNALES -

>».

»

Chiens de

mer,

: iR canal de Malthe, c’est-à-dire, dans cette par:

tie de la Méditerranée qui se trouve éntre l'île de Malthe et la Sicile. »

« Ce poisson, qui ressemble à une grosse anguille, si l’on en excepte la tête, qui ap- proche de celle d’un jeune chien, est pres- que blanc; sa chair est peu estimée, quoi- que les matelots la mangent sans répugnance, mais avec beaucoup d’assaisonnement. Ce poisson n'est recherché que pour la peau, que l’on prépare en chagrin et dont on fait des fourreaux d'épée qui sont blancs. La chair de ce squale est très-phosphorique. » Dès le règne des premiers Césars, on faisait

venir les poissons de toutes les contrées de

leur empire, et qu'on nourrissait dans de vastes réservoirs , dont le fond limoneux était appro- prié à leurs besoins.

Grand vi-

Il y avait déjà à Agrigente, en Sicile, un

vier en Si- vivier de cette espèce que les babitans avaient

cile.

fait construire à grands frais pour Gelon,

quand la Sicile avait des souverains particu-

-liers : on assure que l’on en voit encore les

ruines. Ja circonférence de ce vivier, entouré

d'une muraille épaisse, présentait un dévelop-

pement de sept stades; il était alimenté, sur une profondeur de vingt coudées, par une foule de sources et "de gros ruisseaux qui ve-

[I

En. EUROPÉENNES. | 169 | aient s'y réunir. On y nourrisait, dit-on, les poissons destinés aux festins publics : sil à servi à cet usage, il n'est pas douteux qu'on n'y ait rassemblé des poissons que les fleuves de la Sicile ne possédaient pas; ce qui leur donnait un plus grand prix aux veux des Romains.

Le scare, poisson saxatile, qui dort entre Recherchs lés rochers , fut compté, chez les Romains , au des Romains

en divers

nombre des délices de la table, avant sa natu- colo A

ralisation dans les mers d'Italie, puisque Horacela Méditer- en fait méntion à une époque l’opulence, la débauche, la dépravation générale avaient anéanti la simplicité primitive des mœurs , ét qu'il s'élève contre la profusion sans bornes, qui avait remplacé dans les festins du peuple l'antique sobriété; car, dans les beaux jours de la république, l'usage du poisson fut très-peu répandu. Ovide, faisant l'éloge de la frugalité qui régnait alors à Rome, dit bien clairement que Les Romains ne s'adonnaient point à la pêche, et que les productions de la mer, jugées trop délicates pour un peuple guerrier, ne Üguraient pas sur la table des anciens quirites. Mais, sous les empereurs, le scare, en parti- culier, obtint une étonnante célébrité. On at: tachait un prix extravagant au foie de ce pois: son ; on le servait avec les intestins dans les 12:

170 ANNALES

repas des patriciens , au milieu des mets com- posés des productions les plus rares de la Perse et de l'Inde. Suétone fait mention des scares dont on couvrait ce plat d’une gran- deur énorme , appelé Ze bouclier de Minerve, si fameux sous Vitellius. Insensiblement l’es- pèce a déserté la côte d'Italie, peut-être elle ne trouvait point les herbes dont on assure qu'elle se nourrit. On prétend que le scare des anciens se pêche encore aujourd'hui sur la côte orientale de l'ile de Crète.

Les Romains ne prisaient pas moins la do- rade , poisson du genre des spares. Ces poissons étaient de ceux qui leur inspirèrent l’idée de construire des bassins artificiels, pour que leur sensualité n’eût rien à désirer en aucune sai- son, lors même que Neptune, couvrant la mer de tempêtes, semblait interdire la pêche.

Tant que Rome eut Carthage pour rivale, la pêche ne fut pratiquée que pour les besoins du peuple : ce qu’elle reçut d'encouragement ne fut qu'à la nécessité d'augmenter le nombre des hommes de mer pendant les guerres puniques. Mais, délivrée de cette. re- doutable ennemie , Rome céda insensiblement aux charmes du luxe, et la pêche fut considé- rée comme un des principaux moyens de sa- tisfaire à la pompe des festins des sénateurs,

EUROPÉENNES. 171

des familles patriciennes et de tous ces hom- mes nouveaux, enrichis des dépouilles de l'A- frique et de l'Asie, La chasse ne procurait plus de mets assez rares ni assez variés : on recher- cha avec une ardeur incroyable ces poissons nés dans les mers étrangères , que des tempêtes ou d’autres circonstances amenaient de FOcéan dans la Méditerranée. Un luxe inoui brava les lois somptuaires. Des bâtimens.légers étaient expédiés pour les côtes de Sicile et d'Ionie, et ne faisaient d'autre service que d’en rapporter du poisson.

Rome recevait de Brindes, de Tarente, de Messine, des espèces délicates et recherchées, tandis que les Iloniens, qui avaient inventé des barques à réservoir, excellentes voilières, apportaient dans cette capitale du monde les poissons vivans. Tant de moyens de satisfaire les plaisirs de la table ne suffisaient pas en- core aux Romains. Les vents contraires et les tempêtes s'opposaient quelquefois à la naviga- tion de ces barques; les plus riches Romains firent élever sur les bords de la mer des digues assez fortes pour résister aux vagues. D'autres firent ouvrir des montagnes : on y creusa d'im- menses viviers, dans lesquels on déposait les poissons des côtes de Syrie, d'Egypte, des îles de Rhodes et de Crète, pour les avoir à sa dis-

172 ANNALFS

position dans toutes les saisons , sans que les vents pussent s'y opposer,

Il y avait deux sortes de viviers : les uns étaient alimentés par l’eau douce, les autres par l’eau salée. Les premiers , ou les plus an- ciens de tous, furent appelés les viviers plé- béiens , depuis que les patriciens dédaignèrent d'en posséder de semblables : ils ne conte- naient que des. poissons connus , tels qu'il s'en voit dans nos étangs ; ce qu'il est aisé de conclure des expressions de Varron et de Columelle.

Viviersdes Les viviers ou bassins qui recevaient l’eau omains. de la mer étaient les plus estimés, les plus

dispendieux. L. Lucullus et Q. Hortensius ,

à personnages consulaires , et ensuite L. Philip- pus, se firent une réputation scandaleuse ; par les sommes énormes qu'ils employerent à la construction de ces grands bassins, qui en- trainaient autant de travaux que l'établissement d'un port de guerre.

Viviersde Licinius Muréna fut le premier qui donna Eau. ya grande vogue aux folies de ce genre ; il n'eut que trop d'imitateurs , et fut même sur- passé par Lucullus. Ce dernier, après avoir fait percer une montagne, près de Naples , pour introduire l’eau de la merdans ses bassins, ne pa: rut, dit Varron, céder eu rien à Neptune dans,

EUROPÉENNES. 173 son empire sur les poissons. Il fit creuser des cavernes , pendant l'été, ils trouvaient une fraicheur délicieuse appropriée à leurs be- soins ; et ainsi que, dans cette saison , on avait recours en Apulie, aux grottes formées par la nature dans les montagnes du pays Sabin, pour y mettre les troupeaux à couvert des ardeurs du-soleil, ainsi Lucullus ménagea la méme faveur aux poissons de ses domaines. Suivant Pline, il dépensa plus d’or dans ces travaux, qu’il n’en avait employé à créer sa superbe maison de campagne, et ses parcs , et ses jardins , dessinés et ornés à la manière des Asiatiques.

| Après ce gout effréné, dont les viviers Poissons

bassins märitimes furent l'objet, la grande *Pprivoisés. passion des hommes riches était de posséder des poissons apprivoisés : 1l serait difficile de faire connaitre les diverses espèces qu'ils facon- nérent à cette servitude domestique ; les au- teurs les désignent sous les noms de mulle, de muge , de loup, de rhombe, de murène, de dorade. Cicéron, dans une de ses lettres à At- ticus, observe avec indignation, que les grands de Rome mettaient tout leur bonheur et toute leur gloire à posséder dans leurs viviers des mulles ou mulets barbus , assez privés pour se laisser toucher ; et Pline parle de poissons qui

174 ANNALES

étaient dans ceux de l'empereur Trajan, et qu'on avait accoutumés de se rendre à la voix de ceux qui les appelaient.

Les Romains ne peuvent se comparer à au- cune nation , sous les rapports du luxe qu'ils mirent dans ce genre de consommation. Colu- melle et Varron s'éleverent avec force contre cette prédilection aveugle et désordonnée qu'on leur prête pour les productions naturelles des eaux sur les autres aliments. Le premier leur reproche avec raison les sommes immenses qu'ils dépensaient ; et de même, dit-il, que de grandes famillles se glorifiaient de surnoms qu'elles devaient à la reconnaissance publique pour des actions honorables ou utules, de même on voit Sergius dorade et Sergius mu- rène s'enorgueillir de noms empruntés de ceux des poissons dont leur luxe fait toute la célébrité. Ce goût ruineux avait passé dans les diveræs classes des habitans de Rome : cette grande cité comptait une foule d'hommes qui épuisaient les mers en poissons ; et cet abus ne fut pas une de ces calamités passageres aux- quelles remédie l'amour du bien, quand la ré- flexion a dissipé le prestige : Juvénal ne nous a point laissé ignorer que, de son temps, le nombre des filets tendus sur la côte était en- core si considérable qu'on ne donnait plus au

7

RC A.5

EUROPÉENNES, 175 poisson de la mer Tyrrhénienne le &mps de grandir.

Ces vastes viviers, les riches trouvaient réuni en tout temps, ce que l'Europe, l'Asie et l'Afrique pouvaient offrir de plus rare, exi- geaient un entretien qui ruinait les famulles : ce qui fit donner le nom d’antropophages à certains poissons dont la valeur n'avait plus de bornes.

La nourriture qu'on donnait à ces poissons pour les maintenir en bon état, car on prenait plus de soin de leur santé que de celle des esclaves, coùtait des sommes considérables. On les nourrissait avec d’autres petits poissons qu'on y apportait sans interruption des bords de la mer; ce qui occupait un grand nombre de bras. Hortensius mit le premier cet usage

en vogue, en préposant des pourvoyeurs par-

ticuliers, pêcheurs de profession , à l'entretien de ses viviers. Lorsque les tempêtes ne per- mettaient pas de pêcher, on avait recours à de petits poissons marinés, pour suppléer à ceux que la mer devait fournir.

Ces viviers, divisés en grands compartimens, pour que les poissons ne se mélassent point et qu'on püt les pêcher plus aisément, se ven- daient des sommes énormes ; la valeur du poisson r'y entrait pas pour la plus grande

Fastes et entretien des viviers.

176 ANNALES part : néanmoins Caton l'ancien, tuteur des enfans de Lucullus, retira un prix considé- rable de celui qui peuplait les viviers de leur pere. f

Vainement , vers la fin de la république, avait-on multiplié les lois somptuaires : l'in- vasion du luxe avait fait trop de progrès, pour qu’on obtint un heureux résultat de ces lois ; et ce frein salutaire ne produisit pas un meil- leur effet sous l'empire des premiers Césars. Les Milon, les Pollion, les Apicius, ont laissé dans les fastes de la dépravation du temps, des noms que leur célébrité scandaleuse a fait par- venir jusqu'à nous; et l'histoire nous apprend que le frère d'Othon fit servir à cet empereur un souper il avait réuni deux mille plats de poissons rares ; ce qui suppose qu'il avait

mis à contribution, pour ce jour de fete, les

mers , les lacs et les fleuves d’une grande par- tie de l'empire romain.

La dorade , à l’occasion de laquelle nous avons parlé des viviers de Rome, fut comptée quelquefois au nombre des poissons sacrés, comme chez les Grecs. L'élégance de sa forme lui avait mérité cette faveur. A cet avantage elle joignait celui d’avoir une chair excellente et la faculté de vivre indifféremment dans les eaux douces et dans les eaux salées. On avait remar-

EUROPÉENNES, 277

qué qu'au printemps elle passait dans les étangs naturels ou les lacs qui communiquent avec la mer : le luxe des Romains s'empara de cette dé- couverte; on l’introduisit dans des étangs arti- ficiels, furent placés les coquillages qui lui servent de nourriture; .et l’on peut dire qu'en cette circonstance ce luxe fit naiître l'heureuse idée de la transplantation des es- pêces, dont nous nous ferons un devoir de dé- montrer la facilité de les propager dans les ù eaux de l’Europe,

Le mulle qu'on suppose étre le mulet des Le mulle. Grecs, arrivait jusquà un poids de trois à quatre livres. Ce fut un des poissons les plus recherchés et celui sur lequel s’exerça le plus la sensualité des Césars et des grands de l'em- pire romain. Sénèque et Suétone ont consigné dans leurs écrits le tableau des goûts désor- donnés que l'usage de ce poisson introduisit dans les festins des riches. On y voit avec quel raffinement de cruauté chaque convive faisait expirer dans sa main le mulle qui devait lui être servi, pour jouir du spectacle varié des couleurs qui se succédaient sur la peau du poisson mourant. On servait le mulle sur des plats enrichis Extrava- p sance d'Hé-

de pierres précieuses, avec un assaisonnemen

liogaba:e.

qui coùtait souvent aussi cher. Sous Hélioga-

, 178 ANNALES

bale, l'extravagance fut poussée à un tel de- gré, que cet empereur étant dégoüté des mulles, quoique d’ailleurs ils fussent devenus assez rares, ordonna qu'on lui servit un plat composé de barbillons de ces poissons, d’où l'on peut juger de la quantité qu'il fallut en réunir pour satisfaire un goût aussi insensé. Prixmis Les mulles pêchés dans les eaux du détroit aux mulles. de Gadès étaient réputks excellents, ainsi que ceux des mers de Sicile et de Corse. Après eux venaient, s'ils ne les égalaient en réputation, les mulles d'Exone, petite ville du territoire d'Athènes , et ceux de Tichiunte, port dans la dépandance de Milet. Le prix de ces poissons, dont une mode folle avait établi la renommée, était quelquefois excessif. Tibére, au rapport de Sénèque , mit à l’encan, entre Apicius et Octavius , un mulle d’un poids de quatre livres, et le vendit quatre mille sesterces au second de ces gourmands fameux dans les an- nales du luxe de la table (1). Asinius Celer en paya un huit mille sesterces ; et, suivant Sué- tone, trois de ces mulles furent vendus trente mille sesterces. La tète et le foie étaient les parties les plus recherchées de ces poissons.

(1) Il n’est sûrement question ici que du sesterce qui équivalait à 40 francs.

EUROPÉENNSS. 179

Sous le nom générique de murénophis , les modernes entendent les poissons que les Ro- mains appelaient mnurènes. Cette dénomina- tion consacrée par M. de Lacépède , est d’au- tant plus juste et plus nécessaire, que souvent languille est désignée par le nom de murène chez les anciens. Hirrius est le premier qui ait conçu et exécuté le projet d'établir des vi- viers qui ne devaient contenir que des mu- rènes ; et l’histoire nous apprend que dans un repas donné à César, qui venait d'être nom- dictateur, le même Romain fit servir six mille de ces poissons, dont le prix s'élevait à une somme énorme (1).

Une prédilection , qui tenait de la folie, va- lut à la murene cette inconcevable célébrité, qui se soutint pendant deux siècles et plus. Antonia , issue d'une des premières familles romaines, pleura une murène chérie, morte dans les viviers de Baies. L'histoire prétend que Crassus fut plus affligé de la perte d’un

(1) La murène est un poisson semblable à la lamproie, mais elle est plus large et a la gueule plus grande. Elle a les dents longues, aiguës et recourbées en dedans ; elle est de couleur brune; sa peau est couverte de petites taches blanchâtres; son corps est long de deux coudées.

Muréne.

i80 ANNALES

de ces poissans, qu’il ne l'avait été de celle de trois de ses enfants.

Les Romains étaient parvenus à apprivoiser des murènes, au point qu'elles accouraient à la voix de leur maître. On mettait aux opercules

"de’ces poissons des anneaux d’or, semblables aux pendants d'oreilles que portaient les jeunes Romaines; et de petites murènes d'or assemblées en forme de chaîne, et disposées en collier, furent long-temps un des objets de parure qui distinguaient les femmes les plus qualifiées , ce qui avait encore lieu vers la fin ‘du siècle ét même plus tard. Nous ne ré- péterons pas l’action atroce de Vedius Pollion; elle est rapportée par plusieurs auteurs dont le témoignage n'est pas suspect. Elle prouve que la murène, quoique susceptible d'être appri- voisée, ne perdait rien de sa voracité naturélle; et que la violence de ses appétits était la mème, soit qu'elle fut esclave dans les viviers ; soit qu'elle füt libre au milieu des mers.

Les murenes les'plus renommées venaient des côtes de la Sicile, de la Bétique et de la mer: de Carpatie; ce que Suétone nous apprend dans un passage il parle des débauches de Vitel: lius. Les laitances étaient la partie de ce pois- son Ja plus délicate; et chose difficile à croire, si tout ce qu'il y a de plus extravagant n'éta

EUROPÉENNES. 18i croyable quand l'histoire lattribue à Hélioga- bale, Lampride assure que cet empereur fit nourrir des gens de campagne, sur la côte d'Italie, avec des laitances de murènes et de loups, seul moyen qui lui restât de satisfaire sa prodigalité, en la signalant par une dépense inouie jusqu’à son règne.

Résumé sur ce qui précède.

L'observation démontre que la merveilleuse disposition des mers, crée dans l’admirable proportion indispensablement nécessaire, à produire les pluies et les rosées, à entretenir les sources et les fleuves , destinés à raffraichir, à féconder la terre et à concourir avec le vivi- fiant soleil , à faire fructifier toutes les produc- tions terrestres, pour donner à la demeure de l'homme, la vie, l'éclat, la fraicheur et l’abon- dance, qu'il trouvait partout si libéralement dans les premiers âges; mais ce miracle vivant des mers , suns lesquelles il ny aurait aucune existence possible sur la terre, et de la surface desquelles s’'échappent sans cesse les flots va- porisés, pour aller ceindre magnifiquement notre globe sous les formes variées de ces beaux nuages qui embellissent encore dans les airs la perspective de la vie, n'a point suffi

482 ANNALES

aux calculs éternels ; Dieu a voulu du même

instant, que les mers fussent aussi les intaris-

sables magasins de sa munificence, et il les

remplit d'êtres innombrables, les uns pour

proclamer sa toutepuissance dans leurs formes : et leurs dimensions imposantes; les autres, sa

céleste bonté dans leur admirable fécondité.

Nous avons déjà vu que la mer Rouge et la Méditerranée étaient autrefois habitées et fré- quentées par ces grands animaux marins dont la présence formait un spectacle harmonique à notre admiration ; mais l'homme les a pour- suivis et diminués, en détruisant jusqu'aux beaux végétaux qui étaient pour eux des ob- jets de besoins et de sécurité.

Dans ce cahier, nous voyons que les pois- sons alimentaires qui peuplent la mer Noire et la Méditerranée, parmi lesquels il y a un grand nombre d'espèces, qui pèsent depuis cent jusqu'à douze cents livres, qui affluaient chaque année par millions, pour s'offrir gra- tuitement à nos besoins et à nos plaisirs : il fallait bien qu'il y en eût hors de tout calcul, puisque les vedettes distinguaient au loin leurs nombreuses colonnes, qui noircissaient des mers larges et profondes. Ces riches récoltes que la nattre préparait seule, sans exiger au- cune culture, seraient aujourd'hui d'autant

EUROPÉENNES. 183 plis précieuses que notre population s’est ac- crue. Cependant ces pêches qui offraient des tessources incalculables, sont peut-être ré- duites au dixième de leur ancien produit! La destruction de la vie végétale est, à n’en pou- voir douter, la cause principale de si grandes pertes. Depuis des siècles on détruit sans calcul ni prévoyance , sans avoir Jamais songé à con- servér, encore moins à régénérer les sources les plus fécondes créées pour combler nos be- sOIns.

Peut-être est-il convenable, pour arrêter l'attention nécessaire sur cet important sujet, de présenter un calcul matériel des grandes moissons qu'offraient les mers, et tel ha- gardé qu'il puisse paraitre aujourd'hui , nous restons Convaincu qu'il sera encore au-des- sous de la réalité de tout ce qui se pro- duit dans les inépuisables laboratoires de la nature.

La mer Noire, la Baltique, la Méditerranée et deux lieues de pêches le long des côtes de l'Océan , égalent à peu-près la surface terrestre de l'Europe, et offrent au moins dans leurs eaux en poissons nourriciers de mille espèces différentes, la valeur des produits de cette par- tie de la terre. Si, parmi les innombrables sortes de poissons qui se multiplient dans la

É. 13

184 .. ANNALES

Méditerranée, on prend pour exemple les an: ciennes pêches du thon, on pourra raisonna- blement estimer le produit annuel de cette seule famille des scombres, à la valeur de quatre millions de bœufs du poids de quatre cents livres; de Auit millions de veaux de cent livres et de douze millions de moutons de cin- quante à cent livres... Le tableau que nous aurons à offrir dans le cahier suivant, de la pêche du hareng, prouvera que la présente évaluation est encore modérée.

S'il paraît évident que les habitants des eaux ont été destinés à compléter le domaine des productions terrestres , pour entretenir une éternelle abondance par toute la terre, il serait peut-être instant à prendre pour guide la marche de la nature , à suivre ses lois simples et faciles, à organiser une fois les pêches avec l'esprit de prévoyance que l'expérience in: dique, mais à s'attacher surtout à recréer le sys- tème végétal, comme le véritable principe vital, comme la source prolifique , de laquelle dé- pend par corrélation la prospérité de tout le règne animal. Le gouvernement qui s’occupera de la tâche facile de reboiser ces rivages, sera aussi, n’en doutons pas, le premier à recueillir au centuple le prix de ses sacrifices , en rap- pelant dans ses eaux ces nombreuses familles

EUROPÉENNES. 185 de poissons, qui ne recherchent que leur pà- ture et un refuge pour se multiplier à notre

profit.

Digression sur quelques observations physto- nomiques.

L'opinion vulgaire, qui établit que l’expres- sion du visage et surtout celle des yeux sont le miroir de l'âme, est généralement vraie. Il est de ces figures plus heureuses que belles, qui inspirent la confiance au premier aspect : si la beauté des traits s’y trouve réunie, alors elle fait éprouver un charme qui attire : on peut dire que les personnes qui en sont douées, gagnent dans notre imagination et notre con- fiance, une partie des attributs célestes accor- dés aux anges.

Il n’y a, selon nous, de figures belles, que celles dont tous les traits se réunissent à ex- primer la bonté, parce qu’il n’y a de beau que le bon : certains visages, beaux en apparence inquiètent plutôt que d'appeler la confiance, parce qu'ils n’annoncent point de passions gé- néreuses; tandis que d’autres, beaucoup moins favorisés de cette enveloppe superficielle, lais- sent entrevoir les plus heureuses qualités.

Les soucis, les chagrins, les malheurs alte-

13.

186 ANNALES

rent à la longue les traits primitifs : l’âge sur- tout en rend les traces moins sensibles : mais le fond reste, et le mystère sympathique des àmes survit à tout.

En examinant les traits, les formes, la pose et les mouvemens de l’homme, il ne serait point difficile de deviner le caractère de ses œuvres, ou celui de l'expression de son talent. Nos observations nous ont rarement trompé dans ces jugemens.

Cette digression , nécessaire ici, à cause des applications utiles qu’on aura à indiquer dans la suite de ces Annales, conduit à observer, qu’il existe sur les ressemblances, ainsi qu'en beaucoup d’autres choses, des erreurs d'ha- bitude, qui méritent quelques remarques sur cetimportantsujet, qu'on ne prétend d’ailleurs qu'effleurer. |

Les romanciers de tous les temps, de tous les pays, ont pour la plupart bâti Zeur fable sur cette erreur, que le fils devait tenir des formes et du tempérament du père, et la fille ressembler plus à la mère; tandis que dans la loi générale de la nature, c'est tout l'opposé. 1] ne faut qu'ouvrir les yeux et examiner, pour s'assurer qu'en général, le fils tient plus des traits et de la complexion de la mère, et la fille au contraire, des traits et de la constitution du

EUROPÉENNES, > TR

père. On voit aussi, mais plus rarement, des enfans avoir, d’une manière plus ou moins sensible, les traits du père et de la mére, comme on voit de même, mais plus rarement encore, le fils ressembler plus distinctement au pére, ou la fille à la mère. On peut consi- dérer ces ressemblances comme des exceptions à la loi générale; et, sans avoir la témérité d’en rechercher la cause, on peut cependant croire que Buffon, qui, dans son excès de science, n'admettait point l'effet de l'impression du re- gard, en savait peut-être moins en cela que le profond législateur des Lacédémoniens, qui avait ordonné de mettre en regard des femmes enceintes des tableaux représentant de beaux enfans.

Ce contraste apparent dans Ja fusion et dans le croissement des traits, des formes et des tem- péramens d'un sexe à l’autre, est visiblement l'effet d’une prévoyance de la sagesse éternelle, parce que ce mélange est de toute nécessité : car si chaque sexe était condamné à repro- duire sa nature isolée, il en serait infaillible- ment résulté des oppositions extrêmes dans les qualités physiques et morales : d’un coté, l'homme conservant sans mélange, sa force, son énergie et sa taille, n'aurait plus été tem-

188 ANNALES

péré par la grace, la douceur de la femme et le moelleux de ses traits ; de l’autre , la femme, réduite à sa tendresse, à sa sensibilité et à sa fai- blesse naturelle, n'aurait plus partagé le cou- rage, les formes sveltes et fortes de son autre moitié : enfin, cette angélique et double créa- ture de la prédilection divine, n'aurait plus été en harmonie!

Cette opposition nécessaire dans la ressem- blance des deux sexes, et qui existe dans tont ce qui vit ou végèle, entraine également par une route secrète aux affections opposées : d'une part, la mère éprouve sans le vouloir une prédilection plus forte pour un fils, comme le pere la ressent de son coté pour une fille : l'amour de tout ce que l'on possède de plus cher est ainsi balancé; chacun de nous a sa Juste part.

Nous voyons aussi que, d’après la même loi des mélanges, qui veut que rien ne s'al- tère, les deux sexes se recherchent et se pré- fèrent généralement, dans des tailles et des formes opposées, de sorte que le module pri- mitif de l’homme et de la femme se repro- duit sans cesse.

Il serait possible de présenter mille obser- vations importantes sur ce sujet : nous nous

EUROPÉENNES. 189 bornerons à une seule, parce qu'elle intéresse les princes et les peuples.

Le peuple, qui a une logique propre à lui, aime, en général, que les princes placés au rang suprême, soient beaux et surtout bons : ce double avantage, qui produit toujours une impression heureuse, se lie à la pensée reli- gieuse, qu'un souverain représente quelque chose de sacré sur la terre. D’après ce que nous avons établi plus haut, que les enfans mâles héritent des traits, de la taille et des qualités morales de la mère, il conviendrait de s'attacher toujours à trouver à l'héritier d’un état, une épouse qui réunirait des avan- tages aussi dignes d'être recherchés : et l’on y parviendrait facilement avec un peu de soin, puisqu’en ne consultant le plus souvent que des intérêts purement politiques, on rencontre ces heureuses convenances. L'histoire montre de nombreux exemples à l'appui de cette vé- rité.

j aa À NNÂLES

SUR L'INTRODUCTION DES CHÈVRES

DE RACE THIBÉTAINE EN FRANCE (1).

L'inrropucrion des chèvres de race thibé- taine en France est une de ces conquêtes que la reconnaissance nationale doit inscrire avec éclat, dans une des nombreuses pages qu'il reste à remplir dans les annales de la prospérité publique. Cette opération, d’une importance plus grande qu'on ne l’imagine communément, honore éminemment le mi- nistère qui l’a facilitée et soutenue, ainsi que les hommes estimables qui l’ont exécutée.

Les Æ{nnales européennes étant spécialement consacrées à tout ce qui tend à augmenter nos richesses naturelles, par conséquent les véritables jouissances sociales, nous nous fe-

(1) Ce cahier devait paraître il y a huit mois ; mais des contrariétés, difficiles à s'expliquer , ont retardé la pu- blication de ces Annales, si évidemment consacrées à la chose publique. Comme heureusement ce qui est utile ne vieillit point, on ose espérer que ce chapitre sur les chèvres thibétaines, sera encore accueilli avec indul- gence de la part du lecteur : car il ne faut pas qu'on puisse dire que nous sommes froids à accueillir , et en- core plus faciles à oublier les services rendus à la patrie.

ès

& ”, Li EUROPEENNES, I 9 [I

xons un devoir de prendre la précieuse acqui- siion dont il s’agit, dès son origine et d’en suivre historiquement les résultats. Puisant

Jes faits à la source, nous serons certain de ne

rien dire que de conforme à la vérité. Nous

commencons donc par le rapport fait à ce sujet, par M. Ternaux, à la société d’encou- ragement de Paris.

ÿ

4

Rapport de M. TERNAUX.

« Les schalls de cachemire, connus depuis ong-temps en Europe, ne furent mis en long-temp Europe, f t e vogue par les femmes opulentes, qu'immé- iatement apres l'expédition d'Egypte. Pré- diatement apres l'expédition d'Egypte. P voyant des-lors que la mode en propagerait ébi cherchai à les imiter par l’em- le débit, je cherch l ter par ploi des laines mérinos ; mais cette matière, quelque perfection qu’on apportät dans le travail, ne pouvant donner des résultats comparables à ceux qu'on obtient de la laine ont on se sert pour fabriquer les précieux dont t fabriq les f e tissus de l'Inde, je résolus de me procurer de cette laine à tout prix. » Comme on 1ignorait en France Jusqu'au nom et à l'espèce de l’animal qui la fournit, Fordonnai à un voyageur que j'avais en Russie, de faire toutes les recherches néces-

ES

102 ANNALES

»

»

saires pour découvrir quel il pouvait être. En conséquence il se rendit à la foire de Makariew , lieu situé à quelques centaines de werstes de Moscow, espérant que, dans ce rendez-vous général de tout ce qui trafique avec l'Asie , il obtiendrait des renseigne- ments. En effet, un Arménien lui fit voir un échantillon de ce lainage, et promit de lui en apporter une certaine quantité à la foire suivante : il remplit sa promesse, et lui vendit 60 livres , que mon voyageur m'en- voya renfermées dans un coussin , à l’usage d'un courrier russe qui se rendait à Paris; précaution d'autant plus nécessaire que l'ex- portation de ce lainage était alors prohibée par la Russie. Cette petite quantité me servit à faire des essais, qui, pendant long-temps, furent aussi coûteux que les résultats en étaient peu satisfaisants; ils furent contra- riés par la guerre de 1807, laquelle avait été précédée du naufrage du navire qui por- tait un second envoi qu'on m'avait expédié, ce qui m'empêcha de poursuivre mes tenta- tives jusqu'à l’époque de la paix de Tilsit.

» les renouvelai alors, et à force d'essais ma maison de Rheims, connue sous la rai- son de Jobert, Lucas et compagnie, par- vint à fabriquer des tissus qui soutinrent la

EUROPÉENNES. 193

comparaison avec ceux de l'Inde ; mais je prévis qu'on n’imiterait pas avec le même succès les palmes et les bordures , telles qu'on les confectionne dans la province de Cachemire, non par défaut de talent ou d'habileté, puisque la manière dont on les travaille est l'enfance de l'art, mais parce que le haut prix de la main d'œuvre en Eu- rope, comparé à celui de l'Inde, s’oppose- rait à ce que l’on püt établir ces objets ma- nufacturés à aussi bas prix. Je cherchai donc à exécuter au lanée, c’est-à-dire, par le pro- cédé de fabrication des étoffes brochées de Lyon, ce qui se faisait d’abord au spouling, ou selon le mode employé pour les tapis- series des Gobelins.

» Malheureusement ces schalls imités ne purent jamais prévaloir sur ceux de l'Inde, à raison même du haut prix des derniers, qui en faisait le cachet du luxe et de l’opu- lence, et qui étaient préférés sous ce rapport. » Toutefois, ces imitations que je n’ai pu rendre plus parfaites, à cause des dépenses considérables qu’elles m'avaient déjà occa- sionnées , furent exécutées avec plus de suc- cès par quelques fabricants de Paris , et entre autres par MM. Bellanger et Dumas-Des- combes, qui, en les montant sur des chaînes

194 ANNALES

»

à

de soie, purent les livrer à des prix fort in- férieurs à ceux auxquels il m'était possible de les établir. Ces derniers tissus furent imi- tés à leur tour par d'autres fabricants de la capitale, et par ceux qui se sont permis d'exploiter à leur profit des brevets d’inven- tion accordés à ma maison. Tous leur doivent une partie des brillants succes qu’avaient obtenus avant eux MM. Bellanger et Dumas- Descombes, .et notre commerce un objet d'échange, presque aussi considérable que celui que lui ont procuré mes tissus.

» Désirant néanmoins affranchir la France du tribut qu'elle payait à l’étranger pour l'achat des cachemires, et naturaliser cette branche d'industrie sur notre sol, je cher- chai à fabriquer des schalls qui , surpassant ceux de l'Inde, soit pour le tissu, soit pour le dessin des palmes et des bordures, fussent dans le cas d'en amener la mode. La société jugera, par les produits que j'ai l'honneur de mettre sous ses yeux, si J'ai réussi , et si l'on peut enfin espérer que les fleurs et les dessins de l'Europe l’emportent sur ceux de FIndostan.

» Il est à craindre que ceux-là ne venant pas de bien loin , perdent de leur mérite aux yeux des personnes prévenues , qui en

EUROPÉENNES, 19 trouvent les couleurs tantôt trop pâles, tantôt trop vives, et comme Je l’entends dire souvent, zmitant trop la peinture, sans doute parce que cet art imite quelquefois la nature. Je conçois aussi que l’idée d'acheter trop cher une marchandise qu’on croit de- voir revenir à meilleur marché, arrête plu- sieurs femmes qui désirent faire concorder le goùt de la mode et de la nouveauté avec l'économie; elles ne peuvent cependant se rassurer; car des schalls tels que ceux que je présente à la société, travaillés à la ma- nière de l'Inde , et exigeant chacun plus de deux mille journées de travail, exécuté à la vérité par des enfants de neuf à douze ans, ne seront Jamais à bon marché, et atteste- ront tout aussi bien que ceux de l'Inde, l'aisance et la fortune des femmes qui les portent.

» Pressentant que le goût des schalls de ca- chemire unefois répandu en Europe ne pour- rait plus s'étendre, parce que ces tissus réu- nissent réellement tous les autres tissus de laine, de soie et de coton, par la finesse et le moelleux à la douceur , à l’élasticité et à la chaleur; que dés-lors la matière première de ces précieux tissus deviendrait plus rare et plus chère, comme cela est arrivé en

1090 ANNALES

effet, Je vis combien il serait avantageux d'en faire un produit indigène. Depuis plus de dix ans que cette idée m'occupe, je n'ai laissé échapper aucune occasion pour la réaliser.

» Ayant remarqué souvent que, dans les ventes qui m'étaient faites en Russie, on qualifiait de laine de Perse, les matières avec lesquelles je faisais mes tissus de cachemire, j'interrogeai plusieurs voyageurs et Je re- cueillis leurs instructions. L'un deux m'as- sura que, lors de ses expéditions en Asie, le fameux T'homas-Koulikan, Schah de Perse, avait ramené du Thibet 1:o1s cents animaux portant la laine à schalls ; ce voyageur ajou- ta que ces animaux avaient multiplié dans le royaume de Caboul , le Candahar, la grande Bukarie, et jusque dans la province de Kerman.

» D'après ces données, je conjecturai que si ces animaux , originaires d'un pays dont la température est au-dessous de celle du 42e degré de latitude et beaucoup plus froide que celle de France, à cause de la hauteur du grand plateau de l'Asie, avaient pu prospérer sous un climat aussi brûlant que celui de la province de Kerman , située sous le 30€ degré de latitude, il était hors

EUROPÉENNES. 197 de doute qu'ils pourraient se naturaliser facilement en France.

» Pour acquérir la certitude de ces faits, et constater l'existence des animaux de la race thibétaine, dans ces régions lointaines et difficiles à parcourir, il fallait y aller, et surtout s'assurer si les espèces de Perse et du Thibet donnaient les mêmes produits.

» Dans cette vue, je chargeai le capitaine Charles Baudin, parti pour Caleutta, en 1814, d'y acheter, s’il était possible, de la laine du Thibet, vulgairement nommée de cachemire. En 1815 il en rapporta quelques petits ballots qui, j’en étais sûr, provenaient directement du Thibet, puisqu'on peut les transporter de ce pays jusqu'à Calcutta, plus facilement et à bien moins de frais que si on les tirait du royaume de Caboul, de la Perse ou de la Tartarie indépendante,

» L'examen attentif de ce lainage et la com- paraison que j'en fis avec celui dit de Perse, confirma mes idéés et mes espérances. Je ne doutai plus de la vérité des faits qu’on nr'a- vait annoncés, savoir : que ces animaux avaient multiplié à l’orient comme au nord de la Perse, et s'y étaient croisés avec les races indigènes, parce que je remarquai la même dégradation ou perfection, selon que

198 ANNALES

»

»

l'on veut l'entendre, enfin, les mêmes dif:

férences qu'il y a entre les laines pures d'Es-

pagne et les laines mérinos croisées de

France et de Saxe; c'est-à-dire, que les pre-

mieres ont plus de force et d’élasticité et la

corne plus raccourcie que ces dernières, qui

ont le tube plus alongé, plus plat et plus

fn.

» Je vis dès-lors qu'il serait possible ( sans

aller chercher ces animaux , non pas au Ca-

chemire, 1l n’y en a point, mais au Thibet)

de s’en procurer dans un pays beaucoup plus rapproché, qui rempliraient le même but, et dont la race produirait les mêmes

résultats. Les membres de la société pour-

rent s'en convaincre, en examinant avec at-

tention le schall que j'ai l'honneur de leur

présenter, et que J'affirme avoir été fabri- qué avec de la laine dite de Perse, pareille

à l'échantillon que je mets sous leurs yeux ; pour le comparer avec le lainage provenant du Thibet, acheté à Calcutta , et dont j'ai

parlé plus haut,

» Au surplus, il ne suffirait pas d'avoir la certitude, du moins l'espoir de n'être pas obligé d'aller au Thibet chercher des animaux , qu'après un long voyage, le De- ler de Gorlhook pourrait refuser de laisser

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EUROPÉENNES. 199

sortir de ses états ; il fallait trouver encore un de ces hommes rares et précieux qui, par leur courage et leur habileté, savent triom- pher de tous les obstacles; qui ont, avec une volonté ferme et persévérante, le desir

comme le talent, de servir leur patrie; il fallait que la connaissance de toutes Îles langues orientales et l'habitude des voyages Fe. périlleux et difficiles, cet homme pt réussir dans une pareille entreprise.

» Je rencontrai l'assemblage de tant de qualités distinguées dans la personne de M. Æmédée Faubert. Nous nous entendimes du premier mot: mais ce n'était pas tout én- core; il fallait de plus rencontrer un minis- tre capable d'apprécier le mérite d’une telle importation , et d'associer le gouvernement à une entreprise éminemment utile, mais au- dessus des forces de simples particuliers; il fallait que ce ministre eüt tout à la fois, la volonté et le pouvoir de la faire réussir ; et aucun autre ne le pouvait peut-étre mieux que M. le duc de Richelieu. La haute consi- dération qu'il s'est justement acquise dans les provinces méridionales de la Russie, sa puis- sante intervention auprès des ministres de de S. M. l'Empereur de Russie, étaient d’in-

dispensables auxiliaires. Ses es:

TL: 14

200 ANNALES

»

»

tions furent accueillies, non-seulement comme devaient l’être celles du premier mi- nistre du Roi de France; mais encore st tous les Russes s'étaient chargés de payer la dette de la reconnaissance, pour les bien- faits dont M. de Richelieu a comblé la ville

d'Odessa par son administration éclairée et La

paternélie. J'aime à le dire, messieurs, ainsi que M. Jaubert, on ne saurait proclamer assez hautement la bonté protectrice avec Jaquelle ce savant a été secondé par toutes les autorités russes. Certes , à cette innocente entreprise eût été attachée la prospérité de la Russie, elle ne pouvait être plus favori- sée ; elle le fut surtout d’une manière toute particulière pour le général Yermolof, homme aussi éclairé que généreux: c'est avec son appui que M. Jaubert a pu surmon- ter tous les obstacles qu'il avait à vaincre.

» Après être resté plusieurs mois sans nou- velles de ce dernier, parce que de toutes les lettres qu'il m'écrivait d'Asie, aucune ne m'était parvenue, j'appris enfin, par une mis- sive qu'il m'adressa dans le mois de novem- bre dernier, quil était arrivé sur le Wolga avec un troupeau, dont sans doute ses lettres égarées m'indiquaient l’origine et la force numérique. Je n’en connus l'importance

4 La

Le Ÿ

EUROPÉENNES. 201

qu'avec le public, par un article inséré dans les journaux, sous la rubrique de Warien- poll, et que j'appris avoir été copié des ga: zettes étrangères. C'est ainsi que le secret que nous avions cru devoir garder sur cette entreprise, par plusieurs considérations, fut divulgué. » Depuis lors, ce que j'ai recueilli par la correspondance de M. Jaubert, me fait con- naître qu'il avait abandonner deux cents de ces animaux dans les steppes de lOural: qu'en outre, 1l avait trainé avec Jui dix-sept voitures chargées de bêtes malades ; que ce qui lui faisait le plus de peine, c'étaient les avortements, occasionnés par les fatigues et par un froid de 18 à 22 degrés que son trou- peau éprouvait ; qu'enfin , après avoir bra- la faim, la soif et les loups du désert, à travers des peuplades demi-civilisées, etexé- cuté un long voyage par terre, il ne lui restait plus que les difficultés de la mer à surmonter, et qu'il venait d'embarquer cinq cent soixante-dix-huit individus, dont deux cent quarante de race pure. trois cents de race croisée, six moutons de Bukarie à laine commune, huit jeunes chevreaux, dont deux nés à bord, sept jeunes mères et sept boucs,

1 4

202 ANNALES

» Il] m'annonce que lorsque ces animaux 8e: raient arrivés en France, il faudra prendre des soins extrêmes des boucs; que de dé- pendent et l’espérance d’avoir de belles es- pèces, et lesuccès de ce qui fait le principal objet de son voyage ; que ces animaux, qui sont vigoureux, mais délicats, n’ont ni les formes, ni l'odeur repoussante de ceux d'Eu- rope : qu'ils ont la faculté de féconder cin- quante femelles dans une année, etque, sous ce rapport, ils sont d’une très-grande valeur ; que, quant aux chèvres, il est impossible de trouver des animaux plus dociles, plus courageux, plus faciles à conduire et à nour- rir, mais qu'ils redoutent le froid, la mal- propreté et le manque de nourriture.

» Par ses précédentes lettres, M. Jaubert m'informe qu'il était parvenu à les nourrir avec du foin et de l’avoine, et qu'il parais- sait que toute espèce de pâturage leur con- venait. Il ajoute qu'il a été obligé de faire bien des coutses pénibles dans une saison rigoureuse , et que les dépenses ont été infi- niment plus considérables qu'il ne s’y atten- dait ; indépendamment des frais de l'embar- quement, qui a exigé la location de beau- coup d'hommes, de buffles, de bœufs, de chevaux et de chameaux, pour transporter

EUROPÉENNES. 203

» les approvisionnements et les bois néces-

» saires pour les séparations, cloisons, man-

» geoires, etc. , enfin. il me marque, le

» 27 janvier, qu'il a fait lever l’ancre du navire

» le Saint-Nicolas dans le port de Théodosie,

» ou Kaffa, en Crimée, et qu'après une re-

» lâche indispensable à Constantinople, il

» espère arriver incessamment à Toulon ou à » Marseille, »

Les chèvres sont arrivées par mer depuis Théodosie, en deux convois, au nombre de676, sous pavillon russe , dans les deux navires le Saint-Nicolas et la Catherine, du port de 250 à 3500 tonneaux. Le premier est arrivé à Mar- seille, en très-mauvais état de santé; le second est venu à Toulon accompagné de M. Jaubert et dans une situation plus satisfaisante.

Les fatigues d’une longue route faite par terre à travers de vastes déserts, une climature ex- traordinaire de 18 à 22 degrés de froid, sou- vent le manque d’eau et surtout celui de la nourriture propre à ce genre d'animaux; puis un embarquement forcé, accumulé dans un vaisseau, et une traversée sur mer de plus de huit cents lieues, toutes ces causes réunies ont , malgré les plus grandes précautions prises, faire craindre une forte diminution dans ce précieux troupeau : aussi la perte en a été

304 ANNALFS

fort sensible, mais le grand but est rempli : la conquête est assurée, puisqu'il est resté encore après toute extinction de maladie, à peu-près quatre cents bêtes faites, dont cent ont été attribuées au gouvernement et le reste à MM. Ternaux et Jaubert.

C'est dans le troupeau de cent soixante chèvres, placé à Perpignan, que se trouvent les cent prises pour le compte de l'Etat. Cent soixante ont été placées près de Toulon, cin- quante environ près de Marseille, et les autres, entre Aix et Marseille (1).

La fécondité de ces animaux, qui ont sou- vent des portées doubles, laisse les plus grandes espérances sur leur propagation future : elle à déjà été telle dès la premièreannée,que nombre de propriétaires éclairés ont pu s'en procurer et les répandre dans les départements.

Quoique ces chèvres se trouvent transplan- tées à environ quinze cents lieues de leur sol natal, et qu'affaiblies des fatigues d’un long voyage, elles aient à s’habituer encore à un . autre air, à de nouvelles eaux, à d’autres

(1) Les répartitions ont depuis éprouvé quelques chan: gemel ls, dont nous rendrons compte dans un prochain numéro, ainsi que des résultats déjà obtenus la première. année.

EUROPÉENNES. 20)

pâturages , en attendant qu’elles puissent aller habiter des localités plus élevées et plus froides, elles ont donné au printemps , quatre à six onces de duvet par tête, dont la quantité doit, selon toutes les apparences, augmenter dans un meilleur état de choses, et par la suite d’une éducation soignée ; mais ce qui doit satisfaire pour le moment, c’est que ce précieux duvet n'a diminué ni en qualité, ni en beauté : celui que M. Æmédée Jaubert nous a fait voir, semble tenir le milieu entre la soie et ces fines laines de Ségovie , et promettre à la France des tissus nouveaux , qui pourront s'ap- pliquer aux usages les plus utiles, les plus riches , et être quelque temps encore rares pour le reste de l'Europe.

Cette acquisition présente également un Bonté et précieux avantage en laitages: ces chèvres SR da plus courtes, plus rondes et plus grosses que 15 nos chèvres indigènes | donnent au moins antant de lait que ces dernières; le développe- ment prospère et remarquable des chevreaux prouve combien elles sont bonnes nourrices; mais ce qui est encore digne de remarque, cest que leur lait trop gras pour en faire du beurre, tient plus de la qualité de celle de brebis que de chèvre, et offre sous le rapport de la confection des fromages, qui sont d’une

206 ANNALES de À

si grande ressource dans les pays ‘de p tagnes, encore un mérite que le tempsi fe apprécier. La chévre étant la vache du pauvre, on peut dire dans cette circonstance, que sk l'opulence est parée de la riche toison de ces. animaux , l’indigence en partagera le bienfait dans la jouissance plus réelle du laitage.

Moyen de Comme, par une loi générale dont la nature da ne s'écarle que par exceptions, les mâles trans- chivres in- Mettent aux femelles; qui en procèdent, leurs stnes. traits, leurs qualités et leur tempérament, le

croisement des boucs du Thibet avec les chèvres indigènes, pourra encore améliorer le pélage de ces dernières ; parce que les femelles qui en proviendront, tiendront en général des qua- lités de la race thibétaine.

La chèvre est par sa conformation et ses goûts naturellement destinée à habiter les * lieux secs et arides, à brouter ét à bondir sur . les rochers escarpés, des sites élevés ; le haut plateau du Thibet qui est le sol originaire de celles dont il est question, indique également la région qui leur convient le mieux: l'air épais, les plantes grasses et humides des plaines et des bas-fonds, seraient seuls capables de les faire dégénérer ; tandis que les plantes sèches, aromatiques , l'air vif et les eaux fraiches, qui appartuennent au sol élevé des montagnes,

rx

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: r” 7 EUROPÉENNES. 207 seraient non-seulement de nature à leur con- server leurs qualités naturelles, mais à les améliorer même.

. L'excellent système que Buffon et Dauben- Urgence

de conduire

ton ont mis si heureusement en usage, pOur obtenir l'affinement de la laine des moutons quns des si- indigènes , en les tenant toute l’année au ApAnio res plus éles air, sans jamais les enfermer dans des étables, ES s Élu particulièrement au cas présent. Nous avons vu paitre dans les Pyrénées, a plus de huit cents toises au-dessus du niveau de la mer, de nombreux troupeaux de moutons qui donnent des laines supérieures, tandis que les chèvres sauvages bondissent sur les ro- chers qui planent sur ces parcs aériens : toutes ces observations nous portent à croire à l’ur- gence de conduire nos chèvres thibétaines dans une région plus élevée, si nous voulons recueillir le juste fruit des dépenses et des , , travaux laborieux que cette intéressante acqui- silion a exigés. Nous devons ajouter, que M. Amédée Jau- bert a pris, dans ses fatigantes recherches, des précautions si scrupuleuses, pour n'acquérir que des chèvres de véritable origine du Thibet, que nous ne pouvons douter d'en posséder la race. Il a été souvent frappé d'entendre les

208 ANNALES

: 9 peuples qui les possèdent, n’appeler le duvet même que par le mot thibet.

Comme chaque animal a des goûts, des appé: tits relatifs au sol la nature l’a fait naître , il eùt été peut-être important d’avoir les graines - des herbages et des arbustes pour lesquels ces chèvres ont le plus de prédilection ; il eût été doux de reproduire au goùt toujours peu va- riable de ces bons animaux, ces mêmes végé- taux qui avaient réjoui leur enfance ; mais M. Jaubert n’a pu seul atteindre toutes les cor- rélations de son estimable POeRRES :ilen a rempli le grand but; il a conquis à la France une famille nouvelle qui occupera tous les jours un cercle plus grand dans l'économie publique. Au mérite indispensableet rare de posséder les différens dialectes des Orientaux , il fallait y joindre le mérite bien honorable , celui de por- ter sa noble patrie avec assez d'amour dans le cœur, pour se livrer, sans obligation, à tous les périls, à toutes les fatigues d’un voyage de trois mille lieues, pour lenrichir d'une des plus utiles productions de lAsie (1).

(3)Nous avons appris depuis, par M. Amédée Jaubert, qu'il à apporté des semences de plusieurs plantes, qui croissent dans les lieux il a tiré ces chèvres, et qu’un habile botaniste les soigne à Montpellier.

EUROPÉENNES, 209 L'heureux résultat de ce voyage est un Espérance

£ L « que donne grand pas de fait vers la possession successive

cetle acqui- de tout ce que nous avons à desirer des autres sition. continents, dans la vue d'augmenter notre prospérité : déjà de nombreux voyageurs fran-

çais , éclairés des solides instructions rédigées

par les professeurs du Jardin royal des

plantes de Paris, parcourent, sous la protec-

tion spéciale du Gouvernement, toutes Îles

zones de la terre, pour recueillir et apporter à

ja patrie des richesses nouvelles. Voyages annuels et abondance des crabes (1).

à

Un aliment que la nature fournit avec sa libérale abondance aux Antilles, et qui fait la ressource ordinaire des nègres, à qui des maîtres avares ne donnent qu'une partie de leur subsistance, sont les crabes de terre, de mer ou de rivière connus dans ces îles sous le nom de cériques et de tourlouroux. Les Caraïbes en faisaient leur principalenourriture, et les Créoles même ne sont pas indifférents

(1) On a choisi une relation sur les crabes, faite en 1700, parce qu'au moins à cette époque, les travaux des Européens n'avaient pas encore diminué, autant

qu'aujourd'hui, celte manne annuelle,

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210 ANNALES +

pour ce mets , qui se sert sur toutes Îles tables. ,

Les tourlouroux sont des espèces de cancre ou d’écrevisse amphibie (et toutes les écrevisses le sont) dont l’écaille unie et mince est sur le dos et sur le ventre, d’un rouge plus ou moins foncé, suivant les lieux ils se trouvent. Les cériaues sont une autre espèce, dont les unes se prennent dans l'eau douce, les autres dans la mer. Elles sont communé- ment grosses comme le poing, ont quatre jambes de chaque coté, dont elles se servent pour marcher et gratter la terre. Elles ont d’ail- leurs deux tenailles, serres ou mordants, qui pincent vivement à leurs extrémités, et coupent les racines ou les feuilles dont ces animaux se nourissent. Lorsqu'on les prend par une jambe , ou par un des mordants, ils laissent ce membre dans la main de celui qui le tient ets'enfuient. Ces parties se détachent si facile- ment, qu'on croirait qu'elles ne sont que col- lées : il leur en revient d’autres l’année sui- vante.

Les crabes qui appartiennent à deux élé- ments, font tous les ans à la lune de mai, un voyage à la mer, pour y jeter leurs vieilles écailles, prendre un nouveau vêtement et dé- poser leurs œufs, qui ne peuvent éclore que dans les eaux,

EUROPÉENNES. ai C'est une fête d'anniversaire, une fa- mille immense va retrouver ses eaux natales , se rajeunir et leur confier une progéniture innombrable, destinée à revenir ensuite dans les foyers maternels , et à offrir aux besoins de l’homme le sacrifice de son superflu.

« C'est un spectacle étonnant, dit un natu- raliste , qui avait observé plusieurs de ces ad- mirables voyages, de les voir descendre des montagnes aux premieres pluies. Aussitôt le signal donné, elles quittent les creux d’ar- bres , les souches pourries , le dessous des ro- chers , et les trous qu’elles avaient faits elles- mêmes en terre. Les champs sont alors telle- ment couverts de ces animaux, qu'il faut les chasser devant soi, pour se faire place et poser le pied sans les écraser. La plupart se rangent le long desrivières et des ravines les plus humides, pour se mettre à l'abri des chaleurs. Elles em- ploient environ Six semaines à ce voyage, et se divisent ordinairement en trois bandes. »

« La première, comme Favant-garde, n'est composée que de mäles, plus gros et plus robustes que les femelles, chargées d’ailleurs du fardeau de leurs espérances. Ils sont sou- vent arrêtés par le défaut d’eau et contraints de faire halte, toutes les fois qu'il y a de nouveaux changemens dans l'air. Cependant

ii ANNALES

le gros de l’armée se tient clos dans les mois

tagnes jusqu'aux grandes pluies. Il part alors, et forme des bataillons d’une lieue et demie longueur , larges de quarante à cinquante pas, et si serrés, qu'on aperçoit à peine la terre. »

« Trois ou quatre jours après , on voit suivre l'arrière-garde dans le mème ordre, et en aussi grand nombre que les troupes précédentes ; indépendamment de ces bataillons réglés qui suivent le cours des rivières et des ravines , les bois sont encore remplis de traineurs. »

« Ces animaux marchent lentement, et choi- sissent presque toujours le temps de la nuit, ou les jours de pluie, pour ne point être ex- posés au soleil. Dés qu'ils voient que le ciel s'éclaircit, ils s'arrêtent à la lisière d'un bois et attendent que la nuit soit venue, pour pas- ser outre. Si quelqu'un s'approche du gros de l'armée et leur donne l'épouvante, ils font une retraite confuse à reculons , en présentant tou: jours les armes en avant, Je veux dire ces re- doutables mordants, qui serrent Jusqu'à em- porter la pièce. Ils les frappent de temps en temps, l’un contre l’autre, comme pour me- nacer leur ennemi, et font un si grand clique- is avec leur écailles, qu'on croit entendre le bruit d’un régiment qui fait l'exercice »

« Si la pluie cesse tout-à-fait, pendant cette

EUROPÉENNES. 213

Marche, ils font une halte générale, et chacun prend son logis il peut -les uns sous des racines, les autres dans les creux d'arbres, et ceux qui ne trouvent point de gite tout pré- paré, se donnent la peine de creuser la terre et de se faire eux-mêmes un logement. Il y a des années où, par l'interruption des pluies, ils sont deux ou trois mois à faire ce voyage ; mais il ne faut quelquefois que huit ou dix jours d’eau pour leur faire vider leurs œnfs. » « Cette opération est d'autant moins diffi- cile, que ces œufs plus petits que ceux d’une carpe , étant légèrement attachés à leur queue comme des œufs d'écrevisse , ils n'ont qu'à la secouer, pour les faire tomber dans la mer ». « Aussitôt que les petits sont éclos, ils s'ap- prochent des rochers , et bientôt après ils sortent de l’eau, se retirent sous les premières herbes qu'ils rencontrent, et se disposent à partir avec leurs mères pour la montagne, en observant le même ordre qu’en descendant. 1 ne faut pas croire que celles-ci les conduisent comme une poule mène ses poussins ; elles ne paraissent connaître que la famille commune. » « Les crabes , ainsi que tous les crustacées et les serpens, ont la propriété singulière de se dépouiller , au printemps, de leur vieille robe ; et alors elles se tiennent cachées dans le sable,

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L] d « 214 2 ANNALES

. Jusqu'à ce qu’elles aient recouvré un habit qui, en les préservant des irijures de Pair, leur permet de prendre des forces et leur caractère courageux. »

« On en woit qui sont toujours en vedette

- au bord de la mer et ont l'industrie d’épier les huîtres et autres coquillages bivalves, que la marée y amène. La crabe attend qu'elles ouvrent leurs coquilles, et y jette ua petit caillou qu'elle tenait entre ses pattes, et qui les empêche de se refermer ; par ce moyen elle les attrape facilement et en fait son repas. »

Les crabes sont une vraie manne pour les iles , et la manière de les prendre est d’aller la nuit autour des cannes ou dans les bois, avec

un flambeau; c’est alors qu'elles sortent de

“leurs trous, pour chercher à vivre, et la lumière du flambeau les fait découvrir aisément. Au mo- ment l’on veut mettre la main dessus , elles se renversent et présentent leurs serres pour leur défense; mais alors on les retourne sur le ventre, pour les prendre par-dessus le dos. I] faut être prompt à lés saisir, car elles s’écartent peu de leurs trous , et se retirent fort vite dans les premiers qu'elles rencontrent. On doitavant de les emporter, leur lier étroitement les bras dans un sac; sans cette précaution elles se couperatent les jambes et s’entretueraient ».

| À: EUROPÉENNES 215

« ilest certaines facons deles accommoder, qui en font comme de l’écrevisse une assez bonne nourriture; mais leur chair, quoique d'un goût agréable, est difficile à digérer. Les œufs sont plus délicats, ainsi que le Zau- malin , substance verdûtre et grainue, qui se trouve sous l’écaille du dos, et dont on fait leur assaisonnement, en y mélant de l’eau et du jus de citron délayé avec un peu de sel et de piment. Les œufs de crabes tiennent les uns aux autres , comme des grappes de raisins, et rougissent en cuisant. » :

On voit par cette relation , que les bois, les abris, les eaux, la fraicheur de la terre, en- tretenue par une riche végétation, qui favorise d’ailleurs la multiplication des insectes néces- saires à la pâture des animaux carnivores , sont des conditions indispensables à l’existence et aux voyages des crabes, et que dans l’origine des choses, toutes ces consonnances exis-

è à de

taient , leur nombre devait être hors de calcul;

mais depuis que les cultures européennes ont

éloigné les bois du voisinage de la mer et des-

séché les sites, cette précieuse espèce de crus.

tacées a successivement diminué. Il serait inté-

ressant que quelque colon éclairé et de bonne

foi, voulüt indiquer dans quelle proportion 1. 15

| Me 216 ANNALES

+ cette diminution a eu lieu, depuis un siècle

seulement. Les crabes se trouvent communément jus- qu'au 50° degré de latitude de chaque hé-

. N A misphère : on en prend beaucoup sur les côtes

de la Syrie, et particulièrement à Alep. Cook à remarqué au 23° degré de latitude de la nou- veille Galles, que l’eau de la mer était trop basse pour prendre du poisson, le fond

était couvert de crabes qui mordaient promp+ tement à l’hameçon, et qui s'y attachaient si |

bien avec leurs pattes, qu'ils ne lächaient pas prise avant qu'on ne les eût enlevés fort au-dessus de la surface de l'eau ; 1l dit: « Ces crabes étaient de deux espèces que nous ln ‘avions pas encore rencontrées ; l une était du plus beau bleu qu'on puisse imaginer, égal en tout à l'outre-mer, et ses pinces et ses

jointures en étaient fortement teintes ; le

dessous du ventre était blanc etsi bien poli,

que , pour le brillant et la couleur, il ressem-

btait au blanc de l’ancienne porcelaine de la Chine ». |

« L'autre crabe était aussi marqué d’outre- mer sur les jointures el sur les pinces ; mais la teinte en était plus légère; il portait sur # dos trois taches brunes qui Éiheiché un Coup. d'œil singulier ».

L 2

| 4

A

EUROPÉENNES. 217

7 Abondance, prodigalité, variété infinie dans les espèces; nuances et éclat des plus riches couleurs, voilà ce que la nature a ré- pandu partout pour charmer l'appétit et les regards de l'homme. Nous verrons que, tandis que des armées de crabes quittent la terre à une époque fixe, pour aller confier la naissance de leur race à la mer ; des armées de tortues sortent au contraire de l'Océan , pour aller déposer leurs œufs dans les sables de ces . mêmes iles , et dans une surabondance sr grande, que des peuplades entières peuvent s’en nourrir, Tout se fait sous les auspices mystérieux de l'astre de la nuit, qui fait voyager ainsi des races entières dans les eaux comme sur la terre.

*. tar : or. 4 Ro

(518 A7

ANNALES EUROPÉENNES

DE PHYSIQUE VÉGÉTALE ET D’'ÉCONOMIE PUBLIQUE, RÉDIGÉES

Par une Société d’Auteurs connus par des ouvrages de PHYsiQUs, d'HiSTOIRE NATURELLE et d'ÉCONOMIE PUBLIQUE.

Tableau des faits physiques, arrivés dans la diminution des eaux, dans les climatures et la nature végétale , à la suite des déboi- sements qui ont eu lieu, tant en France qu’en d’autres pays.

N ous avons établi dans les deux cahiers pré- cédents les faits et les éléments généraux sur les fonctions admirables ( trop long-temps mé- connues ) que les forêts ont à remplir dans les plans de la création ; sur les biens solides , du- rables, et les charmes célestes que leurs majes- tueuses draperies répandent sur la terre. Nous allons voir les preuves déplorables que, par- tout l’homme s’est écarté des lois éternelles, en flétrissant aveuglément la nature, il a di- minué les productions avec tous les éléments de son propre bonheur,

TA 4 16

“tributs ;

4 220 ANNALES

M. de Choiseul-Gouffer a vainement cher- ché dans la Troade le fleuve Scamandre , qui, du temps de Pline , était navigable : son lit est aujourd'hui desséché, parce que les bois de cèdres qui couronnaient le Hont-Ida, il pre- nait source, ainsi que le Simoïs , et qu'Ho- mére a tant illustré par ses chants, étaient de- puis long-temps abattus.

Voici ce que disait, enM8or, sur la belle vallée de Montmorency , M. Cadet-de-Vaux,, un de ces hommes rares , qui peut montrer toute une vie consacrée au bien de la société,

_& La diminution des eaux, qui fertilisaient notre vallée de Montmorency , ne tardera pas à lui faire perdre ses épithetes de belle , de riche, que lui ônt prodiguées les Tressan, les Jean-Jacques ; bientôt on doutera qu'elle ait pu leur inspirer ces descriptions poétiques, dont ils ont embelli leurs romans, et aux- quelles leur brillante imagination ne pouvait rien ajouter. #*. 4

« Les nombreuses sources de ses coteaux nord, taries maintenant en grande partie, n’a- limentent plus les ruisseaux dont elle était coupéegscelles méme destinées à la boisson de

ses “ne , Suspendent par intervalles leurs

es bestiaux vont chercher l’eau , qui jadis se trouvait sous leurs pas; enfin les puits

EUROPÉENNES. | s57

se dessechent, et le cerisier, l’ornement de notre vallée, qui sur notre sol ñne demande que de l'eau pour engrais, ne Jouira bientôt plus de cette humidité bienfaisante , à laquelle ne peut suppléer l’industrie du propriétaire; aussi le volume et l'étendue des eaux de lé- tang de Montmorency sont-ils considérable- ment diminués. Il ne subsisterait même plus sans les coteaëx sud, couronnés par la forèt de Montmorency et de Saint-Prix, qui l'alimentent encore. Qu'on vende ces bois, 1ls seront bientôt abattus, et l’on n'aura ni bois, ni sources, nl FUISSeAUX , N1 étang, NI POIs: son, ni moulin, et en place de tout cela on conquerra quarante hectarés d'unsol bien aride, « Dans une commune de la vallée. un bois de quinze hectares a été converti en terres la- bourables , et cette commune a perdu la seule source qui l’abreuvait, source que ce bouquet de bois alimentait, Cet abattis est devenu un attentat à la propriété pubiique; elle a le droit d'en exiger la replantation : Réplante sois maudit, peut dire à ce propriétaire chacun de ses concitoyens : Tu me refuses l'eau (1)! »

(1) Nous réservons au cahier qui traitera/des sources et des fontaines, tout ce qu'il y a à dire sur cet IBpPor- tant sujet. ; ;

16.

222 ANNALES

L'auteur de Paul et Virginie, qui a été un des premiers physiciens à observer les corré- lations existantes entre les arbres et les mé- téores aqueux , observe dans ses études de la nature, qu'à l'Isle-de-France, il a trouvé des sources et des ruisseaux desséchés, dans les parties cultivées , l’on avait sans ménage- ment abattu les anciens bois, qui, attirant les nuages qui se formaient autour des pitons de l'île , l’'alimentaient visiblement des eaux dont elle jouissait.

EXTRAITS STATISTIQUES,

IMPRIMÉES PAR ORDRE DU GOUVERNEMENT,

Contenant les plaintes et les réclamations des adminis- trations centrales et des préfets sur les défrichements À » des bois.

———

Département des Bouches-du-Rhône (1792).

Les administrateurs de ce département disent :

« On dévaste les forêts des montagnes; les torrents encombrent les canaux d'irrigation... Ce n’est point la terre qui manque aux cé- réales.... 1 y a plus de cent trente mille ar- pents de terre incultes dans le district de Vau-

F4

EUROPÉENNES. 223

cluse.... Les verreries en trop grand nombre détruisent les pins... On met le feu aux taillis, pour avoir plus d'herbes , et partout dans les montagnes on garde les chèvres & béton plan- té. Quarante mille pins viennent d’être coupés à Marseille, et on se dispose à défricher le sol! »

Rhône (1797).

« Deux forêts nationales ont été vendues (Saint-Romé et Basiège ), l’adjudicataire les a fait défricher ; Vadministration a voulu s'y

opposer ; le ministre a soutenu l’adjudica- taire. »

M. DE VERNINAC, préfet (1804) (1).

La température n'est point celle qui semble indiquée par sa latitude... L'air y est tellement variable que l'on n'est assuré d’une végétation soutenue, que bien avant dans le printemps... on à vu des bourgeons de vigne brülés par la gelée du 25 avril... C'est dans la zone il

(1) Notre harmonie hy dro-vegétale et météorologique s'étant trouvée, dès le commencement de 1802, entre les mains de presque tous les préfets, il peut nous être per- mis de croire que cet ouvrage a été d’une heureuse in- fuence dans les descriptions qui font l’objet de ce cahier.

Le

22/4. ANNALES

y a le plus de foréts, qu'on trouve les sources des rivières.

Département du Gard (1792).

Les administrateurs : « On estime à un mil- lion la perte causée par les torrents, en 1791 et 1792. »

Ils observent que les bois deviennent de plus en plus rares, et que les forêts du département n'offrent plus que de vastes garrigues ( landes et bruyères.).

L'ohvier , continuent-ils , était une grande ressource pour les propriétaires ; mais les hi- vers rigoureux, qui se sont succédés depuis 1789, ont détruit la plus grande partie de ces

arbres, et le reste est sans force et sans vi--

gueur.

L’olivier semble aujourd'hui vouloir se dé- rober à un climat devenu beaucoup plus ri- goureux g#wautrefois: On ne recueille pas, dans ce moment, la dixième partie de l'huile que ce département produisait autrefois

Béziers (1793).

Une pétition , signée par plus de trois cents propriétaires, disait à Ja commission d’agricul- ture :

« Plus des trois quarts des oliviers ont pér:

»

sd rs

EUROPÉENNES. 225 par le froidiexcessif de l'hiver... L sera impos- sible de songer à la reproduction de ces arbres, si on tolère le parcours des chèvres et des bestiaux. | ,

Les forêtsiet les plantations arrêtent l’im- pétuosité des vents du Nord... Les immenses forêts qui nous garantissaient autrefois, sont abattues, et la perte prochaine de nos oliviers en sera la suite inévitable.

Nos montagnes ne sont que des rochers ; les bois disparaissent depuis vingt ans, la cul- ture à bras, dans les vacants, a fait descendre la terre; il ne reste plus qu’un tuf: qu'on juge de la dégradation, lorsque nos montagnes ont un pied de pente par toise ! Enfin les foréts ne sont plus que de vastes garrigues | »

M. Duvois, préfet (1804).

Je n'ai Jamais concu qu'un pays aussi chaud , et aussi insalubre dans quelques loca- lités , füt autant dépourvu d'arbres

« Le territoire de Nimes est He. ce cas. On n'imagine pas comment une ville, qui a pris son nom des bois qui l’entouraient , n'offre plus dans son voisinage que des garrigues stériles dont, l'aspect allée le bon citoyen.

Les bois et les forêts, d'ailleurs , ne présentent pas un spectacle plus consolant:;

226 ANNALES

on y voit l'image de la dévastation la plus effrayante !.…. Mille causes... , des défriche- ments mal entendus ; des troupeaux dévasta- teurs ; l'impunité... ; la faiblesse ou mauvaise foi des administrateurs , etc, , etc. »

Département de l Aude (1792).

L'administration dit : « Depuis deux ans il se manifeste, dans tous les pays du midi, une fureur de défrichement, de laquelle il va ré- sulter une grande diminution de bestiaux, et bientôt l'impossibilité d’acquitter les impôts.

« La fertilité n'est-elle pas il y a des fo- rêts et des eaux? Et si on n'arrête ces dégra- dations, la France deviendra stérile et dépeu- plée. À Grasse, les oliviers réussissent péni- blement, et on attribue cette révolution au dégarniment des montagnes. »

M. DE BARANTE père , préfet (1804).

« Les côtes de ce département sont plus ex- posées aux attérissements..….. Les ports de Ma- guelone et d’Aigues-Mortes, et le vieux port de Cette, n'ont plus d'existence que dans l'his- toire,

« Le Rhône forme d'immenses attérisse- ments par les terres qu'il emporte... Il ya, dans ce département, trois cent quarante

EUROPÉENNES. 227

mille arpents de bruyères, garrigues, terres vaines et vagues.

« Les montagnes n'offrent plus ni pâtu- rages , ni bois, ni production d'aucune espèce.

« À Carcassonne, les eaux couvrent un ma- rais de quatre mille arpents.….. Dans le pays de Sault, des défrichements indiscrets ont di- minué le nombre des troupeaux, sans que la production des grains y ait sensiblement gagné; les bois ont presque entièrement dis- paru.

« Le département, à ses deux extrémités, a conservé d'assez belles masses de forêts... ; mais, dans les plaines et les bassins , l'œil ne peut se reposer sur aucun bouquet de verdure; point de remises, point d'arbres épars...

« Un désir immodéré de recueillir a mul- tiplié les défrichements depuis 1770. L'avidi- de jouir a dévoré en peu d’années la res- source de l’avenir : les montagnes ouvertes par la charrue n'ont montré bientôt qu'un roc nu et stérile; chaque sillon est devenu un ravin ; la terre végétale, entrainée par les orages , a été portée dans les rivières, et de dans les parties inférieures, elle sert chaque jour à lattérissement des portions les plus basses et les plus marécageuses.

« L'arrondissement de Narbonne, et une

228 ANN ALES

partie de celui de Carcassonne, étaient autre- fois couverts d’oliviers.…... Le froid excessif du mois de décembre 1788, et l'hiver de l'an IV, les ont presque tous détruits , il n'en reste que dans le voisinage de la mer; ainsi le départe- mentde lAude a perdu, depuis quelques an- nées , celte portion de ses ressources , et il tire d’ailleurs presque toute l'huile qu'ilconsomme,

« Partout le cultivateur parait découragé.... ; il craint d'essayer de nouvelles plantations, qui pourraient être détruites avant d'avoir porté de fruits... La vigne a remplacé l’oli-

«& Le bois est très-cher et très-rare.……. ; les départements circonvoisins en sont encore moins bien approvisionnés. Dès le temps de M. de Baville, en 1770, on se plaignait de la dégradation des forêts.

« Dans les corbières ( ramification des Py- rénées ) presque tout est détruit : ausst le bois de chauffage est-il proportionnellement bien plus cher que les bois de construction.

« Les forèts de l'Aude fournissent chaque année! aux forges , cent soixante mille six cents quintaux de charbon; il faudrait introduire le charbon de terre, pour retarder ou prévenir le dépérissement des forêts.

«On compte dans l'Aude soixante-dix-neuf

EUROPÉENFES. 22% tanneries : elles sont renommées dans le com- merce, on les appelle cuirs des Indes; le tan qu'on emploie eit tiré le plus souvent du petit chêne vert, nommé ( ilex aculeala cocci glan- difera ). Il abondait autrefois dans les cor- bières , 1l devient de plus en plus rare. »

Département de la Drome (1793).

« À Saint-Romans, on coupe et on arrache partout les arbres pour défricher.

À Valence et à Crest, il n’y a presque plus de bois : les revers des montagnes sont sillonnés par des millions de ravins.

« À Montélimart, les bois communaux sont pelés, et les forêts nationales (qu’on désigne ) sont dans le plus grand épuisement, »

M. Cox, préfet (1804).

Les défrichements imprudents sur les montagnes, destinées par la nature à être cou- vertes de bois, ont déterminé l époblament des terreins en pente.

« Ces défrichements causent encore un mal set considérable, parce que les montagnes étant successivement dépouillées de la cheve- lure. qui entretenait l'humidité, les sources fécondantes qu'elles produisaient se sont taries, et les eaux qu’elles auraient conserver, pour

230 ANNALES

les rendre avec économie dans les temps de sécheresse, se précipitent en torrents dévasta- teurs.

« La sommité des montagnes ne peut don- ner que des pâturages, et les parties moyennes, qui devraient être aménagées en bois, ne pré- sentent plus, en général, que des crevasses, des périments et des hermes inutiles.

« Les terrains en pente doivent être éva- lués à un tiers de la surface du département... Il est urgent de rétablir cette belle et grande chevelure , qui peut seule rafraichir l’atmos- phère de la Drome, faire renaître les sources, rendre aux terres leur ancienne fertilité , et arrêter enfin les torrents destructeurs de tous les principes de végétation.

« Toutes Les forêts ont été dévastées, et ce qui reste n’est qu'à la lassitude des bûche- rons , ou au défaut de bras pour les détruire.

« Une forêt, ou suite de bois contigus, d'environ #ingt mille arpents, connue sous le nom de forêt de Marsanne, occupait le ma- melon prolongé d'une montagne, qui s'étend dans la direction du Rhône, à un myriamètre (deux lieues ) de ce fleuve,

« Des hommes encore vivants y ont chassé à la bête fauve ; aujourd’hui la presque totalité est détruite, et ce terrain, qui ne présente que

EUROPÉENNES. 291

des roches calcaires brisées, ne peut pas être cultivé.

« Les domaines nationaux étaient garnis des plus beaux chènes, que la loi défendait même aux propriétaires de couper : ces biens ont été vendus; les acquéreurs, séduits par le haut prix des bois, ou pressés de jouir , sans inquié- tudes ultérieures, ont abattu la plus grande partie des arbres.

« Enfin, on ne trouve plus que des /andes, des habitants se rappellent avoir vu de belles forêts ; il est donc instant de recourir à une entière réorganisation de l'administration fo- restière. »

Département de la Lozère (1794).

Les administrateurs de ce département

disent : = « Les habitants, semblables aux sauvages,

défrichent des terroirs d'une valeur ina ppré- cibles... Par une frénésie plus coupable, ils détruisent, sur les pentes, les arbres qui pour- raient les conserver et les embellir; et, pour la jouissance d’un moment, ils perdent à ja- mais leur pays.

« L'homme n’est que l’usufruitier des biens qu'il a reçus de ses pères; ilen doit rigoureuse- ment compte à ses descendants.

# Lie 232 | ANNALES

« Le dépérissement des châtaigniers aug- mente graduellement à mesure qu’on s’ap- proche des montagnes de la Lozère et de Lai- goal, qui dominent les Cévennes ; jadis elles étaient couronnées d'épaisses forêts qui sèr- vaient d'abris aux châtaigniers contre les verits du nord.

« Les monts d'Auvergne, plus élevés que ceux de la Lozère , et qui formaient un second rempart à la zone des châtaigniers, ont aussi été dépouillés , et donnent aujourd'hui un libre passage à la bise glaciale, qui détruit l’espé- rance du cultivateur.

« Les habitants des causses (plaines hautes) manquent de bois; on newvoit plus un Buisson sur les plateaux, autrefois impénétrables..…. 11 ÿ a moins d'eau de sources; et dans un pays haut, près de la mer, on y manque souvent d’eau pour les hommes et les animaux.

« L’olivier a péri dans plusieurs endroits il était cultivé, et déjà le chétaignier se ressent de cette différence de température... Les fon- deries épuisent les forêts... ; les habitants les défrichent 4 les troupeaux voyageurs achèvent de détruire la reproduction. » :

les charbonniers en profitent, et

4

EUROPÉENNES, 2933 M. JerPHANION, préfet (x 804).

Les défrichements, en général, sont fu- nestes; la dégradation du sol du pays montueux et la ?. ER des arbres, quién Sont les suites, doivent faire frémir tai amis de la paë trié et de l'humanité ; le cultivateur qui détruit les bois sur les pentes, perd à jamaïs son pays pour la JoutSsance d’un moment; il pe reste plus qu'un rocher stérile : alors plus de dé- paissance pour les bestiaux, plus d'arbres, plus de récoltes. Yai pris des arrètés pour empêcher... Mais, etc. "4

& Le partage des biens communaux a été très-nuisibie à l'astiéulture ; on ressent les vices de à loi du ro juin 1793.....; d’ailleurs

“les défrichements des communaux sur les

pentes, font entrainer les terres par les pluies. « Le défrichement des bois doit être sérieu- po die défendu ; il est méme urgent d'exciter la reproductions de ces grands végétaux, dont la destruction porterait une atteinte funeste aux arts libéraux et mécaniques, ;£tinfluer ait sur la salubrité du climat. Ce département ne possède aucune mine de charbon... La température est si variable que, dans le même jour, on en éprouve deux

v

ou trois différentes.

æ:

234 ANNALES

« Les forrents occasionnent chaque année les plus grands dégâts dans les Cévennes.

« Dans le vallon de Mende (chef-lieu ), les gelées communément pénètrent jusqu’à deux pieds de profondeur, et jusqu’à trois et demi dans les montagnes du nord , les rochers granitiques sont plus inaccessibles aux in- fluences de la chaleur centrale.

« Les sécheresses, de mémoire d'homme, n’ont été plus extrêmes qu’en 1801... Les ge- lées du printemps, qui surprennent les arbres en fleurs, ne laissent aucun espoir de récoltes.

« On est réduit à faire venir des noyers d'espèce tardive (1)... La bise est favorable pour la floraison... Le vent d'Est (le "marin blanc) est redoutable aux vers à soie... On a de plus à combattre des routines barbares : la: routine et les préjugés. »

Département de l Arriège (1795).

« On va par troupes dans les bois ; on vend les fagots, et le peuple en fait un métier : il se- rait dangereux de s'y opposer ».

(1) C’est le noyer de la Saint-Jean , qui ne feuille qu’à cette époque, et souffre par conséquent moins de fri- mas.

EUROPÉENNES. 235 M. Brun, préfet (1804).

« Depuis que les défrichements ont été trop étendus, on a eu moins de pâturages, de bé- tail et d'engrais .… Les terres, remuées sur des côtes roides, ont été emportées par les eaux pluviales , et les roches en sont réduites à une éternelle stérilité... Les bonnes terres sont encombrées par les rocailles et les gravois.

« Les défrichements , en augmentant le tra- vail, ont diminué les récoltes et le bétail; s'ils continuent, des cantons en seront entièrement privés.

« Le partage des communaux a été une ca- lamité..…. Il faudrait rendre publics les com- munaux.

« À Mirepoix, on a divisé, en quatre cents lots, un communal en pente sur la rivière de Lers: un exemple à déja prouvé que la terre défrichée est bientôt entrainée.

« Le département était autrefois en grande partie couvert de bois ; aujourd’hui, plusieurs communes en manquent, et ce sont celles qui en avaient le plus , et qui sont situées dans les montagnes : ces causes sont les coupes extraor- dinaires dans presque toutes les forêts, et sur- tout dans les bois nationaux qui ont été ven- dus , et dont elles ont quelquefois payé la va-

I. 17

236 ANNALES

leur entière du fonds ; ce sont les pillages que la licence a introduits , et qu'il n’a pas été pos- sible de réprimer par les lois qui existent.

« Le prix du bois a doublé en sept à huit ans, et, dans certaines communes, on ne peut en avoir à aucun prix... Il est à craindre que plusieurs parties du département ne de- viennent inhabitables..…. La vallée de Saurat n'en a plus; les habitants sont forcés d’aller en enlever dans les communes voisines.

« On voit des femmes, par centaines, qui vont faire des fagots qu’elles font rouler sur le penchant des montagnes : si cela continue, bientôt il n’y aura plus de bois... Le bétail dé- truit les bois taillis des montagnes ; on n’a pu jusqu'alors l'empêcher... Les forges con- somment huit cent décalitres par jour. Les réquisitions pour l’armée ont fait faire des coupes désastreuses , dont les transportsamili- taires profitaient.

« Aux environs de Tarascon , pour avoir plus d'herbe , on brule les bois taillis , comme pour les dessécher.... Il y a dix ans qu'il n’y a plus de müriers aux environs de Pamiers et de Mirepoix ; 1l y a très-peu de Aaute futaie ; on trouve difficilement du bois pour les construc- tions et les réparations des bâtiments.

« Le pillage des bois va en augmentant; les

EUROPÉENNES. 237

déprédateurs abattent indistinctement toute espèce d'arbres, et les vendent en bois ou en charbon ; ils arrachent les jeunes plants, et ils effraient tellement les propriétaires, que, si Von n'y met pas ordre, tous les arbres dispa-

raitront dans peu , et ne seront plus rem- placés ». ÿ

Département des Basses. Pyrénées (179).

« Sur quinze à vingt lieues carrées, on ne voit plus d'arbres ayant quinze à dix-huit pieds de haut; les plateaux sont sans arbres, et la population voisine de l'Espagne, depuis le commencement du siecle, n’a cessé de di- minuer et de reculer, étant chassée des hautes vallées, par le manque de combustible. »

Le général Serviez, préfet (1804).

« Le manque de bois semble faire une né- cessité de faire des plantations, et particulie- rement d’une espèce de chêne qu'on nomme le Tauzy, qui n'est décrit ni dans Linné ni dans Tournefort : ce chène réussit parfaite- ment dans les terres sablonneuses ; son écorce fournit le meilleur tan ; son gland, quoique petit, est excellent pour les porcs, et son bois*

17.

238 ANNALES plus dur ; il est préférable au rouvre; il pro- duit des noix de galle.

« Le défaut de bois a fait abandonner, dans les montagnes de Bayzory , une mine de fer spatique, dite mine d'acier, une forge et une fonderie.

« Le blé récolté ne suffit pas pour nourrir les habitants ; la fréquence des orages , les fortes gelées, et les variations subites de l’at- mosphère y contribuent infiniment.

« Les travaux du, vigneron sont souvent in- fructueux, suile trop ordinaire des intempéries. Les ressources que les forêts offraient à la ma- rire, ont sensiblement diminué.

« Les montagnes se dépouillent, et leurs cimes, dépourvues de bois, x’absorbent plus les eaux; celles-ci glissent sur une surface zue qu'elles sillonnent.…., se réunissent en grande masse... et causent les plus grands ravages.

« On est d’ailleurs généralement convenu de l’influence des forêts sur l'atmosphère... L'agriculture, le commerce, les manufactures et la salubrité, se réunissent pour prescrire de les repeupier promptement.

« Un très-grand nombre de causes phy- siques rendent les récoltes incertaines…. On laisse la plus grande partie en terres vagues,

O et toutes sont frappées par l'impôt.

EUROPÉENNES. 239 « Le département des Basses-Pyrénées, s1- tué entre le quarante deuxième et le quarante- troisième degré , devrait être un des plus tem- pérés de l'Europe, et un des plus chauds de la France méridionale ; mais les variations qu’on y éprouve sont aussi nuisibles à la santé qu’à Fagriculture : elles détruisent la presque tota- lité des récoltes. »

"Département du Gers (1795).

« Les débordements sont désastreux.... Les eaux descendent des collines rues; la Save, cette année , a débordé douze fois, et rouillé les prairies : ce qui cause de meurtrières épi- zooties. »

M. Barcuenie, préfet (1804).

« L'atmosphère doit ses variations aux in- tercurrences des vents d'Est et d'Ouest... Les saisons n’ont plus un cours régulier, comme elles l'avaient anciennement ; dans ces temps, en général, chaque saison correspondait, par rapport à la température, à la saison de l'an- née précédente; c’est dans ce sens qu'Hippo- crate déterminait les saisons. On peut dire qu'il n’y à de constant , dans l'atmosphère , que de continuelles variations.

2/0 ANNALES

« Les chaleurs comme les froids y sont ex- cessifs; quelquefois le froment et la vigne en sont surpris, et la récolte en est souvent nulle,

« Les bois de haute-futaie, en chène blanc et en chène noir, sont très-rares... Les vignes et les futailles en consomment beaucoup : ces sortes de bois sont le fruit d’une longue pri- vation , et on ne peut espérer que les proprié- taires se limposent volontairement... . Les bois taillis méme sont devenus rares... Le merrain vaut jusqu’à douze cents francs ».

Département du Mont-Blanc (1796).

Les administrateurs du département ob- servent (1):

« Nos montagnes et nos collines, jadis cou- vertes de bois, n'offrent plus, par les défri- chements , que des rocs décharnés et des terres incultes.

« Chaque année, maintenant, nous éprou- vons des sécheresses extrémes; les plaines cultivées sont périodiquement inondées et cou-

(1) On trouvera ici les descriptions de plusieurs pays qui ne dépendent plus de la France; on a cru devoir les consérver , parce qu'elles peuvent intéresser les Gou- vernements qui les régissent aujourd’hui.

EUROPÉENNES. 24

vertes de graviers : pour l'espoir d'une ou de deux récoltes, les habitants réduisent en landes stériles des terres propres aux bois... Les chèvres, ici, sont plus nombreuses que les habitants ».

M. Saussay , préfet (1804).

« Les foréts formaient, avant la révolution, une des principales richesses; mais, après avoir été décimées par les agents de la marine, elles ont été long-temps abandonnées à la plus entière dévastation; la cognée a frappé par-. tout; l’armée des Alpes et les incendies ont dé- peuplé des forêts inmenses; on a même détruit jusqu'aux moyens de reproduction.

« La loi du 10 juin 1703 , sur le partage des communaux, a fait dépeupler les forêts; les affouages n’ont lieu qu’au préjudice des mon- tagnes voisines; de vient la fréquence des -avalanches , des torrents et des éboulements de terres ».

Département des Voges (1797).

« Les montagnes sont épuisées et dégradées ; on en attribue la cause aux défrichements et au partage des bois communaux; maintenant, par l'effet du dégarniment, des coups de vent

w

2/2 ANNALES

y déracinent de toutes parts les plus beaux arbres qui y sont restés. »

M. Dsscoures, préfet (1804).

« Le sol, en général, est ingrat et rocail- Jeux... On a beaucoup trop défriché; on a coupé presque partout les arbres épars dans les champs, on a défriché des bois; de moins de vapeurs salutaires aux plantes, et plus d’aridité.

« Les 27ondations sont plus fréquentes que jamais ; la Moselle déborde souvent ( en 1806, neuf fois ).

« Les renseignements fournis par l’adminis- tration forestière, sur les foréts, les présentent en général, comme marchant rapidement @& leur ruine. De promptes mesures appellent attention du Gouvernement.

« Les foréts forment la richesse de ce dépar- tement; les droits d'usage sont trop multipliés et excèdent partout la force des foréts..…. Dans l'arrondissement d'Epinal, la majeure partie des sapinières est à-peu-pres épuisée.

« Abroutissements, anticipations dans les délivrances, coupes dénuées de futaies , les feux qu'on allume pour faire des cendres , tels sont les fléaux.

EUROPÉENNES. 2/3

« Les forêts de Saint-Diez sont dans le même état ; celles de Lunéville avaient été livrées à l’avidité de leurs usufruitiers.…. Les brélées attaquent les futaies, rendent le sol stérile pour un siècle, et ont causé les clai- rières qui existent.

« Les gardes causent la ruine des forêts, parce qu'on n’en fait pas de bons choix ; leurs places ne sont recherchées que par ceux qui spéculent sur les délits, ainsi ils en deviennent le fléau. Il ne fallait pas leur ôter leur part dans les amendes.

« Les administrateurs avaient plus à gagner en coupant qu'en conservant. Supprimer beaucoup de scieries, interdire le vain par- cours aux bestiaux, régulariser les droits d’u- sage, etc... Le gouvernement ne peut trop se hâter, sil veut prévenir la ruine totale des Joréts.

« Les demandes des Hollandais ont dé- pouillé insensiblement le pays des superbes Jutaies qui peuplaient la superficie de nos fo- rêts (1). »

(1) La Lorraine peut en dire autant, et quelques mar- chands étrangers en ont seuls profité.

244 ANNALES Département des Basses-Alpes (1792).

Les administrateurs écrivent :

« Nos montagnes n'offrent plus qu’un fuf pierreux..... Les défrichements se multiplient; les plus petits ruisseaux deviennent des tor- rents, et plusieurs communes viennent de perdre leurs récoltes, leurs troupeaux et leurs maisons , par les débordements.

« On attribue la dégradation des montagnes aux défrichements provoqués par les arrêts du Conseil, et à la pratique du fournelage, ce qui cause l'agrandissement et l'encombrement des lits des rivieres.

« Depuis Digne jusqu’à Entrevaux, le pen- chant des plus belles collines est mis à 74; on a coupé et défriché les bois; et cependant, n'est-ce pas du séjour des forêts qu'on voit sor- tir les sources et les ruisseaux, qui portent au loin une fraicheur salutaire? n'est-ce pas le sommet des arbres qui agite les nuages, attire les vapeurs, et sollicite des pluies pour la terre ? n'est-ce pas les bois sont nombreux que les rosées sont abondantes, que les hommes sont forts, les animaux robustes, et les eaux sa- lubres ?

« On incendie et on défriche jusque dans les escarpements; ainsi les habitants em-

EUROPÉENNES: 245 portent, en fagots, la valeur d’une forêt en es- pérance.

Département de l'Isère (1793).

Les administrateurs disent :

« La destruction des foréts change la tem- pérature, augmente la sècheresse, et fait manquer les récoltes.

« Les défrichements sont portés si loin dans le district de Grenoble, que chaque pluie cause des désastres.

« Les montagnes n'offrent que des rochers nus. Les rivières coulent plus rapidement; leurs lits s’élargissent, et ils sont trop étroits dans les crues subites.

« Les rivières n’ont plus un volume d’eau constant ; elles charrient des décombres, obs- truent la navigation , et préparent un ficheux ordre de choses.

« Il y à infiniment moins de sources ; des cantons sont privés de Ja culture des oliviers, dont ls jouissaient autrefois ,set il n’y a plus d'irrigations. » ;

Un agronome de fl'Isere écrivait, à la même époque, à la commission d'agriculture, que l'administration n'avait dit que la moitié du mal. i

246 | ANNALES CA

Département de la Haute-Loire (797).

Les administrateurs disent: « Nous sommes menacés d’une prochaine disette de bois. »

Département de Saône-et-Loire.

Les administrateurs:

« Les défrichements sont portés au dernier degré... Une disette prochaine est à craindre.

« Dans un siecle, le merrain ne pourra suffire à contenir les vins; oz abat partout les futaies. »

Département de la Haute-Saône.

« Nos montagnes sont pelées.…. »

Département du Doubs.

« Le partage des bois communaux à fait abattre partout les arbres , même sur les monts et les rochers, »

Département de la Moselle.

L'administration centrale :

« Les habitants du district de Bitche, ont, de leur chef, abattu et ANT plus Le seize cents arpents.

EUROPÉENNES. 247

« Les habitants d’Authorne et Saremberg , en masse, ont défriché plus de cent cinquante arpents de forêts, et tout brülé sur place …. On en vend la cendre. »

Département d’Eure-et-Loire (1792).

« Les adjudicataires des biens nationaux abattent tous les arbres, etc.

« Les agents forestiers avertissent que les adjudicataires des biens nationaux abattent toute espèce d'arbres. »

Département des Pyrénées-Orientales.

Les administrateurs disaient, au sujet des défrichements :

« Les cailloux des monts entrainés par les eaux, encombrent les lits des rivières, et les font déborder.

« Nos superbes forêts de Ceret et de Prades sont détruites... 11 n’y aura bientôt plus de bois de chauffage; les bois taillis ne peuvent suffire aux forges, et la rigueur des saisons à fait périr une grande quantité d'oliviers.

Département de la Haute-Garonne (x 795).

« Un adjudicataire national a vendu une forèt de trois cents arpents, à différents parti culiers, sous la condition de la défricher.

248 ANNALES

« On défriche le sommet des montagnes; on arrache les arbres, et ces arbres et ces mon- tagnes nous préservaient des frimats, en ce qu'ils servaient d’abris aux vallons , pros- péraient les yignobles et les oliviers. Les pluies entrainent la terre; il n’y reste plus qu'un tuf stérile, et alors plus de dépaissance pour les bestiaux, plus d’abris et plus de ré- coltes.

« On a vu périr, en Languedoc, les oliviers sur des collines 1ls avaient communément prospéré; et déjà, dans les pays de plaine, il y a moins de Lestiaux et de grains.»

Département du Haut-Rhin (1798).

« Les forêts abattues, tant dans les plaines que sur les montagnes, ont changé le climat, ont ouvert des passages aux vents, qui font périr les fleurs des arbres et des vignes, changent les pluies en ondées , les montagnes en rochers stériles, les plaines en champs bri- lants, et l'influence qu’elles ont sur la santé de l’homme, n’est peut être pas moins grande,

Département de la Côte-d'Or (1798).

« Il y a une manie continuelle d’essarter et de défricher.….. Il n’y à plus de futaie, et on

EUROPÉENNES. 249 va manquer de merrains, pour envaisseler les vins de Bourgogne et de Champagne. Bien- tôt fl ne sera plus possible de livrer nos sels, aux Suisses, dans des tonneaux. »

Département du Nord (1798).

Les administrateurs *

« L'abattis des bois est à son comble, eton les défricñe ; il n'est pas de bois national qui ne devienne la proie des spéculateurs: le paie- ment en est à peine effectué, qu'ils sont cou- verts d'ouvriers qui les rasent.»

Département de la Manche (1798).

« Dans la forêt de Sainte-Sévère, à Vire, on y met à garde-fait les bestiaux; on y ar- rache les souches, et on enlève même jusque la terre végétale. »

Département du Pas-de-Calais (1798).

« Il y a partout un grand abattis de bois, et cela présage une grande disette. »

Département de la Dordogne (1798).

« Des réquisitions pour l’armée ont fait abattre de grandes parties de forêts qui ont aussitôt été défrichées.

250 ANNALES. Département du Finistère (1798).

« Les acquéreurs de bois nationauï® in - tentent des proces à ceux qui ne défrichent pas comme eux.

« On ne brüle plus, dans certaines contrées, que des Zandes, des genéts et des fientes de vaches. A Roscoff, on arrache les arbres fruitiers pour les brüler..….. À Plongastel , il n'y à pas un buisson maintenant. »

Département de Seine-et-Marne.

« On a laissé vendre et défricher les bois de Pennemont et d'Henry, près Meaux... »

Département de l'Aveyron (1804).

« La plupart des bois ont été rasés ; le peu qui reste cèdera bientôt à la hache des pillards, à la dent meurtrière des bestiaux , et à l’avidité des nouveaux acquéreurs. Les chèvres se multiplient d’une manière alarmante pour les forêts et les arbres fruitiers... Ici est l’adage : Que toute chèvre emporte chaque jour une charretée de bois sur ses cornes. »

Département de la Meuse (1804).

« Le partage des communaux. a diminué

EUROPÉENNES. 251 les engrais, les récoltes, et augmenté le prix de la viande.....; par la même cause, les forêts sont exposées aux abroutissements des bes- tiaux.... Il a fait multiplier les procès... Il sem- lait être un premier essai de la loi agraire, »

L'épartement de la Meuse-Inférieure (1804). M. Loyse, préfet.

« Les bois sont d’une conservation diffi- cie... 6e qui n'a pas peu contribué à leur dé- vastation.... On coupe ordinairement les taillis à l’âge de huit à neuf ans... Les ouragans dé- truisent ou arrachent beaucoup d’arbres. »

Département des Deux-Nèthes (1804). - M. D 'HerBOUvILLE, préfet.

« Dans la haute-futaie et les bois de pins on n’abat pas de suite; mais on parcourt un es- pace quelconque, et quand tout le bois com- mence à dépérir on abat le tout; on enlève même les souches : ce qui s'appelle déroder. »

Département de la Vendée (1804). M. Mercer, préfet.

« Le sol porte l'empreinte du long séjour des eaux de la mer.

ki. 18

+ . | LE 252 ANNALES « Dans les parties élevées, il ne croit

de l’ajonc et de la M à les landes! ns sont immenses. 3 7 %*

« Dans le bocage, la chaleur est tempérée. par l'ombre des arbres ; le climat des marais é dévore les habitants.

À < « Les incendies causés par la guerre ont

à : : L Lo dévoré une partie de ce département …. L'avis

. . . Ÿ 74 - dité fait faire sur les plus beaux bois des spé- culations réellement effrayantes : la marine

_ est menacée de perdre ses ressources. »

. Département de l’ Yonne (1804).

M. DE LA BERGERIE, préfet.

"4 . « Ce département est peut-être celui qui

N “offre les plus tristes effets de la destruction

“4 des bois, et contre lequel viennent s'évanouir L

les fatales assurances données, que l'intérét privé suffit pour la conservation des bois.

Le centre tres-montueux ou mamelonné, est entièrement dégarni de bois et même d'arbres; il ne possède plus que des bois taillis à ses extrémités ; il n'y a plus de futaie, pas même dans la Puissaie, qui en était si riche autrefois.

Cependant les vignobles de l'Yonne sont immenses , et le mode de leur culture exige une grande consommation de bois, pour les

4”

*

EUROPÉENNES. 253

échalas et pour les tonneaux. Croira-t-on à Paris que , pour ce dernier objet, depuis en-

* viron vingt- cinq ans , On à recours aux forêts

de Ja Lorraine et des Voges, et que le prix de ces bois ouvragés a plus que triplé dans l’es- | pace de vingt années.

PRET Dans la partie du sud, les sécheresses sont ea extrêmes; des villages considérables en sont

réduits à faire des trajets de deux à trois lieues \ pour aller chercher de l’eau.

« À Courson, à sept lieues du chef-lieu, des vieillards ont vu deux moulins sur le ruis- seau d’une fontaine qui ne coule plus qu'en hiver ; tous Les bois circonvoisins ayant été

défrichés.

4 « Les belles fontaines de Druyes, qui au- trefois ravivaient constamment la rivière de

l'Yonne, donnent à peine des eaux par trois bouches, sur onze qu'elles avaient il ya moins d’un siècle.

« Sur d’autres points , les ruisseaux ne sont que des torrents. Il n’est pas cependant de contrée l’intérêt privé devrait plus exciter à conserver des bois, à en semer et planter, puisque toutes les rivières affluent à la Seine.

Encore quelques périodes dans le prix des bois, et il faudra abandonner la culture de la vigne en Bourgogne. »

18.

p' e.

+ 4 ; ui *h

x

25/ ANNALES

Département de Lot-et-Garonne (1804).

M. Pieyre, préfet. |

.

« La prospérité intérieure d’un Etat est tou- jours en raison du perfectionnement de son économie politique.

« De longues alternatives de pluies et de sécheresses y dérangent souvent le cours des saisons, et nuisent beaucoup aux récoltes ; une sorte de météore, appelé brouillard dans “le pays, afflige fréquemment les campagnes dans le printemps, et détruit à-la fois les plus belles récoltes.

« Depuis vingt ans, le prix du bois s’est _élevé dans une progression d'autant plus ra- pide et plus désastreuse, qu'on ne prend au- cun soin pour le multiplier et pour le conser- ver... Cependant le temps presse; pendant la révolution , l'administration forestière est res- tée sans vigueur... Il n'existe plus »:arntenant de haute-futaie dans ce département... Le bois de charpente y est rare, et celui pour la marine en petite quantité. J

« Les arbres à lhège font le principal revenu de cet arrondissement (les landes); le produit en 1789, séleva à cent mille myriagrammes : depuis, les hivers rigoureux l'ont réduit à un

tiers.

» + } 4 EUROPÉENNES: 29

« Sept forges à fer coulé ne vont avec acti- vité que six mois de l’année, à cause de la ra- reté du bois. »

Département d’Ille-et-F'ilaine (1804). M. Bone, préfet.

« La forêt de Painpont est la plus étendue Les pillages des usagers l'ont laissée dans un état de dégradation qui ne suffit plus aux forges ; les acquéreurs se sont empressés de détruire beaucoup de futaies et d'avenues , dépendantes des anciennes possessions des émigrés.

« Les landes de ce département sont de vastes plaines incultes et sauvages, converties en bruyères... Elles furent jadis des foréts ; on en enlève ia terre végétale, et on laisse à 24 le roc ,ou une couche de glaise compacte et morte, à laquelle le laps d’un siècle ne rendra pas la végétabilité.

« Les chèvres menacent les taillis et les cld- tures d’une entiere destruction. »

Département de Vaucluse (1804). M. Bourpon-Varry, préfet.

« Les vieillards assurent qu’autrefois les

256 ANNALES 8

vents du couchant apportaient souvent des pluies en été ; ils soufflent à la même hauteur; ils s’entre-choquent : de des ouragans.

« Avant 1780, on passait plusieurs hivers sans voir de neige dans nos plaines... Mainte- nant il en tombe chaque année; elle couvre en entier la surface de la terre, et jusqu'à interrompre les communications... Quelles qu'en soient les causes, notre climat n'est bientôt plus reconnaissable.

« À des jours purs et tempérés, succèdent

des froids äpres et rigoureux , semblables à ceux des contrées septentrionales de la France.

« A l'abri des montagnes qui sont au nord, l'olivier s'est conservé; Les causes qui l’ont en- ticrement détruit ailleurs en ont ici diminué le nombre... L'huile autrefois était une source de richesses ; elle n’est presque plus un objet d'exportation. k

Depuis le dépérissement des oliviers, il n'est, pour la montagne , que la vigne, l'orge et le sainfoin .

« Une vaste forêt de chénes blancs, d'yeuses, de mélèzes et de pins, couvrit toute cette con- trée : c'est urie vérité attestée... La charrue vint sillonner les fonds... Aujourd'hui , déboisement du département est à-peu-près consommé, par l'effet des défrichements, par

EUROPÉENNES, 257 la tourmente révolutionnaire ; et l'olivier s’est réfugié dans quelques abris isolés; on en attri- bue le dépérissement aux dévastations des bois, dont les hautes montagnes étaient couvertes : on ne saurait douter, en effet, qu'ils ne les protégeassent contre ces redoutables vents du nord, Qui maintenant arrivent sans obstacles, chargés de tous les frimats des régions bo- réales….. L'olivier prospérait dans la vallée de Sault, avant que la plupart des montagnes eussent dté défrichées.…. Le noyer remplace aujourd'hui l'olivier ….

« Le reboisement du département, et sur- tout des hauteurs aujourd'hui dépouillées , est un objet dont on ne doit pas moins s’occu- per.…..., ce qui dépend du Gouvernement et de la confection d’un bon code rural.

Département de la Marne (1804). M. DE JEssainT, préfet.

« A l'est et à l’ouest se trouve un ferrain immense... dénué d'arbres et d’abris.….. Là, se trouvent des plaines de deux à trois milliers d'hectares, plates et unies, sans qu'un seul arbre découpe la voûte du ciel.....; là, Pesprit de destruction a plané sur ce malheureux pays …, On a arraché les avenues, les buissons

Û

2

258 ANNALES

et les fertres.….. 1] existait, il y a dix ans, envi- ron cinq à six cents hectares de bouquets de bois, répandus çà et : plus des deux tiers sont essartés et labourés….. La charue s’y est changée en instrument destructeur. »

Département des Deux-Sèvres (1804). M. Durin, préfet.

« La température est plus favorable dans la partie méridionale, parce que cette partie est abritée des vents du nord, par une chaine assez élevée et couverte de forêts ; les productions y sont plus précoces ; il y a plus de vignes et une plus grande population.

« L'écobuage détruit tous les principes es- sentiels de la végétation , et la terre écobuée tombe dans la classe des terres ruinées et sté- riles…... Il est même de vastes communes qui sont entièrement dépourvues de bois... Les forêts du nord du département sont générale-

ment dévastées.» Département du Bas-Rhin (1804). M. Laumonp, préfet

« Les forêts du département ont éprouvé des dégâts considérables... On y a fait des abattis

EUROPÉENNES. 259 immemses pour les places fortes. En 1799, plus de vingt-mille corps d'arbres …, Les incen- dies se sont multipliées dans le courant de l’été 1800 : plus de trois cents arpents furent la proie des flammes dans la seule forêt d'Hague- nau. »

Département de la Sarthe (1804.

È

M. Auvray, préfet.

« Les forêts et les bois, tant nationaux que particuliers, ont souffert des déprédations con- sidérables depuis la révolution; nr cri d’in- dignation s'élève... Il faut être sur les lieux pour s’en faire une juste idée... Plus on est ré- volté, moins on conçoit qu'il se soit commis de tels délits sous les yeux de tant d’autorités surveillantes.

« De gros arbres abattus, des pièces de marine des piles de 7nerrain enlevées; des arbres de toute espèce emportés en fagots; les bois taillis dévastés par les bestiaux, par une horde continue de pillards, la hache à la main... Tel est le désordre qui n’a pas encore cessé aujourd’hui... La loi ni les gardes n’ont pas assez de force pour en imposer aux pil- lards.

« Jusqu'à présent, les agents de la nouvelle

260 ANNALES

administration n’ont pas fait preuve d’une grande sévérité, ni même du désir d'arrêter le mal ; quelques-uns , se croyant indépendants de l'autorité administrative , n'ont pas:craint de hasarder des propos injurieux : ils se re- gardent comme appartenant à un corps privi- légié.

« Pour se faire une idée des désastreuses an- ticipations., livrées à toute la cupidité de la plupart des administrations , il suffit de jeter les yeux sur les ventes ordinaires , et sur leurs produits dans ce seul département.

« Dans les années VI, VIIF et IX, les coupes et chablis ont produit 566,208 fr.

« Les soumissions ont été admises avec une légèreté et une indiscrétion scandaleuses : soit par la nature de l’objet aliéné , dont ilétait sage de faire la réserve, soit pour la contenance ou l'évaluation... sur des extraits... sur des baux ou sur des procès-verbaux, dont les auteurs étaient souvent des parties intéressées... Telle a été limprévoyante apreté des administrateurs de ce temps. »

Département de l'Orne (1804).

M. 0e La MAGpELrINE, préfet.

« Les acquéreurs des biens nationaux, peu

EUROPÉENNES. 261 confiants ou pressés de jouir, ont spéculé sur le produit du moment, et épuisé les fonds : un tres-grand nombre a détruit toutes les plantations, les clôtures et jusqu'aux arbres fruitiers...

« Le produit des arbres fruitiers est consi- dérablement diminué depuis dix ans : les sai- sons sont devenues plus irrégulières ; les ré- coltes ont manqué pendant quatre années consécutives Dans les plus mauvaises an- nées , il y avait toujours des cantons favori- sés; en l’an 1800, on n’a pas récolté un seul tonneau de cidre : les anciens n’ont pas mé- moire d’une telle année.

« Il existait des pépinières précieuses; on les a détruites... La rareté du bois doit fixer l’at- tention du Gouvernement On sent le besoin d’un code forestier... On a trop long-temps re- gardé les places des eaux et forêts, comme des places de faveur et d'agrément ; elles exigent plus de connaissance qu'on ne le suppose or- dinairement. »

Département de Sambre-et- Meuse (1804). M. Perez, préfet.

« Les forêts sont généralement dévastées ; le bois devient de jour en jour plus rare; on défriche les terrains en bois... »

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262 ANNALES 4

Département de l'Ourthe (1804). M. Drsmousseaux , préfet,

« La dévastation des forêts y est portée au comble, et l’état des bois n’est pas plus satis- faisant ; c'est le résultat d’une administration insuffisante , et des lois incompletes. »

Département du Tarn (1804). M. LAMARQUE, préfet.

« Dans les environs de Lavaur , on cultivait autrefois le mérier ; aujourd’hui très-peu.

« Le prix du bois augmente chaque Jour , et l'on s'aperçoit qu'il devient rare : le merrain est exporté à Bordeaux et à Montpellier.

« Des genéts, des bourdainnes remplacent les antiques chènes de la forêt de Gresigne, concédée à M. de Maillebois , et qu'il a fait dé- fricher par des Saxons. »

Département de l Aisne (180/). M. Daucuy, préfet.

« Les bois nationaux vendus ont, pour la plupart, perdu toute leur valeur entre les mains des acquéreurs, qui les ont achetés par

EUROPÉENNES. 263

petits lots, et qui pressés de jouir, les ont abattus à blanc-éteau.

« Ils ont d’ailleurs tellement rapproché les coupes, qu'ils ne leur donnent pas le temps de repousser.

« Le mauvais état des forêts fait craindre de ne pouvoir pas même entretenir trois fours à- la-fois à la mannfacture de glaces de Saint- Gobin, il n'y a plus qu’une seule halle, de cinq qui existaient avant 1700. »

Département de le Charente (1804). M. DeraisTRE, préfet.

« Les bois de construction proviennent de nos forêts environnantes …. Un bon code fo- restier est nécessaire pour conserver à la France les précieux restes de sa richesse en bois, qui finiront par nous livrer à une disette ef- frayante, et d'autant plus funeste que l’on aura plus de raisons d'en accuser la génération actuelle.

« On réclame de toutes parts l'exécution de l'ordonnance de 1669... C'est un vœu national, que le Gouvernement ne veut ni ne peut mé- connaitre. »

564 ANNALES Département du Cher (1804). # M. Lucçay, préfet.

« Les bois d'usagers sont broutés et coupés dans toutes les saisons... Ils n’offrent plus que l'aspect misérable de bruyères et de pâtis…. Les incendies causent des destructions : le conseil de l'an VIIT a présenté des observations importantes. »

Département de l Allier (1804). M. Hucusr, préfet.

« Ce département offre une des variétés de climats les plus sensibles que l'on puisse ren- contrer... Il y règne des alternatives extrêmes de froid et de chaud.

« Les vents du sud-ouest, qui, au prin- temps, portent presque sur toute la France un temps doux et humide, ne nous arrivent que chargés de frimats , qui règnent sur les som- mets glacés des montagnes... À ces froids suc- cèdent de longues sécheresses ; on croit devoir attribuer ces effets & la destruction d'une grande partie des bois dans les terrains élevés.

« On les coupe à douze et quinze ans... on en épuise le fonds... Les bois de haute futaie

EUROPÉENNES. 265 étaient superbes il y a quarante ans... Un ordre invariable et sévère est nécessaire pour remédier aux pillages, et pour sauver aux moins , à la postérité, Vinquiétude d'une di- sette Hférate et peut-être prochaine, des bois de chauffage et de construction.

« La culture du mérier est aujourd’ hui presque totalement abandonnée... Cependant d'après l’expérience, la soie pourrait être une production de notre climat. » à

Département des Hautes-Alpes (1804). M. pe Bonnaire, préfet.

« Le climat est froid, parce que le vent passe sur des pics élevés, sont amoncelées des glaces éternelles... L'hiver dure long-temps.... La température varie dans la même journée... La gréle menace jusqu’à l'instant des moissons.

« Les torrents sillonnent les flancs des mon- tagnes.…... Au moindre orage, ils grossissent ; ils grondent comme la foudre, roulent des ro- chers et renversent tout ; ils menacent les villes et les villages, et couvrent les environs de ruines et de débris...

« Il y a des villages qui, depuis peu, ont perdu la presque totalité de leur territoire.

« La plupart des montagnes étaient, 1l n'ya

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266 ANNALES pas long-temps, couvertes de belles foréts ; au- jourd’hui leurs sommets ne présentent qu’une nudité affligeante , que des rocs décharnés et stériles. .…… Par-tout on a défriché sur le pen- chant des montagnes ; des ravins profonds les sillonnent ; les torrents se précipitent avec fu- reur ; ils entraînent avec eux la terre végétale ils inondent et encombrent les vallées... L'ame est navrée du spectacle que présente aujour- d'huï les vallées des Hautes-Alpes ; le bois man- quera bientôt pour la consommation, et il n’y a jusqu'à présent aucun moyen pere ÿ Sup- pléer::…:

« Dans le canton de Grave, on nese chauffe déjà plus qu'avec de la bouse de vache, séchée

Département du Var (1804). j M. Faucuer, préfet,

« Expose que dans le pays de plaine, l’abattis d’une vaste forêt change subitement la tempé- rature, et que l’abri disparait....; qu’en 199t et en l'an V, le thermomètre y est descendu jusqu'à sept degrés et demi au-dessous de ZÉrO.

« Quant à la diminution des sources, elle est considérable depuis les défrichements; il

ds”

D EUROPÉENNES. 267 est hors de doute que la chüte des forêts a Jait tarir presque toutes les petites sources, et atténué considérablement les plus impor- tantes. ds Lorsque les pluies tombent sur des terres penchantes et dépouillées de végétaux, elles se changent en torrents superficiels, les forêts en ralentissent la vitesse, et elles se forment des réservoirs : il n’est donc pas indifférent qu'il y en ait sur les cimes des montagnes.

« L'évaporation est peu considérable il y a des forêts : les sources doivent donc être abondantes dans les pays boisés, et elles di- minuent par les défrichements.

« L'écoulement des eaux pluviales et l’éva- poration sont dans leur plus grande force quand les terrains en pente ne sont pas cou- verts par des foréts. ï

« Depuis le déboisement du Var, l'air at- mosphérique est d’une constitution vive et sèche; l’humide que les foréts entretenaient en tempérait l’excès; aujourd'hui les défrichements les ont fait disparaitre , et cette propriété nui- sible a repris toute son intensité.

« Quand les bois environnaient les parties basses et sujettes aux inondations, ils empé- chaient la formation du gaz délétère; ils le changeaient en principe nutritif; ils consom-

I. 19

268 ANNALES maient en gaz hydrogène carbonneux, et ils enrichissaient l'atmosphère d’une grande quan- tité d'oxigene qu'ils poussaient en dehors par la force de la vie, n’eutralisant ainsi les mias- mes des marais.

« Depuis le déboisement, les plaines d'Hières, Fréjus, la Napaule, Saint-Tropez, etc., sont devenues malsaines , et leur état empire tous les jours.

« Les rivières et les marais, par leurs exon- dations, forment des marais... Les attérisse- ments ont toujours lieu sur un plan horizon: tal, même en contre-pente; et leurs couches sont d'autant plus épaisses , qu’elles approchent de la côte. Ce phénomène hydraulique est pro- duit par la hauteur des vagues et par les barres des galets qu’elles accumulent; alors les eaux demeurent stagnantes aux embouchures , les herbes marécageuses surviennent et s'opposent à une prompte évaporation,; et les marais qui font le désespoir de l’art, dévorent des généra- tions entières.

« Ces malheurs avaient déjà occupé les Etats de Provence Les abords des fleuves et des ruisseaux sont bien différents de ceux de lO- céan : il faut donc d’autres lois.

« Depuis vingt cinq ans on sollicite le des- sèchemént des marais, des sources d’Argence,

‘+

EUROPÉENNES, 26g

un des plus terribles du Midi : dix mille francs auraient suffi, et il existe encore.

« La convention avait consigné un fatal denier aux administrations pour les ventes du domaine national, ainsi qu'aux agents fores- tiers pour les coupes ; celle du Var, le croira- t-on ? a vendu à bas prix en l'an VI, à une compagnie ; la superficie de l’ancien port de Fréjus , dont les Etats de Provence avaient en- trepris le comblement par la voie des eaux d’un torrent; plus de cent mille écus avaient été dépensés pour ces travaux utiles et sa/ubres ; mais les acquéreurs ont laissé dépérir les écluses , le torrent du Reiran a repris Son an- cien cours, et une coupable cupidité laisse la ville de Fréjus en proie à l'infection de ces marais. »

Heureusement les choses ont changé depuis, quant au port de Fréjus : voici ce que nous mande à ce sujet, M. Seneguier, originaire de cette ville, et qui nous a passé plusieurs obser- vations solides, sur la situation physique pré- sente, de cette belle Provence , appelée jadis la Parfumée , par la somptuosité des fleurs dont elle était couverte autrefois.

« L'opinion fondée du temps de l’adminis- tration de M. Fauchet, pour ce qui concerne le port de Fréjus, ne l’est heureusement plus

19.

270 ANNEES

aujourd’hui : car les causes de son insalubrité, loin d'aller en augmentant, ont été sensible- ment détruites. Depuis long-temps la majeure partieétaitcomblée, etilnefallait pour achever l'ouvrage, que commencer à utiliser le terrein ; mais comme il appartenait à quatre riches pro- priétaires, personne n'avait un intérêt assez important, pour s'occuper du soin de le cul- tiver. En 1811, toute l'enceinte fut vendue à un seul particulier (beau-frère à M. Raynouard auteur des Templiers) qui, voulant en jouir sur le champ, employa tous les moyens con- venables et obtint un plein succès. Il a fait bâtir, vers le milieu du port, une jolie maison de campagne, entourée de jardins, de prai- ries, de vignobles, de terres labourables, et tout auprès une aire considérable , l’on vient fouler les bleds de tous le quartier , tant le sol est solide et peu marécageux. »

« Cette observation a pour objet l’avantage de Fréjus sous le rapport de l'air, qui s'étant beaucoup assaini, il importe à cette célèbre et malheureuse cité, de changer l’idée qu’on a généralement de son insalubrité ; parce qu'il ne passe pas de voyageur à Fréjus, qui ne se fasse un plaisir d'aller promener ses pas, là, Auguste vint mouiller avec les 300 galères prises sur Antoine, à la bataille d’Actium. »

% EUROPÉENNES, & Département des Basses- Alpes. M. Ducren, ancien préfet

« Quatre cent trente rnille six cent treize hectares (environ un millon d’arpents ) sont improductifs dans le département des ‘Basses- Alpes : c'est plus de la moitié de sa superficie. À une époque, probablement ancienne, la majeure partie de ces 430,613 hectares était couverte de forêts, alors la température de la Haute-Provence, ses eaux , ses vallées devaient étre autres qu’elles ne sont aujourd'hui. La destruction de ces forêts a sans doute été long- temps l'affaire des siècles; tant qu’elle a été opérée par eux, elle a été lente, et l'effet n’en a été ressenti qu'imperceptiblement.

« C'est quand les hommes y ont eu mis la main, que le mal à fait de rapides progrès: aussi apprend-on , si l’on entend les vieillards du pays, que, depuis trente années surtout, on a vu disparaître plus de champs, plus de prai- ries , que peut-être 1l n'en avait été emporté par les torrents dans le cours de deux siècles antérieurs. Il est temps de remédier à cet état de choses , il est temps de recréer le passé : le Gouvernement y est intéressé aussi bien que le département.

4 ANNALES

« Le département des Basses-Alpes, tire ses principales ressources de ses vallées : or les terres de ces vallées sont maintenant empor- tées plus d'à moitié. Sa partie haute, qui se compose de l'arrondissement de Barcelonnette, de celui de Castellane , de la majeure partie de celui de Digne, offre le spestacle de la plus triste infertilité, Les montagnes y sont presque toutes déboisées : il faut pourtant en excepter la vallée de Barcelonnette ; elles se couvrent encore de riches herbages, et chaque prin- temps, des milliers de moutons y arrivent en foule de la terre d'Arles, pour se refaire des fatigues de l'hiver , et se mettre en état de sup- porter le suivant.

« Ailleurs les montagnes ont cessé et cessent successivement d'être couvertes de pâturages. L'œil ne rencontre que des rochers nus , ou de vastes parties noirètres que l’on croirait formées de terre végétale, mais qui, n'étant que le résultat de la décomposition d’ardoises incomplètes, sans cesse altérées par l’intem- périe des saisons, se refuse à toute végétation. Les monts hérissés de rochers sont encore moins hideux : du moins quelques buis, quel- ques genêts , croissent dans leurs fissures ; malheureusement chaque jour arrachés , pour faire du fumier , chaque jour ils deviennent

EUROPÉENNES, 273

plus rares; et quand ils auront cessé ( époque qui n’est pas éloignée), la disette d'engrais, qui existe déjà, sera décuplée; l’agriculture aura décru dans la même proportion, et la po- pulation sera contrainte de quitter un sol qui ne pourra plus la nourrir. »

« Cette déplorable situation a deux grandes causes : la première est la destruction des fo- rêts ; la seconde, la manie des défrichements. »

« Par suite de ces deux causes, les meil- leures terres ont été emportées et le sont tous les jours par les torrents. Rien n’est affligeant comme de voir les vallées couvertes de cailloux dans presque toute leur largeur , et sillonnées seulement de quelques filets d’eau. En apper- cevant, pour la première fois, ces vastes lits de .cailloux, on se demande quelle puis- sance inconnue a-pu y amener tant de débris; mais lorsqu'on siélève sur les hauts sommets, que l'œil, après avoir embrassé les monts moins élevés, pénètre jusqu’au fond des val- lées, alors le voile qui couvre la cause de tant de ravages se soulève, et l’on reconnaît que l’homme et le principal auteur de la désola- tion qui règne autour de lui. »

« En effet, 1l est reconnu que les hautes montagnes exercent une attraction sur les nuages, et que cette attraction est la plus

274 ANNALES

grande possible , lorsque les sommets sont boi- sés ; alors les nuages sont non-seulement atti- rés , mais retenus , forcés de se résoudre en ro- sée, ils entretiennent le pied des forêts dans une humidité permanente. Pénétrant jusqu'aux ré- servoirs préparés par la nature , cette humidité alimente les sources et tient les eaux à un ni- veau presque constant : que si limprudence des hommes vient à détruire les forêts, La face des lieux changent aussitôt. »

« L'effet du déboisement «est de détruire la double attraction des forêts et des sommets : la premiére n'existant plus, la dernière seule ne suffit pas pour retenir les nuages ; ils obéissent aux vents les plus légers, et portent ailleurs le bienfait de leurs eaux. C’est ainsi que l'on passe dans les Alpes, des mois, presque des années, sans recevoir de pluies ; puis tout-à-coup les nuages arrivent de tous les points de l'horizon, s’entassent comme pressés par des vents Oppo- sés, et fondent en torrents qui entrainent tout dans leur cours. Dans les pays très-élevés , dé- garnis de forêts, il n'est guere, pour avoir des eaux, d'autre chance que celles des orages ; mais dans cette chance, on pourrait presque dire que le mal l'emporte sur le bien , car les eaux versées par les orages sont dévasta- trices. »

EUROPÉENNFS. 270

« Si l'on ajoute aux déboisements des som- mets , les défrichements non moins imprudents qui ont été exécutés depuis trente ans, sur les flancs des montagnes, on connaîtra la seconde cause de la situation des Basses-Alpes, et l'on concevra dans quelle progression le mal a s'accroître , surtout lorsque l’on saura que les pentes de ces montagnes forment avec l'hori- zon des angles de 70, même 75 degrés. Sous une inclinaison si rapide ilest impossible, à des terres remuées, de résister aux orages : comment le seraient-elles, quand des pluies ordinaires suffisent pour les entrainer. »

« Dans les pays très-élevés , les gouttes d’eau ont un volume beaucoup plus gros que dans les pays de plaine, parce que, parcourant moins d'espace, elles sont moins divisées par l'air. Ayant plus de volume , elles sont plus pesantes et tombent conséquemment avec plus de rapidité. On voit par-là combien leur action estaugmentée, puisqu'elle estle produit deleur masse par leur vitesse : aussi ces terres impru- demment remuées, qui par hasard auront, la première année, échappé aux orages et présenté l'appât d’abondantes récoltes, l’année suivante ont été emportées toutes entières dans les val- lées , et à leur suite les débris des rochers y sont aussi descendus. Ainsi s'est élevé le lit des tor-

276 ANNALES

rents, et leurs eaux, déversées de plus en plus sur les bords, ont, chaque année, entrainé davantage de meilleures terres des vallées, et en ont couvert davantage des débris des ro- chers. »

« Telles sont les causes de la triste situation du département. On peut avancer avec certi- tude que, si l’on ne se hâte d'y porter remède, bientôt sa population ira diminuant dans sa partie haute, et cela avec une rapidité qui ne s’expliquera que par ce qui précède (1). »

Nous venons de présenter le tableau de cinquante-six départements ou provinces de France , offert par des administrateurs , des magistrats aussi zélés qu'éclairés, précieux ci-

(1) M. Dugied, ayant reçu notre Regenération de la na- ture végétale (2 vol. in-8° ), en janvier 1819, il peut nous être permis de croire que cet ouvrage, fruit de trente an- nées de voyages, de recherches et de méditations, qui embrasse les faits physiques de cette nature, dans la plus g'ande étendue, a pu servir de base au mémoire, que cet administrateur a publié à la fin de 1819, sur le dépar- tement des Basses-Alpes, et dont nous venons de don- ner ici quelques passages.

Toujours empressé à signaler les choses utiles, nous donnons en cette occasion, à M. Dugied ( malgré sa ré- ticence généralement remarquée à notre égard) la preuve que nous aimons à mentionner honorablement tous ceux, qui les offrent en tribut à la société.

EUROPÉENNES. 277

toyens, qui ont vu, observé, écrit sur les lieux les déplorables effets causés dans tout le règne de la nature, par la destruction des forêts... C'est sur les sommets flétris et décharnés, sur les flancs sillonnés et aujourd'hui arides de nos plus belles montagnes, autrefois si majestueu- sement ombragées, qu'ils ont déploré l’enlè- vement de cette somptueuse ceinture végétale, qui zadis réjouissait l'œil, consolait l'homme, maiutenait les douces températures, rafraichis- sait la terre, faisait croître les récoltes avec les précieux végétaux qui appartenaient aux cli- mats de leurs fortunées latitudes.

Ce tableau statistique , qui n'a encore été produit dans aucun autre pays avec cette éten- due et cette effrayante vérité, présente l’image physique des nombreux déserts quise sont suc- cessivement formés dans les contrées naguère les plus délectables,

Ce tableau, rend en plus ou en moins létat de la plupart des contrées de l'Europe, et in- vite puissamment les Gouvernements et les peuples à éviter, à prévenir la plus fatale des catastrophes : épuisement de la terre, le dé- sespoir de l’homme et la diminution graduelle de tous les êtres vivants associés à sa destinée.

278 ANNALES

OBSERVATION.

Nous devons répondre à une erreur évidente de quelques lecteurs qui ont imaginé d'après tout ce que nous avons exposé dans les pre- miéres livraisons, des fàcheux effets qui ré- sultent des débo sements, dans le régime des météores et des températures, que nous fai- sions des vœux pour le reboisement de tous les vuides de la terre : cette pensée extréme, de détruire tout ce qui existe et de reconstruire l’organisation physique de la terre, telle qu’elle a existé dans les premiers temps, ne peut rai- sonnablement être conçue par personne.

Nous devons à cette occasion observer que, dans le plan arrêté pour ces Ænnales, les su- jets à traiter sont classés pour plusieurs an- nées, dans l’ordre plus ou moins direct, soit de leur importance, soit de leur utilité sociale, et que ce ne sera que dans le cinquième cahier qu'on abordera le reboisement indispensable, non des terres cultivables mais des lieux et des sites énculliv bles destinés à protéger au con- traire les cultures et à assurer mieux les ré- coltes, avec tous les autres biens qui découleut d’un bon système de physique végétale.

EUROPÉENNES. 279

Suite sur les Pêches en poissons de mer et en poissons d’eau douce.

Nous avons déjà laissé entrevoir dans les précédents cahiers, combien, dans la situation primitive des choses, la nature offrait dans son inépuisable fécondité de ressources ali- mentaires. Ce tableau des productions natu- turelles, qui a l'infini pour dernier terme, s’étendra successivement avec celle de cet ou- vrage.

En portant nos regards sur les grands réser- voirs des mers, nous y voyons un autre monde, que la providence vivifie dans le silence des abimes. aussi, se signale l’immensité de la prévoyance divine , et toujours comme sur la terre, la plus grande multiplication parmi les espèces, destinées au bonheur de l’homme. Là, la nature ensemence elle-même les vastes champs l'Océan , et, tandis que la terre a maintenant besoin de culture pour produire et ne rend qu’au laboureur qui lui a donné, la mer, sans qu’elle ait rien reçu du pêcheur, lui offre libéralement, lui donne avec profu- sion , et le comble de ses largesses..... Les an- ciennes pêches faites du hareng , seulement

280 ANNALES

dans les mers du nord de l'Europe , vont en fournir une nouvelle preuve. Nous avons donné, dans le dernier cahier, une faible image de l'admirable abondance que la mer Noire et la Méditerranée offrent en poissons particuliers à leurs eaux; il nous reste encore beaucoup à y ajouter; mais les populeux berceaux des profondes mers du Nord , d’où sortent également, à des époques fixes , par masses et par colonnes serrées , d'autres espéces d’une pradigieuse fécondité, parmi lesquelles se distinguent, lés merlans, les maquereaux, les merlns , surtout les mo- rues et les harengs, que nous nous sentons arraché à l’ordre chronologique , et comme en- trainé à présenter le spectacle des grandes pêches, qui alimentent et enrichissent cette autre partie de notre hémisphère. | La pêche du hareng, la plus productive de toutes, et en même temps la plus facile à exer- cer, s'étendit sur tous les rivages l’évangile avait pu être prèché. Dès le commencement du onzième siècle, elle florissait dans le Sund, et donna naissance à plusieurs grandes villes. Copenhague n’était encore qu’une simple bour- gade, habitée par des pècheurs de harengs. Ainsi la pêche avait lieu autour de Pile de Séeland , avant qu'elle füt fixée en Scanie. On

EUROPÉENNES. 281

peut l’assurer d'autant mieux , que vers 1080, Olaf, roi de Danemarck, ayant eu à se plaindre de quelques villes de cette province , les me- naça de les exclure de la pêche du Sund , et que ces villes s'empressèrent de lui donner la satisfaction qu'il exigeait.

Ne bornant point l'exploitation de cette mine féconde aux seules eaux qui baignent leurs côtes, les Norwégiens et les Danoïs se por- tèrent sur celles de Poméranie et de l'ile de Rugen , alors le rendez-vous général des peuples pêcheurs chrétiens et payens qui s’y rassem- blaient au mois de novembre , dès 1080. L'auteur de la vie de Saint-Otton rapporte, qu'en 1124, le hareng fut pêché en si grande abondance sur les côtes de Poméranie, qu'on donnait pour un sou et un quart, ancienne monnaie de Danemarck , la charge d’une voi- ture de ce poisson. Fischer assure qu'avant de commencer la pêche de Rugen, on faisait en- core un sacrifice au dieu des Slaves pour ob- tenir sa protection et sa faveur : d’où il faut conclure que beaucoup .de payens venus de l'Estonie, de la Courlande et de la Livonie, se réunissaient sur le même fond de pêche.

La pêche n’avait pasmoins d'activité dans tous les golfes de la Norwège , depuis le Bihusland jusqu'au Finmark. Les Norwégiens recon-

282 ANNALES

purent de bonne heure que le hareng n'est pas, durant toute l’année , en même abon- dance sur les côtes , et qu'il en arrive , en cer- taines saisons , des radeaux qui viennent de la haute mer. DéjasousOlaf-le Saint , le commerce des pêcheurs du Bähusland , se composait de harengs et de sel ; et dans la première année du régne d'Haquin, la peche de ce poisson fut si abondante , qu'elle occupa tous les bras dans les districts maritimes de la Norwège. Les ports les plus remarquables étaient Bergen, Tourberg, Kougelf, Stavanger, Stenkiar et Sevanger , ainsi que Nider-Aas , aujourd'hui Drontheim.

En Danemarck, Zumf-jord était si renom- pour l'abondance de ses pêches, que les habitants passaient pour y vivre de hareng, comme ailleurs on subsiste du produit des champs. La préparation de tant de poissons exigeait surtout une immense quantité de sel, dont la plus grande partie provenait du com- merce avec les étrangers , surtout avec les marchands de Brême, qui le tiraient des salines de Lunebourg et d'Oderlo, exploitées dès 1054, et peut-être à une époque beaucoup plus re- culée , ainsi que dans le Halland : car la fabri- cation du sel doit dater du moment que les pêches en firent sentir le besoin.

EUROPÉENNES. 283

Dans cet intervalle, l'Islande , dont le hasard avait procuré la découverte, se peuplait insen- siblement. Une foule d'aventuriers sy ren- daient tous les ans, soit pour se soustraire à leurs ennemis dans le cours des guerres, soit pour continuer le métier de pirate et vivre dans l'indépendance. La pêche y fut prati- quée comme en Norwège : elle finit par faire oublier la piraterie, et devint, avec l'éduca- tion du bétail , une des principales professions qui fleurirent dans cette colonie naissante, malgré les obstacles qu'y apportait souvent la rigueur du climai.

Mais dans le siècle suivant, quand les bancs de harengs vinrent se fixer dans les eaux de la Scanie , c'est alors que les Norwégiens se li- vrèrent à la pêche de ces poissons avec autant de succès que d’ardeur. Les immenses richesses qu'ils y acquirent , attestées et célébrées par toutes les chroniques du temps, excitent en- core l'étonnement des peuples, comme elles firent autrefois la jalousie des nations qui partagèrent avec eux ces faveurs de la nature, et finirent par se les approprier.

L'abondance des harengs était si grande dans les eaux du Sund, qu’au rapport de Saxon , le grammairien , les barques pouvaient à peine rompre leurs bancs avec la rame, Il

1. | 20

e

:84 ANNALES

n'était pas nécessaire d'employer des filets pour les prendre , il suffisait d'étendre la main. Comme Waldemar publia quelques règle- ments pour la pêche en Scanie, c’est avec rai- son que le nom de Strôm applique au hareng ce passage remarquable de Saxon , confirmé d’ailleurs par d’autres autorités et par des exemples de pèches aussi prodigieuses dans les temps modernes.

Ces pèches répandirent dans tout le Dane- marck une opulence et un luxe jusqu'alors méconnus des peuples du Nord. « Habillés autrefois comme de simples matelots , dit Arnold de Lubeck , les Danois sont aujour- d’hui vêtus d’écarlate et de pourpre; ils regor- gent des richesses que leur procure chaque année la pèche du hareng sur les côtes de Scanie. Les marchands de toutes les nations viennent leur apporter leur or, leur argent, leurs denrées les plus précieuses, qu’ils échan- gent contre ce poisson, que la providence donne si lhibéralement aux Danois. » Les prin- cipales stations de pêches étaient alors auprès de Falsterbæ , et l'histoire désigne Hambourg, Lubeck , Rostock et Stralsund , comme les prin- cipales villes qui expédiaient leurs bâtiments pour cette pêche.

L'auteur de l’histoire du commerce de l’Alle-

,

EUROPÉENNES. 285

magne en parie à-peu-près dans les mêmes termes. « A l'époque, ditil, la grande pêche du bareng se faisait dans la Baltique, et dans les premières années elle devint si florissante en Scanie, le commerce extérieur de ce poisson était entre les mains de deux nations : les Slaves l’exportaient par terre et les Saxons par mer. Ces peuples , et générale- ment ceux de la Basse-Allemagne , en faisaient leur principale nourriture. Mais quand Pap- parition plus régulière des bancs de harengs eut fixé le rendez-vous des pécheurs auprès de Skanoer et de Falsterbæ, les Brandebourgeois, d'un côté , et les villes Anséatiques, de l'autre À s'emparerent de cette branche de commerce. »

Il est à présumer que les villes Anséatiques n'avaient introduit le luxe en Danemarck et en Scanie , que pour s'emparer plus aisément du commerce du hareng, poisson qui était de- venu une denrée de première nécessité pour tous les peuples chrétiens, à une époque l'on observait scrupuleusement le carême. C'est en faisant naître parmi les Danois desgoûts. dispendieux et frivoles , en leur créant des be- soins factices , que ces villes parvinrent à les dé- pouiller des profits de la pêche, à s’attribuer exclusivement le bénéfice du frêt, du transport du-poisson par mer, qui, s’il n'est pas le plus

20.

286 ANNALES

rermanuable ; est toujours le plus certain; à

s'ériger en arbitres des destinées de la consom- mation, et à devenir ainsi pour les autres na- tions des interméd.aires indispensables dans le Nord et l'intérieur de l’Europe, comme l’étaient- les Vénitiens dans le midi, pour le commerce des épiceries de l'Inde.

Les rois de Danemarck ne virent pas, sans une jalousie secrète, les avantages que recueil- laient ces étrangers d'un ordre de choses si préjudiciable aux intérêts de leurs sujets, et qui, tout en paraissant les enrichir , leur don- nait véritablement des chaînes. Plusieurs fois ils essayèrent de se ressaisir du sceptre de la mer, et d’expulser les villes Anséatiques de leurs pêcheries de Skanoer. Des guerres san- glantes ;, souvent renouvelées dans l’espace de plusieurs siècles, eurent lieu au sujet de ces pêches , entre les rois de Danemarck, qui tentaient à soutenir leurs droits, et les villes confédérées qui les avaient envahis, et presque toujours les forces réunies de ces dernières, æiches et puissantes par ces mêmes pêches, ont- elles triomphé dans ces luttes.

C'est en 1348, ie: Waldemar, maître des deux côtes, établit "en haine contre les villes Anséatiques , et particulièrement contre la ville de Lubeck , le premier told , ou droit de

FUROPÉENNES. 287

passage du Sund, toujours contesté par les puissances marilimes. Sous son règne , la Scanie continuait à être le rendez-vous des pêcheurs de la Prusse, des pays de la Basse- Allemagne, etc. Pour s’en faire une idée juste, il convient de lire le récit de Philippe de Mai- zières, voyageur français, dans le Songe du vieil pélerin , adressé.à Charles VI, roi de France. Il y rapporte, comme témoin oculaire, tout ce que cette pêche lui a offert de remar- quable et d’important. Voici ce qu'il dit à ce sujet.

« Entre le royaume de Norwegue et de » Dannemarque, dit-il , à ung bras de la grant » mer qui départ lisle et royaume de Nor- » wegue de la terre ferme et du royaume’de » Dannemarque ; lequel bras de mer partout » estroit dure XV lieues, et n’a le dit bras de » mer de largeur que environ une lieue ou » deux. Et comme Dieu la ordonne, son an- » celle nature ouvrant deux mois de lan et non » plus, cestassavoir en septembre et en oc- » tobre, le herenc fait son passage de lune des » mers en lautre parmy lestroit, en si grant » quantité, que cest un grant merveille : et » tant en y passe en ces deux mois, que en » plusieurs lieux, en ce bras de XV lieues de » long , on les pourroit tailler a lespée. Or

358 ANNALES

»

»

»

»

vient lautre merveille : car dancienne cous- tume, chacun an, les nefs et les basteaulx de toute Alemaigne et de Prusse, sassemblent a grand ost ou dit destroit de mer , es deux mois dessusdiz, pour prendre le herenc; et est commune rennommeée que ilz sont XL mil (4o mille) basteau du moings a VI personnes, et en pluseurs VIT, VIII ou X; et en oultre les XI mil basteaulx, y a Ve. (boo) grosses et moyennes nefs qui ne font autre chose que recueillir et saler en caques les herencs que les XL mil basteaulx preignent, et ont en coustume que les hommes de tous ses navires, ces deux mois se logent sur la ryve de mer en loges et en cabanes quilz font de bois et de rainseaulx, au long des XV lieues pardevers le royaume de Norwegue. »

« 1lz emplissent les grosses nefs de herengs caques ; et au chief de deux mois huit jours ou environ apres, on n'y trouverait une barge ne herenc en tout l’estroit. Cy a grant batailles de gens pour prendre si petit pois- son : car qui bien veult les nombrer, on y trouvera plus de ITE mil! 300 mille) hommes qui ne font autre chose es deux moïs que prendre le herenc. »

« Et pour ce que je pelerin viel et use, jadis

EUROPÉENNES, 389 » allant en Prusse par mer en une grosse » nave , passay du long du bras de mer dessus: » dit par beau temps et en la saison que le » herenc se prent, et vis lesdictes barques et » bateaulx et grosses nefs, et maingai du » herenc en alant, que les pescheurs me don- » nerent, lesquels et autres gens du pays plu- » sieurs me certifierent des deux merveilles » dessusdictes, si me expédia descrivre ceste » merveille pour deux causes; lune pour re- » cougnoistre la grace que Dieu a fait a la cres- » tiente, assavoir de l’abondance du herenc, » par lequel toute Alemaigne , France, Angle- » terre et plusieurs autres pais sont repeus en » karesme, car les povres gens ont ung he- » renc ét ne peuent pas avoir un gros pois- » son, etc.»

On peut juger , d’après ce récit, quelle pêcher de bareng il se faisait en Scanie, et de quelle importance elle était pour la consommation de l’Europe. Doit-on s'étonner si elle excita si souvent des querelles sanglantes, entre les puissances qui cherchaient à se supplanter sucessivement dans ce genre d'industrie , à une époque il n’y avait point encore de pêche de morue de ‘l'erre-Neuve qui rivalisät avec celle du hareng; époque la religion sem- blait si favorable à l'ambition des villes mari-

290 ANNALES times qui se montraient les plus ardentes à servir ses besoins.

Cette pêche admirable qui n’employait que dans un petit espace 4o mille gros bateaux et 300 mille hommes, pour recueillir depuis des siècles cette manne si régulièrement envoyée par la Providence, pour délecter l'homme, n'est cependant pas, comme nous le verrons par la suite, la dixième partie de ce seul et si délicieux poisson , que les deux mers polaires offrent alternativement chaque année à nos Jouissances, et dont la fécondité est telle , qu'il pourrait seul et pêché sans excès, nourrir au moins la moitié des habitans du globe.

Si abstraction faite du bien le plus précieux, de l'aliment délicat que le hareng offre à tous les peuples de l'Europe, on considère la simple

pêche faite dans le détroit de la Baltique et les

A environnantes sous le seul rapport com- mercial , et qui a été le premier principe de l’in- dustrie, des richesses du Danemark, de la Suede, de la Norwège, des villes Anséatiques et par suite de la Hollande, on pourra se for- mer une idée des frais énormes exigés pour cette pèche et des grands produits qu’elle a offrir. L

Supposons 300 mille hommes occupés pen- dant deux mois à cette pêche, vingt jours aux

Lo

EUROPÉENNES. 291

préparatifs qu'elle exigeait et vingt Jours pour en revenir et désarmer : ce serait donc 300 mille hommes employés pendant cent Jours ; admettons que chaque homme revint à un franc par jour, en y comprenant les dépenses du sel , celle de 40 mille gros bateaux, la cons- truction de 5oo nefs pour préparer le poisson, celle des loges et des cabanes pour abriter une pareille armée de pêcheurs, ce serait au mini- mum pour chaque année, un objet de trente millions de francs d’avances à faire ; et comme on peut au moins porter le bénéfice à pareille somme, il résulte qu’une seule espèce des plus petits poissons produisait, sur un trés-petit espace de mer, une valeur de 60 millions par an ! On peut conclure de ce calcul fort modéré que la nature offre dans les parages de la Nor- wège et de la Baltique, qui sont à notre porte, des richesses plus réelles que ne le sont les porcelaines de la Chine et du Japon, les épice- ries des Moluques, les toiles et les diamans de l'Inde , qui exigent avec nos lingots une navi- gation de douze mille lieues , avec toutes les humiliations et les dangers qui sont attachés à ce commerce stérile du luxe oriental.

Les Hollandais, qui n'ont commencé cette pêche au grand banc du Sund qu’en 1370, long-temps contrariés par la jalousie des villes

P

D 292 ANNALES

Anséatiqués, sont parvenus, par leur éner- giqué constance, à triompher de tous les ob- stacles, à exploiter la plus belle partie de cette pêche, à y trouver la source féconde de leur opulence et de leur puissance maritime.

« L'agriculture, dit Rayÿnal, n’a jamais pu être en Hollande un objet considérable, quoi- que la terre y Soit cultivée aussi parfaitement qu’elle puisse l'être : mais la pêche du hareng lui tient heu d'agriculture; c’est un nouveau moyen de subsistance, une école matelots. Nés sur les eaux, ils labourent les mers, ils en tirent leur nourriture, ils s’aguerrissent aux tempêtes, et ils apprennent sans risqué à vaincre les dangers. »

« Sans bois, sans forêts, écrivait Bentivo- glio, la Hollande construit à elle seule plus de vaisseaux que presque toute l’Europe en- tière : c’est à la pèche du hareng qu'elle a cette obligation ; c’est avec les bras qu’elle y em- ployait, qu’elle déconcerta les projets de la ty- rannie espagnole, et sortit du sein des eaux qui l'entourent, victorieuse de l'oppression. »

« Quoique cette pêche et l’art de saler le poisson (1), dit encore Voltaire, ne paraissent

(1) M. Noël de la Morinière a démontré historique- ment par un diplôme de Louis VIT, en date de 1179,

EUROPÉENNES, 203

point un objet bien important dans Fhistoire du monde, c’est cependant le fondement de la grandeur d'Amsterdam en particulier, et pour dire quelque chose de plus, ce qui à fait d'un pays autrefois méprisé et stérile, une puissance riche et respectable. »

On remarque généralement que les groupes d’iles donnant , par leurs positions opposées, lieu à des courants et qui offrent, avec une pâture plus abondante , des refuges protec- teurs aux poissons les plus faibles, sont plus constamment fréquentés par ces familles : aussi l'espèce d’archipel , que forment au-dessous de l'Islande, les îles de Fero, de"Schetland, des Orcades et des Hébrides qui couronnent le nord de l'Écosse et une partie de l'Irlande, a toujours été un riche fond de pêches en ha:- rengs. D’autres colonnes paussées, soit par leur instinct, soit par les tempêtes ou les ani- maux marins qui les poursuivent, viennent longer les côtes d'Angleterre, des Pays-Bas et

que l’art de saler le hareng était dès-lors connu en France, et que Beuckel Brabancon , en 1347 , ne peut en être l'inventeur , ainsi que le prétendent les chroniques Ba- taves : mais il est juste de convenir que les Hollandais ont porté cet art à un degré de perfection qu'aucun autre peuple maritime n’a encore su égaler.

29/4 ANNALES

de la France, pour nous convier aussi à une partie de cette abondante et annuelle desserte qui va à-peu-prés s’éteindre vers les côtes sep- tentrionales de l'Espagne et du Portugal. La France recevant depuis un temps immémorial, sur un développement d'environ 4/4o lieues de côtes, les dernières files de ces poissons voya- geurs, en fait chaque année une récolte digne d’être appréciée.

Comme toutes les variantes relatives à cette pêche importante sont de nature à intéresser , nous donnons ici la narration faite par un an- cien navigateur, qui se trouvait dans les pa- rages du Groënfand et de l’Islande , au moment elle avait lieu.

Voici ce qu'il dit:

Voulant faire route sur le Groënland, vent d'Ouest nous ramena du côté de la Nor- wège entre l'Islande et l'Écosse, c'était préci- sément le temps du passage du hareng , dont la pêche qui se faisait alors, nous procura un spectacle auquel nous ne nous étions pas at- tendus. Les pêcheurs avaient assemblé leurs barques , au nombre de 12 à 1500, et s'étant mis en mer, ils tirèrent le premier coup de filet le 25 juin, à une heure après minuit.

Cette pêche ne se fait que la nuit, parce qu'alors le poisson est attiré par la clarté des

EUROPÉENNES, 205 lanternes qui l'empêche, en l'éblouissant , de discerner les filets. Le jour on le distingue par la noirceur de la mer et l’agitation qu'il excite dans l’eau en s’élevant jusqu’à sa surface, et en sautant même en l'air, pour éviter la fureur dévorante des autres poissons , ses ennemis. Les filets des pêcheurs étaient longs de deux cents toises, et on les avait teints en brun, pour les rendre moins visibles. 11 n'est pas permis de les jeter en mer avant la Saint- Jean ; parce qu'avant ce temps le hareng n'est pas arrivé à sa perfection, et qu’on ne sau- rait le transporter sans qu'il ne se gâte. En vertu d'une ordonnance expresse de la ma- rine, qui se publie et s'affiche tous les ans, es pêcheurs de Hollande, de Danemarck et de Hambourg, les pilote, les matelots, les mai- tres de barques font serment, avant leur dé- part, de ne point précipiter la pêche; ils le renouvellent à leur retour pour attester que, ni eux, ni personne de leur connaissance, n’a enfreint cette loi; en conséquence de cette affir- mation on expédie des certificats aux vaisseaux destinés aux transports des nouveaux harengs, pour garantir la bonté de cette marchandise, et conserver le crédit de ce commerce.

Pendant les trois premières semaines de la pèche, on met toute la prise pêle-mêle, dans

296 ANNALES

des tonneaux, et on l'envoie promptement en Hollande , dans des bâtiments bons voiliers, qu’on appelle chasseurs, nom qu'on donne aussi aux premiers harengs qui arrivent. À l'égard de ceux que l'on prend après la mi- juillet, à mesure qu'ils entrent dans la barque, on leur Ôte les ouies et on les partage en trois classes : on nomme harengs vierges, ceux qui sont prêts à frayer; harengs pleins, ceux qui sont remplis d'œufs ou de laites ; et Aarengs vides, ceux qui ont jeté leur frai. On sale chaque espèce à part et on les met dans des tonneaux particuliers. La première passe pour la plus délicate ; la seconde est dans son état de perfection ; la troisième se conserve le MOINS.

Plus de cent mille Hollandais vivent de la seule pêche de ce poisson , et plusieurs s'y en- richissent. Ce sont eux qui en fournissent maintenant à presque toute l'Europe; et au- cun peuple n'entend mieux l’art de le pré- parer. Les tonneaux dans lesquels ils encaquent leurs harengs, sont de bois de chéne; et ils les arrangent avec beaucoup d'ordre, dans des couches de gros sel, distribués avec des pré- cautions et des soins particuliers. Le sapin, dont les Norwégiens font leurs tonnes, leur communique un mauvais goût; d'ailleurs ils

EUROPÉENNES, 297

e

y mettent ou trop de sel ou trop peu, et les empâtent mal dans les tonneaux. La lenteur avec laquelle les Anglais préparent ce poisson, lui Ôte de sa délicatesse et la faculté de se con- server. Les Flamands ont trouvé, dans le qua- torzième siècle, la meilleure manière d’enca- quer les harengs : c'est à Guillaume Beukelz qu’on est redevable de cette découverte. L’em- pereur Charles-Quint et la reine de Hongrie allèrent en personne visiter son tombeau , en reconnaissance d’une invention si utile à l’hu- manité et spécialement à leurs sujets de Hol- lande.

Ces derniers , jaloux du commerce et du gain, ont exclu les Flamands de la mer (1), et sont presque les seuls aujourd'hui qui réusis- sent à cette pêche. Tous les harengs que prennent les Français et les habitants de Galles, se mangent frais en partie : on sale le reste, et on l’envoie en Espagne et dans la Méditerranée, La bonté de ce poisson se perd sur nos côtes : et d’ailleurs on ne sait ni le saler , ni le prépa- rer pour le transport comme en Hollande. Bien des gens l’exposent à Ja fumée, pour en faire une marchandise plus durable : les Hollandais

o (x) On doit observer que ce récit est antérieur à la ré- yolution française,

Harengs

saurs,

2002 à ANNALES ? en préparent eux-mêmes beaucoup de cette dernière espèce, et en envoient dans toute l'Allemagne : c'est ce qu'on appelle des harengs saurs. y,

Le pécheur de qui je tiens ces particularités, ajoute notre navigateur , m'a appris sur ce poisson utile et passager, d’autres détails égale- ment curieux, que je vais vous rendre dans les mêmes termes,

« Les harengs ont leur principale demeure dans les abimes qui sont sous les pôles ; de ils envoient, pour ainsi dire, des colonies qui font tout le tour de l'Europe, et reviennent ensuite au Nord, en passant près de l'Islande. Les glaces immenses dont ces gouffres sont toujours couverts, les mettent à l'abri des poissons voraces , qui les guettent continuelle- ment, et à qui la difficulté de respirer ne per- met pas de rester sous la glace. Paisible dans cette retraite , les harengs multiplient si pro- digieusement que la nourriture leurmanquant, ils vont chercher à vivre ailleurs. En quittant leur domicile, ils sont bientôt poursuivis par les baleines , les marsouins,.les chiens-marins, les cabeliaux et autres gros poissons , qui les chassent devant eux dans l'Océan, et contri- buent à les disperser en plusieurs bandes. C'est vers le commencement de l'année que

EUROPÉENNES. 209

débouche la grande troupe. Son aile droite se détourne vers l'Occident et tombe sur l'Islande, d'ou elle envoie un détachement au banc de Terre-Neuve. L’aile gauche s'étend à l'Orient, et dirige sa marche vers la Norwége, la mer Baltique, l'Ecosse et les provinces septentrio- nales de la France. »

« Après avoir fourni aux besoins de tous ces peuples, ces colonnes dispersées se réunissent, pour n'en plus former que deux d’une épais- seur énorme, qui s'en retournent dans leur patrie; l’ane arrive du côté de l'Orient et l’autre par l'Occident : c'est ordinairement au mois d'août, la route est prescrite et la marche ré- glée ; tous partent ensemble; il n'est permis à aucun de s’écarter, point de maraudeur, point de déserteur. Le passage est long, parce que l’armée est nombreuse ; mais dès qu'une fois elle à disparu , on n’en revoit plus jusqu’à l’année suivante, »

« Si vous demandez ce qui peut leur ins- pirer ce goût de voyager, je répondrai, d'après un de nos pécheurs, qu'il naît en été le long des rivages des parties septentrionales de l’Eu- rope, couverts de végétaux, une multitude innombrable d'insectes, de vers et de petits poissons, dont ils se nourrissent : c’est une manne qu'ils viennent recueillir exactement.

1e 21

300 ANNALES

Quand ils ont tout enlevé, ils descendent vers le Midi, une nouvelle pature les appelle, Si ces nourritures manquent, ils vont cher- cher leur vie ailleurs, et alors le passage est plus prompt et la pêche moins bonne, La même loi, ou le même instinct, appelle après eux leurs petits, dès qu'ils ont assez de force pour voyager ; et tous ceux qui échappent aux filets des pêcheurs continuent leur che- min, pour remplir ailleurs le grand but de la nature, c'est-à-dire, pour produire Fannée sui- vante de nouvelles générations. »

« Si quelque chose est digne d’admiration dans la marche de ces animaux, c’est l’atten- tion que ceux de la première rangée, qui sert de signal aux autres, partent sur les mouve- ments des harengs royaux , leurs conducteurs. Lorsque ces poissons sortent du Nord , la co- lonne est incomparablemeut plus longue que large; mais dès qu'elle entre dans un lieu plus vaste, elle s’élargit au point d’avoir une éten- due plus considérable que la longueur de l'Angleterre (200 lieues). S'agit-il d’enfiler un canal ? aussitôt sa colonne s'alonge aux dépens de sa largeur, sans que la vitesse de la marche en soit ralentie. C'est ici surtout que les si- gnaux et les mouvements font un spectacle digne d’étonnement : nulle armée, quelque bien

EUROPÉENNES. 301

disciplinée qu’elle soit, ne les exécute avec au- tant d'ordre et de précision. »

« Ceque nousappelons harengs royaux, sont une espèce particulière qui a pres de deux pieds de long, sur une largeur proportionnée: On prétend que ce sont les conducteurs de leur troupe ; et lorsque nous en prenons un vivant, nous avons grand soin de le rejeter aussitôt dans la mer, pour ne pas détruire un guide si utile. »

« Les pêcheurs qui ont étudié ces diffé- rentes routes , arrivent tous les ans à la Saint- Jean; ils tenderft leurs filets entre deux barques, en lés opposant directement à la colonne des härengs , et en prennent à la fois des quantités prodigieuses. Les oiseaux qui volent sur la mer , leur font connaître en quels lieux ils sont en plus grand nombre; ces animaux les suivent et observent tous leurs mouvements, pour trouver le moment d'en faire leur proie. Mais ce ne sont pas leurs plus cruels enne- mis : les gros poissons leur font une guerre continuelle, Quand la baleine est tourmentée par la faim , elle a l'adresse de les rassembler et de les chasser devant elle vers la côte; lors- qu’elle en a réuni, dans un endroit serré, au- tant qu'il lui a été possible, elle sait exciter par un coup de queue, donné à propos, un

21.

302 ANNALES

tourbillon si rapide, que les harengs étourdis et comprimés entrent par tonneaux dans la gueule du monstre. »

Les deux époques remarquées dans l’appa- rition annuelle du hareng, l’une vers la Saint- Jean entre l'Islande et l’Ecosse, l’autre vers la fin de septembre dans la Baltique, semblent indiquer, ou que les jeunes harengs, qui ne se trouvaient pas encore assez forts pour être du premier voyage, quittent leur berceau quatre mois plus tard, sous la conduite des guides chargés de les diriger ; ou , que d’autres . légions sortant derrière le Spitzberg et la nou- velle Zemble , arrêtées plus long-temps par les glaces et ayant à faire une route beaucoup plus longue , doivent apparaître plus tard.

Icj nous voyons que ce petit poisson , dont l'incalculable surabondance est visiblement destinée aux besoins de l'homme, a reçu de la nature, comme tous les animaux voyageurs qui vivent en société, tels que l'éléphant, le renne , le cigne, l’outarde, l'oie, le canard, le thon , la morue, etc., des conducteurs dans les harens royaux, pour les guider sur une route de pres de huit cents lieues, et reconduire à une époque fixe les débris de cette armée dans les eaux natales.

Pour apprécier le bienfait de cette famille

EUROPÉENNES. 303

de poissons, parmi mille autres qui nous sont prodigués , on peut estimer que, sur une population d'environ cent soixante millions d'âmes que possède l'Europe , au moins les trois quarts, c'est-à-dire, cent vingt millions. d'individus , goütent ou jouissent annuelle- ment plus ou moins souvent de ce délicieux poisson.

Mais cette pêche si riche dans son origine, qui réjouit et alimente depuis huit siècles les habitans de l'Europe, se présente-t-elle encore dans sa première abondance? Est-elle encore de nature à exiger l'emploi de quarante mille grands bateaux et celui de trois cent mille hommes, pour recueillir cette pr écieuse manne si régulièrement envoyée par la Providence ? Hélas! non : il est malheureusement permis de la supposer réduite au moins de moitié, et par la même cause qui a diminué les poissons alimentaires de la Méditerranée : /a destruc- tion du règne végétal.

Le poisson a, aussi bien que le moindre ani- malcule, son instinct et.son intelligence dans l’ordre de ses besoins : il abonde partout il trouve sa pâture , et il fuit les lieux l'hom- me l’a détruite , pour la chercher ailleurs. Plus cette pâture s’anéantit, plus la race doit dimi- nuer dans son nombre, et par suite celui de

304 © ANNALES

toutes les espèces qui en dépendent. Il serait. possible aussi que le hareng eût suivi la mi- gration de la baleine , qui, trop poursuivie par le harpon dans les parages du Groënland , du

Spitzberg et de l'Islande, a fini par se réfugier

sous les coupoles de glaces de la mer Blanche. Nids de la Salangana.

Un voyageur français, se trouvant en Chine, écrivit : « Parmi les différents mets, on nous servit des nids d’oiseaux, qui sont admirables pour les sauces et excellens pour la santé, sur- tout quand on y mêle du gin-seng. On vide une poule, on la nettoie, et l’on a de ces nids qu'on amollit dans l’eau , et qu'on déchire par petits filets. On coupe le gin-seng par morceaux, et l’on fait entrer le tout dans le corps de la poule. On la met dans une porcelaine couverte; on Ja fait bouillir au bain-marie jusqu’à ce qu'elle soit cuite ; on la laisse sur des cendres chaudes pendant la nuit, et, le matin, on mange poule, gin-seng ; nids d'oiseaux, sans sel, sans vinaigre ; et les Chinois trouvent ce mets déli- cieux. Ils font encore avec ces mêmes nids une espèce de soupe de vermicelli, dont la qualité est excellente pour rétablir les forces d’un con- valescent. »

EUROPÉENNES, 305

Un autre voyageur dit à ce sujet : « Il y a aux Indes des oiseaux qui attachent leurs nids aux rochers. Ces nids d’une certaine écume visqueuse qui, en séchant, devient transpa- rente, et détrempée dans l’eau, est un excellent assaisonnement pour les viandes : c'est aussi un grand restaurant à la nature, et les Indiens luxurieux s’en servent fort. Les ambassadeurs de Siam en ont apporté en France, sous le règne de Louis XIV. »

M. de Propiac, auteur d’un ouvrage esti- mable (r), fait sur le même sujet les réflexions suivantes :

« Si l’on s'étonne, en voyant servir des huitres sur nos tables, de la répugnance qu’a vaincre le premier qui a osé en manger, que pensera-t-on des Chinois qui recherchent et font leurs délices d’un mets qui ne se composent que du nid d’un oiseau, connu sous le nom de salangana, ou petite hirondelle. Cet oiseau qui se trouve par millions dans les îles Philip- pines, fournit une branche de commerce con- sidérable , tant aux habitans de cesiles qu'aux étrangers qui fréquentent leurs côtes. Les voyageurs et les savans qui ont parlé de ces

(1) Les Merveilles du Monde, 2 vol., chez Eymery, rue Mazarine, 30. |

306 ANNALES

nids extraordinaires , n'étant pas d'accord en- tr'eux, ni sur leur forme, ni sur la matière qui entre dans leur composition, nous croyons devoir nous borner à rapporter ici les obser- vations que M. Poivre, intendant des iles de France et de Bourbon, a faites sur cette singu- larité de la nature, qui tient vraiment du mer- veilleux.

Voici ce qu'il dit:

« M'étant embarqué, en 1741, sur le vais- seau le Jars pour aller en Chine, nous nous trouvämes, au mois de juillet de la même année ;, dans le détroit de la Sonde, très-près de l'ile de Java , entre deux petites iles qu'on nomme la grande et la petite Toque. Nous fûmes pris de calme dans cet endroit, nous descen - dimes dans le dessein d’aller à la chasse des pigeons verts; et, tandis que mes camarades gravissaient les rochers pour y chercher de ces ramiers , Je suivis les bords de la mer pour y ramasser des coquillages et coraux articulés qui y abondent, Après avoir fait presque le tour entier de l'ilot, un matelot chaloupier, qui m'accompagnait , découvrit une caverne assez profonde, creusée dans les rochers qui bordent la mer. Il y entra. La nuit approchait, À peine eut-il fait deux à trois pas, qu'il m'appela à grands cris. En arrivant, Je

EUROPÉENNES, 307

vis l'ouverture de la caverne obscurcie par une nuée de petits oiseaux qui en sortaient comme des essaims. J’entrai en abattant avec ma canne plusieurs de ces petits oiseaux que Je ne connaissais pas encore : en pénétrant dans la caverne, je la trouvai toute tapissée, dans le haut, de petits nids en forme de bénitiers (1). Le matelot en avait déjà arraché plusieurs, et avait rempli sa chemise de nids et d'oiseaux : j'en détachai aussi quelques-uns : je les trou- vai très-adhérens au rocher. La nuit vint, et nous nous rembarquâmes, emportant chacun nos chasses et nos productions.

« Arrivés dans nos vaisseaux, nos nids furent reconnus, par les personnesqui avaient fait plu- sieurs voyages en Chine, pour être de ces nids si recherchés des Chinois. Le matelot en con- serva quelques livres, qu'il vendit fort bien à Canton. De mon côté, je dessinai et peignis en couleurs naturelles les oiseaux avec leurs nids et leurs petits dedans, car ils étaient tous gar- MUNDO, Re een in

(1) Chacun de ces nids contenait deux ou trois œufs ou petits, posés mollement sur des plumes semblables à celles que les père et mère avaient sur la poitrine. Comme ces nids sont sujets à se ramollir dans l’eau, ils ne pourraient subsister ni à la pluie ni à la surface de la mer; ces oiseaux ont eu l'instinct de ne les bâtir qu’à couvert,

308 ANNALES

nis de petits de l’année, ou au moins d'œufs. En dessinant ces oiseaux, je les reconnus pour de vraies hirondelles : leur taille était à peu. près celle des colibris.

« Depuis, j'ai observé que dans les mois de mars et d'avril, les mers qui s'étendent depuis Java jusqu'en Cochinchine,aunord, etdepuis la

ointe de Sumatra, à l’ouest, jusqu’à la nouvelle iéos à l’est, sont couvertes de rogne ou frai de poisson, qui forme sur l’eau comme une colle forte, à demi-délayée. J'ai appris des Malais , des Cochinchinois, des Indiens Bis- sagas des iles Philippines et des Moluquais, que la salangane fait son nid avec ce frai de poisson (1). Tous s'accordent sur ce point. Il m'est arrivé en passant aux Moluques, en avril , et dans le détroit de la Sonde , en mars, de pêcher avec un sceau de ce frai de poisson dont la mer était couverte, de le séparer de l'eau , de le faire sécher, et j'ai trouvé que ce

(x) Elle la ramasse, soit en rasant la surface de la mer, soit en se posant sur les rochers, cefrai vient se poser et se coaguler. On à vu quelquefois des fils de cette ma- tière visqueuse, pendant au bec de ces oiseaux, et on a cru, mais sans aucun fondement, qu’ils la tiraient de leur estomac au moment ils s'occupent de construire leurs nids.

EUROPÉENNES. 309

frai, ainsi séché, ressemblait parfaitement aux nids de la salangane,

C'est à la fin de juillet et au commence- ment d'août, que les Cochinchinois parcourent les îles qui bordent leurs côtes, surtout celles qui forment leur paracel, à vingt lieues de dis- tance de la terre ferme , pour chercher les nids de ces petites hirondelles.

Les salanganes ne se trouvent que dans cet archipel immense, qui borne l'extrémité orientale de l'Asie, et qui, au moyen des îles qui se touchent, en quelque sorte, devient très-favorable à la multiplication du poisson. Le frai s'y trouve en très-grande abondance: les eaux de la mer y sont plus chaudes qu’ail- leurs : ce n’est plus la même chose que dans les grandes mers.

J'ai observé quelques nids de salanganes : ils représentaient, par leur forme, la moitié d’un ellipsoide creux , alongé et coupé à an- gles droits, par le milieu de son grand axe: on voit bien qu'il avait été adhérent au rocher par le plan de leur coupe : leur substance était d’an blanc jaunâtre, à demi-transparente. Ils étaient composés à l'extérieur de lames très- minces, à-peu-près concentriques, et couchées au recouvrement les unes des autres, comme cela a lieu dans certaines coquilles L'intérieur

310 ANNALES

présentait plusieurs couches de réseaux irrégu- liers, à mailles fort inégales, superposées les unesaux autres , formés par une mullituile de fils de la même nature que les lames exté- rieures , et qui se croisaient et se recroisaient en tout sens.

Dans ceux de ces nids, qui étaient bien entiers, on ne découvrait aucune plume : mais, en fouillant avec précaution dans leur sub- stance , on y trouvait plus ou moins de plumes engagées , et qui diminuaient leur transpa- rence, à l'endroit qu'elles occupaient. Quel- quefois , mais beaucoup plus rarement, on y aperçoit des débris de coquilles d'œufs ; enfin dans presque tous il y avait des vestiges plus ou moins considérables de fiente d'oiseaux.

M. Poivre ajoute qu'il n'a jamais rien man- de plus nourrissant et de plus restaurant qu'un potage de ces nids, fait avec de la bonne viande.

M. de Buffon , qui a tenu, pendant une heure entière dans sa bouche une petite lame qui s'était détachée d’un de ces nids, dit qu’il lui a trouvé d’abord une saveur un peu salée; après quoi ce n'était plus qu'une pâte insipide qui s'était ramollie sans se dissoudre, et s'était renflée en se ram ollissant.

M. Poivre assure aussi qu'aucune espèce

EUROPÉENNES. Sur

d'oiseaux n’est aussi nombreuse ; car d’après le calcul qu’il fait, et duquel il résulte qu'il s’ex- porte, tous les ans, de Batavia , mille picles de nids venant des îles de la Cochinchine et de celles de l'Est , chaque picle pesant cent vingt- cinq livres, et chaque nid une deni-once, l'exportation en serait de vingt-cinq mille pe- sant , et par conséquent de quatre millions de nids : et en passant pour chaque nid cinq oi- seaux, savoir : le père, la mère et trois petits seulement, il s'en suivrait encore qu'il y aurait sur les côtes de ces îles, vingt millions de ces oiseaux, sans compter ceux dont les nids se- raient échappés aux recherches , et encore ceux qui auraient niché sur les côtes du con- tinent. »

On trouve dans le premier voyage du capi- taine Cook, autour du monde, fait en 1768, lors du passage de Rio-Janeiro au détroit de le Maire , l'observation suivante :

« Le 9 décembre, nous observämes que la mer était couverte de grandes bandes , de cou- leur jaunätre, dont plusieurs avaient un mille de long , et trois et quatre cents verges de large. Nous puisàmes de cette eau ainsi co- lorée , et nous trouvâmes qu'elle était remplie d'une multitude innombrable d'atomes termi- nés en pointes, et d’une couleur jaunâtre; il

«#

312 ANNALES

n’y en avait aucun qui eût plus d’un quart de ligne de long. En les examinant au micros- cope , ils paraissaient être des faisceaux de petites fibres entrelacées les unes dans les autres, et assez semblables aux nidus de ces mouches aquatiques , appelées cadis, du genre des phryganéa. MM. Banks et Solander ne purent pas deviner si c'étaient des substances animales ou végétales , ni quelle était leur origine et leur destination. On avait remarqué le même phénomène auparavant, lorsque nous reconnümes, pour la première fois, le conti- nent de l'Amérique méridionale, au nord de Rio-Janeiro. »

Il est probable que si ces trois savants voya- geurs eussent connu alors la substance dont se composent les nids de la salangane, ils au- raient reconnu, dans ce phénomène qui les étonnait, tout simplement du frai de poisson, et l’'admirable fécondité de la nature.

Peut-être est-il digne de remarquer à ce sujet, que des équipages, épuisés par la faim et les fatigues, pourraient en recueillant cette substance séminale, après l'avoir réduite en pâte, y trouver un puissant corroboratif, pour se rétablir, ou soutenir une vie quelquefois menacée de s’éteindre faute d'aliments.

Cook trouva également de ces mêmes

EUROPÉENNES. 313

bandes de frai dans les mers de la nouvelle Guinée. Ces principes de vie, répandus sur de si grands espaces , peuvent faire concevoir une immense production de poissons. Il serait intéressant de savoir à quelles espèces ils ap- partiennent. La nature semble nous les pré- senter sous cette forme, pour nous inviter à les transplanter aux plus grandes distances : ce moyen dont nous parlerons à l’article des

lacs et des fleuves, ne semble pas insurmon-.

table : car Franklin en a déjà démontré la fa- cilité , en transportant du frai de poisson dans des eaux que l'espèce ne fréquentait pas avant ; et les jeunes qui en sont provenus ont pleinement prospéré dans ces eaux ils ont pris naissance.

Tout est encore à faire sous cet important rapport de bonheur social ; il reste d’incalcu- lables richesses à cultiver dans les eaux euro- péennes ; mais il faut pour réussir dans cette œuvre, si digne de tous les vœux, le concours, comme nous l'avons déjà établi, du système végétal , parce que c’est la grande source pro-

lifique qui alimente et protège tout le règne

animal,

314 ANNALES

Tortues de rives et Tortues des hautes mers. : h)

Comme il entre dans le plan de ces Annales de présenter successivement le tableau varié et des richesses naturelles que l’homme a suc- cessivement diminuées dans son aveuglement,

et de tous les dons que la nature a répandus dans les eaux comme sur la terre, pour le ré-

-jouir ou le consoler, les nombreuses familles de tortues qui offrent entre le vaste espace des tropiques, dans leurs œufs et dans leur chair, de précieuses ressources aux riverains des mers et aux navigateurs , méritent de trou- ver ici une faible mention. On a toujours soin de partir d’une époque d’au moins soixante et quatre-vingts ans, qui présentait encore une image, à la vérité déjà bien fugitive de l’an- cienne abondance des choses, pour arriver à l'époque actuelle, qui est, hélas! celle l’in- dustrie si vantée sait si fort détruire les biens naturels.

On écrivait en 1756 : on peut juger de la quantité innombrable de tortues qui fré- quentent les parages de l’Orénoque, par la consommation extraordinaire qui s’en fait dans le pays.

Toutes les nations voisines de ce fleuve, et

EUROPÉENNES. 315 même celles qui en sont éloignées, s’y rendent avec leurs familles, pour en faire la récolte; non-seulement elles s’en nourrissent tout le temps que dure cette pêche, mais elles en font sécher pour les emporter et y joignent une infinité. de corbeilles qu’elles remplissent d'œufs, après les avoir fait cuire. Aussitôt que le fleuve commence à baisser , les tortues vont pondre sur les plages qu'il laisse à découvert. Ces œufs qui n'ont point de coque comme S ‘di ceux de nos volailles, sont revêtus de deux membranes, dont l’une est mince et l’autre plus forte.

ge»

Les grosses tortues pèsent cinquante NIVÉES" mortues

à l'âge de trois ans, et font pour l'ordinaire ,"ives.

entre cinquante et soixante œufs. Une de

suffit pour nourrir une famille nombreuse, et

sa chair est préférable à celle du veau. II y en

a d'une espèce plus petite, qui ne déposent que

vingt ou vingt-quatre œufs dans chaque ni-

chée : il s'en trouve toujours un plus gros que

les autres, c’est celui d’où sort le mâle ; les pe-

tits ne renferment que des femelles, Comme la

chaleur du soleil fait mourir les tortues, elles

profitent de l’arrivée de la nuit, pour déposer

leurs œufs; mais elles se présentent quelque-

fois en si grand nombre, qu’elles s'empéchent

les unes les autres d'avancer, et on en voit une 2 re 22

OEufs

de

316 + ANNALES

infinité, la tète hors de l’eau, qui attendent que les premières leur fassent place. # Après avoir recueilli une certaine duantié

tortues, et de ces œufs, on les lave Jusqu'à ce qu il n'y

huile qu’on

en relire,

Le

reste plus de sable, ni de terre; on les jette dans des barques il y a de l'eau, on les foule avec les pieds, comme le raisin ; et lorsque le soleil a donné dessus pendant quelque temps, il s'élève sur la surface une HANeUE légère qui est l'huile qu’on en veut tirer ; à mesure que la chaleur la fait monter, les MAS la versent , avec des coquilles, dans des chaudières qui sont sur le feu. Elle s’y purifie en bouillant, devient plus belle, plus claire, plus fine que l'huile d'olive.

Les tortues creusent avec beaucoup de tra- vail le trou dans lequel elles veulent pondre; et elles ont soin de le boucher de façon qu’on ne puisse le reconnaitre : pour cet effet , elles unissent la place et la mettent de niveau avec le reste du terrein; mais cette précaution est vaine ; car ce même sable n'étant point affermi il cède sous les pieds des passans, et décèle toute la ponte.

Les jeunes tortues,apres être sorties de leurs

œufs, attendent la nuit pour quitter leurs

trous , etse rendre à la rivière. Elles y vont par la voie la plus courte, tant leur odorat et leur

02

EUROPÉENNES. 317

instinct les guident bien, et il ne leur arrive jamais de sen écarter. On en a quelquefois porté à de grandes distances du fleuve, dans un panier couvert; et apres leur avoir fait faire plusieurs tours, elles ont toujours pris le che- min de l’eau et sans s'égarer.

Les tortues portent une multitude d'œufs : car, outre ceux qu'elles doivent pondre dans l’année, il y en a d'autres dont la grosseur va toujours en diminuant; les plus petits sont comme des grains de millet; d'ou l’on peut juger que ces animaux portent dans leur sein les semences de toutes les tortues qui doivent naitre dans une longue suite d’années.

On écrit à la même date : si les rivières et les côtes des Antilles , et particuliérement celles de la Jamaïque , abondent en poissons, la tortue l'emporte sur tous ceux qu’on y pêche, par la délicatesse et l’excellence de sa chair : on en envoie beaucoup en présent en Angleterre.

Le capitaine Biron , ayant, dans son voyage autour du monde en 1764, eu besoin de se radouber dans le port si malsain de Batavia, une partie de son équipage tomba malade, il dit, à ce sujet : Nous gouvernimes pour nous refaire, sur l’iledu Prince, qui est dans le détroit de la Sonde, et, le 14, nous y vinmes

22.

540: LME * ANNALES

mouiller, Dans ce passage, il nous vint de la côte de Java des canots chargés de tortues ; ils nous en fournirent une si grande quantité, qu'on ne servait rien autre chose aux deux équipages. Nous reslâmes à l'ancre jusqu'au 19, devant l'ile du Prince, nous ne vécûmes encore que de tortues que les habitants de Pile nous vendaient à très-bon compte. »

Le capitaine Carteret, qui fit vers la mêmé époque un voyage autour du monde, ayant à son retour relàché à l'ile déserte de l’Ascension, pour rafraichir son équipage de la chair de tortue, fit débarquer le soir un petit nombre d'hommes, pour retourner les tortues qui vien- draient sur la côte pendant la nuit, et, le matin, ils n'en avaient pas pris moins de dix-huit qui, pesant entre quatre et six cents livres chacune, remplissaient toute l'étendue du tillac.

LL 00 Voici ce qu'en dit à ce sujet le capitaine haute-mer, Cook : « Nous y relâchâmes (dans l’île de l’As- cension } Jusqu'au soir du 31; et quoique plu- sieurs détachements allassent, toutes les nuits, à la pèche des tortues, nous n’en primes que vingt-quatre ; la saison était un peu Irop avan- cée; mais , comme elles pesaient de quatre à cinq cents livres chacune, nous ne nous crûmes

pas fort malheureux.

Nous aurions pu y prendre une grande quan-

EUROPÉENNES. 3 19

de poissons, surtout de celui qu'on appelle vieilles femmes, car je n'en ai jamais vu au- tant ; il y avait aussi des cavaliers, des anguilles et différentes autres espèces; mais nous ne cherchämes point à en faire provision , parce que nous ne voulions que des tortues. Il y a beaucoup de chèvres et d'oiseaux aquatiques, tels que des frégates, des oiseaux du tropique, des boobies, etc.

Un sloupe des Bermudes appareilla peu de jours avant notre arrivée , avec cent cinquante tortues. Comme l'équipage ne pouvait pas en emporter un plus grand nombre, apres en avoir tourné beaucoup d’autres sur différentes grèves sablonneuses, ils les avaient ouvertes pour en arracher les œufs, et ils avaient laissé les carcasses pourrir : action inhumaine et nui- sibles aux navigateurs. Une partie de ce que jai dit de lAscension m'a été communiqué par le capitaine Grèêves, qui paraissait être un homme d'esprit, et qui avait traversé toute l'île. Il fit voile le même jour que nous.

On m'a appris que les tortues se trouvent sur cette ile, depuis le mois de janvier jusqu'au mois de juin. Voici comment on les prend : on place différentes personnes sur les grèves sablonneuses , pour les guetter lorsqu'elles viennent sur la côte déposer leurs œufs : ce

350 : ANNALES

qui leur arrive toujours pendant la nuit; alors on les tourne sur le dos, et on va les chercher . le lendemain.

On nous recommanda d'aller plusieurs à la fois à chaquegreve, de nous tenir tranquilles jusqu'à ce que la tortue füt à terre, de nous lever ensuite, et de la tourner tout d’un coup. Cette méthode est peut-être la meilleure , quand les tortues sont en grand nombre ; mais quand il y en a peu, trois ou quatre hommes suffisent pour la grève la plus étendue , et s'ils font la patrouille la nuit , bat la houle, ils verront toutes celles qui arrivent sur la côte , et ils produiront moins de bruit que s'ils étaient plus de monde; c’est de cette manière que nous avons pris la plupart de celles que nous embarquàmes , et celles que suivent les Américains.

- Il est très-sür que toutes les tortues qu’on trouve aux environs de cette ile y viennent uniquement afin de déposer leurs œufs : car nous n'avons trouvé que des femelles, et de toutes celles que nous avons prises, aucune n'avait l'estomac un peu rempli, signe assuré, suivant moi, que depuis long-temps elles n'avaient point pris de nourriture ; voilà peut- être pourquoi leur chair ne fut pas aussi bonne que celles de quelques-unes que J'ai

EUROPÉENNES. 321 mangées sur la côte de la Nouvelle Galles mé- ridionale (1). »

Cook dit autre part: « Quelques-uns des gens du capitaine Clerke avaient passé la nuit à terre (ile de Noël), et ils avaient eu le bonheur de tourner quarante à cinquante tortues que nous ne tardämes pas à recevoir à bord. Les hommes que j'avais envoyés re- vinrent l'après-midi avec six autres. M. King re- vint à midi ( du lendemain } , et il apporta huit tortues ; il en laissa sur la grève sept que nos gens recueillirent. M. Williamson nous envoya le lendemain deux canots chargés de tortues.

(1) On lit dans le cahier d’avril du Journal des Voyages , dont nous avons à rendre compte, que d’après l'occupation militaire de Sainte-Hélène, les Anglais ont formé, depuis quatre ans, un établissement à l’Ascension, Les habitans étaient en 1819 au nombre de cent treize, dont quatre femmes et deux enfans, outre soixante hommes de garnison. Pendant six mois de l’année, ils font leur principale nourriture des tortues dont l'ile abonde, et quisont plus grandes et plus belles que par- tout ailleurs; mais elles ne paraissent sur la plage que depuis le milieu de janvier jusqu’à la fin d'août. On a eu le bonheur d'y découvrir une source d’eau qui,

quoique faible, est le bien le plus précieux pour ces nouveaux colons. Il est bien à craindre qu’une pareille population fixée sur la terre stérile de l’Ascension, inté- ressée à guetter et à détruire toutes les tortues qui y abor- deront, ne finisse par les éloigner insensiblement de l'ile,

329 ANNALES

Un, .de nos gens égaré dans l'ile rejoigmit PR l'après avoir été vingt-quatre heures ab- sent, et s'être trouvé dans la plus grande dé- tresse ; il ne put se procurer une seule goutte

d'eau, car il n’y en avait point dans l'ile; 1l ima-.

gina de tuer des tortues et d'en boire le sang. Lorsqu'il se sentait accablé de fatigue, il se

déshabillait et se mettait quelque temps dans

les basses-eaux qu’ on voit sur la grève, et il dit

que cette maniere de se rafraîchir ne manqua

jamais de le soulager. à E:

Le 1°” janvier 1778, Fe canots allérent cher- cher le détachement que nous avions à terre, et les tortues qu'il avait tournées. Les deux vaisseaux se procurèrent à cette île environ trois cents tortues, qui pesaient l’une dans l’autre quatre-vingt-dix à cent livres : elles était toutes de l'espèce verte, et peut-être qu’on n'en trouve de meilleures nulle part : nous y

primes aussi à l’hamecçon et à la ligne autant

de poissons qu'il nous en fallut pour notre con- sommation journalière. »

= Les tortues, d'espèces fort variées en cou-

leur, en grosseur et en bonté, se rencontrent

sur tous les rivages et surtout à presque toutes »

les iles qui se trouvent entre les deux tro. piques : c'est-à-dire , sur une longueur de onze cent vingt-cinq lieues de mers autour du globe.

»

L

EUROPÉENNES. 323

Elles forment aliment le plus désiré, le plus nécessaire des marins épuisés par une longue navigation, souvent atteints du scorbut par l'usage des viandes salées, et exténués par les maladies. Les œufs, le bouillon et la chair de tortue sont les corroboratifs les plus salu- taires qu'ils connaissent pour ranimer les sources de la vie : et lorsque, dans ces jours de souffrance et de privation d'aliments frais, vo- guant dans une triste anxiété au milieu des vastes déserts de l'Océan , à toutes les dis- tances de leur patrie et de leurs familles, ils trouvent des tortues qui sont conduites comme par une volonté secrète, en sacrifice pour les soulager , ils sentent alors, par une douce et mystérieuse inspiration, qu'il y a une pré- voyance supérieure qui a répandu partout ses dons pour consoler l'homme dans toutes les afflictions de la vie.

Les tortues paraissent être évidemment des- tinées à servir d’aliment à l'homme. La cui- rasse dont elles sont armées, les rendant invul- nérables aux dents des poissons les plus vo- races , assure leur existence dans les mers. Forcées d'aller confier le sort de leur posté- L rité à la terre et à l'influence du soleil, elles sont obligées de quitter leur élément protec- teur, d'apporter dans un temps irrévocable-

3248 : ANNALES

ment fixé, l'abondance de leurs pontes, et d'y laisser même une partie de leur nombreuse famille, pour le salut de celles qui doivent naître. On voit aussi qu'il est également en- tré dans les calculs de la prévoyante nature, de faire naître proportionnellement plus de femelles que de mâles parmi les tortues, par- ce que les premieres, forcées d'aborder la terre pour y faire leurs pontes, deviennent seules les victimes de nos besoins : les femelles sont donc, par une admirable exception, visible- ment multipliées ici au profit de l'homme, pour que l'espèce ne puisse être détruite. Nous verrons également, qu'à partir des la- titudes qui servent de limites à la vie des tor- tues, il se présente au courageux navigateur d’autres moissons à faire dans les innombrables espèces de coquillages et d'excellents poissons, et qu'à mesure qu'il monte dans les hautes la= titudes des deux hémisphères, son admiration s'accroit , en trouvant vers ces régions soli- taires , qu’on croyait vouées au silence de la mort, un nouveau monde d'êtres et de pro- die Là, s'offrent dans une abondance qu'aucune voix ne saurait rendre, avec tous. les végétaux anti-scorbutiques des légions de canards , d’oies sauvages , d’albatros et de pin- guins, tandis qu'il voit des armées de baleines,

EUROPÉENNES. 325

de cachalots , de veaux , de lions, de chevaux, d'ours et d'éléphants marins, se jouer dans ces mers noires et silencieuses. Cette nouvelle harmonie qui sourit à toute son imagination , lui offre aussi tous les moyens de délecter son appétit, irrité par de longues privations; et pour le satisfaire, il trouve les iles couvertes d'oiseaux, ainsi que toutes les variétés des phoques qui y vivent en paix, et qui ne lui donnent que l'embarras du choix et la peine de les prendre.

Il est à nos yeux peu de physiciens qui soient entrés dans les grands plans de la pro- vidence : ces plans dont notre admiration pro- fonde ne pourra jamais égaler la suprême sa- gesse, paraissent avoir eu pour fin, de mettre en harmonie les productions et les habitants des mers avec les productions et les animaux terrestres. Si l’on daignait faire une fois atten- tion aux analogies frappantes qui existent dans les formes, les mœurs et les instincts, entre les productions et les habitants de ces deux élé- ments, on verrait enfin la création dans son majestueux ensemble, et sous l'aspect mer- veilleux qu'elle .se présente : elle retentirait alors dans tous CE cœurs de la voix sublime de l’éternité qui en est l'origine; mais un seul mot glace et dessèche les impressions les plus

326 ANNALES

douces, les plus imposantes ; ce mot qui a été si fatal à la destinée humaine dés sa pre- mière origine, et qui trompe si fort notre faiblesse, en substituant un esprit idéal à la sensibilité positive , enlève à la nature son charme céleste, et à l'homme beaucoup plus qu'on ne l’imagine de son véritable bonheur.

Arbres remarquables par leur stature, leur volume et leur durée.

On ne saurait prendre une idée plus grande de la durée de quelques arbres qui ornent la terre, dont nous ne pouvons encore marquer la distance qui les sépare de la naissance à la mort, qu’en lisant l’histoire du baob b.

Le baobab croît en Afrique. Son tronc a jusqu'à quatre-vingts pieds de circonférence : sa tête est arrondie, et ses branches descendent fort près de terre , il présente une masse hémi- sphérique d'environ cent cinquante pieds de tour, sur soixante-dix de hauteur. Ses fleurs sont ee et ont six pouces de largeur. Son fruit connu sous le nom de pain de singe, est ovale et a un pied de long; il contient des graines osseuses nichées dans une pulpe agréable à manger , légèrement acides et très- rafraichissantes.

EUROPÉENNES. 327

La durée accordée au baobad étonne li-

magination. Adanson, qui à décrit cet arbre énorme, a cherché à prouver que parmi ceux qu'il avait observés, plusieurs étaient àgés de six mille ans. Si les bases de ce calcul paraissent exagérées ,. nous croyons le fait assez Curieux , pour rapporter ici les observations raison- nables sur lesquelles elles sont fondées.

On ne peut s'assurer des arbres qui viventdes siècles que par la progression de leur grosseur ; et ici elle est déterminée par des inscriptions creusées profondément dans l'écorce jusqu'au bois, et qui marquent leur grosseur à l'époque de l'inscription : c’est par ce moyen, dit Adan- son , que je puis donner quelques probabilités sur la durée du baobab. Ceux que je vis en 1749, aux îles de la Madelaine, près du cap Vert, avec des noms hollandais, tels que Rew, et d’autres noms français, dont les uns dataient du 14°, d'autres du 15° siècle, avaient à cette époque, environ six pieds de diamètre. Ces mêmes arbres avaient été vus en 155 , c'est-à- dire il y avait cent quatre-vingt-quatorze ans, par Tevet, qui les cite dans la relation de son voyage aux terres Antarctiques, en les traitant de beaux arbres, sans en donner la grosseur, qui devait être au moins de trois à quatre pieds, à en juger par le peu d'espace qu'oc-

Baobab d'Afrique.

If d'Ecosse.

328 ANNALES cupaient les caractères des inscriptions ; ils avaient donc grossi seulement de deux à trois pieds dans un espace de cent quatre-vingt- quatorze ans. Outre ces termes d'observation , Adanson en mentionne d'autres qu'on croit inutiles de suivre, mais qui semblent con- cluantes : c’est bien à un arbre pareil qu'on peut appliquer ces vers de Castel :

Combien de fois la terre a changé d'habitants, Combien ont disparu d’empires éclatants,

Depuis que ce géant , du sein de la bruyère, !

Élève vers le ciel sa tête séculaire !

Il n’est pas de peuple sur la terre qui ne chérisse les souvenirs de ses anciens âges : ce doux respect se porte jusqu'aux végétaux qui restent encore à nos yeux les témoins des siècles écoulés dans l’espace du temps infini... Les ruines toutes disposées à nous parler la langue mélancolique des vieux temps, char- ment notre imagination des mystères queleur structure et leur silence même semblent nous révéler.

On montre à Fortingal en Écosse, aux voya- geurs, un if qui a einquante-trois pieds de cir- conférence et qui date de sept à huit siécles. Il est maintenant ouvert et dans un état de vieil- lesse. Un cimetiere est à côté ; les processions

EUROPÉENNES. 329 funebres passent par l'ouverture comme à tra- vers une voûte de cloitre, Qüelques-uünès de ses branches sont encore vertes, et beaucoup de voyageurs en emportent des morceaux comme des reliques. Mille pensées diverses doivent naître à l'aspect de ce Nestor végétal de la magique Calédonie! peut-être a-til été le confident des inspirations mélancoliques d’Os- sian , et répété , avec les échos, les chants har- monieux que ce prince des bardes accompa- gnait aux sons de sa harpe en l'honneur des ombres aériennes de sa patrie.

Le platane est, apres le cèdre du Liban, le plus vaste des arbres connus dans cette contrée et le plus vanté de l'antiquité. Les auteurs de ce temps font mention d'arbres de cette espèce qui ont attiré l'admiration par leur grande sta- ture, leur prodigieuse grosseur , leur vaste étendue et la beauté de leur feuillage.

Pline parle d’un fameux platane , qui se voyait en Lycie, dont le tronc creux formait une grotte de quatre-vingt-un pieds de tour ; Lycinius, gouverneur de la Lycie, a mangé, avec dix-huit personnes, sur des lits de feuilles, dans cette grotte, tapissée de pierres-ponces et de mousses; il assurait y avoir goûté plus de plaisir que sous des lambris dorés, et n’a- voir nullement souffert d’une grosse pluie

Platane , le cèdres des vallées.

r 330 ANNALES

arrêtée par les hauts étages de ses touffes serrées.

On trouve, dans le journal des voyages, la description suivante , faite par le major W. Thorn, du plus bel arbre qui semble orner la terre.

Sur une île située dans la riviere de Ner- budda (21 degrés de latitude) et à dix milles de la cité de Baroach , croît le plus remar- quable bananier de toute l'Inde.

NA Il est signalé par le nom de Æuver-but, en

l'Inde. l’honneur d’un fameux saint qui, d’après ce que dit latradition , y fut enterré vivant parses sectateurs , conformément à ses ordres exprès. Ce bananier était autrefois beaucoup plus grand qu’il n'est actuellement ; mais les grosses eaux ont emporté en plusieurs endroits les bords de l’ile et avec eux les parties de l'arbre, dont les racines se projetaient jusque-là.

Ce qui en reste a environ deux mille pieds de circonférence , mesure prise autour des tiges principales ; mais les branches qui s’é- tendent en forme d’arcades, couvrent un es- pace bien plus considérable.

Les troncs capitaux de cet arbre, qui sur- passent beaucoup par leur dimension nos plus

gros chênes, sont au nombre de trois cent cinquante ; les tiges plus minces, qui vont se

EUROPÉENNES. ! 331

former elles-mêmes en supports solides, s'é- lèvent à plus de trois mille ; chacune d'elles pousse continuellement de nouvelles branches avec des racines pendantes qui , lorsqu'elles se sont fixées dans le sol, forment à leur tour des troncs qui redeviennent les souches d’une progéniture nouvelle, suivant ces beaux vers du poëte:

Cet arbre qui, connu des peuples gangarides À

Etend ses longs rameaux , dont les bras inclinés,

Autour du tronc natal ensemble enracinés,

Remontant vers le ciel en vertes colonnades,

S’élancent en berceaux, se courbent en arcades,

En déployant dans l’air leur dôme ténébreux,

Co:nposent à leur père un cortège nombreux.

Paradis perdu.

. Le kuver-but est fameux dans toute l'Inde, par sa vaste étendue et par sa beauté rare : des corps d’armées pourraient camper à l'ombre de ses branches, qui offrent une habitation spacieuse à d'innombrables bandes de ramiers, de paons et d'oiseaux divers; tandis que les naturels ; vénérant cet arbre comme l’'emblême d’une divinité prolifique, y affluent dans des saisons particulières pour des motifs pieux. Les Anglais, dans leurs excursions de chasse, passent des semaines entières sous son ombre fraiche et verdoyante,

I, 23

332 ANNALES

Cet arbre, qui parait avoir pris naissance avec le monde , a vu passer les nombreuses gé- nérations qui se sont succédées depuis; destiné à vivre aussi long-temps que la dernière, il est peut-être le monument le plus étonnant qui existe sur le globe, avec celui dont nous allons parler.

Axbre con Auprès des ruines antiques de Babylone, temporain fleurit encore le vieil arbre d'Ateli, qui, à ce PEROBIDe que l’on croit, existe depuis le temps des rois de Babylone. Ainsi un seul végétal aurait survécu au peuple, à sa langue, à sa capitale, à son empire! Avec Hoclle vénération regarderait- on ce vétéran du règne végétal, si l'on était

sur de sa haute origine |

M. Raymond présume que les piliers obser- vés par M. Rich (consul anglais à Bagdad), appartiennent aux murs qui soutenaient les jardins suspendus, et que cet arbre ombrageait ce séjour délicieux. Ainsi, peut-être, la grande Sémiramis s’est reposée sous son ombrage....

Get arbre, toujours vert, est d’une espèce très-rare dans le pays ; il ressemble au Zignum-

| vitæ; mais il n’a pas plus que la moitié de son tronc; le bout de ses branches est très-ver- doyant. Quand le vent les agite, dit M. Rich, elles rendent un bruit sourd et mélancolique: ce bruit n'a-t-1il pas quelquefois effrayé la con-

EUROPÉENNES, 333

science de la reine de Babylone?.. ne lui a-t-il pas quelquefois reproché le meurtre de Ni- nus?.. Les habitants du pays prétendent qu'il erre encore la nuit des esprits malfaisants au- tour de ces ruines.

Ainsi Babyloneaux cent portes d’airain, con- nue sous Bélus, il y a trois mille huit cent qua- rante-quatre ans, capitale du plus ancien em- pire de la terre, entourée d’une enceinte car- rée de vingt lieues de murs de deux cents pieds de haut, de cinquante pieds de large, renfer- mant dans son sein deux des sept merveilles du monde, dans les jardins suspendus , et le temple de Bélus , ou la tour de Babel , n’a plus que deux témoins de sa splendeur, de son exis- tence passées, dans un arbre et l'Euphrate, qui lui ont seul survécu, parce qu'ils appar- tiennent à une puissance supérieure à celle de

Parmi beaucoup de lettres obliseantes qu’on daigne nous écrire , concernant les Annales Européennes , nous pensons pouvoir offrir au lecteur celle de M. le secrétaire-général de la préfecture du département du Nord, remar- quable par le caractère de mérite qui la dis- tingue, et le jugement qu'il porte de cet ou

334 ANNALES :

vrage , d’après la lecture réfléchie que cet ad- ministrateur parait en avoir faite.

M.

« Vous m'avez fait l'honneur de m'envoyer les deux premieres livraisons des Æ{nnales Européennes. Je deyais vous en remercier plus tôt. J'ai lu avec le plus vif intérêt cet admirable commencement d’un grand ouvrage , digne de l'attention des Gouvernements. Son succès me paraît une conséquence nécessaire des objets qui y sont traités, des vues profondes qu'il contient, qu'il promet , et de cette noblesse de langage si dignement approprié à de si hautes matières. Je n’ai point attendu jusqu’à ce mo- ment pour faire connaitre mon opinion sur cet important ouvrage, ét vous pouvez, Mon- sieur , me compter au nombre de vos abonnés.

Ce n’est pas en vain que vous le recomman- dez à l’intérêt de MM. les Secrétaires-Généraux; en cette qualité je ne ferai que Justice, en re- commandant un ouvrage qui renferme de si grandes vues d'utilité publique, et qui devrait être dans les mains de tout administrateur et _de tout propriétaire, etc., etc. »

EUROPÉENNES. 333

ANNONCES.

Tablettes Universelles , ou Répertoire des évènemens , des nouvelles, et de tout ce qui concerne l'histoire , les sciences, la littéra- ture et les arts, avec une bibliographie géné- rale. Ouvrage divisé en douze tomes, dont le a paru , dirigé par M. J.-B. Gouriet.

Le prix pour Paris est de 4 fr. par tome sépa- rément; 10 fr. pour trois tomes; 19 fr. pour six. Les douze , l’année, 36 fr. Pour les dé- partements, 75 cent. de plus par tome seul, et 2 fr. par trois tomes ou trimestre. Le port est

double pour l'étranger.

Cet ouvrage qui présente régulièrement, d’un mois à l’autre, tous les actes de haute admi- nistration qui peuvent avoir eu lieu dans cet espace de temps, embrasse aussi tout ce que les arts, les sciences et la littérature en général, peuvent offrir de découvertes utiles , d’ou- vrages et de faits intéressants à connaitre. C'est un répertoire immense, rédigé avec autant de savoir que de mérite, de tout ce qui apparait à l’époque dans le monde savant. Les amateurs de tous les pays trouveront dans ces Ta- blettes , justement nommées Universelles, une

«

336 . . ANNALES

série de choses propre à guider et à éclairer sur ce qu'on peut avoir besoin ou le desir de con- naître : c'est un véritable ouvrage d'optique littéraire, par la diversité et le mouvement des

tableaux qu'il offre au lecteur. +

" Fe. Ar

Nouvelles Annales des Voyages , de la géo- graphie et de l'histoire, publiées par MM. Eryès et Malte-Brun; 17° livraison, année 1821.

On souscrit pour une ou plusieurs années, à la hibrairie de M. Gide fils, rue Saint-Marc- Feydeau, n.20. Le prix de la souscription est de 3o fr. pour Paris ; 36 fr. pour les départe- ments, et 42 fr. pour l'étranger , par année ; composée de 4 vol. in-8 , de plus de 400 pag., avec cartes et fig., divisés en plusieurs livrai- sons. C’est à la même adresse qu'il faut envoyer tous les livres et cartes qu’on desire faire an- noncer dans ces Annales.

e

Journal des Voyages, découvertes et navi- gations modernes, ou archives géographiques du 19° siècle, contenant l’analyse des voyages les plus remarquables, imprimés dans toutes les langues européennes; contenant des rela- tions inédites, des mélanges de géographie et de statistique, les récits des aventures péril-

EUROPÉENNES. 337

leuses de voyageurs et navigateurs contempo- rains, etc., etc., dirigé par M. J.-T. Verneur.

On souscrit pour ce journal qui paraît le premier de chaque mois , et dont il y a déjà 30 livraisons chez M. Colnet, libraire , Quai Mala- quais , n, O.

Le prix de l'abonnement est, pour Poyiel de 30 fr. pour 12 cahiers ou un an, et de 16 fr. pour 6 mois ; pour les départements , de 33 fr. pour un an, et 17 fr. 50 c. pour 6 mois, francs de port ; pour les pays étrangers , 36 fr. par année , et 19 fr. pour six mois, francs de port.

Ces deux journaux d'un haut intérêt, rédi- gés par des hommes dont la réputation de sa- voir est justifiée par de longs travaux en géo- graphie, ont entr’eux une grande ressemblance de parenté , par la nature des matières qu’ils traitent : cette rivalité honorable est tout à l’a- vantage du public : car ce que les uns n’au- raient pu recueillir à temps, les autres viennent nous l’offrir. D'ailleurs le champ de la géogra- phie-physique est aussi vaste que celui de la nature elle-même, c'est-à dire infini. C’est par les voyages que nous acquerrons les connais- sances les plus intéressantes et les plus posi- tives sur tout ce qui vit ou végète sur le globe que nous habitons, et qui n’est pas encore à

338 . ANNALES EUROPÉENNES.

beaucoup près assez connu. Comme il faudrait consacrer un temps que peu d'hommes pos- sèdent, pour lire tous les voyages exécutés jusqu’à ce jour , ilest précieux de trouver, dans des ouvrages périodiques , le recueil de tout ce qu'ils peuvent présenter de plus instructif et de plus attachant; et les deux journaux que nous annoncons ont le mérite de laisser sous ce rapport peu à desirer.

FIN DU PREMIER TRIMESTRE.

ANNALES EUROPÉENNES DE PHYSIQUE VÉGÉTALE ET D'ÉCONOMIE PUBLIQUE,

RÉDIGÉEES

Par une Société d’Auteurs connus par des ouvrages de PHYsiQue, d'HISTOIRE NATURELLE et d'ÉGONOMIE PUBLIQUE.

Suite et conséquence de tout ce qui précède, avec quelques vues sur la chaîne des Andes de l’ Amérique , considérée comme un des

grands monuments méléorologiques de la terre.

eee

Ci. dans lintérêt public que nous nous faisons un devoir de placer, en tête de ce ca- hier, la lettre que nous recevons d’un admi- nistrateur distingué, qu’il ne nous est pas per- mis de nommer, et qui a, comme on le peut voir , l'habitude de lire dans le grand livre de la nature.

M. « Je suis charmé que vous ayez bien voulu faire attention à la lettre que j'ai eu l'honneur de vous écrire, et qui exprime si sincèrement

É: 24

340 ANNALES

la haute opinion que j'ai conçue de l'important ouvrage que vous mettez au jour, sous le titre d'Annales européennes. »

« Je vois avec un plaisir tout particulier, que le ministere lui accorde une attention fa- vorable. C’est au ministère surtout à y donner toute sa pensée. Les Gouvernements ont en- core autre chose à faire que des lois. C’est à eux qu'appartient la noble tàche de réparer les grandes üévastations produites dans le do- maine de la nature, et que vous signalez si bien. »

« Ce n’est point dans la région des astres, comme le croit le vulgaire, qu’il faut aller chercher les causes des funestes altérations opé- rées dans les climats, et de ce trouble qui règne et s’accroit dans les parties d’un grand tout, nécessairement composé avec une har- monie parfaite. Ces causes sont proche de nous, et viennent de nous. C’est la main de l’homme qui pèse sur le globe. On n'a vu jus- qu'ici dans les arbres que des moyens de cons- truction et de chauffage; mais assurément ils ont une plus haute destinée, et c’est ce que vous démontrez, monsieur, avec autant de jugement que de savoir, etc., etc. »

« Agréez, elc. , votre abonné, »

EUROPÉENNES. 34

L'ATTRACTION est, à n’en pouvoir douter, la grande puissance physique qui régit l'harmo- nie du globe : les bois qui, remplis d’électri- cité, aspirent les rayons lumineux, l'air, les vapeurs et tous les fluides répandus dans lat- mosphère, comme principes indispensables à la végétation, sont, par leur action vivante, attractive et variée, les régulateurs naturels des températures et de tous les météores, que le concours du soleil, la forme, la composi- tion et la direction des montagnes modifient suivant les différentes latitudes de la terre,

Originairement chaque zone était le centre d’une sphère différente, qui avait ses clima- tures et ses productions distinctes. Tous les points du globe avaient reçu des attraits et des charmes particuliers pour attacher l’homme à son sol natal, comme au plus beau séjour de l'univers.

Les faits et les observations consignés dans les cahiers précédents démontrent avec évi- dence que la force et les éléments de la végéta- üon ont diminué avec les bois, et qu’à mesure que la charrue à étendu ses limites, Îles ré- coltes sont devenues plus incertaines et moins abondantes.

La trop grande extension de la culture semble

2/1.

3/42 ANNALES

ètre l'effet d'une erreur d’autant plus funeste , qu'elle a pour elle le respect des siècles , parce que les hommes en ont élevé la pratique au rang d’une science, sous les formes les plus vénérables. Ce culte faux, sous une infinité de rapports, et qui a été propagé avec trop de succès, peut-être, par les Triptolèmes de tous les temps, a porté insensiblement la confu- sion et l'épuisement dans les grands labora- toires de la nature. Pour peu qu'on voulüt continuer de s’y adonner avec aussi peu de mé- nagement, il conduirait à l'extinction graduelle de toutes les productions et au dessèchement complet de la terre.

L'usage du pain , qui est le simple résultat de notre éducation, est si peu indiqué par la nalure, qu'on est obligé de faire violence au gout des enfans pour les y habituer; cet usage, disons-nous, est devenu, dans certain pays, le besoin le plus impérieux , le plus indispen- sable. 11 y produit souvent les inquiétudes et les secousses les plus violentes dans l’ordre s0o- cal. Sous ce point de vue, il peut être intéres- sant d'examiner (avec tout le respect que mé- rite un sujet aussi délicat) si cette ressource due éminemment au génie et à la puissance de l'homme fournit, aux prix des plus grands et des plus étonnants travaux, l'équivalent des

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aliments nutritifs et des productions que la na- ture offre gratuitement au moyen des forêts, sur le même espace qu'occupe la culture des grains. +

La nature, quiavaitrépandu, avec ses beau- tés magiques , la profusion sous les pas et au- tour de l’homme, lui avait préparé, dans l’a- bondance des arbres, des eaux et des pétu- rages , les ressources les plus étendues, telles que la chair des animaux, celle des poissons, des volatiles domestiques, des fruits, des légu- mineux variés à l'infini, et par-dessus tout les trésors des laitages , aussi inépuisables que les vastes prairies forestières qui existaient avant les défrichements.

Les bois, les eaux, les paturages sont in- contestablement les trois plus riches sources des productions naturelles. Par l'influence: de ces puissants éléments de l'abondance générale, tout prospère et tout abonde sur la terre.

Les grands bois qui maintiennent les tem- pératures et la présence des eaux , offrent dans les moissons suspendues à leurs rameaux , et surtout dans leurs précoces et intarissables savanes , des avantages immenses qu'on parait avoir perdus de vue depuis que les forétsontété si rapidement détruites.

Ces belles prairies forestières , qui, dès l’au-

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rore du printemps et pendant les trois quarts de l’année , présentaient , à nos troupeaux, des abris et les paturages les plus savoureux , les plus énergiques , permettaient de multiplier sans terme ces précieux animaux; de ménager, de laisser mürir les herbes de nos prés, afin d’éemmagasiner leurs tributs Fee pour les besoins de l'hiver: .

Il n'y a pas plus de quarante ans que J'ai en- core vu le lieu de ma n aissance entouré de bois antiques et nourriciers qui, pendant huit et neuf mois de l’année , étaient remplis de nombreux troupeaux de vaches, de porcs, de chèvres et de moutons, dont la possession était la source d'une douce et modeste aisance dans tous les ménages ; les glands et les faines cou- vraient la terre, fière de sa riche fécondité; partout les pasteurs faisaient résonner, de leurs longs chalumeaux d'écorce de bouleau, d'aulne ou de saule, le ranz pastoral des vaches, que Jean-Jacques n'a pas dédaigné de placer dans son dictionnaire de musique.

De tous côtés les échos joyeux et multiphiés répétaient les sons des flütes champetres et des pipeaux : alors la jeunesse prenait ses inno- cents ébats sous de frais ombrages , au milieu des scènes riantes qu'offrait de tous côtés une nature animée, variée et embellie des plus ai-

EUROPÉENNES. 345 mables attraits; mais ces bois si utiles , et d’un agrément indéfinissable , ont disparu : le vide et le silence des déserts, les privations , la mi- sère même, ont succédé à de doux spectacles, aux accents de la gaieté, à l'honnète aisance.

Nous avons vu, dans le deuxième cahier, que les cultures avaient insensiblement enva- hi, en France, près de98 millions d’arpents de forêts, environ les trois quarts de sa surface totale.

Enftomptant les feuilles et les rameaux très- | nutritifs que broutent les animaux pour les- pace qu'occupent les pieds des arbres, il résulte de cet état de choses, l'extinction d'environ quatre- vingt- dix-huit millions d’arpens de prairies forestières : surface près de neuf fois celles des prairies naturelles que baignent nos eaux , et qui sont pour nous un objet de fenai- son et d’approvisionnement en fourrages de l'hiver.

En accordant six arpents pour la nourriture d'une vache, de deux chèvres et d’un porc seulement (1), qui serait copieusement nourri par les fruits forestiers, et par les racines qu’il

(1) On porte ici une surface double du nécessaire, à cause des générations qui doivent s'élever pour se rem- placer successivemen£.

346 ANNALES déterre en fouillant, il s'ensuivrait que les 98 millions d'arpents de forêts , aujourd'hui défrichés, pouvaient jadis nourrir 6 millions 65o mille vaches ou bœufs du poids de 400 livres; 33 millions 300 mille chevres du poids de 4o livres, et 16 millions 650 mille porcs du poids moyen de 140 livres : ce qui fournit un produit annuel de 10 milliards 323 mil- lions de livres de viande, qui, réparties entre 7 millions de feux, donneraient 1474 livres par famille de quatre individus par an.#

IL.est convenable de remarquer ici que la vache donne quelquefois deux veaux, la chévre plus souvent deux chevreaux; mais la femelle du porc produit deux et trois fois par an, or- dinairement entre six et douze petits par litée: en n’admettant en tout que six au 7ninimum , on sent quel superflu immense pouvait reve- nir au profit de la société.

En supposant le produit moyen d’une “hé à trois pots de lait, et celui d’une chèvre à un pot, il résulterait 83 millions 250 mille pots de lait par jour, ou 16 millions 650 mille livres de beurre, outre 48 millions de livres de lait caillé , ou 24 millions de livres de fromage (1).

(1) La Hollande, dont le sol n’égale en aucune maniere celui de la France , tire annuellement de ses pâturages,

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On s’abstient, pour conserver à ce calcul une juste modération , d'y ajouter limmensité que 98 millions d’arpents de forêts pouvaient of- frir en oiseaux, en poissons, en gibier, en fruits , en miel et en cire, etc., etc., outre le précieux combustible et les bois de construc- tion , si indispensables et si rares aujour- d'hui.

En déduisant de 98 millions d’arpents dé- frichés , 50 millions d’arpents qui se composent de marais , de landes , de bruyères et desur- faces non susceptibles d’être cultivées , il res- tera environ 68 millions d’arpents supposés en état de culture quelconque. On voit que, par le résultat des défrichements, 30 millions d’ar- pents restent en état de stérilité permanente, tandis qu'en état de bois ils ne cessaient de produire.

Le blé ne revenant au même champ d’où il sort, qu'à la troisième année , admettons à présent que, sur ces 68 millions d'arpents de terres, qui se composent de qualités mau- vaises, de médiocres et de bonnes, le tiers (ce qui n’a pas lieu) soit réguliérement en- semencé en blés, qui est le grain du prix le

pour 80 millions de beurres et de fromages, qui s’ex- portent comme superflu de saconsommation.

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plus élevé ; supposons , après avoir déduit ce qu'exigent les semaillés et les pertes qui ré- sultent de l’intempérie des saisons , qu'un ar- pent offre encore en résultat net et d’une ma- niére invariable sept quintaux de blé, les 22 millions 660 mille arpents produiraient 158 millions 620 mille quintaux.

Admettons aussi, en défalquant , avec la partie qui reste en Jachere ; les dépenses énormes que les cultures exigent, principale- ment en chars, en attelages, en fourrages, en bâtiments et en main-d'œuvre, que l’autre tiers, généralement cultivé en orge et em avoine , offre encore la moitié de la valeur des terres ensemencées de blé, ce serait 79 mil- lions 310 mille quintaux à ajouter au premier produit , et qui composeraient dans leur en- semble la quantité de 237 millions 930 mille quintaux de blé.

On sent , à ce calcul tout généreux pour les céréales, qu'il peut couvrir encore les produits des précieuses cultures du lin, du chanvre, de la pomme de terre, de tous les légumineux; de la garance, du pavot, etc.

En adimettant le prix moyen du quintal de blé à 12 francs (1), les 237 millions 930 mille

(1) J'ai vu; pendant vingt ans , dans le département

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quintaux s’éléveraient à une valeur de à mil- liards 855 millions 160 mille francs.

Si, d'un autre côté, on metles 10 milliards 323 millions de livres de viandes différentes , seulement à 6 sols chacune (1), il en résul- terait, outre 49 millions 65o mille peaux avec les poils , une valeur de 3 milliards 254 mil- lions {00 mille francs : c'est-à-dire, un produit de 241 millions 740 mille francs de plus que n'offrent les cultures dans les hypothèses les plus favorables.

Ici, la terre en état de bois , est conservée dans sa beauté, sa force, et son intarissable fécondité; ses productions s'offrent toutes et gratuitement sous la forme des aliments dont on peut jouir immédiatement : aucune circon- stance atmosphérique ne peut ni les altérer , ni les diminuer : là, règne la nature aussi puis- sante que prodigue; elle n’a rien à redouter de l’inclémence des saisons, parce qu’elle les do- mine.

Mais le blé arrivé, après les plus grands tra- vaux, dans les greniers , n'est pas encore, en

de la Meurthe, le prix moyen du sac de blé , pesant 190 livres, à 16 francs, tandis qu'on le porte ici à plus de 22 francs.

(1) Ce prix moyen est généralement au-dessous de ceux des boucheries en France,

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cet état, un aliment; il doit encore passer au moulin ; ensuite par toutes les métamorphoses de la panification, et exiger une quantité de combustibles, immense, pour offrir, tous les jours en France, environ 30 millions de livres de pain , comme nourriture en général simple- ment accessoire aux aliments plus substantiels qui sont nécessaires à l'homme.

On sait que le blé est sujet à des maladies ; que beaucoup de circonstances en causent l’a- varie, et que si une fois la partie glutineuse (très-fermentescible) estatteinte, alors le pain, au lieu d’être un aliment agréable et salutaire, devient une nourriture D dangereuse , dont l'indigent toujours réduit aux ailes infé - rieures , est la premiere victime.

Il est reconnu que près d’un quart des terres défrichées n'offre qu'un faible produit par la culture; soit à cause de leur trop grand éloi- gnement des fermes, qui ne permet pas de leur donner les engrais nécessaires ; soit à rai- son de leur qualité médiocre, ou froide, ou brülante ; on les cultive e plus pour la Rte et par obligation de bail, que pour le produit : ces terres ne sont et ne peuvent être bonnes qu’en nature de bois.

Les cultivateurs, privés de la riche ressource des pâturages en bois, se voient obligés, pour

EUROPÉENNES. 351 nourrir le bétail nécessaire à leurs travaux, et suppléer à l'insuffisance générale des prairies, de cultiver au moins le vingtième de leurs terres en luzerne, en trèfle, sainfoin, etc., sans compter les avoines qui, comme four- rages , alternent avec les blés.

Quelqu'idée que l'on se fasse du calcul com- paratif qui précède, et dans quelque limite que l’on resserre les conclusions que nous avons voulu en tirer, du moins ne peut-on s'empêcher de connaître ici, que, dès que l’homme a interverti, avec excès, l’ordre na- turel des choses établies, il a été obligé de recréer à la sueur de son front, ce qu'il avait détruit sans nécessité.

Il est important de remarquer aussi, que les coupes méthodiques ne peuvent remplir, dans le système général de la nature, les concor- dances que les bois de haute-futaie ont avec les éléments et avec toute l’économie animale. Les taillis, toujours dans l'enfance, sont aux arbres nourriciers ce que les adolescens sont à la virilité; ni les uns ni les autres n’ayant, à cet âge , la faculté de se reproduire, ils ne présentent, en cet état, encore aucune perfec- tion à la société. D'ailleurs ces bois, qui sont ouverts et livrés à l'inclémence des saisons,

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languissent dans leur croissance et voient, par les mêmes raisons , fuir ou périr les oiseaux et les animaux qui y chérissaient leur asile: car ceux qui ne se nourrissent que des fruits des arbres forestiers, comme les tributs d’oi- seaux , ainsi que la biche, le cerf, le chevreuil, le porc et le sanglier, périraient de faim dans les simples taillis, et manqueraient à nos be- soins.

L'économie rurale a perdu des ressources inappréciables dans les plantureux pâturages des anciennes fôrets; non-seulement toutes les espèces de bestiaux pouvaient y subsister sans auire à des arbres séculaires ; mais leur par- cours, qui engraissait le sol, diminuait l’ac- croissement des mousses ; les herbes, les plantes broutées croissaient avec plus de force: enfin nourris par tant de végétaux variés, de parfums différents, et respirant l'air balsa- mique des bois, ces animaux offraient , d'une part, des laitages meilleurs, et de l’autre, une chair plus ferme et plus savoureuse.

Aujourd'hui les bois taillis présentent tout l'opposé de ce tableau d'abondance universelle: c’est celui de la proscription du règne animal, Les troupeaux ne pouvant entrer dans €es jeunes forêts, sans nuire à une végétation qui

EUROPÉENNES. 353

-est encore dans l'enfance , la loi impérieuse de laconservation lesen écarte inexorablement (1). Si par malheur une vache, une chèvre, allé- chées par les pâturages odorants, s'échappent un instant, aussitôt le garde est là, et le pro- ces-verbal s'ensuit.

Nous avons vu combien on se plaignait des chèvres , unique ressource cependant dés fa- milles pauvres... La pénurie des pâturages est devenue telle, dans l'état de nudité actuelle de nos Campagnes, que plusieurs conseils géné- raux de département (session de 1817 } se sont vus contraints de demander que, dans les communes il n'existe plus de parcours, nul ne puisse avoir de bestiaux , sil ne Jus- tifie pas des moyens qu'il a de les faire sub- sister dans ses propres pâturages.

Il faut, pour en venir à une mesure autant sévère contre les familles indigentes , déjà pri- vées de bois , que la nature végétale soit tota- lement détruite : car les simples buissons d’au- bépine, d’églantier et de irœne, qui bordaent nos chemins champêtres, et qu'on laisse cou-

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(1) Les arbres pompant les eaux de l'atmosphère, en raison de leur âge, de leur force, de leur étendue et de leur élévation , les taillis ne peuvent en offrir autant à la terre que les bois de haute-futaie,

» + 354 ANNALES

per et arracher avec beaucoup trop d’indiffé- rence, suffisent par leurs feuilles et leurs ra- meaux, avec le saule, la ciguë et les plantes les plus âpres qui croissent sur les terrains in- cultes, à la sobriété de la chèvre, qui offre en retour son nectar aux enfants des ménages pauvres, pour qui elle est, avec la pomme de terre farineuse, la providence de la vie.

La pomme de terre, dont la culture a été recommandée avec une grande et prévoyante prédilection, par le ministère de l'Intérieur , est le plus riche présent que nous ait fait le nouveau monde. Cette humble racine , long- temps dédaignée, puis médiocrement appré- ciée, est d'une bien autre importance que le blé dans l'économie sociale. Lorsque la grèle , les pluies, les sécheresses diminuent ou dé- truisent même les moissons, cette racine vi- goureuse, qui résiste à tout, vient calmer les inquiétudes que cause la disette des grains. Elle peut être "considérée comme le remède certain contre les famines qui procèdent de la rareté du pain : On ne saurait trop en propager la culturé.

Le blé fort difficile veut , pour bien réussir, une terre forte , substantielle ; des amende- ments et au moins trois labours à la charrue, à l’aide de chevaux ou de bœufs, qui con-

' EUROPÉENNES. 355

. somment les fourrages (1) ; la pomme de terre

ne demande, au contraire, qu’une terre fraiche,

médiocre et sablonneuse ; et au lieu de char-

rue, la bèche et la pioche, avec un travail mo-

déré, auquel suffisent les femmes, les vieillards et les enfants.

Le produit ordinaire d’un arpent de blé (2) est de trois à cinq sacs; celui d’un arpent en pommes de terre, est.de 4o à 60 sacs : ce qui est d’une quantité au moins dix fois plus cou- sidérable que celle du blé, qui exige dix fois plus de sacrifices et de travaux.

Le blé , avant et après être entré dans les granges, est sujet à des avaries et n’est pas en- core , en sortant de la grange , un aliment ; la pomme de terre qui n'éprouve aucune mala- die est, en sortant de terre, et jusqu'à l’ar- rivée de la récolte nouvelle , le meilleur et le plus nourrissant des comestibles.

Le blé, qui à causé la diminution des ri- chesses naturelles , ce grain qui est sujet à toutes les vicissitudes des saisons , après en

(x) Cet objet de consommation est digne de la plus haute considération, parce qu’il diminue, dans une pro- portion immense, les laitages, la chair et la toison des animaux , nécessaire aux ménages.

(2) Je parle ici d’un arpent de vingt mille pieds carrés.

É. 25

M

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avoir indirectement arrêté le cours, n'a visi- blement pas été destiné à l'usage de l'homme; sans quoi il lui aurait apparu, Comme fruit ou comestible, mangeable sous sa première forme: c'est tout simplement, dans nos guérets, une production artificielle , qui ferait désespérer de la providence , si on s’y attachait trop aveu- glément : car les opérations chimiques de la panification , qui changent sa nature, n'offrent jamais qu’un aliment accessoire, et de beau- coup inférieur à celui de la simple et modeste pomme de terre.

Des hommes estimables et bien intentionnés ont, à chaque diseite de grains et sur-tout à l'occasion de celle si générale, si calamiteuse de 1817, proposé de ràper la pomme de terre et d'ajouter, par forme de supplément, en farine à celle fort rare et bien malsaine des blés mouillés, pour en faire un pain mixte de ces deux substances , et d’en augmenter la quantité : c'était, en partant des sentiments les plus louables, allier l'or à l'argent , et pro- clamer, en même temps ,urne erreur nouvelle, qu'il est utile de combattre, parce qu’elle pour- rait avoir à son tour des suites funestes.

Je sais, par plus de vingt ans de séjour à la campagne, que la fécule de pomme de terre, râpée et tamisée dans plusieurs eaux, produit

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une farine blanche, étoilée comme la neige et incorruptible, dont on compose des bouil- lies, des pâtes, des gâteaux d’une saveur, d’une délicatesse supérieure à tout ce que les plus fines farines de blé peuvent offrir. La plus pré- cieuse différence qu'il ya entre ces deux farines, c'est que celle de la pomme de terre fortifie ou rétablit les estomacs débiles ou délabrés , que souvent celle d'un blé malsain a dérangés.

La première enfance est particulièrement intéressée dans cette cause importante : les enfants qui commencent à quitter le sein de leur nourrice, sont nourris pendant près de deux ans, avec la bouillie composée de lait et de farine de blé, qui leur cause souvent des coliques et d’autres souffrances, que la fécule de pomme de terre leur ferait éviter.

Le : procédé du répage de la pomme de terre crue, qui exige d’abord qu'on ait pelé ce tubercule, opération assez longue, suivie de la trituration et de la dessiccation, ce pro- cédé ne peut convenir qu'aux ménages aisés, qui peuvent faire quelque sacrifice pour se procurer un mets aussi délicat : cette fécule se vend aujourdhui comme le sagou des Indes.

Mais proposer sérieusement de räper la pomme de terre pour en faire du pain, c’est

25.

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mal connaitre cette précieuse racine; c'est tout comme si l’on proposait de ràper les pommes et les poires, afin d’en avoir la pou- dre pour en faire des compottes ou des tartes ; on sent que non seulement la réduction de la: pulpe serait forte, mais que le suc gastri- que, qui constitue l'essence et la saveur de la chair, serait perdu.

nature n’a nullement besoin du secours de la science pour se faire comprendre: on reconnait les productions qu'elle nous des- tine au mérite d’être immédiatement un ali- ment pour l'homme. La pomme de terre est, sortant des champs, le meilleur des pains tout pétri: elle n’a besoin que de passer au feu, pour offrir sa délicate et nourrissante fécule, sous toutes les formes imaginables.

J'ai vu, dans plusieurs pays et particalière- ment dans les villages de la Lorraine Alle- mande, verser tous les soirs sur la table du soupé, un grand panier de pommes de terre, cuites tout simplement à l'eau, que la famille mange en guise de pain et de comestible avec du lait caillé; ce n'est qu'après ce repas qu’on mange, avec du fromage, un morceau de pain de seigle, souvent collant, gercé et moisi, plus par habitude que par besoin. Je n'ai jamais vu nulle part , chez les habitants

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de Ja campagne, plus de carnation, de force et de santé.

Il y a huit ans que la récolte des grains ayant été médiocre, le sac de blé est monté, dans le pays que j'habitais (1), de 16 à 50, et jusqu'à 6o francs, prix calamiteux, que la classe des manœuvres et celle des petits ar- tisans, chargés de famille, ne pouvaient plus atteindre. Heureusement que les fruits et sur- tout la pomme de terre étaient pour mo- dérer les inquiétudes et adoucir l’amertume de la privation du pain. J'employais alors une centaine d'ouvriers dans mes ateliers, dont les travaux commençaient à minuit : à sept heures du matin arrivait ce précieux pain du pauvre, sous la forme la plus appétissante : c'étaient des paniers de pommes de terre, rôties au four du poële de tôle que possè- dent tous les ménages de ce pays. Le père, la mère et les enfants, rangés antour, s’en délectaient, sans plus songer qu'il y avait jamais eu de pain de blé pour eux.

Les plus recherchés, et c’est une véritable

(1) Département de la Meurthe. En 1817, le prix moyen du blé a sextuplé dans ce pays, qui est un des plus riches en grains de la France, puisqu'il en fournit à l'Alsace , à la Franche-Comté et à la Suisse,

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friandise pour ceux qui en ont goûté, trem- paient d’abord les pommes de terre dans de l'eau salée, avant de les mettre au four; il est difficile de rendre combien ce comestible devient, par cette simple préparation, agréa- ble et savoureux ; mais ce qui est surtout digne de remarque, c'est que les hommes faits en mangeaient jusqu'à trois et quatre livres, et regagnaient , à cette nourriture saine et substancielle, des forces épuisées par le tra- vail, tandis que la même quantité de pain, mangé seul tous les jours au même repas, les aurait fait périr; car 1l est reconnu qu'il w’y à pas d'indigestion plus facile ni plus dangereuse que celle du pain. Aussi, à partir de cette an- née, la pomme de terre a-t-elle été considérée véritablement comme le pain de la Providence du pauvre, comme le plus puissant secours contre la famine; et la culture en a été par- tout augmentée. #

Les grands déboisements ayant privé les ménages de la ressource des glandées , autre- fois si abondantes pour lengrais des pores, la pomme de terre y supplée à un prix et avec une abondance que le blé ne pourrait offrir : la volaille y trouve également une nourriture qui l’engraisse promptement.

L’adage populaire , qui établit que l’habi-

EUROPÉENNES. 36: tude est une seconde nature , n'est que trop justifié : car l'habitude nous a fait du pain un besoin si impérieux, qu'il semble que de sa possession ou de sa privation dépendent les destinées des Etats.

Les habitants des villes et des grandes villes surtout, privés de beaucoup d'aliments qui se trouvent en abondance dans les campagnes, ont un plus grand motif d'aimer le pain, par- ce que pétri avec les plus belles farines, et offert par l’art des boulangers, sous des formes séduisantes, il leur en rend l'usage aussi néces- saire qu'agréable; mais dans les pays sablon- neux et montagneux , la terre impuissante à produire du blé, n'offre que le seigle, l'orge et le sarasin ou blé noir, la bonté du pain et la jouissance qu'il procure ne sont plus les mêmes : car ici il faut toute la puissance de l'habitude , avec une constitution robuste pour aimer et digérer le pain d'orge, àpre et ter- reux , et le pain de sarasin plus äpre encore, noir comme la tourbe , sans saveur ni agré- ment. Voilà l'aliment du pauvre, et ille veut, parce qu'il porte léfnom de pain.

L'année disétteuse de 1817 a démontré de quelle haute importance il est pour le Gouver- nement et pour la société en général, d'asso- cier aux céréales si visiblement subordonnées

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à l’intempérie des saisons, des cultures dont les produits moins variables puissent suppléer avantageusement à la rareté, à la cherté en quelque sorte périodiques du pain.

La France présente ici un double exemple bien frappant, bien propre à fixer enfin une opinion invariable sur le danger de compter avec trop de sécurité sur les ressources ali- mentaires des céréales ; elle possède bien cer- tainement un des sols les plus fertiles de l'Eu- rope; les cultures y occupent, dans une pro- portion plus grande que partout ailleurs, les trois quarts de sa surface , et cependant l'influence d’un seul vent irrégulier suffit pour altérer , diminuer , anéantir même les moissons et répandre les plus graves inquié- tudes.

L'année 1817 fera à jamais époque dans les annales agronomiques : les cultures les plus étendues promettaient l'abondance ; les cam- pagnes offraient un coup d'œil magnifique; les blés étaient déjà en épis ; l'apparence d’une moisson riche et prochaine réjouissait tous les cœurs ; il ne fallait plus gun mois à linfati- gable laboureur pour jouir du fruit de ses longs travaux, lorsque les hyades pluvieuses sont venues arrêter la maturité des grains si sujets à l’avarie même lorsqu'ils sont sur pied ,

EUROPÉENNES. 363 et changer les plus douces espérances en une calamité publique.

Cette époque, déjà si remarquable par les grands sacrifices faits à la- paix générale, a pré- senté, d’une part, le spectacle profondément affligeant d’une nation éminemment agricole et cultivant un sol des plus fertiles, réduite, par le simple dérangement des vents, à cher- cher son pain aux derniers confins de la mer Noire, aux rivages civilisés de l’ancienne Tau- ride ; distants de huit cents lieues des nôtres ; et de l’autre un ministère sage et prévoyant, forcé de faire dans sa sollicitude l'énorme sa- crifice de7o millions en achat de blés étrangers pourcombler le vide de nos moissons et adou- cir l’accablement d'une famine, grossie, exal- tée par l'erreur et surtout par la fausse opinion qui considère le blé comme une substance in- dispensable , et le pain comme aliment de né- cessité première, comme nourriture d’habi- tude.

Mais quelles n'eussent pas été les suites de cette pénurie de blé , appelée famine , sile mi- nistère eut été moins prompt à approvision- ner la France, ou si les moissons avaient aussi manqué dans la Russie méridionale et dans le royaume de Maroc, qui nous ont envoyé les leurs à notre secours ? L’observateur est encore

364 ANNALES

effrayé de l'idée des maux qui auraient pu nous accabler.

De ces observations fondées sur des faits ir- réfragables et de la plus haute importance, il résulte que tel fertile , que tel bien cultivé que puisse être un pays, les déboisements qui ont interverti la marche primitive des saisons nous ont conduits à une intempérie dans les vents, et à une si grande versatilité dans les clima- tures, que les bonnes moissons ne peuvent plus être attribuées qu'à l'effet du hasard ; en- fin, au cours fortuit et fantastique des mé- téores ; et qu'il serait aujourd’hui difficile de croire que, sur une simple période de cinq an- nées, il n’y eût pas une année de privations, de sacrifices et de larmes.

Il serait donc du plus grand intérêt pour le repos de la société , de parvenir à modifier l’o- pinion enracinée depuis plusieurs siècles , qui

nous fait considérer le pain factice des céréales comme la substance premiere, indispensable à la vie, tandis que la providence, si pré- voyante dans limmensité des productions qu’elle a destinées à l’homme, ne le lui a pas of- fert. Le pain, qui est peut-être laliment le moins convenable à notre constitution, n’est d’ailleurs , on ne doit cesser de le répéter avec courage, qu'une simple nourriture accessoire

EUROPÉENNES. 365

à celles plus substantielles qui nous sont réel- lement indispensables... Et cet aliment acces- soire et artificiel influe cependant non seu- lement sur le bonheur et la paix de la société, mais il à pris un tel rang dans nos besoins, même dans l'opinion des peuples, que les fo- rêts, les températures, notre santé, les plus beaux présents et le plus riche spectacle de la nature, lui ont été, s’il faut le dire, aveuglé- ment sacrifiés.

Il n'est plus temps de se faire illusion. Nous voyons , à n'en pouvoir plus douter, que plus les cultures ont pris d'extension, plus les ré- coltes sont devenues médiocres et incertaines. Comme il serait aussi illusoire que dangereux de trop compter sur les tributs réguliers des céréales , il est urgent de multiplier les pro- ductions farineuses, parmi lesquelles la pomme de terre occupe le premier rang, afin de pré- venir le renouvellement des maux auxquels nous venons d'échapper, et d'éviter aussi les grands sacrifices qu’exige les achats de blés.

Nous avons vu que la modeste pomme de terre , tout en abandonnant les terres les plus substantielles au blé, offre un produit décuple de celui de ce grain. Ainsi cinq millions d’ar- pents dans toute la France, ou 62 mille par département, cultivés en pommes de terre,

vs.

366 ANNALES

produiraient d'une manière presque inva- riable, autant que cinquante millions d’ar- pents dans tout le royaume, ou 620 mille par département, cultivés en blés dans les hypo- theses les plus favorables.

Si le ministère de l'Intérieur , que distingue une sage prévoyance, continue à augmenter les primes d'encouragement pour la culture de

la pomme de terre , il la conduira à sa volonté, DT dixième des terres arables, et dès-lors il _ fera cesser pour jamais toute possibilité de fa- mine réelle on même imaginaire, et maintien- dra aussi avec certitude le prix du pain au taux modéré qui convient au bonheur et à la tran- quillité du peuple.

Cet heureux ordre de choses facile à réaliser, est vivement à désirer, parce que les prix du pain et du bois, servant d'échelle aux prix de toutes les autres denrées, il en résulterait, avec une tranquillisante sécurité , une économie générale dans celui de la main-d'œuvre peur tous les arts et métiers.

: Nous avons dit que les récoltes, dans l’état de nudité se trouve réduite une partie de la terre, dépendaient aujourd’hui plus du cours fortuit et variable des vents particuliers, aux- quels de nouveaux et de trop grands vides ont donné naissance , que de l'ancien ordre astro-

EUROPÉENNES. 367 nomique des saisons, que les vents cardinaux avaient la mission de maintenir.

Les vents cardinaux avaient, dès les premiers âges du monde, leur point de départ des quatre pôles de la terre, pour l’assainir et la faire fructifier au moyen de leur souffle alter- natif et régulier : comme ils changent de caractère et de nature, par la situation des continents, des mers et des latitudes, nous ne parlerons que de ceux qui exerçaient autrefois leur heureuse influence sur l'Europe, pour nous faire jouir du bienfait invariable des sai- sons : nous disons autrefois, parce qu'il est bien visible aujourd'hui que cet ordre pri- mordial est interverti par des causes qui pro- cèdent des ouvrages de l'homme.

Plus on considère ce grand édifice du monde, plus on remarque cette harmonie toujours existante d’une attraction mutuelle et immense, qui étonne la conception humaine... Le soleil et les pôles, qui sont les grands foyers de la dilatation et de la condensation , semblent avoir confié aux vents qu'ils engendrent, le soin de modifier les températures et les saisons; et si leur naissance et leur cours étaient le pro- duit des vides de la terre’, de la dilatation et de la condensation de Fair, nous pourrions concevoir que la cause d’un vent peut avoir

368 ANNALES

lieu à une distance indéfinie de son point de départ : leur cours régulier ou irrégulier pour- rait donc être attribué au plein ou au vide qui a lieu sur la terre.

Ilest si vrai que les températures qui, par leur durée et leur intensité, forment les saisons, recoivent leur modification des vents, qu'on a de tous temps considéré les quatre vents car- dinaux comme destinés , dans leur mission primitive , à caractériser les véritables saisons astronomiques.

Dans les premières époques, la terre ne pré- sentait d’autres vides que l’espace des mers, des lacs, des fleuves, et ceux des immenses chaines de prairies qui, gracieusement enca- drées par des masses serrées de bois élevés, se suivaient sans autre interruption d’une extrémité du continent à l’autre. Les vents n'ayant alors qu’une cause, qu'une origine, ne pouvaient avoir qu'un cours uniforme, dont la direction, la hauteur des montagnes et la nature des boisements , modifiaient l'influence suivant les besoins des latitudes.

Le vent d’Est, Nord-Est , succédant après la révolution de l'hiver au vent du Septentrion , parcourait la terre depuis les rivages de la Chine jusqu’à ceux de l'Atlantique sur un mé- ridien de 2500 lieues : il devait être un vent

EUROPÉENNES. 369

sec el encore àpre, mitigé cependant par son influence Orientale : sa mission étant d’adou- cir la fin de la saison hivernale, et de préparer insensiblement le réveil de la nature, il avait à nous garantir de la fonte trop subite des neiges; à sécher lentement la terre; à prépa- rer la végétation, mais à la préserver eepen- dant par son àpre sécheresse de trop de préci- pitation, pour ne po'nt l’exposer aux surprises des frimas.

Après ce vent préparateur des riantes scènes du printemps, se levait le vent chaud et humide du Midi, qui fondait et éteignait les neiges, grossissait et développait les embryons des fleurs, en étalant au milieu d’un atmosphère de parfums, la somptueuse magnificence de la nature, et préludait, par les plus douces émanations du soleil, au réveil de tout ce qui avait reposé, et à l’annonce de tout ce qui devait répandre le bonheur.

Après la vivifiante révolution du vent du Midi, venait le vent frais d'Occident qui, ac- compagné de ses hyades pluvieuses , abreu- vait la terre altérée, donnait le dernier dé- veloppement aux végétaux, et abandonnait ensuite aux feux du soleil le soin de mürir les fruits.

Le vent du Septentrion reprenait son em-

370 ANNALES

pire à la suite de toutes les récoltes ; il arrivait pour couvrir la terre de son brillant vêtement d'hiver , et approvisionner les fontaines, desti- nées à alimenter les ruisseaux et les fleuves; en rendant le repos à la nature fatiguée, il donnait à l’homme le loisir de jouir, au foyer de sa famille, de toutes les productions en- fantées par les trois autres périodes de l’année.

Ces vents de première origine, aussi néces- saires que le soleil Tui-mème, pour assainir et fructifier la terre, nous apportaient à des époques fixes, des quatre points cardinaux du monde, leurs influences appropriées qui ont depuis les premiers àges marqué quatre sai- sons distinctes, répondant exactement aux équinoxes et aux solstices, et décrivant leurs révolutions aussi régulièrement que l’astre du jour autour de notre sphère; ils modifiaient graduellement, par les souffles intermédiaires de chaque quart de cercle, les températures qui ne pouvaient éprouver de transitions sen- sibles, sans faire souffrir aussitôt une partie de la terre,

Cet heureux ordre de choses a existé, on ne peut en douter; il entrait d’ailleurs FER les plans de la création : sa conservation harmo- nique y était attachée. Mais cette régularité des saisons s’est-elle conservée jusqu’à nos jours

+ - EUROPÉENNES. 371 sans altération? Les températures Jouissent- elles de leur première intensité, ou ont-elles décliné?... Depuis les rivages de la Chine Jus- _qu'à ceux de la mer Atlantique, et depuis les bols de la mer Glaciale jusqu’à ceux de la . ts une voix générale répond que tout est changé et altéré..… D'où peuvent venir ces modifications qui affectent tous les règnes de la nature? de celle des vents. Mais d’où viennent ces variantes dans le cours des vents? on peut répondre, sans aucune crainte de se tromper, des nouveaux vides formés sur la terre par les déboisements.

Il faut, encore une fois, comparer ici l'effet des fluides à celui des liquides , pour rendre plus palpable l'extravasation des courants d'air que nous appelons vents. |

Lorsqu'un fleuve est sujet à grossir, au point de déborder de son lit ordinaire, on le contraint par des digues qui le resserrent dans des limites plus ou moins bien calculées, en raison de l'apogée de son volume, qui doit s’é- lever dans la même proportion qu'il perd en largeur. Si ces digues viennent à être ouver- tes ou rompues, les eaux s’échappent par au- tant de bouches qu'il y a d'ouvertures , et coulent jusqu’à ce que le plein ou le niveau soit établi avec celui du fleuve : ces eaux échap-

ROUTE 04 26

372 ANNALES :

pées par des ramifications plus moins di- vergentes de son cours , dont elles énervent la force , ne rentrent plus dans son lit, n'arrivent plus au même but : elles séjournent sur des terres basses qu'elles dénaturent et reffoi- dissent par leur influence étrangere.

Mais l'air dans lequel notre planète nage comme dans une mer sans limites, et sur la- quelle il pèse partout pour sa conservation , est un corps bien autrement expansif qu'un liquide, bien autrement rapide dans ses mou- vements : la différence du niveau entre l’eau et laterre, c’est la pente; mais l'air qui éprouve aussi le besoin invincible de son équilibre, a pour différence de niveau sa dilatation et sa densité, qu’un seul coup de soleil ou un épan- chement d'air froid peut produire avec la cé- lérité de l'éclair, sur un espace infini, en opé- rant une révolution subite de vent sensible jusqu'aux distances les plus grandes,

D'après ces observations fort simples, on peut concevoir que le premier vide opéré par la destruction d’une forêt, a produire un ébranlement proportionné dans l’espace de l'air environnant, combiné avec une première ra- mification d'un des vents alizés : car il est vrai- semblable que la masse du fluide aériforme a ses limites éternelles, comme celle des eaux

' EUROPÉENNES. 373 de la terre, dont la quantité ne peut diminuer ni augmenter

A mesure que ces destructions se sont mul- tipliées, la divergence et la convergence de ces courants d'air ont prendre naissance aux dépens de la force et du cours régulier des vents cardinaux,

Nous avons parlé des grands déboisements de l'Asie , de l'Afrique et de Amérique , et des effets funestes qui en sont résultés dans les constitutions atmosphériques ; mais revenons à ce qui s'est passé depuis deux mille ans, sous ce rapport, en Europe, qui est plus immédia- tement sous nos yeux , et qui nous intéresse par des affections d’un ordre plus rapproché.

Nous savons que les changements atmos- phériques n’ont pas été subits, mais successifs,

comme les dégradations qui se sont opérées à la

surface de la terre; le temps, les guerres, les cultures et l'indifférence des hommes y ont concouru : mais fixons-nous à l’état actuel des choses, qui nous démontre que les vides pro- duits en Europe par les déboisements passent aujourd'hui la moitié de sa surface totale,

Ces vides, produits à toutes les hauteurs, sur des milliers de points différents , et dans toutes les directions imaginables, ont sou- ürer une extravasion de courants d’air , aux dé-

26.

374 | ANNALES i L

* pens de la force et de la régularité des vents: primordiaux, et nous amener à cet état de con- fusion et de variabilité de l'atmosphère, qui a changé la fixité des climatures, au point même que les latitudes n'ont plus de rapports cer- tains avec les productions qui leur étaient pro- pres et naturelles.

Ces nouveaux courants d'air, se dirigeant confusément dans tous les sens, à toutes les hauteurs, et avec des degrés différents de di- latation , n’eussent-ils pas même atténué la masse des anciens vents alisés, ils seraient en- core de nature à modifier leur cours, ou à con-

.trarier leur durée, et par conséquent à altérer sans cesse la force des températures, comme à intervertir la régularité des saisons.

Il y a visiblement des causes intempestives dans l'irrégularité du règne des vents, qui produisent la désorgahisation dans les éléments de la végétation. Les vents du Sud et de Sud- Ouest ont régné presque tout l'hiver de 1817 à 1818, quia été humide et doux en janvier et février, lorsqu'il devait être froid etsec; nous avons eu en mars les giboulées d'Aril - le bon vent d'Orient n’a presque pas soufflé; il a eu peine à arriver jusqu'à nous ; la tempéra- ture d'avril a été celle des mois de mai et de juin ; les orages et la grèle ont été fréquents à partir du 25 avril.

EUROPÉENNES. 375 La terre paraît avoir perdu, avec les grands bois , son ancienne vertu attractive. Les hautes montagnes déboisées ne pouvant seules briser et dévorer , dans leur impuissante nudité, un vent particulier , et l'atmosphère formant en masse un corps inséparable, il est possible qu'une simple raréfaction , produite sur les bords de la mer Caspienne, par un effet solaire ou électrique, détermine un vent de lPOcéan atlantique , forcé à y fluer , parce que la terre n’a plus assez de grands végétaux pour rompre ou absorber cette attraction, j'oserai presque dire ce charme aérien. C’est souvent par ces causes fantastiques que les plus belles mois- sons , prêtes à récompenser de leurs riches tributs la main laborieuse qui les avaient pré- parées ; sont détruites par un vent que cause une raréfaction ou une condensation subite de Pair, tandis qu'à cette époque les vents de- vraient être en panne, les doux zéphyrs devant alors seuls caresser la surface de la terre.

Ces effets sont particulièrenfén@remarqua- bles dans ces trombes terribles, qui unissent les nuées à la mer, et menacent d’engloutir le vaisseau qu’elles attirent au loin dans leur tourbillon , avec une force irrésistible, et que sauve souvent la cômmotion d’un coup de canon, qui dilate et brise cette épouvantable

376 ANNALES

colonne d’eau. Les grands serpents de l'Inde, de l'Afrique et de l'Amérique, de trente, qua- rante , cinquante et soixante pieds de long, répandent leur charme jusques au-delà des fleuves , sur la proie qu'ils fixent et aspirent avec force; le chasseur, surpris, immobile, déjà étourdi et en partie asphyxié , trouve son salut dans la détonation de son fusil, qui rompt la colonne d’air qui l’entrainait à sa perte (x).

On connaît l'effet des trombes de terre : j'en ai vu une qui, dans une grande forêt, à tra- vers laquelle j'avais à tracer une route, arra- cha les plus grands arbres , sur 360 pieds de longueur et 200 pieds de largeur , entre deux lignes parfaitement droites , sans rien laisser debout dans tout cet espace. Etait-ce un effet de l'attraction, ou, ce qui revient au même, de la force de succion de l'atmosphère , qui tendait à rétablir son équilibre dérangé par une cause inconnue ? On ne peut en douter, non plus que des grands phénomenes élec- triques piséféorologiques qui nous surpren- nent trop souvent.

A la suite d'un orage, qui a eu lieu le 20 juillet 1820 dans le département de l'Ain ,

(1) Ce fait est arrivé à un officier anglais , chassant dans l’Inde,

EUROPÉENNES. 377

une trombe s'étant élevée sur environ 600 pieds de largeur , elle a renversé les maisons et arra- ché les plus gros arbres qui se trouvaient sur son passage.

On a surtout remarqué dans une des com- munes soumises à l’action de l'orage, qu’un puits de 4 pieds de profondeur a été mis subitement à sec par cette puissante absorp- tion de l'atmosphère, et l'eau n’y est revenue que deux heures après.

Voici ce qu'on trouve à ce sujet dans les ob- servations du bureau des longitudes de Paris, en 1517:

« Les vents un peu forts ont quelquefois leur origine dans les points vers lesquels ils soufflent : ainsi, en 1740, Franklin éprouva à #æhiladelphie , vers les sept heures du soir, une tempête violente du nord-est, qui ne se fit sen. tir à Boston que quatre heures plus tard, quoi- que cette ville soit au nord-est de la précé- dente, En comparant ensemble plusieurs rap- ports, d'autant plus exacts que, dans cette même soirée , on avait observé une éclipse de lune dans un grand nombre de stations, on reconnut que l'ouragan, qui soufflait partout au nord-est, s'avançait du sud-ouest, vers le nord-est, avec une vitesse de trente-deux lieues par heure. De là, Franklin conclut que cette

398 ANNALES tempête fut produite par une grande raréfac- on dans le golfe du Mexique. »

11 semble qu'il y a erreur ici dans la conclu- sion : car si l'ouragan s’avançait du sud-ouest, il est plus probable qu'une révolution élec- trique ou une raréfaction solaire s’est opérée vers le golfe de Saint-Laurent, sur lequel se di- rigeait le courant, pour y remplir le vide qui s'y était subitement formé, qu'au golfe du Mexique , d'où le courant était au contraire at- tiré à une distance de plus de sept cent cin- quante lieues : espace qu'il parcourait en moins de vingt-quatre heures.

Les fleuves ne remontent pas vers leurs sources ; mais les eaux coulent aussi long- temps qu'elles trouvent de la pente, et ne s'ar- rêtent que elles atteignent leur niveaux L'air suit les mêmes lois, et doit fluer , comme nous l'avons établi plus haut, vers les vides qui l'aitirent, pour rétablir son équilibre, et avec une vitesse relative. .

Les hommes veulent en général plus de science que la nature n'en exige pour la com- prendre. Sa physique est simple : elle ne veut être qu'observée pour éclairer, et souvent les effets les plus manifestes nous induisent en erreur , parce que nous voulons , dans la fai- blesse de notre esprit, en pénétrer les causes

a:

EUROPÉENNES. 379 impénétrables. Qui pourrait se flatter de con- nait re tous les ressorts de cette puissance pneu- matique qui régit les météores de notre uni- vers? Connaissons-nous bien ces montagnes, ces vallées , ces cavernes éoliennes, semées sur le globe, qui, par leur posit ions, leurs formes et les matières dont elles sont composées, at- tirent par leur vertu magnétique, électrique, combinée avec les influences solaires et lu- naires , à cent, à mille, à deux mille lieues , un flux d'air, que nous appelons vent ?

L'erreur est presque géné rale encore de croire que les vents ont leur cause à leur point de départ, tandis que le principe, in- connu à notre pénétration , en est souvent fort éloigné : pour s'en convaincre il ne faut que lever les veux vers le ciel et considérer ces belles nappes de nuages, qui sont tendues au- dessus de nous, souvent groupées et dessinées sous les formes Îles plus gracieuses , quelque- fois sous des formes fantastiques, pour se con- vaincre que ces voiles fluides et transparentes ne sont point poussées ni ne peuvent l'être, mais bien attirées : car en examinant leur marche, on s'aperçoit qu'elles ne sont pas re- foulées en poupe, mais soutirées, et que leurs figures, à qui nous prêtons souvent des formes expressives , se décomposent principalement à

#5

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380 ANNALES l'avant de leur direction, c’est-à-dire, vers la bouche qui les aspire.

Toutes ces observations concourent à dé- montrer qu'il faut de grands corps intermé- diaires, souvent répétés, principalement sur les montagnes élevées, pour rompre, arrêter, anuihiler ces brises de terre, qui, n’'éprouvant aucune résistance, prennent le caractère de vent, et souvent de vents impétueux qui boule- versent toute la nature.

Outre l'opposition que les arbres présentent à la violence des vents, par leurs barrières élas- tiques, élevées et répétées, il est encore digne d'observer que la masse d’air- que tous les vé- gétaux d’une grande forêt sont capables d'ab- sorber jusqu'à leur entière saturation , doit aider aussi à atténuer la force des courants : car il est très-important de remarquer ici, qu'un arbre renferme, pour le besoin de sa végétation, une telle quantité d’eau et d'air comprimés, que le canon le plus épais en bron- ze ne pourrait soutenir la force de ce ressort: ce fait, qui est de la plus exacte vérité physi- que, peut jeter un nouveau jour sur le sys- tème des météores; car il conduit naturelle- ment à conclure qu’une forêt doit renfermer dans ses arbres une énorme masse d’air, et qu'aussitôt ces bois détruits, non seulement

EUROPÉENNES. ; 381

tout abri ettoute attraction cessent , mais que l'air, subitement dégagé de ses liens, doit pro- duire une sorte d'inondation dans l'atmos- phère.

Si l’on daigne à présent faire attention que les déboisements de l'Europe seule s'élèvent au moins à la moitié de sa surface, il serait peut-être raisonnable de croire qu'une pareille somme d'air, dégagée avec excès de sa destina- tion primitive, a pu occasionner une sorte de déluge atmosphérique, et être une des grandes causes du désordre que nous remarquons dans la marche des météores, et par suite dans l'in- tempérie croissante des climatures. De ces ob- servations , peut-être d'une certaine impor- tance, on est porté à induire que, dans les premières époques , il n'y avait d’air libre que celui nécessaire à former les vents généraux et alisés, uniquement destinés à assainir , rafrai- chir et féconder la terre.

Nous avons à présenter encore au jugement des hommes observateurs un des plus grands monuments météorologiques, dans ce vaste Océan , que les géographes appellent la grande mer du Sud, et les navigateurs, la mer Paci-

fique, qui s’étend des rivages de l'Amérique à ceux de l’Asie, sur une largeur de quatre mille lieues entre les tropiques.

382 ANNALES

Ce nom de mer Pacifique, donné si unani- mement par les navigateurs, qui s'accordent constamment sur le caractère des observations générales , nous a toujours paru digne de mé- ditations, parce qu'il y à deux témoins irré- fragables de la sagesse éternelle, qu'il n’est hétreuseurent pas an pouvoir des Hommes de jamais altérer.

Cette mer, la plus vaste du globe entre les continents, peut bien devoir une partie de son calme à son immense étendue; mais ül convient surtout de l’attribuer à cette chaine de hautés montagnes Alpines, qui s'étend du Sud au Nord, depuis la pointe méridionale de l'Amérique jusque fort loin dans le Mexi- que, sur une longueur de plus de mille huit cents lieues : elle continue ensuite à travers les deux Mexiques, en s’écartant du/rivage pour aller se terminer au fleuve Makenzie,, près de la mer Glaciale; une autre branche suit le ri- vage depuis la nouvelle Géorgie jusqu'au-delà du détroit de Bhéring.

Ce rempart invulnérable, qui est perpen- diculairement opposé par sa direction au mou- vementyde rotation la terre, semble avçir été créé pour le: ë 4 de l'Asie et de l’'Améri- que, peut-être même de tout le globe.

En effet, ces hautes Ændes, si bien appelées

EUROPÉENNES. 383 Cordilières, qui s'élèvent sur les bords même de la mer Pacifique, et élancent majestueuse- ment dans les régions éthérées leurs brillantes pyramides de neiges et de glaces éternelles , qui ont, comme le Chimboraco, quarante-quatre fois l'élévation de la plus haute pyramide d'E- gypte, entretiennent la paix de cette partie de l'univers, en interceptant toute communica- tion atmosphérique entre la mer Pacifique et le continent.

Sur le revers oriental de ces montagnes, qui fait face à l'Atlantique, on voit des fleuves de quinze cents lieues de cours , tandis que, du . côté opposé , il ne descend des Cordilières à la mer du Sud que quelques ruisseaux qui, après avoir rafraichi les vallées du Pérou , vont se perdre pour la plupart dans des sables.

On remarque visiblement une prévoyance divine dans l'ordonnance, la position et l’élé- vation de ces grands boulevards, créés pour le repos et le bonheur d'une vaste parte de la terre : car si cette chaine de montagnes avait passé par le milieu du continent de l'Amérique ou avait été moins élevée, la mer Pacifique eût éprouvé une agitation plus vive, plus tumul- tueuse, souvent violente : l'océan Atlantique s'en serait également ressenti, les beaux fleuves del’Amériqueneseraient plus les mêmes fleuves; les végétaux auraient partagé ces différences,

38/1 ANNALES

et ce beau domaine de Fhomme ne serait plus ie même domaine. Au lieu que dans l'ordre actuel ( heureusement invariable ) les eaux que le soleil pompe de la mer Pacifique s'élèvent paisiblement, et, suivant leur route attractive jusqu’au sommet des montagnes, séjour des neiges et des glaces, elles ne passent point cette limite, mais s’y fixent en changeant de forme, pour arroser ensuite les faces orientales de l'Amérique, et enrichir l'Atlantique des ondes de la mer du Sud.

Cette vaste architecture hydraulique, qui appartient encore au premier souffle de la création , et que l'homme ne saurait assez ad- mirer , nous montre dans un ordre supérieur un grand modèle à suivre dans les barrières que nous avons à opposer à l'irrégularité des météores : tout est relatif à la situation, à la la- titude des pays, à la forme et à la position des montagnes.

Le Pic du Thibet de 22,200 pieds de hau- teur , le plus élevé de la terre, marque, au 29° degré de latitude, la région des neiges à 11,100 pieds de hauteur.

Le Chimboraco de 19,600 pieds de hauteur, et qui est le point culminant des Cordilieres, marque sous l'équateur Ja naissance des neiges à 14,400 pieds de hauteur.

Le Pic de Ténérifle de 11,130 pieds d'éléva-

EUROPÉENNES. 385 tion, marque, au 28e degré de latitude, la nais- sance des neiges à 10, Ex pieds.

Le Mont-Perdu de 10,310 pieds, le plus haut des Pyrénées , marque, au 42° degré, les neiges à 8,100 pieds de hauteur : l'Etna les montre à la même élévation.

Le Mont-Blanc de 14,325 pieds, le plus éle- des Alpes, marque, au 46° degré , les neiges fixes à 7,500 pieds de hauteur.

Le Lomnitz de 8,403 pieds, marque, au 50° degré, la région des neiges à 5,400 pieds : c'est le plus élevé des Monts-Crapaks.

Le Spitzberg , élevé de 4,116 pieds, marque 18 neiges fixes aux terres arctiques, à 3,900 pieds au-dessus du niveau de la mer.

On voit que la région des neiges des Alpes est à environ moitié de l'élévation de celles de Chnnboraço, situé sous l'équateur, tandis que leurs hauteurs respectives sont dans une pro- portion de deux à trois : ce qui démontre que la température générale de l'atmosphère du globe est dans une parfaite harmonie, puis- que la hauteur des neiges fixes se trouve sur toutes ces grandes pyramides hydrauliques de la terre , dans la plus juste gradation des la- titudes.

Si les deux Océans Pacifique et Atlantique, qui se touchent presque à l'isthme de Panama,

PF. 386 ANNALES

sont séparés longitudinalement par une bar- rière éternelle pour le bonheur de l'Amérique, notre hémisphère, dans une situation plus ter- restre, a avoir une charpente différente dans ses montagnes, avec de grands boise- ments, pour conserver ses lois météorologiques et la fixité des climatures, qui avait été don- née à chacune de nos latitudes.

Les témoins de l'harmonie générale du monde existent encore : le présent atteste ce qui a été et ce qui sera. Cet édifice de la main d’un Dieu repose encore sur ses colonnes éternelles, parce que l’homme ne peut pas tout détruire dans sa faiblesse. Depuis trofis mille ans, nous nous acharnons à le démolir et à le dégrader : nous sommes déjà punis de notre aveuglement; cependant la nature nous tend encore sa main libérale pour réparer de si longs outrages , et adoucir nos souf- frances.

Les erreurs en physique, en météorologie surtout, sont encore fort répandues; on les propage par tant de formes séduisantes ; on est si porté à chercher la vérité au loin ei dans le va- gue des probabilités, lorsqu'au contraireelleest partout sous nos pas, devant nos yeux, sous les formes les plus simples, les plus évidentes, que je crois devoir pour preuve de cette asser-

PE

RE PP

le |

EUROPÉENNES. 387 tion, insérer ici une lettre, peut-être singu- lière, publiée sur cet important sujet,

Observations méléorologiques insérées dans le Journal des Débats, le 11 octobre 1817.

M.

« Pour répondre aux nombreuses questions qui me sont adressées de toutes parts , sur l'intensité et la durée présumable du froid que nous éprouvons depuis une quinzaine de jours, J'ai cru ne pouvoir mieux faire que de vous prier de vouloir bien insérer dans votre feuille la note suivante, que j'estime devoir être d'ailleurs d’un intérètsuffisant pour attirer l'attention de vos lecteurs. »

« Dès le 24 septembre, une température douce, et même plus élevée que la saison ac- tuelle ne semblait le comporter, s’est abaissée subitement, et jusqu'à descendre à un degré huit minutes en moins de huit Jours ; à-peu- près stationnaire depuis cette époque, rien n'indique qu'elle doive remonter maintenant d'une manière bien sensible. Les vents nord- est qui dominent en ce moment et soufflenEt avec assez de force, en desséchant la terre déjà peu humectée, accélerent la déperdition totale de la chaleur qu’elle avait amassée pendant la

I. 27

388 ANNALES

belle saison, et achèvent de refroidir l’atmo- sphère. »

« Il y a donc de très-grandes probabilités pour ne plus nous attendre qu'à quelques pluies froides, à des neiges et à des gelées d’autant plus intenses, que l'atmosphère et la surface de la terre auront moins de calorique à leur opposer. »

« Enfin, soit quon adopte la période des nœuds de la lune, d'environ dix-neuf ans, comme ramenant à-peu-près les mêmes tem- pératures, soit que l’on admette que les hivers mémorables se correspondent , en différents siècles, suivant une période de cent ans ou cent un ans, ou ses multiples, ainsi que M. La- salle a cru le remarquer, dans l’un ou l’autre cas, tout nous présage un hiver rigoureux. En effet, eu égard à la période de dix-neuf ans, il devra correspondre à l'hiver de 1798; et si l'on se reporte à la période de cent un ans, il correspondra aux hivers de 16:15 et 1716.» Agréez, etc

On voit que cette métaphysique de la phy- sique traite avec trop de science des choses toutes simples, toutes naturelles qui ne de- mandent plus aujourd’hui que des yeux et du jugement. Il n'est plus nécessaire d’avoir re- cours aux périodes des nœuds de la lune ou

Méadtits ot. à 6.

EUROPÉENNES. 389

des grands hivers, pour démontrer l'effet des vents qui s’engendrent à tout instant, et sur tous les points de la terre, par mille causes diverses qui nous sont encore inconnues. Cette langue hiéroglyphique est heureusement usée. Les administrateurs et les magistrats éclairés de cinquante-cinq départements cités dans le cahier précédent, y ont répondu par des faits positifs et palpables.

L'auteur de cette lettre, opticien fort esti- mable, et qui rend tous les jours des services à la physique mécanique, a s’apercevoir combien 1l s'est abusé dans sa prédiction : car, au lieu de gelées intenses, l'hiver'a été fort doux et même trop doux.

Nous lisons dans les actes de la Société royale académique des sciences, qu’elle a pro- posé pour sujet du prix de 1818, de détermi- 1er quel était l'état des sciences physiques en France au commencement du dix-huitième siècle, et quels ont été leurs progrès jusqu’à ce jour.

Il y est dit que les auteurs doivent s'abstenir de tout ce qui n'est que systématique ; s'occu- per des faits; indiquer les sources des décou- vertes perfectionnées en France; les améliora- tious qu'elles ont reçues, et surtout faire con- naître celles qui ont pris naissançe ên France.

274

1 qu Vo

/

390 ANNALES

Le Galvanisme et le Magnélisme pourront être traités dans ces Mémoires. Le prix sera une médaille d’or de la valeur de 00 fr.

Nous voyons également que la corvette PU- ranie, commandée par M. Louis de Freycinet, était partie de Toulon le 17 septembre de la même année; que cet officier était chargé de procéder à la mesure de la configuration de l'hémisphère austral, à des observations sur l'intensité des forces magnétiques, et à diver- ses expériences qui intéressent la physique. C’est sur le vœu exprimé par l’Académie royale des Sciences, que Sa Majesté a ordonné cette expédition; et les puissances étrangères, appré- ciant son importance, ont donné des ordres pour que la corvette l’Uranie reçüt dans leurs établissements les secours dont elle pourrait avoir besoin.

Le programme proposé par l’Académie royale, et le grand but, peut-être au-dessus de la puissance humaine, qu'avait: pour objet le voyage de M. de Freycinet, ayant de l’analogie avec le sujet que nous traitons, surtout à une lettre fort intéressante d’un consul Russe au Brésil, nous croyons devoir l'insérer ici : car elle offre peut être à la science un des plus importants problèmes à résoudre, sur la puis: sance que les effluences électriques , giagnéti-

à

EUROPÉENNES. 391 ques et galvaniques peuvent exercer par Îles montagnes métalliques dans le monde physi- que. Quant à moi, je me tiens comme lhum- ble hysope, au pied du puissant cèdre, heureux d'admirer l'impassible gravité avec laquelle il se joue des tempêtes.

Extrait de la lettre de D. de Langsdorf, Conseiller de Cour en Russie , datée de Æio-Janétro, le 30 juin 1817.

« Au mois de décembre de l’année derniére, j: fis un voyage dans l’intérieur de ce pays re- marquable, et je visitai principalement la province de Minas-Geraés, se trouvent les prétendues mines d’or: je dis les prétendues , parce qu'il ne s'en trouve proprement aucune dans cet endroit; mais tout le pays est couvert en quelque sorte d’une poudre d’or plus ou moins fine. » _. « J'ai vu des petits districts, un homme avait retiré , dans l'espace d'environ vingt ans, de cette poussière pour trois millions de crusades ; cependant cette province est, malgré toute sa richesse, son or, ses dia- mans, une des plus pauvres que j'aie jamais vues. Tout le monde s'occupe à chercher et à laver la terre chargée d’or , et l’agriculture est

"

392 ANNALES totalement négligée, sur le meilleur sol et sous le plus beau ciel du monde, »

« Ces hommes ont souvent beaucoup d’or et n’ont rien à manger. On apporte de fort loin dans ces riches bourgs et villages, toutes les provisions de bouche , et si le transport en était retardé , seulement d’une huitaine de jours, ces nouveaux Midas seraient affamés. »

« Un homme peut trés-bien, dans uneheure, extraire, par le lavage, une quantité d'or de la valeur d’un à deux florins , et quand il a céte somme, qui suffit pour un à deux jours à sûn entretien , il n’est pas possible de le déterminer à travailler davantage. »

« Je n’ai point été jusqu’au district sont les diamants, n’ayant pas eu le temps de faire une aussi longue excursion. Comme il n'existe pas de mines , proprement dites, ma collection de minéraux est très-peu considérable : dans un semblable voyage , on ne peut se pro- curer que ce qui se trouve à la surface de la terre. »

« Outre l’or, on trouve encore ici plus de fer que partout ailleurs : ce ne sont point des mines ordinaires de ce métal ; mais il y a dans beaucoup d'endroits de grandes montagnes massives , formées de fer magnétique, de la meilleure qualité, qui, sur cent livres de mi-

EUROPÉENNES. 303 nerai ,en donnent quatre-vingt à quatre-vingt- dix de métal.

« Rien de plus étonnant que l'aspect de ces énormes masses de fer. Quelques-unes des plus hautes montagnes de Minas-Geraés en sont ert- tièrement formées ! J'a1 employé trois mois à ce voyage, et j'ai surtout admiré la richesse de la végétation et les plantes rares de ce pays. Les mélostomes, les rubiacées et les malvacées y sont de la plus grande beauté. »

« Les hautes montagnes de Carassa et de Pie- dade , qui s'élèvent au moins à sept mille pieds au-dessus du niveau de la mer, m'ont fourni une abondante récolte pour la botanique, sur- tout en plantes alpines. Les observations et les collections zoologiques n'ont pas été aussi riches, quoique j’eusse choisi l'été de préfé- rence pour mes recherches : je crois néanmoins à présent que le printemps est plus favorable, et offre une plus grande abondance d'objets. »

Les fonctions que ces montagnes en or, en cuivre , en argent, en fer, en platine, en mer- cure , etc., répandues sur les différents points du globe, ont à remplir dans l'harmonie du monde , et peut-être dans celle si intéressar des météores, semblent être restées :0nt rieuses pour la science elle-même, eore que probablement toujours; elle

394 ANNALES

soulevé faiblement ce voile immense des in- fluences métalliques ; il lui reste à ce sujet un grand problème à résoudre... Il est vrai que l'homme ne peut ni ne doit avoir l’orgueil de vouloir tout expliquer ; il y aura toujours dans l’œuvre du Tout-Puissant des mystères au- dessus de notre conception; mais ces mer- veilles sont devant nos yeux étonnés; nous ne pouvons que nous incliner dans une religieuse admiration, bénir, honorer et conserver ce qui s’est fait pour notre félicité.

Vignes, Oliviers et Müriers de la France.

La vigne, l'olivier et le mürier ont été jusqu à présent trois des plus précieuses bran- ches de la richesse agricole de la France. Ses vins, ses huiles, ses eaux -de-vie délectent les contrées les plus éloignées, et ses soieries or- nent les temples et les palais d’une grande partie du monde : ces productions sont pour nous le Pactole et le Potose:; mais leur bonté et leur quantité dépendent des influences at-

“sphériques, de la constance des climatures,

ordre régulier dans les saisons.

cales , ns vu, par l'exposé des autorités lo- - Une marche végétation suivait visiblement

rade, surtout dans les pro-

&

EUROPÉENNES. 399 duits qui donnent le plus de réputation à notre sol. Les latitudes les plus favorables devien- nent incertaines pour leurs anciennes produc- tions; nos belles contrées du Midi sont déchues de leurs climats ; tout le règne végétal souffre, par une variation continuelle, de vents humi- des et froids, de grèles, de pluies, de séche- resses opposées aux saisons, et qui n'étaient point connues autrefois; toutes les voix attri- buent ce changement calamiteux, qui menace évidemment notre prospérité agricole, à la dévastation des forêts et au défrichement des montagnes.

J'avais écrit sur l'effet des déboisements ef- fectués dans les pays du Midi, que j'ai eu, par mes fonctions, occasion d'observer pendant plusieurs années; mais je me bornerai à citer ici ce que dit à ce sujet, en 1803, la Société d'Agriculture de Marseille, sollicitée par les ob- servations de plusieurs écrivains. Voici comme elle s'exprime : F

« La dégradation des montagnes de leurs plus riches et plus majestueux ornements; la détérioration du sol de tous les coteaux, au- trefois boisés, et dont, depuis les défrichements, la terre entrainée par les eaux, dans les vallées et dans les torrents, laisse le tuf et le roc dé- couverts; les inondations et les engravements

FA

396 ANNALES

des plaines par les débordements, la fréquen;, ce des orages destructeurs des récoltes, l'ari- dité des saisons, le farissement des sources, l'intempérie du climat, la disette enfin du com- bustible nécessaire aux besoins journaliers, aux fabriques, à l'architecture et à la marine, sont les conséquences trop réelles de la destruction des bois et des forêts... »

« Les montagnes et les collines du territoire de Marseille étaient autrefois richement peu- plées de bois. elles n'offrent plus aujourd'hui que l’aspect de l’aridité du sol. »

« Depuis longtemps notre climat est totale- ment changé, nos hivers sont plus rigoureux, nos étés plus secs et plus brülants , et nous sommes presque toujours privés des pluies bienfaisantes printemps et de l'automne, si nécessaires à la végétation dans notre sol aride.»

« C'est depuis les défrichements que notre climat est devenu si ingrat et notre sol si in- fertile. »

« Qu'avons-nous gagné à dévaster ainsi les bois, dont la bienfaisante influence tempérait la rigueur des hivers, et rafraichissait la séche- resse des étés? » {

La rivière d'Huveaune, qui coule à l'Est et à l'Ouest, dans les moindres orages charrie

Lg

ÿ

EUROPÉENNES, 397 avec rapidité les terres dans son lit ; elle inonde les plus riches prairies, tandis que, pen- dant neuf mois de l’année, elle est à sec, par suite du farissement des sources.»

« Les orages accidentels et dévastateurs sont devenus annuels, et les pluies manquent dans toutes les saisons. »

« La destruction des arbres est funeste à l'agriculture , et particuliérement aux oli- viers , déjà presque perdus dans nos belles contrées. »

Quoique le cahier précédent offre déjà des preuves nombreuses des causes fatales du dé- sordre des météores, et de l'influence funeste qu'ils exercent sur la santé comme sur la vé- gétation , nous avons du offrir encore cette des- cription énergique et vraie , parce qu'elle pré- sente, avec de nouvelles couleurs , la situa- tion physique de tous les départements du Midi.

On dit dans le journal des Débats du 11 août 1817 :

« Il parait que plusieurs provinces méridio- nales de la France sont depuis quelque temps en proie à une sécheresse extrême ; elle est telle dans les Pyrénées Orientales, qu’elle a con- verti en sel une grande partie des eaux de

598 Nr :

l'étang de Saint-Nazaire , et celui de Ville- Nuove (1). »

« On écrit de la même date, que les sources d'eau des environs de Montpellier se tarissent partout ; » |

« Qu'à Marseille, la sécheresse est telle, que l'Huveaune est épuisée par le tarissement des sources ; que les fontaines de la ville cessent de couler , que les moulins sont réduits au re- pos, et qu'on a été forcé d'envoyer moudre à Chamas, Port-Royal, Pertuis et même Jus- qu'à Tarascon...»

Il est à remarquer que, depuis le mois d'a- vril 1817, les vents de Sud et de Sud-Ouest, toujours humides et pluvieux, ont dominé jusqu'en septembre; les départements méri- dionaux devaient en recevoir les premiers bien- faits ; mais ces beaux climats, nus aujourd'hui, et privés de ces grandes chaines de bois élevés, dont la fonction était de soutirer et de faire dis- tiller ces vapeurs sur une terre altérée, ont vu passer dans les airs ces sources fertilisantes ,

(1) Yai fait en 1787 le nivellement de cet étang jusqu’à la mer, pour y faire écouler les eaux saumätres et dangereuses aux environs; mais le temps et le défaut

de fonds ont fait ajourne: l'exécution de ce projet,

PÉENNES. 399 qui semblent les fuir depuis que l’homme y a exercé ses ravages : ces vapeurs, ne pouvant plus être ramenées en bas par aucune attrac- tion terrestre, s'élèvent dans les régions gla- ciales, pour se convertir en grêle, et désoler les contrées septentrionales de la France : voilà peut-être comment, dans les mêmes années, les récoltes des pays du Midi n’ont offert que de faibles tributs par excès de sécheresse, et ceux du Nord par excès de froid.

La vigne, l’olivier et le mérier qui nous ont attiré jusqu'à présent les trésors de toutes les parties de la terre, souffrent incontestable- ment du désordre des influences atmosphé- riques, dont nous venons de présenter les causés si palpables aux yeux de quiconque veut les reconnaitre. Ces maux physiques ( heu- reusement réparables, comme nous le démon:- trerons bientôt) nous menacent de la perte d'une partie des richesses dont nous avait comblés notre position géographique, si favo- rable comparativement à celle de tant d’autres pays.

Déjà il est reconnu que nos départements méridionaux ne possèdent plus la moitié des oliviers et des müriers qu'ils avaient il y a moins de /0 ans : ce qui reste, souffrant alter- nativement des sécheresses et des frimas, dé-

400 ANNALES

cline et offre toujours moins de produits... Nos fabriques sont obligées de tirer pour 25 à 30 millions de sotes crues du Piémont et des autres contrées de l'Italie, que nous pourrions facilement recueillir sur notre sol (1).

Nos provinces méridionales, cultivant le pré- cieux olivier, possédaient autrefois en excédant de leur consommation, un riche objet d’é- change avec l'étranger : aujourd'hui la plupart, n'y trouvant plus leur nécessaire , sont forcées d'acheter des huiles au lieu d’avoir à en vendre, et le commerce général va les chercher main- tenant dans les pays soumis au sceptre du Croissant. s

On mandait de Marseille le 15 mars 1818:

« On continue les envois d'espèces dans le Levant, pour y étre employées en huile ; nous avons dit que plusieurs négociants s'étaient réunis pour une grande opération ; cet exein- ple a eu des imitateurs : près de deux ‘cent mille piastres effectives ont été achetées pour une seule maison, à ce qu'ii parait, pour cette destination. Ces dispositions ont donné heu à une émission assez considérable de valeurs sur

(1) Le mürier et l'olivier ont un article particulier dans la suite de cet ouvrage,

EUROPÉENNES. hot diverses places, et à quelque dégradation dans le prix du change. »

« Il est possible que cette spéculation soit un peu tardive; on pourra être contrarié par la rareté et la cherté des huiles dans les pays de production, d'où l’on a recu l'avis que les Grecs, gens difficiles à prévenir, ont accaparé toutes les huiles disponibles dans les divers marchés du Levant : les huiles seront donc à un prix fort élevé rendues à Marseille (1). »

Une lettre de Provence, écrite dans le cou- rant de 1820 , contient les détails suivants :

« La perte des oliviers en Provence est un sujet de désolation générale. Ce qui ajoute à ce désastre, c'est que ses effets paraissent de- voir agir long-temps sur nous. »

« On remarque, depuis un demi-siècle, que les oliviers tendent à émigrer. En effet, le ter- roir d'Aix était ieur berceau ; l'huile recueillie aux environs de cette ville avait mérité de

(1) Les droits d’entrée des huiles d’olives, venues de l'étranger , s’étant élevés, en 1820, entre cinq et six millions, on peut se former une idée des trésors sortis de la France, pour cette seule production, qu’elle obte- nait autrefois de son propre sol, dans une telle abon- dance, et qu’elle fournissait dans un si grand degré de perfection, que toutes les nations aimaient à s’en con- fesser ses tibutaires.

4o2 _ 3 ANNALES récieuse denrée pouvait avoir de plus exquis. Cette con-

donner son nom à tout ce que cett

trée à tout perdu : il n’est point de cultivateur qui conserve l'espoir d’y voir replanter avec succes les oliviers. Depuis au-delà de quarante ans, les rejetons, flétris par le froid , languis- saient et ne s'étaient pas élevés au-dessus d'une hauteur d'homme. Il en sera de même des con- trées environnantes, qui toutes ont plus ou moins soufiert des derniers froids. Les deux cinquièmes y seront coupés jusqu'à la racine, et trente ans suffiront à peine pour donner à des arbres ainsi provenus, leur entier accrois- sement, »

« Les oliviers de Marseille venaient en se- conce ligne : mais ceux du Var se présentaient comme des géans. Tout a péri, et ces arbres, qui ressemblaient à des chênes, végéterontsou- tenus en buissons. Comme l’on pourrait recher- cher les causes de ces orages qui viennent de sillonner la France, et qui ont enlevé non-seu- lement les arbres, mais jusqu’à la terre végé- tale, il est probable que les conseils généraux s'occuperont incessamment de cette calamité : il est instant qu'on le fasse, etc., etc. »

Les vins de Moselle, de Bar, du Haut-Rhin, de Bourgogne, de Champagne ; les vins du Rhône , de Bordeaux, et ceux plus hquoreux

ge. EUROPÉENNES. 403 du Midi, ont un bouquet de terroir, un mé- rite de confection et une vertu dans l'usage, qui ont paru jusqu'à présent inimitables. Ces riches vignobles, qui ne peuvent nulle autre part trouver le même soleil , la même exposi- tion et le même sol, partagent malheureuse- ment avec l'olivier, le mürier, et tant d’autres précieux végétaux , l’infortune qui s'attache aux biens de la terre par l'effet des déboise- ments. .

On écrivait le 15 octobre 1819 : « On espé - rait encore, au commencement de ce mois, faire dans le département de la Marne une récolte très-bonne pour la qualité des vins; mais mal- heureusement cet espoir s'est bientôt évanoui : une température froide et humide , ayant tout- à-coup succédé à la chaleur, a partout arrêté les progres de la maturité du raisin. Ce fruit a été atteint de la gelée dans plusieurs endroits ; dans d'autres on s’est hâté de vendanger pour prévenir un semblable danger, et cet exemple est généralement suivi aujourd'hui, que tout espoir de parfaite maturité est perdu. »

On écrivait à la même époque de la Bour- gogne et d'autres pays vignobles : « En raison des gelées précoces qui sont survenues, les vendanges ont été ouvertes dans l’arrondisse- ment de Dijon, Plusieurs jours avant celui

É 4 26

fo4 ANNALES #

auquel cette ouverture avait d abord été fixé... Dans la Meuse, la Moselle et la Meurthe, même résultat ; ne Franche-Comté, rien, pres- que rien. » L

Ces calamités météoriques, aussi constantes dans leurs effets que l'étaient dans d’autres temps, nos anciennes et douces climatures, portent depuis nombre d'années le désespoir dans les. pays de vignobles.

Si l'on. observe les grands vignobles de la Meurthe, de la Moselle, de la Meuse, de la Marne‘etde la Côte-d'or, qui gravissent le long de nos montagnes du co et du troisième ordre, tout en remarquant l'avantage de leur excellente position, on voit cependant qu’ils sont privés de partie de ceux que leur offrait la nature; les sommets de ces coteaux qui pourraient les protéger contre les bises glacia- les, les vents froids et humides du nord-ouest- nord , sont généralement déboisés, et laissent exercer à ces météores si ennemis de la vigne, une puissance sans frein, aux dépens des tem- pératures douces et chaudes, si précieuses à ce genre de culture.

Non seulement les gelées tardives du prin- temps ; les vents secs et brülans de l'été et les froids humides et précoces de l'automne, cau- sent annuellement l'inquiétude et le désespoir

-

mé.‘

EUROPÉENNES. 405 de milliers de familles laborieusés; mais ces coteaux si richement parés par linfatigable vigneron, sont périodiquement flétris et dé- chirés par les ouragans, depuis qu'ils ont été mis à découvert et sans abri. : |

Ces différens désordres produisent dans leurs effets successifs, des inclémences qui doi- vent, année commune, priver les vins du degré de qualité qu'ils pourraient acquérir d'après un meilleur ordre de choses : car si les sommets de ces riches coteaux étaient courronnés d'un rideau serré de cèdres, de pins, de mélèzes, de sapins, et d'autres arbres résineux | qui s'é- lèveraient jusque du sein des vieux rochers, aujourd'hui décharnés, non seulement tous les avantges de exposition se conserveraient au bénéfice de ces immenses et précieux vigno- bles; mais ces arbres résineux, réfléchiraient encore sur eux toute la chaleur qui leur échappe par l'état de nudité actuelle de ces montagnes; d'une part, les vents froids; violents ou humides, ne pourraient percer cette impé- nétrable enceinte; et de l'autre , les rayons du soleil seraient arrêtés, pour mürir de leur cha- leur nécessaire ce suc gracieux, destiné à être un des plus puissants baumes de la vie. "7

Il est certain qu’en aidant la nature toujours docile, par ces paravents répétés avec intelli-

28,

RE 7” 406 ANNALES

gence et si faciles à préparer, on parviendrait, non seulement à rendre les récoltes constam- ment certaines, mais à les avancer peut- -être d'une lune, et à les garantir ainsi des surprises de l'automne, par la fixité de la chaleur et de la température, tout en obtenant encore aux vins une qualité supérieure.

Les gens de la campagne observent avec beaucoup plus de justesse qu'on ne pense gé- néralement : lorsque je leur demandais dans les départements delà Meurthe, de la Moselle et de la Marne, comment ils concevaient la cause des mauvaises récoltes qui s'attachaient depuis plus de quinze ans aux vignobles, qui exigent de si grands et de si constans travaux? Ils me répondaient partout,#que défuis que le grand rideau des forêts des Ærdennes avait été éclairci, les vents froids du nord ayant flué à travers, avaient refroidi les températures au point de rendre les produits de la vigne tous les jours plus incertains.

Cette observation, trop fondée, peut s'appli- quer-partout et à tout le règne végétal. Il n’est plus douteux aujourd'hui, que.les bois élevés et serrés, ou abattus, peuvent changer la cli- mature d'une grande contrée.

Nous avons vu qu'après l'intempérie des météores, les pays vignobles touchaient à une

ER

EUROPÉENNES. 407

autre souffrance, qui les menace de très-près : c'est l'extrême rareté des bois nécessaires aux échalas, aux cerceaux, et aux tonnelages pour soutenir la vigne et envaisseler les vins.

Le Barrois, la Champagne et la Bourgogne, tirent depuis de longues années ces matérianx indispensables , à de grandes distances des forêts des Ardennes, de la Lorraine et des Vosges ; le prix de ces bois augmentant sensi- blement chaque année, celui des vins doit s’accroitre dans la même raison : et c’est déjà un mal réel; mais ces forêts marchant à un rapide épuisement, 1l peut en arriver un mal plus grand encore : celui de l'impossibilité de continuer , dans nos plus riches vignobles, la culture de la vigne par le défaut absolu de bois. Au point en sont les choses, il ne faudrait pas un terme de 40 ans, pour arriver à un dénouement aussi fatal, si la prévoyance n’y mettait ordre promptement.

Nous essaierons, dans les cahiers suivans, d'offrir les moyens de reconstruire notre édi- fice végétal, d’après les vues que nous avons exposées, et avec le desir patriotique de rem- plir de notre mieux ce but peut-être utile à tous les pays.

Des hommes qui ont le malheur de douter de tout, et qui se plaisent jusqu’à mettre en

+

LA)

+

408 ANNALES

problème, les moyens visibles que la Prowvi- dence emploie, dans le mouvement perpétuel des éléments, pour réparer spontanément les dégradations de la terre, partout l'homme ne s’y oppose pas, supposent de grandes diffi- cultés à reboiser des montagnes, qui, en apparence, semblent dénuées de toute terre végétale, et ne présenter que des rochers nus et stériles, incapables de nourrir les faibles semences des plus grands arbres, que les vents sont chargés de transporter dans les lieux les plus bas, comme dans les plus élevés; mais il est aussi aisé à la nature de charrier des mon- tagnes de sables, grain à grain, des bords de la mer jusqu'au sommet des Alpes, que d'y transporter du sein de ses eaux, goutte à goutte, les glaces énormes qui les couvrent, et les grands fleuves qui en découlent.

La preuve que les poussières de sable s’éle- vent à toutes les hauteurs; c'est que ces matières lapidifiques , s’aglomèrent souvent dans les régions les plus élevées, en grosses masses plus ou moins denses, qui tombent en forme de pierres sur la terre.

Bernardin de Saint-Pierre, Volney, Richard Pocoke, Corneille le Bruin, et tous les voya- geurs qui ont su observer, parlent des pluies et des tempêtes de sable, qui parcourent toutes

2€

EUROPÉENNES. 409 les zones de la terre, pour la régénérer sans cesse.

C'est du mouvement perpétuel des flots de l'Océan, qui, nuit et jour, roule, broie et tri- ture les rochers et les galets de ses rivages, quese forme cette longue zone sablonneuse qui les couvre; c'est de cette zone qui entoure tou- tes les iles et tous les continents, que les vents

eñülèvent continuellement des nuages, d'une

poussière si subtile et si légère, qu'ils s’envo- lent jusque dans les parties les plus reculées de la terre.

Cette poussière est si volatile, qu’elle s'élève aux sommets des plus hautes montagnes, et s'attache à leurs pic-hydro-électriques : elle remplit leurs parties caverneuses, comble leurs

» fentes et y nourrit les plus grands arbres. Broyée

par la mer, échauffée par le soleil, et voiturée par les vents, elle renferme les premiers élé- ments de la végétation. Elle dépose des cou- ches de terre végétale sur le faite de nos murs, et jusque sur les corniches des tours antiques, qui, par son moyen, se couronnent de plan- tes de toutes les couleurs, d’arbrisseaux et même de grands arbres. Le sable qui l'engen-

dre est lui-même si subtile, et s'élève en si

grande abondance sur les bords de la mer, qu'il

a]

410 ANNALES , les rend quelquefois inhabitables, au moe quand les vents y soufflent: c’est une des gran- des incommodités de. la : ville du cap de Bonne- Espérance, entourée de montagnes de grés êt de plages sablonneuses. » Quand le sable volatil qui les couvre est

* # agité par le vent, non seulement il ns

les habitants de Brtir dans les rues, mais de pénètre dans leurs maisons, quoiqu'il y me doubles châssis aux fenêtres, et que les portes soient fermées avec soin : il entre par les trous des serrures et par les plus petites fentes, en si grande abondance, qu'on le sent craquer sous la dent dans tous les aliments.

Corneille le Bruin en dit autant des Ne

er Caspienne. Volney et Richard Pocoke par- ps des vents de sable fort incommodes" de: l'Éey pte; ils produisent une chaleur de ù. et obscurcissent l’air au point de rendre leso=

de sable, qui s'élèvent des bords de la

leil violàtre ; ils sont si épais qu’on ne peut voir à la distance d’un quart de mille. La pous- % sière entre dans les chambres les mieux fer- mées, dans les lits, dans les armoires. Les Turcs, pour exprimer la subtilité de ce sable, disent: qu'il pénètre à travers la coque d'un œuf. On s retrouve de pareilles tempètes sablonneuses F

+ pr:

7 EUROPÉENNES. rx

* dans l’intérieur des continents : à Pékin on est obligé d'aller presque toute l’année à cheval, avec un voile sur les yeux.

Toutes ces remarques sur les prévoyances générales de la nature, pour régénérer la vé- gétation détruite , ne peuvent laisser aucun dëute sur la réussite que promet le reboise- m nt de nos montagnes, des le moment que mime voudra y concourir. En attendant que grand œuvre commence, la terre s'épanche avec abondance de tous les rivages, de tous les lacs et méditerannées de sables par la route des airs, pour venir les féconder.

Sur le Hétre d'Europe, et le Shéa , arbre à EE. | beurre végétal d'Afrique.

#.

6

# Comme nous venons de parler de l’infortune Hétre, ar- bre à huile.

quis'attache aujourd'huià la culturedel'olivier, dans nos départements méridionaux, si visible- ment déclimatés par les œuvres de l'homme, nous trouvons doux de pouvoir signaler deux arbres, bien capables de consoler non seule- ment de cette perte, qui durera aussi longtemps qu'on n'aura par le courage et la sagesse de s'occuper à réparer le mal qui l’a produit , mais à augmenter encore de beaucoup sur notre sol les trésors de nos richesses naturelles de cette

j tk,

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42 .. ANNALES . nature, et ce quil y a d'heureux, ces deux arbres oléagineux, n’ont pas pour prospérer, besoin comme l'olivier, de respirer l'air de la mer, qui est autant favorable que nécessaire à sa végétation. A Nous possédons dans le hêtre, ah on trouve communément dans toutes les contrées de l'Europe, depuis le 4 44° jusque passé le 54 degré de latitude, et le plus bel arbre de nos forêts, et le veritable olivier du-nord, capable d'enri- chir par son fruit toutes nos campagnes, et qui semble n'avoir été apprécié Jusqu'à présent que d'une manière incomplète et beaucoup trop généralement sous le simple rapport de l’onc- tuosité de son bois, de la volubilité de sa flam- me et de la chaleur ardente qu'il procure : cette aveugle préférence donnée dans son état de

mort, à l'arbre peut-être le plus intéressant de nos climats, accélère partout sa déplorabler

destruction.

Nos ancêtres, qui se délassaient sous sa robe

brillante et son frais ombrage, l'appréciaient avec plus de discernement ; ils mangeaient son fruit agréable et huileux, surtout de celui qui donne la faîne la plus rouge et la plus alongée,

Les enfans le recherchent et le mangent avec 1 avidité. Les paisibles hôtes des bois y trouvent”

le meilleur de leurs mets.

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Le

t

EUROPÉENNES. + 413

Depuis environ cinquante ans, nous com- mençons à en extraire vo.

soin et à froid , est déjà préférée dans toutes les

cuisines, aux huiles de Provence, pour les fri-

e, qui, faite avec

tures et autres usages semblables ; malgré l'im- perfection des procédés d'extraction de cette huile en général, nos épiciers, qui entendent leurs intérêts, la vendent dans tous les départe- ments septentrionaux pour de l'huile d'olive. Les mares formés en gâteaux, engraissent en peu de temps ees beaux bœufs qui arrivent de tous côtés à Paris et dans les autres grandes villes, dont ils font la plus solide jouissance des Mbies (1).

- Le hêtre mérite d'être considéré avec d'ail tant plus de raison comme le véritable olivier des pays tempérés (et le nom n'est point indif- férent pour la conservation des choses utiles),

(1) Nous avons vu ,il y a quarante-cinq ans, faire libre- ment la moisson de ce fruit dans les belles forêts de la Lorraine allemande : on s’y rendait par famille; chacune choisissait les arbres dont la récolte lui convenait. On étendait des draps dessous ; un homme montait sur l’ar- bre, et, secouant les branches avec une longue perche, il faisait tomber tous les fruits mürs, dont on remplis- sait des sacs , comme à la récolte des pommes de terre, et chaque famille faisait ainsi mu alicuns frais

r à

de culiure ; sa provision d'huile pour l’année.

su.

414 + ANNALES

que, comparé dans l’état d'inculture nos forêts nous le présentent , à celui de l'olivier sauvage , il donne une huile supérieure , et qu'à espace égal , il en donne au moins quatre fois plus que l'olivier cultivé. Que serait ce donc si l'on soignait, si l'on greffait cet arbre précieux dans nos champs et dans nos vergers ? ne le verrait-on pas participer, avec un égal succés, à cette heureuse amélioration de l’oli- vier méridional , et de ces premiers sauvageons qui, d’un fruit grêle et acerbe qu'ils offraient dans les forêts, enrichissent aujourd’hui nos vergers par une pulpe charnue, et qui tout en flattant l'œil, le palais et l’odorat, font les dé- lices et l’ornement de nos tables. ®

Il est certain que si le hêtre était cultivé avec les mêmes soins que nos arbres fruitiers, il finirait par offrir un fruit beaucoup plus gros , une huile plus fine et en plus grande abondance. Si l'on considère les merveilles qui s’operent par la greffe, surtout entre les végé- taux qui ont de l’analogie, comme il en existe entre le hêtre et l'olivier , il est permis de con- cevoir les plus grands avantages qui pour- raient résulter du mariage de ces deux arbres : il serait possible que le hêtre, si long-temps méconnu et Le , devint, par cette union, l'arbre le plus précieux de l'Europe.

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EUROPÉENNES. # 415

Mais cette espèce de beurre végétal, qui a le mérite de n'exiger ni vaches, ni prairies : 66 qui pourrait répandre une si grande aisance dans les ménages, n'est pas le seul avantage qu'offre le Aétre-olivier ; nos cultivateurs étant en général, par le défaut de fourrages, trop pauvres en bétail , par conséquent en engr ais, laissent, abandonnent annuellement I tiers de nos terres en jachères. Ils engraissent d'ail- leurs leurs bœufs avec du blé, l'orge, des farines , des carottes , des pommes de terre et autres légumes utiles et nécessaires aux hom- mes , tandis qu’au moyen d'une abondante quantité de gâteaux qui résulteraient de l'ex- traction de Fhuile, le bétail pourait être mul- tiplié, les terres mieux fumées cultivées d'une maniere plus fructueuses, ét le prix de la vie animale , diminué dans la plus heureuse pro- gression.

Voilà les bienfaits visibles qu’offrent la plan- tation et la culture du hêtre. C'est un trésor négligé qui nous sourit depuis des siècles. C'est parce que la nature l'a placé avec prodigalité à notre porte, qu'il n'a pas eu de prix à nos yeux : c'est le défaut des choses les plus com- munes et les plus utiles en même temps : on ne les apprécie qu’après les avoir perdues. Si cet arbre robuste, qui pourrait porter l'aisance

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Noisettier.

416 à ANNALES

dans les familles xÉtait venu d'une contrée éloi- gnée, on se serait exalté sur tout ce qu'il peutt offrir de biens Heureusement que la certitude de pouvoir en former les plus riches olivettes de l'Europe, est là, pour offrir une solide for- tune ‘aux propriétaires éclairés qui se livre- ront à cette fructueuse branche de culture. Après avoir détruit ou négligé pendant trop longtemps, une grande masse de nos richesses indigènes, dont les eaux et la terre étaient comblés , qu'il nous soit permis de dire un t du modeste coudrier , ou noiseltier, qui vit dans la société et croit sous l'influence du hêtre, du chêne, du charme, de laulne et du frêne desmos forêts, entre lesquels il s’est toujours trouvé répandu avec une grande abon- dance. Cet humble arbrisseau d’une extrème

fécondité, qui a été de tout temps, et lest

encore dans beaucoup de pays, l’objet des joies et des courses foraines de la jeunesse, pour fêter la récolte des noisettes, dont le superflu délectait comme celui du hêtre, le cerf, la biche, le chevreuil, le sanglier, l'écureuil, et de nombreuses tribus d'oiseaux, qui, hélas | vivifiaient autre fois nos bois d’une manière si intéressante , mérite d'être classé parmi Îles meilleures productions oléagineuses que nous possédons. L

EUROPÉENNES, d 417 | \

Les nombreuses variétés de noisettiers qui s'accommodent de toutes les terres, de tous les sites, mériteraient de border, comme les beaux grenadiers des pays du Midi, tous nos chemins champêtres, ainsi que les lizières de nos prairies, à qui, ils rendraient avec une parte de leur grâce ancienne, üne production chère à la jeunesse, précieuse aux familles , d'une part comme fruit agréable d'hiver, et de l'autre sous le rapport d'une huile fine, douce et délicate, qui prend le premier rang après l'huile d'olive.

Puisque la nature nous invite et que nos be- soins veulent que nous tirions une fois un parti raisonné de toutes nos productions ter- ritoriales , il serait fort à desirer que les inter- valles d’olivettes en hêtres cultivés et greffés, fussent remplis par les différentes espèces de noisettiers qui, en augmentant la récolte en huile, favoriseraient, par leur voisinage, la vé- gétation du hètre, Nous savons ordonner et cultiver avec un art merveilleux nos potagers el nos vergers , qui répandent de si grandes douceurs dans nos ménages ; il serait digne de notre industrie d'y ajouter la culture de ces deux arbres à huile, qui pourraient en dou- bler l’aisance.

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Shéa , arbre à beurre végétal de T Afrique $

Que Mungo-Park a trouvé lors de son pre- mier voyage en 1795 et 1797. dans la direction de la rivière de Gambie, entre les 10° et :5° parallèles, dans la longitude de l'Espagne, de la France et d’une partie de l'Est de l'Europe,

Shéa arbre VOiCi ce qu'il en dit à plusieurs reprises arbre

à beurre,

dans le cours de son héroïque voyage, page 58, premier vol. « Les marchands nègres qui con- duisent les caravanes, s'appellent slatées ; outre les esclaves et des marchandises qu'ils portent pour les blancs, ils vendent aux nègres de la côte, du fer natif, des gommes odorantes, de l’encens et du schetoulou, ce qui signifie littéralement, beurre d'arbre, ou beurre vé-

gétal. Ce beurre est extrait d’une espece de

noix, par le moyen de l'eau bouillante, ainsi

que je l’expliquerai par la suite. Il ressemble au beurre ordinaire, en a la consistance, et le remplace tres-bien : on s’en sert aussi au lieu d'huile. »

« Page 320, premier vol. A Kabba, ville si- tuée au milieu d’un trèes-beau pays, bien cul- tivé (toujours sur les bords de la Gambie }. Lors du passage de Mungo-Park , les habitants étoient partout occupés à recueillir les fruits de l'arbre shéa , avec lesquels ils font le beurre

-

EUROPÉENNES. 4ig végétal dont il est parlé ci-dessus. Cet Dr d igroit abondamment dans toute cette partie du Bambara. Il n'est pas planté par les habitants ; mais on le trouve croissant naturellement dans les bois. Lorsqu'on défriche les forêts pour cultiver la terre, on coupe tous les arbres ex- cepté les shéas (1). Cet arbre ressemble beau- coup au chène américain; le fruit, avec le noyau duquel, séché au soleil et bouilli dans l'eau , on prépare le beurre végétal, ressemble un peu à l’olive d'Espagne. Le noyau est enve- loppé d'une pulpe douce, que recouvre une mince écorce verte. Le beurre qui en provient, outre l'avantage inappréciable qu'il a de se conserver toute l’année sans sel, dans un pays aussi chaud, est plus blanc, plus ferme, et est,à mon goût, plus agréable qu'aucun beurre de lait de vache, que j'aie jamais mangé, La ré- colte et la préparation de cette précieuse den- rée semblent faire un des premiers objets de l'industrie africaine , tant dans le royaume de Bambara, que dans les pays environnants. C'est

(1) Les Africains nous donnent ici un exemple de sagesse et de prévoyance, que nous sommes loin d’éga- ler : car, dans nos coupes de bois, nous avons toujours commencé par abattre les hêtres, qui sont les véritables shéas des forêts européennes.

le j 20

420 ANNALES un des principaux articles du commerce inté- : rieur de ces contrées. » à

« Page 35/4, premier volume. Le Douty (chef de Bourgade Y me fit coucher dans un grand ballon , en un coin duquel était un four, destiné à faire sécher des fruits de shéa. Il con- tenait environ une demi-charretée de ce fruit, sous lequel était un feu de bois clair, On me dit qu’au bout de trois jours, le fruit serait en état d'être pilé et bouilli, et que le beurre préparé de ceite manière était préférable à celui qu’on faisait avec le fruit séché au soleil, surtout dans la saison pluvieuse, pendant la- quelle cette dernière méthode est toujours trés- longue et souvent ineflcace. »

« Page 141, deuxième vol: Le 26 au matin, comme nous partimes de Thambaconda, on me dit qu'il n'y avait point de shéas plus à l’ouest que dans cette ville. La figure du fruit de cet arbre place évidemment le shéa dans l'ordre naturel des sapotae. Il a quelque res- semblance avec l'arbre madhuca, qu'a décrit le lieutenant Charles Hamilton dans les re- cherches asiatiques, premier vol., page 300. »

En exposant les précieuses propriétés du shéa , on ne peut que faire le vœu patriotique de le voir appeler à enrichir nos campagnes. Nos établissements au Sénégal, et le fort Saint:

Li

EUROPÉENNES. 42t

Louis que nous possédons sur la rivière bien avancée dans l'intérieur de l'Afrique, nous donnent tout moyen d'obtenir avec facilité la graine de cet arbre intéressant.

Nous avons vu les plantes et les arbres du Pérou , de la Perse, de l’Inde et de la Chine, se naturaliser dans nos climats , se confondre et vivre en société avec les enfans de notre terre natale; après avoir vu l'arbre à café de l'Arabie, et l'arbre à pain de la mer du Sud, naître et croitre dans le berceau adoptif du Jardin royal des Plantes de Paris, pour aller peupler nos Colonies américaines, il est per- mis de croire que là, la science sait si bien s'entendre avec la nature, toujours docile et libérale , le shéa vivant au milieu «es fraiches forêts de l'Afrique, finirait par s’acclimater sur la terre de France, il ne recevrait que des caresses.

Cette conquête innocente et fructueuse, qui pourrait exercer une si haute influence dans notre fortune territoriale, est digne de toute la sollicitude du gouvernement, et surtout de celle du ministère de l'Intérieur, à qui il est donné de régir et d'augmenter la prospérité des campagnes. Nous avons fait remarquer, dans le premier cahier, l’étonnante révolution produite dans le monde commercial, par le

29.

D Lt

/22 ANNALES .

seul arbre à café, envoyé des serres du Jardin des Plantes de Paris en Amérique : le shéa présente à la France et à l'Europe méridionale un bien non moins appréciable, puisqu'il nous offre gratuitement le même produit que nous obtenons de nos vaches et de nos vastes prairies.

A mesure que nous avancerons dans nos livraisons , nous aurons, nous osons l’espérer, le bonheur de démontrer, qu'en nous occu- pant à féconder les vides qui existent dans nos eaux et sur notre sol, il serait possible, non pas de doubler, mais de décupler peut-être nos richesses naturelles, et de nous assurer, par le concours des diverses productions ali- mentaires que toutes les zones du globe nous offrent, un état de prospérité incomparable.

Le ministère a déjà préparé cet heureux ordre de choses, en établissant dans tous les chefs-lieux de sous-préfectures, des sociétés d'agriculture , qui se composent, d’une part, de cultivateurs éclairés et de propriétaires dis- posés à faire des expériences utiles ; de l’autre, d'hommes que l'étude, l'observation et des voyages , mettent à même de donner des con- seils fructueux : de cette institution, qui a pour but d'explorer toutes les localités du royaume; d'observer ce que les eaux et la terre pour-

' EUROPÉENNES. 423 ralent produire de mieux, on ne peut s'at- tendre qu'à des résultats heureux et de nature

à éclairer l'administration pour fructifier tous les espaces.

Sur les Serpents terrestres et sur les Serpents marins.

Je m'étais long-temps demandé quel pouvait avoir été le motif de l'existence des serpents, dont les formes et les couleurs tranchées, les mouvements rapides et l'aspect surtout , cau- sent ordinairement une sorte d'effroi , quoi- que cependant fort peu soient venimeux ou dangereux pour l’homme, dont ils redoutentet fuient généralement la présence.

J'étais occupé dans cette recherche des vues secrètes de la Providence, lorsque je vins à lire l'histoire des plantations de la canne à sucre, qui étaient souvent ravagées à Saint-Do- mingue, par les rats, les mulots, et les souris, au grand désespoir des planteurs : les nègres, mieux instruits des secrets de la nature, que les savants européens, allèrent chercher dans les mornes, des couleuvres semblables à celles qu'ils avaient connues en Afrique (1) ; ils les

(1) On sait que les nègres ont, en Afrique, plusieurs espèces de serpens en vénération. Ces reptiles, qui les dé- barrassent de beaucoup d'animaux incommodes, vivent

424 ANNALES 4 répandirent dans les champs de cannes, et aussitôt les plantations furent délivrées du dégât des mulots, des rats, des taupes et des souris. |

Les couleuvres rendent le même service dans nos bois, dans nos champs et le long de nos eaux ; mais comme il fallait une limite à la multiplication de ces reptiles, la nature a donné à nos contrées la cicogne pour la main- tenir. On voit souvent ces courageux oiseaux planer dans les airs, tenant dans leurs longs becs un serpent par le mileu du corps, qu'ils portent à leurs petits, nichés sur une haute cheminée, ou sur les ruines d’une tour élevée, et qui battent des ailes en signe de joie, en voyant arriver cette pature attendue.

J'avais élevé quatre cicognes à la campagne : elles purgeaient, dans leurs chasses, tout le pays des animaux immondes ; mais des chasseurs les prenant pour des oiseaux étrangers, les tuèrent : ils ignoraient que, dans tous les pays et chez les peuples les plus anciens, la cicogne avait toujours été respectée, à cause de son utilité (1).

dans le voisinage des habitations dans lesquelles ils s’in- troduisent même : ils font l’oflice de nos chats.

(1) La cicogne, amie de l’homme comme l’hirondelle,

À

EUROPÉENNES. 425

Il y a, dans l'ensemble de la création, une profondeur, une harmonie siimmenses , si au- dessus de notre intelligence et de notre admi- ration; tout ce qui a reçu l’existence parait si éminemment coordonné au grand but de l’ordre éternel des choses ; l'homme d’une na- ture si prédestinée dans ce premier univers, en a reçu si visiblement le sceptre d’une effu- sion divine, qu'on est entrainé à croire que chaque être à reçu dans ce monde une mis- sion expresse, corrélative au grand tout, dont l’homme est le foyer, et que ces animaux mons- trueux, qui nous apparaissent sous des formes sieffrayantes, remplissent par cela même leur destinée tutélaire, envers celui dont la puis- sance est seule au-dessus de tous.

On sait que les grands serpents de 30, {o et bo pieds de longueur, se trouvent dans les lieux couverts, en Amérique, en Afrique et en Asie, vers les parallèles qui avoisinent l'équateur vivent aussi les grands animaux carnaciers, qu'ils paraissent avoir la mission d'observer, d’effrayer et de diminuer.

Nous donnons ici littéralement la descrip- tion qu'on trouve dans le Foyageur - fran-

quitte comme celle-ci le toit hospitalier aux approches des froids, et ne manque jamais d’y revenir au printemps.

Lo

426 ANNALES

çais, d'un de ces grands reptiles vu dans le Congo. À

« Nous renconträmes un serpent prodigieux, dont la longueur nous parut de plus de 30 pieds. Nous observames qu'en s'avançant, il causait dans l'herbe autant de mouvement que le passage de dix hommes, Nos guides nous assurèrent qu'il n'était pas rare de trouver de ces serpents dont la grosseur égalait celle d’un mât ordinaire de navire. »

« La manière dont cet énorme reptile fait la chasse n'est pas moins remarquable que son énorme grandeur. Sa queue est repliée sur elle- même en deux ou trois tours de cercle, qui renferment un espace rond de 5 à 6 pieds de diamètre. Au-dessus s'élève sa tête avec une partie de son corps. Dans cette attitude, et comme immobile, il porte ses regards autour de lui, et quand il aperçoit que sa proie est à sa portée, il s’élance sur elle par le moyen des circonvolutions de sa queue, qui font l'effet d’un puissant ressort. Si l'animal qu'il guette est trop gros pour être avalé tout entier, après lui avoir donné quelques coups de ses dents meurtrières , 11 l'écrase et lui brise les os, soit en le serrant de quelques nœuds, soit en le pressant simplement du poids de son corps. 11 le couvre ensuite d'une bave écumeuse qui

EUROPÉENNES. 427 lui facilite le moyen de l'avaler sans le mà- cher. »

« Ce monstre, tout terrible qu'il est, n’est pas aussi dangereux qu’on pourrait le croire. Sa grosseur qui le décèle facilement, fait la sureté des animaux moins forts que lui. Son corps, roulé en spirale sur lui-même, paraît de fort loin ; et c’est un indice suffisant aux vOya- geurs et aux bestiaux même, pour se détour- ner de leur route. On n'entend pas dire qu'il attaque les hommes, du moins les exemples de ceux qui se sont laissé prendre sont rares. D'ailleurs la chasse aux grandes bêtes, telles que le bœuf, le cerf, le cheval et autres qua- drupèdes qui trouvent leur salut dans leurs jambes, le flatte peu , soit qu'elle lui donne trop de peine, ou que leur chair ne soit pas de son goût. II mange plus volontiers d’autres serpents plus petits que lui, des lézards, des crapauds, et surtout des sauterelles, qui ne semblent naître par nuages dans ces climats chauds , que pour assouvir son infatigable ap- pétit. Il purge ainsi les terres il se trouve d’une multitude innombrable d'insectes et de reptiles , qui feraient déserter les habitants. »

On voit ces grands serpents, dont la multi- plication est beaucoup plus limitée que celle des espèces inférieures, choisir non loin des

428 ANNALES

habitations un arbre pour leur demeure so- litaire , et toujours aux points de passages da üigre, de l’hyenne , de la panthère, etc.; il guette sa proie en silence, et au moment l'animal passe, le serpent se déroule avec rapi- _dité, le surprend, l'étouffe, Jui brise les os, lui disloque les membres moyennant l'arbre qui lui sert de point d'appui, et le dévore. Les nègres et les Indiens redoutent si peu ce monstre, qu'ils épient à leur tour l'instant où, repu de sa proie, il ne peut se défendre pour le tuer et le manger.

La mer possède aussi ses serpents, dont l'existence doit avoir pour les abimes un mo- tif semblable à celui des serpents terrestres. Nous ne connaissons encore les premiers que par l’effroi et l'épouvante que leur apparition cause aux navigateurs. Si leurs dimensions sont, comme il est naturel de le présumer, dans les mêmes proportions qui existent entre les autres animaux marins et les animaux terres- tres, elles peuvent être gigantesques à nos yeux ainsi que nous le verrons par la description qui en a été faite, il y a environ soixante ans.

On se rappelle encore l’effroi qu'un de ces serpents marins a causé, il ny a pas long- temps, par plusieurs apparitions sur les côtes de l'Amérique septentrionale. S'étant jeté et

EUROPÉENNES. 429 étendu un jour sur le pont d’un gros navire, l'équipage s'enfuit épouvanté dans l’intérieur du bâtiment ; un seul marin eut le courage de lui tirer un coup d'espingole ; mais, l'ayant manqué, ou blessé peut-être, le serpent le saisit et le porta comme un trait au fond de la mer; et le monstre reparut un instant après à la surface de l’eau , formant par les articula- tions annulaires de son large dos , comme une longue ligne de tonneaux flottants sur la mer.

Voici une relation sur un de ces fameux serpents. Elle paraitra peut-être d’après ce qui précède sous un caractère moins exageré ; toujours y verra-t-on que ce monstre avait déjà été vu et observé de près.

« La côte de Norwège est le seul endroit de l'Europe qui soit visité par l'animal terrible qu'on appelle ici le serpent de mer. On assure qu'il a plus de 500 pieds de long; que son corps est au moins de la grosseur de deux muids; qu'il se tient toujours au fond de l'eau excepté en Juillet et en août, qui sont les mois il fraie : encore ne s’élève-til à la surface que lorsque le temps est calme; alors on lui voit dans la même direction que sa tête quel- ques petites portions de son dos, qui paraissent

430 ANNALES

quand il se plie, et semblent de loin autant de tonneaux flottants sur une même ligne, à une distance considérable l’une de l’autre. »

«Ce monstre a le front haut et large, le museau applati comme celui du cheval, et de grandes narines, d'où sortent de longs poils comme des moustaches. Ses yeux sont gros, de couleur bleue, et luisent comme deux boules d'argent : tout l’animal est d’un brun foncé, parsemé de taches plus claires, qui brillent comme des écailles de tortues. »

«Le serpent de mer fait souvent couler à fond hommes et chaloupes ; on prétend même que, par son poids, il ferait périr un bâtiment de cent tonneaux, en s’élancant au travers. Quelquefois il s’entortille en cercle autour d’un bateau, de sorte que les hommes en sont en- vironnés de tous côtés. Le moyen de l’éviter, quand on se trouve près de lui, c’est de diri- ger la barque vers la partie de son corps la plus élevée et la plus visible ; parce que le ser- pent plonge sur le champ et laisse passer le ba- teau. Si, au contraire, on ramait vers l'endroit le corps ne se montre pas, le monstre, en s’'élevant, renverserait la chaloupe; il serait inutile de tenter de s’en éloigner à force de rames ; cet animal fend les eaux comme une

EUROPÉENNES. 431 flèche ; et, levant sa tête effrayante, 1l enlève un homme d'une barque, sans toucher à ses compagnons. Pour s’en débarrasser plus tôt, on lui jette tout ce qui se présente sous la main, ne fût-ce qu’un morceau de bois, une pierre, ou la chose du monde la plus légère; pourvu qu'il en soit atteint, il plonge aussitôt dans l'eau et prend une autre route. » A

« L'expérience a fait connaitre que la chair de castor, l’assa-fétida, ou toute autre matière qui a l'odeur forte, est tellement contraire à ce monstre marin , qu'un petit morceau, jeté au bord de la chaloupe, le fait fuir sans re- tour. Depuis que les pécheurs ont découvert ce secret, ils en portent toujours avec eux, quand ils s'éloignent en mer. Le temps le serpent marin est le plus à craindre , c'est lorsqu'il cherche sa femelle pour s’accoupler, parce qu’alors il poursuit les vaisseaux et les barques, qu'il prend sans doute pour des ani- maux de son espèce (ou qui, pour mieux dire, contrarient probablement ses vues). On prétend que des gens ont été empoisonnés par ses excréments, qu'on voit flotter sur l'eau, comme du limon, pendant quelques mois de l'été. Si un pécheur trouve de cette matière près de ses filets , et que, par inadvertance , 1l en touche avec sa main, 1l éprouve une en:

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flure subite, et une inflammation qui oblige quelquefois d’en venir à l'amputation (:).

Péches aux Perles dans le Golfe Persique.

ville de Bander-Abassy, ou Gouron, port situé à l'entrée du golfe d'Ormuz, est deve- nue riche et florissante, par la multitude de perles qui se péchent dans ce golfe, et qui sont les plus grosses , les plus nettes et les plus pré- cieuses de l’univers.

Le jour que cette pêche doit commencer, l'ouverture s’en fait de grand matin, et est an- noncée par un coup de canon. A l'instant tous les bateaux partent et s’avancent dans la mer, précédés de deux grosses chaloupes , qui mouillent , l’une à droite, l’autre à gauche, pour marquer les limites. Aussitôt les plon- geurs se jettent à la hauteur de trois, quatre et cinq brasses. Au moment que l’un revient , l'autre s'enfonce , et tous sont aitachés à une corde, dont l’autre extrémité tient à la vergue du bâtiment. Elle est disposée de facon que les matelots peuvent aisément, au moyen

(1) Cette relation se composant de faits positifs et aussi d'accessoires douteux, concernant le serpent marin, il faut attendre du temps et de l'observation de nou- velles lumières à ce sujet.

EUROPÉENNES. 433 d'une poulie, la tirer ou la lâcher, selon le besoin du plongeur. Celui-ci a une grosse pierre liée au pied, afin d’enfoncer plus vite, et une espèce de sac à sa ceinture, pour y dé- poser les huitres qu’il ramasse.

Dès qu'il est au fond de la mer, il met dans son sac, le plus promptement qu'il peut, ce qu'il trouve sous sa main. S'il découvre plus de nacres qu'il n'en peut emporter , il en fait un monceau ; puis, remontant sur l'eau, pour prendre haleine , il retourne bien vite, ou envoie un de ses compagnons les chercher. Pour revenir à l'air , il n’a qu'à tirer une petite corde, différente de celle qui est attachée à son corps : un matelot la tient par un bout, pour en observer le mouvement, donne aussitôt le signal aux autres, et dans ce moment on tire le pécheur. Pour remonter plus prompte- ment, il détache , sil peut, la pierre qu'il a au pied Les bateaux ne sont pas si éloignés les uns des autres, qu’il n'arrive quelquefois des com- bats sous les eaux entre les plongeurs, pour se disputer un monceau d'huitres. Un pêcheur, voyant qu'un de ses compagnons lui avait volé plusieurs fois ce qu’il avait eu bien de la peine à recueillir, l'en punit de la maniere la plus cruelle. Il le laissa descendre le premier,

434 ANNALES

et l'ayant suivi de près, avec un couteau à la main , il l'égorgea au fond de l’eau. On ne s’a- perçut de ce meurtre que lorsqu'on retira le corps de ce malheureux sans vie et sans mou- vement.

Un des grands dangers de cette pêche, c’est la rencontre des requins et d’autres poissons voraces. Il s'en trouve de si forts et de si ter- ribles , qu'ils emportent quelquefois et le plon- geuretses huîtres, sans qu'on en entende jamais parler. Quant à ce qu'on dit de l'huile que les pêcheurs mettent dans leur bouche, ou d’une espèce de cloche de verre, dans laquelle ils se renferment pour descendre sous les eaux, ce sont autant de récits fabuleux. Comme ces gens s'accoutument, dès l'enfance , à plonger et à retenir leur haleine, ils s'y rendent habiles, et sont payés suivant leur habileté ; mais ce mé- tier est si fatigant, qu'ils ne peuvent plonger que sept à huit fois par jour. Les plus robustes sont bientôt épuisés ; il s'en trouve néanmoins qui résistent long-temps ; mais le nombre en est petit; au heu qu'il est fort ordinaire de les voir périr des les premieres épreuves. Il y en a qui se laissent tellement transporter à l'ar- deur de ramasser un plus grand nombre d'huîtres, quils en perdent la présence d'es- prit ; de sorte que, ne pensant pas à faire le

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EUROPÉENNES. 435 signal , ils seraient bientôt étouffés, si l’on n’a- vait soin de les retirer, lorsqu'ils demeurent trop long-temps. Ce travail dure jusqu'à midi ; et alors tout le monde regagne le rivage. Quand on y est arrivé, le maître du bateau fait transporter , dans une espèce de parc, les nacres qui lui appartiennent, et les y laisse deux ou trois Jours, afin qu'elles s'ouvrent et qu'on en puisse tirer les perles. On les lave bien ensuite, et l’on a cinq ou six petits bas- sins de cuivre, percés comme des cribles, qui s’enchässent les uns dans les autres, de facon qu'il reste toujours quelque espace entr'eux. Les trous de chaque bassin sont différents pour la grandeur ; le second les a plus petits que le premier ; le troisième moindre que le second, et ainsi des autres. On jette dans le premier toutes les perles grosses et menues , après qu'elles ont été bien lavées; s’il y en a quel- qu’une qui ne passe point, elle est censée du premier ordre ; celles qui restent dans le se- cond bassin , sont du second ordre, et ainsi de même jusqu'au dernier bassin, lequel n'étant point percé, reçoit les plus petites, qu’on ap- pelle semence de perle. Ces divers ordres font la différence du prix à moins que la rondeur plus ou moins parfaite

I. 30

436 ANNALES

ou l’eau plus ou moins belle, n'en augmente ou n'en diminue Ja valeur. C'est le hasard qui fait trouver des perles dans les nacres; mais on est toujours sûr de tirer, pour fruit de son travail, une huitre d'excellent goût et quantité de beaux coquillages, qui feraient l'ornement des plus riches cabinets.

Il règne, pour l'ordinaire sur cette côte, de grandes maladies au temps de cette pèche ; soit à cause de la multitude extraordinaire de peuple qui sy trouve, et n’habite pas fort à l'aise; soit parce que beaucoup de gens se nour- rissent de la chair des huitres, indigeste et malfaisante dans un pays aussi chaud; soit en- fin par l'infection de l'air, qui provient de la corruption de ces mêmes huîtres dont la puan- teur peut seule occasionner ces maladies.

Les côtes occidentales de l'Amérique, sur- tout celles de la Californie et de Panama, pos- sèdent aussi de beaux fonds d’huitres perlières. Voici ce qu’en dit un voyageur, sur la pêche qui s'en fait près de Panama :

« Il y a peu d'habitants qui n’emploient un certain nombre d'esclaves à cette pêche. La mé- thode n’est pas différente de celle du golfe Persique ; mais elle est ici plus dangereuse, par la multitude de monstres marins, qui font la

EUROPÉENNES. 437 guerre aux pêcheurs, Il semble que cesanimaux veulent défendre les productions de leur élé- ment, contre les hommes qui entreprennent de les ravir ; car on observe que c'est dans les lieux se fait cette pêche, qu'ils se trouvent en plus grand nombre. »

« Pour combattre des ennemis si redou- tables , chaque plongeur est armé d’un couteau pointu et tranchant ; des quil aperçoit un de ces monstres, il le lui enfoncedansle corps; l'animal ne se sent pas plutôt blessé, qu'il prend la fuite : un nègre qui a l'inspection sur les autres esclaves, veille, de sa barque, à Vap- proche de ces cruels animaux, et ne manque point d'en avertir les pêcheurs, en secouant une corde qu'ils ont autour du corps. Souvent il se jette lui même dans les flots, armé d'un fer semblable , pour secourir le plongeur quand il le voit en danger; mais ces précau- tions n’empéchent pas qu'il n'en périsse tou- jours quelques-uns , et que d'autres ne revien- nent estropiés. »

« Les perles de ce golfe sont ordinaire- ment d'une trés-belle eau ; il s’en trouve de remarquables par leur grosseur et leur figure. Une petite quantité est transportée en Europe; la plus considérable passe au Mexique et au

438 ANNALES Pérou , ou elles sont encore plus recher- chées (1) ». . Le cap Comorin de l'ile de Ceylan est de- puis les temps les plus reculés célèbre par ses riches pêcheries de perles, qui forment avec les diamants de Golconde, les plus précieux ornements de luxe des habitants de l'Inde et d'une grande partie de l'Asie. On à, depuis les grandes navigations, découvert beaucoup de rivages qui possèdent des huitres perlières : ainsi cette gracieuse parure, arrachée au fond des mers, par tant de dangers et de sacrifices , pour orner ce qu'il y a déjà de mieux paré dans la nature, existe par mines inépuisables.

(1) Plusieurs autres points des côtes d'Amérique sont l'objet de pêches semblabes , plus ou moins produc- tives.

EUROPÉENNES, 439

ANNONCES.

Buvres complètes de l'Empereur Julien , traduites pour la première fois du grec en français , accompagnées d'arguments et de notes , et précédées d'un Abrégé historique et critique de sa vie , par R. Tourlet, membre de plusieurs académies et sociétés savantes, tra- ducteur de Pindare et de Quintus de Smyrne , l’un des collaborateurs du Moniteur. 3 vol. in-8°. 1821. Prix : 21 fr. Paris , chez l’Auteur, archives du royaume, hôtel Soubise , rue du Chaume, 12; et Tillard frères, rue Haute- feuille, 22. On trouve chez les mêmes, les 2 vol. du Pindare , grec et français.

Quoique le titre de cet ouvrage n’annonce rien d’analogue aux matières traitées dans ces Annales, toutefois en le parcourant rapi- dement, nous y avons remarqué quelques pas- sages qui ne sont pas étrangers à notre sujet, et que nos lecteurs agronomes nous sauront gré de leur avoir signalés.

Julien dit, dans son second panégyrique de son beau-frère, l’empereur Constantin : « Il fit disparaitre les inimitiés, au lieu de les transmettre aux enfans et à leur postérité,

440 ANNALES

sous prétexte d'exercer une justice sévère et de vouloir anéantir la race des méchants ; comme on détruirait les germes du pin. Car la haine est J’ouvrage des méchants, et l’anti- que proverbe lui donne la fécondité de cet arbre. »

Tome premier page 314 et 515. On voit ici que l'extréme fécondité du pin , dont les rejetons et les pommes excluent toute autre plantation , semble devoir autoriser l'essai de sa culture dans nos montagnes et sur nos côtes maritimes , aujourd'hui entièrement dé- boisées au préjudice de nos plus précieuses récoltes. Pour cette raison le pin, symbole de la génération, était réputé sacré, comme ap- partenant à Cybele mère des dieux.

« On le coupe, dit l'empereur Julien, à l'époque des fêtes célébrées en son honneur, au jour précis le soleil arrive au sommet de l'apside équinoxiale. (Tome 2, page 20.) »

Voici un autre fait singulièrement remar- quable et relatif au figuier, Nous le tirons de la vingt-quatrième lettre de cet empereur à son ami Sarapion , auquel il faisait présent de cent figues de Damas en Syrie,

« Le judicieux Théophraste, lui dit-il, en exposant dans ses principes d'agriculture , l’ordre selon lequel des arbres d'espèces diffé-

EUROPÉENNES. 44a

rentes peuvent être réunis à an seul tronc et s'amalgamer ensemble , nous paraît s'attacher de préférence au figuier, comme plus suscep- tible de recevoir des greffes étrangères, et d'en pousser les divers rejetons , lorsqu'on en re- tranche les tiges principales et qu'on y pra- tique des ouvertures ou incisions, pour ÿ im- planter une autre race d'arbres, au point que ce même figuier offre, par la diversité des fruits qu'il produit , l'aspect du plus agréable ver- ger. » Tom. 3, pag. 143 et 144, traduction de M. Tourlet.

Sans doute l'opération mentionnée par l’em- pereur Julien, d’après Théophraste, mérite toute notre attention et peut être tentée (1).

En citant ces deux faits, qui sont bien de notre compétence, comme du gout de nos lecteurs, nous ne mettons pas la faux dans la moisson d'autrui; mais nous aimons à payer au savant traducteur notre part du tribut de ‘reconnaissance que méritent ses longs et im- portants travaux.

Pt

(x) Nous-aurons à présenter à l’article des pépinières, les métamorphoses merveilleuses qui s’opèrent aujour- &'hui par la greffe.

442 ANNALES EUROPÉENNES.

Tablettes Universelles , ou Répertoire des évènemens , des nouvelles, et de tout ce qui concerne l'histoire , les sciences , la littéra- ture et les arts, avec une bibliographie géné- rale. Ouvrage divisé en douze tomes, dont le a paru, dirigé par M. J.-B. Gouriet place de l’Odéon , 5.

FIN DU TOME PREMIER.

TABLE DES MATIÈRES

DANS LE TOME PREMIER:

Pa Txrnonuceriox sur l'immensité de la Nature, page

2. Vues sur l’étit-primitif des forêts; de leur in- fluence sur les climätures et les eaux vaporisées.

3. Sur l'influence des abris, dans leurs rapports avec la température et la végétation.

4. Vues sur la cause des inonditions irrégulières.

5. Sur les tempêtes et les onragans terrestres.

6. Sur l'ancienne abondance des Baleines, des Pho ue: et des Dauphins, dans la Méditerranée et dans la mer Rouge.

7. Matelot français sauvé en 1818 par des Dau-

ph ns. 8. Sur les pêches des anéiens. 9. Exemples de la puissance de la musique sur des poiss. ns marins et sur différens animaux. 10. Pèche du Cormoran. 11. Chiens de Terre-Neuve et des Alpes. 12. Chiens aux Serpens. 13. C nelusion sur tout ce qui précède. 14. Tableau des déboisemens dans différentes parties de l'Asie, de PAfrique, de l'Amérique et

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444 TABLE

de l'Europe : calamités physiques qu’ils traînent à leur suite. Opinion de Sully , de Colbert, de Fonte- nelle, de Réaumur, de Franklin et de Buffon sur les bois. Ancienne et nouvelle surfaces des forêts de Ja France. |

15. Suite de la pêche des anciens et du moyen âge en poissons de mer.

16. Pèches des Grecs.

17. Extrême abondance en poissons dns le Los- phore.

18. Anciennes et riches pêches du thon; poids remarquables des thons. Impor!änce de ces pêches. Diminution des poissons alimentaires; causes de cette diminution.

19. Voyages merveilleux des grands poissons ali- mentaires, de la mer Noire et de la Méditerranee.

20. Poissons amis de l’homme; préparations di- verses que les anciens donnaient aux poissons.

21. Pêches des Romains; luxe de leurs viviers; moyen d'enrichir nos eaux de poissons étrangers.

22. Résumé sur l'importance des pêches et com- paraison entre les productions des mers et les pro- ductions lerrestres.

23. Digression sur quelques observations physio- nomiques.

24. Sur l'introduction des chèvres thibétaines en France.

25. Des crabes des iles et de leurs voyages an- nuels à la mer.

26. Description sur la situation physique de 56 dépariemens de la France, avec les preuves locales, qui constatent , d’une manière irréfragable , que l'ex-

209

Ps MATIÈRES. 446

trème variabilité de l'atmosphère, celles des tempé- ratures , le cours interverti des météores , l’altération de nos anciennes et fortunées climatures, et, par suite naturelle , la diminution des eaux et de la puis-

sance végétale, procèdent principalement de la trop grande nudité de nos montagnes.

27. Notice sur les anciennes pèches faites du ha- reng , dans les mers du Nord, sa merveilleuse abon- dance dans les premiers temps; des grandes res- sources alimentaires que cette seule péche offre de- puis huit siècles à toute la populaton européenne; sur les richesses et la puissance maritime qu’elle a procurées à différens peuples; sur les voyages et la diminution sensible de ces précieux poissons : cause présumée de la diminution de ces pêches.

28. Notice sur les célèbres nids de la Salanganre, fort recherchés par les Chinois et par tous les hom- mes luxurieux de l’Asie orientale, comme un mets de délice, et surtout réparateur des corps épuisés. Frai de poissons dont ces nids sont composés : moyen qu'offre cette substance séminale, de transplanter les poissons étrangers dans les eaux européennes,

29. Quelques vues sur les tortues de mer; des grandes ressources qu'elles présentent aux peuples riverains des parages qu elles fréquentent, et surtout aux navigateurs.

30. Arbres de différentes contrées du globe, re-

marquables [par leur stature, leur beauté et leur durée.

31. Suite et conséquence de tout ce qui précède avec quelques vues sur la chaine des Andes , consi-

219

304

314

326.

4A6 TAALE DES MATIERFS.

déréc comme un des grands monumens météorolo- giques du monde. |

32. Comparaison entre les productions naturelles qu'offraicnt spontanément nos forêts , et les produc- tions que présentent en leur place de laborieuses cul- tures.

33. L'économie rurale, qui tient le premier rang dans la société, a perdu des ressources immenses, inappréciables, dans les plantureux pâturages des forèts.

34. Origine des vents et de leur influence sur les climaturces de la terre.

35. Montagnes en or, en argent, en cuivre, en fer , etc., etc. , et de leur influence mystérieuse dans l'harmonie des élémens.

36. Vignes , Oliviers et Mériers de la France.

37. Arbres à huile, arbres à beurre végétal, qui s'offrent à l'attention de la France.

38. Observations sur les serpens de l'Europe, sur les grands serpens terrestres et les grands serpens de mer ; sur la mission qu'ils paraissent avoir à remplir dans l’ordre général de la nature.

39. Péches des perles, dans le golfe Persique , en Amérique et à l'ile de Ceylan.

FIN DE LA TABLE DU PREMIER VOLUME.

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