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Annales de la Faculté des Lettres de Bordeaux - et des Universités du Midi e

QUATRIÈME SÉRIE Commune aux Universités d'Aix, Bordeaux, Montpellier, Toulouse

XXXIIe ANNÉE

BULLETIN ITALIEN

Paraissant tous les trois mois

TOME X 1910

Bordeaux : \] FERET & FILS, ÉDITEURS, 15, COURS DE L’INTENDANCE

Grenoble : A. GRATIER & C‘, 23, GRANDE-RUE Lyon: Herr GEORG, 36-42, pAssaGE DE L'HÔTEL-DIEu Marseille : Pauz RUAT, 54, RUE Parapis | Montpellier: C. COULET, 5, Grann’'Rue Toulouse : Énouarp PRIVAT, 14, RUE DES ARTS Lausanne: F. ROUGE & C", 4, RuE HaLDIMAND Rome : LOESCHER & €'° (BRETSCHNEIDER & REGENBERG), 307, conso UmBerro I

Paris : ALBERT FONTEMOING, 4, RUE LE Gorr

EN ete "Ta

Vol. X. Janvier-Mars 1910. 1.

LES DEUX VERSIONS ITALIENNES

DE LA

LÉGENDE DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE

PAR RAYMOND DE CAPOUE

A propos du manuscrit italien 2178 de la Bibliothèque Nationale.

Le fonds des manuscrits italiens de la Bibliothèque Nationale _s’est récemment enrichi d’un précieux recueil, comprenant les biographies de trois bienheureuses du Tiers-Ordre de saint * Dominique, ayant toutes trois vécu au xiv° siècle : sainte Jeanne d’Orvieto, sainte Marguerite de Città di Castello et sainte Catherine de Sienne. Ce manuscrit est loin d'être inconnu ; il faisait partie, au xvin° siècle, de la riche collection du couvent dominicain des SS. Jean et Paul, à Venise, il portait la cote paxzv, cote écrite au crayon, et qui se lit encore sur une petite étiquette carrée, collée au dos du volume, etil a été décrit tout au long par D. M. Berardelli, dans le tome XL, pp. 63-68, de la Nuova raccolta d'opuscoli scientifici e filologici de Calogerà. Il m’a semblé que la notice de Berar- delli pouvait être reprise et complétée sur certains points; l'examen de certaines particularités de cet intéressant volume, sur lesquelles je n'ai pas craint de m'étendre un peu longue- ment, me fournira l'occasion d'étudier, de plus près qu’on ne l'avait fait jusqu’à présent, la composition de la légende italienne de sainte Catherine de Sienne, qui occupe, à elle seule, près des neuf dixièmes du recueil.

Ce manuscrit, qui a reçu dans le fonds italien le 2178,

1. Codicum omnium latinorum et italicorum qui manuscripti in bibliotheca SS. Joannis et Pauli Venetiarum apud Patres Prædicatores asservantur Catalogus. Sectionis quintae pars posterior,

2 BULLETIN ITALIEN

se compose de 202 feuillets de parchemin, mesurant 295 sur 215 millimètres, numérotés, semble-t-il, au xvurr° siècle, et pré- cédés de neuf feuillets de papier, cotés A-T. Les 198 premiers feuillets sont écrits sur deux colonnes de 38 lignes; l’écri- ture paraît être du début du xv° siècle. Ce volume, revêtu d’un modeste cartonnage, avec dos en parchemin, est illustré de sept grandes initiales peintes à personnages, qui présentent une grande analogie de style avec celles qui ornent le manuscrit de la légende latine de sainte Catherine conservé dans les archives de la maison Généralice de l'Ordre des Prêcheurs, à Rome, et étudié, il y a quelques années, par M. Julien Luchaire:. Voici la liste des miniatures de notre manuscrit? :

(fol. r v°, col. 2). Dans un E majuscule, une sainte debout, en habit de dominicaine, tenant de la main droite un lis à trois branches et de la main gauche un livre fermé à couverture rouge, d’où semble sortir une croix à longue tige, également rouge; cette religieuse dominicaine représente sainte Jeanne d'Orvieto. S

2 (fol. 13 v°, col. 2). Dans un autre E majuscule, une sainte très semblable à la première, et figurant sainte Margue- rite de Città di Castello; elle tient de la main droite un livre rouge surmonté, comme celui de la précédente miniature, d’une croix rouge à longue tige, et de la main gauche un lis à trois fleurs.

(fol. 25 r°, col. 1). Dans un L majuscule, une sainte très semblable aux deux précédentes, et figurant sainte Catherine de Sienne; elle tient dans la main droite un objet carré blanc (un livre), d'où paraît émerger une tige rouge (sans doute celle d’une croix, comme dans les précédentes miniatures, mais la couleur est ici très effacée), et dans la main gauche un livre rouge, celui-ci non surmonté d’une croix. Les trois saintes des feuillets 1 v°, 13 et 25 sont peintes sur fond or.

(fol. 34 v°, col. 1). Dans un N majuscule, une sainte à

1. Un manuscrit de la légende de sainte Catherine de Sienne, dans : École française de Rome. Mélanges d'archéologie et d’histoire, XIX° année (1899), p. 149-198.

2. Ces miniatures ne sont pas indiquées dans la notice précitée de Berardelli.

3. Symbole de la croix sortant de l'Évangile, d'après une obligeante communi- cation de M, l’abbé Broussolle,

LÉGENDE DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE 3

genoux, en prière, sur fond bleu; dans la partie supérieure de la miniature, le Christ bénissant, entouré d’anges.

(fol. 75 r°, col. r). Dans un P majuscule, sainte Catherine de Sienne à genoux devant un autel, recevant les stigmates:.

(fol. 168 r°, col. 1). Dans un Q majuscule, sainte Cathe- rine étendue sur son lit de mort et entourée de plusieurs personnages, sur fond or.

(fol. 199 r°, col. 1). Une S majuscule, à fond bleu; dans la partie inférieure de la lettre, un dominicain en prière; dans la partie supérieure, sainte Catherine de Sienne glorieuse.

Ce n’est pas pour le couvent des SS. Jean et Paul que ce volume a été exécuté; il n’y est entré que fort tard, en 1755?, c'est-à-dire vingt-neuf ans seulement avant que fût impri- mée la notice de Berardelli, par la cession qu’en fit aux religieux de SS. Jean et Paul la prieure des sœurs du Tiers- Ordre de San Martino, à Venise, On lit, en effet, au recto du dernier feuillet, la note suivante, tracée d’une écriture très nette du xvur° siècle :

Si notaë, qualmente il presente codice graziosamente ceduto e regalato alla nostra libraria de SS. Giovanni e Paolo dalla molto reverenda Madre suor Maria Annonziata Grandi, priora delle nostre

1. Cette miniature est la traduction assez exacte du passage suivant de la légende latine de sainte Catherine de Sienne, par Raymond de Capoue (Acta Sanctorum, april. IE, p. 907, col. 2 F) : « Dominum, inquit, vidi cruci affixum, super me magno cum lumine descendentem : propter quod ex impetu mentis, volentis suo creatori occurrere, corpusculum coactum est se erigere. Tunc ex sacratissimorum ejus vulnerum cicatricibus quinque in me radios sanguineos vidi descendere, qui ad manus et pedes et cor mei tendebant corpusculi, » Le texte italien correspondant se trouve, dans notre manuscrit, au feuillet 117 v°, col. 2 : «lo cognosco che allora da me fu veduto el segnore confixo in croce descendere sopra di me con grandissima luce, e per questa cagione vogliendo a lui occorrere la mia mente, el corpo convene cadere (sic). Allora vidi a me descendere ale mie mani e ali miei piedi sanguinolenti radii, gli quali procedeano dale cinque cicatrice dele sue piaghe sacratissime. » (Livre 11, chapitre 6.) Même version dans l’édition de la légende italienne publiée à Milan, 1489; autre version dans l’édition de S, Jacopo di Ripoli, 1477.

2. Quétif et Echard, Scriptores ordinis Praedicatorum, t. 1, p. 781, col. 2, à l’article F. Thomas Antonii de Senis, signalent, en 1719, comme se trouvant « Venetiis, apud SS. Jo. et Paul., Part. alt. PI. £», un manuscrit de composition identique au nôtre; je n’ai pas retrouvé ce manuscrit dans le catalogue de Berardelli. D’ailleurs, la présence du recueil de fra Tommaso, au couvent des SS. Jean et Paul, ce personnage a vécu longtemps, s’expliquerait tout naturellement; la plupart de ses autres œuvres étaient représentées par un ou plusieurs exemplaires dans la biblio- thèque du couvent.

3. Calogerà, Nuova raccolta, etc., t. XL, p. 68.

4. Berardelli, dans Calogerà, ibid., a lu donato, et, plus loin, libreria.

A BULLETIN ITALIEN

Suore del Terz’ Ordine a S. Martino, col consenso: delle altre Suore del suddetto regio Collegio, l’anno 1755.

Depuis quand ce-manuscrit était-il à San Martino? probable- ment depuis fort longtemps. Il est très vraisemblable que ce recueil, étant donnée sa composition, a été formé dès l’origine pour un couvent de femmes de l'Ordre de saint Dominique; et précisément pour celui de San Martino. En tout cas, c’est à Venise, et dans un couvent de femmes, qu'a être écrite cette autre note, du xvu° siècle, qui se lit au feuillet 198 r°, porn:

MDCCLXXXII2 à xiij di di aprile, questa benedettä e gloriosa leggenda della Beata Gioana, laqual fu prestata per M|adonn/as Cara Cossa da cha Christian a Miser Niccolin Bocco, et lui la smarri de sorte che più la non se trovava, vosse la bona sorte, che la capità alle man de Miser Vicenzo di Alessandri del quondam Miser Piero de San Gier[emila#, et cusi noi pizzocare5 a perpetua memoria havemo fatto far la presente nota per avernela questo zentil’ homo cusi amorevol- mente data.

Après la dispersion des manuscrits du couvent des SS. Jean et Paul, ce volume fut recueilli par le P. Antonio Squarcina, évêque d’Adria, comme en témoigne une noteô du possesseur anonyme, peut-être Andrea Tessier, de Venise”, qui l’acquit

1. Il est à remarquer que Berardelli donne de la fin de cette note un texte tout différent : (col consenso di tutte le altre Suore del Regio Colleggio del SS. Rosario, detto di S. Martino, del Terz’ Ordine della Penitenza di S. Domenico di questa città di Venezia, »

2. Calogerà, Nuova raccolta, etc., t. XL, p. 67. —- La note porte MCCCLXXXII, par suite évidemment d’un lapsus.

3. Berardelli, dans Calogerà, ibid., a lu Maria.

k. Berardelli, Piero de.ser Gieronimo.

5. Pour pizzochere. Sur cette expression, voy. E. A. Cicogna, Delle Inscrizioni veneziane, vol. IIT, p. 417 : « Viveano unite alcune devote donne, che noi chiamamo pizzochere, in un romitaggio posto presso alla Chiesa parrochiale di Sant’ Agnese:..; » cf. ibid., t. V, p. 507. Je dois à l’obligeance de mon confrère, M. Léon Dorez, communication du passage suivant, tout à fait topique, de Giambattista Albrizzi, Forestiero illuminato intorno le cose più rare. e curiose della città di Venezia (Venezia; 1772, pelit in-8°), p. 125 : « Contiguo a questo luogo [il piccolo spedale dedicate a $S. Giambattista, non lontano dalla chiesa di S. Martino], vi è un Oratorio con due altari, che serve all’ uso di un certo numero di Terziarie Domenicane, dette Pizzochere, le quali si fabbricarono in questi ultimi tempi un piccolo monistero. »

6. Cette note est écrite à l’intérieur du plat supérieur du manuscrit.

7. On sait par F. Grottanelli, Leggenda minore di S. Caterina da Siena.…., p. xm, que le manuscrit se trouvait, aux environs de 1868, date de la publication de la Leggenda minore, «a Venezia, presso il Ch. signor Andrea Tessier »,

à t - 2 Le

LÉGENDE DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE D

après la mort de Squarcina'; ce nouveau possesseur paraît avoir été un homme curieux et instruit; malheureusement,

. les références bibliographiques relatives à son manuscrit, qu'il

avait relevées dans cette même note, sont incomplètes ou en partie inexactes. Voici maintenant quelle est la composition du recueil?.

I

Traduction en italien, faite en 1400, par frà Tommaso d'Antonio Nacci Caffarini, de Sienne, de la légende latine de sainte Jeanne d'Orvieto, par frà Jacopo Scalzaÿ.

Fol. r r°, col. r-fol. r v°, col r. Table des chapitres de la Légende de sainte Jeanne d’Orvieto. « Nel nome di Cristo Jesu e de la gloriosa Vergine Maria e di santo Domenico e di sanlo Francescho, e di tutli e santi. Amen. Questi infrascripti sono capitoli dela leggenda dela venerabile vergine beata Vanna overo Joanna da Orvieto dele suoro dela penitenzia di misser santo Domenico, fondatore e padre dell’ ordine de’ frati Predicatori... » Fol. 1 v°, col. 1-fol. 12 v°, col 1. Texte de la Légende : « Qui disollo incomincia la leggenda dela sopradetta gloriosa vergine beata Joanna, laquale leggenda è mollo conpen- diosa e breve, considerate le cose magnifiche d’essa... » Incipit (fol. r v°, col. 2) : « El creatore di tutte le cose, Dio e se- gnore nostro...» Explicit (fol. 12 v°, col. 1) : « Qui finisce la leggenda dela beata vergine Giovanna d'Orvieto, vestita dell’ abito dele suore° dela penitenzia di misser san Domenico,

1. Squarcina, d’après Gams, Series episcoporum, p. 769, est mort le 12 décembre 1851 ; il appartenait à l’Ordre de saint Dominique.

2. Le manuscrit coté X. 3002 des archives de la maison Généralice des RR. PP. Dominicains, à Rome, est un recueil latin de composition qui paraît à peu près identique à celle de notre manuscrit italien. Cf. Analecta Bollandiana, t. XIX, 1900, P. 21.

3. Cf. Fumi (L.), Leggenda della b. Vanna da Orvieto, tradotta in volgare l’anno 1400, in Venezia, da frà T. Caffarini da Siena, dal testo latino del ven. Scolza Orvietano, contemporaneo della beata, tratta dal cod. veneto e dal sanese…. ; Città di Castello, 1885, in-8°.

4. Ici et plus loin, sont imprimées en italiques les parties du texte écrites en rouge dans le manuscrit.

5. Ms. : vestita dele suore dell’ abito, Cf. l’incipit de la légende de sainte Catherine de Sienne, fol. 2/4 v°, col, r, de notre manuscrit,

6 BULLETIN ITALIEN

laqual leggenda fu volgarizata in Vinegia per uno frate Thomaso da Siena, de’ frati Predicatori!', per consolazione et edificazione dele devote persone volgari, e spezialmente del detto abito, anni Domini mille quattro cento del mese d’agosto. Deo gratias. Amen. »

Il

Traduction en italien, faite en 1400, par frà Tommaso d’Antonio Nacci Caffarini, de Sienne, d’une légende anonyme latine de sainte Marguerite de Città di Castello.

Fol. 13 r°, col. 1-fol. 13 v°, col. 1. Table des chapitres de la Légende : « Questa è la tavola de’ capitoli dela infra- scritta leggenda dela venerabile vergine beata Margarita da Città di Castello dele suoro dela penitenzia di misser san Domenico, fondatore e padre dell’ ordine de’ frati Predicatori. »

Fol. 13 v°, col. 2-fol. 23 v°, col. r. Texte de la Légende” « Qui? incomincia la leggenda dela venerabile vergine beata Marga- rila da Cillà di Castello sopradetla... » Incipit : « El salvatore del mondo e nostro, Cristo Jesu, volendo mostrare.. » Explicit (fol. 23 v°, col. 2): « Qui finisce la leggenda dela beata Margarita vergine da Ciltà di Castello, vestila dele suoro [etc., comme ci-dessus, jusqu’à :] del mese d’agostlo, essendo allualmente la moria in Vinegia. Deo gralias. Amen. Amen. Amen. »

En comparant le texte italien de frà Tommaso avec le texte latin original de la même légende, publié par les Bollandistes (Analecta Bollandiana, t. XIX, 1900, pp. 23-26), d’après le manuscrit des archives de la maison Généralice des RR. PP. Dominicains, à Rome, et le manuscrit du Vatican 101951, om constate aisément que le traducteur, loin de suivre fidèlement son modèle, a pris vis-à-vis de lui d’assez grandes libertés, et a, par endroits, délayé, amplifié le texte original#, Voici le

1. Ms. : predecatori,

2. Ici éomme plus haut, les italiques indiquent la partie du texte écrite en rouge dans le manuscrit.

3, En revanche, fra Tommaso abrège, quand il rencontre des noms propres : « Quedam mulier, Viola nomine, uxor Benencase Iohannoli de villa Collis Putei curie Premagni » (cap. 9), devient (fol. 18 v*, col. 1) : «una donna chiamata Vivola,

moglie d'uno chiamato Benincasa. » On pourrait relever bien d’autres exemples de ce procédé,

LÉGENDE DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE 7

début de la Légende latine, tel que le donnent les Bollandistes (ibid., pp. 23-24) :

Beata Margarita novella virgo orta ex nobilibus parentibus natione

de Castro Metule masse Tarbarie Petri apostoli iuxta Civitatem Castelli

per xij miliaria. Dicta est autem Margarita a quadam pretiosa gemma, que sic vocatur ; que gemma est candida, parva et virtuosa. Sic beata Margarita fuit candida per virginitatem; fuit enim virgo purissima, sicut plures fratres ordinis Predicatorum, quibus confite- batur, asseruerunt. Fuit parva, non solum corpore sed etiam humi- litate, in qua fuit profundissima. Fuit virtuosa in miraculorum multi- tudine, prout infra patebit.

Voici maintenant ce que ces quelques lignes sont devenues

-dans la Légende italienne (ms. italien 2178, fol. 13 v°, col. 2) :

El salvatore del mondo e nostro, Cristo Jesu, volendo mostrare di quanto pregio fussero appo esso l'anime humane essendo perdute per

lo peccato e fatte suggette ala podestà del demonio, venne in questo . mondo per la spirazione dela nostra humanità. E venuto si come uno

grande mercatante, cercante le dette anime come preziose margarite, si dispose a ricomperarle dela sua preziosissima: vita di Dio e d’uomo del suo preziosissimo sangue, dando eziamdio esso suo prezi[o]|sissimo sangue non solamente in parte ma in tutto per dimostrare inver d’ esse l’abisso dela sua carità colaquale l’amava e avevale amate ab etterno. Or intra l’altre preziose margarite sopradette, n'apparbe una singu- larissima da esso Cristo Jesu ab etterno prediletta, di nazione presso ala Città di Castello, dela provincia di Toscana, miglia dodici d’uno luogo chiamato Castello Metoleta di san Pietro? apostolo e di nobili parenti procreata, signori del detto luogo. E el padre ebbe nome

Parisio e la madre Emilia. Ma questa vergine, e quanto a’ fatti e quanto

al nome, fu chiamata e nuncupata Margarita. E per questo fu ben conveniente che Margarita questa vergine fosse appellata. La marga- rilæ è una pietra e gemma preziosa, laquale, intra l’altre, à tre proprietadi, perochè essa è candida e picciola e vertuosa. E cosi questa santa fu candida per la verginità, perochè fu vergine purissima, secondo che fu affermato al tempo del suo transito per più frati Predi- catori da equali s’ era confessata. Fu ancora picciola e quanto ala quantità del corpo e anco quanto ala quantità dell’ anima, essendo di profondissima humilitade. E fu ancora vertuosa, non solamente essendo ornata di tutte le vertudi, ma eziamdio per operazioni di molti miracoli e di molte cose maravigliose, secondo che negli capitoli infrascritti apparirà e chiarirà.

1. Ms. : preziossissima.

2, Le texte porte deux fois di san Pietro.

8 BULLETIN ITALIEN

Il est à noter que, dans ce développement verbeux, le tra- ducteur indique les noms des père et mère de la sainte (Parisio, Emilia), que ne donne pas l'original; on remarquera aussi l'expression : «al tempo del suo transito », qui précise un détail.

A la fin de la Légende, fra Tommaso a encore ajouté ce qui suit (fol. 23 v°, col. 1):

Molti altri miracoli e grazie à concedute e concede el Signore a suoi fedeli per li meriti di questa vergine, de’ quali scrivere tutto seriosa- mente sarebbe troppo o vero massa longo. E perd diceamo che al

presente bastino questi a onore e gloria d’esso nostro signore misser.

Jesu Cristo e di questa sposa sua e del suo padre misser san Domenico, sotto el cui abito essa conservd la sua innocenzia battesi- male e servette in ogni santità e giustizia, dal principio dela vita sua perfino al fine, al predetto misser Gieso Cristo etterno sposo suo. Col

quale mo si truova beata in cielo insieme con san Domenico e con

tutti gl’ altri beati a benedirlo, ringraziarlo e lodarlo per infinita

secula seculorum. Amen. :

III

Traduction en italien, faite en 1399, partie par Neri di Landoccio Pagliaresi, de Sienne, partie par un anonyme de Plaisance, de la légende latine de sainte Catherine de Sienne, par Raymond de Capoue. Texte généralement conforme à

celui de l'édition princeps de San Jacopo di Ripoli (1477, in-4°}.

Fol. 24 v°, col. 1 : «/n:' nomine domini Jesu. Amen. Qui incomincia? el primo prologo nela leggenda dela Beala Caterina

vergine da Siena, veslila dell’ abito dele suoro dela penilenzia di

santo Domenico. Laquale leggenda fu volgarizata in parte per uno sanese, elquale fu singulare devoto dela delta vergine*, e in parte

1. Ici encore, les italiques indiquent les parties du texte écrites en rouge dans le manuscrit.

2. Cette précieuse note a été publiée, d’après le manuscrit T. Il, r de la biblio- thèque communale de Sienne et le nôtre, alors conservé à Venise, par F, Grottanelli, Leggenda minore di S. Caterina..…., Bologna, 1868, p. xr1-x1r1. (Collezione di opere inedite o rare.) On comparera avec les textes allégués dans le même ouvrage, p. x; notamment : « Legendam Virginis idem generalis [Stefano Maconi] fecit in Mediolano a quodam... viro de Placentia de latino in vulgari translatari, ipsam postea trans- mittendo Venetiis, uxori... Francisci de Sandeis » [notre misser Franciescho Sandelli|.

3. Le mérite d’avoir identifié ce « sanese, singulare devoto dela detta vergine», avec Neri di Landoccio Pagliaresi, l’un des secrétaires de la sainte, revient à Grotta-

nelli; voir Leggenda minore di S. Caterina da Siena…, pubbl. da F. Grottanelli, p. xx

et suiv.; Pagliaresi a été interrompu dans son travail par la mort (Grottanelli, ibid.) - Cf, Edmund G. Gardner, Saint Catherine of Siena.…, 1907, p. vin.

LÉGENDE DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE (9)

per uno allro devolo, huomo lombardo dela città de Piacenza ; el- quale piacentino la volgarizd lulta. Et è lulta quesla leggenda, per lo delto placentino volgarizaia, in Vinegia appo uno-misser Fran- ciescho Sandelli, elquale sta presso a Santa Soffia. E fu volga- _ risala la delta leggenda per li sopradetli, negl anni domini mille

…_ trecenlo novanla nove. Deo gratias. Amen. »

._ « Dura el volgarizare del sopradetlo sanese per fino al quarlo capilolo dela seconda parte di questa leggenda inclusive. E el volga-

£ < rizare del sopradetlo placentino dura dal detlo quarto capilolo

inclusive per fino al fine, si come al sopradello quarlo capito[lo|

_ appare.»

Fol. 25 r°, col. 1-fol. 33 r°, col. 1. Premier prologue : « L'Aquila spirituale, laquale volà infino ala sommità del

_ cielo di sopra...»

. Fol. 55 r°, col. r -fol. 35 v', col. 2. Second prologue : « Qui

à = _comincia el secondo prologo nela leggenda sopradetlta. Dixe David

8 figluolo -d’'Isay.. » .. Fol. 53 v°, col. 2-fol. 34 r°, col. 2. Table des chapitres de

à _ Jar partie (12 chapitres).

Fol. 34 r°, col. 2- fol. 74 v°, col. 1. Texte de la I" partie. - Fol. 74 v°, col. 1-col. >. Table des Han e de la IT° partie (12 chapitres).

_ Fol. 75 r°, col. 1-fol. 95 r°, col. 2. Texte des chapitres 1

à 5, et d’une partie du chapitre 4 de la Il° partie. Le texte _s’arrête brusquement, au milieu d’une phrase, avec ces mots : «Con queste dunque e con altre parole impetrd dala madre sua benedictione, e poi andà ala inferma. » La fin de ce cha-

pitre 4, absente dans le manuscrit, occupe, dans l’imprimé

de 1477, huit colonnes et demie; s’il était complet, le texte du

manuscrit, après: «e poi andÔ ala inferma, » devrait continuer

ainsi : «e cosi allegra la servi, come se mai non avessi detto di lei alcuno male. »

Fol. 95 v, et fol. 96 et v°. Blancs.

Fol. 97 r°. « Qui comincia el volgarizalo di quello placentino

“& sopradello nel principio di questa leggenda. »

Fol. 97 r°, col. 1-fol. 150 v°, col. 2 (in fine). Texte des chapitres 4 à 9, et début du texte du chapitre 10 de la

10 BULLETIN ITALIEN

11° partie. Toute cette partie du manuscrit, et elle seule, est différente du texte imprimé de 1477.

Fol 150 v°, col. 2 (in fine)-fol. 167 r°, col. 1. Texte de la fin du chapitre ro, et texte des chapitres r1 ef 12 de la Il° partie : « Et per tale modo venendo, quando fuoro appresso a questo castello per sey migliara, volsero alquanto reposare, ma non bene cautamente.. »

Fol. 167 r°, col. 1-fol. 167 v°, col. 2. Table des chapitres de la IIT° partie (6 chapitres).

Fol. 167 v’, col. 2; fol. : 98 r°, col. 1. Texte de la IH° partie.

Fol. 198 r°, col. 1. « Qui finiscie la lerza e ullima parte di quesla leggenda dela beata Calerina da Siena. E cost è qui tulta compiula per volgare. Laqual leggenda in latino compose uno venerabile padre frale Ramondo da Capua, dotlor in sacra pagina e maestro generale di lullo l'ordine de’ frali Predicatori, avendola esso cominciala in Roma alquanti anni doppo el transilo dela delta beala, e compiutola pot in Cicilia, cirea gl anni domini MIIIC novanta quatro, essendo esso li in Cicilia per imbastciadore del sanlo padre, e essendo esso sulo l'ullimo confessore dela sopradetla beata; laquale, come appare nel quarto capilolo dela sopradelta terza parte, pass al cielo negl anni domini MCCCLXXX. Deo gratias. Amen. »

Comme on l’a vu plus haut, le compilateur du manuscrit a pris soin de noter (fol. 24 v°, col. 1 ; cf. fol. 97 r°) que, pour une partie de la légende de sainte Catherine insérée dans son recueil, il a reproduit la traduetion d’« un sanese... singulare devolo dela detta vergine », et, pour le reste, celle d’« uno altro devoto, huomo Eombardo dela città di Piacenza », traduction dont une copie complète se trouvait alors à Venise, chez un certain «misser Franciescho Sandelli ». A la première de ces traductions, que nous appellerons traduction À, il a emprunté: toute la partie I de la Légende; les chapitres 1 à 3 de la partie Il, et une portion du chapitre 4, qui, dans notre manuscrit, est brusquement interrompu au milieu d'une phrase. À la seconde traduction, ou traduction B, il doit: le chapitre 4 entier de la partie II de la Légende, de sorte

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LÉGENDE DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE II

que ce chapitre 4 se trouve représenté deux fois dans notre exemplaire : une première fois d'une manière incomplète (traduction À), une seconde fois dans son entier (traduction B)'; ° tout le reste de la légende, soit les chapitres 5 à 12 de la partie 11, et toute la partie II.

Nous avons noté, d'autre part, que si la traduction imprimée à San Jacopo di Ripoli, en 1477, est conforme, pour une partie, au texte de notre manuscrit, pour une autre elle s'en écarte ; les divergences commencent avec la deuxième transcription du chapitre 4 de la partie Il, et se continuent pendant cinq chapitres (5 à 9), pour cesser avant la fin du chapitre 10 de cette même partie I.

D'où nous devons conclure que, dans le manuscrit qui a servi de base à l'édition de 1477, la traduction À se continuait beaucoup plus loin que dans notre manuscrit 2178 (au delà du début du chapitre Il, 10), et que, pour tout le reste de la Légende, c’est-à-dire à partir du point les deux textes, manuscrit et imprimé, coïncident de nouveau, le rédacteur de ce même manuscrit a eu sous les yeux, lui aussi, non plus la traduction À, mais la traduction B.

Afin de permettre au lecteur de se faire une idée des diffé- rences qui existent entre ces deux traductions, nous donnons ci-après deux passages de chacune d'elles : le début du cha- pitre II, 4, et le début du chapitre IL, 10.

IC parlie de la Légende; chapitre 4; début.

TRADUCTION À. Trapucriox B.

(Ms. italien 2178, fol. 87 r°, col. 1, et (Msitalien 2178, fol. 97 r°, col. 1.) texte imprimé de 1477°.)

Era nella mente di questa sa- Admirabile compassione era cra vergine una marävigliosa con- confissa nela mente di questa

1. La portion du chapitre II, 4, qui, dans la traduction B, correspond à la partie déjà transcrite, fol. 87 r°-95 r°, de ce mème chapitre, d’après la traduction 4, est, dans notre manuscrit, annulée par un va-cat (fol. 97 r°-104 r°).

2. Je reproduis le texte de l’imprimé, sans tenir compte des légères différences, simples différences de graphie pour la plupart, qu’il présente avec le texte manuscrit.

3. La traduction 4 suit généralement de plus près que la traduction B l'original latin (cf. Acta sanctorum, Aprilis t. IE, p. 889, col. 1).

12 BULLETIN ITALIEN

passione de’ poveri, ma lunga- mente più mirabile e più excel- lente era la pietà che ella aveva inverso di coloro che erano infer- mi. Per la qual cosa fece opere quasi inaudite, le quali forse agli ingnoranti parranno incredibili, ma non sono pero per questo da passare con silentio, anche sono maggiormente da recitarle inte- ramente per maggior gloria dell onnipotente iddio. La narra- tione dumque di frate Thomaso ella sua scriptura e di frate Bar- tholomeo Dominici da Siena, el quale è ora maestro in sacra theologia e priore provinciale dell” ordine della provincia Ro-

vergine di tutti li poveri, ma più admirabile pietà fu in questa ver- gine circa quelli che erano infer- mi; per laquale cagione fece opere maravigliose, lequali parre- beno incredibile ad altrui, ma non di meno per me se recita- ranno per maggiore gloria del om- nipotente Dio. La narratione e la scriptura di frate Thomaso e di frate Bartholamio di Siena:, maes- tro in theologia e provinciale dela Romana provincia, e la relatione de Lapa et de Lissa e d’alcune altre matrone degne di fede, me danno thema e cagione che io scriva cid che siegue appresso.

mana, ella testimonianza ancora di più e più venerabile donne, le quali sono degne d’ogni fede, etiamdio oltre a Lapa e Lisa disopra nominate, mi pongono questo per necesità, cioè ch’ io reciti le cose

che seguono.

Ile partie de la Légende; chapilre 10; début.

TRADUCTION À.

(Texte imprimé de 1475.)

Incredibile? forse t’imparrà, o lectore buono, quello ch’ io al presente intendo di narrarti ; ma quella verità che non inganni e non & ingannata, sa che tanto e per tal modo mi fu sperimental- mente noto, che nulla cosa degjl’ acti humani non si potrebbe tro- vare a presso a me più certa. Era in questa vergine sacra lo spirito prophetico, tanto perfecto e tanto continuo, che secondo che si

1. Ms. : Siema,

Trapucrion B

(Ms. italien 2178, fol. 149 r°, col. 2.)

O benigno lectore, forsi che tu crederessi non essere vero ci che io intendo de narrare a te; ma ve- racemente, come Jesu Cristo co- gnosce, io scrivo questo essere vero per propria experientia. In questa vergine era spirito de pro- phetia, cosi perfetto e cosi con- tinuo, che nulla era coperto a se, come vedea quelli che conversa- vano con ley e che aley° aveano recorso per la salute de l'anime

2. Mème observation que pour le passage précédemment reproduit (cf. Acta sanc- torum, Aprilis t. HI, p. 922, col, 2, pars 11, cap. x1v).

LÉGENDE DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE 13

vedeva, nulla allei poteva esser nascoso delle cose che apparivano allei, o vero a coloro che conver- savano eon lei, o vero a coloro che ricorrevano allei per salute dell’ anime loro. E non era possibile a noi, che conversavamo collei, di fare alcuno bene o vero alcuno male, ne piccolo ne grande, in sua absentia, che non pervenissi alla sua notitia, si come per fre-

loro. Et noi, che aveamo la sua conversatione, non poteamo fare cosa in absentia de ley, laquale cosa fusse da fare mentione che alley potesse essere celata, come a noi fu la experientia manifesta. Ma dico anchora che molte fiate questa vergine dicea a noi le nos- tre cogitationi cosi perfettamente, quasi come daley propria fussero pensate.

quentissima, anche quasi per

continua esperientia questo vedemo. E quello che è più mirabile, si è chelle cogitalione del nostro cuore spesse volte cele diceva si perfectamente, come se per lei, non per noi, fussino state pensate.

On peut voir, par ces deux extraits, combien nos deux versions sont éloignées l’une de l’autre; mais, si du début du chapitre II, 10, nous nous reportons à la fin de ce même chapitre, nous sommes frappés, au contraire, de l'identité des deux textes; les seules différences qui subsistent, sont des différences graphiques ou dialectales. C’est donc dans l'in- térieur de ce chapitre IT, ro, qu'il nous faut chercher l'endroit précis cessent les divergences, c’est-à-dire où, dans l'im- primé, la traduction À ferait place à la traduction B; ce point de raccord, je crois l’avoir trouvé dans le passage reproduit ci-dessous ; on pourra y constater qu'à partir des mots : «E per retornare più tosto.a Siena vennero a cavallo a me. Et per tale modo venendo..., » les deux textes concordent parfaitement ; cette concordance se maintient jusqu’à la fin de la Légende.

La comparaison des deux versions italiennes avec le texte latin original de Raymond de Capoue vient confirmer ces conclusions. La traduction À est généralement bien plus fidèle que la traduction B; or, nous observons que la version imprimée, qui suit d'assez près le texte latin jusqu'au passage du chapitre II, 10, que nous venons d'indiquer, s’en écarte précisément à partir du moment elle se confond avec la version manuscrite, ou traduction B, c’est-à-dire à partir de ces mêmes mots : «E per retornare più tosto a Siena... »

Bull. ital. :

14 BULLETIN ITALIEN

(Texte imprimé de 1477.)

Ma: actendi quello che seguita, accid che tu abbi sperientia del suo senso prophetico e del mira- coloso adjutorio per lei ministrato da cielo. Jo era, gia sono passati molti anni, e prima ch’ io meri- tassi d’avere familiare notitia di questa prudente vergine, nel cas- tello el quale si chiama monte pulciano, nel quale castello io era proposto ad uno monasterio dell’ ordine mio, nel quale io stecti da quatro anni; e stando quivi solamente aconpagnato da uno frate del’ ordine, perchè quivi non è2 convento di frati, volentieri vedevo gli frati che venivano a me de conventi vicini, e singu- larmente quegli a me familiar- mente noti. Per laqual cosa frate Thomaso, confessoro della ver- gine disopra più volte nominato, insieme con frate Giorgio di Nar- do, elquale è ora maestro in sacra theologia, pensorono di venire del convento di Siena, accid che noi potessimo avere insieme qual- che consolatione spiritu{alle. E per ritornare più tosto a Siena, vennono à cavallo a me. Et per tale modo venendo, quando furo- no presso a questo castello per sei miglia, vollono alquanto ripor- sarsi, ma non bene cautamente, percid che in quello luogo era alcuni ladroni, gli quali, se vede-

(Ms. italien 2178, fol. 150 v°, col. 2.)

Or attendi ci che seguisse appresso, e vederay col miraculo el suo prophetico sentimento mi- nistrato per ley uno agiuto man- dato dal cielo. Io fuy per molti anni, e inanzi che io avesse la fa- miliarità di questa vergine, in uno castello nominato Monte Polli- ciano, nel quale trassi demora per quatro anni, avendo cura del mo- nasterio dele donne subjette al nostro ordine. Facendo demora solamente con uno frate in questo castello, percid che ivi non è con- vento de frati hedificato, io vedea molto volontieri li frati liquali venivano a me dali altri conventi, e maximamente coloro liquali erano domestici a me. Et per questa cagione frate Tomaso, con- fessore dela vergine, venne a me con frate Giorgi Nardi3 per darmi alcuna consolatione spirituale; e per retornare più tosto a Siena, vennero a cavallo a me. Et per tale modo venendo, qüando fuoro ap- presso a questo castello. per sey migliara, volsero alquanto repo- sare, ma non bene cautamente, percid che in quello luoco era alcuni latroni, liquali, se vedeano andare alcuno solitario o vero in- cautamente, el robavano e spo- gliavano luy, e alcuna volta el privavano dela vita, accid che non fussero accusati. Costoro vedendo

1. Cf. Acta sanctorum, Aprilis t. IL, p. 923, coll. 1-2, pars Il, cap. x1v.

2. Le texte porte non ne convento. 3. Ms.: Naddi. h. Ms.: cautamente, Percid.

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LÉGENDE DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE 19

vano andare alcuno solitario, lo questi frati andare senza altra rubavano e spogliavano, e alcuna compagnia.…

volta el privavano della vita, accid

che non fussino accusati. Costoro vedendo questi frati andare senza altra compagnia…

Il serait intéressant de rechercher quelle est, dans les autres manuscrits et dans les autres éditions de la Légende italienne de sainte Catherine, la part respective faite à l'une et à l’autre de ces deux versions. Grâce à une obli- geante communication de mon confrère, M. René Poupardin, qui a bien voulu le consulter pour moi lors d’un récent voyage, j'ai pu me rendre compile que le texte du manus- crit de Sienne T. Il, 1', comme celui du manuscrit de Paris, est formé de la juxtaposition de portions des deux traductions; dans cet exemplaire, le début du chapitre Il, 4 appartient à la

version de Neri di Landoccio Pagliaresi ou version À (Era ne

la mente), et le début du chapitre IL, 10, à la version de l’ano- nyme de Plaisance ou version B (O benigno lectore); le point de raccordement serait donc à chercher entre le début du chapitre Il, 4 et celui du chapitre II, 10; l'examen détaillé du manuscrit permettrait aisément de déterminer avec précision finit la première traduction et commence la seconde”. En ce qui concerne les éditions, si je ne suis pas en mesure d'indiquer la composition de celles de Naples, 1478, et de Milan, 1486, j'ai pu constater que celle qui a été donnée à Milan en 1489 ne contient absolument rien de la version 4°; elle doit donc nous représenter le texte intégral de la version B, reproduit en partie seulement, comme nous venons de le voir, dans le manuscrit T. IL, : de Srenre, dans le manuscrit de Paris 2178 et dans l'édition la plus ancienne, celle de 1477.

Il me faut encore signaler, dans la légende de sainte Cathe-

1. L'un des derniers possesseurs de notre manuscrit 2158 a transcrit le début du texte fourni par ce manuscrit de Sienne, et reproduit en regard le texte corres- pondant de l'édition de 1477; cette double copie est au feuillet B du manuscrit.

2. Il est vraisemblable, d’après ce qu'en dit F. Grottanelli, Leggenda minore di S. Caterina da Siena.…, p. xn, que l’exemplaire de Sienne et le nôtre sont identiques.

3. Cf. Gardner, Saint Catherine of Siena.…., p. vu et note. Mes recherches, tout à fait indépendantes de celles de M. Gardner, m'ont amené, sur ce point particulier exactement au mème résultat que lui,

16 BULLETIN ITALIEN

rine, telle qu'elle est conservée dans notre manuscrit 2178, . une particularité intéressante, qui semble avoir échappé à Berardelli; je veux parler d'une longue note ajoutée, d'une main autre que celle du copiste du manuscrit, au texte du chapitre 12 et dernier du livre IL. Commençant vers le milieu de la marge extérieure du feuillet 164 v°, cette note se poursuit, sur deux colonnes, dans la marge inférieure de cette même page, et s'achève, sur deux colonnes également, dans la marge inférieure du feuillet suivant 165 r°. Elle comporte elle- même plusieurs petites additions, reportées dans la partie supérieure, laissée libre, de la marge extérieure du feuillet 164 v°. Ces diverses reprises et retouches semblent bien indiquer que nous sommes ici en présence d'un original. Le passage ainsi ajouté est par lui-même fort curieux; il se rapporte aux deux calices d'argent fin dont la sainte faisait usage, et nous y trouvons, au sujet de ces calices, des traits merveilleux, rapportés ici sur le témoignage de « frate Tomaso d'Antonio'» de Sienne et d’autres personnes. Ainsi, lisons- nous, lorsque Catherine communiait, il arrivait que l’hostie s’échappät des doigts de l’officiant pour voler dans la bouche de la bienheureuse; et lorsque, après la communion, le prêtre, selon l’usage, lui présentait le vin dans le calice, elle serrait ce dernier avec une force telle, qu’elle laissait profondément empreinte sur les bords la marque de ses dents; de sorte que ses deux calices, est-il dit dans notre note, étaient, à leur extrémité supérieure, dentelés et « mâchés », comme auraient pu l'être des calices de plomb.

Je ne trouve rien qui corresponde à ce passage, soil dans l’Epilome vilae bealae Caterinae de Senis, par Thomas de Sienne (Tommaso d’Antonio Caffarini), publié par Mombritius, soit dans la Légende latine de Raymond de Capoue, soit encore dans la Légende italienne de l'édition de Milan, 1489; mais nous avons, sous une forme un peu différente et plus déve loppée, l'équivalent de l’interpolation de notre manuserit 2158, dans l'édition, si souvent citée plus haut, de 1477; il ne m'a

1, Frà Tonmmaso d' Antonio Nacci Caffarini, traducteur, comme on l’a vu plus haut, des zendes de sainte Jeanne d'Orvieto et de sainte Marguerite de Città di Castello.

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LÉGENDE DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE 17

pas paru sans intérêt de reproduire parallèlement les deux textes. D'un même récit latin, diversement remanié, il aura été fait plusieurs versions italiennes ; le manuscrit 2178 nous aurait conservé l'original ou plutôt la minute de l’une d'elles.

(Texte imprimé de l'édition de 1473.)

lo non voglio ne affermare ne negare,mala discretione dellectore pud giudicare che come la cosa è da essere condocta, considerato el fondamento delle gratie sopra decte, le quali aveva questa sancta vergine. || Dove ancora m'occorre un’ altra cosa, la quale non è da preterire, ma bene si debbe sin- gularmente notare; cioè, che tanto era el divoto e fervente affecto di questa vergine circa el venerabile sacramento, che, quan- do essa lo riceveva per le mani del sacerdote, più volte si vedeva chiaramente che l’ ostia conse- crata non solamente con una violentia usciva delle dita del sacerdote e senza nessuna actrac- tione di labbra o di denti o di lingua d'essa vergine volava nella bocca sua, ma eliamdio, dopo ericevimento della decta hostia consecrata, per la sua excessiva mente di divotione e afectione che essa aveva al sangue di cristo, più volte, essendole porto dal sacerdote secondo l’usanza el vino

(Ms. italien 2178, fol. 165 r°, col. 1.)

lo non voglio cid negare ne affermare, ma la discreptione del lectore pud giudicare che cosa è da essere creduta, considerato el fundamento dele gratie sopra- dette, le quali avea questa ver- gine. || Dove: è anco ben singu- larmente2 da notare come tanto era lo smisurato e inesplicabile affetto d’essa vergin santa al sopradetto venerabile sacramento, che spesse fiate, quando comuni- cava e lo prendeva, non sola- mente |’ ostia consecrala parea che fosse tracta dele mani del sacerdote per forza, e saltasse ne- la bocca dela santa vergine, senza che la vergine essa ostia a se traesse, o co’ denti o cole labbra o cola lingua3,ma eziamdio,poiche era comunicata, dandole el sacer- dote el vino nel calice, com è d’ usanza, acid 4 che essa el pren- desse, per la grande devotione e affectione che ella avea al sangue di Cristo, con tanta reverenza di mente e di corpo el detto vino prendea e beeva, come se fosse

1. Ici commence cette longue addition marginale (fol. 164 v°); un signe conven- tionnel renvoie, dans le manuscrit, du texte à cette addition.

>. Les deux mots «ben singularmente » ont été ajoutés, d’une encre beaucoup plus pâle, immédiatement au-dessus de la ligne qui commence par : « Dove è anco »

(fol. 164 vo, dans la marge extérieure).

3. Les trois mots : « o cola lingua », d’abord omis, ont été ajoutés dans une partie restée blanche de la marge extérieure du feuillet 164 vo,

h. Le membre de phrase : « acid che essa el prendesse. d’esso Geso Cristo » a été ajouté dans la partie supérieure de la mème marge.

18 BULLETIN ITALIEN

nel calice, con tanta reverentia di mente e di corpo el pigliava come se fussi propriamente stato el sangue di cristo; e prendeva del decto vino del calice e beeva, si come dalla divina suavità mira- bilmente fussi pasciuta e della divina dolceza sopra mirabil- mente inebriata. Per si facta forma avendo essa beuto e preso el decto vino, s’atachava poi e pren- deva cogli suoi denti la summità e l’orlo del calice, e con tanta forza de suoi denti, per grande spatio di tempo, si forte e si strectamente teneva el decto ca- lice, che finalmente conveniva che el sacerdote, non senza grande difficultà e con singulare ingegno, esso calice de denti della vergine si come per forza elo traessi asse. Dopo la qual cosa, secondo la consuetudine d’essa vergine, per si facto modo, per ispatio di più hore, era con la sua mente levata suso ad dio, nell’ abisso della divina degustatione saginata e assorta, che rimaneva si come esa- nime e abstracta da ogni senti- mento corporale. E in segno d'’ella vehemente applicatione de denti della vergine al decto calice, è da sapere come essa aveva due calici, equali con certi paramenti teneva appresso asse per la opportuna e necessaria celebratione della messa dovunque ella stesse o che si trovassi, per lo privilegio che

1. Le membre de phrase :

« e avendolo essa beuto...

suto propriamente el sangued’esso Geso Cristo ; e avendolo: essa beuto con inesplicabile soavità e dolceza, si come che tutta ebria di spirito diventata, con tanto da- poi fervore teneva strettamente e fortemente la sommità o vero l’orlo del calice co i suoi denti, e per longo spazio di tempo, che con ingegno e con grande difficultade si traeva de la bocca sua; in tanto che la sommità o vero gl’ orli di due calici equali essa aveva, erano pieni di dentature, essendo incincischiati e masticati o vero interrotti da i suoi denti, come se fossero edetti calici suti o vero quasi stati di pionbo. E niente- dimen erano d’argento fino, in tanto che uno d’essi, el quale fe fare uno gentile homo di Genova, e donollo a lei quando essa era a Genova col papa Gregorio unde- cimo, tornata con esso d’Avignone, cost ducati trenta due; l’altro era alquanto minore. E tutte queste cose vidde e provù el sopradetto frate Bartolomeo, spesse fiate, e confessando e comunicandola. E similemente buona parte: de le dette cose vidde uno frate To- maso d’Antonio, del quale di- sopra fu fatto menzione, e anco molte altre persone. Anco uno venerabile religioso, maestro Gre- gorio da Rimino, dell’ ordine de’ frati Romiti di santo Agostino, ebbe a dire nela prezença d’ uno

e fortemente la sommilà

ec. », a été ajouté après coup, et d’une écriture un peu plus fine, immédiatement au-dessous du membre de phrase : « acid che essa el prendesse… d’esso Geso Cristo, » Le texte primitif, après « com è d’usanza », porte : «con tanto fervore prendea la

sommità o vero... » 2. Ms. : in buona parte,

LÉGENDE DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE 19

aveva da papa Gregorio undecimo. Erano e decti calici nelle loro summitadi e orli si cincisciati e intercisi da denti della vergine, come se fussino stati di stagno o di piombo. E l’uno d’essi le fu dato a Genova quando essa ritornd d'Avignone col sopradecto papa Gregorio, che costù trenta due ducati. Ma l’altro era di minore quantità e di minore valore. Or questo più volte esperimentd e vidde el sopradecto maestro Bar- tholomeo, el quale non solamente

misser padre: Leonardo? Pisani e di più altre venerabili persone, come una fiata, comunicando3 esso in Roma la detta vergine, e avendo l'ostia consecrata in su la patena per voler darlila, l’ostia per se medesima vol dela patena nela bocca dela detta vergine. E cosi ebbe a testificare più volte el sopradetto misser padre4 Leo- nardo da Vinegia, dinanzi al sopra- detto frate Tomaso d’Ant{onio] da Siena e di più altre persone. || E cosi noi porremo, etc.

udi a confessione la decta vergine,

ma etiamdio più tempo le decte la santa comunione. E ancora la sopra- decta maraviglia vidde uno frate Thomaso d’Antonio da Siena, del quale di sopra fu facta mentione nel sexto capitolo. E anche molti frati e sacerdoti cogli loro compagnie, molte altre persone, huomini e donne, le quali si trovavano alle predelclte celebratione delle messe, questa grande maraviglia vedeano. Appresso, uno venerabile religioso, el quale si chiama maestro Gregorio da Rimine, de’ frati romiti di sancto Agustino, grande maestro edoctore in sacra theologia, dinanzi alla presentia d’un venerabile messere prete Lionardo Pisano e di più altre venerabile persone, intra l’altre cose, rendeva testimonianza di questa vergine, cioè che, trovandosi esso a Roma nel tempo che y’ era la decta vergine, disponendosi alcuna volta per singulare gratia a celebrare e concederle la sancta comunione, esso la vide che, essendo per comunicarla e avendo posta l'ostia in su la patena, essa hostia per se medesima si partiva della patena e volava in bocca della vergine. E questo medesimo ebbe arrecitare nella ciptà di Vinegia el sopra decto messere prete Lionardo nella presentia di prete Giovanni da Pozo e [dJel decto frate Thomaso da Siena, el quale allora predicava in Vinegia, e anche in presentia di molte altre persone. || E cosi noi porremo fine.

Les deux textes qui précèdent sont eux-mêmes à rapprocher

1. Le manuscrit porte pre, sans aucun signe d’abréviation. Peut-être, au lieu de prete, comme dans le texte imprimé, faut-il lire padre.

2. 11 y a à cet endroit un grattage, par suite duquel le mot Leonardo, qui devait avoir été écrit ici primitivement (cf. un peu plus loin), est devenu lono do.

3. On remarque encore un grattage entre ce mot et le suivant.

4. Le manuscrit porte ici encore pre, sans aucun signe d’abréviation, comme plus haut.

20 BULLETIN ITALIEN

d'un troisième, plus court, mais dont nous connaissons bien l'auteur. On a pu remarquer que, tant dans la note marginale du manuscrit italien 2178 que dans le passage correspondant de l'édition de 1477, par deux fois est invoqué le témoignage de « frate Tomaso d’Antonio » ou « frate Thomaso d’Antonio da Siena »; or, dans le procès instruit à Venise, en 1411, sur la sainteté et la doctrine de Catherine de Sienne, l’un des prin- cipaux témoins fut précisément ce même frà Tommaso d’Antonio, ou frà Tommaso Nacci Caffarini, qui avait été en relation pendant bien des années avec elle; et dans un passage de sa longue et très intéressante déposition, nous retrouvons, rapportés plus succinctement, les faits merveil- leux consignés dans les notes reproduites plus haut :

« Dico etiam, » lisons-nous dans cette déposition de frà Tommaso, «quod cum virgo ad civitatem Senarum de Avenione redisset, et in domo propriæ habitationis de apostolica licentia aliquoties missa celebraretur, contigit me ibidem aliquando juvare ad missam, atque videre qualiter virgo post Eucharistiæ mirabilem sumtionem, veluti caritate effusi pro nobis sanguinis Jesu-Christi taliter inebriata, os suum ad os calicis postquam vinum de illo sumsisset, taliter appli- cabat, et cum propriis dentibus ita fortiter detinebat, ut sacerdos de dictis dentibus vix finaliter posset calicem retrahere. Propter cujus actus frequentiam, vidi dictum calicem circumceirca extremilates per ejusdem dentes virginis mirabiliter undique intercisum, et prout apparet in libeilo de supplemento legendæ virginis, id in duobus aliis calicibus noscitur contigisse 1. »

Le Libellus de supplemento legendae virginis mentionné à la fin de l'extrait qu'on vient de lire, ne serait-il pas cet autre ouvrage de frà Tommaso Nacci Caffarini, dont le texte latin, conservé dans plusieurs manuscrits, n’a jamais été impriméà,

1. Processus contestalionum super sanctitate et doctrina beatæ Catharinæ de Senis, dans Martène et Durand, Veterum scriptorum... amplissima collectio, t. VI (729), col. 1272. Une traduction abrégée de ce passage se trouve dans E. Cartier, Wie de sainte Catherine de Sienne, par Raymond de Capoue, son confesseur, suivie du supplément de T, Caffarini et des témoignages des disciples de sainte Catherine au procès de Venise, t, 11 (1877), p. 243.

2. Une copie faite au xvur° siècle sur l'original conservé au couvent de Saint-Do- minique, à Sienne, se trouve à la bibliothèque Casanatense, à Rome, sous le 2360 ; cf. A. Poncelet, Catalogus codicum hagiographicorum latinorum bibliothecarum Roma- narum praeler quam Vaticanam (Bruxelles, 1909), p. 265. C’est l’exemplaire mentionné par Cartier, Vie de sainte Catherine de Sienne, etc., t, 1, p. xvn, sous la cote xxvr, 86

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LÉGENDE DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE 21

mais dont il a paru, au xvunr siècle, sous le titre de Supple- mento alla volgala leggenda di sancta Catarina di Siena, ehe forma il lomo secondo della sua vita, une traduction italienne, due au P. Ambr.-Ansano Tantucci:? J'ai vainement cherché, dans cette traduction, le passage, visé dans la déposition de frà Tommaso, relatif aux deux calices de sainte Catherine portant sur leurs bords les marques de ses dents; mais deux paragraphes du chapitre xvir du « Trattato VI » de ce Supple- mento sont consacrés au fait miraculeux, rapporté ci-dessus, de l’hostie volant des mains du prêtre dans la bouche de la sainte; dans l’un et dans l’autre de ces deux paragraphes, on remarquera certaines expressions très voisines de celles que nous avons rencontrées dans les deux notes italiennes imprimées plus haut, et, dans le second, une relation assez détaillée du témoignage, allégué dans ces mêmes notes, de frà Gregorio da Rimini?. Voici les deux passages en question :

$ 45. «E qui à viene in acconcio cid, che io medesimo Fra Tommaso della Fonte testimone di vista osservai con maraviglia. Frequente- mente, anzi poco meno che sempre, spiccava dalle mani del Sacerdote la Sagrosanta Ostia, e volava da se stessa a nascondersi dentro il petto della Santa Vergine, senza ch’ ella, o colla lingua, o con le labbra punto cooperasse per inghiottirla... ».

$ 46. « L’istesso testifica, e più volte testifico il Maestro Fra Gregorio da Rimini, dell’ Ordine Romitano di Sant’ Agostino, Religioso di eccelente dottrina, e pietà, nipote dell’ altro Fra Gregorio de Rimini, famoso, ed insigne Teologo de’ suoi tempi, e poi Priore Generale del

(pour xx. vi. 36). Quétif et Echard, Scriptores ordinis Praedicatorum, t. IE (1721), p. 822, col. 2, signalent un autre exemplaire dans une bibliothèque de Bologne. Le procès de Venise est de 1411; si la date 1416, qui se lit dans l’exemplaire de la Casanatense, copie de l'original, est bien celle de la composition de l’ouvrage, il faudrait admettre que ce traité, lors de la déposition de fra Tommaso, était seulement en préparation, ou que l’auteur, dans cette déposition, vise une première rédaction, antérieure de plusieurs années à la rédaction définitive. Il est à noter toutefois que le titre Libellus de supplemento legendae.…, indiqué dans la déposition, est bien celui que porte l’ouvrage contenu dans le manuscrit de la Casanatènse.

1. Lucques, 1754, in-4°. Cette traduction doit se joindre aux cinq volumes in-4° des Opere di Caterina di Siena publiés par les soins de Girolamo Gigli. Ce Supplément a été traduit et abrégé par E. Cartier, dans le second volume de sa traduction de la Vie de sainte Catherine de Sienne, par le B. Raymond de Capoue, pp. 89-221.

2. Du calice de sainte Catherine, il est dit seulement, à la fin de cette relation, que la bienheureuse «l’addentd a guisa tale, che a gran forza poterono distaccarlo ».

3. Fra Tommaso d’Antonio rapporte ici le témoignage de fra Tommaso della Fonte, qui fut l’un des confesseurs de sainte Catherine et dont les notes ont beaucoup servi à Raymond de Capoue pour la rédaction de sa Légende,

22 BULLETIN ITALIEN

suo Ordine. Degno d’ammirazione & il fatto, che a lui successe in Roma, dov’ era già divenuto celebre il nome di Caterina. Richiese questi in grazia di poterle un giorno amministrare la Santa Commu- nione.. Venuto dunque, che fu il tempo... di porgere il Divin Sagramento, tenendo egli in mano ferma la Patena, vide con gli occhi proprj, ed anco con universal stupore videro tutti i circostanti, che l'Ostia Sagrosanta si spicco dalle mani del Sacerdote, ch’ era lo stesso Maestro Fra Gregorio, ed al cospetto di quanti quivi assistevano al Sagrifizio, vold dirittamente dentro l’aperta bocca dell’ affammata Ver- ginella. Porgendole poi.. il calice per purificarsi le labbra, la Santa, quasi assetata del sangue preziosissimo di Gesù Cristo, l’'addentà a guisa tale, che a gran forza poterono distaccarlo:.…. »

En résumé, l’étude qui précède nous amène aux deux prin- cipales constatations que voici :

Dans les manuscrits et dans les éditions, ont été juxta- posées des portions, d’étendue très variable, des deux plus anciennes traductions italiennes de la légende latine de sainte Catherine de Sienne, par Raymond de Capoue, traductions dues, l’une (la plus fidèle) à un Siennois, identifié par Grotta- nelli avec Neri di Landoccio Pagliaresi, l’autre (la plus libre) à un anonyme de Plaisance;

Dans une interpolation du manuscrit italien 2178 sont rapportés certains faits miraculeux relatifs à sainte Catherine, absents de la Légende originale latine de Raymond de Capoue; le récit de ces mêmes faits se retrouve, sous une forme plus ou moins différente, dans plusieurs autres écrits contemporains.

IV

Fol. 199 r°. « Quesla? è una lauda facla in reverenzia dela beata Katerina da Siena, veslila del abilo di santo Dominico, e laquale fe e compose uno suo devolo senese de’ frati Predi- calori3. Si forte del parlare io son constretto Quel ch’ o nell’

1. Supplemento alla volgata leggenda, etc., pp. 191 et 192. Cf. E. Cartier, Vie de sainte Catherine de Sienne..., t. II, pp. 201-202.

2. Ici comme plus haut, les italiques indiquent les parties du texte écrites en rouge.

3. Frà Tommaso d’Antonio Nacci Caffarini, dont le nom est revenu si souvent au cours de cette étude.

LÉGENDE DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE 23

intelletto... » Fol. 202 r°: « À goder e lodare Lui signor nostro sempre e benedire. Amen. Si forte era constretto dal mio sire Di questa vergin dire, Che più l’tacer non potie soffe- rire. Deo gratias. Amen. » Cette « laude » a été imprimée à Sienne (tip. A. Mucci), en 1863, d’après un manuscrit moins complet (qui donne seulement les 11 premières strophes sur 24 que contient notre exemplaire), sous les titre et sous-titre que voici : « Con solenne e devota pompa, il giorno 29 aprile 1863, nella chiesa della ven. confraternità di Santa Caterina da Siena in Fontebranda, celebrandosi l’annua festività della di lei padrona, il maëstro dei novizj offre ai priori delle compagnie aggregate la seguente lauda.» « Una lauda a riverenza della beata Vergine Caterina da Siena, fatta per frate Tommaso de’ Predicatori. » A la suite de cette poésie, se lit un « Cenno sull autore », cet auteur est aussi, on s’en souvient, le traduc- teur des deux premières légendes du recueil, avec la date : « Siena, li 29 Aprile 1863 », et la signature «F. G.» Un exem- plaire de cette plaquette, qui se compose de 8 pages in-8°, a été relié en tête de notre manuscrit. L. AUVRAY.

1. Dans le manuscrit de la Bibliothèque nationale de Florence, Palat., 13 (cf. Guido Gentile, 1 Codici Palatini, t. 1, p. 13), cette même laude se termine, comme dans l'imprimé de 1863, par le vers: « Per gran perfezione che in lei sentio. » La partie non imprimée commence, dans notre manuscrit, par cet autre vers: « Sempre suo Gesu più perfettamente ». Serait-ce le début d’une autre pièce? Rien, dans le manuscrit, ne le donne à supposer.

LA TRADITION DE BURIDAN

ET LA

SCIENCE ITALIENNE AU XVI‘ SIÈCLE (Suile .)

a —— ——_————

II

La DYNAMIQUE PARISIENNE AU TEMPS DE LÉONARD DE Vin.

La Dynamique que Jean Dullaert? et Louis Coronel$ ensei- gnent à Montaigu, que Jean de Celaya“ professe à Sainte- Barbe, c’est la Dynamique de Jean Buridan et d’Albert de Saxe, c'est la Dynamique de l’impelus.

Comment le projectile se meut-il après qu'il a quitté la main ou la Machine par laquelle il a été lancé? Tous rejettent les explications qui attribuent à l’air la continuation de ce mouvye- ment, que l’action invoquée soit une poussée de l'air qui tourbillonne à l'arrière du mobile ou une attraction de l'onde condensée qui se propage à l’avant. « A l'encontre de ces deux manières de dire, » écrit Dullaert, « j’élève un seul et même argu- ment: Un mobile peut se mouvoir d’un mouvement de rotation, et cela en demeurant toujours au même lieu; il n’est assuré- ment ni par l’air qui le pousse, ni par l’air qu'aurait

1, Voir le Bull. ital., t. IX, 1909, pp. 338-360.

2. Joannis Dullaert de Gandavo Op. cit, Physicorum lib. VIII, quæst. IL: Quæritur secundo utrum projectum, dum reflectitur, in puncto reflexionis quiescal,

3. Ludovici Coronel Op. eit.. lib. IE, pars 1: De motu locali; éd. cit., fol. L, col. e seqq. (En titre courant: De impetu.)

h. Joannis de Celaya Op. cit., lib. VIII, cap. XI, quæst,. II1: À quo movetur projec- lum post separationem illius a quo projicitur; fol, CC, col. d et fol. CCI. (En litre courant : De motu projecti.)

LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI SIÈCLE 29

ébranlé celui qui l’a lancé; ces deux explications sont donc insuffisantes. La conséquence résulte clairement de l’anté- cédent, et celui-ci est rendu manifeste par le mouvement du sabot.

» Bien que l’une de ces deux opinions paraisse avoir été celle du Philosophe, on en tient communément une troisième, que voici : Après le repos du moteur qui l’a lancé, le mouvement du projectile est produit par une certaine vertu imprimée en ce mobile; c'est-à-dire que le premier moteur donne au pro- jectile la vertu de se mouvoir dans telle direction qu'il vise, de même que l’aimant, nous l'avons dit plus haut, donne au fer la vertu de se mouvoir » vers lui.

Louis Coronel rejette également, par divers arguments, les théories qui attribuent au mouvement de l'air la continuation du mouvement des projectiles; l’un de ces arguments est le suivant : « Cette explication ne rend pas compte d'une manière satisfaisante du mouvement de rotation de la roue que personne ne tire et qui, en son mouvement, demeure toujours en contact avec le même air; on ne peut dire, en effet, dans ce cas, que les parois de l'air viennent se réunir après avoir été séparées, puisque pendant toute la durée du mouvement, la roue demeure au même lieu. »

Coronel nous apprend ensuite que « beaucoup de savants s'accordent à imaginer un énpelus distinct du mobile; en premier lieu, lorsqu'un corps pesant est projeté en l'air ou horizontalement, il ne pourrait, après avoir été lancé, continuer à se mouvoir si l’on n'y supposait une certaine qualité motrice que l'instrument de projection y a imprimée et que l'on nomme #npelus; si l’on n'admettait pas l'existence de cette qualité, les physiciens ne sauraient quel moteur donner à ce mobile. »

Dullaert nous apprend non seulement que cette explication est communément reçue, mais encore que l’on donne habituel- lement à cette vertu imprimée dans le mobile le nom de gravilé accidentelle lorsque le projectile est lancé vers le bas, et de légèreté accidentelle lorsqu'il est lancé vers le haut. Ces déno- minations ne lui plaisent pas; en un corps, en effet, que l’on

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26 BULLETIN ITALIEN

lance horizontalement, cette vertu ne peut être dite ni gravité ni légèreté; il vaut donc mieux, dans tous les cas, l’appeler impelus. Ce vœu paraît avoir été exaucé à Paris, car Coronel et Celaya n’emploient plus, pour désigner cette vertu imprimée au mobile, d'autre terme que celui d’ünpelus.

Quelle est, selon nos auteurs, la nature de cette vertu? Nous passerons en revue, tout à l'heure, leurs opinions à cet égard. Suivons, pour le moment, l'emploi qu'ils en font, d’après Buridan et Albert de Saxe, pour expliquer les divers phéno- mènes de la Dynamique.

« Une pierre, » dit Dullaert, «reçoit plus de cette vertu que n’en reçoit une plume; elle peut donc être lancée plus loin. »

Jean de Celaya, à limitation de Buridan, précise davantage : « Vous demanderez peut-être pourquoi, selon cette opinion, une pierre lancée se meut plus longtemps qu’une plume. On répondra que la raison en est telle : La pierre a plus de matière et est plus dense que la plume; elle reçoit donc un impetus plus intense, et elle le retient plus longtemps; dès lors, il n’est pas étonnant qu’elle se meuve plus longtemps. »

A cette explication, Celaya prévoit une objection: « Un pro- jectile de grandes dimensions se mouvrait donc plus rapidement qu’un projectile plus petit ; cette conséquence est contraire à l'expérience; cependant, on la prouverait ainsi : L'impetus imprimé au grand projectile est plus considérable que l'impetus imprimé au petit; le grand projectile se meut donc plus vite que le petit.

» À cette réplique nous répondrons que la conséquence est faussement déduite. Pour le démontrer, il nous faut distinguer que l’impelus imprimé à un projectile peut être plus considé- rable ou bien intensivement (et nous nierons qu'il en soit ainsi dans le cas considéré), ou bien exlensivement; nous accorderons que ceci a lieu dans le cas considéré; mais alors nous nierons la conséquence ; il n'y a, en effet, aucun inconvénient à ce qu'un émpelus qui est exlensivement moindreqæun autre impelus, mais qui est inlensivement plus considérable, produise un mou- vement plus rapide que ce dernier. »

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LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 27

Les distinctions, si familières à la Scolastique, que marquent les mots extensive et intensive, trouvent leur traduction adéquate en cet énoncé de forme toute moderne: L’impetus total d'un corps résulte d’impelus attribués à chaque élément de ce corps; toutes choses égales d’ailleurs, l'impetus élémentaire est d'autant plus intense que la vitesse de l'élément est plus grande.

La lecture de l'ouvrage de Jean de Celaya nous montre que l’on songeait, à Paris, à la distribution extensive de l'impelus en la masse d’un corps; on y était, d'ailleurs, conduit par les opinions de Marsile d'Inghen que nous avons rapportées en notre précédente étude : et que, tout à l'heure, nous verrons discutées par Louis Coronel. Nous savons ? comment cette notion de la distribution extensive de l’inpelus a conduit Léonard de Vinci et Bernardino Baldi à concevoir l'existence d'un centre de la gravilé accidentelle et, par là, à préparer la voie à Roberval, à Descartes et à Huygens.

« Lorsqu'un corps est jeté en l'air,» déclare Dullaert, «il se meut plus vite au commencement qu'à la fin, et plus vite au milieu de sa course qu’à la fin, et cela parce que la vertu imprimée en lui s’affaiblit sans cesse et de plus en plus. »

« Certains disent, » écrit le même auteur, « que l’impelus, causé par la violence, se corrompt par suite de l’absence de sa cause... Mais il vaut mieux, je crois, dire que cet impelus, causé par la violence, est corrompu par la forme même du projectile, forme qui incline le corps à un mouvement contraire à celui que produit l’inpelus. »

Louis Coronel dit plus brièvement : « Le corps violem- ment se meut d'un mouvement opposé au mouvement naturel; landis qu'il se meut, l’inpelus s’affaiblit sans cesse; il est plus intense au début du mouvement et plus atténué

1. Jean 1 Buridan (de Béthune) et Léonard de Vinci, V : Que la Dynamique de Léonard de Vinci procède, par l'intermédiaire d’Albert de Saxe, de celle de Jean Buridan. En quel point elle s’en écarte, et pourquoi. Les diverses explications de la chute accélérée des graves qui ont été proposées avant Léonard, pp. 94-96.

2. Léonard de Vinci et Bernardino Baldi, IV : Les emprunts de Bernardino Baldi à la Mécanique de Léonard de Vinci (suite). Le centre de la gravité accidentelle (Etudes sur Léonard de Vinci, ceux qu’il a lus et ceux qui l’ont lu, IH; première série. p. 108, seqq.)

- Bernardino Baldi, Roberval et Descartes (ibid., IV ; première série, p. 127, seqq.).

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28 BULLETIN ITALIEN

à la fin; un tel mobile se meut donc de plus en plus lentement. »

C'est dans le traité de Jean de Celaya que nous trouvons exposée de la manière la plus nette la loi de l’inerlie sous la forme que Jean Buridan lui avait donnée et que Galilée gardera encore presque textuellement :

« Contre cette solution, » dit le régent de Sainte-Barbe, «on oppose l'argument suivant: Il résulterait de cette théorie qu'un corps projeté se mouvrait toujours. Cette conséquence est fausse et, cependant, le raisonnement est évident; rien, en effet, ne détruirait cet impelus; il mouvrait donc toujours le projectile.

» Nous répondons à cette réplique en refusant de reconnaitre la valeur du raisonnement, et cela parce que nous mnions l'antécédent. Cet impelus, en effet, est détruit tantôt par le milieu résistant, tantôt par la forme ou par la vertu du projectile qui exerce une action résistante, tantôt enfin par -un obstacle.

» Lorsque l'on jette un grave en l'air, la forme de ce grave ne coopère pas au mouvement ascensionnel; elle y résiste, au contraire, et elle diminue l’impelus imprimé en ce mobile. »

L'impelus devrait donc durer indéfiniment s'il n'avait à lutter contre aucune des trois causes de destruction qui ont été énumérées; c’est bien ce qu'admet Celaya : « Selon cette opinion, il ne serait pas nécessaire de supposer autant d'intelligences qu'il y a d’orbes célestes; il suffirait de dire qu'il y a en chaque orbe un impelus, que cet impelus y a été imprimé par la Cause première, et qu'il meut cet orbe; cet impelus ne se corrompt pas, car un tel orbe céleste n'a aucune inclination au mouvement contraire. »

Lorsque Buridan avait émis, au sujet des mouvements célestes, cette audacieuse hypothèse, il avait humblement sollicité le jugement des théologiens. Voici que par la voix de Jean Majoris', la Théologie déclare que cette supposition est recevable.

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LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 29

Jean Majoris soutient que le Ciel est composé de matière

et de forme. À l'encontre de cette opinion, il prévoit l’ob-

jection suivante :

« Si le Ciel était ainsi composé, il n’aurait nul besoin d’un moteur extrinsèque, ce qui est pourtant l’ayis de tous les sages ; donc il n’est pas ainsi composé.

» Nous répondrons que cet argument contredit à tous ceux qui ont traité du mouvement du Ciel. S'il n’y avait aucune objection à redouter que celles qui concernent le mouvement, je dirais qu’il n’y a pas inconvénient à ce que le Ciel fût par sa forme substantielle; ou bien encore à ce qu’il fût par une forme accidentelle qui lui serait connaturelle, de même que le grave descend par sa pesanteur. Nous voyons la meule du forgeron tourner par l’impelus qui lui a été imprimé; nous ne devons donc pas nier que Dieu ait pu produire un accident capable de mouvoir le Ciel d’un mouvement circu- laire, naturellement et continuellement; il en faut dire autant de la forme substantielle. »

. Ainsi, dès le début du xvr° siècle, la Théologie de l'Uni- versité de Paris, celle que les catholiques de tous pays saluent à ce moment comme la fidèle gardienne de l’orthodoxie, est ralliée à cette pensée: Les mouvements des corps célestes peuvent dépendre de la même Dynamique que les mouvements des corps sublunaires. C'est seulement au temps de Képler et de Galilée que les astronomes adopteront franchement cette opinion:. Il est intéressant, à ce sujet, d'observer que Jean Majoris indique trois causes possibles de la persi- stance d'un mouvement de rotation : Un impelus imprimé par

denuo recognitæ et repurgatæ. Vænundantur Iodoco Badio et Ioanni Parvo. Colophon : Finis disputationis Joannis Majoris natione scoti et professione Theologi Parrhi- siensis penitus recognite et aucte Impresse impensis communibus Joannis Parvi et Jodoci Badii Ascensii. Opera ipsius Ascensii anno domini MDXXVIII circiter XV calendas septembris. Deo gratias. Cet ouvrage débute par deux lettres, l’une de Joannes Majoris à deux autres théologiens du Collège de Montaigu, Noël Bède et Pierre Tempeste; l’autre de Pierre Peralta à Pierre Desjardins (ab Hortis) ; en ces deux lettres, il est fait allusion à une première édition du même livre donnée, «il y a un grand nombre d’années », par les soins d'Antoine Coronel. In dist. XII quæst, IL : Utrum cælum sit ex materia et forma conflatum ; éd. cit., fol. XXXIX. col. c.

1. Voir P. Duhem, Zwerv ra gauvéuevax. Essai sur la notion de théorie physique de Platon à Galilée (Annales de Philosophie chrétienne, 79° année, 1908, et Paris, 1908). Voir, en particulier, la conclusion de ce travail.

Bull. ital. 3

30 BÜLLETIN ÎTALIEN

violence; une forme accidentelle mais connaturelle, semblable à la pesanteur; une forme substantielle, analogue à l'âme, forme substantielle du corps. Ces pensées de Jean Majoris offrent une ressemblance frappante avec celles que Nicolas de Cues a émises, et surtout avec celles que Jean Képler adoptera:.

La continuelle diminution de l’impelus en un mouvement violent a été invoquée par Albert de Saxe et par Marsile d’'Inghen pour démontrer avec précision qu'entre l’ascension et la descente d’un projectile pesant se place un repos inter- médiaire.

Tous les régents de Montaigu admettent cette théorie.

L'existence de ce repos intermédiaire est l’objet même de la question Jean Dullaert traite de l’impetus. Aussi trouvons-nous, vers la fin de cette question, la conclusion suivante :

« Entre deux mouvements contraires, l’un direct, l’autre réfléchi, dont l’un seulement provient d’une cause intrinsèque, tombe un repos intermédiaire proprement dit; cela est évident: Lorsqu'une pierre est jetée en l’air, et qu’elle est soustraite à tout autre moteur, une vertu très forte est imprimée en elle, selon l'opinion qui admet l’impelus; la pierre se meut alors vers le haut. Comme cette vertu s’affaiblit continuellement, elle arrive à un tel degré de détente qu’elle ne peut plus pousser le mobile vers le haut; elle résiste toutefois à la gravité qui tire ce corps vers le bas. Enfin, elle atteint une faiblesse telle qu'elle ne suffit plus à résister. Je prends l'instant cette vertu [cesse de mouvoir vers le haut mais elle] suffit à résister, et l'instant elle ne suffit plus à résister; pendant la durée intermédiaire, le corps demeure en repos, »

Louis Coronel reproduit explicitement le calcul fait par Marsile d’Inghen. Il a si grande confiance en ce calcul qu'il n'hésite pas à en tirer la conclusion suivante, dont la naïveté prête à sourire: « Il résulte clairement de que l’on peut

1. Nicolas de Cues et Léonad de Vinci, X : La Dynamique de Képler (Etudes sur Léonard de Vinci, ceux qu’il a lus et ceux qui l'ont lu, XI; seconde série, pp. 207-211).

LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 31

imaginer des cas une pierre jetée en l'air y demeurerait en repos pendant une heure, ou pendant deux heures, ou pendant trois heures. Mais, direz-vous peut-être, on ne perçoit point ce repos de la pierre en l'air. Cette objection ne conclut pas; la trop grande distance peut nous empêcher de percevoir ce repos ; ou bien encore, il peut se faire que la pierre demeure seulement immobile pendant un temps imperceptible. »

Cette théorie tenait assurément une grande place en l’en- seignement de la Physique au Collège de Montaigu; aussi, ceux-là mêmes qui quittaient ce Collège, profondément dégoûtés des leçons qu'ils y avaient reçues, demeuraient-ils convaincus de cette quies inlermedia qui tenait le projectile en suspens. Écoutons ce qu’en dit', en 1531, Juan Luiz Vivès, cet élève de Jean Dullaert de Gand dont les imprécations contre la Philosophie parisienne retiendront bientôt notre attention : |

« Le mouvement courbe ou circulaire est un ; le mouvement brisé est multiple; la brisure du mouvement correspond à un arrêt ou à un interstice….

» Qu’une interruption se place entre les deux parties d'une telle trajectoire, non seulement la raison l'enseigne, mais encore les sens le perçoivent fréquemment. Toute chose, en effet, se meut naturellement ou par violence. Si elle se meut naturellement, elle demeurera ‘en repos lorsqu'elle aura atteint sa fin. Si elle se meut par violence, entre la fin de la violence et le commencement de l'inclination naturelle, un certain intervalle viendra se placer, intervalle pendant lequel la violence fléchit tandis que la nature reprend le dessus; ainsi en est-il de la pierre jetée en l’air. D’un mouvement violent et d’un mouvement naturel, en effet, ne se peut former un mouvement qui soit unique et d’un seul tenant. Toutes les fois qu’une force nouvelle prend naissance et renverse le sens .

1. Jo. Ludovici Vivis Valentini De prima philosophia, sive de intimo naturæ opificio liber secundus (Jo. Lodovici Vivis Valentini Opera, in duos distincta tomos : quibus omnes ipsius lucubrationes, quotquot unquam in lucem editas voluit, complectuntur : præter Commentarios in Augustinum De civitate Dei, quorum desiderio si quis afficiatur, apud Frobenium inveniet. Basileæ, anno MDLV. In fine: Basileæ, per Nic. Episcopium

juniorem, anno MDLV. Tomus 1, pp. 564-565). Le De prima philosophia est daté : Brugis, anno MDXXXI.

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32 BULLETIN ITALIEN

du mouvement, il se produit un certain intervalle, encore que trop bref pour être perçu, pendant lequel la première force, fatiguée, cède la place à la force nouvelle qui entre en vigueur; durant cet intervalle se produit un combat, une lutte, qui ne saurait se passer en un simple instant indivisible, qui exige un certain temps; à cette action très rapide suffit un temps très bref, mais cependant divisible. 11 est des cas nous pouvons, à l’aide de nos sens, constater ce repos; ainsi en est-il de la flèche tirée en l'air; au moment de retomber, elle s’arrête quelque peu, puis commence son second mouvement. » “a

Vivès, en ce passage, s'exprime à peu près comme Georges Valla; ce qu'il dit de la lutte entre la violence et la nature rappelle également les considérations par lesquelles Léonard de Vinci a été conduit à la notion d’impelo composé:.

La pensée de cette lutte s’est fortement imposée à l'esprit de l’'Humaniste espagnol, car il y revient un peu plus loin: :

« En toute action, il y a effort pour parvenir au but; ilya donc une distance entre le commencement et la fin de cette action; c’est en cet intervalle que s'exerce l'effort et, sans cet intervalle, l'effort serait inutile. Lorsque l'action est contraire à la nature du patient, la lutte est continuelle; elle a lieu au commencement, au milieu, à la fin; la violence de l’agent et la nature du patient ne sont jamais sans se combattre. Lorsque, au contraire, l’action est selon la nature du patient, il n’y a point de lutte au début du mouvement; ce mouvement, en effet, est excité par la nature même du mobile, et cette nature ne combat pas contre elle-même. Mais lors même que la force est naturelle, aussitôt qu'elle entre en action, le milieu au sein duquel elle agit entre en lutte avec l’agent; l'agent ou le moteur, en effet, veut pénétrer le milieu pour atteindre sa fin; et le milieu, si mou soit-il, résiste à la pénétration ; toute péné- tration, en effet, est une sorte de division, et la division est le commencement de la corruption, tandis que l’union aïde à la

1. Nicolas de Cues et Léonard de Vinci, XI : La Dynamique de Nicolas de Cues et la Dynamique de Léonard de Vinci. Théorie de l'impeto composé (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu’il a lus et ceux qui l'ont lu, XI; seconde série, pp. 210-222).

2. Luiz Vivès, loc. cil., p. 568,

LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 33

conservation. Plus le milieu est dur, plus ses parties sont étroitement unies, et plus aussi ses forces sont grandes et sa résistance puissante; c’est pourquoi le mouvement est plus difficile dans l’eau que dans l'air, et plus difficile dans la vase que dans l’eau pure. »

Ce passage ne porte pas seulement la trace de ce que Vivès avait entendu enseigner, au Collège de Montaigu, touchant le mouvement violent; lorsque l’'Humaniste espagnol nous montre « la nature excitant le mouvement naturel », il se souvient assurément de ce que ses maîtres lui ont dit de la chute accélérée des graves. Mais avant de rechercher nous- même ce qu'ils pensaient à ce sujet, il nous faut examiner ce qu'ils disaient de la nature même de l’impelus.

A ce sujet, les maîtres de l’Université de Paris avaient le choix entre plusieurs doctrines.

La première était celle de Guillaume d'Ockam:.

Pour le Venerabilis Inceplor, il n’y a, au sein du projectile, aucune entité, aucune vertu réellement existante que l’on puisse regarder comme le moteur de ce projectile. D'ailleurs, le mouvement n’est pas, lui non plus, une entité distincte du mobile. Pour le chef de l'École nominaliste, moteur, mou- vement, mobile ne sont ici qu'une seule et même chose; il n’y a pas un impelus engendrant un mouvement en un corps; il y a seulement un corps impétueusement.

Buridan, nous l’avons vu, rejetait résolument cette théorie de Guillaume d’Ockam. Pour lui, dans le projectile en mouvement, il y a trois choses coexistantes, mais réellement distinctes les unes des autres : en premier lieu, le mobile; en second lieu, une réalité purement successive, une forma Îluens, qui est le mouvement local; en troisième lieu, une réalité permanente, l’impelus, qui produit le mouvement local dans le mobile et joue ainsi le rôle de moteur.

Quelle est la nature de cette entité? Buridan n'’essaye pas de le deviner. Albert de Saxe, qui admet en sa plénitude la

1. Nicolas de Cues et Léonard de Vinci, IX : La Dynamique de Nicolas de Cues et les sources dont elle découle (Etudes sur Léonard de Vinci, ceux qu’il a lus el ceux qui l'ont lu, XI; seconde série, pp. 192-194).

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34 BULLETIN ITALIEN

théorie du mouvement local et de l’impelus proposée par le Philosophe de Béthune, hésite fort: à trancher cette difficile question qui ressortit plutôt, selon lui, à la Métaphysique qu'à la Physique; il se décide cependant à déclarer que « l’impetus est une qualité de seconde espèce, consistant en une certaine aptitude et facilité au mouvement. »

C’est en conformité avec cette opinion, explicitement professée en ses Quæsliones in libros de Cælo et Mundo, qu’Albert, en sa Physique, s’exprimait, au sujet de la chute accélérée des graves, dans les termes suivants? :

« Le mobile animé du mouvement naturel acquiert une certaine aptitude à ce mouvement, et cette aptitude acquise, en s’unissant à la gravité, meut plus rapidement le mobile. »

Marsile d’Inghen trouve que l’impetlus doit être rangé à la fois parmi les qualités de première espèce (habilus vel dispo- sitio) qui s’acquièrent soit par la production même du sujet, soit par sa disposition vers le mieux ou vers le pire, et parmi les qualités de troisième espèce (aclio vel passio).

La comparaison de l’inpetus à une aptitude acquise, à une habitude, avait sans doute attiré l'attention de Léonard de Vinci lorsqu'il lisait les écrits d'Albert de Saxe; nous trouvons en cette comparaison l'explication des derniers mots de cette pensée :

« Si une roue dont le mouvement est devenu de plus en plus violent donne d'elle-même, après que son moteur l’aban- donne, beaucoup de tours, il paraît clair que si ce moteur persévère à la faire tourner en sus de la dite vitesse, cette persévérance peut avoir lieu avec peu de force. Et je conclus que pour vouloir maintenir ce mouvement, le moteur n'aura

1. JVicolas de Cues et Léonard de Vinci, IX : La Dynamique de Nicolas de Cues et les sources dont elle découle (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu’il a lus et ceux qui l'ont lu, XI; seconde série, p. 196).

2. Alberti de Saxonia Quæstiones in libros de physica auscultatione ; in librum VII quæst XIII. Cf. Fernadino Baldi, Roberval et Descartes, 1 : Une opinion de Baldi touchant les mouvements accélérés (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu’il a lus et ceux qui l'ont lu, IV ; première série, p. 130).

3. Nicolas de Cues et Léonard de Vinci, IX : La Dynamique de Nicolas de Cues et les sources dont elle découle (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu’il a lus et ceux qui l’ont lu, XI; seconde série, pp. 196-197).

h. Les manuscrits de Léonard de Vinci; ms. B de la Bibliothèque de l’Institut, fol. 26, verso:

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LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 39

toujours que peu de fatigue et d'autant plus que, par nature, il se fixera. »

Cette assimilation de l’impetus à une aptitude acquise, à une habitude, était assurément bien connue, au temps de Léonard, dans les écoles de Paris les ouvrages d'Albert de Saxe et de Marsile d’Inghen avaient grande vogue.

Jean Dullaert de Gand nous apprend que « de l'avis de certains physiciens, l'impelus engendré par violence se corrompt peu à peu par suite de l’absence de sa cause, comme la connaissance intuitive se corrompt par l'absence de son objet ».

Jean de Celaya pense que l’impelus est une qualité seconde au sens large; il le compare « aux connaissances et aux dispo- sitions de l’âme ».

Mais c’est à Louis Coronel qu’il nous faut adresser pour connaître les arguments de ceux qui prétendaient, par cette assimilation, justifier l'hypothèse d’un impelus distinct du mobile et du mouvement local :

« Lorsque certains objets se sont mus, à plusieurs reprises, de mouvement local, ils deviennent plus aptes à ce mou- vement ; il reste donc en eux une certaine aptitude, une certaine disposition qu’ils ont acquise tandis qu'ils se mouvaient; par conséquent, pendant la durée du mouvement, une certaine entité actuelle était produite en ces corps; c’est cette entité qui a engendré ladite aptitude, et cette entité était distincte du mouvement local.

» L’antécédent de cette proposition est rendu manifeste par un grand nombre d'expériences. En premier lieu, lorsque les doigts sont habitués à écrire, ils exécutent le mouvement d'écrire beaucoup mieux qu'auparavant. » Et Coronel déve- lonpe d’autres exemples, entre autres celui d’une connaissance acquise par la répétition d’une même perception.

« Mais, » ajoute-t-il, « celui qui comprend bien cet argument dira que l’on en conclut aussi bien le faux que le vrai. Si la répétition de mouvements actuels produisait une aptitude au mouvement, une pierre que l’on aurait jetée en l'air à plusieurs reprises acquerrait une certaine aptitude à se mouvoir vers le

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haut; par conséquent, toutes choses égales d’ailleurs, il serait plus facile de la jeter en l'air qu'il n’était auparavant; l’expé- rience nous enseigne le contraire.

» Cette remarque ne supprime pas la force de l'argument. En un homme qui a pris de mauvaises habitudes d’intempé- rance, des actes répétés de tempérance ne suffisent pas à engendrer l'habitude de la tempérance. De même, en üne pierre la forme substantielle et la gravité résistent au mouvement vers le haut, la répétition de plusieurs jets actuels ne produit pas d'aptitude à se mouvoir vers le haut. L’argument semble donc garder sa force. »

Nous venons d'entendre comparer l’impetus à la disposition physiologique par laquelle des doigts, habitués à écrire, écrivent plus aisément. Nous ne nous étonnerons plus lorsque Képler enseignera: que l’impelus imprimé par le Créateur à la Terre a engendré, au sein de cette Terre, une organisation anatomique, a produit un agencement de fibres circulaires qui assurent la permanence du mouvement de rotation; il ne fera que suivre une opinion bien connue à Paris, au début du xvr° siècle.

Nous savons maintenant quelles opinions divergentes, touchant la nature de l’impelus, sollicitaient, à cette époque, l'adhésion des maîtres parisiens. Entre ces partis divers, les uns demeuraient en suspens; les autres se portaient soit d'un côté, soit de l’autre.

Des deux avis en présence, Jean de Celaya n’en mentionne qu'un, celui qui assimile l’impelus à une aptitude, à une dispo- sition, qui en fait une qualité et, partant, une entité permanente distincte du mobile; c’est assurément à cet avis qu'il se range.

Jean Dullaert connaît «l’autre avis, selon lequel on tient que l’impelus n'est pas une qualité réellement distincte de la chose ou du corps qui est mû... Lorsqu'une flèche est lancée wio- lemment par une baliste, ...elle est mue par ce mouvement violent et impétueux et non par une qualité nommée impetus, et l’on en doit dire autant dans les autres cas.» Après avoir

1. Nicolas de Cues et Léonard de Vinci, X : La Dynamique de Nicolas de Cues et la Dynamique de Képler (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu’il a lus et ceux qui l'ont lu, XI; seconde série, pp. 208-211).

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exposé les arguments que l'on faisait valoir pour ou contre cette opinion, le philosophe gantois semble demeurer en suspens.

_ Coronel, qui attache, semble-t-il, à cette discussion plus d'importance que Dullaert et, surtout, que Celaya, prend une position intermédiaire entre celle d’'Ockam et celle de Buridan. Avec Ockam il admet que l’impetus est identique au mouvement local, mais avec Buridan il pense que le mouvement local est une entité distincte du mobile. Citons ses propres paroles, dont la netteté est parfaite :

« Remarquez qu'entre l’impelus et le mouvement local, je n’assignerais pas d'autre différence qu’une différence du plus au moins, en sorte que tout impelus serait un mouvement local, mais que la réciproque ne serait pas vraie; l’impetus est un mouvement très intense. D'ailleurs, que le mouvement soit intense ou faible, nous pourrions dire que tout mouvement est impelus; il n’en résulterait pas que tout ce qui se meut, se meuve avec impétuosité (impeluose); mais nous n'y verrions pas d’inconvénient; il n’est pas nécessaire que tout ce qui se meut avec impelus se meuve avec impétuosité..… Volontiers, nous aurions nommé impelus la qualité motrice lorsqu'elle est pro- duite par une cause extrinsèque, tandis que nous l'aurions nommée mouvement {molus) lorsqu'elle est produite par une cause intrinsèque, si limpetus ne pouvait aussi être produit par la forme substantielle et par la gravité d’un poids qui tombe. Que l’on s'exprime d’une manière ou de l'autre, nous n’en prendrons point souci, car la difficulté est toute verbale. |

» Sachez, en second lieu, que le moteur produit dans le | mobile une certaine entité sans laquelle il ne pourrait se mouvoir, et qui est une sorte d’instrument nécessaire requis par la nature; cette entité est le mouvement local. Le poids qui se meut vers le haut n’a pas en lui d’autre mouvement que l’impelus ; en un poids qui tombe, la forme substantielle et la gravité produisent un mouvement que l’on peut nommer impetus lorsqu'il est suffisamment intense. Bref, nous pouvons dire qu’en toutes circonstances un impetus est produit, un mou-

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vement local est engendré; ...et tout ce qui se doit dire de l’impetlus quant à sa production soit instantanée, soit successive, _ se doit dire aussi du mouvement. »

Coronel eût pu traduire exactement sa pensée en donnant à l’impetus le nom de quantilé de mouvement que Descartes lui attribuera un jour.

L'impelus étant identique au mouvement local, les raisons qui conduisent à distinguer l'inpelus du corps qu'il meut établissent aussi la distinction entre le mouvement local et le mobile. « On peut formuler l’argument suivant : L’impelus est distinct de la chose qui se meut impétueusement; donc le mouvement local est distinct du mobile. On peut justifier cette conséquence de la manière suivante: Tout inconvénient qui résulterait de la supposition d’un impetus distinct de la chose qui se meut impétueusement (s’il en résultait quelqu'un), découlerait aussi de l'hypothèse que le mouvement est distinet du mobile, et inversement; et l’une des conséquences s’expli- querait tout aussi bien que l’autre. » |

Parmi les arguments propres à établir que l’inmpetus est réellement distinct du mobile, Coronel place l'explication de la chute accélérée des graves. Il est donc temps d'examiner ce que les maîtres de Montaigu ou de Sainte-Barbe enseignaient au sujet de cette explication.

Jean Dullaert écrit: « Certain impetus est causé par la violence; certain autre impetlus est engendré naturellement. Il faut remar- quer, à ce sujet, que si un grave est retenu en l'air et si l’on écarte ce qui l’empêchait de tomber, ce grave tombe plus vite à la fin du mouvement qu'au commencement, donné que la résistance soit uniforme. La cause en est que, dans le mouve- ment de ce grave, l’impetus du mobile part d’une intensité de degré zéro {a non gradu intensionis), commence à croître en intensité, et croît sans cesse d’une manière continue jusqu'à la fin du mouvement. »

Le philosophe gantois ajoute cette phrase digne de remarque : « En des graves de grandeurs différentes, l’inpetus croît-il pro- portionnellement à la grandeur du grave ou non? Ce serait une sérieuse difficulté à examiner, mais je n’en parle pas. » II

LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 39

n'insiste pas davantage sur la cause qui fait croître l’impelus au cours du mouvement naturel.

Coronel est plus explicite.

Il rejette l'explication de la chute accélérée des graves qu'ont donnée Aristote et Thémistius. Les raisons qu'il fait valoir contre cette explication sont, parfois, d’une singulière naïveté; il pense: que si la pesanteur était une vertu émanée du lieu naturel, il suffirait de recouvrir la terre d’un vêtement pour empêcher cette vertu de passer; les corps placés au-dessus de ce vêtement cesseraient de peser vers le centre du monde. Coronel fait, d’ailleurs, cette autre remarque plus heureuse que la théorie de Thémistius n’explique pas le ralentissement du mouvement d’un projectile jeté en l’air.

L'hypothèse de l’impelus, au contraire, sauve aussi bien l'accélération du mouvement naturel que le ralentissement du mouvement violent: « Un poids, en effet, qui tombe en un milieu uniforme descend plus vite à la fin de son mouvement car, pendant la durée de sa course, la gravité, ou bien sa propre forme substantielle, ou toutes deux ensemble, ont produit en lui un certain impelus, qualité qui le meut vers le bas; et comme cet impetus est, alors que le mobile approche de son terme, plus intense qu’il n’était au début du mouvement, le poids tombe plus vite vers la fin de sa chute. »

Un peu plus loin, Coronel répète: « En descendant, la gravité produit un impelus; ...pendant la durée successive de la des- cente, la gravité produit un impelus. » C’est donc exclusivement à la gravité ou à la forme substantielle du corps pesant qu'est dévolue cette génération d’un impelus de plus en plus intense.

Ce principe n'était pas affirmé avec une suffisante netteté dans les écrits des maîtres anciens; certaines tournures de phrases employées par eux auraient pu donner à penser que l’accroissement éprouvé par l’impelus durant un certain moment avait pour cause l’impelus ou le mouvement local qui existait aussitôt avant ce mouvement. |

1. Ludovici Coronel Op. cit., lib. IV, pars 1: De loco; éd. cit., fol. LXX XIE, col. c,

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ho BULLETIN ITALIEN

Buridan, par exemple, avait écrit:

«Le mouvement devient alors plus rapide; mais plus il devient rapide, plus l’inpetus devient intense. »

Et aussi : « Plus le mouvement devient rapide, plus l’impetus devient vigoureux. »

Plus explicitement encore, Summenhard disait : « Vers la fin du mouvement, l’impelus s’accroît par suite de la vitesse du mouvement précédent. »

Certains auteurs semblaient donc attribuer à l’impelus ou au mouvement local (pour Coronel, c’est tout un) qui existe à un instant donné une part en l'accroissement ultérieur de l'impelus ; ils préparaient ainsi une doctrine que nous avons vue formulée par Bernardino Baldi' et adoptée par Roberval 2.

Louis Coronel eût formellement rejeté l'opinion de ces der- niers auteurs; il leur eût objecté ce qu'il objectait, comme nous le verrons tout à l'heure, à une théorie de Marsile d’Inghen : « L’impetus produit après le lancement du projectile serait donc engendré par un autre inpelus, par celui qu'a produit l'auteur du lancement ; l’impelus serait, par conséquent, une qualité active, capable de produire une autre qualité de même espèce qu'elle-même. »

En ce point, Jean de Celaya est, nous l’allons voir, du même avis que Louis Coronel.

Celaya traite à plusieurs reprises de l’accélération du mou- vement naturel.

Voici un premier passages :

« Si vous demandez par quoi sont mus les corps graves inanimés quand ils descendent et les corps légers quand ils montent, nous répondrons qu’un corps pesant est müû par sa forme substantielle à titre de principe et par sa gravité à titre d’instrument... Vous direz peut-être : Nous voyons par l'expérience qu'un grave se meut plus vite à la fin de son

1. Bernardiné Baldi, Roberval et Descartes, 1: Une opinion de Bernardino Baldi touchant les mouvements accélérés (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu’il a lus et ceux qui l'ont lu, IV; première série, pp. 138-139).

2. 1bid., II : Bernardino Baldi et Roberval (Op. cit., pp. 144-145),

3, Joannis de Celaya Op. cit,, lib. VIII, cap. V, quæst. II : An animal moveatur ex se; fol, CLXXX VIII, col. b.

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mouvement qu’au commencement; mais à la fin de sa chute, il est plus proche de son lieu naturel; il semble donc que ce lieu naturel imprime au corps pesant une certaine vertu qui le meut plus rapidement. Nous répondrons que la cause de cette plus grande vitesse n’est pas une vertu émanée du lieu naturel. La cause de cette vitesse croissante est l’impelus qui est acquis au cours de la descente; uni à la gravité, il pro- duit vers la fin un mouvement plus rapide que celui que la gravité seule produisait au début. »

Voici un second passage : le même sujet est traité de nouveau :

« Lorsqu'un certain être se meut naturellement, une certaine qualité est causée en cet être; cette qualité, que l’on nomme impelus, concourt au mouvement d’une manière active; au début du mouvement, cette qualité n'existait pas; plus le mobile avance, plus cette qualité devient intense et plus fort est son concours à ce mouvement. Donc... le mouvement naturel est plus rapide à la fin qu’au commencement. Cette conclusion est évidente, car, à la fin, le mobile possède un impetus qui lui vient en aide et, au début, il ne le possède pas. »

À cette explication de la chute accélérée des graves, Jean de Celaya, poursuivant son exposition, en ajoute une autre, que l’on avait déjà proposée avant Simplicius et que Durand de Saint-Pourçain avait recueillie :

« En outre, à la fin du mouvement, le milieu oppose à sa propre division une moindre résistance (je veux parler de sa résistance accidentelle) qu’au début; le milieu à traverser est, en effet, moins épais vers la fin du mouvement qu'il n'était au commencement; or, il est certain qu’un milieu de huit pieds d'épaisseur résiste plus qu’un milieu de quatre pieds, du moins quant à la résistance accidentelle. Il n’est donc pas étonnant qu'un tel mouvement naturel soit plus rapide à la fin qu’au commencement. »

Citons enfin cette phrase digne de remarque ? : « Nous

1. Joannis de Celaya Op. cit., lib. VII, cap. X, quæst. III : An motus naturalis sit velocior in fine quam in principio; fol. GXCVII, col. b.

2. Joannis de Celaya Op. cit., lib. VIII, cap. XI, quæst. III : À quo movetur pro- jectum post separationem illius a quo projicitur ; fol. CCI, coll. a et b.

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voyons par l'expérience que l’inpetus qui meut un corps pesant vers le haut est corrompu par la gravité et par la forme substantielle de ce corps; au contraire, la forme du corps pesant conserve et accroît l’inpelus qui meut ce poids vers le bas. » Pour Celaya donc, comme pour Coronel, c’est la forme substantielle et la pesanteur du grave qui, au cours de la chute de ce grave, conservent l'impelus déjà acquis et en. accroissent l'intensité.

Il nous reste à prendre, en un dernier débat, l’avis des maîtres parisiens.

Nous avons vu qu’'Aristote, et maint physicien après lui, avaient admis la vérité de cette proposition : Dans les premiers moments qui suivent son départ, un projectile accélère sa course. Nous avons vu, également, que Jean Buridan et Albert de Saxe n'avaient fait aucune allusion à cette prétendue accé- lération initiale, que Marsile d'Inghen et Gaëtan de Tiène l’avaient résolument niée, tout en admettant, bien à tort, la réalité des effets qu’on lui attribuait et en cherches donner de ces effets une autre explication.

De cette question, Jean de Celaya ne parle pas, mais les deux régents de Montaigu y prêtent quelque attention.

Jean Dullaert semble avoir prévu la théorie que Bernardino Baldi devait soutenir un jour et s’être attaché à contredire par avance à cette théorie. L'impelus qui meut un projectile a sa plus grande intensité, dit-il, à l’instant même le mobile quitte son moteur. «Je prouve que l'inpelus ne pourra pas, immédiatement après cet instant, avoir une plus grande intensité ; en effet, si, aussitôt après cet instant, il était plus intense qu'en cet instant, c’est que son intensité irait en croissant pendant un certain temps; il en résulterait donc que, pendant ce temps, le projectile se mouvrait continuellement de plus en plus vite; or, cela est contraire à l'expérience et à l'opinion de tous ceux qui ont traité de cette matière; que cela soit contraire à l'expérience, c’est manifeste, car, au début de son mouvement, la flèche ne peut être perçue par le regard, grâce à sa très grande vitesse.

. De ce que la flèche lancée par la baliste se meut, au

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début du mouvement, plus vite que lorsqu'elle est à une certaine distance de la machine, il n’en résulte pas qu’elle ne produise pas, lorsqu'elle est quelque peu distante de cette machine, un choc plus violent qu’au commencement de sa course. En effet, pour un même mobile, il n'ya pas un rapport fixe entre la violence du coup et la vitesse du mouvement. A cela, quelques-uns assignent une cause tirée de la nature même de l’objet; ce serait une conséquence de la nature même de l’impelus. Mais, quoi qu'il en soit, je n’en ai cure; il me suffit que l’on ne puisse tenir cet argument comme prouvant que le mobile se meut, à une plus grande distance de ce qui l’a lancé, plus vite qu'il ne se meut à une moindre distance. »

Coronel admet, comme Dullaert, qu’un mobile par violence se meut de plus en plus lentement; il admet aussi que la force du coup est plus grande lorsque le projectile est à quelque distance de l'instrument qui l’a lancé; mais il est, plus que le philosophe gantois, soucieux de. concilier ces deux affirmations.

Il commence par exposer l’explication que Marsile d’Inghen avait imaginée; mais il se refuse à admettre ce changement progressif en la distribution de l’inpelus; en un passage que nous avons cité il y a un instant, il refuse à l’impelus le titre de qualité active, capable d’engendrer son semblable et, par là, de se propager au sein du projectile.

Cette explication rejetée, il en propose une autre, que voici :

« Le coup est d'autant plus fort que la quantité d’air divisée par le projectile est plus considérable, la véhémence de l'impulsion étant supposée la même; près du début du mouvement, bien que l’inpelus soit plus intense, il n’y a que peu d’air divisé; vers la fin, au contraire, la quantité de l'air ébranlé est grande, mais l'impelus est très faible; à une distance modérée, enfin, l’inpelus est bien intense et l'air ébranlé est en bonne quantité; la blessure est donc moins forte au commencement et vers la fin du mouvement; c’est au voisinage du milieu de la course que le coup est le plus violent, »

44 BULLETIN ITALIEN

Déjà Gaëtan de Tiène avait hésité entre cette théorie et celle de Marsile d’Inghen.

En un mouvement naturel, l’inpelus croît sans cesse; il diminue continuellement en un mouvement violent; de cette proposition, qui résumait toute sa Dynamique, Buridan avait fait une remarquable application aux mouvements vibra- toires; le va-et-vient d’une corde écartée de sa position d'équilibre, les oscillations d’une cloche ébranlée lui avaient servi d'exemples.

Albert de Saxe avait de la même théorie déduit un autre corol- laire:: «Supposons, avait-il écrit, que la terre soit perforée de part en part et que, par le canal ainsi creusé, un grave descende très rapidement vers le centre; au moment le centre de gravité de ce corps sera devenu le centre du Monde, ce corps continuera à se mouvoir au delà et à se diriger vers la partie opposée du Ciel grâce à l’inpetus qu'il a acquis et qui ne sera pas encore corrompu; lorsqu’en l’ascension du corps, cet impelus viendra à manquer, le grave se remettra à descendre; il ira ainsi, oscillant autour du centre, jusqu’à ce qu'il n’y ait plus en lui aucun impetus; alors, il s'arrêtera. »

Nous avons vu? que ce passage d'Albert de Saxe semblait avoir inspiré une pensée de Léonard de Vinci.

En 1516, l’Écossais Georges Lokert, régent au Collège de Montaigu, donna une édition des Quæstiones in libros de Cælo el Mundo de Maître Albert de Saxe; en cette édition, deux questions dont l’importance est extrême pour l’histoire de la Dynamique furent omises, entre autres celle qui contient le passage précédent.

N'allons pas en conclure que cette conséquence de la Méca- nique de Buridan et d’Albert de Saxe fût ignorée au Collège professait Maître Georges Lokert; elle y était assurément enseignée et commentée, au point de frapper les esprits les

1. Alberti de Saxonia Quæstiones in libros de Cælo et Mundo; in lib. II quæst. XIV, apud edd, Venetiis, 1492 et 1520. Cette question ne se trouve pas dans les éditions données à Paris en 1516 et en 1518,

2. Léonard de Vinci et la pluralité des Mondes, VII : Commentaire aux réflexions sur la pluralité des mondes données par Léonard de Vinci (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu’il a lus et ceux qui l'ont lu, X; seconde série, p. 95).

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LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 45

plus rebelles à la Scolastique parisienne; Didier Érasme de Rotterdam qui fut, aux dernières années du xv° siècle, élève du Collège de Montaigu, va nous en fournir le témoignage.

En 1522, Érasme publiait à Bâle, chez son ami Froben, ses Colloquia, dont le succès fut extraordinaire’. Or, voici ce que nous lisons au neuvième dialogue, intitulé Les questions? :

« Azpæus :.… C'est le contraire dans le mouvement violent, qui, plus prompt au commencement, se ralentit peu à peu; ce qui est tout opposé au mouvement naturel...

» Gurtox : Mais dites-moi : si quelque Dieu s’avisoit de percer la Terre par la moitié,... en jetant une pierre par ce trou-là, iroit-elle ?

» Azprius : Elle dêcendroit jusqu’au centre de nôtre Globe; puis elle auroit la bonté de s’y reposer; car ce Centre est le Siège de tous les Corps pesans.…

» Curiox : Je raisonneroïis autrement : vous m'avez dit que le mouvement naturel, quand il ne trouve point d'obstacle, augmente de plus en plus, par le progrès; si votre thèse est soûtenable, la Pierre ou le Plomb qu'on jetteroit par le trou de la Terre, se trouvant près du Centre, dans un mouvement très rapide, passeroit infailliblement plus loin, et alors ce seroit un mouvement violent.

» Azpaius : Pour le Plomb, il feroit mauvois voïage, car, se fondant nécessairement en chemin, il n'arriveroit que goutte à goutte; mais si la pierre à cause de la rapidité de son mouvement, ne pouvoit pas s'arrêter au Centre, elle commen- ceroit aussitôt à se mouvoir plus lentement; et retourneroit au Centre de la même manière qu'une Pierre jetée en l'air retombe sur la Terre.

» Curiox : Mais comme ce seroit par mouvement naturel que la Pierre retourneroit vers le Centre, elle passeroit encore par la raison de la grande vitesse et ainsi cette pauvre Pierre sera

z7. L'existence d’une édition antérieure à 1522 est peu probable (voir : Brunet, Guide du libraire et de l'amateur de livres, édition, 1861, t. II, col. 1041).

2. Les Colloques d’Erasme, Ouvrage très intéressant, par la diversité des sujets, par l’Enjoûment, et pour l’Utilité Morale. Nouvelle Traduction par Mons’ Gueudeville, Avec des Notes, et des Figures très ingénieuses. Tome cinquiesme, Qui contient, Les trois

principaux Mobiles de l Homme ; le Culte, la Nature et l'Art. A Leide, chez Pierre vander Aa et Boudouin Jansson vander Aa Marchands Libraires, MDCCXX; pp. 179-181.

Bull. ital. h

46 BULLETIN ITALIEN

condamnée au mouvement perpétuel; elle n’aura jamais de repos.

» Azpæius : Elle se reposera enfin, après avoir couru et recouru, jusqu’à ce qu’elle soit parvenüe à l'équilibre. »

La vogue des Colloques d'Érasme fut prodigieuse., La pre- mière édition, tirée à 24,000 exemplaires, fut enlevée à Paris en quelques semaines. Les éditions et les traductions se succé- dèrent, innombrables jusqu’à la fin du xviu° siècle. Par elles, le problème d'Albert de Saxe se trouvait répandu partout. C’est par les Colloques d'Érasme, nous le verrons, que l’abbé Maurolycus, à Messine, connut ce problème parisien.

Un Didier Érasme, un Louis Vivès, pourront bien tourner en dérision les maîtres sous lesquels ils ont étudié à Montaigu et l’enseignement que ces maîtres leur ont donné; ils ne parviendront pas à oublier les leçons qu'ils y ont reçues; lorsqu'ils revêtent d’élégante latinité une théorie de Méca- nique, il nous suffit d’écarter le manteau dont ils l’ont affublée pour reconnaître quelque antique pensée d’Albert de Saxe, soigneusement conservée en la Faculté des Arts de l’Université de Paris.

Telle est la Dynamique que l’on enseignait à Paris au début du xvr° siècle. Elle est l’héritière directe de la Dynamique professée par Jean Buridan; depuis le milieu du xrv° siècle, quelques points se sont précisés; d’autres se sont légèrement obscurcis; l’ensemble est demeuré le même.

Si nous comparons cette Dynamique à celle qu'au même moment, le Vinci consignait en ses notes, nous constatons entre ces deux doctrines de nombreuses et frappantes ana- logies. Parmi les régents de Montaigu ou de Sainte-Barbe, bien plus que parmi les maîtres de Bologne ou de Padoue, Léonard eût rencontré des hommes dont les pensées eussent fait écho aux siennes.

Entre la science des Parisiens et la science de Léonard, si nous cherchons les différences, nous en trouvons une qui est tout à l’avantage du grand peintre.

Lorsqu'un mobile est jeté en l’air, la pesanteur et l'inpelus luttent entre eux pendant toute la durée du mouvement; c’est

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LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 47

une proposition qu’admettent également le Vinci et les conti- nuateurs de Buridan ; mais ceux-ci invoquent cette proposition pour en tirer une conclusion fausse, l'existence d'un temps de repos entre la marche ascendante et la marche descen- dante du projectile; celui-là aperçoit cette idée féconde : l’im- pelo composé rend compte de la courbure de la trajectoire.

En revanche, les Parisiens pourraient montrer avec fierté qu'en plusieurs de ses parties, leur doctrine surpasse celle de Léonard ; résolument, ils nient qu'un projectile lancé hori- zontalement commence par accélérer sa course ; et surtout, ils demandent à l’impelus acquis l'explication correcte et féconde de la chute accélérée des graves.

P. DUHEM. (A suivre.)

APPUNTI INTORNO ALLA TRADUZIONE FRANCESE

DEL FILOSTRATO

DOVUTA A LOUIS DE BEAUVAU

Tutti i lettori del Bullelin ilalien conoscono lo studio magi- strale dell’ Hauvette:, in cui è stata detta l’ultima parola riguardo all’ autore della versione, Louis de Beauvau, all im- portanza dei codici che ne esistono ed a molte altre questioni di cui per brevità non posso far cenno. Perché dunque la mia intenzione di ritornare sopra il medesimo argomento non apparisca temerità, dir che fu il Professore suddetto ad inco- raggiarmi alla pubblicazioné di questi appunti, assicurandomi anzi il suo preziosissimo aiuto?. Lo studiolo si limiterà percid a mettere in rilievo il valore non comune della versione ed a studiarne le relazioni con l'originale, specialmente dal punto di vista psicologico ed estetico.

Sono l’introduzione e l’ultimo capitolo del Filostrato fran- cese che ci aprono uno spiraglio largo e sicuro nel cuore del signore di Beauvau, facendoci conoscere le cause intime che lo spinsero con tanto calore ed entusiasmo a voltare nella sua lingua l’opera boccaccesca. Peraltro questi due brani non sono interamente indipendenti dall’ originale, come sembrerebbe a prima vista. Il proemio del poema dedicato a Fiammetta avrebbe potuto suggerire al traduttore l’idea di paragonare, al principio, i casi suoi a quelli di Troilo, ma la mancanza assoluta d’ogni accenno od allusione a questa dedica, nella

1. Cfr. B. L., t. VII, 1907, pp. 298-313, ora ristampato in Les plus anciennes traduclions françaises de Boccace (x1v°-xvn siècle), Bordeaux, 1909, pp. 18-38.

2 11 Ch"° Prof, Hauvette s’è incaricato con squisita gentilezza di rivedere i passi della versione francese, che io cito secondo la pessima edizione a stampa delle Nouvelles françaises du X1V° siècle, Paris, 1858, sui migliori mss. parigini, di oui gli

rendo pubblicamente grazie. Le citazioni dell’ originale sono fatte secondo l’edizione Moutier, l'irenze, 1831.

APPUNTI INTORNO ALLA TRADUZIONE FRANCESE DEL FILOSTRATO 49

traduzione, ci fanno ritenere ben poco probabile questa suppo- sizione. L’ultima proposizione della prefazione invece corri- sponde fedelmente all’ ottava, in cui il Boccaccio invoca la compassione di tutti gli amanti'. Ben maggiore è la dipen- denza del capitolo finale francese dal testo italiano, giacché, ad eccezione delle ultime righe, il primo è quasi uguale al secondo (Fil. VIII, 29-33 e ed alcuni versi della 2* ottava, Nouv. fr., pp. 302-304). Ma ancora nelle poche proposizioni che restano si sente un’ eco delle ottave boccaccesche : Poi {u… te ne andrai Alla donna gentil... O te felice... E come tu nelle sue man sarai, (IX, 5) e : « Et ay esperance que ce petit livret sera beaucoup plus eureux que nul aultre ne pourroit estre, car il ira encores en la main de telle de qui seulement l’acoin- tance mieulx vault que de l’avance du monde ensemble » (p. 304). E finanche l’osservazione strettamente personale del traduttore : « Le joyeux temps passé souloit estre occasion que je faisoye de plaisanz dictz et gracieuses chansonnettes et ballades » (p. 303}, non è in realtà che un’ imitazione del passo : Sogliono i lieli tempi esser cagione Di dolci versi (IX, 1). Gerto non abbiamo il diritto di mettere in dubbio la sincerità di questa confessione, giacché, non foss’ altro, basterebbe la traduzione del Filostrato, condotta con eleganza e buon gusto, ad assicu- rarci che abbiamo a fare con un uomo dotato d'ingegno poetico. Inoltre la precisione, con cui questi indica il genere delle composizioni che scrisse in tempi migliori, rende superfluo ogni dubbio in questo riguardo?,

Un’ innegabile affinità spirituale avvicina, anzi lega autore e traduttore al protagonista del racconto. Ma distinguiamo : Quando il Boccaccio scrisse questo poema, il suo stato psicologico non era quello che vorrebbe farci credere. Una momentanea separazione dalla sua Fiammetta lo rendeva bensi triste e dava un certo fondamento a’ suoi lamenti, ma in fin de’ conti si trattava d’uno stato passeggero, che non

1. &«E voi amanti prego che ascoltiate » (1, 6) e «Et vous, amoureux, prie chiere- ment que escoutez...» (p. 120-121).

2. L’Hauvette, op. cit., p. 21, ha trovato aggiunte alla fine d’un codice, che contiene la traduzione del Filostrato, alcune composizioni liriche, che quasi certa- mente saranno di Louis de Beauvyau.

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avrebbe tardato a cessare. Maria d’Aquino gli aveva dato tante e tante prove d'’affetto che, se pure non aveva raggiunto ancora le supreme soddisfazioni d’amore, a quanto almeno afferma nel proemio:, poteva sperare, ed a ragione, che tosto o tardi ci sarebbe arrivato. I suoi sentimenti erano, insomma, quelli d’un uomo ebbro d’amore, il quale è già quasi arrivato al culmine della felicità, e tutto d’un tratto si vede allontanato momentaneamente dal raggiungimento delle sue brame, e perciù strepita e piange, ma il quale è intimamente convinto che tutto cid non è che un gioco del caso, che piü tardi gli porgerà occasione d’assaporare, con la voluttà acuita dalla lunga attesa, il frutto tanto desiderato. Per questa ragione le sue interminabili lamentele diventano, a lungo andare, monotone e disgustose, poiché sono realmente inadeguate e sproporzionate alla situazione. Ë molto piü sincera e convin- cente invece la descrizione delle gioie amorose di Troilo, dove la natura e lo stile boccacceschi, cosi ricchi di sensualità, possono manifestarsi ed atteggiarsi ne’ piü splendidi e smaglianti colori. Fiducioso nella sua amante, egli sperava di salire sempre piü nelle grazie di lei e non pensava, povero illuso, alla morale della favola, che dopo la felicità del Troiano innamorato ne vengono i dolori e la disperazione, che Maria d’Aquino assomigliava moltissimo, anzi, per sua sciagura, troppo fedelmente alla leggera e volubile Griseida?.

Non cosi il signore di Beauvau; la sua amante l’ha ingan- nato atrocemente e concede ormai i suoi favori ad altro pit fortunato amatore. Percid il suo dolore à profondo ed insa- nabile ed i lamenti amorosi sono piü sinceri nella sua prosa piana che non nelle ottave armoniose del poeta fiorentino. Scrive egli per consolarsi, giacché non si lusinga pit di poter riafferrare la felicità sfuggitagli. Scrive egli per vendicarsi

1, .… Non perch’ io desideri che alcuno creda che io di simil felicità (quella di Troilo) gloriare mi possa, perocché non mi fu mai tanto favorevole la fortuna, sforzandomi di sperarlo nol pud in alcun modo concedere la credenza che ciù avvenga » (p. 8).

2. ...« E quante volte le bellezze, i costumi, e qualunque altra cosa laudevole in donna, di Griseida scritto troverete, di voi essere parlato potrete intendere : l’altre cose, che oltre a queste vi sono assai, niuna, siccome già dissi, a me non appartiene, per me vi si pone, ma perché la storia nel nobile innamorato giovane la richiede »

Cp: 9).

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APPUNTI INTORNO ALLA TRADUZIONE FRANCESE DEL FILOSTRATO 51

della perfidia della sua donna, ponendo sotto gli occhi di tutti gli amanti incauti un esempio ammonitore della volubi- lità ed incostanza femminile. Le sue preghiere, i suoi sospiri non cercano più la via di penetrare nel cuore di quell’ inu- mana, ma si rivolgono a tutte le donne belle e gentili:; certo la perfida, che l’ha tradito cosi ingiustamente, non merita che le si dica la dolce parola di riconciliazione. Eppure alla fine pare che risorga in lui un lieve raggio di speranza : Togliendo l’idea dal! originale, invoca con timidezza la sua fiamma d'un tempo ed invidia il suo libriccino, che verrà forse nelle mani di colei ch’ egli stima pit di tutto il mondo intero. Ë questo un semplice complimento dovuto all’ imita- zione boccaccesca oppure una speranza viva e reale? Non possiamo rispondere con sicurezza, perché già nella prossima proposizione il gentiluomo francese si rivolge alle donne in generale. Scosso il giogo, sia pure a malincuore, di quell infe- dele, egli offre d'ora in poi a tutto il bel mondo femminile il suo cuore, il suo corpo ed il suo pensiero?.

Se osserviamo da vicino questa pagina autobiografica di Louis de Beauvau, sorge in noi spontaneo il dubbio intorno alla veridicità di molti particolari, i quali corrispondono con fedeltà sospetta ad altrettanti della storia di Troilo. Nessuno vorrà, peraltro, negare che il suo cuore sanguinasse ancora a quel tempo per una ferita reale d'’amore, altrimenti non si potrebbe spiegare lo sdegno sincero ed il biasimo raddoppiato,

1. Questa tendenza del traduttore a generalizzare i passi, in cui il Boccaccio si rivolge in particolare alla sua Fiammetta, non si limita alla prefazione, ma si osserva parecchie volte nella versione del poema stesso (Cf, a proposito, p. 205, nota 2"). Ë caratteristica in questo riguardo la traduzione di tre ottave (1V, 23, 24,25e pp. 205-206), in cui il poeta fiorentino parla fiducioso alla sua amante ed implora da lei nuove e piü alte grazie. Louis de Béauvau non poteva voltare verbalmente il passo, giacché, considerando egli l’opera tradotta quasi cosa sua, sarebbe stata questa troppo crudele ironia per lui abbandonato ignominiosamente dalla sua donna. Percid generalizzd, con molta abilità, il particolare ed attribui le frequenti allusioni del poeta al di lui amore a quello di Troilo, traducendo cosi l’originale in modo che nessun riferimento personale offendesse il suo stato d’animo d’amante ingannato. Questo procedimento è stato osservato dappertutto, eccettuata qualche rara eccezione, dovuta forse piü che altro alla fretta (p. e. LIL, 2 « Adunque sii presente, O bella donna », e p. 174 « Doncques soyez cy presente, o belle et gracieuse dame ».)

2. Si lui supplie, et aux aultres qui le liront, que en le lisant vueillent avoir aucune compassion du tourment et du martire que amours jusques cy me ont fait endurer, et je mettroy cueur, corps et pensée à les servir loyaument jusques a la mort et sans departir » (p. 304).

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con cui, nella versione, sono condannate le donne ingan- natrici'. Ma alcuni particolari sono stati certamente aggiunti dalla fantasia del traduttore, il quale tendeva a rendere la sua sorte simile in tutto e dappertutto a quella di Troilo : cosf il fatto ch’ egli fu timido come questi nel dichiarare il suo amore, «et craintivement je m'en hardi luy raconter mon fait » (p. 118); cosi la circostanza che la sua felicità d’amante durd pochissimo e che fu ingannato ed abbandonato, proprio nel modo medesimo dell infelice Troiano, senza alcuna ragione o colpa, dalla sua donna. » Mais ce tantet n'eut, las! durée, ains me faillit sans cause ne raison » (p. 119); infine lo stato del gentiluomo tradito corrisponde tale e quale alla dispera- zione di Troilo dopo l’inganno di Griseida, « Depuis n’eu joye, ne depuis n’eu plaisir, depuis n’eu bien, ne depuis n'’eu liesse, ne chose en ce monde qui peust pour rien ne sceust reconforter mon tres malheureux et abandonné cuer, qui ainsi avoit perdu toute esperance sans jamais recouvrer » (p. 119).

Percid non ci allontaneremo molto dalla verità conchiu- dendo, che il signore di Beauvau ebbe a soffrire un tradimento amoroso, come il protagonista del poema, ma che, toltagli la mano dalla fantasia, cercù di presentarci la sventura sua molto piü somigliante al racconto tradotto di quello ch'essa fosse stata in realtà.

Da questo fatto deriva alla traduzione una freschezza e spon- taneità tali da farla considerare quasi come un’opera originale. Leggendo quelle pagine appassionate il traduttore credette d’avere tra le mani la storia del suo amore infelice, e voltà in francese le ottave italiane con vero amore ed entusiasmo. Per questa ragione sono frequenti le aggiunte, le omissioni, i muta- menti e gli errori che ci svelano, per mezzo d'indizi apparen- temente insignificanti, tutto l’animo suo, la sua cultura, le sue convinzioni e le sue occupazioni predilette.

1. «Cotal fin’ ebbe la speranza vana Di Troilo in Griseida villana » (VIH, 28)e «Geste fin eut l’esperance vaine que avoit Troyle en la belle Criseida, faulce, trai- tresse et desloialle » (p. 302). Altrove è stata omessa un’ allusione del Boccaccio alla felicità dei due amanti, che suona quasi invito lusinghiero alle orecchie di Fiam- metta (III, 33 e p. 182). L’omissione di questo passo, il quale ricordava tristamente al

traduttore la gioia per sempre perduta, ci rafforza nel convincimento, che in questo racconto ci sia un fondamento di verità autobiografica.

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La sua seienza mitologica non era dayvero grande. Cosi gli perdoniamo l'ingenua vanità d’aver aggiunto al nome di Pallade la spiegazione la deesse de Sapience (p. 124 e I, 17), a quello d'Achille il commento {le vaillant capitaine des Greux (p. 302 e VIII, 25). Ma piü spesso la sua dottrina lo lascia in asso, e Protesilao (IV, 39) si trasmuta in un personaggio ben piü noto della leggenda troïiana, ma non apparso ancora a quel tempo sulla scena della guerra, Panthasilée (p. 209). I nostro stupore aumenta ancora quando leggiamo che Venere, la quale è chiamata giustamente dal Boccaccio figliuola di Giove (III, 74), si trasforma, per l’ignoranza del traduttore, nella madre del sommo degli dei mère de Jupiter (p. 192).

Le abitudini medievali non possono non riflettersi, nella traduzione, in accenni e brevi aggiunte : cosi nel testo francese non bastan piü i {roian padri (1, 18) a dirigere i sacrifici al Palladio; ci vogliono, oltre Les peres troyens?, i sacerdoti : les seigneurs de l’église (p. 124), che soprintendono a simile ufficio; cosi una festa pagana assume le forme d’un pio pellegrinaggio medievale, .. el la plus part m'ont desjà demandé congié d'aller a ceste feste qui vient en pelerinage (p. 173 e II, 143). Bell’ ana- cronismo invero!

Ma piû numerosi sono ancora i passi, in cui gli scrupoli religiosi indussero il traduttore a mutare l’originale. L'invoca- zione di qualche deità pagana quale vero dio posta in bocca ai

1. Per attenuare la colpa del traduttore sia detlo che nel passo in questione non si cita mai espressamente il nome della dea, sicché ad una persona poco dotta in mitologia era aperta la strada alle piü strane congetture: Il potere irresistibile di questa divinità, a cui nessuno pud sottrarsi, influisce sopra il sommo degli dei, sopra Giove stesso, cosi si legge piû in giü (III, 76 e p. 193). Come dunque, pensà il dabben traduttore, una figlia ha da dominare il proprio padre? Ben piü nalturale e logica gli sembrè la relazione inversa, che cioè la madre abbia imposto al figlio il suo giogo, massimamente che, piü in basso ancora (lIl, 79 e p. 194), il poeta fiorentino celebra il figliuolo di questa dea, l’onnipotente Amore, senza indicarne chiaramente il nome. Percid gli si porgeva spontanea l’identificazione erronea di queste due divinità ben differenti (Giove ed Amore) ed il concetto apparentemente logico per lui, ignaro in mitologia, che questo figliuolo potentissimo nato di madre, al cui influsso tutti devono piegarsi, non sia altri che Giove medesimo. L’espressione anteriore poi, che definisce questa dea quale figliuola del sommo degli dei, gli sarà parsa proba- bilmente una svista del poeta. Eppure Louis de Beauvau fu inviato dal suo signore, dal buon re Renato, quale ambasciatore a papa Pio II, a Roma (Hauvette, op. cit., p. 22). Quale distanza fra i due uomini! Come avrà sorriso maliziosamente il raffinato umanista nei conversari coll’ onesto, ma ingenuo cortigiano, cosi poco

iniziato nei segreti della scienza antica! 2, L’edizione reca erroneamente les clers troyens,

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personaggi del poema, si trasforma, nella versione, in una preghiera rivolta al vero Dio, sicché possiamo illuderci che si tratti proprio del Dio cristiano : lo dico Giove, iddio vero (EL. 24) e je dy du vray Dieu (p. 126); lo stesso a p. 197 e III, 67: Il giuramento per Giove, O sommo Giove (VITE, 17), è reso pit esattamente : O souverain Jove (p. 299)'. Il rispetto profondo pel nome di Dio induce Louis de Beauvau a capovolgere l’ordine, dovuto probabilmente alla rima, in cui Pandaro precede Dio (II, 82 e p. 156), ad omettere addirittura Amore preposto a Dio : Amore, Iddio, e’ l mondo questo cessi! (IV, 53) e Dieu ne le vueille! (p. 213). Certo ad un uomo intimamente devoto bastava in questo caso Iddio, ed ogni altra aggiunta gli sembrava un’ irriverenza.

Tutta una serie di mutamenti à dovuta al fatto che il tra- duttore, ignorando il significato classico della parola /nferno, come l’usa il Boccaccio, gli attribuisce il senso cristiano, molto pit ristretto, di dimora dei dannati. Una mente medievale non poteva concepire il desiderio sacrilego della figliuola, che augura al proprio padre l’Inferno : O padre mio. E li Troian lasciar! nell infernale Valle fuslu, volesse Iddio, defunto (IV, 93) e « O mon père! et laisser les Troyans en malle tempeste infernalle! Que pleust ore a Dieu que auant feussiez vous trespassé » (pp. 222-223)2. La stessa avversione a tradurre tale e quale il termine /nferno si nota anche altrove; p. e. IV, 54e p. 213; IV, 120 e p. 229; VI, 16 e p. 263; NII, 21 p. 300, nei quali casi la parola suddetta è evitata © resa con l'autre monde.

sono meno manifeste le traccie delle severe convinzioni morali del traduttore in parecchi passi della prosa francese. La morale boccaccesca superficiale ed egoistica non poteva garbare all’ onesto gentiluomo, che credette suo dovere di rimaneggiare il racconto italiano nei luoghi, che si trovavano in evidente contrasto con le sue massime; ma non sempre questi mutamenti sono vantaggiosi alla verità ed alla bellezza

1. Male ancora qui l’edizione : O souverain juge. 2. In questo caso la divergenza sarà dovuta forse ad una differente interpunzione del manoscritto che servi al traduttore pel suo lavoro.

APPUNTI INTORNO ALLA TRADUZIONE FRANCESE DEL FILOSTRATO 55

della traduzione. Griseida vuol persuadere il suo amante, che una relazione nascosta e pericolosa sia piü attraente d’un amore legale e conosciuto, e ci per indurlo a desistere dal piano di rapirla :

E quanto più di possederla ardi,

Piu tosto abominio nel cor ti viene,

Se larga potestade di vederla

Fatta ti fia, e ancor di ritenerla. (LV, 152.)

Sotto la Griseida francese invece fa capolino l’uomo morale, il quale condanna dal punto di vista etico la rapina quale una brutta azione, considerandola come una violenza da parte d'un potente a danno d’una donna debole : «et tant que vous auez plus de puissance et de hardement, de tant plus deuez vous avoir abhomination au cuer de faire une chose mal faicte; et si Dieu vous a grant pouoir donné, sachez en ouurer saigement en temps et lieu » (p. 238). Sono sentimenti che onorano altamente il fiero gentiluomo, ma non possiamo trattenerci dall’ osservare che le massime leggere, poste in bocca dal Boccaccio alla vedova volubile, armonizzano meglio col di lei carattere che non la severità morale attribuitale dal Francese.

Questi è sincero, ed odia percid la raffinata ipocrisia delle donne. Vuol chiamare ogni cosa col suo vero nome e far parlare i personaggi con la massima sincerità. Cosi gli sembrù un’ esagerazione poco naturale, che Griseida insistesse tanto nel volere salva la sua castità, e mitigù l’espressione (IT, 121 e p. 167). La verità psicologica, al contrario, sta appunto in quest’ esagerazione, giacché proprio donne siffatte hanno sempre la parola castità sulle labbra. Il Boccaccio è, senza paragone, dei due il pi profondo conoscitore del cuore fem- minile, come si vede da un passo, in cui la vedova leggiera apparisce timorosa e trepida, mentre attende con desiderio vivissimo l’arrivo dell’ amante. Simili finezze della psicologia femminile non sono familiari al buon traduttore, che credette suo dovere di togliere la contraddizione apparente (III, 25

ep. 179).

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Anche il concetto dell” amore, manifestato per mezzo di Pandaro, assume un aspetto diverso nei due uomini : L’Ita- liano non si meraviglia punto dell’ infedeltà di Griseida; gli sarebbe bastato che la loro relazione non fosse cessata cosi presto, giacché un amore che durasse quanto la vita sarebbe sembrato anche a lui stucchevole. Tutt’ altro il Francese, il quale s'aspettava dalla sua amante una fedeltà che non avrebbe avuto fine che con la morte (IV, 46 e p. 214).

Lo spirito feudale di casta si riflette piuü volte nella versione, specialmente nelle relazioni tra vassallo e signore, tra amante ed amata. a questo fatto è completamente estranea la lingua francese, la quale, a preferenza dell italiana, si serve d'un linguaggio meno familiare e pit rispettoso. Al semplice amico caro (II, 1) usato da Pandaro di fronte a Troilo, corri- sponde in francese l’espressione ossequiosa del vassallo verso il figlio del suo re, mon seignour el mon amy (p. 155). I termini, in cui l’innamorato esprime alla sua donna devozione illimitata, assumono un tono di maggiore umiltà e rispetto nella traduzione che non nell’ originale (Il, 103 p. 162; VI, 32 e pp. 267-268).

è priva di significato la predilezione del traduttore d’abbondare nei particolari riguardanti l’arte della guerra e della caccia. Cosi i tentativi per far rinvenire Troilo svenuto (IV, 19 e p. 204) ed i vari procedimenti per accertarsi, se Griseida fosse proprio morta o soltanto priva di sensi (LV, 118 e p. 228), sono resi con esattezza tale ed abbondanza di particolari, che fanno supporre in lui una dimestichezza non comune con simili casi frequentissimi sui campi di battaglia. Ma accanto al guerriero troviamo in Louis de Beauvau anche l’uomo di corte, il quale non isdegnava l'occupazione piü lieta della caccia e trovava sopratutto gran godimento stando seduto ad una tavola ben bandita in com- pagnia di donne leggiadre (V, 41 e p. 252-253). In questa circostanza i suoi gusti s’incontravano con quelli del poeta fiorentino.

Studiate ormai le divergenze dovute particolarmente allo stato d’animo, alla cultura, alle convinzioni ed alle abitudini

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APPUNTI INTORNO ALLA TRADUZIONE FRANCESE DEL FILOSTRATO 57

del traduttore discoste in vari casi da quelle del Boccaccio, dobbiamo indagare i risultati che derivano da cid e dal tem- peramento artistico del signore di Beauvau alla versione considerata pit specialmente quale opera d’arte e paragonata col testo italiano. Già la natura stessa della narrazione

prosaica rendeva necessario il mutamento radicale d’abbrevia-

zioni ardite, di metafore, di circonlocuzioni, che formano nella lingua poetica uno de’ più efficaci mezzi artistici, ma che diventano zavorra inutile nel linguaggio piü dimesso e logico della prosa, specialmente della prosa francese cosi limpida e semplice. Il traduttore ha intuito giustamente questa necessità ed ha saputo tenerne conto, dando alla sua versione un’ andatura piü familiare e piü ordinata, senza gli sbalzi ed i trapassi repentini dell’ espressione in rima. Il pensiero costretto entro i limiti misurati dal verso e dalla rima è stato giudiziosamente ordinato, allargato e meglio definito nella prosa, sicché, nel suo genere, questa non la cede in eleganza alle belle ottave del Boccaccio. Alcune volte peraltro questa tendenza cosi spiccata riesce di svantaggio notevole alla traduzione, giacché non sempre la visione poetica si presta ad essere allargata in prosa chiara e minuta. Percid la descrizione fine ed espressiva del risveglio d’amore in tutti gli esseri a primavera perde molto tradotta con simili criteri (I, 18 e p. 128); percid l’apparizione di Griseida nel tempio, descritta dal Boccaccio in un’ ottava efficace (E, 27), è diluita in proposizioni sciatte e noiose (pp. 126-127).

AI gentiluomo francese manca evidentemente la facoltà di

rappresentare nel giro di poche frasi un quadretto vivo e parlante. Dobbiamo invece dargli la lode d’aver evitato con sobrietà giudiziosa le frequenti antitesi e giochetti di parole che deturpano i versi boccacceschi, cosi Acqua soave al suo ardor severo (1, 41) reso bellamente con «eaue de confort pour estaindre l’aspre et cruel feu qui ainsi le tourmentoit » (p. 131), ed i versi artificiosamente secenteschi ch’ anzi che

. morire Di dolor voglia, io voglio che parlare Possa chi voglia e di

ciù abbaiare (VI, 7) tradotti con sapiente concisione : «que avant que ainsi mourir de douleur je vueil laisser parler qui

RL TE Se SN ne GC gr CE

08 BULLETIN ITALIEN

vouldra » (p. 261). Altra particolarità della versione è l’espres- sione di maggiore forza ed energia che le deriva dall’ aggiunta d'una parola o dal mutamento d’una frase, che al passaggio un risalto speciale : l’amico (1, 4) diventa loyal amy (p. 136), la frase £l ha Griseida si la vila lollo Co’ suoi begli occhi (IT, 86) aumenta di vigore voltata in « Helas! Criseida me tire presque l’ame du corps avecques ses beaulx yeux » (p. 157).

Una trattazione a parte meriterebbero le numerose simili- tudini, quasi tutte rimaneggiate e cambiate dal traduttore, ma, per mancanza di spazio, ci limiteremo ad osservare che questo tentativo non è riuscito molto bene, giacché il carattere poetico di queste le rendeva poco adatte ad essere trasportate in umile prosa. Sono rari i casi in cui la similitudine sia tradotta fedelmente, come Æ rassembrava a matllutina rosa (IL, 38) e «elle ressembloit la rose qui espanouist au matin » (p. 145). Prevalgono invece i mutamenti dovuti alle predile- zioni del signore di Beauvau, cosi quando esalta sopra ogni altro fiore la rosa:, oppure alla tendenza di dar chiarezza e semplicità al complicato ed all’ involuto?, oppure alle neces- sarie esigenze della prosa cosi diverse da quelle della poesiaÿ. Infine troviamo un paragone, al quale un errore d'inter- punzione ha mutato interamente significato ed il quale, in seguito ad aggiunte grossolane, ha perduto ogni grazia. Giudichino i lettori : Æ si come l’uccel di foglia in foglia Nel nuovo lempo prende dileltanza Del canto suo ; cost facean costoro, Di molle cose parlando fra loro (IV, 138), e « Et tout ainsi comme l'oisel prent son esbat ou temps nouveau à aller sailletant de fueille en fueille, ainsi faisoient ilz de leur costé, car il n’y auoit endroit ou lit ou ilz ne allassent guignant et jouant en disant maintes gracieuses parolles » (p. 254).

Per dare un’ idea piü completa della versione, passeremo in frettolosa rivista le tre epistole amorose scambiate fra

1. Cf. Hauvette, op. cil., p. 30, nota 2°; 1, 19 p. 124; I, 71 p. 154.

2. 1,4oe p.130; 11, 10e p.137; VII, 97 pp. 292-293. In quest’ ultimo caso il paragone pesante apparisce del tutio diverso nella versione, della qual cosa non possiamo che essere grati al traduttore.

3. 11, 43 e p. 147; l'ottava che decanta l’amata alla maniera popolaresca degli

strambotti, non poteva essere tradotta tale e quale, deve farci meraviglia che in questo caso la prosa francese rimanga molto al disotto dei versi italiani.

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Troilo e Griseida, le quali, possedendo una certa indipendenza, sono adatte ad istruirci sul temperamento artistico del tra- duttore tanto diverso da quello del Boccaccio. La versione della prima epistola (11, 96-106 e pp. 160-163) à veramente bella e non la cede in nulla all’ originale, anzi lo supera in certi riguardi. Sono omessi particolari inutili ed insignificanti, l’'espressione poetica qua e troppo condensata è stata allar- * gata con giusta misura nella prosa limpida ed efficace. Non cosi la seconda che contiene la risposta di Griseida a Troilo (LI, 121-127 e pp. 166-168). Al signore di Beauvau manca il fine intuito della psicologia femminile per apprezzare la voluta oscurità delle ultime ottave, che rispecchiano efficacemente la lotta interna dei sentimenti opposti nel cuore dell’ inna- morata. La sua predilezione, del resto lodevole, pel chiaro e semplice gli è nociuta in questo caso. Invece l’epistola del Troiïano all amante lontana (VII, 52-75 e pp. 281-287) è stata voltata con innegabile vivacità e fedeltà. I pianti amorosi del giovinetto abbandonato, noiosissimi e sempre sul medesimo tono, appariscono abbreviati da mano sobria; cosi in altro luogo sono stati ridotti alle proporzioni naturali i lamenti interminabili di Griseida per la separazione imminente dal} amato (IV, 90, 92 e p. 222).

Ma non soltanto in singoli brani della versione, bensi nel carattere stesso dei personaggi principali del racconto si riflette inconsciamente la natura differente dell autore e del traduttore. Il primo non riconosce alcun limite o ritegno all’ amore, sicché il suo Troilo vi sacrifica tutto : Amore il facea pronlo ad ogni cosa Doversi oppor (IV, 16), mentre il secondo, ammaestrato dall’ esperienza, confessa la fatuità di questa passione e vi pone un argine potente nella legge superiore dell” onore : « car de tout son pouoir il y remedieroit voulen- tiers si honneslement faire le pouoil. Amours le faisoit prest et appareillé à toutes choses soy enployer » (p. 203).

Ancora pi spiccata è la divergenza nel carattere delle due Griseide, le quali presentano, a somiglianza de’ loro creatori, dei tratti interamente diversi. La Francese è sincera e piu gelosa della dignità femminile che non l’Italiana, in cambio

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supera questa la sorella straniera pel suo carattere un po’ sfacciato, ma seducentissimo. E appunto nelle sue piccole finzioni, nella sua pudicizia simulata abilmente si cela il fascino misterioso, che circonda proprio le donne di tal natura, sicché soltanto dall' arte e dal!’ esperienza d’un Boc- caccio si poteva aspetlare una rappresentazione cosi vera e viva della seduzione femminile. Si tacci pure la Griseida italiana di doppiezza e d’affetto soltanto simulato, essa supera senza confronto la francese per la perfezione artistica e per la verità psicologica'. Questa è piû generosa di fronte al suo amante, quella pensa unicamente al suo vantaggio ed al suo godimento, come apparisce da parecchi luoghi dei due testi, p. e. IV, 161 e p. 240. Questo tratto dovrebbe avvicinare maggiormente alla nostra simpatia la protagonista della tradu- zione, eppure accade in noi proprio il contrario, poiché sen- timenti di generoso altruismo non possono dimorare in un cuore leggero come il suo. impossibile immaginare un affetto elevato e pieno di premura per le sofferenze altrui in un essere frivolo e sensuale che, vivendo secondo i principi egoistici, si interamente al godimento momentaneo, pronto del resto a cercarsi, al minimo mutar di vento, altrove il soddisfacimento de’ suoi istinti.

Infine citeremo due esempi, i quali, scelti tra cento, ei scoprono uno dei lati pit caratteristici della versione francese : Il di andando, e la notte nel lello, Di Griseida sua sempre pensava (V, 67) e « Et ainsi le jour s’en alloit, puis s’en venoit la nuit, ou ne faisoit que penser au grant plaisir qu'il avoit eu ou lit de si belle dame, ne en aultre chose ne prenoit plaisir » (p. 258). AI Boccaccio basta farci sapere che Troilo pensava sempre a Griseida, mentre il traduttore vuol definirei minuta- mente quali fossero i pensieri dell’ infelice innamorato. Ancor pii manifesta apparisce questa tendenza dalle ottave (V, 54-57), in cui il giovane Troiano esprime i pensieri, che sorgono in lui alla vista dei luoghi testimoni della sua felicità d'amore, voltate (pp. 255-256) in modo che tutta l'attenzione del lettore passa

1. Si paragoni in questo riguardo la bellissima scena amorosa nella parte WI, otlava 28° e segg. con la trad. fr, a pag. 180 e segg.

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APPUNTI INTORNO ALLA TRADUZIONE FRANCESE DEL FILOSTRATO 61

dal fatto interno all’ esterno, dal pensiero vero e proprio alle circostanze di luogo e di tempo. Rapide e brevi sono le im- magini che sorgono nella mente del Troilo italiano : Colà istava, quand’ ella mi prese Con gli occhi belli e vaghi con amore (VW, 55); minuziosi invece sono i riferimenti agli avvenimenti passati del francese, il quale ci svolge di nuovo la scena tale e quale sotto gli occhi, dimenticando quasi d’aver da fare con un ricordo soltanto, che di natura sua è fuggitivo e frammen- tario : « En chevauchant ainsi par la ville vit ung aultre lieu ou il avoit veu Criseida au commencement de ses amours, en la compagnie des autres dames de la ville » (p. 256).

Da questi e da molti altri brani si deduce un fatto che è quasi la chiave di volta per comprendere il valore intrinseco della traduzione. Il Boccaccio è senza dubbio superiore nella rappresentazione dei fatti psichici, mentre Louis de Beauvau riesce meglio quale descrittore delle circostanze concomitanti, che nell’ originale sono trattate spesso come qualcosa di secondario. Il poema italiano si limita quasi unicamente a dipingerci la vita e le evoluzioni psichiche dei protagonisti, dapprima la felicità dei due amanti, poi la separazione ed il tradimento, infine la disperazione di Troilo. Il quadro è bello, ma vi manca completamente la cornice. Per questa ragione una lettura continuata del Filostrato stanca ed annoiïa, non- ostante gl’ innegabili meriti di lingua e di stile e la naturalezza dei caratteri. Ora il traduttore francese ha cercato, seguendo le tendenze del suo temperamento artistico, di rimediare a questa sproporzione tra l’azione esterna ed interna, accor- ciando od omettendo certi pensieri che si ripetono con troppa insistenza e dando maggior rilievo alla descrizione dei fatti esteriori. Non vogliamo con cid dire ch’.egli abbia conseguito sempre la proporzione armonica, negare che qua e pecchi, anche lui, ma per l’eccesso opposto. In ogni modo ci ha dato, e di questo dobbiamo essergli grati, un buon rima- neggiamento del Filostrato, che si legge con piacere e senza sforzo, ma che non sempre raggiunge la verità psicologica dell’ originale.

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ALBANYANA

I. L’InconnuE DE F.-X. FABRE.

Quand il revint fixer à Montpellier la résidence de ses vieux jours, Fabre semble avoir voulu rompre avec les souvenirs de toute son exis- tence florentine. Aussi rigoriste d'apparences que libre de mœurs, il s’est efforcé de détruire, pour lui non moins que pour son amie Louise de Stolberg, tous les témoignages que l'histoire aurait pu ramasser dans ses papiers contre elle, contre lui-même ou contre eux. Comme il l’écrivait à son ami le baron de Castille, peu après la mort de M*° d’Albany : « La froide raison n’approuve pas toujours les élans de la poésie dans une âme passionnée... Certains secrets du cœur ne doivent pas être compris du public :.» Du vivant de son amie, ou d’après ses instructions, il brüla «une foule de papiers plus qu'inutiles », qui concernaient ses relations avec Alfieri. Il pratiqua pour lui-même une égale discrétion, et ce n’est pas sa faute assurément si nous pou-

_vons aujourd’hui pénétrer dans l'intimité de cet illustre ménage à trois

que formèrent Alfieri, la comtesse d’Albany et Fabre lui-même.

Ménage à trois ou à quatre, s’il faut en croire les dires des contem- porains mêmes de Fabre, des hôtes qui s’assemblaient chaque jour pour la prima sera dans le célèbre salon du Lung’arno. La comtesse y était seule de huit à onze heures pour recevoir une nombreuse et brillante société cosmopolite; à onze heures apparaissait Fabre, reve- nant, dit un de ces visiteurs 2, de chez une autre maîtresse « d'ordre inférieur », et la compagnie se retirait alors, laissant souper en tête à tête ces deux amants philosophes.

N'est-ce pas à cette inconnue que Fabre adressa la lettre que voici, dont le pauvre brouillon a échappé à la prudence de notre peintre, vieilli et devenu ermite à Montpellier? Ecrite par un vieillard plus que sexagénaire, goutteux, cacochyme, à une dame d'âge mûr, hémiplé- gique, privée de tout usage du membre droit, privée presque complè- tement du mouvement et de la parole, cette lettre peut paraître à

1. Lettre inédite du 25 mai 1824, en réponse à une lettre de M. de Castille, datée du même mois (Bibl. munic. de Montpellier).

a. Conversation de lord Burghersh avec la duchesse de Dino à Londres, 24 juillet 834 (Chronique de la duchesse de Dino, 1, 293).

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première vue aussi innocente que dénuée d'intérêt ; il semble que ce soit tout uniment celle d’un vieux monsieur qui demande et donne des nouvelles à une vieille dame. Toutefois certaines allusions, à ce passé qui l’a si fort tourmenté, au souci du repos de sa correspon- dante, à sa crainte qu’une lettre tombât entre les mains de personnes qui auraient eu le droit de «la mal prendre », à ses doutes sur l’éven- tualité d’un retour à Florence, permettent de croire que cette épître, de style si calme et si froid, de sujet plus médical que passionné, est une lettre d'amour.

Ou plutôt, dirait-on plus justement, une lettre d’« après l'amour ». Ce brouillon est un précieux, irrécusable et cruel témoignage de la froideur d'âme de Fabre, de son insensibilité, de son égoïsme. Dans cette lettre, la première qu'il écrit à une femme autrefois aimée, après trois ans et plus de séparation et de silence, il n’y a pas un mot d’affec- tion, pas une marque de tendresse ou même d'émotion ; de la curiosité, un intérêt un peu affecté, une indifférence mal déguisée, une franchise dépourvue presque de politesse. C’est de ses propres maux qu’il parle le plus longuement et avec une visible complaisance; c’est sa santé qu'il allègue pour s'abstenir de promettre sa visite à l’abandonnée. Aux excuses que son amie lui a adressées sur son propre silence, il répond pour justifier le sien par un souci rigide et circonspect des convenances. S’il demande à la malheureuse hémiplégique une nouvelle lettre, c'est en l'invitant à prendre tout son temps pour l'écrire. Il veut évidemment songer le moins souvent et le moins possible à sa maîtresse d'autrefois, devenue impotente et grabataire. Il pousse l'indifférence et la franchise jusqu’à dire à son amie qu'elle est encore « relativement jeune » (ancora fresca). Pour Fabre, ce souvenir d’une liaison d’un quart de siècle n’était plus du passé vivant.

Cette maîtresse « d'ordre inférieur », la chercher? Tenons compte que la conversation de Burghersh nous est rapportée par l’orgueilleuse duchesse de Dino, pour qui tout «ce qui n’est pas né» est d'ordre infé- rieur : preuve en soit l'ironie qu'elle met à raconter une visite de George Sand à Valençay et le mépris très sincère qu’elle étale pour le salon de M"° d’Abrantès, « l’on rencontre M"° Victor Hugo ». La femme d’un artiste, qui avait de plus « le ridicule d’être pauvre », comme dit Stendhal, devait être pour elle, à plus forte raison, « d'ordre inférieur ». Faut-il la retrouver en Teresa Santarelli, femme de ce Santarelli, graveur en pierres fines, dont la réputation fut européenne pendant l'Empire et la Restauration, dont Fabre était l’ami, et au fils duquel, Emilio, il devait plus tard laisser toute sa fortune? Je n’oserais l’affirmer, mais rappelons-nous qu'à l'époque mème Fabre écrivait ainsi à l’inconnue hémiplégique, son ami Pietro Benvenuti lui annonçait:

1. Lettre inédite d’avril 1827 (Bibl. munic. de Montpellier).

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qu'une attaque d’apoplexie venait de frapper M”° T. Santarelli, et qu'après avoir eu la partie droite du corps et la langue immobilisées, tout en conservant son entière lucidité, elle n'avait qu’une très lente convalescence. Y aurait-il eu à Florence, en 1827-1828, parmi les personnes autrefois en relations mondaines ou familières avec Fabre, deux dames simultanément atteintes d'hémiplégie? Ce n'est pas impossible. Avouons que c’est peu probable. Il n’est donc pas interdit de supposer que M"° Santarelli est bien la maîtresse d'ordre inférieur, la dame inconnue à qui fut adressée cette lettre que Fabre a oublié de détruire. Et c’est sans doute parce que cette minute, rédigée en italien, sans date, sans noms propres, d’une écriture minuscule, griffonnée, tourmentée par la goutte, presque indéchiffrable, a été égarée dans une liasse de papiers presque de rebut; c’est à ses humbles et rebu- tants dehors qu’elle doit d’avoir survécu, pour notre amusement de chroniqueur, à quelque vertueux autodafé.

Ero in una situazione deplorabile quando ricevei la sua inaspettata e tristissima lettera ', ed è questa la ragione dell’ involontario ritardo alla mia risposta. Ero in letto con un fiero insulto * di gotta al pugno mancino, alla spalla, al gomito dritto, a’ due piedi ed al ginocchio dritto, il tutto accompa- gnato da una infreddatura che mi cagionava una tosse cavallina convulsa che mi scuoteva tutto e che raddopiava i miei dolori; e per soprappiùü Salvatore ? esso pure era in letto colla gotta e sua moglie con un rumatismo in capo. Veda se peggio potevo stare ! Furchè la tosse, il resto è migliorato, e ne profito per ringraziarla della sua lettera. Ma, buon Dio! come mai, all età sua ancora fresca, puô ella essere cosi mal ridotta? Tutto è troppo chiaro nella sua lettera, benche assai bene scritta colla mano mancina. £ una mano morla? E ella fredda, insensibile, incapace di alcun moto? uno pede stroppialo? pud ella peré camminare, sortire, divagarsi? una lingua pappagalla? E ella sempre cosi? più o meno secondo le stagioni e i tempi? Me lo deve dire? [lungamente e] al più presto che potrà ‘. [metta per scriverme tutto il tempo necessario|. Mi domanda scusa se dopo tre

VARIANTES : a) Prem. rédaction : attacco ; b) Les mots lungamente e sont une addition; c) La phrase entre || est une addition.

1. Cette lettre a été sans aucun doute détruite par Fabre. Je reproduis textuelle- ment le mauvais italien de l’autographe qui est d’une lecture difficile.

2. Le fidèle domestique que Fabre avait ramené de Florence à Montpellier et qui le servit jusqu’à sa mort,

Nr) cnrge, L) viip dés SE D RE D à CS

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anni e mezzo mi scrive per la prima volta. E egli colpa mia se non lo ha fatto prima? lo da parte mia non lo poteva; temevo con troppe ragioni che la mia lettera fosse* veduta per caso da persone? che probabilmente lo avrebbero trovato male assai, e dovevo rispettare il suo riposo. Mi aveva dato prove che l’intendeva cosi. Ma oime! lasciamo il passato, mi ha tormentato abbastanza! Aspetto altra lettera da lei, più lunga e più dettagliata su tutto cio che la risguarda, franca e sincera. Spero che non dubitara dal vivo interesse che vi porto. Il mio male è troppo ostinato, troppo frequente, troppo vecchio perch' io possa ragionevolmente sperare di rivedere lei a Firenze, ma confesso che non posso ancor risolvermi a dire di no. Del rimanente il giorno e pessimo per una tal decisione. Vedremo più tardi; la tosse mi affoga, soffro molto; do fine per oggi a questa lettera. Creda quel sard sempre divoto e sincero amico suo.

II. NOUVEAUX FRAGMENTS DE LA CORRESPONDANCE DE LA COMTESSE D’ALBANY.

La majeure partie de la correspondance de Louise de Stolberg, comtesse d’Albany, est bien connue; Saint-René Taillandier en a com- mencé la publication dans ses Lettres inédites de Sismondi, Bon- stetten, etc., Orlandini et Mayer, Antona-Traversi, d’autres encore l'ont continuée. Je l’ai à peu près achevée dans le Portefeuille de la comtesse d'Albany. Toutefois on peut encore glaner parmi les autographes du fonds Fabre-Albany un certain nombre de lettres qui ont leur intérêt. Elles montrent pour leur part, et plus encore par rapprochement qu’en elles-mêmes, l'étendue et la variété des relations mondaines de la comtesse, l'importance que sa longue liaison avec Alferi lui avait conférée dans les milieux littéraires italiens, surtout l'illusion que, malgré la trop réelle médiocrité de son esprit, ses contemporains se faisaient sur son mérite intellectuel. Dès son séjour à Paris sous Louis XVI, introduite par Alfieri dans les salons des Trudaine, des Angivilliers et de leurs amis, elle devait rencontrer André Chénier et le voir sous l’aspect d’un gourmand trop vorace, elle jouissait d’une

VARIANTE : a) Prem. rédaction : capitata.

1. Trois ans et demi depuis son départ de Florence, L'attaque de paralysie de Teresa Santarelli est d’avril 1827. La lettre à laquelle répond ici Fabre est probable- ment postérieure de quelques mois à cet accident. Les dates concordent.

2. Ce pluriel de prudence désigne probablement Santarelli.

OR Cadet ed

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certaine influence dans le monde parlementaire. Sous le Directoire, on la voit en relations avec les agents diplomatiques des petits États italiens, et, pendant le Congrès de Vienne, sa vieille rancune contre Napoléon la désigne à l'honneur d'être l'amie et la confidente des triomphateurs du jour; plus tard, elle suit les affaires politiques en restant étroitement attachée aux principes de la légitimité. Dépositaire de la pensée d’Alfieri, elle conserve et propage son culte, elle fait incliner les Arcades devant son portrait; héritière de sa bibliothèque et grande liseuse, elle se fait la pourvoyeuse de livres de ses amis, Lucchesini, Lady Burghersh, la princesse Consini, Teresa Mocenni et bien d’autres; fondatrice de son monument funèbre, elle devient l’amie du sculpteur Canova et de ses amis Cicognara; élève du peintre Fabre, elle collectionne comme lui des œuvres d'art, encourage les peintres et les dessinateurs, de même qu’en souvenir d’Alfieri, elle protège les poètes et surtout les tragiques. « Reine des cœurs » à Florence comme à Rome, tenant maison ouverte, elle reçoit l'aristocratie florentine et les étrangers de renom, les touristes et les résidants, la danoïse Frederika Brun comme lady Morgan, lady Burghersh ou lady Davy, M”: de Staël et sa famille comme les « Prix de Rome » que d'anciens camarades d'école recommandent à Fabre. Et pour gouverner, pour relier, pour s’attacher tout ce petit monde de visiteurs, d'hôtes, de correspondants, sans cesse renouvelé, elle devient une infatigable épistolière, recueillant, transmettant, propageant les nouvelles et les on-dit les plus divers, raisonnant sur tout avec un bon sens souvent étroit, mais, en somme, personnel et direct, en femme qui a beaucoup vu, et, sinon toujours compris, du moins beaucoup retenu. Si ses propres lettres ont été dispersées ou perdues, du moins les lettres de ses correspondants peuvent en faire retrouver les traces trop bien dissimulées; elles peuvent surtout suppléer provisoirement à leur absence en renouvelant et en précisant quelques traits de la physio- nomie de cette femme célèbre, si mal connue à certains égards et si difficile à connaître. C'est ce qui semble autoriser la mise en lumière de toutes celles qui ont eu la chance de survivre aux destructions partielles de ses papiers.

I. DE MADAME TINGUY DE CHOUPPES

(16 novembre 1787. Sans suscription.)

Madame la Comtesse,

J'ay été bien mortifié, lors de mon passage à Paris, de n’avoir pas eu l’honneur de vous y trouver, ainsi que de vous y présenter de vive voix mon homage et remerciman de tout l'interais que vous avez pris à mon sor; il est bien changé actuelleman ; il ne me manque que du temps pour terminer

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mon procès à l'amiable. Sy j’auzais encore enploier voz bontés auprès de Monsieur d’Amecour, mon raporteur, affain qu'il me donne six semenne pour faire émanciper ma fille! Je luy demande cela au nom de toute ma famille, pour finir en arbitrage cette détestable affaire. Je vous supplie de vouloir bien plaider ma cause après de M. le présidan d’'Ormesson : il peut tout faire auprès de M. d’Amécour. Je ne demande que six semenne : je vous réytère mes supplication, madame la comtesse, ainsy que mille pardon de toutes les peines que je vous donne (je vous en auray un reconnoisance éternelle), ainsy : que le profond respect avec lequel j’ay l'honneur d’estre, Madame la Comtesse, Votre très humble et obéissante servante, Tinguy de Chouppes. Au Porteau en Haupoitou (sic), le 16 gbre 1787.

2. DU DIPLOMATE ANGIOLINI?2

(Paris, 8 mars 1799. Sans suscription.)

IL faut bien que je vous avoue, très aimable Madame la comtesse, que j'ai reçu dans son temps la lettre dont vous me parlez dans votre dernière du 14 février 5. Il faut même que je vous avoue que je ne vous ai point répondu. En attendant tous les jours la réponse que M. de Witt devait m'envoyer pour vous, les semaines se sont écoulées, et je suis resté avec le désir d'accomplir à ce devoir. Cependant les dangers de la Toscane“ sont survenus : alors je n’ai plus eu un moment de liberté ; mon travail en tout genre a été continuel, difficile et très laborieux. Ma santé elle-même en a souffert. Enfin, l'orage a passés, mais il y a eu toujours à faire pour en détourner les suites 5. En un mot, ayant oublié tout, excepté l’objet qui me tient à Paris, même ma réponse à vous faire a été oubliée.

1. La phraseest claire mais mal construite : ce second ainsi e. q. s. se rapporte comme le premier à je vous réytère.

2. Diplomate italien, qui gérait à Paris les affaires de la Toscane.

3. Ces deux lettres de Madame d’Albany sont probablement perdues.

k. Débarquement des Anglo-Napolitains à Livourne en novembre 1798, occupation de cette place jusqu’en janvier 1799, malgré la neutralité et les protestations de l’État

toscan ; impuissance de cette garnison à aider Mack par une diversion ou par un sou- lèvement de la Toscane.

5. L'orage n’était pas encore terminé : le 25 mars 1799, les Français entrent à Florence sous le général Gaulthier.

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C’est bien assez pour une excuse. Je viens au sujet de votre nouvelle lettre, et il ne sera pas beaucoup ce que j'ai à vous dire. L’estampe du tableau de Socrate de David', soyez sûre qu'elle n’est pas encore faite; on s’est engagé à m'informer lorsque ce sera et vous l'aurez; c’est-à-dire vous l'aurez si je serai en état de vous la faire avoir. Je l’espère pourtant, malgré la grêle qu’on est à la veille de voir tomber, mais c’est toujours. très-sage de douter, car il n’y a rien de certain dans ce bas monde.

Mad/[ame] de Chastillon? a eu votre lettre, et j'ai averti hier au soir M. de Witt que, s’il veut vous écrire, j'ai une occasion prompte demain de vous faire avoir son pacquet. Je ferai dire le mesme à Mad|ame] de Chastillon, et je souhaite qu'en vous écrivant ils vous mettent à même de pouvoir vous assurer de mes soins.

Rapport aux estampes de Poussin, j'ai cherché la note que vous m'en avez donnée dans le temp. Il ne m'a pas été possible de la trouver. Je la rencontrerai peut-être une autre fois, mais à bon compte vous pourriés bien m'en remettre un autre. Ce serait plus tôt fait pour l’exécution de vos ordres.

Mille complimens au C. Alf. 3 et mille choses à Carletti#; ayés la bonté de dire à celui-ci que j'ai dit à Azara5 ce qu’il me mande. Il est aussi occupé que moi, et il ne m'a pas répondu par la raison par laquelle je doute fort si demain j'aurai le temp de lui écrire.

Agréez les assurances de tous mes sentimens d’estime et de

respect. | Angiolini.

P. S.— Mad[ame] de Chastillon me fait sçavoir qu’elle vous écrira par une autre occasion, et je ne sais rien de M. de Witt.

1. Ceci, et la mention des estampes du Poussin, atteste l’intimité existant déjà entre le ménage Alfieri-Albany et le peintre Fabre, pour qui sont demandés ces ren- seignements. La Mort de Socrate de David figura au Salon de 1787.

2. Amie de madame d’Albany, d’ailleurs peu connue, mais dont le nom revient à diverses reprises dans sa correspondance.

3. Comte Alferi.

4. Carletti, diplomate et homme d’État toscan, personnage quelque peu ridicule que M** d’Albany poursuit d’impitoyables quolibets dans ses lettres à Teresa Morenni. Elle lui reproche sa vanité, sa parcimonie et son esprit d’intrigant ambitieux. Cf. sur son affaire avec lord Wyndham les documents recueillis et transcrits, dans une intention peu bienveillante, par Alfieri lui-même, (Revue napoléonienne, s. IE, t, II.)

5, Diplomate espagnol.

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3. DU PRINCE NERI CORSINI!

(Vienne, 21 octobre 1814. Sans suscription ?.)

Madame la Comtesse,

Je me proposois de vous recommender M. le comte de Buol Schevenstein3, qui vient résider comme ministre plénipoten- tiaire de S. M. l'Empereur, auprès de notre Cour. C’est un véritable cadeau que l’on nous fait. Vous trouverez en lui un homme tout à fait digne de votre estime et de votre amitié. On me dit beaucoup de bien de sa femme, qui est partie en même [temps] de Wurtzbourg5. On lui accorde beaucoup d'esprit et des manières très agréables.

Notre cher cardinal Consalviô, que j'aime et j'estime infiniment, a eu la bonté de venir chez moi tout exprès pour me dire les choses les plus aimables de votre part. Je voudrais les mériter, mais je suis malheureusement fort au dessous de ce que mes amis veulent penser à mon égard. Il me tarde infiniment de retourner dans notre belle Toscane, pour y se- conder les intentions vraiment paternelles de mon souverain 7; mais autant nos affaires seroient simples si l’on pouvoit s’en occuper promptement, autant celles qui doivent être traitées entre les grandes puissances sont épineuses et compliquées. Dieu veuille que la présence des souverains intéressés amène, comme il8 le devroit, un dénouement prompt et heureux!

Vous verrez”, j'espère, assez souvent ma bonne sœur Marioni, malgré qu’elle coure les églises et soit chargée de prier pour toute la famille. Dites-lui bien des tendresses de ma part.

1. Neri Corsini, homme d’État et diplomate toscan, dont le nom revient souvent dans les lettres de la comtesse et de ses correspondants. M** de Souza l’attendait avec impatience, à Paris, en 1812 (cf. Portefeuille, p. 138). Après cette ambassade au Congrès de Vienne, il fut sénateur de Rome(cf. ibid. p. 362, une lettre de Miss Cornelia Knight du 16 juin 1818).

2. Sauf au bas de la première page il y a l’adresse : « M{a]d{[ame] la comtesse d’Albanie, Florence.

3. Diplomate autrichien.

k. Omis dans l'original.

5. Résidence du grand-duc détrôné Ferdinand, grand-duc de Wurtzbourg de 1806 à 1814.

6. Un des plus anciens amis de la comtesse d’Albany et d’Alfieri, alors secrétaire d’État et directeur de la politique étrangère du Saint-Siège. Sur ses relations avec la comtesse, cf. ma note sur une Correspondance perdue du cardinal Consalvi (Bibliographe moderne, 1908).

7. Le grand-duc Ferdinand II] de Lorraine, rentré à Florence le 17 septembre 1814.

8. Sic, pour elle, 9. Italianisme, qui a le sens du présent d’habitude français : Vous voyez.

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70 BULLETIN ITALIEN

Rappellez-moi au souvenir de M. Fabre et de tous ceux qui auroient la bonté de vous demander de mes nouvelles. Conservez-moi la bienveillance que vous m'avez toujours témoignée, et à laquelle je mets tant de prix, et agréez l’expres- sion des sentiments très distingués et bien sincères avec lesquels je suis, Madame la Comtesse, le très humble et très

obéissant serviteur et ami N. Corsini

4. DE MADAME FRÉDÉRIQUE BRUN, NÉE MUNSTER! (10 novembre 1821)?.

Sophienholm, le 18 novbr. (sic) 1821. Madame,

Comment vous exprimer ma tendre gratitude de votre souvenir de la mère, et de votre bonté pour la fille? Dans chacune de ses lettres, Idaÿ me parle des douz témoignages d'une bonté toute maternelle dont vous la comblés. Puisse- t-elle toujours s’en rendre digne et vous réjouir par l’exercice de ses beaux talents!, comme elle réjouissait jadis le cœur de sa pauvre mère, qui languit et languira toujours après l’enfant de son cœur, après celle qui était la lumière de ses yeuz!

Je puis vous donner, Madame, les meilleures nouvelles de votre ami de Bonstettenÿ. Il se sent rajeunir d’année en année. Mon cher Prince de Danemark et son angélique épouse l'ont ainsi jusques vers le commencement de ce mois. Ce vieillard charmant et (sic) l’enfant gâté de la ville de Genève,

1. Frédérique Brun, née Münster, femme de lettres, née le 3 juin 1765, morte le 25 mars 1835, amie de Klopstock, Bonstetten, Thorwaldsen,.Sismondi et M”* de Staël, avait connu M"° d’Albany de 1807 à 1810, à Rome, elle avait résidé près de sa fille Ida, et resta sa correspondante. (Cf. dans le Portefeuille, p. 42, 49, deux lettres d’elle, du 31 octobre et du 21 décembre 1808. Cette dernière lettre donne des détails médicaux qui expliquent la langueur physique et morale dont se plaint ici M** Brun).

2. Suscription : À Madame la comtesse |[d’Albany,] née comtesse de Stollberg (sic) à Florence.

3. Ida Brun épousa le comte Louis-Philippe de Bombelles, d’abord officier au service de Naples, puis ministre d'Autriche en Toscane et en Suisse, et devint ainsi la belle-sœur de l’impératrice Marie-Louise (cf. Billard, Les Maris de Marie-Louise).

4. Le chant et l’art des « attitudes », divertissement artistique et mondain qu'Ida Brun avait pratiqué aux soirées de M** d’Albany sous la direction de sa mère (cf. Portefeuille, p. 42, le billet non daté donné en note).

5. Le célèbre philosophe et {littérateur suisse. Saint-René Taillandier, a publié ses lettres à M”* d’Albany (Lettres inédites de J.C. L. de Sismondi, de M. de Bonstetten, de M"”* de Stlaël et de M”* de Souza, un vol. in-12, 1V-4o7 pages. Paris, Michel Lévy, 1863. J’ai publié les réponses de M** d’Albany à Bonstetten | Lettres et écrits divers de la comtesse). Aux relations de Bonstetten et de Louise de Storberg est mêlée, d’une façon encore trop peu éclaircie, la mystérieuse amie que M** d’Albany appelle « la tendre Maltzam ». Il y a un agaçant petit problème d’identité que j'espère pouvoir élucider quelque jour.

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ville sage, et qui sait bien quelles espèces d'enfants on peut gâter sans les gâter.

Que vous êtes bonne, Madame, de me désirer quelquefois au milieu de vous et d’Ida, et de mon cher et bien aimé gendre. Je voudrais bien encore passer une année du soir de la vie dans votre belle ville, dans une modeste demeure, pas trop loin de celle d’Ida. Ce douz rêve sera-t-il mis en réalité?

Vous priez pour les Grecs! avec moi, je le sçais! Trouvez- vous pas bien impertinents les publicistes qui veulent mettre en parallèle la légitimité des maisons régnantes de l’Europe et leurs droits incontestables, avec ce barbare de Constantinople?, qui n'a pas d'héritiers légitimes, et dont le sauvage, cruel et sanguinaires gouvernement n’a jamais été reconnu par aucun acte civil du noble peuple qui n’a jamais cessé de s'opposer au droit infernal du plus fort, et dont quatre à cinq peuplades, les Mainottes, la Cacavauliottes sic), les Monténégrins, les Lepsins et ceus des montagnes de la Thessalie et de la Macédoine, n’ont jamais cessé de faire une noble résistance à leurs tirans?

Adieu, Madame, recevez l’assurance du tendre attachement et du profond respect avec lesquels j'ai l’honneur d’être votre très humble et très-dévouée servante.

Frédérique Brun née Münster.

5. DE LA DUCHESSE VICTOR DE BROGLIE{ (Sans date. Sans suscription)5.

Madame,

Madame Necker de Saussure6, la cousine, l’amie la plus

1. Il ne semble pas que M”* d’Albany se soit jamais inquiétée beaucoup des Grecs. Sur l'opinion publique à leur égard, cf. Isambert, l'Indépendance grecque et l’Europe (in-8°, Paris, Plon), et Bourgeois, Manuel de politique étrangère, 11, pp. 663 sqq. Les publicistes contre lesquels s’indigne ici M** Brun n'étaient pas seuls à prendre parti pour le sultan. Strogonoff, agent russe ‘à Stamboul, désavouait au nom de son Czar, le 26 mars 1821, la révolte de l’Hétairie «comme contraire à la morale qu’il professait et au respect des gouvernements établis ».

2. Le Sultan Mahmoud II (1809-1834).

3. La proclamation de la Guerre Sainte contre les chrétiens, le 31 mars 1821, avait été suivie de grands massacres de chrétiens, notamment de prêtres et du patriarche lui-même, à Stamboul.

h. Albertine de Staël, mariée le 20 février 1816, à Pise, au duc Victor de Broglie(cf. Saint-René Taillandier, Lettres de Sismondi, etc., p. 348 et suiv., les lettres de M”° de Staël il est question des préparatifs de ce mariage; p. 352, un court billet M** de Staël annonce la célébration du mariage à M”* d’Albany (S. R. T. a imprimé : j'éprouve le besoin de vous l’amener, au lieu de vous l’annoncer, p. 353 : le lapsus est évident).

5. Le second feuillet de la lettre, était la suscription, manque.

6. Moraliste, auteur de divers ouvrages d'éducation.

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intime de ma mère, sera, j'en suis sûre, bien accueillie de vous ; elle n’a nul besoin de ma foible recommandation, ayant tant de titres à votre bienveillance. J’ose cependant ajouter quelques mots pour vous dire à quel point ma mère chérissoit son caractère et apprécioit son esprit. Hélas! si elle vivoit encore!, c'est elle qui la recommenderait à votre bonté avec tout le feu de son cœur. Une surdité cruelle prive Madame Necker de bien des jouissances et lui rend plus nécessaire de recontrer de la bienveillance. C’est donc avec une grande joie que je pense qu'elle aura le bonheur de vous voir, et que vous daignerez l'accueillir avec votre bonté parfaite. Il est impos- sible d’avoir été près de vous sans conserver un souvenir de cette bonté qui ne s’effacera jamais?. Mon frères et mon mari, qui en ont joui comme moi, ne me pardonneraient pas de ne pas mettre leurs respectueux hommages à vos pieds. Je me trouve trop heureuse que le voyage de m{a]d[amje Necker m'offre l’occasion de vous offrir, Madame, l'expression du dévouement respectueux avec lequel j’ai l'honneur d'être votre très humble et très obéissante servante.

Staël de Broglie.

6. DE LA PRINCESSE CORSINI

(Sans date 4.)

J’aie l'honneur de vous remettre deux des livres que vous avez eut la bontée de me pretter. Je crois que l'ouvrage a dix volumes. Si vous voulliez avoire encore la complaisance de me pretter ceux qui suivent, je vous en serai fort reconnaissante. Mes enfants sont à vos pieds. Pour moi, je me procurerai au plus tôt le plaisir de vous réitérer à vive voix l’expression des sentiments de considération et d’attachement que vous me connoissez.

Antoinette Corsini.

1. M" de Staël mourut le 14 juillet 1817. Le ton ému de l’allusion que M” de Broglie fait ici à sa mère semble indiquer que cette lettre n’est pas très postérieure à cet événement,

2. M" de Broglie avait vécu à Florence et fréquenté le salon de M”* d’Albany peu de temps après son mariage.

3, Le baron Auguste de Staël.

4. Suscription : À madame la comtesse d’Albany chez elle.

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ALBANYANA 73

7. DE LADY PRISCILLA BURGHERSH (Sans date !.)

Ma chère comtesse,

Me trouvez-vous bien indiscrète de vous demander encore des livres? Ne pouvant sortir ils me sont d’une grande ressource.

Avez-vous la Vie de Marianne par Marivaux? Je crois que c'est un livre fameux, et je ne l’ai jamais lü. Enfin je vous serai très reconnaissante de tout ce que voudrez me prêter.

Votre bien dévouée

Priscilla Burghersh.

8. DE SAMUELE IESI (Sans date?.)

Pregiatissima signora Contessa

Dal!’ ottimo signor marchese Torrigianis ho ricevuto trenta zecchini pel disegno che ho avuto la soddisfazione di farle. Le sono obbligatissimo perche mi teneva compensato larga- mente dall’ onore di averla servita.

Unitamente alla detta somma ho avuto dal prelodato Signor marchese un gentilissimo biglietto di leif, pieno di espressioni tanto lusinghiere, e che io sommamente apprezzo. Voglia ella gradire per quest’ atto di sua bontà le dichia [ra] zioni della mia riconoscenza e le proteste della più sincera stima.

Suo devot”° ed obblig”° servo

Sabato sera 6 Xbre. Samuele lesi.

9. DE LEOPOLDO CICOGNARA ? (Sans date ni suscription.)

Veneratissima signora Contessa, lole ho infinite obbligazioni per la memoria ch’ ella si

1. Suscription : À madame mad{[ame] la comtesse d’Albany.

2. Suscription : Alla pregiatissima Signora [la signora Contessa d’Albany. S. P. M,

3. Ami de la comtesse d’Albany et de Lucchesini, dans les lettres duquel il est souvent nommé,

h. Lettre perdue de la Comtesse.

5. L. Cicognara, à Ferrare en 1767, mort à Venise en 1834, d’abord mêlé au mouvement politique comme plénipotentiaire de la Cisalpine à Turin (1794), délégué

34 BULLETIN ITALIEN

degnata avere di me, e per il modo cortese ed esuberante cor cui il sig. Baldelli : dottamente ha soddisfatto alle mie ricerche; egli mi ha confermato nelle mie opinioni con argomenti convincentissimi.

Il primo volume dell’ opera mia è sotto il torchio; ma non credo di poterlo vedere alla luce che in primavera avvanzata. Il numero delle stampe e la diligenza che vorrei porre nella correzione ne fanno progredire assai lentamente l’edizione. Saro ben contento se quest’ improba fatica porrà meritarmi qualche suffragio e in particolare il di lei compatimento ch’ io valuto pur tanto per la somma agilità del suo spirito e straor- dinaria pronteza di concepire, oltre che per il suo tatto cosi finamente educato.

lo scrissi a Foscolo? sarà più d'un mese; non vorrei che la mia lettera fosse rimasta giacente alla posta, ove io credo ne lasci dormir parecchie, per non ingrassar le finanze ed annoïarsi colle correspondenze dei seccatori; due cose una peggiore dell” altra. Non si puù perù fare in pochi tocchi il ritratto di Jui più sommigliante di quello che trovo, con una rapidita di penello: tizianescaÿ, al fondo della sua lettera : « souvent malade, amoureux, mélancolique et gai alternativement, mais toujours spirituelleé. » Egli non puû neppur querelarsi se apparisce qualche neo, che sotto il di lei pennello diventa una bellezza. Non poteva dipingersi meglio da chi si fosse proposto il suo elogio senza voler adularlo. lo ardisco di pregare la siglnojra contessa a voler ricordarmi a lui.

Mia moglie, spesso malata e poco allegra in inverno, è sensi- bilissima al modo cortese con cui ella si è degnata di ricordarla. Quanto meglio ella stava a Firenze! Destinata a viver qui, non

à la Consulta de Lyon, puis président de l’Académie des Beaux-Arts de Venise, célèbre surtout comme critique d’art et archéologue, ami de Canova à qui il sacrifie tous les sculpteurs modernes dans sa Storia della Scultura(3 vol. in-fol. 1813-1818). Ila aussi publié le recueil des Fabbriche più cospicue di Venezia. On ne saurait dire auquel de ces deux grands ouvrages il est ici fait allusion.

1. J. B. Baldelli de Cortone, ami et correspondant de M°* d’Albany et de Fabre, avait servi dans l’armée française pendant sa jeunesse, puis passa plusieurs années à visiter les pays du Nord (1800-1804). En 18:15 il devint président de la Crusca et gouverneur de Sienne, il mourut en 1831.

2. Ugo Foscolo, célèbre poète, auteur des Dernières lettres de Jacopo Ortis, amant

de Quirina Mocenni Maggiotti, fille de Teresa Regoli Mocenni, la grande amie de la comtesse. + Cette flatterie est tout de même bien exagérée. . Il serait intéressant de retrouver cette lettre et celle dont il est question dans la A ci-dessous dans les papiers de Cicognara,

ALBANYANA 75

ävvi luogo (fatalmente) ov’ ella stia peggio di salute e d’umore. Oh! potessimo pure transferirci in Toscana, ma è sterile voto. Rinnovandole intanto, veneratissima signora contessa, le proteste della mia devozione, ho l'onore di offrirmi a suoi venerati comandi, se mi credera abile e degno di eseguirli. Di lei, signora contessa veneratissima Suo obb° devot° osseq°

servitore

Leopoldo Cicognara. Venezia li 23 Xbre (sic).

10. DE MADAME CICOGNARA

(Sans date ni suscription.)

Bien de remerciemens, Madame la comtesse, de votre aimable billet. Vous attachez beaucoup plus de prix à ma lettre qu’elle ne méritoit, mais votre réponse a été extrêmement précieuse pour moi, car elle me rassure de votre bienveillance.

Mon mari a été enchanté de la manière aimable dont vous lui avez témoigné l'intérêt que vous prenez pour sa santé. Il a été de nouveau indisposé avec un attaque de fièvre : il est mieux, mais il ne peu pas sortir le soir ni se trouver il y ait trop de monde; enfin il est encore très faible, et il n’y aura pour lui de meilleur remède que de courir la poste, remède amer qui nous privera du plaisir de vous voir et de vous entendre causer avec tant d'esprit et de tact.

Notre prochain départ ne s'effectuera pas sans que nous ayons le bonheur de vous présenter personnellement nos homages, et sans vous assurer que je suis et je serrai toujours votre très humble servante.

Lucie Cicognara.

I1. DE MADAME CICOGNARA

(Sans date ni suscription.) 14 aprile. La Cicognara restituisce alla sig[nor|a Contessa d’Albani les Mémoires de Lafontaine: che ha lette con somma soddisfazione, per esser nutrite di una quantita di osservazioni storiche e critiche, proprie a dare una idea giusta della storia letteraria non solo, ma a schiarireé quantità d’aneddoti relativi a quella

1. Mémoires sur la vie et les ouvrages de La Fontaine, par Walckenaër.

76 BULLETIN ITALIEN

corte di Luigi XIV. I versi, che sono veramente riempiti di attico sale e di un senso che in ogni secolo ed in ogni età si riscontra, me li ho trascritti per non perderne la memoria. Questi furono scritti alla famosa di Bouillon, scusandosi di non voler fare l’elogio di Mad* Mazarin, nel timore di ferire l’amor proprio dell’ una o dell’ altra delle due sorelle :

Vous vous aimez en seurs, cependant j’ai raison D’éviter la comparaison :

L'or se peut partager, mais non pas la louange.

Le plus grand orateur, quand ce seroit un ange,

Ne contenteroit pas, en semblables desseins,

Deux belles, deux héros, deux auteurs ni deux saints.

Avvrebbe voluto la scrivente fare questa restituzione perso- nalmente, ma ha dovuto in questi giorni nuovamente fare l’ufficio d’infermiera quando sperava di aver finito. Ora va un po meglio la salute del marito, ed unisce egli pure i suoi ringraziamenti e doveri a quelli della scrivente. L.r.

III. UNE LETTRE INÉDITE DE FABRE A BERTIN L’AINÉ.

J'ai déjà publié plusieurs séries de lettres des Correspondants du peintre Fabre. La Revue Rétrospective a notamment imprimé en 18962 entre autres celles du journaliste Bertin, le directeur du Journal des Débats, mais cette publication devra être reprise en entier, en raison des coupures arbitraires faites dans les textes par la Revue, et aussi en raison des additions et corrections que de nouvelles recherches me permettent d'y introduire à présent. Voici une addition non sans valeur à cette correspondance avec Bertin : la réponse de Fabre à la lettre de Bertin du 15 septembre 1821. La minute en est conservée dans les papiers du peintre, mais elle a été mal classée, probablement par suite d’une annotation au crayon (Réponse de Fabre à Roselli lettre 2) mise en tête de l’autographe. Je ne m'explique pas l'origine de cette erreur et de cette confusion : aucun doute n’est possible sur le destinataire de cette réponse, qu'il suffit de rapprocher de la lettre précitée de Bertin pour constater qu’elle y répond, comme Fabre le déclare lui-même, article par article et ligne à ligne.

Dans l'histoire, peu mouvementée d'ailleurs, des relations des deux amis, ces deux lettres (celle de Bertin du 15 septembre, et cette réponse)

1. Sic, pour Lucie Cicognara. 2. Les Correspondants du peintre Fabre (1808-1834), dans la Nouvelle Revue Rétro-

spective (1896) et à part (Paris, R, R. 1897).

ALBANYANA 77

ont un intérêt assez vif: la conversation recommence entre eux après un silence de huit ans; après tant d'événements, qui font «qu'on croit rêver quand'on les repasse », elle recommence, confiante et tendre en matières familiales, encore assez réservée sur les sujets politiques. Quoique ayant cordialement détesté l'Empire, et applaudi à sa chute, les deux amis ne se montrent pas ici très satisfaits de la Restauration ; mais, chose bizarre, tout en blämant les procédés de la censure, ils blâment aussi la politique conciliatrice de Louis XVIII. En matière politique, cette lettre n’est assurément un document que par prétérition. Pour l'histoire de l’art, elle a plus d'importance : elle montre en étaient en 1821 l’école et les théories de David, les progrès de l’école employée, et, à propos des débuts du jeune paysagiste Edouard Bertin, le conflit entre la vieille école française et la jeune peinture romantique. Elle s’ajoutera donc utilement à la correspondance Fabre-Bertin déjà publiée.

: Dieu soit loué! Après six ans de silence (ni plus ni moins)?, je recois enfin une bonne et bien aimable lettre de mon cher paresseux. Ne vous en déplaise, il ne vous sied pas très-bien de vouloir me gronder. Etre battu et payer l’amende, en vérité, c'est un peu trop. Acceptez votre pardon, et une autre fois, n°y venez pas. J'ai un peu tardé à vous répondre, mais hélas ! j'étais plus mort que vif quand j'ai reçu votre belle épiître. Je suis encore convalescent” d’un horrible accès de gouttes qui pendant un mois m'a fait souffrir les tourments de l'enfer. C’est le plus cruel que j'aie eu de ma vie... Je suis encore bien faible, mais heureusement j'étais hors de mon lit, et en état d’être promené hors de chez moi, quand M. Edouard‘ est arrivé. Je me hâte de vous dire qu’il se porte à merveille; il est resté deux jours à Florence. Je lui ai donné pour cicerone

VaARIANTES : a) Fabre avait écrit d’abord et a supprimé: en réponse aux dernières que je lui avais écrites ; b) Prem. rédaction: et bien faible, supprimé.

1. En tête de cette minute de lettre autographe, une main postérieure a écrit au crayon «réponse de Fabre à Roselli, lettre 2». Il y a eu une confusion inexplicable.

2. Et même huit ans (s’il n’y a pas eu de lettre de Bertin détruite ou perdue), car la lettre qui précède celle du 15 septembre 1821 laquelle Fabre répond ici) est du 13 avril 1813.

3. On sait que Fabre fut sujet dès sa jeunesse à cette maladie, qui le persécuta toute sa vie.

k. Édouard-François Bertin, l’ainé des fils de Bertin l’aîné, à Paris en 1797, élève de Girodet et de Bidault, devint inspecteur des beaux arts sous le règne de Louis-Philippe.

Bull. ital. Ô

78 BULLETIN ITALIEN

le fils de M. Santarelli', qui s’est très bien acquitté de son rôle, et nous avons dîné deux fois ensemble chez M{ald/amJe la comtesse d'Albany, qui l’a reçu avec grand plaisir, et qui m'a bien chargé de vous faire ses compliments bien sincères. Nous avons bien souvent bougonné contre vous, mais n'en parlons plus. M. Edouard est parti ce matin pour Rome, d'où il comptait vous écrire“. Je lui ai donné une lettre pour M. Boguet?, qui est certainement l'artiste le plus en état de lui donner de bons conseils’. J'espère que M. votre fils lui mon- trera ses ouvrages, et je vous en (sic) rendrai compte fidèlement de ce que M. Boguet m'en écrira *.

Je mets votre lettre devant moi et je vais répondre à tout, article par article. J’ignorais complètement la perte que vous aviez faite de votre pauvre Jules. Je n’aurois point résisté au besoin de vous en témoigner mes regrets. Ils sont bien sincères. Il est cruel d’être toujours frappé dans ses plus chères affections. Quel malheur aussi que l’état de M'° votre filles ne soit pas plus satisfaisant. Son frère° a répondu à toutes mes questions à cet égard, et personne de votre famille n’a été oublié.

Il y a quatre ans, je devais en effet venir à Paris pour y chercher des secours contre une incommodité# qui m'allarmoit beaucoup. Je me suis mis entre les mains de M. Vaccaÿ,

VARIANTES : a) Prem. réd. : il l’a, effacé; b) Prem. réd. : si Mr. effacé; c) Prem. réd.: c’est, effacé. Puis Fabre a écrit et a supprimé encore : Il faut avoir bon pied bon œil pour être paysagiste; —: d) Prem. réd. : toujours, effacé; e) Prem. réd.: m’a donné des, effacé:

1. Probablement Émile Santarelli, dont Fabre fit plus tard son héritier.

2. Nicolas-Didier Boguet (1755-1839), peintre et graveur, à Chantilly, passa la plus grande partie de sa vie à Rome. La République romaine lui fit exéculer de grandes toiles décoratives au Quirinal, qui furent détruites à la première restau. ration pontificale. Boguet était un paysagiste de l’école classique, et Fabre se faisait peut-être illusion en croyant que ses conseils seraient suivis par Édouard Bertin, peintre « pittoresque et romantique », du père de qui ces tendances effrayaient le classicisme (cf, la lettre du 15 sept. loc. laud., p. 17).

3. Louise-Angélique Bertin, née le 15 janvier 1805 aux Roches près de Bièvre, musicienne, peintre et poète, Elle réussit à obtenir de Victor Hugo, d’après Notre- Dame de Paris, le livret de son Esmeralda, qui eut peu de succès (Opéra, 12 nov. 1836).

h. Une maladie de vessie. Il est question de ce projet de voyage à Paris dans les lettres de Blacas à Fabre (14 juillet, 18 sept. 1817). Blacas y regretle que Fabre préférât le praticien de Pise à ceux de Paris: peut-être le libéralisme de Vacca l’importunait-il.

5. Chirurgien célèbre, professeur à l’Université de Pise, qui avait été appelé à soigner Napoléon à l'ile d'Elbe, 1

ALBANYANA 79

professeur de Pise, qui, grâce à l'excellence de mon tempéra- ment, m'a guéri comme par miracle:. Il n'en était plus question trois jours après la très petite opération qu'il a fallu subir et qui ne m'a pas coûté une goutte de sang.

Je serois en effet aussi heureux que j'aie jamais pu le désirer dans mes rêves de fortune, si cette maudite goutte me tour- mentoit un peu moins. Ma ci vuol pazienza. Il y a sur le tapis un projet de voyage à Paris? pour le printemps prochain, voyage purement de plaisir, tant de la part de M"° la CJom]tesse d’Albany que de la mienne. Ma la goutte* voudra-t-elle signer mon passeport ”, et le moyen d'y compter d’ayance! Nous verrons.

La peinture est bien négligée. Indépendamment de la goutte, j'ai eu cette année une autre maladie qu’on a nommée fièvre catarrhale, et qui, jointe à mes cinquante-cinq ans, a beaucoup diminué ma vue. Je ne dirai pas, comme M. Girodet m'écrivoit depuis peu de lui-même (et je sais qu'heureusement il a beau- coup exagéré): je ne dirai pas que je suis presque aveugleÿ, mais en vérité je suis très embarrassé pour peindre. J’ai besoin de lunettes pour voir de près et pour exécuter des petits détails, et avec ces mêmes lunettes je ne vois goutte ce qui est à deux pas de moi. Il faut à l’avenir soigner ma santé et m'amuser de la peinture, quand cette santé sera passable. Girodet m'a mandé à peu près les mêmes choses qu'il a dites à votre diner aux Roches“ (que je suis loin d'avoir oubliées!). J'espère qu'il ne nous tiendra pas parole, et qu’il ne se conten- tera pas de faire des dessins sur des sujets tirés d’Anacréon.

VARIANTES : a) Prem. réd. : n’a pas, effacé; b) Fabre avait ajouté ici celte phrase qu'il a supprimée : Et puis ce congrès de souverains qu’on nous annonce; c) Prem. réd.: cather, mot interrompu à cause de la faute d'orthographe et supprimé.

1. Blacas lui écrit le 18 sept. 1817: « charmé d'apprendre que vous étiez entiè- rement débarrassé de l’incommodité qui vous tourmentoit depuis longtemps. »

2. Le projet se réalisa en effet pendant l'été (juillet-août) 1822. Fabre fut bien accueilli et fêté par ses anciens camarades.

3. Girodet dit dans sa lettre du 28 août 1821 laquelle pense Fabre): «Ma vue est affaiblie à tel point que je n’y vois plus à lire une écriture assez grosse sans lunettes. » (Cf. loc. laud., p. 179.)

4. I lui parle en effet de son séjour à la campagne et de ses dessins sur des sujets tirés d’Anacréon (ibid., p. 159).

80 BULLETIN ITALIEN

Il nous doit mieux que cela, tels beaux (sic) qu'ils puissent être. C’est encore trop tôt pour nous dire « Hic victor cæstus arlemque repono »'. Faites lui mes compliments ainsi qu'à M. Gros et à M. Gérard.

Je remercie ce dernier de tout mon cœur de sa dernière lettre, à laquelle je répondrai quand j'aurai repris un peu de force. J'en ai si peu qu'il faut que je me repose, et je ne (sic) crois de ne pouvoir finir cette lettre avant l'heure de la poste. Me voilà de nouveau en pleine jouissance et jasant avec vous. C’est bien agréable. Dommage que ce soit de si loin !

J'aurai peut être le bonheur de voir un jour la Vénus mutilée dont vous me parlez; elle est bien belle si elle surpasse celle de Médicis". C’est dommage qu’elle soit mutilée.

Je savois en effet que vous aviez suivi le Roi à Gand®, Le reste, que j'ignorois, est un peu fort, quoique nullement extraordinaire, quand on se rappelle certaines amnisties et certaines pensions de cette époque, auxquelles il est difficile de comprendre quelque chose. «Nous avons nos amis: gagnons nos ennemis6, » C’est, peut-être bien, sage, mais j’aimerois autant dire: « Conservons nos amis et* guerre à nos ennemis ». On paraît trop les craindre. Au reste « Non nobis domine ». Ceci n'est pas de mon ressort”, et j'en dirais peut-être trop°. Votre journal fait mes délices trois fois la semaine. Il y a quelquefois de belles lacunes blanches’, et je m'attends® à recevoir un jour une belle feuille de papier blanc timbré au

VARIANTES : a) Prem. réd.: méprisons, effacé; b) Fabre avait d'abord ajouté et a supprimé cette phrase: Je suis seulement fàché qu'il faille dire à tous ceux qui pensent comme vous: Sic vos non vobis fertis aratra boves; c) Prem. réd.: Je n'ose plus finir, effacé; d) Prem réd.: Une belle f, effacé.

1. Virgile, Énéide.

2. Les deux célèbres peintres, tous deux camarades de Fabre à l'atelier de David.

3, La Vénus de Milo, signalée par Dumont d’Urville à l'ambassadeur français à Constantinople, M. de Rivière, et achetée par les soins du secrétaire d’ambassade M. de Marcellus.

h. Indication caractéristique sur le goût de Fabre.

5. Bertin aîné suivit Louis X VIII en exil à Gand le 20 mars 1815, et du 14 avril au 21 juin y rédigea le Moniteur de Gand.

6. On reconnait ici la sévère intransigeance du royalisme de Fabre, vraiment trop peu politique, car on compte sur les uns et... avec les autres.

7. Les articles supprimés par la Censure.

ALBANYANA 81

lieu du journal. Nous verrons aussi la fin de cela. Il suffit de vivre un peu. Tout va vite aujourd’hui. On croit rêver quand on repasse dans sa tête tout ce que nous avons vu!

Mille et mille remerciements à Madame Bertin d’avoir été mon avocat auprès de vous, quoique sans succès. Je la supplie de me conserver ces {sic) bonnes dispositions pour moi‘, et d'agréer l'hommage bien sincère de mon respect et de ma reconnoissance. Veuillez bien me rappeler au souvenir de M. Boutard: et de M. votre frère? et de toutes les personnes de votre aimable société qui daignent encore se souvenir de moi, et vous, mon cher paresseux, conservez-vous à vos amis: j'en suis un, et comptez sur le sincère et inviolable attachement du vieux goutteux, votre serviteur et ami tout dévoué.

J'ai envoyé à Paris par M. Ramey*, sculpteur, fils (sic), revenu à Paris depuis quelques mois, un livre de Cennino Cennini4 sur la peinture. Ce livre a être remis à M. Castel- lanÿ, que vous connaissez probablement, et il devoit ensuite être remis à M. Mériméeÿ, peintre, avec une lettre pour chacun. Sont-ils morts tous trois, Ramey, Castellan et Mérimée, ou n'ont- ils reçu ni le livre ni les lettres? Vous me demandez une commission: en voilà une que vous ne fairés pourtant qu’en temps et lieu, et sans qu’elle vous donne la moindre peine.

VARIANTE : a) Prem. réd.: à mon égard, effacé.

L.-G. PÉLISSIER.

1. Le beau-frère de Bertin, J.-B. Bon Boutard (1771-1835), architecte et rédacteur artistique (avec Delescluze) au Journal des Débats.

2. Louis-François Bertin de Veaux (1771-1842), qui dirigeait le Journal des Débats avec son frère aîné.

3. Ramey (Etienne-Jules), fils de Claude (1796-1852), grand prix de Rome en 1815; il exposa en 1822 l’Innocence pleurant la mort d’un serpent, un Christ à la colonne, et Thésée combattant le minotaure.

4. Cennino Cennini, peintre florentin du Quattrocento (1360-1437), célèbre sur- tout par son traité de la peinture (11 libro dell’ arte fatto e composto da Cennino da Colle) dont le manuscrit est à la Bibliothèque Laurentienne de Florence. Ce précieux traité venait d'être publié à Rome en 1821 par Gius Tambroni.

5. Antoine-Laurent Castellan (1772-1838), peintre et écrivain d'art, inventeur d’un procédé de peinture sur lequel il écrivit un mémoire en 1815 et qui eut peu de succès. Il en est parlé dans ses lettres à F.-X. Fabre.

6. S.-F. Léonor Mérimée (1757-1836), père de Prosper Mérimée, élève de Doyen et de Vincent, secrétaire perpétuel de l’École de beaux arts en 1807, s’occupa surtout du perfectionnement des procédés matériels de peinture. Il a entretenu avec Fabre une correspondance assez active. J'ai publié quelques-unes de ses lettres (loc. laud., P- 149sqq.).

QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT

RAPPORT

SUR LES CONCOURS DE L’AGRÉGATION D’TTALIEN

ET DU CERTIFICAT D'APTITUDE

EN 1909

MonsIEuR LE MINISTRE,

Pour la première fois cette année, vous avez voulu que les jurys chargés d'examiner les candidats à l’Agrégation d’italien et au Certificat d'aptitude à l’enseignement de la langue italienne, fussent indépen- dants des jurys d'espagnol. Les deux langues méridionales n'avaient jamais cessé de faire bon ménage, et leur concorde eût pu se pro- longer encore longtemps; mais il y avait tout intérêt à leur accorder leur autonomie, et à fortifier l'autorité des jurys en y faisant entrer un nombre plus élevé de spécialistes.

Vous m'avez fait le grand honneur, Monsieur le Ministre, de m'appeler à présider les deux jurys d’italien, et je m’autorise de ce fait pour vous présenter, en un seul rapport, le compte rendu du concours d’agrégation et celui du certificat, bien que la composition des deux jurys ne füt pas exactement la mêmer.

]J. AGRÉGATION.

Le concours de 1908 avait été marqué par un fléchissement sen- sible, tant dans le nombre des concurrents (cinq seulement avaient été jusqu’au bout des épreuves écrites) que dans leur valeur (un seul candidat fut jugé digne du titre d’agrégé). Cette faiblesse momen- tanée a été suffisamment compensée en 1909 : neuf concurrents ont

1. Le Jury d’agrégation était composé, outre le président, de MM. Bouvy, chargé de cours à la Faculté des lettres de l’Université de Bordeaux; Luchaire, professeur à la Faculté des lettres de l’Université de Grenoble, et Paoli, professeur au lycée Louis-le-Grand; celui du certificat comprenait, outre le président et M. Luchaire, M. Bonafous, professeur à la Faculté des lettres de l'Université d’Aix-Marseille,

QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT 83

subi toutes les épreuves écrites, et deux d’entre eux seulement sont tombés au-dessous de la moyenne. Le Jury a pu faire cinq admis- sibles, laissant de côté deux candidats dont les points dépassaient encore sensiblement ceux du troisième admissible de l'année précédente. _ Les épreuves orales ont été moins satisfaisantes. Elles ont cepen- dant permis de proposer la nomination de deux agrégés, esprits solides et clairs, professeurs consciencieux et possédant bien la langue italienne, pour lesquels ce titre est la juste récompense d'efforts sou- tenus et bien dirigés.

Épreuves écrites. Le thème, tiré du Don Juan de Molièrer, et la version, empruntée à la correspondance de Giusti?, l’un et l’autre assez difficiles, n’appellent aucune remarque particulière. Il en va autrement des deux dissertations.

En français, les candidats avaient à exposer et à discuter les idées du puriste Cesari sur la langue italienne, non sans jeter un coup d'œil sur la destinée qu’eurent ses théories au x1x° siècle3. Le sujet était convenablement connu de la généralité des concurrents, mais plusieurs n'ont pas su situer la question dans son véritable cadre historique : Cesari marque une réaction très nette du purisme contre les libertés de langage prises par certains écrivains du xvin° siècle imbus des idées de l'Encyclopédie, et contre leur défenseur le plus intelligent et le plus modéré, Cesarotti. Il était donc inutile de s’appe- santir sur les grammairiens plus ou moins puristes du xvrr° siècle, et plus encore de remonter jusqu'aux polémiques linguistiques du xvr° siècle, époque le problème de la langue italienne s'était posé tout autrement qu’au temps de Cesari; c’est un luxe d’érudition déplacé. Cependant on peut dire que le fort et le faible de la doctrine du puriste véronais ont été intelligemment distingués, et l’une des copies reconstitue la psychologie de Cesari, sans complaisance, mais avec une verve et une précision tout à fait distinguées. L'étude com- plémentaire de la fortune des théories puristes au xix° siècle a été plus inégale, mais elle témoigne encore d’une information assez étendue.

Une observation s'impose sur la forme de ces dissertations fran-

1. Acte V, sc. 2: D. Juan. «Il n’y a plus de honte maintenant à cela; l'hypocrisie est un vice à la mode... et qu’un sage esprit s’accommode aux vices de son siècle. »

2. Lettre à Vieusseux, avril 1845 (dans l’édition de l’Epistolario di G. Giusti, publiée par F. Martini, Florence, Lemonnier, 3 volumes); quelques brèves coupures.

3. A. Cesari écrit au comte Francesco Amalteo : « lo poi sono fermo di credere la lingua nostra essere cosi ricca, varia e copiosa, che del solo materiale lasciato da’ Trecentisti si pud trarre il necessario a spiegar qualunque concetto dell’ animo di qualunque materia si voglia. »

Commenter ce jugement, en précisant la pensée de l'auteur, et montrer dans quelle mesure et pourquoi les faits lui ont donné tort ou raison. »

8h BULLETIN ITALIEN

çaises : quelques-unes ont été écrites dans un style inacceptable, On y cueille des fleurs de ce genre: « Le point de vue rhétorique finit par avoir le dessus sur le côté logique et raison. » «L'avenir lui a donné tort. » «Il avait pour ainsi dire nationalisé en internationalisant. » Ce qui est plus grave peut-être, c'est que plusieurs candidats semblent perdre de vue les ressources de la langue française : ils parlent de « francésisme » comme si nous n'avions pas le mot « gallicisme », et de «campanilisme » comme si «l’amour du clocher», la «politique de clocher » n'étaient pas des expressions courantes. La « tradition vichienne » (de Vico!) est barbare; la «tradition trecentista », et «let fuoruscito di parte bianca n’avait guère élargi le cercle au delà de sa bellissima e formosissima Fiôrenza» sont du pur galimatias, Un italianisant français doit savoir raisonner en français, même des choses d'Italie. Que les futurs candidats y prennent garde. :

La dissertation italienne invitait les candidats à définir, en les opposant, les diverses nuances du sentiment national tel qu'il appa- raît en Italie, de Dante à Machiavel, c’est-à-dire dans des œuvres inscrites au programme de l'année, notamment dans Pétrarque, bien qu'il ne fût pas nommér. Encore ici l'information a paru satis- faisante, au moins dans les lignes générales du sujet. Mais les concur- rents se sont abstenus de prendre pour base essentielle de leurs déve- loppements les œuvres qu'ils devaient posséder à fond: à des vues nettes et précises, ils ont ainsi préféré des généralités vagues et parfois peu exactes. Si la moyenne n'est pas mauvaise, aucune cCompo- sition ne témoigne pourtant des qualités de mesure et d'équilibre qui eussent été nécessaires ; la meilleure dissertation elle-même ne contient pas sur le patriotisme de Dante un jugement assez approfondi.

La forme laisse aussi à désirer. Les candidats, nourris de critique italienne contemporaine, ne s’avisent pas assez que ce sont là, au point de vue du style sauf de très honorables exceptions de fort médiocres modèles, dont la langue est souvent négligée, inélégante, farcie de germanismes et de gallicismes. De futurs professeurs devraient faire la différence entre ce qui est bien et ce qui est mal écrit; s'ils ne sont pas un peu puristes en italien, quel jargon ensei- gneront-ils à leurs élèves?

Épreuves orales. L'observation qui domine toutes les autres porte sur la grande maladresse des candidats lorsqu'il s'agit de com- menter un exercice oral de traduction, thème improvisé ou explication préparée de textes italiens.

Le thème oral n'est plus de mise dans les classes; mais le Jury continue à y trouver la meilleure occasion de sonder les connaissances

1, «In qual maniera si andà svolgendo, attraverso le vicende della civiltà italiana, il sentimento nazionale dal’ Alighieri al Machiavelli, »

EG eur

QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT 85

des concurrents touchant la grammaire italienne pratique et le voca- bulaire usuel dans leurs rapports avec le français. Après lecture du texte, et traduction, aussi aisée et correcte que possible, le Jury attend donc que le futur agrégé revienne de lui-même sur le morceau, pour corriger sa première traduction, s’il le juge utile, mais surtout pour y trouver l’occasion d'expliquer ces idiotismes d'expression et de syn- taxe qui donnent sa physionomie propre à une langue vivante. Ce côté de l'épreuve a été à peu près inexistant : les meilleurs candidats n'ont rien su ajouter d’intéressant à une traduction d’ailleurs conve- nable; les autres n’ont réussi qu'à souligner leurs erreurs en y persistant, quand ils ne les ont pas aggravées.

L'absence de méthode n’a pas été moins remarquée pour l'épreuve d'explications préparées. Quelques candidats ont cru faire preuve d'originalité en commentant à fond leurs textes avant de les lire ou de les traduire, et il est arrivé que l’un oubliait d'en donner lecture, et l’autre d'en faire la traduction! Ce dernier, rappelé à l’ordre, a montré qu'il comprenait assez mal le morceau sur lequel il avait savamment disserté. Un maître expérimenté peut appliquer de loin en loin avec élégance la méthode paradoxale qui consiste à mettre la charrue avant les bœufs: mais le Jury déconseille absolument ces fantaisies à des apprentis professeurs. Ceux-ci doivent penser à leurs futurs élèves, au lieu de se livrer à de pareils exercices de virtuosité. Or, comment veut-on que des élèves s'intéressent au commentaire d’un texte qu'ils ne connaissent pas? Quand ensuite ils le liront, quelle saveur y trouveront-ils encore) On les en aura fatigués d'avance. Une lecture intelligente et une traduction soignée sont la base et la condition même d’un bon commentaire; on ne les fera donc précéder que du minimum de notions historiques, ou de résumé analytique, nécessaires à l'intelligence du passage; plus tard viendra le commentaire littéral et, s’il y a lieu, philologique, destiné à dissiper toutes les difficultés du texte ; enfin, on résumera les idées contenues dans le morceau, on en montrera l’enchaînement, on en appréciera l'expression, afin de reconstituer l'unité artistique du texte, et d'en faire sentir le charme ou la force. |

En 1909, deux courtes poésies latines de Pétrarque figuraient au programme; pour 1910, le Jury y a inscrit une soixantaine de vers empruntés à une élégie latine d’Ange Politien. Cette mesure se justifie par deux ordres de considérations. D'une part, une portion notable de la production littéraire des Italiens, du Moyen-Age à la Renais- sance et au delà, est écrite dans la langue de Cicéron et de Virgile; elle ne doit pourtant pas rester inaccessible à des italianisants. D'autre part, l'étude historique de la langue italienne, phonétique et morpho- logie, suppose des connaissances précises, bien qu’élémentaires, de grammaire latine (déclinaison et conjugaison) et de prosodie. Le Jury

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86 BULLETIN ITALIEN

se réserve donc le droit d'ajouter aux deux textes d'explication pré- parée quatre ou cinq vers latins, à propos desquels il pourra s'assurer aisément que les candidats parlent d’une voyelle brève ou d’une désinence verbale autrement qu’un aveugle des couleurs.

La leçon en italien:, sur un sujet purement littéraire2, a été fort honorable. Il y a lieu de tenir compte aux candidats de la difficulté de la question portée au programme; elle les obligeait à étudier, en même temps que le romantisme italien, les grandes littératures euro- péennes de la fin du xvin siècle et du début du x1x°; tous l'ont fait , consciencieusement et, semble-t-il, avec plaisir. Pour la leçon en français, le sujet tiré au sort était, au contraire, d'ordre historique, mais directement emprunté au programme, et il ne pouvait être imprévu. Cependant cette épreuve a paru très faible; un des admis- sibles s’est même retiré. Chaque année le programme contient une question d'histoire se rapportant à une des époques capitales de la civilisation italienne; les candidats ne doivent pas négliger cette partie de leur préparation.

La prononciation des deux eandidats admis est à peu près irrépro- chable; les candidats malheureux devront faire un effort pour se corriger de certains défauts: il y a telles fautes d’accent, portant sur des mots usuels, qui ne sont pas tolérables; il convient aussi d'effacer les traces les plus choquantes d’accent français, sans pourtant tomber dans une affectation fautive de toscanisme, comme cela s’est vu, qui révélait peu d'oreille, avec de très insuffisantes notions de phonétique; mieux vaut prononcer comme un lombard, ou un sicilien, qui parle- rait correctement.

L’explication d’un texte espagnol continue à donner de très médio- cres résultats. Le but en est bien moins de s'assurer que les candidats sont en mesure de déchiffrer une page écrite dans cette langue avantage en somme assez mince que de les obliger à acquérir de la grammaire castillane une connaissance suffisante pour leur être de quelque profit dans leurs études linguistiques. C’est pourquoi le Jury maintient le coefficient double pour cette épreuve, et le justifie par quelques interrogations grammaticales. Les candidats se trompent fort s'ils croient que cette note reste sans effet sur le résultat final du concours.

1. Comme les années précédentes, tous les candidats ont traité les mêmes sujets ; mais ces sujets ont été tirés au sort. ;

2. «In che modo e fino a che punto la letteratura romantica italiana è stata una letteratura popolare, morale, adattata ai bisogni e alle tendenze della società di quei tempi ? »

3. « La diplomatie de Florence et Venise durant le conflit de 1527-1530. »

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QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT 87

IT, CERTIFICAT D'APTITUDE.

Sur vingt-deux candidats inscrits, vingt et un ont subi les épreuves écrites, qui, dans leur ensemble, n'ont pas été mauvaises: il faut arriver au douzième pour tomber au-dessous de la moyenne; aussi le Jury a-t-il pu faire cinq admissibles qui se suivaient de très près. En revanche, les épreuves orales ont laissé beaucoup à désirer. Les can- didats classés premier et second doivent leur succès, l’un à sa posses- sion très sûre de la langue italienne, jointe à des qualités de réflexion et de netteté, l’autre à son travail soutenu et aux progrès constants qu'il n’a cessé de réaliser. Mais il est évident que si l’un des autres admissibles avait eu une seule épreuve vraiment brillante, il aurait distancé sans peine tous ses concurrents.

Épreuves écrites. I1 faut jeter un cri d'alarme pour la compo- sition française, qui est éliminatoire, sans entrer pourtant dans le calcul définitif des points. Douze candidats, cette année, y étaient astreints, et le jury, après avoir relevé les notes avec toute l'indul- gence compatible avec le souci de la dignité du concours, a en arrêter six, dont un se classait quatrième pour ses épreuves d'italien. Deux seulement ont obtenu des notes supérieures à ro. Cette épreuve est destinée à contrôler le degré de culture des candidats, leurs facultés de raisonnement et d’exposition appliquées à des questions suffisamment générales, mais se rapportant de préférence à la civili- sation italienne, et accessoirement à celle de la France. Le Jury se refuse à y voir de simples exercices de style. S'il est sensible à une forme aisée et correcte, qui d’ailleurs n’est pas fréquente, il entend tenir compte aussi de la valeur des idées et des connaissances : les candidats au certificat d’italien qui, ayant à parler de l'épopée en Italier, ont omis jusqu’au nom du Tasse, ont fait l'équivalent d'un gros barbarisme.

La composition en langue italienne doit être comprise à peu prè de la même manière quant au fond : sans vouloir la transformer en une dissertation littéraire proprement dite, il y a intérêt à faire parler les candidats de ce qu’ils seraient inexcusables d'ignorer; aussi a-t-il paru bon de leur poser une question se rattachant à leur programme, et permettant à un esprit cultivé de tirer parti de ses lectures et de ses impressions personnelles. Le sujet? n’a pas mal inspiré les can-

1. «On a dit et répété que les Français n’avaient pas la «tête épique ». Peut-on dire, et dans quelle mesure, que les Italiens l’aient eu davantage?»

2. «Sotto forma di lettera, che si suppone scritta da un Italiano a un giovane studente francese, si esporrà con semplicità e chiarezza quali somiglianze e quali differenze si avvertano tra una tragedia di A. Manzoni, segnatamente Il Conte di Car-

magnola, e un dramma romantico francese (di V. Hugo, A. Dumas, A. de Vigny a scelta). »

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didats : cinq copies ont obtenu des notes supérieures à 25 (sur 40); les deux premières atteignent même 32 et 35.

Malheureusement, le thème: est loin d’avoir été aussi satisfaisant, et parmi les auteurs des cinq premières compositions italiennes, trois tombent ici sensiblement au-dessous de la moyenne. Ceci prouve qu'il faut se donner la peine d'apprendre à faire un thème, même lorsqu'on parle ou qu'on écrit couramment une langue. La version, tirée de Boccace?, a été satisfaisante dans l’ensemble; quatre copies seulement ont eu des notes très basses.

Épreuves orales. Le Jury a été frappé de l’inexpérience, de l’hési- tation, des explications confuses, murmurées à voix basse, et coupées de silences, dont plusieurs candidats ont donné le fâcheux spectacle. Quelle que fût leur aptitude à manier pour eux-mêmes la langue italienne, ils ont fait preuve de capacités pédagogiques insuffisantes, et par se sont en quelque sorte disqualifiés; tel a été le cas des deux aspirantes qui temaient la tête pour les épreuves écrites.

Comme pour l'agrégation, la pierre d’achoppement a été l’art de commenter; et justement, au certificat, les épreuves orales sont surtout des commentaires! La version improvisée et le thème oral ont montré déjà peu de décision et de netteté dans la méthode; ‘la lecture expliquée et le commentaire grammatical ont accusé plus fortement encore ces défauts. Cependant, au début des épreuves orales, le prési- dent avait rappelé, en les développant, les termes de la circulaire du 14 août 1903, qui accompagne l'arrêté relatif aux concours des certi- ficats d'aptitude à l’enseignement des langues vivantes. Ces recom- mandations ne paraissant pas avoir été bien comprises, je crois nécessaire de les résumer ici.

Le commentaire grammatical a remplacé l’ancienne leçon de gram- maire théorique; car, dans une classe, la grammaire ne doit plus être enseignée qu’à propos des phrases usuelles et des lectures; mais sous cette forme elle est une des préoccupations constantes du professeur; celui-ci doit veiller continuellement à ce que les élèves possèdent les verbes, les pronoms, les règles d'accord, la syntaxe familière, qui est plus rebelle au gallicisme que la syntaxe littéraire, souvent entachée d’exotisme. Les candidats, après avoir lu et traduit le texte, aplaniront donc d’abord toutes les difficultés qui peuvent arrêter des élèves de force moyenne; si ce texte est ancien ou poétique, ils y trouveront l'occasion de faire quelques observations très simples de grammaire

1. J.-J. Rousseau, Confessions, Il° partie, livre XII: « Souvent quand l'air était calme, j'allais immédiatement en sortant de table me jeter seul dans un petit bateau... et me laisseraient en paix dans ma solitude, » avec une brève coupure.

2, Anecdote sur Guido Cavalcanti, nouv. g de la 6* journée du Décaméron, depuis : « Avvenne un giorno che Guido Cavalcanti... » jusqu’à la fin.

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historique. Ensuite ils choisiront dans le morceau trois ou quatre faits mais il faudra les bien choisir à propos desquels ils donne- ront des explications précises, qui, dans une classe, constitueraient la leçon de grammaire du jour. Pour une durée totale d’une demi-heure, cette dernière partie de l'épreuve variera entre dix minutes et un quart d'heure. Le Jury a demandé que le coefficient de cette épreuve soit élevé de 1 à 2.

La lecture expliquée en langue italienne représente le côté littéraire de l’enseignement, toujours à propos d’un texte limité. Ainsi, pas de notions générales toutes faites, sans rapport direct avec le morceau proposé; pas de vain bavardage, rien de vague; mais quelques rensei- gnements brefs et précis sur l'œuvre d’où la page est tirée, sur son auteur et son époque, sur les circonstances dans lesquelles le passage a été écrit, le tout dans la mesure et sous la forme ces renseigne- ments peuvent contribuer à la pleine intelligence du texte. Celui-ci sera lu alors en entier ; puis, sans le traduire, on en fera un commen- taire ou mieux une paraphrase en italien, de façon à rendre compte de tous les détails, de toutes les intentions qui, à la lecture, auront certainement échappé à des élèves. Ce commentaire achevé, on résu- mera le sens du morceau, on en dégagera les idées essentielles, de façon à ce que les élèves emportent de l’ensemble de ces explications un souvenir net et précis.

On peut aussi fort bien admettre que certaines expressions du texte fournissent l’occasion d'une de ces courtes leçons de vocabulaire, qui sont un des exercices les plus utiles de la classe: le candidat indi- querait à ce propos quelques synonymes ou équivalents, en distin- guant avec soin les nuances de sens ou d'emploi qui les séparent : mots poétiques, archaïques, littéraires, techniques ou d'usage familier, en mentionnant aussi quelques locutions usuelles ou proverbiales, qui constituent une part essentielle du langage vivant. Il y a plus de matière qu’il n’en faut pour remplir la demi-heure accordée à cette épreuve.

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'hommage de mon très respectueux dévouement.

Henri: HAUVETTE,

Président, Chargé de cours à la Faculté des lettres de l’Université de Paris,

BIBLIOGRAPHIE

Emil Zilliacus, Giovanni Pascoli el l'Antiquité; étude de littéra- ture comparée. Helsingfors, 1909; 131 pages.

M. Emil Zilliacus a étudié l'influence de l'antiquité sur Pascoli, dans les trois œuvres principales du poète : Myricæ, Poemi Conviviali, Odi e Inni. Dans les Myricæ, cette influence est très réduite. Sur plus de cent soixante pièces que renferme le recueil, M. Zilliacus a noté seulement cinq endroits se rencontre la trace d’une inspiration antique. L’élément gréco-latin semble presque complètement absent des recueils intitulés : Primi Poemetti; Canti di Castelvecchio. En revanche, l’imitation de l'antiquité domine dans les Poemi Conviviali. Giovanni Pascoli a lui-même signalé la source d’un certain nombre de ses poésies, et M. Luigi Siciliani avait déjà abordé le sujet que M. Zilliacus traite plus complètement aujourd’hui. Il passe d’abord en revue les pièces plus courtes et analyse ensuite dans le détail L'Uliimo Viaggio, petite Odyssée en vingt-quatre chants. Pascoli revient encore au personnage d'Ulysse : dans les Odi e Inni; d’autres pièces de ce dernier recueil sont aussi toutes pénétrées de l'influence antique. M. Zilliacus ne s’est pas contenté de rechercher avec diligence les sources de la poésie de Pascoli; il a essayé aussi de montrer com- ment l’original et savoureux poète italien a su transformer la matière que lui fournissaient les anciens par des conceptions modernes et

1. M. Zilliacus observe avecraison qu'Ulysse paraît être une figure favorite des poètes italiens contemporains. Après Pascoli, Gabriele D’Annunzio en a fait le héros d’un cycle de poèmes. Ajoutons que cette figure apparaît aussi fréquemment dans la littérature française contemporaine. Sans remonter jusqu’à l'Ulysse de Ponsard, rappelons que M. Gebhart fut particulièrement séduit par l'ingénieux et subtil roi d’Ithaque. A l’origine et presque à la fin de sa carrière nous retrouvons le personnage d'Ulysse. Après lui avoir autrefois consacré une piquante thèse latine (De varia Ulyssis apud veleres poelas persona), il nous a raconté les dernières aventures du héros dans son livré charmant et profond intitulé D’Ulysse à Panurge. M. Ernest Dupuy a développé un sujet analogue dans un poème écrit en 1906 et publié avec d’autres'en 1908, Ulysse, de retour dans Ithaque, se sent envahir par l'ennui; il est repris par la nostalgie des voyages et des dangers. Malgré les conseils et les prières d'Eumée, il quitte son île rocheuse, abandonne Pénélope et se livre de nouveau aux hasards et aux émotions d’une vie errante. Tout récemment Ulysse a paru sur un théâtre de la Nature, à Champigny-la-Bataille. Dans leur pièce, le Festin du Roi, MM. Charles Méré et Henri Fescourt ont fondu, en trois actes, les onze derniers chants de l'Odyssée. (Voir Mercure de France, 1" août 1909.)

BIBLIOGRAPHIE 91

personnelles. Chez Carducci, l'influence de l'antiquité s'exerce surtout par Rome et les Latins. Pascoli et D’Annunzio remontent jusqu'à la Grèce. Mais tandis que D’Annunzio est ébloui par la splendeur de l'art, Pascoli demande au génie hellénique des leçons morales et des pré- ceptes philosophiques. L'auteur préféré de Pascoli semble être Hésiode ; dans une page, pleine de goût et de finesse, M. Zilliacus à fait un rapprochement judicieux et agréable entre le poète italien du xx’ siècle et le vieil aède rustique qui composa les Travaux et les Jours.

Voici, d’après M. Zilliacus, un tableau des pièces ou des morceaux qui, dans l’œuvre de Pascoli, révèlent, à des degrés divers, l’imitation de l'antiquité.

Myricæ.

Tre versi dell Ascreo. Cette poésie a pour point de départ, comme l'indique le titre, trois vers d’Hésiode.

O reginella. La jeune paysanne italienne dont le poète chante la louange est une sœur de la Nausicaa homérique.

Nozze. Dans cette pièce humoristique, la reproduction du chant du rossignol est directement empruntée aux oiseaux d’Aristophane.

Sogno d'ombra. Le titre et la fin rappellent l'expression pin- darique : « L'homme est le songe d’une ombre. »

Il dittamo. Le poète décrit l'herbe merveilleuse en imitant Virgile (Énéide, ch. XII, passim).

Poemi Conviviali.

Solon. L'idée de cette pièce a été fournie à Pascoli par un passage d'Elien. Nombreuses imitations d'Homère et de Sapho.

Il cieco di Chio. La pièce a pour origine un passage de l’hymne homérique à Apollon Délien.

La cetra d'Achille. Le poète nous transporte à la veille de la mort du héros. Source principale : /liade, ch. IX.

Le Memnonidi. L'Aurore pleure son fils Memnon et accable de reproches le meurtrier Achille. Sources nombreuses et diverses.

Anticlo. Poème inspiré par un passage du quatrième chant de l'Odyssée Ménélas raconte un exemple du sang-froid d'Ulysse.

Il sonno di Odisseo. Source principale : Odyssée, ch. X.

Il poeta degli Iloti. Source et personnage principal : Hésiode.

Poemi di Ate. Cycle de poèmes sur le crime et le châtiment : Ale; L'etèra; La madre. Sources nombreuses et diverses.

Sileno. L'idée du poème a été fournie à Pascoli par un passage de Pline (Historia naturalis, XXXVT).

Poemi di Psyche. Psyche (Apulée, Métamorphoses); La

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civella, sur la mort de Socrate (souvenirs de Platon, mais invention romanesque, peu appropriée au sujet).

1 Gemelli. Mythe de Narcisse. Idée première fournie par un passage de Pausanias.

T vecchi di Ceo. Selon une légende antique, les vieillards de Céos se donnaient la mort; Pascoli s'est servi, pour traiter ce sujet, de la préface de N. Festa aux œuvres de Bacchylide.

Alexandros : Tiberio. Poèmes historiques.

Gog e Magog. Le poète a traité ce sujet relatif à deux peuplades sauvages appelées Gog et Magog, en grande partie d’après un épisode de la vie légendaire d'Alexandre.

L’'Ultimo viaggio. Source principale : Homère. Nombreux éléments modernes : Dante, Tennyson, Graf :.

Odi e Inni.

Il rilorno. -—— Le héros est encore Ulysse. Source principale : Odyssée.

Il dovere. Le poète reprend un sujet déjà indiqué dans La cetra d'Achille. Un des chevaux d'Achille prédit au héros sa mort. Source : Iliade, ch. XIX.

L'Isola dei poeti. Le poète décrit un rève pendant un voyage en Sicile. Courte inspiration pindarique.

Al corbezzolo. La poésie débute par un hymne à l'arbousier ; sont ensuite décrites les funérailles de Pallas (£néide, ch. XD).

A Giorgio navarco ellenico. Pièce inspirée par la guerre entre la Turquie et la Grèce.

Ad Antonio Fratti. Vieux garibaldien mort pendant la même guerre.

L'antica madre. Hymne pour les étudiants de Messine.

M. PAOLI.

1, Avec la pièce finale, La Buona Novella, le recueil, trait caractéristique pour le poèle, se termine sur un motif chrétien. La première partie du poème, 1n Oriente, décrit l’apparition de l’ange aux bergers sur la montagne de Judée et l’adoration des bergers; dans la seconde partie, In Occidente, Rome est endormie avec ses temples, ses amphithéâtres et ses palais, une nuit après la fin des Saturnales, tandis que le message de paix et de fraternité est apporté à un gladiateur qui, mourant de ses blessures saignantes, est étendu dans le spoliarium du cirque (Zilliacus).

5 janvier 1910.

Le Secrétaire de la Rédaction, Eucèxe BOUVY. Le Directeur-Gérant, GrorGes RADET.

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Bordeaux.— Impr. G. GouNouiLnou, rue Guiraude, 9-11,

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Avril-Juin 1910. 2.

DANTES BALLATA : PER UNA GHIRLANDETTA ?

In the Marzocco for Jan. 2 Professor M. Barbi publishes, under the title ‘‘ Alla ricerca del vero Dante ”, an interesting article on Dante’s ballala ‘‘ Per una ghirlandetta ”” (Ball. VIII in the Oxford Dante). He prints first what has been claimed to be the ‘‘ original text, as it appears in the. editions of Fraticelli and Giuliani, and then the so-called ‘‘ popular” text (which is printed, with a few slight variations, by Fornaro in his Poesie liriche di Dante, pp. 181-182). In a comparison of the two versions Professor Barbi has no difficulty in proving, on metrical and other grounds, that the former is undoubtedly of modern origin. In this, the first four lines of the second stanza, for instance, run as follows :

Vidi a voi, donna, portar ghirlandetta a par di fior gentile, e sopra lei vidi volar in fretta un angiolel d’amore tutto umile.

In the-other version, the reading of which is based on that of all the four manuscripts which contain the ballata, they run :

=

F vidi a voi, donna, portare ghirlandetta di fior gentile e sovr’ a lei vidi volare un angiolel d’ amor umile.

Professor Barbi points out that in the former version there is a mixture of eleven-syllabled and seven-syllabled lines, whereas in the other all the lines are of nine syllables; and he shows that in the so-called original version the lines have been wrongly divided, and the words « par (1. 2), in fretta (1.3), and {ulto (1. 4), interpolated in order to satisfy the supposed requirements of metre and rhyme. He traces the history of this manipulated version, and gives good reasons for believing that the manipulator was Salvadore Betti, a correspondent of

AFB., IVe SÉRIE. Bull. ital., X, 1910, 2. 7

94 BULLETIN VPALIEN

Vincenzo Monti and G. G. Trivulzio, who was an annotator of the Divina Commedia, and a prolific writer on Dantesque subjects, including the lyrical poems.

The samples published from time to time by Professor Barbi of the results of his labours on the canzoniere of Dante have aroused the liveliest expectations among Dante students, who await with impatience the publication of his long-pro-. mised and sorely needed critical edition. The uncritical text of the lyrical poems included in the Oxford Dante is the one serious blemish in that otherwise excellent work, A few minor corrections, notably in sonnets XXXII (‘‘ Guido, vorrei che tu e Lapo ed io”) and XLIV (‘Per quella via che la bellezza corre ”), were introduced in the last edition (1904) from data furnished by Professor Barbi in one of the publi- cations referred to above; but the canzone, ‘‘ O patria degna di trionfal fama (Canz. XVIII), for instance, which is now rejected by all competent authorities, and the ballata, ‘‘ Fresca rosa novella (Ball. IV), which is by Guido Cavalcanti, still remain to mislead students. It should be explained that, as stated in the original preface, the responsibility for the selec- tion and arrangement of the lyrical poems in the Oxford Dante rested with the late Professor York Powell, who under- took the task at a time when the best available text was that of Fraticelli, and when practically nothing of a critical nature had been published on the subject. Fraticelli, as is well known, did not believe in the authenticity of the {enzone of six sonnets between Dante and Forese Donati, which he was inclined to attribute to Burchiello; consequently these poems were likewise rejected by Professor York Powell, who was not aware of the strong evidence in favour of their genuineness adduced by Professor Del Lungo. The {enzone, however, was duly included in the last edition of the Oxford Dante, and the numerous proper names which occur in the poems were incorporated in the revised index; unfortunately they do not figure in the Oxford Dante Dictionary, as that work was based on the text of the first edition (1894) of the Oxford Dante.

PAGET TOYNBEE,

LA TRADITION DE BURIDAN

ET LA

SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE (Suile ‘.)

IV

LA DÉCADENCE DE LA SCOLASTIQUE PARISIENNE APRÈS LA MORT DE LÉONARD DE Vinci. LES ATTAQUES DE L'HumaA- NISME. Diprer ÉRASME Er Louis Vivès.

Le 2 mai 1519, Léonard de Vinci mourait à Amboise.

A l'heure disparaissait un de ses plus pénétrants disciples,

_et qu’elle n’avait pas connu, la Scolastique parisienne ressen- tait les premières atteintes de la décrépitude; après avoir si puissamment contribué au progrès de la Science moderne, elle allait renoncer à la promouvoir.

Pour discuter avec clarté et précision les grands problèmes de la Physique, de la Métaphysique et de la Théologie, les scolastiques parisiens avaient rendre l'outil dialectique aussi aigu et aussi pénétrant que possible; la Logique déjà raffinée d’Aristote ne leur avait plus semblé assez délicate ; à la suite de Petrus Hispanus, ils s'étaient efforcés de surpasser en finesse et en rigueur le Stagirite lui-même; et certes, ils avaient donné d’admirables exemples de leur habileté à définir et à argumenter; l’analyse de la notion d'infini, que nous

1. Voir le Bull. ital., t. IX, 1909, pp. 338-360 ; t. X, 1910, pp. 24-47.

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avons rapidement exposée ailleurs', demeure comme un monument de la force et de la souplesse de leur esprit.

Mais il arriva à la Logique parisienne ce qui est toujours arrivé aux sciences la Dialectique joue un rôle essentiel. Cette Logique ne devait être qu’un moyen adapté à des fins déterminées, et qui la dépassent; on la prit pour un but et on l’étudia pour elle-même. Elle était une arme destinée à sauver la vérité et à porter des coups mortels à l’erreur ; elle ne servit bientôt plus qu'à des exercices d'escrime chacun des deux adversaires se souciait uniquement de montrer sa dextérité.

Cultivée pour elle-même et non pour l'usage qu’il convenait d'en faire, la Dialectique ne tarda pas à produire une végéta- tion abondante et enchevêtrée, à se surcharger de fruits aussi étranges qu'inutiles, Déjà les écrits de Jean Majoris, et surtout ceux de Jean Dullaert, se montrent tout encombrés de ces subtiles arguties l’auteur cherche bien moins à éclaircir la proposition qu'il soutient qu'à nous faire admirer son talent d’ergoteur.

Fatigantes pour la raison, dont elles tendaient outre mesure l'attention, sans attrait pour l'imagination, à laquelle elles échappaient par leur extrême abstraction, ces chicanes dont l'utilité ne se laissait guère deviner, rebutaient les écoliers. Elles les rebutaient d'autant plus sûrement que les subtilités de la Logique n’assuraient aucune place lucrative à ceux qui les maniaient habilement, tandis que juristes et cano- nistes vendaient leurs roueries à beaux deniers comptants.

Ce dégoût des étudiants pour les théories savantes de la Logique scolastique attristait profondément Jean Majoris. Pour le combattre, il insérait, en ses divers écrits, des dialo- gues il mettait aux prises deux de ses élèves, l’un lassé par les subtilités de la Dialectique, l’autre pénétré des beautés de cet art et s’efforçant d'en convaincre son interlocuteur.

Nous avons analysé déjà un de ces dialogues?, celui deux

1, Léonard de Vinci et les deux infinis (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui l’ont lu, IX; seconde série, pp. 1-53). Sur les deux infinis (Ibid., seconde série, note E, pp. 368-407). k

2. Léonard de Vinci et les deux infinis, II : L'infiniment petit dans la Scolastique (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui l'ont lu, IX ; seconde série, p.38).

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LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 97

étudiants en Logique, Jean Forman et Jean Dullaert, échan- gent leurs doléances; les droits que leurs études les contrai- gnent à payer leur semblent bien lourds; et, d'autre part, Jean Forman se plaint de perdre son temps à discuter « des cas que Dieu pourrait réaliser, mais qui n’arrivent jamais, à traiter de l'infini, de l'intensité des formes en la matière, à examiner si le continu se compose de points, etc. » Maître Jean Annand, survenant, rend courage à nos deux étudiants logiciens en exaltant les théologiens aux dépens des juristes.

Un autre dialogue du même genre est inséré en l'édition qui fut imprimée en 1519, du commentaire au premier livre des Sentences: composé par Jean Majoris.

Maître Gauvin de Douglas, curé de l’église de Saint-Gilles, à Édimbourg, et David Cranston, bachelier en Théologie, échangent leurs pensées.

Gauvin se plaint des discussions de Logique ou de Physique que l’on introduit au commentaire du premier livre des Sen- lences; il est las des thèses que l’on soutient au sujet des relations, de l'intensité de la forme; il est dégoûté de questions telles que celle-ci : doit-on supposer qu'en un continu, il existe des points. [Il préfère l'étude du quatrième livre des Sentences, l’on ne traite que de Théologie.

David Cranston excuse Jean Majoris des digressions logiques qu’il introduit au premier livre des Sentences; le maître ne fait que se conformer à un antique usage. Gauvin aurait tort de croire, d’ailleurs, que ces discussions épineuses soient la cause qui détourne les écoliers de s’adonner à la Théologie. A peine ont-ils terminé l'étude des Summulæ que les jeunes Parisiens, issus de familles aisées, se ruent vers le Droit, abandonnant Logique et Théologie, et cela parce que la carrière de juriste est lucrative. Aussi, aux Collèges de Navarre et de Bourgogne trouve-t-on, pour entendre l’enseignement des Summulæ, foule d'étudiants de bonne famille; mais, à la fin de l’année, il y a si

1. Joannes Major In primum Sententiarum ex recognitione Jo. Badiü. Venundantur apud eundem Badium. Pas de colophon. Au verso du titre se trouve une épiître de Joannes Major à Georges de Hepburn; elle est datée de Montaigu, septième jour des calendes de juin 1509, et suivie de ces mots : Impressit autem jam Badius anno MDXIX. Le dialogue dont nous parlons vient aussitôt après cette épitre.

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peu de candidats à la licence que les régents s’en vont la bourse vide.

A ce moment, déjà, à l’étude des questions épineuses de Logique et de Physique qui hérissaient le premier livre des Sentences, les écoliers de Sorbonne préféraient l'explication purement théologique, et partant plus aisée, du quatrième. Très nombreux lorsqu'il s’agissait d'entendre commenter ce quatrième livre, ils étaient à peine une douzaine pour suivre l’enseignement du premier:.

Ce fut bien pis, nous apprend Jean Majoris, lorsque les progrès de la Réformation protestante contraignirent les étudiants catholiques de porter toute leur attention sur de nouveaux sujets. « La nouvelle et détestable calamité de Martin Luther, l’exécrable hérésie, » entraîne cette conséquence qu'en Sorbonne on délaisse l'examen des anciennes questions de Théologie pour s'occuper presque exclusivement d'Écriture Sainte.

En dépit de ses préférences, le vieux théologien de Montaigu

se voit obligé de sacrifier à cette mode qu'il déplore; lorsqu'il réédite ses commentaires au premier livre des Sentences, il abrège ce qu'aux premières éditions il disait de l'intensité des formes, de l'infini, de divers autres sujets relatifs aux arts libéraux. Mais ces sacrifices ne suffiront pas à sauver la Scolastique parisienne de la décadence elle va être pré- cipitée.

Nous avons entendu les cris d’alarme d’un vieillard, à la pensée de la ruine prochaine qui menace la place où, long- temps, il fut un chef respecté. Ceux qui, contre cette place,

1. Joannis Majoris Hadingtonani, scholæ Parisiensis Theologi, in Primum Magistri Sententiarum disputationes et decisiones nuper repositæ ; cum amplissimis materiarum et quæstionum indicibus seu tabellis. Vænundantur Joanni Parvo et Jodoco Badio, 1530. Colophon : Sub prelo Jodoci Badii Ascensii, communibus ejus et Joannis Parvi impensis : ad Calendas Septembres. MDXXX. Lettre, datée du Collège de Mon- taigu, 1530, de Joannes Major (sic) à Joannes Major Eckius Suevus.

In secundum Sententiarum disputationes Theologicæ Joannis Majoris Hadyngtonani denuo recognitæ et repurgatæ. Vænundantur Iodoco Badio et loanni Parvo. Colophon : Finis disputationis Joannis Majoris natione scoti et professione Theologi Parrhi- siensis penitus recognite et aucte Impresse impensis communibus Joannis Parvi et Jodoci Badii Ascensii. opera ipsius Ascensii anno domini MDXXVIII cireiter XV calendas septembris. Deo gratias, Épître de Joannes Major {sic) Hadyngtonanus à Noël Bède et Pierre Tempeste, datée: Er Collegio Montisacuti, Kal. sept. MDXX VIH,

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LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI‘ SIÈCLE 99

mènent le plus rudement l'assaut sont des transfuges; ils ont habité dans l'enceinte des murailles qu'ils veulent renverser.

Les deux plus ardents adversaires de la Scolastique pari- sienne ont fait leurs études à Montaigu; plus tard, le culte ardent des humanités n’a pu leur faire entièrement oublier, nous l'avons vu, les leçons de Mécanique qu'ils avaient reçues en cette maison. Ces deux champions de l’Anti-scolastique sont Didier Érasme de Rotterdam et Louis Vivès de Valence.

Aux Collèges de Navarre et de Bourgogne, on trouvait (c'est: Gauvin de Douglas qui nous la dit par la bouche de Jean Majoris) un grand nombre de jeunes gens de bonne famille ; mais la maison que Gilles Aycelin de Montaigu avait fondée en 1313 était l'asile des écoliers les plus gueux. On y faisait maigre chère; « Montaigu, esprit aigu, dent aigüe, » disaient les bourgeois de Paris, égayés par la mine famélique des subtils logiciens. D'ailleurs, s’il faut en croire Rabelais, le couvert y valait le vivre; oyez plutôt ce que Pinocrate en conte à Grand-Gousier :

« Seigneur, ne pensez pas que je l’aye mis au collège de pouillerye qu'on nomme Montaigu; mieulx l’eusse voulu mettre entre les guenaulx de Saint Innocent pour l'énorme cruauté et villenie que j'y ay cognue; car trop mieulx sont traictez les forcez entre les Maures et les Tartares, les meur- triers en la prison criminelle, voyre certes les chiens en vostre maison que ne sont ces malautrus au dit Collège. »

C’est en ce triste asile qu’en 1497 Didier Érasme vint, comme boursier, terminer ses études; il y contracta le germe des infirmités qui empoisonnèrent sa vie, un étrange dégoût de

certains aliments, tels que le poisson, et une répugnance non moins insurmontable pour la Scolastique.

Pauvres théologiens parisiens, régents de Montaigu, docteurs en Sorbonne, collègues de Johannes Majoris ! Écoutons ce qu'en dit la Folier, soufflée par Érasme :

« Parlerai-je des Théologiens ?.., J’ai ordonné à ma Philautie,

1. K'Éloge de la Folie, composé en forme de déclamation par Érasme de Rotterdam... Pièce qui, représentant au naturel l'homme tout défiguré par la Sottise, lui apprend agréa=

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à la Déesse Amour propre, de les favoriser plus que les autres hommes; et effectivement, ils sont ses Mignons ; comme si ces Anges corporels étaient établis dans le troisième Ciel, ils regar- dent du faîte de leur élévation tous les Mortels comme des bêtes rampantes; et ils en ont pitié; environnez d’une Troupe de définitions magistrales, de conclusions, de corollaires, de propositions explicites et implicites, ce qui compose la Milice de l’École sacrée, ils trouvent tant de moïens d'échapper que Vulcain même ne pourrait les retenir... Il n’y a point de nœu que ces Messieurs ne coupent du premier coup avec le couteau du Distinguo, couteau formé de tous ces termes monstrueux qui sont nez dans le sein de la subtilité Scolastique…

» Ils ont encore bien d’autres subtilitez plus pointuës : les instants de la Génération Divine, les notions, les relations, les formalitez, les quidditez, les eccéités, tant d’autres chimères de cette nature : je défie qui que ce soit de les apercevoir, à moins qu’il n’eût la vue assez perçante pour distinguer à travers les ténèbres les plus épaisses des objets qui ne sont nulle part...

» Ce qui subtilise encore ces très profondes subtilitez, ce sont toutes ces différentes routes de l’École : vous sortiriez plus aisément d’un labirinte, que vous ne vous débarrasseriez des enveloppes des Réaux, des Nominaux, des Thomistes, des Alber- tistes, des Occanistes, des Scotistes; ah ! je pers haleine : et cependant, ce ne sont que les principales sectes de l'École; vraiment, il y en a bien d’autres ! Combien pensez-vous qu'il y ait de science et d’épines dans tous ces partis ?

» Ces Ergoteurs sont si enflez du vent et de la fumée de leur érudition vuide, et toute verbale, qu’ils n’en démordront point : occupez jour et nuit à gouter la douceur de leur chicane, ils ne se donnent même pas le temps de lire une fois l'Évangile ou les Épitres de Saint Paul. Cependant, appliquez à ces Sotises dans leurs Écoles, ils ne laissent pas de s'imaginer que l'Église tomberoit dès qu'ils cesseroient de la soutenir, ils s’en croient les apuis et les Atlas.

blement à rentrer dans le bon Sens et dans la Raison : traduite nouvellement en François par M. Gueudeville, A Leyde, chez Pierre van den Aa, 1713. La préface d'Érasme, adressée à Thomas Morus, est datée du 10 juin 1508, pp. 177-195.

LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI‘ SIÈCLE 1O1

» Nos Éplucheurs ont la cervelle si remplie, si agitée de toutes ces fadaises, que Jupiter n'’étoit pas plus gros du cerveau, lorsque voulant accoucher de Pallas, il implora la hache de Vulcain. Ne vous étonnez donc pas si, dans les Disputes publi- ques, ils ont grand soin de se parer la tête de tant de bandes ; c'est pour empêcher, par ces liens honorables, que leur cervelle, surchargée de science, ne rompe de tous cotez. Je ne puis m'empêcher de rire... quand j'écoute ces illustres Person- nages : ils béguaïent plutôt qu'ils ne parlent; ils ne se réputent tout à fait Théologiens que lorsqu'ils savent parfaitement leur barbare et vilain jargon : il n’y a que ceux du métier qui puissent les entendre; mais ils en font gloire, disant arrogam- ment qu'ils ne parlent pas pour le vulgaire profane. C’est, ajoutent-ils, c’est avilir la dignité de la sainte Écriture, de l’assujettir aux règles de la Grammaire et aux vétilles du Purisme. Admirons la majesté des Théologiens ! À eux seuls permis de faire des fautes dans le langage ; et il n’y a tout au plus que la canaille qui ait le droit de leur disputer cette prérogative. »

Trois sentiments inspirent cette déclamation d'Érasme.

Le premier de ces sentiments est la lassitude profonde qu'a causée une dialectique subtile et pointilleuse à l'excès.

Le second est le désir de voir la Théologie délaisser l'appareil logique, inutile et compliqué, qu’elle manœuvre sans reläche comme sans fruit; le désir de la ramener aux études qui fécondent et vivifient la foi, à la méditation des Écritures.

Ces deux sentiments, déjà Johannes Majoris nous les avait montrés chez ses élèves; chez Érasme, ils ne sont peut-être pas les plus puissants inspirateurs de l’esprit anti-scolastique; un troisième sentiment lui souffle, plus violemment encore, la haine des études auxquelles on a voulu assujettir sa jeunesse, et celui-là, c’est l'horreur du style technique dont l’École fait usage, c'est le goût du beau langage et le culte de la Grammaire, c’est le Purisme.

Le souci d'élégance dont ne saurait se départir l’humaniste de Rotterdam lui a interdit de mettre, en ses diatribes, une précision exagérée; il n’a pas voulu montrer du doigt ceux

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qu'il tournait en dérision; il n’a pas expressément désigné ses maîtres et ses condisciples de Paris. Le bouillant Vivès n'aura pas de tels scrupules.

À la fin du xv° siècle et au début du xvr' siècle, les Espagnols tenaient grande place en l’Université de Paris. Nous avons eu occasion de signaler l’activité de Pedro Cirvelo, de com- menter l’enseignement que Jean de Celaya donnait à Sainte- Barbe. Jean Majoris comptait plusieurs Espagnols au nombre de ses élèves préférés. En un de ses écritsr, il cite avec affection le nom de Louis Coronel, dont les Physicæ perscrulaliones ont retenu notre attention; le nom d'Antoine Coronel, frère de Louis, auteur de nombreux écrits, et éditeur de plusieurs ouvrages du Théologien d'Hadington; enfin, le nom de Gas- . pard Lax, de Sarinyena en Aragon, qui, en 1512, fit imprimer à Paris trois livres de Logique, sur les Termini, les Obligationes et les /nsolubilia.

Comme un grand nombre de ses compatriotes, Juan Luiz Vivès, à Valence en 1492, s'était acheminé vers Paris, attiré par la grande réputation de l’Université ; il avait pris place parmi les élèves du Collège de Montaigu, il eut pour maîtres deux des disciples préférés de Jean Majoris, l'Espagnol Gaspard Lax et le Gantois Jean Dullaert. Brillant humaniste, Vivès ne sut pas supporter bien longtemps la rude discipline de ces logiciens minutieux; en 1519, nous le trouvons professeur à Louvain, d’où il accable de sarcasmes l’Université parisienne, les maîtres qui y enseignent et les leçons qu'ils y donnent. En Angleterre, il passe au sortir de Louvain, à Bruges, il revient mourir en 1540, il ne cesse de mener avec violence le combat de l’Humanisme contre l'antique Scolastique.

Pauvres logiciens de Montaigu ! Ils ne se recrutaient pas,

1. Magister Johannes Majoris Scotus. Omnia opera in artes quas liberales vocant a perspicacissimo ac famatissimo uno sactarum (sic) litterarum professore profundissimo ma. gistro Johanne Majoris, majori accuratione elaborata, atque castigata quam antehac ün lucem prodita sint majorique precio comparanda quam quispiam persolvere possit si ea ab equo judice pensiculantur. Venumdantur vero a Michaele Augier cive Cadomensi ac Religator Universitatis ejusdem juxta pontem Sancti Petri et a Johanne Mace Redonis commorante e vestigio Sancti Salvatoris sub divo Johanne Evangelista degente. Colo= phon : Impressum Cadomi per Laurentium Hostingue impensis virorum indus- triosorum Michaelis Augier prope pontem ejusdem Cadomi commorantis et Johannis Mace e regione Sancti Salvatoris Redonis residentis.

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David Cranston nous l’a dit, parmi les fils de familles aisées ; leurs examens délaissés ne versaient plus, en leur bourse plate, qu'une infime contribution de droits, et les étudiants, trouvant encore ces droits trop onéreux, s’ingéniaient à s'y soustraire; aussi nos régents vivaient-ils besogneux et loque- teux. Écoutons ce dialogue, que Vivès fait tenir: par Nugo et Gracculus :

« GraccuLus : Je tiens un sujet digne d’un poète.

Nuco : Quoi donc, n'est-ce pas un sujet digne d’un philo- sophe que tu attendais? Demandes en un à ces fameux nouveaux maîtres Parisiens.

» GraccuLzus : Pour la plupart, c'est de costume qu'ils sont philosophes, non de cerveau.

» Nuco : Philosophes de costume? On dirait plutôt des cuisiniers ou des muletiers.

» Graccuzus : C'est qu'ils portent des vêtements crasseux, râpés, déchirés, crottés, immondes et pouilleux.

» Nuco' : Ce seront donc des philosophes Cyniques ?

» GRAGGuLUS : Pis que cela! Des philosophes Punais?; ils affectent de passer pour Péripatéticiens, mais ils ne le sont pas, car Aristote, le chef de la secte, était des plus cultivés. Pour moi, si je ne puis être philosophe d'autre manière, je vais dire adieu à la Philosophie, et pour longtemps. »

Le portrait que Vivès nous trace des maîtres parisiens n’est, sans doute, guère flatté; en tout cas, il n’est pas flatteur. Les études auxquelles ces maîtres président ne lui ont pas laissé un meilleur souvenir. En un écrit qu’il compose à Louvain dès 1519, il accable ces études des plus violentes diatribes dont ses compatriotes, les maîtres espagnols, sont copieusement éclaboussés.

« De ce Paris,» dit-il5, « devrait rayonner la lumière de la civilisation la plus complète. Or, on y voit des hommes

1. Lodovici Vivis Exercitationes linguæ latinæ. Garrientes (lo. Lodovici Vivis Valen-

tini Opera in duos distincta tomos.. Basileæ, per Nicolaum Episcopium juniorem. Anno MDLV. Tomus I, p. 21. A la page 59, ces Exercitationes portent la date :

. Bredæ Brabanticæ, die Visitationis divæ Virginis MDXXX VIII).

2. [l'y a ici, sur les adjectifs cynici et cimici, un jeu de mots intraduisible. 3. Jo. Lodovicus Vives /n pseudodialecticos; cette pièce porte la date: Lovani, MDXIX (Jo, Lodovici Vivis Opera, tomus I, p. 252).

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embrasser avec acharnement la barbarie la plus sordide et, en outre, se livrer à des études qui sont de véritables monstres; tels les sophismala, comme ils le$ nomment eux-mêmes; rien de plus vain, rien de plus sot que ces études. Si, parfois, un homme intelligent s’y livre avec quelque attention, ses qualités intellectuelles vont à leur perte; ainsi des champs fertiles que l’on ne cultive pas procréent-ils une foule d’herbes inutiles. Ces gens rêvent; ils imaginent des inepties; ils inventent une langue nouvelle qu’ils sont seuls à comprendre.

» De cet état de choses, la plupart des gens instruits rejettent la faute sur les Espagnols qui se trouvent à Paris; hommes invincibles, ils gardent vaillamment la citadelle de l'igno- rance.….

»Y a-t-il, dans le langage des hommes, proverbe plus rebattu que celui-ci : À Paris, on forme la jeunesse à ne rien savoir, mais à délirer en un bavardage insensé? Dans les autres Universités, on étudie assurément quelques questions vaines et futiles; mais on apprend aussi bon nombre de choses solides; à Paris, on n’apprend que les plus creuses des balivernes.

» Ces Espagnols et tous leurs sectateurs, on devrait ou bien les contraindre de s’adonner à des sciences meilleures ou bien, par édit public, les bannir comme corrupteurs et des mœurs et de la civilisation. »

Vivès met l’enseignement de Paris fort au-dessous de celui que donnent les autres Universités; est-ce donc qu'il voudrait voir les Parisiens adonnés à l’Averroïsme, comme leurs émules de Padoue et de Bologne? Non, sans doute, si l'on en croit la violence avec laquelle il invective Averroès: :

« Dis-moi, je te prie, Averroès, qu'avais-tu donc pour ravir ainsi l'esprit des hommes ou, plutôt, pour le leur ôter? Certains auteurs ont pu entraîner beaucoup de gens par la. grâce du discours et la cajolerie des mots; mais rien n'est plus hideux, plus inculte, plus obscène, plus puéril que toi...

1. Joannis Ludovici Vivis De causis corruptarum artium liber V: De philosophiæ naturæ, medicinæ et artium corruptione; De philosophia naturæ. Pièce datée: Brugis, anno MDXXXI (Jo. Lodovici Vivis Opera, tomus 1, p. 4x2).

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Ils sont dignes de l'admiration et de la louange universelle ceux qui ont formé des âmes, ceux qui ont enseigné à bien vivre. Mais toi, rien n'est plus scélérat, plus irréligieux que toi; quiconque s’adonne avec trop de véhémence à tes préceptes ne peut manquer de devenir un impie et un athée. »

Ce que Vivès reproche à ses anciens maîtres, ce n’est donc pas leur aversion pour l’Averroïsme; cette aversion, il la partage. Ce qu'il leur reproche, en premier lieu, c'est ce dont Jean Forman se plaignait en sa conversation avec Dullaert, ce qui excitait les doléances de Gauvin de Douglas en présence de David Cranston, ce qui, très certainement, lassait et dégoûtait au plus haut point les étudiants de Paris : La subti- lité d’une Logique qui, longuement et minutieusement, analyse des problèmes purement abstraits, résout des difficultés tout hypothétiques, discute, selon le mot que Jean Majoris prête à Forman, « des cas possibles pour Dieu, mais qui n'arrivent jamais ». Écoutons les sarcasmes par lesquels Vivès fait écho aux plaintes des étudiants en Logique contre leurs régents: :

« Ce que ces gens pouvaient tirer des livres d’Aristote était fort peu de chose; maintes discussions l’avaient déjà broyé, agité, secoué à l’excès; aussi ce genre de combat semblait-il

-des plus connus, même aux conscrits; on a donc cherché une

nouvelle manière de faire la guerre et un nouveau sujet de batailles. Ils se sont mis alors à chicaner de sottes subtilités, qu'ils nomment eux-mêmes des calculs (calculaliones). C’est l’Anglais Roger Suiseth qui a donné un grand développement à ces calculs; aussi, Jean Pic avait-il accoutumé de les appeler les broutilles à la Suiseth (quisquiliæ Suiceticæ) ; c’est un nom qui leur convient fort bien; ces calculs, en effet, ne s’appli- quent ni à la science, ni à aucun usage pratique.

» Que ces subtilités n'aient aucun usage pratique, je ne vois personne qui en doute, pas même les plus grands parmi ceux qui les professent, parmi ceux que l’on estime parce qu'ils ont de ces calculs une connaissance approfondie.

1. Louis Vivès, loc, cit., pp. 412-418.

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» Quant à la science, que peut-elle être en de tels sujets si éloignés, si complètement séparés de Dieu, d’une part, du sens et de l'esprit, d'autre part? En un domaine où, fondé sur le vide, on voit s'élever un vaste édifice d’assertions et d'avis contradictoires touchant l’accroissement et le décroissement de l'intensité, le dense et le rare, le mouvement uniforme, le mouvement non uniforme, uniformément varié, non unifor- mément varié? Ils sont innombrables ceux qui, sans mesure, discutent des cas qui n'arrivent jamais, qui ne peuvent même se présenter en la nature; qui parlent de corps infiniment rares ou infiniment denses, qui divisent une heure en parties proportionnelles de telle ou telle raison, qui imaginent, en chacune de ces parties, un mouvement, ou une altération, ou une raréfaction, variant dans un certain rapport... »

_ Ces exercices logiques, ces calculs, des hommes comme Jacques de Forli les ont introduits jusque dans les études médicales, au désespoir de Louis Vivès: :

« Les chicanes et les vétilles de Jacques de Forli ne sont mi moins épineuses, ni moins inutiles que celles de Suiseth, dont Jean Dullaert nous faisait, en nos exercices de Physique, de fréquentes citations; elles ne le cèdent aux calculs de Suiseth ni en prolixité, ni en fâcheux ennui. »

Ces exercices de Dialectique ue donnent aux étudiants aucune connaissance positive; ils ne les habituent nullement à observer les faits concrets; ils ne développent pas en eux les qualités intellectuelles que requiert la pratique :

«Les jeunes gens et les adolescents que l’on a instruits à l’aide de ces discussions captieuses et épineuses ne savent rien des plantes, rien des animaux, rien des éléments ni de la nature entière; ils ne sont munis d'aucune expérience des choses de la nature, d'aucune connaissance des réalités; aucune prudence ne les soutient; leur jugement et leur conseil sont excessivement faibles, et on les admet à l'accès des honneurs ! »

Absence de toute connaissance concrète et pratique en

r. Ludovici Vivis Op. cit., De medicina (Lodovici Vivis Opera, tomus 1, p. 415),

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LA TRADITION DE BURIDAN LA SCIENGE ITALIENNE AU KV SIÈCLE 10?

l'enseignement de l’Université de Paris, caractère abstrait et idéal des problèmes traités, complication et subtilité des méthodes qui servent à les résoudre, tout cela excite la verve railleuse de Vivès; mais ce qui l’irrite au plus haut point, ce qui choque au suprême degré son goût délicat, c'est le langage barbare à l’aide duquel se donne cet enseignement; c'est à ce « style de Paris » qu'il réserve ses plus fréquentes et ses plus violentes invectives. |

« Quelle est donc, je vous prie:, cette langue dont use votre Dialectique? Du Français ou de l'Espagnol? Du Goth ou du Vandale ? Car du Latin, ce n’en est assurément pas.

» Ces hommes prétendent parler latin; or, non seulement les latinistes les plus savants ne les comprennent pas, mais il arrive fort souvent qu'ils ne s'entendent pas entre gens de même farine ou plutôt de même son. Bon nombre des mots qu'ils emploient sont inintelligibles pour tout autre que celui qui les a forgés… |

» Presque tout ce dont ces professeurs traitent à force de syllogismes, d’oppositions, de conjonctions, de disjonctions, d'explications de propositions, n’est que devinettes comme l’on s’en propose en jouant, entre enfants et bonnes femmes. »

« Cette langue: d’où barbarismes et solécismes jaillissent à profusion est la seule, paraît-il, qui se prête aux définitions magistrales des questions théologiques.

» Un ouvrage est-il écrit d’une manière un peu moins inculte? Quel qu'en soit le sujet, ces hommes sont tellement ignorants, tellement stupides qu’ils ne le veulent nommer ni Philosophie, ni Théologie, ni Droit, ni Médecine; ils l’ap- pellent Grammaire. Les Offices, les Paradoxes, les Tusculanes, les Académiques de Cicéron, c’est, disent-ils, de la Grammaire. Seuls, les écrits qu'ils composent, ces écrits qui ne sont pas soumis aux règles de la Grammaire, d’où débordent les trivia- lités de toutes sortes, ne sont pas, pour eux, de la Grammaire ; et je l’avoue bien volontiers; ce n’est ni de la Grammaire,

1. Jo. Lodovicus Vives 1n pseudodialecticos (Jo. Lodovici Vivis Opera, tomus [, P. 273). 2. Louis Vivès, loc. cit., p. 281.

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ni quoi que ce soit d'autre. Scot, Ockam, Paul de Venise, Hentisber, Grégoire de Rimini, Suiseth, Adam Goddam, Buc- kingham, ce ne sont pas des grammairiens; ce sont des philosophes et des théologiens; ils les comprennent. Maïs Cicéron, Pline, Saint Jérôme, Saint Ambroise, ils sont bannis de l’École; que les grammairiens les comprennent! »

« Pour moi, j’'éprouve envers Dieu une extrême reconnais- sance et je lui rends grâces d’avoir enfin quitté Paris, d’en être sorti comme des ténèbres Cimmériennes, d'être parvenu à la lumière, d’avoir reconnu quelles étaient les études vraiment dignes de l’homme, celles qui méritent par le nom d'Huma- nités. » if

L'Humanisme! Ce nom désigne l’ensemble de répulsions et d’aspirations qui entraînent, au début du xvi° siècle, les écoliers de l’Université de Paris! Fuir les disciplines abstraïtes parce qu’on n’en perçoit pas l'utilité immédiate, parce qu’elles requièrent une minutieuse et laborieuse précision, parce que cette précision réclame un langage technique dédaigneux de ce qui charme l'oreille; s’adonner aux études dont l'emploi est tout proche; recueillir en sa mémoire des observations concrètes dont l'acquisition ne bande pas jusqu'à la fatigue les ressorts de l'intelligence; à la langue qui fait bon marché de l'harmonie, pourvu qu'elle définisse la pensée avec une rigoureuse netteté, préférer le discours qui arrondit en périodes oratoires ou voile d'images poétiques les contours de la vérité; en un mot, délaisser la raison pour embrasser l'ima- gination qui leur semblait plus belle; tel était le rêve de maints bacheliers, en la bruyante rue du Fouarre, en l’austère Sorbonne; et pour courir à la réalisation de ce beau rêve, ils jetaient leurs cahiers, ils déchiraient les commentaires aux Summulæ de Petrus Hispanus, aux Calculationes de Suiseth, aux Senlences de Pierre de Lombard.

Si puissamment s’exerçait cet attrait de l'Humanisme que les maîtres eux-mêmes, ceux qui avaient vécu dans l'ensei- gnement de la Dialectique, éprouvaient les séductions des

1, Louis Vivès, loc. cit., p. 284.

LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 10q

études nouvelles et se désespéraient d'être trop vieux pour sy livrer : « On les entendait: donner au diable la folie qui avait entraîné leur intelligence, déplorer le temps qu’ils avaient inutilement usé à traiter ces vaines bagatelles. Bien souvent, » poursuit Louis Vivès, «j'ai entendu mes anciens maîtres, Dullaert et Gaspard Lax, se plaindre avec une pro- fonde douleur d'avoir gaspillé un si grand nombre d’années en des études aussi futiles et aussi creuses. »

Les maîtres parisiens ne s’attardaient pas tous, comme Dullaert ou Lax, à pleurer le temps et la peine qu’ils avaient donnés aux épineuses discussions de la Logique et de la Physique; résolument ils se détaurnaient de ces. anciennes méthodes pour courir avec ardeur dans les voies nouvelles; dédaigneux des connaissances péniblement acquises et minu- tieusement analysées par les docteurs du Moyen Age, leurs prédécesseurs, ils regardaient comme impur tout savoir qui n'était pas puisé à la source même et refusaient de s’en abreuver; écartant la foule des commentateurs, ils voulaient que la Métaphysique leur fût immédiatement enseignée par Platon et par Aristote; faisant table rase de toute la Théologie scolastique, ils entendaient éclairer leur foi par la seule étude des Saintes Lettres; en tout ordre de choses, ils souhaitaient de séduire l'imagination et émouvoir le cœur bien plutôt que de convaincre la raison.

Depuis longtemps, un tel mouvement avait commencé de se produire, détournant de la Scolastique nominaliste certains maîtres de l'Université de Paris; dès le début du xv° siècle, nous trouvons, à la tête de ce mouvement, les deux personnages les plus considérables de cette Université, le cardinal Pierre d’Ailly et le chancelier Jean Gerson.

L'un et l’autre s’indignent de voir les Théologiens délaisser l'étude de l'Écriture, véritable fondement de leur science, pour ne plus chercher en celle-ci qu’un prétexte à discussions purement profanes.

Pierre d’Aïlly ne reproche pas seulement à ces « Pseudo-

1. Louis Vivès, loc, cit., p. 284. Bull. ital. ; 8

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pasteurs » : leur peu de goût pour l'étude de la science sacrée, mais encore leurs habitudes d’intempérance; et les officiels Livres des procureurs des diverses nations semblent bien prouver qu’en ce point, les reproches de l’évêque de Cambrai, si brutale qu’en füt la forme, portaient juste :

Pour ces Pseudo-pasteurs, dit-il, « plus d’étude de la Sainte Écriture, plus d'entretien sur la divine sagesse; ils s'occupent uniquement de la sagesse de ce monde, qui est folie aux yeux de Dieu. Et en effet, s’il leur arrivait par hasard, à Paris, de. murmurer quelques mots touchant la Sainte Écriture, ils ne le faisaient qu’en face des plats et entre les pots, dans les dîners et les banquets;-ce n'étaient plus pensers d'esprit à jeun, mais éructations de ventre gavé. ...O quelles viles disputes sur toutes sortes de questions! O quel inutile conflit d'arguments! Là, plus souvent que de juste, la question puait le vin et la solution était gonflée de venin. On y blasphémait, on y condamnait les sentences les mieux prouvées. »

D'une manière plus précise, Jean Gerson blâme l’envahis- sement de la Théologie par les infinies subtilités de la Logique des Modernes, et ses reproches sont exactement ceux qu'en leurs doléances, les élèves de Jean Majoris reprendront un siècle plus tard :

« Pourquoi, » disait, en ses leçons sur Saint Marc?, le Chan- celier de l’Université de Paris, « pourquoi les théologiens de notre temps sont-ils traités de sophistes verbeux, à l'ima- gination déréglée? Uniquement pour la cause que voici: Ce qui serait utile et intelligible, étant donnée la qualité de leurs auditeurs, ils le laissent de côté pour s’adonner à la pure Logique ou à la pure Métaphysique, voire même à la Mathématique; alors, en un temps et en un lieu cela n’a que faire, tantôt ils traitent de l'intensité des formes, tantôt de la division du continu; aujourd'hui ils exposent des sophismes que voilent à peine des termes théologiques;

1. Domini Petri de Alliaco Invectiva contra Pseudo-pastores, écrit inédit cité par Launoy (Joannis Launoïi Constantiensis, Paris. Theologi, De varia Aristotelis in Academia Parisiensi fortuna, tertia editio, Lutetiæ Parisiorum, apud Edmundum Martinum, MDCLXII, pp. 97-98).

2, Cité par Launoy (Launoii, Op, laud., éd, cit., pp. 98-99).

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demain, ils distingueront, dans les choses divines, des priorités, des mesures, des durées, des instants, des signes de nature et autres semblables notions. Quand même tout cela serait vrai et solide, ce qui n’est point, cela ne servirait le plus souvent qu'à bouleverser l'esprit des auditeurs ou à exciter leur rire, et non point à édifier leur foi avec rectitude. »

Pierre d’Ailly et Jean Gerson accusent la Logique nomi- naliste de nuire à l'étude des Saintes Lettres; qu’à ce reproche vienne s’en joindre un autre, celui de fausser le sens des philosophes antiques, et l'Humanisme chrétien aura formulé tout son programme.

Dès la fin du xv° siècle, les Humanistes chrétiens compo- saient, à l’Université de Paris, un parti puissant dont Jacques Lefèvre d’Étaples peut être regardé comme le chefr.

Parmi les écrits de Lefèvre d'Étaples, il en est peu qui aient été aussi goûtés que ses Paraphrases des écrits philosophiques d’Aristote?. Habitués à ne connaître la pensée du Philosophe qu'au travers des commentaires, des gloses, des questions que les Grecs, les Arabes et les maîtres de l’École latine avaient multipliés à profusion, les lecteurs de Lefèvre s’imaginaient que la doctrine du Stagirite venait d’être découverte et leur était révélée pour la première fois.

Ecquæ Stagirites cœcis occlusa latebris Abdiderat, clarum sunt habitura diem

écrivait Josse Clichtove de Nieuport, docteur en Sorbonne, dans la pièce de vers dont il accompagnait les Paraphrases de

1. Sur Lefèvre d’Étaples, humaniste chrétien, voir P. Imbart de la Tour, Les Origines de la Réforme, t. II, ch. I.

2. Jacobi Fabri Stapulensis /n Aristotelis octo Physicos libros Paraphrasis. Colophon : Impressum Parisiis Anno domini millesimo quingentesimo nonagesimo secundo (Per Johannem Higman). In hoc opere continentur totius phylosophiæ naturalis para- phrases : hoc ordine digestæ. Introductio in libros Physicorum. Octo Physicorum Aristo- telis: paraphrasis. Quatuor de Cœlo et Mundo completorum : paraphrasis. Duorum de Generatione et corruptione : paraphrasis. Quatuor Meteorum completorum : paraphrasis. Introductio in libros de Anima. Trium de Anima completorum : paraphrasis. Libri de Sensu et Sensato : paraphrasis. Libri de Sommo et Vigilia : paraphrasis. Libri de Longi- tudine et Brevitate vitæ : paraphrasis. Dialogi insuper ad Physicorum, tum facilium tam difficilium intelligentiam introductorii : duo. Introductio Metaphysica. Dialogi quatuor, ad Metaphysicorum intelligentiam introdüctorii. Impressum in alma Parrhisiorum acha- demia per Henricum Stephanum in vico clausi brunelli e regione Schole decretorum. Anno Christi piissimi Salvatoris, entis entium, summique boni. 1512. Pridie Kalen- das Februarii,

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112 BULLETIN ITALIEN

son maître. Dans une lettre écrite à Paris et datée de 1504, qui accompagne certaines éditions de cet ouvrage, Marius Acquicolus d’Oliveto disait au cardinal François Soderino, évêque de Volterra : « Désormais, garde qui voudra ses Thé- mistius, ses Alexandre, ses Simplicius; Marius se contentera de son cher Lefèvre. » Ces propos ne sont nullement flagor- neries de flatteurs; ils peignent avec fidélité l’accueil enthou- siaste qu'a reçu l'écrit de l’humaniste d’Étaples.

Or, lorsque nous parcourons la Paraphrasis libri Physicorum, nous ne pouvons nous empêcher de trouver singulièrement insipide cet exposé limpide, mais incolore, du grand traité d’Aristote. Certes, les Commentaires et les Questions des Burley, des Ockam, des Buridan, des Albert de Saxe n'avaient point cette simplicité ; la pensée d’Aristote y était souvent comme enfouie sous la luxuriante végétation à laquelle elle avait donné naïis- sance; mais c’est précisément par cette poussée scolastique que la philosophie péripatéticienne devait être féconde; ces branches touffues portaient les fruits dont la science moderne devait un jour exprimer le suc. Pour dégager la souche et la manifester aux yeux de tous, l’humanisme de Lefèvre d’Étaples a brutalement arraché cette ramure embroussaillée qu'il prenait pour ronces parasites; sur le sol déblayé, il ne nous montre plus qu'un tronc desséché.

Lefèvre d'Étaples avait pour disciple préféré Josse Clichtover. à Nieuport (Flandre occidentale) en 1472, docteur en Sor- bonne, puis chanoine de Chartres, Clichtove mourut en 1543. Contemporain de Jean Majoris, il se trouva souvent aux côtés de celui-ci dans les discussions théologiques; mais, en général, en de telles disputes, Clichtove et Majoris ne tenaient pas pour le même parti; le théologien écossais défendait, nous l’avons vu, les antiques méthodes de la Scolastique parisienne ; il ne cédait que pied à pied, et de mauvaise grâce, aux exi- gences de l’'Humanisme; le théologien flamand, au contraire, s'était élancé avec ardeur dans la voie que Lefèvre d'Étaples lui avait ouverte.

1. J.-Al. Clerval, De Judoci Glichtovei Neoportuensis doctoris theologi Parisiensis et Carnotensis canonici vita et operibus (1472-1543). Thèse de Paris, 1894.

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- LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI‘ SIÈCLE 113

Clichtove avait enrichi de Scholies les Paraphrases péripaté- ticiennes de son maître; ainsi complétées, ces Paraphrases eurent une vogue extraordinaire’.

Or, au début de la Paraphrasis libri Physicorum, Clichtove avait mis une préface; en cette préface, l'auteur jugeait et condamnait les discussions d’une si pointilleuse logique auxquelles, jusqu'alors, la Physique donnait lieu dans les écoles de Paris ; à l'égard de ces discussions, il s’exprimait en termes moins violents, mais aussi sévères que ceux dont usait Louis Vivès.

« À dessein, disait Clichtove, je me suis montré sobre lorsqu'il s'agissait de discuter des questions à la façon des modernes, de secouer à tout vent des arguties contraires aux preuves éprouvées de la Philosophie; ces choses-là n’engen- drent pas la véritable science; elles engendrent plutôt un bavardage futile, un importun caquet qui abhorrent la tran- quille et modeste Philosophie et s’en éloignent; en commen- tant toutes ces petites raisons qui luttent contre la vérité des ‘sciences, on ne conduit nullement l'esprit à embrasser ces sciences en leur certitude et en leur sincérité; on l’en détourne plutôt, on le fait tomber en des discussions captieuses et sophistiques qui n’ont aucun commerce avec la véritable doc- trine ; imbus de ces discussions, les esprits des adolescents, alors qu’ils devaient être poussés à recueillir le fruit mûr des

sciences, se dessèchent entièrement et produisent en vain des herbes stériles... En ces scholies que nous avons jointes la Paraphrase de Lefèvre d’Étaples|, nous résolvons parfois, il est vrai, des questions que pose la matière même du sujet et qui méritent d’être agitées; mais nous ne les résolvons pas de cette façon barbare, rebutante et grossière que l’on voit employer de nos jours lorsque l’on veut examiner ces questions dans l’enseignement. »

1. Totius philosophiæ naturalis Paraphrases, adjecto ad litteram familiari commen- tario declarato. Selon M. l’abbé Clerval (Op. cit., p. 15), les éditions complètes, conte- nant la Paraphrasis libri Physicorum, sont les suivantes : Parisiis, W. Hopylius, 1502; H. Stephanus, 1510 et 1512; Simon Colinæus, 1521 et 1531; Pet. Vidoue, 1533; Joh. Parvus, 1539.— Parisiis et Cadomi, Fr, Regnauit et Pet. Vidove, 1525. Friburgi

Brisgoiæ, Fab. Emmeus, 1540. Lipsiæ, Jac. Thanner, 1506. Cracoviæ, J. Haller, 1510; Hier. Victor, 1518; J. Haller, 1522.

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Ainsi, dès le début du xvr° siècle, il était à l'Université de Paris des maîtres que la Scolastique nominaliste avait lassés et dégoûtés; fuyant les discussions épineuses et subtiles, les capliunculæ, les calculationes, les Suiselicæ quisquiliæ, ils se livraient aux charmes d'une Philosophie et d’une Théologie enfin humanisées ; ils n'avaient que pitié et dérision pour ceux qui continuaient à traiter ces sciences selon le modus barbarus, insulsus el crassus jusqu'alors en usage; ils se rangeaïent autour des Lefèvre d’Étaples et des Josse Clichtove auxquels allait la faveur des étudiants; ils se détournaiïent des Majoris, des Dullaert et des Coronel que, de leur côté, délaissaient les écoliers. :

Couverts d’habits râpés et la bourse vide, les malheureux logiciens de l'Université de Paris songeaient tristement en leur chaire que les élèves n’entouraient plus; ils écoutaient les moqueries dont on accablait leur science, la science qu'ils avaient acquise à grand'peine, la science à laquelle ils avaient consacré leur laborieuse vie; ils entendaient chanter les louanges d’autres études plus utiles, plus aisées, plus sédui- santes, plus humaines; d’un œil d’envie, ils voyaient le succès et la vogue favoriser ceux de leurs collègues qui avaient trahi et délaissé les vieilles disciplines pour ces nouvelles études; ils sentaient le doute qui, douloureusement, venait étreindre leur cœur, qui leur comptait les années perdues, qui leur rappelait les travaux rudes et fastidieux accomplis pour rien.

Si, du moins, leur mélancolique rêverie avait eu le loisir de se dérouler dans le silence et dans la paix! Mais l’Huma- nisme ne laissait même pas à leur tristesse ce dernier adoucissement. L'Humanisme, le délicat Humanisme, si soucieux de l'élégance de ses périodes, si craintif de la moindre incorrection grammaticale, s'était complu, pour combattre la Scolastique, à mettre en un latin très pur les plus grossières invectives. Maintenant les violences de langage ne lui suffisaient plus; contre les maîtres qu'il traquait, contre les méthodes dialectiques qu'il pourchassait, il déchaînait les charivaris menés par la gent écolière: c'est

LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 1 15

ce que l'Humanisme appelait rétablir « la solide et véritable Théologie ».

En 1521, un voyage amène Louis Vivès à Paris; de là, il écrit: à son maître Érasme, demeuré à Louvain; il lui dit la vogue et l'influence qu'ont, auprès des Parisiens, les écrits de l'Humaniste néerlandais.

Les Parisiens, dit Vivès, «vous exhortent et vous supplient de continuer à bien mériter de la vraie religion, sans vous laisser effrayer par les glapissements des ignorants... Pour eux ils ont soin qu'aux cours des discussions théologi- ques, ceux qui prennent part à la dispute ne disent pas de sornettes. Et c’est ce qui a lieu. En Sorbonne, si quelqu'un présente un argument tissu des fils d’araignée de Suiseth, on voit, aussitôt, les spectateurs froncer le sourcil; ils s’exclament, ils poussent des huées, ils chassent de l’école l’auteur de l'argument. Il en est ainsi même dans les altercations philo- sophiques; qu'il y vienne quelque diseur d’énigmes, muni d'une de ces propositions que surchargent les syncategoremala et dont l'explication réclamerait un devin d'Étrurie; une telle proposition est, d'ailleurs, en extrème faveur auprès de la populace scolastique ; aussitôt notre homme est accueilli par des cris, par des sifflets, par des huées; en grand tumulte, on le met à la porte de la salle se tient le débat. Ces faits ont : été, pour moi, un délicieux spectacle, et je suis assuré que vous vous en réjouirez en raison de l’amour que vous portez aux bonnes études. » |

« Que ne peut-on point espérer, » répond Érasme?, « puisque la Sorbonne méprise enfin les pointilleuses subtilités pour embrasser la solide et véritable Théologie ! »

Pitoyables logiciens de Paris, réduits au délaissement ou livrés aux huées! Que ne leur était-il donné de sonder l'avenir, et quel réconfort n’y eussent-ils pas trouvé! Les siècles futurs devaient se lasser bien vite de l'Humanisme:;

«

1. Epistolarum D. Erasmi Roterodami Libri XXXI, et P. Melancthonis Libri IV. Quibus adjiciuntur Th. Mori et Ludovici Vivis ÆEpistolæ... Londini. Excudebant M. Flesher et R. Young. MDCXLII. Sumptibus Adriani Vlacq. Erasmi Roterodami Epistolarum liber XVII, epist. 10; fol. 753.

2. Erasmi Roterodami Epistolurum liber XVIT, epist. 11; éd. cit., fol. 755,

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116 BULLETIN ITALIEN

les élégances latines des Érasme ou des Vivès n'étaient guère

propres à retenir longtemps la faveur des gens de goût, alors

que les langues modernes se disposaient à produire leurs plus beaux chefs-d’œuvre. En revanche, du champ labouré par les philosophes et les théologiens de Paris allait surgir la plus mer- veilleuse moisson que la Science ait jamais récoltée. Les caleu- laliones à la Suiseth, les discussions sur la division à l'infini, sur l'intensité des formes, sur le mouvement uniforme ou uniformément varié, étaient autant de graines qui devaient lever au siècle suivant et produire la Géométrie analytique, le Calcul infinitésimal, la Cinématique et la Dynamique. Ces Grégoire de Rimini et ces Jean Buridan, ces Albert de Saxe et ces Nicole Oresme que les Humanistes traitaient avec dédain, ils étaient les précurseurs de Galilée et de Descartes, de Cava- lieri et de Torricelli, de Fermat et de Pascal.

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COMMENT, AU XVI‘ SIÈCLE, LA DYNAMIQUE DE JEAN BuripaAN

S'EST RÉPANDUE EN ÎTALIE.

De cette Dynamique que l’on allait cesser d'enseigner à Paris, c’est Galilée, ce sont les amis de Galilée, comme Baliani et Torri- celli, qui allaient, avec Descartes et Gassendi, se partager l'héri- tage. Comment, du début à la fin du xvi° siècle, cet héritage allait-il leur être transmis ? Comment la Dynamique de Jean. Buridan, que Léonard lui-même n'avait pas admise en sa pléni- tude, allait-elle s’infiltrer en la Science italienne? C'est ce que nous essayerons maintenant de dire.

Cette infiltration de la Dynamique parisienne en la Science italienne s’est produite, d’ailleurs, avec une extrême difficulté et une extrême lenteur, car elle s’est faite en refoulant peu à peu les préjugés péripatéticiens.

Ces préjugés étaient bien forts et bien tenaces au milieu du xvi° siècle, et nous en pouvons citer des témoins.

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LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 117

Le premier de ces témoins est le Cardinal Gaspard Contarini (1483-1542).

Contarini avait composé un petit livre intitulé De elementis qui fut publié:, pour la première fois, en 1548, six ans après la mort de l’auteur, et qui eut, dans la suite, plusieurs éditions?.

Au livre I de son ouvrage, Contarini se demande pourquoi « tous les éléments, et tous les corps graves et légers qui se meuvent dans la direction la nature porte l’élément qui pré- _ domine en eux, se meuvent de plus en plus vite jusqu’à ce qu'ils parviennent au terme auquel ils tendent ».

La première explication que Contarini mentionne, mais pour la rejeter aussitôt, c’est l'explication donnée par les Parisiens :

« Quelques-uns attribuent à l’inpetus la cause de cet effet. [ls disent que tout cela arrive par suite d’un impetus qui croît sans cesse, que c'est pour cette raison que les corps se meuvent de plus en plus vite. Mais lorsque vous les pressez davantage et leur demandez qu'est-ce que cet impetus ? quelle sorte de qua- lité? d’où la tiennent les éléments? ou bien ils se taisent, ou bien ils imaginent quelques commentaires inexistants et que l’on ne peut comprendre. »

La seconde théorie que le Cardinal condamne est celle de Thémistius; il lui oppose l’objection qu'a élevée Richard de Middleton et, après lui, toute l’École de Paris.

Il aborde ensuite l’énumération des causes multiples qu’il pense devoir attribuer à la chute accélérée des graves; il com- mence cette énumération en ces termes :

« Aristote, au huitième livre de la Physique, traite du mou- vement des projectiles ; il chérche ce qui les meut après qu'ils ont quitté l’homme ou la machine qui les a lancés; à ce propos, le Philosophe écrit : « Il est de la nature de l’eau et de l’air, » lorsqu'ils se trouvent en leur sphère propre et naturelle, et » lorsqu'ils ont été poussés dans une direction quelconque, de » se déplacer aussitôt après cette impulsion, et par leur propre

1. Gasparis Contarini, cardinalis amplissimi, philosophi sua ætate præstantissimi, De elementis et eorum mixtionibus libri quinque. Parisiis, MDXLVIIL.

2. Celle que nous avons sous les yeux porte : Parisiis, Apud Andream Wechelum, 1564.

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» effort, d’une certaine longueur; leur mouvement est rapide » pendant un moment; puis il se ralentit peu à peu: enfin ces » corps reviennent au repos.» Ajoutez à cela que la nature éprouve une extrême horreur de l'existence d’un espace vide quelconque, qui détruirait l’unité du Monde; lors donc qu'un corps se meut dans l’air ou dans l’eau, les parties voisines de l’air ou de l’eau se précipitent derrière le mobile; poussées d’abord, elles poussent à leur tour le mobile par leur propre effort et le font avancer. » | Bien que Contarini ne nous le dise pas d’une manière formelle, il est clair qu’il se rallie à cette explication du mou- vement des projectiles par la propulsion du milieu ébranlé. C'est, d’ailleurs, à cette influence du milieu qu'il attribue l'accélération qu’éprouve la chute des graves. Il invoque deux causes pour expliquer cette accélération : d'une part, l’action propulsive de l’air que l'horreur du vide oblige à se précipiter à l'arrière du mobile; d’autre part, la diminution qu’éprouve la résistance du milieu qui se trouve à l'avant du mobile lorsque celui-ci le chasse. | « Quelques physiciens, » poursuit Contarini, «invoquent une troisième raison; la nature entière, disent-ils, est dirigée par l'intelligence; il n’y a donc rien d’absurde à ce que nous percevions parfois, dans les opérations des agents naturels, des traces de raison... C’est pourquoi, selon ces physiciens, plus un corps grave ou léger s’est müû longtemps en conformité avec sa nature, plus, par conséquent, il s’est rapproché du lieu qui lui convient, plus aussi il fait effort et pression; non pas qu'aucune qualité nouvelle ou qu'aucun poids nouveau vienne s'ajouter à sa gravité; c'est avec son même poids naturel qu'il produit un effort de plus en plus grand, de plus en plus véhément, au fur et à mesure qu'il a parcouru un plus long espace et qu'il est plus voisin de sa fin » Je crois ne devoir ni approuver ni désapprouver cette raison. Les deux causes exposées ci-dessus me semblent parfai- tement satisfaisantes ; elles me paraissent donner l'explication de tous les accidents qui se rencontrent en ces mouvements sans qu'il soit besoin d'invoquer le concours d'aucune intelli-

LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 1 19

gence ni d'aucune raison; je me contente donc de ces deux causes. »

Les Commentaires à la Physique d’Aristote composés par François Vicomercati de Milan: ne portent pas de date; dédiés à Henri IL, ils sont précédés d’une épître de l’auteur à ce roi: en cette épître, Vicomercati énumère les faits glorieux qui ont signalé le règne du souverain; le dernier événement qu'il cite est la restitution de Boulogne à la France; comme cette resti- tution fut accomplie en l’an 1550, on doit supposer que les Commentaires à la Physique d’Aristote ont suivi de près cette année. |

Vicomercati adopte pleinement?, au sujet du mouvement des projectiles, l'opinion d’Aristote ; c’est le milieu fluide, mis en branle par le moteur initial, qui continue à se mouvoir lui-même et à promouvoir le projectile. « Quelqu'un fera peut-être cette objection : Cette même force, qui est imprimée en l’air par le moteur, pourrait tout aussi bien être infusée à la pierre ou à la flèche que l’on lance, en sorte que la précé- dente explication du mouvement des projectiles ne serait pas exacte. Mais, nous l’avons déjà dit, c’est le propre de l’air et de l’eau de recevoir un impetus par lequel ces corps continuent à se mouvoir eux-mêmes lorsque le moteur initial est revenu au repos, et par lequel, en même temps qu'ils se meuvent, ils meuvent d’autres corps; ils meuvent ces derniers, d’ailleurs, non du mouvement que possédait le moteur qui les a lancés, mais du mouvement dont ces fluides se meuvent eux-mêmes. »

C’est là, déclare Vicomercati, le sens attribué par Alexandre et par Simplicius à la doctrine d’Aristote; il y ajoute l’exposé des opinions d’Averroès; il rappelle que, selon le Commen- tateur, « l'essence de l’eau et de l'air est intermédiaire entre l'essence corporelle et l'essence spirituelle ;... mais,» pour- suit-il, « ce que nous avons exposé d’après Alexandre et Sim-

1. Francisci Vicomercati Mediolanensis /n octo libros Aristotelis de naturali auscul- talione commentarii, nunc denuo recogniti : et eorundem librorum e græco in latinum per eundem conversio. Ad Henr. II. Galliarum regem.. Venetiis, Apud Hieronymum Scotum. MDLXIHT.

2. Vicomercati Commentarii in libros de naturali auscultatione, lib. VIII: éd. cit., pp. 373 (marquée 365) et 374 (marquée 373).

120 BULLETIN ITALIEN

plicius est plus solide et fournit plus aisément la solution de tous les doutes qui peuvent naître à propos de cette question.»

Vicomercati a rejeté avec la plus sommaire désinvolture la théorie du mouvement des projectiles que soutenaient les Parisiens. L'explication de la chute accélérée des graves, pro- posée par Jean Buridan, est encore moins favorisée; Vico- mercati n’en parle même pas. Contarini avait fait à cette explication une courte allusion suivie d’une non moins brève réfutation ; Vicomercati biffe cette allusion et cette réfutation ; cela fait, il reproduit :, à peu près textuellement, ce qu'avait dit le Cardinal; il. déclare admettre les deux causes « qui ont été approuvées, en son livre De elementis, par le Cardinal Contarini, cet homme qu'ont paré les sciences et une foule de vertus, ce philosophe doué d’un grand jugement et d'une science profonde. Cependant, » poursuit Vicomercati, « de ces deux explications, j'approuve surtout la première, bien que Contarini soutienne de préférence la seconde. Sans doute, à mon avis, celle-ci est de quelque poids, mais elle en a beaucoup moins que la première. » C’est donc à la diminution d'épaisseur du milieu que le grave doit traverser que Vicomercati attribue le principal rôle en l'accélération de la chute des graves; l'impulsion produite à l’arrière du projectile par l'air qui s'y * précipite en tourbillons lui paraît être d’un effet plus douteux; de deux explications inadmissibles, il s’empresse de choisir la plus sotte.

Gaspard Contarini, Francesco Vicomercati sont des esprits particulièrement routiniers; les seuls enseignements dont leur Dynamique consente à tenir compte sont ceux d'Alexandre, de Simplicius et d’Averroès. Entre ces physiciens retardataires et ceux qui admettent les doctrines plus modernes de l’École parisienne, il en est qui suivent un moyen terme; ils imitent l’éclectisme assez étrange et peu rationnel dont Léonard de Vinci a donné l'exemple; ils attribuent à un impelus impressus la continuation du mouvement des projectiles; mais à l’action de l’air ébranlé, ils demandent d'expliquer toutes les accéléra- tions, non seulement l'accélération que l’on observe réellement

1, Vicomercati, loc. cit.; éd. cit., pp. 367-368.

LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI‘ SIÈCLE 191

en la chute des graves, mais encore et surlout l'accélération imaginaire qu'un projectile éprouverait au début de sa course. Entre la pensée de ces physiciens et celle de Léonard la ressem- blance est si grande qu'il est permis de voir en celle-là un écho de celle-ci ; cette supposition est, d'ailleurs, d'autant plus vraisemblable que le premier des géomètres qui aient suivi, en cette question, les traces du Vinci est Tartaglia, un bandit des Mathématiques:; que le second est Jérôme Cardan, dont le De sublililale est nourri d'emprunts clandestins? faits à l’ami de Fazio Cardano.

En la Dynamique de Nicolo Tartaglia, on peut distinguer deux phases : l’une correspond à l’exposé que l’auteur a donné, en 1537, au cours de sa Nova scienlia; l’autre à ce qu'il enseigne, en 1546, en ses Quesili el inventioni diverse; à neuf ans de distance, le géomètre de Brescia se contredit à peu près sur tous les points.

La première Dynamique de Tartaglia, celle de la Nova scientia$, est purement péripatéticienne; on n’y perçoit aucun reflet des doctrines de Léonard de Vinci.

De ce que le choc d’un corps est d'autant plus violent que le corps tombe de plus haut, Tartaglia conclut cette propo- sition “: « Si un corps également grave se meut de mouvement naturel, plus il va s'éloignant de son principe ou s'approchant de sa fin, plus il va vile. » Au sujet de cette accélération, Tartaglia ne donne point d'explication autre que celle-ci : « La même chose se vérifie pour quiconque va vers un lieu désiré; plus il va, approchant de ce lieu, plus il se presse et s'efforce de cheminer ; comme il paraît en un pèlerin, qui vient d’un lieu lointain : plus il est proche de son pays, plus il s’efforce de cheminer de toute sa puissance, et cela d'autant plus qu'il vient d'un pays plus lointain; ainsi fait le corps grave; il se hâte

1. P. Duhem, Les Origines de la Statique, ch. IX, €. I, pp. 194-202.

2. Léonard de Vinci, Cardan et Bernard Palissy (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu’il a lus et ceux qui l'ont lu, VI; seconde série, pp. 223-245).

3. Nova scientia irventa da Nicolo Tartalea. Vinegia, Steph. da Sabio, MDXXX VII.

4. Nicolo Tartaglia, La nova scientia, primo libro, propositione prima. 11 appelle corps également grave celui qui, en raison de la gravité de sa matière et de sa figure, n’est apte à éprouver, d’une façon sensible, l'opposition de l’air à aucun de ses mou- vements (déf. 1).

122 BULLETIN ITALIEN

de même vers son propre nid, qui est le centre du Monde, et plus il vient d’un endroit éloigné de ce centre, plus il va vite en s’approchant de lui. »

Les caractères du mouvement violent s'opposent exactement à ceux du mouvement naturel : « Plus un corps également grave : s'éloigne du principe ou s'approche de la fin du mouvement violent, plus il va lentement... De là, il est manifeste qu'un corps également grave a sa plus grande vitesse au commencement du mouvement violent et sa plus petite à la fin. »

Tartaglia tire cette proposition de l'observation; il évite de traiter de la nature de l’impelus qui entretient le mouvement violent.

Le mouvement d’un projectile se décompose rigoureusement en deux périodes, une première période pendant laquelle /le mouvement est purement violent, une seconde période pendant laquelle il est entièrement naturel. « Aucun corps également grave? ne peut, pendant aucun espace de temps ni de lieu, marcher

à la fois de mou-

vement violent et

de mouvement na- lurel. »

+c Tandis que le

mobile se meut

de mouvement

violent, il décrit

d’abord une

D ligne droite AB

Fic. 2. (fig. 2), puis un

arc de cercle BC ;

en C, cet arc raccorde tangentiellement à la verticale CD

décrite de mouvement naturel; au point C, finit le mou-

vement violent et commence le mouvement naturel, la

vitesse atteint sa plus petite valeur #. A cette balistique fondée sur des principes purement péri-

B

1. Nicolo Tartaglia, La nova scientia, lib. 1, prop. II. 2, Nicolo Tartaglia, La nova scientia, lib, 1, prop. V. 3. Nicolo Tartaglia, La nova scientia, lib. II, suppos. IN, propp. IV, V, VI. ñ. Nicolo Tartaglia, La nova scientia, lib. T, prop. VI.

LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI SIÈCLE 123

patéticiens, Tartaglia apporta dans la suite des retouches qui la rapprochèrent étroitement des opinions soutenues par Léonard de Vinci, si étroitement qu'il est permis de croire à une influence exercée sur les idées du grand géomètre : par les notes posthumes du grand peintre.

En cette nouvelle balistique, contrairement à ce qu'il avait soutenu dans la Nova scientia, Tartaglia affirme ? que, hors le cas la pièce tirerait verticalement, la trajectoire du boulet n'a aucune portion rectiligne, ne fût-elle que d’un pied. Ce qui incurve la trajectoire, c’est la gravité naturelle, sans cesse agissante. La grande vitesse est la propre cause de la rectitude du mouvement; plus un corps grave est lancé rapidement dans l'air, moins il est pesant; partant, plus il va droit au travers de l’air qui soutient d'autant mieux un corps qu'il est plus léger. Plus la vitesse décroît, plus la gravité va croissant, et cette gravité sollicite sans cesse le corps et le tire vers la terre. Or, dès l'instant que le boulet quitte l’âme de la pièce, la vitesse du mouvement violent va sans cesse en diminuant, et, par conséquent, la trajectoire s’incurve de plus en plus.

Nous reconnaissons, en cette théorie, l’antagonisme et la lutte de l’inpelo et de la gravité, dont nous avons lu la descrip- tion dans les notes de Léonard. A l’imitation de celui-ci, Tartaglia invoque également une action accélératrice de l'air mis en branle. Cette action lui sert à répondre à une question ? posée par le Signor Gabriel Tadino di Martinengo, chevalier de Rhodes et prieur de Barletta :

« Le PRIEUR : Si l’on tire une même pièce d'artillerie deux fois coup sur coup, avec une même hausse, vers un même but et avec deux charges égales, les deux tirs seront-ils égaux ?

» TARTAGLIA : Sans aucun doute, ils seront inégaux ; le second coup portera plus loin que le premier.

» Le Prreur : Pour quelle raison?

1. Quesiti et inventioni diverse di Nicolo Tartalea, Vinegia, Vent. Ruflinelle, ab instantia et requisitione et a propria spese de Nic. Tartalea Brisciano autore; MDXLVI. J1 primo libro delli quesili et inventioni diverse di Nicolo Tartaglia, sopra gli tiri delle artiglierie, et altri suoi varii accidenti.

». Nicolo Tartaglia, loc. cit., quesito terzo.

3. Nicolo Tartaglia, loc, cit,, quesito quarto,— Cf, ; libro secondo, quesito primo.

124 BULLETIN ITALIEN

» TARTAGLIA : Pour deux raisons. La première est que, lors du premier tir, le boulet a trouvé l’air en repos, tandis que, lors du second tir, il le trouve non seulement tout ébranlé par le boulet lancé au premier tir, mais encore tendant forte- ment, courant au lieu vers lequel on tire. Or, il est plus facile de mouvoir et de pénétrer une chose déjà mue et pénétrée qu'une chose qui est en repos et en équilibre. Par conséquent, la balle tirée la seconde fois, rencontrant un moindre obstacle à son mouvement que la première, ira plus loin que celle-ci...»

Tartaglia empruntait peut-être ces raisonnements à quel- qu'une des notes laissées par Léonard de Vinci; peut-être aussi les avait-il conçus en lisant le traité De ponderibus écrit par ce mécanicien que nous avons nommé le Précurseur de Léonard de Vinci. On peut le croire d'autant plus volontiers qu'au septième livre des Quesili el inventioni diverse, Tartaglia a plagié la partie statique de ce traité avec une impudence que Ferrari lui a durement reprochée; on sait également que cet écrit fut publié par Curtius Trojanus d'après un manuscrit que lui avait légué Tartaglia.

Mais ce que Tartaglia ne pouvait emprunter au Précurseur de Léonard, c’est la notion d’impelo composé, si formellement niée en la Nova scientia, c'est l'hypothèse que cette compo- sition entre l’inpelus violent et la gravité naturelle est la cause de la courbure de la trajectoire, hypothèse que nul jusque-là, sauf le Vinci, ne paraît avoir conçue; si complet est le renon- cement de Tartaglia à ses anciennes idées, qu'il va plus loin que son prédécesseur; cette composition d'impelus et de gra- vité, ainsi que la courbure qui en résulte pour la trajectoire, il admet qu'on la doit considérer pendant toute la durée du mouvement du projectile. Un si soudain et si complet change- ment de front suppose quelque forte impulsion reçue du dehors: il est difficile de ne pas mettre dans les notes de Léonard l'origine de cette impulsion.

Si les opinions émises en Dynamique par Tartaglia ont, tout d’abord, présenté une grande conformité aux doctrines de l'École, pour se rapprocher ensuite des pensées de Léonard de Vinci, c’est à celles-ci que se rapportent immédiatement les

LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 129 théories développées par Jérôme Cardan:. Entre la Mécanique du grand peintre et celle du célèbre médecin, géomètre et astrologue de Milan, les rapprochements sont si nombreux, les analogies si intimes, que force nous est, bien souvent, de regarder la seconde comme un plagiat de la première.

Cardan connaît les opinions diverses qui ont été émises touchant la cause qui entretient le mouvement violent: « Donques? la première opinion est que la chose mouvée comme la pierre soit mouvée par la vertu acquise de celui qui la jette (vi acquisita a projiciente); ainsi, comme la chose échauffée du feu, après échauffe les autres choses par sa vertu acquise, et la matière demeure longtemps chaude; ainsi la chose mouvée reçoit la forcé par celle qui mouve, par laquelle l’autre est poussée tant qu'elle se repose. Cette opinion est sensible, qui a esté rejetée par l’argument des anciens, allégué d'Aristoteles. » Après avoir longuement exposé les théories qui expliquent la propulsion du projectile par le mouvement de l’air environnant, Cardan ajouteÿ : « Mais la première opinion nous est plus nécessaire, qui est simplement entendue et ne contient tant de difficultés. Et quand on suppose que tout ce qui est mouvé l’est de quelque chose, ce est très vrai; mais ce qui mouvé, c'est une impétuosité acquise (impelus acquisilus), ainsi que la chaleur en l’eau, qui est induite en l’eau par le feu outre nature, et toutefois quand le feu est osté, l’eau brule la main de celui qui la touche: et ainsi l’accident, violentement adhérent, retient sa force. »

Cardan attribue donc l'entretien du mouvement violent à un impelus acquisilus, semblable à l’impeto invoqué par Léonard de Vinci; et cet impetus, il se sert, pour en concevoir la nature, de la comparaison même dont Alexandre d’Aphrodisias usait à l’égard de la xwnzzxñ divaurs ddouévn qu'il conférait à l'air.

Comme Léonard de Vinci, Cardan distingue trois périodes

1. Hieronymi Cardani medici Mediolanensis De subtilitate libri XXI. Lugduni, apud Guglielmum Rouillium, sub Scuto Veneto. MDLI. Les livres de Hiérome Cardanus, médecin milannois, intitulés de la Subtilité et subtiles inventions, ensemble les causes occultes et raisons d’icelles, traduis de latin en françois par Richard le Blanc. Paris, Charles l’Angelier, MDLVII.

2. Cardan, De la Subtilité, traduction de Richard le Blanc, édit. cit., fol. 46, recto. 3. Cardan, loc. cit., fol. 47, verso.

Bull. ilal. 9

126 BULLETIN ITALIEN

dans le mouvement d’un projectile pesant : une première période le projectile se meut uniquement sous l’action de l’impelus acquisilus; une dernière période il n'est plus soumis qu'à la pesanteur; enfin une période intermédiaire la gravité et l’inpelus acquis violemment luttent l’un contre l’autre : « Les matières donc: qui sont jetées au loing consistent en trois mouvemens : le premier violent, le dernier du tout naturel, et le moien composé des deux autres. »

Aux deux périodes extrêmes correspondent deux portions rectilignes de la trajectoire, la première inclinée, la dernière verticale; pendant la période intermédiaire, le mobile décrit un arc de courbe : «Or quand la boule jetée? est parvenue droictement en son extrême lieu, elle ne descend en faisant la figure du cercle, ni aussi droicte- ment, mais pres- que par une ligne moyenne entre les

B

[GC deux qui repré- sente presque la ligneenvironnante d’une quatrième

L partie de cercle,

Fic. 3. comme est BC

(fig. 3); et finable-

ment aucune fois la bouts descend tout droit de C en D par le mouvement de la matière pesante. »

Avec Aristote et aussi avec Léonard de Vinci, Cardan admet$ que la plus grande vitesse du projectile n’est atteinte ni au commencement ni à la fin, mais au milieu de la course : « Car nous voions que les machines et les traits mesmement jetés de la main, donnent cous plus véhémens en quelque distance, qu'ils ne font de près, et quasi en l'artillerie. » Or, le concours de l’impelus et de la gravité ne saurait expliquer cette pré-

1. Cardan, loc. cit, fol, 49, recto. 2. Cardan, loc. cit., fol, 49, recto. 3. Cardan, loc. cit., fol. 48, verso.

_ LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI SIÈCLE 12%

tendue vérité d'observation; le mouvement «naturel est augmenté en la fin, le violent au commencement »; le passage du mouvement violent au mouvement naturel devrait donc correspondre à un minimum de vitesse. L'existence d’un maximum de vitesse entre le départ et l’arrivée du projectile ne peut s'expliquer: que par une action accélératrice de l'air ébranlé : « Car l’air au commencement n’aide point le mouve- ment, sinon que bien peu; par succession de temps, le mou- vement naturel de l'air, comme il est mouvé, est fait plus valide ;..... pourquoi par lui mesme il est nécessaire la célérité du mouvement estre augmentée. »

Cette action accélératrice de l’air ébranlé, Cardan l’a étudiée à plusieurs reprises ; dans un de ses derniers ouvrages, l'Opus novum de proportionibus?, il la décompose, comme Léonard l’avait fait avant lui, en deux autres actions: Une traction de l'air chassé à l’avant du mobile et une impulsion du fluide qui vient, en tourbillonnant, occuper la place que le projectile laisse vide derrière lui. «Il résulte évidemment. de qu’en tout mouvement soit naturel, soit violent, il se fait un certain accroissement de vitesse depuis le début du mouvement jusqu'à un certain instant. C’est pourquoi les machines de guerre de tout genre exigent une certaine distance pour que leur coup atteigne sa plus grande violence. » C’est donc à l’action accélératrice de l’air que l’on doit attribuer3 la vitesse croissante du mouvement naturel par lequel un grave tombe à terre :

« Tout mouvement naturel, accompli en un milieu homogène, est plus fort à la fin qu’au commencement; il en est au contraire du mouvement violent.

» En effet, d’après ce qui précède, le mouvement naturel est sans cesse accru par l’action du milieu ; d'autre part, la cause

1. Cardan, loc. cit., fol. 48, verso.

2. Hieronymi Cardani Mediolanensis, civisque Bononiensis, philosophi, medici et mathematici clarissimi, Opus novum de proportionibus numerorum, motuum, pon- derum, sonorum, aliarumque rerum mensurandarum, non solum geometrico more stabililum, sed etiam varis experimentis et observationibus rerum in natura, solerti demonstratione illustratum, ad multiplices usus accommodatum, et in V libros digestum ; Basileæ, ex officina Henricpetrina, Anno Salutis MDLXX, Mense Martio. Lib. V, prop. XXX.

3. Cardani Opus novum de proportionibus, lib. V, prop. XXXI.

128 BULLETIN ITALIEN

qui meul est perpétuelle, elle découle d’un principe éternel; d’après ce que nous avons dit, elle meut uniformément; ce mouvement deviendra donc à la fin plus rapide qu'il n’est en aucune autre partie de sa durée. Au contraire, dans le mouve- ment violent, lorsque le mobile approche du but, cette force qui meut le projectile prend nécessairement fin; elle est sur- passée par la force naturelle qui meut en sens contraire; avant donc que le mouvement ne cesse rate il devient, en sa partie finale, extrêmement lent.

Ce que Cardan, en l’Opus novum je proportlionibus, expliqué clairement au sujet de l’accélération du mouvement naturel permet d'interpréter un passage assez obscur que nous lisons au De sublililate; en ce passage, il s’agit de déterminer: « La cause pourquoi une navire est menée tant légèrement des voiles. Car à peine cette navire est mouvée du commencement. Pourtant Aristoteles aurait quelque doute, qui estime que les mouvemens violens sont diminués vers la fin. Il est manifeste que le mouvement de la navire est rendu toujours plus léger par vent égal... Le mouvement n'est-il point toujours, ainsi seulement jusqu’à certain limite? Il est connu qu'il est augmenté dès le commencement. Mais la cause en est, pour- ceque quand ce qui mouve cesse, le mouvement violent, comme j'ai dit, est augmenté; il sera donc d'autant plus augmenté quand la cause qui mouve demeure. »

En son De rerum nalura dont la première édition fut impri- mée à Rome en 1555, Bernardino Telesio professe une Dyna- mique qui est assez semblable à celle de Cardan, partant à celle de Léonard de Vinci.

Telesio expose: l'explication qu'Aristote donne du mouve- ment des projectiles; il ajoute tout aussitôt : « C’est une raison vaine et qui repose sur un fondement entièrement faux; les

1, Les livres de Hiérome Cardanus, médecin Milannois, intitulés de la Subtilité et subtiles inventions, traduis de latin en françois par Richard le Blanc; Paris, Charles l’Angelier, 1556, fol. 335. Ce passage n’est pas dans la première édition du De subtilitate, parue en 1551; il fut introduit dans la seconde édition, imprimée en 1554, sur laquelle fut faite la traduction de Richard le Blanc.

2. Bernardini Telesii Cosentini De Rerum Natura iuxla propria principia, Liber Primus, et Secundus, denuo editi. Neapoli, apud losephum Caccium. Anno MDLXX. Liber primus, cap. 46: Cur gravium ad inferna motus assiduè magis conciletur, Peripateticorum nulli satis explicatum est; éd. cit., fol. 32, verso.

LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 129

corps qui sont projetés violemment, en effet, semblent mus non pas, comme il plaît à Aristote de le soutenir, par l'air qui les pousse en avant, mais bien par une vis impressa. » Si la théorie du Stagirite était exacte, « tout corps par violence se mouvrait éternellement; une petite quantité d'air est suffisante, au gré d’Aristote, pour faire monter une pierre ; à plus forte raison en pourrait-elle faire autant lorsqu'elle est _ devenue beaucoup plus considérable. Il n’en sera pas de même si ces corps sont mus par une vis impressa, par un molus inditus ; plus ils s’éloigneront du moteur qui les a lancés, plus s’affaiblira d'une manière continue le mouvement de ces projectiles ; par cet éloignement, en effet, la vis impressa, le motus indilus s’affaiblissent et languissent de plus en plus. »

S'il demande à l’impetus l'explication du mouvement des projectiles, Telesio ne lui attribue aucunement l'accélération de la chute des graves; de la théorie qui lui donne ce rôle, il ne souffle mot. Quant aux diverses autres raisons qui ont été données du même phénomène, il les passe en revue et les trouve insuffisantes; celle qu’il propose comme nouvelle a de grandes analogies avec celle que Tartaglia a donnée en sa Nova scientia, avec celle aussi au sujet de laquelle Contarini suspen- dait son jugement :

« La cause pour laquelle la chute des graves n'est pas uni- forme:, pour laquelle elle va s’accélérant d’une manière continue, tous les Péripatéticiens l’ont recherchée avec grande anxiété; mais, jusqu'ici, il ne paraît pas qu'ils aient pu rendre raison de ce fait. Cette raison semble se manifester très claire- ment à l’aide des principes que nous avons exposés. La nature

propre du grave reçoit son immobilité de son lieu propre, qui est la Terre, et de l’universalité abstraite qui lui convient; mais le lieu qui lui est absolument opposé, le contact de corps qui lui sont étrangers et qui l’ont en haine, confèrent à cette nature une certaine force; elle se précipite alors vers son lieu propre, vers les corps qui lui sont apparentés; elle tombe d'autant plus rapidement que ces corps étrangers, qui la haïssent et la rebutent, accélèrent continuellement son mouve-

1. Bernardino Telesio, loc. cit. ; éd, cit., fol. 33, recto.

130 BULLETIN ITALIEN

ment afin qu’elle jouisse le plus vite possible de l’immobilité au sein des corps qui lui sont apparentés. »

Tartaglia et Cardan sont vraiment, en Dynamique, disciples de Léonard de Vinci; Telesio se rapproche du grand peintre en ce qu'il attribue à un impetus imprimé au projectile la conti- nuation du mouvement de celui-ci, tandis qu'il n’invoque pas cet impelus pour expliquer l'accélération de la chute des graves. Les physiciens qui acceptaient, à ce sujet, la doctrine des Parisiens, étaient assurément fort rares, en ‘re au début du xvi° siècle.

Il serait peut-être téméraire de prendre pour une adhésion formelle à cette doctrine l’allusion que fait Maurolycus à l’impetus créé par le poids. En sa Cosmographia, qu'il acheva le 21 octobre 1535, mais qu’il publia seulement en 1545, le savant abbé de Messine insère le dialogue suivant: :

« ANTIMAQUE : Si les graves disposaient d’un chemin qui leur permit d’accéder au centre, de quelque endroit qu'on les laissât tomber, ils concourraient en ce point.

NicomèpE : Sans doute, mais je vais vous éprouver à l’aide de cette question : Faites que la terre soit percée de part en part, comme pourrait l’être une boule de bois, d'un trou passant par le centre; dans ce trou, laissez tomber une lourde pierre; jusqu'où pensez-vous qu’elle ira ? |

» ANTIMAQUE : Ne sera-ce point au centre ?

» Nicomèpe : C’est précisément ce que dirait un homme qui ne connaîtrait pas à fond cette matière. Mais sachez que cette pierre, ainsi abandonnée à elle-même, ne s’arrêterait pas tout d’abord au centre. Emportée par l’impelus du poids, elle dépasserait le centre d’une certaine longueur et monterait vers l'hémisphère opposé; elle retomberait alors et, de nouveau, dépasserait le centre, remontant au delà d'une longueur moindre que la précédente; elle irait et reviendrait ainsi, sui-

1. Cosmographia Francisci Maurolyci Messanensis Siculi, Zn tres dialogos distineta : in quibus de forma, situ, numeroque tam cœlorum quam elementorum, aliisque rebus ad astronomica rudimenta spectantibus satis disserilur. Ad Reverendiss. Cardinalem Bembum. Venetiis MDXXX XIII. In fine : Completum opus Messanæ in freto siculo die Jovis XXI Octobris VIII indictionis anno salutis MDXXXV. quo die Carolus

Cæsar ab africana expeditione reversus Messanam venit, Venetiis apud hæredes Lucæ- antonii funtæ Florentini mense lanuario MDXLHT. Dialog, 1, pp. 15-16,

LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 131

vant un trajet qui décroîtrait sans cesse, tandis que l’impelus s'affaiblirait peu à peu, jusqu’au moment elle se reposerait, au centre. De même, un plomb suspendu par un fil que l’on a écarté de la position verticale ne revient pas immédiatement à cette position; il la dépasse, tout d’abord, d’un certain écart, puis il va et revient un certain nombre de fois; chaque fois, la force qui le meut est plus faible et l'écart plus petit; il finit par demeurer en repos dans la position verticale.

» ANTIMAQUE : Vous avez raisonné d’une manière très péné- trante et vous appuyez votre spéculation d’un exemple fort bien adapté. Je me souviens maintenant qu’en ses Colloques, Érasme de Rotterdam propose la même question. »

Maurolycus se souvenait, sans doute, d'avoir lu cette ques- tion en un autre écrit que les Colloquia d'Érasme. Le dialogue il nous la présente est tout rempli de considérations sur le centre de gravité de la terre et sur la convergence des verticales qui sont empruntées au De Cælo d'Albert de Saxe. Mais si un érudit italien pouvait sans honte, en 1535, faire allusion aux écrits de Didier Érasme, eût-il pu, sans rougir, avouer qu'il demandait ses inspirations à un traité composé, au xiv° siècle, par un scolastique de Paris?

L'année qui vit imprimer la Cosmographia de Maurolyeus vit également paraître l’immortel traité de Copernic. Il est piquant de remarquer que ce traité renfermait lui aussi une brève allusion à l’inpetus engendré par le poids: «Les corps qui sont mus vers le haut ou vers le bas, » écrit le chanoïne de Thorn', « n’accomplissent pas un mouvement simple, uniforme et égal. En eux, en effet, on ne peut régler la légèreté ou l'impetus causé par leur propre poids. Tous les corps qui tombent éprouvent, au début, un mouvement très lent; puis, en tom- bant, ils accroissent leur vitesse. » |

Les allusions à l’impelus ponderis que nous avons trouvées en la Cosmographia de Maurolycus, sans impliquer une adhésion formelle et complète à la doctrine parisienne de la chute accé- lérée des graves, nous montrent toutefois que cette doctrine n'était pas inconnue de l'Abbé de Messine.

1. Nicolai Copernici De revolutionibus orbium cælestiam libri VI; lib. I, cap. VIN,

132 BULLETIN ITALIEN

Alessandro Piccolomini, en sa Paraphrase aux Questions mécaniques d’Aristote, dont la première édition est de 1547», admet nettement cette théorie de Buridan et d’Albert de Saxe. Aristote ou l’auteur, quel qu'il soit, des Mryavxx roofiuarz avait déjà comparé’, en un corps qui tombe, la gravité (f426<) et le mouvement (9:62 ou xivroic); très vaguement d’ailleurs, il avait paru indiquer que le mouvement peut s'ajouter au poids et l’accroître; ce sont ces pensées flottantes et indécises que Piccolomini,en sa Paraphrase, interprète à l’aide de la doctrine parisienne; cette doctrine, d’ailleurs, il se garde bien d'en nommer les auteurs; à la façon dont elle est présentée par lui, on la croirait issue de la Science hellène.

Cette doctrine il l’expose, en même temps que toute sa théorie du mouvement violent, dans son XXXVII° Chapitre, consacré à l'examen de la trente-deuxième question d’Aristote.

«IT faut remarquer, » écrit Piccolomini, « qu’il y a deux sortes de pesanteurs : l'une qui a sa source dans la nature même du corps; l’autre, superficielle, que les Grecs nomment ëriréluav. Celle-ci n’est point autre chose qu’un certain impetus non permanent qui peut, ou bien s’acquérir dans le corps même müû par sa propre tendance (qui vel acquiritur in re ipsa ex suo nulu mola), ou bien être imprimé par un moteur mou- vant violemment.

» En effet, lorsqu'une pierre tend vers le bas, elle devient sans cesse plus rapide, parce que sans cesse, par suite du mouvement, elle acquiert une plus grande pesanteur (j'entends parler de la pesanteur superficielle).

» De même, lorsqu'une pierre est projetée violemment, elle reçoit une certaine gravité ou une certaine légèreté superfi- cielle imprimée par ce qui la projette. Ce n’est pas autre chose qu’un impetus accidentellement acquis, qui meut la pierre violemment et qui la rend comme mobile d'elle-même, jusqu’à ce que cet impelus vienne à s’alanguir et à s’'évanouir.… » :

Pas plus pour Piccolomini que pour Léonard de Vinci,

1. Alexandri Piccolominei In mechanicas quæstiones Aristotelis paraphrasis paulo quidem plenior, ad Nicholaum Ardinghellum Cardinalem amplissimum, Excussum Romæ, apud Antonium Bladum Asulanum, MDXLVII,

à. Aristote, Mnyavià mpoBmuara, XVIII et XX (éd. Didot, t. IV, pp. 64 et 65).

LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI‘ SIÈCLE 133

l’impetlus n’est, de soi, perpétuel : « Cette pesanteur ou légèreté superficielle ne saurait devenir durable ni parfaite, car la forme substantielle du corps qui la subit, à savoir, la pesanteur ou légèreté qui est naturelle à ce corps, s'oppose à ce qu’elle s’im- prime parfaitement et profondément. »

Ce qui affaiblit l’impetus et finit par le tuer, ce n’est pas seulement la résistance des obstacles extérieurs, c’est la gravité naturelle : « La vertu impulsive prend fin, ce qui peut arriver soit par la résistance de quelque objet qui repousse le mobile, soit par la tendance du mobile lui-même, effort qui résulte de sa propre nature et qui devient plus puissant que cette gravité ou légèreté superficielle.

« Aussitôt que la véritable pesanteur surpasse, par la puis- sance de son effort, l’inpelus que le moteur a imprimé dans la pierre, celle-ci cesse de se mouvoir violemment et, par son mouvement propre, elle tend en bas:.»

P. DUHEM. (A suivre.)

1. Piccolomini, loc. cit.; cf.: cap. XXX VIII, quæst, trigesimatertia.

LE POLITICIEN A FLORENCE AU XIV° ET AU XV: SIÈCLE :

SES MOYENS D'EXISTENCE, SES PROCÉDÉS, SES PÉRILS

ET LA RANÇON DE SES DÉFAUTS

(Suite*.)

IV

Si les tours d'adresse dans l'histoire politique de Florence sont relativement rares, c’est que les coups de force y abondent. La classe dirigeante d'Italie, qui étonnera le monde en 1859 par sa maîtrise d'elle-même dans la victoire, est alors toujours prête à verser le sang.

Passons en effet avec rapidité sur les violences de langage qui troublèrent assez souvent les assemblées de Florence. Il sera toujours difficile à des réunions nombreuses de discuter des questions brülantes dans un calme inaltérable, et les corps politiques des républiques italiennes se composaient d'un nombre formidable de membres, puisque souvent ils compre- naient tout le pays légal; on voit siéger à la fois, dans le Conseil du Peuple, à Bologne, 800 personnes en 1347, 918 en: 13672; à Florence, lorsque Savonarole eut étendu les droits politiques à quelques milliers d'hommes qui devaient les exercer tour à tour, l’ancienne salle de séances, qui contenait 830 places, dit positivement G. Cambi, 1000, semble dire Guichardin#, devient insuffisante et, dans la nouvelle, on wit 2.000 personnes et plus, 2.270 le 21 mai 1527; à certains jours, une partie des membres devait se tenir dans les couloirs ou

1. Voir le Bull. ilal., t. IX, pp. 212-226 et 304-337.

2. Historia miscellanea Bononiensis de frère Bartol. della Pagliola, au XVIII" volume des Rer. italic. script. de Muratori. ÿ

3. Cambi, 11, p. 90; Guichardin, Stor. fiorent., p. 126,

1 td soft alu T * éeli RO TE rs Sd CE ne ve: CE COPA TP PR.

LE POLITICIEN À FLORENCE AU XIV° ET AU XV° SIÈCLE 130

dans une salle voisine, il fallait qu'un deuxième bandilore allât répéter les appels du premier'. Un instant, le minimum légal des membres présents pour la validité d’une délibération fut de 800, et pour l'élection du Gonfalonier de Justice, 1.500. Tout ce qu'on pouvait demander à la loi, étant donnés ces chiffres, c'était de fixer la police des assemblées, et on y avait fait le possible?.

Ce sont donc péchés véniels que certaines tentatives d’obs- truction, certains désaccords en séance entre deux Prieurs, dont l’un somme un orateur de quitter la tribune, tandis qu'un autre lui ordonne d'y rester“. Nous n'avons pas davan- tage à nous scandaliser des efforts qu'on faisait parfois pour couvrir la voix d’un orateur en toussant, en crachant, en frottant ses pieds contre le sol pour suppléer à ces engins, pupitres, couteaux à papier, que la civilisation moderne met à la disposition de nos législateurs5. On ne voit pas qu'on ait alors imité les cris d'animaux.

Seulement, chez nous, on ne dépasse guère, ces jours-là, les gros mots; nos hommes politiques se distribuent quelques horions, mais c’est rare : ils échangent plus volontiers des cartes, et encore leur épiderme devient de moins en moins sensible. À Florence, malgré la loi qui punissait d’une peine double les violences commises dans les Conseils6, on fut sou-

1. Cambi, IV, p. 38. e

2. Voir le morceau anonyme précité du 1X° volume des Delizie qu’a réimprimé G. Capponi. C'était encore un assez bon moyen d’atténuer les chances de désordre que de punir les absents, qui, d’ordinaire, seront des auditeurs paisibles (Scip. Am- mirato, à la date de 1489; Guichardin, Stor. fior., p. 79; Cambi, II, p. 39). On donna, à un certain moment, des jetons de présence (p. xvu1 de la préface de Gherardi aux Consulte della repub. di Firenze). On avait aussi cherché à prévenir les motions impro- visées en faisant-passer les propositions par une filière (voir p. vrr-1x de la préface précitée de Gherardi; additions de Scip. Ammirato le Jeune. au XVIII‘ livre de son oncle en 1411; Don. Giannotti, Discorso sulla forma del governo di Firenze, p. 181-182 du III" volume de ses œuvres; mais il n’en résulta d'ordinaire qu’une perte de temps, de même que de l’incroyable complication des systèmes d'élection (voir un exemple qui dépasse tout dans l'élection d'un capitaine de galère, le 20 juillet 1325, chronique de Bartol. della Corazza); car le parti dominant s’arrangeait toujours pour que les divers Conseils fussent plus ou moins à sa dévotion.

3. Guichardin, Stor. fior., p. 365-366 ; Dino Compagni, 11, chap. ro.

4. Scip. Ammirato, liv. XIII, à la date de 1374; Pietro Buoninsegni, à la date de 1373.

5. Vespasiano da Bisticci, chap. 8 de la Vita di Agnolo Pandolfini ; chron. de Giov, di Jac. Morelli, à la date du 9 décembre 1529.

6. P. xvur-xvin de la préface de Gherardi aux Consulte della repub. fiorent.

136 BULLETIN ITALIEN

vent à deux doigts des pires extrémités; on y menaçait un collègue de le jeter par la croisée; les couteaux étaient tout prêts à sortir des poches:, et l’on n’essayait pas seulement d'intimider les individus, mais l'assemblée entière. En 1372, un Prieur qui trouvait un Conseil récaltcitrant, allait de banc en banc poser la terrible question : « Es-tu Guelfe? » et, sur la. réponse affirmative, obligeait l’interpellé à voter ouvertement la motion de la Seigneurie».

Dès le dernier quart du x1v° siècle, les meneurs extorquaient fréquemment le vote en reposant à une assemblée la même question un nombre indéfini de fois, jusqu’à ce qu'elle eût cédé; tantôt le Gonfalonier de Justice se faisait, vers minuit, apporter les clefs de la salle, s’asseyait dessus et jurait qu'on ne sortirait pas avant d'en avoir passé par il voulait: tantôt on faisait servir un repas à l'assemblée ou on lui signifiait qu'elle aurait le vivre comme le couvert, mais ne rentrerait chez elle qu'après capitulations.

L'apparence même de discussion disparaissait souvent. Les âmes étaient si impétueuses, la Constitution offrait si peu de résistance aux novateurs qu’on brusquait fréquemment la fortune. Personne, pour ainsi dire, ne songeait à conquérir l'opi- nion par une polémique de plume. On rencontrerait beaucoup plus de pamphlets de circonstance dans la vieille France monarchique et féodale que dans Florence démocrate et républicaine. Entre Dante, qui compose à la sueur de son front son œuvre immortelle, et d'obscurs rimeurs qui lanceront quelques pièces politiques parmi des banalités sentimentales ou descriptives, Florence n’a pas un Rutebeuf, un Eustache Deschamps, un Alain Chartier, un Gringoire“. Le peu de factums politiques que l'Italie produit alors sont surtout des Lamen- lalions qui suivent les événements, loin de les avoir amenés. C'est sans doute en raison de cette demi-indifférence à

r. Voir, entre autres, la scène décrite par Guichardin, p. 16: de sa Stor, fiorent.

2. Scip. Ammirato, liv. XIII.

3. G. Capponi, Stor. di Firenze, IV, chap.1; Cambi, 1, 136-139 ; Il, 133 ; II, 283. Ces abus n'étaient pas inconnus de la sage Venise; des dénonciations, sur lesquelles la loi ne permettait de voter que cinq fois, ce qui paraît déjà raisonnable, étaient remises

vingt fois sur le tapis. g P 4. Pétrarque, on le sait, n’entre pas dans les affaires intérieures de Florence,

LE POLITICIEN À FLORENCE AU XIV° ET AU XV° SIÈCLE 137 l'opinion publique qu'à l'heure Florence produisait les plus grands écrivains de l'Italie, elle enfanta si peu de politiques marquants ; car, entre Giano Della Bella, qui est de la fin du xrm° siècle, d’une part, et Salvestro dei Medici. Michele di Lando, d'autre part, qui brillèrent un instant en 1378, n'’aperçoit dans ses Conseils aucune figure un peu saillante; il faut attendre Rinaldo degli Albizzi et Côme l'Ancien pour trouver des hommes qui fixent longtemps le regard de l’histoire. Les Compagni et les Villani ont joué un rôle dans les affaires, mais qui le saurait s'ils n’avaient tenu une plume? Les progrès de l’artoraloire, pour lesquels d’ailleurs l'Italie, trop brillante improvisatrice, n’est pas spécialement douée, s’en retardaient d'autant. Comment l’aurait-on cultivé, alors que la première pensée d’un chef de parti, dès que surgissait une difficulté sérieuse, était de faire entrer furtive- ment dans son palais des paysans à lancer en armes sur la place, ou bien, s’il pouvait saisir un instant la majorité dans les Conseils, de faire occuper cette même place par des affiliés pour y jouer une comédie de plébiscite? Quelquefois même le parti dominant se faisait attribuer pour un certain temps le droit de {enir les bourses en main, c’est-à-dire de nommer aux offices, ou, du moins, le droit d’en réserver une partie pour des hommes plus sûrs encore que les autres, dont les noms avaient été mis à part dans le borsellino. Si le parti ennemi ne se laissait pas faire, la bataille se déchaïînait dans les rues et l'incendie s’y promenait.

Une profession exercée avec tant de fureur était naturelle- ment pleine de périls pour ceux qui s’y livraient.

Jusqu'en 1532, tant qu'un fonctionnaire était en exercice, du moins s’il remplissait les charges éminentes de Prieur, de membre des Collèges, il était inviolable, sauf pour crime d’État ou pour homicide; la première de ces deux restrictions inquiète; pourtant on y mettait généralement de la bonne foi, puisqu'on voit qu'en 1400 on attendit pour arrêter un gonfalonier de Compagnie qui conspirait, qu'il fût sorti de charge, et puisqu’à Sienne, lorsqu'en 1370 on décapite pour complot un capitaine du Peuple et un gonfalonier de Com-

138 BULLEŸIN ITALIEN

pagnie avant l'expiration de leurs pouvoirs, Orlando Malavolti s'écrie que ce fut «un horrible et pitoyable exemple »; ilest vrai que deux ans plus tard le titre de membre des Réfor- mateurs de Sienne valut seulement à un scélérat d’être déca- pité sur les fourches au lieu d’être pendu.

Mais, pour commencer par les surprises anodines, il y avait de douces violences que la rudesse des mœurs sociales com- portait. Entre Prieurs, durant les deux mois de cohabitation, l’on se faisait des niches, souvent fort malpropres, d’après les conteurs; quelquefois on les combinait de façon à rendre la place intenable à un collègue dont on voulait se défaire. Il se peut que Giovanni di ser Bernardo Carcherelli, Prieur en 1414, sous le gonfalonier Canigiani, fût, comme le préten- daient ses collègues, un mauvais sujet sous le coup d’un arrêt de la Gabelle du sel; mais il ne leur appartenait pas de le chasser; un autre Seigneur, en 1438, ne pouvant s'entendre avec le reste de la Seigneurie, s’en alla un beau matin chez lui. En 1382, dit Gino Capponi, dans son Histoire de Florence, les citoyens à qui Parte Guelfa avait rendre les droits politiques dont elle les avait arbitrairement dépouillés, n’en étaient pas moins, quand ils arrivaient à la Seigneurie, tenus à l’écart des délibérations secrètes.

Ce n'étaient que des mortifications, et, quant à la chance de mourir dans une émeute comme Corso Donati, les plus obscurs Florentins la partageaient avec les hommes publics. Mais pour ceux-ci, même lorsque les inimitiés avaient bien voulu patienter, les dénonciations, reçues tout aussi réguliè- rement qu’à Venise, et les rumeurs populaires les guettaient. Battus sur la place publique ou défaits en rase campagne, ils couraient chance d'être décapités, pendus, brülés, tenaillés, roués ou propaginés, c’est-à-dire enterrés vifs-la tête

1. Sur cette inviolabilité provisoire, voir Marco Foscari dans sa relation de 1527; Scip. Ammirato, liv. XXXI, à la date de 1532; Pietro Buoninsegni, p. 7960; Orl. Mala- volti, partie, aux dates indiquées.

2. Voir ces deux cas dans Cambi, 1, 189 et 214. Je ne compte pas ici le cor- donnier Prieur, qui essaya en vain d'échapper, en quittant la place, aux conséquences de la faillite de son frère, ibid., p. 254. Je dois dire qu'à la page 257 de Gambi les noms des Prieurs évincés en 1414 et 1438 sont rapportés à la Seigneurie de mars: avril 1447. \

LE POLITICIEN A FLORENGE AU XIV EP AU SIÈCLE 139

en bas. Le gouvernement ajoutait quelquefois l'insulte au supplice ; les Noirs choisirent, pour décapiter d'illustres Blancs, l’île d'Arno l’on exécutait les malfaiteurs vulgaires. De son côté, la foule affluait à s’étouffer ; un chroniqueur menait son fils, âgé de huit ans, à une de ces fêtes, qui, dit-il, réunissait 20.000 spectateurs; enfants, hommes faits, chefs de l’escorte funèbre enjoignaient, avec menaces aux bourreaux, de bien torturer les condamnés jusqu’à ce qu'ils poussassent des cris horribles: ; et, quand les tortionnaires ne prolongeaient pas le supplice par obéissance, ils le prolongeaient quelquefois par inexpérience, puisqu'on n'y employait pas toujours un homme du métier; avant 1398, on contraignait parfois des pèlerins à remplir l'office; puis, on y délégua, quand on n'avait pas mieux, certains prisonniers ?.

Si le politicien vaincu ou disgracié échappait à la peine capitale, il passait par des prisons infectes la charité des bonnes âmes n’arrivait pas toujours à le défendre contre la dureté, les caprices des geôliers. On a beaucoup écrit sur la question ; je me borne à dire que Romanin, qui soutient que les prisonniers étaient plus humainement traités à Venise qu'ailleurs, avoue que la puanteur des geôles placées sous le Palais Ducal montait jusqu’à l'escalier du Grand Conseil et que les puits étaient horribless.

Plus souvent encore, c'était la relégation dans une ville donnée avec obligation d’y faire constater de temps en temps sa présence, ou l'exil avec liberté de choisir son séjour, mais avec confiscation des biens et promesse d’impunité ou de récompense pour le meurtrier du banni, l’exil d’où en général on ne revenait qu’à des conditions humiliantes. A la vérité, je ne crois pas que les exilés italiens de ce temps aient autant souffert que ceux du xix° siècle contre qui la Sainte Alliance prêtait presque partout main forte; l'estime pour le talent d'un réfugié ou le désir de déplaire à ses ennemis ménageait souvent

1. Pietro Buoninsegni, p. 638, en décembre 1375 ; Sozomene, à la date du 22 décem- bre 1379; Tribaldo dei Rossi, Ricordanze, p. 288 du XXII!° volume des Deliz. degli erud. tosc., à la date de 1489.

2. Addition de Scip. Ammirato le Jeune au XVI‘ livre de son oncle, année mentionnée.

8. Op. cit., LI, 74; VL, 87.

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,

au proscrit un accueil généreux. Lapo da Castiglionchio, exilé en 1378, devenait professeur de droit à Padoue, puis agent de Carlo della Pace, puis avocat consistorial et sénateur à Rome; Agnolo Pandolfini, dépouillé de ses biens, fut recueilli par Ferdinand de Naples qui lui donna 1.200 ducats par mois; Giannozzo Manetti ne fut guère moins libéralement traité par Calixte III et par Alphonse de Naples. On sait la fortune de Luigi Alamanni à la cour de France. Puis ces exilés apparte- naient en général à de grandes familles de négociants qui avaient des comptoirs partout. C’est ainsi qu’une branche des Strozzi, sur laquelle pourtant s’acharna le parti des Médicis, se refit assez vite, chez de bons parents, une fortune comme on n’en trouvait pas beaucoup à Florence même, au point que les Médicis, moins rancuniers, plus avisés que leurs partisans, se prêtaient aux avances qu'elle ne s’interdisait point:. Il n'en reste pas moins que le parti vainqueur surveillait l’exilé dans sa retraite, lui tendait des pièges, aggravait à plaisir sa situation. Toute l'humilité du monde, que dis-je? les plus grands services rendus jadis aux proscripteurs n’obtenaient pas à des vieillards la permission de revenir mourir dans leurs pénates; non seule- ment on ouvrait leur correspondance, mais leurs compatriotes jouaient gros jeu à les visiter, simplement même à leur répondre. Leurs fils vivaient à Florence comme des juifs ou des excommuniés que tous évitent, quand ils n'étaient pas obligés de prendre à leur tour, à douze ou quatorze ans, le chemin de l'étranger, tandis que les épouses, les veuves, traitées avec quelques égards personnels, n’en voyaient pas moins accablés d'impôts les biens qu'on leur laissait.

En attendant qu’on fût frappé, on traversait d'assez fréquentes alarmes; à ouvrir un avis dans les Conseils on ne risquait pas seulement son crédit. Il y avait des propositions que, dans un moment de colère, on avait à tout jamais défendu d'émettre: malheur à qui s’avisait qu'elles étaient pourtant utiles! Encore

1. Voir la correspondance d’Alessandra dei Bardi aux dates du 16 décembre 1450, h janvier et 20 septembre 1465.

2. Voir en particulier les biographies de Palla di Noferi Strozzi et d’Agnolo Pan- dolfini dans Vespasiano da Bisticci et une scène curieuse des Mémoires de Benv. Cellini à l’année 1535.

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était-on averti; mais Naldo Naldi rapporte le cas d'une loi rétrospective de finances qui entraîna l’exil et faillit entraîner la mort de celui qui l'avait rédigée. Nous avons vu qu'une prime récompensait dans certains cas la désignation d’un candidat; mais cette désignation, si l'élu ne la justifiait pas ultérieurement, pouvait être punie d'une amende de 1.000, de 2.000 livres, En 1295, un certain Gheri Paganetti avait demandé qu'un capitaine du Peuple remboursât ses appointements depuis le jour il n'avait pas prononcé une suffisante condam- nation contre un délinquant; que Dino Compagni fàtcondamné à 200 livres pour l'avoir souffert, à 200 livres pour n'avoir pas saccagé les biens du condamné -qui n’avait pas payé en temps . utile; à 200 livres pour n’avoir pas fait condamner un autre personnage dont la culpabilité était établie; à 200 livres pour n'avoir pas fait fermer les boutiques, comme le prescrivaient les Ordinarmenti di Giustlizia, jusqu’à la punition du coupable ; à 200 livres pour n'avoir pas mis sur pied les artefici en armes jusqu'à la dite punition ; à 200 livres pour n'avoir pas fait casser le podestat coupable d’indulgence ; total 1.200 livres:. Voilà bien du fracas: c’est à se demander si Paganetti parlait sérieu- sement, et on ne lui donna pas satisfaction. Toutefois les titulaires de charges un peu relevées étaient astreints à fournir des cautions non pas seulement pour leur probité, mais pour leur bonne gestion dans tous les sens. Or, ces garanties ne ressemblaient pas aux dédits qu’on stipule fort aisément dans le monde des théâtres parce que, souvent” fort de son insolva- bilité, l'artiste ne voit dans le chiffre qu’une attestation favora- ble : en mars 1391, un châtelain qui n’avait pas bien défendu sa citadelle fut décapité et ses cautions payèrent en outre 2.000 florins ; la même chose était arrivée au temps de Matteo Villani?. Et je ne parle pas de la responsabilité particulière aux Grands dont un parent avait maltraité un bourgeois. Quiconque touchait de près ou de loin à un homme en place, c’est-à-dire tout ce qui n’était pas petit peuple, vivait toujours sous la possi- bilité d’une catastrophe. A plus forte raison, le fonctionnaire

1. M. Isid. Del Lungo, op. cit., 1, pp. 159-160.

2. Pietro Buoninsegni, p. 705; Matt. Villani, I, chap. 6

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lui-même était-il souvent contraint à des réparations pécuniaires que nos administrateurs ne connaissent pas.

L'âpreté des mœurs les exposait à d’autres périls. Un châtelain n'avait pas seulement à redouter une attaque de l'ennemi; mais un soulèvement de la population, une révolte de ses merce- naires. Les ambassadeurs avaient fréquemment à traverser des pays infestés de brigands, désolés par la peste ; en novembre 1408, au cours d’une mission à Naples, Jacopo Salviati eut à prendre part à un combat naval. Un diplomate arrive dans la ville on l’envoie, le voilà sauvé, direz-vous. Non : comme ni lui ni les hommes politiques auxquels on l’adresse ne mesurent toujours leurs paroles, le droit des gens ne lui assure qu'une demi-protection. Sans Charles IV, des ambassadeurs florentins se seraient fait un mauvais parti à sa cour. Il suffisait d’ailleurs, pour exposer le diplomate, que l’objet de sa mission déplüt: le féroce Bernabù Visconti n’est pas le seul qui ait fait avaler à un ambassadeur son message en parchemin, sceau compris.

Aussi, dans cette Florence qui paraît de loin si libre, s'obser- vait-on beaucoup. Il y avait des citoyens à qui l’on défendait d'entrer au Palais pour recommander leurs intérêts: ; il y en avait d’autres qui, craignant d’être chassés de la ville, n'osaient monter les degrés du Palais et faisaient présenter leurs suppli- ques par des tiers. C’est Vespasiano da Bisticci qui le dit dans sa biographie de Pandolfo Pandolfini; ailleurs il raconte comment Giannozz0 Manetti, exilé de Florence, puis sommé d'y comparaître, se risque à venir sur la foi d'une lettre que le pape lui a donnée, mais qu'il ne doit produire qu'en cas d'absolue nécessité, commentil insinue doucement aux hommes du jour qu'il borne ses désirs à la tranquillité dans l'exil; vous croiriez lire un interrogatoire d'émigré arrêté pendant qu'il traversait par mégarde un coin de la France, qui supplie qu'on le reconduise sain et sauf à la frontière.

M. Del Lungo a, au reste, fait le compte de tout ce qu'on n'a pas osé publier à Florence au temps de la liberté ; il a fait voir que, si sous Côme I‘ les ouvrages d'histoire ne paraissent pas

1. Voir M. Salvemini, Magnali e popolani dal 1280 al 1295, p. 212; Scip. Ammirato, Famiglie nobili fiorentine, p. 157.

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du vivant de leurs auteurs, durant la période républicaine les écrivains qui appartenaient au parti guelfeet encore à la fraction Noire de ce parti osaient seuls laisser voir leurs chroniques ; que les hommes du parti vaincu réservaient leurs Mémoires à leur famille ou les cachaient à leurs enfants mêmes; que les personnages officiels aimaient mieux raconter les guerres que le gouvernement intérieur de la république. Je ne donnerai qu'un exemple de cette prudence : Bartolommeo del Corazza, tavernier bien posé, n'inscrit rien dans sa chronique à l’année 1433 qui a vu l'exil de Côme l’Ancien, et à l’année 1434 ne mentionne: pas son rappel. Voilà un chroniqueur qui se compromettait peu!

On exagérerait certes étrangement à dire que la terreur régnait à Florence parmi les hommes en place; mais c'est uniquement pour deux motifs : d’abord la gaîté, la mobilité naturelles aux Méridionaux, puis la foi profonde qui restait encore aussi vivace dans les classes supérieures que dans le peuple. La plupart de ces gens-là entendaient la messe tous les matins, et, parmi les plus passionnés, plus d’un a risqué sa vie pour aller prier sur le tombeau du Christ; ils oubliaient vite les périls passés et ne s’effrayaient pas trop des coups que pouvait leur réserver l’avenir, parce qu'ils croyaient que rien n’est perdu pour qui meurt en la grâce de Dieu.

Mais cette réflexion ne doit pas seulement nous avertir qu'ils gardaient une sérénité relative dans les orages de la politique ; elle nous invite à rechercher si les politiciens de Flo- rence abusaient généralement des places qu’ils se disputaient avec acharnement. Cette nouvelle enquête ne leur sera pas trop défavorable.

V

Allons tout d’abord à l’article le plus délicat. Si les fonc- tionnaires de Florence n'ont en tête que le gain, ils exploi- teront sans pitié les villes sujettes. C’est précisément ce qu'ils ne paraissent pas avoir fait.

D'abord, quelques mots sur la façon dont se conduisaient

144 BULLETIN ITALIEN

en général ces fonctionnaires étrangers que, sous les noms de podestats, de capitaines du Peuple, d’'Exécuteurs, les villes libres appelaient à la tête de leur administration, et exami- nons-les à Florence pour la double raison que c’est qu'ils nous sont le mieux connus et que ce sont eux que les Florentins, qui allaient en Seigneurie, avaient eus sous les yeux. Sans doute quelques-uns nous sont dépeints comme des hommes qui s’enrichissaient à servir les haines d’an parti; mais d’abord prenons garde qu’au moyen âge l’opinion est tour à tour féroce et faible; quand elle n’insulte pas un condamné, elle s’apitoie volontiers sur lui; le mot « cruel » appliqué à des juges est alors tout simplement, on ne l’ignore pas, synonyme de justicier. Puis, en nombre de cas, nous voyons ces magis- trats étrangers, non pas servir les fureurs de la foule ou des gouvernements, mais leur tenir tête. Assurément, ils étaient aux gages de la cité qui les employait, mais une partie d'entre eux, nous l’avons dit, n’exerçaient la fonction qu'en attendant l'heure de jouer un grand rôle dans leur propre ville:. Beaucoup d’autres, au contraire, vouaient leur existence au service de villes étrangères, mais ils n’y arrivaient pas toujours en candidats exaucés ; beaucoup n'avaient point obtenu, mais accepté leur mandat. À Florence, les autorités compétentes élisaient par précaution quatre sujets auxquels on offrait successivement la place?, et dans les manuels à l’usage des fonctionnaires on trouve des formules pour la proposer, l’accepter ou la refuser. Ces fonctionnaires étaient donc vis-à- vis de leurs commettants, non sur le pied de créatures, mais sur celui d'hommes qu'on a été heureux de rencontrer. Leur ton s’en ressentait; les manuels précités leur prêtent un langage assez cassant; on les y fait engager l’administré à marcher droit vu qu’ils ne sont pas gens à se laisser mettre en affront3. En réalité, leur conduite répondait à ce langage. Podestats, capitaines du Peuple, Exécuteurs, perdus pour

1. Outre les exemples cités plus haut, voir sur Vanni di Michele Castellani une note de M. Novati, à la page 216 du II* volume de la correspondance de Salutati.

2. Voir le morceau plusieurs fois cité que G. Capponi a repris dans les Delizie.….

3. Oculus pastoralis sive libellus erudiens futurum rectorem populorum, écrit anonyme de 1222, au IV* volume des Antiquitates italicae medii aevi de Muratori. On lira des

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ainsi dire avec leur petite escorte dans des cités de 50.000 ou 100.000 habitants, maintenaient leurs arrêts en face des menaces de la Seigneurie ou de la multitude. En janvier 1324 (v. st.), l'Exécuteur a condamné, à tort ou à raison, Bern. Bor- doni ; pour sauver celui-ci, les Prieurs l’envoient en ambassade, et le frère du condamné, accompagné des massiers de la Seigneurie, va signifier à l'Exécuteur que Bordoni est absent pour le service de l’État, et qu’on ait à surseoir; les gens de la Seigneurie et ceux de l’Exécuteur en viennent aux mains; mais l'Exécuteur tient bon et condamne en outre à de grosses amendes le frère de Bernardo et plusieurs des Prieurs:. A la suite de cette affaire, Florence décida que dorénavant la Seigneurie aurait le droit de casser le podestat, le capitaine du Peuple et l'Exécuteur; c'était, comme nous dirions, supprimer l’inamovibilité de la magistrature. Florence n’en trouva pas l’'échine de ses magistrats étrangers beaucoup plus souple. En 1352 (v. st.), le podestat condamne un autre Bordoni fort bien apparenté; la famille, les Prieurs, les Collèges veulent entraver l'exécution de la sentence; le podestat rend sa baguette, insigne des fonctions qu'on ne le laisse pas exercer, et s’en va à Sienne, d’où un tumulte populaire oblige à le faire revenir avec-2.000 florins d’or d’indemnité qui ne l’empêchent point de faire tomber Ja tête de son condamné?. En 1379, le capi- taine du Peuple se trouve fort embarrassé, non pas simplement parce que la Seigneurie lui a commandé d’abord de trouver innocents, ensuite de trouver coupables quelques hommes accusés de complot, mais parce que réellement il ne démêle pas s’ils sont innocents ou coupables; il se produit une panique favorable à l’évasion des prisonniers ; seul il ne perd “pas la tête et décapite deux des accusés qui ont avoué; pour les autres, malgré les cris du peuple qui l’assiège dans son palais, il déclare qu'il ne les exécutera que s’il acquiert la modèles pour lettres d'offres de podesteries au chap. 13 du Liber de regimine civi- tatum par Giovanni de Viterbe, publié par M. Salvemini au III° volume de la Bibliotheca juridica medii aevi de M. Gaudenzi, Bologne, 1go1.

1. Leon. Bruni, Hist. fiorent., V' liv. p. 95, t’; G. Villani, IX, chap. 283; March. di Coppo Stefani, liv. VI, rubr. 382; Pietro Buoninsegni, à la date indiquée.

2. Matt. Villani, IE, chap. 55; Pietro Buoninsegni et March. di Coppo Stefani, à la date indiquée.

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preuve de leur culpabilité; alors, scène étrange, les parents des accusés les supplient de se laisser frapper pour ne pas jeter Florence dans un cataclysme, et les accusés demandent au capitaine ce qu'ils doivent avouer : « Cela vous regarde, » répond-il, «je n’ai rien à vous dire; si vous vous sentez cou- pables, avouez, je ferai justice; pour moi, je ne crains rien. » Il finit par les exécuter, mais sur leur aveu. Les gens du podestat, on l’a vu tout à l'heure, n'avaient pas plus peur que leur chef; en 1393, un gonfalonier de Compagnie les prie de relâcher bénévolement un prisonnier; naturellement ils refusent; le gonfalonier, bon politicien, crie : « C’est une insulte aux guelfes ! » phrase magique qui a tout de suite de l'écho; un

chef de milices campagnardes crie : « Vivent Guelfes! »; mais

leur parti paie à quelques jours de cette manière trop com- mode de provoquer un élargissement?. On en trouverait autant dans d’autres villes italiennes : en 1300, le podestat de Pistoja se démit parce qu’on lui refusait satisfaction pour la dispersion de ses fantassins et la mort de son meilleur cavalier; om reconnut le bien fondé de sa plainte puisqu'on lui paya ses appointements comme s’il avait fourni le temps convenu. En 1314, le peuple, à Sienne, arrache à la mort cinq malheu- reux qu’une loi barbare y condamne; il n’a pas tort, mais le podestat qui n’avait pas fait cette loi et qui était pour l'appliquer, réussit à reprendre un de ces hommes, le décapite et jette la tête et le tronc aux mutins; le jour du sindacato, il fut acquitté; car véritablement ce n'était pas lui qu'il aurait fallu condamner. À Pise, en 1376, les prières des Anciens et un soulèvement obtiennent de l'Exécuteur non pas l’impu- nité, mais un adoucissement fort léger de peine pour un délinquant.

Tant d'exemples de loyale énergie devaient faire impression sur les Florentins qui allaient exercer des fonctions analogues à quelques lieues de là. Fallait-il beaucoup plus de probité

1. March. di Coppo Stefani, liv. X, rubr, 845. En 1345, Giov, di Jacopo Martelli, signale un conflit analogue, mais n’en indique pas l'issue.

2, Page 140-141 du XVIII" volume des Delizie…..

3. Sur ces trois faits, voir /storie pistolesi, p. 15; chron. d’Andrea Dei, à la date de 1314, au XV° volume de Muratori : chron. de Marangone, col. 754-579,

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LE POLITICIEN À FLORENCE AU -XIV° ET AU XV° SIÈCLE 147

pour ne pas abuser de son pouvoir dans une ville sujette que pour en user rigoureusement dans une ville libre contre le caprice des chefs de l’État? Tout d’abord, je constate que Florence avait édicté un certain nombre d'ordonnances qui visaient la protection de ses sujets : discours périodiques, sous le nom de Proteste, des gonfaloniers de Compagnie pour rappeler tous les magistrats, y compris ceux du dehors, au devoir de rendre une exacte justice; serments prêtés par les fonctionnaires, cautions fournies par eux; ordre de rapporter, à la fin de leur office, un registre ils auraient résumé toutes les causes qu'ils auraient jugées; limitation de la durée des procès ; défense de passer la nuit hors du ressort: ; interdiction de faire du commerce directement ou indirectement?. Ces règlements, il est vrai, se retrouvent chez tous les peuples, même chez ceux qui ont le plus pillé leurs sujets. Cependant je vois que Florence entre dans le détail, qu’elle prend des précautions minutieuses dont ne s’aviseraient pas, j'imagine, des hommes indifférents, au fond, aux droits de leurs vassaux ; à Montepulciano, les actes devront tous être rédigés par les notaires du pays et à leur profit, disposition qui ne devait certainement pas agréer aux notaires qu'’amenaient avec eux les magistrats florentins puisque l’honnête Salutati, qui l'avait rencontrée à Todi, soupirait après Viterbe on ne lui ferait plus un crime du gain de sa plume. Florence paraît avoir aussi cherché à assurer le contrôle de ses fonctionnaires par des tournées d'inspection, par des {amburi ouverts aux dénoncia- tions secrètes des habitants (moyen peu recommandable, mais certainement bien intentionné), par une double reddition de comptes, la première dans la ville administrée, la seconde au siège du gouvernement#.

Certes, bien des prévaricateurs ont bravé ces mesures,

1. Annotation de Scipione Ammirato le Jeune au livre X VIII de son oncle, pour les années 1422 et 1423.

2. Voir par exemple, pour le podestat de Castiglione Fiorentino, arrêté du 10 décembre 1384, p. 57 des Capitoli di Firenze.

3. L'arrêté florentin précité est du 11 avril 13go, ibid. ; pour Salutati, voir les lettres 15, 16, 17 du 1” volume de l'édition Novati.

h. Voir au [* volume des Capitoli di Firenze, les arrêtés des 14-15 février 1352 relatifs à S. Gemignano, du 4 janvier 1385 touchant Arezzo; et au |" volume des

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éludé ces sanctions, mais moins qu'on n’eût pu le craindre; car l'opinion publique tenait certainement plus de compte à Florence que dans la Rome antique de l'équité due aux vassaux. Le christianisme y est pour beaucoup; mais la fraternité du sang y est pour quelque chose; on se détestait fort entre villes italiennes, quand on ne s’aimait pas; c'est ce qui arrive toujours entre parents; mais, quand on ne se détestait pas, on s’aimait. Les villes toscanes, en particulier, se sont fait une guerre sanglante ou perfide, mais souvent elles intervenaient dans les affaires les unes des autres pour s’entr'aider. C’est afin de le démontrer que nous insistions tout à l'heure sur les efforts que souvent une d’entre elles faisait pour ne pas abuser des circonstances qui en mettaient une autre à sa discrétion. Pise, comme Florence, a plus d’une fois envoyé des magistrats chevaucher à travers son domaine pour redresser les torts des fonctionnaires. Les biographes appuient particulièrement sur le désintéressement, l'équité des administrateurs que Florence envoie au dehors, et leurs louanges persuadent parce qu'elles visent des faits précis. Giannozzo Manetti, disent-ils, membre d’une Commission chargée d’imposer les sujets de sa patrie, décida ses.collègues à procéder avec tant de justice que les contribuables, tout en payant à contre-cœur, n’émirent pas une plainte; vicaire à Pescia, il refusa la provision de bois préparée pour lui sur la place. Bartolommeo di Fortini, à Borgo $S. Sepolcro, se fit donner la liste des habitants, les convoqua un à un et tâcha de déterminer ceux qui n'avaient pas de profession à en prendre une pour éviter les conséquences de l’oisiveté. Donato Acciajuoli restitua par testament aux communes qu'il avait administrées la partie d’appointements qu’il avait indûment touchée pour certains auxiliaires qui n'avaient figuré que sur le papier?.

Il ne faudrait pas peut-être attacher trop d'importance aux

Documenti degli archivi toscani, un arrêté du 30 décembre 1398 concernant la même ville, Un arrêté des 21, 30 et 31 mai 1392, prenant en considération l’appauvrisse- ment de la commune de Foiano, réduisit de 200 florins d’or à 120 les appointements qu’elle donnait à son podestat (page 428 du volume des Capitoli di Firenze).

1. Par exemple, en 1353, colonne 715 de Marangone.

2. Voir la vie latine de Manetti, par Naldo Naldi au XX' volume de Muratohi celles du même, de Fortini et de Donato Acciajuoli, par Vespasiano da Bisticci,

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_ politesses des villes à l'endroit de leurs administrateurs ; elles consentaient à tenir leurs enfants sur les fonts, elles leur offraient à cette occasion des cadeaux, quelquefois considé- rables; ils recevaient souvent leurs armoiries en prenant congé d'elles; mais ces gracieusetés, que Florence, au reste, ne permettait pas toujours, pourraient avoir été sollicitées. Par contre, il est manifeste que les Florentins qui ont passé par les charges du dehors tiennent à établir, quand ils racontent leur vie à leurs familles, non pas qu’ils ont soutenu avec vigueur les droits de la cité dominante, mais qu'ils ont ménagé et au besoin défendu contre elle ceux des cités vassales. Bonaccorso Pitti nous dit qu'il s’était opposé, en 1399, par ses paroles et par ses actes, à ce que Florence envoyäât un podestat à Pistoja; qu'il avait affirmé que c'était enfreindre ses privilèges; Florence ayant passé outre, il fut envoyé à Pistoja comme capitaine; mais, le jour Florence le somma de lui livrer un voleur qu'il avait arrêté, il refusa au nom des franchises de la ville et, menacé d’exil, ne céda qu'avec le consentement de Pistoja qu'il avait consultée; podestat de Montepulciano en 1419, il condamna un Siennois pour expor- tation illicite de grains; le Siennoiïs intéressa à sa cause ses compatriotes et les Ricasoli, ennemis personnels de Pitti; à leur instigation, Florence ordonna Île retrait de la sentence; Pitti résista, fit envoyer par les gens de Montepulciano des ambassadeurs à Florence, leur conseilla de réclamer de la Seigneurie la convocation des Collèges: Florence refusa, mais il fallut la menace d’une amende de 1.000 florins d’or pour décider Pitti à céder. En 1409, Jacopo Salviati, capitaine d’Arezzo, fit, sur un complot, une enquête que Florence _trouva trop indulgente, et lui, de son côté, il déclare qu’elle condamna à la décapitation un acéusé fort peu coupable et relaxa des personnages plus dangereux. Rinaldo degli Albizzi, podestat à Prato, s'entend dire par un voiturier détenu pour dettes : « Je paierais bien mes créanciers si l’on me payait mes _ propres créances ; mais j'ai affaire à un homme de telle consé- quence que les petits ne peuvent pas m'aider contre lui, et les grands ne veulent point; vous ne voudriez pas vous-

190 BULLETIN ITALIEN

même, si vous saviez qui c’est. » C'était le père de Rinaldo, le puissant Maso. Aussitôt, Rinaldo fait saisir et vendre les mules de son père et paie le voiturier:.

Quand un calcul d’ambition intelligente se serait mêlé à tous ces actes de vigueur comme à la protection que Côme l'Ancien accordait à Volterra, les villes n’en profitaient pas moins. Mais il restait assez de vertus civiques pour qu'on n’attribue pas tout à une arrière-pensée. Florence, pour son malheur, avait renoncé aux armées nationales, mais les hommes publics qu’elle envoyait aux armées en qualité de commissaires pour surveiller les condottieri, se trouvaient, du jour au lendemain, comme nos Représentants de 93, posséder la bravoure du soldat. Le fameux Ferruccio qui, en 1530, illustrera la chute de la république florentine, avait reçu l'éducation militaire, mais combien d’autres allaient direc- tement du palais de la Seigneurie aux armées! Veri Guadagni;, dans des opérations militaires près d’Arezzo, fait vaillamment, efficacement son devoir et tombe mortellement blessé; un Frescobaldi, prisonnier, meurt dans les tourments plutôt que de révéler les secrets de l’État; le célèbre Pier Capponi, celui que Charles VIIT n’avait pas intimidé, mourut à l'ennemi”. En 1484, au siège de Pietrasanta, le commissaire Antonio Pucci dit au condottiere qui hésitait : « Donnez-moi votre cuirasse; j'irai combattre à votre place. » Le capitaine se décide à marcher; après la victoire, Pucci va visiter, embrasser les blessés, provoque et satisfait les demandes d'argent, si bien que les soldats se seraient jetés au feu pour le Marzocco; trois semaines après, il meurt d’épuisement; un de ses collègues succombe aussi et un autre n'en vaut guère mieux. Un peu plus tard, Biagio del Melano, ne pouvant sauver un château dont il avait la garde, jette par-dessus les murs les objets moelleux qu’il peut rassembler, laisse tomber dessus ses enfants, dont l'ennemi a pitié, et se laisse brûler pour ne pas

1. Scip. Ammirato, Delle famiglie nobili fivrentine, p. 36.

2. Scip. Ammirato, Stor. fior., liv. XIX, années 1426, 1428; XX VII, année 1496 : chron. de Giov.di Jac. Morelli au XIX‘ volume des Pelizie, à la date du { janvier 1 4a7s Landucci, 26 septembre 1496.

3. Cambi, Il, p. 25-27.

LE POLITICIEN A FLORENCE AU XIV° ET AU XV° SIÈCLE 11

se rendre. Quant à Rinaldo degli Albizzi, il suffit de connaître son rôle et son langage d'homme d’État pour deviner qu’il se battait comme un troupier de profession. Remarquez que ces hommes ne font pas seulement bonne contenance devant des périls inaccoutumés, ce qui est déjà fort beau; ce sont des entraîneurs ; et qu'on ne dise pas que l’habitude de la parole devait les y servir! La pratique de la tribune prépare mal à se faire suivre au feu : ici, c'est le caractère qui fait tout. Certains commissaires ou châtelains de Florence n’ont pas su s’impro- viser militaires, mais ils en rougissaient; d’eux d’entre eux, après avoir rendu beaucoup trop tôt une forteresse, n’osèrent pas rentrer dans leur patrie, et l’un d'eux, dit-on, se noya de désespoir :.

L'indélicatesse de quelques comptables n’empêchait pas le Trésor de veiller sur l'argent de l'État. On créait de temps en temps des places inutiles; mais on n’augmentait guère les traitements. On épluchait soigneusement les comptes. Nous avons vu qu'on fixait souvent à l'ambassadeur le nombre de jours qu'il devait employer à sa mission : ce n’était pas une manière de parler; il devait jurer qu'il était parti à telle date, revenu à telle date; s’il demeurait en mission au delà du terme fixé, c'était à ses frais, à moins qu’il n’eût obtenu l'agrément de la Seigneurie; cet agrément, il fallait le demander d'avance, et la Seigneurie ne l’accordait que difficilement, et seulement si elle était bien convaincue que l'intérêt de l'État l’exigeait; autrement, tout ce que les diplomates obtenaient, c'était l'autorisation de retarder le retour suivant leur conve- nance, mais sans que les honoraires s’en accrussent d’un denier?. Au contraire, avaient-ils expédié leur tâche plus vite qu’on n'avait supposé, ils n’en étaient que mieux venus, mais on leur faisait rembourser le traitement afférent aux jours qu'ils n'avaient point passés au dehors. Si, dans la contrée on les envoyait, une cherté imprévue les avait obligés à dépenser plus que leurs honoraires, tant pis pour eux! Gian- nozz0 Manetti eut beau représenter à Côme l'Ancien qu'il avait

1. Scip. Ammirato, Liv. XX VIE, à la date de 1502. 2, P. 306 du [°° volume des Commissioni di R. degli Albizzi,

152 BULLETIN ITALIEN

pour ce motif laissé beaucoup du sien dans une mission à Rome; on ne lui concéda aucun supplément. Mais il s'agissait d’un homme qu'on se préparait à persécuter. Réponse : les comptes des personnages les plus en crédit subis- saient un examen rigoureux. Témoin, Rinaldo degli Albizzi, à l'époque sa maison gouvernait Florence, lui-même il était chargé, à chaque instant, des affaires les plus délicates. Les 2 et 8 novembre 1421, il sollicite du gouvernement, pour lui et ses collègues d’ambassade, qu’on prolonge le terme de soixante jours qui leur avait été assigné et dont ils prévoyaient l'insuffisance; le gouvernement répond ne pas comprendre comment ils ne sont pas encore à Naples, but de leur voyage, alors que, de leur propre aveu, d’autres voyageurs s’y sont rendus en ce moment même avec sécurité; il leur enjoint de se mettre en route sur-le-champ, vu que le délai ne sera pas prolongé. Ce n’est qu’à force d'insistance, et quand Rinaldo a dit: « Rappelez-nous ou payez-nous..., notre bourse n'en peut plus, » que le gouvernement décide qu’il paiera le mois de décembre, au cours duquel venait d’expirer le délai primitifs. On ne se contentait pas du serment rappelé tout à l'heure; on surveillait le départ effectif des ambassadeurs et celui de Rinaldo comme des autres. En 1426, on le désigna pour une mission à Venise et en Hongrie; il était souffrant et hésitait à partir ; il s’y décida pourtant, mais on ne lui délivra pas ses papiers, pour le jour fixé; néanmoins, afin d'éviter la lourde amende qu'il aurait encourue, il fit soigneusement constater que ce n'était pas sa faute s’il ne partait pas ponctuellement; l’année précé- dente, où, pour une ambassade à Rome, l'argent et les papiers n'avaient pas non plus été prêts à temps, mais proba- blement il se portait mieux, il avait par précaution joué une vraie comédie; il était parti ostensiblement, l'avait fait constater par un notaire, était rentré par une autre porte et s'élait caché pendant trois jours pour laisser aux autorités le temps de s'aper- cevoir de leur distraction qui innocentait sa fausse sortie?. Tout comme un autre, il était astreint aux remboursements; en

1. Lettre du 19 décembre 1421, dans les Commissioni di R. degli Albizzi. 2. 1bid,, à la date du 4 octobre 1426, et p. 554-555 du IIe volume,

LE POLITICIEN À FLORENCE AU XIV° ET AU XV° SIÈCLE 153

1422, n'étant resté en roule que vingt-deux jours, il reversa au Trésor les honoraires de trois jours qu'il avait touchés en plus; en mai 1423, n'ayant employé à un autre voyage que sept jours au lieu de huit, il remboursa les honoraires du jour économisé. Quand la Seigneurie, en mars 1403, lui avait confié une mission à l'insu des Dix de Balie, qu’elle eût prévenir, les Dix, piqués, avaient refusé d’ordonnancer la dépense, et Rinaldo n’était pas rentré dans ses débours.

Nous avons vu que les Seigneurs invitaient trop de monde à dîner; il n’en faudrait pas conclure que leurs dépenses quotidiennes de bouche fussent considérables; car le registre en était minutieusement tenu, ce qui ne va guère avec la prodigalité ; à la fin du xiv° siècle et au début du xv°, ils man- geaient les jours ordinaires peu de poisson de mer, beaucoup plus de veau que de bœuf (le bœuf encore aujourd'hui est beaucoup moins commun en Italie que le veau); on achetail pour eux le vin en détail et par petites quantités; ils s’éclai- raient avec des chandelles, réservant la bougie pour leur cha- pelle, et mangeaient dans des assiettes de bois; leur argenterie, qui servait aux jours de réception, se composait de 2/4 assiettes. ko cuillères, 43 fourchettes; ajoutez 12 couteaux à manche d'argent, de sorte que, dans les grands jours, il fallait emprunter de la vaisselle, du linge et de la batterie de cuisine:.

Cette comptabilité rigoureuse d’aucuns trouveraient une pointe de ladrerie et qui mérite pourtant le respect, fait penser au gouvernement de Louis-Philippe ; des deux parts, le Trésor est administré par la classe qui a le plus contribué à le remplir, et par des négociants, donc par des hommes qui veulent et savent faire les choses au plus juste prix. Mais cette régularité financière qui, sauf des cas précis et qu'ont multi- pliés les inimitiés politiques, ne fait pas acception de per- sonnes, s'explique aussi par l'esprit républicain qui, à Florence, ne périra que sous les ruines du siège de 1529-1530. Malgré les fréquents recours à la violence, un certain respect de la léga-

1. Voir M. Curzio Mazzi, La mensa dei Priori di Firenze nel secolo X1V, au XX*° volume de la série de l’Arch. stor. ital.

19/4 BULLETIN FTALIES

lité subsistait; pour faire triompher sa volonté par la force, il fallait avoir pour soi la Seigneurie et moins encore se risquer à la contraindre qu'’attendre le moment le sort, plus ou moins aidé, la composerait d’hommes favorables au coup de main projeté; pour se faire suivre de la foule, il fallait un gonfalon officiel. Au fond, Florence avait déjà pris l'habitude d’'obéir, mais plutôt à un parti qu'à un homme. Les Albizzi, les Médicis faisaient ce qu'ils voulaient, mais en tant que c'était aussi la volonté de leur parti; leurs désirs propres ne prévalaient pas toujours. Ils ne tiraient pas d’exil qui bon leur semblait. Un Strozzi écrit à sa mère que les Médicis le rap- pelleraient volontiers, lui et ses frères, mais qu'un des Huit s’est écrié : «J'ai contribué à les faire chasser de Florence et je ne veux pas contribuer à les y ramener, » ce qui a empêché les Médicis de provoquer un vote:. Dira-t-on que les Médicis avaient inspiré cette résistance? Ce pourrait bien être une calomnie; car on ne votait pas toujours sur mot d'ordre. Au moment Giannozzo Manetti essuyait les traitements les plus pénibles de la part du gouvernement, il fut élu des Dix de Balie à la presque unanimité; des mesures qui déplaisaient aux Médicis, comme le cadastre de 1458, passaient néanmoins ; on leur accordait souvent de nommer aux fonctions, mais plus d’une fois, sous Côme l'Ancien, sous son fils Pietro, l'opinion obligea à en revenir au tirage au sort. Vaine apparence, dira-t-on; tout le monde savait qui le sort dési- gnerait puisque l’urne la plus sûre du monde ne peut rendre que ce qu'on lui a confié. Il y eut, en effet, des super- cheries; mais il faut bien admettre que le public croyait au libre jeu du hasard puisqu'il pariait sur les élections et qu'il s’ensuivait des procès qu'une loi du 11 décembre 1563 assigna à la compétence des Huit?. Bon, répliquera-t-on, ce n’était pas le secret de Polichinelle, mais dans le monde politique on

1. Lettre de Lorenzo Strozzi, du 5 février 1464, dans la correspondance d’Alessandra

dei Bardi,

2, Voir Manni, Sigilli, page 133 du XXIV* volume, cité page 237, note 2, du VII‘ volume du Giornale degli archivi toscani. A Venise, en 1612, il se tenait de semblables paris chez l'ambassadeur d’Espagne, au sujet des élections faites dans le Grand Conseil; l'ambassadeur avait mème autorisé une banque à cet effet (Romanin, op. cil., VI, p, 105-106),

LE POLITICIEN A FLORENCE AU XEV° ET AU %V° SIÈCLE 159

était au courant. Parfois oui, mais parfois non, puisqu'en 1465 Alessandra dei Bardi, à qui sa disgrâce n'avait pas Ôté ses relations et qui surveillait toutes les oscillations de la poli- tique, annonçait le tirage des Prieurs, en personne qui n'avait rien su paf avance!. Bien mieux, le 6 novembre 1426, Rinaldo degli Albizzi, bien placé, on l’avouera, pour tout savoir, demande qui le sort vient de désigner pour la Seigneurie, et, le même mois, Niccolù da Uzzano, autre fort grand person- nage, lui écrit espérer que les nouveaux Seigneurs serviront bien la commune, à quoi Rinaldo répond le 9 qu'il en est heureux’. Dans des lettres confidentielles, ce n'est pas le langage d'hommes qui mettent la main dans l’urne à coup sûr.

L'esprit républicain était lui-même soutenu par quelques vertus républicaines. Le Florentin, même dans les hautes classes, demeurait d'ordinaire frugal. Les femmes riches s’ha- billaient depuis longtemps avec luxe, mais on ne déployait guère de faste que dans les grandes circonstances. . Les palais proprement dits ne s’élevèrent qu’au milieu du xv° siècle; jusque-là les grandes familles ne s'étaient bâti que des forteresses, et Côme l'Ancien qui le premier s'en construisit un y rencontra de la difficulté. Les jeux de hasard étaient surtout le fait des oisifs. Beaucoup de grands person-

‘mages pratiquaient le concubinage et même pis, mais ils

cachaient plutôt qu'ils n'étalaient leurs désordres. Avant Laurent le Magnifique, la galanterie des poètes demeurait platonique; les femmes de condition, sous leurs atours, restaient pures, même simples et naïves; leurs maris ne péchaient guère qu'avec des femmes du peuple ou des esclaves dont le nombre était encore considérable en Italie. Le titre de maîtresse d'un grand personnage ne sera révendiqué que plus tard. Un curieux témoignage montre le souci qu'avait l’opi- nion publique d’être respectée. Outre ses périls, la vie d’un podestat n'était pas gaie; on lui interdisait d'amener sa femme et ses enfants, on lui conseillait de ne pas dîner chez les parti- culiers, de ne pas emmener ses employés dans ses prome-

1. Page 538 de sa correspondance, 2, Commissioni di R. degli Albizzi, aux dates indiquées.

156 BULLETIN ITALIEN

nades, et on lui interdisait les distractions de l’inconduite:; seulement un poète laissait échapper en latin que le grave personnage pourrait se consoler sans bruit’; la décence ne voulait pas être bravée. Ce poète écrivait en 1222, mais jusqu’à une époque fort tardive, la pudeur publique ne fut offensée à Florence qu'en paroles. On dit que vers 1510, c’est-à-dire à une époque de son existence qui correspond à notre Directoire et l’on était encore républicain quoique déjà épris de jouis- sances, on n’arrivait à rien que par les courtisanes: cela se peut, mais ces courtisanes, à la différence de celles qui allaient fleurir à Venise et à Rome, n'ont laissé aucun nom dans l’histoire. Nous avons déjà noté que les politiciens ne possé- daient pas une imagination très fertile; le machiavélisme même était alors assez candide en Italie; qu'il s’agît de politique étrangère ou de politique intérieure, les pièges étaient bien simples : on conviait un citoyen à venir conférer au Palais, on invitait un châtelain à dîner; s'ils acceptaient, on arrêtait l’un, on assassinait l’autre, et c'était tout; le premier venu pourrait se hausser jusque-là.

À plus forte raison, le gros des Florentins, sous ses ran- cunes et ses convoitises, gardait-il quelque chose de candide. Angelico de Fiesole est beaucoup moins étranger dans son pays qu'on ne pourrait le croire; j'oserais presque dire qu'il y est. moins étranger que Boccace, du moins que le Boccace du Déca- méron, enivré de jeunesse et tout frais émoulu de Naples; car le Boccace ami de Pétrarque et auteur du De casibus virorum illustrium, est bel et bien un Florentin. Il ne faut pas certes juger exclusivement la ville par ses chroniqueurs, qui se composent quelquefois un peu pour écrire: Giovanni Villani a trempé dans certaines actions que, la plume à la main, il réprouve. Toutefois, dans l’ensemble, leur gravité, leur patriotisme sont sincères., On en trouve la preuve jusque dans leur discrétion. Assuré- ment, nous l'avons dit, cette discrétion s'explique en partie

. Chapitres 74 et 795 du traité précité de Giovanni de Viterbe.

. Voir, dans le De regimine et sapientia Potestatis d'Orfino de Lodi (publié par M. PES Ceruti, VII‘ volume des Miscellanea di storia italiana de la Députation d’his= toire nationale pour le Piémont), le curieux passage qui commence par Gaudia saepe tuis poteris subjungere curis.

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LE POLITICIEN A FLORENCE AU XIV° ET AU XV° SIÈCLE 197

par la crainte de déplaire au parti dominant; mais, parmi les scandales advenus, certains étaient à la charge des vaincus : on ne leur aurait pas su mauvais gré de les divulguer; or, ç’a été une des difficultés, une des surprises instructives de ma tâche que de les voir toujours très brefs en pareille matière ; souvent ils suppriment les noms, et, ce qui me gênait beaucoup plus, ils abrègent les détails; ils gémissent dans ces occurrences plus qu'ils ne racontent. Pour des auteurs qui écrivent au jour le jour, quelle différence avec la presse moderne! Les époques le scandale scandalise au lieu d’affriander ne sont pas des époques foncièrement scandaleuses. Au surplus, la génération qui a pendant quatre ans obéi à Savonarole et qui a, trente ans plus tard, tenu tête onze mois à un pape et à un empereur, ne pouvait avoir uniquement pour chefs des politiciens sans scrupules. CHarLes DEJOB.

Bull. ital. I]

UN ALTRO NEMICO DELLE RACCOLTE

Mi si consenta di aggiungere alcune considerazioni a quelle che ho svolte su questo Bullelin' a proposito di un libro recente del prof. Colagrosso su le « Raccolte »2 : argomento che, dopo quel libro e questi miei contributi, è ben lontano dall’ essere esaurito, forse merita di essere trattato esau- rientemente di proposito; ma che si presta a rievocare aneddoti letterari non privi di interesse, e aprirà la via a veder chiaro nella storia della cultura del secolo xvixr, quando avremo, altri potrebbe darla meglio del Colagrosso, quella compiuta bibliografia delle Raccolte, della quale un maestro autorevo- lissimo, Alessandro D’Ancona, ha ultimamente riconosciuto l’opportunitàs.

À quante cose non servivano le Raccolte, nel settecento! Chi pensi a quali esigenze esse rispondevano, quanti bisogni soddisfacevano, che modesta fatica richiedevano ai poeti, per compensarli d volte con vartaggi più tangibili che non sia quello della semplice notorietà, troverà in ciù il segreto della loro fortuna. Le monacazioni, le lauree, le prime messe, i matrimonii, erano, si, argomenti terribilmente noiosi; ma i poeti, che non tardarono ad accorgersene, trovarono subito il rimedio : e quando non rinfrescavano vecchie poesie (rimedio, questo, escogitato dallo Zanotti, e usato largamente, sappiamo,

1. IX, 1909, 2. Cito le pagine dell’ estratto : e colgo l’occasione per riparare a due sviste tipografiche, e a un’ omissione. A p. 17, n. 4, la data di pubblicazione della Bibliografia del Modona è 1898, non 1903; a p. 25, n. 4, la pagina in cui il Cantù ha pubblicato i due sonetti di cui v’ è parola, è 533, non 537. A proposito della Raccolta per la morte del ludimagistro Barbetta (p.26-27, n. 8) avrei dovuto ricordare che ne parla il Concari, nel suo Settecento, p. 255.

2. Del quale ha discorso G. B. Pellizzaro, Cose del Settecento, in Fanfulla della Domenica del 24 maggio 1908; e G. Natali, nella Rass. Bibl. della Lett. ital., XVI, 1908, pp. 303-06; cf, anche Giorn. Stor., LIT, 1908, p. 260.

3. In Rassegna bibliografica della lett, ital., XVI, 1909, p. 165.

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UN ALTRO NEMICO DELLE RACCOLTÉ 199

dal Parini e dal Monti; e anche da Labindo:), quando non mettevano insieme alla stracca i soliti luoghi comuni richiesti dall’ argomento sgradito, di tutto si disponevano a parlare fuorchè d’ esso. O davano quel qualunque componimento narrativo o didascalico 0 lirico che la fantasia loro ammaniva (e il Frugoni giunse a parlar d’ amore, per conto proprio, in una poesia per monaca?); o lodavano bellamente il compi- latore, o |’ amico richiedente, o chi altri volevano; o si lagnavano, in tono di burla o anche con fare indignato, del- l'usanza delle Raccolte : e anche allora le loro invettive, proprio nelle Raccolte, trovavan luogo onorato. Nelle Raccolte trovava sfogo la mania filosofica del secolo xvin; delle Rac- colte si voleva servire il Monti per vendicare i detrattori della figliuola sua“; d’esse si serviva il Frugoni per isfogare il suo odio, non meno personale benchè letterario, contro Aristarco : in un sonetto per nozze, velenosissimoÿ, e in un poemetto, pure per nozzei. Del resto, fin dalla prima metà del secolo, un sonetto pubblicato in una Raccolta poteva sembrare segnale opportunissimo per iniziare una battaglia letteraria7.

E con ciù le poesie per Raccolte costavano cosi poca fatica! Se si avevano a largir delle lodi, si largivano senza pensarci tanto : che fossero opportune, rispondenti alle condizioni particolari delle persone lodate, non era ritenuto necessario. Il Menzini, che nelle lettere famigliari è tanto candido quanto si palesa inacidito nelle satire, invitato a scriver versi per nozze, chiedeva al Redi i nomi degli sposi: «E se S V. Illma potesse, aggiungeva, mandarmi quattro righe di notizia delle lodi a toccarsi in si fatto genere, lo avrei molto

1. E. Bertana, /n Arcadia, Napoli. 1909, p. 406.

2. Ibidem, pp. 353-354 ; A. Neri, Aneddqji goldoniani. Ancona, 1883, pp. 4o-48.

3. Bertana, pp. 53-101; e su di cid, specialmente F, Picco, in Fanfulla della Domenica, del 26 sett, 1909.

h. Ma la sua ode, per opposizione della censura, non fu pubblicata. Cf. F1. Pelle- grini, L’ode di V. Monti « per nozze illustri veronesi », nella Misc. Nuziale Scherillo-Negri (Da Dante al Leopardi, Milano, s. a., p. 543 sgg.)

5. G. Rossi, Innocenzo Frugoni e Giuseppe Baretti, in Il libro e la stampa, I, 1909; p. 52. Il sonetto, per nozze Barbaro-Barbarigo, è pubbl. nelle Opere poetiche del Frugoni, Parma, 1779, X, p. 294.

6. Rossi, p. 58.

7. Cosi un sonetto del Tagliazucchi, ed. nel 1735. Cf. L. Piccioni, Per gli antecedenti del Romanticismo, in Giorn. Stor. lett. della Liguria, LL, 1901, pp. 132-133,

160 BULLETIN ITALIEN

caro; ma se è di suo incomodo non inltendo gravarnela. » La lettera del Menzini è del 1686: : quando ancora, checchè ne sia della loro origine?, le Raccolte non erano propriamente di moda : se, col diffondersi della moda, per una legge natura- lissima la coscienza artistica venne ancor meno, si comprende agevolmente che per lo più quei componimenti « per sover- chie lodi » potessero « divenir satira per la circostanza »*; e che i poeti che scrivevano in Raccolte per nascite si pre- stassero a esser messi in canzone, meglio che dal Passeroni, dal Parini#, come quelli che erano ben lontani della coscien- ziosità di Giulio Cesare Becelli, il quale, celebrando'due nobili sposi, conchiudeva : K4

Cid che di loro nascerà, non lice Cantar, a mente indovinar presaga; Ma l’alta Mente l’alta idea ha vivas.

L

L’usanza letteraria aveva dunque in tanto di forza da resistere agli attacchi dei numerosissimi nemici che, più per vezzo che per convinzione, essa contù dopo il Bettinelli. Di molti, integrando le notizie date dal Colagrosso, ho già discorso; potrei aggiungere i nomi di Giannantonio De Luca, e quelli, meno oscuri, di Ambrogio Viale, il « Solitario delle

1. Lettere di B. Menzini e del Sen. V. da Filicaja a Fr. Redi. [a cura di D. Moreni}, Firenze, 1828, pp. 121-122.

2. In relazione alle considerazioni del Colagrosso e mie, potrei aggiungere che à veri precursori delle Raccolte nuziali son forse da riconoscere nelle Strenne nuziali, come quelle del sec. XIV, raccolte da O. Targioni-Tozzetti, Livorno, 1873. La più antica Raccolta che sia stata pubblicata, alla quale collaborarono venti scrittori, con componimenti volgari e latini, è del 1474; su di essa cf. F. Patetta, Di una Raccolta dj Componimenti e di una Medaglia in memoria di Aless. Cinuzzi paggio del conte Gerolamo Riario, in Bull. Senese di St. patria, VI, 1899, p. 151 sgg.; e G. Zaccagnini, Il petrar chista Agostino Staccoli, in Studi di lett. ital. dir. da E. Pércopo e N. Zingarelli, IW, 1902, pp. 250-251. Anche per la morte del Calderini (1477) e per la morte del Platina (1481) furono messi insieme componimenti di compianto ; ma questi furono pubbli- cati, a giudizio del Patetta, solo nel 1504: Cf. G. Lumbroso, Gli accademici nelle cata- combe, in Arch. della Soc. Rom. di St. patria, XII, 1899, p. 222; e Patetta, p. 176, nota:

3. Cosi Silvia Verza, in una lettera al Rezzonico, dicendo di avere, per questo scrupolo, distrutta una anacreontica già preparata. Cf. le Opere del conte Rezzonico, Como, 1830, X, p. 320. Ma i più non erano davvero presi da scrupoli siffatti.

h. Vespra, vv. 327-349; e già prima da Salvator Rosa, Satira, II, v. 607 sgg.

5. Per le nozze di Gir. Aless. Giuliani e di Beatrice della Torre, [Verona, 19724,] senza indicaz. di pagina, Sul Becelli, cf. E. Bertana, in Giorn. Stor, d. lett. ital., XXWI, 1895, p. 114 sgg.

6. G. Natali, in Rass, Bibl. cit., p. 304; e A. Ravà, Un sonetto poco noto di Carla Goldoni, in Fanfulla della domenica del 26 settembre 1909.

ah te", ne

Er.

UN ALTRO NEMIGO DELLE RACCOLTE 161

Alpi »:; e del Roberti, più assai blando? : non più convintie nemnen lontanamente più efficaci del Bettinelli, il quale, col chiasso che fece il suo poemetto, aveva almeno ottenuto una cosa : che le Raccolte, tutte le volte che fu o parve possibile, si mascherarono sotto altro nome che il loro proprio, troppo « avvilito » oramai dal pugnace gesuita mantovanoÿ. Ma una più compiuta illustrazione merita, tra i nemici delle Raccolte, Carlo Innocenzo Frugoni; e di una notizia anche più ampia sarebbe degno, sotto questo riguardo, un letterato che ora è quasi del tutto dimenticato, Luigi Uberto Giordani.

Il Frugoni, assai giovane ancora, dovette non piccola parte della rapida diffusione della sua fama a una Raccolta di pro- porzioni insolite, messa insieme nel 1728 per le nozze d’Antonio Farnesef. Non egli aveva avuto da fare a mettere insieme i componimenti dei 232 collaboratori : chè per la: massima parte essi si erano presentati da sè, e solo la vanità del principe committente aveva impedito, da parte di Comante, una certa selezione®. Da allora, egli era stato un compilatore

1. Bertana, p. 467, e n. 1.

2. « Non si rifina nel secol nostro di celebrare in rima spose, monache, maestrati, dottorati. » Se non che, « Se cominciamo cosi di buon’ ora a lamentarci sul numero dei versi, di qua a tre o quattro secoli, che resterà a lamentar per li posteri?» Opere di G. B. Roberti, Napoli, 1826, V, pp. 17, 19.

3. 11 Marchese Paolo Vincenzo Salaroli presentava Per le felicissime nozze del conte P. P. Bianchetti con la Marchesa Aurelia Monti, Parma, 1761, due sensualette anacreon- tiche di Angelo Mazza, dicendo : «Non v’ aspettate perd di vedere un fortuito accozzamento di stucchevoli Poesie sotto il comunale, ad oggimai avvilito titolo di Raccolta, ove d’ordinario suole aver maggior parte il capriccio, e la scipitezza, che il retto discernimento e il buon gusto. » Che il Bettinelli non abbia influito nel mettere in voga i poemetti nuziali e occasionali collettivi, come voleva il Carducci, mostra il fatto, già messo in rilievo dal Bertana, che di tali poemetti se n°’ hanno fin dal secolo xvrx. Il poema per la venuta di Carlo di Borbone a Piacenza (1732) che è forse il più noto, fu preso in esame dal Colagrosso (Un’ usanza letteraria, etc., Firenze, 1908, p. 13 sgg.) : quattro anni prima, i Piacentini avevan fatto lo stesso, in proporzioni più modeste, per le nozze di Antonio Farnese con Enrichetta d’Este (Lina Balestrieri, Feste spettacoli alla corte dei Farnesi, Parma 1909, p.55, n.1;,— per le feste in onore di Carlo di Borbone, oltre allo studio della Balestrieri, p. 55, n. 2, è da citare Glauco Lombardi, Il teatro Farnesiano di Parma, Parma, 1909, estr. del- V Arch. Stor. p. le prov. parmensi, IX, 1909, pp. 22-25).

h. Colagrosso, p. 12; Balestrieri, pp. 10, 54-55; Amici e nemici, p. 4.

5. «Se io avessi potuto unire, e scerre a mio grado le poesie, che la compongono, molto minor novero d’ esse certamente vi sarebbe entrato ; ma sparsosi il grido di tale Raccolta nei tempi che si andava da me divisando, non pochi poeti da me non cerchi, ne voluti, improvvisarhente si offersero, e fecer brighe per essere ammessi, e fu d’ uopo piegar la fronte, a chi d’ammettergli mi comandà » lett. del F. al Card. Cornelio Bentivoglio : cf. G. Zannoni, Lettere e rime inedite di C. I. Frugoni, in Studi e Documenti di sioria e di diritto, XVI, 1895, p. 354.

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alla moda, e aveva messo fuori la sua Raccolta per ogni fausto evento dell’ aristocrazia parmigiana, e aveva infastidito con successo amici e confratelli oscuri ed illustri : tra questi, anche |’ Algarotti, al quale si rivolse alle volte con vera insistenza:,.

Forse per ciù egli non pone, come sappiamo che fece il Goldoni, i compilatori nella categoria dei seccatori, dei quali

si è pur preso il divertimento di fare un lepido elenco:; ma

non è a dire che, se egli importunava gli altri, gli altri non importunassero lui. Chè, anzi, come poeta di Raccolte egli è da considerare forse il più fecondo, certo il più disinvolto del suo tempo : e tanto bruciù incensi alla Musa occasionale, da guastare, soprattutto per questo, la sua buona fama di poeta. Del che furono consapevoli i suoi contemporanei!, e, mon men degli altri, egli stesso.

Da questa consapevolezza deriva anzi, a volte, un che di accorato ai suoi lagni contro le Raccolte, che han ridotto per lui la poesia a un ingrato commercioÿ, e a cagion delle quali, egli sa bene, il suo nome avrà fama caducaf. Al Bernieri, in- trinseco suo, che lo richiedeva di versi per monaca, egli rispose

amichevolmente irritato : fra i dotti amici lo te primo ponea, poichè tu cento Prove mi desti d’ amistà; ma tale Com’ or ti crederû?

1. Colagrosso, p. 156; Amici e nemici, pp. 17, 22. E in una letiera del 1956, in p. s. (Ah! quei p. s. che dicon le cose che più stanno a cuore allo scrivente!) « I versi per la promozione del sig. Conte Sanvitale, e quando pensate di mandarmegli? lo già & lui gli ho promessi : egli sa, e crede che voi gli scrivete. Trovate qualche momento da conversar con le Muse. Non mi fate restar {[privo] di cosa, che debbo pubblicare. » Zannoni, p. 360.

2, In una canzonetta a L. Canossa, in Opere poetiche, VII, p. 215.

3. Del F. poeta di Raccolte, oltre allo Zannoni, p. 356, discorre di proposito V. A. Arullani, Lirica e lirici nel settecento, Torino, 1893, pp. 73-75 : il quale anche notizia (p. 71), di due sonetti del Bettinelli, per raccolta, del 1807. Questi potrebbero essere aggiunti agli altri non pochi ch’ io he già ricordato (Amici e nemici, pp. 19-20); del resto, dell’ attività poetica del decrepito Bettinelli, una preziosa testimonianza un personaggio che lo conobbe in quegli anni, e che, pastore arcade di 18 anni, dovette, per la morte di lui, « comporre e recilare una poesia senz’ essere poeta » : G. Arrivabene (Ricordi autobiografici, in Atti e Mem, della R. Acc. Virgiliana, biennio 1877-1878, Mantova, 1879, p. 99).

4. A. Lombardi, St. della lett. ital. del secolo X VI11, Modena, 1829, IL, p. 232.

5, Una vera « mercanzia ». In una lettera famigliare, il Frugoni confessava : « O’ poi cento commissioni di poesia per vari argomenti. » Cf. Zannoni, pp. 361-302.

6. Di ciù discorre assai bene il Bertana nell’ op. cit., p. 322 sgg. Altri rimandi ho io messi insieme in una recensione di questo volume, sulla Rass, bibliogr. della leit. ital, X VIE, 1009, p. 279 sgg.

UN ALTRO NEMICO DELLE RACCOLTE 163

Ed elevandosi di tono, assurgendo bellamente a considerazioni che avevan valore generale :

Tu sai, Bernieri mio, ...quanto feci Sonar Parnaso di querele, ed arsi

Di giusto sdegno sul servire ingiusto Sempre col canto alle materie ingrate Ch’ oggi l’uso tiranno a noi presenta,

A noi, che per aver de’ carmi nostri

La maggior parte in tai materie avvolta, Se per gemer di torchio oserem farla Di pubblica ragion, sarem letti,

avuti in pregio alcun da’ nostri tempi da’ più tardi, che verranno poi'.

Questa profezia, della quale ora possiamo apprezzare quanto fosse, oltre che sincera, veridica, egli fa ai suoi confratelli in Arcadia ed a : nè, quando pensa a particolarmente, Comante è men pessimista :

Pieni gli antri febei, piene le dotte Castalie fonti son de’ versi miei

Che sulla fresca età recise chiome, Ricche vesti mutate in sacri veli-

A cantar fur costretti, e sdegno ebbe Quel coronato di purpuree rose Ridente genio, che il toscano plettro Per ben altri subietti a lui più cari Talor mi porge, e libero m°’ ispira?.

Per quanto, aiutandosi con la sonorità dei versi e con la magniloquenza delle frasi, sembrasse talvolta prender sul serio il suo compito di poeta occasionale3, il Frugoni lavorava a contraggenio, intorno a questi « comandati argomenti », troppo solenni e troppo severi. [| più solenni e i più severi di

1. Opere poetiche, VII, p. 295 sgg. (per la monacazione della contessa Matilde Cantelli). 2. Opere poetiche, VII, p. 315 sgg. (per la monacazione di Teresa Tommasi, al Vescovo di Parma Fr. Pettorelli Lalatta). E per la stessa occasione, allo stesso : Ma che Sempre degg’ io l’alpestro giogo Salir di Pimpla per severi troppo Comandati argomenti, e lassù, dove Con le divine muse il genio alberga, Canuto vate portar meco il grave E già varcato settantesim’ anno?

(Opere poetiche, VII, p. 347 sgg.) 3. Bertana, pp. 332-333, nota.

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tutti, e per i quali fu più di frequente comandato, le monaca- zioni, erano quindi a lui i più cordialmente antipatici. Sentia- molo in queste strofette sfogarsi con Lorenzo Canossa :

Sien le suore benedette Che mi fanno bestemmiare : Per lor tutto in canzonette lo mi debbo distillare.

Per suggetto il meno ricco, Che men piace, e men risona, lo son sempre nel lambicco Sui fornelli d’Elicona :.

Che lo facessero bestemmiare, trattandosi di un abate e per giunta ex-chierico regolare somasco, è un po’ grossa; ma che

le « vergini pudiche » gli paressero : ;

Tristi argomenti, che quai dure ortiche Spesso di Pindo osan spuntar tra i fiori?,

comprendiamo più facilmente, se pensiamo alle seccature che ne aveva quotidianamente Comante. Anche Aurisbe gli richie- deva versi per monaca : e per quanto Aurisbe gli stesse a cuore$, anche con lei si lagnà il poeta :

Dunque versi tutti i di

Costi pur voglion le Monache,

E si cantan pur costi

Sacri veli e sacre tonache? Si, le Suore in verità

Son tra noi tante angelette,

Gigli son di purità,

Sien dal ciel pur benedette. Ma potrebber lasciar cheti

I toscani colascioni,

E non mettere i poeti

In tributo di canzoni 4.

Sieno benedette!, borbotta anche qui, come un vecchio « rustego » goldoniano, il Frugoni, con l'atteggiamento di chi sta per perder la pazienza. E per monaca rifiutà versi altra

1. Opere poetiche, VIII, p. 219.

2. Ibidem, II, p. 541. Sonetto a Gio : Campo di Rovigo, di cui il Bertana, p. 33a, riferisce la prima quartina.

3. Su di che, cf. A. Neri, op. e loc. cit.

k. Opere poetiche, VIIE, p. 443.

UN ALTRO NEMICO DELLE RACCOLTE 165

volta:; e ne rifiutù per occasioni consimili, allegando la stanchezza, la tarda età, la vena inaridita : à

Si, che i versi, che vorreste, Son, castagne da pelare : Che mi rosichi la peste, Se si posson sempre fare?.

Cosi all’ amico Canossa : al quale insegnava, con questa immagine cosi modesta, che la poesia poteva essere, si (ed era, pur troppo, per Comante) un mestiere : ma non un mestiere di tutti i giorni; non, ad esempio, un mestiere come quello del medico. E se un medico, il Pateri, chiedeva versi, egli di

rimando : Dori bella, se il Pateri Di me vuol versi ognor novi, Digli pur, che non lo speri, E che a farli egli si provi. Presto scrivesi un cristiero, Un purgante, un lenitivo; : Non cosi, nel mio mestiero, Quand’ io voglio, versi scrivos.

Passi la trivialità dei paragoni terapeutici; e passi quest’ altra trivialità di un’ altra canzonetta a Dori, in cui domanda di esser lasciato in pace, per ragione di analogia,

se verbigrazia un fico, un pero, Poichè n°’ ebbono tanti e tanti fatti, Cessan di farne, perchè tali invero Son di natura alfin gli antichi patti4.

In complesso, la nota predominante dei lagni del Frugoni è la stanchezza, o piuttosto la poltroneria, per la quale egli fu nemico non delle Raccolte soltanto, ma di quella che, con un vocabolo del Brognoli, potremmo anche noi chiamar « metro- mania »5. Percid egli non è delle Raccolte oppositore sistema- tico : se ne lagna, più che altro, perchè scriver versi giocosi di

. Opere poetiche, X, p. 251 sgg. . Ibidem, VIII, p. 192.

. Ibidem, VII, p. 396.

. Ibidem, IIL, p. 127.

. Bertana, pp. 330-331, 337.

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rifiuto gli par più comodo e più sbrigativo che celebrar gli argomenti comandati, e perchè il resultato à lo stesso : i versi di rifiuto entreranno nella Raccolta, piaceranno al compilatore, faranno sorridere la monacanda o gli sposi o il neo-dottore a seconda dei casi, e seguiranno, insieme, la moda di parlar male delle Raccolte e quella di collaborarvi. Solo un paio di volte il Frugoni fece, sia pure in pochi versi, una satira vera e propria di questa famigerata usanza letteraria : in un sonetto a Lorenzo Dorighi, che mi sembra, nel suo genere, singolar- mente felice', e in certi sdruccioli per monaca, eterno, sgradevolissimo argomento?.

In questi egli comincia, al solito, col dirsi stanco, stanco di scriver versi comandati, «ristucco e logoro » di ascendere sul Parnaso :

..Dirvi non potrei come poi m’ abbiano Fatio per noia eterna uscir de’ gangheri

Messe, dottori, matrimoni e monache, Che vengon tutti in Pindo, e versi vogliono.

E qui comincia la satira, diremo cosi, «oggettiva » del- l’usanza delle Raccolte. Tali versi encomiastici non costuma- vano ai tempi d’Augusto : non c’ erano allora preti e monache, che (sieno benedette! par che ripeta Comante) « felice ed ottima | Cosa nel mondo son »; ma c’ eran giuristi, e medici, e sponsali ; e poeti, « e che poetil», per celebrarli; eppure

Pur era allor delle Raccolte incognita

La non dannabil moda, onde mal usano

I tempi nostri, e lo splendor ne oscurano. Taccia l'audace e spensierata critica.

Non tutti i fior metto in ghirlanda e pratico : So, qual conviensi, fior da fior discernere.

1. Opere poetiche, III, p. 219. Eccone le quartine :

Perché la strana usanza s’ è mai messa Che nulla senza versi s’ abbia a fare? Non vien dottoral toga oggi concessa, Che non la debba Apollo ricamare : I1 santo matrimonio poi non cessa Di far le caste Muse spiritare : Nemmeno un prete oggi pud dir la messa, Se i poeti nol guidano all’ altare.

3. Per la vesliz.one di Maria Adelaide Pallavicini, ibidem, VII, p. 378 sgg.

UN ALTRO NEMICO DELLE RACCOLTE 107

Arder di bile, e maledir la cetera

Mi fan certe Raccolte, ove si sogliono

À nuovi nomi oscuri, ad are ignobili Gli incensi degli Dei si mal profondere.

La censura, espressa in termini molto temperati, non è priva di buon senso : mentre il Bettinelli, mosso da intenti forse più mercantili, aveva deplorato l’oscurità dei lodatori, il Frugoni deplora l’oscurità dei lodati, le lodi profuse imme- ritamente., Se non che, la chiusa del sermone ne guasta l’effetto : questa Raccolta, egli dice, fa eccezione, e in essa possono degnamente cantare, tra altri,

Rossi.., e Bettinelli, un’ aurea

Nobil coppia d’ingegni, in cui dell itala Facondia il nome e lo splendor ravvivasi.

E anche qui fa capolino l’eterno Bettinelli, infaticato colla- boratore, malgrado tutto, in ogni genere di Raccolte!

Luigi Uberto Giordani, il « nemico delle Raccolte » al quale ho pensato nel dare il titolo a quest’ articolo, à noto oramai, e la sua fama è anche in cid assai modesta, quasi soltanto per esser cugino di Pietro. Ma i biografi parmensi e piacentini, perchè egli nacque e visse a Parma e la sua famiglia fu di Piacenza, lo ricordano con affetto come una piccola gloria locale; e dal maggiore di essi, il Pezzana?, si possono raccogliere notizie dalle quali la sua figura appar meritevole di molta attenzione.

_ Nato nel 1753, Luigi Uberto fu professore di diritto criminale nell’ Università di Parma dal 1781 in poi, dopo essere stato, giovanissimo, dottor collegiato, anziano del Comune, decurione legale. Odiava tuttavia l’esercizio della giurisprudenza, alla quale pur doveva una posizione elevata ed indipendente, ed

1. G. B. Jannelli, Disionario biografico di parmigiani illustri o benemeriti, Genova, 1877, PP. 189-192; L. Mensi, Dizionario biografico piacentino, Piacenza, 1889, p. 210; A. M. Boselli, Testi dialettali parmensi, in Arch. stor. per le prov. parm., N. S.. V, 1905, p. 22. Oltre al Pezzana (nota seg.), anche il cugino Pietro raccolse alcuni Pensieri per un elogio à L. U. Giordani, pubblicati nelle Opere, Milano, 1854 sgg., X, pp. 282-283, e conservati autografi alla Laurenziana di Firenze (C. Mazzi, in Riv. d. bibl. e d. archivi, XI, 1900, p. 12).

2. Memorie degli scritlori e letterati parmigiani, Parma, 1833, VIII, p. 587 sgg.

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era tutto delle Muse:. Simile in cid al cugino Pietro, che dalla giurisprudenza fece divorzio davvero, e a non so quanti altri tra gli scrittori nostri, grandi e piccini. E come scrittore, pur non avendo potenza di fantasia sempre padronanza del verso, danteggid?, e in Quattro componimenti poetici fatti in villa e poi in quattro falli in ciltà, fu di quei seguaci del Parini che deviarono da lui, instaurando un genere tra gnomico e descrittivo, come di chi prendesse sul serio gli ammaestra- menti del Giorno3; in uno poi di questi componimenti, un poemetto funebre, imito da vicino il Foscolo del quale erano appena usciti alla luce i Sepolcrit. Egli era un gregario, dunque, nell’ arte; ma di seguire con consapevolezza parecchie correnti gli diede agio l’estesa cultura, e, tra altro, la conoscenza di molte lingue. Mori nel 1818, dopo aver coperto parecchie cariche sotto Napoleone I (Procuratore sostituto generale a Parma nel 1806, Giudice nella Corte Imperiale di Genova nel 1811), e aver ottenuto, dal nuovo regime di Maria Luisa, la dignità di Procuratore generale nella Corte di cassazione e nella Corte d’appello.

Di Pietro Giordani, fu, come maggiore di età, tenerissimo parente e quasi padre, e quando lo ebbe seco a Parma «gli rese meno amara la mancanza di affetti domestici »5 ; e nel r795, con un’ orazione latina che ebbe lunga eco di fastidiose polemiche (quanto sarebbe stata più innocua, è proprio il caso di dire, una delle solite Raccolte di versi!), ne celebrà la laurea in leggei; ed esercitando un dolce dominio sul} animo suo, riusci a placarlo quand’ egli, trovandosi tra i monaci di S. Sisto, più era stomacato del loro contegno7. Per questo, ho già accennato, egli passù alla storia; ma anche letteraria- mente presenta un certo interesse, per qualche ardimento che piace : una parodia dei giornali del tempo, che giro mano-

1. Memorie degli scrittori e letterati parmigiani, Parma, 1833, VIII, p. 589 ; Jannelli, P. 190. . Pezzana, p. 599, n. 2.

. Versi di L. U. Giordani, Parma, 1809 (ed. Bodoniana), voll. I e II. . Ibidem, vol. II, p. 31 sgg.

. G. Capasso, La giovinezza di Pietro Giordani, Torino, 1896, p. 32.

. Ibidem, pp. 11, n. 1; 51-ba.

. Ibidem, pp. 115-116. Lettere di P. Giordani a lui ha pubblicato I. Della Giovanna, P, G. e la sua dittatura letteraria, Milano, 1887, p. 187 sgg.

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UN ALTRO NEMICO DELLE -RACCOLTE 169

scritta e forse non sarà difficile rintracciare, e che, al giudizio che ne dava il Pezzana: si pu sospettare non priva di brio e di buon senso, e uno scherzo satirico contro le Raccolte.

Nelle Raccolte, come ogni buon nemico di quest’ usanza letteraria, L. U. Giordani scrisse parecchio. Del resto, anche il suo illustre cugino, sappiamo, simpatizzava con esse’; sebbene non fosse poetaÿ e percid non potesse collaborarvi con versi, vi collabord con qualche bella prefazione o con qualche discorso“, e qualche volta addirittura pregando altri di scriver versi per conto proprio’; non poteva egli dunque mancare, egli cosi ligio, malgrado lo scherzo satirico, ai pregiudizi e alle correnti letterarie del suo tempo. Di molte delle sue poesie occasionali notizia, nell’ accurata biblio- grafia dei suoi scritti, il Pezzanaî; e d’esse parte è riunita nel quarto volumetto dell’ edizione già citata dei Versi : nel quale troviamo sonetti e odi per monaca, per prima messa, per nozze, per morte, e anche per danzatrice e per cantatrice?. Per nozze

1. Pezzana, pp. 591-592. Si trattava di una «Gazzetta di Serravalle », messa insieme per ispasso dal G., che ne mandà fuori sei numeri.

2. Amici e nemici, p. 8, n. 2. Cf. le Opere di P. Giordani, nella cit. ed. Gussalli, IX, p. 111 sgg. |

3. Una sua poesia, che sola si conserva, parve di ben poco pregio al Capasso, p. 121, n. r. Ne ha pubblicato recentemente qualche saggio F. Marimd, La neura- stenia di Pietro Giordani, in Annali del Manicomio provinciale di Perugia, II, 1908, p. 260. Del Giordani abbiamo anche la versione, in quattro versi mediocri, d’un epigramma in onore del Canova e del Mezzofanti (Opere, IX, p. 93). Ma egli stesso si professava «a molti noto per la rara imperizia nei versi » (Opere, Appendice, p. 148). Cf. Della Giovanna, p. 175, nota.

4. Erano originariamente prefazioni a Raccolte di versi, p. e., l’Orazione di P. Giordani Per le tre legazioni riacquistate dal papa nell estate 1815 (in Alcune prose di P. G., Milano3, 1824, p. 139 sgg.) e la Lettera per l’ assunzione di Mons. Lodovico Loschi (ibidem, p. 247 sgg.). Questa, per le espressioni liberaleggianti, guadagnd al piacentino l’esilio dagli stati parmensi (A. D’Ancona, Spigolature nel’ Arch. della Polizia Austriaca di Milano, in Nuova Antologia del 16 marzo 1899, pp. 225-228.)

5. Per nozze Chini-Bandi, nel 1809, il G. presentù un’ ode di G. B. Giusti c.n queste parole: «Affinchè senza qualche pubblico segno di mia congratulazione (siccome s’usa) non passi questo giorno ad entrambi fortunato; poichè io non ho di facoltà poetica, richiesi un poeta non de’ volgari: ed egli mi per offerirvi quest’ ode. » (Opere, VIII, p. 336). L’ode del Giusti non è ricordata nelle notizie biblio- grafiche che su di lui diede il Malagodi, IL dott G. Giusti, in Nuova Antologia del maggio 1908, pp. 12-13, in quelle che aggiunse G. Cogo, Vincenzo Cuoco, Napoli, 1909, pp. 95-96.

6. Op. cit., p. 609. Sono da aggiungere una canzone Per le acclamatissime nozze del dott. V. Balestrieri con la Sig. Luigia Schiaffinati, Parma, 1771, e un sonetto, di cui . notizia altrove lo stesso Pezzana, p. 461, in morte di Angelo Mazza, che era suo cugino (ibidem, p. 587).

7. App. 23;24; 31,45; 32,33, 95 sgg.; 106 sgg.; 30, 46; gr sgg. Versi satirici per nozze e per sacro oratore, scrittiin dialetto parmigiano, ha pubblicatoil Boselli, p. 77-78.

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poi abbiamo una vera fioritura dei vari generi letterari : oltre ai sonetti, scrisse canzoni, cantate, inni, brindisi, e anche sciolti:. Non mancano in alcuni di questi componimenti? quelle osce- nità per cui fu giustamente riprovato, insieme con troppi altri poeti nuziali, il Frugoni*; non manca, in un inno, un augurio che per fortuna fu vano, se pensiamo che la poesia nuziale, quando l’autore scriveva, era prossima ad estinguersi per

esaurimento : e sii di canto ascreo A Febo ed alle Dee grato argomento, o Imeneoi;

non manca il concetto, che vedemno comune ai molti nemici delle Raccolte del Bettinelli in poi, che le Raccolte siano un’ ottima cosa quando in esse scriva un poeta di bella fama : nel caso singolo, trattandosi di celebrar le nozze di Angelo Mazza, il poeta doveva essere simile a lui, e Apollo aveva emesso, e poi tolto, «il gran divieto » di cantare, a ogni

Cantor di nozze, se non pari a quello Per cui risuona un’ altra volta in Pindo La sacra notte e il talamo beato5.

Lo stesso concetto restrittivo anima lo scherzo satirico Per le nozze di Tizio e Berla, che senza confronto mi sembra, anche sotto l’aspetto dell’ arte, la cosa più notevole di Luigi Uberto Giordani, l’unica davvero notevole. Il Giordani lo compose «per mero capriccio », dice egli, « senza animo di pubbli- carlo »6; fu un amico che volle darlo alle stampe e diffonderlo, ed egli allora vi aggiunse una lettera all’ indirizzo dei singoli

1. Oltre che due sonetti pel suo primo matrimonio, ibidem, pp. 28-29, egli ne scrisse e pubblic quattro quando, vedovo di Luigia Ferrari, riprese moglie (L. U. Giordani nelle sue seconde nozze, Parma, 1813.).

2. In una cantata (per nozze Sangiantoffetti-Nani. Padova, 1792) egli funge da ammaestratore, diciamo cosi, notturno :

Sposa, non più ritegni. E tu, felice Sposo gentile, ardisci.

(Versi, IV, p. 61.)

3. Amici e nemici, p. 12, nn, 5, 6. Cf, A. Neri, Passatempi letterari, Genova, 1882, pp. 173-186.

4. Versi, IV, p. 76.

5. Ibidem, p.54.

6. Tbidem, p. 88; lo scherzo è pubblicato a pp. 80-88.

UN ALTRO NEMICO DELLE RACCOLTE 171

libraï, a firma di un « Fabio Rustico pescivendolo » che se ne fingeva autore, dichiarando d’aver appreso l’arte del poetare dalle innumerevoli Raccolte che « per inevitabile destino appro- dano finalmente alle botteghe dell’ arte » sua. La lettera è, nel suo insieme, poco spiritosa, come poco spiritosa è la ghermi- nella di fingere la pubblicazione dello scherzo non consentita o almeno non voluta da lui : gherminella alla quale ricorse il Bettinelli pel suo poemetto, e gli ha creduto il Sommervogel:. Checchè ne sia, la data della composizione dello scherzo sarebbe, secondo una duplice dichiarazione dell’ autore che al Pezzana parve sospetta, il 1781 o il 1784 : anno, quest ultimo, in cui gli venne fatto di vedere «una magnifica edizione di Raccolta fatta in Venezia per matrimonio di magnati, nella quale non era alcun pregevole componimento, ma gran lusso di carta e d’intagli in rame »2; la data invece della pubblicazione è il 1787, data delle nozze Sanvitale- Gonzaga per le quali, oltre ad una erudita dell’ Affù, usci una miscellanea poetica curata dal padre del Pezzana, Giuseppe. Il Giordani, che fu poi buon amico del Pezzanino, cosi suo cugino Pietro era solito chiamarlo, teneva evidentemente a far sapere che da parte sua non c’ era stata ombra d’intenzione di satireggiare la Raccolta Sanvitale-Gonzaga : il Pezzana non gli dovette credere, e anzi non cel il suo malumore verso questo satirico che a sua volta scriveva tanto in Raccolte“; e, con sua buona pace, possiamo negargli fede anche noi. Certo è che la satira fu a bella posta largamente diffusa a Parma, dove fece gran chiasso : alcuni esemplari «ne ricevette in Parma il libraio F., il quale, credendo questo scherzo rivolto a porre in deriso una magnifica Raccolta uscita in questa città per illustre maritaggio, ne recù tutti gli esemplari da lui ricevuti alla fami- glia a cui credea mirare il gioco. Il libraio Carmignani, al quale pure eran giunte parecchie copie, poche ne sparse per

1. Bibliothèque de la Compagnie de Jésus, Bibliographie, 1, col. 1416.

2. « Cosi, aggiunge il Pezzana, p. 593, n. 2, desiderava egli che si credesse. Ma perchè nel farlo ristampare nei Versi 18og pose egli l’anno 1781 alla lettera che lo accompagna ? Qui gatta ci cova! »

3. Amicie nemici, p. 20.

h. Pezzana, pp. 593, 608, 609.

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172 BULLETIN ITALIEN

la città; le altre nascose diligentemente, udito il gran rumore che se n’ era sollevato da molti, ed in ispezieltà dal B., che credevalo farina del Mazza » 1. E sarebbe bello poter dire quanta parte v’ ebbe veramente Angelo Mazza : certo in qualche modo egli, che sappiamo parente, e collega all Università, e addirit- tura, in materia poetica, « maestro e autore » di Luigi Uberto?, ne fu inspiratore. Ma altri avranno attribuito lo scherzo al Bettinelli, se riusci presso qualcuno il gioco dell’ autore, che fece diffondere i foglietti da Mantova, in carta milanese e senza nota tipografica, per mezzo di un amico fidato ; e poichè l’autore vero non si faceva noto, c’ era anche chi, come un GC. V. D. B., pare che fosse « sul punto di farsene bello »4, Per dar vita alla narrazione del Pezzana, occorre sostituire i nomi alle prudenti iniziali; e credo di non andare errato, rico- noscendo nel B. l’avv. Luigi Bramieri di Piacenza; nel C. V. D. B. il conte Vitt. Del Bono di Parma, fra gli Arcadi Adonte Giardanio; nel libraio F., forse, il libraio Freddi.

Cosi una Raccolta nuziale, che già aveva suscitato il malu- more dell’ Affù e forse del Bettinelli5, fu segnale di un clamoroso pettegolezzo tra i letterati del luogo. Ma vediamo brevemente lo scherzo, causa di tanto scandalo.

Tizio e Berta non sono, come forse si crederebbe a primo aspetto, due contadinotti : sono

Sangue purissimo Di semidei,

e i loro nomi hanno un valore puramente esemplificativo nomi celebri » dice l’autore in notaô « come quelli di tutta l’altra famiglia notissima ai casisti ») : Dante avrebbe detto « Ser Martino e Donna Berta », conforme l’uso dei vecchi

1. Pezzana, p. 594.

2. Ibidem, p. 593.

3. Ibidem, pp. 593-594.

h. Ibidem, p. 594.

5, Amici e nemici, p. 19. L’ Affà fini per non volerne più saper di Raccolte, e mel 17994, pregato di collaborare in una Raccolta, se ne scusù, dando comunicazione di un' ecloga inedita del Baldi (in fine ai Componimenti poetici per nozze Piovani- Zaccaria, Parma, 1794).

6. Versi, IV, p. 89.

PT 777 4

UN ALTRO NEMICO DELLE RACCOLTE 179 giuristi:; ma il nome Tizio, che L. U. Giordani ha preferito, s’ era imposto nell’ uso, oramai, anche dei giuristi. Le nozze sono suntuose : intervengono i testimoni, i parenti, gli amici

numerosi :

Di que’ che invitansi Tal nome barbaro La turba è molta. AIl età rozze Or che più mancavi ? Si lasci, e scrivasi : Che? La Raccolia. Versi per nozze.

Abbiam veduto che veramente la satira bettinelliana aveva sortito questo efletto : che presso la gente di buon gusto, le Raccolte... non si chiamavano più Raccolte. Ma, continua il poeta,

.….già d’Arcadia Gli alunni vengono Coi nomi greci A dieci a dieci.

Sono i poeti che interverranno al pranzo nuziale, i poeti

famelici che mirano a un cantuccio nella mensa, e son staff. lati, ricordiamo, ben duramente dalla severa musa del Parini?. Se non che, non a questo mira la satira del Giordani, che

continua : Oh quanto strepito! A rivi sboccano Che largo coro! I be’ concetti : Un bosco sfrondasi Immenso popolo Di verde alloro. Sono-i sonetti.

1. Paradiso, XII, v. 139. Mi si consenta, per i numerosi esempi che se n°’ hanno, di rimandare al mio studio Roffredo Epifanio di Benevento, negli Studi medievali, IV, 1909, p. 234, n. 5.

2. Meriggio, VY. 902-920; Notte, vv. 520-521.— Del resto, era un motivo di satira abusato : si vegga, ad es., quest’ epigramma del Bettinelli (A. Zoncada, ] fasti delle lettere in Italia, Poesie, Milano, 1853, p. 632):

Un poeta un po’ pedante Dava leggi e teorie Ad un circolo ascoltante Delle varie poesie; E or de’ comici scrittori Ragionava, ed or de’ lirici; Tragici, epici cantori Distingueva dai satirici; E seguiva pur co’ melici... Qui una dama: Vi rammenti, Disse, amico, de’ famelici, Che non sono i men frequenti.

Bull. ital.

D A SR MS EE PSC ape DO et PR PEN EE PE RE TE ts Ê RS ACER 24

174 BULLETIN ITALIEN Chi ha rime sdrucciole Alcun non dubiti E chi sestine; De’ nostri eroi Chi anacreontiche Che cantor manchino Cose divine. Ai vanti suoi. Pochi dispiegano Trovà il Meonio In tono grave Solo un Achille, Sacre a Calliope Or Berta e Tizio Sonanti ottave. Ne trovan mille. Altri minacciano Se d’esser patria In fieri volti AI gran cantore Con folte pagine Sette contesero D’eterni sciolti. Città l’onore, O nostro secolo Or ben son povere Aureo davvero Quelle villette Che tanto supera Che non nutricano L’età d’'Omero! Poeti sette.

Qui è il caso di ricordare l’esuberanza di versaiuoli di cui fecero pompa piccole ciltà, come già ho ricordato: : cosicchè lo scherzo di L. U. Giordani viene ad averne efficacissimo rin- calzo di prova, e un certo sapore di arguzia. Quanto al mesto confronto con le età dei grandi poeti antichi, esso era oramai un motivo convenzionale, Si ricordi il Frugoni?, e con lui quanti altri deplorarono quella benedetta metromania, che tanto screditava i poeti ed era da essi posta in discredito. Ma più originale mi sembra la burla, diretta, nei versi precedenti, a tutte le forme metriche dei lirici occasionali; chè tutte vi

1. Amici e nemici, pp. 4-5. Si veggano anche le parole che il cugino del Nostro, Pietro Giordani, scrisse nel 1816 nella Biblioteca. italiana, a proposito di un discorso della Staël Sulla maniera e la uütilità delle traduzioni : « lo fo ragione che in Italia la metà almeno di quelli che sanno leggere, presumono di far versi. Non sapranno altro al mondo; ma si credono poeti. E questa vana e matta credenza è gran cagione che in tutta la vita non imparino mai cosa buona. Ogni città, ogni borgo, ogni terricciuola d'Italia tiene accademie: per far ché? Per recitare sonetti, odi, madrigali, elegie. Ma sopra tutto sonetti : questi sono il pane cotidiano, e la delizia degl’ intelletti. Ma, per tutti gli Dei, che farà mai al mondo un popolo di sonettanti? Oh liberiamoci una volta da questa follia.. Quei cinquecento o seicentomila facitori di righe rimate © non rimate, si traggano d’inganno; siano capaci che un mezzo milione di poeti nol pud la natura produrre, nol puù patire la nazione: cessino di perdere il tempo, d’essere noiosi e ridicoli; occupino l’ingegno in cose utili : studino e imparino ciù che a loro e alla patria giovi sapersi: ci lascino riposare da tanto fastidioso e vergo- gnoso frastuono. So che per poche parole mi fo più d’un milione di nemici. Si sdegnino pure, ma si emendino gl’ ingegni; si purghi l’Italia; lasci le inezie; si riempia di buoni e giovevoli ed onorati studi. » Opere, IX, pp, 344-349. CF. il vol. XI, p. 235, cit. dal Della Giovanna, p. 77, n. 2. Mai come nel Settecento (e l’abuso lamen- tato dal Giordani era un’ eredità di quel secolo) fu vero l’oraziano « qui nescit versus tamen audet fingere » (De Arte poetica, 382).

2, Opere poeliche, VII, p. 295.

I I ES EU AL PU RON SP OU VE Te

UN ALTRO NEMICO DELLE RACCOLTE

son colpite, e con una certa aggiustatezza. Segue la discorrendo dell’ ordinamento delle poesie : °

Chi mai non zoppica D’ accento o rima, S’ avanzi ed occupi La fila prima.

Chi poi nel numero Mal regge in piede,

Cui manca sillaba

O d’essa eccede, Prudenté scelgasi

Secondo posto,

E dietro ai proceri

Si stia nascosto.

179

satira,

Sappiamo che non sempre le Raccolte erano ordinate secondo tali criteri, perchè non era facile che un poeta dappoco si rassegnasse al secondo posto. Si preferiva quindi l’ordine alfabetico, o l’ordine di ricevimento dei versi, e di ciù si faceva esplicita dichiarazione:. Ma la preparazione del volume è compiuta, esso passa in tipografia. Vediamo con che cura debbano procedere le ulteriori operazioni :

Scelti caratteri Da tinta intatti Chiaro tipografo Disponga e adatti; l’onor manchivi Di pellegrino Dilicatissimo Noto bulino.

Di azzurri e candidi Fogli s aduni Gran mole, e gemano I torchi bruni.

Mille si formino Volumi belli Cui gallo artefice Vesta di pelli.

Per la storia del costume, non sarà, credo, senza interesse questa canzonatura delle esotiche preferenze dell’ alta società d’allora. Due esemplari erano poi destinati agli sposi ; e questi richiedevano una preparazione speciale :

Ma due si scelgano Per lisci e pinti Fogli, e per ampio Margin distinti,

Cui fuor, sull’ indico Cuoio dorato, Risplenda il gemino Stemma onorato.

Su piatto argenteo Paggio elegante

AIT alta coppia Li rechi innante;

« E’ questo » dicasi « Umil dovuto Al raro merito Lieve tributo. »

Le due grand’ Anime, Soavemente Ridendo, accettano Il bel presente.

Sono sposi, evidentemente, assai men restii di quelli del

rt. Colagrosso, pp. 33-34.

176 BULLETIN ITALIEN

Bettinelli e del Roncalli, che consideravano le Raccolte neces- sario fastidio:; la loro gioia deve essere anzi immoderata, se il Giordani la confronta (e il paragone è una vera stonatura) con la gioia del «turco despota », nientemeno, quando gli si reca innanzi un tributo di teste recise.

Ma lo scherzo finisce felicemente, con un accenno alla consapevolezza dell’ effimera gloria dei poeti d’allora, consa- pevolezza che tanto crucciava il Frugoni : e da ultimo con una beffa assai arguta, che colpisce insieme i verseggiatori,

e gli sposi, e i lettori :

Voi felicissimi, Ben altro adempiesi Nostri poeti, Qui il vostro voto : Di vostre glorie Fausto è dei nobili Vivete lieti. 26. Sposi il giudizio,

Che monta ai posteri Che tutto lessero Restare ignoto? Il frontispizio.

Sorte comune, questa d’esser giudicate dal frontispizio, delle Raccolte, e, per fortuna del volgo dei leggenti, d’altri libri

parecchi. Giovanni FERRETTI.

1. Amici e nemici, p. 12, n. 2; p. 16.

QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT

LES JURYS D'ITALIEN EN 1910

————

AGRÉGATION

MM. H. Hauverre, professeur adjoint à la Faculté des Lettres de l'Université de Paris, Président.

Bouvx, chargé de cours à la Faculté des Lettres de l'Université de Bordeaux.

LucHatRe, professeur à la Faculté des Lettres de l’Université de Grenoble.

Paour, professeur au lycée Louis-le-Grand.

CERTIFICAT D'APTITUDE

MM. H. Hauverre, Président.

Bonarous, professeur à la Faculté des Lettres de l’Université d’Aix-Marseille.

LUCHAIRE.

BIBLIOGRAPHIE

Dante Alighieri, Vila Nova, suivant le texte critique préparé pour la « Società dantesca italiana », par Michele Barbi, traduite, avec une introduction et des notes, par Henry Cochin. Paris, Honoré Champion, éditeur, 1908.

Voilà longtemps déjà que M. Henry Cochin s’est signalé dans les études italiennes. En 1879, il traduisait la nouvelle de Luigi da Porto sur la tragique histoire de Roméo et Juliette. Sa traduction de la Vita Nuova est toute récente. Dans l'intervalle qui sépare ces deux tenta- tives, M. Cochin s’est occupé de littérature italienne, avec une compétence à laquelle ont rendu hommage les juges les plus auto- risés. IL s’est particulièrement intéressé à Pétrarque et à Boccace, et il complète aujourd’hui ses recherches sur le glorieux Trecento, en remontant jusqu’à l’Alighieri qu’il étudie à l’aurore de son adolescence et de son génie. Commencée il y a quinze ans environ, publiée en 1905 dans la revue l'Occident, reprise plus tard en un magnifique ouvrage de luxe, la traduction française de la Vita Nuova a été mise à la portée du grand public dans ‘üne dernière version rédigée d’après le texte italien établi par Michele Barbi.

L'œuvre de M. Cochin (on peut parler d'œuvre, et même d'œuvre personnelle) comprend une savante et agréable introduction sont examinées et discutées les principales questions relatives à la Vita Nuova; de plus, grâce à un heureux arrangement typographique, le texte traduit correspond, page par page, au texte original; l’on trouve enfin un ensemble de notes destinées à éclaircir les passages les plus difficiles.

L'auteur s'est expliqué loyalement sur la méthode qu'il a suivie : pour traduire avec fidélité, précision et élégance la Vita Nuova, il a adopté «un mot à mot intelligent, assez éclairé des beautés de l'ori- ginal pour en produire comme un reflet aux yeux du lecteur». M. Cochin a rarement manqué le but qu'il s'était proposé, mais il a été obligé parfois d’avoir recours à des expressions et à des tournures surannées. « Sans faire d’archaïsme, dit-il, on n’a pas cru devoir se refuser l'usage de certains mots bien connus, qui appartiennent au vocabulaire du Roman de la Rose, tels que semblant et semblance ; doutance, remembrer, d’autres encore ; car, à vrai dire, on ne pouvait pas s'en passer. De même on n'a pas pu éviter d'employer quelques mots dans le sens qu'ils avaient au xiv° siècle, et non dans celui qu'ils ont malheureusement pris aujourd'hui. De ce nombre sont : pileuæ, avec plusieurs dérivés, et surtout gentil et courtois, pour lesquels nous

BIBLIOGRAPHIE 179

n'avons pas d'équivalents. » Le gentil et courtois libello dantesque a porté bonheur à M. Henry Cochin : son ouvrage sur la Vita Nuova vient d'être couronné par l'Académie française. M. PAOLI.

André Bonneîfons, Un état neutre sous la Révolulion. La chute de la République de Venise (1789-1797), Paris, Librairie acadé- mique Perrin, 1908; 1 vol. petit in-8° de xx-336 pages.

L'histoire de Venise est si captivante qu'on est toujours tenté de remercier les auteurs qui s’en occupent, leurs livres fussent-ils médiocres; et dans celui-ci on aura encore plaisir à retrouver un tableau, vaguement esquissé, de la décadence de la Sérénissime, quelques profils de diplomates, un récit peu original, mais vivement brossé, des Pâques véronaises, et par-ci par-là quelques aperçus sur des négociations ou épisodes diplomatiques mal connus; mais, d’ailleurs, je suis assez de l'avis de M. Ballot qui, dans un article de la Revue d'histoire moderne et contemporaine (t. XIII, p. 97), dit que « ce livre n'ajoutera rien à nos connaissances sur les dernières années de la République de Venise». Disons « à peu près rien » pour être tout à fait juste; et au surplus renvoyons les lecteurs du Bulletin à cet article aussi judicieux que sévère, pour les renseigner sur la documentation et la composition du médiocre ouvrage de M. Bonnefons. Le vrai sujet est mal indiqué par un titre trop vaste : c’est une étude sur les relations diplomatiques de Venise avec la monarchie constitutionnelle et la République française. Mais cette étude n’est qu'ébauchée, faute d’une documentation suffisante. Sur les relations de la Sérénissime et des émigrés, M. Bonnefons ne s’est pas mis au courant : le fonds des Inquisitori di Stato entre autres lui aurait fourni, plus abondamment peut-être pour cette période que pour aucune autre, des riferte de’ confidenti, matériaux aussi solides que pittoresques ; nos études sur le Comte d'Artois à Venise, sur un emblème séditieux à Venise lui auraient montré le genre de trouvailles amusantes qu’on peut y faire. Il est bien difficile de savoir quel fonds l’auteur a consulté à l’Archivio de’ Frari, tant ses références sont rares et vagues. Il est regrettable qu'il n'ait pas publié en appendice les instructions données à Hennin, Noël et Lallement, qui, en raison de leurs dates, resteront en dehors de la collection ministérielle des Instructions aux Ambassadeurs de France à Venise. Le récit de la chute du Gouvernement aristocratique au chapitre VIT est une des moins bonnes parties de son ouvrage.

Léox G. PELISSIER. Giovanni Rabizzani, Chateaubriand. Lanciano, R. Carabba, 1910; in-8°, xxxn1-258 pages.

Si l’on accorde à M. Rabizzani, en toute sincérité, cet éloge mérité de tous points que son Chateaubriand est une très utile étude de

ne. vote dolé te Eds Alors nés Dee Lénine ie RAD ARS Es che NAÏÉS à MÉé à ef u » d Le e v D ; k ; pi

180 BULLETIN ITALIEN

littérature comparée, il en sera sans doute fort mortifié; car dès les premières pages de son avant-propos, il n’a que des paroles dédai- gneuses pour ce genre d'exercice critique : « Voici, » dit-il, «quelques titres à la mode : Milton et l'Italie, Gœthe en France, Dante et la France; mais à part le fait que plusieurs de ces travaux sont l’œuvre érudite et patiente de savants éminents (saluez, MM. Allodoli, Balden- sperger et Farinelli; c'est à vous que ce discours s’adresse!), il demeure barbare de comparer un poète à une région dans son sens géographique, historique ou politique, à un peuple, à une littéra- ture...,à quoi encore}... Pareïlles expressions sont toujours vagues et souvent fausses, ou bien arbitraires et antiphilosophiques.» A lire ce dernier grief, on se croirait revenu aux beaux jours du xvim° siècle, l'on eût bravé bien des reproches pour ne pas encourir celui de _ n'être pas philosophe! Et tout fier, pour ces motifs, d’avoir intitulé son livre Chateaubriand, sans plus, il nous présente une étude il est d’abord question de Chateaubriand et l'Ilalie (c'est la première partie) et ensuite de Chateaubriand en Italie (c'est la seconde partie). Ceux qui préfèrent les réalités aux mots, le féliciteront d’avoir traité ce sujet sans le dire, plutôt que s’il l’avait annoncé sans le traiter.

En ce qui concerne la partie historique de la question, M. Rabiz- zani est bien documenté, et nul ne saurait s’en montrer surpris, puisqu'il a travaillé sous la direction d’un maître comme M. Guido Mazzoni, et avec le secours « de son admirable bibliothèque »; c’est surtout grâce à un si précieux appui que ce livre a pu devenir ce qu'il est, instructif et solide. Pour ce qui est de la « philosophie», M. Ra- bizzani se réclame d’un maître qui, pour ne pas enseigner, n’en exerce pas moins une grande influence sur la jeunesse universitaire d'Italie, M. Benedetto Croce. Chacun connaît et apprécie l’œuvre de cet esprit pénétrant et infatigable, qui continue brillamment, à Naples, la tradi- tion de F. De Sanctis. Un des plus heureux effets de son activité critique a été de mettre un frein à certains excès de la méthode histo- rique, entendue d’une façon étroite, à la mode allemande, en revendi- quant pour la critique esthétique le rôle et la place auxquels elle a droit. [1 n’y a qu’à applaudir à son œuvre. Mais à voir l'usage que certains « jeunes » font de ses idées, on se prend à craindre qu'ils n’en tirent pas le meilleur profit possible.

Dès le premier chapitre, sur le Génie du Christianisme, à propos de la question de savoir si le sujet d’une œuvre d'art possède par lui- même une valeur esthétique, indépendamment de l’auteur qui s’en empare (p. 15-21), nous nous apercevons que M. Rabizzani a une doctrine arrêtée d'avance : pour lui, en ces matières, il y a une vérité et une erreur, et il s'étonne que l'erreur ait été professée par tant d'hommes distingués, parmi lesquels il nomme, outre Chateaubriand, William Cowper, M. Giovanni Pascoli, Ruskin, Guyau, tandis que Gœthe «a hésité entre l’erreur et la vérité » (p. 19). Personnellement, je suis bien d'accord avec M. Rabizzani sur le fond de la question;

Per

BIBLIOGRAPHIE 181

mais cette conception d’une orthodoxie esthétique, est la chose la plus déconcertante du monde. Qui veut s'occuper de l’histoire des idées doit avant tout éprouver pour les idées d'autrui, indépendamment des siennes propres, une certaine sympathie; au moins doit-on faire effort pour en comprendre la genèse et le rapport avec le milieu intellectuel et social elles se sont formées, sans se préoccuper constamment de leur valeur absolue; les opposer dédaigneusement avec ce que vous en pensez, ou avec ce que j'en pense, en l’an de grâce 1910, est la meilleure facon de ne pas les comprendre. Déclarer par exemple que les louanges accordées par ses contemporains à Chateaubriand, pour sa façon « juste et féconde» de traiter des caractères et des passions, furent les plus sots éloges que l’on pût lui adresser (p. 24), c’est prendre une peine inutile, qui met seulement en lumière la suffisance du critique; j'aimerais mieux qu’il cherchât à comprendre et à m'expliquer . pourquoi, à un moment donné, le point de vue de Chateaubriand a pu paraître «juste et fécond », et à me dire s’il l’a été, oui ou non.

Un peu plus loin, M. Rabizzani part en guerre contre la méthode comparative appliquée à l'étude des sentiments (p. 27 et suiv.), parce que De Sanctis a fait très justement observer que l'expression des sentiments dépend du caractère de celui qui parle, des conditions spéciales il se trouve, du siècle il vit, de ceux auxquels il s'adresse, etc... Mais précisément la critique objective, ou histo- rique, a pour but de faire ressortir la valeur relative de toutes ces circonstances contingentes; par ce moyen, elle peut reconstituer l'histoire des sentiments, non dans ce qu’ils ont de fixe et d’immuable, mais au contraire dans leurs perpétuels changements. À un critique récent, M. van Tieghem (Revue du mois, mars 1906), qui croit à l'utilité de la méthode comparative pour étudier les sentiments, M. Rabizzani oppose cet axiome ou ce dogme: «Le poète, dans sa création, ne s'occupe pas de savoir si un sentiment est odieux ou admirable, mais seulement s’il est vrai (p. 28). » Mais de quel poète parle ici M. Ra- bizzani ? A-t-il en vue tel ou tel poète déterminé, ou bien s'agit-il du type fixe, immuable, absolu du poète « en soi »? Croit-il qu'en façon- . nant le personnage de Lucrèce Borgia, V. Hugo ait eu l'intention de «faire vrai », plutôt que de créer un monstre purifié par le plus sublime des sentiments, l'amour maternel? Pense-t-il que Manzoni n’a pas volontairement prêté des sentiments odieux à don Rodrigo, et, par contraste, des sentiments d’une admirable générosité à fra Cristoforo? Et s’il ne le croit pas comme il faut l’espérer! que signifie cette affirmation solennelle de principes absolus ?

S'il avait voulu donner pour base à son travail, déclare-t-il (p. 107), cette détestable méthode comparative, il aurait prendre la person- nalité de Chateaubriand comme une pierre de touche, comme l'unité de mesure, pour y rapporter tous les romantiques italiens, « travail stupide et inutile ». On peut lui objecter qu’il ne fait pas autre chose dans son chapitre V, et qu’en tout cas il n’est pas beaucoup moins

182 BULLETIN ITALIEN

inutile (faisons - lui grâce de l’autre épithète) de juger Chateaubriand d’après certains principes d'esthétique que celui-ci n’a pas pu con- naître. C’est un peu l’histoire de nos critiques du bon vieux temps, qui condamnaient sans appel la Divine Comédie comme un monstre, parce qu'aucune des toises en usage dans l'arsenal classique ne per- mettait de la jauger. Une pierre de touche vaut l’autre, et il serait peut-être temps de renoncer à en trouver une pour l'appliquer aux ouvrages de l'esprit; cela ressemble trop à la pierre philosophale!

Cet emploi maladroit du dogmatisme critique ne peut que hâter une réaction en faveur d’une méthode de plus en plus objective, moins préoccupée de juger que de comprendre, fondée sur l’étude attentive d’une époque, d’un milieu, d’un tempérament, et non sur des théories préconçues. L'histoire a du bon, quand ce ne serait que d'enseigner à tenir compte des dates et à distinguer les générations! M. Rabizzani conclut sa première partie en remarquant, avec De Sanctis, que le sentimentalisme de René a été frappé à mort par l'ironie de Heïine : « Henri Heïne détruit tout ce passé sentimental; il est l’âme la plus représentative de notre société » (p. g1) phrase révélatrice, nous apprenons tout à coup que ce «jeune» du moins le croyions-nous tel jusque-là est un contemporain de De Sanctis et de Heine! Sans doute, il essaie de se rajeunir en citant les Saggi critici du premier dans l'édition de 1898; mais nous n'oublions pas pour cela que le volume remonte à 1866, et que H. Heïne était mort dix ans plus tôt! Que M. Rabizzani tâche donc de faire abstrac- tion d’impressions qui remontent à un grand demi-siècle, et qu'il s'efforce de regarder autour de nous : il verra que le sarcasme de Heine est aussi peu de mise aujourd’hui que la mélancolie de René pouvait l'être il y a cinquante ans; les luttes profondes qui nous agitent, qui nous divisent, qui nous conduisent rapidement vers un état social tout nouveau, ne sont pas de celles que la jeunesse puisse suivre d’un regard ironique; il faut prendre parti, c'est-à-dire s’atta- cher à un idéal, travailler à le faire triompher et nous ne voyons pas que la jeunesse se dérobe à ce devoir sacré.

Nous voici bien loin de Chateaubriand; mais c’est un des mérites de ce livre de soulever beaucoup de questions générales, et ilen a d’autres encore : il est agréablement écrit ; il est nourri de faits ; il est précis et clair; il donne, soit en note, soit en appendice, des excursus curieux sur certains points particuliers. Ce qui m'y a paru le plus défectueux, ce sont les idées, auxquelles je crains que M. Rabizzani ne tienne plus qu’à tout le reste; sa philosophie l’a constamment gêné et souvent égaré; qu'il consente à cultiver tout simplement l'histoire

littéraire ; il peut y réussir fort bien. Hevr: HAUVETTE,

CHRONIQUE

L'Index des cinquante premiers volumes (1883-1907) du Gior- nale Storico della Letteratura Italiana vient de paraître (Turin, Læs- cher, 1909; vin-5o9 pages). L'importance capitale de cette revue dans nos études est trop connue pour qu'il soit besoin d'insister sur les services que cet Index est appelé à rendre. Il se compose de trois parties : l'index alphabétique, par noms d'auteurs, des écrits signés publiés dans le Giornale pendant ces vingt-cinq années ; l'index alpha- bétique, par noms d'auteurs, de la bibliographie, c'est-à-dire de tous les ouvrages analysés, mentionnés ou simplement annoncés; enfin une table des notices nécrologiques.

Comme on voit, il n’y a pas ici d’index analytique des personnes ou des matières auxquelles se rapportent articles et ouvrages signalés, et c'est une lacune qui ne peut manquer de causer bien des regrets : car si je m'intéresse à une question d'histoire littéraire déterminée, j'ai le droit d'ignorer les noms de tous ceux qui s’en sont occupés, et c'est précisément ce qu'une table bien comprise devrait surtout m'aider à savoir. Dira-t-on que cela eût exigé un dépouillement trop long et forméun volume trop considérable? Cette excuse pourrait tout au plus justifier le retard de cette partie indispensable des tables, que nous attendons encore. Nous l’attendons d'autant plus légitimement qu'en 1896 la maison Læscher avait publié sur ce plan l'index des tomes [ à XXIV; il faudra que cette publication soit continuée ; la refonte des index alphabétiques des auteurs n’en dispense pas. H. H.

…— Un volume de M. Rodolfo Renier est une bonne fortune trop rare pour que nous n’en signalions pas au plus vite l'apparition. Absorbé par son enseignement d’une part, et de l’autre par la labo- rieuse direction du Giornate Slorico della Letteratura Italiana, M. Renier se déclare lui-même « mort comme producteur de matière scientifique originale »; nul ne l’en croira; car dans sa chaire de Turin, comme dans le Giornale Storico, il est difficile de déployer une activité plus variée, plus féconde, qui suppose, avec une pareille facilité, une information aussi étendue et aussi solide; cela est prodi- gieux. Mais il est certain que le temps fait défaut à ce vaillant esprit pour se recueillir et pour édifier une de ces œuvres organiques dont la gestation n’admet guère de partage, et il faut admirer le renonce- ment de l’homme qui se dévoue ainsi tout entier à une tâche de

18/4 BULLETIN ITALIEN

direction scientifique. Heureusement il n'a perdu l’habitude ni de lire pour son propre plaisir, ni de méditer sur ses lectures; et de ces méditations est sortie, depuis plusieurs années, une série d'articles très remarqués, qui ont paru pour la plupart dans le Fan/ulla della Domenica; on fut charmé de trouver, sous la plume de ce savant, de ce philologue, de cet austère défenseur de la rigide méthode histo- rique, les qualités les plus aimables dont puisse se parer la meilleure vulgarisation, celle qui repose sur une information de première main. C’est un choix de ces articles que M. Renier nous présente sous le titre trop modeste de Svaghi crilici, en un élégant volume de 560 pages publié par l'éditeur Laterza de Bari (1910).

Il ya vingt-quatre écrits dont onze concernent la littérature italienne, depuis la dantesque Gaïa di Gherardo da Camino jusqu’à G. D’Annunzio, en passant par Vannozzo, Gellini, S. Rosa, la fille de Monti, sans oublier une importante étude sur l’ancien « gergo furbesco » ; six articles sont consacrés à la littérature française (Mar- guerite de Navarre, Corinne, Stendhal, Zola, Maupassant, J. Verne), et trois à la littérature allemande (H. Heine, A. Stifter, G. Keller); sous la rubrique «Varia », sont groupées quatre études concernant plus directement le folk-lore : Arlequin, le Juif errant, hagiographie scien- tifique, et la Santa Casa de Lorette. Si les questions abordées sont par elles-mêmes fort attrayantes, la façon dont elles sont traitées est telle que lorsqu'on a jeté les yeux sur un quelconquede ces chapitres, il est impossible de ne pas le lire jusqu’au bout. H. H.

Nous devons au chroniqueur florentin Donato Velluti un pré- cieux témoignage, d'où il ressort que le jeu de tennis a été introduit avec ce nom à Florence par des chevaliers français au début de 1325. À propos d’un Tommaso di Lippaccio qui passait alors son temps à jouer à la balle avec les Français, D. Velluti ajoute: «e di quello tempo si comincio a giucare a tenes.» M. Pio Rajna commente cette phrase curieuse, avec sa compétence habituelle, dans le Marzocco du 13 février 1910. Voilà donc encore une mode anglaise dont l'in- troduction en France n’a été qu'un retour dans son pays natal, et c’est un Florentin qui nous l’apprend!

A dire vrai, le sens et l’origine de.ce mot « tenes » laisse le champ libre à plus d’une discussion : l’étymologie la plus vraisemblable est le mot « tenez » prononcé par les joueurs en lançant la balle. M. Rajna écarte cette explication par des considérations qui ne nous paraissent pas décisives, malgré ses efforts pour faire triompher une étymologie allemande (tenne— aire, surface plane en terre battue), il est obligé d'en reconnaître toute l’invraisemblance; quant au mot tens (dont nous avons conservé le radical dans notre verbe tancer, et dans l'italien tenzone), il lui plairait fort s’il signifiait, plutôt que lutte, quelque chose comme défense, obstacle. Mais un Florentin aurait,

CHRONIQUE 185

dans ce dernier cas, écrit {ense ou tenso (comp. renso Reims) et non tenes ; et il ne paraît pas du tout certain que D. Velluti ait prononcé ténes plutôt que tenés, car c'est bien le mot français, et non sa pro- nonciation populaire florentine (tenèsse), qu'il a voulu transcrire, exactement comme les Florentins résidant en France appelaient la ville de Blois Bles (et non Blesse). Dans ces conditions nous nous rallions, jusqu'à nouvel ordre, à l'explication du «tenes» florentin et du « tennis » anglais par l’exclamation : «tenez! ». H. H.

M. Lage F. W.Staël von Holstein a présenté à l’Université d'Upsal une thèse sur Le roman d’Athis et Prophilias, étude littéraire sur ses deux versions (Upsal, 1909, vir-126 pages). Ce travail, exécuté

suivant une excellente méthode et avec une information patiente et solide, ne nous intéresse ici que par le côté il touche à la littérature italienne ; la première partie du roman a servi de modèle en effet à la huitième nouvelle de la dixième journée du Décaméron, qui a eu elle- même une assez belle destinée entre toutes les nouvelles de Boccace (voir Bull. italien, 1909, p. 12-14 et 211). M. Staël résume fort claire- ment les opinions déjà émises sur ce problème, se rallie aux conclu- sions récentes de L. Di Francia, et fait ressortir ce détail intéressant que le manuscrit d’Alhis, aujourd'hui conservé à Londres, a pu être consulté à Naples par Boccace ; car il porte la date de 1330 et appartint à Jeanne, duchesse d'Athènes, comtesse de Brienne et de Liches, mère de ce Gauthier, duc d’Athènes, qui est célèbre dans l’histoire de Florence ; celle-ci vivait alors à la cour du roi Robert de Naples. H.H.

—— Signalons une importante publication franco-italienne sur Léonard de Vinci: Leonardo da Vinci, conferenze fiorentine; avec 30 illustrations; Milan, Treves, 1910; gr. in-8° de 326 pages. Ces conférences furent tenues au cercle Leonardo de Florence, il y a au moins quatre ou cinq ans; pour arriver un peu en retard, la publica- tion n’en est pas moins la bienvenue. Cet élégant volume comprend

les articles suivants : * Ed. Solmi, La risurrezione dell’ opera di Leonardo.

M. Reymond, L'éducation de Léonard.

Angelo Conti, Leonardo pittore.

Vitt. Spinazzola, Leonardo architetto.

Ant. Favaro, Leonardo nella storia delle scienze sperimentali.

Filippo Bottazzi, Leonardo biologo e anatomico.

B. Croce, Leonardo filosofo.

L. Del Lungo, Leonardo scrittore.

Joséphin Péladan, Épilogue.

À ces neuf conférences vient s'ajouter un curieux écrit d'actualité : L'aeroplano di Leonardo, par M. Luca Beltrami. H. H.

- Les thèses de doctorat sur le xvi° siècle français, avec plus d'une référence à l'influence italienne, se suivent de près à la Sor-

ETS NT ANT D SE MORT RE TPE E us # 2 48e

186 BULLETIN LTALIEN

bonne; en attendant la soutenance prochaine des thèses de MM. Plat- tard, sur Rabelais, et Laumonier, sur Ronsard, l’année 1909 s’est achevée avec le Baïf, de M. Augé-Chiquet (La vie, les idées et l'œuvre de Jean- Antoine de Baïf; Paris-Toulouse, 1909, xix-618 pages). Le nouveau docteur a reçu des éloges mérités, et même obtenu un légitime succès, pour la conscience et le talent grâce auxquels il a fait revivre la physionomie d’un poète dont l’œuvre manque un peu d’attrait. Au point de vue italien, il faut signaler tout parti- culièrement le chapitre III (Baïf poète lyrique), qui définit avec pré- cision ce que l'inspiration de Baïf doit à Pétrarque, à Sannazar, à Bembo et à leurs disciples, en même temps qu'aux petits vers latins, galants et sensuels des humanistes; mais l'influence italienne est étudiée encore en d’autres parties (ch. VI, L’Alexandrinisme, mais pourquoi indiquer ici les imitations de l’Arioste? et ch. VII, Les vers rimés, important pour l'étude des formes métriques). La thèse complémentaire de M. Augé-Chiquet (édition critique des Amours de J.-A. de Baïf, œuvre de jeunesse, publiée en 1552) permet de saisir sur le vif le procédé du poète dans l'emploi qu’il fait de ses modèles; car, outre les variantes du texte, l'éditeur a eu la très bonne précaution d'indiquer les sources des pièces autant qu’elles sont connues, et de les citer intégralement quand le texte en est moins accessible que les œuvres de Pétrarque. Seulement, sur ce point, on regrettera que M. Augé-Chiquet, un peu pressé peut-être, n'ait pas su rendre plus évidents les procédés de Baïf dans limitation. La sèche rubrique « sources » est trop vague, car il y a bien des façons d'utiliser des sources : on peut traduire littéralement, imiter de près ou de loin, s'inspirer d’un quatrain, d'un tercet, d'un vers, d’une image, et tout cela vaut la péine d’être indiqué; des lecteurs pressés (ce sont les plus nombreux) penseront que Baïf a fidèlement traduit toutes les pièces qu'ils apercevront au bas des pages, et cela n’est pas du tout exact. Car parmi ces prétendues sources on relève d'assez vagues réminis- cences (pour le sonnet O nuit plaisante, M. Augé-Chiquet lui-même en convient, p. 88 de sa grande thèse), et plus souvent de simples rapprochements ce qui est bien différent. En ces sujets si délicats, il faudrait pouvoir tenir compte des intermédiaires qui se sont inter- posés sans doute entre le poète et son modèle présumé : tous ces thèmes ont tellement servi qu'il faut, deux fois sur trois, renoncer à décider si la source est ici plutôt que là, du moins dans le cas de Baïf qui, en somme, a rarement traduit. Il y a une question de méthode qui a son importance pour la rédaction d’un travail de cette nature. H. H. |

L'éditeur A.-F, Formiggini, de Modène, vient de publier une « Miscellanea Tassoniana di studi storici e letlerari pubblicata nella Festa della Fossalta xxvur giugno MDCCCCVIIT a cura di

PUBLICATIONS NOUVELLES 187

lommaso Casini e di Venceslao Santi, con prefazione di Giovanni Pascoli ». C’est un élégant volume in-4°, de x1-510 pages, illustré de reproductions d’estampes nombreuses et bien réussies. Parmi les trente savants mémoires qui y sont réuni$, nous signalerons ici seulement ceux qui offrent un intérêt particulier au point de vue de la littérature comparée : Carlo Frati, Re Enzo e un anlica versione francese di due trattati di falconeria; Francesco Picco, La « sage- femme» della Secchia Rapita (sur J. Chapelain); Giovanni Setti, Tassoni e Montaigne; Giulio Bertoni, /ntorno ad alcune citazioni provenzali e a una grammatichetta francese di A. Tassoni. Signalons encore, pour son intérêt artistique, l'étude de Giulio Bariola, Le illus- trazioni alla Secchia. Les autres études, d’un caractère plus spécia- lement historique ou philologique, n’ont d’ailleurs pas une moindre valeur. H. H. .

PUBLICATIONS NOUVELLES ADRESSÉES AU BULLETIN

AnNzrani (JEANNE), La Città di S. Caterina. Sienne, 1909; 41 pages. Extrait du Bollettino Senese di Sloria Patria, anno XVI, 1909. (Introduction du mémoire présenté par M'"° Anziani pour le diplôme d'études supérieures d’italien, à la Sorbonne. Le Bulletin italien publie, d'autre part, un autre fragment de ce mémoire.)

Catalogo dei Codici marciani italiani, a cura della Direzione della R. Biblioteca di S. Marco a Venezia; volume I (Fondo antico, classe I, IL ID), redatto da Carlo Frati e À. Segarizzi; Modène, Ferraguti, 1909; in-4°, xu-379 pages. (Premier volume de cette importante publication, qui en comprendra au moins six.)

Crescinr (Vincenzo), Nuove postille al trattalo amoroso d’Andrea Cappellano ($$ 1-32). Venise, 1909; 99 pages (Extr. des Ati del R. Istituto Veneto di scienze, lettere ed arti, t. LXIX). (Première partie

_de cet important travail, dont la suite paraîtra dans le volume suivant du même recueil.)

Darcmixi (GArrano), Alla ricerca di Gesü. Note di un viaggio in Oriente (1906); con illustrazioni. Rome-Milan, Albrighi-Segati, 1910; in-16, 320 pages.

De Mazoë (Error), Le Fonti della Gerusalemme liberata con nuova ragione critica. Parme, Typ. coop., 1910; xvi-344 pages, in-8.

Doxart (L.), Corso pralico di lingua italiana per le scuole francesi. Grammatica; esercizi; letture. Zurich, Orell Füssli, Paris, Fisch- bacher; 1909.

FerRETTL (GiovANNI), Pietro Giordani e Pietro Custodi (Extr. du Bollettino slorico piacentino, anno IV, 1909; 12 pages). (Lettres extraites de la collection Custodi à la Bibliothèque Nationale, dont notre collaborateur L. Auvray a donné ici même le Catalogue, t. III-V.)

PEN ES PI SR PTE EN vd el £ Les À

188 BULLETIN ITALIEN

FerRiA (C. Vicror LAURENT), Grammaire italienne; cours élémen- taire. Paris, Poussielgue, 1909 (174 pages).

I Fioretti di S. Francesco con Introduzione e Commento per cura di ArnazpO DELLA Torre. Turin, G.-B. Paravia ; in-16 de Lvi-285 pages, 8. d. (mars 1909). (L'importance de l’'Introduction, des notes et des index font de cette nouvelle édition le véritable texte d'étude pour les amateurs des Fiorelti.)

GAaRoOFALO pi Boxiro (P.), Acrisia Vichiana nella « Scienza Nuova », annotazioni critiche. Naples, Detken, 1909, 1 vol. in-8.

Hurrox (EpwarD), Giovanni Boccaccio; a biographical study, with photogravure frontispiece and numerous other illustrations. Londres, John Lane, 1910; in-8°, xxvinr-426 pages.

ManacorDA (Guipo), Germania filologica; guida bibliografica per gli studiosi e per gli insegnanti di lingua e letteratura tedesca, con circa 20,000 indicazioni. Crémone, P. Fezzi, 1910; gr. in-8° de 280 pages (10 francs).

NIGHTINGALE JoNEs (FLORENCE), Boccaccio and his imitators in german, english, french, spanish and italian literature. The Deca- meron. Chicago, University of Chicago press, 1910; gr. in-8°, iIV-16 pages.

Proro (Enrico), Per alcune ricerche sulle fonti del « Mondo Creato » di T. Tasso. Naples, 1910 (Extr. de la Rassegna critica della lett. ilaliana, XIV, p. 193 et suiv.), 45 pages (Polémique avec M. Scopa).

Rexrer (Ropozro), Svaghi crilici. Bari, Laterza, 1910; in-16, vin-566 pages.

Société des Professeurs de langues vivantes de l'Enseignement public. Congrès international, tenu à Paris du 14 au 17 avril 4909. Compte rendu général publié par les soins de M. G. Delobel, secré- taire général du Congrès. Paris, Henry Paulin, 1909; grand in-8° de 847 pages.

Viaxey (Joseru), Préface pour la réimpression des Amours de P. de Ronsard Vandomois commentées par Marc-Antoine Muret; nouvelle édition publiée d’après le texte de 1578 par Hucues VaGanay. Paris, Honoré Champion, 1910; in-4°.

5 avril 1910.

Le Secrétaire de la Rédaction, Eucène BOUVY. Le Directeur-Gérant, GEorGEs RADET.

Bordeaux. Impr. G. GounôuiLuou, rue Guiraude, 9-11,

LA PP PE PORT PRE ne PO 20 [5 ET OR © QT a et 2, PE AT NE TE Ne AE æ - j Dan J A Let AE nd '

Vol. X. Juillet-Septembre 1910. 3.

POUR LE TEXTE

DU DIALOGUE» DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE

En faisant un travail sur le Dialogue de la Divine Providence de sainte Catherine de Sienne, j'ai été amenée à consulter, non seulement les éditions assez nombreuses que nous en possédons, mais encore quelques manuscrits intéressants.

La dernière édition du Dialogue, qui est d’ailleurs fort rare, est celle qu'a publiée Girolamo Gigli (Sienne, 1707), et son texte s’écarte sensiblement de celui des éditions antérieures, toutes vénitiennes: à l’exception de l’incunable bolonais de l'Azzoguidi (1472, in-folio).

Or, la leçon de Gigli ressemble beaucoup à celle d’un manus- crit de la Laurentienne, cod. Gaddiano, PI. 89 sup. 100, du xiv° siècle. Dans ce manuscrit, nous trouvons au bas du feuillet :84 (recto), après les oraisons qui font suite au texte du Dialogue, la note suivante, de la même main que le reste:

« Or in apresso scriveremo circa a un colonello il quale per errore manca in questo libro a capitoli CLXIII. » Et en effet, au feuillet 146 (verso), au milieu de la marge de la première colonne, on peut lire:

« Qui manca circa a uno colonello il quale è scricto in questo libro accarte CLXXXIIIE. » |

Il est bon de noter que ce passage omis tient, sur la page 18/ de notre manuscrit, à peu près deux colonnes, et que le «circa a un colonello » ne peut se rapporter qu’au manuscrit qui a servi de modèle.

D'ailleurs ce manuscrit 89 sup. 100 est surtout intéressant

1. Mathio Codeca, Venezia, 1483 et 1494; Arrivabene, ibid., 1517; Marchio Sessa, ibid., 1540; Farri, ibid., 1579; Giacomo Cornetti, ibid., 1589.

2. Cf., pour la description, le Catalogue des Manuscrits latins de la Bibliothèque Laurentienne, par Bandini, t. V, col. 334.

AFB., IVe Série. Bull. ital., X, 1910, 3. 13

190 BULLETIN ITALIEN

par le fait qu'il est une copie, et une copie faite au xrv° siècle. Le Dialogue est écrit en 1378; ce n’est qu'après la mort de sainte Catherine, en 1380, que ses disciples transcrivent et répandent ses œuvres. Il y a donc des chances pour que le manuscrit qui a servi de modèle au nôtre soit au moins une des premières copies toscanes. |

À Florence il n'existe pas de texte plus ancien: les deux autres manuscrits du Dialogue (Biscioni 21 et 22) étant posté- rieurs'. Mais à Sienne, à la Bibliothèque Communale, on trouve, catalogué dans l’/ndice per Materie de Ilari, un manus- crit du Dialogue qui est coté actuellement I, VI, 13, et qui, à la page 140 (verso), immédiatement après le texte du Dialogue, porte une note effacée; mais que l’on déchiffre à l’aide d’un réactif :

«Anno vero Domini millessimo trecentesimo e octagesimo ottavo. »

Ce manuscrit, sur papier, contient d’abord six lettres sainte Catherine (f. 1-5 recto), puis le texte du Dialogue (f. xo- 140 verso). L'écriture, assez régulière au début, se gâte à partir de la page 41, et les lettres gothiques prennent peu à peu l’inclinaison, les boucles et les fioritures de l'écriture cursive de l’époque. On remarque beaucoup de corrections entre les lignes et dans les marges; les formes dialectales du langage populaire siennois abondent, et on relève d'innombrables erreurs de graphie. |

Une note de Gaetano Milanesi sur le premier feuillet de garde porte: «Si dubita che questo libro sia scritto di mano di Andrea di Vanni, pittore, amico della Santa. » Si cette hypothèse est fondée et la comparaison de cette écriture avec celle de la lettre du peintre siennoïs, reproduite en photo- gravure dans la publication Scrillura di arlisti ilaliani (Firenze, 1869-73), ne s’y oppose nullement, non plus que les nombreuses incorrections caractéristiques, si cette hypothèse est fondée, ce manuscrit nous reporte à une époque l'œuvre de Cathe- rine n’était pour ainsi dire pas sortie du petit cercle de ses amis et de ses disciples locaux.

1. 1473 et 1454.

POUR LE TEXTE DU ( DIALOGUE }) DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE 191

Un autre manuscrit nous permet de remonter plus haut encore. 5

Gigli, dans la Préface de son édition du Dialogue, dit que «le texte ancien de la Sainte Verginella n’a jamais été publié jusqu'ici, sinon avec de fortes altérations de mots et de sens; et qu'il est parfois si différent de la leçon véritable, et si informe, . que les publications les plus connues, faites à Venise chez Farri et chez d’autres, se trouvent, en les comparant avec le manus- | crit, non seulement dépouillées de toute grâce d’élocution et | de saveur toscane, mais manquent en grande partie de leur clarté et de leur force primitives; et enfin (ce qui est pire) elles . sont criblées d'erreurs considérables qui pouvaient parfois + È inquiéter un lecteur chrétien, et lui faire rechercher une | interprétation ». 4 Or, le manuscrit que Gigli prétend avoir copié, et qu'il a vu 3 dans la chapelle privée de Silvio Gori Pannilini, a été légué : à la Bibliothèque Communale de Sienne par Gregorio Gori Pannilini en mai 1882, et il est actuellement décrit dans l’Appendice manuscrit du Catalogue, sous la rubrique T, IE, 9.

C’est un manuscrit en parchemin de 148 feuillets mesurant o m. 190 X o m. 263; le feuillet 49, écrit en minuscules modernes, porte au verso, en bas, la note suivante:

« Come in congiuntura di fare il confronto e correggere il libro stampato dei Dialogi {sic) di S. Cat* col presente libro esistente appresso il Silvio Gori, per ridurre in miglior uso l’opere della Santa, si trovo da me, Giulio Donati che feci la detta fatica, rasato il | presente foglio, quale fu di poi, l’anno 1704 trascritto da me da altro Ê libro che è una buona copia del sopradetto, che si ritrova il nob. Sign” Flavio Petrucci. »

3 | Entre les feuillets était glissée une note manuscrite sur papier contenant ces mots :

, « Memoria.

| Questo libro che fu donato al Sig. Silvio Gori Pannilini dal medico Girolamo Bandiera contiene li Dialoghi di S. Caterina da Siena da lei dettati in tempo che stava in estasi, e fu scritto dal Beato Stefano Ma- coni compagno diletto della Santa che fu poi Generale della Certosa. »

1. Girolamo Gigli, Opere di Sta Gaterina, t. IV, p. vr.

TR de VU LA

192 BULLETIN ITALIEN

Or, Stefano Maconi était à cette époque le secrétaire habituel de sainte Catherine; c’est lui qui, avec Neri Pagliaresi e Barduccio Canigiani, écrivit, sur des feuillets aujourd'hui égarés, ce que Catherine dictait en octobre 1378 de son Dialogue de la Divine Providence; c’est à lui que Ser Cristofano di Gano Guidini s’adressa, en 1386, pour le prier de corriger une traduction du Dialogue qu'il venait de faire en latin:. Cette attribution du manuscrit à Stefano est basée sur le fait qu'on trouve à la fin du texte la formule: « prega Dio per lo tuo inutile fratello, » formule que Maconi avait coutume de mettre au bas des lettres qu'il écrivait pour lui-même ou sous la dictée de Catherine».

Ainsi présenté, ce manuscrit est intéressant et mérite d'être étudié. Il commence ainsi, tout en haut du feuillet x :

«AI nome di Yhux crocifixo. E di Maria dolce.

Questo libro fece la venerabile vergina Katerina da Siena mantellata di Sancto domenico: liber divine doctrine date per persona del primo intellectui loquentis gloriose e felice virgini katerine de senis predica- torum ordinis, e scriptus ipsa dictante lingua vulgariter, e stante in raptu actualiter, et audiente quia in ea loqueretur domine deus, e coram pluribus referente. »

Suit le texte, très correct, avec des latinismes d'orthographe (scripto, decto, facto... contemplatione, etc.); le caractère droit, étroit, régulier de l'écriture gothique est bien celui du xiv° siècle. Les initiales, vermillon et cobalt alternés, sont fermes et sans fioritures. Les notes et les corrections à l'encre noire sont de la même main. Les rubriques à l’encre rouge, indiquant les titres des chapitres et des traités, telles que les a adoptées Gigli, et, avant Gigli, tous les copistes de manuscrits et tous les éditeurs vénitiens, ont été rajoulées après coup; entre les lignes, dans les marges, en haut et en bas des pages; et ces rubriques ne concordent pas avec la division en chapitres indiquée par les majuscules.

1. Cf, G. Gigli, Operé di Sta Caterina, t. IV, p. 1x, e seg. a. Cf. Bibl. Com. de Sienne, Cod, 1, II, 15.

POUR LE TEXTE DU ( DIALOGUE ) DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE 193 A la page 137 (verso) le Dialogue finit ainsi:

« Qui finisce ellibro facto e compilato per la venerandissima vergine, fidelissima serva e sposa di Yhux xpo crocifixo Katerina da Siena del abito di Sancto domenico socto gli anni dofnini MccczXX VIII del

mese d'octobre. AMEN

Prega dio per lo tuo inutile fratello. »

Le feuillet 138 est blanc. Les feuillets 139 à 148 (recto) sont écrits dans le même caractère et probablement par la même main, mais avec une plume un peu plus large. Les rubriques à l'encre rouge font ici corps avec le texte. Dans cette deuxième partie nous trouvons :

« La venerandissima vergine Katerina da Siena. mantellata e vera figluola di sancto domenico. essendo a Roma. mandô questa lettera al Maestro Ramondo da Capua del decto ordine. singularissimo padre dell” anima sua. Avendolo papa urbano sexto mandato a genova. Nella quale di chiaro gli notifica la sua morte. benchè honestamente. » Cette lettre porte le CII dans l'édition de Gigli (vol. IF, p. 635).

Au feuillet r4r (recto):

« Certi nuovi misterii che dio adoperd nel anima della decta sua sposa Caterina la domenica della sexagesima. come di sopra si fa mentione. E quali essa significo al decto mastro Ramondo. » Lettre CIIT de l’éd. Gigli (vol. I, p. 647).

Au feuillet 142 (verso) :

« Certe parole le quali essa benedetta vergine orando dixe doppo el teribile caso che ella ebbe el lunedi a nocte doppo la sexagesima. quando da la famiglia fu pianta amaramente come morta. Doppo el quale caso ella mai non fu sana del corpo. Ma continuamente aggravoe infino al fine. » Éd. Gigli (tome IV, p. 373).

Au feuillet 143 (recto, col. D):

« Certi ponti del sermone che ella ci fece. sentendosi agravare. » Éd. Gigli (tome IV, p. 38r).

Au feuillet. 144 (verso, col. IT):

«Appresso scrivard parte del ordine del glorioso e felice fine di questa dolce vergine. secondo che nostri bassi intellecti poterono

194 BULLETIN ITALIEN

comprendere, preoccupati di grandissimo dolore. » Dialogo, éd. Marchio Sessa (Venezia, 1540), à la fin, avec de légères altérations.

Au feuillet 146 (verso, col. IT):

«Una notabile e bella visione che ebbe una matrona Romana. serva di dio. El di alora che la decta sposa di Yhux xpo passoe di questa vita.»

La vision, inédite (en latin), se termine au bas de la page 148 (recto) par le «responsorio » reproduit par le manuscrit de la Laurentienne :

Ad honorem Yhux Xpo crucifixi. Et memoriam virginis predilecte sponse sue.

Opem miram quam dedisti, dum vixisti. et dum transisti. filiis quos dilexisti. dum te ipsis profuturam post mortem promisisti. Nos tuis iuvas precibus. imple mater quod dixisti. que tot signis claravisti. nobis opem feras Xpisti. Nos tuis..

Alia principio ecc.

Ora pro nobis beata mater Katerina

Ut digni efficiamur promissionibus Xpi.

Domine Yhux Xpiste qui sponsam tuam beatam Katerinam aureola triplici mirabiliter dotare dignatus es, Concede propitius ut cuius memoria facimus ei apud te semper patrocinia sentiamur. Qui vivis et regnas cum deo patre in unitate spiritus sancti deus. per omnia secula seculorum. amen.

Orate pro scriptore.

Enfin, au verso du dernier feuillet (148) se trouve une « laude» en forme de ballade, composée par frà Tommaso Nacci. Caffarini, en l'honneur de sainte Catherine. Elle est d’une écriture contemporaine, mais beaucoup plus fine, celle de frà Tommaso sans doute. L’encre est moins noire et l’initiale n’est pas coloriée :

Si forte di parlare io son costretto quel c’ho nel intelletto che più I tacer non posso sofferire.

1. Voir le Post-Scriptum de cet article.

2, On peut croire que la ballade a été écrite ici par l’auteur lui-même : l'écriture est identique à celle du manuscrit B-VII-5 de la Communale de Sienne (Regole di Fratelli e Sorelle del Terz’ Ordine di Penitenza di San Domenico), écrit par Fra Tommaso Caffarini.

L __ POUR LE TEXTE DU ( DIALOGUE )} DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE 199

Non posso sofferir di questa santa

ched ÿ’ non parli con fervor de illa

ch’ ell’ è da la suo cima ffin la pianta

piena di Cristo, ell” è la ver’ ancilla,

che la suo gloria di e notte canta

tenendo sempre al ciel la suo pupilla

che lagrime sfavilla | tutte piatose benigne e amorose

chiedendo grazie a Dio con sant’ ardire.

Con sant’ ardir fanciulla spregia ‘1 mondo, e ’l salvator eleggie per suo sposo di che Cristo Gesù tutto giocondo l’anguadia (?)' con un anel glorioso, e ell’ allor si dispone profondo di sol piacer a Cristo dilectoso, con cuor desideroso | lui amando quanto pud sforzando con tutto’ 1 cuor a Ilui sempre servire.

Sempre servire a Ilui, già mai non posa, ferventemente ne la vita attiva per modo che è cosa maraviglosa ; po’ tratta essendo alla contemplativa, e com’ un’ ape tutt’ argomentosa e sempre di virtüu ragunativa?, tutta caritativa | per me’ potere al signor compiacere ed al suo dir pienament’ ubbidire.

Pienamente ubbidire a dio non resta

sotto ‘1 vestir de’ fra predicatori,

e lo spagnuol seguiscie liet’ e presta,

per purità simil’ a gigli e fiori;

ed anco Pietro martir, con gran festa

per dio spettando mort’ e gran dolori

e con belli splendori | d’ alta dottrina segue la cerubina

doctor Tomaso avendo ‘1 suo sentire.

Avendo tal sentir non prende sosta, co la suo dolce bocie a’ santi prei di que’ che vita per noi ha disposta : chè nostri affett’ iniqui falsi e rei perdoni a chi da” vizi si discosta, peccavi e dica miserere mei;

1. En marge dans le manuscrit: «o la sposa ». 2. Variante en marge :

e stando liet’ e fresca come rosa l’abito santo prende l’amativa.

10

BULLETIN ITALIEN

e 1 risguardo di lei | è si grazioso e tant’ è virtuoso : che verun ch’ en le’ guati puû sfuggire.

Non puÿ sfuggir verun la suo presenza

amollativa di ciascun cuor duro;

tant’ è cortes ’e piena di clemenza

che donarie ridendo ‘1 sangue puro;

a chiunque fa vera penitenza

el suo soccorso promette sicuro ;

e d’ esser fermo muro | al peccatore con si benigno cuore

ch’ esso non teme più poter perire.

Più poter perir gl’ è tolta paura

al peccator ch’ a lei è rifuggito,

perchè come di figluol prende cura

di que’ che dal peccato s’ è partito;

con preghi e lagrime senza misura

per chiunque per le’ fosse convertito,

con si grand’ appetito | di salute dell’ anime abattute

che corporal mangiar ne e dormire.

Lassa dormir, la serva, e tal mangiare e, de’ servi di Dio fedele schiava,

per altro cibo c’ ha a manducare,

pel qual aver, di e notte veghiava: cioè di tutto ’! mondo a Cristo trare, (nel cui voler sempr’ essa si spechiava) perchè cid desiava | l’anim’ eletta,

da Di(o) era refetta Si ch’ al corpo ne convenie sentire.

Sentie suo corpo tal refezione

che cibo corporal poco curava,

e per paura di dicezione

essa di prendar cibo si sforzava.

ma, per dolceza che nell’ orazione

avie, cid nel suo corpo ridundava,

und’ esso rifiutava | cibo terreno del divin si ripieno

che cid vedevi in essa comparire.

In le’ comparir suo faccia splendente

si vedie come ros’ alb’ e vermigla,

e verso Idie corrir valentemente

conforta di e notte suo famigla ;

e mentovando Marie dolcemente

si in le’ s’uniscie ch’ è gran maravigla ;

sempre devota figlia | staendo’ n cielo con amoroso zelo

c’ ha di suo desider sant’ adempire.

.

SALE

POUR LE TEXTE DU DIALOGUE }) DFE SAINTE CATHERINE DE SIENNE 197

Pour le texte du Dialogue, il faut noter dans ce manuscrit une particularité intéressante: la division en chapitres. C’est un fait très important; les initiales en couleur n'ont pas été mises au hasard; elles correspondent à des divisions, et qui sont plus voisines de la pensée de Catherine que celles adop- tées plus tard, et rajoutées après coup par des disciples.

Il y a dans le manuscrit 101 initiales et 167 rubriques de chapitres. En relevant tous les débuts des 101 chapitres primi- tifs on peut remarquer qu'ils indiquent tous, soit un change-

ment d'interlocuteur dans le Dialogue « Allora l’anima ».…. «Allora Dio »..., soit une reprise d'explication « Hora t'ù manifestato »… «Hora ti voglio dire»... «Otti narrato »… « Jo si ti dixi sopra »... « Decto ».…. etc... et que, d'autre

part, le développement d’une même figure allégorique, d’une même idée, d’un même commentaire scolastique n’occupe jamais qu’un chapitre, tandis que, d’après les rubriques, le texte est coupé tout autrement, et d’une manière bien plus arbitraire.

Gigli, qui dit avoir copié ce manuscrit, ne l’a pas fait. Ou du moins, s’il a écrit en toscan et non en vénitien, il a corrigé, modifié, introduit dans le texte ce qui avait le caractère d’une note marginale, inventé même quelquefois. En somme, nous possédons dans ce manuscrit un document de premier ordre, aussi bien pour la langue que pour la pensée de sainte Cathe- rine et pour l'intégrité du texte de son Dialogue et personne n'a encore songé à en donner une édition exacte et fidèle.

JEANNE ANZIANI.

Post-Scriplum. Ces notes étaient déjà rédigées et compo- sées quand j'ai eu connaissance de l’article de M. Auvray paru dans ce Bulletin (p. 1-23 de la présente année), est men- tionnée l'édition de la ballade de frà Tommaso Caffarini publiée à Sienne en 1863 (p. 22-23). Ni à Florence ni à Sienne il ne m'avait été donné de rencontrer un exemplaire de ce rare opuscule, ou de le voir cité. M. Auvray nous apprend en outre que le manuscrit italien 2178 de la Bibliothèque Natio-

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198 BULLETIN ITALIEN

nale, à Paris, contient un texte beaucoup plus long de cette ballade. Dans le manuscrit de Sienne, auquel je l’ai empruntée, elle ne compte que dix stances; une onzième stance, d'ailleurs incomplète, se lit dans un manuscrit palatin, de Florence, et dans la brochure imprimée en 1863; le manuscrit de Paris nous en fait connaître treize de plus, soit au total vingt-quatre stances, plus une Ripresa finale suivie de la formule : Deo gralias Amen. Dans ces conditions, le manuscrit récemment acquis par notre Bibliothèque Nationale a pour nous le grand avantage de présenter seul, à notre connaissance, la ballade de frà Tommaso en son entier. Bien que le texte n’en soit pas d’une correction parfaite, il y a donc intérêt à publier ici toute la portion inédite de cette composition, en commençant à la onzième strophe:.

M. H. Hauvette a bien voulu se charger de prendre copie de ces treize strophes; grâce à son obligeance mon travail se trouve heureusement complété sur ce point.

11 Adempir pensa suo’ desider santi Cid è d’unir tutte anime con Dio E di ritrar gl’ uomini tutti quanti Da ogni male e dal peccato rio. Cosi seguie tutt’ i perfetti amanti, A’ qua’ generalmente era’ n disio, Faendo di le’ sermon’, laude, canti, Per gran perfection che ’n lei sentio?, Sempre suo Gesù più perfettamente3,

1. Voici également les variantes principales du ms. de Paris pour les 10 strophes publiées ci-dessus. St. 1, v. 7: Che lagrime sfavilla dolci e piatose. St. 2, v. 4-6: La sposa po’ con anel glorioso, Et ess’ alor si dispon’ a profondo Di ben piacer... St. 3, v. 6: Sempre era di vertù ragunativa (après ce vers, le ms. de Paris a inséré dans la strophe les deux vers de la variante); v. 8: Al suo sposo piacere. —"St. 4, ». v: Pienamente obedire a lui non resta; v. 3: Di che suo padre e di lor segue presta; v. 9: Doctor Thomaso avendo ?1 suo servire. St, 5, v. 1: Avendo tal servir... ; V. 8-9 : E tanto vertuoso Che verun che lei guardi puù sfuggire. St. 6, v. 5: A chiunque prende vera penitenza. St. 7, v. 3: Perché come di figlio prende cura.— St, 8, v. 9: Si ch’ ancho ?l corpo n’averva sentire. St. 9, v. 9: Che ciù si vidie ’n essa com: parire. St. 10, v. 7: Sempre divota.figlia conversa ’n cielo.

2. 11 y a un distique de trop dans cette strophe; probablement il s’agit d'une variante de deux vers que le copiste a incorporée dans la strophe, comme il l’avait fait pour la st. 3.

3. Ce vers est profondément altéré; non seulement il est mal rythmé, mais encore il ne présente pas la «rim’ al mezzo» (ici en -io) qui ne manque jamais dans le seplième vers, d’après tout le reste de la pièce. Je proposerais donc de lire:

Sempre Gesù suo Dio | perfettamente.

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#

POUR LE TEXTE DU ( DIALOGUE ) DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE 190

Amand’ attualmente, | “4 Si che mia lingua nol potrebbe dire.

Non|lo] porre’ dir quasi lingua creata Quand’ ella s’inginochia ‘1 santo altare Quant’ aparisce tutta transformata, Perch’é ‘1 suo cuor saliscie a venerare Quel gran signor nell’ hostia consecrata, El qual aspetta di comunicare,

Con santo meditare | el grande amore

Che ’n cena ‘1 salvadore A’ suoi mostrà dovendosi partire,

Dovendosi partir per morte oscura; In cid pensava suo cara figliola, Mostrando tutta d’un’ altra figura Parato ‘1 sacerdote con la stola, El qual porgendo a Ilei quell’ ostia pura, Nel suo vasel sacrato quasi vola ; Tutta sua faccia cola | di sudore

Per lo suo gran fervore col suo sposo desiando unire.

desiando unir, el! è unita Nell’ oration collo suo spos’ eletto, E l’ anima con Die tant'è rapita Che tra’ con seco ‘1 corpo a quel diletto ; E per che paia come tramortita Non perd perde del sentir effetto, Parlando con affetto | melodia, Con si fatt’ armonia, Che ciascun sempre la vorrebbe udire.

Vorrebbe udir ognun per gran dolzore Che contien suo sermon di tanta alteza; E poi che pregat’ à con tutto el cuore Per tutto quanto quel ch’ el!’ à ’n vagheza, Dovendo ritornare all’ amarore Ed a lo stato di prima basseza, Con umile savieza | fa confessione (?) E po’ beneditione Con braccia ’n croce domand’ al suo sire.

Dal suo sir tant’ abonda in le’ scientia Quanta quasi abbi o dottor o studente, E tant’ è dolce e bella suo loquentia Ch’ ogni persona diletta ’ntendente. Per. la chiareza di sua sapientia Si pud chiamar un cherubin lucente; Di che tant’ è fervente | d’amor fino Che par un serafino Tutto infiammato d’amor da ferire.

200

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21

- Quand’ in lei vien febre cotant’ ardente

BULLETIN ITALIEN

D'amor ell’ è da ferir ben ferita Del suo Gesù nel qual è trasformata,

4

‘Di che del suo vestir ell’ è vestita,

Essendo del patir sempr’ affamata

E per vertù d’amor è tant’ ardita

C’ a satisfar per ciascun è ’nfiamata;

Tanta pena ’mpetrata | è gran stupore! Veder tanto dolore

C’ ogni persona ne dovrie morire.

Dovrie morir la vergin preziosa

Che disfarebbe ogni terrena cosa;

Ed ell’ è sempre ma’ liet’ e ridente

Rendendo grazie a que’ di cui è sposa.

Non pens’ al suo dolor quasi niente;

Poi al suo fianco sente | aspro coltello, Percosse di martello,

x

Ed allor pur di pene è 1 suo sitire.

EI suo sitir sol saziarie ‘1 martiro, EI qual sopr’ ogni cosa disirava, E di patir dolor crudel’ e diro Quest’ era quel che sempr’ ell affettava. Tant’ avie ‘1 cuor grande, forte, di viro, Che di e notte ciù ella spettava. E per che si bramava | [le] concedette Idio la morte, e dette Di cuor pressura per su’ amor patire.

Per suo arhor patir le fu donato La morte santa nel tempo fiorito, Cid è ’n quel di che Pietro innamorato A morte per la fede fu ferito, E questo fu con ragion ordinato, Perd che lui in tutto avie seguito; Per la chies’ à sitito | por la vita?; Da Dio exaudita Cosi testifico nel suo finire.

Nel suo finir confessd morte dura Esser a Ilei concessa dal Signore; Virginità di singular valura Che sopra’ fior getta suave odore,

E po’ dottrina di si grande altura Che spira, chiaro e lucente splendore;

1. Le ms. porte grande è stupore. 2. Le ms. porte : Per la chiesa sitito por sempre vita, Le vers suivant manque d’une syllabe,

. POUR LE TEXTE DU ( DIALOGUE ) DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE 201

+ Di che 1 suo creator | cosi dotata $ | L’ à seco poi menata, E fatt’ à le suo noze ’n ciel salire. À

FA 22 In ciel salir con angelici canti à

"HR Fe ‘1 segnor questa vergin Katerina, ; Bianch’ e vermigl’ e splendente co’ santi L’ à posta com’ una nobil regina,

. E quivi a Ile’ dona diletti tanti,

# | Fra viuo/’, gigli e rose senza spina,

7 Fatta tutta divina | Die contemplando *

| A faccia in lui sguardando

Perfectamente potendol fruire.

Pr. + 29 Fruir perfetto a questa spos’ à dato

* E di coron’ più esser coronata Perd che in lei non si trovû peccato,. Ma di tutte vertü esser ornata.

: O madre, posta ’n si nobile stato,

; Raguarda la tuo greggia desolata,

Che sia sua avocata | come dicesti?, E come ’mpromettesti D’ esser dinanzi e dopo ‘Il tuo transire.

| 24 Dopo ’l transir tuo ci desti speranzas, | ; - Vivendo, che per noi tu pregaresti, E c’ avaremmo piena perdonanza Di nostre pene e colpe attender desti; E già di cid abbiam per essembranza Di papa letter’ ch’ aver ci facesti; - Adunque tuo pietà dismisuranza # Preghiam ch’ adempia quel ch’ a dir ci avesti, Accid che Dio ci presti | teco trovare5, A goder e lodare Lui Signor nostro sempre e benedire.

AMEN. $ _ Si forte era constretto dal mio sire ; Di questa vergin dire, L Che più ’l tacer non potie sofferire.

| Deo gratias. Amen. k | R

ET . Ce vers a une syllabe de trop ; faut-il corriger Dio mirando? è . Vers mal rythmé; on peut lire : Che si’ avocata sua come dicesti. . Même observation; je lirais: Dopo 1 transir, tu ci desti speranza. h. Interpréter pietà comme pietà a, le second a étant élidé par le premier. Ici encore lt strophe contient deux vers de trop, comme st. 11. 5. Une syllabe de trop : le trovare.

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LA TRADITION DE BURIDAN

ET LA

SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE

(Suile ‘.)

La Dynamique des Parisiens, presque universellement ignorée des Italiens, va se rappeler à leur attention sous une forme qui ne sera exempte ni de violence, ni d’amertume; c’est un Italien émigré en France, Jules-César Scaliger, qui en sera le porte-parole; par la voix de Scaliger, elle opposera ses théo- ries nettes et cohérentes aux indécisions et aux contradictions de Cardan.

En 1557, Jules-César Scaliger publie?, du De Sublililate de Cardan, qui trouvait en France une vogue extrême et que Richard Le Blanc venait de traduire en français, une critique des plus vives; cette critique, que Scaliger donne comme for- mant le XV° livre de ses Exolericæ exercilaliones, est intitulée : De Sublilitate ad Hieronymum Cardanum. Gomme l'ouvrage dont il donnait la plus malveillante des critiques, l'écrit de Jules- : César Scaliger fut extrêmement luÿ.

Scaliger est un admirateur fanatique des maîtres de l’École

1. Voir le Bull. ital., t. IX, 1909, pp. 338-360; t. X, 1910, pp. 24-47 et 95-133.

2. Julii Cæsaris Scaligeri Exotericarum exercilationum liber XV. De Subtilitate ad Hieronymum Gardanum. Lutetiæ, apud Vascosanum, MDLVII.

3. Outre la première édition : Lutetiæ, apud Vascosanum, 1557, nous avons eu entre les mains les éditions suivantes : Francofurti, apud A. Wechelum, 16071; Fran- cofurti, apud A. Wechelum, 1612; Lugduni, apud A. de Harsy, 1616.

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LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 203

parisienne; une citation nous donnera la mesure de cette admiration extraordinaire.

Au XVI: livre De la Sublililé, Cardan avait eu l’idée assez naïve de ranger les génies par ordre de grandeur décroissante. Il avait attribué le premier rang à Archimède, en invoquant comme raison de cette préférence, les inventions mécaniques du Géomètre syracusain. Le second rang était réservé à Aris- tote. Euclide venait au troisième; Jean Duns Scot occupait le quatrième ; le cinquième était accordé à Suiseth le Calculateur, dont Cardan faisait un Écossais du prénom de Jean; notre médecin milanais regardait, d’ailleurs, ces trois hommes, Euclide, Duns Scot, Suiseth, comme ayant possédé un égal génie; l'ancienneté plus ou moins grande du temps ils vécurent déterminait seule entre eux un ordre de préséance. Plus bas en l'échelle de l'intelligence humaine, Cardan plaçait Apollonius de Perge, Archytas de Tarente, et une foule d’autres génies. |

La prééminence accordée à Archimède révolte la raison de Jules-César Scaliger: :

« Tu as donné à un simple artisan le pas sur Aristote qui, d'ailleurs, ne fut pas moins savant que lui en ces mêmes arts mécaniques; sur Jean de Duns Scot, qui fut comme la lime de la vérité; sur Jean Suiseth le Calculateur, qui a presque dépassé la mesure imposée à l'intelligence humaine! Tu as passé sous silence Ockam, dont le génie a renversé tous les génies passés, qui, à des folies que l’on n'avait pu vaincre jusqu'à lui, à cause de leur insaisissable subtilité, opposa les arguments nouveaux qu'il avait fabriqués et mis en forme! Tu as placé Euclide après Archimède, le flambeau après la lanterne ! IL semble que tu sois emporté par le tourbillon et la tempête de ton mauvais génie; ce c’est pas toi qui le tiens en bride, c’est lui qui te donne de l’éperon! »

Celui qui prise si haut Guillaume d'Ockam et Suiseth le Calculateur va professer la Dynamique des Parisiens, et nous n'en serons point étonnés.

1, Julii Cæsaris Scaligeri Op. cit., exercitatio CCCXXIV : Sapientum census.

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204 BULLETIN ITALIEN

Nous trouvons, en effet, en l’ouvrage de Jules-César Scaliger” une exposition et une réfutation très étendues des diverses théories qui attribuent à l’air la persistance du mouvement des projectiles. :

« Qu'’une telle raison soit sans valeur, voici, dit notre auteur, une démonstration qui le mettra suffisamment en évidence :

» Soit une légère planchette, en laquelle un disque a été découpé à l’aide du tour ou d’un compas tranchant; supposons que ce disque puisse tourner dans la cavité circulaire sans frotter contre les bords. La planchette étant fixée verticalement quelque part, percez le disque à l’aide d’un axe muni d’une manivelle; faites reposer sur deux fourchettes les extrémités de cet axe. Après avoir lancé ce disque circulaire, vous verrez manifestement que ce disque, une fois le moteur écarté, con- tinue à tourner en la cavité circulaire, bien qu'aucun air ne le. pousse. En ce mouvement de rotation, en effet, le mobile ne laisse derrière lui aucun lieu que l'air puisse venir remplir. D'ailleurs, l'air qui se trouve entre le disque et la planchette est en si petite quantité qu'il est incapable d'exercer aucune force propre à entretenir le mouvement considéré. Le contour du disque, parfaitement lisse et poli, ne peut ressentir aucune impulsion par l'effet de l’agitation de l'air ambiant. »

En cette réfutation expérimentale des théories péripatéti- ciennes, nous retrouvons la trace des discussions si clairement et si fermement menées par Jean Buridan.

Ce n’est pas l’air ébranlé qui maintient le projectile en mouvement. Qu'est-ce donc?

À la cause qui entretient ce mouvement, Scaliger ne donne pas le nom d’impelus ; il l’appelle motion, molio; mais ce chan- gement de dénomination n’influe pas sur le contenu même de l’idée; la motio qu’il considère est identique à l’impetus de Jean Buridan et d'Albert de Saxe: « La molio est une forme qui est imprimée dans le mobile et qui s’y peut conserver lors même que le moteur primitif est écarté. Je dis: le moteur primitif, celui qui a fait pénétrer cette forme dans le mobile; car il n'est

1. Julii Cæsaris Scaligeri Op. cit, exercitatio XXVIII: De motu projectorum. Motus violentus quis,

LA TRADITION DE BURIDAN ÊT LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 209

pas nécessaire que la cause efficiente persiste à coexister à son effet. » ;

Cette forme se fatigue: et périt avec le temps, parce qu'elle est hors de la nature des éléments en lesquels elle est imprimée.

Ces doctrines sont communes à un grand nombre de physi- ciens du xvr' siècle. Mais voici un passage? Scaliger marque clairement, au sujet du mouvement accéléré qu'engendre un moteur constant, l'idée que Piccolomini avait seulement fait entrevoir à son lecteur : |

“« Les corps pesants, une pierre par exemple, n’ont rien qui favorise la mise en mouvement; ils y sont, au contraire, tout à fait opposés. La pierre que l’on met en mouvement sur un plan horizontal ne se meut pas de mouvement naturel... Pourquoi donc la pierre se meut-elle plus aisément après que le mouvement a commencé? Parce que, conformément à ce que nous avons dit ci-dessus au sujet du mouvement des pro-

* jectiles, la pierre a déjà reçu l'impression du mouvement. A

une première part du mouvement en succède une seconde; et, toutefois, la première demeure. En sorte que, bien qu'un seul moteur exerce son action, les mouvements qu'il imprime en cette succession continue sont multiples. Car la première impul- sion est gardée par la seconde, et la seconde par la troisième. » Bien que Scaliger ait fort clairement exposé la théorie pari- sienne de la chute accélérée des graves, il s’en faut qu'il soit parvenu à la faire communément recevoir en Italie; il n’a même pas pu convaincre Cardan. Lorsqu'en 1560, Cardan publie la troisième édition de son De Subtilitales, il y joint une Apologie contre un calomnialeurf, apologie destinée à répondre aux critiques de Scaliger.

1. Julii Cæsaris Scaligeri Op. cit., exercitatio LXXVI: Quare sidera motu non franguntur, Quare non fatigant motores suos.

2. Julii Cæsaris Scaligeri Op. cit., exercitatio LXXVILI: Quamobrem mota rota facilius moveatur postea.

3. Hieronymi Cardani Mediolanensis medici de Sublilitate libri XXI. Ab authore Plusquam mille locis illustrati, nonnullis etiam cum additionibus. Addita insuper Apologia adversus calumniatorem, qua vis horum librorum aperitur. Basileæ. In fine: Basileæ, ex officina Petrina, anno MDLX. Mense Martio.

h. Hieronymi Cardani Mediolanensis medici Zn calumniatorem librorum de Subtili-

« tate actio prima ad Franciscum Abundium, S. Abundii Gommendatarium perpetuum. Éd.

cit., pp. 1265 seqq. Bull. ital. 14

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206 BULLETIN ITALIEN

La riposte n’est pas moins vive que l'attaque. Pour affubler Scaliger d'un costume qui soit particulièrement déshonoré aux yeux des Humanistes italiens, Cardan habille son contradicteur non pas en Parisien, mais en Averroïste:. « Que direz-vous de son jugement?» s'écrie-t-il. « Toutes les fois qu'il veut disputer de la Philosophie naturelle, il s'appuie aux principes et à l’auto- rité d’Aristote et d’Averroës ; or, ceux-ci prouvent l'éternité du Monde, supposition qui enlève au Christ sa divinité et, à tous, l'espoir d’une juste rémunération des bonnes et des mauvaises actions. Et après cela, il ose m’accuser d'impiété ! »

Si Cardan accuse Scaliger d’un attachement trop opiniâtre à l'avis d’Aristote et d’Averroës, il se refuse à partager, envers les maîtres de l'École nominaliste, la fervente admiration de son contradicteur?:

« Quel souci un âne peut-il avoir d'une lyre, et pourquoi vanter la marjolaine à des pourceaux? Il admire l’extrème subtilité d'Ockam et d'Hentisber* ; ils les place plus haut que le faîte de l'humanité. Sans doute, ils ont écrit sur tout d'une manière ingénieuse et claire; mais en eux, l'invention est nulle; niez-leur une seule proposition, quinze pages vont vous écraser. Mais comme ces auteurs sont fort bien accommodés aux disputes des écoles, il sourit à cela et le comble d'éloges. Il est clair qu'il ne les comprend pas; mais il loue pour se donner l'air de comprendre. »

Encore qu'il ne partage pas l’avis d’Aristote au sujet du mouvement des projectiles, Cardan n’épargne pas ses sarcasmes à l'expérience par laquelle Scaliger a prétendu réfuter cette théorie! :

« Si soigneusement que cette roue ait été exécutée, il ne voit pas, tant il est stupide, que la manivelle est entraînée par l'air en un mouvement de rotation et, avec la manivelle, la roue elle-même... Il eût mieux fait de la faire tourner sans l’aide de manivelle, avec le doigt qu’il eùt soudainement retiré. »

Quant à l'explication du mouvement accéléré que prend une

1, Hieronymi Cardani Apologia ; éd. cit., p. 1268.

2. Hieronymi Cardani Apologia, art. 324; éd. cit., p. 1412.

3. C'est-à-dire de Guillaume d’Heytesbury, dont Scaliger n’a point parlé, h. Hieronymi Cardani Apologia, art. 29; édit. cit., p. 1804.

LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU, XVI‘ SIÈCLE 207

meule soumise à une action constante, explication en laquelle Scaliger n’a fait que suivre l’enseignement de Paris, voici ce qu en pense Cardan!: «Il se trompe du tout au tout; ce n'est pas seulement cette roue, mais tout mobile, qui se meut avec plus de facilité et de rapidité lorsqu'il a déjà pris une certaine vitesse, et cela, comme nous l'avons enseigné au second livre, parce que l’air du premier mouvement vient en aide au mouve- ment suivant. »

Aussi, en 1570, en son Opus novum de proporlionibus, Gardan persistait-il, nous l'avons vu, à expliquer l'accélération de la chute des graves par l'impulsion de l'air ébranlé.

Si Scaliger n'a pas converti Cardan, il n’a pas convaincu davantage Bento Pereira d'embrasser la Dynamique parisienne.

à Valence en 1535, Bento Pereira? entra de bonne heure dans la Compagnie de Jésus; il vint alors à Rome s’écoula son existence et il mourut le 6 mars 1610. C’est à Rome que Bento Pereira publia, en 1562, la première édition de ses quinze livres sur la Physique. Cet ouvrage eut une très grande vogue ; de nombreuses éditions le répandirent en tous lieux'; Galilée, qui l’avait étudié dans sa jeunesse, le cite en ses premiers écrits®.

Bento Pereira consacre tout un chapitre6 de son ouvrage à exposer les diverses explications du mouvement violent des projectiles; parmi ces explications, il n’a garde d'oublier celle que soutenait l'École parisienne. Certains philosophes, » dit-il, «qui ne sont ni peu nombreux, ni des moindres, mais nobles entre les premiers, soutiennent ceci : Lorsqu'une pierre est jetée, par la force et l’impulsion qui la lancent, celui qui la

. Hieronymi Cardani Apologia, art. 797; éd. cit., p. 1320.

2. Nouvelle Biographie générale publiée par Firmin Didot frères, t. xxx, p. 571, 1862.

3. Benedicti Pererii, societatis Jesu, De communibus omnium rerum naturalium prin- cipiis et affectionibus libri quindecim, qui plurimum conferunt, ad eos octo libros Aristotelis, qui de Physico auditu inscribuntur, intelligendos ; Romæ, impensis Venturini Tramezini, apud Franciscum Zanettum et Bartholomæum Tosium, MDLXII. |

h. Outre la première édition, nous avons relevé les suivantes: Romæ, 1576; Parisiis, 1579; Romæ, 1585; Venetiis, 1609.

5. Le opere di Galileo Galilei ristampate fedelmente sopra la edizione nazionale, vol. I, Juvenilia ; Firenze, 1890; pp. 24, 35, 145, 318, 4rr.

6. Benedicti Pererii Op. cit., lib. XIV, cap. IV : De caussa motus violenti eorum qui projiciuntur.

OU oO A LS ET ar M # Nat UE Sir

208 . BULLÉTIN ITALIEN

met en mouvement imprime en elle une certaine vertu motrice qui demeure inhérente à cette pierre et qui continue à la mouvoir après qu'elle s'est séparée de celui qui l'a pro- jetée.» Notre auteur fait connaître les principaux arguments dont se prévaut cette opinion et, à cette ‘occasion, il cite les Exercilationes de Scaliger. Mais, tout aussitôt, un nouveau et long chapitre vient réfuter: cette théorie et sauver l'opinion péripatéticienne. |

L’explication parisienne de la chute accélérée des graves est moins heureuse que la théorie de l’impelus; Bento Pereira ne l’'honore même pas d’une mention.

Au sujet de cette chute accélérée, notre auteur expose avec beaucoup de soin? les diverses hypothèses antiques que Simplicius nous a conservées; il y joint la supposition qui attribue cette accélération à l'impulsion de l'air ébranlé à l'arrière du projectile, supposition au sujet de laquelle il cite Walter Burley et Contarini. «Ce dernier avis, » ajoute-t=il, «me paraît être le plus probable. En premier lieu, les autres opinions se trouvent réfutées par des raisons manifestes et nécessaires, tandis qu’à l'encontre de celle-ci, on ne saurait même imaginer quelque argument probable. En second. lieu, cette explication ne suppose rien qui ne s'accorde parfai- tement avec la raison et l’expérience, rien qui ne soit tiré de la nature même des choses. En cette opinion, plus qu’en toute autre, mon esprit se complaît, en celle-là seule il goûte un profond repos. »

Bento Pereira est de l'École des Contarini et des Vicomer- cati; en cette École, la Dynamique parisienne est tenue pour nulle et non avenue; ou bien, si l’on en tient quelque compte, c’est pour en réfuter les assertions.

De cette École sont aussi Césalpin et Borro.

En ses Quæsliones peripalelicæ, dont la première édition parut à Florence en 1569, André Césalpin ne dit que quelques

1. Benedicti Pererii Op. cit., lib. XIV, cap. V : Refellitur opinio faciens caussam motus projectorum, virltutem quandam impressam projeclis.

2. Benedicti Pererii Op. cit., lib, XIV, cap. III : Tractatur secunda divisio motus in naturalem et violentum,

LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 209

mots: du mouvement des projectiles; mais ces quelques mots sont une adhésion formelle à la théorie d’Aristote?.

Girolamo Borro était d'Arezzo, comme Césalpin. En 1576, il publia un iraité assez volumineux consacré en entier au mou- vement des graves 3, Au début de ce traité, Borro donne la liste

des «noms des anciens philosophes dont les opinions sont, en ce livre, soit admises, soit réfutées. » Cinquante noms de sages grecs ou latins, parmi lesquels on trouve même ceux d'Homère et d'Orphée, sont accompagnés des noms de quatre philosophes arabes: Algazel (AI Gazali), Avempace (Ibn Bädja), Averroès et Avicenne; mais pas un philosophe chrétien n'obtient même l'honneur d’une citation.

Ce mépris, poussé jusqu'à l'oubli absolu, de la Science chrétienne occidentale, de ce colossal mouvement intellectuel

1. Andreae Caesalpini Aretini medici clarissimi, atque philosophi subtilissimi peritissimique Peripateticarum Quæstionum libri quinque. Ad Potentissimum et fælicis- simum Franciscum Medicen Florentiae Et Senarum Principem. Cum Privilegiis. Venetiis, Apuüd Juntas. MDLX XI. Lib. IV, quæst. I, fol. 70, recto et verso, Nous n’avons pu consulter la première édition de cet ouvrage. ;

.2. Nous avons vu Buridan admettre que l’impetus d’un corps, müû avec une vitesse donnée, était proportionnel à la quantité de matière première de ce corps; cette pro- position, il la tirait de ce principe : Receptio omnium formarum et dispositionum natura- lium est in materia et ratione materiæ. Nous avons cherché à montrer que la quantité de malière première considérée ici par Buridan était, du moins dans le cas des corps graves, le produit du volume par une quantité proportionnelle au poids spécifique, qu’elle était donc identique à la quantité de matière ou masse définie par Newton.

Que telle soit bien l’idée attachée par les Scolastiques à ces mots: quantité de matière, nous en trouvons la preuve singulièrement nette en une question examinée par Césalpin (lib. 1V, quæst. IT; éd. cit., fol. 7r, verso, à fol. 74, verso), question dont le titre est précisément : Omnem virtutis intensionem remissionemque ex materiæ quantitate pravenire. « Une vertu, » dit Césalpin (fol. 72. recto), «n’est pas mesurée par le volume ou l'étendue de la masse, mais par la quantité de matière ; celle-ci, en effet, étant par elle-mème indéterminée, peut tantôt se reserrer en des bornes plus étroites, et tantôt s'étendre en un plus ample volume... Tous les corps qui se portent simple- ment vers le centre (fol. 74, verso), c'est-à-dire tous les corps qui sont simplement graves [ceux qui ne sont pas formés par la mixtion d’un ou plusieurs éléments graves avec un élément léger], tous ces corps, dis-je, sont plus graves les uns que les autres à cause de la quantité de matière qu’ils renferment; le plomb est plus lourd que la pierre parce qu’en ce plomb il y a plus de matière grave qu’en une pierre de même volume ; il est, en effet, plus dense. On peut comparer également entre eux des graves d’espèces différentes [des solides, des liquides, des gaz], de l’eau et de la terre par exemple, mais en un lieu, tel que l'air, ils sont graves tous deux ; il est encore vrai que le plus grave est celui se trouve le plus de matière. »

Cette quantité de matière demeure, d’ailleurs, invariable en toutes les -transfor- mations que les corps graves peuvent éprouver : «Si une poignée d’eau se transforme en dix poignées d’air, il y aura mème vertu en.dix volumes d’air qu’en un volume d’eau, car de part et d’autre ik y aura une égale portion de matière » (fol. 72, recto).

3. Hieronymus Borrius Arretinus De Motu Gravium, et Levium. Ad Franciscum Medicenm Magnum Etruriæ Ducem Il. Florentiæ, In Officina Georgii Marescotti. MDLXX VI.

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210 BULLETIN ITALIEN

qui à reçu le nom de Scolastique est la marque propre de l'Averroïsme italien. Que Borro soit un fervent averroïste, il l’affirme à chaque page de son écrit. Le nom d’Averroès s’y présente auréolé des épithètes les plus flatteuses. « Averroes, omni genere laudis abundans philosophus...1. » «Philosophus nunquam salis laudatus Averroes…?.» « Averroes divinissime pro= bavit..3.» Toute la doctrine de notre auteur peut se résumer en ces termes : Aristote est infaillible; Averroès est le défen- seur jaloux et autorisé de cette infaillibilité. D'ailleurs, ce résumé de sa pensée, c'est Borro lui-même qui nous le fourniti: « Averroes, qui in Aristotelem erroris nolam, nec levissi- mam illam quidem, ab alio quovis inuri non paltitur, sed eundem ab omni injuria nunquam non vindicat, ne in hac parte indefensus relinqualtur…., ail...»

Ce n’est pas en un tel écrit, assurément, que nous verrons triompher les doctrines dynamiques des Parisiens; en fait, à. ces doctrines Borro n’accorde même pas la plus légère allu- sion; tout ce que les Nominalistes ont pu dire au sujet du mouvement des projectiles ou de la chute des graves n'existe aucunement pour lui; évidemment, il est convaincu qu'entre Averroës et lui, l'humanité a cessé de penser.

Ce qui maintient le projectile en mouvement, c’est, bien entendu, pour Borroÿ comme pour Aristote, l’air dont l'ébran- lement se propage au-devant du mobile. Le physicien d’Arezzo ne paraît pas même se douter que celte absurde expli- cation ait été cent fois réfutée.

L'ébranlement du milieu joue aussi son rôle en l'accélération du mouvement naturel6, Borro expose? les diverses expli- cations qui ont été proposées en vue de rendre compte de

1, Girolamo Borro, Op. cil., p. 51.

2. Girolamo Borro, Op. cit., p. 184.

3. Girolamo Borro, Op. ci., Index, indication de la question traitée à la ur. SA Borro, Op. cit., pars HI, cap. XXV : Demonstratio, quam Aristoteles libro septimo Physicorum literis consignavit, ad veritatis trutinam examinatur; k ons Borro, Op. cit., pars II, cap, XIII : Quomodo elementorum motus a medio pendeat; pp. 234-235.

6. Girolamo Borro, Op. cit., pars HI, cap. XII : Quomodo elementorum motus

a medio péndeat, 7. Girolamo Borro, Op. cit., pars HI, capp. XIV, XV et XVI.

® LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 211

cette accélération; en cette exposition, cela va de soi, il n’est fait aucune allusion à la théorie des Parisiens; notre auteur résume en ces termes! l’opinion qu'il adopte :

« La gravité ou la légèreté des éléments est accrue par le plus grand nombre des parties du milieu qui se précipitent à l'arrière du mobile; par la moindre résistance du milieu à la fin du mouvement; par la plus forte impulsion de l'air qui suit le mobile; par la perfection que les corps graves ou légers acquièrent, d'autant plus complète qu'ils s'approchent davan- tage de leurs lieux naturels. L'accroissement que la gravité ou la légèreté reçoit vers la fin du mouvement accroît ce mouvement et le rend plus rapide. »

Que l’on ait, plus de deux siècles après Jean Buridan et Albert de Saxe, écrit à Rome, à Florence, des livres comme * ceux de Bento Pereira, d'André Césalpin, de Girolamo Borro; que l’absurde théorie du mouvement des projectiles, proposée par Aristote, ait pu être regardée comme sauve de toutes les objections qui lui avaient été faites; bien plus, qu'elle ait été traitée comme une doctrine incontestée et incontestable, c’est un fait bien digne d'arrêter l'attention; il donne la mesure de l'opiniâtre résistance que le Péripatétisme italien savait opposer à la pénétration de toute idée nouvelle. Cette même résistance, nous la constatons, d’ailleurs, chez des hommes de situations fort diverses : un Jésuite dont la doctrine religieuse est des plus orthodoxes; un médecin, professeur d’Université, qui donne fort dans le Panthéisme averroïste ; un philosophe, non moins grand admirateur d’Averroès, mais étranger aux Universités; un peu plus tôt, nous l’avions constatée à la fois chez un Vénitien, prince de l'Église, comme Gaspard Contarini, et chez un humaniste milanais comme Vicomercati. L'état d'esprit qu'elle caractérise est assurément très général en l'Italie du xvr° siècle. ;

En dépit de cette résistance, les principes que les Parisiens ‘avaient donnés à l’étude de la Dynamique parvenaient quel-

1. Girolamo Borro, Op. cit., pars III, cap. XVI: Quæ sint veræ Peripateticorum causæ, propter quas ea, quæ natura moyentur, velocius in fine, quam in principio moveantur ; p. 24/4.

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212 BULLETIN ITALIEN

quefois à s’insinuer en la Science italienne; vers le milieu du xvi® siècle, nous les avons vus se glisser parmi les écrits d’Alessandro Piccolomini; durant le dernier quart de ce même siècle, nous allons les retrouver dans l’œuvre de Bernardino Baldi, dans celle de Gianbattista Benedetti.

C'est en 1582 que Bernardino Baldi avait rédigé ses Exercices sur les Questions mécaniques d’Aristote. Get écrit fut imprimé seulement en 1621, vingt-huit ans après la mort de l’auteur.

Nous avons étudié autrefois les Exercilaliones composées par l'abbé de Guastalla; nous y avons signalé: la marque particu-= lièrement reconnaissable du Vinci; nous avons dit également? comment certaines idées que Baldi tenait de Léonard avaient attiré l’attention de Mersenne et provoqué Roberval et Descartes à d'importantes découvertes.

Si Baldi dissimule l'influence qu'il a éprouvée de la part du Vinci, il avoue celle qu'Alessandro Piccolomini a exercée sur ui. C’est en une question3 se trouve citée avec éloge la Paraphrase de Piccolomini que nous lisons ce passage :

«Les projectiles cessent de se mouvoir parce que l'impres- sion dont l’impelus et la vertu les portent n’est point une pro- jection naturelle; elle est purement accidentelle et violente; or, rien de ce qui est accidentel et violent, rien de ce qui est non naturel, ne saurait être perpétuel. Gette impression accidentelle prend donc fin; tandis qu’elle cesse peu à peu, le mouvement du projectile s’alanguit et le corps parvient enfin au repos. »

Baldi n'’attribue pas seulement à l’inpelus la continuation du mouvement des projectiles; avec les Parisiens et avec Piccolomini, il attribue l'accélération de la chute des graves à un continuel accroissement de cet impelus.

. Léonard de Vinci et Bernardino Baldi (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'ila lus a ceux qui l'ont lu, III; première série, pp. 89, seqq.).

2. Bernardino Baldi, Roberval et Descartes (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu’il a lus et ceux qui l'ont lu, IV; première série, pp. 127, seqq.).

3. Bernardini Baldi Urbinatis Guastallæ Abbatis 1n Mechanica Aristotelis proble- mata exercitaliones : adjecta Succincta narralione de autoris vita et scriptis. Moguntiæ, Typis et Sumptibus Viduæ Ioannis Albini. MDCXXI. Quæst. XXXIL: Quæritur hic, cur ea quæ projiciuntur, cessent a latione ? P. 270.

4. Bernardino Baldi, Op. eit., quæst. XXXI: Cur facilius movéatur commolum quam manens, veluti currus comtmotos citius agitant, quam moveri incipientes ? Hoc quærilur. Pp. 278-279.

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. LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 213

« Par se résout cette question qui est tenue, parmi les physiciens, pour très difficile : Pourquoi, dans le mouvement naturel, la vitesse est-elle constamment accrue? Ici, en effet, c'est la nature qui meut; comme elle est inséparable du mobile, elle le presse continuellement, d'abord lentement, puis, pour la cause que nous avons dite, de plus en plus rapidement. Le mouvement donc est produit dans le mouve- ment même; et comme ce mouvement se trouve toujours accru à la fois par le moteur et par le mouvement, il progresse à l'infini. Personne, je pense, ne niera que la cause de cette accélération ne soit celle-là, à savoir que la puissance mou- vante meut le mobile alors que celui-ci est déjà en mouvement. En effet, le corps müû acquiert une certaine pesanteur acciden- telle; et comme cette pesanteur est accrue par le mouvernent, elle rend ce mouvement plus facile et plus rapide. »

Nous avons dit ailleurs! comment Baldi avait étendu cette explication à la prétendue accélération qu'un projectile éprou- verait au début de sa course. Nous ne reviendrons pas ici sur cette théorie.

Il semble bien qu’au passage dont nous venons de donner la traduction, Baldi identifie’ la gravité accidentelle au mou- vement lui-même; le mouvement y est traité comme une puissance motrice; et cette opinion, qui est celle qu'Ockam avait soutenue, semble conforme à la pensée de l’auteur même des Questions mécaniques.

Précisant cette pensée, Bernardino Baldi n'hésite pas à regarder non seulement le mouvement comme une puissance motrice, mais encore le repos comme une puissance résistante. Quelques lignes avant le passage que nous venons de citer, il écrit: : « La résistance de l’objet que l’on fait passer de l'état de repos à l’état de mouvement est semblable à un certain mouvement en sens opposé. Le contraire arrive à celui qui meut un mobile qui se trouve déjà en mouvement; dans ce cas, il est grandement aidé par le mouvement même du

1. Bernardino Balli, Roberval et Descartes : I. Une opinion de Bernardino Baldi touchant les mouvements accélérés (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu’il a lus et ceux qui l'ont lu, IV ; première série, pp. 138-139).

2. Bernardino Baldi, loc. cit., pp. 177-178.

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214 BULLETIN ITALIEN

mobile; le mouvement coopère à l’action que le moteur exerce sur le mobile. Le mobile augmente en une certaine mesure la puissance du moteur; ce que ce mobile éprouverait de la part du moteur, il le fait de lui-même. »

Ces lignes portent la marque d’une influence autre que celle de Piccolomini; elles rappellent fort exactement, en effet, un passage qu'au sujet de la même question, Cardan avait écrit en son Opus novum de proportionibus: :

«Imaginons, » dit Cardan, «un corps pesant en équilibre, reposant, par exemple, sur le sol; si nous voulons le soulever, il opposera au mouvement violent une certaine résistance; pourquoi cela? Parce qu’il se meut d’un certain mouvement naturel occulte; la puissance de ce mouvement mesure la force avec laquelle le corps résistera au mouvement contraire.

» On comprend, dès lors, pourquoi les navires et les chars s’émeuvent tout d'abord lentement et difficilement; lorsque ensuite ils ont commencé à se mouvoir, leur mouvement devient plus rapide; ils résistent en effet par le mouvement naturel occulte, et celui-ci avait sa plus grande intensité alors qu'ils étaient en repos, comme l'enseigne Aristote en ses Mécaniques ; ce mouvement occulte est, en effet, un mou- vement naturel et contraire au mouvement violent. Lorsque le corps a commencé à éprouver le mouvement violent, il est animé d’un moindre mouvement naturel et il résiste moins. »

Galilée devait un jour accueillir ces pensées de Cardan et de Bernardino Baldi sur la mise en mouvement d’un corps qui se trouve au repos?.

La théorie de la chute accélérée des graves, donnée par l'Abbé de Guastalla, nous présente comme un reflet de la théorie parisienne; mais ce reflet est singulièrement déformé et obscurci. C’est sous une forme autrement claire et nette que nous reconnaissons, dans les écrits de Gianbattista Benedetti, les principes de la Dynamique qu'ont enseignée Jean Buridan et Albert de Saxe.

1. Hieronymi Cardani Opus novum de proportionibus, prop. XXX VIII, p: 4x, 2. Galilei De motu (Le opere di Galileo Galilei, ristampate fedelmente sopra la Edizione nazionale. Vol. 1. Juvenilia. Firenze, successori Le Monnier, 1890, p. 318).

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LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI‘ SIÈCLE 215

Ces écrits, composés sans doute à des époques diverses et qui ne nous sont point connues, ont été réunis par l’auteur, en 1585, sous ce titre : Spéculalions diverses de Mathémaliques et de Physique:; c’est en ce recueil que nous relevons de fréquents emprunts à la Mécanique des Parisiens.

Toujours le mouvement des projectiles abandonnés par le moteur qui les a lancés y est attribué à une impressio impetus?, à une énpression naturelle, à une impéluosilé reçue par le mobile.

Cet impelus meut tout d’abord le corps en ligne droite; puis, lorsqu'il est assez affaibli, la pesanteur commence à exercer son action et à détourner le mobile de la trajectoire rectiligne. « Cet impetus impressus 3 décroît peu à peu et conti- nuellement ; alors l’inclination de gravité du corps s’insinue en lui, se mêle peu à peu à l’impression acquise; elle ne permet pas que la trajectoire demeure longtemps droite; elle l’oblige à - s'incurver; le corps est simultanément par deux vertus: d'une part, la violence imprimée; de l’autre, la nature; et cela contre l'opinion de Tartalea qui niait qu’un corps pût être animé à la fois d’un mouvement violent et d’un mouvement naturel.

L'opinion soutenue ici par Benedetti contredit, en effet, celle que Tartaglia a exposée dans sa Nova scientia, mais elle concorde avec celle que ce même géomètre a professée en ses

Quesili el inventioni diverse, et qui est celle de Léonard de

Vinci, de Piccolomini et de Cardan.

Benedetti a fort clairement affirmé qu'un moteur constant devait engendrer un mouvement accéléré : « Dans les mou- vements naturels et rectilignes, » dit-il, « l’impressio, l’impe- tuosilas recepta croît continuellement, car le mobile a en lui- même la cause mouvante, c’est-à-dire la propension à se

1. lo. Baptistae Benedicti Patritii Veneti Philosophi. Diversarum Speculationum Mathematicarum, et Physicarum Liber. Quarum series sequens pagina indicabit. Ad Sere- nissimum Carolum Emmanuelem Allobrogum, et Subalpinorum Ducem invictissimum. Taurini, Apud Hæredem Nicolai Bevilaquæ, MDLXX XV.

2. Benedetti, Op. cit., De Mechanicis, cap. XVII, p. 160.— Disputationes de quibusdam placitis Aristotelis, cap. XXIV, p. 184. Responsa physica et mathematica, p. 287.

3. Benedetti, Op. cit., De Mechanicis, cap. XVII, p. 160.

h. Benedetti, Op. cit., Disputationes de quibusdam placitis Aristotelis, cap. XXIV, p. 184.

can, L4 Re EU RRÈHES TE ago URSS PT A Ce À

216 BULLETIN ITALIEN

rendre au lieu qui lui est assigné; Aristote n’auraïtpas déclarer qu’un corps est d'autant plus rapide qu'il s'approche davantage de son but {{erminus ad quem), mais bien plutôt que ce corps est d'autant plus prompt qu'il s'éloigne davantage de son point de départ (lerminus a quo). Car l’impressio croît au fur et à mesure que le mouvement naturel se prolonge, le corps recevant continuellement un nouvel impelus; en effet, il contient en lui-même la cause du mouvement, qui est l'incli- regagner son lieu naturel hors duquel il se trouve

x

nation à placé par violence. »

Ailleurs, traitant du mouvement de la roue qui sert à hisser un seau hors d’un puits, Benedetti écrit ceci : « Tout corps grave, qu’il se meuve naturellement ou violemment, reçoit en lui-même un impelus, une impression du mouvement, de telle sorte que, séparé de la vertu mouvante, il continue à se mouvoir de lui-même pendant un certain laps de temps. Lors done que ce corps se meut d'un mouvement naturel, sa vitesse augmen- tera sans cesse; en effet, l’impelus et l’impressio qui existent en lui croîtront sans cesse, car il est constamment uni à la vertu mouvante. De aussi il résulte que si, après avoir mis la roue en mouvement avec la main, on enlève la main, la roue ne s'arrête pas de suite, elle continue à tourner un certain temps. »

C'est à Jean-Baptiste Benedetti que les auteurs les mieux informés de l’histoire de la Mécanique ont attribué?, en général, cette explication du mouvement accéléré produit par un moteur persistant. Combien cette opinion s'éloigne de la vérité, nous le savons. Cette explication était connue de Walter Burley en la première moitié du xrv° siècle; au milieu de ce même siècle, Jean Buridan et Albert de Saxe l'ensei- gnaient; elle était communément admise à l'Université de Paris au début du xvi' siècle; Scaliger, au milieu du xvr siècle,

. Benedetti, Op. cit., Physica et mathemalica responsa, p. 287. . Emil Wohlwill, Die Entdeckung der Beharrungsgesetzes (Zeitschrift für Vülkerpsy- chaliite und Sprachwissenschaft, X VIter Band, p. 394). Giovanni Vailati, Le speculazioni di Giovanni Beñedelti sul moto dei gravi (Rendiconti

dell’ Accademia Reale delle Scienze di Torino, 1897-1898). Ernst Mach, La Mécanique, erposé historique et critique de son développement; Paris,

1904, p. 120.

LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 217

avait vivement reproché à Cardan de ne s’y être point rallié; à la création de cette théorie, Benedetti n’a eu absolument aucune part; mais il est le premier qui, en Italie, ait donné à cette doctrine une franche et complète adhésion; Alessandro Piecolomini et Bernardino Baldi l'avaient paraphrasée bien plutôt que nettement formulée.

Benedetti a-t-il connu la théorie que Bernardino Baldi pro- posait pour rendre compte de la prétendue accélération qu'un projectile éprouverait au début de sa course? Il est malaisé de répondre péremptoirement à cette question. Mais ceci mérite d'être remarqué : Benedetti a proposé la même explication que Baldi, tout en indiquant qu'il ne tenait pas pour assuré le phénomène auquel elle prétend s’appliquer. C’est en une lettre notre auteur corrige diverses erreurs de Tartaglia que se trouve le passage suivant ':

« La raison que Tartaglia invoque... est absolument vaine; l'air qui était primitivement enfermé dans la bombarde en est tout aussitôt chassé; il cède devant le boulet, il est divisé par ce corps. Que le boulet se meuve à une certaine distance plus rapidement qu'au début de sa course, si cela était vrai, cela dépendrait d'une autre cause; cette cause serait en partie sem- blable à celle qui, dans les mouvements naturels, rend les corps d'autant plus vites qu’ils sont plus éloignés du terme à partir duquel ils ont commencé à se mouvoir naturellement ; le long d'une certaine distance, ce corps se mouvrait de la même manière que s'il était emporté par son mouvement naturel. »

Comme Bernardino Baldi, Benedetti croit pouvoir donner à la théorie des Parisiens une extension illégitime et contre laquelle Jean Dullaert avait protesté d'avance; il sera mieux inspiré en d’autres propositions qu'il rattachera à cette même théorie.

1. lo. Baptistæ Benedicti Diversarum speculationum liber ; Physica et mathematica responsa, p. 299.

218 BULLETIN ITALIEN

VI

DES PREMIERS PROGRÈS ACCOMPLIS EN LA DYNAMIQUE PARISIENNE PAR LES ÎTALIENS. G10vANNI BarrisraA BENEDETII.

Du jour un géomètre italien, répudiant la routine des Péripatéticiens et des Averroïstes, osa recevoir en leur pléni- tude les principes de la Dynamique parisienne, son génie, exercé à la précision par l’étude d’Euclide et d'Archimède, leur fit produire des fruits qu'ils n'avaient pas portés jus- qu'alors. Aux doctrines de Buridan et d'Albert de Saxe, Benedetti apporta tout d’abord un complément d’une extrême importance.

Rappelons ce passage: Albert de Saxe expose une idée particulièrement chère au Philosophe de Béthune :

« Supposons que l’on fasse rapidement tourner une meule de forgeron très grande et très lourde, puis que l'on cesse de la mouvoir; elle continue à tourner très longtemps, ce qui ne peut se faire, semble-t-il, que par un certain impelus intrin- sèque qu'elle a acquis, qui lui a été imprimé par celui qui l’a mise en mouvement. Si l’on cesse de tourner cette meule, son mouvement diminue continuellement et s'arrête enfin, et cela parce que la forme naturelle de cette meule a une tendance opposée à ce mouvement... Et, peut-être, si cette meule ainsi mise en mouvement pouvait durer toujours, sans éprouver aucune diminution, aucune altération; s’il n'existait, non plus, aucune résistance capable de corrompre l'impelus qui a été ainsi engendré, peut-être, dis-je, que cette meule serait mue perpétuellement par cet impelus. Si cette supposition était agréée, il ne serait plus nécessaire d'imaginer que des intelli- gences meuvent les orbes célestes. On pourrait dire, en eflet, que Dieu, au moment il créa les sphères célestes, a com- mencé à mouvoir chacune d'elles comme il lui a plu, et

1. Magistri Alberti de Saxonia Subtilissimæ quæstiones in libros de Cælo et Mundo, lib. II, quæst. XIV,

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LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 219

qu'elles se meuvent encore par l’impelus que Dieu leur a alors donné; en ces corps, cet impelus ne subit ni corruption, ni diminution, car le mobile n’a aucune inclination opposée au mouvement qui le porte. »

Albert'de Saxe, comme Jean Buridan, ne reconnaît que deux causes capables de détruire l’inpetus: la forme naturelle, qui inclinerait le mobile à un mouvement opposé; les résistances extérieures telles que la résistance de l’air et le frottement des supports. En une meule exactement centrée, le poids ne ferait aucune opposition au mouvement de rotation; sans la rési- stance de l'air, sans le frottement de l’axe sur les coussinets, ce mouvement durerait indéfiniment.

Cette proposition, qui est fort juste, Benedetti n’y veut point souscrire ; mais pour soutenir sa négation, qui est une erreur, il est amené à formuler une vérité essentielle et que personne, semble-t-il, n'avait encore clairement aperçuer.

_ Benedetti ne veut pas que le mouvement de la meule soit perpétuel, même dans les conditions idéales qu’Albert de Saxe a imaginées; il lui faut donc découvrir, en la propre substance de cétte meule, une cause intrinsèque de résistance au mouvement de rotation, une cause capable de corrompre l’impetus ; et voici, selon lui, quelle est celte cause : « Ce n'est pas à un mouvement de rotation, c'est à un mouvement recti-

ligne que chacune des petites parties de la meule serait

entraînée par son impelus, si elle était libre; pendant le mou- vement de rotation, chacun de ces impetus partiels est violenté et, partant, il se corrompt. »

« Imaginons, » dit Benedetti?, «une roue horizontale, aussi parfaitement égale que possible et reposant sur un seul point; imprimons-lui un mouvement de rotation avec toute la force que nous pourrons employer, puis abandonnons-la; d'où vient que son mouvement de rotation ne sera pas perpétuel?

» Cela a lieu pour quatre causes.

1. Giovanni Vailati est, croyons-nous, le premier qui ait signalé ces décou- vertes de Benedetti (Giovanni Vailati, Le speculazioni di Giovanni Benedetti sul moto dei gravi. Accademia Reale delle Scienze di Torino, anno 1897-1898).

2. Jo. Baptistæ Benedicti Diversarum speculationum liber ; De mechanicis, cap. XIV, p. 159.

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220 BULLETIN ITALIEN

» La première est qu'un tel mouvement n’est pas naturel à la roue. te

» La seconde consiste en ceci que la roue, lors même qu'elle reposerait sur un point mathématique, requerraît nécessai- rement, au-dessus d'elle, un second pôle capable de’la maïn- tenir horizontale, et ce pôle devrait être réalisé par quelque mécanisme corporel; il en résulterait un certain frottement, d’où proviendrait une résistance.

» La troisième cause est due à l'air contigu à cette roue qui la refrène continuellement et, par ce moyen, résiste au mouvement.

» Voici maintenant la quatrième cause : Considérons cha- cune des parties corporelles qui se meut elle-même à l’aide de l’impelus qui lui a été imprimé par une vertu mouvante extrin- sèque; cette partie a une inclination naturelle au mouvement rectiligne, et non pas au mouvement curviligne; si une parti- cule prise en la circonférence de ladite roue était disjointe de ce corps, il n’est point douteux que, pendant un certain temps, cette partie détachée se mouvrait en ligne droite au travers de l'air; nous pouvons le reconnaître en un exemple tiré des frondes à l’aide desquelles on jette des pierres ; en ces frondes, l’impelus du mouvement, qui a été imprimé au projectile, décrit, par une sorte de propension naturelle, un chemin rectiligne; la pierre lancée commence un chemin recliligne suivant la droile qui est langente au cercle qu’elle décrivait tout d'abord,

el qui le louche au point la pierre se trouvait lorsqu elle a été

abandonnée, comme il est raisonnable de l'admettre.

» Gette même raison fait que, plus une roue est grande, plus grand est l’impelus ou l'impression que reçoivent les diverses parties de la circonférence de cette roue; aussi arrive-t-il bien souvent, lorsque nous voulons l'arrêter, que nous n'y parve- nions pas sans effort ni difficulté; plus est grand, en effet, le diamètre d'un cercle, moins est courbe la circonférence de ce cercle... Le mouvement des parties qui se trouvent sur. ladite circonférence approche donc d'autant plus du mouve- ment conforme à l’inclination que la nature leur a attribuée, inclination qui consiste à se déplacer suivant la ligne droite. »

LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 221

Ces pensées, assurément, plaisaient fort à Benedetti; il y revient à deux reprises; il les complète et les précise, d’ailleurs, en ces deux circonstances, en y joignant l'affir- mation d'une importante vérité : Cette tendance du mobile, d'un mouvement circulaire, à s'échapper suivant la tan- gente à la trajectoire courbe est la cause qui tend la corde de la fronde et tire la main qui retient cette corde.

Cette dernière proposition, Benedetti la formule en la lettre même : il a expliqué, selon la Dynamique parisienne, com- ment s'accélère le mouvement d’une meule que tourne une puissance constante :

« Tout corps grave qui se meut soit par nature, soit par violence, désire naturellement se mouvoir en ligne droite; nous pouvons clairement le reconnaître lorsque nous tour- nons le bras pour jeter des pierres avec une fronde ; les cordes acquièrent un poids d'autant plus grand et tirent d'autant plus la main, que la fronde tourne plus vite et que le mouvement est plus rapide; cela provient de l’appétit naturel qui a son siège en la pierre et qui la pousse à marcher en ligne droite. »

La même vérité se trouve exprimée de nouveau, et presque dans les mêmes termes, au passage suivant ?, qui a également trait à la manœuvre de la fronde :

« La main tourne, autant que possible, suivant un cercle; ce mouvement en cercle de la main oblige le projectile à prendre, lui aussi, un mouvement circulaire, tandis que, par son inclination naturelle, ce corps, dès qu’il a reçu un léger impetus, voudrait continuer son chemin en ligne droite. Ne passons pas sous silence un effet, bien digne de remarque, qui se produit en cette circonstance. Plus l'accroissement de vitesse du mouvement giratoire fait croître l’inpetus du projectile, plus il faut que la main se sente tirée par ce corps, et cela au moyen de la corde; plus est grand, en effet, l’impetus de mouvement qui est imprimé au corps, plus est puissante

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l’inclination de ce corps à se mouvoir en ligne droite; plus

1. Jo. Baptistæ Benedicti Diversarum speculationum liber ; Physica et mathematica responsa, p. 287. 2. Benedetti, Op. cit., mechanicis, cap. XVII, pp. 160-161.

Bull. ital. 19

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grande aussi est la force avec laquelle il tire afin de pouvoir prendre ce mouvement. »

Buridan et ses disciples avaient admis qu’un impetus imprimé à un corps peut, selon la manière dont il a été engendré, tendre à mouvoir ce corps en droite ligne ou en cercle; Benedetti, méditant l’enseignement de ces philosophes, rectifie ce qu’il contenait d’erroné; lorsqu'un très petit corps est libre, l’impetus tend toujours à le mouvoir en ligne droite; en un grand corps, les liaisons des diverses parties peuvent imposer à celles-ci des mouvements courbes; mais il en résulte des pressions ou des tractions qui témoignent de l'effort exercé par chaque élément pour suivre une trajectoire rectiligne. En attribuant à ces actions de liaisons le pouvoir d’ôter la per- pétuité à un mouvement de rotation, Benedetti contredisait à tort à une très belle et très importante proposition de Buridan et d'Albert de Saxé; ceux-ci-avaient découvert une des faces du vrai; Benedetti en apercevait clairement une autre; l'avenir de la Mécanique devait mettre en évidence l’exacte position que ces deux vérités partielles occupent en la vérité totale.

Ces découvertes, si importantes et si précises, comment Benedetti est-il parvenu à les faire? Un intéressant passage de l’une de ses lettres va nous renseigner au sujet des démar- ches de sa pensée. ù

Voici ce que Benedetti écrit à Paul Capra de Novare : :

« Vous me demandez en vos lettres si le mouvement cireu- laire d’une meule de moulin, qui aurait été une fois lancée, pourrait durer perpétuellement, au cas cette meule repo- serait, pour ainsi dire, sur un point mathématique et elle serait supposée parfaitement ronde et parfaitement polie.

» Je réponds qu’un tel mouvement ne saurait être perpétuel et même qu'il ne saurait durer bien longtemps ; tout d’abord, il est refréné par l'air qui fait une certaine résistance sur le pourtour de la meule; mais, en outre, il est refréné par la résistance des parties mêmes du mobile. Une fois ces parties mises en mouvement, elles ont un impelus qui les porte natu-

1. Jo, Baptistæ Benedicti Diversarum speculationum liber; Physica et mathematica résponsa, pp. 285-286.

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LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI‘ SIÈCLE 223

rellement à se mouvoir en ligne droite; mais comme elles sont jointes ensemble, qu'elles se continuent l’une l’autre, elles souffrent violence lorsqu'elles sont mues en cercle; c’est par force qu'en un tel mouvement elles demeurent unies entre elles; plus leur mouvement devient rapide, plus s'accroît en elles cette naturelle inclination à se mouvoir en ligne droite, plus est contraire à leur propre nature l’obligation

de tourner en cercle. Afin donc qu'elles demeurent en leur

naturel repos, puisque leur tendance propre est de se mouvoir en droite ligne lorsqu'elles sont lancées, il faut que chacune d'elles résiste d'autant plus à l’autre, que chacune d'elles tire, pour ainsi dire, plus vivement en arrière celle qui se trouve devant elle, que le mouvement de rotation est plus rapide.

» Grâce à cette inclination que les diverses parties d'un corps rond ont à la rectitude du mouvement, il arrive que le sabot qui se fait tourner lui-même avec grande violence demeure, pendant un certain laps de temps, parfaitement droit et en repos sur la pointe de fer dont il est armé; pas plus d’un côté que de l’autre, il n’incline vers le centre du Monde; en ce mouvement, en effet, aucune de ses parties n'incline vers le centre du Monde; chacune d'elles incline bien plutôt à se mouvoir suivant une ligne transversale, perpendiculaire à la fois à la ligne de direction ou verticale et à l’axe de l'horizon; nécessairement donc, un tel corps doit demeurer droit.

» Lorsque je dis que ces parties n’inclinent aucunement vers le centre du Monde, je le dis seulement sous ce rapport; jamais, en effet, elles ne sont absolument privées de cette . inclination, et c'est pourquoi le corps fait effort en son point d'appui. Il est vrai, toutefois, que plus le sabot tourne avec vitesse, moins il presse au point d'appui, plus ce corps devient léger.

» Ceci se voit clairement si l’on prend exemple de la balle lancée par une arbalète ou par quelque autre instrument ou machine balistique. Plus, en son mouvement violent, la balle est rapide, plus est grande sa propension à aller en droite ligne, moindre est son inclination à aller au centre du Monde; par cette cause, elle est rendue plus légère.

224 BULLETIN ITALIEN

» Si vous désirez apercevoir plus clairement cette vérité, imaginez que ce corps, le sabot, d’un très rapide mouve- ment de rotation, soit découpé ou divisé en une foule de parties. Vous verrez que ces diverses parties ne descendent pas immédiatement vers le centre du Monde, mais qu’elle se meu- vent, si je puis dire, tout droit suivant une ligne horizontale. Personne, que je sache, n’a encore fait cette observation au sujet du mouvement du sabot.

» Ce mouvement du sabot ou des autres corps analogues nous montre à quel point les Péripatéticiens sont dans l’erreur au sujet du mouvement violent; ils pensent, en effet, que le corps est poussé par l'air qui se précipite pour occuper le lieu délaissé par le mobile; c’est plutôt l'effet contraire qui naît de ce mouvement de l'air. »

Nous nous souvenons d’avoir lu:, dans les ÆExercilationes de Bernardino Baldi, des considérations presque semblables à quelques-unes de celles que nous venons de transcrire, et lorsque nous les avons rencontrées au livre de l’abbé de Guas- talla, nous n’avons pas hésité à en marquer l’origine ; ce sont, avons-nous dit, pensées de Léonard; ce jugement, nous le devons répéter ici et le rendre encore plus formel, car le sceau du Vinci se montre encore plus nettement imprimé en ce que Benedetti vient d'exposer.

La pensée fondamentale d’où découlent tous les raisonne- ments de Benedetti est la suivante : L'inpelus causé par la violence est analogue à la gravité naturelle; l’inpetus, lorsqu'il agit seul, comme la gravité naturelle, lorsqu'elle agit seule, meut le mobile en ligne droite : « Tout corps grave qui se meut soit par nature, soit par violence, désire naturellement se mouvoir en ligne droite. »

Or, cette pensée est, en la Dynamique du Vinci, un principe essentiel.

A la fin de son mouvement, un projectile décrit un chemin rectiligne, parce qu'il est alors par nature, sans aucun mélange de violence : « La flèche se fichera en ligne perpen-

1, Léonard de Vinci et Bernardino Baldi, IV (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceuæ qui l'ont lu, IT; première série, pp. 100-115).

LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU-XVI° SIÈCLE 22

diculaire :, et si tu la trouves ainsi, c'est signe qu'elle avait fini le mouvement violent et qu'elle entrait dans le mouve- ment naturel, c’est-à-dire qu'étant pesante, elle tombait, libre, vers le centre. »

Au début du mouvement, la trajectoire est également recti- ligne, car l’inpelo annihile alors la gravité naturelle; la gravité accidentelle demeure seule, et celle-ci pèse dans la direction selon laquelle le moteur a lancé le mobile; le boulet que la bombarde, pointée horizontalement, a tiré, se meut suivant une droite horizontale, parce que la violence lui a fait perdre sa gravité naturelle, dirigée suivant la verticale : «Tout grave qui se meut selon la position de l'égalité ne pèse que par la ligne - de son mouvement?. On le prouve dans la première partie que fait le mouvement du boulet de la bombarde, mouvement qui est dans la position de l'égalité. »

De cette phrase de Léonard, il est bien naturel de rapprocher celle-ci, qui est de Benedetti : « Plus, en son mouvement vio- lent; la balle est rapide, plus est grande sa propension à aller en ligne droite, moindre est son inclination à aller au centre du Monde; par cette cause, elle est rendue plus légère. »

Entre les pensées des deux auteurs, une seule nuance est à signaler. Léonard admet que la première partie de la trajec- toire est purement rectiligne, car alors, selon lui, la violence anéantit complètement la gravité naturelle. L’impetus, selon Benedetti, atténue cette gravité naturelle sans la détruire entiè- rement, si violent soit-il; aussi la trajectoire, d'autant plus voisine de la ligne droite que le mouvement est plus rapide, n’atteint-elle jamais cette ligne droite. Ici, Benedetti corrige la pensée du Vinci comme l'avait fait son maître Tartaglia.

Pour Léonard donc, et pour tous ceux qui paraissent avoir subi son influence, pour Tartaglia, pour Cardan, pour Bernar- dino Baldi, pour Benedetti, le mouvement purement violent est rectiligne, tout comme le mouvement purement naturel.

1. Les manuscrits de Léonard de Vinci; ms. A de la Bibliothèque de l’Institut, fol. 4, recto.

2. Les manuscrits de Léonard de Vinci, ms. G. de la Bibliothèque de l’Institut, fol. 77, recto.

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226 d BULLETIN ITALIEN

« Du mouvement en général, » écrit Léonard en un de ses cahiers. « Quelle chose est le mouvement en soi. Quelle chose est celle qui est mise davantage en acte par le mouve- ment.— Quelle chose est l’inpeto. Quelle chose est la cause de l’impelo et du milieu il se crée. Quelle chose est la percussion. Quelle chose en est la cause. Quelle chose est l’incurvation du mouvement droit et quelle en est la cause. Aristote, de la Physique, et Albert, et Thomas, et les autres, du mouvement réfléchi de (risallalione) au de la Physique. »

Les principes que nous venons de rappeler posent, en effet, cette question : Quelle est la cause qui détermine la courbure de la trajectoire décrite par un projectile, par les diverses parties d’un mobile éloigné de son moteur ? Cette cause, c’est que le mobile n’est pas sollicité par une gravité purement naturelle ou par un impelo simple; elle réside en ce fait que l’impelo est composé.

Une première forme d’impelo composé est mise en évidence par ce qui précède. Elle résulte de la lutte entre l’impeto simple qui a lancé le projectile et la pesanteur naturelle de ce même projectile. C’est un impelo composé de cette sorte qui, selon Léonard, selon Cardan et Bernardino Baldi, incurve la partie moyenne de la trajectoire d’un projectile, qui, selon Tartaglia

et Benedetti, incurve cette trajectoire en tout son parcours.

A côté de cette sorte d'impelo composé, Léonard en a défini une seconde espèce’. En ce nouvel impelo, dont l'existence paraît lui avoir été révélée par le jeu du globe que Nicolas de Cues avait décrit, la forme du mobile intervient; il y a conflit entre l’inpelo imprimé par le moteur et ce que Léonard nomme l’impelo du mobile.

Cet impelo du mobile, le Vinci lui accorde une extrême importance en la théorie du vol des oiseaux; mais il ne paraît pas qu'il soit jamais parvenu à s’en faire une idée bien nette.

1. Les manuscrits de Léonard de Vinci, ms. ! de la Bibliothèque de l'Institut, fol. 130, verso.

2. Nicolas de Cues et Léonard de Vinci, XI: La Dynamique de Nicolas de Gues et la

Dynamique de Léonard de Vinci, Théorie de l’impeto composé (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu’il a lus et ceux qui l'ont lu, XI; seconde série, pp. 215-222).

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LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 227

C'est cette notion, demeurée obscure chez Léonard, que Benedetti précise dans les divers passages que nous avons cités. Chacune des parties d’un mobile qui se meut d’un mouvement giratoire est le siège d’un conflit entre deux tendances : d'abord, l'inpetus simple, qui tend à entraîner cette particule suivant la ligne droite; puis une réaction, conséquence du lien qui unit cette partie aux parties voisines, réaction qui s'oppose à la continuation du mouvement rectiligne.

Quelles indications Benedetti trouvait-il, au sujet de ces deux éléments de l’inpelo composé, en la science de ses prédéces- seurs ?

Nous avons vu que Léonard attribuait formellement à l’impelo simple la propriété de mouvoir le mobile en ligne droite ; en

avait-il déduit cette conséquence, que Benedetti énonce si for- mellement : Chacune des parties d’un mobile animé d'un mouvement giratoire s’échapperait tout aussitôt en ligne droite, si l’on brisait les liens qui unissent cette partie au reste du corps; cette droite serait la dernière tangente à la trajectoire curviligne que décrivait cette partie avant qu'elle ne füt libre ? Le Vinci était certainement parvenu, mais après bien des tâätonnements, à reconnaître au moins la première partie de celte loi; la lecture de ses manuscrits nous le prouvera.

Voici un premier fragment où, à la place de la loi véritable, est énoncée une loi erronée :

« Toute chose mue avec violence suivra dans l'air la ligne du mouvement de son moteur. Si quelqu'un meut la chose en cercle et qu’elle soit lächée dans son mouvement, son mouve- ment est courbe; et si le mouvement est commencé en cercle et fini en droiture, en droiture sera sa course. »

Un second fragment? nous rend témoins des doutes de Léonard au sujet de la loi qui nous occupe. La première des deux phrases qui composent ce fragment est biffée dans le

_ manuscrit.

1. Les Manuscrits de Léonard Vinei, publiés par Ch. Ravaisson-Mollien, Ms 2038, Italien, de la Bibliothèque nationale (Acq. 8070 Libri), folio r, verso. Paris, 1891.

2. Les Manuscrits de Léonard de Vinci, publiés par Ch. Ravaisson-Mollien, ms. I de la Bibliothèque de l’Institut, fol. 98 [50], recto. Paris, 1889.

228 BULLETIN ITALIEN

«Autant le mobile retient en soi d’impelo acquis, autant il suit la rectitude de la ligne du moteur.

» Pour quelle cause une route courbe étant donnée à un moteur, la chose qui se sépare fuit par la ligne... »

Un dernier fragment’, enfin, contient des affirmations bien voisines de la vérité :

« Du mouvement circulaire. Mais le mouvement circulaire de vitesse uniforme chassera autant le mobile avec une révolution entière qu'avec plusieurs.

» Mais il le chassera dans la création de la première circula- tion d’autant plus loin que cette création est plus voisine de son intégrité ; et le mouvement de son mobile n’observera pas un tel mouvement circulaire, après qu’il s’est divisé de la roue, mais suit le mouvement droit. »

Il y a, en cette note, une ébauche de ce que Benedetti dira avec beaucoup plus de précision. Il est à remarquer que cette note se trouve en ce cahier E Léonard, par l'étude du jeu du globe, est conduit à la notion d’impelo composé.

La lecture même des notes de Léonard conduisait done à admettre cette première vérité formulée par Benedetti : En un corps animé d’un mouvement de rotation, chaque partie tend, à chaque instant, à se mouvoir en ligne droite.

À cette première vérité, le Géomètre vénitien en joint une seconde : Ce qui s’oppose à la continuation de ce mouvement rectiligne, c’est une force qui tire la particule vers le centre du cercle dont elle décrit la circonférence ; plus ce cercle est petit, plus cette force est grande.

Cette nouvelle proposition, elle était pour ainsi dire dictée à Benedetti par un ouvrage qu'il avait minutieusement analysé et discuté, par les Questions mécaniques d’Aristote. C’est d'une proposition toute semblable, en effet, qu’Aristote ou l’auteur, quel qu’il soit, de ces Questions tirait la loi du levier, à laquelle il ramenait ensuite la plupart des problèmes de Mécanique? : Le

1. Les Manuscrits de Léonard de Vinci, publiés par Ch. Ravaisson-Mollien, ms. E de la Bibliothèque de l’Institut, fol. 29, recto. Paris, 1888.

2, Voir, à ce sujet, nos Origines de la Statique, chap. VI, t. I, pp. 108-rv0, et t. HI, note À, pp. 298-307.

LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 229

levier, au lieu de permettre au poids qu'il supporte de se mou- voir en ligne droite, l’oblige à se mouvoir en cercle; cette contrainte est exercée par une force émanée du centre du cercle; elle est d'autant plus grande que le chemin opposé au poids s'éloigne davantage de la rectitude, que le cercle décrit par ce poids est plus petit.

Cette doctrine eut des fortunes diverses. Admise plus ou moins vaguement par le Commentateur péripatéticien de Jordanus de Nemore: et par Blaise de Parme», elle a été ingé- nieusement réfutée par Léonard de Vinci; mais Guidobaldo dal Monte l’a reprise“ en 1577, au temps donc Rene méditait sur la Mécanique.

A la vérité, les considérations d’Aristote ou de Guidobaldo avaient trait à une masse qui est sollicitée au mouvement recti- ligne par sa gravité naturelle et non point par un impelus violemment imprimé; mais l'assimilation entre la gravité naturelle et la gravité accidentelle, admise par la plupart des mécaniciens et, en particulier, par Benedetti, conduisait aisé- ment du premier cas au second.

De la vérité que le Géomètre vénitien a formulée avec une sorte de prédilection, les éléments étaient donc, depuis longtemps, entrevus et plus qu’à demi dégagés; il restait, cependant, à les réunir et à en composer une proposition claire et précise; c'est ce qu'a fait Benedetti, et le mérite d’avoir accompli une telle besogne ne saurait être mis à trop haut prix.

Benedetti nous apparaît comme un adversaire de la Phy- sique péripatéticienne.

Son traité De mechanicis suit pas à pas les Questions méca- niques d’Aristote afin de les critiquer, de les corriger, de les compléter.

Un autre de ses écrits est intitulé : Dispulaliones de quibusdam placitis Aristotelis. Nous savons, par le témoignage même de

1. Les Origines de la Statique, t. I, p. 136 2. Ibid., t. I, p. 150.

3. 1bid., t. I, pp. 160-161.

4. Ibid., t. 1, p. 218.

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En ? f ci

230 BULLETIN ITALIEN

l'’auteur', que cet écrit était composé dès 1553. Benedetti le fait précéder de cette courte déclaration? :

« L'importance et l’autorité d’Aristote sont si grandes qu'il est dangereux et très difficile d’écrire quoi que ce soit contre ce qu'il a enseigné; cela l’est surtout à moi, à qui la sagesse de ce grand homme a toujours paru admirable. Poussé, cependant, par l'étude de la vérité, dont l’amour armerait Aristote contre lui-même s’il vivait encore, je n’ai pas hésité à publier certaines conclusions contraires à l’avis du Philo- sophe; la philosophie des Mathématiques, en laquelle je m'affermis toujours comme en une base inébranlable, m'a contraint de ne pas-partager son sentiment. »

Par ses doctrines contraires à celles d’Aristote, Benedetti se trouvait assurément au nombre des adversaires de la Scolas- tique italienne, si fermement attachée encore, à cette. époque, aux principes péripatéticiens et averroïstes. Ses pensées n'étaient pas en un antagonisme aussi marqué avec les ensei- gnements de la Scolastique parisienne.

Il trouvait# erronée la doctrine d’Aristote touchant l'infini ; il soutenait, par exemple, qu’un corps infini pourrait actuel- lement s'étendre hors du ciel; que les parties infiniment nombreuses d’un continu ont une existence actuelle; que la multitude actuellement infinie est concevable tout aussi bien que le nombre fini et constitue, aussi bien que celui-ci, un genre de quantité. Toutes ces affirmations devaient sembler d’effroyables hérésies aux Alexandristes ou aux Averroïstes italiens. Mais en quoi eussent-elles offusqué le moins du monde les Nominalistes parisiens? Ces propositions, ne les avaient-ils pas entendu soutenir, dès le début du xrv° siècle, par Jean de Bassols, puis, au cours du xiv° siècle, par Grégoire de Rimini, le subtil et puissant logicien, et par Robert Holkot? En la première moitié du xvr° siècle, Jean Majoris et ses élèves

1. Resolutio omnium Euclidis problematum aliorumque ad hoc necessario inventorum una tantummodo circini data apertura, per loannem Baptistam de Benedictis inventa. Venetiis MDLIIL. In fine: Venetiis apud Bartholomæum Cæsarum. MDLIII. Épître dédicatoire à Gabriel de Guzman, sixième folio non paginé, verso.

2. lo. Baptistæ Benedicti Diversarum speculationum Liber, p. 168.

3. lo. Baptistæ Benedicti Diversarum speculationum liber ; Disputationes de quibusdam placitis Aristotelis, cap. XXI, p. 181.

LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 231

ne les avaient-ils pas formellement adoptées? À la Sorbonne, rue du Fouarre, à Montaigu, elles eussent rencontré des partisans et des contradicteurs, mais elles n’eussent effrayé ni étonné qui que ce füt.

Benedetti, d’ailleurs, se montrait, en bien des points, disciple des physiciens de Paris. Sa Dynamique avait, avec celle de Jean Bhridan et d'Albert de Saxe, une étroite parenté. Il admettait. également le principe de Statique formulé par Albert de Saxe; après avoir rappelé les définitions du centre de gravité proposées par Pappus et par Commandin, il ajoutait : : « D’autres disent que le centre de gravité de chaque corps particulier est le point au moyen duquel ce corps s’unirait au centre de l’Univers, s’il n’en était pas empêché; et tous s'accordent en ceci que la Terre s'unit au centre proprement dit de l'Univers par l'intermédiaire de son centre de gravité. »

C’est à la Logique, à la Physique des Parisiens qu’en Italie, les initiateurs de la Science moderne empruntent des armes pour combattre les enseignements surannés du Philosophe et du Commentateur; ceux qui s'efforcent de secouer le joug de la tyrannique routine ont les yeux fixés sur Paris, dont la Scolastique nominaliste est, depuis des siècles, en possession de la liberté intellectuelle.

P. DUHEM. (A suivre.)

1. Consideratione di Gio. Battista Benedetti. Filosofo del Sereniss. S. Duca di Savoia. D'intorno al Discorso della grandezza della Terra, et dell Acqua. Del Eccellent. Sig. Antonio Berga Filosofo nella università di Torino. In Torino. Presso gli heredi del Bevilacqua, 1579, p. 18.

LE OSSERVAZIONI INEDITE DI GILLES MÉNAGE

SOPRA L’AMINTA DEL TASSO . 4

Non tema il lettore ch’ io gli spieghi dinnanzi intera la tediosa e per lo più vana farragine del nuovo commento. Accanto alle annotazioni antiche, apparse in edizione ornatis- sima, pei tipi del Vitré, nel 1655, più che ad illustrazione, coll’ illustrazione della favola tassesca:, sopra i margini di un esemplare che si conserva presentemente alla Nazionale pari- gina, il Ménage accumulô senza risparmio le sue aggiunte erudite; mi sembro buona cosa, separando dall’ erudizione

inutile e pedantesca, ond’ esso è infarcito, i tratti che interes- sano realmente la storia letteraria, dare agli eruditi un’ idea di quel che sia questo commento inedito; anche se il dotto filologo nel suo nuovo commento ci dice spesso cose non sfuggite ai tassisti più recenti o presentate da essi come nuove, ha pur sempre diritto ad un onesto cenno quest’ ultimo frutto della sua operosa attività intorno alle lettere nostre?. « Gelido

1. Aminta favola boscareccia di Torquato Tasso, con le annotazioni di Ecrro MexaAGr0, accademico della Grusca, in Parigi, presso Agostino Curbé, etc., M.DC.LV, 2. 11 Ménage lascid morendo le note manoscritte raccolte per la nuova edizione

al suo segretario Simon de Valhébert. Nella prima metà del 700 l’esemplare annotato .

dalla mano del Ménage si conservava a Parigi nella libreria di Alberto Francesco Floncel, avvocato del Parlamento (Vedi P. A. Serassr, La vita di Torquato Tasso, Bergamo, 1900, t. Il, p. Lui-crv del Catalogo). Il volume fu consultato certamente da colui che nel 1768 prepard per l’editore Marcello Prault una nuova stampa della Aminta, in-12°: la prefazione e i pensieri di scrittori diversi sull’ Aminta, articoli introduttivi dell’ ediz. menagiana, vi son riprodotti nella nuova forma, corretti ed accresciuti. Ë strano che per le tre o quattro osservazioni, con cui il volumetto si chiude, desunte anch’ esse dal!’ opera del Ménage, il nuovo autore non metta a profitto le correzioni e le aggiunte e riproduca quasi esclusivamente le note che il Ménage nella ediz. avrebbe soppresse (Osservo di passata che non si pud parlare di una vera e propria ristampa, nel 1768, delle Annotazioni del Ménage. Credo inesatta ove parla delle ristampe di tali Annotazioni Elena Samrimssco, Ménage polémiste, philologue et poète, Paris, 1902, p. x1). Il Solerti, che s’ era dapprima limitato a riprodurre il cenno del Serassi, in Opere minori in versi di Torquato Tasso,

LE OSSERVAZIONI INEDITE DT GILLES MÉNAGE 233

grammatico e lessicografo, » se lo si studia in relazione con Dante, à, quando si tratta del Tasso, studioso costantemente appassionato ed anche, qualche volta, estimatore felice; si arresta con interesse dinnanzi alla sua figura chi studia le sorti francesi della più famosa pastorale italiana :. Fu, a parer mio, giustizia e gratitudine il plauso degli eruditi toscani; e se più tardi G. Fontanini, Ménage italiano, movendo guerra in difesa del Tasso all’ intero universo, addenterà per fame polemica particolarmente il Ménage, è facile riconoscere, astraendo dalla gloria pedantesca di misurarsi con un avversario di grido, quanto deboli ed infondate sieno per la più parte le accuse e quanto largamente sfruttato, nonostante l’acerbità degli attacchi, sia il commento del « Varrone francese »2.

Si pud ragionevolmente vedere nelle nuove osservazioni di Gilles Ménage una nuova testimonianza del suo ardore negli studi tasseschi e prendere quasi alla lettera, fatta la sua piccola parte all’ amplificazione letteraria, cid che il 20 aprile 1657 egli scriveva agli accademici della Crusca : Spero di mi- gliorare tanto la mia Opera nella seconda edizione che non sara forse indegna d’un accademico della Crusca.

Bologna, 1895, t. III, p. cr, potè più tardi servirsi delle note menagiane inedite e molte, anzi troppe, ne pubblicd nel volume che fa parte della collezione Paravia, 1 discorsi dell’ arte poetica, il padre di famiglia e l’Aminta annotati per cura di ANGELoO Socgrr1, Torino, 1901. Non avendo mai il Solerti indicata l’origine menagiana di siffatte note, pur citando nella sua prefazione il commento manoscritto in questione, la sua parziale edizione nulla giovà alla conoscenza del commento stesso. Non credo che questo sia stato notato da quanti recentemente si occuparono del Ménage; la notizia, frequentemente ripetuta, che il Ménage lascid manoscritte delle Nuove osser- vazioni sopra l’Aminta rimonta direttamente o indirettamente, più che agli scritti stessi del Ménage e agli accenni del Serassi e del Solerti, al catalogo stampato in testa al ben noto Menagiana, Paris, 1715, ediz.

1. À noto l’equo giudizio del Carducci che disse il commento del Ménage « come i più dei commentari critici d’allora, infarcito d’erudizione e di pedanteria, ma sparso anche di delicate e fini e peregrine dottrine ».

2. L'Aminta di Torquato Tasso difeso ed illustrato da Giusto Fonranini, etc., Roma, 1700. Per il piacere di dissentire dal Ménage, il Fontanini giunge a sostenere (p. 63) che dall’ episodio della puntura dell’ ape non si ricava in modo veruno che Aminta baciasse e ribaciasse la ninfa, e (p. 94) con aperta ingiustizia, travisando o non comprendendo le parole del commentatore francese, lo accusa di non conoscere il Torrismondo e di aver visto soltanto l’Avanzo di un poema drammatico. Del resto, come il Fontanini stesso sospetiù, molte accuse sue non avrebbero avuto ragione di essere se fosse uscita la ediz. In questa non solo s’ incontrano corretti alcuni errori che il Fontanini gli rimprovera, ma vediamo pure talora, il che à più caratteristico, le stesse aggiunte che il Fontanini sfoggid per mostrare una più vasta e più sicura erudizione.

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234 BULLETIN ITALIEN

E si vedrà che non i fiumi Toschi Ma 1 Ciel, l’ arte, lo studio, e 1 santo Amore Dan spirto e vita a i nomi, e alle carte,

Mi si conceda, con tutto questo, un sospetto. In chi scorra le lettere del Ménage nasce spontaneo il dubbio che molta parte delle nuove osservazioni gli sia stata comunicata dagli acca- demici suoi amici. Nella lettera stessa citata egli indica qual fonte degli ideati miglioramenti la nota censura dell” acca- demia. Agli appunti con blanda severità mossigli dall’ accade- mia: in risposta al dono ch’ egli le aveva inviato delle proprie Annolazioni, il Ménage in genere si attenne scrupolosamente. Non solo sottopose ad una revisione rigorosissima Vl'orto- grafia del volume e migliord, conformemente consigli ricevuti, lo stile, ma si acconciù pure a modificazioni notevoli del vero e proprio commento. Una parentesi (p. 106-7) intorno alla maggior severità della poesia francese in confronto dell italiana, come quella che a differenza della poesia nostra non tollera facilmente l'enjambement, aveva lievemente irritata la suscettibilità della patriottica accademia e viene per conse- guenza annullataÿ. Il Ménage aveva detto (p. 239), in nota al

verso Ma le bagni la pioggia e mova il vento :

« Mi par che sarebbe stato meglio riferir il calpestar all’ ossa e il muover [del] vento alle ceneri.» L'Accademia, pur quali-

1. Ï rapporti epistolari del Ménage con gli accademici fiorentini, in cid che ebbero di più notevole, sono parziale argomento del suo curioso volumetto Mescolanze, Parigi, 1678. Vedi il passo cit, a pag. 107. Mi riferird costantemente a tale volumetto non raro, anche quando per talune lettere potrei rimandare alla piccola raccolta edita dal Pélissier : Lettres de Ménage à Magliabecchi et à Carlo Dati in Revue des lang. rom., XXXV, 1891, p. 128-65. Tre lettere del Ménage, che fan pure parte del citato volume, furono ristampate dal Socerri, Vita di T. Tasso, Torino, 1895, II, pagg. 470, L71, 472.

; ra NE il non veder notate dall’ accademia alcune mende assai gravi che ci lascian credere vere le parole del Ménage al Dati (Mescolanze, cit., p. 124) : « Scrissi in fretta e quasi nel corso della stampa tali osservazioni. » Ë curioso tra gli altri questo riavvicinamento (p. 278), che fortunatamente scompare nella nuova ediz, : Tasso. « Tolga Dio che mai faccia | Cosa che le dispiaccia » e Danre, Inf. XXV,.— Al fine delle sue parole il ladro | Le mani alzù con ambeduo le fiche | Gridando Togli Dio, ch’ à te le squadro. »

3. L'osservazione, spoglia perd dei suoi tratti piu salienti («noi Francesi qui Musas colimus severiores »), riappare dieci anni più tardi in Les poésies de M. de Malherbe avec les observations de M. Ménage, Paris, 1666, p. 536.

Fu probabilmente in seguilo a questo piccola esperienza che, per evitare le possi-

LE. v” 4

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ficando ingegnosa l’osservazione, aveva ricordati i notissimi versi di Dante. Ed ecco la nota marginale del Ménage : « Ë ben vero che dell’ ossa Dante nel Purg. c. disse l’ istessa cosa coll” istesso verso :

L’ ossa del corpo mio sarieno ancora In co’ del ponte, presso à Benevento Sotto la guardia della grave mora;

ma è da notare, che parlù solamente delle ossa, e non delle ossa e delle ceneri, si come il Tasso. » E del pari trascritto dalla lettera in questione quello ch’ egli sostituisce (p. 329) alla antica sua spiegazione della parola inaffiare : « Vale legger- mente bagnare ed è proprio degli orti Piantô parecchi piedi di bellissimo bassilico salernetano e quegli di niuna altra acqua che à rosata, à di fior d’aranci, à delle sue lagrime non inaffiava giammai, disse il Boccaccio G. 1v, n. 5, ragio- nando della Lisabetta, che in un cesto messo avea la testa dell’ Amante. »

Le osservate relazioni tra il nuovo testo delle Annotazioni e la lettera dell’ Accademia non bastano certo a negare ogni originalità alla nuova edizione; esse ci dicono perd come l’annotatore si comportava rispetto agli appunti che gli amici suoi gli spedivano : li trascriveva fedelmente sui margini del suo volume, senza curarsi di segnarne in modo alcuno l’origine. Vediamo altri fatti. Nell’ Antibaillet:, part. I, art. LIV, a proposito delle origini della pastorale drammatica, egli cosi si esprime: « J'ai fait là-dessus une grande observation dans mes Remarques sur, lAmynte du Tasse. Et comme je l’ai fort augmentée et mise dans un plus grand jour depuis l'édition de mon Amynte, je la produirai en cet endroit, étant

bili ire dei lettori italiani (si direbbe ch’ egli abbia prevista a questo riguardo la replica violenta del Fontanini) egli aggiunse in sostegno della sua affermazione che i tragici francesi di gran lunga avanzassero tutti gl’ italiani (p. 209) queste parole del Testi : «Or de l Itale cetre è somma lode | Cantar quel ch’ à gran pena | Frine oseria tra ciechi orror notturni. | Gran vergogna di Pindo! Oggi chi s’ ode | Calcar tragica scena, | Vestito il pie’ di Sofoclei coturni? | Negletti e taciturni | Stanno i teatri : e nomi austeri, e mesti | Gli Edipi sono e l’ Ecube e gli Oresti. »

1. Si veda l’ed. La Monnoye dei Jugemens des savans, Paris, 1730, t. VIII, p. 108-15,

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236 BULLETIN ITALIEN

persuadé qu'elle ne déplaira pas à mes lecteurs:.» Egli non dice che taluna, e non la meno importante, delle aggiunte à letteralmente attinta ad una lettera del Dati:; a cui, riconos- cente, rispondeva con queste parole : « se forse nel leggere le mie osservazioni sopra l’Aminta le saranno nati sémnili altri pensieri intorno alla dottrina... la supplico a scrivermegliÿ. » E in una sua lettera al Sig. Conte del Maestro : « M. l'abbé de S. Laurens m'a écrit autrefois que vous aviez fait en vostre particulier quelques remarques sur mon Amynte. Si vous ne les avez point perdües vous m'obligerez aussi très-sensiblement de m'en faire part; ayant dessein de donner bientost une segonde édition de cet ouvraget. » È infine importantissimo questo passo d’una lettera del Magliabechi : « Ô scritto, come ella vedrà alcuni passi di diversi Autori, simili ad altri, addotti in molli luoghi dell’ Aminta da V. S. Illustrissima, i quali mentre scriveva, mi venivano in mente. Non pretendo portar, come si dice, a Samo vasi, Nottole a Atene e cocodrilli a Egitto. Con tutto ciù gli ho voluti scrivere, già che questo a me non portava via se non pochissimo tempo; cioè quello dello seri- vergli; il quale io stimerei felicissimamente impiegato, quando anche ve ne fosse uno solo che le potesse servire per accrescere le sue dottissime osservazioni. Potrebbe esser che ci fossero molti di questi passi che non fossero a proposito, e non vi avessero che fare, perchè io non ho voluto rileggere l’Aminta, ma come à detto, un solo che fra tutti vi sia che le possa servire, mi farà stimare benissimo impiegata la fatica durata nello scrivergli tuttis.

Non si puô certo precisar la portata della conclusione a cui questi passi conducono; era necessario tuttavia rilevare la cosa, non lontana del resto dalle abitudini note del Ménagef : la sua cultura italiana ci sembra men prodigiosa e di certi

1. Non è questa la sola volta che il Ménage dei saggi della sua futura edizione; à la sola volta che ne avverte il lettore. In genere egli faceva suo il detto del Mal- herbe : « Perchè non potrei mettere nella mia credenza quello che prima ho messo sul mio camino ? »

2. Mescolanze, cit,, p. 104.

3. Ibid,, p. 110.

h. Ibid., p. 153.

5. 1bid., p. 168.

6. Ë noto che per le Origini della lingua italiana gli accademici della Crusca gli

LE OSSERVAZIONI INEDITE DI- GILLES MÉNAGE 237

autori poco noti tra noi si comprende la citazione in un autor forestiero:. La cosa è tanto più degna di nota che nella ricchezza appunto dei riscontri, nella determinazione frequente dei fonti a cui il Tasso o altri attinse, sta il merito massimo che per noi ha il commento. Alluse il Du Périer probabilmente solo alle imitazioni che dell’ Aminta si erano avute infinite ed ai raffronti che l’amico aveva a! questo riguardo istituiti quasi ad ogni pagina del suo commento quando a lui si rivolse con questi versi :

. Sed ante alias te laetior urbes Roma colet, coeloque tuos aequabit honores, Attonitis inians animis : ut Gallus amoenas Noveris Etruscum Charites, ut splendida furta Ingentis Tassi sollers detexeris…

L'elogio non è men meritato se ci vediamo un’ allusione a tutta quella parte dell’ opera in cui delle immagini e dei pensieri del Tasso si cercano nei poeti classici e nei lirici italiani anteriori le probabili origini. Questa duplice ricerca già notevole nella prima edizione, arricchisce d’altre conclu- sioni la parte nuova. Vediamo, procedendo con ordine di scena in scena, quelle che son più attendibili e cominciamo da quelle che con termine più ampio di quel che possa piacere a taluno si potrebbe dir fonti.

P. 128 (At. I, sc. 1°, v. 26 et sgg.). « Diresti, ripentila, sospi- rando. Ebbe mira a quel Ms sonetto del Bembo : O RTS et Are di bellezza, etc.

P. 136 (At. I, sc. à VY. ë 66) Citati alcuni versi d'Ovidio

comunicarono tutte le schede che già avevano raccolte per il loro Etimologico e che dal cenno che il Ménage fece a siffatto obbligo nella sua lettera all’ accademia che va innanzi al volume nacque l’accusa lanciatagli dal Boileau, ripetuta dal Baillet e dal Fontanini, ch’ egli non ne fosse l’ autore. Noterd che il Ménage nell’ Antibaillet, ove para scrupolosamente tanti attacchi, si lagna bensi-di questa accusa, ma di passata, nella prefazione, senza ribatterla particolarmente.

1. Î collaboratori fiorentini si resero benemeriti della nuova ediz. anche in altra maniera compiendo per il lontano collega erudite ricerche, procurandogli libri poco diffusi. Fu dal Magliabechi che il Ménage potè avere il rarissimo Beccari (Mescolanze, cit., p. 115) : « Ardebam incredibili cupiditate videndi fabulam illam Pastoralem Augustini Beccari, civis Ferrariensis, ceterarum rpwtéruroy, eamque diu frustra per omnes Bibliothecas Gallicas atque Italicas conquisiveram. »

Bull. ital. 16

238 BULLETIN ITALIEN

il commentatore cosi continua : «I quali versi cosi furono. tradotti dall’ Anguillara :

E dov’ ogn’ altra Ninfa altera andava, S’ altrui la sua beltà fea maraviglia,

lo, se la forma mia qualch” un lodava, Per vergogna tenea basse le ciglia,

E se talhor qualch’ un mi vagheggiava, La guancia à un tratto si facea vermiglia : E cosi rozza in questa parte fui

Che vitio mi parea piacere altrui.

Ed à essi, credo, ebbe mira il nostro Poeta, qui dicendo :

... + 2. . .re,:se talhora

Vedea guatarmi da cupido Amante, Chinava gli occhi rustica a selvaggia,

Piena di $degno e di vergogna, e m’era Mal grata la mia grazia, e dispiacente Quanto di me piaceva altrui : pur come Fosse mia colpa, e mia onta, e mio scorno L’ esser guardata, amata e desiata. »

P. 138 (At. I, sc. 1°, vv. 76-7).

«Eccoti, Cinthia, il corno, eccoti l’arco Ch’ io rinunzio i tuoi strali e la tua vita.

Bernardo Tasso, padre del nostro Torquato, in un suo sonetto a Priapo, che si legge nel libro secondo delle sue Rime :

Ti lascio aprico colle, ombrosa piaggia, Ecco gli strali e l’ arco, o casta Diva Cinthia; piü sperar che à te ritorni. »

P. r71 (At. L'sc.2", Vy: 298). «La lunga etate insegna a l’huom di porre Freno a i leoni ed a le tigri ircane, Luigi Alamanni anch’ egli nel V libro della Coltivazione : ' . che non puû il tempo? Toglie al fero leon l’ orgoglio e l’ira,

E lo riduce à tal, ch’ amico e fido Con le gregge, e coi can si resta in pace. »

OSSERVAZIONI INEDITE DI-GILLES MÉNAGE 184 (At. I, sc. 2°, vv. 177-83).

«Che in cerchio sedevam ninfe e pastori E facevamo alcuni nostri giuochi, Che ciascun ne l’orecchio del vicino….

L’Ariosto nel VII del Furioso, st. 21 :

Tolte che fur le mense e le vivande, Facean sedendo in cerchio un gioco lieto, Che ne l’ orecchio l’ un l’ altro domande, Come più piace lor qualche secreto.

Il che a gli amanti fu comodo grande Di scoprir l’ amor lor senza divieto,

E furon lor conclusioni estreme

Di ritrovarsi quella notte insieme. »

P:' 194 (At. FE, sc. 2°, v. 246-7).

RTL non t’ appressar troppo z Ove sian drappi colorati..

Il Petrarca in una sua canzone :

Non t’ appressar, ove sia riso, à canti ».

P. 245 (At. IL, sc. 2°, vv. 23-24).

« Dafne Come ha nome ’l gran mastro?

Tirsi Dafne ha nome.

Dafne Lingua bugiarda.

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Tolto di peso dallo Sperone nel Dialogo delle laudi del Cathaio, villa della S. Beatrice Pia degli Obici, tra il Moresini e la Portia : MOR. E per distinguere il mio parlare, non è miracolo de’ maggiori che possa far la Natura che una cosa | medesima in un punto e in un’ hora sia in stessa dolce ed amara, pia e crudele? oltra di ciù sia fame e cibo, e morte di Ciascuno che la conosce? PORT. Certo si, ma chi è tale se non Amore? MOR. Una Donna che l’ assimiglia. PORT. Nominatela questa Donna, MOR. Portia è il suo nome.

PORT. Lingua falsa e bugiarda. »

P. 248 (A. IE, sc. 2*, v. 48). « Lampeggiava un riso. Dante

nel XXI del Purgatorio :

Un lampeggiar d’un riso dimostrommi. »

Le bee Cr 1 128 Ra nt

240 BULLETIN ITALIEN P. 302 (At. IE, sc. 2°, vv. 14-5). «, . . . . chè mia salute

Sarebbe il disperare.

Da Virgilio :

Una salus victis nullam sperare salutem. »

Chi abbia lette le prose tassiane e ammirata la famigliarità sua cogli autori che siamo venuti citando e la sua acutezza di analisi talvolta eccessiva e la sua memoria, nonostante i lamenti ingiustificati, mirabile, darà certo qualche peso ai riscontri qui su riferiti. Quanto ai passi che coll’ Aminta il Tasso avrebbe ispirati ai suoi imitatori, è facile spesso discor- dare dal commentatore francese : bastava mettersi nella via dal Tasso segnata perchè si offrissero spontanee e copiose le immagini affini a quelle ond’ è intessuto l’Aminta. Parecchie _tuttavia delle sue affermazioni meritano di essere qui ripetute. Ci diranno tra l’altro i nuovi commenti quanto salda e viva perdurasse nel Ménage l’ammirazione per il Marino. Tutta l’opera glie ne è nota e cara. Due volte la difende dalle cen- sure dello Stigliani e dice meritati i motteggi lanciati dal dottissimo. Aleandri contro quest’ ultimo:. |

P. 148 (At. I, sc. 1°, VV. 140-2).

«Odi quel lusignuolo Che va di ramo in ramo Cantando : io amo, io amo…

1. Questo egli dice (p. 324) intorno al biasimo di cui lo Stigliani aveva colpito il Marino per il termine di Paradiso messo in bocca a Dei pagani, cosa per lui inverisi- mile e irriverente. Sulla questione, che fece versare allora mari d’inchiostro, del meraviglioso mitologico nella poesia cristiana, il Ménage si pronuncia altrove : è frase a lui cara che bisogna vivere da cristiano e scrivere da poeta. Lo si pud quindi credere favorevole sempre al Marino, quand egli (loc. cit.) aggiunge : « Nientedimeno l’istesso Aleandri nell’ istessa Difesa nota sopra quei versi della Stanza XI del Canto VIII : « Sembra il felice e dilettoso loco | Pien d’angelica festa un paradiso », ripresi parimente dallo Stigliani, come troppo irriverenti in bocca d'un Cristiano, che quello era un dei luoghi che s’aveano a mutar del Marino, essendo stato avvertito che benchè sia in bocca di ciascheduno il dire d’esser in paradiso, quando si trova fra gioie e piaceri eziandio carnali, non conviene perù far comparire in iscritto questo vulgar detto e inconsiderato, »

Avrebbe potuto utilmente dedicare un po’ d’attenzione al Ménage, unito intima- mente per più riguardi al gruppo di scrittori ch’ egli prende in esame, il CABëEN. L'influence de Giambattista Marino sur la littérature française dans la première moilié du XVIF siècle, Grenoble, 1904.

LE OSSERVAZIONI INEDITE DI GILLES MÉNAGE 241

.

Il Guarini in un suo madrigale :

Dolcissimo usignuolo, Tu chiami la tua cara compagnia, Cantando : Vieni, vieni anima mia. »

Ibid. (At. I, sc. 1“, v. 150 e sgg.).

« , . . Amano ancora

Gli alberi; veder puoi con quanto affetto, E con quanti iterati abbracciamenti

La vite s’ avvitichia al suo marito :

L’ abete ama l’ abete, il pino il pino :

L’ Orno per l’ Orno, per la Salce il Salce, E l’un per l’altro faggio arde, e sospira. Quella Quercia, che pare

Si ruvida, e selvaggia,

Sent’ anch’ ella il potere

De l’ amoroso foco, etc. »

Il Marini nell’ Adone VII, 226 :

«Non ch’ altro i tronchi istessi, i tronchi, i salci Senton dolci d’ Amor nodi e ferite.

Chi puo dir com’ à gli Olmi, e com’ à i Salci L' Hedra sempre s’ abbarbichi e la Vite?

E chi non sà, che se con scuri e falci

Da spietato Boschier son disunite,

Lagrimando d’ amor cosi recise

Si lagnan de la man che l’ ha divise.

Fronda in ramo non vive, à ramo in pianta Cui non sia dato entro la ruvid’ alma

Sentir quella virtü feconda e santa

Che con nodo reciproco le’ ncalma.

Con sibili amorosi Amor si vanta

Far sospirare il Frassino e la Palma. Baciansi i Mirti, e con scambievol groppo Alno ad Alno si sposa e Pioppo a Pioppo. »

P. 156 (At. I, sc. 1°, v. 192). « Quel grande che cantd l’armi e gli amori. I Testi nel!’ Epitalamio di Maria Farnese e Fran- cesco d’Este Duca di Modana :

L’altra era Clio, che della Reggia Estense Abitatrice antica,

E delle glorie di que’ grandi Eroi, Provida osservatrice

Sparse di manna i carmi

242 BULLETIN ITALIEN

Al Cigno che cantù l’ Arme e gli Amori, E gonfid l’ aurea tromba

Di sovrumano spirto

A colui, che portù di dal Mare L’Arme pietose e ‘1 Capitano invitto.

E 71 Marini sopra il Ritratto dell’ Ariosto :

Quel gran pittor de l’Armi e de gli Amori.

P. 164 (At. I, sc. 1°, vv. 278-30).

«Specchi del cor, fallaci infidi lumi, Ben riconosco in voi gl’ inganni vostri; Ma che pro? se schivarli Amor mi toglie,

I1 S. d'Urfé .. cosi lo traslatà :

Traïstres miroirs du cœur, lumieres infidelles,

Je vous reconnois bien et vos trompeurs apas. Mais que me sist cela, puisqu’Amour ne veut pas Voyant vos trahisons que je me garde d’elles’?»

P. 173 (ALT, sc. 2°, 46 e sou.)

« Ch’ io sono omai si presso a la mia morte Ch’ è ben ragion ch’ io lasci chi ridica La cagion de ’l morire...

Il Chiabrera nella Meganica IV, 2.

Poich’ io deggio morire à gran conforto, Che i duri affanni miei

À te sieno palesi,

À ciù che tu li possa altrui ridire;

Onde i cortesi Amanti

Vengano larghi à mie miserie estreme Di ben dovuti pianti. »

P.:174 (At. TL 80.:29, y: 17 sg)

«.… E forse (ahi spero Troppo alte cose!) un giorno esser potrebbe.

1, Charlotte Banri, L’Amyntas du Tasse et l’Astrée d’'Honoré d’Urfé, Milan, 1896, p. 30, ha anch’ essa rilevata la corrispondenza dei due passi citati.

LE OSSERVAZIONI INEDITE DI GILLES MÉNAGE 243 Carlo Noci nella Cinthia, favola Boschereccia, atto IV, sc. 8*:

Et che spero) forse

Per lo stesso sentier lo stesso corso Terrà questo mio corpo,

Et si congiungerà con quel di lei. »

P. 175 (At. I, sc. 2°, vv. 59-60).

«... commossa da tarda pietate Piangesse morto chi già vivo uccise.

Il Preti nell’ Idillio dell’ Amante timido :

Ma poich’ io sard morto Tarda fia la pietade à chi tacendo Senza chieder pielà visse e morio. »

P. 179 (At. I, sc. 2°, v. 98): « Sospirava sovenle e non sapeva.… Il Marini nell’ Adone, parlando dell’ istesso Adone nel Cant. I, ott. 165:

E serpendo gli per entro il petto; Ama, d’amar, ben intende Quel suo dolce d’amor non noto affetto.

6

Ibid. (At. I, sc. 2°, v. 100-1).

» Cosi fui prima amante che intendessi Che cosa fosse amore ..…

Il Marini nel sopra allegato luogo dell’ Adone :

E pria si sente incenerito il core Che s’ accorga il suo male essere amore. »

P. 182 (At. I, sc. 2°, v. 106-r2).

« ... un’ ape ingegnosa...

A le guance di Fillide volando,

A le guance vermiglie come rosa, Le morse e le rimorse avidamente ; Ch’ a la similitudine ingannata Forse un fior le credette.

Orazio Navazotti anch’ egli in un suo Madrigale :

L’Ape di cui piagata Foste, à Donna, sul volto, à voi si pose Credendo di posarsi in le rose.

244

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BULLETIN ITALIEN

qui sol fu ingannata :

Me fatto per:dolor pallido il viso

Credea fermarsi in più d’un bel Narciso; Onde quivi trovata,

Mentre in vece di mele il sangue beve

. Dal doppio inganno suo morte riceve. »

P; 163 (AL. T, sc: 2°, v. 1209-30).

«La virtù de la bocca Che sana cid che tocca.

Imito questo luogo il Bruni in un suo Madrigale, intitolato

Vendetta amorosa :

“bre quell’ aurea bocca

Gran Maestra di baci,

Ma non già di mordaci;

Colei, che cid che tocca

Sana leggiadra Medica e cortese, etc. »

P. 234 (At. IL, sc. 1°, v. 23 e sgg.). « Ohimé quando ti porto i fior novelli, etc. Pietro Michiele in un suo Madrigale nella Parte delle sue Rime:

Questi, ch’ à i primi albori

Fiori accglsi, io ti dono;

E questi dolci e candidi licori

Per te pur tolti sono.

Ma che prù latte e fior porgerti in dono? (Disse Fileno à Clori)

S’ hai tu latte nel sen, nel volto fiori.

E in un suo sonetto nell’ istessa Parte:

Se di frutti à di fior sei vaga, o Bella, Tanti ten’ reccard mattina e sera, Che n°’ avrà invidia ogn’ altra Pastorella :

sprezzi i frutti e i fior, cruda mia fera, Poiche’ n sen, poiche’ n volto amica stella Ti pose eterni Autunno e Primavera.

Usù l’istesso concetto il Murtola anch’ egli in un suo Madri- gale intitolato Fior ricusalo da bella donna :

Perchè, Donna, il bel fiore Da me in don non prendesti? Forse perche nel volto

Hai più bei fiori accolto?»

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\ LE OSSERVAZIONI INEDITE DL GILLES MÉNAGE 245

P. 243 (At. II, sc. 2°, v. 20). « Quel che insegna a gli augelli, etc. Elismonda nel Romanzo di Clelia : Hélas ! Cleontine, repliqua- t-elle en souriant, qui voudriez-vous qui me l’eust apris?. Celui qui aprend aux Rossignols à chanter si bien au Printemps, respondit elle, pourroit bien vous avoir apris à parler, comme vous faites. »

P. 245 (At. II, sc. 2°, v. 23). « Spiegar la pompa de le occhiute piume. E ‘1 Testi nelle Stanze al S. Cavaliere Enea Vaini :

Orgoglioso -pavone a che ti vante Del ricco onor de le gemmate piume. »

P. 308 (At. III, sc. 2°, v. 119). « Ohimé, chè troppo ho atteso e troppo inteso. Montano nel Pastor fido V, 5. | Troppo son chiaro,

Troppo dicesti tü, troppo intes’ io. Cercato avess’ io men, men saputo.

Alcina nella tragedia del conte Fulvio Testi, IV, 3.

Vanne; troppo hai tu detto, lo troppo udito. »

P. 309 (Coro att. LIL, v. 7). « Ch’ amore è merce e con amor si merca.

solo amore sol amore.

. Degno cambio d’amore

è Degno premio d’amore è

Disse il Marini nell’ Adone. E lo Stigliani nel Polifemo:

Ch’ altro premio ch’ amore amor non have. »

Tralascio un gruppo speciale di osservazioni aventi lo scopo di precisare non l'originalità o la vitalità di un concetto e di un’ immagine, ma la loro peregrinità : fenomeni di paralle- lismo che non sono tuttavia senza importanza e che non inte- ramente bandirebbe un commentatore moderno dal suo com- mento:. E tralascio del pari tutto cid che il Ménage imbandi

1. Ed effettivamente non li bandisce dal suo, nella ed. dell’ Aminta già citata, il

Solerti, specialmente quando il parallelismo si riscontra nelle opere stesse del Tasso. Segnerd, per comodo di chi voglia farsene un più preciso concetto, quali sono le

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al suo lettore per il solo motivo che l’opera nacque a Parigi, rivolta a lettori francesi : alludo naturalmente alle infinite osservazioni lessicografiche, ove nulla di nuovo, o che essendo nuovo sia esatto, puù attirare lo sguardo.

Resta, messe copiosa, quello che, inutile al Tasso, è utile al Ménage. Celebrare il Tasso, mostrare di che mirabili effetti sia stata operatrice in lui la conoscenza piena e profonda dei poeti anteriori e quanto fascino a sua volta abbia esercitato egli sui poeti che a lui seguirono, giudicare, vagliare giudizi altrui, : dichiarar voci ardue, non è il solo compito che si è proposto il Ménage. L’opera ha anche per intento l’elogio degli amici e dei protettori più cospicui', il diletto delle dotte lettrici; domina infine dappertutto lo sforzo visibile di far bella mostra di sè, di sfoggiare l’inesausta dottrina. Le parentesi del tutto oziose non si contano. Anche qui, in mezzo all’ ingombro | delle chiose insignificanti, si puo isolar qualche idea non falsa e non inutile. Sono, al solito, riscontri. |

P. 110. « Luciano nel Dialogo di Cupido e di Giove: Amore Ma se in qualche cosa ho peccato, perdonami Giove: perchè son bambino, e di più imprudente. Giove Tu bambino, Amore, che sei molto più antico di Giapeto, forse perchè non hai barba e non sei canuto, vorresti percid esser tenuto per bambino, essendo al contrario e vecchio e scaltro.

note di questo genere ch’ egli trascrisse dal vecchio commentario, Prol., parte della nota al v. 4, cioè lo duplice citazione di Marziano Capella; la nota ai v. 26-97. Att. I, sc. I, parte della nota ai vv. 43-6,-cioè la citazione del Torrismondo; parte della nota ai vv. 48-50, cioè la citazione della Gerusalemme strono che in questa nota l’annota- tore non dica, riprodotta un’ osservazione del Fontanini, che l’osservazione stessa era stata anticipata dal Ménage, il quale aggiunse in margine i medesimi passi addotti più tardi dal Fontanini di Anacreonte, di Properzio, del Tasso); sc. II, parte della nota ai vv. 1798 é sgg., cioè la citazione del Bembo e di S. Bargagli; la nota ai vv. 266-9; parte della nota al v. 290, cioè la citazione del Dialogo della Nobiltà. Att. HE, sc. Il, parte della nota ai vv. 11-12, Cioè la citazione del madrigale tassesco; sc. LI, la nota ai vv. 72-3. Att. III, sc. I, la nota ai vv. 3-8; parte della nota al v. 47, cioè la citazione del Boccaccio; sc. II, parte della nota ai vv. 4-b, cioè la citazione del Sannazzaro e del Tasso. Coro Att. III, parte della nota al vv. 7, cioè la citazione di Dante, Att. IV, sc. I, la nota al v. 54. Att. V, parte della nota al vv. 6:1-5, cioè la citazione del Petrarca. Coro Att. V, parte della nota ai vv. 15-6, cioè la citazione del Marino.

1. Aggiunge (p. 188) alle espressioni elogiative già dispensate nella ediz. al Chapelain l’espressione dantesca allora usitatissima «che sopra qli altri com aquila vola ». Regala (p. 288) il titolo di «veramente ideale » ad un egloga del Charpentier parecchio mediocre.

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LE OSSERVAZIONI INEDITE DI GILLES MÉNAGE 247

Al qual luogo ebbe mira il Marini in quei leggiadrissimi versi delle Stanza 31 del canto III dell” Adone :

Madre, risponde Amor, s’erro talhora Ogni error mio per ignoranzia accade. Tu vedi ben che son fanciullo ancora, Condona i falli a l’immatura etade.

Tu fanciul! (replico Venere allhora)

Chi si stolto pensier ti persuade? Coetaneo del Tempo, e nato avante

A le Stelle ed al Ciel, t’ appelli infante?

Forse perchè non hai canute chiome,

Te stesso in cio semplicemente inganni ?

E ti dai pur di Pargoletto il nome,

Quasi l’astutia più non vinca gli anni, etc. »

P. 136. « Il Petrarca nel Sonetto Giunlo mi ha Amor :

Et si egual à le bellezze orgoglio Che di piacer altrui par che le spiaccia.

Girolamo Preti, nelle Canzone che comincia, Amor qual foco:

Che di piacer’ a me forse le spiaccia. »

P. 136. «Il Petrarca nelle Poesie latine :

. crimen placuisse putabat.

IL che tolse da Ovidio, il quale nelle Metamorfosi parlando di Aretusa dice:

Quaque aliae gaudere solent ego rustica dote Corporis erubui, crimenque placere putavi. »

P. 165. «Il Petrarca in quel verso del Sonetto affettuosis- simo Valle che dei lamenti miei:

Ben riconosco in voi l’usate forme.

Il Bembo anch’ egli nel Sonetto Vago augelletto :

Ben riconosco in te gli usati accenti. »

P. 172. « L’Autor degli Ammaestramenti degli antichi: Qual cosa è più lieve che la piuma? la polvere. E quale più che la

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polvere? il vento. E quale più che ’1 vento? la femmina. E quale più che la femmina? nulla.— Il che prese da que’ versi latini:

Quid levius pluma? pulvis. Quid pulvere? ventus. Quid vento? mulier. Quid muliere? nihil. ».

P. 275. « Salmo XLI. « Quemadmodum desiderat cervus ad fontes aquarum ; ita desiderat anima mea ad te Deus, » le quali parole furono cosi traslatate in Italiano da Bernardo Tasso :+

Come assetata Cerva ogn’ hor desia

Fresca fontana, o rivo;

Cosi l’anima mia,

Il mondo, e i suoi diletti havendo a schivo, Te fonte eterno, e vivo. »

P. 329. « Il Petrarca :

O occhi miei, occhi non già, ma fonti. $

Il qual verso fu cosi trasferito in latino da Pontano in una sua elegia Ad suspiria el lacrimas :

O oculi, nunc iam flumina, non oculi’.»

L.-F. BENEDETTO.

1. Nella nuova redazione sono relativamente più abbondanti le discussioni filolo- giche intorno a questo o quel passo di autore classico. Scompaiono invece quasi totalmente le note etimologiche. Due sole nuove etimologie sono aggiunte; di cui la prima è indubbiamente e la seconda probabilmente falsa.

P. 135 « Donde derivi la voce pania non è cosa certa: viene, credo, dalla latina panis, essendo il vischio materia tenace, simile a quella che si fa di farina, gluten farinaceum ».

P. 304 « Nerina, nome di Ninfa. Virgilio nell’ Egloga VIL: Nerine, Galatea, thymo mihi dulcior Hyblae. Vien formato Nerine da Nnodc inusitato, detto invece di Nnpac. Nnpds. Nnpivos, Nnoivn, Nerine, si come Nepturine appresso Catullo; Tene Thetis tenuit pulcherrima Nepturine., Dissero ‘altresi verisimilmente i Latini Nerina, si come Andromeda, Semela, Penelopa. Circa, Ecata, etc. appresso Orazio, Tibullo e altrove, Theophila da @eogiin, appresso Marziale; la qual terminazione qui venne seguitata dal Tasso. Ed io al suo esempio nelle mie Rime Italiane usai parimente Zola per nome di donna in luogo di Jole.»

LIBRI-CARUCCI

ET LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS D'APRÈS DES DOCUMENTS INÉDITS

Notre intention n'est pas, dans cette très brève esquisse, d'évoquer l'affaire Libri. Bien qu’elle attende encore son his- torien: malgré les substantielles pages de M. L. Delisle en

1. Il est curieux d’observer que l’auteur de l’article : Libri M. Léon Sagnet, attaché au ministère des travaux publics dans la Grande Encyclopédie, t. XXII, P. 189-190, a ignoré que c'était au t. 1 (1878), col. 864-867, du Supplément de Brunet, qu’il eût fallu renvoyer qui voulait trouver une bibliographie sommaire de l'affaire, sur laquelle il ne fournit que de banales références. Brunet n’a, malheureusement, pas consigné les articles, si obstinément partiaux pour Libri, parus en Allemagne et dont voici outre les correspondances de l’Allgemeine Zeitung augsbourgeoise ceux que nous avons pu lire: Berlinische Zeitung, 11 juin 1848, article du secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences de Berlin, Encke, qui s’y fait l'écho des soupçons qui pesaient sur Arago, «ennemi déclaré » de Libri, dans la publication du rapport Boucly dans le Moniteur du dimanche 19 mars 1848, rapport daté du 4 février 1848; Magazin für die Litteratur des Auslandes, 15 juin 1848, article du directeur, Lehmann ; Literarische Zeitung (Berlin), 29 juin 1848, article de K. Brandes, conservateur de la Kônigliche Bibliothek; Serapeum (Leipzig), 15 juillet 1848, article du même; Blätter für litterarische Unterhaltung, 28 juillet 1848, art. du professeur romanisant de Halle, Ch. Witte; Hamburger litterarische und kritische Blätter, 29 juillet 1848, art. du célèbre censeur et bibliophile hambourgeois, Hoffmann ; Gôtt. Gelehrte Anzeigen, 7 et 10 août 1848, article de Stern; Heidelb. Jahrbücher der Lit., fascicule d’août 1848.— D'autre part, M. H. Stein, auteur de l’article: L.-V. Delisle, au t. XIII, p. 1195, de la Gr. Encyel., ne mentionne, parmi les bibliothèques pillées par Libri, que celles de Lyon,

Tours, Orléans et Troyes! Et M. L.-H. Labande, dans l’Introduction du Catalogue des

mss. de Carpentras, t. 1 (x9o1), p. xzv-xLvur, ne consignera, à son tour, que les plus lamentables banalités sur les déprédations de Libri dans la vénérable Inguimbertine, se bornant à insinuer (p. xzv ) qu’ «au dire des contemporains », Olivier-Vitalis « ne surveillait en aucune façon » les «agissements » du grand bibliopole! Du moins, eût- il pu imiter l’exemple lui qui avait à sa disposition le ms. 1255 de ses collègues de Grenoble, P. Fournier, E. Maignien et A. Prudhomme, qui, dans leur Catalogue des mss. de Grenoble (1889), donnaient, à l’Introduction, p. xxxy, note 1, la liste des mss. dérobés par Libri à leur bibliothèque, d’après le rapport de juillet 1840. Mais le

mieux, en l’espèce, était d’imiter le travail de J. Loiseleur; au t. VIII (1884) du

Bulletin de la Société Archéologique de l’Orléanais, p. 117-126: Les larcins de Libri à la Bibliothèque d'Orléans. Sur les déprédations de Libri à Tours, il n’y a que quelques mots à l’Introduction du Cat. des mss. de cette ville par M. Collon, bibliothécaire, t. I (1900), p. ur et xv, et cela est pris dans les travaux, d’ailleurs consciencieusement cités, de M. L. Delisle. Libri n’est, en revanche, point même nommé par A.-F. Lièvre dans son Introduction de trois pages au Catalogue des mss. de Poitiers (t. XX V [1894|.) Quant au Catalogue des mss. de Lyon (1898-1899), M. G. Guigue, auteur de l’Intro-

PET NT 7 Ne

250 BULLETIN ITALIEN

tête de son Calalogue des manuscrits des fonds Libri el Barrois à la Bibliothèque Nationale (Paris, 1888, in-8°) et que nous ayons réuni sur elle, spécialement sur ses échos à l'étranger, un déjà fort copieux et, souvent, fort édifiant matériel, nous ambitionnons simplement, dans les pages qui vont suivre et nous avons eu pour collaborateur dans la transcription des pièces inédites l’aimable bibliothécaire de Carpentras, M. A. Divol, professeur honoraire de l’Université, agrégé d’his- toire qui n’a pas hésité, malgré les ans, à affronter, d’ailleurs avec succès, les épreuves du certificat d'aptitude aux fonctions de bibliothécaire municipal, de fournir quelques précisions documentaires sur un point jusqu'alors totalement négligé de cette colossale tragi-comédie : la nature des déprédations com- mises par Libri à Carpentras. Sans doute, nul, parmi les rares érudits qui se sont astreints au dépouillement de pièces (acces- sibles, du moins, à la recherche, car le dossier Libri, qui, lors de la tentative de revision de 18611, comptait 507 pièces, est

duction, s’y tait sur le pirate qui, dans le dépôt dont les trésors sont énumérés dans les copieuses pages qui suivent, exerça maints ravages. Il semble, parfois, que le mot attribué à Dupin: «l'y a des personnages qui ont agi dans tout cela avec la légèreté d’un «colibri... » soit toujours à rappeler. Nous devons, enfin, signaler le médiocre Libri de l’ex-employé de la Mazarine, puis de l’Arsenal, L. Larchey, ex-élève de l’École des Chartes. Il a paru à Paris en 1869 année de la mort de Libri à Fiesole (28 sept.); sa femme était morte à Paris en mai 1865, in-8°. On est un peu surpris de ne pas trouver fut-ce prudence? il est difficile d'admettre l’ignorance le moindre mot sur Libri dans l’article que M. G. Paris a donné sur l’histoire du Journal des Savants, au de janvier 1908 de ce périodique. Si paradoxale que la remarque puisse paraître, c’est encore dans le Larousse (t. X [1873], p. 484-485) qu’est le meilleur article sur la philosophie de l'affaire Libri, article d’autant plus appréciable qu’il est antérieur aux définitives identifications de M. L. Delisle.

1. Sur cette revision, il importe de connaître: la supplique de la femme de Libri cette sœur du baron Double, Le célèbre bibliophile, dont l’Académie avait couronné l’Éloge de Pascal, resté inédit dans The Times du 15 avril 186r, à la suite de la nomi- nation par Rouland, ministre de l’instruction publique, en 1858 d’une Commission composée de D’Audiffret, président de la Cour des Comptes, Sainte-Beuve et du libraire Merlin pour vérifier les faits du procès, Delangle, alors ministre de la justice, avait joué un rôle important en sa qualité de procureur général ; la Consultation de M. Gel: liez, avocat, suivie de l'adhésion de l’ex-administrateur du Collège de France, Édouard Laboulaye, et d’une sorte d’adresse, par laquelle 28 députés au parlement italien demandaient à leur gouvernement d’intervenir diplomatiquement auprès du gou- vernement de Napoléon III pour que fût réhabilité publiquement l’homme qui avait jeté tant d’éclat (sic) sur sa patrie. Cette consultation (Paris, 1861, 16 p. in-8°), distri- buée en fin mai 1861 au Sénat Celliez rédigea, en outré, un gros mémoire de 92 p. in-8° avait été précédée par la remise à l'Empereur, le 14 novembre 1860, d’une supplique du Conservateur du British Museum, Panizzi à l'adresse duquel étaient les 18 caisses expédiées, lors de sa fuite, par Libri à Londres! et étaient invoqués les témoignages, flatiteurs pour Libri, de Encke, Pertz (bibliothécaire en chef du roi de Prusse), feu le baron de Reilfenberg (directeur de la Bibliothèque de

LIBRI-CARUCCI ET LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS 251

resté inaccessible) dont l'intérêt n’est plus aujourd'hui qu'ar- chéologique, n’ignore qu'il y est, à plusieurs reprises, question de la bibliothèque de cette ville. Et ce que, d’un tel examen, l'on pouvait déduire à ce sujet, se réduisait, en somme, à quelques renseignements assez maigres, que nous deman- derons qu’on nous permette de résumer brièvement.

Nommé, à la fin de mai 1833, membre de l'Institut, dès 1839 suppléant au Collège de France, titulaire en 1843, le futur man- darin au traitement « fixe » de 13,500 francs non compris le domicile gratuit à la Sorbonne et rédacteur du Journal des Savants, avait, grâce à l'appui de Villemain, été chargé, en 1840-1841, puis en 1842 et en 1844, d’une grande tournée d'inspection à travers les bibliothèques de France, et c’est de la première et de beaucoup la plus importante de ces _ missions que le retentissant article du Journal des Savants de 1842 devait, dans son calcul, immortaliser le si profitable _souvyenir'. La Bibliothèque de Carpentras dont on lira plus

Bruxelles), l’abbé Gazzera (conservateur de la Bibliothèque de Turin), Prosper Mérimée (de l’Institut, sénateur), de Morgan (secrétaire de la Royal Sociely astrono- mique à Londres), Holmes (l’un des conservateurs du British Museum), etc.; le rapport imprimé de d’Audiffret. Sainte-Beuve et Merlin; le Moniteur Universel du mercredi 5 juin 1861, contenant le rapport de Bonjean complétant celui qu’il avait composé en 1857 et qui est dans le Moniteur du 27 mars 1857 qui fut tiré à part (Paris, Imprimerie Impériale, 1861, 98 p. in-12 et 1 page d’errata) en un très petit nombre d'exemplaires, mais réimprimé la même année par Lahure sur 292 p. in-8; le Moniteur du 11 juin 1861, contenant le texte de l’interpellation de P. Mérimée au Sénat en faveur de la femme de Libri ; le Moniteur du 5 juin 18617, contenant le texte de la grande discussion de l’affaire Libri au Sénat, à la suite de laquelle la pétition de la femme de Libri fut rejetée « à la presque unanimité ». Comme divers errata s'étaient glissés dans le discours de Delangle, celui-ci fut réim- primé, corrigé, dans le Moniteur du lendemain, mercredi 12 juin 186r.Ces renseigne- ments, jusqu'alors non consignés par ceux qui ont traité de l'affaire Libri, ont besoin d’être complétés par un détail, aussi peu connu, On saura, sans doute, que le succes- ‘sur de Libri à l’Institut fut Michel Chasles victime, d’ailleurs, d’un autre faussaire, Vrain-Lucas, qui avait eu maille à partir avec Libri à propos de ses théories sur l'invention des chiffres et que ces faits furent cause qu’on le soupçonna, sans preuves, d’avoir conduit «l'intrigue» dont avait été «victime» l «illustre géomètre », mais nous n’avons pas trouvé que l’on ait jamais songé à recourir à ce sujet à la curieuse lettre de Libri: À Monsieur Chasles, membre de l’Institut de France, Londres, 7 7bre 1867 (s. L. n. d., in-64 de 3 p.), qui contient une lettre de Morgan auteur de l’article de The Athenaeum du 13 juillet 1850 à Libri.

1. Parmi les 26 articles de Libri dans la Revue des Deux-Mondes, celui du 15 août 1842: Du Catalogue de nos manuscrits, p. 254 seq., traite la même matière. Notons que la Révue poussa si loin la confiance en son collaborateur qu’elle n’hésita pas à encarter dans son du juin 1849 la traduction du pamphlet que de Morgan avait publié en anglais dans l’Athenaeum du 12 mai et que ces 12 pages, dans le format de la

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bas qu'il possédait une connaissance acquise de longue date reçut, naturellement, sa visite officielle; mais le retors filou, dans le rapport, qu'illustrait le Catalogue sommaire des manuscrits de Peiresc, destiné au ministre, s'était, par une ruse dont il exploitera perfidement la subtile combinaison p. 29 seq. de sa Leltre à M. de Falloux, ministre de l'Instruction publique et des Culles, contenant le récil d'une odieuse persécution el le jugement porté sur cetle persécution par les hommes les plus compétents et les plus considérables de l'Europe; suivi d’un grand nombre de documents, relatifs aux spolialions qui ont eu lieu, à différentes époques, dans les Bibliothèques et les Archives de la France, par G. Libri, membre de l'Institut, etc. (Paris, Paulin, 1848, 327 p. in-8°; r1° éd., ibid., 1849; les trois dernières pages sont données comme ayant été ajoutées par Paulin, ce qui doit ne représenter qu'un artifice de Libri), borné à transcrire, en datant du 18 janvier 1841, ce qu'il avait trouvé à ce sujet dans le tome IT pour 1797 du Magasin Encyclopédique de L.-A. Millin! On lisait, en effet, à cet endroit, p. 503, que, sur les 115 volu- mes de la correspondance et manuscrits de Peiresc conservés

Revue, allèrent porter au monde la nouvelle de;la publication de la deuxième édition de cette inoubliable Lettre à M. de Falioux, que tous les bibliothécaires devraient con- sidérer comme livre de chevet. Mais le plus typique est, dans ce sens, le factum de Prosper Mérimée, publié sous forme de lettre à Buloz, dans la Revue du 15 avril 1852: Le procès de M. Libri, p. 306-336, qu’il faut lire pour comprendre quels ravages peut causer l’esprit de solidarité mal entendu dans les cervelles les mieux pondérées, On sait que cette élucubration valut à son auteur, outre la sanglante réplique (Revue du 15 mai 1892: Procès de M. Libri, p. 592-603) de Lud. Lalanne, H. Bordier et le professeur à l’École des Chartes F. Bourquelot, une aimable con- damnation à quinze jours de prison, 1,000 francs d'amende et aux dépens (solidaire- ment avec le gérant, V. de Mars, qui eut, lui aussi, sa petite amende {cf. le texte du jugement dans la Revue du 15 juin 1852, p. 1221-1222]). Bonjean a noté, dans son second rapport (Moniteur, p. 808), qu’au lendemain de la publication de son factum, _et après que l’on eut soigneusement revu les pièces de la procédure de l’affaire Libri, Mérimée « fut mandé; on lui présenta successivement toutes les pièces qui avaient excité sa verve railleuse, et le téméraire critique, vaincu par l’évidence, en fut réduit . à reconnaitre que sur tous les points à peu près il s'était trompé : l’interrogatoire n’a pas moins de 18 pages.» C'est, sans doute, en souvenir de cette mésaventure que, devenu l’un des secrétaires du Sénat, Mérimée, cependant toujours incrédule, tempé- rera, dans son intervention en faveur de la pétition de la femme de Libri, son langage et, bien qu’attaquant Bonjean, confessera qu’il « déplore des violences » qui ne lui «échapperaient plus aujourd’hui » (Moniteur du r1 juin 186x [n° 162]). Il est amusant, enfin, d'observer comment, dans cette interpellation, Mérimée couvre de fleurs l’auteur du tout premier acte d'accusation, devenu son collègue au Sénat et dont il avait dit tant de mal en 1852 ! Nous clôrons cette note en ajoutant que c'est au du 27 septembre 1842 du Moniteur que nous avons trouvé sous forme de l’annonce de son départ pour Aix l’aveu semi-officiel de la nomination tacite de Libri au poste d’Inspecteur des Bibliothèques.

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. à Carpentras, 3 seulement portaient des traces de soustractions, et c’est tout ce qu'avait redit Libri, dont la rouerie scélérate se ménageait peut-être déjà, au cas, peu probable, les bureaux eussent découvert sa fraude, le recours dont il usera plus tard à l’honnête Hænel, lequel, en 1826, ne retrouvait plus à Carpentras que 669 manuscrits, des 2,000 qui s’y trou- vaient en 1808! Cette tactique, dont la force abusa si long- temps les étrangers, Libri, on ne le sait que trop, la déve- loppa avec obstination quand, l'instruction ayant signalé que 36 autres volumes de la collection Peirese avaient perdu 1,700 feuillets, que 5 autres figuraient dans le Catalogue de vente Ashburnham, et qu’enfin 343 feuillets dont 295 appar- tenaient indubitablement à la collection ainsi mutilée, puis- qu'ils portaient la pagination du recueil, avaient été recueillis dans le domicile même du fugitif, il se vit acculé à l’expédient misérable de prétendre, en fin de compte, que ces muets accu- sateurs lui avaient été envoyés en communication par le défunt bibliothécaire, son ami Olivier-Vitalis! Ce procédé, dont Bonjean (Moniteur du 12 juin 1861, p. 808) stigmatisera l’incohérence, revêtait, aux yeux de qui admettait la bonne foi de Libri, une certaine vertu de conviction du fait que Libri s’entendait merveilleusement à en consolider par des exemples historiques la caduque efficacité. Depuis les temps, lointains, du pillage de la bibliothèque de Mazarin, jusqu’à ceux, si rapprochés, des actes de vandalisme commis au dam de la collection de Louis-Philippe, que de cas typiques dont celui de l’abbé Aymon, ce sous-bibliothécaire de la Bibliothèque Royale fuyant en Hollande avec une insigne cargaison de livres et de manuscrits volés, n’est pas le moins étrange s'offraient à l’érudition avisée du faussaire ! Et Prosper Mérimée, dans son intervention malencontreuse du 11 juin 18671, ne contera-t-il pas, avec une ironie triomphante:, à ses collègues du Sénat comment, en 1853, Persigny ayant prié le Ministre de la guerre de faire examiner les parchemins employés à la

1. Ironie d’autant plus sûre d’elle-même que, cette fois, elle s’appuyait sur la réalité et pouvait en appeler au propre témoignage du Moniteur !

Bull. ital. 17

254 BULLETIN ITALIEN

confection des gargousses:, l’on s’aperçut que, sur 4,000 gar- gousses décousues, quantité d’entre elles avaient été fabriquées avec des pièces de première importance, que l’on s’empressa de renvoyer aux Archives?

Mais revenons en arrière, après cette utile digression, et allons retrouver Libri à Carpentras. S'il est vrai, comme en fait foi la pièce ci-dessous, publiée sous le 4, note de Lambert, que c’est le 30 juillet 1842 que la Commission d'inspection de la bibliothèque de Carpentras dénonça l'atti- tude d’Olivier-Vitalis vis-à-vis de Libri? et que fut désignée la nouvelle Commission dont l'enquête «révéla les faits relatifs à M. Libri»; si l’on songe que Boucly fera état, dans son rapport, de la correspondance de Libri avec Olivier-Vitalis à cette époque en particulier d’une lettre du 12 septembre 1843, Libri tente d’amadouer le bonhomme, mais déjà l’on cite une missive du 21 mai 1841, rédigée dans ce sens! n'’a- t-on pas le droit de se demander si ce n’est pas de Carpentras même que venait la mystérieuse dénonciation, signée Henry de Baisne pseudonyme que nul n’a pu déchiffrer et qui, parvenue à la préfecture de police le 3 décembre 1845, fut transmise au procureur du roi, Boucly, le 5 février 1846 par le préfet? On n'ignore pas que c’est à la suite de cette dénon- ciation que Boucly dont le rapport, adressé au garde des sceaux Hébert, est daté, répétons-le, du 4 février 18481

1. Sur l’emploi des brevets royaux pour confectionner des gargousses en 1793,— vieux précédent! cf. la note de M. A. Chuquet: PArevees et Gargousses, dans ses ir sd d'Histoire, 1910, 4, p. 313.

. Les deux lettres d’Olivier-Vitalis à Libri qui motivèrent les soupçons de la Com- mission devaient se rapporter à des demandes de souscription à sa Laure, car le rapport de Boucly mentionne qu’en 1842 Libri avait souscrit à 20 exemplaires de cet ouvrage, pour la somme de 120 francs. Quant à la lettre du 12 septembre 1843, Libri promet une souscription « plus nombreuse », elle est surtout intéressante à cause d’un passage il demande« quelques manuscrits incomplets en provençal, ainsi qu’un fragment d’un manuscrit grec, qui est une espèce de missel et qui est également incomplet. Ces livres (sic) ne sont d’aucune utilité pour la ville ». Or, l'espèce de missel n'était autre que l’Evangeliarium graece du 1x° siècle, muni de notes originales de Libri, que Vitalis avait porté, en 1834, dans son Nouveau Catalogue et que M. Omont a décrit p. 26 de son Catal. des mss. grecs des départements! Rappelons qu’'Olivier-Vitalis est détail généralement ignoré l’auteur d’une Notice historique sur la vie de Malachie d’Inguimbert, parue à Carpentras en 1812, in-4°, avec un fort beau portrait. Il est curieux, d’autre part, d’observer qu’en 1823 F{oisse]t [aîné], dans sa très bonne notice sur Peiresc au t. XX XIII de la Biogr. Univ. Anc. et Mod.; p. 261, affirmait que la collection des mss. de Peiresc à Carpentras ne comprenait plus que 86 volumes.

LIBRI-CARUCCI ET LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS 255

écrivit au procureur du roi à Carpentras, lequel... laissa sa lettre sans réponse. Celui de Grenoble Henry de Baisne accusait Libri d’avoir dérobé dans la bibliothèque de cette ville un psautier manuscrit, vendu 7,000 francs à Payne et Foss à Londres se borna à répondre que les psautiers, au nombre de trois, appartenant à la ville, se trouvaient à leur place. En conséquence, les recherches furent suspendues.

Or, dans la seconde, et non moins mystérieuse dénoncia- tion, celle du r2 juillet 1847, adressée, cette fois, au procureur général près la Cour Royale qui la transmit le 17 à Boucly c'était de nouveau des larcins commis à Carpentras qui étaient nettement signalés et c’est de nouveau, en ce même mois de juillet 1848, au procureur du roi à Carpentras qu'avec plus d'instances que précédemment s’adressera le magistrat pari- sien. «M. le procureur du roi à Carpentras dira Boucly dans son rapport (Monileur du dimanche 19 mars 1848, p. 640): a eu des difficultés assez graves à surmonter pour pouvoir me fournir les renseignements que je lui ai demandés par trois lettres successives; la cause en doit être attribuée aux ména- gements que désirait garder le nouveau bibliothécaire vis-à-vis de son prédécesseur, vieillard octogénaire qui peut se trouver impliqué dans cette affaire. » Si donc, comme nous le croyons fermement, le dénonciateur de 1845 et de 1847 est le même qui, dès 1844, insinuait dans divers journaux, v. gr. le Courrier

. C'est au du 23 mars 1848 qu’on lit, p. 662 à la suite du démenti de nine au du 22, p. 656 que ce n’est pas, comme l'avait annoncé le journal le 19 et, à sa suite, la Bibliothèque de l'École des Chartes (n° de janvier-février 1848, qui ne fut distribué que le 23 mars à Paris et le 24 en province [cf. Revue des Deux- Mondes du 15"Mnai 1852, p. 593, note 1]) au ministère des affaires étrangères que fut trouvé le rapport Boucly, mais «pendant les journées de combat, dans un carton placé dans le cabinet de M. Guizot.. Celui-ci aurait enfoui le rapport dans ses cartons. » Sur les conditions dans lesquelles fut averti Libri de cette découverte, il faut lire les deux pièces suivantes : Aux lecteurs du Bulletin Scientifique du « National », article de Terrien en réponse à plusieurs assertions de Libri, extrait du AVational du 18 mai 1849 (Paris, 12 p. in-8°) et M. Libri, le « National » et le « Moniteur », extrait du journal l’Assemblée Nationale du 14 septembre 1849, suivi d’une lettre de Libri au rédacteur en chef (Paris, 1850, 11 p. in-8°). Voici, d’ailleurs, les principaux articles nous ne disons rien du Siècle, ni du National, à dessein dont la lecture devra être exigée de l'historien futur de l'affaire Libri, relativement à l'impression causée par sa fuite et les premiers débats touchant son procès : Débats du 28 novembre 1848 et des 11 mai et 2 juin 1849, Assemblée Nationale des 1* juin, 14 et 23 septembre 1849, Patrie du 25 septembre 1849, Illustration des 9 décembre 1848 et 12 mai 1849, Biblio-

thèque Universelle (Genève) du mois de juillet 1848, The Athenaeum des 27 mai 1848, 12 mai 1849, 13 juillet 1850, et The Examiner du 10 juin 1848.

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256 BULLETIN ITALIEN

français et le National; cf. en particulier le numéro du 6 sep- tembre de ce dernier organe, Libri est désigné comme « un homme bien connu pour le zèle qu’il met à conserver les biblio- thèques » et peut-être aussi dans la Bibliothèque de l'École des Chartes:, que Libri devait être surveillé, serait-il si étrange que ce personnage résidât à Carpentras, centre premier de découverte des pirateries de Libri?

Quoi qu’il en soit de ce point, sur lequel il faut peut-être renoncer à être jamais fixé documentairement, la Bibliothèque de Carpentras joua un rôle capital dans la procédure de l'affaire Libri. Les pièces inédites que nous publions, en particulier la pièce 2, démontrent que le Théocrile des Aldes, le Dante manuscrit et le Cortigiano fixèrent tout de suite l'attention de Lambert. L'histoire du Théocrite, si nous avions assez d'espace pour la détailler, serait précieuse. On verra qu’au témoignage de Lambert, il avait déjà été catalogué par ce bibliothécaire avant que Libri s’en saisît, à titre de prêt. C’est à Lambert que, très vraisemblablement, est due, dece chef, la constatation du vol de Libri à moins, cependant, que Tripier, garde des archives de la liste civile, qui avait feuilleté naguère le volume à Carpentras même, n'ait ici joué quelque rôle lorsque, au 204 du Catalogue de la bibliothèque de M. Libri] (Paris, Sil- vestre et Jaunet, 1847, grand in-8° comprenant 3,025 articles)?,

1. La Bibl. de l'Éc. des Chartes Mérimée prétendra, en 1852, que ses motifs n'étaient pas purs a parlé à trois reprises de Libri en 1847: t. VIII (mai-juin), p. 462 et (juillet-août), p.535 en termes évidemment désireux de suscitersun soupçon sur l’origine des livres vendus par Libri; l’un de ces articles fut reproduit par le National et t. IX (septembre-octobre 1847), p. 88: « Un de nos lecteurs, du comté de Sussex, en Angleterre, nous fait espérer le catalogue des manuscrits M. Libri, qui ont été transportés dans ce pays et dont l’acquéreur est lord ASHBURNHAM. Nous serons heureux de pouvoir fournir aux savants français quelques renseignements sur le contenu de cette précieuse collection, dont l’accès ne leur a pas été ouvert. » On sait que, lorsque l'affaire Libri eut éclaté, lord Ashburnham refusa de laisser examiner ses manuscrits (p. 807 du rapport Bonjean), mais qu’on en retrouva l'inventaire dans les papiers de Libri, dont 18 caisses de livres volés avaient pu échapper à la justice. Pendant sa vie, le noble lord persista dans cette inqualifiable attitude, bien que sa bonne foi originelle fût hors de cause, et ce n’est qu'après sa mort que son fils consentit à vendre au British Museum, à la Lorenziana de Florence et à la Bibliothèque Nationale les mss. rassemblés à Ashburnham Place, opération non encore effectuée quand M. H. Stein écrivit l’article Ashburnham dans la Grande Encyclopédie (t. IV, p. 87), dont le fonds Libri fut, comme nul n’ignore, partagé entre la Laurentienne et la Nationale : négociations qui ont été amplement narrées par M. L. Delisle, +

2, Le total apparent de cette vente fut de 105,257 francs, plus 10 0/0.

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apparut cette mention : « Theocrili et Hesiodi opera, graece, Venetus, inpressum caractleribus ac studio Aldi Manucciüi, 1495, in-folio, parch. Non Rocxé. » Mais, avant que ce vénérable monument de la conscience du grand imprimeur-humaniste füt, dans la vacation du 3 août, adjugé à Payne et Foss, combien d'aventures n’avait-il pas subies, depuis la date c'était le 19 novembre 1841 Libri ayant obtenu qu'Olivier- Vitalis fût autorisé par le maire « à remettre à M. Libri, à titre de prêt, tous les livres dont il aurait besoin pour son séjour en ville » et maître, dès le 21, du Théocrile, tentait, le 22, d’ob- tenir de Payne et Foss une édition moins précieuse pour la substituer à cette perle, puis partait de Carpentras avec la pièce convoitée, et d’autres encore, qu’un peu plus d’un mois plus tard, à Angoulême, il exhibaïit, orgueilleusement, comme sa propriété :! Et l'opération ainsi réalisée, n’était, en vérité, nullement dépourvue de finesse, si, vendu 655 francs, l’ou- vrage subtilisé avait été substitué par un faux frère dont le coût atteignait, à Londres, 80 francs ronds! Quant au don gratuit des 33 volumes de compensation, ce que Lambert oubliera, dans son rapport, de dire, c’est que c’étaient, pour la plupart, des... hommages d’auteurs, dont la valeur globale pouvait bien atteindre entre 60 et 8o francs! L'odyssée du manuscrit de Dante est, grâce à M. L. Delisle, suffisamment connue, mais M. L. Auvray n’eût-il pas été en droit, dans Les manuscrits de Dante des Bibliothèques de France (Paris, 1892), de l'illustrer de quelques réflexions? Pour nous, l’apparente contradiction entre l'indication du catalogue de Carpentras cf. plus bas la pièce 5, faisant de ce manuscrit un in-8, alors que Libri, dans la description sommaire envoyée au ministre en 1841, le déclarait in-16: « La « Divina Comedia di Dante » (Di Tommaseo Spinelli, 1468) in-16, xve siècle» indi- cation répétée au 406 du Catalogue des 2,200 manuscrits vendus en mars 1847 pour 200,000 francs à Lord Ashburnham : « Dante, « Divina comedia» (fort joli), in-16, carré, xv-* siècle, vélin» —, nous a rappelé une expérience maintes fois renou-

1. Voyez, à la Bibl. Nat., le du 12 janvier 1842 du Charentais, le Théocrite figure parmi les splendeurs bibliographiques du grand homme.

258 BULLETIN ITALIEN

velée dans nos bibliothèques et sur laquelle, dès 1823, Schæll attirait l'attention, au tome I, pp. x et x1v, de l'Histoire de la lillérature grecque. Cette confusion des formats reste, en effet, la pierre d’achoppement de nos Calalogues de bibliothèques, spécialement des municipales, qui remontent, en général, à une époque ancienne, et où, pour désigner les formats, l'on a tenu compte, presque toujours, non pas du nombre de pages que contenait chaque feuille, mais de la grandeur et de la dimension du volume, cela se fait, d’ailleurs, aujourd’hui encore, d’où il advient si souvent que des œuvres des xv°et xvi° siècles y sont données comme in-folio, lorsqu'elles sont in-4°; in-8°, lorsqu'elles sont in-12, etc.! Du Corligiano, l'aven- ture est, cependant, la plus curieuse. Voici comment, dans son factum de 1852, Prosper Mérimée raisonnait sur son compter: «.… M. le juge est homme à confondre la Pucelle de Chapelaïn avec celle de Voltaire. Je crois à la bonne foi quand même; mais, lorsqu'on commet des étourderies semblables, il ne faut pas parler si haut de faits précisés, de recherches techniques, du contrôle le plus attentif et le plus sévère. Passe pour sévère; mais attentif, ne le dites plus. En effet, j'ai sans cesse à vous signaler le même genre de distractions, qui consiste à donner comme preuve de l’accusation un argument qui la réfute. C’est ainsi qu'à propos d’un manuscrit du Cortigiano qui a disparu de la bibliothèque de Carpentras, on rapproche ingénument une note de M. Libri qui le décrit comme une copie du temps, d’une autre note de M. Libri désignant un manuscrit cédé par lui à lord Ashburnham comme le manus- cril aulographe de l'auleur, avec une reliure de Grolier. On se demande toujours pourquoi le juge d’instruction ne s’adressait pas à un libraire pour prendre des renseignements. Ce Corti- giano me rappelle l’allocution de Grippeminaud à Panurge: «Orça, encore n’advint depuis trois cents ans ença, orça, que personne eschappast de céans sans y laisser du poil, orça, ou de la peau le plus souvent, orça. » On avait accusé M. Libri d’avoir volé un exemplaire du Cortigiano à Carpentras, et,

1. Art. cit., p. 323.

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malgré l'assurance que le livre était toujours dans la biblio- thèque de cette ville, on eut cependant la curiosité de voir un autré exemplaire que M. Yemeniz avait acheté 519 francs à la vente de M. Libri. Le livre fut saisi, mais «cet ouvrage, placé sous triple cachet par le juge d'instruction de Lyon, parvint sur le bureau de l’un des employés du parquet, et disparut sans qu'on en ait trouvé trace». Apparemment, c'est un des cachets qu’on espérait retrouver. Pour moi, je pense qu'il eût mieux valu le mettre dans un tiroir fermant à clef.» Ce badi- nage n'avait qu'un tort, grave, qui était de fausser les termes de l’acte d'accusation. «Un manuscrit coté 363 y était-il dit à la lettre était ainsi désigné sur l'inventaire de la biblio- thèque : « I! Cortegiano di Castiglione, in-f, » sans autre indica- tion. Ce manuscrit existait encore sur les rayons en 1841. Libri, dans un catalogue qu'il envoyait à cette époque au ministre, le mentionnait en ces termes : « /{Cortegiano di B. Castiglione (con note del tempo e CORREZIONT), in-folio, papier, seizième siècle.» En 1842, il avait disparu. Or, dans le Catalogue des manus- crits vendus à lord Ashburnham, on lit, sous le 1606 : «Castiglione. Il Cortegiano, in-folio sur papier, seizième siècle. C’est le manuscrit autographe de l’auteur avec une foule de corrections.» La confusion commise, en l'espèce, était, comme on va le voir, presque inévitable. En juillet le 30 juillet 1847, le commissaire-priseur adjugeait, dans la salle publique avait lieu la vente Libri sus-mentionnée, au libraire bien connu Tilliard, le volume porté au 2701 du Calalogue et qu’une notice particulière couvrait d’éloges : « Il libro del Cortegiano, del conte Baldesar Castiglione, Venelia, Alde, 1528, in-f°, etc.» Comme, dans sa réponse aux questions du juge d'instruction, Lambert, qui avait lu la captieuse insinuation de Libri dans sa Réponse de M. Libri au rapport de M. Boucly (Paris, 1848, 115 p. in-8°; Londres, 1848, 86 p. in-8°; tirée à 11,000 exemplaires) laissera subsister l'hypo- thèse du vol d’un double de l'édition de 1528; comme, d’autre part, l’état incomplet des livres de la bibliothèque dressé en mars 1834 par Olivier-Vitalis ne-mentionnait pas les doubles, et le Catalogue des manuscrits de Carpentras qu’à la suite

260 BULLETIN ITALIEN

de l'affaire Libri publiera, en 1862, Lambert, contiendra; lui aussi, maints desiderala, l’on comprend que l’on aït voulu examiner le livre payé par Tilliard 519 francs et que ce dernier détail nous avons vu Mérimée commettre une erreur avait, à l’époque, revendu à l'amateur lyonnais Yemeniz. On s'était, d'autre part, fait une loi, dans la procédure Libri, lors- qu'il y avait lieu d'envoyer en province un volume, ou de l'en faire venir, de procéder directement de parquet à parquet, et c'est ainsi qu'à la suite de la disparition du Cortigiano parut, dans le Monileur du vendredi 2 août 1850, cette note, dont Mérimée se gaussait avec une verve si intempestive::

Avis. Dans le cours d’une procédure criminelle, un volume précieux et rare, Il libro del cortegiano, à la reliure de Grolier, a disparu du parquet de Lyon. Toutes les recherches faites pour le découvrir sont, jusqu’à ce jour, demeurées infructueuses. C’est un in-folio, relié en maroquin jaune ancien, à compartiments et à tranches dorées. Il a pour titre : Il libro del cortegiano del conto Baldesar Castiglione. Venetia, Aldo, 1528. Il porte sur les plats la devise de Grolier : Portio mea, Domine, sit in lerra viventium; et cette autre : Tanquam ventus est vita mea, sous laquelle on peut encore lire : la Grolerie.

Tous renseignements qui seraient de nature à faciliter la découverte de cet ouvrage devraient être transmis au parquet de M. le Procureur général près la cour d'appel de Paris.

Le mystérieux disparu finit, toutefois, par être découvert, et c’est sur la foi des expertises de D’Audiffret, Merlin et Sainte- Beuve que Bonjean, dans son rapport de 1861, réduira à sa vraie valeur cet épisode « qui a fourni à Libri et à ses amis le texte de mille plaisanteries, dont on ne s’explique ni le but ni la portée; car ce volume fort précieux, qui a été retrouvé depuis et restitué à son propriétaire, ne figure pas dans l'acte d'accusation ». Du moins, le manuscrit volé car la pleine lumière est faite sur ce point a-t-il réintégré, sinon son dépôt originel, au moins le sûr asile que fournit à ses trésors

1. La Bibliothèque de Carpentras possède, provenant d’une collection d’imprimés réunie par le Barjavel, une réimpression de cet article dans L'Union. L’erratum : conto (pour conte) y a été corrigé. Nous rappellerons aux bibliophiles qui l’ignore- raient, qu’un Catalogue de mes livres a été publié, en 1865-66, en 3 vol. in-4", par Yemeniz.

LIBRI-CARUCCI ET LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS 261

la Laurentienne, et c’est page 51 de sa Notice sur des manuscrits du fonds Libri conservés à la Laurentienne à Florence (Paris, extrait des Notices et Extrails de la Bibl. Nat., t. XXX VII, partie (1886), in-4°) que M. L. Delisle a consigné la réalité de cette triste métempsycose.

Nous commencions ces lignes par l'affirmation que nous n'entendions pas évoquer l'affaire Libri. Et voici que, nous bornant à la seule bibliothèque de Carpentras, les pages succèdent aux pages! Il faut que nous arrêtions notre plume. Nous permettra-t-on de citer, avant la fin, une autre prouesse de Libri à Carpentras, moins connue que celle dont nous venons de résumer les plus saillantes péripéties? Voisinant _ avec ceux de Peiresc, il y avait, à l’Inguimbertine, un recueil des Lettres écrites par divers savans à M. de Mazaugues. Les ciseaux de cet homme avide le soulagèrent de 74 feuillets, et c’est de que provenaient les missives de Montfaucon, de Jacob Spon, du P. Lelong, jetées sur le marché des autographes par le forban qui, en douze années de 1838 à 1850 battit monnaie avec la plus prodigieuse quantité de papier brouillé dont l’Europe lettrée qui apprit à ce noble jeu l’art d’une spéculation encore à son enfance ait jamais disputé l’en- chère. Boucly concluait son rapport sur les vols de Carpentras par une phrase que M. Labande, assez mal fixé, répétons-le, sur le procès Libri semble lui avoir timidement empruntée relative à Olivier-Vitalis, qui lui paraissait «avoir toléré et facilité ces détournements, soit par faiblesse, soit par une complaisance coupable ». Et M. Labande, qui a donné, pages xLvi-xLvir de son /ntroduction, une liste de 11 manuscrits _ volés par Libri et aujourd’hui à Paris et à Florence, est d'avis qu'elle «pourrait sans doute être augmentée de quelques numéros », si, « dans le désordre qui, sous l'administration d'Olivier-Vitalis, régnait à la Bibliothèque de Carpentras, il est à redouter que d’autres larcins, dont il est difficile de retrouver la trace, aient été effectués ». Le hasard, qui a voulu que le quarante-sixième feuillet du premier volume des Leitres à Mazaugues fût retrouvé chez Libri, à la Sorbonne, muni de son numéro d'ordre, ne s’est, dans une multitude de cas

262 BULLETIN ITALIEN

d’analogues larcins, pas reproduit, très certainement, et c’est sur un doute que, nous aussi, nous clôrons ces notes, relative- ment à l'étendue des vols commis par Libri dans ce dépôt de Carpentras, dont les 2,154 manuscrits actuels et les 25,000 volumes (?) sont désormais sous bonne garde. En est-il de même pour toutes nos bibliothèques de province? Et ne sait-on pas qu'il est possible, aujourd’hui encore, de dérober impunément des in-folios à la Nalionale? Encore que nous ne partagions pas toutes ses vues, M. E. Morel a raison, dans son livre : Bibliothèques, t. II, p. 384 seq., d'évoquer l'ère l’on cessera, enfin, d'encourager le vol dans nos établissements publics de conservation des monuments de la pensée humaine. Mais il ne faudrait pas user de demi-mesures et nous persistons : aujourd'hui, comme lorsque nous relations un vol de manus- crits à Berlin', à croire que le meilleur remède consiste dans l'application stricte de cette règle : Ne laisser jamais pénétrer, dans une bibliothèque publique, sans rigoureuse surveillance un «outsider » : pas plus le membre de l'Instilut, qui défie les règle- ments, que l'artisan, fût-ce un simple maçon, non suspect de bibliomanies. El ne pas oublier de faire surveiller les bibliothécaires.

Addenda.— L'article de Libri sur le Catalogue des manuscrits de nos bibliothèques est au numéro de Janvier 1842 du Journal des Savants?. C’est par décret du 2 septembre 1841 que Ville- main qui devait désigner les experts du procès Libri! avait nommé ce personnage secrétaire de la Commission du Catalogue général des manuscrits des départements: cf. le tome I de ce Catalogue (Paris, 1849), page v. C'est Libri qui a écrit dans ce volume l'Avertissement sur les manuscrits de la bibliothèque du séminaire d’Autun, pages 3-6, comme ce fut lui qui rédigea les inventaires des manuscrits des deux biblio- thèques ville et Faculté de médecine de Montpellier, en

1. « Voleur de manuscrits, » dans Le Siècle, 26375.

2. Au numéro d'avril 1841 du même périodique, Libri a publié, page 219, la lettre de Peiresc au cardinal Barberini én faveur de Galilée, d’après le manuscrit de Carpentras. Voyez pour les articles qu’il y a écrits la Table des années 1816-1858, donnée par Cocheris et publiée en 1860. On y trouvera, s. v., plusieurs indications intéressantes. Dans la Table des années 1859-1908, qui a paru l'an dernier, le nom de Libri ne figure qu’une seule fois, à propos de l’article: Les plus vieu manuscrits d’Autun mutilés par Libri (année 1908, p. 377-381), par M. Em. Chatelain.

Le

LIBRI-CARUCCI ET LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS 263

collaboration avec les conservateurs, Blanc et Kühnholtz, ainsi que de la bibliothèque de la ville d'Albi, inventaires revus par F. Ravaisson, dans ce même volume. Il est tout à fait regrettable que le conservateur de la bibliothèque de la ville de Troyes, Harmand, ait cru devoir se taire sur le chapitre des si déplorables déprédations qu'y commit Libri, quand, en 1805, il rédigea l'Avertissement (p. 1-viu) de son Catalogue des manuscrits de cette ville. M. L. Morel-Payen, l’actuel conserva- teur, aurait matière à une étude intéressante, puisqu'on n’a pas publié de nouveau, dans la série moderne, le Catalogue des manuscrits de Troyes, si peu maniable en sa forme archaïque. Cependant, on sait qu'un Supplément important a été donné au tome XLIIT (1904), de cette série, pp. 432-6501. Quant au silence de Harmand voleur de livres, lui aussi, et condamné de ce chef en février 1873 (cf. la brochure de A. Socard sur cette affaire, 196 p. in-8°, 1873) il se pourrait fort qu'il ait été . intéressé : cf. A. Socard, op. cit. p. 115, Harmand accuse Libri d’avoir, vers 1840, à sa seconde visite, dérobé le Second Enfer d’Et. Dolet. Sur les vols de Libri à Troyes, il n’existe qu'une indication insignifiante dans une autre brochure de A. Socard: Promenade à la Bibl. de Troyes (Troyes, 1869, 48 pp. in-8°), pp. 24-25. Ce Socard, bouquiniste et cousin de M. Emile Socard, auteur du Catalogue des livres de la Biblio- thèque de Troyes a également publié en 1873 le Catalogue des livres rares, singuliers el curieux, des manuscrils précieux, des autographes ...composant le cabinet de M. Harmand.. dont-la vente aura lieu le lundi décembre 1873, sur 202 p. in-8°.

Le travail de Henry Celliez : Mémoire sur les irrégularités de la procédure criminelle suivie contre M. Libri, a paru chez Laîné, à Paris, en 1861, in-8. L'année suivante, il fut enrichi d'un Supplément de 16 pages in-8°, ibid. Quant à la « consul- lation » dont nous parlions plus haut, elle porte le titre signi- ficatif : M. Libri n’est pas contumax, et a paru également à Paris, chez Laîné (1861, 14 pp. in-8°). Pour ce qui est, enfin, de l’opinion de D’Audiffret, Sainte-Beuve, efc., on la trouvera

1. M. L. D{orez], qui en a rédigé l'Introduction, a cru devoir ignorer Libri.

264 BULLETIN ITALIEN

dans la Pétition adressée au Sénat sur l'affaire de M. Libri, avec une nole à l'appui signée par MM. Guizot, marquis d'Audiffret, Mérimée, Laboulaye, etc. (Paris, Lahure, 1861, 8 pp. in-8°). C’est le 5 avril 1849 (n° 144 du dossier résidu) que le garde des sceaux écrivit pour annoncer que des ordres avaient été donnés aux fins de rechercher le Corlegiano disparu de Lyon. Il est, dans les notes à la Correspondance de Peiresc, malheu- reusement restée inachevée, car Tamizey de Larroque annonçait 10 volumes au tome VII, dernier de la collection (Paris, 1888- 1898), souvent question de Libri; v. gr. IL, 34, 514; IL, 60, 224, 236, 720, 727; IV, 202; VI, 697. Tome I, page vi, nole 2, l'éditeur a exprimé sa gratitude pour le conservateur

G. Barrès. Camice PITOLLET.

Saint-Brieuc. (A suivre.)

1. Nous aurions pu ajouter, à propos de l’article de 1852 dans la Revue des Deux-

. Mondes, que P. Mérimée en avait aggravé le caractère, offensant pour la magistrature,

par la réplique dont il faisait suivre la lettre des experts, pages 604-608, afin de

conserver le dernier mot sur ces honnêtes érudits, moins «experts » que lui dans l’art de la mystification,

QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT

PROGRAMMES DES CONCOURS D'’ITALIEN EN 1:91:

AGRÉGATION

* I. L'influence franciscaine dans la poésie et les arts italiens au xmu° et au x1v° siècle.

Textes. S. François, Laudes creaturarum. JAcoponE pA Toni, Dialogo sia S. Francesco e la Povertà (San Francesco sia laudato.) . et La Crocifissione (Donna del Paradiso). Daxre, Parad., c. XI. PÉTRARQUE, Trionfo della Pudicizia. Vasanr, Vila di Giotto.

IT. La littérature chevaleresque avant l’Arioste.

Textes. ANDREA DA BARBERINO, extraits contenus au t. I du Manuale de D’Ancona êt Bacci, p. 670-686. L. Puccr, extraits du Morgante, p. 118-146 du t. II du même Manuale. M. M. Borarpo, extraits de l’Orlando innamorato, ibid., p. 152-163.

III. La Révolution française et l'Italie.

Textes. Letture del Risorgimento italiano scelte da G. Carpuccr (Bologne, Zanichelli, 1896), t. I (1749-1830), p. 104-255. V. Azriert, 11 Misogallo. V. Mori, Bassvilliana, c. II, et Per il congresso cisalpino in Lione, ode.

IV. La poésie italienne depuis 1870.

Textes. G. Carpuccr, Avanti! Avanti!; Il canto dell Amore; Davanti S. Guido; Ça ira; Nell annuale della fondazione di Roma; Jaufré Rudel; Cadore. M. Rapisarpr, poésies con- tenues dans l’anthologie Dai nostri poeti viventi (Florence, 1903), p. 342-354. G. Marranr, même anthologie, p. 222-232. G. Pascozr, même anthologie, p. 304-319. G. D’Axnuwzio, la Figlia di Jorio.

V. Texte latin pour l'explication orale. Sannazar, Egloga III (Galatea).

266 = BULLETIN ITALIEN

CERTIFICAT D'APTITUDE

1. Pétrarque, Trionfo della Pudicizia.

2. Boccace, extraits de la Fiammelta (p. 193-210 de. l’Antologia delle opere minori di G. Boccaccio, Florence, Sansoni).

3. Boiardo, extraits de l’Orlando innamorato, au t. II, p. 152-163, du Manuale D'Ancona et Bacci,

h. Letture del Risorgimento italiano scelte da G. Carducci (Bologne, Zanichelli, 1896), t. I (1749-1830), p. 104-1837.

5. V. Monti, Bassvilliana, c. II.

6. G. Carducci, Canto dell Amore; Davanti S. Guido; Cadore.

En attendant une bibliographie plus complète, voici quelques indications sur les textes dont le programme ne désigne pas d'édition.

I. Le Cantique de Saint-François est dans le Manuale d'Ancona- Bacci, 1, p. 51. Le même volume contient la Crocifissione de Jaco- pone, p. 102. Le Dialogo tra S. Francesco a la Poverta est l’ode 24 du livre III dans l'édition de Venise 1617; le Bull. italien réimprimera ce texte dans son fascicule d’octobre-décembre 1910, avec la Biblio-

graphie. Il existe des Vite degli artisti de Vasari une édition économique (Florence, Salani). IT, Misogallo, éd. Renier; Florence, Sahsont. Monti, Poesie

scelte, Florence, Barbéra (avec notes). IV. Toutes les pièces de Carducci portées au programme sont com- prises dans l’Antologia Carducciana de MM. Mazzoni et Picciola (2°édL.). V. Sannazaro, Egloghe piscatorie, con versione di L. Grilli (pe di Castello, 1899).

CONCOURS DE 1910 : SUJETS DE COMPOSITION

AGRÉGATION D'ITALIEN

TaÈème. M. Maeterlinck, La vie des abeilles, Il, xxm. Depuis : (On conviendra, dit quelque part Buffon. » jusqu’à : « nous ne perdrons rien pour avoir reculé ni attendu. »

Version. G.-B. Marino, Le Macchie della Luna (Adone, X st. 36 et 38-43).

DISSERTATION FRANÇAISE, La « fiaba »; sa signification dans l'his- toire du théâtre italien et dans la société vénitienne du xvim siècle; causes de son succès et de sa décadence.

DissERTATION ITALIENNE. Indagare per quali ragioni, sia teoriche, sia storiche, le arti plastiche abbiano avuto in Italia, sul finire del secolo xv e nei primi decenni del xvr, uno svolgimento più pien@ e, in complesso, più originale che non la letteratura.

QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT 267

CERTIFICAT D'APTITUDE

Taème. E. Faguet, Proudhon, dans Politiques et moralistes du x1X- siècle, série, p. 115-118 (nombreuses coupures).

Version. L. Tansillo, La Strage degli Innocenti (Lagrime di San Pietro, Pianto primo, st. 59-64).

Composrrion FRANÇAISE. Expliquer et discuter les raisons pour lesquelles il serait très utile, dans certains cas peut-être indispensable, de connaître la langue, l'histoire et les principaux écrivains de la Rome antique pour étudier à fond la langue et la littérature italiennes.

COMPOSITION EN LANGUE ITALIENNE. Come si rispecchiano nella letteratura italiana della seconda metà del Settecento i costumi del tempo e le aspirazioni a un rinnovamento morale e politico?

MODIFICATION AU JURY DU CERTIFICAT D'ITALIEN

EN 1910

M. Paor, professeur au Lycée Louis-le-Grand, est nommé membre du jury du certificat d'aptitude à l’enseignement de la langue italienne dans les lycées et collèges, en remplacement de M. Bonafous, pro- fesseur à la Faculté de lettres d'Aix.

L'ENSEIGNEMENT DES LANGUES MÉRIDIONALES

ET LE

PROGRAMME DES ÉCOLES D'ARTS ET MÉTIERS

Une certaine inquiétude s’est manifestée parmi les professeurs de langues méridionales, au sujet du nouveau programme des Écoles d'arts et métiers, en vertu duquel les langues italienne et espagnole ne seront pas admises dans ces Écoles à partir de 1912: l'allemand ou l'anglais deviendront obligatoires.

Au cours de sa récente tournée d'inspection en Provence et dans la région des Alpes, M. H. Hauvette a recueilli des doléances sur ce point. Aussi, dès son retour à Paris, a-t-il eu à ce sujet un entretien avec le Directeur de l'Enseignement technique au ministère du Com- merce et de l'Industrie; celui-ci n’a élevé aucune objection de prin- cipe contre la réclamation qui lui était présentée, et a prié M. Hauvette de lui remettre une note détaillée sur la question. En réponse à cette note, la Direction de l’enseignement technique a fait savoir qu’elle ferait l’objet d’un examen attentif lors de la prochaine réunion du Conseil supérieur de l’enseignement technique au mois d'octobre.

BIBLIOGRAPHIE

É. Bourciez, Éléments de linguistique romane. Paris, C. Klinck- sieck, 1910; 1 vol. in-12 de xx1-697 pages.

Nous n'avions en France aucun traité général de linguistique romane, rien de comparable à des monuments tels que la grammaire de Diez ou celle de M. Meyer-Lübke, et c'était à des livres étrangers ou à des traductions qu’un Français devait recourir pour avoir une vue d'ensemble sur le développement des langues sorties du latin. Le livre de M. Bourciez vient combler cette lacune, et, en face des œuvres de l’érudition allemande, d’une construction solide mais massive, les Éléments de linguistique romane prennent place, modèle de science précise, élégante et sobre.

L'auteur a voulu «exposer d’une façon sommaire conforme toutefois aux exigences de la science ce que nous sayons d’un peu certain sur l’origine et l’évolution des langues romanes ». Il s’est borné, en général, à l'étude des langues littéraires, sans entrer par le menu dans l’examen des dialectes, ce qui aurait considérablement alourdi le volume. D'ailleurs, dans la plupart des pays romans, et peut-être même en Italie et en France, les dialectes sont encore trop mal connus, pour qu’on puisse, pour le moment, en faire une synthèse satisfaisante. M. Meyer-Lübke, qui l’a essayé, s’est parfois égaré dans le détail. Au contraire, le livre de M. Bourciez ne donne que les faits fondamentaux du développement dialectal, ce qui est plus sage dans l’état présent de la science, tandis qu'il apporte, dans le domaine des idiomes littéraires, les solutions définitives, désormais parfaitement légitimes.

IL était d'autant plus utile d’écarter toute surcharge, que le manuel vise non seulement les faits de phonétique et de morphologie, mais encore ceux de lexicologie, de sémantique et de syntaxe. Ces dernières branches de la linguistique romane y sont étudiées d’une manière plus complète et plus suivie qu'elles ne l’ont été jusqu'ici dans les traités généraux. On ne peut guère en rapprocher, parmi les œuvres récentes, que la deuxième édition de l’Einführung de M. Meyer-Lübke. L'auteur n’a pu la mettre à profit, puisqu'elle n’a paru qu'après juin 1909. Elle ne contient d’ailleurs qu’une quinzaine de pages sur la syntaxe, alors que les chapitres correspondants des Éléments

ii a ire RS VE EU FER

BIBLIOGRAPHIE 269

donnent, sous une forme concise, et avec une grande précision de détail, un aperçu complet sur l’évolution syntaxique du latin depuis l'époque républicaine jusqu’à nos jours. L'exposé est aussi fouillé que celui des Beiträge de M. Tobler, mais il n’a rien de fragmentaire, il est débarrassé de tout détail superflu, et il se signale par une parfaite limpidité.

n’est pas la seule originalité du livre. Au lieu de procéder selon la méthode comparative ordinaire qui consiste à rapprocher les langues romanes les unes des autres pour remonter à leur source commune, le latin, l’auteur part du latin, en suit le développement dans le temps et dans l’espace, en montre l'épanouissement dans les langues romanes actuelles. Il a fait une grammaire différenciative, comme il le dit, et non comparative.

De cette conception particulière, découle le plan absolument nouveau du volume. Celui-ci se divise en trois parties. La première est consacrée à l'étude du latin tel qu’il était parlé à Rome pendant l’époque impériale. Résumant et complétant sur certains points les travaux de Schuchardt, Neue-Wagner, Dräger etc., M. Bourciez énu- mère les différences qui ont séparé le latin vulgaire du latin classique, et montre que la diffusion du latin vulgaire, celui de Rome, s’est, au début, opérée d’une manière à peu près uniforme dans la plupart des provinces romaines.

La seconde partie, intitulée Phase romane primitive, note les dan gements qu'a subis le latin entre le siècle et la fin du x°. C'est durant cette période que les langues romanes ont commencé à se différencier. C’est celle les documents font le plus défaut, celle qu'il est le plus malaisé de connaître, et celle aussi l’auteur a déployé le plus de science, accumulé le plus de preuves, et fait montre d’une information aussi étendue que précise sur tout ce qui concerne les sources linguistiques du haut Moyen-Age.

Enfin, dans la troisième partie, l'étude des langues romanes propre- ment dites se développe et se précise. On y trouvera les notions essentielles sur l'ancien français et le provençal, l'espagnol et le portugais, l'italien, le roumain, les idiomes rhétiques.

Le chapitre qui clôt l'ouvrage a trait au français moderne. Le fran- çais moderne diffère sans doute de l'ancien français plus que la plupart des autres langues romanes actuelles ne diffèrent de ce qu’elles étaient à leurs débuts. Telle est vraisemblablement la raison d’être de ce chapitre qui n’a pas, dans l'ouvrage, son équivalent pour les langues sœurs. Néanmoins, peut-être eût-il été plus harmonieux de consacrer aussi aux autres langues romanes quelques pages spéciales, pour montrer le développement que chaque idiome a pris dans les temps modernes.

En revanche, l'idée de placer en tête du volume une courte et

Bull. ital. 18

270 BULLETIN ITALIEN

substantielle introduction, sont exposées les vues générales de l’auteur sur le langage et sur son évolution, est tout à fait heureuse, Ceux des lecteurs qui ne sont pas encore familiarisés avec la méthode linguistique, trouveront, dès le seuil de l’ouvrage, les principes fonda- - mentaux de la science, et seront ainsi préparés à lire le reste du livre avec fruit. :

Je ne puis songer à suivre ici l'exposé pas à pas. Je dois me borner à signaler deux ou trois questions au sujet desquelles l’auteur a proposé des théories particulièrement neuves et ingénieuses.

L'explication de l'alternance du radical dans les verbes ‘espagnols (sentir, medir, dormir, etc.) ou portugais (sentir, subir, etc.) mérite d'être signalée. M. Bourciez montre que les faits qui se produisent dans les deux langues, malgré d’apparentes similitudes, doivent être distingués les uns des autres. En espagnol, l’alternance vocalique résulte de deux lois phonétiques qui se sont entre-croisées : i + 1= e; e+ié, i0— i. C’est du gérondif midiendo et de la pers. sing. du parfait midiô, qu'est sorti le radical mid-, en regard de med-. D'autre part, comme le radical atone gardait l’e dans sentimos, sentides, on n’a pu avoir ici qu’au subjonctif sintamos, sintades (d’après sintiendo). De est résulté le triple aspect, -i-, -e-, -ie-, que le radical de certains verbes offre au présent. En portugais, au contraire, les innovations sont relativement modernes, et l’analogie joue un rôle plus étendu: le point de départ phonétique est le passage de o à u devant i: on a eu, phonétiquement, subir, subi, puis, par analogie, subo, tandis qu'on a dit sùbes, sous l'influence de cùmes. Cette alternance subo : sdbes s'est propagée, par symétrie, dans sénto : sèntes.

Mais ces questions de langues modernes s’écartent un peu des sujets traités habituellement dans cette revue. La théorie du pluriel dans les substantifs latins en -is de la troisième classe intéresse une époque plus ancienne. Cette théorie est d’une importance capitale. On avait cru jus- qu’à ce jour (v. Meyer-Lübke, Gram.,1,553; II, 41; Grundr.,l°?, p. 677-

8, $ 68) que les pluriels en -i de l'italien et du roumain reposaient sur -

les formes -es du latin classique. On expliquait l’=i par une influence de l’-s finale. Ce système soulevait une grave objection. Comment l'-s aurait-elle pu entraîner ce traitement spécial, puisqu'elle est tombée de bonne heure en Italie et en Orient? Cette difficulté est résolue par M. Bourciez. Mettant à profit et précisant une remarque faite en passant par G. Mohl (/ntrod. à la Chronol. du lat. vulg., 217), il fait remonter les pluriels italiens et roumains en -i à des nom.-acc. latins en -is, qui sont attestés en effet dans les inscriptions, et qui ont devenir régulièrement -i en Italie et en Orient. Quant à la pers. du sing. du présent de l'indicatif, vendïs, c’est l’analogie, et non la phonétique, qui a entraîné les formes italiennes et roumaines vendi,

BIBLIOGRAPHIE 271

vinzi. D'après la pers. du singulier vendit dormit, on a eu, dès la fin de l’Empire, à la place de vendïs, *vendi(s), comme dormi(s). L'identité de la terminaison de éanto, vendo, *dormo, a aussi produit “canti(s), d’où canti, cinti.

IL faudrait relever une foule d’autres points intéressants. Pour expliquer le développement de la flexion *-omus à la première per- sonne du pluriel, dans le nord de la Gaule, la Haute-ltalie et la Rhétie, l’auteur propose des types *“daomus, “staomus formés sur dao, stao, Les formes françaises et rhétiques, aux deux premières personnes du pluriel, dans le verbe «être», sont tirées de “ess#mus, *essilis, d’après _ le nouvel infinitif “essère. Le français puis est considéré comme le résultat d’un croisement entre *posso et *pôtleo d’où * püsseo, etc.

Je n'insisterai pas davantage sur tous ces détails, car je veux, avant de terminer, signaler une innovation importante. Chacune des parties de l'exposé linguistique est précédée d’un résumé succinct des principaux faits historiques particuliers à chaque pays et à chaque époque. Les divers manuels s'étaient bornés jusqu'ici à étudier en elle-même l’évolution des langues, sans faire une part suffisante à l'influence que les événements de l’histoire exercent sur les destinées des idiomes. C’est le mérite de ce livre d’avoir su regarder plus haut et plus loin. Pour l’auteur, la linguistique n’est pas uniquement la science des mots. Le linguiste n’est pas l’homme qui se borne à compter le nombre des spondées dans Ovide, ou à faire la statistique de la préposition cv dans Xénophon. Il a pour mission de rechercher les causes nécessaires et les relations profondes qui existent entre les variations des langues et la vie des peuples.

Ainsi, l'unité nationale de l'empire romain fut la plus sûre garantie de l'unité linguistique. Mais, lorsque l'empire succombe, lorsque ce corps immense se désagrège, sur les restes de l’ancienne latinité, de la Romania, fermentent et pullulent bientôt les dialectes naissants. Par une décentralisation progressive, chaque pays tend inconsciemment à se créer un idiome particulier. À l’unité de l’époque impériale succède une véritable féodalité linguistique. Tant il est vrai que les évolutions du langage sont solidaires des changements historiques, et que le sort des langues est intimement lié à celui des nations.

L'ouvrage de M. Bourciez, rempli de détails minutieux et patiem- ment accumulés, n'en suggère pas moins en plus d’un endroit, par ses vigoureux raccourcis historiques, des pensées d’une philosophie profonde. Les linguistes n’oublieront pas, en le lisant, que leur science n’est qu’une branche de l’histoire, et les historiens y pourront comprendre que l'étude du langage a, comme toutes les sciences qui concernent l’homme, son intérêt général. | G. MILLARDET.

272 BULLETIN ITALIEN ;

Angelo Borzelli, Arte noslra. Rime e prose varie...— Naples, F. Casella, 1910; in-16, xvi-352 pages.

L'idée de ce recueil est extrêmement ingénieuse et séduisante : l'auteur a voulu présenter à la jeunesse une anthologie de prose et de vers dont les morceaux rapprochés constituent une espèce d'histoire abrégée de l’art italien, ou tout au moins un commentaire vivant des œuvres les plus caractéristiques, au milieu desquelles les Italiens ont l’enviable privilège de vivre. Tout de suite, on pense que le livre est de ceux qu'on voudra mettre entre les mains des élèves et des étudiants, pour les perfectionner dans la connaissance de la langue italienne, tout en les familiarisant avec un des aspects les plus admi- rables de la civilisation de l'Italie; l’anthologie de M. Borzelli s'y prêterait d'autant mieux qu'elle est égayée de reproductions assez nombreuses, quelquefois bien réussies.

Malheureusement, pour peu qu'on y réfléchisse, on s’aperçoit que l'exécution de ce plan si attrayant se heurte à des difficultés sérieuses, que M. Borzelli n’était pas maître d'éviter; non seulement il y aura forcément des lacunes, dans un livre de ce genre, parce que les écri- vains italiens n’ont pas forcément parlé de toutes les œuvres qui sont les plus dignes de retenir l’attention; mais surtout on sera trop souvent réduit à s'adresser à des écrivains de second, de cinquième, de dixième ordre, qui ne formeront ni le style ni le goût des jeunes gens. L'auteur d’Arte nostra, qui a mis en tête de son anthologie un index des artistes et des œuvres dont traite son volume, n’y a pas ajouté une table des auteurs auxquels il a fait des emprunts; il a sans doute eu raison, car on y aurait remarqué trop de noms inconnus, ou même de noms qu'on aimerait mieux n’y point voir.

Il semble en outre que l’auteur d’un pareil ouvrage eût prendre certaines précautions. Dans la première moitié du livre, les extraits de Vasari occupent naturellement la place principale ; mais Vasari est un historien peu sûr, qu'il faut constamment redresser. M. Borzelli adopte sa manière de voir en ce qui touche la merveilleuse naïssance de l’art italien au xur° siècle, comme s’il n’y avait rien eu depuis le Laocoon et la Vénus de Médicis jusqu’à la chaire de Pise et à la fontaine de Pérouse! L'histoire de l’art n’en est plus à ces notions par trop simplistes; elle ne méconnaît plus le rôle l’art chrétien, de l’art byzantin, de l’art arabe même et surtout de l’art français sur l’éveil radieux, mais relativement tardif comme celui de la littérature de l’art italien. On voudrait donc que l’auteur du recueil intervînt davantage, par des notices et des notes, pour orienter ses lecteurs. S'il avait agi ainsi, peut-être aurait-il évité que la place excessive accordée aux Carraches, à Caravage, ou au Dominiquin, ne laissât croire à son jeune public que ces artistes représentent la grande époque de l'art

BIBLIOGRAPHIE 273

italien; le barocchismo méritait un chapitre, mais il eût fallu le définir et le caractériser, lui assigner sa place. Pour le xvur° siècle, il est curieux de ne trouver aucune mention ni de Tiepolo ni de P. Longhi, alors que Venise, seule à cette époque, possédait encore une école active et originale; au reste Saint-Marc lui-même et le palais des Doges ne sont l'objet ni d’une reproduction, ni d’un texte, si court qu'il soit. Ce sont pourtant des œuvres qui comptent dans l’art italien !

On aurait voulu surtout que l’auteur, après avoir accepté, sans protester même en note, les erreurs de fait contenues dans les mor- ceaux qu'il citait, n’y en ajoutât pas de son cru : la chapelle de l’Arena, de Padoue, Giotto a exécuté ses célèbres fresques porte le nom de «Cappella degli Scrovegni » (et non Servegni) (p. 61); la madone de Botticelli reproduite p. 89 la Vierge à la grenade n’a jamais été à la galerie Pitti, mais aux Offices. Ce genre d'erreurs, dans un livre destiné à l’enseignement, est particulièrement regrettable.

Je n’ai pas cru pouvoir cacher les défauts du volume. Il reste pourtant qu'il répond à un besoin réel, et que l’on y trouve bien des fragments que l’on est heureux d’avoir ainsi sous la main.

Hexrt HAUVETTE.

Antoine Heroet, Œuvres poétiques; édition critique, publiée par Ferdinand Gohin. Paris, Cornély, 1909; LxIx-174 pages in-12 (Société des textes français modernes).

C’est une excellente idée qu'a eue M. Gohin, d'accord avec la Société des textes français modernes, de nous donner cette édition critique des œuvres poétiques d'Antoine Héroet; elles n’avaient plus été réim- primées depuis 1568, aussi les rares volumes qui les contiennent n’étaient-ils pas aisément accessibles. On va maintenant pouvoir les lire, les consulter, s’en servir ;.ces poèmes en valent la peine, car ils constituent la Parfaicte Amye notamment un important cha- pitre de l’histoire du platonisme dans la poésie française; or les idées platoniciennes que l’on y rencontre viennent en droite ligne d'Italie, en particulier des deux derniers livres du Courtisan par B. Castiglione. C’est à ce titre que la publication due aux soins de M. Gohin nous intéresse ici, et c'est sous cet aspect seulement que nous voulons l'envisager. Nous nous bornerons donc à rendre hommage au soin avec lequel a été préparé l’« appareil critique » du texte, à l'utilité des notes, qui mettent des rapprochements assez nombreux sous les yeux du lecteur, et que complète un lexique de la langue d'Héroet ; enfin, à la notice biographique qui nous introduit dans l'intimité du poète et de son œuvre. Tout cet ensemble de recherches forme une publi- cation dont les amateurs de notre seizième siècle ne peuvent qu'être fort reconnaissants à M. Gohin.

274 BULLETIN ITALIEN

Malheureusement, en ce qui concerne la comparaison avec les sources italiennes, l'éditeur d'Héroet fait preuve d’une préparation insuffisante, et nous croyons devoir signaler, en toute franchise, les lacunes de sa notice sur ce point : il ne faut pas que, sur ce terrain, le travail de M. Gohin passe pour définitif; il ne l’est pas. Il fait, au contraire, sentir l'opportunité de nouvelles recherches, que je ne prétends pas entreprendre ici, mais dont le point de départ demande à être mieux précisé. :

Amené par son sujet à s'occuper de la fortune du Courtisan en France, c'est tout naturellement de la traduction due à Jacques Colin, et publiée en 1537, que M. Gohin s’est servi; c’est elle qu'il a citée constamment dans ses notes; rien de plus légitime, de plus néces- saire même, si À. Héroet n’a connu l’œuvre de Castiglione que dans cette traduction et non dans le texte original; sur ce point, d’impor- tance secondaire, mais non négligeable, M. Gohin n’apporte d'ailleurs aucune conclusion positive. Mais en admettant qu’Héroet ait consulté seulement la traduction, le commentateur moderne n'était pas dispensé de recourir au texte, dont il existe une édition scolaire, . pourvue de notes abondantes et précieuses de M. Vittorio Cian (Florence, 1892); M. Gohin eût pu y apprendre beaucoup, notamment que la scène du dialogue se place en 1507, et non en 1506 (p. xx), que l'Arétin que l'on remarque parmi les interlocuteurs (Bernardo Accolti, mort à Rome en 1535) n’a aucun rapport, ni de parenté ni de caractère, avec le célèbre Fléau des Princes (ibid.), mort à Venise en 1556, que « Messer Alfonso Ariosto » enfin, à qui Castiglione avait dédié son livre, n’est pas «l'Arioste» tout court (p. xx1, note 2), c’est-à-dire l’auteur du Roland Furieux, qui s'appelait Lodovico, mais un de ses cousins.

En tout cas, il est surprenant qu'ayant à parler de Jacques Colin, M. Gohin n'ait pas cité, et sans doute pas connu, le travail si exact que M. V.-L. Bourrilly a consacré au personnage (Bibl. d'Histoire mo- derne, t. I, fasc. IV, 1905); un passage important (ch. II, $ IV) y est consacré à la traduction du Courtisan, et les renseignements que M. Bourrilly fournit sur le texte de cette traduction manuscrits et éditions pour être sommaires n’en sont pas moins très précis; encore, M. Gohin eût pu apprendre plus d’un détail utile sur les manuscrits français 12249 et 19017 de la Bibliothèque Nationale, sur la valeur des diverses réimpressions (celle que « Brunet indique » [p. xx, n. 1]), sans lieu ni date, peut être consultée à la Bibliothèque Nationale, car il en figure deux exemplaires au Catalogue général des livres imprimés, t. 24, col. 938), sur la date de la. mort enfin de Jacques Colin, que M. Bourrilly retarde de dix ans, jusqu'à 1547.

1. On pourrait relever d’autres menues erreurs de faits: par exemple, la traduc-

BIBLIOGRAPHIE ::1270

Une erreur plus grave concerne la dédicace du Cortegiano : à celle qu'il avait primitivement adressée à Alfonso Ariosto, Castiglione en substitua une à « don Michel de Silva, vescovo di Viseo », prélat portugais (et non espagnol, p. xx, n. 2); et M. Gohin ajoute (p. xxu, fin de la même note) : « Mais ici se pose un petit problème bibliogra- phique : comment se fait-il que dans la traduction française publiée en 1537 pâr Jehan Longis, chacun des livres de l'ouvrage soit précédé de la mention «à messire Alphonse Arioste »? Cette traduction a, sans doute, été faite, non sur la première édition italienne, mais sur un manuscrit qui portait la trace de la dédicace primitive. »

S'il avait jeté les yeux sur une édition italienne du Cortegiano, M: Gohin n'aurait pas pris la peine de proposer ce petit problème à la sagacité des bibliographes : il se fût aperçu que la lettre dédicatoire traduite par J. Colin (mais omise par Jehan Longis) est bien la seconde, celle que l’auteur avait écrite pour Michel de Silva; mais il y est dit (p. 3, 1. 35 du texte V. Cian) que le livre est adressé (et non qu'il l'avait été antérieurement) à Alfonso Ariosto, dont le nom, au vocatif, est resté à la première ligne du Livre I (Jacques Colin a traduit : J'ay doubté longuement en moy mesme, Alphonce tres cher amy, quelle chose des deux me fust plus difficile...), et dans le titre de chaque livre.

M. Gohin a eu le mérite d'attirer l'attention sur le manuscrit français 2335 : de la Bibliothèque Nationale, contenant une traduction de la seconde moitié du livre III du Courtisan, celle justement qui traite de la «dame de palais », et d'en publier le préambule, qui est curieux (p. xXII-XxIV); nous avons une preuve nouvelle de la diffusion de l’œuvre de Castiglione en France, même par fragments, et le choix de ce morceau est caractéristique. Seulement, il est au moins risqué de vouloir reconnaître dans cette traduction partielle « un fragment de l'ébauche dont Jacques Colin avait confié la revision à Mellin de Saint-Gelais ». M. Gohin a-t-il comparé ce fragment à la traduction complète du livre III contenue dans le manuscrit français 19017 qu'il ne cite pas ? C’est à peine s’il l’a rapproché de l'édition de J. Longis, car il y renvoie inexactement 2 : une collation plus attentive lui eût montré que la similitude des idées s'explique par l'identité du texte traduit, mais que les phrases et les expressions sont diffé-

tion du Courtisan, par G. Chapuis, a paru à Paris en 1585 et en 1592, non en 1588. P. x, la pièce des Dernières poésies, de Marguerite de Navarre (p. 301) doit être intitulée: Définition du vray amour (G. Paris, J. des Sav., juin 1896).

1. Ne pas oublier la mention français !

2. Il dit (p. xxiv): Vient ensuite la traduction qui correspond au folio 50 recto de l’édition de Jehan Longis (il faut lire 150 recto) et se continue jusqu’à la fin du troisième livre (la traduction s’arrête avant la fin du troisième livre, au beau milieu d’une phrase, exactement aux lignes 11-12 du chap. 76, dans l’édition V. Cian).

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rentes : c'est une autre traduction, distincte aussi de celle de Chapuis ; je ne sache pas qu’elle ait encore été examinée de près.

On voit par ces quelques observations pourquoi la rechérche des sources italiennes des Œuvres Poétiques d'Héroet reste à entreprendre, même après la publication de M. Gohin; mais son volume est un instrument de travail qui peut, qui doit provoquer une enquête plus approfondie sur ce point; par là, il 4 rendu à nos études un service dont tout italianisant français ne manquera pas de lui savoir gré.

Her: HAUVETTE,.

Giordano Bruno, Opere ilaliane. III. Candelaio, commedia, con introduzione e note a cura di.Vincenzo Spampanato. Bari, Gius. Laterza e figli, 1909; in-8° de Lxrv-243 pages.

Le Candelaio de Giordano Bruno nous appartient un peu, au moins par le côté bibliographique. C'est en effet à Paris que parut pour la première fois, en 1582, cette œuvre d’un caractère si particulier. Depuis cette date, bien des réimpressions en ont été données, sans compter celles de 1583 et de 1632, qui, mentionnées par plusieurs bibliographes, paraissent cependant purément imaginaires; mais, même après les consciencieux travaux d’Adolf Wagner, d’Imbriani (complétés par ceux de Tria) et de Lagarde, on manquait encore d’une édition vraiment satisfaisante et critique de la célèbre, mais très obscure comédie de Bruno. M. Vincenzo Spampanato, auteur de. publications très estimées sur la vie et les œuvres du philosophe de Nola, vient de combler heureusement cette lacune.

Le texte même du Candelaio est précédé d’une ample Introduction, l’auteur, reprenant et complétant sur certains détails quelques-uns de ses travaux antérieurs, envisage la comédie successivement aux points de vue bibliographique, historique, philologique et littéraire. Les nombreuses recherches auxquelles s’est livré M. Spampanato, l'ont conduit à d’heureuses trouvailles. Qui est, par exemple, la mystérieuse «signora Morgana B.», à qui est adressée l'épître dédicatoire du Candelaio? Les critiques ont beaucoup divagué sur ce sujet; les uns font de Morgana une anglaise, d’autres une vénitienne, d’autres encore une napolitaine ou une toulousaine; M. Spampanato, appuyant sa thèse sur des. pièces d'archives inconnues de ses devan- ciers, l'identifie presque sûrement avec une cousine de Giordano, fille de ce Scipione Savolino, oncle maternel du philosophe, dont il est question dans l’une des dernières scènes de l’acte V de la comédie. Les principaux rôles et personnages du Candelaio, Bonifacio, Manfurio, Bartolomeo, sont analysés ici avec finesse; et l'on trouvera

BIBLIOGRAPHIE peu Le

aussi, dans cette Introduction, d'intéressantes remarques sur les nombreuses particularités grammaticales que présente cette œuvre essentiellement napolitaine, écrite dans une langue manifestement archaïque et populaire:

Le Candelaio, apprécié de manières si diverses par la critique, a exercé, en France notamment, une influence indéniable; en 1633, un auteur anonyme en donnait une sorte de «rifarcimento », dans une comédie intitulée Boniface et le Pédant; et il est généralement admis que Cyrano de Bergerac, dans son Pédant joué, auquel Molière a fait les emprunts que l’on sait, s’est inspiré de la pièce de Bruno.

Un très abondant commentaire, quantité de petites énigmes trouvent leur solution, accompagne le texte du Candelaio, texte établi avec grand soin sur l'édition, malheureusement bien incorrecte, de 1582. Deux index terminent l'ouvrage: un index historique, dans lequel il est piquant de constater que les articles « cortegiane » et - «Napoli » comptent parmi les plus importants, et un index philolo- gique, sont relevés tous les mots expliqués dans les notes,

En somme, cette nouvelle édition fait grand honneur à son auteur. J'ajouterai que le volume est d’une exécution matérielle fort soignée ;

ce qui ne gâte jamais rien. L. AUVRAY.

Miscellanea di Studi in onore di Attilio Hortis : Trieste, maggio MCMIX ; Trieste, G. Caprin, 1910; in-4°, 1,050 pages en deux tomes.

Près de trois cents souscripteurs, amis et admirateurs d’Attilio Hortis se sont réunis pour offrir au vaillant défenseur de l’«italia- nità » de Trieste, à l'historien de l’humanisme au xiv° et au xv° siècle, ces deux gros volumes, renfermant soixante et un mémoires d'une haute valeur, imprimés avec la plus grande élégance et précédés d’un beau et vivant portrait d'A. Hortis. L'occasion de cette manifestation de respect, d’estime et de reconnaissance pour l’illustre Triestin, a été le trente-cinquième anniversaire de sa nomination comme directeur de la Biblioteca Civica de sa ville natale. Car A. Hortis n’enseigne pas; mais la réputation, qu'il a su acquérir par ses publications, le place à côté des meilleurs représentants de la philologie italienne; il faut lire l'étude de M. Guido Costantini sur L'opera letleraria di Atlilio Hortis (p. 37-112), pour se rendre compte de l'énorme labeur fourni par ce savant modeste. En dehors des travaux historiques concernant la région de Trieste, il a surtout attaché son nom aux ouvrages, désormais classiques, qu'il a consacrés à Pétrarque et à Boccace. Aussi, parmi les mémoiïres contenus dans cette Miscellanea, nous bornerons-nous à signaler ici ceux qui se rapportent à ces deux

278 BULLETIN ITALIEN

auteurs et, en général, à la littérature italienne et latine du xrv° et du _xy° siècle, laissant de côté ceux qui ont un caractère purement archéo- logique, historique, glottologique ou d'intérêt local.

M. Pio Rajna publie un court fragment, le chap. I, de son édition du De vulg. Eloquentia, de Dante, avec traduction et commentaire explicatif (p. 113-128). Cette édition commentée, annoncée dès l'apparition de l'édition critique en 1896, et toujours attendue, n’a pas été perdue de vue par M. Rajna, qui ne se résoudra sans doute pas à la publier avant d’avoir élucidé, à son entière satisfaction, les mille problèmes que soulève chaque mot de ce texte épineux; remer- cions-le doublement de nous en donner au moins un avant-goût, pour tout ce que renferme déjà ce fragment de commentaire, et pour la promesse implicite qu’il nous plaît d'y trouver; c'est comme une arrhe qui nous fait espérer moins lointaine l’apparition du travail complet.

M. Guido Biagi revient (p 221-225) sur l’«Edizione borghiniana del Novellino » pour confirmer certaines conclusions de ses études anciennes, et désormais classiques, sur ce précieux recueil de contes, et sur les remaniements arbitraires qu'y introduisit Borghini dans son édition de 1572.

I. Del Lungo, Un creato di papa Paolo II (p. 225-228); le cardinal de Pavie, de la famille Ammannati, mort en 1479.

Corrado Ricci, 1 Boccacci e il Boccaccio a Ravenna (p. 251-258), notes documentaires importantes, d'abord sur l'existence à Ravenne d’une famille Boccacci, du xn° au xrv° siècle, puis sur la chronologie des voyages certains, probables ou possibles de Boccace à Ravenne.

Vittorio Rossi, La prima slesura d’una « Senile » del Petrarca (p. 259-273). Il s’agit de la lettre VI du sixième livre des Seniles, dont V. Rossi publie la rédaction primitive d’après un manuscrit de la Marciana, Lat. XIII, 70, précédée d’éclaircissements abondants sur son contenu.

Lod. Frati, Una miscellanea umanistica della R. Biblioteca Universi- taria di Bologna (p. 321-330); analyse du Zibaldone portant le 182, rédigé entre 1438 et 1466 environ.

Berthold Wiese, Zu einer kritischen Ausgabe des «Ninfale Fieso- lano» Boccaccios (p. 347-362). Après avoir exposé les principes sur lesquels doit reposer l'édition critique du poème, M. B. Wiese en publie dix octaves (III, 34-43) avec tout l’« apparatus criticus ».

M. Zingarelli, La processione nell Eden dantesco (p. 363-369). Important article sur les rapports de cet épisode avec la littérature et surtout avec l’art (motif de la procession historique) du Moyen-Age.

F. d’Ovidio, Sui versi 118 e 148 del Contrasto di Cielo Dalcamo ‘(p. 453-458).

Ant. Medin, /! testamento e l’inventario d’un umanista veronese del secolo XV (p. 459-473); il s'agit d’Antonio Beccaria.

BIBLIOGRAPHIE 279

Nino Tamassia, Fr. Petrarca e gli Statuti padovani (p. 475-479). Commente un curieux texte de Pétrarque, sur les usages funéraires, | à l’aide des Statuts de Padoue.

Ida Luisi et A. G. Spinelli, Modena e il Petrarca (p. 481-500), avec une bibliographie.

Remigio Sabbadini, La gita di Fr. Barbaro a Firenze nel 1415 (p. 615-627), avec sept textes, pour la plupart lettres écrites par F. Barbaro, ou à lui adressées.

Bartolomeo Mitrovich, /! patriottismo del Petrarca (p. 629-663). Analyse méritoire d'un problème déjà souvent discuté, et l’on peut dire résolu ; l'analyse tourne ici à l'apologie.

Albano Sorbelli, Un nuovo codice della « Vita C. Caesaris» di Fr. Petrarca (p. 677-682); le manuscrit est entré récemment à la biblio- thèque de l’Archiginnasio de Bologne (A. 1841).

G. Bertoni, Sulla composizione del codice estense 232 delle egloghe del Petrarca e sull' autenticità dei cosi detti argomenti (p. 719-725); conclut en faveur de l'authenticité.

Carlo Gratzer, Cola di Rienzo (p. 327-751). Résumé de la carrière du tribun, sans aucun élément de nouveauté.

C. De Franceschi, Il Quarnaro e il confine orientale dell Italia nel Poema di Dante (p. 773-782). A retenir pour le commentaire de Inf. IX, 113-114.

Andrea Moschetti, Antonio Manetti e à suoi scritti intorno a Filippo Brunelleschi (p. 807-829); intéresse entre autres la célèbre nouvelle du Grasso legnaiuolo, dont l’auteur est bien A. Manetti,

Parmi les nombreux mémoires, que nous passons à regret sous silence, signalons pourtant celui de M. E. Maddalena sur le Menteur, de Goldoni (p. 545-548), et deux morceaux consacrés à Manzoni : M. Oscar Hecker, un fervent de Boccace, qui dédia, en 1902, ses Boccaccio-Funde à Attilio Hortis, a eu cette fois la coquetterie de lui adresser une belle traduction de l’ode de Manzoni, Marzo 1821, en vers allemands de même mesure (p. 1-5); M. Manfredi Porena offre au savant Triestin un commentaire fort attachant de la Parteneide du célèbre Milanais (p. 159-177). EH.

Guido Manacorda, Germania Filologica; guida bibliografica per gli studiosi e per gl’ insegnanti di lingua e letteratura tedesca, con circa 20,000 indicazioni. Crémone, Stab. d’Arti grafiche P. Fezzi, 1910; 1 vol. gr. in-8° 1x-280 pages (10 francs).

On n'attend pas de nous, à cette place, un compte rendu détaillé de ce répertoire bibliographique intéressant la langue et la littérature

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allemandes; la compétence nous ferait entièrement défaut pour une pareille tâche. Mais puisqu’un répertoire de ce genre, appliqué à l'Allemagne, est une chose toute nouvelle en Italie, et même en France, nous ne croyons pas inutile de le mentionner ici, à l'intention de tous ceux qui sont amenés, par les études de littérature comparée, à s'occuper incidemment de littérature allemande. Le livre de M. Guido Manacorda leur rendra des services signalés, car il est clairement composé, facile à consulter et conçu par un jeune historien de la littérature qui est doublé d’un bibliographe passionné : c’est lui qui dirige les Studi di Filologia moderna, publiés à Catane depuis le commencement de 1908, et l’on sait de reste quelle importance cette publication a prise immédiatement.

La Germania Filologica se divise en trois grandes parties généra- lités, linguistique, littérature et est complétée par un dictionnaire bibliographique, les noms d’auteurs et les titres d'œuvres anonymes sont classés par ordre alphabétique. Avec la liste des monographies (par genres et par périodes), qui termine la troisième partie, ce dictionnaire est, au point de vue très spécial qui nous intéresse ici, ce qui est appelé à rendre le plus de services. Pour chaque auteur, M. Manacorda donne, outre les dates extrêmes de sa vie, l'indication des meilleures éditions de ses œuvres et celle des études les plus considérables qui y sont consacrées ; il ne se pique pas, naturellement, de tout enregistrer, mais il veut signaler l'essentiel; et l'impression qui se dégage de l’examen attentif d’un bon nombre d'articles est qu'il s’est tenu dans une très juste mesure.

Cependant, puisque l’auteur, très modestement, sollicite des avis grâce auxquels il pourra combler certaines lacunes dans les éditions futures de son livre, auquel nous en souhaitons beaucoup, nous ne croyons pas pouvoir lui cacher qu'il nous semble avoir cité trop peu de livres français consacrés à la littérature allemande. Quelques-uns de ceux dont l'absence nous a frappés lui ont peut-être paru peu dignes d’être signalés, mais nous ne pouvons croire que tous aient été l’objet d’une condamnation aussi sévère; cette rigueur serait d'autant plus à regretter que, s'adressant à un public qui n'est pas celui des spécialistes, l’auteur devait leur indiquer les ouvrages utiles composés en italien ou en français et chacun peut s'assurer qu'il l’a fait à l’occasion.

Nous nous attendions donc à trouver, parmi les manuels de littéra- ture allemande (pp. 168-169), celui de M. A. Bossert (Paris, Hachette, 1901), sinon celui, beaucoup plus court, de M. A. Chuquet (Paris, Colin, 1909). C’est surtout de nos thèses de doctorat que M. Mana- corda, travaillant en Italie et en Allemagne, paraît avoir la connais- sance la plus imparfaite, car s’il en cite quelques-unes, même très récentes, il en omet beaucoup d’autres qui n’ont pas une moindre

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valeur; j'ai noté au hasard de mes souvenirs, sans aucune prétention à être complet, celles de MM. Firmery, sur J.-P. Richter (1886); F. Baldensperger, sur Gottfried Keller (1899); L. Reynaud, sur Lenau (1905); Rouge, sur F. Schlegel (1904); Dalmeïda, sur Gæthe et le drame antique (1908); Cramaussel, sur Schleiermacher (1908); signa- lons encore, en dehors des thèses, l'étude de M. P. Besson, sur Platen (1894), et, du même, une précieuse contribution de littérature comparée sur Schiller et la littérature française (Annales de l'Université de Grenoble, 1906). Sans aucun doute, M. Manacorda a rencontré ces noms et ces titres dans ses dépouillements; mais on voit mal pour quels motifs il les a exclus, avec beaucoup d’autres, d’un répertoire qu'il ne destine certainement pas à des Allemands, et que, sans aucun doute, il a conçu avec un critérium différent de celui qu'on pourrait attendre d’un Allemand. Hexr: HAUVETTE.

CHRONIQUE

La maison Laterza, de Bari, nous communique le programme d'une collection d’auteurs italiens, dont les premiers volumes doivent paraître en 1910, sous le titre général de Scrittori d'Italia. Le plan est d'une ampleur qui dépasse tout ce que les publications de la librairie italienne nous ont fait connaître jusqu’à ce jour, puisque le pro- gramme actuellement arrêté ne prévoit pas moins de 600 volumes, et que l’on n’écarte pas l’idée d'une nouvelle série, dont on ne s’occupera pourtant pas avant que la première soit entièrement exécutée. Pour entreprendre la réalisation d'aussi vastes projets, il faut être jeune; aussi l'éditeur et celui qui semble avoir été le principal inspirateur de la collection, M. Benedetto Croce, ont-ils confié la direction des Scrittori d'Italia à M. Achille Pellizzari, qui, aux mérites de la jeunesse et de l’activité, unit une compétence dont la solidité et l'étendue sont attestées par des travaux déjà nombreux.

Le choix des textes a été dicté par des considérations d'ordre litté- raire, historique et philosophique; c’est la «littérature italienne » qu'il s'agit de mettre à la portée du lecteur moderne, sous tous ces aspects; nous ne verrons donc paraître ici ni des curiosités bibliographiques ni des collections de documents, mais toutes les œuvres repré- sentatives, du xm° au x1x° siècle; en règle générale, ces œuvres seront publiées intégralement ; pour certains auteurs de second ou de troi- sième ordre seulement, on s’en tiendra à des anthologies et à des pages choisies. Les textes ne seront accompagnés d’aucune note, mais un appendice rendra compte de la méthode suivie dans l'établissement du texte, donnera un aperçu bibliographique, des index, et quand il le faudra, des glossaires. Le prix du volume de 4oo pages in-8°, en moyenne, doit être de 5 fr. 50 en Italie, 6 francs à l'étranger; un très heureux système d'abonnement à dix volumes (au choix) assurera un assez sérieux rabais (40 francs en Italie, 45 francs à l'étranger). Les Scritlori d'Italia ne formeront donc pas une collection « économique » et populaire; mais, conçue suivant des principes rigoureusement scientifiques, elle sera cependant accessible à un large public.

Les premiers volumes doivent paraître en septembre; nous les attendons avec impatience. H. H.

Nous recevons le fascicule 3-4 de la seconde année des Studi di Filologia moderna qui contient, comme articles de fond, une étude de

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M. A. Galletti, Critica letteraria e critica scientifica in Francia nel secolo XIX; une de M. E. Mele, Per la fortuna del Cervantes in Italia nel Seicento, et un mémoire de M. Guido Manacorda sur « Le Grazie » di C. M. Wieland. Parmi les communications, retenons celle de M. Achille Pellizzari, 1 manoscritti portoghesi della R. Biblioteca Nazionale di Napoli, et une note de grammaire historique sur l'emploi de la forme «je vas ». M. A. Galletti rend compte du Dante e la Francia de A. Farinelli, et M. Franc. G. Ippolito de A. Fusco, La filosofia dell arte in G. Flaubert (1907). La Chronique et le dépouille- ment des revues italiennes, françaises, espagnoles, portugaises, alle- mandes, anglaises, américaines, danoises, norvégiennes, hollandaises, finlandaises et hongroises, toujours fait avec le plus grand soin, est appelé à placer cette publication au premier rang des instruments de travail destinés à ceux qui s’occupent de littérature comparée, H. H.

-— Parmi les différentes reproductions de manuscrits publiées, dans ces dernières années, par les soins de M. H. Omont, chez MM. Ber- thaud frères, il en est une au moins qui mérite d’être signalée ici, comme intéressant plus particulièrement nos études. Je veux parler d’un récent album offrant le fac-similé réduit des miniatures d'un pré- cieux traité d'escrime, qui, conservé jusqu’en 1729 dans le cabinet du roi, à Versailles, fait aujourd'hui partie du fonds des manuscrits italiens de la Bibliothèque Nationale (ms. 959). Ce traité, œuvre d'un maître d'armes milanais, dont on ne sait, d’ailleurs, à peu près rien que le nom, Giovanni Antonio Lovino, fut présenté de la part de l’auteur au roi Henri III. Le manuscrit, élégamment calligraphié, est orné de soixante-six peintures très finement exécutées, représentant autant de scènes d'escrime. Nous y voyons les adversaires combattre tour à tour avec l'épée seule, avec l’épée et le poignard, avec deux épées, avec le lourd « spadone » à deux mains, etc.

Tous sont vêtus à la mode du temps. La reproduction ne saurait donner la moindre idée de la richesse et de la fraîcheur de coloris des costumes; du moins, elle permettra d'apprécier le talent, comme dessinateur, de l'artiste inconnu qui a si fièrement campé ces nom- breux escrimeurs, aux attitudes les plus variées.

Des manuscrits italiens à peintures de nos collections, il en était peu de plus dignes d’une publication de ce genre. L. A.

- Signalons ici la publication d'un ouvrage de grand luxe, qui intéresse d’une façon toute particulière les candidats de 1910 au concours de l’agrégation d’italien; le volume n’est malheureusement pas de ceux qu'ils pourront se procurer, mais ils trouveront à le con- sulter dans les principales bibliothèques. Il s’agit des Commedie di Carlo Goldoni, edizione Rasi; le volume que nous avons sous les yeux porte le litre particulier de : Le Commedie della villeggiatura

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(Florence, xxxin1-358 pages, 1909; nombreuses illustrations, pleines de goût et très réussies).

Ce bel in-quarto contient le texte des quatre comédies de Goldoni relatives à la mode ruineuse des villégiatures parmi les Vénitiens du xvin° siècle : d’abord La villeggiatura, puis la célèbre trilogie : Le smanie della villeggiatura, Le avventure della vill. et Il ritorno dalla vill.. En guise d'introduction figurent les cinq sonnets de G. Carducci sur Goldoni, puis une préface générale de F. Flamini, une étude de P. Molmenti sur La villeggiatura dei Veneziani al tempo del Goldoni, enfin, une préface particulière de G. Targioni-Tozzetti: Prefazione alle Commedie su la villeggiatura. H. H,

- Nous ne devons pas laisser passer au moins sans un mot de remerciement et d'éloge le livre de M. Albert Dauzat, l'Italie nouvelle (Paris, 1909), qui est un témoignage éloquent de l'intérêt, de la passion même, du sérieux et de l'admiration avec lesquels l’auteur a observé sur place, à l’aide d’une documentation très solide, la vie intellectuelle, sociale, politique, industrielle de la jeune nation ita- lienne. Nos amis d’outre-monts lui en expriment une vive reconnais- sance, non pas certes que de pareils témoignages de bienveillance leur viennent rarement de chez nous; mais trop souvent et nous l'avons signalé ici même à plusieurs reprises il arrive que la bonne volonté des Français ne soit pas accompagnée d’une égale compétence. Que l'exemple de M. Dauzat fasse école, et l'opinion italienne devra renoncer à sa méfiance à l'endroit des livres de voyageurs français, toujours un peu suspects de légèreté. Dans le Giornale d'Italia du 10 janvier dernier, M. Guido Mazzoni rend à M. A. Dauzat un hom- mage mérité, sous ce titre significatif : l’/talia in bello; l’auteur : a représenté l'Italie en beau ét l’on a tout de suite envie de se demander si cela n’est pas la chose la plus naturelle du monde! Maïs puisque les trésors artistiques de l'Italie ancienne, et ses paysages, ses ruines, ses édifices sacrés ou profanes, ses musées, font trop souvent ignorer ou dédaigner la forte organisation économique et morale de la nation reconstituée depuis un peu plus d’un demi-siècle, il est bon de dire bien haut que sous cet aspect aussi elle est belle, et que son avenir est plein de promesses. Pour cette louable entreprise, si dili- gemment réalisée, on excusera sans peine chez M. Dauzat quelques légères inexactitudes, des confusions, des erreurs de détail, à peu près inévitables dans un travail aussi général. H. H.

9 juillet 1910.

Le Secrétaire de la Rédaction,- EuGène BOUVY. Le Directeur-Gérant, GEorGEs RADET.

Bordeaux. Impr. G. GounouiLaou, rue Guiraude, 9-14,

Vol. X. Octobre-Décembre 1910. 4.

L'ART DE LA COMPOSITION DANS LA « DIVINE COMÉDIE »

Le temps est loin l’on croyait en France qu'à part quel- ques pages sublimes la Divine Comédie n'offre que galimatias ; mais aujourd'hui encore le grand public chez nous incline à croire qu’elle vaut par un nombre considérable sans doute de morceaux, mais enfin par des morceaux détachés et que l’ensemble ne gagne pas à être vu de près. En Italie, on est naturellement mieux informé; on étudie, on admire l'ensemble, mais surtout pour y chercher des sens cachés, des allégories secrètes; par exemple : de quelle vertu, de quel dogme Dante a-til voulu faire la clef mystérieuse de son œuvre? Tout récemment un critique a soutenu qu'il avait écrit son poème pour y incarner l’unité et la dualité de Jésus- Christ, l’unité et la trinité de Dieu. Je ne prétendrai pas que les Italiens fassent fausse route; il y a en effet du mystère au fond de la Divine Comédie; mais je crois que les Italiens raffinent et qu'en tout cas ce n’est jamais par que l’œuvre de Dante intéressera les Français. Je voudrais ici traiter un point aussi simple, aussi peu abstrus que possible, et montrer que la Divine Comédie n’est pas simplement une œuvre de foi, de science, de passion, mais une œuvre d'art, en d’autres termes, qu’elle est admirablement composée.

Remarquons d’abord que l’art y était absolument nécessaire. Sans doute le poète disposait d’une matière inépuisablement riche puisqu'elle embrasse les plus vastes, les plus nobles questions sur lesquelles l’homme ait jamais médité : philoso- phie, théologie, physique, politique, l'histoire tout entière, ses grands hommes avec le droit de les interroger et de les juger de haut. Mais à quelle condition pouvait-on faire de tout

1. Cet article reproduit, quant au fond, une conférence faite à la Sorbonne le 18 décembre 1909, pour la 17° année des travaux de la Société d'Études italiennes.

A FB., IVe Série. Bull. ital., X, 1910, 4. 19

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cela un poème? Suffisait-il d’avoir assez de génie pour passion- ner la science et effacer de l’œuvre tout caractère didactique? Non, car on ne fait pas un poème épique avec des discours, des entretiens et des méditations. Voyez le Paradis perdu : jamais poète n’a été plus convaincu, plus éloquent que Milton; pourtant son poème n’a jamais été le livre de chevet de sa nation comme la Divine Comédie l'a été pour l'Italie, sauf, bien entendu, aux époques de décadence. C'est qu'il y a dans le Paradis perdu beaucoup trop de discours et de conversations: Encore le sujet de Milton lui fournissait-il une action, un drame : Dieu crée le monde, l’homme, se propose le bonheur de ses créatures; ses desseins sont traversés par les démons qui entraînent l’homme dans leur désobéissance ; Dieu impose à l'homme une expiation et lui promet un rachat loïntain. Au contraire, le sujet de Dante ne lui offrait aucun drame puisqu'il consistait en une simple visite à l’autre monde. Dès lors, s’il n’y prenait pas garde, son poème allait se composer d'épisodes; on y entendrait cent, deux cents colloques (pour- quoi pas trois cents?) avec autant d'interlocuteurs qui n’appa- raîtraient que pour disparaître ; ce serait une immense pièce à tiroirs, seul le caprice du poète eût assigné une limite au défilé des personnages.

Mais, dira-t-on, en face de toutes ces figures qui passent, il yen a une qui demeure, celle de Dante qui voit passer les autres; voilà un personnage tout trouvé pour donner de l'unité au poème; pour ne pas s’en aviser, il aurait fallu le faire exprès. Soit! Mais un spectateur ne donne pas de l’unité à un spectacle par le seul fait qu'il le regarde, pas plus qu'un lecteur n’en donne à un livre décousu. Il faut que le personnage principal soit un centre et non pas seulement un miroir ou un phonographe; il faut qu'il nous intéresse par lui-même. Or, quand l’action se passe sur la terre, il n’est pas très difficile de nous intéresser au personnage principal, parce qu’on est libre de le faire agir brillamment; dans la plupart des épopées, on le fait monter à cheval, on lui donne des armes solides, des muscles d'acier, un cœur de lion, et tout s'ensuit. Mais que peut faire Dante en face de Satan ou de

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y. À

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Dieu? Il ne peut étaler sa personne sans se donner l'air d’un comparse qui dans le drame ne voit que le bout de rôle qu’on a bien voulu lui confier; il sera forcément, semble-t-il, le compère d’une interminable Revue, honnête confident chargé de poser des questions, d'enregistrer des réponses.

Or, voici ce que Dante a imaginé.

D'abord il nous a touchés par les épreuves qu'il a imposées à ce voyageur qui est lui-même. Il n’est pas, dans l’autre monde, à la façon d'Ulysse dans l'Odyssée, d'Énée dans Virgile, un promeneur qui cause, mais un explorateur qui passe par de terribles émotions, qui descend des pentes vertigineuses, gravit des rochers à pic, s'entend adresser d’effroyables menaces, qui est obligé parfois de se mettre entre les mains de monstres sans l’aide desquels il ne saurait poursuivre sa route, qui traverse un fleuve de feu. Ses souffrances sont, au total, moins terribles, moins continues que celles des damnés et même des âmes du purgatoire; et il convenait qu’il en fût ainsi; mais chacun des autres gémit un instant et s’éclipse, tandis que chaque épreuve de Dante nous rappelle les précé- dents assauts qu’il a subis. Il n’est donc pas seulement dans son poème celui que nous voyons toujours, ce qui serait trop peu, il est celui que nous plaignons le plus souvent. Comme nous comprenons, en outre, que ces angoisses lui sont infligées pour son bien, elles se rattachent par à l’idée générale du poème et en accroissent l'efficacité. |

On voit déjà cet art de faire beaucoup pour le personnage principal sans faire plus qu’il ne faut. Voici une autre inven- tion de Dante qui nous montrera combien il était pénétré de la difficulté de son sujet et comment il y a paré. IL va retourner à son profit cette difficulté même, comme font les grands physiciens quands ils se heurtent à une force de la nature, et en a tiré une beauté nouvelle. Il lui faut intéresser à son per- sonnage principal sans trop le mettre en évidence? Le moyen est trouvé : ce sera de distribuer avec une sage économie, une judicieuse lenteur, la révélation de son caractère, si bien que durant tout le cours du poème, au moins pendant les deux premiers tiers, à des moments très espacés, nous apprendrons

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quelque chose de nouveau sur lui. Et, soit dit en passant, si son Paradis plaît moins généralement que son Enfer et son Purga- toire, ce n'est pas seulement parce qu'il est parfois un peu aride, car Dante y a semé à pleines mains le pittoresque et le sentiment, c’est parce qu’à partir de ce point, il n’a plus rien à nous laisser découvrir en lui. Jusque-là l'intérêt se renou- velle sans cesse, et le héros va nous attachant toujours davan- tage, non par ses actions puisqu'il n’en peut accomplir, mais par les manifestations progressives de son âme. Un homme qui n’avait pas peur des réformes, M. Paul Janet, a dit quelque part, en substance : « Les anciens programmes scolaires avaient l'avantage de ménager au collégien pour chaque année une tâche nouvelle, d’abord le latin, puis le grec, puis les vers latins, puis les langues vivantes et les sciences, ensuite les narrations, les discours, les dissertations; aujour- d’'hui une partie de ces exercices ont été supprimés; on aborde . les autres presque tous à la fois, si bien qu'avec un peu de mauvaise foi un élève de Première peut prétendre qu'il fait la même chose depuis cinq à six ans. » Dante, par un procédé tout différent, n’a fini de nous livrer les secrets de son cœur qu'après les deux premiers tiers de son poème.

A la vérité, la nature lui avait, en un certain sens, facilité le moyen de soutenir son œuvre par la peinture de son caractère, puisqu'elle lui avait donné une âme d’une richesse extraordi- naire. Mais combien, précisément pour ce motif, l’art n’était-il pas nécessaire, du moment il en fallait mesurer l'expansion ! Quelle force de volonté, quel amour intelligent pour la beauté de l’œuvre y étaient nécessaires! Car cette âme riche est impé- tueuse par elle-même, par la rudesse de l’époque, par les circonstances se trouve le poète. Dante n’était pas un simple particulier qui a ses opinions, ses antipathies, mais que ses occupations quotidiennes en distraient à chaque minute; c'était un militant, et nous savons combien les hommes politiques, quand ils visent à autre chose qu’à s'assurer la continuation des jouissances ils se reposent, sont obsédés par ce qu'ils appellent la folie ou la scélératesse de leurs adversaires; c'était un vaincu, et un vaincu qui ne se rendait pas; on l'avait chassé

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de Florence, on avait confisqué ses biens, tâché de l’atteindre dans son honneur en le condamnant comme concussionnaire; il essayait de rentrer à main armée dans sa patrie, excitait l'empereur d'Allemagne contre elle; il vivait errant, pauvre, gravissant l'escalier de l’étranger, mangeant son pain; jusqu’à la consolation de communier avec ses frères d’exil lui échappait; il allait, par dégoût, former bientôt son parti à lui tout seul. Combien donc ne devait-il pas être tenté de chercher à chaque instant dans son poème une satisfaction pour tous ses griefs, de laisser éclater à chaque pas tous ses ressentiments; comme Agrippa d’Aubigné, dans ses Tragiques, nous admirons une foule de beaux vers, nous partageons même les colères de l’auteur, mais qui lassent pourtant! Car c'est un volcan dont l’éruption recommence à chaque minute et qui vomit toujours les mêmes laves.

Loin de là, Dante a soumis ses ressentiments à une discipline extraordinaire. Il eût été bien naturel, il eût semblé adroit à un maladroit, de commencer le poème par quelques réflexions mélancoliques sur l’homme qui allait s’aventurer dans les enfers, ne füt-ce que pour nous donner l'envie de l'y suivre; Dante nous aurait peint ses malheurs et donné son voyage comme une compensation offerte par Dieu; s’il n'avait pas voulu se présenter lui-même, il était aisé de faire parler Béatrix ou Virgile. Non. Lorsque Dante s'engage dans sa terrible expédition, tout ce que nous savons de lui, c’est qu’il est égaré et que trois bêtes furieuses le menacent; longtemps encore nous ne saurons pas un mot de plus sur son histoire. Dante a pris hardiment le contre-pied de la tradition, qui veut qu'au début d’une épopée on entr'ouvre aux yeux du lecteur l’âme de son héros et l’avenir qu’elle lui prépare.

Mais alors que nous importera, au moins provisoirement, cet inconnu, ce voyageur qui n’a pour lui que son danger? Dante y a pourvu. D'abord, cet inconnu n'en est pas un en haut lieu. Son péril a troublé dans leur quiétude de grandes saintes dont une est descendue jusqu'aux portes de l'enfer pour lui trouver un guide dans la personne du grand Virgile, et quand il pénétrera dans les limbes, il sera admis, lui

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sixième, dans le chœur des maîtres poètes de l'antiquité. Déci- dément cet innominalo ne doit pas être le premier venu. Ensuite, avant même qu'il se dévoile, il nous frappe par la véhémence de sa sensibilité. C’est comme un personnage vu de dos qui impose par la noblesse de sa démarche; nous désirons qu'il se retourne, mais nous attendons.

Voyons donc la judicieuse lenteur avec laquelle va procéder Dante, sûr que nous lui ferons crédit. |

Un des sentiments qui agitent le plus violemment son cœur est sa colère contre sa Florence qu’il adore, maïs qui le per- sécute et se perd. Nous trouvons une première attaque contre elle au VI° chant de l'Enfer; mais ce sont en tout trois vers placés dans la bouche d’un damné sans grandeur, d’un glouton florentin que ses concitoyens avaient surnommé Pourceau; cette première invective part donc d’assez bas. La deuxième apostrophe ne viendra qu’au XV° chant de l'Enfer; elle sera pro- férée encore par un damné qui expie un horrible vice, mais qui du moins, à d’autres égards, mérite la considération, Brunetto Latini, l’auteur du fameux Trésor, le conseiller des débuts littéraires de Dante, le premier qui devina son génie. Quant à Dante, il n’éclatera qu’au début du XX VI° chant de l'Enfer. Le passage est fort curieux parce qu'il marque la fougue avec laquelle les sentiments se succèdent chez lui et qui rend méri- toire l’énergie avec laquelle il la gouverne. Après avoir félicité sa ville des voleurs qu'elle compte dans l'enfer’, il passe immédiatement à la menace, lui annonce un châtiment pro- chain, le hâte de ses vœux parce que ce coup l’atteindra d’abord tout le premier et que, si on le laisse vieillir, il n’au- rait pas la force d’y survivre. Ainsi l’amertume, la haine et une tendresse d'autant plus touchante qu'elle éclate dans une malédiction se succédent en onze vers. Plus tard, pour gour- mander ses concitoyens avec plus d'autorité, il prêtera sa colère d’abord à une âme du purgatoire, Forese Donati, c'est-à-dire à un homme qui a déjà la promesse du salut, plus tard encore à un saint, à un martyr, son aïeul Cacciaguida,

1. L'ironie chez Dante est un peu lourde; les cours il a vécu n'étaient pas assez exigeantes en matière de politesse pour obliger et enseigner à aiguiser le trait,

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au XV° chant du Paradis; et, quand il sera bien établi par ces témoins accrédités que le bras de Dieu est levé sur Florence, Dante, au XXV° chant du Paradis, fera entendre qu'elle peut venir à résipiscence et offrir de nouveau asile à l'innocence et au bonheur : la suprême récompense qu'il souhaitera pour son poème serait que Florence, lui rouvrant ses portes, le couronnât de laurier près des fonts il a reçu le baptême.

Ce qu'il pense d'elle, il le pense de l'Italie entière; mais nous n’entendrons longtemps que des malédictions isolées contre telle ou telle ville, Pistoja, Pise, Gênes; à travers l'Enfer, quand il rencontre des scélérats qui les déshono- rent, il souhaite leur extermination; car il connaît peu les demi-mesures; mais c'est seulement au VI° chant du Purga- toire qu'il s’en prendra à la péninsule tout entière, dans le célèbre passage Sordello et Virgile tombent dans les bras l’un de l’autre parce qu'ils sont tous deux fils de Mantoue; Dante flétrit les haines fratricides qui de son temps ensan- glantent les cités; il qualifie l'Italie de lupanar, de cavale vicieuse que l’empereur devrait enfourcher et châtier.

Même sagesse dans la conduite de sa colère contre les désordres de l'Église. Dante, pieux chrétien, parfaitement orthodoxe, tout particulièrement attaché à ceux des dogmes que les novateurs rejetteront tout d’abord, nourrit un égal respect pour la hiérarchie ecclésiastique; on sait combien le révoltera l'attentat commis par Philippe le Bel sur Boni- face VIII. D'autre part, Dante constate que quelques-uns des chefs de l'Église trahissent ou vendent Jésus-Christ. Il place donc des ecclésiastiques, des papes même dans l'enfer, hardiesse qui n'avait alors rien que de très ordinaire; mais ce qui lui est propre, ce n’est pas seulement l'originalité terrible du châtiment qu'il applique aux pontifes simoniaques, c’est la gradation entre la simple mention du pape Anastase II que la légende implique dans le schisme de Photius(X[° chant de l'Enfer), l’allusion au goût des clercs pour certaines per- versités (XV° ch., v. 126, ibid.) et le tableau saisissant des simoniaques plongés la tête en bas dans des puits dont leurs

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jambes seulement dépassent les bords et ils disparaissent lorsqu'un nouveau damné, tombant sur eux, les y enfonce ; un d'eux, interrogé par Dante, n’est autre qu’un pape, Nicolas IIT, lequel prend la voix de Dante pour celle du pape alors régnant, Boniface VIII qu'un même trafic réserve au même supplice. Alors seulement, au XIX° chant de l'Enfer, le poète tonnera contre les commerces sacrilèges introduits dans une Église qui a conquis le monde par le renoncement.

Dante avait trouvé moyen, je ne sais comment, de faire une place dans sa vie à tous les arts libéraux; sa tâche civique remplie, quand il n’écrivait pas de vers, il dessinait ou écoutait de la musique. Il a voulu retrouver quelques-unes de ces jouis- sances au cours de son voyage imaginaire. Mais comme il a su attendre! Comme il a résisté, jusqu’à l’heure convenable, aux tentations les plus naturelles ! Quand Virgile s'offre à lui, il le salue par les mots : «Tu es mon chef et mon guide; je te dois le beau style qui m'a fait honneur. » Ici, on le voit, Dante est sur le point de trahir son incognito; mais Virgile ne relève pas le mot, n’adresse aucun compliment à Dante sur ses compositions antérieures, et ce n’est pas seulement pour différer les hommages que Dante mérite; car Virgile, dans les entretiens qu'il a chemin faisant avec lui, pourrait causer de littérature sans y mêler la personne de son disciple; il ne le fait pas; ce ne serait point une assez grave préparation à l'entrée dans les enfers. Voilà pourquoi Dante ne répète rien des propos qu’il a tenus dans les limbes avec les poètes antiques. Il ne se permettra des entretiens profanes que dans le purgatoire, entre les horreurs de l'enfer et les extases du paradis; dans le purgatoire, en effet, les âmes goûtent déjà une demi-quiétude et pourtant ne sont pas encore absolument détachées des pensées terrestres. Bourdaloue n’a pas osé dépeindre le génie militaire de Condé parce que, habitué aux panégyriques des saints, il a fait de l’éloge de Condé la fin dernière de son oraison funèbre et, par suite, s’est condamné à ne relever dans sa vie que ses mérites de chrétien. Bossuet, au contraire, visant à établir dans son discours le néant devant Dieu de la gloire mondaine, se met dans l’heureuse obligation

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‘d'en montrer l’apparente grandeur. Longtemps avant lui, le génie suggérait à Dante une inspiration analogue.

Ainsi, au Il° chant du Purgatoire, il rencontre son ancien ami le musicien Casella et le prie de lui chanter quelques vers; Casella entonne par courtoisie un air qu’il avait composé pour une canzone de Dante et les âmes ravies s’arrêtent à l'entendre; mais aussitôt la grosse voix de Caton, gardien de ce vestibule, les rappelle à leurs dévotions interrompues et ces âmes s’enfuient comme des colombes effarouchées. Puis les conversations sur les arts libéraux se prolongeront un peu plus, mais pour nous montrer artistes et poètes s’exerçant à la vertu qu'ils ont le moins pratiquée sur la terre, l'humilité. La vanité, qui est de toutes les conditions, sévit en effet ici- bas particulièrement chez eux, non qu'ils aient plus sujet que les autres d’être fiers d'eux-mêmes (il faut autant de génie pour être un Turenne que pour être un Racine, et un Turenne est plus nécessaire à une nation qui ne sépare pas la paix de l'honneur), mais parce que la renommée est souvent la seule récompense des arts de l’esprit et parce qu'il est plus facile à un artiste et à un poète qu'à un politique ou à un capitaine de s’imaginer qu'il ne doit sa gloire qu'à lui-même : pure illusion, car Racine n'aurait pas été Racine sans Corneille et Malherbe, j'ajoute sans Port-Royal et La Rochefoucauld, j'ajoute sans Euripide; mais on oublie facilement des colla- borateurs qui ne sont pas pour réclamer. Voici au contraire, au X[° chant du Purgatoire, un artiste qui n’a d'autre souci que de désabuser sur son talent, comme il est désabusé lui- même sur la gloire. Oderisi, de Gubbio, que Dante compli- mente sur ses belles enluminures, renvoie l'éloge à un successeur qui l’a surpassé: «Je n'aurais pas été si loyal pendant que je vivais, » ajoute-t-il, mais il faut s’y résigner; Giotto a effacé la renommée de Cimabue, Guido Cavalcanti a fait oublier Guido Guinicelli «et peut-être en est-il ün troisième qui les détrônera tous les deux. Le bruit du monde n'est autre chose qu'un souffle de vent qui vient tantôt d'ici, tantôt de et qui change de nom parce qu'il change de côté. » Ce tiers qui effacera les deux Guido, le lecteur le

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devine; mais nous pardonnons à Dante de couronner son propre front parce qu'il nous fait sentir que cette couronne est fragile et dangereuse à porter. Que de choses le génie fait accepter! C’est ainsi que Musset peut, sans choquer les croyants, dire au Christ, dans Rolla: «Les clous du Golgotha te sou- tiennent à peine; » ce qui leur semblerait ailleurs un affreux blasphème, cette incroyable hardiesse qui réduit le Christ aux proportions d’un crucifix vermoulu émeut et ne scandalise pas, parce qu'on sent que Musset est au désespoir, pour lui et pour le monde, de son incrédulité.

Une pointe de mélancolie perce dans les paroles d’Oderisi; au XXIV* chant du Purgatoire, une autre victime du progrès, le poète Bonagiunta de Lucques ne laisse plus voir aucun regret; il est presque heureux d’avoir compris, grâce à Dante, pourquoi le doux style nouveau a fait pâlir le sien; et, deux chants plus loin, Guido Guinicelli, après avoir lui aussi renvoyé à un autre l'éloge que Dante lui-adressait, le prie de réciter en paradis un Paler en sa faveur, tandis que toute la cour- toisie de Dante n'obtient pas un mot profane d'Arnaud Daniel, le brillant troubadour, qui pleure ses folies passées, ne chante plus que la joie à venir et demande, comme Guinicelli, qu'on se souvienne en temps opportun de son âme en peine. Ces hommes à qui, sur terre, on n’eût pas marchandé impuné- ment l'admiration, n’aspirent plus qu’à inspirer la pitié.

Voilà pour les opinions et les goûts de Dante. Voyons pour ce qui est de sa personne et de son rôle historique. Gertes Dante se fait prédire dans la Divine Comédie qu'il sera un grand poète, un martyr de la justice. Mais ces prédictions sont très obscures d’abord, elles viennent à de longs intervalles, elles contiennent encore plus de menaces que de promesses, et jamais ne sentent la rodomontade de la lettre Château- briand assure M"° Récamier qu'il peut donner beaucoup de gloire à la France, mais à condilion d'avoir carte blanche, vu qu'il ne vaul rien en seconde ligne. Jamais Dante n'a écrit des vers il s’attribue en politique l'importance d’un Frédéric II d’Alle- magne, ou simplement d’un Pierre des Vignes, d’un Farinata degli Uberti, Même comme pénitent, il est modeste; il n’étale

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pas ses fautes, il ne s’écrie pas comme le poète allemand Bürger : « Quel misérable je suis! J’ai séduit ma belle-sœur; sans moi, elle serait encore une honnête femme!» Nous sommes avertis, comme il a été dit plus haut, que Dante doit une satisfaction à Dieu; on relève çà et quelques allusions très générales à ses fautes; les sept P gravés sur son front par un ange, puis effacés l’un après l’autre, nous avertissent qu’il avait sa part de tous les péchés capitaux; mais il faut arriver à la fin du Purgatoire pour assister à l’interrogatoire que Béatrix lui fait subir, à l’aveu qu'elle lui arrache, à la pénitence qu'elle lui impose et que couronnera, au Paradis, le triple examen de théologie qu'il passera avec la modestie d'un écolier attentif à ne répondre que par les paroles des maîtres de la science.

La glorification de Béatrix est conduite avec un égal bon- heur. Dante avait annoncé, à la fin de la Vie Nouvelle, qu'il allait se recueillir pour dire de Béatrix ce qui n'avait jamais été dit d'aucune femme, et l’on sait qu'en effet dans la Divine Comédie il finit par la transfigurer, par faire d'elle une figure supérieure à la terre; mais il ne la montre que tout à la fin du Purgatoire. C'est par Virgile que l’on connaissait son intervention en faveur du poète égaré dans la forêt. Dans l'Enfer elle ne sera pas plus nommée que le Christ, et dans les vingt-neuf premiers chants du Purgatoire elle n’est men- tionnée avec un peu d’insistance qu'en cas d’absolue nécessité, par exemple lorsque Dante hésite à franchir le fleuve de feu ou lorsqu'il y souffre au point que, pour se rafraîchir, il se serait jeté dans du verre en fusion; Virgile est alors réduit, pour réveiller son courage, à lui dire: « Béatrix est sur l’autre rive... Je crois voir ses yeux, » De la sorte, c’est-à-dire en ne montrant Béatrix qu'à sa place, aux abords du séjour des bienheureux, puis dans le Paradis, il a réservé pour la fin de son poème les miracles du sourire, de la tendresse, de la grâce malicieuse de celle qu'il met à part des autres créatures; car il a voulu que la sainte, au moment de ressaisir son auto- rité sur Dante, recouvrât toutes les séductions de la femme; la timide jeune fille de la Vie Nouvelle se présente à son infidèle

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chevalier avec le train d’une impératrice et l’assurance d’une châtelaine. Dante la prépare pour ainsi dire par le diadème à l’auréole.

L’art de Dante n’a rien à voir avec l’adresse qui se rit de la vraisemblance, qui compte sur l’inadvertance du lecteur. Rien n’est plus naturel que la lenteur avec laquelle le héros de la Divine Comédie se découvre à nous. Sur terre, ses passions s'échapperaient bien plus librement : on est moins à l'aise dans l’autre monde. Victor Hugo se plaît quelque part à imaginer qu'on trouvera un jour le secret de ressusciter et de revenir {out pâle crier : « J'en arrive!» À plus forte raison doit-on être tout pâle quand, au lieu d’en arriver, on y arrive. Dante, à ses premiers pas dans l’enfer, ne peut songer à émettre une profession de foi politique; il est tout yeux, tout oreilles; il ne s’'émancipera que progessivement, quand il aura vu des pécheurs bien plus coupables que lui et retrouvé d’anciens amis.

D'autre part, la progression qu’il a observée ne soutient pas seulement l’intérêt du poème; elle accroît notre confiance dans le témoignage de Dante sur son temps. Supposez, en effet, qu’il éclate tout d’abord et surtout contre les hommes qu'il a combattus dans la vie réelle, nous dirons : «C’est un Gibelin, défions-nous! », tandis qu’à le voir tout d’abord et d'ordinaire foudroyer des hommes avec lesquels il ne s’est jamais trouvé en conflit, nous nous accoutumons à le tenir pour un jus- ticier qui ne condamne ses ennemis qu'en vertu de règles universelles.

On pourrait fournir beaucoup d’autres preuves de l’habile composition du poème, par exemple l’heureux emploi fait des démons auxquels Dante ne recourt pas tout de suite, qu'il peint tantôt cruels, tantôt perfides, tantôt facétieux ou ridicules, ou la finesse avec laquelle il a dessiné Virgile, ce juste à qui la grâce a manqué, ce dépositaire d'une demi-révélation qui éclairera les autres et ne l’a pas éclairé lui-même, ce Moïse qui conduit Dante tout près du paradis et n’y entrera jamais; très intéressant par cette situation, Virgile l’est encore chez Dante par sa bonté paternelle, par sa naïveté. Aujourd'hui nous vou-

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lons qu'on nous montre des tares chez les grands hommes; le Moyen-Age ne demandait qu'un peu d'ingénuité; Virgile, dans les moments difficiles, est très poli avec les démons; il leur dit vous et s’il vous plait ; il se laisse un moment mystifier par eux, moins perspicace cette fois-ci que son disciple, et il est un peu piqué d’avoir été dupe. Mais ne nous laissons pas entraîner et expliquons plutôt Dante a pu prendre son talent de composition.

En effet, au Moyen-Age, ou bien les poètes mêmes qui ont du talent et du souffle, comme Jean de Meung, nous ont laissé des fatras incohérents, ou bien ils ne réussissent à faire œuvre d'art qu'à condition de s’enfermer dans des dimensions restreintes; par exemple, la Chanson de Roland met bien le héros au premier plan ; elle le distinguenettement d'Olivier; elle le fait passer par des alternatives de raison prévoyante, d'impru- dence chevaleresque; c’est lui seul, après tout, qui avait prévu le piège de Roncevaux, et s’il n’a pas fini par sonner du cor, c'est qu'Olivier, dans un instant d'humeur, l’en a empêché ; mais la Chanson de Roland est infiniment plus courte que la Divine Comédie. Donc comment Dante a-til pu coordonner un aussi vaste poème? Serait-ce parce qu'il avait l'esprit profond? Non, personne ne l'avait de son temps. Toute sa science est d’em- prunt, sa politique aussi, et, dans ses idées, tout ce qui ne lui vient pas de l’Antiquité ou des Pères est bien peu solide. Son art seul est profond. Mais prenons garde que, quand on veut généraliser sur une époque, il ne faut pas l’examiner dans un seul ordre de choses. L'Italie est en décadence au xvu° siècle en matière de littérature, mais les sciences y sont glorieuses et l'opéra y naît. De ce que les poètes du Moyen-Age ne savaient guère composer, il ne s'ensuit pas que ce don lui füt absolu- ment refusé, puisqu'un plan manifeste relie toutes les parties d’une cathédrale, quoique d'ordinaire plusieurs architectes s’y soient succédé. Puis, Dante s'était placé dans des condi- tions particulières puisque seul parmi les poètes du Moyen- Age il s'était donné une forte éducation littéraire; seul, il avait vécu dans un long commerce avec de grands esprits ; d’autres que lui avaient lu Virgile, mais les autres prenaient un vers,

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298 BULLETIN ITALIEN une idée à Virgile; lui, il avait médité l’Énéide, il la possédait; bien mieux, il s'était fait le disciple assidu des scolastiques, de ces esprits point assez inventifs pour ajouter aux doctrines des anciens, mais assez vigoureux pour les embrasser; la Somme de saint Thomas lui apprit à construire son poème. De plus, il était Italien; or, de même qu’un Français, dès qu'il s'élève au-dessus de l'ordinaire, a de l'esprit, de même un Italien, dès qu’il tranche, sait calculer et combiner; c’est pour cela que l'intelligence politique chez eux court souvent les rues. Cette habileté de combinaison, ils la portent fréquem- ment dans la littérature. A la vérité, dans Arioste et le Tasse, dans Métastase et Goldoni, un Français, à première vue, est plutôt frappé des disparates; mais ceux-ci n'étaient pas des élèves de saint Thomas et s’adréSsaient à des générations moins sérieuses. Encore ne faut-il pas s'y tromper. Nous sommes seuls avec les anciens, nous autres Français, à concevoir l’unité, dans les ouvrages de l’esprit, d’une manière un peu puritaine; pour nous, un poème bien composé est celui un même ton, je ne dis pas règne, mais domine d’un bout à l’autre ; c’est comme une classe bien tenue pas un élève ne prend la parole sans permission; les Italiens et tout le reste de l’Europe (il n’est d’ailleurs pas sûr qu'ils aient raison) mêlent bien plus librement la vérité et la fantaisie, la sagesse et la folie. Sous cette réserve, regardez de près, par exemple, le Roland furieux, et vous verrez avec quel art l’auteur rattache entre eux les extrêmes, comme il réussit à n'être jamais ni tout à fait sage ni tout à fait fou; certains combats sont décrits avec une précision, une verve toutes militaires, mais quelques exploits impossibles, adroitement jetés dans le récit, vous avertissent de ne pas trop vous émouvoir; et parmi les inventions les plus bouffonnes, tel trait d'observation vous rappelle que l’auteur connaît la vie. Seulement, voici la double supériorité de Dante. D'abord, il faut autrement de vigueur pour réaliser l'unité très souple mais très forte de la Divine Comédie que pour réaliser l'unité réelle inais très ténue du Furioso; on fait de plus grandes choses avec les mains puis- santes de Dante qu'avec les doigts délicats de l’Arioste, Ensuite,

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Arioste, le Tasse, Métastase, Goldoni, outre qu'ils cultivent un art inférieur, s’y absorbent tellement que chez eux l'homme disparaît ; on ne sait trop à qui l’on a affaire. Y avait-il autant d'ironie dans le caractère de l’Arioste que dans son poème? C'est une question. Dans quelle mesure Goldoni souhaite-t-il de corriger les travers qu’il a souvent combattus avec hardiesse? On ne sait trop. Au contraire, jamais chez Dante l'artiste ne fait oublier l'homme. Partout on reconnaît en lui un grand patriote et un grand chrétien. S'il réussit à ménager ses effets, c'est qu'il a réussi à exécuter en imagination son mer- veilleux voyage et qu'il se rappelle nettement l'ordre dans lequel il a ressenti ses émouvantes impressions. Son habileté

vient de sa grandeur. CHarLes DEJOB.

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« Les Anglais étant extrêmement fiers et glorieux, ont néan- moins complaisance et se laissent gagner par civilités, qui est la raison qui les porte à aimer sur toutes les nations les Italiens qui ont l’avantage de l’adresse et courtoisie sur tous les autres peuples de l’Europe. » CHATS

C’est ainsi que le vicomte Salomon de Virelade exposait à Mazarin, en 1650, ses projets de négociations avec le Parlement républicain’, et ce trait de caractère, assez finement observé, ne convient pas aux seuls diplomates; le genus irrilabile vatum peut s’en faire une application facile.

L'humeur voyageuse des Anglo-Saxons, l'attraction de la lumière et de la beauté latine sur les hommes du Nord suffi- raient du reste à expliquer le nombre et l'importance des pèlerins d’outre-Manche qui se succèdent en Italie depuis bientôt quinze siècles.

Un quartier voisin de Saint-Pierre, à Rome, porte encore - le nom significatif de Sassia (San Spirilo in Sassia, église et hôpital); les rois ouvrent la marche : c'est Cadwalla, baptisé par saint Serge (689) et qui meurt vêtu de la blanche robe des néophytes; c’est Conrad et Offa, devenus moines; c’est Alfred, le futur traducteur de Boèce et de saint Grégoire; c'est au xr siècle, le Danois Knut et peut-être le fabuleux Macbeth; puis, le flot se régularise et des institutions d’où sortira Île futur Collège anglais s’établissent de l’autre côté du Tibre»; les étudiants afflueront à leur tour dans les grands centres universitaires, à Bologne les Actes conservés de la nation

1. Note citée par Guizot (Histoire de la République d'Angleterre, édit. de 1860, p. 444). Û

2. Cf. la communication du D' W. Croke au Congrès des Sciences historiques(1908), . The national english institutions of Rome during th: fourtcenth century.

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germanique remontent au début du xrm° siècle, à Padoue, qui fournissait naguère les matricules publiées par M. Andrichr.

Chaucer y viendra en 1373, et recueillera peut-être sur les lèvres mêmes de Pétrarque la touchante histoire de Grisélidis?.

La Renaissance portera vers la Toscane les amis de l’huma- nisme, et le duc Humphrey de Gloucester s'inscrira parmi les Mécènes du xv° siècle, John Colet, l'ami d'Érasme et de Thomas Morus, le fondateur de la célèbre école de Saint-Paul à Londres, a visité Florence, et le carme poète, Battista Man- tuano, figure au nombre des auteurs qu'il propose à ses jeunes élèves.

Le schisme d'Henri VIII ralentit, sans l’interrompre, ce mou- vement d'échanges littéraires; sans parler des pétrarquisants Wyatt et Surrey, de l’Arcadia Sir Philip Sidney se fait l'émule de Sannazar et de Montemayor, de l’euphémisme qui devance les excès du marinisme et du gongorisme, rappelons ce que Spenser doit aux épopées de l’Arioste et du Tasses, et nommons au moins ce Gabriel Harvey, l'Hobbinol de la Reine des Fées, pédant, excentrique, si fier de son costume vénitien, des connaissances qu'il avait rapportées d'Italie et qui lui valurent, avec un compliment douteux de la reine Elisabeth, les quolibets du satirique Nash.

Milton est à certains égards le dernier et le plus grand des Elisabethans ; sa culture classique, plus étendue que celle de Shakespeare et mieux digérée que celle de Ben Jonson, est à la base d’une originalité qui se fonde pour ainsi dire sur deux imitations combinées, l'inspiration biblique, l'étude appro- fondie, l'assimilation laborieuse des chefs-d’œuvre de l’Anti- quité.

À ce titre, son voyage en Italie nous paraît faire époque, non seulement dans la biographie du poète, mais dans l'his-

1. Ce recueil, édité en 1892, va de 1222 à 1738.

2. Sur cette rencontre discutée des deux poètes, cf. un article de M. Jusserand, l’éminent historien de la littérature anglaise, dans le Ninetcenth Century (juin 18096), et un autre de M. Segré (Nuova Antologia, 1899, t. D).

3. Cf. l'étude comparative de M. L. Turrini : « L’Orlando Furioso e la Regina delle - Fate,» Piacenza, Bertola, 1891.

Sur la querelle d’Harvey et de Nash, Isaac Disraeli: The Calamities and Quarrels

of Authors, p. 117 et suiv. de l’édition de 1867. Bull. ilal. 20

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toire comparée des littératures modernes; pour l’une et pour l’autre, il clôt une période, il en ouvre une nouvelle, ni plus ni moins que le voyage de Gœthe, un siècle et demi plus tard, en sens inverse toutefois : l’auteur de Werther, à peine échappé des orages du Siurm und Drang, va demander au pays de Virgile et à la Sicile d'Homère une sérénité qui planera désor- mais sur son œuvre; /phigénie en Tauride, Hermann et Dorothée marqueront le triomphe de ce classicisme olympien, tandis que l’auteur de Comus et de Lycidas, de l’ Allegro et du Pense- roso, sorti de Cambridge et de l’ermitage d'Horton tout imprégné des parfums de la Renaissance, reviendra au con- traire du Midi pour se lancer à corps perdu dans les polémiques religieuses et civiles; entre les deux saisons de sa Muse, l’une printanière et si courte, la seconde pareille à un glorieux automne attristé par la disgrâce et la cécité, l’excursion sur le Continent apparaît avec le charme un peu mélancolique d'une halte rafraîchissante qui précède une longue traversée dans les sables que soulève la tempête. Je n’ai pas à m'arrêter sur la jeunesse austère et pensive de Milton, sur le puritanisme de ses premiers maîtres, heureusement compensé par les soins intelligents d'un père musicien et lettré qui sut, chose rare, faire crédit et loisir à la vocation de son fils; après un stage universitaire brillant sans être heureux, le jeune homme avait refusé de prendre les ordres anglicans et d’embrasser une carrière; de 1632 à 1637, il avait complété dans la retraite d'un village voisin de Londres sa formation personnelle, développé ce talent précoce pour la versification latine qu'at testent ses élégies, ses épigrammes et ce Silvarum Liber, intéressant comme les cartons et les ébauches d'un grand artiste.

Il avait traduit quelques psaumes en vers anglais, composé des pièces de circonstance éclate cette ode merveilleuse sur la Nativité du Sauveur (1629) qui est une des perles de la haute poésie sacrée; il avait assidûment fréquenté Spenser et notre du Bartas (traduit par Sylvester, en 1621); mais sauf la première édition du masque de Comus, dédiée au jeune vicomte Brackly par le musicien Lawes, en 1637, et le

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nom de l’auteur ne figure pas, il n’avait encore rien donné au public:.

En avril 1637, sa mère était morte, son jeune frère Chris- tophe avait pris femme dès qu'il eut achevé ses études, sa sœur Anne venait de se remarier ; le père consentit à se séparer de John et à lui permettre d'entreprendre, avec un seul domes- tique, le tour sur le Continent qui formait déjà le terme obligé d’une éducation britannique.

Milton approchait de la trentième année; peu sociable de son naturel, il avait cependant gagné les bonnes grâces d’un vieux diplomate, Sir Harry Wotton, qui vivait retiré au célèbre collège d’Eton 4 milles d'Horton); cet amateur du bon tabac et de la pêche à la ligne, qu'Izaak Walton fait revivre dans les pages délicieuses de ses Lives, avait rempli sous Élisabeth, et à Venise sous Jacques I”, au temps de Paul V et de Fra Paolo Sarpi, un rôle international des plus impor- tants; c’est à lui qu’on attribue la fameuse définition de l’am- bassadeur : « Vir bonus, missus foràs ad mentiendum, reipublicæ causà; » nul n'était plus à même d'initier son jeune voisin aux finesses italiennes, et la lettre il lui accuse réception de l'envoi de Comus honore également son goût littéraire et sa perspicacité diplomatique.

Après avoir loué d’un mot heureux « la délicatesse dorienne » de cette pièce, qui lui a laissé «la bocca dolce », il recommande le voyageur à un certain Michel Branthwait, jadis agent de la Grande-Bretagne à Venise, et qui servait alors de précepteur au fils de lord Scudamore, ambassadeur de Charles à Paris, et il lui donne pour maxime cette phrase sibylline d’un gentil- homme nommé Scipioni, qui avait été au service du duc de Paliano (de la maison des Carafa), et qui, rencontrant Wotton

1. Comus, représenté dès 1684 au château de Ludlow par les enfants du comte de Bridgewater, gouverneur du pays de Galles, est un éloge allégorique de la vertu, sur le thème bien connu des métamorphoses opérées par la baguette de Circé. Peele et Fletcher, contemporains de Shakespeare, ont fourni certains traits; une note du traducteur anonyme de la vie de Milton par Samuel Johnson (Paris, an V)cite comme source principale le Comus d’Erycius Puteanus (Dupuy), publié à Louvain en 1611; et à Oxford en 1634.

Les étudiants de Cambridge l’ont joué à l’occasion des fêtes récentes du centenaire (décembre 1908).

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à Sienne, condensait en ces termes l’expérience d’une vie de courtisan : « Signor Arrigo mio, pensieri stretti e viso sciollo. » Nanti d’un passeport de Suffolk, gouverneur des Cinq-Ports, que lui avait procuré Lawes, Milton arrivait à Paris en mai 1638, et Scudamore, que le comte de Bridgewater et les Buls- trodes, seigneurs d'Horton, avaient prévenu en sa faveur, le mettait en relations avec l’illustre Grotius, qui, fuyant son ingrate Hollande, représentait depuis 1636 auprès de Louis XIII la jeune reine de Suède.

Grotius, épris d’un projet de paix perpétuelle, correspondait avec Laud, primat anglican de Canterbury, en vue d’unir les églises épiscopaliennes du Nord et de la Grande-Bretagne, de rejeter le Pape dans l'alliance austro-espagnole, et d'entraîner ainsi la France dans le schisme.

Laud, dont la politique ecclésiastique fut toujours hésitante vis-à-vis de Rome, accueillait assez froidement les ouvertures de Grotius, et ce dernier eùt probablement trouvé un auditeur plus docile dans la personne du jeune Milton, si celui-ci n'avait eu hâte de gagner l'Italie; de Nice, il s'embarque à Gênes pour Livourne et Pise; au mois d’août suivant, il est à Florence.

L'heure était mal choisie pour juger le Seicento ; la génération antérieure, héritière attardée de la Renaissance, venait de perdre ses plus brillantes figures, un Marino, un Tassoni, un Chiabrera; on était loin de la réaction relative qui vers la fin du siècle engendrera l’Académie des Arcades; l’art n’était pas beaucoup plus florissant que la littérature : des sculpteurs de talent, Borromini, l’Algarde, le cavalier Bernin; quelques bons peintres à Naples et à Rome, quelques musiciens virtuoses à Venise et à Naples; beaucoup d’archéologues, de dilettanti peuplant les trop nombreuses académies de la Péninsule; jusqu’en 1729, on en compte cinq cents, réparties entre cent trente-trois villes, dont soixante-dix pour la seule Bologne (depuis les Gelali, en 1588)!

Les sciences profitaient à cet échange d'idées et. d’observa- tions, qu'il suffise de rappeler les Lincei romains, fondés par le prince Federigo Cesi mais les compliments fades et les aigres satires que les Vadius et les Trissotins de l’époque

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multipliaient de chaque côté des Alpes gisent ensemble dans la poussière des bibliothèques, et le nom seul des hôtes illustres admis à ces festins surannés tire aujourd’hui de l'oubli quel- ques-uns des amphitryons. Mathurin Régnier, commensal des cardinaux de Joyeuse et d'Ossat, s’y déplaisait presque autant que l’Angevin du Bellay; le président Maynard, accompagnant, avec Scarron, M. de Noaiïlles en 1654, avait su se rendre agréable au pape Urbain VIII et à ses cardinaux; les lettres qu'il écrivit de Rome à Chapelain, à Conrart et à Balzac en font foi; Chapelain, en 1623, avait salué l’illustre auteur de l’Adone, Saint-Amant était venu à deux reprises (1633 et 1643); Descartes, au cours de son pèlerinage à Lorette, avait sans doute peu fréquenté les beaux esprits, mais quelques années plus tard, l’érudit Heinsius se félicitera de l’accueil des lettres florentines, et cela dans une lettre à Carlo Dati, le plus apprécié, le plus fidèle des amis de Milton.

La famille Dati apparaît dès le xv° siècle dans l’histoire avec un général des Frères Prêcheurs: et trois écrivains : Goro, l’auteur d’un Traité de la Sphère longtemps répandu; Grégoire, l'historien des guerres contre Pise et les Visconti; leur neveu Léonard, poète latin, secrétaire pontifical, mort en 1472 évêque de Massa Marittima.

Carlo Dati, en 1619, allait devenir secrétaire de la Crusca (1640), plus tard président de l’Académie florentine (1649); helléniste, talent facile et fleuri, pour les anthologies et les panégyriques, il sera des premiers à saluer l’astre du Grand Roi, et publiera, vers la fin de sa carrière (1667, i! mourut en 1675), une histoire des Peintres.

Au moment de l’arrivée de Milton, il est déjà secrétaire d'un groupe plus modeste, celui des Apalisti, fondé après la peste de 1630, et qui a presque le caractère d'une Université.

Il y rencontre l'avocat Coltellini, de Bologne, qui présidera un jour l’Académie (1659) sous le nom prétentieux d'Ostilio Cantalgesio ; les réunions se tiennent via dell’ Oriuolo. Milton

1. Sur le premier, cf. le R. P. Mortier, Hist. des Maïtres généraux de l’Ordre des Frères Précheurs, t. III, Paris, 1906; sur Léonard, la monographie de M. Flamini (Florence, 1890), et sur Carlo, les Scritti Varj du P. Marchese, t. IT.

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se lie également avec Jacopo Gaddi, poète et Mécène, membre de l’Académie des Svogliali, qui siège place Madama; elle a pour censeur l’abbé Buonmattei (1581-1647) qui s’est signalé dès 1609 par une oraison funèbre du grand-duc Ferdinand, et qui, professeur à Pise jusqu’en 1638, s'est occupé de gram- maire italienne et d’études dantesques, alors assez négligées. Buonmattei, qui présidera bientôt les Apatisti (1640) et qui sera secrétaire de la Crusca avant Dati, figure au nombre des correspondants de Milton. ie

Nommons encore Antonio Malatesta « pronlissimo e vivacis- simo », auteur d'un ouvrage sur la Sphère honoré d’un sonnet de Galilée, et qui dédiera lui-même au jeune Anglais un de ses Équivoques (recueil trop libre, qui demeura manuscrit jusqu’au xvim° siècle). Et avec lui, l’abbé Chimentelli, pro- fesseur d'éloquence et de grec à Pise, Frescobaldi, le noble Antonio Francini, qui célèbre dans une ode italienne, l’hyperbole prend un air de prophétie, les talents et la patrie du signor Giov. Miltoni.

Il ne faut pas oublier que les témoignages immédiats nous manquent sur ce voyage de Milton, et que nous devons nous rapporter à ceux qu'il allègue, douze ans après, dans sa Defensio secunda (contre Saumaise, à propos de la polémique sur Charles I‘ et l’/conoclastes).

Ce fragment trop court d’autobiographie se ressent des nécessités de la cause, et l’on s'explique la complaisance un: peu vaniteuse avec laquelle l'avocat des régicides se reporte aux marques d'estime qu'il avait rassemblées dès 1645 en tête de ses Poemala.

Sans doute, il déclare modestement que ces éloges émanent surtout de l’amitié {non lam de se quàm supra se esse dicta), mais qui serait demeuré insensible aux périodes caressantes Carlo Dati «{anto homini servus, tantæ virtulis amator», chantait l’érudition, l’éloquence de ce nouvel Ulysse, de ce polyglotte émérite, de ce philosophe qui savait déchiffrer les grandeurs divines à travers la Nature, et prêter l'oreille aux harmonies des sphères célestes?

Les doctes Florentins étaient sous le charme des pièces

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MILTON EN ITALIE 307

latines qui dataient des années universitaires de Cambridge, par exemple des morceaux de bravoure intitulés: Naluram non pali seniun, de Ideà Plalonicà quemadmodum Aristoteles intel- leæit, car il est peu probable que Milton leur ait lu ses élégies sur quelques obscurs dignitaires anglicans, moins encore sa violente invective contre les papistes inventeurs du Complot des Poudres (/n Prodilionem Bombardicam).

Ce qui est certain, c’est qu’à la séance du 16 septembre on l'entendit réciter « des hexamètres très érudits », et en 1762, un chercheur, Thomas Hollis, découvrit à la Laurenziana de Florence six sonnets de lui à Chimentelli et à d’autres lettrés, on parle aussi d’un petit buste en marbre de Milton, qui aurait été envoyé en Angleterre dans un étui de bois précieux, et dont la trace serait perdue:.

Est-il exact que ce protestant ait recueilli les plaintes discrètes de ses nouveaux amis au sujet des rigueurs de l’Inquisition ? Ce que la postérité retient surtout, c’est la visite de Milton à Galilée, le vieillard aveugle, dans sa villa d’Arcetri, sur les hauteurs enchanteresses de San Miniato. L'imagination s'exerce volontiers sur le dialogue qu'on aime à supposer entre ces deux gloires?, mais il n’en reste d'autre trace positive que la comparaison de la lune avec le bouclier de Satan (Paradis Perdu, ch. I, vers 284 et suiv.):

.. the broad circumference

Hung on his shoulders like the moon, whose orb Through optic-glass, the Tuscan artist views

At evening from the top of Fesolé,

Or in Valdarno, to descry new lands, Rivers or mountains, in her spotty globe.

Il est même à noter que Milton, au VIIT: chant de son épopée, se borne à faire insinuer le nouveau système du monde par l’archange Raphaël, en réponses aux timides objections d'Adam, et qu'il encadre sa propre cosmogonie dans les lignes ptolémaïques.

1. On trouvera le tableau des conversazioni florentines du Seicento dans la Monaca di Monza de Rosini, cette suite médiocre d’un épisode inoubliable des Promessi Sposi.

2. Cf. le poème de l’abbé Zanella « Milton et Galilei», le groupe en marbre du sculpicur romain Aureli, et le tableau d’un peintre espagnol.

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308 BULLETIN ITALIEN

Rappelons aussi l’allusion légèrement ironique du ch. HI (vers 587-589) Satan débarque inaperçu dans le globe du soleil :

. a spot like which, perhaps, Astronomer in the sun’s lucent orb, Through his glazed optic tube, yet never saw.

C'est en allant de Florence à Sienne que Milton traversa la forêt de Vallombreuse, et qu'il vit les torrents des Apennins jonchés de ces feuilles mortes qui lui serviront à figurer la chute vertigineuse des anges rebelles :

Thick as autumnal leaves that strow the brooks

In Vallombrosa, where the Etrurian shades High over-arch’d imbower

Lamartine et Wordsworth y feront un pèlerinage en mémoire de lui. |

L'automne, cet automne romain paré de chaudes splendeurs, accueillit le poète dans la Ville Éternelle.

Peuplée alors d’une centaine de mille âmes, elle rornhl après les agitations du siècle précédent, sous le sceptre d'un Pontife ami des lettres ; les académies n’y manquaient pas: il y avait les Umorisli, les Ordinali, etc. Un recueil intitulé « Apes Urbanæ » (flatterie délicate à l'adresse des Barberini, qui portaient des abeilles dans leurs armes) énumère, aux enwi- rons de 1630, quatre cent cinquante écrivains, et une antho- logie de 1635 renferme les compositions de cinquante et un poètes vivants ! |

Le cardinal Francesco Barberini, neveu d'Urbain VIH, portait le titre purement honorifique de protecteur du royaume d'Angleterre, et Milton lui fut présenté par le bibliothécaire de la Vaticane, Lucas Holstenius, un Danois converti qui avait passé trois ans à Oxford. On dit que le prince de l’Église aurait poussé la courtoisie jusqu’à s’avancer au devant du jeune insulaire et à l’introduire lui-même auprès de ses hôtes; c’est à une réception chez le cardinal que Milton entendit chanter la célèbre Léonora Baroni, originaire de Mantoue, qui impro- visait accompägnée sur le théorbe par sa mère Adriana, et sur

MILTON EN ITALIE 309

la harpe par sa sœur Catarina; un contemporain, Nicius Erythreus, mentionne une collection d’applausus, en grec, en latin, en français, en italien, en espagnol, qui attestent la vogue prodigieuse de cette Corinne du Seicento. Notre grave Anglais joignit sa voix au concert, et ne déposa pas moins de trois épigrammes aux pieds de Léonora : il la met au-dessus des naïades et des sirènes, au-dessus de la princesse de Ferrare qui fit le malheur du pauvre Torquato, et franchissant toutes les limites de l’hyperbole, le puritain se fait presque idolâtre, ou panthéiste :

Quod si cuncta quidem Deus est, per cunctaque fusus, In te unà loquitur, cœtera mutus habet.

Les Romains ne se laissent pas vaincre en compliments: Selvaggi égale du premier coup Milton à Homère et à Virgile; Salsilli (qui appartenait à l'académie des Fantastici) lui décerne sans barguigner la triple couronne de poésie grecque, latine, _ toscane : désormais la Tamise l'emporte sur le Mélès, le Mincio

et le Sebeto (allusion au Tasse); Milton s'acquittera, pendant une maladie de Salsilli, en lui dédiant une pièce en vers scazons qui foisonne d'expressions mythologiques.

Le 50 octobre, il dine au Collège anglais avec plusieurs

compatriotes, parmi lesquels un frère de lord Falkland, le jeune Cary, ét le fils d’un ministre de Bristol, Gawen, étudiant d'Oxford, qui se fera plus tard catholique; il y rencontre encore un jeune philosophe platonicien, destiné à une mort précoce, et dont l’érudition l’enchante.

Cependant ce milieu ecclésiastique met à la gêne son purita- nisme incapable de contrainte, et, dès le mois de décembre, le voilà en route pour Naples avec un ermite, compagnie dont on aurait peu attendre, écrit dédaigneusement Johnson.

C’est cet humble personnage qui le présente à Manso, marquis de Villa, seigneur de Bisaccio et de’ Penca, qui tenait après le vice-roi la première place dans la capitale de l’ancien Regno.

Ce vieillard (il était en 1561) eut le singulier honneur de servir de trait d'union entre trois générations littéraires. Jeune

310 BULLETIN ITALIEN

gentilhomme, il avait offert une noble hospitalité au malheu- reux Tasse (en 1588 et 1594); celui-ci lui avait payé sa dette en inscrivant le nom de Manso parmi les chevaliers de la croisade: et en lui dédiant le dialogue dell’ Amicizia ; c’est pour la pieuse mère du marquis qu’il avait entrepris le poème (inachevé) des Selle Giornale; à ses derniers moments, il avait prononcé le nom de cet ami fidèle, lui avait légué un de ses portraits, et la première épitaphe du grand poète S. Onofrio) fut rédigée par Manso. |

La biographie de Torquato, publiée à Naples en 1619, puis deux fois éditée à Venise, et encore à Rome, en 1634, élait attribuée au marquis de Villa, qui ne la reniait point.

Marino, ce génie trop facile et corrupteur du goût, l'avait eu pour Mécène, et lui devait aussi un monument funéraire. Écrivain à ses heures, maniant tour à tour l'épée et la plume comme les Espagnols de la Renaissance, Manso avait composé plusieurs recueils : le Paradiso d’Amore (Milan, 1608), l’£rocallia (Venise, 1618; Milan, 1628), les Nomiche (Venise, 1635), sonnets et canzoni « amoureuses, sacrées, morales », il avait inséré six sonnets inédits du Tasse, et trois de Marino. Sa villa, ennoblie par le séjour de Torquato, accueillait une académie, dite degli Oliosi; il avait doté un collège les jeunes gentils- hommes s’exerçaient aux armes et aux lettres. On nous rapporte des traits édifiants de sa religion et de ses pratiques de pénitence.

Milton eût difficilement trouvé guide plus vénérable et plus aimable à la fois; on se plaît à les voir ensemble sur les bords du golfe, fréquenter par exemple les ateliers des peintres (Domenichino et Salvator Rosa étaient alors à Naples), monter à la Chartreuse, ou déposer une branche de laurier sur la tombe de Virgile. ,

Le vieillard avertissait doucement son hôte de veiller sur sa langue, d'éviter les controverses politiques ou religieuses qui pouvaient le rendre suspect, et c’est avec une délicatesse

1. Fra cavalier magnanimi e cortesi Risplende il Manso.….

(Gerusalemme Conquistata, ch. XX.)

MILTON EN ITALIE 311

paternelle qu'il enfermait en un distique inspiré de saint Grégoire cette invitation discrète:

Ut mens, forma, decor, facies, mos, si pietas sic, Non Anglus, verum herclè Angelus ipse fores.

Milton adressa de son côté au marquis une pièce latine assez longue il évoque ses bons offices vis-à-vis du Tasse et de Marino. A travers le fatras mythologique, et l’'emphase d’une admiration qui avait au moins la sincérité de la reconnais- sance, on relève avec intérêt les allusions à la littérature anglaise, aux druides, aux projets variés qui s’agitaient déjà dans cette tête puissante.

Arthur et la Table-Ronde, la matière de Bretagne toujours si chère à l'imagination celtique, tel était alors le thème de l'épopée qui devait concentrer les feux épars d’un génie incer- tain sur sa voie:

.…. Indigenas evocabo, in carmine reges, Arturumque etiam sub terris bella moventem ; Aut dicam invictæ sociali fædere mensæ

Magnanimos heroas, et (o modo spiritus adsit) Frangam saxonicas Britonum sub Marte phalanges.

C’est, deux siècles à l’avance, le programme des Idylles héroïques du Lauréat de l’ère victorienne. Que serait-il advenu de cette collaboration invoquée du goût latin avec la fougue indisciplinée du Nord?

Il suffit à la gloire de Manso d’en avoir suggéré le désir à son hôte; deux coupes richement ornées, que Milton décrira dans l’Epitaphium Damonis:, furent le présent symbolique du vieillard au jeune homme; les saisons, le Phénix et l'Amour en faisaient la parure; Tityre, qui semble être Chaucer, imita- teur de Pétrarque (dans les vers à Manso), et les nymphes hyperboréennes jadis chantées par Callimaque, eussent agréé cet hommage de la belle Parthénope.

Notre voyageur avait formé le dessein de visiter la Sicile et la Grèce ; lui qui se comparait, dans une lettre datée d'Horton,

1. Cette élégie, imitée de celle de Moschus sur la mort de Bion, est consacrée à Charles Diodati, ami d’enfance de Milton, qui apprit son trépas en revenant d'Italie.

1 Ÿ 2 NERO BULLETIN ITALIEN

à Cérès cherchant sa fille Proserpine, Proserpine étant pour lui l’Idée platonicienne hanc 05 nxkcd ‘Idéay»), on se le figure volontiers sur les traces de Théocrite et d'Eschyle parmi les champs d’Enna, gravissant les pentes de l'Hymette ou du mont Hyblée. PCI sue

Mais le rêve antique allait avoir un brusque réveil: Milton était parti au lendemain du procès d’Hampden; les sourdes rumeurs de la guerre civile rejoignirent en Italie le futur secrétaire de Cromwell; citoyen avant d’être artiste, il ne crut pas, écrira-t-il dans sa Defensio, pouvoir demeurer davantage éloigné de sa patrie.

Un marchand l'aurait également prévenu que ses libres propos contre le papisme avaient soulevé: la défiance des jésuites ; il ne paraît pas s’en être effrayé beaucoup, puisque nous le retrouvons à Rome en janvier et février 1639.

Il s'arrête complaisamment à Florence, il récite, le 17 mars, «de nobles vers latins», devant l’Académie des Svogliati ; il y reparaît le 24, en compagnie de lettrés italiens ; son compatriote, le jeune Windebank, est présenté au grand- duc, qui lui demande si les Écossais rebelles pourront résister aux armes du roi Charles; le 30 mars, Milton écrit à Lucas Holstenius, en vue d'obtenir un manuscrit, et il le charge de ses compliments pour le cardinal Barbérini « émule des plus illustres Mécènes, les d’Este, les Farnèses, les Médicis ».

Enfin, il quitte la Ville des Fleurs, fait un pèlerinage à Lucques, en souvenir de son ami Diodati, qui était originaire de ce pays, et par Bologne et Ferrare il s’achemine vers Venise. |

C’est alors qu’il compose trois sonnets italiens, dans le goût de Pétrarque, en l'honneur d’une « Donna leggiadra », rencon- trée sur les bords du Reno; il écrit également une canzone qu'un critique du siècle dernier, Eugenio Camerini', n'hésite pas à qualifier de « vaghissima », malgré certaines incorrections bien excusables chez un étranger.

1. Profili Letterari (Florence, Barbéra, 1860). On y trouve des indications utiles sur les traducteurs italiens de Milton.

Cf. l’article de Mademoiselle Teresa Guazzaroni dans le Giornale Arcadico (nou- velle série, 1902).

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MILTON EN ITALIE 313

Au mois d'avril 1639, Milton est à Venise, d'où il expédie en Angleterre un chargement de livres; d’après son neveu Philipps, il y avait aussi des morceaux de musique, destinés peut-être à son ami Lawes, qu’il compare, dans un sonnet de 1645, au Casella de Dante.

Il traverse Vérone et Milan, et par la route du Grand Saint- Bernard, arrive à Genève, il retrouve la trace de sir Henry Wotton et de plusieurs Anglais de marque, lesquels séjournaient

. volontiers dans cette métropole du calvinisme.

Leurs autographes, figurent les noms de Strafford, de Cumberland, d’Evelyn, étaient réunis dans l'album d’un collectionneur italien, Camillo Cardoino, de Naples, album qu'un Américain, Summer, acheta vers 1850, à Londres; Milton y avait transcrit, à la date du 10 juin, les deux derniers vers de Comus :

If Vertue féible were, He aven itself would stoope to her.

avec une ligne de latin :

Cœlum non animum muto dum trans mare curro. C'était à l'avance le témoignage qu'il se rendra plus tard,

d'un ton légèrement pharisaïque, au sujet de la conduite irréprochable qu'il avait tenue outre-monts malgré le laisser-

aller des mœurs et l’indulgence de l'opinion italienne: «car si

je pouvais échapper aux regards des hommes, je me savais

toujours en la présence de Dieu. » Les réfugiés de Lucques, les

Turretini, les Calandrini, les Diodati, occupaient une place importante parmi les théologiens genevois; Jean Diodati, le champion de la stricte orthodoxie calviniste au fameux synode de Dordrecht (contre les Arminiens, 1618), attirait de fort loin les visiteurs et les élèves en sa villa située sur les bords du lac. Milton nous dit qu'il fréquentait journellement le docte professeur.

1. À Cologny; elle servit de résidence à lord Byron, en 1816. Cf. l’auteur anonyme des Dernières années de lord Byron (Paris, Calmann-Lévy, 1873.

On trouvera le portrait de Diodati dans l’ouvrage de M. Francis Gribble, Lake Geneva and its literary landmarks, Londres, Constable, 1901, p. 141.

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314 BULLETIN 1TALIEN

Il ne s’arrêta guère à Paris, lord Scudamore avait cédé la place à son collègue, l’ambassadeur Leicester.

Au mois d'août 1639, il était de retour à Londres, qu'il ne devait plus guère quitter.

Les années qui suivirent comptent parmi les plus orageuses de la vie du poète; malheureux en ménage, bientôt entraîné dans le tourbillon des polémiques irritantes sur le divorce, le presbytérianisme, l’exécution de Charles [°, il se tournera vers l'Italie avec un sentiment que comprennent toutes les âmes exilées de cette terre d'élection.

En 1646, Carlo Dati reçut l’Epitaphiun Damonis, et en réponse à ses félicitations, une épître latine (datée du 21 avril 1647) précieuse pour l’autobiographie de Milton.

Il se plaint du hasard et de la loi qui l’enchaînent à une épouse incongéniale; il s'excuse des tirades anti-papistes qui émaillent ses pamphlets et qui peuvent choquer la religion de son ami; il allègue des passages analogues de Dante et de Pétrarque: ; puis il complimente Dati sur une oraison funèbre de Louis XIII, qui révèle chez ce serviteur de Mercure (Dati s’adonnait au négoce) un adepte des Muses ; il salue les habi- tués du salon de Jacopo Gaddi, et promet d'écrire encore.

Dati Ini adresse, le 1°’ novembre, une lettre italienne il vante un obscur littérateur nommé Rovai, dont il a prononcé l'éloge funèbre, et qu'il a déjà signalé à Heinsius et à Vossius; il suggère des rapprochements entre Horace, Pétrarque et Chiabrera ; avec une finesse toute florentine, il cite à propos de métrique un vers de Tibulle se devine aisément une allusion aux infortunes conjugales de Milton.

Le 4 décembre 1648, il remercie de l'envoi des Poemala, en met l’auteur à côté de Théocrite; il est devenu professeur d'humanités à l’Université, après la mort de Doni; c’est la chaire que les Politiens, les Vettori, les Adriani ont illustrée; il prépare l’oraison funèbre d’un oncle du Grand-Duc, Lorenzo

1. Milton avait traduit quelques extraits de la Commedia et de l’Arioste contre la Donation de Constantin; le voyage d’Astolphe dans la lune a aussi inspiré cette étrange description du Fools Paradise qui fait hors-d’œuvre au ch. HI du Paradis Perdu, et qui renferme des attaques violentes contre le catholicisme (fragment sup- primé dans quelques versions italiennes.)

UPDATE

iiLTON EN ITALIÉ 315

de’ Medici; Chimentelli enseigne le grec à Pise; tous les académiciens se rappellent au souvenir du signor Miltoni.

À en croire Salvini, Dati, qui mourut après Milton (en 1675), avait le dessein de publier les lettres de ses plus célèbres correspondants ; on y aurait peut-être vu figurer cet Alexander Morus, émule de Saumaise, et qui partage avec lui quelques- unes des plus virulentes épigrammes de l’/conoclasles, car ce chevalier errant de la polémique, après avoir vécu à Genève au moment même du passage de Milton, s'étant trouvé malade à Florence, avait reçu les soins de Carlo Dati, et lui avait dédié une pièce qui porte ce titre de circonstance : Ægri somnium, « la douce musique, écrit le poète reconnaissant, calme la fièvre et s’insinue jusque dans les moëlles. »

C'est sur cette harmonie imprévue qu’il nous plaît de conclure; sans doute, il y aurait lieu de rechercher ce que le génie miltonien doit directement à l'Italie, et ce que l'Italie a fait plus tard pour acclimater chez elle ce robuste génie, mais un travail d'aussi longue haleine exigerait tout un livrer.

J. MARTIN,

Prêtre de Saint-Sulpice.

1. Ces lettres sont analysées en détail dans l'ouvrage classique de M. David Masson, Life of Milton, en six volumes, auquel nous avons emprunté la substance de cet article. :

Voir t. III, p. 650, 680, 688. Le récit du voyage est au volume.

LIBRI-CARUCCI

ET LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS D'APRÈS DES DOCUMENTS INÉDITS

(Suite'.)

PIÈCES INÉDITES

Les documents qui vont suivre proviennent du manuscrit 1255 à Carpentras, dont M. Divol nous a écrit ce qui suit: « Le manuscrit 1255, composé exclusivement de pièces détachées, est divisé en deux parties. La seconde partie, celle qui vous intéresse, comprend 54 piè- ces accompagnées de fragments de toute nature et de toute dimension. On a écrit parfois sur des bandes, sur des lettres de faire part. Certaines pièces, plus ou moins importantes, sont reproduites une ou plusieurs fois. Tous ces papiers sont distribués entre quatre chemises, enfermées elles-mêmes dans une grande chemise commune. Ces quatre chemises sont placées arbitrairement les unes à la suite des autres. Le désordre est encore plus frappant, quand on fouille dans chacune d'elles. Pas un seul numéro, pas la moindre tentative de classement logique ou chronologique. » C'est pour mettre quelque arrangement et un peu de clarté dans ce chaos qu'a été tenté le rapide inventaire ci-dessous, sera respecté l’ordre des chemises, et, plus encore, leur contenu.

«. Cette première chemise est la moins intéressante. À part les deux pièces dont il sera question plus loin, elle est constituée par une série de lettres administratives ou judiciaires écrites de 1847 à 1854, à Car- pentras ou à Paris, et qui toutes ont trait à l'affaire Libri, mais n'apportent aucun fait nouveau, aucun renseignement un peu curieux. Beaucoup de ces lettres sont du consciencieux Lambert, qui y réclame le plus souvent la restitution de feuillets des manuscrits de Peiresc arrachés par Thémis aux griffes du célèbre bibliopole. A la fin, ce bibliothécaire modèle pourra se féliciter d'en avoir obtenu 292 sur 350,

1. Voir le Bull. ital., t. X, pp. 249-264.

PENETET. +.

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PR CT NS Ve DER, #7

LIBRI-CARUCCI ET LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS 317

dont la disparition lui avait été signalée, sans que ce chiffre fût autre qu'approximatif. Ajoutons-y une copie de l'acte d'accusation de Libri, ainsi que de l'arrêt rendu contre lui par la Cour d’Assises de la Seine, une note tirée du Manuel de Brunet sur le Théocrite des Aldes et d’autres notes émanant du Catalogue des manuscrits des fonds Libri et Barrois par L. Delisle.

9. La deuxième chemise ne renferme que quatre lettres sans intérêt, datées de 1850 et dont deux proviennent de Lambert, qui y réclame inutilement copie de l’acte d'accusation et restitution des manuscrits et livres dérobés à Carpentras, les deux autres, écrites par un greffier du parquet de la Seine, opposant des fins de non: recevoir à ces missives, sous le prétexte que la Cour n'avait pas ordonné de restitution.

y. Trois pièces seulement constituent cette chemise : une lettre autographe de Libri au chanoiïne d’Olivier-Vitalis, alors (1834) biblio- thécaire et de caractère simplement mondain, et les deux documents que nous reproduisons ci-dessous.

à. Ici, fort heureusement, les informations inédites et rares abon- dent, écrites ou réunies par Lambert, qui les a léguées en partie à cette bibliothèque, que, selon une tradition encore vivante à Carpen- tras, il dirigeait avec une énergie voisine de la rudesse. Ce sont: Questions posées par M. le Juge d'instruction de Carpentras; »° Déposition écrite remise à M. le Juge d'instruction à Carpentras:; Une lettre d'Eysséric; 4°-5° Deux lettres du bibliothécaire Vitalis ; Extrait de l'Inventaire de 1842-47 : manuscrits qui n'ont pas été retrouvés 2.

Dans la transcription qui va suivre, nous considérons la Déposition écrite de Lambert, exposé clair et précis de l’histoire de la Biblio- thèque de Carpentras de 1840 à 1847 au point de vue des larcins de Libri, comme le pivot de notre contribution, autour duquel gravitent les autres pièces comme autant de compléments et d'éclaircissements indispensables, y compris, même, les écrits, si postérieurs, de Barrès et de Tamizey de Larroque. Notre intention n'ayant jamais été de pro- duire une œuvre agréable, mais, au contraire, d'éclaircir documentai- rement un des côtés restés obscurs de cette prodigieuse affaire Libri, l'on nous pardonnera, nous osons l’espérer, d’avoir volontairement

1. Lambert attachait sans doute une importance extrème à ce document, car il en a fait une quadruple expédition, dont deux complètes et très soignées, et, des deux

autres, l’une inachevée, l’autre sabrée de ratures verticales, bien qu'aucune n'offre de différences de rédaction.

2. Cet extrait, accompagné d’une note complémentaire, est en double expédition. Il est reproduit plus bas, $ V.

Bull. ital. 21

SR PE RE LE AT ES AS pue D AN APS TOUS Ar ANNE EN

318 BULLÉTIN ITALIEN

sacrifié ici l'attrait de la forme aux exigences austères de la plus pragmatique méthode historique.

QUESTIONS POSÉES PAR M. LE JUGE D’INSTRUGTION DE CARPENTRAS.

Faits généraux. À quelle époque M. Lambert a-t-il été nommé bibliothécaire? Antérieurement à cette époque ne remplissait-il pas déjà ces fonctions, en remplacement de M. l’abbé Laurans, qui n'était bibliothécaire que de nom? Dans quel état était la bibliothèque à cette époque ? Existait-il un catalogue exact et détaillé des imprimés et des manuscrits? Ce Catalogue contenait-il des énonciations suffisantes et qui permissent de constater la disparition des ouvrages?

Dans le courant de 18/47, une commission ne fut-elle pas nommée par le Conseil municipal à l'effet de dresser l’inventaire des imprimés, manuscrits, médailles, etc. de la bibliothèque? Quel fut le résultat de ce travail?

Un récolement complet des imprimés et des manuscrits ne fut-il pas dressé, vers la même époque, par M. Lambert? Ne trouva-t-il pas 9,000 volumes qui ne figuraient dans aucun catalogue? Ne fut-il pas également constaté par M. Lambert qu’un grand nombre de manuscrits avaient disparu? Pourrait-il en former un état? Il serait bon d'indiquer l’époque ce travail a été terminé. Des soins rigoureux ont-ils été pris depuis lors par M. Lambert pour rendre tout enlèvement, toute soustraction impossibles ? M. Lambert ne peut-il pas affirmer qu'aucun détournement n’a eu lieu sous son administration?

Au mois de décembre 1847, des renseignements ne furent-ils pas demandés à M. Lambert par M. de Larque, alors procureur du roi à Carpentras? De quelle nature étaient ces renseignements? Il est question dans le Rapport de M. Boucly du retard que M. Lambert aurait mis à répondre, par suite des ménagements qu’il désirait garder vis-à-vis de son prédécesseur, vieillard octogénaire. M. Lam- bert pourrait-il fournir quelques explications à cet égard et dire quelles furent les recherches auxquelles il se livra à cette époque?

Il résulte d’une lettre écrite par M. de Larque à son collègue de Paris, que M. Lambert aurait déclaré dans diverses conversations, que des soustractions auraient été commises à la bibliothèque antérieu- rement à sa nomination. Il aurait même fourni une note de divers manuscrits qui avaient disparu. Quelques explications seraient

LIBRI-CARUCCL ÊT LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS 319

également nécessaires sur ce point. Notamment sur les ouvrages ci-après.

Théocrite. M. Lambert est prié de dire tout ce qu’il sait relative- ment à cet ouvrage. À quel titre fut-il prêté à M. Libri? Ce dernier était-il autorisé à l'emporter à Paris? Est-il à sa connais- sance que M. Laurans ait consenti à l'échange dont parle M. Libri? N'est-ce pas au contraire sur les réclamations pressantes de M. Lau- rans que M. Libri se décida enfin à envoyer de Paris un autre Théo- crite en remplacement de celui qu’il avait emporté? Le nouvel ouvrage ne fut-il pas apporté par M. Morel? N'’existait-il pas entre les deux une grande différence de prix ?

Envoi de 33 volumes en échange de manuscrits. L'envoi de 33 volumes se rattache-t-il dans la pensée de M. Lambert à l'affaire de Théocrite, ou bien à celle de l'échange proposé par M. Libri relative- ment à certains manuscrits? Quel est le prix approximatif de ces 33 volumes? M. Lambert pourrait-il en donner la liste exacte? M. Lau- rans n'a-t-il pas parlé à M. Lambert de cet échange de manuscrits proposé par M. Libri? N’a-t-il pas été question des obsessions aux- quelles il était en butte de la part de plusieurs personnes ?

Il libro del Cortegiano. A-t-il existé dans la bibliothèque un volume portant ce titre? Était-il imprimé ou manuscrit? A-t-on des soupçons vis-à-vis de M. Libri?

Dante. Renseignements précis sur ce volume. A quelle époque a-t-il été volé, ou depuis quelle époque a-t-il disparu ? Déclaration faite par le concierge. Rapport de la Commission de surveillance. Débat qui s’éleva relativement à la rédaction du rapport sur ce point. Ce volume n'’était-il pas d’un grand prix ? Serait-il possible d’en avoir le signälement ?

Visites de M. Libri à la Bibliothèque. M. Libri n’a-t-il pas visité à diverses époques la bibliothèque? A quelle époque ont commencé les visites À quelle époque ont-elles cessé? M. Libri était-il autorisé par le maire? En quels termes avait-il la permission d’em- porter les livres chez lui? Exigeait-on des reçus chaque fois? Ne passait-il pas le plus souvent à la bibliothèque des journées entières et ne faisait-il pas apporter ses repas dans la salle même il travail- lait? Était-il seul ou accompagné? Une surveillance quelconque était-elle exercée autour de lui? M. Lambert n’a-t-il pas reçu quelques déclarations de l’ancien concierge sur divers points ? Des soustrac- tions auraient-elles pu être facilement commises par lui?

Il est essentiel que M. Lambert dise sur ces divers points non seule- ment ce qu'il sait personnellement, mais encore tout ce qu'il a entendu dire par les employés ou autres personnes de son entourage.

Carpentras, 20 juin 1849: 1, Copie garantie (Note de Lambert).

320 BULLETIN ITALIEN

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DÉPOSITION ÉCRITE REMISE A M. LE JUGE D’INSTRUCTION A CARPENTRAS.

Le mars 1840, je fus, sur la proposition de la Commission de surveillance, chargé de la confection du catalogue des livres de la bibliothèque de Carpentras. Je recevais de la ville, pour ce travail, un traitement égal à celui du bibliothécaire, mais je n'étais attaché par aucun titre à l’établissement. Il existait déjà un ancien catalogue des imprimés, rédigé par ordre alphabétique, passablement détaillé, mais offrant quelques erreurs fort graves et jugé insuffisant par la Commis- sion de surveillance. Je n’ai trouvé d’ailleurs ni catalogue ni registre il fût fait mention des livres doubles et des ouvrages, en assez grand nombre, qui, depuis plus de cinquante ans, sont entrés dans la bibliothèque. Je commençai par les imprimés ; les manuscrits n'étaient. pas encore à ma disposition et je croyais, d’ailleurs, qu'il en existait un Catalogue.

Au commencement d’août 1842, M. d’Olivier-Vitalis, bibliothécaire, s'étant démis de ses fonctions, une commission spéciale fut nommée par M. le Maire pour procéder à l'inventaire de la bibliothèque et du musée. .

Cette commission dont je faisais partie, commença le 8 du même mois le cours de ses opérations qui, suspendu après la deuxième séance par l’absence de plusieurs membres, fut repris le 21 novembre suivant, et terminé le 23 janvier 1843. Cet inventaire a été ensuite revisé et complété, sur ma demande, le 19 février 18437.

M: l'abbé Laurans, principal du collège, fut nommé bibliothécaire à la place de M. d'Olivier, et je lui fus adjoint en qualité de sous- bibliothécaire. M. d'Olivier continua de loger à la bibliothèque, et n’en sortit que le 8 février 1843. Le même jour j’occupai son logement; toutes les clefs me furent remises; et dès lors je suppléai cons- tamment M. Laurans jusqu’à sa mort, survenue le 18 janvier 1844.

Le même jour je fus nommé bibliothécaire.

Aussitôt après la sortie de M. d'Olivier je m’empressai de rédiger un catalogue des manuscrits dont il n'existait qu’une liste insuffi- sante, les 115 volumes de Peiresc et quelques autres n'étaient pas mentionnés. Il n’y a jamais eu aucun catalogue du musée. La commis- sion d'inventaire a joint à la suite de son travail une liste des manus- crits qui n'ont pas été retrouvés. Une copie de cette liste est jointe à

ma déposition 1.

1. Cf. ci-dessous, V.

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LIBRI-GARUCCI ET LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS 321

En décembre 1847, M. de Larque, alors procureur du roi à Carpen- tras, me demanda, sur l'invitation de M. Boucly, procureur de la Seine, la description des manuscrits qui manquaient à la bibliothèque. J'en donnai le titre et j'en indiquai le format d’après l’ancienne liste précitée. Je ne les avais jamais vus; il m'était impossible d’en faire la description ; les volumes tant imprimés que manuscrits de notre bibliothèque n’ont aucune marque ni estampille qui les fasse distin- guer et portent seulement sur le dos un numéro collé, qui souvent se détache de lui-même. Si M. Boucly écrivit jusqu’à trois fois à M. de Larque pour pouvoir obtenir des renseignements suffisants, il est bien évident aujourd'hui qu'il faut ‘en attribuer la cause au manque de catalogues et non aux ménagements qu'il a cru que je gardais envers mon prédécesseur.

Au nombre des manuscrits qui nous manquent, se trouve notam- ment le volume intitulé : 2! Cortegiano di Castiglione, in-folio. L'ancien catalogue des manuscrits ne le désigne pas autrement. Dans sa Réponse au Rapport de M. Boucly, M. Libri paraît croire qu'il s’agit d'un exemplaire de la première édition, 1528. Je ne sais s’il nous manque de plus un imprimé. Dans ce cas, il aurait été double; car nous avons encore un exemplaire de cette première édition intitulé : Il libro del Cortigiano del conte Baltazar Castiglione... In Venetia, Aldo, 1528, in f°. C'est, je le répète, le manuscrit qui nous manque : il devait avoir une grande valeur.

Il existait aussi dans le même cabinet un précieux manuscrit du Dante, in-8° sur vélin, qui aurait disparu de la bibliothèque dans l'intervalle de 1835 à 1841. J'ai oui dire qu'il était couvert de maro- quin rouge. L'ancien concierge, mort en 1848, a déclaré devant la Commission d'inventaire que ce livre avait été communiqué à M. Libri; mais il n'a pu donner aucun autre renseignement. Quant au Théocrite en grec imprimé chez Alde, 1495, in f°, je l'avais déjà porté sur mon catalogue lorsqu'il fut prêté à M. Libri; j'en pus donner par conséquent une description exacte et complète qui permettait d’en constater l'identité.

Le reçu de M. Libri est daté du 21 novembre 184r. Il a été remis entre mes mains par M. d'Olivier, ex-bibliothécaire, avec plusieurs autres papiers relatifs à l'administration de la bibliothèque. M. Libri s'engage à rendre le Théocrite après s’en être servi pour ses travaux. Il n'était point autorisé à l'emporter hors de la ville, Le livre fut réclamé par M. l'abbé Laurans et rapporté de Paris, en septembre 1843, par M. Léon Morel, alors secrétaire de la mairie. Je ne vis point M. Morel lorsqu'il rendit ce volume, et je n’ai jamais eu avec lui aucune relation à ce sujet. Le concierge de la bibliothèque et moi nous

1. Cf. ci-dessous, VI, la copie de la pièce III de la chemise y.

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329 BULLETIN ITALIEN

nous aperçûmes facilement que l’exemplaire avait été changé, et nous le fimes observer à M. Laurans; mais je ne pouvais sans titre faire moi-même les réclamations nécessaires. L’exemplaire de Carpentras était couvert de parchemin et n’avait pas été rogné, ce qui en augmente beaucoup la valeur; celui de M. Libri est rogné, relié en maroquin rouge, et porte une marque anglaise sur la garde avec le nom Graham.

Quant aux réclamations que M. Laurans me dit avoir faites pour obtenir la restitution de notre exemplaire de Théocrite, j'appris qu'elles avaient été sans résultat satisfaisant, et c’est tout ce que je puis en dire; ni les lettres de M. Laurans à ce sujet, ni la réponse de M. Libri ne m’ayant été communiquées.

M. Libri prétend, dans sa Réponse à M. Boucly, qu’il obtint le Théocrite de Carpentras par voie d'échange, et qu'il offrit en compen- sation un autre exemplaire de la même édition, plus un certain nombre de livres imprimés. Je n'ai point eu connaissance de cet échange ; M. Laurans ne m'en a jamais parlé; il n’en est point question, surtout, dans la lettre écrite par M. Libri, le 13 septembre 1845, et apportée par M. Morel avec le Théocriter. Dans cette lettre qui me fut remise par M. Laurans, le jour même qu'il la reçut, M. Libri dit simplement: J’ai remis à M. Morel un ouvrage qui m'avait été prêté depuis quelque temps. Rien de plus au sujet de ce livre; pas un seul mot sur le changement d’exemplaire.

J'appris alors, par la même lettre et de la bouche de M. Laurans, que M. Léon Morel était chargé de la part de M. Libri de proposer l'échange de plusieurs manuscrits de Carpentras contre quelques livres imprimés destinés à la bibliothèque de la ville ou à celle du collège.

Dans le courant de l’année 1843, M. Tassis, natif de Carpentras, correcteur de l’imprimerie de MM. Firmin Didot, fut choisi par M. Laurans pour correspondant de la bibliothèque; c’est-à-dire qu'il fut chargé de faire des achats de livres et de retirer des divers minis- tères les ouvrages accordés par le gouvernement.

Sur la fin de janvier 1844, deux ou trois jours après la mort de M. Laurans, je reçus de Paris, pour la bibliothèque, une caisse expédiée par M. Tassis. Cette caisse fut ouverte sous nos yeux par le concierge, et je notais les volumes à mesure qu'il les en tirait. Elle contenait plusieurs ouvrages donnés par le gouvernement, quelques livres achetés par la ville et trente-trois volumes in-12° et in-8° brochés, envoyés par M. Libri, je ne sais à quel titre. Je supposai même que c'était un don gratuit. La lettre d'envoi de M. Tassis ne contenait à ce sujet aucune explication. M. Libri, disait-il, m'a envoyé de la Sorbonne un petit ballot de livres destinés à la bibliothèque de Carpentras; ü contenait trente-trois volumes. J'annonçai à M. Tassis la mort de

1. Cf. ci-dessous, VI, la copie de la pièce Il de la chemise y.

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LIBRI-CARUCCI ET LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS 323

M. Laurans, qu’il ignorait encore, et je lui accusai réception de la caisse, notamment des trente-trois volumes dus à la munificence de M. Libri: c’est l'expression que j'employai. M. Tassis, dans sa réponse, ne me parla nullement des livres en question, et me déclara qu'il ne voulait plus être le correspondant de la bibliothèque.

Cependant la générosité de M. Libri n'étant de ma part qu’une pure supposition, je pensai tout naturellement que ces livres avaient été envoyés en échange des manuscrits qu'il avait demandés. Je ne les inscrivis point dans le catalogue, et les mis en réserve pour les lui rendre dans le cas il les réclamerait. J'attendais à ce sujet une explication de sa part, lorsqu'il me fit dire par le concierge qu'il en faisait don à la bibliothèque. Ces trente-trois volumes valent au plus quatre-vingts francs. En admettant qu'ils aient été donnés pour l'échange de Théocrite, ils sont bien loin de suffire à la compensation.

Je ne sais si l'échange des manuscrits aurait pu s’effectuer; mais je puis attester que depuis le 8 août 1842, jour fut commencé l'inventaire, aucun volume n'est sorti du cabinet des manuscrits.

Pendant l'été de 1847, la bibliothèque et le musée furent transportés dans le nouveau local qu’ils occupent aujourd’huir. Je fus chargé de surveiller ce transport, qui fut fait avec tant de soin et de célérité que nous n’avons pas eu à déplorer la perte d’un seul feuillet, d’une seule médaille, ni la dégradation du moindre objet. Tous les volumes, comptés au départ et à l’arrivée, ont été rangés par ordre sur les tablettes, à mesure qu'on les apportait.

Au mois de mars 1848, M. le Maire d'alors me fit appeler pour me communiquer le du Moniteur qui contenait le Rapport de M. Boucly. Quelque temps après je reçus pour la bibliothèque deux exemplaires de la Réponse de M. Libri à ce Rapport.

Depuis près d’un an je n’entendais plus parler de cette affaire, lorsque M. Lalanne, en qualité d'expert, est venu le mois dernier à la bibliothèque vérifier l’état des manuscrits de Peiresc, qu'il a feuilletés d'un bout à l’autre. Cette opération, qui a duré neuf jours entiers, du 26 mai au 4 juin suivant, s’est faite constamment sous mes yeux, et j'ai pu reconnaître qu'un assez grand nombre de pièces retrouvées dans le cabinet de M. Libri avaient été arrachées de ces manuscrits, je ne puis dire à quelle époque, mais avant le 8 août 18422.

1. Ce transfert, de l'hôtel de Grandis-Pomerol à l’ancien hôtel d’Allemand, eut lieu du 8 juin au 14 août 1847.

2. Sur quelques manuscrits de Peiresc et leurs curieuses transmigrations, nous publierons un article documentaire dans l’un des prochains numéros de ce Bulletin. Libri avait eu, à l’en croire (Hist. des Sc. Math. etc., citée plus bas, t. IV, p. 485), l'intention de donner dans l’ouyrage qui a fondé sa gloire en France «une notice des mss. de Peiresc, si riches en documents inédits de toute espèce, et qui sont dispersés actuel- lement à Carpentras, à Nimes, à Montpellier, à Paris, à Rome et ailleurs. » En fait, il les connaissait, hélas! trop bien et ne tarda pas, sans doute, à reconnaître que mieux valait encore les piller que les décrire, :

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324 BULLETIN ITALIEN

Je n'ai jamais eu aucun rapport avec M, Libri. J'ai entendu dire qu'en 1830, il vint résider à Carpentras, en qualité de réfugié politique. Il y est resté, je crois, deux ou trois ans. Je ne le connaissais que par sa réputation de savantr. Il fréquentait assidûment la bibliothèque, il passait des jours entiers, probablement sans être surveillé, Nommé professeur à la Faculté des sciences de Paris et au Collège de France, il est revenu en 1840 à Carpentras avec le titre d'Inspecteur général des bibliothèques. C'est la seule fois que j'ai eu l'honneur de le voir et de lui parler, Il parcourut quelques recueils de la correspondance de Peiresc, et comme il était fort pressé de partir, il me pria de lui copier les noms de plusieurs personnages à qui les lettres de Peiresc sont adressées. Ce que je fis au même instant.

J'ai su par diverses personnes de sa connaissance qu'il passait à Carpentras tous les ans, en allant à Florence ou à son retour. Il a visité deux ou trois fois la bibliothèque, de 1844 à 1847; mais il ne s'y. est arrêté que peu d'’instants et dans l'intervalle des séances. Il s’est présenté au concierge, qui l’a fait entrer dans la salle des imprimés ; mais j'ai toujours gardé la clef du cabinet des manuscrits, le concierge n'a pu l'y introduire.

LAMBERT,

Bibliothécaire de la Ville de Cerptatrél Carpentras, le 20 juin 1849.

1. Quand Libri se vit contraint, à la suite d’une affaire de conspiration que nous détaillerons ailleurs, de quitter, en 1830, l’Université de Pise, dont il occupait une chaire depuis 1823 il était à Florence le 2 janvier 1803 il jouissait déjà d'une exceptionnelle réputation de mathématicien. À r7 ans, licencié en droit et docteur ès sciences, le Mémoire qu’il avait publié sur la théorie des nombres et le théorème de Fermat, si fort loué par Gauss, lui avait, en union avec le prestige attaché à sa très ancienne origine florentine, gagné les esprits, et les travaux qui suivirent, non moins remarquables, sur la résolution générale des équations indéterminées du 1‘ degré à deux inconnues (1826), sur les fonctions discontinues, sur la théorie de la chaleur, etc., avaient assis, à un âge l’on prend ordinairement ses premiers grades universitaires, sa fortune de savant. On se convaincra de sa valeur en examinant, non seulement son mémoire : Sur la théorie des nombres (Florence, 1820, in-4°) et les 2 vol. in-4° de ses Mémoires de mathématiques et de physique parus à Pise en 1827-29, mais les nombreuses contributions de lui demeurées enfouies dans les Memorie de l’Ac. des Sciences de Turin, les Annales de Gergonne, le Journal de Crelle, les Annales de chimie et de physique et les Comptes Rendus de l’Ac. des Sciences de Paris. Son Histoire des Sciences mathém. en Italie, etc., publiée à Paris en 1838 et 1841 en 4 vol. in-8°, œuvre hors de pair tant du point de vue de l'érudition que de celui du style, expliquerait l'amitié passionnée d’un Arago, et des ouvrages comme les Souvenirs de la jeunesse de Napoléon (Paris, 1842, in-8°) et surtout la Lettre sur le clergé et la liberté de l'enseignement (Paris, 1844, in-8°), sans parler des Découvertes d'un bibliophile (Strasbourg, 1843, in-8°), ni des articles des Débats, celle d’un Guizot. I1 y a, dans la vie de Libri, une sorte de tragique poésie à laquelle ne seront insensibles que les philistins de science et qu’il serait à souhaiter que son futur historien sût dégager avec l’impartialité (qui n'exclut nullement l'émotion humaine) du véritable critique. 11 est cerlain, par exemple, que quand Libri écrivait la note contenue p, 10 du t. I de son Histoire des Sciences Mathématiques dont lest. Vet VI, annoncés en 1841 comme étant « sous presse », ne parurent jamais

LIBRI-CARUCCI ET LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS 329

III

LETTRE DE M. Eyssérict.

En 1847, la commission chargée de la vérification des médailles et des manuscrits de la Bibliothèque de Carpentras, interpella M. Vitalis, ex-bibliothécaire, et M. Boitelet, concierge, sur les pertes en médailles et manuscrits que nous avions constatées dans notre travail de vérification.

M. Vitalis déclara ne pouvoir fournir aucun renseignement.

Quant au concierge Boitelet, la commission ne put avoir de détails qu’au sujet du Dante. Ce précieux manuscrit avait été communiqué à M. Libri lors d’une visite qu’il fit à la bibliothèque en 1839 ou 4o. (Je ne me rappelle pas trop l’époque désignée par Boitelet.) Après le départ de M. Libri, quand le concierge voulut ranger les divers manus- crits que M. Libri avait examinés, le Dante avait disparu. « Je ne puis dire,» ajouta Boitelet, «que M. Libri ait réellement emporté le « Dante »; je ne puis que constater la coïncidence entre la disparition du manuscrit et le passage de M. Libri. »

En présence d’un soupçon aussi grave contre un homme aussi haut placé que M. Libri, toute autre preuve manquant d’ailleurs, la com- mission fut d'avis à l’unanimité de ne pas nommer M. Libri dans le procès-verbal, mais le fait révélé par Boitelet fut consigné, seulement on substitua au nom de M. Libri l'expression vague de «un savant étranger ».

Boitelet ajoutait que M. Libri n’était pas activement surveillé, à cause de la confiance qu’on avait en lui et surtout par suite du caractère officiel dont il était revêtu. La surveillance était, d’ailleurs, difficile, attendu que M. Libri travaillait toujours au milieu d’une montagne de livres et derrière le fauteuil de M. Vitalis, alors bibliothécaire.

sur les «coupables négligences » qui firent disparaître tant de «mss. précieux » dans «ces derniers temps » (le passage est daté de 1835), il était sincère, La difficulté consiste à bien dégager comment «en un plomb vil» se mua cet « or pur » et en vertu de quelle évolution l’amateur zélé devint un voleur retors.

1. Eysséric, ancien professeur au Collège de Carpentras, auteur d'ouvrages estimés de géographie et de mathématiques, bienfaiteur de la Bibliothèque, dont une salle porte son nom, ainsi, d’ailleurs, qu’une rue de Carpentras dut écrire cette lettre à Lambert, qui, en tout cas, l’a léguée à la Bibliothèque. Nous avertissons une fois pour toutes que qui désirerait avoir des renseignements sur les personnages dont il est question dans ces pièces, les trouvera dans l’Introduction de M. Labande. Sur Dom Malachie d’Inguimbert, p. x1v seq.; sur Peiresc, p. xxiv seq.; sur l’abbé de Saint-Véran qui resta bibliothécaire jusqu’à sa mort (1812), p. xxxiv seq.; sur Barjavel, p. xzrn1, sur Eysséric, p. xLiv. Il n’y a malheureusement rien qui vaille sur Olivier- Vilalis, dont il importait cependant de fixer le caractère. M. Labande, aujourd’hui

archiviste du Prince de Monaco depuis 1905, si nous avons bonne souvenance et confectionnant,; aux frais de S. A. S., des bouquins in-4° sur diverses seigneuries, doit avoir oublié ces vétilles depuis longtemps,

3926 BULLETIN ITALIEN

Œuvres de Théocrile. Je n'ai jamais entendu dire à l’abbé Lau- rans qu'il eût accepté l'échange du Théocrile; je me rappelle positi- vement le contraire. M. Laurans s’est plaint plusieurs fois devant moi de ce que M. Libri avait gardé notre édition et nous avait envoyé une édition rognée, d’une valeur très inférieure. Si l'abbé Laurans a fini par accepter les propositions de M. Libri, c'était pour ne pas l’indis- poser contre nous. M. Libri avait, en effet, rendu des services à la bibliothèque et sa haute position lui permettait assurément d'en rendre de nouveaux. J'ai entendu dire que M. Libri avait souvent sollicité et obtenu du ministre de l’Instruction publique des envois de livres pour la bibliothèque ou pour le collège.

Exsséric,

Professeur de mathématiques. Carpentras, 27 juillet 1840.

Je dois ajouter que M. Olivier-Vitalis, alors bibliothécaire, passait pour avoir avec M. Libri des relations intimes et il n’était guère homme à surveiller ce dernier d’une manière sérieuse. C’est un fait de notoriété publique à Carpentras.

IV SUR LE CHANOINE HyaciNrHE D'Orivier- Virauis.

«J'ai peine à comprendre, nous écrivait M. Divol, que cet huma- niste assez distingué de la fin du xvru° siècle et la première moitié du x1x° soit devenu en peu d'années le déplorable auteur des deux lettres, vraiment extraordinaires, à Libri conservées dans notre Bibliothèque. Par les variations et les fantaisies du français et de l'orthographe et même par la forme des caractères, elles rappellent le xvi° siècle. Est-ce la décrépitude sénile, accélérée par le malheur, qui a engendré ce phénomène d’archaïsme rétrospectif? Ce n’est point moi qui tenterais d’élucider ce problème psychologique. » L'auteur de la «dissertation et examen critique des diverses opinions des écrivains » sur L'illustre châlelaine des environs de Vaucluse, la Laure de Pétrarque (Paris; 1842, in-8° avec portrait) avait trouvé, pour célébrer le monument élevé par l’Athénée de Vaucluse à la mémoire de Pétrarque, des accents qui témoignent, sinon de sa verve poétique, du culte qu'il professait pour le chantre de l’amour chevaleresque. Le manuscrit 1243 de la Bibliothèque de Carpentras, intitulé : Mélanges historiques, contient, en effet, ces « inscriptions» proposées par Vitalis :

Hie Lauram cecinit procul heu! Petrarcha sepultus ! Vivos laesit amor nec amor post funera junæit.

LIBRI-CARUCCI ET LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS 327

Aux mûânes de Pétrarque, à son ombre fidèle,

À Laure que ses vers rendirent immortelle.

Qui que tu. sois, rival de ce chantre sacré, Puisses-lu, comme lui par ta Laure inspiré, Égaler son génie, égaler sa tendresse

Et ceindre d’un laurier le front de ta maîtresse!

Quae Venus afflavit vali, dilecta Camænis Carmina casta pudor, non virtus ipsa recusat : Nostri si legeris vestigia sacra Poelae,

Æmulus, 6 utinam plectrum nova Laura ministret!

Mais il semble indiscutable que, dans ses rapports avec Libri, Olivier-Vitalis ait fait preuve d’une coupable condescendance à sacri- fier au prestige du personnage puissant la rigueur du devoir profes- sionnel et ce point important nous apparaît fixé documentairement par les pièces suivantes, dont nous avons dit plus haut qu'elles faisaient partie de la chemise + du manuscrit 1255. La première note, écrite à la hâte par Lambert sur un imprimé de la Justice de Paix froissé et un peu sale, a la teneur qu'on va lire :

« Par arrêté ministériel du 30 avril 1839, le comité d’ inspection de la bibliothèque de Carpentras a été composé de :

» MM. Athenasy, ancien président; Bavoux J., Laboissière G., Allegier Th., Anris, Barjavel D. m., Verney, prof., Barcilon, not., Pascal, secrétaire délégué par le Comité (sic).

» Le 30 juillet 1842, le Comité tint sa dernière séance, dans laquelle il dénonça deux lettres de M. le bibliothécaire Olivier, ce qui fut cause qu'on ne le convoqua plus. C'est à la suite de ce fait grave qu'une nouvelle commission fut désignée pour Laver (sic) M. le bibliothécaire et le travail de cette dernière révéla les faits relatifs à

M. Libri. » En fait, Vitalis s'était vu contraint de démissionner en août 1842 et la lettre suivante extraite en très grande partie, date de deux

années après sa mise à pied. Elle n’en est pas moins caractéristique, comme le remarquait, on l’a vu, M. Divol.-« M. le Comte Libri à Paris. De Carpentras le 20 avril 1844.— Depuis que mes 80 ans se sont écoulés dans les tourmentes révolutionnaires ou dans des vicissitudes d’existence bien précaires, que je m'apperçais tous les jours, que ma mémoire, mes facultés intellectuelles faiblissent. Je m'aplaudis d’avoir battu en retraite, d’avoir eu le courage de le manifester en donnant ma démission de l'emploi honnorable que j'occupais qui m’avait valu des relations si satisfaisantes et fort de ma conscience d’avoir bravé l'induction que des ennemis jaloux de ce poste à envier pouvaient la faire sous cet aspect considérer comme un aveu tacite de la réalité des inculpations dont ils flétrissaient sourde- ment et chacun dans des vues personnelles, ma mémoire.

328 BULLETIN ITALIEN

» Je me suis aplaudi que déjouant toutes les intrigues, on ait jetté les yeux sur ce pauvre abbé Laurent (sic) qui à peine installé et se conduisant à mon égard d’une manière affectueuse et pleine d’atten- tion n'ai pu résister à une violente maladie à laquelle en trois jours il a succombé, mais laissant ses affaires si dérangées qu’elles ont donné à ses héritiers bien de la tablature. Un nouveau choix pour lui succé- der a été fait dans un membre en retraite de l’Université ayant su aussi les braver, M. Lambert qui a bien du mérite qu'avait reconnu l'abbé Laurent en l’'employant dans son absence à faire le relevé et un nouveau catalogue de la Bibliothèque, Voilà touz mes prétendans aux abois et je ne les plains pas; si ma Châtelaine Laure s'était vendue comme je m'en flattois, si M. de Villemain auquel moi petit vieux bibliothécaire de province avorton d'instruction publique espérant que sous vos auspices malgré les nombreux errata de mon imprimeur de m'en prendre un certain nombre d'exemplaires pour les biblio- thèques de province ou pour les prix des collèges avoit eu lieu (sic) et m'avoit dédomagé en partie de la demande que j'avais faite au ministre de l'intérieur d’une pension d'homme de lettre pour les quelques pauvres ouvrages que j'avais donné au public gratuitement et dont l'impression avait contribué à me ruiner, n’avoit été transmis. au Ministère de l'instruction publique auprès duquel (sic), qui s’est fait une loy de ne pas en donner, mais seulement quelques gratifications. Je pourrois aller et à force d'économie et de privations ne pas imiter ni l’abbé Laurent ni un autre de mes anciens compatriotes avec lequel j'étais en grande relation d'amitié.

» je trouve qu’il y a bien longtemps que je n’ai point de vos nouvelles et je me dis il faut en provoquer fussai-je indiscret dans ses occupations si multipliées et puis M' Martin me dit vous n'avez pas reçu des nouvelles de M. le Comte, et la sœur de ce bon Boitelet qui m'est toujours si dévouée etc. M. Libri ne viendra-t-il plus revoir son Carpentras? Que leur répondre? Je cherche en vain quelque indice dans le journal des Scavans dans la Revue des Deux-Monde qu'on me fait passer rien ne s’y présente... »

La seconde lettre du misérable bibliothécaire est plus caractéristique encore et nous la reproduisons in extenso : « M. le Comte de Libri. Il y a déjà bien longtemps que je n’ai pas reçu de vos lettres, je ne sçais à quoi l'attribuer; cette privation m'afflige; honoré de mes relations avec vous ce qui a pu ajouter à la jalousie dont m'ont pour- suivi mes détracteurs dont les sourdes menées ont élé accueillies dans des vues si diverses mais tendant toutes de se procurer les moyens de m'évincer pour me succéder, fier de ma conscience et de tout ce que j'avais fait pour le dépôt qui m'était confié, je crus d’abord que le mépris devait être ma seule arme pour les repousser. Sept à huit préten- dans ostensibles ou cachés déjoués dans leur complots (sic), seroient-

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LIBRI-CARUCCI ET LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS 329

ils parvenus par de tristes insinuations à les faire adopter par ceux qui m'avoient jusqu’à présent montré tant d'’interests, ah que mes vieux ans sont criblés des traits de leur malice. eh bien j'ai laissé le champ libre. L'histoire de leur complot seroit vrayment curieuse, mais aboutiroit-elle? Je la connais à présent vu que parfois ils se trahissent ; à compromettre quelquefois mes amis. en m’accusant de négligence à surveiller même des surveillans dans leur recherche à nos manuscrits. Je n'ai pu m'expliquer comment y avoit disparu le joli Dante in-8° que j'y avois remarqué depuis bien peu de temps. Je n’eus qu’à me louer des égars de ce pauvre abbé Laurent qui avoit plus de cœur que de tête et qui fit une si triste fin. Son successeur a pris part à mes peines, il a l’attention de me faire passer la Revue des Deux-Mondes et le Journal des Sçavans, je cours de suite à la table pour voir s’il ya quelque article de M. G. Libri. Élevé d’abord par des Poroyalistes à Lyon ensuite par des Sulpiciens à Paris, je ne vis qu’orgueil et désir de prédomination dans leur lutte en corps et toute ma vie j'ai été confirmé dans cette idée portant toujours cependant une grande véné- ration pour l’abbé Émery auquel je demandoi un jour si les Sulpiciens étoient une ramification des Jésuites. Mon séjour à Rome me jetta dans les beaux-arts et l’archéologie. Le baron de Sainte-Croix étoit l’ami de la maison, c’est lui qui m’engagea à accepter les offres de l'abbé de Saint-Véran de m’acheminer à lui succéder en fesant gratui- tement son service. Six années s’écoulèrent ainsi. Dès le moment de sa mort, les prétendans s’agitèrent et me donnèrent bien du tintoin ; grâce aux Ministres, ils furent déjoués. Oh mon Dieu quel triomphe! 1830 renouvelle leurs efforts ; enfin 1840 tous ces chiens enragés tom- bèrent sur ma carcasse. Ah que la longévité est pénible à suporter quelque philosophie chrétienne qui nous soutienne.

» Revenons à mon but qui est d’avoir si je puis de vos nouvelles, ne fut-ce qu'un mot, je connais combien votre temps est précieux. Parmi les restes de mes correspondans à Paris qui s’élaircissent j'en avois prié quelques uns de passer à la Sorbonne, et de me dire si vous étiez à Paris, en course ou en Italie, point de réponse. Je désirois savoir aussi si l'abbé Michel Angelo Lanci qui m'’avoit écrit de Mar- seille qu'après avoir fait imprimer à Paris trois ouvrages, il viendroit avec sa mère passer vingt-quatre heures avec moi et faire une visite au séjour de Pétrarque et de Laure à Vaucluse point de rénseigne- mens point de réponse. Ce pauvre Marquis de Fortias paye le tribut, sa bibliothèque se vend, vous deviez bien être un peu là; vaines recherches quelque lié que je sois avec son héritier.

» Je demande au ministre de l’intérieur une pension d'homme de lettres comme l'avoit obtenue de 600 francs l'abbé de Saint-Véran. J'expose mes titres et surtout que j'avois écorné ma petite fortune patrimoniale pour faire imprimer ces objets et les distribuer gratuite-

330 BULLETIN ITALIEN

ment. Ma pétition est transmise au Ministre de l'instruction publique, pas de pension, mais l'espoir de quelque gratification, de quelque secours. Septembre 1844 arrive mais rien. Et ne voyez-vous pas, me dit un ami, que vous avez comis une imprudence en dédiant votre Châtelaine Laure à M. de Villemain sans lui en avoir demandé l’agrément. C’est très mal. Comment voulez-vous qu’il y prene quelqu'intérêt, qu'il vous aide à payer vos frais d'impression, renou- vellez-lui votre demande et surtout faites-lui bien vos excuses de lui avoir jetté au nez cette triste production pleine de fautes d'impression. Approuvez-vous cette idée? Vous ne pouvez (sic) aplaudir à cette démarche vous qui n’aviez d'autre but que de me servir efica- cement? quand vous me dirigeätes sans m'’engager à prendre cette précaution.

» Mon Teschner ne me donne point signe de vie heureux peut-être qu'il ne me réclame l'emmagasiment (sic) de 200 exemplaires que je lui ai confiés. Je rumine toutes ces idées pendant mon séjour à ma campagne je vis en hermite; en ville je suis logé un peu haut au étage, mais je suis bien et j'ai un appartement à donner à quelque parent ami. Ah si vous veniez dans le Midi ne fut-ce que de passage. Que je serois heureux que vous l’acceptassiez. C'est le vœu de mon brave Boitelet ainsi que de sa belle-sœur qui me sont restés si fidelles. ainsi que les gens les plus marquans et les autorités. Je serois tenté de renouveller ma pétition auprès du ministre de l'intérieur et de la faire apuyer .par M. le Préfet et le Sous-Préfet. L'aprouveriez-vous? .

» Pardon de mon long bavardage, mes 80 ans sonés peuvent-ils auprez de vous me servir d’excuses en faveur de la parfaite considé- ration avec laquelle je suis etje serai toujours

M. le Comte. Votre dévoué et obéissant serviteur

H'° D'Or. Vir. (sic). » Carpentras (Vaucluse), le 8 Septembre 1844 !.

».

MANUSCRITS QUI N'ONT PAS ÉTÉ RETROUVÉS.

374 Guill. Piacentino. Trattato di chirurgia, in-f°. 368 Il Cortegiano di Castiglione, in-f°. 379 Ericius de Cyclo paschali (in-4°).

1. Nous devons ajouter que M. A. Divol nous a écrit tout récemment et lorsque notre manuscrit était déjà à l'imprimerie —, à la date du ro avril dernier, qu'il avait, de bonne source, appris «que le vrai motif de la démission de ce triste bibliothé-

LIBRI-CARUCCI ËŸ LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS 331

355 Trattato d’Aritmetica, in-f°.

199 Melchior Imhof. Monarchia Solipsorum sive Jesuitarum (in-8°).

207 Dante, in-8°,.vélin, rel. mar. rouge.

(Sans n°) Traité d'histoire et de chronologie (in-4°).

495 Recueil de divers écrits sur la Provence, in-f°.

604 Mémoire pour l’histoire de la Provence, in-f°.

(Sans n°) Relazione compendiaria degli stati et del governo di Fiandria.

Informazione del principio della conversione dei Giudei in Portogallo, e l'occasione che han dato d'informar l'inquisizione, in-/4°.

Relazione delle cose che mossero all’ impresa d’Affrica il re di Portogallo ed ïl seguito della battaglia, in-4°.

Charles de Castellane. Recherches poétiques ou recueil contenant diverses règles et observations de grammaire, de rhétorique et de poétique, tirées des meilleurs auteurs qui en ont traité (in-4°).

586 Le chevalier des Dames, roman in-f°.

584 Enlèvement d’une fille. Conseils de Caton. Histoire d'Apollonius de Tyr. S. Graal et sadoc. Guron (sic). Le chevalier sans peur. L'empereur de Rome. Le roi. Artus. Le roi Pharamond, in-f° vélin, avec figures.

518 Poggius (Joan). Panegyricus ad Emmanuelem regem, in-f°, vélin, avec fig.

(Sans n°) Dictionnarium latino-italicum, in-8°.

(n°douteux) Parlamento di Carlo al suo figliuolo, dove si contiene come si dove governare in tempo di pace e di guerra, in-f°.

N. B. Ces titres sont transcrits textuellement de l'ancien cata- logue, qui ne contient d'autre indication que celle du format.

LAMBERT,

bibliothécaire.

caire, en août 1842, avait été un larcin dissimulé, commis au préjudice du Musée. Il avait essayé de s'approprier trois tableaux que le peintre Duplessis avait légués à Carpentras... » Nous ajouterons, comme représentatif de l’état dans lequel se trouvent maintes de nos bibliothèques de province, cet autre passage de la même lettre du zélé bibliothé- caire : « Depuis le commencement de février, je suis très occupé, de ma propre initiative et de mon plein gré, cela va de soi. J'ai entrepris les fiches du fonds antérieur au'X1Xe siècle. Je suis récompensé amplement par les découvertes que je fais tous les jours. Par exemple, je n'ai jamais vu une bibliothèque aussi riche en livres sur l’Espagne, en espagnol, en latin, etc. » Que de trésors ainsi perdus par une routinière inertie!

332 BULLETIN ITALIEN

Note à joindre à la liste des manuscrits qui manquent à la bibliothèque de Carpentras.

(Getle note n'a pas élé envoyée à Paris.)

J'ai découvert ces jours derniers, dans les archives de la mairie de cette ville, le procès-verbal et un inventaire de la bibliothèque fait en l'an XIIL. A cette pièce était jointe une note courte et superficielle sur les manuscrits, dans laquelle on ne mentionne qu’une douzaine de volumes, que l’on suppose être les plus précieux. Il en existait alors environ 700. Ceux de Peiresc, dont on ne donne pas les titres, étaient au nombre d'environ 180. Or, comme il ne s’en trouve aujourd’hui que 115, il nous en manque environ 65.

LAMBERT, bibliothécaire de la ville. Carpentras, le 27 juillet 1849.

VI

VARIA.

a. Note, de l'écriture de Lambert, sur Librir. M. Guillaume Libri, ex-membre de l’Institut (Académie des sciences), est fils de M. Libri de Bagnano qui a été condamné aux travaux forcés et exposé sur la place des Terraux, à Lyon, pour avoir fabriqué de fausses lettres de change et qui, après avoir fait banqueroute, s’est brûlé la cervelle à Florence.

Il n’a jamais été, comme on l’a dit, préfet de cette dernière ville, mais seulement commissaire du gouvernement français pour la confiscation ou la vente des biens d'église en Toscane.

1. Chemise à. C’est un minuscule carré de papier. Le détail concernant les fonc- tions du père de Libri commissaire du gouvernement français en Toscane est inédit et Bonjean, dans son second rapport (1861), s'était borné à consigner sa condamna- tion, en 1817, à Lyon, aux travaux forcés à perpétuité, pour fabrication et usage de fausses lettres de change, peine commuée en 1825 en celle du bannissement perpé- tuel. Mais il n’est pas vrai que ce chevalier... d'industrie se soit brûlé la cervelle à Florence, Quand Libri sollicita ses lettres de naturalisation, qu’il obtint, en effet, le 19 février 1833, il prétendit faussement qu'il était mort depuis deux ans en Amérique. Il se trouvait alors à Amsterdam, et il ne mourut qu’en 1836. Les renseignements que donne, sans doute d’après L. Larchey, M. L. Sagnet sont erronés sur ce point, On sait que Libri se fit, après sa fuite de France, naturaliser sujet-anglais et que l'on n’eut, pour cette «victime de la démagogie » comme on disait alors que délicates attentions outre-Manche!

LIBRI-CARUCCI ET LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS 339

Ce dernier renseignement a été donné par Chiari, bottier à Carpen- tras, qui est natif de Florence, et connaissait particulièrement le père de M. Libri.

8. Copie d'une lettre de Libri, dont l'original a élé remis au juge d'instruction de Carpentrasr. « Monsieur, j'ai remis à M. Morel un ouvrage qui m'avait été prêté depuis quelque temps avec reçu. Je dési- rerais savoir si vous auriez besoin de quelques livres pour votre biblio- thèque, afin de pouvoir vous en envoyer du moins quelques-uns. M. Morel vous parlera de quelques livres que vous avez et qui vous sont parfaitement inutiles. Je désirerais, si cela était possible, faire un échange, soit en envoyant des livres ou des instruments dont vous auriez besoin pour votre collège, soit en donnant de l'argent pour que vous achetiez ce qui vous conviendrait. Je vous serais très reconnais- sant, Monsieur, si vous voulez avoir la bonté de faciliter cet échange. Quant aux conditions, je m'en rapporterai entièrement à vous, et certainement elles seraient avantageuses à la bibliothèque.

Veuillez agréer, Monsieur, l'expression des sentiments de la consi- dération avec laquelle j'ai l'honneur d’être

Votre très humble serviteur.

G. Lisri. Paris, ce 13 septembre (1843). »

y. Copie du reçu du « Théocrile».— « Je reconnais avoir reçu (d’après l’autorisation de M. le maire de Carpentras, et à titre de prêt) de M. le chanoine d'Olivier Vitali (sic), bibliothécaire de la ville de Carpen- tras, le Théocrite grec imprimé par les Aldes (Venetiis, 1595, in-f°) que je m'engage à lui renvoyer après m'en être servi pour mes travaux.

G. Lrsri.

Carpentras, 21 novembre 1841.»

à. Notes tirées d'un brouillon du bibliothécaire G. Barrès:. « Lorsque j'ai reçu vôtre notice sur les manuscrits achetés par la Lau- rentienne, je l’ai parcourue avec beaucoup de soin et j'y ai noté avec une peine véritable quelques volumes qui provenaient de Carpentras.

» On doit trouver à la Laurentienne, parmi ces dix manuscrits de Dante que les Italiens s'étaient réservés, le Dante in-8, ou petit in-/° vélin, qui, dit-on, était accompagné d'un commentaire de Thomas Spinelli qui a disparu de notre bibliothèque en 1835 d’après le témoignage de M. Lambert dans ses desiderala... J'ai essayé de

1. Chemise y. 11 s’agit du Théocrite. La lettre est adressée à l’abbé Laurans.' 2. C’est l’ébauche d’une longue lettre destinée à M. L. Delisle, qui venait de lui envoyer sa Notice de 1886. Elle est contenue dans la chemise «.

Bull. ital. ù 22

VER, Ab (ir tn, LS.

334 BULLETIN ITALIEN

À

recueillir quelques renseignements sur le premier séjour de Libri à Carpentras, mais je n'ai pu interroger aucun de ses contemporains qui avaient pu être en relations avec lui, en 1831 et 1832; il n’en resté plus. La tradition m'a appris que lorsqu'il vint chercher un refuge en France, il avait demandé à être interné dans une ville du Midi se trouvait une bibliothèque et que la ville de Carpentras lui avait été assignée. 11 fréquentait notre bibliothèque fort assidument et c'est pendant cette période qu'il apprit à la connaître, à consulter les nombreux volumes rares imprimés ou manuscrits qu’elle contenait. Il dut bientôt s’apercevoir qu'il n°y avait pas de catalogue complet des manuscrits et que surtout, outre les volumes qui figuraient sur les rayons, il y avait un tas de cahiers et de feuilles volantes se trouvaient des documents historiques précieux, complètement ignorés. M. Lam- bert, quand il a fait son catalogue, a réuni ces lambeaux épars, et il en a formé ce qu'il appelle les liasses, qui vont du 617 à 645.

De plus, pendant ce temps-là, Libri a se lier d’une manière toute particulière avec le bibliothécaire Olivier-Vitalis et lui inspirer une confiance dont il abusa plus tard indignement. Lorsqu’'en 1841 et 1842 il est venu avec la mission d'étudier spécialement les manuscrits pour faire son travail sur le catalogue qu'il préparait pour le Ministère, porteur de lettres de recommandation, on a lui ouvrir toutes les portes sans défiance. Je crois que c’est surtout à ce second séjour à Carpentras qu'il a mis les volumes de Peiresc au pillage, puisque c’est à cette époque qu'il a volé à Tours, à Orléans, à Lyon et ailleurs, en se couvrant du titre d’inspecteur général des bibliothèques. Les collec- tions les plus riches de France ont été saccagées par cet ignoble brocanteur, qui a payé l'hospitalité honorable qu'il avait trouvée dans ce pays par la plus noire ingratitude. Bien des gens ont été les victimes de ce triste personnage, qui n’a pas rougi de vendre à l'étranger le fruit de ses brigandages... »

. Carte-lettre de Tamizey de Larroque à Barrès:. « décembre 1888. Cher Monsieur, Je suis en possession de deux des registres Libri et je m'empresse de vous annoncer qu’un au moins de ces registres me paraît avoir été volé à notre bien-aimée /nguimbertine. C'est plus que probablement le registre désigné dans le catalogue Lambert (t. I, p. 116) sous le titre de : Lettres originales de M. de Peiresc. Ce registre divisé en deux parties, en deux tomes qui portent dans le catalogue des manuscrits de la B. N. (fonds français, nouvelles acquisitions) les

1. Chemise «. Nous. avons dit avec quel pieux zèle Tamizey de Larroque publia une partie de l’énorme correspondance de Peiresc. Sur les deux registres dont il est question dans ce billet, cf. le Catalogue des manuscrits des fonds Libri et Barrois à la Bibl. Nat., de M. L. Delisle, p. 150. Sur le vol. 5169, id., p. 146. Sur un autre recueil de lettres autographes de personnages illustres, correspondants de Peiresc, également à la Nationale et provenant de Carpentras, 1872 du Catalogue de vente Ashburnham, cf, ibid., p. 146.

LIBRI-CARUCCI Et LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS 339

numéros 5170 et 5171, se compose de lettres, les unes autographes, les autres qui portent seulement la signature de Peiresc, écrites à divers personnages, mais principalement à frère Valanis et à Guillemin prieur de Remoules. Quel dommage qu’un aussi précieux recueil ait été enlevé à vos collections! Il y a près de cinq cents lettres qui sont presque toutes d’une grande importance et qui me fournissent la matière de près de deux nouveaux in-4° à joindre à tous les autres ‘in-4° déjà en préparation. Je me demande si le volume inscrit sous le 5169 ne vous a pas aussi été ravi par le fameux forban : c'est un registre écrit de la main de Peiresc jour par jour il a noté les lettres par lui expédiées de 1622 à 1632. Pour moi, il est présumable que.ce tableau a été, avec les autres manuscrits de Peiresc, acheté par Mgr. d'Inguimbert, de glorieuse mémoire. Il n’a pu être volé que chez vous car on ne l'a jamais catalogué à Paris ni à la Méjanes, et on sait qu'à Montpellier il n’est entré que deux volumes autographes. Commu- niquez, s. v. p., cette note écrite currente calamo à MM. vos collègues de la Commission, présentez tous mes respects et agréez la nouvelle assurance des sentiments affectueux de votre dévoué serviteur et ami,

TAMIZEY DE LARROQUE.

Quand j'aurai d’autres volumes, je vous dirai ce que je pense de leur origine... »

GIACOMO ZANELLA ET ANTONIO ZARDO

La belle figure, bonne et paternelle, sereine et méditative, qui sur une médiocre gravure frappe mes yeux en ouvrant le volume d’Antonio Zardo, ramène à ma pensée les souvenirs, maintenant anciens, du mouvement si gai de l'Université de Padoue alors que, jeune élève au’lycée, je manquais les cours de l'excellent Cesare Sorgato et du sévère et bienveillant Gnesotto, pour écouter, tout près de là, dans l’amphithéâtre de la salle K, ceux de Giacomo Zanella. Je ne saurais vraiment regretter ces escapades systématiques, si lointaines, car peu de temps après, Zanella cessa d’enseigner et je me trouvai réellement matricolino' au moment la voix du professeur- poète allait s’éteindre pour toujours.

En faveur de l'intention nous pardonnons à Antonio Zardo, qui tint à écrire un livre rigoureusement objectif, d’avoir négligé des souvenirs personnels, si vivants, qui auraient accru l'intérêt de son bel ouvrage. Pour moi, qui n’écris qu'un très mince article de circonstance et d’impressions, qu'on me pardonne si je fais précisément le contraire de Zardo. Il quitta l’Université de Padoue à peu près à l'époque j'y entrai. C’est donc au plus beau de la renommée de Zanella comme poète et professeur qu'il fut son élève bien-aimé.

Il est difficile d'imaginer combien, pendant ces quelques années, le milieu intellectuel de l’austère Padoue fut comme pénétré d’un sentiment d’orgueilleuse satisfaction, d’être en possession de cette intelligence alors dans son plein. Le nom de l’abbé Zanella était dans toutes les bouches et remplissait les conversations des personnes sérieuses et cultivées, hommes et femmes, et de toute opinion. Les étudiants se groupaient sur le seuil du Bo pour y attendre le passage du professeur, et

1. C'est-à-dire réellement étudiant à la Faculté (note du traducteur).

GIACOMO ZANELLA ET ANTONIO ZARDO 337

dans les cafés et restaurants, sous les portiques ou le long du Prà della valle, ils discutaient avec animation et admiraient Zanella. Ils admiraient plus qu'ils ne discutaient. Et avec une conviction profonde ils comprenaient, dans leur admiration jeune et enthousiaste, rendue plus vive et plus exubérante par l'intérêt que suscite d'ordinaire une gloire locale et présente, tous les privilégiés sur qui se reflétait mieux quelque rayon de cette gloire. C’est ainsi qu’en Lucrezia Marcello ils célébraient l’auréole que faisait à sa beauté douce l'honneur d'être l'élève chère au poète. Et sur Antonio Zardo, d'esprit réservé et déjà grave, connu de la plupart seulement comme une figure noble et sympathique, ils publiaient, avec un mélange de respect et d'envie, les beaux encouragements que Zanella avait donnés à ses premiers essais poétiques, assurant qu il n’aurait pas hésité à y mettre sa propre signature.

Or, après vingt-cinq ans de cette heure rapide, remplie de la gloire zanellienne et de son florissant printemps, Zardo écrit un livre de beaux souvenirs personnels pouvaient trouver place; et, au contraire, il les tait, les dissimule, dominé par l’idée désintéressée qu'une étude entièrement imperson- nelle est plus convenable et plus utile à la renommée du poète pour qui l'esprit d’un temps s’est enflammé d’une belle passion, puis l’a presque abandonné.

L'histoire simple de cette vie et de cet esprit est exposée par Zardo avec le sentiment de l’amitié en même temps qu'avec une évidente impartialité. Poète lui aussi, esprit lettré et littérateur distingué, on dirait qu’il a cherché à oublier son ancienne personnalité pour n'être que le biographe nouveau et définitif, et le critique du savant et du poète.

Zanellä est l’un des derniers et des plus dignes représentants de cette sympathique école d’abbés vénitiens érudits, qui fut féconde en brillants esprits, de Forcellini à Corraddini, de Cesarotti à Capparozzo, de Barbieri à Canal. Abbés possédant toujours une science humaniste élégante, très souvent doués d'un talent poétique facile et agréable, parfois aussi, mon- dains, et versés dans la littérature étrangère, dans la poésie

338 BULLETIN ITALIEN

surtout. Comme inclination humaniste, celle-ci rendit Zanella tout à fait contraire à la subtile philologie allemande contre laquelle il protesta, même en vers, dépassant peut-être la mesure permise. Il se déclara non moins adversaire des modes et des formes de la lyrique allemande dont la simplicité natu- relle, imitée jusqu'à l’abus par Zendrini, ne pouvait manquer d’altérer le vers italien. Esprit sarcastique et mordant, Zen- drini ne lui épargnait pas les pointes, et je le vois encore, pendant l'été de 1873 ou 1874, se promenant à Recoaro avec la comtesse Adriana Marcello de Venise, femme très cultivée, et lançant ses saillies contre le poète, son rival. Pour prouver à la comtesse la bonté de sa théorie et la fausseté de l’idée zanellienne, pourtant commune à la généralité des poètes, que la poésie doit avoir une forme que l’on puisse dire aristo- cratique (cf. Zardo, p. 26), il citait les premiers vers de sa lettre à Lampertico :

«De peu d’années, ami, je te précède sur la route du temps'...» cherchant à démontrer avec une pointe de malice qu’on ne comprenait pas bien si Zanella voulait se laisser croire plus jeune ou plus âgé que Lampertico. à

Mais, négligeant les anecdotes, disons que nous aimons le soin pris par Zardo pour faire ressortir tous les moyens d'étude et d’art qui amenèrent Zanella à sa relative perfection, même au risque de nous le montrer meilleur artiste que poète. Dans cette idée de la nécessité d’une étude longue, minutieuse et patiente, le Vicentin insiste souvent dans ses écrits et dans ses lettres, tantôt soutenant justement l'utilité essentielle de l'exercice de traduction, tantôt rappelant que ce n’est qu'avec beaucoup de peine qu'on obtient le brillant et le poli des pierres qui sortent des carrières de Chiampo, son pays natal, tantôt prévenant la jeunesse napolitaine que «si l'inspiration est chose spontanée, pour la revêtir des formes sensibles, la communiquer à autrui de façon ordonnée et claire au moyen de la parole, il faut un travail lent, délicat, laborieux et.

1. Di pochi lustri io ti precorro, amico, Nelle vie dell’ età.….

GIACOMO ZANELLA ET ANTONIO ZARDO 339

souvent pénible. Mesurer l'étendue de sa pensée, chercher la période la plus favorable pour l'exprimer, choisir la phrase la plus capable de la rehausser, discerner le mot qui la rendra avec plus de force et de couleur, est une étude qui demande plus que de la patience, mais de longues, de bonnes et atten- tives lectures ».

Zanella fut plutôt meilleur maître que critique et historien de la littérature, et tel il apparaît dans les pages sincères de son biographe qui note consciencieusement les défauts de l’œuvre du littérateur. Ces défauts sont ceux de l'école quil suivit, école qui n'avait aucun fondement critique, et qui restreignait l'élément historique aux notices biographiques, à la composition extérieure des œuvres, et à leur succession. Je me souviens lui avoir entendu vanter Tiraboschi comme l'historien idéal de la littérature, non point pour son esprit d'investigation, toujours l'honneur de son œuvre en ce qu’elle est une mine inépuisable de renseignements, mais pour la tenue et la méthode dans l'exposition du sujet.

Cependant, si la direction était défectueuse, toujours vaste et consciencieuse était l’érudition. S'il est vrai aussi, comme le dit Zardo, que Zanella, dans son enseignement à l'Université, avait plutôt en vue de former le goût des jeunes gens que de les instruire, il n’est pas moins vrai qu'en temps et lieu il savait entraîner avec lui ses auditeurs par les plus secrets détours de la recherche historique. Je me rappelle ses beaux cours sur l’Alfieri et autres tragiques modernes, qui débor- daient d'un goût et d’un sens chaud de l’art; mais je me rappelle aussi plusieurs cours uniquement employés à expli- quer historiquement ces deux seuls tercets de Dante :

« Mais bientôt il arrivera que Padoue, près du marais chan- gera (rougira) l’eau qui baigne Vicence à cause de son peuple rebelle au devoir. Et le Selé et le Cagnano se joignent, tel domine et va la tête haute quand déjà se tisse la toile pour le prendre. »

Et de ces explications il tire ensuite matière pour son étude : Des guerres entre Padouans et Vicentins au temps de Dante, que

1. Paradis, IX.

340 BULLETIN ITALIEN

Zardo loue avec raison pour les délails, les observations, les appréciations de beaucoup de valeur (Zardo, p. 161).

La partie la plus importante et la meilleure de la peu nombreuse production littéraire de l’abbé vicentin étant la poésie, l'ouvrage de Zardo est disposé avec un soin tout parti-

culier pour en faire ressortir le caractère et les mérites, pour

en déterminer les causes et l'inspiration. Tâche noble et belle, : parce qu'elle venge très heureusement la réputation du poète, soupçonné d'un amour un peu tiède pour l'Italie, et d'un esprit adulateur et servile, au point de lui avoir attiré, dans les sarcasmes de quelque rival, le titre dérisoire de poèle officiel de la maison Lamperlico.

La vérité est que la vie de Zanella se poursuivit sans évé- nements extérieurs, sans luttes apparentes, dans le cercle restreint de paisibles affections de famille et de quelques amis, sans grande variété de lieux et sans changements dans sa condition personnelle. En revanche, dans cette nature plus méditative que communicative, la vie intérieure était intense.

Son âme, douce, contemplative et profondément religieuse, était

portée, par une impulsion intime, à se replier sur elle-même, ou à méditer sur ce qui l’entourait pour comprendre l'esprit et le sens des choses qui lui étaient proches. Et s’il prenait son essor vers de plus vastes horizons, il dépassait les limites de la vie sociale, de la patrie, de la civilisation humaine, pour s’abandonner à un rêve mystique vers l'infini, vers l'au-delà, dont un désir inquiet l’enflammait intérieurement :

O di futuri elisi Intimi lampi e desideri immensi..

Voilà la raison pour laquelle la poésie de Zanella n’a pas une haute portée historique et sociale, et manque par consé- quent d’universalité. Même quand les progrès et les merveilles de la science occupent sa pensée, rarement il s'élève à une conception lyrique les éléments doctrinaux arrivent à se fondre en un sujet et en une forme de haute inspiration comme dans Conchiglia fossile. Souvent nous avons des des-

A NN DAT D Sp TU A AT get D Le

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GIACOMO ZANELLA ET ANTONIO ZARDO + St

criptions qui, si parfaitement travaillées qu’elles soient, nous ramènent au vieux genre didascalique, comme dans Micro- scopio et Telescopio, avec des rapetissements d'images dans le goût du xvi° siècle.

Mais lorsque l'inspiration lyrique, unique et cohérente, fait défaut, toujours se substitue le mouvement intérieur qui appelle le poète hors des contingences présentes, vers les régions sereines de l'aube. Alors il s’enivre de pensées qui ne sont plus de la terre, et de la foi qui remplit son espril enflammé par de divines visions. Alors son chant devient plus chaud de ferveur mystique, universel de l’universalité de la foi qui l’anime, sublime par les images radieuses dans les- quelles se fixe et s’abîime son âme altérée du désir de l'infini et de Dieu. Sublime donc, je me plais à le répéter, la fin de l’ode La Veglia, vantée pour des mérites tout autres :

«O lueurs intimes, désirs immenses des paradis futurs, flammes qu'au mourant Dieu fait luire, renfermez-vous dans le chant du poète solitaire, et faites, aux parents, moins cruelles les larmes qui réchaufferont la pierre de son repos. »

Et cette autre qui peut facilement paraître, et paraît gro- tesque, si l’on se place hors de la vision du poète, et qui est belle cependant, de grandeur biblique si l’on veut entrer dans son ardente inspiration :

« La lumière s'éteint, et un voile obscur s étend devant le regard de l’homme qui, {remblant, découvre à travers l'ombre, Dieu qui passe pour suspendre de nouveaux soleils dans l’Infini. »

Muore la lampa e scuro un vel s’abbassa Sullo sguardo dell’ uom che sbigottito

Scorge per entro l’ombra Iddio che passa Nuovi soli a librar nell Infinito.

De judicieuses et fines observations ont été faites par des critiques, depuis une trentaine d'années, sur la partie relative à l'élément scientifique dans les poésies de Zanella et, pour sa part, Zardo en parle admirablement dans son louable volume. Il me paraît cependant que toutes ces élégantes descriptions et ces figures ne sont que pure œuvre de style, travail de tête, enjolivement et moderne accommodement d’un

VIT

mn. a QE lle tf

342 BULLETIN ITALIEN

art didascalique subtil, dont Mascheroni avait, moins d'un siècle auparavant, renouvelé les merveilles. 11 me paraît, de plus, que Zanella ne sent pas vivement la poésie des décou- vertes de la science, du progrès humain, et qu'il ne s’en sert que comme motifs d’ornementation et de style, comme de belles oppositions de convention, pour rehausser le sentiment réel et profond qui l'anime : la religion. Ce sentiment, bien fondu avec la matière doctrinale, ressort mieux dans son chef- d'œuvre Conchiglia fossile, chef-d'œuvre précisément parce que les trois éléments qui le composent s’y mélangent admi- rablement : universalité de l’histoire humaine, délicatesse de l'art, élévation de l'inspiration poétique. Mais lorsqu'il n’y a pas proportion parfaite, le lecteur découvre de suite un je ne sais quoi d’incohérent, de discordant entre les diverses parties et les divers éléments de ses meilleures compositions mêmes. Ces belles strophes qui commencent l’ode Ad una. antica imma- gine della Madonna, ne rendent-elles pas mieux l’humanisation manzonienne du sentiment religieux que les formes multiples et les multiples couleurs de l’'hymnographie sacrée de Borghi et d’Arici, de Mamiani et de Tommaseo? Et au contraire comme elle est baroque cette maussade conclusion contre la ..sparuta

Di vil lucro maestra e di sozzura Filosofia…

Comme il est faux et véritablement grotesque cet homme qui

il volto Scolorato abbassd più sorrise.

Comme il est bizarre de stylé cet avant-dernier distique :

Spento il sereno fior della speranza Che rimena la stanca anima a Dio...

Esprit aimable et doux, aimant les aspects simples de la calme nature et le cadre paisible des affections familiales, Zanella les dépeint de main de maître, en d’exquis petits tableaux il montre une certaine analogie avec quelques poètes lyriques anglais, d’un siècle avant lui, Cooper et Crabbe

GIACOMO ZANEL£ZA ET ANTONIO ZARDO 343

notamment, peintres de l’intimité domestique, des petits aspects du monde extérieur et de la vie bourgeoise et populaire dans la simplicité de ses occupations quotidiennes.

Beaucoup de ses poésies, et le choix de ses traductions en sont un témoignage. Et j'aurais aimé que Zardo eût analysé plus subtilement cette qualité de l'esprit et de l’art de Zanella, lui qui, sous ce rapport, est l’élève qui le suit de plus près. La physionomie générale du Vicentin, comme poète et litté- rateur, se reconnaît dans l’œuvre de Zardo, bien qu'atténuée :

« Comme sur le verre transparent et uni, ou sur les eaux limpides et calmes... revient l'empreinte de nos visages :. »

Dans ses travaux d’érudition, Zardo, comme Zanella, aima les sujets d’histoire locale. Comme lui, il écrivit sur Alberto Mussato, et, d'un autre sujet d'analyses et de reconstruction historique agréable au maitre, il sut tirer un livre de beaucoup d'intérêt et de valeur : Pétrarque et les princes de Carrare. Je sais si, sur certaine indication donnée par Zanella dans ses cours sur l’Alfieri et autres tragiques modernes, Zardo trouva l’occasion de son beau travail comparatif entre Schiller et Nicolini, mais il est certain qu'il rentre dans le genre longuement traité par Zanella dans ses cours et dans ses Parallèles littéraires.

Sans parler de la manière générale de traiter le sujet litté- raire, Zardo ne s'éloigne pas sensiblement du poète de Chiampo, le soin que l’un et l’autre mirent à étudier nombre de poètes étrangers est digne de remarque. Zanella, les Anglais; Zardo, les Allemands : Uhland, Platen, Gœthe, Lenau. De même pour la traduction : le Vicentin, par cette affinité de caractère moral et poétique dont j'ai parlé plus haut, préféra les auteurs anglais; Zardo, au contraire, les allemands. Le premier, un peu renfermé dans le cercle des affections intimes et pures, dans les aspects circonscrits et simples, aimait les compositions le sujet sentimental et fantaisiste était en accord avec ses aptitudes particulières, et il suivait la pente naturelle à son esprit. Zardo est plus éclectique. Il traduit en quelque sorte, indépendamment d’un accord intime entre son

1. Divine Comédie.

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34/4 BULLETIN ITALIEN

:

auteur et lui, entre son esprit et le sien. Zanella, dans ses versions, est plus élégant comme forme, son vers est plus arrondi, mais il est plus libre par rapport au texte. Les ver- sions de Zardo sont généralement moins perfectionnées comme style et comme harmonie, comme composition technique de

la strophe, mais elles rendent plus fidèlement, sinon com-

plètement, l'esprit de l’auteur, certainement le sens du texte.

Il est regrettable que, tandis que Zanella traduisait les poésies célèbres de ses auteurs, ou du moins les plus importantes, Zardo ait généralement dispersé son activité féconde dans une multitude de petites poésies d'auteurs souvent de second ordre. Petites choses assez agréables en elles-mêmes et dignes de considération dans l’ensemble de l'œuvre poétique de leur auteur, mais un peu insignifiantes hors de cet ensemble et du milieu poétique qui leur est pour ainsi dire personnel. Outre qu'il traduisit, de Gœthe, de Schiller et de Heine, des choses toujours ou presque toujours secondaires, il ne fit pas, dans Uhland et dans Kerner, un choix qui nous donne la nuance exacte de l’école souabe; et dans Geïbel, si délicat, dans Freiligrath, si riche de coloris, il ne nous met pas à même de distinguer le génie divers de ces deux excellents poètes de

la moderne Allemagne; de même pour le romantique Cha-

misso, de même pour Lenau, le Léopardi autrichien. On dira que Zardo n’a pas traduit pour instruire le lecteur en général, ni pour seconder mon désir en particulier, c’est très juste et je ne me permets pas de blâmer Zardo d'avoir suivi son plaisir et son goût dans le choix de ses traductions. Je dis simplement, puisqu'il a beaucoup traduit, que s’il avait allié l'inspiration et son inclination à une idée suivie et ordonnée, ses traductions d'auteurs secondaires eussent été de plus d'utilité et lui eussent acquis une renommée plus grande et plus durable, qu'il mériterait d’ailleurs. Ce que j'exprime n'est, on le voit, qu'un simple regret ct non une critique.

Traducteur fidèle et versatile, Zardo ne donne point à ses versions, comme le fait Zanella, une marque bien personnelle. Il apporte souvent, au contraire, à ses poésies lyriques, aux premières surtout, un agréable parfum zanellien. Il n'y a pas

GIACOMO ZANELLA ET ANTONIO ZARDO - 345

affinité dans le fond, mais une certaine manière de disposer et d'entremêler les idées et les images, d’aviver l'expression du sentiment qui rappelle le tour et la manière du Vicentin. Choisissant parmi les meilleurs, je citerai les quatre premiers vers du sonnet Le Sapin :

« Lorsque l’automne arrache à la forêt sa dernière feuille, lui seul, en face du rigoureux hiver, revêtu de sa parure intacte, se redresse et ne craint pas que l’aquilon le flétrisse:, » paraît un certain souffle zanellien.

Et les deux quatrains du sonnet La Neige rappellent encore Zanella et même Cowper :

« Tous deux étions enfants : La neige tombait en épais tour- billons. A travers la vitre, pendant qu’au foyer brillait la flamme, nous contemplions la campagne blanchie et l'arbre dépouillé qui gémissait sous les coups du vent, l’eau glacée du ruisseau, et l'oiseau tacheté de neige qui secouait son aile alourdie 2. »

Un mélange d'inspiration de Prati et de Zanella se sent en ces deux strophes de l’ode À l’œuvre : |

« A l'œuvre, frères! Insensé est celui qui fuit le travail. Avec le temps il perd un trésor qu’ensuite il recherche en vain. Tout dit autour de lui : Laisse les songes dorés, et, courageux à l'ouvrage, un jour tu goûteras ce bien que tu envies. Entre la roche moussue, la goutte, sur la pierre, tombe incessam- ment et peu à peu finit par l’entamer. Le ruisseau qui s’égare, lent et incertain, sur l’herbe des prés, reste privé d’eau avant d’avoir achevé son cours à, »

Quando l’ultima foglia alla foresta Autunno invola, ei solo contro i rigori Del verno, avvolto nell’ intatta vesta, Sorge, teme che aquilon lo sfiori.

ä: Fanciulli ambo eravam : fitta cadeva E a vortici la neve. Alla vetrata, Mentre la fiamma nel camino ardeva, Contemplando stavam la nevicata Campagna e l’arbor spoglio, che gemeva Sotto ai colpi del vento, la gelata Onda nel rivo, e l’augel che batteva, Sparso di neve, l’ala affaticata.

8; Fratelli all’ opera! È insano Chi fugge dal lavoro; Coi di perde un tesoro, : Ch’ indi ricerca invano.

346 BULLETIN ITALIEN

Et dans ce premier quatrain du sonnet À Dupré on reconnaît aisément le tour zanellien :

« Tandis que s’est égarée l'antique foi, le siècle orgueilleux renie toutes choses divines, el en face du ciel, s’élevant auda- cieux, il salue la matière, sa divinité :. »

Si par certaine tendance d'esprit, par certains principes et procédés de technique, Zardo est un bon continuateur de Zanella, le seul même, je ne veux pas dire qu’il n’y ait sur sa palette abondance de couleurs bien à lui. Il a même parfois certains mouvements qui semblent comme un jet de la fraîche poésie populaire :

« Mon esprit est comme une petite flamme qu'il faut protéger du moindre vent. Le creux de la main la garantit avec peine, et elle semble toujours près de s’éteindre ?. »

Quelquefois c’est un petit tableau admirablement nuancé qui sembleunirlesentiment moderne au coloris habituelaux Anglais:

« La neige tombe en flocons et on entend au dehors souffler la bise impétueuse. Près du foyer je m'’assois, rêveur, me rappelant le temps heureux de la jeunesse. Un arbrisseau, curieux, épie dans la chambre et frappe la vitre de ses bran- ches avec un bruit de plainte, pendant que le vent furieux l'attaque et semble vouloir l’arracher 3. »

Tutto gli dice intorno; Lascia i dorati sogni,

E indura all’ opra e un giorno Godrai quel ben che agogni. Entro muscosa roccia

Sul sasso, ad ora ad ora, Infin che lo perfora

Batte assidua la goccia ;

Il lento e incerto rivo

Che a’ prati erra sul dorso, Riman di linfa privo,

ancor fornito ha il corso.

( Mentre l’audace secolo, smarrita L’antica fè, rinnega ogni divina Cosa, ed incontro al ciel erge l’ardita Fronte e, sua diva, la materia inchina,

2. Il mio pensier somiglia un lumicino, Cui fa d’uopo protegger da ogni vento; Col cavo della mano il copro a stento Ed è pur sempre a spegnersi vicino.

8. Cade a fiocchi la neve, e impetuoso H rovaio, di fuor, stridere sento;

JE 4

GIACOMO ZANEÏLA ET ANTONIO ZARDO 54?

D'autres fois, enfin, il a un air de franche et joyeuse bravoure qui rappelle les Juvenilia de Carducci par le ton et l'allure :

« Si j'étais encore un enfant, je te poursuivrais à travers le jardin comme autrefois, ou bien, sans être vu, je voudrais me cacher derrière l’obscur buisson et t'effrayer en sortant tout à coup. Je voudrais retourner à la fontaine plus d’une fois je m'’assis avec toi pour étancher ma soif ardente, et j'aimerais à contempler ton beau visage dans l’eau cristalline et purer. »

Tout cela explique que Zardo n’est point un imitateur, bien qu'il ait formé son esprit de littérateur, de traducteur et de poète à l'école de Zanella et en suivant ses traces. Il lui a consacré un livre qui est un noble monument, il résume son œuvre et ses mérites avec abondance d'informations, avec droiture et finesse d’appréciations et de remarques, avec respect et indépendance tout à la fois. Qualités aujourd'hui rares et qui feront rechercher son ouvrage avec d'autant plus d'intérêt et de confiance qu'est plus répandue la regrettable coutume de faire en ces sortes d'ouvrages une critique dure ou un panégyrique. :

Si avec cela Zardo fut un esprit moins modeste qu'il ne le paraît, d’après son livre même, cependant je tiens à dire que dans l’ensemble de sa belle œuvre littéraire, il a élevé au poète de Chiampo un digne monument en ce qu'il est une appli- cation heureuse des préceptes du maître et un rappel discret

de ses exemples. Giuseppe FINZI.

Traduction de M®° TH1ÉRARD-BAUDRILLART.

lo siedo accanto al focolar, pensoso

E il caro tempo giovanil rammento.

Un arboscel, pei vetri, curioso

Spia nella stanza, e in suono di lamento Picchia coi rami, allor che furioso L’investe e sembra che lo svelga il vento.

4 Fossi fanciullo ancor, t’inseguirei, Come un di pel giardino, o dietro oscura Macchia, non visto, ascondermi vorrei, Sbucar repente e metterti paura.

Vorrei tornare al fonte, ove sedei Teco più volte, a spegnere l’arsura, E il tuo bel viso contemplar godrei Dentro quell’ onda cristallina e pura.

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QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

DES QUESTIONS ET DES AUTEURS PORTÉS AU PROGRAMME DE L'AGRÉGATION D'ITALIEN EN 1910

Question I. L'INFLUENCE FRANCISCAINE DANS LA POÉSIE ET LES ARTS ITALIENS AU XII® ET AU XIV° SIÈCLE

Auteurs : S. François, Laudes Crealurarum. Jacopone pa Ton, Dialogo tra S. Francesco e la Povertà (San Francesco sia laudato:) et La Crocifissione (Donna del Paradiso). Danre, Parad., c. XI. PÉTRARQUE, Trionfo della Pudicizia. Vasart, Vila di Giotto.

Textes :

Les Laudes creaturarum ont fait l’objet de reproductions très nom- breuses. On en retrouvera un bon texte dans le Manuale de D'An- cona et Bacci (t. 1, p. 51). Parmi les récentes éditions critiques, intéressantes à consulter à cause des variantes, nous citerons celles de Faloci-Pulignani dans Miscellanea Francescana, III, 3-6, de Sabatier dans son édition du speculum perfectionis, Paris, 1898, p. 284 à 289, de H. Boehmer, dans les Analekten zur Geschichte des Franzis- kus von Assizi, Tubingen et Leipzig, 1904.

Il existe plusieurs éditions anciennes des œuvres poétiques de Jacopone da Todi. La première en date est celle de Florence, 14go.

D’autres ont été publiées à Venise en 1514 et 1556, une à Rome en 1558. La plus commune, mais non la plus correcte, est celle des Poesie spirituali, publiée à Venise en 1617: c’est d’après elle, à défaut d'autre, que le Bulletin reproduit ci-après le Dialogo sia S. Francesco e la Povertàa. Quant à la Crocifissione, on la trouvera : dans le Manuale de D’Ancona et Bacci, t. Il, p. 102, ainsi que dans l'édition publiée tout récemment par la Sociela filologica romana (Rome, 1910). |

Pour le chant XI du Paradis, il suffit de renvoyer aux dernières

QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT : 349

éditions de la Divine Comédie, celles. notamment de Casini (Florence, Sansoni), Scartazzini (Milan, Hæpli, édition revue par Vandelli, 1903), Fraticelli (Florence, Barbèra), Camerini (Milan, Sonzognos), Torraca (Rome-Milan, Soc. Dante Alighieri); ainsi qu'à lédition de Tulte le opere di Dante Alighieri du D' Moore (Oxford, 1894).

Pour le Trion/o della Pudicizia, nous renvoyons de même à l'édition complète des Rime de Pétrarque de Mestica (Florence, 1896), et à l'édition spéciale des Trionfi de C. Appel (Halle, 1901) (Cf. Bulletin italien, t. II, 1902, p. 70-56).

L'édition fondamentale des Opere di Giorgio Vasari est celle de G. Milanesi (Florence, Sansoni, 1878-85), en 9 volumes. La Vita di Giotto y figure au tome I, p. 369-409. Elle est suivie d'un commentaire et de la Canzone sopra la Povertà, attribuée à Giotto. On trouvera la même vie dans l'édition, complète en un volume, des œuvres de Vasari, publiée à Florence, chez Salani, en 1889.

\

Ouvrages à consulter sur la vie de Saint François et le mouve- ment franciscain au XII° siècle :

P. SABATIER, Saint François d'Assise. Livre fondamental, dont la

première édition date de 1894, et qui a été le point de départ d'un

renouvellement des études franciscaines.

JOHANNES JOERGENSEN, Saint François d'Assise, sa vie el son œuvre, traduit du danois par T. de Wysewa (Paris, Perrin, 1909). Autre livre capital, d'esprit tout différent, mais fait également d’après les sources, et mettant à profit les recherches accomplies durant les quinze dernières années.

La question des sources de la vie de François d’Assise a donné lieu à d'innombrables discussions sur lesquelles on consultera, outre ces deux ouvrages :

S. Mnoceui, La questione francescana (Giornale storico della letter. ital., t. XXXIX, 1902, p. 293-3261; Esercitazioni sulla letteratura reli- giosa in Ilalia nei sec. XIII e XIY diritte da G. Mazzonr. Florence, 1905, p. 13r et suivantes ; U. Cosmo, Rassegna francescana, dans le Giorn. Storico, t. LVI (1910), p. 4o1.

Consulter enfin, sur le côté politique et social de cette question :

Eu. Gesnarr, L'Ilalie myslique. Paris, 1899.

P. SaBarier, Saint François et le mouvement religieux au xur° siècle, dans Arte, Scienza e Fede ai tempi di Dante. Milan, 1891.

À. Luchaire, Innocent 111, Rome et l'Ilalie. Paris, 1905.

JOERGENSEN, Pèlerinages franciscains, trad. par T. de Wyzewa. Paris, 1910.

G. LAFENESTRE, Saint François et l'art italien, deux articles publiés dans la Revue des Deux Mondes, sept.-oct. 1910.

Bull. ital. 23

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350 BULLETIN ITALIEN

Sur François d'Assise poète, sur Jacopone da Todi et sur la poésie franciscaine primitive:

Ouvrages généraux concernant la poésie franciscaine :

Ozanam, Les poètes franciscains en Italie, édition. Paris, 1882.

D’AncoxA, La poesia popolare italiana, édition. Livourne, 1906:

D’Ancoxa, Origini del teatro ilaliano. Turin, 1891.

GasPpary, Storia della letteratura italiana, t. I.

DE Saxcris, Storia della letteratura italiana, t. I.

Ouvrages spéciaux :

I. Decca Giovanna, S. Francesco d'Assisi giullare e les « Laudes creaturarum », dans Giornale Storico della letter. ital., t. XXV, 1809, p. 1.

IRENEO Arr0, De’ canticivolgart di S. Francesco d'Assisi (Guastalla, 1777, rare dissertation, réimprimée dans la Miscellanea francescana, XI, 5).

Sur Dante et le Chant XI du «Paradis».

Nous renvoyons d’abord aux principales monographies récentes de Dante (citées presque chaque année dans les bibliographies données par le Bulletin italien):

ZinGarezur, Dante (Storia letteraria d'Italia, de Vallardi).

Kraus, Dante, sein Leben und sein Werk. Berlin, 1897.

Barrour, Chapitres relatifs à Dante de la Storia della lelteratura italiana. |

On consultera spécialement sur Dante et François d’Assise :

P. BONAVENTURA DA SORRENTO, San Francesco d’Assisi, commento al canto XI del Paradiso. Sant’ Agnello, 1890.

M. Da CarBoxarA, Dante e San Francesco, Tortona, 1890; et Dante e San Bonaventura, Tortona, 1891.

S. Iexupt, Il canto di Dante e San Francesco. Turin, 1897.

Lectura Dawris (Florence, Sansoni): le commentaire du chant XI du Paradis est de M. Alfonso Bertoldi.

F. Novari, Freschi e mini del Dugento, Milan, 1908. (Ce volume renferme un article intitulé : Dante e S. Francesco d'Assisi, et un autre sur L'amor mislico in S. Francesco e in Jacopone da Todi, p. 205 et 227.)

Sur Pétrarque et le « Triomphe de la Chasteté».

G. Mecopra, Studio sui Trionfi del Petrarca, Palerme, 1898 (cf. sur cet ouvrage Giorn. Slorico dellà letter. ilal., t. XXXV, p. 365 et suiv.).

Enrico Prorô, Sulla composizione dei Trionfi, Naples, 1901 (t. HI, dei Studi di lett, italiana).

QUESTIONS D'ENSEIGNEMENŸ 351

Sur Giotto et l'inspiration franciscaine dans l’art primitif italien :

Le livre fondamental sur la matière est celui de H. Tnope : Saint François d'Assise et les origines de l'art de la Renaissance en ltalie, traduit de l’allemand, sur la édition, par G. Lefèvre (Paris, Laurens, 2 vol. in-8°), auxquels il faut joindre, du même auteur : Giotto (1899) (en allemand), dans la collection des Xünstlermonographien de Knackfuss, et Studien zur Geschichte der italienischen Kunst im XI11. und XIV. Jahrhundert, dans : Repertorium für Kunstwissenschaft, vol. XI, XIII et XVIII.

B. BERENSON, À sienese painter of the franciscan legend. Londres, 1909. (Ce peintre est Sassetta, dont l’œuvre franciscaine est mise en parallèle avec celle de Giotto.)

Consulter, en outre, les ouvrages d'ensemble sur l'art italien au temps de la Renaissance :

E. Müxrz, Histoire de l'art pendant la Renaissance, t. [°° (1889).

André Micuez, Histoire de l'art, t. I, partie (1907).

Venturi, Storia dell arte italiana, t. V : la Piltura del Trecento(1907).

CROWE e CAVALCASELLE, Stloria della pittura in Italia, t. 1 (1875). (Il en existe une traduction anglaise revue et mise au courant par Langton Douglas et Arthur Strong, t. I et II, 1903).

D’Ancowa, Jacopone da Todi, il giullare di Dio dans Studi sulla letteratura italiana dei primi secoli. Ancône, 1884.

G.-B. BarBenis, Jacopone da Todi. Todi, 1901.

Rexan, Nouvelles études d'histoire religieuse. Paris, 1884, p. 334.

Jacob Burcxxanpr, Le Cicerone, traduit par Auguste Gérard. Paris, 189), t. II.

Consulter enfin, comme ouvrages d’un caractère plus spécial :

Bayer, Giotto (Collection des maîtres de l’art). Paris, 1908.

Anonyme, Saint François d'Assise. Paris, 1884 (intéressant pour les illustrations).

DE Manpacx, Saint Antoine de Padoue et l'art italien. Paris, 1899.

Corrapo Ricci, Santi e Artisti. Bologne, Zanichelli, 1890.

Mesrica, S. Francesco, Dante e Giotto [Nuova Antologia, 1881, t. LVII-LVII).

Frarini, Sloria della Basilica e del Convento di San Francesco. Prato, 1882.

ARNOLD GoFrin, S. François d'Assise dans la légende et dans l'art primitif italien. Paris, 1910.

Le volume de Rime di Trecentisti minori, a cura di G. Vozrt (Florence, Sansoni, 1907), contient, outre la canzone attribuée à Giotto contre la pauvreté (p. 252), une curieuse canzone d'Antonio Pucci, à la louange de la pauvreté (p. 112).

ARBRE

322 BULLETIN ITALIEN

Sur G. Vasari :

Uco Scorri-BETTINELLI, Giorgio Vasari Scritlore. Pisa, 1905 (Annali della R. Scuola Normale Sup. di Pisa, vol. XIX).

Question II.— LA LITTÉRATURE GHEVALERESQUE AVANT L'ARIOSTE.

Auteurs : ANDREA DA BARBERINO, extraits contenus au t. I du Manuale de d’Ancona et Bacci, p. 670-686. L. Pucor, extraits du Morgante; p. 118-146 du t. II du même Manuale. M. M. Borarno, extraits, de l'Orlando innamorato, ibid., p. 152-163.

Textes :

Les morceaux portés au programme sont ceux que contiennent les tomes I (p. 650-686) et II (p. 128-146 et 152-163) du Manuale della lett. ital. de MM. D'Ancona et Bacci. Ce Manuel ne dispense pas entièrement de se reporter aux textes des ouvrages complets.

Pour Andrea da Barberino, les seules éditions à consulter sont bien indiquées à la suite des extraits du Manuale.

‘Pour le Morgante de Pulci, la réimpression la plus récente et la plus correcte est celle que l’on doit à G. Volpi (Florence, Sansoni, trois petits volumes, 1900-1904), avec quelques notes.

Une édition critique de l’Orlando innamorato de Boïardo a paru à Bologne, en trois volumes (Romagnoli Dall’ Acqua, 1906-1907), par, les soins de M. F. Fôffano.

Ouvrages généraux à consulter :

Léon Gaurier, Les épopées françaises, 1. IT, ch. XXVIIE (t. HE, éd., 1892).

Gaston Paris, Histoire poétique de Charlemagne. Paris, 1865.

Pio Rasa, Le Fonti dell Orlando Furioso, »° éd. Florence, Sansoni, 1900.

V. Rossi, 1! Quattrocento. Milan, Vallardi.

Ph. Monnier, Le Quattrocento. Paris, 1901, 2 volumes.

F. Fôrraxo, La poesia cavalleresca. Milan, Vallardi. (Storia della letteratura italiana per generi; mais le premier volume, qui doit être rédigé par M. Crescini, n’a pas encore paru.) |

Sur A. da Barberino :

Pio Rasa, Ricerche sulle fonti dei Reali. Bologne, Romagnoli Dall’ Acqua, 1872 (préface de la réimpression des Reali, pures seule- ment de 1893 à 1900 par G. Vandelli).

A.-F. Renmarp, Die Quellen der Narbonesi. Altenburg, Bonde, 1900:

H. Hawickuorsr, Ueber die Geographie bei Andrea da Barberino, dans les Romanische Forschungen, XIII, 3; voir Romania, XXXI, 685:

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QUESTIONS D ENSEIGNEMENT 353

4 Sur Luigi Pulci :

Pio Rasa, La materia del Morganté in un ignoto poema cavalleresco, dans le Propugnatore, t. II, 1, p. 7, 220, 353; ce « poème inconnu » a été publié depuis par J. Hübscher (Orlando die Vorlage zu Pulcis Morgante, Marburg, 1886).

Pio* Rasa, La Rotta di Roncisvalle (Propugnatore, t. HE, 2, p. 384; t. IV, 1, 52, 333, et t. IV, 2, p. 53.

F. Fôrrano, Il disegno del Morgante (Giorn. Storico della lett. ital., t. XVI, 368) et 17 Morgante di L. Pulci. Turin, 1891.

F. Mowiezrano, L’indole e il riso di Luigi Pulci. Rocca San Cas- ciano, 1906.

Sur M.-M. Boiardo :

Studi su M. M. Boiardo, Bologne, Zanichelli, 1894 (volume collectif auquel ont collaboré MM. Pio Rajna, R. Renier, G. Mazzoni, A. Luzio, G. Ferrari, etc.).

G. Seanues, Bojardo’s Orl. Innam.und seine Beziehung zur altfranz.

_erzählenden Dichtung. Leipzig, 1901.

F. Fôrrano, 1 Precursori del Boiardo, dans la Rivista d'Italia,

_octobre 1905.

G. Berront, Nuovi studi su M. M. Boiurdo. Bologne, Zanichelli, 1904. G. Maravasi, La materia poelica del ciclo brettone in Italia. Bologne, Zanichelli, 1903.

Question III. La RÉVOLUTION FRANÇAISE ET L'ITALIE.

Auteurs : Letture del Risorgimento italiano, scelte da G. Carpucar (Bologne, Zanichelli, 1896), .t. [ (1749-1830), p. 184-255. V. Arte, 11 Misogallo. V. Mori, Bassvilliana, c. Il, et Per il Congresso cisalpino in Lione, ode.

Textes :

Pour le Misogallo, il existe une édition excellente, avec une intro- duction et des notes, due aux soins de M. R. Renier (Florence, San- soni, 1884). |

Les pièces de Monti portées au programme sont contenues dans le volume de Poesie scelle ed annotale, a cura di G. Piergili; Florence, Barbèra, 1891.

Outre les morceaux publiés par G. Carpucar dans ses Letture del Risorgimento italiano, et portés au programme (t. I, p. 104-255), les

_ candidats feront bien de recourir aux œuvres importantes dont il

existe de bonnes éditions, signalées ci-après : P. Cozrerra, Storia del Reame di Napoli da 1734 al 1825, con Intro- duzione e commenti di C. Manfroni. Milan, 1905, 2 vol, in-8°,

354 BULLETIN ITALIEN

V. Cuoco, Saggio storico sulla rivoluzione di Napoli (1799), premes- savi la vita dell’ autore scritta da Mariano d’Ayala. Florence, Bar- bèra, 1865.

U. FoscoLo, Le ullime leltere di J. Ortis, ed. Martinetti e C. Antona- Traversi, Saluces, 1887.

U. Foscoro, Poesie, nuova edizione critica per cura di G. Chiarini. Livourne, 1904.

Études historiques :

AuG. FrancHEeTT1, Sloria d'Italia dal 1789 al 1799. Milan, Vallardi, s. d. (Storia politica d'Italia scritta da una Società di Professori.)

O. Buzze, Die italienische Einheitsidee in ihrer litterarischen Ent- wicklung von Parini bis Manzoni. Berlin 1893.

C. Tivaronr, L’Italia durante il dominio francese, 2 vol. Turin, 1889.

B. Croce, S{udü slorici sulla Rivoluzione ncnoletana del 1799,

éd. Rome, 1897.

F. Bouvier, Bonaparte en Ilalie. Paris, 1899.

G. Grepri, La Rivoluzione francese nel carteggio di un osservatore italiano (Paolo Greppi). Milan, 1900, 3 volumes.

La vita italiana durante la Rivoluzione francese e l'Impero, confe- renze. Milan, 1906.

F. Lemmi, Le origini del risorgimento italiano (1789-1815). Milan, 1906.

Giuseppe ManAcORDA, 1 rifugiali italiani in Francia negli anni 1799- 1800. Turin, r907. (Extrait des Memorie della R. Accad. delle Scienze di Torino, série II, tome LVII.)

Études littéraires générales :

Paul Hazaro, La Révolution française et les lettres ilaliennes (1789- 1815). Paris, 1910.

E. Masi, Il leatro giacobino in Ilalia (dans le volume Parrucche e sanculolti nel secolo XVIII, Rome, 1880).

A. Pacuiccr-Brozzr, Sul leatro giacobino ed antigiacobino in Italia.

Milan, 1887. G. Genrice, Dal Genovesi al Galluppi, Herr storiche. Naples, 1903.

Fr. Aposrour, Le Lellere sirmiensi, riprodotte e illustrate da A: D'Ancona, colla vita dell’ autore scritta da G. Bigoni. Rome-Milan, 1906.

Études particulières sur Alferi :

Eu. BerranA, Vittorio Alfieri studiato nel pensiero, nella vita e nell arte, ed. Turin, 1904. P. F. Moxnezzo, Un nuovo misogallo. Naples, 1894.

Aa) (Hs pe qe DRE en:

QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT 305

G. TamBar4, Un manoscrilto di rime politiche degli ultimi anni del secolo XVIII. Padoue, 1891.

Sur U. Foscolo :

G. DE Wixckezs, Vila di Ugo Foscolo. Vérone, 1885-1898, 3 vol. A. Mrcuæzr, Ugo Foscolo a Venezia; dans le Nuovo Archivio Veneto, 1903 et 1904.

Sur V. Monti :

T. Cas, 1! cittadino V. Monti, dans la. Nuova Antologia de juin- juillet 1894.

C. Canru, V. Monti e l'età che fu sua. Milan, 1879.

L. Viccni, Vinc. Monti; le lettere e la politica in Ilalia dal 1750 al 1830. Fusignano, 1879-87, 4 volumes.

L. Viccai, Les Français à Rome pendant la Convention (1792-1795). Rome-Paris-Londres, 1892.

Sur les frères Verri :

L. Ferrari, Del Caffè, periodico milanese del secolo XVII. Pise, 1899.

Eug. Bouvyx, Le comte P. Verri, ses idées et son temps. Paris, 1889.

A. Leprerr, Studio biografico e crilico su Aless. Verri e le Notti Romane. Camerino, 1900.

Sur les frères Pindemonte :

Poesie e lettere di G. PINDEMONTE, raccolte ed illustrate da F. Bra- DEGO. Bologne, 1883.

S. Peri. /ppolito Pindemonte. éd. Rocca San Casciano 1905.

S. Gixr, Vila e studio critieo delle opere d'Ipp. Pindemonte. Como,

1899. Sur C. Botta : C. Dromisorri, Vita di Carlo Botta. Turin 1867. P. Pavesio, Le lettere inedite di C. Botta. Faenza, 1875.

E. Reis, Studio intorno alla vita di C. Botta, dans les Memorie della R. Accad. di Torino, 1903, tome LIIL.

10° Sur Vincenzo Cuoco :

G. OrrToxe, Vincenzo Cuoco e il risveglio della coscienza nazionale. Vigevano, 1903. .

N. RuGcreri, V. Cuoco, studio storico-critico, con un’ appendice di documenti inediti. Rocca San Casciano, 1903.

M. Rouaxo, Ricerche su V. Cuoco politico, sloriografo, romanziere, giornalista. Isernia, 1904.

326 BULLETIN ITALIEN 11° Divers :

U. Para, V. Barzoni e i Francesi in Italia. Venise, 1895.

A. Lumsroso, Attraverso la Rivoluzione francese e il primo impero. Milan, Turin, Rome, r907. |

G. Srorza, Contribulo alla vita di G. Fantoni (Labindo). Gênes, 1907.

L. Pepe, Jgnazio Ciaja, martire del 1799. Trani, 1899.

F. MomiGrraxo, Un pubblicista, economista e filosofo del periodo napoleonico (M. Gioia); dans la Rivista di filosofia e scienze affini. Bologne, 1903. |

Question IV.— La POÉSIE ITALIENNE DEPUIS 1870.

Auteurs.— G.Carpuccr, Avanti! Avanti!; Il canto dell Amore; Davanti S. Guido; Ça ira; Nell annuale della fondazione di Roma; Jaufré Rudel; Cadore. M. Rarisarni, poésies contenues dans l’antho- logie Dai nostri poeli viventi (Florence, 1903), p. 342-354. G. Marrani, même anthologie, p. 222-232. G. Pascorr, même anthologie, p. 304-319. G. »’Axnuwzio, la Figlia di Jorio.

Texte :

Toutes les pièces de G. Carducci portées au programme sont conte- nues dans l’Antologia Carducciana de MM. G. Mazzoni et G. Picciola (Bologne, Zanichelli, éd., r909). Mais les candidats doivent aussi connaître l'édition complète en un volume des Poesie di G. Carducci (Bologne, éd., 1904). Il existe aussi des éditions partielles, avec commentaire, des poésies de Carducci; nous signalerons :

D. Frawnzoxt, Le grandi odi storiche di G. Carducci, con commento e studio storico sul poeta, éd. Lodi, 1907.

D. FERRARI, Saggio d'interpretazione di quaranta odi barbare, 3 vol. Crémon, 1908-1910. |

Pour la Figlia di Jorio de G. D’Annunzio, il n'existe pas d'autre édition que celle de Milan ; Treves, 1904.

L’Anthologie Dai nostri poeli viventi contient les autres textes à étudier; mais les candidats devront feuilleter les principaux recueils complets des œuvres de G. Marrapt (Poesie nuovamente raccolte ; éd., 1905, Florence, Barbèra); de Mario Rapisarpt (Opere, 6 vol., Catane, 1894-1897); de Giovaxxi Pascorr (Myricae, éd., Livourne, 1905; Canti di Castelvecchio, Bologne, 1906; Primi poemetti, Bologne, 1907).

Ouvrages à consulter :

La revue La Critica a publié, par la plume de son directeur BENE- DETTO CROCE, une série d’études touchant la littérature contempo- raine, chacun des poètes ci-dessus nommés est l’objet d’un examen

QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT 357

approfondi, complété par des indications biographiques précises (années 1903-1910).

Buonr Fagris, La genèse et les sources françaises du «Ça ira » de G. Carducci. Lucques, Baroni, 1910. :

G. Curarinr, Memorie di G. Carducci scrilte da un amico, éd. Florence, Barbèra, 1907.

G. A. Borcese, Gabriele D'Annunzio. Naples, 1909.

A. Heumanx, La poésie dans la tragédie de‘G. D'Annunzio (Revue bleue du 4 juin 1910).

AUTEUR LATIN POUR L'EXPLICATION ORALE.

Le programme indique l'édition des Egloghe Pescherecce di Jacopo Sannazaro, recate in versi italiani da Luigi Grilli; edizione corredata dal testo; Città di Castello, 1899. Il ne sera pas superflu d’en collationner le texte avec celui des éditions du xvr° siècle ou des réim- pressions du xviu° (Amsterdam, 1728; Padoue, 1731).

G. Rosalba, La cronologia dell « Eclogae piscatoriae» di J. Sanna- zaro, dans le Propugnatore, 1893, p. 5.

Pour le commentaire spécial que l’on attend des candidats id Rap- ports sur les concours d’Agrégation d'’italien en 1909 et en 1910), les ouvrages les plus nécessaires à consulter sont naturellement la Gram- maire des langues Romanes de W. Meyer-Lübke, et la traduction italienne de sa grammaire italienne (Gramm. slorico- -comparata della lingua italiana, Turin, Loescher, 1901); on tiendra compte aussi de l'excellent manuel de M. E. Bourciez: Éléments de linguistique romane, Paris, 1910. Pour faciliter la tâche des candidats en ce qui concerne la prononciation du latin, nous publions ci-après quelques indications brèves mais précises, que M. Bourciez a bien voulu formuler à leur intention et dont la rédaction du Bulletin lui exprime toute sa reconnaissance.

OBSERVATIONS SUR LA PRONONCIATION DU LATIN”

Les observations suivantes, d’un caractère tout pratique, et présen- tées sous une forme forcément un peu brève et impérative, indiquent comment devrait être rectifiée la prononciation du latin actuellement

1. Ces notes sont destinées plus particulièrement aux candidats des agrégations et de licence d’espagnol et d’italien,

a a

358 BULLETIN ITALIEN

employée en France. Elles se réfèrent dans la mesure nous la connaissons à la prononciation usitée dans la bonne société romaine vers le début de l’époque impériale, c’est-à-dire au temps d’Auguste. On n’a tenu compte ici que des nuances les plus importantes, et on a laissé de côté les prescriptions déjà admises chez nous (s et { sensibles

à la finale, gn non mouillé, e jamais muet, etc.). Les points de comparaison ont été pris dans les sons du français normal,

I. Consonxes. "

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1. La réforme essentielle consistera à articuler le c toujours dur devant e, i, donc comme k ou x grec (dans civis, audacia, facere, comme dans carus). Le g sera de même articulé comme y grec ancien (dans genus, agere, agil, comme dans gula ou agat).

2. Le { conservera toujours le son dental ordinaire, et ne sera pas sifflant devant : suivi d’une autre voyelle (on le prononcera dans actio, perilia comme dans tibia ou perilus). |

3. Le s doit être aussi toujours prononcé dur (dans casa comme dans sal), et jamais comme un z. Le x s'articule cs (fr. excès).

4. Le n et le m ne doivent jamais nasaliser les voyelles qui les pré- cèdent; ils conservent donc leur articulation distincte. Le n est faible ou nul dans le groupe ns ; il a une teinte gutturale dans nc, ng. Le m doit être articulé faiblement à la finale (dans dominum, rosam, etc.).

5. Le r est assez fortement roulé. Les consonnes doubles se font entendre par une prolongation de l'articulation.

6. Le À est muet ou assez faible (dans herba, cohors, etc.). Dans les groupes ch,th, ph, il représente une aspiration légère qui peut se faire sentir ou non derrière c, {, p (pour le groupe ph, on pourra tolérer une prononciation /).

7. Le u consonne (écrit d'ordinaire v) est une semi-voyelle du se prononce comme un w anglais (le ou du fr. oui) dans uinum ou vinum, cauare ou cavare, etc. On peut cependant admettre aussi pour lui la prononciation du v français labiodental dans vin (c'est déjà celle de l'époque de Trajan).

8. Le i consonne (écrit souvent j) est une semi-voyelle qui se prononce à l’initiale comme y du fr. yeux, et entre deux voyelles comme iy (dans iam ou jam, iugum ou jugum, Maia ou Maja, etc.).

II. VOYELLES.

1. La réforme essentielle et indispensable sera de conserver à l’u latin le son qu’il a en italien et en espagnol, celui de la diphtongue graphique ou en français. Dans les groupes qu ou gu suivis de voyelle, l'u est un w léger (voir plus haut, I, 7).

QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT 359

2. Pour les autres voyelles, on peut se contenter d’un a intermé- diaire entre ceux du fr. patte et pâte; d’un e et d’un o intermédiaires entre les sons ouverts et fermés (ceux du fr. mer et dé, port et pot). L'i se prononce comme dans le fr. dire. Toutefois, il serait préférable de donner aux voyelles brèves un son plus ouvert qu'aux longues : mèl comme fr. mer, téla comme fr. dé, etc. (Voir plus bas, IV, 1). L’y qui ne se rencontre que dans les mots venus du grec, sonnera comme l’u français ou l’ü allemand (Pyrrhus prononcé pürrous).

3. Les voyelles ne doivent jamais être nasalisées (voir plus haut, I, 4).

III. Drparonquess.

1. Dans la diphtongue au de causa, audire, etc., les deux éléments seront prononcés distincts, mais réunis dans une seule émission de voix (fr. aou). La diphtongue rare eu sera de même proférée éou dans heu, neuter, Europa, etc.

2. Les diphtongues ae, oe, dans caelum, poena, peuvent être profé- rées avec une distinction des éléments composants (prononciation litté- raire), mais aussi comme un e simple (prononciation plus populaire).

IV. QUANTITÉ ET ACCENTUATION.

1. Il serait à désirer qu’on distinguât toujours les voyelles latines brèves et les longues, en faisant glisser la voix ou en la laissant traîner. Ex.: alïs prononcé avec un i comme celui du fr. lisse; mais nutris comme dans le fr. un lis. :

2. Il serait bon également que, pour reproduire l'accent musical des anciens, la voix montât jusqu'à une note plus aiguë sur la voyelle de la syllabe accentuée. On sait que cette voyelle est la pénultième dans les mots elle est longue (paroxytons); l'antépénultième, dans ceux la pénultième est brève (proparoæytons). Dans tous les cas, la syllabe initiale du mot est proférée avec une certaine force musculaire.

3. À défaut d’une observation exacte de ces nuances, on devra tenir compte de l'accent d'intensité (vulgairement appelé tonique), et le faire porter, suivant la règle énoncée plus haut, tantôt sur la pénultième, tantôt sur l’antépénultième : Ex. maritus, rapidus. On obtiendra ainsi une distinction qui n’est probablement pas celle du début de. l’époque impériale, mais qui est d’une importance capitale pour l’évolution ultérieure du latin.

E. BOURCIEZ.

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DIALOGO TRA S. FRANCESCO E LA POVERTA

(Le Poesie Spiriluali del B. Jacopone da Todi, Venezia, 1617, L. I, oda XXIV, p. 347.)

San Francesco sia laudato, Che con Christo sta beato.

Per la gratia divina Si conobbe per dottrina, Come di pungente spina Nacque buon frutto odorato.

Egli andû a confessione Con grande contritione. Dimandà religione Si com’ huomo disperato.

Dell’ apostolica vita Allor fulli stabilita La regola statuita Dal sommo Pontificato.

San Francesco assai cortese, Poi che con Christo s’apprese, Tutto sempre a questo attese Di esser povero ligato.

All entrar d’ una foresta Povertà si li fu appresta, Como femina onesta Col corpo trasfigurato.

Ben pareva regolata Come donna disprezzata.

Sola andava e fatigata, Perché avea molto girato.

Quando’l vide, se li appressa.

San Francesco si recessa. Peccatore si confessa, Perché solo era scontrato. Quando ella ver lui mosse, Femina credea che fosse: Di vergogna si commosse, Che pensava esser cercato. San Francesco la risguarda, Del saluto non si tarda : Il divino foco t’arda

De lo spirito infiammato. Quella prese a favellare :

Frate ben sai salutare.

Qual ragione hai sol d’andare?

Che mi pari huom regolato. Povertate vo cercando :

Che ricchezza ho messo in bando.

Fanto l’anderd chiamando, Ch’io con lei sard scontrato.

Frate mio ben hai detto; Che da Dio sii benedetto. Amistade ti prometto;

Perd c’hai si ben parlato.

Donna per l’amor di Dio Non guardar perché ji’ sia rio, S’i t’ho detto il fatto mio.

Tu chi se’, che m’hai laudato?

Con vergogna frate ‘1 dico, Perché non se’ molto antico. Ma perché sei nostro amico, Non ti sia da me celato.

Son colei, che tu dimande Con le povere vivande.

Ogni cosa mi par grande, Che per Dio mi sia donato.

Or mi di’, Suora, in che guisa

Tu mi par Donna in divisa? Povertate in sua assisa Non ha corpo si formato. Frate ben ti dico vero, Di color son bianco e nero; Como Christo è un'’intero Et in Trinità vocato. Questo corpo par fattura D'una umana creatura. S'io avessi altra figura, Non saresti assicurato. Ma in quel modo, che mi vedi,

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Se ti piace, se mi credi,

Dio mi manda, e ti concede Quel medesmo, c’hai pregato. À questo elli: Hor io son satio.

lesu Christo ne ringratio,

Che m’ha dato tanto spatio

D'aver quel c’ho disiato. Frate, hor non lodar il giorno,

Se non provi lo sogiorno.

Chi vuol ben sonar il corno,

Tienlo stretto dal suo lato. Nulla cosa è da piacere,

Che sia poscia da pentere.

lo più grave a sostenere

Son che’l pondo encaricato. Vedi bene, che io son passa :

Tal vivanda non m'ingrassa.

E puoi creder, ch’io son lassa,

Che tutto’l mondo ho cercato. Non trovai ancor persona,

Se del mio fatto ragiona,

Ch'ella dica ch'io sia buona,

E che non mi dia commiato. Che io son aspra e sono amara:

Tutta gente con me è ’n gara,

: E ogni cosa m'’entra cara,

Unque non è tal mercato.

Elli allor : Suora si voglio, Per non fare quel che soglio, Rimembrando si mi doglio,

Che ’l tempo haggio mal usato.

Haggio Iddio tanto offeso, Che dovria esser impeso : Perché ’n vano haggio dispeso Tutto cid c’haggio operato.

Ben Francesco hai gran ra-

[gione

Di temer condennatione: Se t’arrendi per prigione Non sarai si giudicato.

Suor, se tu non mi vien meno, Senza te mai non mi ceno. Sarai quasi come freno, Bicordando'’l mio peccato.

Frate, se tu mi provassi Di lassar i boccon grassi, Spenderesti molti passi, Accioché fossi albergato.

Non ti porre or questa magna. Chi non spende non guadagna. Se tu fossi mia compagna,

Non fia mai da te scostato.

Frate, non sii di me vago. Maggior cosa si ti pago,

Entra per lo crun dell’ago I1 camelo scaricato.

Sora mia non m'esser grave, Par mi sei dolce e suave,

Si como è in porto la nave. Quando è fuor del tempestato. Non ti credo nulla cosa, Se non mi ti fai tua sposa.

Non sard poi vergognosa, Da che mi ti avrai sposato.

Ch'io sposata fui da Christo, E in sua vita feci un misto (Si come ha in se l’ametisto) Di due lustri a gli occhi grato.

Se tu fai questo ligame, . Vederd ben che tu m’ame.

Non per sete per fame Non sarai da me lassato,

Or t’ho detto tutto’l fatto, Perché ’1 mondo non tien patto; Se non vuoi ricever matto, Lassa il gioco intavolato.

Jo di nulla mi difendo (Disse’1 Santo); mi ti rendo. Tutto’l corpo in te dispendo Mal vestito et affamato.

Ora bene, hai grande fede; Chi ben ama sempre crede:

Ma tuo occhio anco non vede Color, che mi son da lato.

Ch'io haggio qui sette sorelle, Tutte pretiose e belle.

Me aver non puoi senza elle; Che tra se l’han giurato.

L’una si è mia cameriera.

Et cortese messagiera. Ogni cosa glie è leggiera A soffrir in ogni lato.

Se non tieni il cor con meco, D’altra via non sto con teco; Ciascheduna porta seco | Ricco pegno incoronato.

Elli : Chi costoro sono, C’hanno preggio cosi buono? Credo ben che questo dono lesu Christo m'ha mandato.

Frate, di me ben ti basta: Chi è ben saldo non vuol tasta.

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Tal ha ferro in fillasta, crede esser vulnerato.

Elli allor : Dico mia colpa Di gran vitio in che io so in colpa. Che già l’osso entro la polpa Mi sento or contaminato.

Frate, non ti sia vergogna La parola, che rampogna.

Chi alquanto tien bisogna, Ben si pud chiamar pagato.

Suora, e tu sii mia bifolca; Como terra si m’assolca: Quanto vuoi, sotterra colca; Pur che io sia ben medicato.

Frate mio, non ti dispiaccia, Che’l mio detto ti minaccia : Che a la tua medesma faccia Veggio, sei ben medicato.

San Francesco : Suora mia Sia pur quel, che esser si sia; Dimmi or della compagnia, Onde m’hai si ’nnamorato.

Queste son la Charitade Ubidienzia, e Umilitade, Continentia, e Castitade Patientia en sommo stato.

Cameriera è la Speranza,

Che ci dona consolanza, Onde avemo gran baldanza, Che lo ben sia meritato.

Suora mia (le disse il Santo), Questo bene a me par tanto, Che di gioia tutto quanto Mi par esser rifrescato.

Frate, questo è tal presente, Che ti manda Dio vivente.

Se serai ben sofferente, En buon ora fusti nato.

= Suora, ben ti vo obedire E tutto in pace sofferire,

Et amare e ben servire Il Signor, che m'ha crealo.

E di questa nova storia Christo n’aggia laude e gloria,

E mi doni con vittoria Vincer, chi m’ha contraslato.

Frate, meco sta in concordia, Nulla sia tra nui discordia,

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Dio per sua misericordia Faccia te da me amato.

Suora, se non t'’è in fatiche, Pregoti, che tu mi diche; Come io da queste amiche Sard ben guidardonato.

Frate, di me dir in prima, Se m'intendi ben per rima: Che dal piè ’nsino a la cima Sempre ’l mondo m'’ha odiato.

Di saper sono et ingegno, Senza danno si ritegno Intrattabile sostegno Senza nullo judicato.

Di possession si coverta Mia fortezza non è certa: Tutt'ora con man aperta Porta il magno Imperiato.

Ond’i vo sempre gioconda De la gratia che m’abonda:

A la tavola rotonda Sarai meco satiato.

Di quest’altre, che mi dici, In su’l ciel han le radici;

De’ sto mondo fur nutrici, E onde Christo fu cibato.

Tutti ensieme con riposo,

In quel luogo dilettoso Di lesu Christo amoroso Entraremo, almo beato.

Entraremo in gaudio magno

Ove è quel pretioso agno,

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Del suo sangue, che fe un bagno,

Onde el mondo fu lavato. Che piu è ’l ben, qual io non [mostro, Che avrem col Signor nostro; Se tutta acqua fosse inchiostro, Nol pu dir tanto beato.

Di saper più non ti caglia. Sta costante a la battaglia.

Se pur ti verrà travaglia, Pensa como vadi armato.—

Cid che a Povertà conviene, San Francesco ben ritiene. Rinovd tutto di spene,

Di tal muda rinfrescato.

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RAPPORT SUR LES CONCOURS D’AGRÉGATION D’ITALIEN

ET DU CERTIFICAT D'APTITUDE

À L'ENSEIGNEMENT DE LA LANGUE ITALIENNE DANS LES LYCÉES ET COLLÈGES

EN 1910

Monsieur LE MinisSTRE,

Comme l’année dernière, vous avez bien voulu m'appeler à présider simultanément le jury d’agrégation d'’italien, et celui du certificat d'aptitude à l’enseignement de la même langue ; au reste, la compo- sition de ces deux jurys tend de plus en plus à se confondre 1. Pour ce motif, je réunis en un seul rapport les observations que j'ai l’hon- neur de vous soumettre sur ces deux concours.

I. AGRÉGATION.

Le nombre des candidats inscrits a été de dix, mais neuf seulement ont pris part aux épreuves écrites, chiffre identique à celui de 1909, mais encore inférieur à la moyenne des années 1900-1907. L'impor- tant, d’ailleurs, est que le niveau s'élève d’une façon sensible après le fléchissement des dernières années; or, cette fois, le candidat classé second atteint un total de points supérieur à celui du premier de 1909. Quant au premier de cette année, il possède une culture littéraire et des qualités critiques que nous aurions voulu rencontrer plus souvent dans les concours précédents. Le jury enregistre ce progrès avec satisfaction, et veut y voir la promesse que le niveau ne fléchira plus : il y tiendra la main ; l'intérêt bien entendu des études italiennes

1. Le jury d’agrégation était composé, outre le président, de MM. Bouvy, chargé de cours à la Faculté des Lettres de l’Université de Bordeaux, J. Luchaire, professeur à la Faculté des Lettres de l’Université de Grenoble, et Paoli, professeur au Lycée Louis-le-Grand. Le jury du certificat comprenait, outre le président, MM. Luchaire et Paoli.

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364 BULLETIN ITALIEN

lui en fait un devoir. Un agrégé d'italien doit être quelque chose de « plus qu’un professeur de langue parlée; il faut qu'il initie ses élèves à la poésie d'un Dante, d’un Arioste, d’un Leopardi; qu’il leur fasse sentir la profondeur du génie d’un Léonard ou d’un Michel-Ange, et. leur explique quelle place occupe l'Italie dans la civilisation de l'Europe moderne. Alors son enseignement sera vraiment apprécié et recherché, parce qu'il ne le cédera à aucun autre pour la formation intellectuelle de la jeunesse. Bien entendu, il sera donné en italien : mais le maniement de la langue vivante n’y sera plus son but à lui- même, et les jeunes gens qui le suivront apprendront en même temps à goûter une poésie exceptionnellement riche, et une pensée constam- ment en quête de beauté. Cet idéal ne se réalisera pas tout d’un coup : mais le premier point est de recruter des agrégés capables de le mettre peu à peu en pratique.

Épreuves écrites. Le thème était un chapitre de M. Maeterlinck, contenant une longue citation de Buffon :; quatre copies ont paru très honorables, deux seulement tout à fait ns M Les difficultés étaient d'interprétation précise, de syntaxe et de style, plutôt que de vocabulaire; plusieurs candidats ont su se tirer adroitement d'affaire: mais il est regrettable que, chez quelques-uns, même des meilleurs, on relève des négligences et des étourderies assez sérieuses.

La version, tirée du chant X de l’Adone du Cav. G. B. Marino (st. 36 et 38-43), renfermait des subtilités de pensée et des rech rches d'expression assez délicates à saisir et à rendre. Aucune copie L'esl exempte de contresens; deux sont franchement mauvaises. L'une des erreurs les plus fréquentes a été de traduire scrignuta par « crevassée» ou par une expression équivalente; les candidats, ignorant le mot, ont essayé d’en deviner le sens d’après le contexte, et ont fait fausse route. Un certain nombre de particules confirmatives ou atténuatives, comme pure, ancor, mai, employées par le poète avec intention, méri- taient d’être rendues avec soin ; elles ont été trop souvent éludées. Un candidat a fait effort pour conserver le plus possible les inversions du : texte italien, et pour reproduire l’aspect des vers ; cette méthode n'est pas à encourager, car elle amène à traduire les passages difficiles tellement mot à mot, qu'il est impossible de savoir si le sens est ‘4 compris, et cela ne ressemble plus que de fort loin à du français. RO

Le sujet de dissertation française? se prêtait à des développements abondants tant sur l'histoire du théâtre que sur celle des milieux littéraires et de la société à Venise au xvinr siècle. Les candidats s'en sont donné à cœur joie, et le reproche que l’on peut adresser aux plus” faibles d’entre eux n’est point de manquer de documents ; c’est plutôt

1. La Vie des abeilles, II, xxn. 2. La fiaba; sa signification dans l’histoire du thédlre italien et dans la société vénitienne du xvr® siècle; causes de son succès el de sa décadence. : Le

te DE ice ESS Ar, à

QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT 369

d'en présenter trop, de mal choisir ceux qu'ils présentent, ou de les mal présenter. Les uns se sont perdus dans des développements de longueur excessive sur Goldoni ei sur Chiari; les autres ont cru oppor- tun d'analyser une à une les « fiabe » de C. Gozzi; d’autres ont mêlé les différentes questions proposées, parlant simultanément de l’origine de la « fiaba », de ses caractères et des causes de son succès, aboutis- sant ainsi à un travail confus, d’une lecture pénible. Un petit nombre seulement de candidats ont su serrer d’un peu près le sujet, dire l’essentiel et le dire de façon méthodique, envisageant distinctement les origines de la « fiaba », les transformations que Gozzi lui a fait subir, ses caractères essentiels comparés à ceux des autres formes dramatiques italiennes, ses rapports avec le milieu vénitien, les causes de son succès, causes générales, inhérentes au genre lui-même, ou spéciales à Venise, enfin les raisons du peu de durée de son succès. La rédaction des compositions a été de valeur fort inégale, les compo- .

_sitions les mieux ordonnées étant, presque toujours, les mieux écrites.

Les négligences de style, les italianismes ne sont pas rares et ne semblent pas toujours le fait d'inadvertances. Un candidat, malgré les avertissements donnés dans le précédent rapport, a eu le mauvais goût d’émailler son style, d’ailleurs très médiocre, de mots italiens dont la présence n’a aucune excuse, puisque les équivalents ne font pas défaut en français ; affectation ou paresse d'esprit, il y a une habitude fâcheuse, à enrayer au plus vite.

La dissertation italienne était moins facile à traiter, car le sujet roulait sur l’art autant que sur la littérature et comportait l'expression de nuances délicates r. Le défaut général a été justement l'absence de nuances, ou la maladresse à subordonner les divers points de vue à une conception nette d’un problème éminemment complexe. Un trop grand nombre se contentent de ces formules simplistes : la Renais- sance résulta de la révélation subite de l'Antiquité, ou bien : l'humanisme a marqué un temps d’arrêt, pour ne pas dire un recul, du génie italien. Les plus avisés ont bien reconnu à quel point ces formules banales cadrent mal avec les faits; mais ils se sont empêtrés dans les contradictions et n'ont traité que des parties du sujet. Une seule copie a paru vraiment distinguée, trop unilatérale dans sa conception, mais révélant une pensée personnelle qui s'exprime avec fermeté. Trois compositions ont été jugées très insuffisantes. La correction matérielle n'a guère donné satisfaction que dans trois ou quatre copies; les autres sont déparées par des étourderies dont un bon nombre peut être mis sur le compte d’une improvisation hâtive; mais beaucoup paraissent tenir à une négligence habituelle; par

1. « Indagare per quali ragioni, sia teoriche, sia storiche, le arti plastiche abbiano avuto in Italia, sul finire del secolo xv et nei primi decenni del xvr, uno svolgi- mento più pieno e, in complesso, più originale che non la letteratura. »

Bull. ital. #

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exemple, plusieurs candidats semblent s'être entendus pour ne plus employer l’article devant aucun nom propre : ils écrivent Petrarca, Machiavelli, Poliziano, Botticelli, comme Dante, Leonardo, Michel- Angelo, Raffaello, etc.; le cas est cependant bien différent et l'on ne doit pas ignorer qu'il Enitie à cet égard un usage solidement établi en italien.

Épreuves orales. Dans leur ensemble, les épreuves orales ont été satisfaisantes ; un seul des admissibles a fait preuve d’une gaucherie qui lui a fait perdre trois rangs.

Il y a progrès incontestable pour le thème oral, notamment en ce qui concerne le commentaire grammatical et lexicographique que le jury attend après la traduction ; trois candidats surtout ont fait sur ce point un effort louable. Le jury recommande encore une plus grande précision, car les remarques doivent être tirées du texte proposé, sans tomber dans des généralités faciles. Cette épreuve de traduction improvisée exige un entraînement approprié; le jury a encore entendu cette année trop de gallicismes comme avrei creduto essere (j'aurais cru être), le gérondif italien pour traduire le participe présent français exprimant un état et non une action, etc.; un seul candidat a su rendre «une Vierge» (il s’agit d’une œuvre d'art) par una Madonna: Voilà quelles sont les difficultés qui devraient faire l’objet, dans le commentaire, d'observations brèves, mais précises; seulement il faut commencer par les apercevoir !

Les explications préparées: ont également marqué un progrès; la méthode est meilleure. Cependant plus d’une fois l’un des deux textes fait tort à l’autre : tel candidat, se sentant capable de donner un bon commentaire historique au morceau de Dino Compagni (FE, vu), a transformé l'explication en leçon, et réduit G. Gozzi (Sermone XF, 40-55) à la portion congrue; tel autre a fait exactement le contraire. Un seul a bien équilibré les deux parties de l'épreuve, Un bon pro- fesseur doit savoir partager un temps limité entre deux exercices, sans en sacrifier aucun.

La leçon en français portait sur Manzoni et la question de la langue italienne, ou plutôt sur un des principes fondamentaux d’où se déduit toute la théorie linguistique de Manzoni?. Un candidat s'est très

1. Comme les années précédentes, tous les admissibles ont traité à l'oral les mêmes sujets, mais pour les épreuves préparées ces sujets ont été tirés au sort.

2. « Manzoni a écrit dans son Rapport sur l'Unité de la langue italienne: Tutti o quasi tutti quelli che negano al toscano la ragione di essere la lingua comune d'Italia gli concedono pure qualche cosa di speciale, una certa qual preferenza, un certo qual privilegio sopra gli altri idiomi d'Italia. Con che, per verità, danno segno di non avere una chiara et logica nozione d’una lingua, la quale non è se non è un tutto, e a volerla prendere un po’ di qua e un po’ di là, è il modo d’immaginarsi perpetuamente di farla senza averla fatta mai. Discuter ce principe, et en montrer l'importance (ou, si l’on croit, l'insuffisance) dans la conception manzonienne de la langue. »

QUESTIONS D'ENSEÏIGNÈMENT 367

intelligemment tenu dans les limites exactes du sujet; on n’a pu regretter dans sa leçon qu'une lacune, qui lui est d’ailleurs commune avec ses concurrents, touchant la genèse des idées du romancier milanais sur ce point: comment la question s’est-elle posée à lui? Avec quelle préparation, quelles idées ou quels préjugés l’a-t-il abordée, examinée, résolue? Ainsi envisagée, la question se fût singu- lièrement éclairée. Quelques-uns ont élargi le sujet, en y faisant entrer des réflexions générales sur le romantisme, ou en s’occupant des cri- tiques provoquées par la théorie de Manzoni; d’autres, au contraire, l'ont rétréci, en ne donnant qu’un résumé, d’ailleurs intelligent et exact, de la théorie, sans aucune discussion. Peu de candidats arri- vent à se tracer un plan net, et à s’y tenir, à poser nettement la question dès le début, et à faire sentir la progression de leur dévelop- pement. S'ils n'y réussissent pas mieux, c'est sans doute aussi parce qu'ils ne saisissent pas très distinctement la question sous tous ses aspects. |

Le sujet de leçon en italien consistait en un exposé critique des idées de Léonard de Vinci sur les mérites respectifs des beaux-arts et de la poésie. La difficulté était double : il s’agissait d’une part de dégager des notes de Léonard tout ce qui est essentiel et vraiment caractéristique touchant ses idées sur l’art, et de l’autre, pour en faire la critique, d’en expliquer la genèse dans l'esprit de l'artiste, de les éclairer à la lumière de son œuvre et de celle des penseurs, poètes, artistes, ses prédécesseurs ou ses contemporains. À ce double point de vue, les cinq leçons ont présenté un aspect très différent et une valeur fort inégale. Deux candidats, préoccupés surtout de l'impor- tance donnée par Léonard à la peinture, ont perdu de vue qu'il avait aussi parlé de sculpture, d’architecture, de musique; leur exposé critique, malgré sa valeur, a donc eu le défaut d’être incomplet. En ce qui concerne les arts plastiques, et notamment la peinture, le désordre dans lequel se présentent les pensées de Léonard, s’est plus d'une fois traduit par une certaine confusion dans l'exposé qui en a été fait. Cette absence de méthode et d'aptitude pédagogique a natu- rellement eu son contre-coup sur la note. La partie critique de la leçon permettait aux candidats de faire voir leur érudition en même temps que leur sens littéraire et artistique. À ce point de vue, le jury a été favorablement impressionné : des réflexions originales, person- nelles ont été présentées; un rapprochement très heureux a été fait notamment avec la critique que Pascal a formulée, un siècle et demi après Léonard, de la « beauté poétique » ; de même l’exagération, dans laquelle tombe l'artiste quand il limite le domaine de la poésie à la . description, a été justement relevée. La forme, dans aucune épreuve,

1. «Esporre e discutere le idee di Leonardo da Vinci intorno al valore rispettivo delle arti e della poesia. »

2 ne A DENT EL OR vi

368 BULLETIN ITALIEN

n’a été parfaite; cependant, à deux exceptions près, l’élocution a été correcte, aisée, parfois élégante. En résumé, cette épreuve, en 1910, a donné des résultats très nettement supérieurs à ceux du concours. précédent.

L’explication d’un texte moderne en langue espagnole a mérité, elle aussi, des notes plus élevées qu’en 1909. L'épreuve a conservé encore un caractère très élémentaire, qui devra peu à peu se relever. Les candidats, qui se sont mis consciencieusement à apprendre la gram- maire, devraient lire, dans leurs moments de loisir, quelque roman contemporain de B. Perez Galdôs ou de V. Blasco Ibañez pour acquérir plus de familiarité avec le vocabulaire et les tournures usuelles, tout en tirant parti de cette étude pour leurs connaissances générales de philologie romane comparée.

Comme l'an dernier, quelques vers latins, empruntés au pro- gramme, ont été joints aux deux textes d'explication préparée, à titre. de simple indication. À partir du prochain concours, en vertu de l’arrêté ministériel du 21 juillet 1910 pris en Conseil supérieur de l'Instruction publique, cette épreuve aura une sanction dans la fixation de la note globale des explications. Aïnsi qu'ont pu le faire prévoir les questions posées cette année, les candidats auront à prouver qu'ils connaissent les rapports qui unissent l'italien au latin au point de vue de la phonétique et de la morphologie. A ,cet égard, ils feront bien de s’exercer à respecter, en lisant, l'accent tonique des mots latins, et à donner aux voyelles et aux consonnes la valeur qu'elles avaient à l’époque impériale.

L’attention des candidats a besoin d’être appelée d'une façon parti: culière sur la prononciation de l'italien. Deux d’entre les admissibles ont été jugés satisfaisants à ce point de vue; l’un possède une articu- lation aisée, agréable, mais non exempte de toute faute (sur l'accent tonique de ciclope et de chiavica, ce dernier mot étant dans un texte du programme; sur la valeur des o ouverts ou fermés, souvent con- fondus); l’autre a plus de correction, mais moins de vivacité et de naturel, Leurs concurrents ont laissé fort à désirer, celui-ci parce qu'il ne semble avoir fait aucun effort pour atténuer. l'harmonie toute fran- çaise de sa diction, ceux-là parce que leur articulation est incertaine ou même incorrecte; l'éducation de leur oreille et de leur gosier est nettement insuffisante. Sur ce point et c’est un point capital il n'y a pas progrès. L'erreur de quelques-uns paraît être de croire qu'il suffit de passer un certain temps en Italie; mais un séjour, même prolongé, en Toscane ne sert pas à grand'chose s'il ne comporte, d'une part, un isolement aussi complet que possible par rapport à tout élément français, et de l’autre, une étude attentive, théorique et pratique expérimentale, s'il se peut de la phonétique. À cet égard, un effort très sérieux réste à entreprendre.

QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT 369

II. CERTIFICAT.

En 1910, vingt candidats se sont fait inscrire au certificat d’apti- tude d’italien, contre vingt-deux en 1909; mais quatre d’entre eux ont renoncé à concourir, au lieu d’un seul défaillant l’an passé. Ce léger déchet ne saurait nous préoccuper; tel composant, très faible, aurait pu se retirer encore sans aucun inconvénient; l'essentiel est que la valeur du concours se maintienne, avec une tendance certaine à se relever. Nous attendons toujours des progrès plus 2e décisifs pour les épreuves écrites; mais l’oral nous a donné beaucoup | plus de satisfaction qu'en 1909. Cette agréable constatation faite,

le jury tient surtout à indiquer les faiblesses à réparer et les progrès

à accentuer.

204 Épreuves écrites. La composition française (éliminatoire) continue à être médiocre. Ce n’est pas en un an, après le cri d'alarme jeté ici même lors du concours précédent, que l’on pouvait compter sur une amélioration notable, alors que le mal a des racines lointaines et profondes. Le jury ne peut se lasser de rappeler quelle importance il attache à cette épreuve de culture générale, et de répéter qu'il ne veut pas, sur ce point, entrer dans la voie d’une indulgence contraire au bon renom et à la dignité de notre enseignement des langues vivantes. Aux termes de l'arrêté du 14 août 1903, sont dispensés de cette épreuve préliminaire les candidats déjà pourvus de la licence ès lettres ou du certificat d'aptitude au professorat des Écoles nor- males (lettres); c’est dire clairement que les autres doivent justifier d'une maturité d'esprit et de style plus grande que celle qu'on attend de simples candidats au baccalauréat ou au brevet supérieur. Sur neuf compositions françaises remises cette année, cinq ont eu des & notes éliminatoires; deux approchent de la moyenne; aucune ne la

dépasse c’est-à-dire n'assure à son auteur la dispense de cette épreuve pour les concours futurs:. FR Le texte du thème, assez difficile2, invitait les candidats à montrer

qu'ils possédaient le vocabulaire usuel et n'étaient pas embarrassés pour rendre convenablement les idiotismes français; or, le jury a constaté chez tous les concurrents l’ignorance de locutions fort communes, telles que «traire la vache» ou «un pêcheur à la ligne », et a relevé un nombre exagéré de gallicismes. Aucune copie n’a

1. Le sujet était: «Expliquer et discuter les raisons pour lesquelles il serait très utile, dans certains cas peut-être indispensable, de connaître la langue, l’histoire et les principaux écrivains de la Rome antique pour étudier à fond la langue et la littérature italiennes. »

2. E. Faguet, Proudhon: « C'était un homme de faible santé. une des plus belles et hautes pages de toute la littérature morale » (Politiques et moralistes du XIX° siècle, série, pp. 115-118 (nombreuses coupures).

370 BULLETIN ITALIEN

dépassé la note 12. Nous ne saurions donc assez recommander aux futurs candidats de lire méthodiquement, la plume à la main, les ouvrages des bons écrivains modernes, pour enrichir chaque jour leur vocabulaire.

La version, qui exigeait de la réflexion pour bien interpréter toutes les nuances d’un texte poétique du xvi° siècle:, a été plus SAUT sante : sept copies ont dépassé la moyenne.

Le sujet de composition en langue italienne portait sur les symp- tômes de renaissance nationale qui se manifestent dans la littérature italienne du xvurr° siècle?, sujet très connu que la présence au pro- gramme d'auteurs tels que G. Gozzi et V. Alfieri pouvait laisser pres- sentir. Le jury n’a pas retrouvé cette fois la fermeté de pensée et sûreté de style qui l’avaient frappé l’an dernier dans deux ou trois copies. Cependant l'épreuve, dans son ensemble, est honorable : une dizaine de candidats ont su tirer un assez bon parti des œuvres de . Gozzi et d’Alfieri qu'ils connaissaient, non sans faire mention en outre, pour la plupart, de Goldoni, de Parini, parfois de Baretti. L’in- formation, assez précise même, n’est pas ce qui fait le plus défaut, mais bien la personnalité dans l’exposition d'idées et de faits qu’il faudrait dominer avec aisance : l'important n’est pas de dire beaucoup de choses, mais de distinguer l'essentiel et de l’exprimer avec autorité. La forme des six premières copies n’est pas sans mérite ; on y relève pourtant trop d’étourderies : évidemment plusieurs candidats n'ont pas pris le temps de se relire. Il faut arriver à être maître de son temps et de sa plume comme de sa pensée.

Épreuves orales. Certaines recommandations contenues dans mon rapport précédent semblent avoir été entendues. Dès la première épreuve, la traduction orale improvisée d’un passage de l’Osservatore de G. Gozzi, deux candidats ont fait preuve de netteté, de jugement, d'autorité dans la lecture et la traduction ; sur plus d'un détail, certes, ils se sont mépris, mais le sens général et le ton du morceau ont été intelligemment rendus. Le thème oral (une page de Lamennais) a donné lieu à une bonne épreuve et à deux passables. Deux épreuves de lecture expliquée (Dante, Parad., XV, v. 118-135) ont répondu assez exactement à ce que le jury attend des candidats ; il est vrai que les autres concurrents ont renouvelé les tâtonnements et l’absence de méthode déplorés l’an dernier. Mais le commentaire grammatical a été meilleur dans l’ensemble; le texte d’Alferi (Oreste, acte IT, sc. r, Y. 104-133) suggérait d’ailleurs un grand nombre de remarques.

La prononciation est satisfaisante, bonne et même très bonne chez deux candidats; mais l’économie du concours est telle qu'il ne suffit

1. Luigi Tansillo, le Lagrime di S. Pietro, Pianto primo, st. 59-64. 2. «Come si rispecchiano nella letteratura italiana della seconda metà del Settecento i costumi del tempo e le aspirazioni a un rinnovamento morale e politico

Din pa

QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT 371

‘pas d'articuler comme un Italien pour compenser une préparation trop sommaire ou une culture générale insuffisante. Inversement, les candidats dont la préparation a été bien dirigée doivent se rappeler que la note de prononciation, avec son coefficient double, est égale à celle de lecture expliquée ou de commentaire grammatical.

Je n'ai pas à répéter les indications données dans mon précédent rapport sur la façon de comprendre les diverses épreuves orales ; j'y renvoie les candidats, en relevant que plus d’un devra encore les méditer. Nous avons entendu par exemple, à propos d’un passage du Paradis, une petite leçon de dix à douze minutes sur la vie et les œuvres de Dante, dont le jury n'a tenu compte que pour mesurer le temps ainsi perdu. Le programme ne comprenant que cinq ou six auteurs, il n’est pas très pénible de préparer, en un an, cinq ou six de ces airs de bravoure, dont on est toujours sûr de placer au moins un. De même, dans le commentaire grammatical, il était inutile de consa- crer même cinq minutes à la légende d’Oreste et à la conduite de l’action dans la tragédie d’Alfieri. Chaque épreuve doit répondre à un aspect particulier de l’enseignement, et c’est bien comme des exercices de classe que le jury s’attache à juger les diverses explications.

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'hommage de mon plus profond respect,

H. HAUVETTE,

Professeur adjoint à la Faculté des Lettres de l’Université de Paris, Président du Jury.

BIBLIOGRAPHIE

Camille Monnet, Projet de bibliographie lamartinienne française- ilalienne. Turin, Lattes, 1909.

M. Monnet a eu la très heureuse idée de rassembler dans ce volume les renseignements bibliographiques sur Lamartine épars jusqu'ici dans des recueils d’inégale valeur, et en y joignant un grand nombre d'indications nouvelles. Comme son titre l'indique, il s’est spécialement appliqué à dépouiller les revues italiennes et je ne sache. pas que personne l'ait fait avant lui. Il rend ainsi le plus signalé service à tous ceux qui s'intéressent à l’œuvre lamartinienne. Modeste- ment, M. Monnet n’a voulu donner son important ouvrage que comme un projet. L’ordonnance en est excellente et claire : il faut souhaïter que de nombreuses éditions permettent à ce livre de s'enrichir et que tous les érudits aident l’auteur dans cette tâche. Je me permets d’in- diquer ici quelques omissions, dans l'espoir de contribuer à cet inté- ressant travail.

1. Puisque M. Monnet cite Brunetière, Faguet, etc., et que son livre, si je comprends bien, est destiné aux étrangers autant qu'aux Français, il serait utile de signaler les pages si serrées, si nourries de science que M. Gustave Lanson consacre au grand poète dans sa Lillérature française (pp. 934-940).

2. Les Souvenirs de Me Delahante contiennent de nombreux ren- seignements sur Lamartine et sa famille.

3. Domenichi, L'amore nella lirica di A. de Lamartine, etc. Padoue, Gallina, in-16, 1907.

4. Doumic, Carnet de voyage de Lamartine en Italie (Correspondant, 25 juillet 1908).

5. Faguet, Amours d'hommes de Lettres (.. Lamartine, etc.).

6. L'étude de M. Fidao, citée page 60, a été insérée, revue, dans son volume Le Droit des Humbles.

7. Galante (Sarah), Le sentiment chez Lamartine. Pistoie, Flori, in-8°, 1907.

8. Ch.-M. des Granges, La Presse littéraire sous la Restauration, ouvrage très important pour quiconque veut étudier l'accueil fait aux Méditations dans la presse.

D Ces

BIBLIOGRAPHIE 373

Mais il suffit de voir avec quelle diligence M. Monnet a mené à bien ce difficile recensement pour être assuré qu'il nous donnera bientôt une bibliographie tout à fait définitive. :

JEAN Des COGNETS.

Carteggio del Conte Federico Confalonieri, ed altri documenti speltanti alla sua biografia, pubblicalo con annotazioni sloriche a cura di G. Gallavresi, parte I. Milano, 1910, in-8°.

La correspondance du comte Federico Confalonieri, dont M. Galla- vresi nous donne aujourd’hui la première partie, méritait bien d’être recueillie. Sur le grand drame de 1814, sur la chute de la domination napoléonienne et la victoire de la Sainte-Alliance, elle fournit des témoignages sincères et perspicaces, qui peuvent servir aussi bien à l’histoire de France qu’à l’histoire d'Italie. Nous y trouvons l’im- pression produite à Milan par la retraite de la Grande Armée: «On sent jusqu'ici la puanteur des cadavres fumants de Moscou » (Lettre 30, 16 oct. 1812). Nous y trouvons le récit de l’entrée triom- phale des Autrichiens dans la capitale lombarde, le défilé des troupes,

les illuminations, la fête au théâtre en l'honneur des officiers de

S. M. Impériale (Lettre 52, 29 aprile 1814). Voici le spectacle de Paris, conquis par «l’immense afflux des diverses nations »: les grenadiers

_ allemands campent sur la partie gauche des Champs-Élysées; et de

l’autre côté, les Cosaques ; la garde russe occupe l'Étoile. Les élégantes viennent tous les jours faire leur promenade au milieu des troupes, pendant que Tartares et Baskirs envahissent les cafés à la mode et les restaurants du Palais-Royal (Lettre 53, 30 avril 1814). Voici le grand espoir de libération qui naît au cœur des Italiens : les bons citoyens, qui attendent avec anxiété des nouvelles, « mettent toute leur con- fiance dans leurs envoyés auprès des Puissances, pour le bien de leur pays»; les ambassadeurs, qui brûlent de patriotisme; et bientôt, l’inutilité évidente de toutes les démarches et la désillusion qui suit la fièvre : « Le sacrifice de ma patrie est accompli; et nous devions

venir jusqu'à Paris, pour être nous-mêmes les spectateurs de notre

misère et de notre deuil! Au moins n’avons-nous pas été des specta- teurs indifférents ou inactifs ; mais ce sont des baïonnettes qu’il faut, et non pas des députations, pour plaider la cause d’un peuple...» (Lettre 76, 18 mai 1814). Enfin, tout rentre dans le calme ; empereurs, rois, princes, prennent la route du retour ; Paris redevient silencieux ; c'est Londres maintenant qui s'agite, prise d’un délire de joie en acclamant Nelson. A négliger le côté psychologique et sentimental de cette correspondance, qui mériterait à lui seul une étude, le simple exposé des faits contemporains suffit à exciter l'intérêt. On s’imagine

374 BULLETIN ITALIEN

assister à ces événements tragiques et glorieux avec celui qui les raconte; c'est de l’histoire qui vit.

La méthode suivie par M. Gallavresi n’est pas moins digne de retenir l'attention. Il avait affaire à deux sortes de lettres, les unes. déjà publiées, les autres inédites: celles-ci étant d’ailleurs les plus nombreuses, grâce aux patientes recherches qu'il a faites dans nombre d'archives publiques et privées. Il a donc eu soin de mettre en tête de chaque lettre, à droite, «Edita» ou « Inedita» ; à gauche, la mention du lieu d’où elle est tirée; le lecteur est aussitôt renseigné, sans fatigue et sans effort. Il ne s’est pas astreint à reproduire l'ortho- graphe quand elle était douteuse ou surannée, ni à laisser subsister la ponctuation quand elle était mauvaise. Mais il n’a jamais inter- prété une lecture douteuse, sans la marquer d’un point d'interro: gation; et il a toujours mis entre parenthèses les conjectures qu'il propose, pour remplacer les passages effacés ou déchirés. Telle semble bien être la juste mesure : il a eu le respect du texte, sans en avoir la superstition. Faut-il rendre intégralement tous les détails de toutes les lettres, même quand ils sont sans importance? Est-il nécessaire de savoir que tel correspondant a eu mal à la tête, par exemple, ou qu'il s’est levé de plus grand matin que d'ordinaire? Ou peut-on, bien plutôt, retrancher avec avantage de telles vétilles? L'éditeur l’a fait quelquefois ; mais il ne l’a pas fait sans résumer le passage supprimé: c'est l'essentiel. Importante aussi, pour des textes modernes ou contemporains, est la question des personnalités. Voici comment il l’a résolue : «Je n’ai pas cru avoir le droit d’omettre certaines lettres importantes, qui ont un caractère indubitable d'intimité, et dont la publication pourrait déplaire à quelques-uns. Les recherches de ceux qui m'ont précédé dans cette étude ont soulevé, qu’on le sache bien, presque tous les voiles; les choses en sont venues à un tel point, que j'avais désormais l'obligation de mettre en lumière le tableau tout entier, évitant des jugements erronés ou exagérés, résultat d'infor-. mations incomplètes. Quand ces fortes raisons ne m'ont pas semblé légitimer l'impression de lettres intimes, et pour ainsi dire sentimen- tales, j'ai cru qu'il était de mon devoir, au risque de renoncer à des documents psychologiques intéressants et quelquefois précieux pour l’histoire des mœurs, de me limiter à la publication des lettres impor- tantes pour l’histoire générale. » Le plus nouveau peut-être est ceci : M. Gallavresi a pensé que la correspondance d’un homme n'était pas exclusivement constituée par les lettres qu’il avait écrites; mais aussi par celles qu’il avait reçues. On ne comprend guère les unes sans les autres; les secondes ne sont pas le supplément des pre- mières, mais leur complément indispensable. Celles même qui pro- viennent de tiers peuvent être bonnes à retenir, quand elles se rapportent directement au personnage principal. Il a donc publié ces

lettres à à Gonfalonieri, en RATES moyens ; Nos con- ( Gonfalonieri, - di Le pa les lettres de sa femme, - en

? à HE

. Gallavresi qui vient hi Fier en mains la revue de la Société istoire du « Risorgimento », s'est déjà fait connaître par plusieurs travaux excellents. Celui-ci nous fait désirer vivement la

on pondance complète de Manzoni, que le public attend. Entre- e Vs la même sagacité et la même finesse, elle ne saurait

1

376 BULLETIN ITALIEN

PUBLICATIONS NOUVELLES ADRESSÉES AU BULLETIN

IrvinG Baggrrr, The new Laocoon; an essay on the confusion of the arts. Boston-New York, 1910; xiv-259 pages, in-16. (Intéresse l’histoire des doctrines classiques et romantiques.)

LuiGr Foscoro Bexeperro, Altre fonti dell « Adone» di G. B. Marino, Turin, Loescher, 1910; in- 8, 26 pages (Extrait du Giornale Storico della letterat. italiana, t. LVD. :

Luic1 Foscoco Bexeperro, 11 « Roman de la Rose» e la letteratura ilaliana. Halle, Niemeyer, 1910; in-8°, 259 pages (Beïhefte zur Zeitsch. f. rom. Philologie, 21 Heft).

BeneperTrO CROCE, Lirici marinisti. Bari, Laterza, 1910; in-8?, 559 pages.

Bexenerro Croce, Saggi sulla letteratura italiana del Seicento. Bari, Laterza, 1911; in-8°, xxur1-444 pages. |

Virrorio Cia, Un francese amico di Cavour e dell Italia : il conte

Ad. di Circourt (Extrait de la Nuova Antologia, septembre 1910, 16 pages).

The forerunners of Dante; a selection from an poetry before Es L

1300, edited by A. J. Butler. Oxford, Clarendon Press, 1910; in-16, Xxxv-262 pages (contient le texte de LXXI canzoni, avec notes).

The Oxford Book of Italian Verse (XILI* century-XIX® century)

chosen by St. John Lucas. Oxford, Clarendon Press, 1910; 576 pages

(Anthologie de 345 pièces, suivies de quelques notes courtes, mais

précises, particulièrement biographiques).

GABRIEL MAUGAIN, Un chapitre de l’histoire des relations intellec-

tuelles de la France et de l'Italie : l'Italie dans quelques publications de jésuites français (dernier tiers du xvn: siècle et quinze premières

années du xvur°). Paris-Grenoble, 1910; in-8°, 58 pages (Extrait des.

Annales de l’Universilé de Grenoble, 1910, p. 381-438). GaBriEz MauGai, Étude sur l'évolution intellectuelle de l'Italie de 1657 à 1750 environ. Paris, 1909; in-8°, xx1-407 pages.

* MauGaix (GaBrieL), Documenti bibliografici e critici per la storia.

della fortuna del Fénelon in Italia. Paris, 1910; in-8°, xx1-229 pages.

AcniLe Neri, La soppressione dell «Indicalore Genovese ». Turin, Bocca, 1910; grand in-8°, 42 pages (Extrait de la Biblioteca di Storia italiana recente, vol. IT).

Pierro Topo, L'Œuvre de Molière et sa fortune en Italie. Turin, Loescher, 1910; in-8°, 578 pages.

Kane VossLer, Die Gütliche Komüdie ; Entwicklungsgeschichte und Erklärung; Il Band, II Teil : Erklärung des Gedichtes. Heidelberg, C. Winter, 1910; in-8°, 335 pages. (Avec ce quatrième demi -volume se termine la grande étude de M. K. Vossler sur le poème de Dante.)

TABLE ALPHABÉTIQUE

PAR NOMS D'AUTEURS

ZIANI ( ). Pour le texte du «Dialogue » de Sainte Catherine de Sienne. .

vRaï (L.). Les deux versions italiennes de la légende de Sainte Cathe-

rine de Sienne, par Raymond de Capoue, à propos du manuscrit italien 2178 de la Bibliothèque Nationale...

G. Bruno, Opere italiane, III. Candelaio, conmedia, con introdu-

- zione e note a ra a V: Spampanato (HIbI DER PNR EN ET

mia trqul Tao Re RCIEZ a Observations sur la prononciation dual se

: dovuta a Louis de Beauvau . . . , . . . . . . . . .. (Cu.). Le politicien à Florence au x1v° et au xv‘ siècle (3e article).. , L'art de la AE ve dans la « «Divine Comédie Pr eue.

ed pe (G.). Un altro nemico delle Raccolte. , . . . . . . . . . . . .

3 Hauverre (H.). Rapport sur les concours d’agrégation d’italien et du certi- ficat d'aptitude à l’enseignement de la langue italienne TEE \ dans les lycées et collèges en 1910.. . . , . . . . . . .

Her G. Rabizzani, Chateaubriand (bibl.). . . . . . . . . . . :

—— A. Borgelli, Arte Nostra, Rime e prose varie (bibl.) , . . . . _ - À. Heroet, OEuvres poétiques, édition critique publiée par ROC OBE RS R de e e res 15 0 _— G. Manacorda, Germania filologica (bibl.). . . . . . . 5 . .

CH. - qu» Miscellanea di Studi in andre di A. Hortis Cibl.). ve ere e

alla sua biografia, pubblicato con annotazioni storiche a cura di GFGaHayrest:parto (bibl): PT Re l'es Masse (:}— Milton en Italie. 1,4. 4, 4. 0. 6. 4 Mucanper (G.). E. Rourciez, Éléments de linguistique romane (bibl.). . . . . _ Paour (M.). E. Zilliacus, Giovanni Pascoli et l'antiquité (bibl.). . . . . . .. . Dante Alighieri, Vita Nova, suivant le texte critique préparé pour la « Società dantesca italiana» par M. Barbi, traduite par Henry Gochin (bibl.).., .:. . . .... . . . . .

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| Péssn(L. -G.). = Asa an FRAPPE ; ra ë A. Bonnefons, Un état neutre sous la Re

_ documents inédits, , 0%) Sea 4

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Bénin Biubarix dal (M"*). Voy. Finzi (6. LES TorNBEE (P. ). - Dante's pans Per una Ghirlandetta ». . e

TABLE ANALYTIQUE

DES MATIÈRES

I. ARTICLES DE FOND.

Dante’s Ballata : « Per una Ghirlandetta (P. Toynbee), p. 93.— L'art de la com- position dans la « Divine Comédie » (C. Dejob)}, p. 285.— Pour le texte du « Dia- logue» de Sainte Catherine de Sienne (J. Anziani), p. 189. Le politicien à Florence au xr1v° et au xv* siècle (C. Dejob}, p. 134. La tradition de Buridan et la science italienne au xvr' siècle (P. Duhem), p. 24, 95 et 202. Milton en Italie (3. Martin), p.300.— Le Osservazioni inedite di Gilles Ménage sopra l’« Aminta » de] Tasso (L.-F. Benedetto), p. 232. Giacomo Zanella et Antonio Zardo(G. Finzi), traduction de M“ Thiérard-Baudrillart), p.336. Libri-Carucci et la bibliothèque

de Carpentras d'après des documents inédits (CG. Pitollet), p. 249 et 316.

IL. Quesrions D'ENSEIGNEMENT.

Rapport sur les concoursdel’agrégation d’italien et du certificat d’aptitude en 1909 (E. Hauvette), p.82.— Les jurys d’italien enrg10,p. 177. Programme des concours d’italien en 1911, p. 265. Concours de 1910: sujets de composition, p. 266. Modification au jury du certificat d’italien en 1910, p. 267. L'enseignement des langues méridionales et le programme des Écoles d’Arts et Métiers, p. 267. Biblio- graphie sommaire des questions et des auteurs portés au programme de l'agrégation d’italien en 1910, p. 348.— Observations sur la prononciation du latin (E. Bourciez), p. 367. Dialogo tra S. Francesco e la Povertà, p. 360. Rapport sur les concours d’agrégation d’italien et du certificat d’aptitude à l’enseignement de la langue ita- lienne dans les lycées et collèges en 1910, p. 363.

III. BIBLIOGRAPHIE.

E, Bourcrez, Eléments de linguistique romane (G. Millardet), p.268.— A. Bor- GELLI, Arte nostra. Rime e prose varie (H. Hauvette), p. 272. Miscellanea di Studi in onore di A. Horris (H. Hauvette), p. 277.— Dante ALiGHiERI, Vita Nova, suivant le texte critique préparé pour la «Società dantesca italiana » par M. Bang, traduite par Henry Cochin (M. Paoli), p. 178. Les deux versions italiennes de la légende de Sainte Catherine de Sienne, par Raymond de Capoue, à propos du manus- crit italien 2178 de la Bibliothèque Nationale (L. Auvray), p. 1. A. HEROET, OEuvres' poétiques, édition critique publiée par F. Gohin (H. Hauvette), p. 273. G. Bruxo, Opere italiane, 111 Candelaio, commedia, con introduzione e note a cura di V. SpampanaTo (L. Auvray), p. 276. Appunti intorno alla traduzione francese

TABLE | ANALXTIQUE DES MATIÈRES del « Filostrato » dovuta a Lots DE Bauvau dre Chiurlo), p. 18.—

grafia, pubblicato con annotazioni storiche a curadi G. GALLAVRESI, r p. 373. Albanyana (L.-G. Pélissier), p. 62.— G. Ras1zzant, C (H. Hauvette), p. 179. C. Monner, Projet de bibliographie lama çaise (J.des Cognets), p. 372. E. Zicrracus, Giovanni Pascoli et l'An Paoli), p. 90. G. a Germania Filologica (H. Hauvette),

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IV. CHRONIQUE o lo el 16e de Le ae UE re RARE EAU

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20 novembre 1910. A | QT

Le Secrétaire de la Rédaclion, EUGÈNE BOI Le Directeur-Gérant, GrorGes RADET.

Bordeaux . Impr. G. GounouiLnou, rue Guiraude, 9-14.

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PQ Bulletin italien 4001

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