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6000541731
HISTOIRE
DIH
COUP D'ÉTAT
HISTOIRE
COUP D'ÉTAT
(DÉCEMBRE ISftl)
PAR M. PAUL BELOUINO
PAB 1. mm DE mm.
— PARIS —
LUDOVIC BRlfNET cl C, ÉDITEURS. UUK DE SÈVRES, ÎT.
JJ^ A-. y^.
•1
INTRODUCTION.
Ceux qui ne voient que le fail extérieur et matériel de l'immense révotution que Louis-Napoléon vient d'accomplir , avec la rapidité de la foudre et l'audace de l'aigle, circonscrivent les causes et les effets de cette révolution dans le cercle étroit d'un duel acharné entre le parti de l'Ordre social et le parti de la Déma- gogie socialiste. Mais ceux dont le regard pénètre dans les profondeurs de la situation politique et dans les entrailles de la société civile aperçoivent au-dessus et au delà des questions d'un jour, des débats d'une heure, que ce duel a soulevés, depuis la terrible et soudaine explosion de février, des problèmes autre* ment élevés, des conflits autrement vastes.
Le coup d'Ëtat de Décembre a fait marcher à grands
1
r, INTRODUCTION.
pas la France moderne vers la solution de ces problè- mes et le dénoûment de ces conflits. Mais ce serait une grande illusion et une profonde erreur de croire que tout est dit, parce que sur le champ de bataille où l'Anarchie et l'Autorité viennent de se rencontrer face à face, Dieu a donné la victoire au parti de l'Ordre social sur le parti de la Démagogie socialiste. Cette victoire n'a terminé que la lutte des idées ; la lutte des intérêts continue. La guerre ne cesse pas; elle se dé- place et se transforme.
L'Ordre social n'a pas seulement triomphé de la Démagogie socialiste le jour où le coup d'État de Dé- cembre est venu enlever à l'improviste les chances de 1852 aux bandes de pillards, d'incendiaires et d'égor- geurs qui se disposaient à fondre sur la France comme une nuée d'oiseaux de proie. Ce jour-là, Louis-Napo- léon a été entre les mains de liieu l'instrument de salut d'une riche et puissante nation , que des ambi- tieux et des intrigants avaient rapetissée au niveau de leurs passions sans grandeur, et que des cupides et des pervers voulaient refaire à l'image de leurs vices sans éclat. La patrie de Charlemagne et de Bonaparte allait s'abimer dans des océans de flamme et de sang , lors- que Louis-Napoléon, se levant dans sa force et son patriotisme , a marché sur le fantôme blanc du Passé et sur le spectre rouge de l'Avenir.
Mais Louis-Napoléon n'a ni combattu sous le dra- peau des vieux intérêts ni vaincu avec l'arme des an- ciens partis, qui le poursuivaient naguère de leur mal-
INTRODUCTION. 7
veillance et de leur colère, qui le poursuivent encore de leur persiflage et de leur dédain. Insensés, qui ne comprennent pas que leur impopularité les rendait impuissants pour se sauver eux-mêmes! Ingrats , qui oublient qu'ils doivent au neveu de TEmpereur la conservation de leur fortune et do leur vie! Comme autrefois Octave, venant réclamer à Rome Thérilage de César, eut, à l'exemple de son grand oncle, pour auxi- liaires dévoués, les sentiments démocratiques et mili- taires contre les passions aristocratiques et démagogi- ques, Louis-Napoléon a combattu pour le Peuple et vaincu par l'Armée.
Si ces deux noms se retrouvent ici sous notre plume, associés Tun à l'autre, c'est que, dans notre esprit, à deux mille ans d'intervalle, ils représentent la même idée, c'est que le règne du second sera pour son siècle et son pay^ ce que le règne du premier a été pour son époque et sa patrie.
L'histoire ne se répète ni dans les faits ni dans les hommes. Mais cependant lorsqu'on l'étudié avec le flambeau de la philosophie, on retrouve entre des époques diverses de forme d'intimes analogies; entre des situations différentes de physionomie de profondes ressemblances; entre des hommes opposés de caractère des rapports étranges. Ainsi les destinées de la nation romaine et les destinées de la nation française, qui pa- raissent si .dissemblables, lorsqu'on s'arrête à la surface des événements, sont identiques, dès qu'en allant au fond des choses, on compare la mission de l'une et de
8 INTRODUCTION.
Tautre. Dans noire opinion, l'avenir de la France est donc écrit dans le passé de Rome, et soit qu'on veuille puiser un enseignement ou chercher une prophétie dans ce parallèle, il n'est pas moins curieux qu'utile de le suivre dans ses développements, depuis son point de départ jusqu'à son point d'arrivée.
La nation romaine est arrivée à l'Empire par la Ré- publique ; la nation française arrive à la République par la Monarchie. Mais la République française et l'Empire romain, enfantés parles mêmes causes, pro- duisirent les mêmes effets, de même que la Monarchie française et la République romaine, nées des mêmes intérêts, donnèrent les mêmes résultats. Sorties l'une et l'autre du berceau de l'Aristocratie militaire et territoriale y la République romaine et la Monarchie française s'élèvent constamment et graduellement vers la plus grande unité possible, en élargissant sans cesse la base sur laquelle elles sont assises , jusqu'à ce que toutes les classes privilégiées, fondues dans cette ma- gnifique et puissante unité, disparaissent entièrement pour faire place à une immense universalité qui les <M)mprend et les absorbe toutes. C'est alors que sur cette universalité qui est la Nation , se fonde, à Rome, l'Empire, en France, la République. C'est alors qu'en France comme à Rome la Démocratie se faisant homme se personnifie dans une individualité gigantesque : à Rome, dans Octave-Âuguste ; en France, dans Louis- Napoléon.
Le Gouvernement de Rome, en cessant d'être mo>
narcllique pour devenir républicain, n'en resta pas moins un gouvernement aristocratique. Dès l'origine, les institutions de l'Ëlat sont établies dans l'unique in- térêt dos Patriciens qui se partagent tous les honneurs, tous les emplois, tous les trésors, ne laissant aux Plé- béiens que les charges du citoyen et les misères de l'homme, leur refusant non-seulement le droit poli- tique, mais encore la vie civile. Dès l'origine, les Pa- triciens et les Plébéiens constituent deux classes enne- mies, dont l'une, excessivement restreinte, est con- stamment occupée à maintenir sa domination, et dont l'autre, très-étendue, est éternellement travaillée par le désir de secouer le joug qui pèse sur elle.
Ce fut pendant des siècles une lutte, tantôt sourde , tantôt violente, toujours iraplacablc. Les Patriciens se défendent avec acharnement contre les Plébéiens, qui les attaquent avec Hireur. Une haine ardente et pro- fonde , qui les sépare , sans espoir de réconciliation , creuse entre ces deux grandes divisions de k nation romaine un fossé que les guerres civiles de Marins et j deSylla, de César et de Pompée, d'Antoine et d'Oo- tavc devaient combler un jour avec des montagnes de t cadavres. Les Patriciens, pour se protéger plus effica- cement contre les Plébéiens, font (aire leur ombra- geuse jalousie. Ils créent la Dictature, qui deviendra un jour l'instrument de leur ruine. Les Plébéien» exigent l'érection du Tribunal, qui sera plus tard le bélier avec lequel ils abattront l'Aristocratie.
Il entrait dans les desseins de Dieu que la nation
40 INTRODUCTION.
romaine remplit dans l'histoire de l'Humanité une mis- sion providentielle. C'est elle qui devait, après la nation grecque, labourer avec l'épée le champ de la Civilisa- tion que la nation française allait un jour féconder avec l'intelligence. La politique de ce peuple, qui a été le mai|re du monde, (ut toute guerrière et conquérante. Mais à mesure que Rome grandissait, on voyait le pou- voir des Patriciens s'abaisser et l'influence des Plébéiens s'élever. Le vieil esprit aristocratique s'était réfugié dans le Sénat, qui personnifiait tous les préjugés et tous les intérêts du Patriciat. Vainement ce vieil esprit, luttant pied à pied, résiste avec opiniâtreté à toutes les innovations qui affaiblissent les prérogatives et les pri- vilèges de l'Aristocratie. Chaque siècle voit tomber de la couronne du Sénat quelque fleuron qui vient s'a^ jouter à la couronne, chaque jour plus resplendissante du Tribunal, qui s'imprègne toujours davantage des passions et des idées du Prolétariat. Et la Démocratie devient le flot qui monte, qui monte encore, qui monte toujours, jusqu'à ce que couvrant les deux rives, tout disparaisse sous la vague immense.
Le partage des terres et la libération des dettes furent souvent le motif et l'occasion des soulèvements du Peuple. Ces prétextes de révolte donnaient à la cause des Plébéiens un caractère d'agression violente et d'o- dieuse envie. On pouvait reprocher à cette lutte de la Démocratie contre l'Aristocratie de trop ressembler à la guerre des pauvres contre les riches. Au fond, cepen- dant, c'était le sentiment d'égalité qui se traduisait par
INTRODUCTION. \ i
des actes brutaux et des suppliques matérielles. C'est à ce sentiment d'égalité que les Patriciens résistaient , lorsque, cantonnés dans leurs prérogatives de naissance et leurs privilèges de fortune, ils repoussaient les ré- formes les plus légitimes.
Les plus grands caractères, les noms les plus illustres du Patriciat furent entachés de ce vice originel, qui s'ap- pelle l'esprit de routine. Caton le Censeur et Scipion l'Africain portaient au plus haut degré la haine de l'in- novation, et les préjugés de race étaient si profondément enracinés dans le cœur de ces deux sénateurs, qu'ils auraient préféré s'ensevelir sous les ruines de Rome plutôt que consentir à supprimer la hgne de démarca* tion qui séparait les classes plébéiennes des classes patriciennes. Ce que l'on nomme leur vertu fut de l'or- gueil, un noble orgueil, sans doute, mais de l'orgueil enfin. Cicéron eut aussi les faiblesses de Caton et de Scipion. Mais Cicéron, que son immense talent et sa brillante éloquence élevèrent aux postes les plus émi-* nents de l'État, Cicéron, sorti de la chevalerie romaine, qui correspond à la bourgeoisie française, Cicéron qu'on peut comparer aux parlementaires de notre temps et qui fut le Thiers de son siècle et de sa patrie, Cicéron mit la vanité de l'esprit là où Caton et Scipion avaient mis l'orgueil de l'àme. La cause du Patriciat dans la bouche de Cicéron avait déjà- perdu de sa grandeur chevaleresque.
Le développement de Tidée démocratique, dans le- quel il ne faut voir que la marche ascendante de la
i't INTRODUCTION.
nation romaine vers Tunité absolue, fut parfois obscurci par des événements qui dénaturaient Tintérèt plébéien, en voilant d'un faux jour les aspirations populaires. Au nombre de ces événements figurent la révolte de Spar- tacus appelant les esclaves à la destruction de la Ré- publique, et la conjuration de Catilina conviant les débauchés au pillage de Rome. Mais ce n'était là que des accidents de la lutte qui avait commencé entre les Patriciens et les Plébéiens dans le berceau de la Répu- blique et qui ne devait finir que sur sa tombe. La révolte de Spartacus et la conjuration de Catilina ne furent pas même une des phases de cette lutte. Ce sont deux faits qui se produisirent en dehors d*elle, quoique se mêlant à elle.
Les hommes perdus de dettes et de crimes qui vinrent se réunir autour de Catilina pour s'emparer, par sur- prise, des richesses de la République, n'avaient rien à démêler avec la Démocratie ni avec l'Aristocratie ro- maines. De même que nos démagogues, qui se font des ouvriers un piédestal et des insurrections un moyen pour conquérir par la violence les biens qu'ils sont incapables d'acquérir .par le travail, ces hommes n'ap- partenaient à aucune classe, à aucun parti, à aucune idée. Les esclaves ignorants et grossiers, qui suivaient Spartacus, étaient également, par leur situation, des êtres en dehors de tout, qui ne pouvaient rentrer dans le sein de la Société qu'en passant par le baptême reli- gieux du Christianisme et par le baptême politique de la Liberté. C'étaient les socialistes de Rome ne
inthûduction. 13
comprenant, comme les socJalisles de Frano;, abrutis par la misère, dégradés par le vice, sans intelligence et sans éducation, que le sentiment de la haine; n'ayant ni la conscience de leur dignité, ni le sentiment de ta justice; aimant la révolte parcompensation de l'esclavage et non l'égalité des droits et des devoirs comme condi- tion de l'unité nationale.
Le triomphe des esclaves de Rome, de même que la victoire des socialistes de France, ne pouvait être qu'une éphémère et sanglante débauche d'hommes s'enivrant, dans le délire de la vengeance , de l'odeur du sang et de la vue du butin. La Démocratie romaine n'était pas plus avec Spartacus et Catilinaquc la Démocratie fran- çaise n'était avec Babœuret Marat.
Les ambitieux de tous les temps et de tous les pays se ressemblent el se copient. I.e peuple était un instru- ment entre les mains des Tribuns qui se servirent de ses passions comme d'un Knier pour soulever des tem- pêtes favorablcsàlcurinfiuence. Ils agrandissaient leur pouvoir à l'aide des troubles qu'ils entretenaient au sein de la République. Leur puissance s'élevait à mesure que l'agitation montait, et plus ils allumaient de colères . et de haines dans les masses, plus ils devenaient redou-> i tables au Sénat qui, plus d'une fois, fut contraint d'abaisser son orgueil devant leur volonté. Dans leur lutte ardente contre les Patriciens, ils songeaient moins à l'intérêt des i-lcbéi. ns qu'à leur Élévation personnelle. Mais ces turbulents Tribuns, en croyant ne travailler qu'au proht de leur ambition, servaient à
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raccomplissement des décrets de la Providence qui les employait à préparer le triomphe de la Démocratie romaine.
Ainsi Ton voit , pendant plusieurs siècles de This- toire de France , les Rois abaisser, de règne en règne, dans rintérèt de leur puissance, l'Aristocratie territo- riale et militaire. Puis un jour il arrive que ces Rois ayant fauché toutes les têtes qui dépassaient le niveau commun, abattu tous les droits qui dominaient le droit universel; ayant ruiné les classes privilégiées, rasé les donjons féodaux, à force d'avoir voulu tout égaliser au- dessous pour que rien ne s*élevàt au-dessus, se trouvent avoir creusé le lit où va couler à pleins bords le torrent de la Démocratie française.
Quand les héritiers de Louis le Gros décapitaient la Noblesse, humiliaient le Clergé, rançonnaient la Bour- geoisie, ils étaient poussés par une puissance mysté- rieuse à ce travail gigantesque, persévérant, instinctif d'unité, qui voulait qu'il ne restât pas un seul corps debout entre le Peuple et le Roi. Ils abattaient les unes après les autres toutes les branches de l'arbre féodal pour s'en faire une couronne qui devait absorber enfin tous les rayons de la puissance. Mais ils marchaient en aveu- gles dans cette route, ignorant qu'humbles instru- ments d'une œuvre providentielle, ils n'étaient que le bras destiné à préparer l'avènement de cette force y alors inconnue, qui s'appelle aujourd'hui la Démocratie^ dont le règne n'est que la réalisation dernière de la grande pensée d'unité qu'on retrouve au fond des des-*
INTRODUCTION. \o
tinées de la nation française comme au fond des desti- nées de la nation romaine.
La nation française et la nation romaine ont con- stamment gravité autour de la même idée. Elles ont suivi des routes diverses pour arriver au même but. L*instrument d'émancipation qui a servi à Tune et à l'autre a seul été différent. Dans Rome, dès le début, la Démocratie s'est trouvée face à face avec l'Aristocratie. Dès le début , elle a battu en brèche sa rivale avec la puissance des Tribuns, qui personnifiaient la doctrine d'examen, luttant contre les Consuls, qui représentaient la doctrine d'autorité. Dès le début, elle a détruit, sous l'inspiration, sous l'influence de l'esprit de révolte. Aussi lorsqu'on suit , page à page , l'histoire de la nation romaine, on voit parallèlement l'Aristocratie descendre et la Démocratie monter, si bien qu'un jour vient où ce sont déjà deux forces égales, deux puissances rivales qui se disputent le Gouvernement de la République. Alors Tune et l'autre sentent également la nécessité de se personnifier dans un homme qu'elles investissent à tour de r61e de la Dictature.
La Démocratie s'appelle tour à tour Marins , Jules- César, Octave. L'Aristocratie se nomme successivement Sylla, Pompée, Antoine. La lutte grandissant entre elles continue plus ardente, plus implacable, plus meurtrière, non sous Taspect d'une révolution popu- laire, mais sous la forme d'une guerre civile. Au pre- mier moment, laDémocratie l'emporte dans la personne de Marius, qui souille ce triomphe par la sauvagerie et
id INTRODUCTION.
la cruauté de son caractère. Marius à lui seul est toute une Convention ! L'ivresse de ce succès s'éteint bien- tôt dans les larmes , les misères et les douleurs d'une éclatante défaite. L'Aristocratie ressaisit un instant, pour la reperdre à tout jamais, la domination avecSylla, qui la personnifie. Dans cette première phase, le repré- sentant de l'Aristocratie , Sylla , est plus grand que Marius, le représentant de la Démocratie. Dans la se- conde phase, la Démocratie ne s'élève pas seulement en force et en puissance. Elle gagne également en hé- roïsme et en gloire ce que l'Aristocratie perd en éclat et en prestige. L'Aristocratie ne s'appelle déjà plus que Pompée et la Démocratie se nomme enfin César.
Du moins il y a encore dans le représentant du Pa- triciat , humilié et vaincu , une grandeur morale qui projette sur la décadence de l'idée et sur la chute de l'homme, je ne sais quelle ombre poétique et quel reflet chevaleresque. Mais à la troisième phase de cette lutte colossale, dont Tissue doit décider àe l'avenir du Monde , de la marche de la GivilisatioD et du sort de l'Humanité, l'Aristocratie déchue, énervée^ avilie, sans orgueil et sans vertu , cupide , ambitieuse , débauchée^ tombe honteusement avec Antoine, tandis que la Dé- mocratie règne glorieusement avec Octave, que ses contemporains surnomment Auguste.
En France , le développement des faits et des idées fut plus vaste et plus varié. La Démocratie n'existait pas encore, que déjà l'Aristocratie brillait de tout l'éclat de sa force et de toute la splendeur de sa puissance. A
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Rome, le Pouvoir, qui avait miné la base sur laquelle reposait l'autorité des Patriciens, était né d'une révolte des Plébéiens, sous le nom de Tribunal. En France, c'est des rangs mômes de la Féodalité que sortit ta Royauté, qui allait consacrer ses efforts et ses travaux de plusieurs siècles à démolir, pierre par pierre, l'é- ditice de l'Aristocratie, cet édifice, dont la Démocratie devait arracher un jour les fondements, pour en jeter lu poussière au vent des révolutions.
DansRorac, les Plébéiens commencèrtnl, poursui- virent et achevèrent eux-mêmes l'abaissement et la ruine des Patriciens, En France , ce fut la Royauté qui fit tout d'abord l'œuvre de la Démocratie contre l'Aris- tocralie. Celle-ci était déjà désarmée quand celle-là, débordant de toutes parts comme un torrent , s'est i-é- pandue sur la France, renversant dans son cours im- pétueux la Monarchie et le Clergé, les Jurandes et les Parlements, la Noblesse et la Rourgeoisie. L'Aristocra- tie s'était abaissée, et la Démocratie s'était formée, ft J l'ombre même de la Royauté , sous l'égide du principe 1 d'autorité. Quand vint le moment de la lutte, la Démo- 1 cratie ne vit pas seulement l'Aristocratie devant elle, elle aperçut encore la Royauté au-ilcssus d'elle. Royauté se trouvait alors placée sur sa roule comme 1 une forteresse qui barre le passage ; la Noblesse , la Bourgeoisie , le Clergé, n'étaient que les bastions de ^ cette forteresse.
D'ailleurs, la puissance du principe d'autorité s'était seule manifestée; seule elle avait agi sur ta marche
18 INTRODUCTION.
des événements , la situation des hommes et le cours des idées. La force de l'esprit de révolte était donc une force, contenue depuis des siècles, qui devait, lors- qu'elle éclaterait, faire explosion , de même que la va- peur trop longtemps comprimée dans une chaudière sans soupape, se répand dans l'air avec la puissance d'une trombe , quand elle brise , en s'échappant avec violence, la prison de fer qui la renferme.
Quand la Démocratie s'empara de cette force pour renverser tout le vieil édifice de la Monarchie , mêlant dans une commune vengeance la Royauté , la Bour- geoisie, la Noblesse, le Clergé^ en un mot tout ce qui, étant une démarcation , s'opposait à l'unité universelle dans l'universelle égalité, elle s'en servit sans en cal- culer la portée. Dans Rome , après avoir attaqué, pen- dant des siècles, le Patriciat, en s' appuyant sur l'esprit de révolte , le Prolétariat le combattit à l'heure de la lutte suprême et décisive, en s'appuyant sur la puis- sance du principe d'autorité. £n France, ce fut juste- ment à cette même heure de lutte suprême et décisive que la Démocratie choisit, pour levier d'attaque et de destruction, la force de l'esprit de révolte. Elle ne pouvait donc pas être , comme à Rome , une armée disciplinée , remettant à un Dictateur ses destinées ; elle ne pouvait devenir que ce qu'elle a été, une révolution désordonnée qui se produit comme un ouragan terrible, une populace furieuse qui se répand comme une lave ardente. Au lieu d'une guerre civile comme à Rome, on eut donc en France une révolution populaire. Le Marins
INTRODUCTION. 19
de la Démocratie française fut la Convention. Napoléon Bonaparte allait être son Jules-César.
Jusqu'ici Tanalogie n'est que morale. Elle n'existe que dans le but vers lequel tendent les destinées de la nation romaine et de la nation française , ainsi que dans la mission que la Providence assigne à Tune et à l'autre, et dans l'action qu'elles ont été appelées à exercer suc- cessivement sur l'avenir de l'Humanité et la marche de la Civilisation. Au commencement do ce siècle, cette analogie n'est plus seulement morale, elle devient en- core matérielle. Jules-César avait été la Démocratie romaine faite homme ; Napoléon Bonaparte est , à son tour, la Démocratie française faite homme. Jules-César avait à lutter contre les préjugés persistants du Patri- ciat, en même temps qu'il lui fallait comprimer les sauvages passions de la Démagogie. Ce fut aussi le rôle, ce fut aussi l'œuvre de Napoléon Bonaparte , qui eut une autre gloire encore, celle de cicatriser les plaies et de relever les ruines que la Révolution avait faites en France et que Rome n'a pas pu connaître , elle qui a traversé des épreuves de guerre civile et non des crises d'anarchie révolutionnaire.
Cette différence matérielle de la guerre civile et de l'anarchie révolutionnaire continue à donner une phy- sionomie différente aux faits extérieurs , qui servent au développement graduel de la pensée unitaire et à la marche ascendante de l'idée démocratique en France et à Rome. Quand l'élément aristocratique reparait en 1815, au lieu de s'appuyer en France sur la Dictature,
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2(1 INTRODUCTION.
comme à Rome, il s'incarne dans une Oligarchie; il est la doctrine d'examen; il se fait Monarchie repré- sentative. Quand l'élément démocratique combat , en 1848, il ne se personnifie pas davantage dans un homme; il est l'esprit de révolte; il se fait révolution populaire : de là vient que dans le moment du triom- phe il détruit tout et ne fonde rien. Mais en France comme à Rome, dés que la Démocratie veut utiliser sa victoire et consolider son règne, elle rompt de nou- veau avec l'esprit de révolte , elle s'incarne dans une individualité, elle revient au principe d'autorité; elle se refait homme enfin , et elle se nomme Louis- Napoléon.
Ce sont les mêmes effets naissant des mêmes causes, quoique par des enfantements de nature différente. Les événements écoulés entre le règne dé Napoléon et l'avènement de Louis-Napoléon , ne ressemblent pas à ceux qui remplirent la période romaine accomplie entre la mort de Jules-César et le triomphe d'Octave. Mais quelle identité de destinée entre Jules-César mourant sous le poignard des Patriciens, après avoir inauguré la domination de la Démocratie romaine, et Napoléon tombant sous une coalition de Rois, après avoir commencé l'organisation de la Démocratie française ! Quelle analogie de situation entre Octave recueillant, avec la popularité de Jules-César, l'héri- tage d'un pouvoir qu'il exerce dans l'intérêt du Peu- ple avec l'appui de l'Armée, et Louis-Napoléon retrou- vant, au retour de l'exil, le prestige des glorieux sou-
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rMTlODUCTEON. ï|
vonirs que le nom de rKnipereur a laissés dans toutes les imaginations, et dispersant à la fois avec l'épéc des soldats les partis monarchiques qui repoussent la Dé- | mocralie. et les factions révolutionnaires qui menacent la Sofiélé tout entière pour reprendre, aux acclama- tions de la France, l'œuvre inachevée de son oncle !
Lorsqii'Oclave domina sur la scène du monde, l'océan de la Démocratie avait creusé son lit, reculé ses limites, élevé son niveau. Il n'avait point encore ' ohsorbé le flux de l'Aristocratie. Le droit politique et le droit civil étaient toujours le domaine exclusif, le privilège spécial des rares patriciennes. La barrière qui séparait les familles sénatoriales et les famillos éques- tres des familles plébéiennes n'était pas abaissée. La nation romaine enfin ne formait pas encore celle vaste unité, qui comprend l'universalité des citoyens, source commune de laquelle tout sort et dans laquelle tout rentre, vivante image de l'Ëgalilé qui n'accorde rien au hasard de la naissance et au jeu de la fortune, et qui donne tout au travail, au talent, A la vertu.
La Démocratie avait h conquérir, l'Aristocratie avait à défendre. L'une voulait marcher vers la réalisation dctinitive de son principe. L'autre s'efforçait de relar- der ce mouvement de l'Humanité dont Rome était alors ta tète; car, à chaque pas qui s'accomplissait dans cette voie civilisatrice, elle perdait un privilège qui llat- tait son orgueil, un intérêt qui caressait son avarice. La lutte était modifiée dans son caractère. La Dé-, mocralie avait déjà tant monté , l'Aristocratie avait
H INTRODUCTION.
déjà tant décru ^ qu'au lieu d'un grand coiybat entre deux puissantes idées, ce n'était déjà plus qu'une que- relle où la parole remplaçait Tépée. Sylla s'appelait Cicéron. Dans la résistance de l'Aristocratie on ne sen- tait plus les ardeurs de la foi, les entraînements de la passion qui donnent de la grandeur à une cause. L'a- mour des vieux principes n'était plus un culte dans l'esprit des sénateurs et des chevaliers. C'était une af-*- faire d'habitude, de mode, d'intérêt ou de parti. Cétait un préjugé et non une religion , et le fanatisme ne pouvait plus expliquer l'aveuglement et l'endurcisse- ment des classes privilégiées, ne défendant plus que par égoïsme et par vanité les anciennes lois qui tendaient à maintenir la richesse des uns et la pauvreté des autres.
C'est sur ce terrain que la question se trouvait pla^ cée. La différence des fortunes importait beaucoup plus aux Plébéiens et aux Patriciens que la différence des rangs. Ce que ceux-là voulaient détruire, ce que ceux-ci voulaient conserver, c'étaient surtout les institu- tions qui perpétuaient cette différence dans les familles, favorisant à l'excès les seconds au détriment des pre- miers qu'elles parquaient dans le Prolétariat, commet Dieu même les eût classées ainsi pour l'éternité. La Liberté, au fond, n'était qu'un moyen, qu'un instru- ment; le but, c*était l'Ëgalité. C'est ce qui explique comment la Démocratie abdiqua avec enthousiasme sa Liberté entre les mains d'Octave, qui venait lui ap- porter l'Égalité.
INTROIUCTION.
sa
La Démocrade, aveu cette intuition, qui est te géniti des masses , comprenait insliiu-tivonient qu'elle ne potH vait po^-iéder cette Ëgalilé, la plus ardente de se»^ espé- raiiues, le plus beau de ses rf^ves, qu'autant qu'elle serait placée sous la protection d'un homme, nnitre de tous les autres hommes. Le règne île l'Arifitocralie s'esl toujouf» perfionniîié dans des assemblées, et toujoun les asscmbk'es, qu'elles soient béi^-ditaire» ou élues, donneront le ri'gne de l'Arislooralie. Le règne de la ' Démocratie, ao oonlraii-c, s'est constamment incarné dans un seul, et toujours le pouvoir d'un seul devieit- dra le règne de la Démocratie, parce que là où un seal i'<>l. au-dessus de tous, tous les citoyens sont 8fK:ialo-> ment égaux sous sa domination, ik même q«e tous kn hommes sont religieusement égaux devant Dieu.
Octave fut donc un instrument de la Providence, qui se servit de sa personnalité pour accomplir ses desseins, lorsqu'il entra dans ses vues de pousiicr en avant l'Hi»* manité sur le chemin de la Civilisation, en Tavorisarlt l'avénemenl de la Démocratie romaine. Mais cello mémfl Démocratie contenait dans son sein de« éléments iiff* jtur6 qu'il fallait réprimer dans l'iiitérfit même de l'Aristocratie.
Au-dessous des légitimes aspirations du Prolêfariat vers les biens moraux et matériels que la Société promet an travail et au talent , ferrnenlaient les passions crimi- nelles d'une tourbe d'esclaves et de débauchés, lie de la Nation , ennemis à la fois des Plébéiens et des ["alri- ciens, qui aspiraient à tout C'^nquérir par la violence et
A
24 INTRODUCTION.
le crime. Ces hommes, que le frein de la compression a seul retenus , ne pouvaient être domptés que par la main de fer d'un pouvoir qui tirait de son unité la force de tout plier sous un joug salutaire. Si, au lieu de trou- ver devant eux la puissance d'Octave , ils n'avaient rencontré qu'une Aristocratie affaiblie et dégénérée , comme l'était alors l'Aristocratie romaine, ils auraient eu leur jour de triomphe.
Les Patriciens n'étaient , en effet, unis entre eux contre les Plébéiens que parla communauté du danger qui menaçait leurs intérêts de caste. Victorieux d'Oc- tave, ils se seraient aussitôt divisés , déchirés, et un jour, au lieu de se réveiller vaincus par une Démocratie, régulièrement organisée et puissamment contenue , ils auraient été surpris par l'explosion soudaine d'une Démagogie furieuse, éteignant un océan de flamme dans une mer de sang, et l'Aristocratie, ensevelie avec ses prérogatives et ses richesses sous les décombres de Rome, aurait disparu du livre de l'histoire. Octave, du moins, lui laissa la fortune et la vie; sa victoire, en achevant d'abattre la puissance des Patriciens, les sauva de la ruine et de la mort. Octave , en faisant triompher la Démocratie, fit durer la Société.
Louis-Napoléon avait été prédestiné par la Provi- dence à remplir en France une mission analogue , dans une situation, identique au fond, quoique différente dans la forme. Mais avant de retracer à grands traits la phy- sionomie morale et matérielle de cette situation , qui explique le grand acte de 1851 , il est nécessaire de
INTROlil'CTION. ÏS
remonter !e cours des années, jusqu'au vaste mouve- ment de 1789, afin d'indiquer les causes multiples dont elle est née. L'histoire entière de ce siècle est dans l'analyse de ces causes, non moins profondes que varices.
Avant 1 789, il existait une Noblesse qui avait recueilji »ur les lèvres moiiraules du connétable Anne de Mont- morency, décapité i\ Toulouse, par ordre du cardinal de Richelieu, rànic de la Féodalité. Cette Noblesse avait gardé de ses anciens droits seigneuriaux des privilèges de race qui faisaient d'elle la vassale de la Royauté et la suzeraine de la Rourgeoisie. Elle était au-dessous du Roi; irais elle était au-dessus du Peuple. C'était une Nation dans la Nation, qui comptait alors trois grandes couches superposées l'une sur l'autre. La dernière était la plus étendue. C'était le Peuple qui frémissait, en bas, lorsque son regard s'élevant en haut, il apercevait auprès du Trône une race distincte des autres classes sociales , qui fermait à tout ce qui ne sortait pas d'elle , la carrière des grandes charges de la Monarchie, des emplois honorifiques ou lucratifs, et des hautes dignités de l'Eut.
La première couche, resserrée dans un cercle étroit, était cette race distincte, qui tenait son rang, sa for- lune, son autorité du droit de la naissance. Mais entre cette couche supérieure et la couche inférieure , il se trouvai! une couche intermédiaire: c'était la Rourgeoi- sie, avant-garde du Peuple, alors placé à l'arrière- garde du mouvement de la Nation française vers l'unité;
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«I LVlftODlCmOfi.
la »B(Mirrgeôme , doni l'envie ethtYBnîtés'irritatetitè ila petoée qu'il f la^il en airacltd^elle sue dtosse plu^ iia- T&risée , plus piiîs68iiii}ei6t fim rikthe , «ne ébisse , enfin,
doot^le n'était pififWêfoe l'égale dans le iGouverneraent et dans la Société.
Macée ftlus près de k iNobles^ que Qe Peupte, la BtHurgeeîeie était appelée À reeueîHîr plus directement et pli» immédiatement Vivéï^itage de ses prérogativos de naissance et de ses i^rrriléges de fortune. KHe étaft intéressée y plus encwe ^ue k Peuple , à la dépossiëder de ces arantages qui excitaient ea jalousie et sa cou- Toitise. il était donc naturel qu'elle engageât la lutte. C'est ce qu'elle fit, dès cette époque, d'abord sous l'é- gide de ia Royauté, puis par*-dessus la tète du Roi. Dans eette lutte, elle Cut suivie par le Peuple, mysté- rieusement pousqé contre la Noblesse par amour de FËgalité. Il servit par instinct , plus que par réflexion , d'instrument à la BiMvgeoisie, que l'amour iie k do- mination entraîna sur la scène où allait se jofuer te pro- logue du granid drame de ia Révolution française, dont nous voyons aujourd'hui l'épilogue.
La Noblesse, qui constituait alors tout le parti -de ta résistance, était cMe-mème scindée en deux ; ear* pen- dant q[ue ia Démocratie s'organisait , l'Aristocratie se dissolvait : laseeonde ressemblait au reflux , et la pre- mière au flux de lallation. H y avait la tablasse de race et d'èpée, et la Noblesse de robe et de finance. CelieHci était à 4a fois à la queue de l'Aristocratie et à la tôle de la DéoMcratie. Sa forcb élrît surtout dana
IMHODICTION.
1«B Parlements, qui, après avoir ouvert le clicinin à la Démagogie, par leur opposition contre la Royauté, furent emportés en mfme temps qu'elle par la tom- pôtc qu'ils avaient appelée. La Notileese de robe et de finance disparut dans cette tempête avec la Noblesse de race et d'êpéc, dont elle avait imprudemment sé- piirë sa cause. Ces deux Noblesses, couchées le niô:i.n jour sur le sot de la France, parmi les ruines de In Monarchie, par le vent des révolutions, formèient un parti du passé, parti vaincu, mais non détruit, qui garda, même après sa commune défaite, la trace de ses deux origines.
La Bourgeoisie était unie dans un même efToii contre la Noblesse. Mais elle-même renfermait déjà dans son sein deux nuances Irès-caractérisées. Il y avait la Bour- geoisie lettrée et la Bourgeoisie industrielle. La prc- mii'ie comprenait Innies les professions libérales; la soronde renfermait tous les états mercantiles. Ces deux nuances, qui se perdaient en apparence dans la vaste révolte des classes bourgeoises , secondées par les classes ouvrières, contre les classe» nobles , se personnifièrenl en réalité , l'une dans le parti de la Monarchie consli- tutioiiuelle, l'autre dans le parti do la RépuliMque représentative. Unies pour renverser, désunies pour fonder, elles se resBcmblaîent cependant par un trait caractéristique. L'une et l'autre avaient emprunté à la Nobtes-iP (le robe cl de finance son naissant amour du parlementarisme. L'une et l'autre tendaient à Irans- porler leGoutememenl de TÊtat au seiti des assemblée»
28 INTRODUCTION.
délibérantes ; car l'une et Tautre comprenaient que ne pouvant pas asseoir, comme la Noblesse , leur domi- nation sur la naissance , elles devaient demander le Pouvoir à d'autres moyens d'influence et d'action.
La France vivait dans une tempête. De même que sur l'océan , où la vague pousse la vague , où le flot suit le flot, au milieu de cette tempête, la couche inférieure montait constamment sur la couche supérieure. La Noblesse de robe et de flnance avait éclipsé la Noblesse de race et d'épée. La Bourgeoisie lettrée remplaça la Noblesse de race et de finance , pour laisser, à son tour, arriver sur le premier plan la Bourgeoisie industrielle. La Monarchie constitutionnelle avait eu son heure de règne; la République représentative eut aussi son jour de triomphe.
Monarchie constitutionnelle ou République repré- sentative , c'était toujours la Bourgeoisie dominant la Nation par les assemblées délibérantes , sa personnifi- cation naturelle. Le Peuple eut un vague instinct de cet escamotage politique. Il comprit que, sous une autre forme, Tintérèt aristocratique se perpétuait par le Gouvernement parlementaire, barrant toujours le chemin à l'idée démocratique. C'est alors qu'il fit sou- dainement irruption dans les régions de la politique. Malheureusement il se précipita dans la mêlée en aveu- gle et en furieux, brisant tout, jusqu'à ce que, dans ce débordement saD8 règle et sans frein, la lie de la So- ciété surgissant à la surface, envahit la Convention^ qui fut alors une espèce de Gorgone, dont les trois tètes
rNTnODUGTION.
êlaioiit la Démagogie, la Terreur e( la Corruption. Puis le monstre fut muselé [lar la maiu puissante et glo- rieuse de Napoléon Bonaparte, qui vint personnifier la Démucratic française.
Il ^ eut alors deux grands partis vaincus, la Noblesse t:t la Bourgeoisie, deux partis subdivisés en quatre coteries qui s'eflacèrent , sans se résigner à disparaître. I.a Démagogie aussi fuldomptée. Mais ta Démagogie, qui s'appelait alors le Jacobinisme, et qui s'appelle main- tenant le Socialisme , n'est pas un parti politique. Elle est la négation de la Civilisation elle-même. La Déma- gogie resta donc au sein de la Société comme un élément destructeur, sans devenir une force organisée. Sous le règne de l'Empereur, cet élément fut caché dans le manteau de gloire et de grandeur qui enveloppait la France , de inémc que les quatre coteries qui for- maient, dans leur ensemble, le parti du Passé, furent absorbées dans la grande unité nationalr. Lorsque le géant du siècle tomba sous les coups de l'Europe, quand le monument que son génie avait élevé il l'idée démocratique s'écroula tout d'une pièce, de ses débris on vit surgir ces quatre coteries, <{ui se disputèrent la domination de la France.
La Noblesse devint le Koyalismc; la Bourgeoisie l'ut le LilHTalismc. Les royalistes se subdivisèrent en royalistes absolus et en royalistes constitutionnels. Les lil)f raiix se partagèrent en libéraux raonarciiiques et en libéraux républicains. Le Peuple avait déjà compris vaguement que la cause de Bonaparte, c'était la sienne,
30 INTRODUCTION.
personnifiée dans un noiïi d^bomme ; il resta tout à la fois démocrate et napoléonien. Au même moment « les tronçons da serpent de la Démagogie recommen-^ cèrent à s'agiter pour se rejoindre. Ainsi , à mesure qu'on descend le cours de ce siècle, on voit l'Aris- tocratie se subdiviser et se dissoudre, quoiqu'elle se généralise, en face de la Démocratie, qui se fortifie €ll se développe, en même temps qu'elle se person- nalise.
Pendant les quinze années du Gouvernement de la Restauration, la lutte des intérêts démocratiques con-«- tre les intérêts aristocratiques se poursuivit, sous une forme nouvelle, en se personnifiant dans le combat que les libéraux livrèrent aux royalistes sur le terrain de la Monarchie constitutionnelle , combat dont l'action administrative et l'influence politique étaient le but suprême. La Monarchie de 1830 ne fut qu'une transfor- mation de la même lutte. La Noblesse perd le terrain que gagne la Bourgeoisie. Ce n'est plus celle-là, c'est celle-ci qui se trouve alors placée sur le premier plan. Mais la Noblesse recule en résistant encore devant la Bourgeoisie qui se sépare en deux camps. Une moitié se défend; l'autre moitié attaque, placée àl'avant-garde d'une armée qui se recrute déjà dans les rangs du Peuple, etdont Tarrière-garde s'étend aux dernières limites (îe la Nation.
De ce moment, le Royalisme devient le Légitimisme, le Libéralisme devient l'Orléanisme. En face d'eux, le Radicalisme commence à se montrer sur la scène poK^
IMKOlUCrUIN.
tique. coinbiiKnnt au nom de la Dtmocralïc contre l'Aristocratie, qui comprend alors toutes les coteries de la Noblesse el de la Bourgeoisie, et qui devient une véritalile Bahcl oligarchique. La lutte se poursuit plus ardente, plus implacable, pins acharnée jusqu'au Jour oLi elle aboutit à la Révolution de février, qui amène ravéïicnient de la République, sans assurer le Iriom- phe du Potiple. Du sein du Radicalisnie surgit de nouveau la Démagogie, qui se manifeste sous la forme du Socialisme épouvantant à la fois , sous cette forme nouvelle, Ik Noblesse dégénérée, la Bourgeoisie abattue et le l'euple victorieux. L'Aristocratie, exploitant avec une habileté machiavélique les lorreuri sociales, con>» J bal la Démocralie , en la confondant à dessein avec la Démagogie. On y retrouve Scipion , Caton, CicérfO s'unissanl pour défendre les intérêts aristocratiques, qui ne sont plus que des intcrt^'ts matériels, contre les intérêts démorratiques.
Scipion se nomme Changarnier; Caton s'appelle Dufaure; Cicéron se nomme Thiers. La foi monarchi- ' que est éteinte. I/oi-gueil de race n'est plus qu'un sou- ■ venir. Le fanatisme politique est mort. Sou? la cendre de ces ptissions grandioses et chevaleresques, il n'y a phffi que la Vanité qui intrigue, que la Cupidité qui se défend, que l'Ambition qui sollicite. On veut conquérir le Pouvoir; on veut acquérir la fortune. Les monopoles industriels, les emplois administratifs deviennent éga- lement le motif de la défense comme ils sont la cause de l'attaque, avec cette diffiTcnce que l'attaque se pré-
32 INTRODUCTION.
sente avec la puissance d'une idée à laquelle appartient TA venir, tandis que la défense , qui n'est plus qu'un reflet du Passé, ne s'appuie que sur la force d'un intérêt.
Le Sénat et le Tribunat romains des dernières années de la République se trouvèrent ainsi représentés dans la Constituante et dans la Législative. La Majorité y rappe- lait le Sénat, et la Minorité, le Tribunat. La Majorité, c'était la résistance, le Passé, l'Aristocratie. La Mino- rité, c'était le mouvement, l'Avenir, la Démocratie. Mais la situation do la République française était plus compliquée que la situation de la République romaine» A Rome, le Sénat était homogène ; en France la Majo- rité était hétérogène. Formée des débris successifs des divers partis qui s'étaient combattus et remplacés avant de se grouper; composée d'hommes qui avaient gardé les préjugés et les passions, ceux-ci de la Noblesse de race et d'épée, ceux-là de la Noblesse de robe et de finance, d'autres de la Bourgeoisie lettrée, beaucoup de la Bourgeoisie industrielle, cette Majorité, qui se plaçait en travers du chemin de la Démocratie, n'offrait qu'un sol mx)uvant, qu'un terrain sablonneux sur le- quel rien ne pouvait s'élever de solide et de durable. Elle possédait une force de réaction. Elle n'avait au- cune puissance de création. Les quatre divisions principales qu'elle renfermait dans son sein s'étaient encore fractionnées dans la Législative, sous l'in— fluence délétère des ambitions personnelles, en coteries infimes.
INTBODL'CTION. 13
Quand le sonliinent d'une haine polilique ou la peur d'un péril social cimentait tous ces élémcrils, ils sem- blaient ne former qu'un bloc, lantilt contre l'Autorité, taillât contre l'Anarchie. Mais la haine assouvie ou le péril passé, le bloc se brisait en vingt fragments. La Minorité n'était pas plus homogène que la 'Majorité. On ne retrouvait en elle ni l'ilme, ni la pensée de la Démocratie. Elle en portait le masque plutôt que le visage. Dans le Peuple, elle ne voyait guère qu'un ma relie- pied pour arriver au Pouvoir par le chemin de l'Opposition . A son centre, elle subissait la pernicieuse induence de cet esprit parlementaire, qui n'a toujours été qu'un marteau pour détruire et qui ne sera jamais une truelle pour édilier. A ses ailes, elle s'ctendail jus- qu'à la Montagne, qui rcpi-ésentait le Socialisme dan* toutes ses variétés, la Démagogie <i tous ses degrés. Ainsi, la Majorité était impuissante à défendre la So- ciété; car, victorieuse du Président, elle se serait dis- soute, et les éléments divers dont elle était composée auraient, en se séparant, ouvert passage à l'ennemi. I>a Minorité était également inhabile à organiser la Démo~ cratie ; car, triomphante de l'Aristocratie , elle se serait divisée , et , de ses rangs désunis , au lieu d'un Gouver- nement, on aurait vu sortir l'Anarchie : Majorité. Mino- rité n'étaient plus que de la poussière.
Sur cette poussière, on ne pouvait donc rien con- struire; l'édifice social ne pouvait pas s'y raffermir; l'unité nationale ne pouvait pas s'y constituer. Il fallait qu'un soufde puissant la fît disparaître, car elle était le
34 INfRODUCnOM.
sable qui cachait le sol, le nuage qui voilait TAvABir. La parole de Loui^-Napoléon devait être ce souffle. Mais avant que cette parole retentit, oemmela tmun^ pette du peuple de Dieu au son de Uquelle on vitmî^ raculeusement tonaber les ruines de Jéricho, la France devait arriver jus(|u'au bord de l'abîme , tiraillée entre deux conspirations également dangereuses, également formidables, la conspiration parlementaire et la coAt» spiralion communiste , qui ont marché parallèlement , pendant trois années. L'aveuglement des légitimistes et des orléanistes, sa^- .'l^tant dans leur impuissance et leur stérilité , poussait à cetaùme avec autant d'impétuosité que la fureur dis . ^léaiûgogues de toutes les nuances et la folie des socia«- . listes de toutes les écoles. Cet aveuglement fortifiait les partis révolutionnaires de tous les légitimes mcconteo^ tements du Peuple, constamment sacrifié auxégotdes intérêts de TÂristocratie, qui dominait dans la Légis- lative. Il affaiblissait, au contraire, le Président, sana cesse harcelé par une Opposition systématique et pas- »onnée, qui minait son autorité, enchaînait sa volonté, si bien qu'il ne pouvait rien , ni pour sauver la Société, ni pour organiser la Démocratie.
Les partis révolutionnaires, par un étrange miracle, se rencontraient dans cette Opposition, non moins fatale au repos du Pays qu'à l'action du Gouvernement, avec les partis monarchiques. Les uns et les autres y étaient comme jetés par une puissance mystérieuse, par une divination magique. On eût dit qu'ils compre-
liaient instinctivement que Luuis-^'apolcon possédait • la force (|ui devait les vaincre, cette force avec laqiielliB \ il devait du même coup écraser les pi-eniicrâ cl dissou- dre les seconds, afin de réaliser, dans toute sa pléni- tude, par le règne de la Démocratie, Inérarchiqucmenl organisée, sous la protection du principe d'autorité, la grande pensée de l'uaité nationale.
Quelr[ues jours après la tempête de Février, les par- tis monarchiques, en revenant de lenr première épou- vante et de leur première stupeur, n'avaient songé qu'à sauver du dernier naufrage de la Royauté les intérêts ai-istocratiques. C'est avec cette pensée que le 4 mai lttf8, ils avaient acclauié la République à la Consti- tuante. A In veille de l'Election présidentielle, lorsqu'ils virent qu'ils allaient être débordés par le Puuple, que la magie des souvenirs et lu puissance des idées entraî- naient au scrutin comme un seul homme, pour y in- scrire sur les bulletins de \otc le nom du neveu de l'Empereur, ils se placèrent, par une lacliquc non moins habite <|u1nléressée, à la tétc de ce mouvement national, dans le but de recueillir les fruits île la vic- toire. Mais ils subissaient à regret la candidature de Louis-ISapoléoa comme une nécessité. Celte candida- ture était pour eux un écueil qu'ils essayaient de tour- ner, ne se sentant pas assez Torts pour le franchir sans s'y briser. A leurs yeux, l'Ëlu de la France lut donc, dés l'origine, un ennemi qu'ils devaient tromper par ta ruse, ne |)ouvant le vaincre par la force. C'est ainsi que, dans le sein de la Constituante, ils n'ap])ortèrent
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à son gouvernement leur hypocrite concours qu'avec l'espoir et la volonté de le dominer.
Au moment même où la Législative se réunissait à Paris, le 29 mai 1849, elle apportait dans les rangs de la Majorité, comme dans les rangs de la Minorité, le levain d'une ardente et sourde hostilité, qui devait grandir enfin jusqu'à la hauteur d'une conspiration parlementaire. La Majorité se groupa tout d'abord autour de Louis-Napoléon contre la Minorité, dans l'espoir d'exploiter sa Présidence au profit des intérêts aristocratiques. Mais lorsque les partis monarchiques comprirent qu'arrivé au Pouvoir, porté sur les flots de la popularité du plus grand nom des temps mo» dernes, comme la personnification vivante des intérêts démocratiques, le neveu de l'Empereur resterait fidèle à la cause du Peuple, ils résolurent de lui arracher par la ruse ou la violence une autorité qui les menaçait dans leur domination.
Ce fut le message du 31 octobre qui éclaira les partis monarchiques sur le véritable caractère de la mission providentielle que Louis-Napoléon se sentait appelé à remplir dans cette époque de transition entre le Passé et l'Avenir de la France. Dans ce message, le neveu de l'Empereur leur donnait un solennel et premier aver- tissement qui fut entendu, mais qui fut dédaigné. Unis encore avec le Gouvernement pour l'action, ils s'en séparaient déjà en pensée. La loi du 31 mai fut le fruit de cet accord apparent, de cette alliance extérieure^ qui ne trompa pas longtemps le Pays. Cette loi était à
iNTRODucnom. n
peine promulguée que Louis-Napoléon marcha vers son but, dans l'isolement et le silence, ayant sur la pol* trinc deux pointes d'épée, l'une tenue par des mains monarchiques, Tautre tenue par des mains révolution* naires.
Placé entre une conspiration parlementaire et une conspiration communiste, TÉlu de la France comprit à son four que les monarchistes d'aujourd'hui n'étaient ni moins aveugles, ni moins incorrigibles que les roya- listes d'autrefois, qu'eux aussi n'avaient rien appris des leçons de l'histoire , ni rien ouMié dans l'épreuve des révolutions. Il sentit qu'il avait en eux des ennemis non moins ardents , non moins irréconciliables que les révolutionnaires, car il aimait le Peuple, dédaigné des uns et trompé par les autres , et il était profon- dément dévoué au benheur de cette France qu'ils sacrifiaient tous à leurs i>as8ions9 à leurd intérêts , à leurs préjugés.
Louis-Napoléon le comprit; mais, avec cette pa- tience du lion qui sent sa force, il résolut de renfermer ses pensées dans sa grande âme et de contenir les boyillonnements de son noble cœur jusqu^à l'heure marquée pour l'accomplissement de son œuvre de patriotisme. Volontah'ement résigné aux jugements aveugles de Topinion, il poussa Thérolsme de l'abné- gation jusqu'à livrer momentanément sa renommée peur le succès de cette œuvre d*où dépendaient le satut de la S^ciété, le triomphe de la Démocratie et la grandeur de la France. Parfois seulement on entendait
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tomber de ses lèvres un mot , éclair d'intelligence , on toyait passer dans ses yeux un regard, étincelle de colère 9 signes précurseurs qui révélaient Tâme de feu cachée sous cette enveloppe de glace. Il signait le dé- cret de révocation du général Changarnier, qui retomba aussitôt dans le néant de son impuissauce. Il parlait aux habitants de TÂisne de ses amis des chaumières et des ateliers. Aux paysans de Dijon, il dénonçait les en- nemis du Peuple, cachés dans les rangs de la Législative. Aux soldats de Paris , il annonçait qu'il comptait sur leur dévouement, quand viendrait le jour de l'action. Devant les exposants de Londres , il confondait les hallucinations monarchiques et les utopies socialistes dans une commune condamnation. Mais on ne voulait voir dans ces avertissements du neveu de l'Empereur que des révoltes d'enfant. Louis -Napoléon laissait croire et laissait dire. Il savait bien qu'il aurait son jour, et que ce jour-là les plus habiles reconnaîtraient leur maître.
Les légitimistes et les orléanistes, aussi bien que les démagogues et les socialistes , furent trompés à ces apparences d'apathie et de mutisme , derrière lesquelles ils ne savaient pas découvrir la force de caractère de l'homme qui se domine soi-même , de l'homme qui possède sur son âme assez d'empire pour dompter son oi^ueil, jusqu'à dissimuler son génie. La conspiration parlementaire poursuivit son développe- ment souterrain sur les bancs de la Majorité et sur lea bancs de la Minorité. Nouée au sein de la Commis--
ivmoiiLCTUJS. as
sioii de prorogation i\e t8j0, fortiriéi> en 1851 par l'alliance des partis moiiarcliiqups et des partis ré^oi tulionnaires, elle marchait la tète haute, dans une pleine sècurili', rejetant la Dotatinn . refusant la Ré- vision, lorsque l'atirlace des intrigants et des a'nbilieuK, (|ui s'étaient ligués contre l'Elu de la France pour ren- verser violemment sou autorité par un coup d'État de la Législative, excitée par le Projet de rappel de la loi du 31 mai, s'accrut tout a coup sans mesure et sans prudence. Dans ravcuf^lemeut de leur haine et de leur colère, les partis monarchiques et les partis révolution- naires, s'ahusanl sur leur influence dans le Pays, mé- connaissant la popularité du Président, portèrent à la trihunc, par l'oi^ane des Questeurs, la proposition de la réquisition directe, qui n'était rien moin» qu'une dé- claration publique de guerre immédiate. Le PréwdenI et la Législative furent dès ce jour-là, comme deux ar- mées en présence, qui ne peuvent tarder d'en venir aux mains.
L'hostilité était flagrante, lu lutte inévitable. Le Pays, agité, troublé, demandait une solution prompte et décisive à ce conflit, qui s'élcvant, dans les hautes ré- gions de la politique, entre les deux grands pouvoirs de l'État, menaçait d'éclater sur lui en une effroyable tempête. La Législative voulait déposer le Président. Si la proposition des Questeurs eût été adoptée dans la séance de jour du 17 novembre où elle fut disculée, une séance de nuit aurait succédé qui aurait vu aboutir la conspiration parlementaire. On savait du moins que
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ce plan avait été dans la pensée des meneurs de la CDalilion des partis hostiles à l'Élu de la France. Loui»- Napoléon ne pouvait échapper au sort de Louis XVI qu'en devançant la Législative par une énergique ini- tiative. Il fallait qu'elle fût dissoute ou qu'il fût ren- versé. Il portait en lui les destinées de la France. U ne pouvait hésiter ; il n'hésita pas.
Non, Louis-Mapoléon ne pouvait pas hésiter, car la coaspiratiou parlementaire, fomentée contre la Répu- blique, servait de manteau à une conspiration coramu— uiste ourdie contre la Société. Pendant que les légi- timistes et les orléanistes agitaient la Législative par leurs passions et leurs inirigues. les démagogues et les socialistes enla<;aient le Pays dans un vaste et ténébreui: réseau d'associations secrètes, qui rayonnaient de Pari& dans le nord, l'ouest et le ceatre, et de Lyon dans . tous Us dépai^tements du midi». Uoe terrible Jacquerie S: organisait : d^uis les campagnesrpour l'incendie et la dévastation ; dans les villes, pour le massacre et le pjl- Uge. C'était comme une invasion* de; barbares qui se pi^éparait dans les antres de l'anarchie, prête à. couvrir KFrance civilisée de cendres et de ruines. Cette can^ spiration avait son gouvernement^ son étal-major, son arooée, ses capitaines, ses soldats, ses plans, ses arse* aaux* ses munitions, ses places fortes. Elle devait éclar ter au nord, au midi, à l'ouest^ à Test et au centre^ k la.mêm^ h^ure, de sorte que le Socialisme aurait» livré bataille à la Société sur toute l'étendue du territoire de la République. Si.courageuse et si habile que pouvait
INTRODUCTION. 4i
être la défense^ une aussi formidable attaque aurait été comme un de ces ouragans qui passent^ mais qui lais- sent après eux d'irréparables désastres et d'éterneilès ruines.
Il n'existait qu'un moyen d'affaiblîr^Henneini, c'était de le déconcerter en le surprenant, c'était de le préve- nir en marchant sur lui, avant qu'il ne fût prêt, de le disperser avant qu'il ne fût rallié, de l'écraser avant qu'il n'eût le temps de se reconnaître ; c'était eniin <de déjouer son plan, en le provoquant sur un autre champ de bataille que celui qu'il avait choisi, à un autre jour que celui qu'il avait arrêté. La Constitution seule s'y opposait, de même qu'elle s'opposait à la dissolution de la Législative. Il n'y avait pas à balancer : on ne pouvait défendre la République contre les légitimistes et les orléanistes, la Société contre les démagogues et les so- cialistes, qu'en déchirant la Constitution. Il fallait donc la déchirer. C'est ce que fit Louis-Napoléon, se dé- vouant au salut de la France, menacée d'une doubla guerre civile, avec cette calme énergie et ce froid cou- rage qui n'appartiennent qu'aux fortes natures, aux natures d'élite. Depuis longtemps sa résolution était prise. Elle avait été mûrement réfléchie, longuement préparée. Après le renvoi, par le conseil d'État à l'As- semblée, du projet de loi sur la responsabilité du Pré- sident delà République, l'exécution de ce dessein pa- triotique avait été décidée.
Le jour était fixé dans la pensée du Prince. Les hommes qui devaient le seconder dans cette œuvre de
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dévouement au Pays étaient choisis et prévenus. Ils étaient prêts. Le Peuple espérait, rArmée attendait. Le 2 Décembre, quand le soleil, qui avait éclairé le champ de bataille d'Austerlilz , se leva sur Paris, Louis-Napoléofi avait agi. Il avait marché contrôles partis monarchiques, qui conspiraient la chute de la République, et contre les partis révolutionnaires, qui méditaient la ruine de la Société. L'Armée l'avait suivi ; le Peuple l'avait applaudi ; la France était sauvée.
HISTOIRE
D*UH
COUP D'ÉTAT
I
L'acte du 2 décembre , que nous allons raconter dans ses détails les plus intimes y a eu des causes de haute politique et des raisons d'être que notre collabo» rateur a exposées dans son introduction. Avant d*eQ«- trer dans notre récit^ nous ne pouvons nous dispenser de faire en quelque sorte le chapitre préliminaire des faits. Pour cela nous devons remonter assez loin en arrière.
Après la surprise de 1848, les parlementaires furent débordés. Us virent avec stupeur , avec effroi ^ ca que
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leurs doctrines avaient produit dans la société. Apparu- rent les démocrates ronges. i\ faut bien en convenir, les hommes des anciens partis ne brillèrent alors ni par le courage ni par la dignité. En face des éventualités d'une nouvelle terreur, ils se firent bien petits et bien rana- panls«lls acclamèrent lout ce qu'on voulut. Plus^ard, ils dirent que c'était pour «e créer un terrain neiftre, que la République était le parti qui les divisait le moins. Cela n'est pas vrai. Ils passèrent avec armes et bagages sur ce terrain-là, parce qu'ils ne se croyaient pas en sûreté sur le leur. Ceci est de l'histoire. Alors ils ne ^ songeaient plus à leurs querelles ; ils ne songeaient qu'à leur salut. Quelques chefs de parti, comme M. Berryei , firent exception. Ils crurent revenir à leur royauté de droit divin par le désordre, et le Moniteur constate qu'ils se mirent de son côté. Ainsi, les uns, par peur, les autres, par calcuJ, laissèrent aller à la dérive le vaisseau de l'État vers les écueils de la démagogie, de l'anar- chie. En juin 1848, la peur les mit tous à la suite du général Cavaignac ^qui les avait sauvés; cependant ils ne l'aimaient guère; n'importe ils obéissaient, et quand le général frappait sur ses bottes avec sa cra- vache en pleine Assemblée, personne ne s'avisait de •trouver cela inconvenant.
Un d'eux, qui depuis a été l'un des plus ardents adver- saires du Président, un homme de génie pouT*tant, qui s'est teint en rouge après avoir sollicité les votes des blancsi, disait dans un salon, en parlant du général Cavaignac et de son parti, quand on prévoyait l'élection
in N COU' rt'ETAT. (5
du prince ï-ouis-Napoléon : « Ils ne dc^cemlront pas du pouvoir; ils feront un coup d'Élat, de la terreur, et ils nous guiliotiueront. » C'est ainsi que la peur trans- ibrmait à leurs yeux un honnête homme, un brave gé- néral en un buveur de sang.
Ali ! si un prince quelconque fut venu à celte heure prendre le pouvoir, ils eussent béni ce prince. Ils le disaient.
Lorsque six millions de suffrages nommèrent Louis- Napoléon Bonaparte, président de la République, et qu'ils virent tout à coup la pairie rassurée sous le prcs- lige de ce grand nom, ils commencèrent à respirer. Il faut en convenir, c'est le prestige du nom qui, pendant (rois ans, a maînlenu la France en paix et en prospérité; fCar le neveu de l'Empereur n'a pas gouverné. Ce sera la honte clernolle des partis, et sa gloire à lui, ta plue grande peul-étre aux jeux de la postérité. Jamais il ne fut donné de voir plus entière el plus noble abnéga- tion. Le Président de la République accepta franche- ment et loyalement son maudrit. I.a France ignore trop les instances réitérées, inouïes, qui furent faites près Je lui par la plupart des délégués que tes déparlemenis envoyaient avant l'éleclion du 10 décembre. « FailCB * vous empereur, lui disait-on ; c*est le vœu du pays. C'était uneprif^re, parfois c'était presque une condition de vole. Ëb bien ! cette réponse, nous avons eu l'hon- neur de l'entendre de sa bouche : a Je ne prendrai ^uo ce que la France me donnera, p
Le prince Président exigea des plus cbers dévoue-
!
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ments , et de Tentourage le plus attaché ^ Tabnégation qu'il montrait lui-mérae. Dans le but d'opérer le rap- prochennent des par is pour le bien de la France, il donna le pouvoir aux hommes de la légitimité et de Torléanisme, — M. de Falloux devint ministre. I^ prince arrivait ainsi d'emblée à l'abnégation la plus absolue. Il ne cessa de faire aux anciens partis les plu8 larges concessions. Quand on lui disait : a C'est pour le bien de la France. » «Alors faites, » disait-il. Cette noble loyauté, ils la prirent pour de la faiblesse en lui ou pour de la puissance en eux. Il leur prêta loyalement son concours pour museler les passions démagogiques. Le nom prestigieux de Napoléon leur donnait une immense autorité. Ils crurent que cette autorité venait d'eux-mêmes. Leur orgueil et leur audace montèrent jusqu'à la hauteur de leurs illusions. Ils se dirent : la France est avec nous.
On vit surgir tout ce que la peur avait comprimé : les ambitions ardentes, les égoïsmes effrénés. L'Assem- blée devint un foyer de complots de toutes sortes.
Les uns veulent une république rouge; d'autres appellent Henri V; d'autres enfin demandent la branche cadette; puis des ambitions secondaires s'agitent au- dessous, dans leur propre intérêt. Et tout cela s'avoue hautement, la tribune retentit tous les jours de ces scandales. Les journaux des partis font au pouvoir exécutif une guerre acharnée, incessante. Pour Tatta- quer, pour le déconsidérer, ils ne reculent devant rien. Sans cesse on invoque contre lui, qui ne l'enfreint
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pas, cotte Constitution qu'on a vingt fois pour soi- même déclarée absurde, qu'on a décliirée, miililéo, et (ju'on mettra sous les pieds à l'heure venue pour faire un coup d'Etat monarchique. Les chefs de parti , les sommités de la Chambre voni recevoir et donner des instructions à Forsdorf et à Claremont.
On conspire en plein jour, andacieusemeni, contre le Président; on l'enveloppe dans un réseau de complots. Au milieu de tout cela, il garde son calme, t^on abné- gation, l-'abnégation a été, trois années durant, le nom de sa politique d'espérance; car il cs|)érai( toujours que les partis uésarmerniciil dans i'intorât de la France, et qu'ils feraieut, sur l'aiilol de la patrie, l'holocausie de leurs ambitions et de leurs égoîsmes. Et il l'espérait avec une loyauté si grande, que le jour oii il a vu jus- qu'à l'évidence la trahison, il s'est pour ainsi dire trouvé isolé au milieu de ses ennemis. Voilà ce que la France ne savait pas et ce qu'il faut qu'elle saclie. Chaque Français qui a voté oui, pourra se dire : u Si mon vote fut d'cnlraînemenl, il l'ut donc de bien stricte justice aussi, n
Il faut se reporter à la première prorogation de l'As- semblée, fin de l'année 1830. On sait qu'à cette époque il fut bruit de complots, et qu'une infernale accusation fut imaginée par un fonctionnaire, tu commissaire de l'Assemblée, Yon.
Cerla^, ce ne fut pas son œuvre à lut seul, nous le savons. Mais, à côté des conspirateurs, il y avait, pour le salut de la France, un homme d'hoiiiieur et de pro-
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hilé : c'élaîtll. le tomle Mole, qui venait dire au -Pré- sident : « Prinee, la Commission de pernianence veut vous faire arrêter; des propositions mont été faites , jque.jai ropoussées avec indignation, et j*ai dit que je vous préviendrais. » On devait mettre le prince à Vin- cennes. Le général Changarnier allait être proclamé dictateur par la Commission de permanence , en at- tendant la convocation de l'Assemblée, et ensuite on espérait s'entendre pour faire une Restauration. Ce coup d'État était le rêve de la fusion. L'épée de con- nétable devait alors rester aux mains du général Qiaii- garnier.
Le prince comprit qu'il n'y avait plus d'espérance^le conciliation, ou que du moins il fallait se préparer aii\ éventualités. La position était grave. M. Changarnier, général en chef de l'armée de Paris, avait usurpé une autorité immense , qui s'étendait jusque sur le mi- nistère de Ja guerre, et qui était presque omnipotente ix l'Assemblée. Il avait autour de lui toutes ses créatures, qui n'attendaient qu'un signe de sa part.
On conçoit combien il fallut de prudence au Prési- dent pour sortir de celte impasse. On sait avec quelle énergie il brisa le général Changarnier. Quant à l'opi- nion publique, qui ignorait, il était bon qu'elle cessât de craindre la destitution de ce général, comme étant de nature à faire baisser la rente et à produire de Tagi- tation. 11 faut rendre justice à qui de droit , ce fut M. Âmédée de Cesena qui, par la discussion qu'il 4)uvrit dans la Patrie, fit considérer M. Changarnier
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commi? lin embarras de la situation et aiiicna l'opinion h désirer qu'on le destituât.
Cette destitution cxcilii une véritable tempête à l'Assemblée. Le général n'eut pas la dignité nécessaire pour dissimuler son désappointement. J^c complot, dès lors, était une mine éventée qu'il fallait rouvrir ailleurs, Mais 1q Président était sur ses gardes. Il prit ses mesunis avec une sagacité, uni: persévérance, une |u-udcnce surtout, qui ne sauraient appartenir qn'au génie doni il a donné depuis de si éclatantes preuves.
Ihie grande partie de Tétat-ninjor de l'armée, riche de gloire pass^v l'était aussi d'illusions. Qui ne rèvaît pas le râle d'un Monck, rêvait peut-être celui de chef ItMiiporaire de la France. I^s uns suivaient le futur couuétable; les autres s'alt;icliaicnt h la fortunt- d'un ancien coin|>agnou d'armes. Tous se fussent réunis* contre l'Ëlu de la nation.
Depuis quelque temps déjà, ces hommes de guerre, à réputatiou si populaire jadis, subissaient la déprécia- lio[i de ce qu'on voit de trop près et surtout de ce qui n'est pas à sa place. Le prestige, auréole qui ceignait leurs fronts vainqueurs, purdait de son éclat dans les luîtes de ta tribune, et les lauriers cueillis sur le sol africain pâlissaient, dans la serre chaude du palais Bourbon, sous les méphitiques indueiiccs du parle- mentarisme.
.Mais la gloire, c'est un soleil que Dieu mil au ciel (11? la France, il y brille loujonrs, et quand des fronts tliei-cheiit l'ombre, d'aulres ri'çoi\etil l'éclat de ses
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rayons* Depuis quelque temps, de nouveaux noms franchissaient les mers et devenaient populaires parmi nous. De nouveaux guerriers soutenaient en Afrique llionneur de nos armes. Ceux-là n'avaient point subi ce contact qui gâte l'esprit militaire. Hommes des camps, ils gardaient immaculée cette conscience du devoir qui ne transige pas et qui porte le cœur aussi haut que l'épée. Louis-Napoléon songeait à eux dans SOS inquiétudes du présent et dans ses espoirs d'a- venir. Avec cette insouciance apparente qui caractéri- sait son oncle quand sa pensée lançait un éclair, il dit un jour, en riant , à cet entourage d'amis fidèles qui couvraient sa poitrine des leurs : « Messieurs, si nous faisions des généraux?»
Ce fut le commandant Fleury, maintenant colonel, homme de cœur et d'intelligence, nature attractive et sympathique, qui se chargea de faire la conquête ou la création d'un état-major. Vite, il étudia les cœurs et connut les dévouements.
Tout ce qui était sous le drapeau aimait Tordre et le devoir, aimait par-dessus tout la patrie et sa gi andeur« Officiers et soldats, qui marchaient tous les jours dans la ligne inflexible du devoir, gémissaient et frémissaient aux récits de nos scandales de tribune. Ces hommes , habitués à jouer leur vie pour l'honneur de la France « maudissaient ceux qui, pour leurs passions égoïstes et leurs intérêts mesquins, compromettaient sans cesse son honneur, son repos, sa prospérité. Quelques-uns se souvenaient de ces jours néfastes où l'esprit parle-
DTS COIP D'ÉTAT. ;(!
meiitaire, remplaçant la fieric du soldat, avait humilié des régiments français dans nos rues. Leucs mains, à quelques-uns , s'étaient meurtries sur la poignée du glaive ; leur cœur gardait en lui de ces larmes qu'on n'y sèclic pas. Quand ils entendaient le nom de Napoléon , un vague désir traversait leur pensée. «Il aie nom, di- saient-iis, si c'était l'homme !. .« Kh bien ! c'est l'homme ! Comme vous, il veut, il espère , il croit. « La France sera sauvée, » répondent-ils. Et voilà qu'au jour dit, suLxessivemcnt appelas , ils sont là tous, comme autour de l'Empereur, à pareille date, étaient à Austerlilz tant de dévouements glorieux ; c'est l'élal-major actuel de l'armi'C de Paris.
Mais pour arriver à ce résultat , que de peines , que de précautions I A celte époque de tîSoÛ , au ministère de la guerre, l'influence de l'Assemblée et du générai Changarnicr dominait toujours. Four avoir la signature du ministre, il fallait qu'on fît passer le colonel ou le général qu'on désirai! avoir pour orléaniste ou pour légitimiste. Certes, le Président pouvait dire : « Je le Veux;» mais il aurait donné l'éveil. Le géiiéral Baraguay- d'Hillicrs, qui avait remplacé le général Changantier, n'osant assumer la responsabilité des éventualités qui pouvaient surgir, céda le commandement de l'armée de Paris au générât Magnau , qui apportait à la cause du Président, qui était avant tout celle de la France, le dévouement le plus absolu.
On dit le général Magnan, comme on disait Bu- geaud : son nom est une biographie et l'une des plus
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belles de rarmée. Il a vu depuis i809 toutes les ba- tailles de TEmpire. Eln Afrique, il a laissé la répututiait d'un officier aussi audacieux que sage, aussi entrepre^ uant qu^habile. Deux souverains étrangers Tont nommé, l'un, général pour organiser son armée ; l'autre, géné- ral en chef pour commander la sienne. Il a eu le commandement iStt{>réme de l'armée des Alpes, et il a montré à Lyon ^ en y domptant l'insurrection la plus terrible, l'héroïsme du courage joint aux qualités les plus solides du général d'armée. Quand on parle du général Magnan , il faut négUger les actions d'éclat et les faits d'armes brillants ; il faut aller tout de suite plus haut. C'est un général qui a le coup d'œil rapide, vaste et sûr, qui a l'immense talent de faire manœu- vrer une armée comme un seul homme , et d'en être par son saog-froid toujours maître absolu. En un mot, c'est un général en chef.
Il date de l'Empire et il est plus jeune que beaucoup de nos jeunes généraux. Nul ne porte la tôte plus mar* tiale et plus noblement fl^re. C'est un des plus beaux soldats de l'armée et une des plus riches natures que nous ayons été à même d'observer. Il est adoré du sol- dat, aimé de tous ceux qui servent sous ses ordres , car il a tant de commandement et d'autorité , qu'il peut pousser la bonté, qui lui est naturelle, jusqu'aux der- nières limites. Comme homme privé, c'est le père de famille par excellence, l'homme du foyer domestique, qui n'a pas de bonheur plus grand que celui de voir les siens autour de lui , et qui avait moins de fierté en nous
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racontant ses batailles et le glorieux concours qu'il a prêté au grand acte du 2 décembre, qu'en nous di- sant : a Ma femme et mes filles ont applaudi à mon dévouement; pourtant je m'exposais. Elles n'ont pas un instant 9 durant la bataille, voulu quitter les Tui- leries j elles sont restées près de moi. » Nous conce- vons qu'un homme de cette nature et d*un tel cœur, ait donné un magnifique exemple et une grande leçon à beaucoup en Février. Quand la duchesse d'Orléans s'en fut , à pied avec ses enfants , à la Chambre des Députés, au milieu de la populace en fureur, le gé- néral Magnan en uniforme l'accompagnait.
Il fallait un ministre de la guerre. Le choix tomba sur le général de Saint-Arnaud. Afin de donner à ce général l'autorité nécessaire dans un poste si âevé, on décida la guerre de Kabylie , qui devait le couvrir d'une gloire si éclatante. On se souvient que l'Assemblée ne voulait pas que cette guerre fût faite. Ce furent les généraux Cavaignac , Lamoricière et d'autres du même parti, qui se chargèrent d'en démontrer la nécessité, sans se douter qu'ils ofiraient un marchepied à M. de Saint-Arnaud pour monter au ministère de la guerre. Le général de division Leroy de Saint-Arnaud , mi- nistre de la guerre, n'était queheutenant au 6^ régi- ment de ligne en 1831 . Mais, dès cette époque, sa mer- veilleuse aptitude , son talent instinctif du métier des armes, lui présageaient de hautes destinées. Pour parler militairement, il avait dans son sac le bâton de maré- chal. Le général Bugeaud, qui se connaissait en hommes,
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disait : « Il ira loin ; je veux avoir Thonneur d'y être pour quelque chose. » II lui Bt rapidement parcourir tous les grades. Mais chaque grade était payé d'avance par une action d'éclat ; chaque décoration, par quelque éminent service. Pour écrire la vie militaire de M. de Saint- Arnaud j il faudrait , pendant quatorze années durant , suivre nos armées d'Afrique dans ces guerres difficiles et brillantes, où chaque étape est marquée par un glo* rieux fait d'armes. Nous le verrions comme colonel , en 1844, commandant la subdivision d'Orléansville , poursuivre le fameux Bou-Maza dans les retraites im- prenables du Daahra ; par une savante stratégie et de brillants combats, le forcer, après deux ans de lutte, à faire sa soumission. Nous ferions l'histoire de cette cam- pe^^ de Kabylie qui a mis le comble à sa réputation militaire. Cent cinquante-cinq lieues de pays , conquis en quatre-vingts jours , vingt combats et six batailles ^ en tout vingt-six victoires, tel en est le bulletin magi- que; et tout cela accompli avec huit mille hommes. II y a comme de la chevalerie féerique dans cette guerre : c'est du Bayard et du Scanderberg , avec la science militaire de notre époque en plus !
Esprit élevé, résolu, n'admettant pas l'impossible, assez fort pour traiter avec une apparence de légèreté et d'insouciance les choses les plus graves, plein de res- sources pour briser ou tourner l'obstacle et l'imprévu, rapide et précis dans l'action ; avec cela, franc comme l'acier de son glaive, bon et rude comme un homme de guerre, tel est le général de Saint-Arnaud« Il vient de
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Kabylieavec toutes ses émotions de dangers courus et de gloire acquise. Toute sa vie, s'il a cru au droit, il a cru au devoir, ces deux pôles régulateurs mis par Dieu au libre arbitre humain; et vous voulez qu'il prenne au sérieux vos parades parlementaires et vos batailles à coups de scrutin pour des Uberlés illusoires ! vous vou- lez qu'il baisse son êpée devant vos questeurs ridicules, qu'il accepte pour l'armée vos théori<îB d'avocats sur le devoir du soldat ! Il y a quatorze cents ans qu'en France ce devoir est inscrit au cœur de qui porte l'épée. Ce devoir place le glaive du soldat au-dessus des régions où s'agitent vos complots et vos ambitions mesquines. Il le met aux ordres de ceux ù qui Dieu confère la mis- sion de protéger ou de sauver un pays. M. de Saint- Arnaud se charge de vous le dire.
Quand il monta à la tribune, on sait le langage qu'il parla aux conspirateurs de l'Assemblée, qui fut comme prise de déraillance et qui n'osa pas voter afTirmative- raent sur ses propres complots. Tous ces parlement taires furent terriOés ù la voix de cet orateur des champs de bataille qui sentait encore ta poudre ; seul à cette tri- bune, il leur semblait avoir deux cent mille hommes derrii^re lui.
Tout était donc prêt du côté de l'armée pour les éventualités d'un coup d'Ëlat. Il fut sur le point d'avoir f lieUj lors de la dernière prorogation de l'Assemblée. C'eût été une faute , et une faute grave. La France i ne voyait pas encore assez clairement les complots par- Icmentaiivs. Elle aurait pu crotre que le prince agissait
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dans un but d'intérêt personnel et d'ambition. Le préfet de police d'alors y poussait fortement. Beaucoup de personnages dévoués au prince agissaient de même. Ce furent M. de Saint-Arnaud et le général en chef Ma- gnan, principalement, qui firent abandonner ce projet, en faisant valoir les raisons qui demandaient qu'on ajournât l'exécution. Le Président, ses ministres, quel- ques hauts fonctlbnnaires, connaissaient les conspira- teurs ; mais cela ne suffisait pas. En dissolvant l'Assem- blée en pleine paix , on se donnait les apparences de l'illégalité. L'Assemblée pouvait se réunir dans une ville de province, y rendre ses décrets, dresser pouvoir contre pouvoir. Que serait-il advenu? La moindre conséquence eût été une guerre civile acharnée. Le Socialisme n'eût pas hésité à prendre provisoirement la Constitution pour drapeau, et les partis de l'Assemblée eussent accepté pour défenseurs les soldats de la Jac- querie. Tels étaient les motifs puissants qu'invoquaient les adversaires du coup d'État pendant la prorogation. « L'Assemblée trahira bien assez ses complots , disait le général Magnan, attendons qu'elle nous donne barre. x>
En effet, à peine réunie, l'Assemblée montre contre le Président l'hostilité la plus vive. Elle repousse , à la majorité de quatre voix escamotées, la loi du Suffrage universel, que le Président proposait dans un intérêt de salut public.
Vient ensuite la fameuse proposition, dite des ques- teurs, et qui restera connue dans l'histoire sous le nom de proposition Baze. Rien de plus violent contre la
D'UN COUP D'ÉTAT.
■discipline de l'armée, rien de plus provocateur que ce factum insensé de ta conspiration parlementaire. En voici le texte :
PROPOSITION nËPOSËE «
Art. i". Le Président de l'Assemblée nationale est chargé de veiller A la sûreté intérieure et extérieure de l'Assemblée.
Il exerce, au nom de l'Assemblée, le droit conféré au pouvoir 1é- gislalir par l'art. 32 de la Constitution, de fixer l'imporlanee dei , forces militaires pour sa surette , d'en disposer et de désigner le chef | chargé de les commander.
A cet effet, il a le droit de requérir la Torce armée et toutes les autorités dont il juge le concours nécessaire.
Ces réquisitions peuvent être adressées directement à tous les offi- ciers, commandants ou fonctionnaires, qui Eont tenus d'y obtempérer 1 itnmËdiateinenl sous les peines portées par la loi.
Art. 2. Le Président peut déléguer son droit de réquisition ans j questeurs on h l'un d'eux.
Art. 3. La présente loi sera remise h l'ordre du jour de l'armée,^ 1 artichéc dans toutes les casernes sur le territoire de la Républiquil. T
L'Assemblée fut à deux doigts de sa dissolution te jour où eut Hpu le vote sur cette fameuse proposition. Notre collaborateur dil, dans son Introduction, que si la proposition eût passé, l'Assemblée avait dessein d'avoir une séance de nuit où aurait abouti la conspi- ' ration monarchique. Non, la séance de nuit n'aurait I pas eu lieu. Louis-Napoléon n'aurait point attendu 1 qu'on le citât à la barre.
M. de Saint-Arnaud, qui ne se rendait pas compte
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de l'effet qu'il avait produit sur l'Assemblée , pensait qu'elle allait voter la proposition Baze, et il avait quitté la séance pour a viser , pour agir. Il attendait à l'état- major de l'armée^ au palais des Tuileries, dans le salon du général en chef, le résultat du vote. Ce fut le général Magnan, lui-même, qui vint lui dire que l'Assemblée avait reculé et repoussé par 108 voix de majorité l'indo- lente proposition des questeurs. « Je m'en serais fort bien passé, d dit M. de Saint-Arnaud.
L'Assemblée était donc bien aveuglée ! Comment ! l'armée française et son générai en chef, tous ses ofS^ ciers et son ministre de la guerre auraient accepté pour général, pour chef omnipotent, un des avocats de l'Assemblée! Si l'Assemblée eût voté cela, l'armée eût bondi de colère, et le soldat eût peut-être dépassé l'in- tention des chefs. On ne s'est jamais dans le public, et surtout dans le monde parlementaire, rendu assez fX>inpte de l'irritation que produisaient sur ces gens de cœur les attaques continuelles dont retentissait la tribune contre leur discipline qu'on voulait violer, contre leurs affections qu'on voulait contraindre.
Ainsi, l'Assemblée avait fait ce qu'avaient prévu le ministre de la guerre et le général en chef. Ce qui, suivant eux, aurait été prématuré pendant la proroga- tion, maintenant ils le regardaient comme une néces- sité. « Nous sommes prêts , avaient-ils dit au prince ; maintenant comptez sur nous, agissez ; n'hésitez pas à frapper un coup énergique et décisif. »
Quelque temps avant cette fameuse séance du t7, le
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général Magnan avait réuni dans son salon tous ses officiers généraux. « Messieurs, leur avait-il dit, il peut se faire que d'ici à peu de temps votre général en chef juge à propos de s'associer à une détermination de ia plus haute importance. Vous obéirez passivement à ses ordres. Toute votre vie , vous avez pratiqué et compris le devoir militaire de cette façon-là. Du reste, avait-il ajouté, si quelqu'un de vous hésitait à me suivre dans cette voie, qu'il le dise; nous nous séparerions et ne cesserions pas de nous estimer. Vous comprenez ce dont il s'agit : les circonstances sont d'une immense gravité. Nous devons sauver la France ; elle compte sur nous. Mais, quoi qu'il arrive, ma responsabilité vous couvrira. Vous ne recevrez pas un ordre qui ne soit écrit et signé de moi. Par conséquent, en cas d'insuccès, quel que soit le gouvernement qui vous demande compte de vos actes, vous n'aurez qu'à montrer, pour vous garantir, ces ordres que vous aurez reçus. Seul responsable, c'etl moi. Messieurs, qui porterai, s'il y a lieu, ma tête à Téchafaud ou ma poitrine à ia plaine de Grenelle. » La réponse fut digne de ce discours. Le général Reibie, le doyen de tous , prit la parole : « Personne ne m'a chargé de parler, général, dit-il, pourtant je le fais au nom de tous. Vous pouvez compter que nous vous sui- vrons, et que nous voulons engager notre responsabi- lité à côté de la vôtre. »
Il n'y eut pas imprudence à parler ainsi : le général en chef s'adressait à l'honneur des généraux sous ses ordres; d'un autre côté, c'était nécessaire ; car il fallait
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qu'au moment venu il pût compter sur chaque chef de corps.
L'abîme entraine l'abime, a dit l'Écriture. M. Baze fît surgir une demande de mise en accusation contre le ministre qui n'avait pas voulu souffrir que certaines élucubrations de la questure restassent affichées dans les casernes. Puis, l'Assemblée, démasquant enfin ses complots aux yeux les moins clairvoyants, nomma la fameuse commission qui devait élaborer un projet de loi sur la responsabilité ministérielle. MM. Michel (de Bourges), Duprat, Dufraisse, Crémieux, Arago, Béchard, Berryer, Combarel, Lasteyrie, Laboulie, etc., sont à l'œuvre, pour que la France voie bien, pour que le monde voie ainsi qu'elle, avec là clarté de la plus complète évidence, que, le 2 décembre, le prince Louis- Napoléon n'accomplit ni un acte d'ambilion, ni d'é- goïsme , ni d'intérêt privé, mais un acte de nécessité, de salut public et en même temps de dignité nationale.
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LX OOUF D'ATAT.
Gomme on Ta vu dans le chapitre précédent, le coup d'État était chose décidée et Texécution en était ur- gente. Tous les acteurs du grand acte qui devait s'ac- complir étaient prévenus, décidés à agir. Leur dévoue- ment était acquis , mais la plupart ignoraient le jour et le plan. 11 n'y avait dans l'intimité des desseins de Louis-Napoléon que M. de Persigny, M. de Morny, M. de Saint-Arnaud et M. de Maupas.
Le secret fut strictement gardé vi&-à-vis des amis les plus intimes , les plus dévoués. On savait les chefs de corps prêts à toute éventualité. Us ne furent prévenus qu'à l'instant d'agir. M. le général Magnan avait de- mandé qu'il en fût ainsi pour lui-même^ et, à trois
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heures et demie du matin seulement, le 2, il fut mandé au ministère de la guerre pour y recevoir ses instruc- tions.
Ce furent donc MM. de Saint-Arnaud, de Morny , de Maupas et de Persigny qui arrêtèrent avec le Président toutes les mesures à prendre, et qui firent entièrement le plan de ce grand acte politique, qui n'a pas de pa- reil ni d'équivalent dans l'histoire. Le 18 brumaire fut un coup de main hardi ; mais il n'a, certes, ni les pro- portions de difficulté d'abord , d'habileté ensuite, qui caractérisent le coup d'État de décembre.
Du reste, les personnages que nous venons de nom- mer, et auxquels l'opinion publique doit une large reconnaissance pour le concours dévoué et courageux qu'ils ont prêté au Président , s'accordent à dire qu'il a été l'âme de l'action , comme il était celle du plan. Ils lui rapportent tout l'honneur de la conception de ce grand acte. Ils sont assez fiers d'avoir servi d'instru- ments intelligents et intrépides. M. de Morny, ministre de l'intérieur, dut se charger de l'action administra- tive ; M. de Saint-Arnaud , comme ministre de la guerre, de l'action miHtaire; et M. de Maupas, comme préfet, de l'action de la police.
Certes , ils jouaient leur tête aussi bien que le Prési- dent. Quelles que soient les prévisions du génie, le hasard, lui aussi, a ses chances; l'imprévu a les sienaefi. En cas d'insuccès, les passions déchaînées de la déma<^ gogie et des partis auraient peut-être, ainsi que M. Le Flo en menaçait ceux qui l'arrêtaient, fusiUéàViB-
D'UN COUP D'ETAT. 63
cenne» le Président el ceux qu'alors on eût appelés ses complices.
Le lecteur connaît déjà le général de Saint-Arnaud , i! nous saura gré de lui faire connaître aussi ces trois autres hommes de dévouement et d'intrépidité qui ont été les héroïf|ues complices du prince Louis-Napoiéon* dans ce grand acte de salut. '
Nous prenons M. de Morny tel qu'il se révèle à nous , tel que nous le montrent ses actes et que ses amis nous le dépeignent. Jadis militaire, M. de Morny fit la guerre en Afrique ; il était à l'expédition de Cons- tnntine. Bientôt après, il entra dims te courant de la vie politique qui était celui de l'époque. Il y a[iporta son indépendance et ces allures franches, hautaines pa> fois, qui isolent cerlains hommes quand le pouvoir les attend et ne les cherche pas. Ce fut de la hauteur de cet isolement que M. de Morny iît entendre à la dynastie d'Orléans une voix prophétique de chute prochaîne. Cette voix parlait avec tant de loyauté et d'autorité tout à la fois, que M. de Morny fut choisi pour conjurer l'orage et jeter une planche de salut sur l'abimc où la monarchie allait tomber. Mais, comme l'histoire l'a écrit : « il était trop tard. » Le vieux roi regretta de n'avoir pas deviné plus tôt l'homme politique dont le Président a utilisé le concours. Mais M. de Morny avait besoin qu'un grand dévouement, parti du cœur, vint lui commander d'appliquer entièrement à la politique les aptitudes puissantes qui lui donnaient dans le monde une supériorité incontestée. H appartient
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à cette classe d'hommes qui ont la faculté précieuse de se transformer tout à coup quand les nécessités com- mandent.
Aussi dédaigneux pour les ennemis politiques qu'il n'estime pas, que noblement fier vis-à-vis des adver- saires sérieux, M. de Morny est, avec ses amis, l'homme qui plaît et qui charme par l'expansive bonté de son cœur et par la grâce de ses manières. Mais quand il est aux affaires proprement dites, homme de volonté ferme et persévérante, il commande , il impose , il domine. Il n'apprête plus son discours qui est fortement senti; il aborde et approfondit toutes les questions. Au danger comme dans la complication des affaires, il grandit et se multiplie. Sa nature se plie avec une souplesse éton- nante à cette existence nouvelle qui impose tant de fatigues, qui demande tant d'activité et qui veut tant d'abnégation. Ce qu'il voit, c'est le but, et il y marche^ quel que soit l'obstacle, avec une volonté de fer. Homme de devoir et de conviction , il estime fort peu les louan- ges, parce qu'il sait ce qu'elles valent. Quand on joue sa tète pour sauver un pays , on vise plus haut qu'à cette pâture d'amour-propre. On veut les satisfactions de la conscience et l'impartialité de l'histoire qui accom- pagnent l'homme et ses actes, n'importe où les événe- ments le conduisent.
M. de Maupas n'a que trente-deux ans. Valeureux soldat de l'ordre , c'est en payant de sa personne qu'il a conquis ses grades administratifs. Toujours à la hauteur de sa situation par son courage, il Ta toujours dominée
D'UN COIP D'ETAT. «5
par son talent. A Boulogne, comme sous-prÉfet, puisa Moulins et à Toulouse, comme préfet, en muselant l'émeute et le Socialisme, en rétablissant l'ordre et la paix publiques , il avait révélé les plus hautes capacités administratives. Le prince Louis-Napoléon a au su- prême degré l'éminente qualité qui distinguait son on- cle, celle de deviner les hoaimcs. M. rie Maupas, de sod câté, est un de ces types caractéristiques qui ont le pri- vilège de se révéler d'une Taçon excessivement expan- Bive. Ce qui domine en lui, ce sont les qualités du cœur. C'est un homme d'entraînement, de dévouement, plein de franchise et de loyauté , sans aiiiitié ou sans estime, incapable de serrer la main de quelqu'un.
M. de Maupas était bien celui qu'il fallait au prince Louis-Napoléon. Pour qu'un homme se décidât à si- gner de son nom tant d'actes hardis et dangereux, à prendre, en un mot, l'initiative d'une arrestation con- tre tant d'hommes, ou éuiinents ou influents par leur position, il fallait qu'il fût du fond du cœur dévoué au prince , dévoué à la patrie. On agit ainsi avec un pareil sentiment : avec des motifs vulgaires et intéressés, on recule à la lâche ou l'on y succombe, parce qu'on ne |«*oublie pas assez. De plus, il fallail, pour que les ma- gistrats sous ses ordres lui obéissent, que cet homme l«ût assez de cette autorité magnétique qui s'empare des Ittutrcs et les transforme en hommes à soi par la com- linunication de sa propre ardeur et de sa propre pensée. Maupas était l'homme éminemment apte à cela. ' urc ouverteetexpansivc conquiert lessympathies;
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son éloquence persuasive et entraînante porte dans le cœur d'autrui les sentiments dont lui-*même est animer. Jeune et si heureusement doué, M. de Maupas a Ta^ venir largement ouvert devant lui.
Nous parlons en dernier lieu de M. de Perdgny. C'est la place ostensible qu'a prise son abnégation yrai- ment admirable. Le pays sait quelle est celle de son dévouement et de son affection pour le prince Louis^ Napoléon. Attaché à sa mauvaise comme à sa bonne fortune, il lui a toujours fait un appui de son cœur, comme il lui eût fait au besoin un rempart de sa poi-» trine. Impassible contre les attaques incessantes des meneurs de TAssemblée, il suivait d'une façon inflexi- ble la ligne de dévouement qu'il s'était tracée. Quoi qu'on fit ou qu'on dit contre lui, peu importait; mais il entendait ce qu'on disait contre le prince, il préve- nait ce qu'on voulait faire. Son dévouement, sous ce rapport, allait jusqu'au fanatisme; il sera l'une des plus belles pages dans les annales de l'amitié.
Il était infatigable, vigilant, comme l'œil d'une mère. On peut dire que, pendant trois ans, le Président a dormi sous sa garde. M. de Persigny a joué un des prin- cipaux rôles dans tout ce qui concerne Louis-Napoléon. Plein de foi dans son étoile, il l'a toujours suivie. Il croit fermement à l'idée napoléonienne et au rôle que la famille Bonaparte est appelée à jouer à notre épo-- que de transition sociale. Pas un événement auquel il n'ait pris part. Son immense activité est pour beau- coup dans l'élection du 10 décembre. Elle n'a pas
D'UN COUP D'eTAT.
moins fait pour celle c|ui vient d'acclaincr le prince. 11 s'est multiplii!- pour la réussite des actes importants du 1 décembre.
MM. de Morny, ém âaiiïi-Apnaïud , de Maupas et de PersigTiy eurent plusieurs conférences avec Louis- Napoléon dans les jours qui précédèrent celui du coup d'État. Tout était convenu ; on était d'accord sur tous les points, et chacun avait, en ce qui le conceiTiait, communiqué son plan.
Le lundi, 1" décembre, il y avait soirée au palais de l'Elysée, et jamais le Président n'avait reçu avec plus d'aisance et d'aflabilitê. La conscience qu'il avait de bien faire et de faire bien, lui donnait ce calme de l'es- prit et du cœur qui présage le succès. Sur l«s dix heures environ, il était adossé à une cheminée : il aper- çut le colonel d'état-majordela garde nationale, Vieyra, et lui fit signe d'approcher. i< Colonel, lui dit-îl, êtes- vous assez fort pour ne rien laisser voir d'une vive émo- tion sur votre visage? — Mon prince, j« le crois. — Eh bien ! lui dit-il en souriant, c'est pour cette nuit I... vous êtes maître de vous, votre visage n'a rien dit... Pouvcz-vous m'afDrnier que demain on ne battra pas le rappel? — Oui, prince, si j'ai assez de monde pour porter mes ordres. — Voyez pour cela Saint-Ar- naud. Allez... non, pas encore, vous auriez l'air d'exé- cuter un ordre. » Le prince prit le bras d'un ambassa- deur qui passait, et le colonel alla saluer des dames qu'il venait d'apercevoir.
La dernière entrevue eut lien dans le cabinet du Pré-
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sident. Elle fut courte, solennelle et remplie de cette émotion qui précède les grands événements. On n'avait plus qu'à se serrer la main; tout était dit, convenu* arrêté. Chacun avait besoin de ne pas user ses forces d'avance, car les jours de travail et de fatigue allaient venir. « Allons prendre un peu de repos, dit le Prési- dent, et Dieu protège la France. » Il dormit profondé- ment. Le génie a de ces priviléges-là.
M. de Morny n'était pas à l'Elysée le soir du !•' dé- cembre; il se trouvait à l'Opéra-Comique, non loin du général Cavaignac qui, quatre jours plus tard, devait épouser la fille du riche banquier, M. Odier. Une dame* vint avec son mari saluer M. de Morny dans sa loge. a Vous vous occupez sans cesse de votre Assemblée, lui dit-elle, mais on dit qu'on va lui donner du balai. — Je n'en sais rien, dit M. de Morny ; mais si cela arrive^ soyez sûre, madame, que je tâcherai de me mettre du côté du manche. » Nous inscrivons ce bon mot, malgré qu'il tranche un peu sur le sérieux de notre récit, parce qu'il montre à quel point M. de Morny gardait son calme au moment de s'engager dans une aussi grande entreprise. En quittant le spectacle, il reconduisit une dame qu'il accompagnait, alla quelques instants à l'Ë- lysée et se rendit ensuite au Jockey-Club où il resta fort tard.
Pour que le plan arrêté réussit, il fallait qu'on l'exé- cutât dans toutes ses parties, simultanément, avec promptitude et résolution. La moindre hésitation eût pu tout perdre. Il fallait arrêter les conspirateurs et les
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personnages dangereux ; imprimer et promulguer les décrets du Président; s'emparer du palais de l'Assem- blée, prendre militairement position sur tons les points qu'on avait jugé nécessaire d'occuper. Dans la soirée du 1"', un certain nombre des ouvriers de l'Iraprime- rie nationale furent consignés sous prétesle d'une be- sogne d'urgeiice. Le directeur, qui était prévenu, mais sans délerniination de jour, fut invité à s'y trouver à onze heures. Ce soir-là. il assistait à i 'Opéra-Comique à la première représentation d'une pièce de son frère. Arhcuredésignéc, il atleudaildanslacour de l'Imprime- rie nationale. Bientôt un fiacreyentre.il est minuit. Qu'à peu de chose tient le sort d'une révolution I On peut supposer mille causes, et des plus simples, qui eussent fait sombrer, dans l'océan desjrues de Paris, ce nou- vel esquif, portant César et sa fortune. M. de Béville, colonel d'état-major et olÏÏcicr d'ordonnance du prince, descendit du fiacre avec un paquet cacheté, conte- nant les décrets et proclamations, de la main même de Louis-Napoléon, avec sa signature, celles de deux de ses ministres et de M. de Maupas. On remise ta voiture. Le cocher est enfermé dans une salle basse. Presqu'au même moment, M. de Laroche-d'Oisy, capitaine de la gendarmerie mobile , entrait dans la cour avec sa compagnie , la 4* du premier bataillon. Ordre lui avait été donné par le ministre de la guerre d'obéir aveuglétoent au directeur; de J l'établissement , quoi iju'il pût lui commander. Heureusement, tout se pas- sait à l'abri des regards, car quiconque eût pu voir
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la physionomie de cette scène nocturne, eût compris qu'un grand événement se préparait. On charge silen- cieusement les armes, puis des sentinelles sont placées partout, aux portes, aux fenêtres, a Si quelgu^un sort ou s'approche d'une fenêtre, vous ferez feu, » leur dit-on. Chaque sentinelle, Tœil attentif et la main sur son arme, veille sur ce qui se fait. Les ouvriers sont au travail sous la surveillance du directeur et du colonel de Béville. Tout est terminé à trois heures et demie. On réunit les gendarmes et on leur lit les pièces im- primées. 11 faut comprimer leur enthousiasme. Pen- dant que le capitaine continue de veiller à ce que per- sonne ne puisse sortir de l'établissement, le même tiacre qui avait amené le colonel de Béville, le condui- sait avec les imprimés à la Préfecture de police. M. de Saint-Georges l'accompagnait.
L'opération la plus difficile, parce qu'elle éiait mul- tiple, était l'arrestation des personnages compromis dans les complots contre le Président, et de ceux qui étaient considérés comme dangereux, soit qu'ils fus- sent d'anciens délégués au Luxembourg, des chefs d^ associations secrètes ou des hommes de barricades. Il ne fallait hésiter devant aucune de ces arrestations . quels que fussent les intérêts privés ot la situation ex- ceptionnelle de certaines individualités, haut placées par leur influence actuelle ou par leurs antécédents. C'était une question de salut public. Quelques-uns de ces personnages, appartenant à l'Assemblée, étaient depuis ongtemps signalés par leurs violences de langage , par.
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leurs menaces. Us trahissaient ainsi, d'une façon osten- sible pour les moins clairvoyants , leurs desseins contre l'Élu du 10 décembre. Leur plan d'attaque était pré- paré; il était connu jusque dans ses plus secrets dé- tails, et leur arrestation , si elle n'était pas la condition indispensable du succès, avait certainement pottr ré- sultat de paralyser ta lutte et d'en amoindrir considé- rablement les conséquences toujours fat;:les. 11 y avait environ soixante-dix-huil personnes à enlever dans la nialinée du 2. Depuis à peu prés quinze Jours, toutes leurs dëmarclies étaient sut'veillé4>s par des agents se- crets de la police, qui ne se doutaient aucunement des motifs de ta surveillance qu'ils exerçaient vis-à-vis d'eus, et n'avaient aucune idée de l'ensemble de la mesure.
Il existe dans tous les quartiers de Paris des bureaux de police, où chaque soirlesagentsqui ont été de service pendant le jour, se réunissent pour répondra à l'appel. C'est de là qu'ils partent pour retourner chez eux. Dans un grand nombre de ces bureaux , les agents furent consignésetcnfermés, le soir du lundi 1", à onze heures. Ordre leur fut donné d'attendre qu'un commissaire ou un officier de paix vint les prévenir de ce qu'il y aurait à faire. A la Préfecture de police, on consignait égale- ment un grand nombre d'agents et une partie des bri- gades de sûreté. On donnait pour motif de ces mesures la présence dans la capitale de MM. Ledru-RoUin, Louis Blanc et des autres réfugiés de Londres. Les com- missaires et officiers de paix, qui avaient consigné les
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agents dans leurs bureaux respectifs ^ avaient dû ve- nir immédiatement à la Préfecture de police. A minuit, on les faisait entrer dans des salles séparées , où ils devaient attendre des ordres. Ceux qui n'avaient pas eu des agents à consigner, ne furent prévenus qu'à trois heures et demie du matin.
Tout le personnel nécessaire à l'action était sous la main du Préfet, une heure plus tard. Ce fut à cinq heures que les commissaires de police furent appelés séparément dans le cabinet de M. de Maupas, où ils re- çurent leurs instructions et leurs mandats. A chacun, on donnait, pour l'accompagner dans sa mission, des hommes choisis et d'exécution. Ces agents secondaires ignoraient dans quel but on procédait aux arrestations; mais les commissaires recevaient du Préfet de police la confidence précise du coup d'État fait par le Président. Tous lui promirent leur concours dévoué, et partirent, décidés à ne reculer devant aucun obstacle, à surmon- ter toutes les difficultés. M. de Maupas, dans cette cir- constance capitale, avait su trouver cette éloquence du cœur, cet accent du patriotisme, qui s'imposent aux hommes d'honneur et de probité. Pas un des commis- saires n'hésita; pas un ne fit une objection. En des- cendant de la Préfecture, les commissaires trouvaient sur les quais des voitures qui les attendaient, et qui les emportaient rapidement sur les points où ils avaient à agir. Les uns emmenaient des escouades de la Préfec- ture même, les autres allaient prendre les agents qu'ils avaient consignés dans leurs quartiers respectifs. Seize
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mandats étaient décernés contre des représentants sous prévention de complot contre la sûreté de lËlal.
Toutes les arrestations devaient être faites au naénie instant, et précéder d'un quart d'heure environ l'occu- pation des points stratégiques par les troupes. Le palais de l'Assemblée devait être envahi au moment même où on procédait aux arrestations sur les différents points de Paris. Tout fut exécuté avec une admirable ponctualité. A six heures, les sergents de ville se promenaient dans les rues par groupes aux environs des numéros dési- gnés, prêts à agir si on réclamait leur concoui-s. A six heures cinq minutes, les commissaires procédaient à toutes les arrestatioes. Elles furent promptement faites, à l'exception de quelques-unes, qui donnèrent plus de mal, et que nous allons signaler.
L'arrestation la plus importante à faire était celle du général Changnrnier, qui devait être le bras des complots ourdis contre le Président, le futur Dictateur, le Connétable à venir de la France, le Monck sur le- quel comptaient les légitimistes et les partisans de la fusion. Le général Changamier, qui avait tant de fois parlé de Vincennes, en avait sans doute entrevu le donjon dans ses rêves : dans cette crainte, il était tou- jours en expectative armée. On s'attendait à de la rési- stance de sa part ; il y avait lieu de supposer qu'elle serait sérieuse. Deux hommes déterminés avaient été choisis pour cette arrestation : c'étaient M. Lerat, commissaire de police, et le capitaine Baudinet, de la garde répu- blicaine. Le général demeurait rue du Faubourg-Saint
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Honoré, 3. Au coup de sonnette du commissaire, le concierge refuse d'ouvrir. Quelques pourparlers n'ob- tiennent rien. On comprend alors qu'il y a défiance. Un agent reste à la grande porte, pour occuper le conciei^ et l'empêcher d'avertir. Une boutique d'épicier, située dans la même maison, est déjàouverte. Supposant qu'elle a issue sur la cour, le commissaire se montre, commande impérativement qu'on lui ouvre la porte de communica- tion, et entre, suivi de tous ses agents. Déjà le général avait été averti. De sa loge, le concierge pouvait sonner à son appartement ; ce qu'il avait fait. Sur le palier du premier, le commissaire se trouve eu présence du do- mestique du général. On lui arrache la clef de l'apparte- ment, qu'il avait à la main. Deux portes sont ouvertes en même temps : celle d'entrée, par le commissaire ; celle d'une chambre à coucher, par M. Changwoier lui-même, qui, sautant à bas du lit, a saisi une pdiH de pistolets. D'un bond, M. Lerat lui abat les deux bras. « Général, lui dit-il, ne résistez pas, votre vie n'est pas menacée. » M. Changarnier jeta ses armes, ordonna à son domestique de l'habiller, et dit au com- missaire : (( M. de Maupas est un homme de bonne compagnie; dite&-lui de ne pas m'ôter mon domesti- que, je ne puis me passer de ses services. » Le com- missaire se hâta d'accéder à cette demande. En voi- ture, M. Changarnier fit tomber la conversation sur l'événement qui s'accomplissait, a Le Président était sûr de sa réélection, dit-il ; c'est se donner inutile- ment la peine d*un coup d'État ; quand l'étranger lui
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fera la guerre, il sera content de me metlre à la tète d'une année. » Dans sa position toute particulière, lis général eût peut-être agi plus dignement en gardant le silence. Arrivé à Mazas, M. Ctiangarnier remercia le commissaire des égards avec lesquels on l'avait traité. Ordre avait été donné d'agir de même avec toutes les personnes désignées par les mandats.
Le général Cavaignac demeure rue du Helder, 17. Après quelques difficultés opposées par le concierge , le commissaire Colinarriveàrenlresol et frappe. La vieille gouvernanle du général répond : » Il est absent. » A un second coup de sonnette, le général lui-même demande : «Qui est là? — Commissaire de police. — Je n'ouvre pas. — Je vais à regret faire enfoncer la porte, dit le commissaire. « La porte s'ouvre alors, u Général , re- prend M. Colin , vous êtes prisonnier ; ne teniez pas de résistance, elle ne servirait à rien, car vous le voyez, je ne suis pas seul. Voici mon mandat. — C'est inutile, dit le général. »
Le général Cavaignac est un brave et loyal militaire; une semblable arrestation lui fut pénible. Quant à son courage, nous sommes sûr qu'il ne fut pas effleuré. Et, nous le disons en toute sincérité, nous concevons parfaitement l'irritation qu'il éprouva, et qu'on lui a reprochée. Nous sommes historien sérieux , et nous ne louions pas oublier le respect que commande un homme qui a tant fait pour la gloire française en Afrique, et en juin , à Paris, pour le triomphe de la société sur le désordre. Un instant lui rendit son calme. Il pria le com-
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missaire de faire retirer son monde, demanda à écrire, et quand il fut prêt à partir : « Monsieur, dit-il , pouvez- vous m'accorder de me rendre où vous me conduisez avec vous seul?» Le commissaire fît droit à cette demande. Dans la voiture, le général était profondément préoc- cupé. 11 ne rompit le silence que deux fois : « Suis-je seul arrêté? dit-il. — Je ne puis vous répondre à cet égard, dit le commissaire ; » et un instant après : « Où me menez- vous? — A Mazas. »
M. le général Bedeau , vice-président de TÂssemblée, demeure rue de l'Université, 70. Le commissaire Hubaut jeune entra chez le concierge, qui hésita beaucoup avant de le conduire à Tappartement du général. Le commissaire pousse vivement la porte en- tr'ouverte par le domestique, qui se sauve effrayé : Il le suit dans la chambre du général , auquel il exhibe son mandat M. Bedeau fut déconcerté , mais se remettant : « Vous violez la Constitution , vous vous mettez hors la loi ; je suis non-seulement représentant du peuple , mais encore vice-président de TÂssemblée nationale; ne constatant pas de flagrant délit, vous ne pouvez attenter à mon inviolabilité. Je ne conspire pas d'ail- leurs, je vous l'affirme. Votre nom? — Je suis le com- missaire Hubaut. — Vous m'étonnez ; j'ai vu ce nom cité honorablement dans la presse , et vous venez m'ar- rêter, moi qui ai versé mon sang pour défendre l'ordre dans Paris , moi qui ai joué ma vie tant de fois ! — J'exécute un mandat, dit le commissaire; si vous savez jouer votre vie , je suis prêt à sacrifier la mienne à mon
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devoir. Ne faites pas de violence, car j'aurais regret d'employer des moyens extrêmes. »
M. Hubaut pria le général de se lever, ce qu'il fit fort lentement. Prf-t à partir, il s'adossa à sa cheminée et dit avec colère : « Maintenant, je reste ; emmenez-moi comme un malfaiteur, si vous l'osez; venez, me pren- dre au collet, mot qui suis le vice-président de l'As- semblée. — Ai-je été convenable dans ma mission près de vous, dit le commissaire ? — Oui , Monsieur, u Alors il fallut saisir le général, qui fit une résistance désespérée. On l'empoila dans la voilure. Il criait : » A la garde! à la trahison! aux armes I la Constitution est violée.» En arrivant à la prison, il voulut haranguer des gardes républicains qui ne l'écoutèrcnt pas. Il rencontra au greffe les généraux Le Fto, Changarnier, ainsi que le général Cavaignac qu'il embrassa. Tout ce qu'on a dit sur de prétendues blessures est entièrement faux. Malgré soi, on éprouve un sentiment pénible en voyanlce brave soldat employer la résistance physique devant la force publique , surtout quand il sait que la lutte est impuis- Banlc et qu'il est en face d'hommes qui ne doivent pas discuter leur mandat.
Rue Las-Cazes, 1 1 , le concierge refusa à M. le com- missaire Blanchet l'indication de l'appartement du gé- néral de Lamoricière, et ne voulut pas donner de lu- mière pour y monter. Au premier étage, le domestique otjvre et referme la porte; puis il revient, tenant à ta main une lampe qu'il éteint en apercevant l'écharpe du commissaire , et descend rapidement un escalier dérobé
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en criant : « Au voleur ! » Des sergents de ville l'arrê- tent à la porte de l'hôtel, et, dans la lutte, il reçoit dans la cuisse une blessure légère qui ne Tempêche pas de remonter et de guider le magistrat à la chambre du général. Peu de temps at)rès , ce domestique était com- plètement guéri. Nous tenons du médecin qui Ta soigné que la plaie était fermée le quatrième jour.
D'abord le général a gardé le silence ; puis, s' adres- sant au domestique : a Qu'est devenu l'argent que j'ar- vais mis sur cette cheminée? — 11 est en sûreté. — Donnez-moi mon habit. — Monsieur, lui dit le com- missaire, ce que vous venez de dire est outrageant pour moi. — Sais-je si vous n'êtes pas des malfai- teurs? répondit le général. » M. Blanchet montra son écharpe et dit : a M. de Maupas veut qu'on vous traite avec infiniment d'égards; promettez-moi de ne faire aucune tentative de fuite , et vous monterez dans un coupé, seul avec moi. — Je ne vous promets rien; traitez-moi comme vous voudrez. » Il monta dans un fiacre avec des agents. En passant devant le poste de la Légion-d'Honneur, le général, mettant la tète à la por- tière , voulut haranguer la troupe. Le commissaire l'en empêcha vivement et le menaça d'user de moyens de rigueur. <x Gomme il vous plaira, dit le général.» A Mazas, il était redevenu calme. 11 pria le commissaire de ne pas saisir certaines armes précieuses , de lui faire passer des cigares et V Histoire de la Révolution fronr- çaise.
M. Thiers habite ptice Saint-Georges, 1. I^e com-
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inissaire Hubaut ainô était chargé de son arrestation. M. Thiei-s dormait profondément, et son domestique dut le réveiller. M. Thicrs , s' asseyant vivement sur son . Jil, demande: h De quoi s'agit-il? — Je viens vous ^ arrêter; mais vous pouvez être sans crainte . votre vie n'est aucunement menacée, dit M. Hubaut.» Après cette assurance du commissaire, M. Tliiers revint proraptcment à lui. De prime abord , il avait été con- sterné. L'ex-ministre, avec son habileté et sa souplesse Ordinaires, comprit qu'il ne courait aucun danger sé- rieux , et dès \ovs changea complètement d'attitude. Il fut constamment narquois et railleur, allégua son invio- labilité de représentant , dit que la Constitution était violée , et voulut entrer en discussion avec le commis- saire. Celui-ci répondit : u Je dois exécuter mon man- dat et non discuter un point de droit politique, n Puis il ajouta : a J'obéis aux ordres qui m'ont été don- nés, comme j'eusse obéi aux vôtres quand vous étiez ministre de l'intérieur.» M. Tliiers continua d'un ton n;oqueur, en s'adressant au commissaire: «Mais c'est un coup d'Étal ce que vous faites là! Savez-vous que vous pourriez bien porter votre tête sur l'écha- faud î Si je vous brillais la cervelle î a A cette dernière apostrophe, M. Hubaut répondit : nOh! Monsieur, je ne vous en crois pas capable; d'ailleurs, j'ai pris mes précautions, et saurais bien vous en empêcher.» Le commissaire ne trouvant rien de politiqire dans les papiers de M. Thiers, en manifesta sa surprise, n De- puis longtemps, dit M. Thiers, j'adresse ma corres-
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pondance politique en Angleterre. » Il parut fort trou* blé quand on le pria de descendre. Il crut qu'on le conduisait chez le Préfet de police. En route , il s'efforça constamment, par toutes sortes d'arguments, de détour- ner les agents de l'accomplissement de leur devoir. Quand il fut arrivé à la prison , il voulut garder encore le ton de plaisanterie qu'il avait pris tout d'abord. Il affecta de demander s'il pourrait avoir son café au lait. On eut constamment pour lui les attentions les plus grandes; l'ordre en était donné. M. Thiers ne put pas garder plus longtemps le rôle factice qu'il avait pris d'ar bord, et un certain abattement s'emparade lui. Rendu au greffe , il pria le commissaire de remettre une lettre à 8â. femme. Il ne voulut pas ensuite signer le procès-verbal d'arrestation, prétendant que c'eût été reconnaître une autorité qu'il regardait comme illégitime.
Avec l'esprit de convenance qui le distingue , le com- missaire Hubaut n'a pas pris garde à l'attitude assez peu digne de l'ex -ministre , et n'a pas entendu certaines plaisanteries qu'il a cru pouvoir se permettre. Nous caractériserons d'un mot cette arrestation. Le com- missaire de police est resté plein de convenances et de dignité.
M. le colonel Gharras, qui demeure rue du Fau- bourg-Saint-Honoré, 14, non loin du général Changar- nier, avait dit , à l'Assemblée , qu'il brûlerait la cervelle de quiconque viendrait pour l'arrêter. Dans le public, le bruit a couru qu'il avait tué un commissaire. Un jour- nal étranger a écrit qu'il en avait tué trois. M. Chaivas
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n'a tué personne. Il n'a fait que de la rôsisiance pas- sive. Sur son refus d'ouvrir, le commissaire Courteille l'ut obligé de faire enfoncer sa porte. Voyant qu'on en brisait les panneaux, il dit: « Arrêtez, j'ouvre. » Il le fit. Lorsque le commissaire lui eut fait connaître son mandat, le colonel lui dit: o Je m'y attendais, mais j'avais cru que c'aurait été deux jours plus tôt el j'avais chargé mon pistolet dans cette attente. Si vous étiez venu, il y adeus jours, je vous aurais brûlé la cervelle; maintenant, mon pistolet est déchargé. » Le commis- saire prit sur une commode le pistolet à deux coups que lui montrait le colonel, se félicitant que M. Charraseùt fait erreur de date. En route, le colonel demanda si on le menait fusiller. — « On vous mène à Mazas, » ré- pondit le commissaire. Pareille chose entrait-elle dans les prévisions d'un coup d'État de la part de ces Mes- sieurs? nous aimons à penser que non. A Mazas, M. Charras refusa énergîquement de dire ses nom, prénoms et qualités autre que celle de Représenlaiit du Peuple, exigeant qu'on écrivit ce litre sur le registre d'écrou.
Le n° 27 de la rue Casimir-Périer est celui de la mai- son qu'habite M. Charles Lagrange, célébrité culmi- nante de la Montagne. Réveillé en sursaut par les cris d'effroi de sa domestique, M. Lagrange n'a que le temps de passer un vêtement et se trouve en face du commissaire Boudrot qui vient l'arrêter, a Je suis représentant, dit-il; vous violez la Constitution. Un seul coup de pistolet tiré de ma fenêtre pourrait ap|)eler
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le peuple aux armes. Si je me dérendais, je pourrais vous tuer. Vous ne m'arracherez de chez moi que par vio- lence. » Il est probable que ce coup de pistolet tiré par la fenêtre de M. Lagrange n'aurait pas eu le même effet que celui qui fut tiré au boulevard des Capucines en février 1848. On saisit chez M. Lagrange beaucoup de papiers politiques, un fusil de calibre, deux pistolets, deux moules à balles, des cartouches, trois poignards et un sabre de cavalerie, pris le 24 février à M. Kerkan, actuellement maréchal* des-logis de la garde républi- caine. En se rendant à Mazas , M. Lagrange dit : « Le coup est hardi, mais bien joué. » Rendu à cette pri- son, il dit au général de Lamoricière : « Eh bien ! géné- ral, nous voulions le f. ... dedans et c'est lui qui nous y met. » On trouva tant de papiers politiques à son domi- cile, qu'on mit cinq heures à les feuilleter. M. Lagrange avait la monomanie de la paperasserie politique.
Le commissaire Gronfier était chargé de l'arrestation de M. Greppo, rue de Ponthieu, n* 15. Ce socialiste redouté portait habituellement une longue barbe qui donnait quelque chose de viril et de martial à sa phy- sionomie. Il passait pour un des membres les plus éner- giques de la Montagne. En voyant un pistolet chargé, plusieurs poignards et une hache d'armes fraîchement aiguisée sous son chevet, à côté d'un magnifique bonnet rouge, le commissaire crut que M. Greppo s'était préparé ji une résistance énergique et désespérée ; il n'en était rien. M. Greppo fit connaître qu'il avait acheté tout cet arsenal parce qu'il avait du goûl pour la marine. En vain,
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madame Grcppo voulut-elle donner à son mari une atti- tude plus belliqueuse; en vain lui dit-elle : a II n'est pas possible d'être si peu résolu et de se laisser prendre ainsi. » M. Greppo ne s'appartenait plus et subissait, de la façon la plus déplorable, l'influence de la peur. Quelques jours plus tard, madame Greppo se présen- tait au ministère de l'intérieur et disait : « Ce n'est pas de tout ça, J'ai un enfant, il faut que je le nourrisse, et je viens savoir quand on nous paiera le mois de novem- bre. » Peu nous importent les termes. Il y a chez cette femme deux bons sentiments : de l'énergie, quand elle prend sérieusement son mari pour un homme poHtique, et de l'amour maternel. Seulement M. et M»* Greppo eussent dû rester où la Providence les avait mis : chacun à son rôle, chacun à sa place. Les aptitudes ne vien- nent pas avec les théories folles et les rêves d'ambition. Quant aux arrestations de MM. Roger (du Nord), Baune, Valentin, Cholat, Miotet Nadaud, elles n'offrent rien de bien remarquable. M. Roger (du Nord) dit eu parlant du coup d'État : « Cela vaut encore mieux que le rôle stupide que nous jouions tous à l'Assemblée. » M. Nadaud dit au commissaire Desgranges : t Vous pouvez vous tenir assuré, Monsieur, que des interpel- lations seront faites à l'Assemblée à propos de l'atten- tat que vous commettez sur ma personne. » M. Cholat invita le commissaire Âllard à prendre de l'absinthe. Il en but lui-même deux énormes verres. Cette liqueur produisit son effet sur la route. Calme au départ, il se mit, en allant àMazas, à appeler aux armes les balayeurs
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seuls personnages à peu près qu'à cette heure matinale la voiture rencontrât sur sa route.
Les autres individus contre lesquels étaient décernés des mandats, ont été arrêtés à domicile, soit par des com- missaires, soit par des officiers de paix, et ont été con- duits de la Préfecture de police à Mazas. Deux seule- ment sur soixante-dix-buit ont pu se soustraire par la fuite à l'exécution du mandat décerné contre eux.
Toutes ces arrestations furent faites avec un ensemble et une précision vraiment remarquables. A l'exception de deux ou trois, celle de M. Thiers notamment, au- cune ne demanda plus de vingt minutes.
La prison Mazas, ce modèle des prisons modernes ^ avait été désignée pour recevoir les représentants et la plupart des autres personnages arrêtés comme eux le matin du 2 décembre. Tous y ont été conduits dans des voitures et y furent , pendant leur séjour, l'objet de tous les soins possibles. Le colonel Thirion avait accepté la mission de veiller sur les prisonniers. Il concilia parfaitement les mesures destinées à assurer leur garde, avec les égards qu'on avait recommandé d'avoir pour eux.
Pendant que s'accomplissaient les mesures qui étaient du ressort de la Préfecture de police, celles qui étaient dans les attributions du ministre de la guerre s'exécu-* taient avec non moins d'ensemble, de vigueur et d'ha- bileté. Ainsi que nous l'avons dit déjà, M. le général Magnan avait reçu ses instructions à trois heures et
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demie du matin dans le cabioeldu ministre de la guerre. De retour à son état-major, aux Tuileries, il les trans- mettait immédiatement aux différents chefs de corps qui devaient agir.
La plus iitiportante des opérations militaires à accom- plir était l'occupation du palais de l'Asseniblée natio- nale. Tout ce qui concernait les mesures à prendre, le 2 décemhre, sur l'occupation de la rive ganche de la Seine fut confié au général de division Renaud; ses talents militaires bien connus, son dévouement à ta dis- cipline et son attachement au Président de la République, l'avaient fait choisir pour cette mission délicate. Quant à l'occupation proprement dite du palais de l'Assemblée, on avait choisi, pour l'exécuter, te colonel Espînasse, t'uti rtc§ plus brillants officiers de noire jeune armée. LecolonclEspinasse, homm'îd'entrainemcnt, d'énergie et d'un courage qui ne calcule jama-s le danger en face du devoir, a fait ses preuves au fameux assaut de Rome, oii il entraîna si \aiUamment son régiment; puis en Afrique, où tant de fois, dans la dernière guerre, il se monira plein de bravoure, d"- sang-froid et de véritable talent militaire, notamment dans ses combiits d'arrière- garde.
Depuis quelcpic temps déjiï, et notamment la veille , il avait étudié le Palais législatif et ses abords. Il était prêt k agir. L'Assemblée était gardée dans la nuit du lundi par un bataillon du 42* de ligne, commandé par le chef de bataillon Meunier, sous les ordres supérieurs du lieutenant-colonel Niel du 4i' de ligne, nui avait été
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choisi parles questeurs au nom de l'Assemblée. Les offi- ciers du 42* avaient été mandés dans la nuit à rËcole militaire.
A quatre heures du matin, M. de Persigny arrivait à TËcole militaire chez le général Renaud, et, d'après les ordres du ministre de la guerre, l'invitait à agir. A cinq heures, toutes les troupes étaient sur pied, igno- rant encore ce qu'on allait faire , mais dévouées à quoi que ce fût pour le salut de la France. Ceux qui cal- culaient sans la discipline de l'armée et sans le senti- ment de solidarité fraternelle qui unit les chefs aux soldats, et réciproquement, étaient des insensés. Us doivent être aujourd'hui bien désabusés.
A cinq heures et demie précises , le colonel Elspinasse partait de TÊcole militaire avec quatre compagnies d'élite seulement des deux bataillons de son régiment, Je 42% qui restaient au quartier. Les sapeurs raccom- pagnaient. Le reste des deux bataillons devait se porter sur l'Assemblée à six heures moins un quart. La marche fut silencieuse. On fit halte assez loin de la grille pour n'être pas aperçu. Le colonel s'avança avec ses sapeurs qu'il laissa à distance, et leur montrant une petite porte qui donne sur la rue de l'Université , il leur dit: « Je vais frapper à cette porte ; si on l'ouvre, dès que vous me verrez entrer vous arriverez. » On l'aurait cer- tainement enfoncée si on eût refusé de l'ouvrir.
Le colonel frappait à cette porte à six heures à pen près. On Touvre , il entre , et immédiatement arrivtDt les sapeurs , qui sont bientôt suivis |ji|j|| les grap»'*'"'""
D'UN COUP D'ÉTAT. Arrivé dans l'intérieur, le colonel rencontre son cbef de bataillon Meunier auquel il dit : « Je viens renforcer la garde de l'Assemblée et en prendre le commandement. » Le commandant hésite, fait des objections en parlant de sa consigne. « Vous me reconnaissez pour votre colonel? dit M. Espinasse; en celte qualité, je vous or- donne d'obéir. » Le commandant crut devoir donner sa démission et retourna immédiatement à son logis à l'École militaire. Le bataillon de garde fui renvoyé au quartieret remplacé par lesrleux autres bataillonsdu 42'. A l'instant où le colonel s'emparait du Palais légis- latif, des commissaires y entraient pour procéder à l'arrestation de MM. Le Flô et Baze, questeurs de l'As- semblée. Dix agents accompagnaient chacun d'eux. , M. Le Flô était au lit quand le commissaire Dcriogliose pi'ésenta et lui (il connaître son mandat. Le bouillant et irritable questeur se lève âlahàle, et tout en s'habil- lant menace le commissaire , et ne ménage en aucune façon son langage contre te Président. « Ah 1 Napoléon veut faire son coup d'État ! Eh bien , nous le fusillerons à Vincennes; et vous, nous ne vous bannirons pas à Nouka-Hiva, nous vous fusillerons en même temps que Jui. — Ne résistez pas, dit le commissaire, nous sommes en état de siège ; en qualité de militaire, vous savez ce que cela veut dire.»
En descendant de son appartement, M. le général Le Flô s'emporta en propos acerbes contre le colonel 1 Espinasso qui était à la tète des troupes. Sa colère dé- passa toutes \pA hontes : il voulut hanmgiier les soldats, g
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Le colonel lui commanda de se laire et les grenadiers croisèrent la baïonnette sur lui. On le mit en voiture, où il garda le silence jusqu'à Mazas.
On conçoit l'exaspération du général Le Flô à un certain point de vue. On faisait contre lui ce qu'il espé- rait faire contre le Président. Il était de ceux qui per- daient la partie ; mais il devait être juste , même dans son désappointement. Il parlait, d'honneur militaire au colonel Espinasse, qui l'entend sinon mieux, du moins aussi bien que personne. La France a répondu avec huit millions de voix qu'il y avait plus d'honneur à défendre le Président qu'à le trahir.
La façon dont M. Baze a résisté à ceux qui Tarrê- taient nous interdit d'entrer dans des détails. Tout le inonde connaît l'àpreté méridionale de ce questeur et l'ardeur incessante qu'il a mise à attaquer sans cesse, ouvertement, et d'une façon latente, le prince Président. On connaît sa campagne à la prison Mazas. Il nous suf- fira de dire que M. Baze, sortant de son lit sans se don- ner le temps de se vêtir, a crié et protesté de toutes les façons et mis le cominissaire hors la loi, et qu'il a fallu l'emporter de vive force jusqu'à un étage inférieur, où il a voulu haranguer les soldats. M. Baze, qui jusqu'à ce moment avait fait la plus héroïque défense, a été complètement déconcerté en voyant rire les soldats et de l'état dans lequel il se trouvait, et de l'accent méridional avec lequel il leur adressait ses réquisitions. C'est alors seulement qu'il a consenti à se vêtir, li est monté en voiture sans résistance.
D'UN COUP D'ÉTAT. 8»
On a saisi chez M. Baze les deux pièces suivaotes, qui montrenl clairement quelle était l'intention des conspirateurs. Si la proposition eût passé le 17 novem- bre, la mise à exécution des deux décrets que nous ci- tons ne laissait au pouvoir exécutif ni un soldat, ni même un garde national. Est-ce clair?
pREMiEn DÉCRirr.
Le Présidcnl de l'Assemblée nationale ,
Vu l'article 32 de la Constitution, ainsi conçu :
«L'Assemblée détermine le lieu de sesséances,elleflierira[Hirtance ■ des forces militaires établies pour sa silreté, et elle en dispose.»
Vu l'anicle 1 12 du décret réglementaire de l'Assemblée nationale , ainsi conçu :
• Le PrésiJent est chargé de veiller à la sùrelé intérieure et exté- a rieure de l'Assemblée nationale. ■
Acet cfTet, il cicrceau nom de l'Assemblée le droit confié au pou* voir législalir, par l'arliclc 3% de la Constitution , de liicr l'importance des forces militaires établies pour sa sCireté , et d'en disposer.
Ordonne-àM. . . . , de prendre immédiatement le commandement DE TOUTES LES FORCES , TANT DE L'ARMËE QUE DE LA GARDE NATIONALE STATIOXSÉES DAKS LA PREMIÈRE DIVISION MIU- TAIRE, pour garantir la Eilreté de rAsscmlilÉe uatiouale.
Fait au palais de l'Assemblée nationale , le
Le Préaident de l'Assemblée nationale , etc. ,
Vu r&rtfcle 3S de la Constitution ,
Va l'article iiSdn décret régiemenlaire, etc.,
Ordonne à tout giinéral, à tout commandant de corps o
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ment , tant de Varinée que de la garde nationale , stationnée dans la
première division militaire, d'obéir aux ordres du général
chargé de garantir la sûreté de TAssembléc nationale.
Fait au palais de l'Assemblée nationale , le
Ainsi, à six heures vingt minutes ou six heures et demie au plus tard, le Palais législatif était occupé et toutes les arrestations étaient faites. M. de Persigny, qui avait accompagné le colonel Espinasse depuis l'École militaire et qui avait assisté à l'occupation du palais Bourbon , rentrait avant sept heures à l'Elysée, pour rendre compte au Président de cette importante opéra- tion.
Le colonel Espinasse a procédé , dans l'enlèvement du Palais législatif, avec une habileté qui n'a d'égale que l'énergie qu'il a déployée. Mais, ce qui est admirable surtout, c'est la direction imprimée à la police, c'est la précision, l'unité et la vigueur de son action.
Nous avons été sobre dans le portrait de M. de Mau- pas; lui-même, en quelque sorte, nous avait imposé cette réserve par la modestie qu'il avait montrée clans sa circulaire d'installation aux habitants de Paris. Ce magistrat, qui débutait dans des fonctions où plusieurs avaient laissé des souvenirs de haute capacité , d'habi- leté très-grande, y a révélé une puissance vraiment étonnante.
Encore peu connu de ses agents, il les conquiert au moment d'agir. Beaucoup sont indifférents peut-âtre à telle ou telle modification politique ; au nom du salul de
D'UN COUP D'ÉTAT. 9i
la France, il a le talent d'en faire des hommes qui lui prêtent un concours aveugle, tant il est dévoue. Ils sont à lui , comme des soldats à ces chefs qui savent les entraîner. On n'en peut douter, cette arrestation des notabilités de l'Assemblée était le pivot du coup d'État; sans elle hardiment faite , que de malheurs peut-être ! c'était la guerre civile au lieu de l'émeute. Il fallait un homme qui se dévouât pour en sauver des milliers. Ce coup merveilleux , porté par M. de Maupas , nous donne la mesure de ce qu'il fera plus tard. Nous le dirons en détail; en quinze jours , Paris , purgé des bandits , des démagogues, de tout ce qui fait des barricades , vole et assassine , prodigieux résultat , atteint avec une énergie et une sûreté extraordinaires. Tout le monde rend justice à M. de Maupas : on aime cette loyauté^ cette franchise d'action qui va droit au but et ne le tourne pas. Cet administrateur entend la police comme il convient sous un gouvernement vraiment fort , qui vise à se faire estimer par sa droiture et par ses allures loyales.
Dans le public , toujours si bien renseigné sur ce qu'il ignore le plus, on a parlé d'un prétendu c incours officieusement prêté par M. Carlier. 11 aurait , au minis- tère de l'intérieur, utilisé son expérience au profit de l'action de ce ministère sur la Préfecture de police. Pour être historien fîdèle, pour donner à chacun la part qui lui revient dans les grands événements de Dé* cembre, nous avons voulu savoir la vérité à cet égard. Ces bruits d'un instant n'ont jamais eu le moindre fon-
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demftnt. M. de Mau'pas, en ce qui concerne son admi- iiislratîon, a lout dirigé, comme il a tout exécuté, On conçoit que pei-sonne n'eût consenti à imposer, à ac- cepter, à préler un concours , qui , ne déplaçant pas une responsabilité si haute, l'eût augmentée ou amoin- drie. Chacun des acteurs de ce grand drame politique a couvert entièrement de sa tête , el de sa lèle toute seule , l'action de ceux qui agissaient sous ses ordres.
A six heures et demie, M. de Morny s'installait au ministère de l'intérieur avec deux cent cinquante chas- seurs de Vrncennes et remettait à M. de Thorigny, son prédécesseur, une lettre du prince Louis-Napoléon , qui lui faisait part des mesures suprêmes qu'il mettait à exécution, et le remerciait de ses loyaux services.
Vers celte même heure de la matinée, M. Forloul, l'un des ministres, recevait du Président une lettre qui commençait ainsi :
« Mon chur Fortoul, je vous dirai pourquoi je ne vous avais |ias fait part de mon secret, etc. » M. For^ toul, connue plusieurs autres, savait que le coup d'ËUl aurait lieu; mais le Président, comme nous l'avons dit, n'avait initié au moment même que ceux qui lui étaient nécessaires pour l'action.
Pendant ce temps, arrivaient de toutes paris, à la Préfecture de police, des prisonniers ignorant les mo- tifs de leur arrestation. Les afficheurs de la caj>itale. qu'on aviiil appelés, y étaient réunis. Les myriades d'agents (pli se repliaient, après les arrestations faites, se demandaient ce que voulait dire ce qui se passait.
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D'UN COlt' D'ETAT. 93
Celait pour tout ce monde un mystère, une énigme dont personne n*avait le mot. Les employés, qui arri- vaient à leur jioste, ne s'expliquaient pas plus ce mou- vement prodigieux.
A sept heures, les afficheurs partirenl de la Pré- feclure de police dans toiiles les directions pour pla- carder sur les murs de la capilale les afficlics qu'on venait deleurdistriliuer.
A la même heure, la brigade Ripert, division Re- naud, occupait la place Bourbon et ses abords. Ce ne fut qu'à huit heures cl demie que la brigade Forey prit position sur le quai d'Orsay.
Tout est exécuté avec une admirable précision, avec un ensemble qui n'a pas fait faute dans une seule de ses parties. Le plan, simple comme tout ce qui est fort, n'a pas rencontré d'obstacles, ou plutôt tous les obstacles ont été enlevés, sans coup férir, par l'habileté Lde tous ceux qui ont agi.
Dans cette saison, la grande cité sommeille encore k l'heure qu'il est. On n'entend dans les rues que le bruit des voilures qui l'approvisionnent; on n'y voit que quelques rares ouvriers se rendani au travail. Mais aujourd'hui Paris s'éveille tout à coup. Il semble qu'une secousse électrique ait au même instant commotionné «es vastes quartiers. Qu'est-ce donc? c'est la grande nouvelle qui vole, rapide comme l'éclair, et qui, dans un instant, est répétée partout : <• C'est le coup d'État, dit-on ; l'Assemblée dissoute, le suffrage universel ré-
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tabli, Paris en état de siège. » Partout on peut lire sur les murs de la capitale les pièces suivantes :
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS.
Le Président de la République, Décrète:
Art. \^, L'Assemblée nationale est dissoute.
Art. 2. Le suffrage universel est rétabli. La loi du 31 mai est abrogée.
Art. 3. Le peuple français est convoqué dans ses comices à partir du 14 décembre jusqu'au 21 décembre suivant.
Art. 4. L'état de siège est décrété dans l'étendue de la i'* division militaire.
Art. 5. Le conseil d'État est dissous.
Art. 6. Le ministre de l'intérieur est chargé de l'exécution du pré- sent décret.
Fait au palais de TÉlysée, le 2 décembre 1851.
Louis-Napoléom Bonaparte.
Le ministre de Vintérieur,
De MoRirr.
Vient ensuite l'appel au peuple :
APPEL AU PEUPLE.
Français!
La situation actuelle ne peut durer plus longtemps. Chaque jour qui s'écoule aggrave les dangers du pays. L'Assemblée, qui devait être le plus ferme appui de l'ordre, est devenu un foyer de complots.
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Le patriotisine de trois cents de ses membres n'a pu arrêter ses fatales tendances. Au iieu de faire des lois dans l'intérêt général , elle forge des armes pour la guerre civile ; elle attente au pouvoir que je tiens directement du peuple; elle encourage toutes les mauvaises passions; elle compromet le repos de la France ; je l'ai dissoute, et je rends le peuple entier juge entre elle et moi.
La Constitution, vous le savez, avait été faite dans le but d'affaiblir d*aTa<!ioe le pouvoir que vous alliez me confier. Six millions de suf- frages fureAt une éclatante protestation contre elle , et cependant je l'ai fidèlement observée. Les provocations, les calomnies, les outrages m'ont trouvé impassible. Mais aujourd'hui que le pacte fondamental n'est plus respedé de ceux-là même qui l'invoquent sans cesse, et que les hommes qui ont déjà perdu deux monarchies veulent me lier les mains , afin de renverser la République , mon devoir est de déjouer leurs perfides projets, de maintenir la République et de sauver le pays en invoquant le jugement solennel du seul souverain que je recon* naisse en France : le peuple.
Je fais donc un appel loyal à la nation tout entière, et je vous dis : Si vous voulez continuer cet état de malaise qui nous dégrade et com- promet notre avenir, choisissez un autre à ma place , car je ne veux plus d'un pouvoir qui est impuissant à faire le bien, me rend respon- sable d^actes que je ne puis empêcher, et m'enchaîne au gouvernail quand je vois le vaisseau courir vers Tabime.
Si, an contraire, vous avez encore confiance en moi, donnez-moi les noyains d'accomplir la grande mission que je tiens de vous.
Cette mission consiste à fermer Tère des révolutions en satisfaisant les besoins légitimes du peuple et en le protégeant contre les passions subversives. Elle consiste surtout à créer des institutions qui survi- vent aux hommes, et qui soient enfin des fondations sur lesquelles on puisse asseoir quelque chose de durable.
Persuadé que rinstabilité du pouvoir, que la prépondérance d'une seule Assemblée sont des causes permanentes de trouble et de dis- iXnÛe^ je soumets à vos suffrages les bases fondamentales suivantes 4'wie Constitution que les assemblées développeront plus tard :
i* Un chef responsable, nommé pour dix ans ;
2* Des ministres dépendant du pouvoir exécutif seul ;
3* Un conseil d'État formé des hommes les plus distingués , pré-
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parant les lois et en soutenant la discussion devant le Corps légis- latif;
4^ Un Corps législatif, discutant et votant les lois, nommé par le suf- frage universel , sans scrutin de liste qui fausse Télection ;
5^ Une seconde Assemblée, formée de toutes les illustrations da pays, pouvoir pondérateur, gardien du pacte fondamental et des libertés publiques.
Ce système, créé par le premier consul au commencement du siècle, a déjà donné à la France le repos et la prospérité ; il les lui garantirait encore.
Telle est ma conviction profonde. Si vous la partagez, déclarez-le par vos suffrages. Si , au contraire , vous préférez un gouvernement sans force, monarchique ou républicain , emprunté à ja ne sais quel passé ou quel avenir chimérique, répondez négativement.
Ainsi donc, pour la première fois depuis 1804, vous voterez en connaissance de cause, en sachant bien pour qui et pour quoi.
Si je n'obtiens pas la majorité de vos suffrages, alors je provoquerai la réunion d'une nouvelle Assemblée , et je lui remettrai le mandai que j'ai reçu de vous.
Mais si vous croyez que la cause dont mon nom est le symbole, c'est-àfdire la France régénérée par la révolution de 89 et organisée par TEmpereur, est toujours la vôtre, proclamez-le en consacrant les pouvoirs que je vous demande.
Alors la France et l'Europe seront préservées de l'anarchie, les obstacles s'aplaniront, les rivalités auront disparu, car tous respecte- ront, dans l'intérêt du peuple, le décret de la Providence.
Fait au palais de l'Elysée, le 2 décembre 1851 .
Louis-Napoléon Bonaparte.
Celte pièce magnifique est en quelque sorte Texposé des molifs du décret qui précède ; elle en établit avec une logique couvaincante la nécessité et l'urgence; elle montre à la France Tabime qu il faut éviter. Mais elle ne se borne pas à cela. A côté de rexpositioa4ift
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D'UN COUP DËTAT. 97
mal, elle montre le remède; elle indique la ronte qu'il faut suivre. Et tout cela est dit avec une précision, une netteté, une loyauté de franchise qui ne laissent pas un point obscur, douteux, indéfini. Le pays voit d'où il vient, mais il sait aussi où il va. A l'enconlre do ces génies du mal, véritables fléaux des nations, qui ne s'allachenl f|u'à renverser, à détruire, et qui ne sa- vent rien fonder, rien engendrer, le prince Président ferme le passé sur des ruines, et il ouvre largement l'avenir au bonheur de la France. On retrouve dans cette pièce la force napoléonienne ; on ne fonde rien sans la force, c'est la base des grandes choses. Il y a là le génie fécond et générateur du grand houmic qui sauva la France. Courage! Prince, et salut à vous, au nom des civilisalions que vous allez sauver ou fonder! Quand on a , comme vous , dans les veines un sang riche d'exemples et de généreux înstincls hérédi- taires, qu'on a dans l'âme le génie ot dans le cœur le dévouement, on ne s'appartient plus. On appartient à son pays, au monde, au rôle providentiel que Dieu donne à qui bon lui semble , et qu'il aura deux fois dévolu à votre race. Marchez donc dans votre voie, et croyez à votre étoile. Les hommes de la Providence ont le fatalisme de la foi, parce qu'ils sentent que DietM les mène.
Allez, le peuple entendra cet appel que vous faites si loyalement , car Dieu ins|iire aussi les peuples qu'il protège, et, comme vous le disiez hier : il protège la •France. Grâce à vous, la nef de la patrie n'ira pas se
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^ HISTOIRE
briser aux écueils de la démagogie^ ni sombrer honteu- semcnl dans le bourbier fangeux des partis. Oo Youlait, ainsi que vous le dites, vous enchaîner au gouvernail, mais, brisant les entraves, pilote de salut et de civilisa- tion, vous le prenez en main. Le vaisseau de la France tracera glorieusement son sillage vers les horizons de l'avenir.
Après avoir parlé si noblement au peuple français , Louis-Napoléon s'adresse à l'armée :
PROCLAMATION
DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBUQUE A L* ARMÉE.
Soldats !
Soyez fiers de votre mission , vous sauverez la patrie , car je compte sur vous, non pour violer les lois, mais pour faire respecter la pre- mière loi du pays, la souveraineté nationale, dont je suis le légitime représentant.
Depuis longtemps vous souffriez comme moi des obstacles qui s*op- posaient , et au bien que je voulais vous faire et aux démonstrations de votre sympathie en ma faveur. Ces obstacles sont brisés. L* Assem- blée a essayé d'attenter à l'autorité que je tiens de la nation ; elle a cessé d'exister.
Je fais un loyal appel au peuple et à Tarméc, et je lui dis : Ou donnez-moi les moyens d'assurer votre prospérité , ou choisissez un autre à ma place.
En 1830 comme en 1848, on vous a traités en vaincus. Après avoir flétri votre désintéressement héroïque , on a dédaigné de consulter vos sympathies et vos vœux , et cependant vous êtes l'élite de la na- tion. Aujourd'hui, en ce moment solennel, je veux que l'armée faste entendre sa voix.
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Votez donc librement comme citoyens ; mais, comme soldats , n'ou- bliez pas que robéissance passive aux ordres du chef du Gouverne- ment est le devoir rigoureux de l'armée, depuis le général jusqu'au soldat. Cest à moi , responsable de mes actions devant le peuple et devant la postérité , de prendre les mesures qui me semblent indis- pensables pour le bien public.
Quanta vous, restez inébranlables dans les règles de la discipline et de Thonneur. Aidez, par votre attitude imposante, le pays à ma- nifester sa volonté dans le calme et la réflexion. Soyez prêts à répri- mer toute tentative contre le libre exercice de la souveraineté du peuple.
Soldats, je ne vous parle pas des souvenirs que mon nom rappelle. Ils sont gravés dans vos cœurs.'Nous sommes unis par des liens indis- solubles. Votre histoire est la mienne. Il y a entre nous dans le passé communauté de gloire et de malheur; il y aura dans Tavcnir com- munauté de sentiments et de résolutions pour le repos et la grandeur de la France.
Fait au palais de TÉlysée , le 2 décembre 1851.
Louis-Napoléon Bonaparte.
Quand on fait entendre un tel langage à Tarmée française^ on est sûr d'un écho qui réponde, et cet écho est dans le cœur du premier des chefs et du dernier soldat. Puis, ce nom qui ébranla le monde, qui féconda rhistoire, qui fil la patrie si grande, ce nom prestigieux, qui groupe aujourd'hui la France entière dans une seule voix d'acclamations, remue sous l'uniforme tout ce qui vibre aux mots de patrie, d'honneur et de gloire.
Ce langage est digne do tous, de l'armée à qui il s'a- dresse et d'un Bonaparte qui le parle. Il obtient tout en nedomandant rien; car il prescrit au soldat son de-
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\oir en lui restituant son droit. Il reste dans la pléni- tude delà dignité. Devant des prétoriens, on s*inclinait et Ton promettait ; devant des soldats français^ il suffit de parler d'honneur.
La proclamation suivante de M. de Maupas, préfet de police, invitait les habitants de la capitale à garder, en présence des événements graves qui s'accomplis- saient, le calme solennel qui convient à un peuple qui rentre dans le plein exercice de sa volonté.
LE PRÉFET DE POUCE AUX HABITANTS DE PARIS.
Habitants de Paris,
Le Président de la République, par une courageuse initiative, yient de déjouer les machinations des partis, et de mettre un terme aux angoisses du pays.
Cest au nom du peuple, dans son intérêt et pour le maintien de la République, que l'événement s'est accompli.
CVst au jugement du peuple que Louis-Napoléon soumet sa con- duite.
La grandeur de l'acte vous fait assez comprendre avec quel calme imposant et solennel doit se manifester le libre exercice de la souve- raineté populaire.
Aujourd'hui, comme hier, que l'ordre soit notre drapeau; que tous les bons citoyens , animés comme moi de l'amour de la patrie » me prêtent leur concours avec une inébranlable résolution.
Habitants de Paris,
Ayez confiance dans celui que six millions de suffrages ont élevé à la première magistrature du pays. Lorsqu'il appelle le peuple entier
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à. exprimer sa volonté y les factieux seuls pourraient rouloir y mettre obstacle.
Toute tentative de désordre sera donc promptement et inflexible- ment réprimée.
Paris, le 2 décembre 185i.
Le préfet de police »
De Maupas.
Dès le matin^ M. de Morny avait donné Tordre d'ex- pédier par voie télégraphique les décrets qui annon- çaient à la France l'acte du 2 décembre.
La circulaire suivante partit aussi du ministère de l'intérieur pour tous les préfets :
Monsieur le préfet,
Les partis qui s'agitent dans l'Assemblée menaçaient la France de compromettre son repos en fomentant, contre le Gouvernement, des complots dont le but était de le renverser. L'Assemblée a été dissoute aux applaudissements de toute la population de Paris.
A la réception de la présente , vous ferez affîcber dans toutes les communes les proclamations du Président de la République, et vous enverrez aux maires, ainsi qu'aux juges de paix, les circulaires que je TOUS adresse, avec le modèle du registre des votes.
Vous veillerez à la stricte exécution des dispositions prescrites par ces circulaires. Vous remplacerez immédiatement les juges de paix, les maires et les autres fonctionnaires dont le concours ne vous serait pas assuré.
Dans ce but, vous demanderez à tous les fonctionnaires publics de ¥0us donner par écrit leur adhésion à la grande mesure que le gou- Temement vient d'adopter.
Vous ferez arrêter immédiatement tout individu qui tenterait de troubler la tranquillité , et vous ferez suspendre tout journal dont la polémique pourrait y porter atteinte.
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Je compte, monsieur le Préfet, sur votre dévouement et sur votre zèle pour prendre toutes les précautions nécessaires au maintien de Tordre public, et, à cet effet, vous vous concerterez tant avec kigé- néral commandant le département qu*avec les autorités judiciaifes.
Vous m'accuserez réception de cette dépèche par voie télégraphi- que, et vous me ferez, jusqu'à nouvel ordre, un rapport quotidien sur rétat de votre département. Je n'ai pas besoin de vous recom- mander de me faire parvenir par le télégraphe toute nouvelle ayant quelque gravité.
. Rocevea;, inonsieur le Préfet, l'assurance de ma considération dis- tinguée t
Le ministre de l'intérieur^
De Mormt.
Paris se réveille en quelque sorte sous la puissance du fait accompli. Il y a de l'émotion partout^ de Téton- nement nulle part. Le coup d'Ëtat était dans l'air, par- tout on l'attendait, on le désirait , partout du moins où il y avait souci du salut de la France, de sa prospé- rité, de son honneur. On sentait que cette position, dans laquelle, de déchéance en déchéance , on était tombé, perdait le pays au dedans et l'humiliait au de- hors. Plus de travail, plus de crédit, plus de sécurité, mais l'incertitude de toutes choses, la frayeur du len- demain, le gouffre béant du chômage, qui enfante de bas en haut tant de misères ; voilà ce que la France voyait chez elle. Puis, dominant tout, l'hydre démago- gique levant ses mille tètes, attendant 1852, et s'ap- prêtant à déchirer le sein de la patrie. Voilà aussi ce que la France voyait chez elle. Les cœurs honnêtes et animés de patriotisme déploraient et attendaient. »0u
D'UN COUP D'ETAT.
notre pafrie était donc bien abandonnée d"en haut, ou cela ne devait pas durer. On espérait avec une sorte de certitude; seulement ce qui était incertain, c'était le (Dode, c'était l'heure. On scnlaitquerimprévu viendrait trancher cette situation. Encore une fois, la grandeur di's événements émotionne tout le monde , mais ne cause d'étonnement nulle part. Si, pourtant; il y a (l'étonnés, ceux qui , ne comprenant pas la politique d'espérance et d'abnégation du neveu de l'Empereur, ci*oyaient qu'il avait son grand nom attaché comme un boulet à son impuissance , el qui voient aujourd'hui comment il est capable de le porter. La parole prophé- tique est accomplie : l'heure est venue où les bons sont rassurés et où les méchants tremblent.
Du reste, pas un regret à ce qui tombe. La Consti- tution!... qui ne l'a pas conspuée? De tousceux qui l'in- voqueraient aujourd'hui contre le Président , qu'on cite donc un seul qui ne l'ait violée dans son esprit ou dans sa lettre î Elle est morte sous te mépris universel ; elle était à peine élaborée qu'elle était l'arme banale de chaque parti, tour à tour la répudiant pour soi et l'invoquant contre les autres. L'Assemblée !... ce ne fut qu'un cri d'approbation dans Paris, à ces mots : l'As- semblée est dissoute. Il était impossible qu'elle tombât sous plus de dédain. Il en était de môme du conseil d'Ëtat, dont on ne connaissait l'existence que depuis qu'il s'était fait l'auxiliaire de l'Assemblée contre le Président.
Quant aux personnages arrêtés, on comprend gêné-
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ralement la nécessité de la mesure qui les atteiat. Maintenant qu'un décret de bannissement temporaire a ft*ai^pë M. Thiers, c'est avec peine que nous relatons Fi^ttt'p^ë^sibn produite par son arrestation. Mais nous le d^v^é 'pouîr être vrais. Dans le public , on se montre iddtffl&rént ^Ur le plus grand nombre; sympathique potir'qu^l^ùé^-^tins; mais M. Thiers est l'objet d'une réptikioti àipéuipt^ unanime; partout on se félicite de son in^arcèi^atiôri; et dans les groupes on manifeste le défeîf^'qHi'e lé tiôU'voif^ ^"montre sévère pour cet homme
iLet^ëUiilè^^1aj[>lilaùd7t du rétablissement du suffrage Uttitleréël; voilà éé qui dothihé. Puis il existe un senti- ment dont 'i)éii' dé' pëtecttitiës peut-être se rendent côiWpté / mais que Ife! pliis grand hombre éprouve. On s'Hisbcië ihstlniiitivetbetit à Tétcté énergique du Présî- dH^Wtl'Le'bd^ùr hiirriàin éubît tôUjdut^ Id fasd de
efeqtii ise i^êVèlé' 'pîtiissairit et fart, II f a là quelque chose qui (WrtfMyrleiliié! sorte dé synipàthié re^f)éctiiéuse. Aussi ew lisifttit les décrets, en (x)mnléhtânt lès cii^cdii^tances de ce c6«pde foudre qui vient de pulvériser la àlliiàtion politique d- hier et de faire ajijiaraltre' dans tout son écMkV la ptiissâhce dit' neveu de rEmperèUr^ tôiit 'fe raoirtdé tient le niiéme làïigagé. On dit en haut : <^Cesi liltîrgtilfique ; 1^ àii âii en bas : « C%i bien jcîûé- » '
i'Illri'f àd'obstittéffldnt avèi^gié qiib Tèsprilde çèÀi. hktépré^eûmtëiae vo\^h(^iii%\x^ 'chuteJ'Beàuibiib gardent leurs illusions et s'apprêtent à la luti^^lls 'iie parfwi^'dô'lrleti'moinî'k^é^ d^léhtbyèr fe Wésilléttt à
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\inceiincs. Ils veulent se réunir au Palais législatif où sont encore MM. Duptn, président, et Panai, questeur, chez lesquels les commissaires ne se sont pas présentés lors de l'occupation de l'Asseniblée. M. Dupin est un homme politique fort habile, et le Président avait, avec raison, compté sur sa prudence.
l'ne coïisigne mal donnée ou mal exécutée permit à un certain nombre de représentants de pénétrer jusque dans Tenceinle du palais Bourbon; ils purent même, au nombre d'environ soixante-dix, entrer par la petite porte de la rue de Bourgogne et se réunir dans la salle des séances, où ils devinrent extrêmement bruyants et agressifs. M. de Mornv, informé de ce qui avait Heu, ordonna leur cxpulsiou. En exécution de cet ordre, un commandant entra dans ta salle et adressa aux représentants une allocuti(m très-mordante au fond, mais inattaquable comme convenances, tant elle était spirituelle et adroite de forme. Mais ils insistèrent pour qu'on fit venir M. Dupin, qui se présenta, et le procureur général près la cour de cassation, dit à ceux dont il était encore la veille te président : « Mes- sieurs, il est évident qu'on viole la Constitution. Le droit est de notre cùté -, mais, n'étant pas les plus forts, il ne nous reste qu'une chose à faire : je vous invite k vous retirer. J'ai l'honneur de vous saluer. » Ce langage occasionna chez les rcpi'ésenlants une indicible irrita- lion , que , dans les premiers jours , ils manifestaient de la façon la plus vive. Ceux qui ont pu les entendre à la mairie du 10*, au quai d'Ursay, au Mont-Valérien,
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ont été à même d'apprécier combien cette irritation était grande.
Les représentants ne paraissant pas disposés à suivre le sage conseil de M. Dupin y l'ofTicier leur dit : « Mes- sieurs, vous allez me mettre dans Tobligation de faire entrer mes soldats. Attendrez-vous que j'en donné Tordre? » Alors ils se retirèrent.
A l'heure ménie où les représentants se réunissent à l'Assemblée, le prince Louis Bonaparte sort de l'Ely- sée à la tête d'un brillant cortège. 11 vient, par la rue du Faubourg-Saint-Honoré, sur la place de la Con- corde, où il est acclamé avec enthousiasme par les troupes et par la population. Traversant le jardin des Tuileries, il va visiter l'état-major de l'armée de Paris, franchit le pont National , passe en revue les troupes échelonnées sur les quais, depuis la rue du Bac jusqu^au palais Bourbon. Partout il est accueilli avec les mème^ démonstrations. 11 rentre à l'Elysée à midi. Dans le brillant état-major qui accompagne le Président, o*À remarque le prince Jérôme Bonaparte, gouvernexir deh Invalides, le général en chef Magnan, les générâui Vast-Vimeux, Le Pays de Bourjoly, Flahaut, le colonel Murât, etc.
Immédiatement après, le général Saint-Arnaud, ministre de la guerre, suit le même itinéraire à la tètë de son état-major. L'accueil qui lui est fait doit le àoti^ vaincre que l'armée et la population lui savent 'gré de son courage dans l'accomplissement du grand àcf4 qtiii sauve la France. Vient ensuite le maréchal Excel-
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raans, grand chancelier de la Légion d'honneur. Ce vieux compagnon <le l'Empereur reçoit partout, sur son passage, de ia part de notre jeune armée, les té- moignages du respect et de l'admiration qu'elle voue à ce qui lui rappelle la grande époque.
Pendant ce temps-là, à dix heures et demie ou onze heures, les représentants expulsés de TAssemblée et quelques autres se réunissaient dans la rue de Lille, derrière le palais de la Cour des comptes. Le comman- dant Ouplessis, du 3' bataillon de chasseurs h pied, occupait ce quartier. M. de Talloux quitta la réunion l'un des premiers, à l'arrivée de la troupe, pour se reor dre îi la mairie du 10" arrondissement, où l'on avait commencé à s'assembler entre neu( heures et neuf , heures et demie du malin. 11 parait que des ordres arrivaient de plusieurs côtés à la fois, concernant ce conciliabule de la rue de Lille, car voici ce qui eut lieu : La porte fut d'abord occupée et consignée par un vieui sergent qui avait ordre de ne laisser entrer personne, mais de laisser sortir ceux qui voudraient. Il se préparait à envahir la maison et à faire évacuer le salon qu'oc- cupaient les représentants, quand arriva un capitaine avec une compagnie. Celui-ci, au contraire, laissait entrer tout le monde, mais ne permettait à personne de sortir. Il fit ranger sn compagnie dans la rue, de façon à ce qu'elle formât un carré ouvert devant la porte , et ta cernant pour recevoir les représentants qu'il devait emmener prisonniers. A ce moment, plusieure arrivè- rent et entrèrent. Un dernier allait en faire autant,
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lorsque quelqu'un lui frappant sur l'épaule, lui dit obligeamment : « Si \ous entrez y Monsieur, vous ne sortirez pas, — Vraiment? dit-il en s' adressant au ca- pitaine. — Oui, Monsieur, dit en souriant celui-ci, c'est comme cela. — Mais je ne suis pas ici pour un mau-^ \ais motif; je \ous affirme que je viens pour une aflEedre de chemin de fer. » Comme pour confirmer son dire^ il cherchait des papiers dans son portefeuille; aiai» l'officier s'était détourné, et il se hâta de partir. Au moment où le capitaine entrait dans la cour, arrivait un officier d'état-major qui donnait l'ordre de laisser les représentants libres, s'ils promettaient de retourner chez eux.
On les fit sortir du salon qu'ils occupaient, et on les invita à se retirer paisiblement, les menaçant, s'ils re* fusaient, de les arrêter. Alors l'un d'eux, qu'on a pré- tendu à tort être M. de Falloux, dit, dans la cour, en présence des soldats : « Pas un de ces braves n'oserait porter la main sur des représentants du peuple: > un officier répondit, en saluant avec politesse : a Je serais désolé qu'on en vint à cette extrémité, mais je vous donne ma parole que pas un de ces soldats ne faillirait à son devoir. » Les représentants ayant promis de se retirer, la porte devint libre pour eux. Plusieurs pa- raissaient attérés; d'autres étaient dans un état violent d'irritation. Ils se disaient, en sortant : « Le rendez- vous esta la mairie du 10* arrondissement. »
Nous avons sous les yeux un document qu'on pré- tend être le compte rendu de la séance qui se tint à
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celte mairie. Il est très-incomplet et ne peut donner qu'une idée Fausse ou du moins très-imparfaite de cet événement. Nous avons interrogé nombre de personnes qui ont parlé à cette réunion, et qui aFOrmcnt ne recon- naître dans cette pièce ni leur langage , ni la physiono- mie de la séance. On verra, du reste, parle récit que nous allons faire, que ce document relate ce qui avait lieu dans la salle , et ne tient aucun compte de ce qui se passait au dvhors comme action militaire et admini- strative. Les renseignements intimes qui nous ont été fournis par la plupart des acteurs eux-mêmes, don- nent à notre récit une certitude que nous garantissons. Le compte rendu de la séance , publié par les soins et aux frais de la réunion, est évidemment l'œuvre d'une main amie, qui a émondé du récit toutes les scènes de tumulte, d'injures, qui ont fait de ce derAier acte de nos comédies parlementaires quelque chose de si triste et de si pénible à voir et à entendre. Tout en élant plus complet, nous avons gardé la même réserve.
Dès neuf heures ou neuf heures et demie, un cer- tain nombre de représentants , la plupart légitimistes ou orléanistes, s'étaient portés à la mairie du tO', rue de Grenelle-Saint-Germain , et s'y étaient installés dans la grande salle, au premier étage, l'endantce tcmps-Ià, plu- sieurs individus , notamment des tambours de la 10* lé- gion, convoquaient à domicile, de la part du colonel Laurislon, les gardes nationaux sur lesquels on croyait pouvoir compter. Un fort petit nombre, répondant à
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cet appel 9 est irenu se joindre^ à ceux qui occupaient te poste: en tout moins de quarante. Pliisieurs autres ont rebrefussé cliemin, en voyant la mairie occupée par h troUpë. Quelques instants plus tard, le maire, M. ïtù^ ger, arrivait. M. Lemoine-Tacterat, commissaire de police du quartier.de Babylone, entrait presqu'en même tendps que lui. « Les représentants, lui dit M. Rc^r, ont envahi la mairie , il faut les en expulser, car cela peut nous compromettre. — Je cours , répond M. heh moine, chercher les instructions de l'autorité supé- rieure ; nous ne pouvons agir sans cela. » Inutile de s'adresser aux gardes nationaux présents, ils criaient : a Vive la Constitution ! » Un ancien colonel de la lé- gion , prenait une part active à cette manifestation en faveur de l'Assemblée.
Le commissaire se rend en toute hâte près du préfet de police, l'instruit de ce qui se passe, et en reçoit Tordre de requérir la force armée nécessaire pour ex- pulser les représentants de la mairie. Cet ordre portait de les laisser libres de se retirer, ou de les arrêter en cas de refus.
M. Lemoine arrive au quai d'Orsay, occupé par là brigade Forey , et apprend que déjà des troupes ont été envoyées sur la mairie. En effet, à onze heures précises, M. le général Hoguet avait instruit , place Boui^ogne, le général de division Renaud , de ce qui se passait à ht ihairie du 10*. Ce général commandant la rive gaifcllie de la Seine, avait immédiatement (hit prévenir le géné- ral Forey , afin qu'il envoy&t le G^bataillOQ de cltasseiils
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à pied occuper la mairie, et mettre les représentants eii état d'arrestation. Le même ordre était donné par le général en chef Magnan qui avait été informé à la fois par le préfet de police et par le ministre (!e la guerre. Le brave commandant du 6« bataillon , ayanl voulu, quoique malade , marcher à sa ttle, s'élait éva- noui sur le quai d'Orsay. L'ordre fut-il mal compris? Toujours est-il qu'on ne fit partir que (rois compagnies seulement, sous les ordres du capitaine Briquet.
Pendant ce temps là, une scène de tumulte effroyable avait lieu dans la grande salle de la mairie. Un peu plue de cent représentants y vociféraient. C'étaient des cris, des motions ridicules, insensées , on eût dit l'Assemblée législative dans ses plus beaux jours de scandales parle- roentairee. On n'y savait quel parti prendre, on ignorait ce qui se passait sur d'autres points. On proférait des injures contre M. Dupin , qu'on traitait de lâche : c'était un chaos véritable ; cela dura ainsi jusqu'à onze heures moins un quart. A ce moment, M. de Falloux, parti l'un des premiers de la rue de Lille, arriva avec quelques autres, et bientôt fut suivi de tous ceux qui avaient formé cette réunion. Quelques personnages marquants étant présents, on constitua un bureau, et à onze heures on ouvrit la séance.
Prirent place au bureau MM. Bcnoisl d'Azy , Vitel, vice-présidents, Chapot, Moulin, Grimault, secrétaires.
Chacun voulait être l'orateur de la situation , faire sa motion, mettre sa protestation en avant; mais il appartenait à M, Berrycr de défendre son œuvre; il
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espérait qu*en parcourant toutes ses phases démagc^- ques, la révolution qu'il avait acclamée en février 1848, lors de l'envahissement de la Chambre des députés , produirait peut-être le retour de sou roi en 1852. Quel- que terribles que fussent les chances à courir, lui et d'autres, M • Piscatory par exemple, voulaient qu'on les courût. Donc, l'orateur légitimiste, qui, dans la séance que nous rappelons, avait trouvé que Ledru-Rollin n'allait pas assez vite à son gré pour chasser du trône la famille d'Orléans, et qui lui criait : a Pressez la question ! Concluez ! un gouvernement provisoire ! » ( Moniteur du 25 février) cet orateur prit la parole : a Des actes , dit-il ; pas de protestations, les instants sont comptés; agissons. Peut-être n'avons-nous pas un quart d'heure. Au nom de la Constitution , art. 68 , décla- rons que Louis- Napoléon Bonaparte a cessé d'être Pré- sident de la République , et qu'à l'Assemblée seule ap- partient, à partir de ce moment, le pouvoir exécutif. Tous les représentants qui sont présents signeront ce décret.»
M. Berryer eût pu se servir des mêmes paroles qu'en février, et dire à cette Assemblée ce qu'il criait au tribun démagogue : a Pressez la question ! Concluez! un gouvernement provisoire! » Tournons ainsi, pensait» il , vers Frosdorf, la proue du vaisseau de la France. Pilote insensé ou coupable, il voulait traverser les orages de 1852 et voguer vers son but, fût-ce dans le sao^^ la barbarie et la honte 1 L'esprit de parti aveugle les ial^ ligences les mieux douées. ^«-aM
D'LN COUP D'ÉTAT.
Le décret proposé par M. Bcrryer fut voté par accla- mation, et le président donna ordre de le faire impri- mer par tous les moyens possibles. Pendant que le bureau rédigeait le décret, on fit courir des feuilles volantes pour recueillir les signatures. On devait an- nexer ces feuilles au décret.
Sur la proposition d'un de ses membres , l'Assemblée rend un second décret ainsi conçu : « L'Assemblée nationale , conformément à l'article 32 de la Consti- tution, requiert ta 10" légion pour défendre le lieu de ses séances. » Il est aussi voté par acclamation ; mais au milieu du plus effroyable tumulte qu'il soit possible d'imaginer.
En ce moment arrivent quelques représentants, entre autres MM. Odilon Barrot et de Nagle, qui se hâtent de signer le décret. D'autres étaient en bas, que des officiers de pais et des agents de police empêchaient de monter par ordre du maire. L'Assemblée, prévenue de ce fait, envoie M. Piscatory près du maire pour lui intimer l'ordre de laisser libres les abords de la salle. M. le maire Roger répond : « Je représente ici le pou- voir exécutif, je ne laisserai pas entrer les représen- tants.— Il n'y a plus de pouvoir exécutif autre que l'Assemblée nationale, dit M. Piscator^'. — Vous me permettrez, Monsieur, répond le maire, de faire mon devoir et de ne pas le discuter avec vous. »
Sur le rapport que vient faire M. Piscatory, M. Ber- ryer propose de rendre un décret qui ordonne au maire de laisser Hbn de la salle. «Deux
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choses^ dit M. de Falloux, me paraissent probables : la première , c'est qu'on n'exécutera pas nos ordres ; la seconde, cest qu'on va nous expulser d'ici. Convenons d'un autre endroit pour nous réunir. » On s'était déjà réuni trois fois : à l'Assemblée, rue de Lille et à la mai- rie du 10^. En toute autre circonstance, cet orateur, qui voyait si juste l'impuissance des représentants^ et la disposition de la force publique à les expulser de par- tout, aurait compris ce qu'il y avait de ridicule et de peu digne dans ces décampements nomades à la pre- mière apparition d'une baïonnette. Pas de milieu : ou on joue le rôle des vieux Romains mourant sur leurs chaises curules, ou on s'en retourne chez soi. M. Ber- ryer dit alors : <c Mais les étrangers qui sont ici, prévien- dront peut-être le pouvoir du lieu que nous aurons choisi. » Pour la deuxième fois, M. Bixio offre sa mai- son. « Nous sommes ici, faisons-nous y tuer^ dît un membre. — Silence ! dit le président , pas de motions intempestives. M. Dufaure a la parole. Ne perdons pas de temps.» M. Dufaure propose que le bureau choi- sisse un lieu de réunion, et le fasse secrètement con- naître à chacun des membres. On crie : « Vive la Con- stitution ! Vive la République ! » AL Dufaure , qui pro- pose à cette Assemblée d'aller cacher sa réunion et ses actes, d*allerse mettre à l'abri de tout danger, ajoute : « S'il faut succomber devant la force brutale, Taveiiir nous regarde, Messieurs; l'histoire, la postérité n^ou- blieront pas que nous avons résisté par tous les moyepis en notre pouvoir. » Quelle ^éch^nce ! Ni respect p^yr
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soi-même, ni respect pour ce pays qu'on repnésente. Di: graodcs plirascs et des acUs mesquins.
M. BeiTyer propose son quatrième décret ; il est voté, eomme les précédents, par acclamation. Il est ainsi conçu : « L'Assemblée doane l'ordre à tous les directeurs de maisons de force ou d'arrél , de mettre en liberté, sous peine de forfaiture, les représentants arrêtés. » En cet instant , M. Aulony Thouret signait le décret eo disant : <• Tous ceux qui ne signent pas sont des lâches.* Un autre rentre dans la salle ; a Dépéchom-nom bien tfile , dit-il, voilà les chasseurs de Vincennes. » La scène qui eut lieu est impossible à décrire. Il est pénible pour un écrivain d'avoir à raconter de pareilles choses. Nous les passerions sous silence s'il ne fallait pas que la France vit, dans les derniers actes de cette Assemblée, à quel degré peuvent arriver les parades parlementaires. Oji dit que le ridicule peut tout tuer en France. Si le Bystèrac parlementaire se relève , l'adage n'est pas vrai ; car jamais ridicule plus grand n'affronta la lumière du ciel et le regard des hommes.
Il est midi et '[uclqucs minutes, la troupe envahit la eour. À cet instant, tout bruit a cessé. Le silence règne dans la salle. Il semblerait que quelque cliose de solen- nel vase passer. Les membres du bureau montent ,sur leurs chaises pour être vus des chefs militaires, a Oo monte, on monte, disent plusieurs représentanls. — Silence! dit le président, silence absolu 1 permettez- moi d'en donner l'ordre, Messieurs! — C'est un ser- i)wr£enl qu'on nous envoie! » disent avec une
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sorte d'affaissement et de désappointement marqué, les représentants qui sont à l'entrée de la salle. Sans doute ils attendaient au moins le général en chef ou le ministre de la guerre» Le président a beau dire qu'un sergent représente la force publique, l'Assemblée paraît consternée. « Si nous n'avons pas la force , ayons au moins la dignité , dit M. de Falloux. » Le président ajoute : <c Songez que l'Europe entière vous regarde 1 »
Ce n'était, en effet, qu'un sergent, à qui le capitaine Briquet, commandant des trois compagnies de chasseurs qui venaient d'arriver, avait commandé d'occuper la porte de la salle où siégeaient ces messieurs. Cet of- ficier envahissait la mairie quand le commissaire Le- moine y entrait, un peu après midi, avec M. le commis- saire Barlet fils, que le préfet de police lui avait adjoint. Une conférence de quelques minutes eut lieu entre le capitaine commandant et les commissaires. Ne sachant comment concilier les ordres dont ils étaient récipro- quement porteurs, ces messieurs jugèrent à propos d'en référer à l'autorité militaire. Le capitaine Martinet, aide-de-camp du général Sauboul, qui, avec sa brigade, occupait le Luxembourg, étant présent, alla chez le général en chef pour prendre ses ordres. Ce fut pen- dant ce temps-là que le capitaine fit monter un sergent avec douze hommes.
On eût attendu un général au bureau et on eût ou<- vert une discussion avec lui ; mais on vint au-devant du sergent. Ce furent MM. Yitet et Chapot qui, se piéii^ sentant à lui au haut de l'escalier, lui demandèreami
D'UN COUP D'ÉTAT. h?
qu'il venait faire , et lui dirent qu'ils siégeaient au nom de la Constitution. « Cela ne me regarde pas, répondit le sergent, j'ai ordre d'occuper, avec mes hommes, le haut de l'escalier et la porte, je le fais. » M. Chapot lui dit de faire monter son chef de bataillon. Le capitaine Briquet , faisant fonction de chef de bataillon , se pré- sente. M. Vitet , au nom de l'A^jeu. jlée nationale ; l« somme de se retirer. « Je vous demande pardon, dit le capitaine, mais j'ai des ordres qu'il faut que j'exé- cute; vous me permettrez de les faire passer avant les vôtres. — L'Assemblée vient de reoH e un décret qui , en vertu de l'art. 68, déclare le Président déchu, et qui commande à tous les dépositaires de l'aulorilé ou de la force publique d'obéir à l'Assemblée , sous peine de forfaiture et de trahison à la loi ; vous devez vous retirer. — Vous devez, lui dit M." Grévy, obéir à l'art. 68 de la Constitution. — L'art. 68, répondit l'offîcier, ne me regarde pas, j'obéirai à mes ordres et resterai. » MM. Vitet et Chapot rentrèren^t dans la salle, et le capitaine revint trouver les commissaires en atten- dant les ordres du général Magnan.
L'Assemblée grandit son courage de l'bésilation qu'elle crut voir dans les agents de l'autorité, n'ayant pas connaissance du conflit qui avait nécessité te recours au général en chef. M. Berrjer propose sou cin- quième décret qui , comme les précédents, a les hon- neurs de l'unanimité. Il était ainsi conçu : « L'Assem- Uée:D*tioiiale déclare que l'armée de Paris est chargée de veiller â sa défense , et ordonne au général Magnan,
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SOUS peine de forfaiture, de mettre les troupes à la dis- position de TAssemblée. »
Sur la proposition de M. Monet, rAssemblée décida ensuite que le décret de déchéance serait envoyé au président de la haute cour de justice. Plusieurs mem- bres ayant entendu, au président de rAssemblée, dirent tumultueusement : « Il n'y a plus de président I — M. Dupin s'est conduit lâchement, dit M. Pascal Duprat, je demande que son nom ne soit pas prononcé ici. » Un membre réclame quon mette en réquisition le iélé^ graphe.
L'Assemblée est consultée sur la proposition de nom- mer M. le général Oudinot commandant de Tarméede Paris. Quand on le proposé , M. le capitaine Tamisiefi membre de la Montagne, s'exprime ainsi : « Sans doute, M. Oudinot, comme tout le monde, ferait son devoir; niais U a, vous le savez, commandé l'expédition ro- maine. Aura-t-il sur le peuple l'autorité nécessaire?-— Vous désarmez l'Assemblée, ditM.Rességuier. — Vous nous tuez, » dit M. de Dampierre. La proposition mise aux voix est adoptée, et un décret est rendu dansée sens. Durant qu'on le rédige, M. Oudinot échange quelques phrases avec M. Tamisier; puis dit à ses coliques: « Messieurs , sur ma demande , le capitaine Tamisier accepte de me servir de chef d'état-major. » Des ton- nerres d'applaudis^ments accueillent cette accolade donnée par le général à la Montagne.
£n ce moment, un sous-lieutenant venait, à la poHe de la salle, donner des ordresjiux chasseurs qui s'y tro»-
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valent. Le général Oudinot et le capitaine Tamisier s'avancent vers lui; M. Tamisier lui donne lecture du décret qui nomme M. Oudinot général en chef de l'armée de Paris. « Vous venez d'entendre , dit M. Ou- dinot; je suis général en chef de l'armée de Paris, vous devez m'obéir sous peine des plus graves punitions , je vous commande de vous retirer. — Mon général, j'atten- drai pour cela qu'on me relève de ma consigne. — C'est juste, * (lit M. Oudinot, qui ne s'attendait pas à cette leç^on de discipline militaire. En rentrant dans la salle, il demande M. Mathieu de la Redorte pour chef d'élat- major de la garde nationale: « Faites ce choix vous- même, c'est dans vt« pouvoirs, » crie-t-on detouscôtés. L'Assemblée confirme le choix du général. M. Henoist d'Arjfailalors remarquer que quelquespersonnesétaient déjà sorties et s'en étonne, parce que, dit-il, il ne sup- pose pas que quelqu'un veuille se retirer avant d'avoir vu la tîn de ce qu'on pouvait faire.
Plusieurs repréjcntants étaient i*n effet sortis pour »c rendre à une imprimerie voisine, où ils portaient le décret de déchéance, afin de le faire imprimer. Il fallait quelqu'un qui pût se charger de le faire lui- même pour ne pas mettre ses employés dans le secret. C'était un point important. I^e chef de cette imprime- rie, ouvrier avant d'être maître, était bien celui qui convenait. 11 refusa éncrgiqucment de prêter son con- cours. Il C'est un acte de patriotisme, lui dirent ces Messieurs, et sur notre parole de représentants, nous jurons que le pays reconnaîtra par une récompense
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nationale le service éminent que vous allez lui rendre. — Je ne veux pas , dit Timprimeur, provoquer à une résistance qui ferait verser le sang d'un seul de mes concitoyens. » On revint trois fois chez lui , la dernière à huit heures; mais toujours inutilement. Ce ne fut que plus tard qu'on trouva une presse clandestine qui a im- primé le document informe que la police a saisi.
Deux autres représentants s'étaient, de leur côté, rendus au ministère de l'intérieur et sommaient M. de Morny de se constituer prisonnier et de rapporter le coup d'État. Le ministre était impassible, et son calme rail- leur mettait hors d'eux-mêmes les deux délégués. « Nous appellerons le peuple aux armes. — C'est bien , dit M. de Morny , faites ; mais comme mes amis el moi avons joué notre existence pour sauver la patrie , nous irons jusqu'au bout. Je ferai fusiller tous les représen- tants pris aux barricades. » Ces Messieurs cessèrent d'insister, et ne furent pas, affirme-t-on, de ceux qui se montrèrent parmi les insurgés.
Au même instant, M. Berryer et quelques autres repré» sentants péroraient par les fenêtres de la justice de paix dont le local communique avec la grande salle de la mairie du 10% Ils provoquaient le peuple à la résistance, à l'insurrection, en proclamant la substance des décrets que venait de rendre la prétendue Assemblée nationale. M. Berryer disait : « Nous sommes des vôtres, mes amis, nous vous accordons ce que vous demandez : le suffrage universel, vous l'aurez! — Vous ne disiez pas cela, il y a huit jours, » lui clame un ouvrier en faisant un porte-^
D'UN COUP D'ÉTAT. 121
Toix de ses deux mains. Quelques chasseurs viennent fermer les fenêtres et font rentrer ces Messieurs dans la salle.
C'est à ce moment que l'ordre du général Magnan fut apporté de l'état-major. 11 commandait d'exécuter les prescriptions du préfet de police; il était ainsi conçu:
Commandant,
En conséquence des ordres du Ministre de la guerre , faites oc- cuper immédiatement la mairie du 40* arrondissement, et faites ar- rêter, s'il est nécessaire, les représentants qui n^obéiraient pas sur- le-champ à rinjonction de se séparer.
Lt général en chef^
MAGflAFf.
Il n'y avait plus à hésiter ; les commissaires deman- dèrent à tenter les voies de conciliation. Us montèrent à la salle avec le capitaine qui s'arrêta à l'entrée. Pen- dant ce temps-là, l'aide-de-camp du général Sauboul retournait au Luxembourg et prévenait le général que les forces de la mairie étaient insuffisantes.
En entrant dans la salle, les commisaires sont ac- cueillis par des clameurs qui partent à la fois de tous les points. M. Lemoine-Tacherat veut parler ; sa voix est couverte par les cris : « Sortez!... vous violez la majesté de l'Assemblée ! ... Qui ètes-vous ? . . . Sortez ! . . • A la porte I » A ces cris se mêlent des épithètes in- jurieuses y de ces mots qui rappellent les séances les plus tristement scandaleuses de la véritable Assemblée»
122 BSTOIRE
Quand cette tempêle ert vu peu calmée , M. Lemotne veut reprendre la parole ; les mêmes clameurs recom- mencent; enfin, voyant sa persistance, on lui crie : a Au bureau ! montez au bureau ! — Vos noms , et que voulez-vous? dit le président. — Nous sommes com- missaires, répond M. Lemoine ; nous venons, de la part du préfet de police, vous sommer de sortir de la mai- rie et de vous retirer. — Vous êtes magistrats, reprit M. Benoist d'Azy, vous devez savoir quelle responsabi- lité vous assumez personnellement sur vos têtes. Ce jour peut avoir un lendemain, et vous aurez peut-être à vous repentir de ce que vous faites aujourd'hui. On va vous lire l'art. 68 de la Constitution, que vous parais- sez ne pas connaître. » M. Vitet donne lecture de cet article, ainsi conçu :
Art. 68. Le président de la République, les ministres, les agents et dépositaires de l'autorité publique, sont responsables, chacun en ce qui le concerne, de tous les actes du gouvernement et de radmini* stration.
Toute mesure par laquelle le président de la République dissout oi^ proroge TAssemblée, ou met obstacle à Texercice de son mandat, ert un crime de haute trahison.
Par ce seul fait, le président est déchu de ses fonctions ; Les citog^Cili sont tenus de lui refuser obéissance; le pouvoir exécutif passe ifi plein droit à TAssemblée nationale; les juges de la haute cour de justice se réunissent immédiatement à. peine de forfaiture; ils ccni- voquent dans le heu qu'ils désignent pour procéder au ivigeiiMl.te président et de ses complices; ils nomment eux-mêmes le iQ^gi|lq| chargé des fonctions du ministère public.
Une loi déteminera les autres cas de responsabilité aiml ^pnr Ml Cormes et )t»çmdUkms de la poufsuile. .,.4 ^v;
D'UN COUP D'ÉTAT. i23
«Lisez à ces Messieurs les décrets que vient de ren- dre l'Assemblée. » M. Yitet donne lecture du décret suivant :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.
L'Assemblée nationale ,
Vu Fart. 68 de la Constitution ,
Attendu que l'Assemblée nationale est empêchée , par acte de vio- lence, dans l'exercice de son mandat;
Décrète :
Louis-Napoléon Bonaparte est déchu de ses fonctions de Président de la République. Les citoyens sont tenus de lui refuser obéissance. Le pouvoir exécutif passe de plein droit à l'Assemblée natlmiale. Les juges de la haute cour de justice sont tenus de se ré|mir Immédiate- ment à peine de forfaiture. Les jurés sont convoqués pour procéder au jugement du Président et de ses complices.
En conséquence , il est enjoint à tous fonctionnaires et dépositaires de Pautorité et de la force publique, d'obéir à toutes réquisitions fai- tes an nom de TAssemblcc nationale, sous peine de forfaiture et de haute trahison.
Délibéré et voté à l'unanimité , en séance publique, à la mairie du 10^ arrondissement.
Le ifio9-fré9idirU , Les secrétaires ,
VrrKT. MouLin et Chapot.
En Tabsence du président retenu à l'Assemblée :
<
Le vice-président ,
Bekoist d'Azt ^
M. Yitet lit ensuite le décret qui nomme le général
' Ont ligné la pièce originale, quelques-uns deux fois :
Dvfkure, JouannetyMontebello, Bufifet, M ortimer-Temaux, GranviUc,
124 HISTOIRE
Oudinot commandant des forces militaires de Paris y M. Taniisier, colonel d'état-major. « Vous voyez, dit M. Benoist d'Âzy au commissaire, que vous ne pouvez pas obéir à un pouvoir qui a cessé d'exister. CSomme président de celle Assemblée , je vous somme de vous retirer, et vous requiers de faire sortir les troupes qui ont envahi la mairie. — Je n'ai pas à discuter avec vous, dit M. Lemoine. J'exécute des ordres supérieurs; j'obéis comme un soldat à son général : je vous réitère la sommation de sortir d'ici, si vous ne voulez qu'on ne vous y contraigne. Du reste, je dois vous dire officieu- sement que, Paris étant en état de siège, l'autorité civile n'intervient que par tolérance et pour éviter que des formes infiniment moins conciliantes soient
Chapot, Foblânt, Brotonne, Dahircl, Camus de la Guibourgère, Ghau- TÎn^ de GouyoD, Duvergier de Hauranne, Saint-Romme , de Melun (Ille-et- Vilaine), Rigal, Du parc, S. Rouillé, Chégaray, de Staplande, Joret, Montigny, Amablc-Dubois, de Séré, Lacase, Boucl, de Saint- Priesl, Pascal Duprat, Rouget-Lafosse, Kersauson, Pidoux, CaiHet- Dutertre, de Ladevansaye, Talhouet, Merenlié, Sauvaire-Barthelemy, de Fontaine, Bouvattier, Albert de Luynes, Dufournel, Legrand, Boissié« Dabirel,0. Lafayette, Lanjuinais, Desmars, de Castillon, deVaajuas, Pioger, Levet, Daguilhon, Gasselin, Maréchal, Vernhette (Hérault), d« Gresset, Roux-Carbonnel, Pigeon, de Sèze, Léo de Laborde, d^Ambray, Gallet, Diculeveut, Gustave de Beaumont, de Tocqueville, Béchard, Kéridec, d'Hespel, Passy, général Rulhière, du Grosrier, de Brias, Fri- cfaon, de Kerdrel, Simonot, Rémusat, de Vogué, deCoicclles, de Ber- set, Symphor-Vaudoré, de Malleville, Arône, Besse, de Tracy, Le- maire, des Rotours de Cliaulieu, Randoing, Berryer, Vcsin, Henne- cart, d'Olivier, Coquerel, Duparc, Chassaignel, Salmon (Meuse), Fal- |Oux, Prudhomme, Howyn-Tranchi:re, Rességuier, Larochette, Lagré- née, Rératry, Thurlot, Botmiliau, Vernhette (Aveyron), Paul de Saint-
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D'UN COUP D'ÉTAT. 125
employées. — Nous n'avons que faire des faveurs de votre préfet, à qui nous ne reconnaissons aucun droit; sortez I -— Nous ne partirons d'ici que contraints et pri- fionniertl erie-t-on de toutes parts. » C'est alors que le général Oudinot, s'adressant à l'officier : a Com- mandant, lui dit-il, vous le voyez, je suis nommé géné- ral de l'armée de Paris ; c'est à moi qu'il appartient de vous commander. Ayez à faire retirer vos soldats, ou à les mettre à la disposition de l'Assemblée. Comman-* dantdu 6^ bataillon, vous m'avez entendu; allez-vous obéir? — Général, répond le capitaine, j'ai l'honneur de vous connaître; en toute autre circonstance, je serais heureux de vous obéir; mais ici j'exécute les ordres de mes chefs hiérarchiques , je les exécuterai
Georges, Bixio, Sainte-Beuve, Tamisier, Gicqueau, Bouille, Legros- Devot, de Liippé, Nettement, Monet, de Lavallade, Trévencuc, Matthieu de la Redorte, Pécoul, Ravjnel, Piscatory, d'Havrincourt, Jules de Lasteyrie, de Larcy, de la Tourette, Surville, Dufougeroux, Laine, Germonière, Ferd. de Lasteyrie, de Goulard, ChamboUe, A. Gros, d€ Tinguy, Louvet, de Vandœuvre, Casimir-Perrier , Victor Lefranc, Chazaud, Proa, Tron, de Limayrac, Fourtanier, de Belvèse, Barthé- lemy-Saintpfiilaire, Barchou de Penhoéh, de la Broize, de Chazelle, Kerroarec, de Coislin, Raudot, Bernardi, de Sesmaisons, Barillon, E. Leroux,de laTousche, Gordier, Ferré des Ferris, Laurenceau , Pradié, Denayrousse, Laurence, Sain, Hervé de Saint-Germain, Talon, Bla- voyer, Vatimesnil, Bauchart, Mispoulet, Boissiëre, Tocqueville, de Kerdrel (Morbihan), général Lauriston, de Balzac, Gustave de Beau- mont, de Querhoent, de Lafosse (llle-et-Vilaine), de Roquefeuille, dt Dampierre, de Reranflech, Poujpulat, de Melun .(Nord), de Faultrier, Colas de la Mothe, Corne, Champanhet, Betting de Lancastel.
Les représentants de la gauche font, de leur côté, une profession semblable. (Ces mots étaient ainsi au bas des signatures.)
1 2U HISTOIRE
complètement. » Alors il donne lecture aux représen- tants de Tordre qu'il avait reçu du général en chef. Il se fait un tumulte effroyable, les vociférations recom- mencent. Les injures les plus violentes sont adressées aux commissaires, notamment par certains représen- tants du parti de la Montagne. Chacun veut être le tri- bun de la circonstance. On monte sur les tables, sur les chaises, sur le bureau, pour faire des discours que personne ne peut entendre. Les commissaires et le ca- pitaine sortent pour délibérer. Quel parti prendre ? On ne peut, avec trois compagnies, emmener plus de deux cents personnes, si elles persistent dans leur résistance. On envoie demander des renforts au général Foraji qui commande sur le quai d'Orsay. Ce général raea* vait en même temps une lettre du général Magnan qui lui disait : « On n'agit pas assez vivement à la mairie du 10<^ où les représentants sont réunis. C'est là qu'est la situation sérieuse. Portez-vous-y de votre personne et enlevez le plus de représentants que vous pourrez. Agissez promptement et énergiquement. » Le tymulte continue dans la salle. Des groupes considérables sta- tionnent dans la rue de Grenelle. M. Lemoine-Tacberat, jetant un coup d'œil aux groupes, aperçoit M. de Laro- chejaquelein, qui se présentait pour entrer. «N'insistez pasi lui dit le magistrat, la porte est consignée. » Puis il le fait entrer dans la guérite qui est à droite de la grande porte, près du poste, et là, l'engage à se retirer, ce que M. de Larochejaquelein fait immédiatement. Il entre en face chez un marchand de vin et monte
D'UN œUP D'ÉTAT. ifl
au ppraûer étage pour être témoin des événements. Le général Fofey arrive enfin à la mairie^ à une heure ^ demie, avec un bataillon du 1 4* de ligne et le reste du 6^ bataillon de chosgeurs à pied. De son côté, le gé- néral Sauboul, prévenu par son aide-de-camp de l'in- suffisance des forces (pii étaient à la mairie, y envoyait un batfaillon du 37% qui ne vint que jusqu'à la Croix- Rouge, le général Forey lui ayant fait dire de retourner, puisque lui-même arrivait avec assez de monde. Le général Forey décida, de concert avec les commissaires, qu'on n'emmènerait pas les représentants à Mazas ou à la préfecture de police, mais bien à la caserne du qwidKOirsay. U était prudent d'éviter toute provocation dtngareuae, et le parti qu'on prenait n'exposait à rien de semblable. Les commissaires remontent dans la salle, et font de nouveau sommation aux représentants d'avoir à acortir immédiatement. Refus formel de tous. « Noua ne sortirons que violentés ! faites-nous prison- nii^rsl II faut qu'on nous arrache d'ici t » Au fait, les p^résentante ne demandaient pas autre chose qu^un si- midacre de violence. M; Lemoine-Tacherat s'approche de M. Benoist d'Aay, et, lui touchant le coude avec poli- teste : « Voyons! Monsieur, lui dit-il , sortez d'ici. » On ir éaril que^ M. Benoist d'Azy et M. Vitet avaient été pm au eoUflt ; le kit est fhux. Ils sont sortis sur Pinvi- talîen du comœttsaire. Tous les autres ont voulu même wmblant d^ewploî de la force; ils ne partaient que quand l'un desi ohaaseucs de Vincennes les at ait touchés d«bMl.du doigtt
128 HISTOIRE
Accumulés sur le grand escalier, les représentants^ comme s'ils regrettaient d'avoir cédé si facilement, s'arrêtent et ne veulent plus descendre. Il faut encore les chasseurs de Vincennes. Dans la cour, les clameurs re- commencent ; on se sent un auditoire et on refuse éner- giquement de se séparer. Aux invitations qui sont fai-» tes par les commissaires, on répond : « Faites-nous pri- sonniers; vous ne Tosez pas; vous avez peur ; à nous bientôt à vous juger. » Puis des injures sont adres- sées à ces fonctionnaires. On comprend la réserve qui nous oblige à nepas^nommer ici. M.Lemoine-Tacbe- rat se voit forcé de dire à celui qui les leur adresse : « Monsieur, j'ignore qui vous êtes, mais qui que vous soyez, vous pourriez avoir des leçons de courage et d'honneur à recevoir des fonctionnaires que vous in- sultez. D
Beaucoup veulent encore haranguer la troupe, notam- ment MM. Piscatory, de Coislin. Le capitaine Tamisier, s' adressant à l'aide-de-camp du général Forey, lui dit : c( Savez-vous, mon cher capitaine, qu'on vous fait jouer un rôle déplorable ; à votre place, je voudrais me cou- vrir de gloire aujourd'hui. » M. Oudinot, se trouvant près du général Forey, lui dit: a Je suis commandant en chef de l'armée de Paris. » Pour ne pas engager de discussion, le général Forey détourna son cheval, après avoir répondu ; « Nous sommes militaires, nous ne con- naissons que nos ordres. » M. Oudinot ne fut pas plus heureux auprès des soldats, qui refusèrent de l'écouter.
Voyant qu'on ne peut rien obtenir des représentants
D'UN COUP D'ÉTAT. 129
et qu'ils veulent absolument les apparences d'une per- sécution, qu'on leur dit d'avance devoir être exempte de dangers^ on les place entre deux haies de chasseurs de Yincennes. La ligne ouvre et ferme la marche. Puis on les^onduit, par les rues de Grenelle, Saint-Guillaume, Neuve-de-rUniversité, de l'Université, de Beaune et les quais Voltaire et d'Orsay, à la caserne du quai d'Orsaj , où le général Forey est allé donner l'ordre de les rece- voir avec tous les égards convenables. Ils y entraient à trois heures et demie. Durant ce temps-là , le préfet de police écrivait au général Magnan de marcher lui- même sur la mairie du 10® arrondissement. Le mi- nistre de la guerre lui donnait l'ordre de s'y rendre avec des forces suffisantes pour y arrêter tous les re- présentants. Le ministre de l'intérieur, écrivant dans le même sens, signalait comme ne devant pas être relâ- chés, MM. Berryer, Piscatory, Oudinot, qui avaient eu la part la plus directe aux actes de la séance. En effet, M. Berryer peut revendiquer l'honneur d*cn avoir été l'àme et le directeur. Le général en chef montait à cheval pour se rendre avec vingt-cinq guides sur les lieux, quand il apprit que le général Forey con- duisait les représentants à la caserne d'Orsay.
Ainsi finit celte déplorable séance de la mairie du 10®. Peut-être fallait-il cette dernière humiliation au système parlementaire pour le discréditer entièrement eo France. Nous avons fait ce récit sans partialité, sur des documents précis et sur des renseignements hono» rables. Toutes les personnes qui nous ont fourni ces
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derniers nous ont offert leur sigaatare pour les gamil* tir. Ce sont les faits qui écrivent Thistoire. Est-ee notr^ faute si l'esprit de parti aveugle les hontmes et prodoit chez les intelligences les plus élevées 1^ faiblesses, les défaillances que nous avons dû raconterf Quel enseigne^ ment ! Ces profonds politiques, cas prétendus ttéfen-^ seurs de l'ordre , ces hommes «tes vieuat privilèges, les voilà qui invo<pient Témeute, qui aprpellent les soMate des barricades y qui font des discours par les fenélres d'une mairie et qui vont au-<levant de tous les agenU da pouvoir pour discuter des consignes et poqr faire reconnaître leur autorité. Et que veulent-ils? A la plaOe du pouvoir unitaire et fort qui sauve le pays, en faisant loyalement l'appel au peuple, en annonçant qu'il prend le souverain naturel pour juge, que veulent-ils mettre? Leur dictature ; l'arbitraire d'une Convention tiinniU tueuse et divisée en partis qui se détestent, qui dematn se déchireront. S'ils réussissent, c'est la terreur à Paris; c*est la jacquerie rouge dans toute la France. Et voilà où ils vont, ces parlementaires qui se nomment Pisca^ tory, Berryer, Benoist d'Azy, Dufaure, Falloux, Odilon Barrot, etc. Que la France considère jusqu'où des hommes de cette valeur ont pu descendre, et le systèitte parlementaire demeurera jugé pour toujours.
Les personnages internés à la caserne d'Orsay étaient au nombre de 218. La protestation ne portait à la ttM* rie que les 190 signatures que nous avons données^ Des adhésions obtenues en dehors ont porté ce nombre à 213, puis à 221 , ce qui fait que bien des pièces saisiei
D'UN COUP D'ÉTAT. m
diffèrent quant au nombre des signatures. Il y avait à cette réunion des personnages qui n'étaient pas repré- sentants; voilà ce qui ei|rfique encore la différence entre le chiffre des présents et celui des signataires. L'incident de la mairie du 1 0^ est un des plus sérieux de la journée. Si la dissolution de cette réunion a de- mandé du temps, cela tient à la différence des ordres donnés d'abrod par l'autorité civile et par l'autorité mili- taire, ensuite à l'insuffisance des troupes envoyées pri- mitivement pour les faire exécuter ; la fermeté du gé- néral Forey dans l'exécution de cette mission délicate, et celle du capitaine commandant le 6* bataillon de chas- seurs à pied, a tout réparé. Dans cette circonstance dif- ficile, M. Lemoine-Tacherat , comme commissaire du quartier et comme doyen d'âge , a porté la parole et fait exécuter les ordres du préfet de police avec une énergique fermeté ; il s'est montré plein de décision et constamment tenu dans une attitude résolue , en face d'une Assemblée qui se prétendait pouvoir souverain et qui le rendait personnellement responsable. M. Bar- let fils doit être cité aussi comme ayant prêté à son doyen d'âge le concours le plus énergique et le plus in-* telligent. Lui aussi, dans cette circonstance solennelle, a su allier à la fermeté du fonctionnaire l'esprit de convenance parfaite qui distingue toujours l'homme bien élevé.
A la caserne du quai d'Orsay, beaucoup de repré« sentants reçurent des amis, des parents. Tous étaient lîbves ck partir ; quelques-uni le firent. Mais la perse-
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cution n'était pas dangereuse ; on savait les prescrip- tions à cet égard de M. de Maupas et de l'autorité mi- litaire. Dans de telles circonstances, il était puéril de jouer au martyre. Ouelques-uns crurent cependant devoir le faire, et déclarèrent qu'ils voulaient rester prisonniers. Ils refusaient de faire connaître leurs noms, et répondaient invariablement aux questions faites à cet égard : Représentant du peuple. Le ministre vou- lant savoir les noms des personnages arrêtés , on fut obligé de faire venir un officier de paix, ordinairement de service à l'Assemblée , qui commença à désigner no- minativement pour qu'on pût les inscrire. Voyant cela, les autres se nommèrent.
Un fait qui montre à quel degré de puérilité les re- présentants descendirent est celui-ci : «Xjîénéral, disait M. Dufaure, pourrais-je envoyer chercher des nouvelles de ma femme ? — Allez-y vous-même, répond le géné- ral Forey ; seulement promettez de revenir, — Je vais vous faire une promesse écrite. — Je m'en rapporte parfaitement à vous. — Il faut que cela soil écrit pour Tauthenticilé historique. » M. Dufaure ne revint que le lendemain à quatre heures du matin. Le lancier^de fac- tion lui dit que les autres représentants étaient partis : « Et je n'y étais pas! reprit M. Dufaure. Que pensera le pays? — Il pensera que, pour ne pas rester dans la rue à quatre heures du matin, dit le soldat qui lui barrait la porte, vouë êtes retourné à votre domicile. » Les of- ficiers, surtout le colonel commandant, se montraient vis-à-vis d'eux pleins d'égards et de politesse. Quelques-
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uns n'apprécièrent pas comme il était convenable cette façon d'agir et y répondirent assez mat.
Ils furent enfin transportes dans des voitures de toutes sortes 9 omnibus et autres j soixante-deux à Mazas y cin- quante-deux au Mont-Valérien et cent quatre à Vin- cennes. Les uns à dix heures du soir , les autres à deux heures du matin. Il ne resta, à la caserne d'Orsay, que MM. Chegaray et Mazé Delaunay , qui se dirent malades, et qui, le 3 , au point du jour, demandèrent à rentrer chez eux. M. Etienne, qui était légèrement blessé , resta chez le major des lanciers.
A Vincennes , on prépara pour eux les appartements du prince de Monlpensier, et le génral Courtigis disposa de tout son mobilier en leur faveur. Berryer, Piscatory, Odilon Barrot , Béchard, Léo de Laborde, de Riancey, étaient au nombre des représentants enfermés à cette forteresse. Ce fut en y arrivant qu'Odilon Barrot, mon- tant sur une chaise, adressa une allocution à ses collè- gues, a Comment, dit le général Courtigis, depuis trente ans que vous faites le même discours, vous n'en avez pas assez! — Général, répondit le solennel orateur, je devais trop au système parlementaire pour ne pas lui rendre ce dernier hommage. »
Dans la journée du 2, àdix heures du matin, la haute
cour s'était d'office réunie au Palais de justice. Deux
commissaires, envoyés par le préfet de police , entrèrent
dans la salle où siégeait la cour, tandis qu'un bataillon
de garde municipale se tenait auprès à leur disposition.
Us communiquèrent àces messieursl'ordre qu'ils avaient
9
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(le les arrêter s'ils ne se séparaient immédiatement. La Cour obéit à l'instant et avec tant de précipitation y qu'elle laissa tous les piipiers sur le bureau , et notam- ment l'aim suivant qu'elle venait de rédiger^ jet auquel ses membres n'avaient pas eu le temps d'apposer leurs signatures.
ARRÊT DE LA HAUTE COUR DE a^STICE.
En vertu de Farticle 68 de la Constitution,
Lahautecour de justice déclare Louis-Napoléon Bonaparte prévenu de crime de haute trahison ,
Convoque le haut jury national pour procéder sans délai au juge- ment.
Et charge M. le conseiller Renouarddes fonctions du ministère pu- blic près la haute cour.
Fait à Paris, le 2 décembre 1851.
Les insurgés de Paris ont affiché cette pièce avec les noms suivants :
Hardouin, pré:5id«fil.
Delaplacb , Pataille , MoREAu (de la Seine) , Caucht , QuESNAULT , jriges.
Le texte en a été rétabli de mémoire, et, bien que les membres de la Cour n'eussent pas signé en séance , les insurgés, qui voulaient se servir de cet arrêt, n'ont pas hésité à y mettre les noms qui manquaient, comme ils Font fait du reste, à l'égard de quelques-uns desper^ sonnages qui figurent comme signataires sur d'autres pièces.
D'UN COUP n'ÉTAT.
Durant ces tenlatives irapuissanlesde résistance , tout - le monde était à son poste , calme, impassible dans te devoir. M. de Morny, M. de Maupas, l'autorité-miiilaire, avaientdes correspondances de tous les instants, et con- tinuaient à prendre ces mesures d'ensemble qui ont donné un caractère si grand de précision et d'unité à l'acte du ± décembre.
A deux heures et demie , le générât de division Re- naud partaitde l'École militaire, pour visiter successive- ment tous les postes de la rive gauche et veiller à ce que les dispositions qu'il avait prises reçussent leur fidèle exécution.
A la même heure, à peu près, le Président parcou- rait, avec un nombreux état-major, ta ligne des bou- levards, oïl il était acclamé de la façon la plus enthou- siaste. Puis, ensuite, il passait en revue la division de grosse cavalerie Korte , venue do Versailles , el slation- naut dans les Champs-Elysées.
Le prince était reçu par ces braves troupes comme il l'avait été le matin pur les autres corps de l'armée qu'il avait passés en re\ue, c'est-à-dire avec l'enlhou- siasmc le plus vif. Le soir, le prince Louis-Napoléon assistait à un difler que le ministre des afîaii-es élran- | gères, M. Turgot, donnait au corps diplomatique. Il y montrait le calme el la sérénité dont il avait fait preuve, la veille au soir, en recevant à l'Klysée. Du reste, tous ceux qui Tonl vu durant cette journée, lui rendent C6 témoignage, quejarnais il n'a été aussi tranquille, aussi rfailement maître de lui. Son visage était rayonnant
436 fflSTOIRE D'UN COUP D'ÉTAT.
et reflétait cette satisfaction intérieure qui provient du sentiment d'un grand devoir rempli.
Les révolutions qui viennent d'en bas terrifient ; celles qui viennent d'en haut rassurent ; elles sont comme l'arc- en-ciel après l'orage. Au milieu de ces événements si graves, Paris, tumultueux, maiscalme, épanche ses flots de promeneurs sur sa ceinture de boulevards. Comme aux jours de fête, il met sa parure brillante. Ce qu'il a de plus cher, les enfants et les femmes , qu'il cache dans ses flancs quand il a peur ; il leur dit: a Allez, le ciel est à l'espérance ; il n'y aura pas aujourd'hui de danger pour vous, allez; et ils vont partout oîi doit passer celui qui vient de sauver la France. Partout, les boutiques sont ouvertes, les affaires se font , les tribunaux sont en séance. La société se sent protégée déjà par une main forte et puissante. Tout le monde à des pressenti- ments de bonheur à venir. Jusqu'à neuf heures environ , l'affluence est immense sur les boulevards; mais bientôt la foule se retire; les citoyens paisibles regagnent leurs logis. Nous ne parlerons pas , dans ce chapitre , de ce qui s'agitait dans les bas-fonds, au-dessous de toute cette population qui acclamait le Président et ses actes. Les ennemis de la France vont avoir leur histoire à part.
III
Ii'XNSUHHBCTXON A PAHX8.
JOURNÉE DU 1.
Celte histoire de Tinsurrection, nous ne l'écrivons pas sur des données vagues y sur des documents incer- tains. Tout est vrai, pas un fait n'a été admis par nous sans contrôle direct. C'était une rude hesogne y nous l'avons faite.
Pour avoir une idée vraie de l'insurrection de Paris, il ne faut pas la voir seulement aux barricades, dans cette lutte sacrilège qui a fait une plaie nouvelle au sein de la patrie et mis une honte de plus au front des partis, il faut la surprendre dans ses préparatifs , com- binant ses plans odieux, aiguisant ses poignards et dé- crétant le njeurtre.
«38 HISTOIRE
Il ne faiil pas non plus craindre de la décrire dans toute sa vérité. Pourquoi donc en voiler une partie? Pourquoi la cacher? dans quel intérêt? Ces horreurs, qui ont coûté tant de sang et tant de larmes à notre France , il faut les montrer comme un châtiment aux coupables, comme un avertissement aux tièdes, comme une leçon providentielle à tous.
Les partis ! c'était un coup de foudre qui venait de tomber au milieu d'eux. Tout à l'heure encore, ils étaient unis pour détruire, faire des ruines^ quitte après à s'entr'égorger pour le butin. Le pouvoir, qu'ils voulaient renverser, a prévenu l'exécution de leurs complots. Par son acte énergique, il a mis la France à couvert sous son épée. Dieu protège la France.... Les partis sont attérés; pendant les premières heures du matin du 2 décembre, le sentiment qui les domine, c'est de la rage consternée. Quoi 1 les blancs n'auraient |MS Henri V, les •rléanistesi ta inranche cadette et les v#ug€s de toutes nuances n'auraient pas t852 9 Dèe que ki premier moment dé stupeur est passé, on se cherche pKMU! s'entendre et pour organiser TinsurrectHMi.
Dans les meneurs légitimistes, on dit, et ce moi est' d'un grand personnage : «Mieux vaut ta rouge que ce qui se présente. » Les meoears des associations diseiit : « La fiûiêe va se réiu»r, tout n'est pas terminé, m La première phrase est dite en français dans un salon , Ih seconde en argot dans «» clnl^ Le ptus coupable idfY est-*ce le rguge qui va combattre pour ses appétîte Intu- taux ou pour ses théories insensées? ËvictefiMnent non;
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c'est l'autre, avec son égoïsmeatroce, quivcut atteindre son but, même en marchant dans le sang et sur t'hon- neur français.
Dès onze heures du matin, tons les meneurs sont sur pied. Tout ce qui a coutume d'intluencer et de con- duire le personnel des émeutes s'agite. Les princes d« Igt barricades sont à leur poste et viennent recevoir on donner le mot d'ordre. C'est Pornïn, la jambe de bois, si célèbre à l'Hôtel-de-Ville après février ; c'est Joanny, un ancien commandant des aventuriers de Rome, qui, demain soir, va jouer un rôle hideux ; ce sont vingt autres qui déjà sont réunis au club l^eu, rue Saint- Denis, et qui commencent à se griser, afin de se donner du cœur. A certains journaux, où affluent tous les rwges, on se déclare en permanence, et on envoie de tous côtés des émissaires pour prévenir les frères et amis, pourexciter le peuple à la résistance, pourvoir quel est l'efTct produit dans ta population par les évé- nements. Ce qui déconcerte le plus, c'est qu'une grande partie des chel« sont arrêtés et manquent à l'action. Cepenftant ilfaot agir vite et l'on agit. Il faut de l'argent, on en troove. Dès le matin, on expédie dans les pro- vinces des agents pour les soulever. Ils vont vite; nous en trouverons à Forcalquier, dans les Basses-Alpes, «vaut que le sous-préfet soit informé des événemeiïte de Paris.
Beauconp des représentants de la gauche se réunis- sent chez Crémietn, afin d'organiser la résistance et de se distribuer les rôles. Plusieurs autres conciliabules
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i40 HISTOIRE
semblables ont lieu sur différents points. Généralement on s'y montre attéré de l'attitude de Paris. « L'indiffé- rence de ce peuple, dit un orateur, est plus écrasante que la dissolution elle-même ; c'est à désespérer de la démocratie, » pensée que traduit différemment un lé* gitimiste pérorant sur un trottoir du faubourg Saint- Gern;iain. « Si le peuple est assez lâche pour accepter cette humiliation , il est digne de la tyrannie. » Les émissaires viennent faire leurs rapports. Aux réunions diverses , aux journaux qui sont en permanence y on reprend un peu courage en apprenant que les chefs de sections , les délégués de toutes sortes , sont sur pied dans les 2% 5% 6% 8* et 9* arrondissements. On reçoit aussi la nouvelle que le faubourg Saint-Antoine, qui a pris les ordres de Recurt, ancien ministre de février^fait descendre une partie de ses contingents aux cris de : Vive la République ! Vive la Constitution !
Le parti rouge a son aristocratie et ses prolétaires. Ces derniers ne subissent que jusqu'à un certain point Tinfluence et la direction des premiers. Ils se souvien- nent de l'exploitation de février. Ils ne veulent plus d'avocats et de gros bonnets. Ils ne demandent pas mieux que de s'entendre dans un but commun ; mais après la victoire, ils comptent cette fois rester les maîtres. Ils ont plus directement sous la main le personnel des émeutes, ces hommes introuvables quand Paris est calme, etdont, aux jours néfastes de l'émeute, surgissent, on ne sait d'où, les sinistres et horribles figures. Tandis que la tète du parti siège en permanence dans ses bu*
D'UN COUP D'ÉTAT. Ml
reaux et chez les représentants, l'arrière-ban que nous venons de dire se réunit par groupes chez les chefs des associations.
Des rendez-vous sont donnés ainsi en secret à la barrière des Trois-Couronnes, dans un lieu bien connu du monde socialiste; on se réunit à Montmartre , à Belleville. Une des asseuabli-es les plus nombreuses se tient rue du Faubourg-Saint-Denis , 162. On décide partout (pie les chefs des associations se rendront le soir sur la partie du boulevard comprise entre les portes Saint-Martin et Saint-Denis. Dans toutes ces réunions, on rédige des proclamations et des bulletins provoca- teurs. Nous en retrouverons un bon nombre demain sur les murs de Paris. Chacun,dans ces assemblées, veut se faire tribun , chacun veut aussi faire sa proclamation et son appel au peuple. Il y a celles des représentants, celles des journalistes, celles des chefs de club, des dé- légués des corporations, etc. Chez la plupart des im- primeurs qui peuvent disposer de leurs presses, on re- fuse d'imprimer ces proclamations. D'anciens déportés se chargent de le faire , notanmient à Belleville et chez des affiliés de Paris.
Mais partout les déceptions sont grandes. Le peuple, on comptait qu'il allait se lever en masse, et son atti- tude est calme , satisfaite. L'armée , on ta disait à soi ; elle était enlacée , prétendait-on , par les affiliations secrètes, et partout on la voit décidée à faire son de- voir. On espérait une résolution, on ne pouiTa faire qu'une émeute. C'est risquer gros, n'iïBporte , on la
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142 HISTOIRE
fera. Les émeutes parfois grossissent en roulant èans les rues des cités. ^ on tâchera que l'émeute prenne les proportions d'une révolution. Il faut attendre,^ ditr-oOj et fatiguer la troupe ; il faut que les représentants et les ffifeneurs aillent haranguer les groupes. Il (kat imiie «upurd'hui de T agitation pavtouf , de la résisttnM nulle pari. Cette tactique est immédiatement niieei exécution. Beaucoup de représentants qui sont encore libres^ les rédacteurs des journaux de partis,, les paie» sances déchues de février, se répandent dans les gronpfs^ excitant à la révolte et jetant partout des ferments d'iop surrection : « La Constitution est violée , le Président est un traître, il Caut courir aux armes 1 » Les agit»-> teuys agissant suEtout dans les; quartiers génécawc da rémeute ,. dans ces rues populeuses , dont cettes» dtt Temple, Seûnt-Denis, Saint-Martia et MontorgueiU soab k centre. Us parcourent les boulevards depuis, la Ma^* deleine jusqu'à la Bastille. Ils sont suivis par ^elquea hommes à mines sinistres et par cette foule de rôdemi de barrières et de voyous pariskoa cpii sont les chacals de l'émeute. Quel cortège peur les. représentants de ki France et pour certains noms des partis aristocrat»- que&! Voilà dooc: où vont la démence, FafenglmDeDt des panlis.
Bans la matinée , comme nous. FaTonn dit éms ki chapitre précédent , oa avait fait tout ee e|u'on aiait |Hs pour réunir des gvirdes natiouaua des târ et 1 1* ariMK* dissivnents. Cette; tentativeavaih éelioué,.grftce k lladUie vigilance de M. de Maupaa , qui avait prévenui famnritfc
D'UN COUP D'ETAT. 1*3
militaire que l'on convoquait à domicile les gardes tia* lionaux des 10" et II* légions , el qu'il était de la plus haute importance de faire occuper fortement les deux mairies.
C'est à deux heures à peu près qu'apparaît sur les boulevards la première affiche de l'insurrection. En France, on commence tant de choses par te burlesque I
Nous, citoyens trançuis.
Vu l'urgence,
Vu l'art. 68 do la ConslituLon , au nom de la haute cugr de jus- tice, ordonnons à tous les huissiers, sergents et autres de saisir et arrêter partout où sera possible, le citoyen LouiE-Napoléon Bonaparte, fli-présidciit de la République, et tous ses complices dans l'attentat de ce jour.
Paris, ZdôcmbrR I8S1.
Signé , Hot;CET , El). Meqitt.
Toute la Journée se passe en vains etl'orls. Le peuple est calme. Les groapes, qui stalionnent sur les boule- vards principalemeot, se tnontrent partout sytupa- thiqucs aux mesures prises par le gouverneraenl. Les meneurs sont découragés. Les sections socialistes de- vaient commencer à dix heures du soir. Les postes étaient désignés et ta convocation faite pour dix heure» QU dix heures quarante-cinq minutes. Les principaux quartiers choisis pour faire des barricades étaient les faubourgs du Temple . Saint-Marceau , Saint-An toine, la Bastille et la barrière du Trône. 11 va «ans dire qu'il
i44 HISTOIRE
en était de même des quartiers Saint-Martin, Saint-Denis, centre ordinaire du plan d'opérations des insurgiSl'
Les meneurs avaient fait deux promesses : d'abord celle de fournir aux contingents des munitions et surtout des bombes portatives à la main, ensuite celle de leur amener le 44* régiment de ligne. Or, les bombes manquèrent, et ce régiment était, comme tous ceux de l'armée, parfaite- ment dévoué à Tordre. La plupart de ceux qui étaient convoqués ne vinrent pas au rendez-vous. Puis, en face des dispositions de l'armée , les plus ardents hésitaient. Â onze heures, la plupart des délégués des associations y n'ayant pu décider une prise d'armes, se retirent.
Les principaux chefs de barricades et prédicateurs de groupes, réunis près de la porte Saint-Martin, sont obligés de s'avouer qu'ils ne disposent que de l'écume révolutionnaire, et que le peuple ne se lèvera pas. La plupart des ouvriers ont répondu : Nous voterons, nous ne nous battrons pas! N'importe, aleajaeta estj le sort en est jeté ; ni les meneurs d'en haut, ni les meneurs d'en bas ne renoncent à la partie. Il faut que les am- bitions et les égoïsmes déçus s'accrochent à la dernière comme à la plus honteuse ressource. On fera des bar- ricades en compagnie des repris de justice, on appellera des bouges tout ce que les pontons de Cavaignac y ont laissé. Â demain donc ! D'ici là, on fera de la poudre, on fondra des balles, on distribuera quelques armes déposées chez un des chefs. Les meneurs des partis riches se cotisent, et réunissent l'or qui doit payer!'; sassinat et le meurtre.
D'UN œUP D'ÉTAT- 145
Ainsi, celle journée s'csl passée loul enlière en pré- paratîfliy en lenlalives avortées. L'aulorilé n'a pas eu à réprinaer un seul désordre ostensible sur la voie pu- blique. Le peuple s'esl raonlré calme et digne. Ceux qui vont verser le sang français n'auront pas, cette fois, à invoquer l'enlraînemenl ; aux barricades, il n'y aura presque pas d'hommes politiques, mais en majorité des conspirateurs égoïstes, des malheureux stipendiés, des enfants, quelques fous, et des repris de justice en rup-> ture de ban.
Le principal rendez-vous est fixé pour demain matin, place de la Bastille, à sept heures.
Si les ennemis de la société se remuaient pour orga- niser la révolte et la lutte, ses défenseurs prenaient, de leur côté, les mesures les plus énergiques pour la maintenir. Une des choses les plus importantes était de priver l'émeute de ses chefs ordinaires. M. de Maupas fit enlever, dans la journée, tous ceux des plus dange- reux qu'il avait été impossible d'arrêter dès le matin. Le personnel de la police ne permettait pas de faire plus de quatre-vingts arrestations régulières à la fois. Les ordres du préfet furent exécutés avec une rare précision. Us avaient été donnés à midi. Quelques heures après, la plupart des individus qu'il avait désignés étaient in- carcérés. Les arrestations faites dans cette première journée atteignirent le chiffre de cent soixante, non compris les représentants internés à la caserne du quai d'Orsay.
146 HISTOIRE
Voici la liste exacte des personnages af rètés sur man- dat et internés à Mazas dans la journée du 2. (7êst le relevé du registre d'écrou.
1 CHARRAS , représeutant du peuple.
2 De LAMORIOERE, représentant du peuple.
3 ROGER (du Nord) , représentant du peuple.
4 LEGOMTË (Minor) , épicier.
5 CAVAIGNAC , représentant du peuple.
6 BEDEAU, représentant du peuple.
7 CHANGARNIER, représentant du peuple.
8 LE FLO , questeur.
9 BAUNE , représentant du peuple.
10 GREPPO , représentant du peuple.
11 MALAPERT.
12 LEMESLE fils, sans profession.
13 BAZE, représentant du peuple, questeur.
14 MIOT, représentant du peuple.
15 HIBLACH , restaurateur.
16 BRUN , commissaire de police de l'Assemblée.
17 PHILIPPE (Alphonse), fabricant d'outils.
18 HUCK (Marie- Alphonse) , graveur.
19 SIX (Théodore) , tapissier.
20 THIERS , représentant du peuple.
21 GENILLER (Guillaume) , professeur.
22 NADAUD, représeutant du peuple.
23 VALENTIN, représentant du peuple.
24 BOCQUET (Armand), sans profession.
25 DELPECH (Cèlestln) , sculpteur.
26 NICOLAS (Gabriel) , libraire.
27 SCHMITD (Jacques) , restaurateur.
28 ARTAUD (Louis-Claude) , sans profession.
29 VASBENTER (Louis) , imprimeur.
30 HOUEL (Michel) , marchand de vin.
31 CELLIER (Charles) , avocat.
D'UN œUP D'ÉTAT. 147
32 JACOTIER (Louis-François) , relieur.
33 CHOQUIN (Etienne) , tailleur de limes.
34 MUSSOT (Pierre), homme de lettres.
35 BONVALLET (Théodore- Jacques) , restaurateur
36 MEUNIER (Arsène).
37 BUISSON (Alexandre).
38 LUCAS (Louis-Julien), marchand de vin.
39 CROUSSE (Charles-Joseph- Albert) , clerc d'avoué.
40 BOIREAU (Pierre-Désiré) , ouvrier,
41 CURMEL (Pierre).
42 N06UEZ, cafetier.
43 BAILLET (Edouard) , ex-capitaine.
44 THOMAS (Philippe-Alexandre) , serrurier.
45 VOINIER (Charles) , cordonnier.
46 BILLOTTE (Léon-Josepb), peintre.
47 GUITERA (Charles) , avocat.
48 MICHEL , capitaine à la 4« légion.
49 GRIGNAN , sténographe.
50 STEVENOT.
51 MAGEN (Hippoltte), homme de lettres.
52 POUNO (Antoine-Cuarles-Marie).
53 LAGRANGE (Charles), représentant du peuple.
54 CAHAIGNE (Louis-Antolne) , homme de lettres.
55 LASSERRE (Jean-Isidorb) , instituteur.
56 CRËMIEUX , représentant du peuple.
57 RECURT, ancien ministre.
58 DUCOUX.
59 MATHIEU , homme de lettres.
On savait que les insurgés avaient l'intention de sonner le tocsin ; on envoya occuper les clochers et couper les cordes des cloches, en demandant préala- blement, par déférence, la permission aux curés.
Le ministre de la guerre comprenait parfaitement la situation et était disposé à toutes les éventualités. On
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148 HISTOIRE
peut s'en convaincre en lisant ce qu'il écrivait au gé- néral en chef :
LE MINISTRE DE LA GUERRE AU GÉNÉRAL MAGNAN.
Mon cher général,
Aujourd'hui, il n'y a plus de ménagements à garder, plus de pré- cautions à prendre pour cacher les mesures que le gouvernement croit néce^^saircs au salut de la nation, au maintien de Tordre partout
Nous devons nous préparer à un combat qui peut être long et acharné. J'espère qu'il n'en sera pas ainsi, mais notre devoir est de tout prévoir.
Donnez donc immédiatement des ordres pour que, dans toute re- tendue de votre commandement, les munitions de guerre soient prêtes, les réserves complètes et en état. Les caissons en assez grand nombre et assez bien attelés pour que les gargousses et cartouches puissent être transportées rapidement sur le point indiqué.
Recommandez à l'artillerie de ne négliger aucun détail.
Ne perdez pas de vue que les troupes se battent mal quand les vivres leur manquent.
Que vos intendants soient donc prévenus, et que les distributions soient assurées partout. Il faut que dans la journée toutes les troupes aient dans le sac quatre jours de vivres de campagne ; on les rem- placera de suite dans les réserves.
J'appelle aussi votre attention, d'une manière toute particulière, sur la cavalerie.
Il ne faut pas que les chevaux manquent un instant de leur ration. Si la cavalerie est au bivouac, ordonnez que les chevaux soient aussi bien pansés et soignés que dans les quartiers.
Vous aurez à prendre des mesures pour que, dans le cas où les troupes seraient obligées de rester dehors, elles puissent faire du feu et avoir de la paille.
C'est dans les moments difficiles que les hommes de cœur et dMntel- ligence prennent leur place, et je n'ai pas besoin de vous répéter.
D'UN COUP D'ÉTAT.
mon cher général, à quel point je compte sur tous. Vot modèle à celte année si OËre de tous avoir pour chef, vous lui ferei comprendre toute la grandeur de 3a[mission, et votre première, comme TOtre plus douce récompense, sera d'avoir contribué à sauver la France de l'anarchie et du désordre. Recevez, etc.
Le mïnitlrt de la guerre,
X. DE S«tflT-AlL<UUII.
Comme oq ie voit, rien n'échappa à la Tigilance du ministre de la guerre : ni tes petits détails, ni l'en- semble.
Avant de continuer noire récit, il est nécessaire i]ue nous fassions connaître à nos lecteurs et les chefs de l'armée de Paris et sa composition ; car l'armée est l'instrument principal du grand acte que nous allons raconter. C'est elle qui, par son dévouement, s'associe au neveu de l'Empereur pour le salut du pays.
Dix'huit régiments d'infanterie de ligne, trois d'infan- terie légère, quatre bataillonsde chasseureà pied, deuxde garde républicaine, deux de gendarmerie mobile, quatre compagnies du génie, une de mineurs ; deux régiments de lanciers, deux escadrons de guides, deux ettcadrons de garde républicaîae , deux de gendarmerie mobile, neuf batteries d'artillerie embrigadée, dix d'artillerie non embrigadée. Tel est l'effectif de l'armée de Paris, auquel il faut joindre ici la division de grosse cavalerie de Versailles, commandée par le général Korte, et formée des 1" et 2* carabiniers, 6' et 7' cuirassiers et 12' dragons. ' •
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L'effectif de Tannie de Paris y propremeiit dite, forme trois divisions et onze brigades :
La division Carrelet.comprend les brigades de Oolte; Bourgon, Canrobert, Du lac et la brigade de cavalerie Reybell ;
La division Henaud comprend les brigades Sauboul, Forey et Ripert ;
La division Levasseur comprend les brigades Her* billon, Mai:iilaZ'et Courtigis;
La division de grosse cavalerie de Versailles, est for- mée des deux brigades Tarlas et d'Âl Ion ville.
Le général Carrelet, commandant la pranijière divi- sion, fut blessé àËylaUy dans la campagne de Prusse. 11 a commandé, comme colonel, la garde municipale de Paris. Inflexible dans le devoir, d'une recti^tade de jur gement remarquable, il possède à un degriè coo^ioeAl les qualités qui font les vrais soldats. Nul ne sait niieux que lui faire la guerre des rues et dompter Témeute.
Le général de Cotte a surtout les qualités qi^i font Texcellent commandant de cava)/^ie. Plein d'entrain et d'élan^ il serait mieux à sa place quIà Je tète de Tiafan- terie. Nature emportée et entreprenante, c'est ua offi- cier qui rappelle ces impétyeux génér^^ux de cavalerie de TËnipire, qui enfonçaient les bat<(iUoas carrée, dô^ terminaient la victoire, étaient, en un mot, les roîsdw déroutes. C'est un homme fort instruit et ucie.iijitwe pleine d'élévation et de distinction.
irt.N COUP U'ETAT.
Le général Boiirgon est aime du soMat, qui apprécie ses qualités solides. Son intelligence, son sang-froid à toute épreuve, lui méritent ajuste litre la confiance de l'arDièe.
Le général Canrobert est l'un des olïiciers les plus brillants de l'armée d'Afrique, où il s'est distingué dans une foule de circonstances. 11 s'est illustré à Conslan- tine , dans les campagnes contre Bou-Muza, d'une façon toute particulière. Admirable d'intrépidité à la tète de E«s zouaves, au siège de Zaaicha, il montait à l'assaut avec vingt de ses braves, dont deux seulement restaient debout près de lui. 11 est très-aimé du soldat, qu'il a le don d'élevti'iser. A une intelligence liors ligne, le gé- néral Canrobert joint un caractère plein de franchise, de loyauté. L'opinion de tonte l'armée prédit un grand •avenir à ce général.
Avec du talent, du courage, et l'afTection méritée de tout le monde, on a large et beau cliemin devant soi.
Le général Dulac, homme de devoir et d'énei^ie, a commencé à servir en Afrique. 11 a commandé pen- dant trois ans la pince de l'aris et s'est constamment inonlré à la hauteur des devoirs nombreux qu'exige celte position. On doit dire à l'éloge de ce général, que pendant qu'il remplissait ces fonctions importantes, qui le mettaient en rapport journalier avec les officiers de la garnison de Paris, il a conquis non-seulement l'es- time, mais encore l'amitié de tous.
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152 HISTOIRE
Le général Reybell est un officier de cavalerie plein de résolution, doué d'une nature calme. Il possède Ta- plomb et la solidité qui font les bons généraux de grosse cavalerie. C'est un de ces hommes qui vont où le devoir commande sans dévier ni broncher, esclaves de la consigne et ne comptant jamais l'ennemi.
Le général Renaud, qui commande la 2* division de l'armée de Paris, est une des célébrités les plus écla- tantes qu'aient produites nos guerres d'Afrique. Il réa- lise complètement le type du soldat brillant et auda- cieux. Brave comme les preux des croisades, il en avait en Afrique la réputation chevaleresque. Comme les gé- néraux Saint-Arnaud et Canrobert, il aie don d'enlever le soldat et de le rendre invincible. Général de division à quarante ans, il a compté ses grades par ses blessures. Il aime la responsabilité, parce qu'il a l'initiative etla* conscience de ce qu'il veut. Pendant les années 1 835, 1836 et 1837, il a appris à faire en Espagne la guerre des batailles rangées. Il possède l'expérience, l'activité, les connaissances militaires, qui en feraient au besoin un de nos premiers généraux si la France avait de grandes guerres. Le maréchal Bugeaud avait apprécié son talent el lui avait prédit de hautes destinées. Il ve- nait d'étouffer rinsurreclion du val de la Loire, quand il fut appelé au commandement de la 2* division de l'ar- mée de Paris. Le général Renaud a été sur le point d'être appelé à un poste éminent. Il avait été pendant quelque temps question de le faire ministre de la guerre.
D'UN COUP D'ÉTAT. 153
Le général Sauboul, homme de savoir, de rectitude et de fermeté, capable de très-bien conduire des trou- pes. Il est remarquable surtout par son énergie dans [a discipline. On se souvient de sa conduite au 13 juin 1849, place Saint-Su Ipice. H fit arrêter iramédiate- mcnt, par la ligne, un chef de bataillon de la garde nationale qui avait refusé de lui obéir.
Le général Forey, actiT et plein d'audace, compte quinze années de guerre en Afrique. Officier brillant et très-aimé du soldai, sur lequel il exerce une grande autorité, ce général joint à ces qualités une connais- sance Irès-approfondie du métier. Il est un des meil- leurs officiers généraux de l'armée.
Le général Hipcrt a commencé sa carrière militaire Eous l'Empire. Il a les qualités qui distinguaient lee hommes de cette époque: dévouement absolu, com- mandement sur, bravoure calme et ne reculant jamais. Servrces anciens et fort honorables.
Le général Levasseur, qui commande la 3* division, a exercé en Afrique des commandements très-impor- tants, et s'est fait remarquer partout comme un officier énergique, entreprenant, brave et sachant communi- quer aux soldats sa bravoure. C'est un homme qui aime par-dessus tout l'ordre, l'auturité, et qui ferait tout pour défendre la société menacée.
15i HISTOIRE
Le général Herbillon a dirigé, en Afrique, les opé- rations du siège de Zaatcha et commandé la pro'riiice de Constantine. Caractère fort honorable; esclave de son devoir, plein de jugement, il a conquis rapidement ses grades par son travail et par son aptitude incoa* teslable aux affaires.
Le général Marulaz , le 30 avril 1 849 , entraînait y avec une vigueur admirable , son régiment à Tassant sous les murs de Rome. Dans la Kabylie, il s'est mons- tre, depuis, oflicier plein d'intelligence, de bravoure, et connaissant parfaitement la guerre. Il est appelé à rendre de nouveaux services à la patrie.
Le général Courtigis , blessé à Paris eu juin 1 848 , fut nommé général à cette époque et commandant de Vincennes. C'est un officier très-instruil et fort distin- gué. 11 a rempli d'une façon remarquable plusieurs missions importantes.
Le général Korte, commandant la division de grosse cavalerie de Versailles , est un excellent général de ca- valerie. Il date de l'Empire , a fait seize ans la guerre en Afrique. 11 s'y est montré soldat plein de bravoure et général plein de sagesse, sachant admirablement commander la cavalerie et s'en servir. Il a rendu d'im- portants seiwices dans une multitude de circonstances. Caractère ferme, dévoué, il inspire aux soldats cette confiance qui les rend capables de tout entreprendre.
D'UN COUP D'ÉTAT.
Le général Tartas a une belle réputation comme gé- néral (le cavalerie. Parmi ses nombreux faits d'armes, on citera toujours la charge audacieuse et brillante qui, en septembre 1843 , détruisit le bataillon régulier de Sidi-Gmbarak. Il commandait toute la cavalerie à la bataille d'Uly. En 1845, il vengeait d'une Taçon écla- tante , sur les bords de la Mina, le désastre de Sîdi- Brahim. Le général Tartas a donné , il y a peu de temps, sa démission de repi-ésentant pour reprendre le comraanderaent d'une brigade de cavalerie.
Le général d'Allonville est un officier d'un grand avenir, qui a beaucoup de points de ressemblance avec l'immortelle et noble figure de Lassallc. Instruit, intel- ligent, plein de ressources, il dirige avec audace et habileté la cavalerie. Brave et entraînant, il fait de ses cavaliers des hommes irrésistibles. En Afrique, il s'est distingué dans une foule de combats. C'est lui qui a poui-siiivi si brillamment Abd-el-Kader dans ses der- nières retraites.
D'après ces esquisses rapides, on voit à quels hommes était confiée l'armée de Paris. La plupart dos colonels marchent sur les traces des officiers généraux que nous Tenons de passer en revue. Depuis les chefs tes plus élevés jusqu'aux rangs inférieurs, l'armée est unie par une discipline admirable. Elle aime ses généraux par- dessus tout; elle a confiance. Puis elle croit, elle aussi, à l'étoile du neveu de l'Empereur. Que l'insurrection
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i56 HISTOIRE D'UN COUP D'ÉTAT.
8C lève si elle l'ose , l'armée est prête à sauver la patrie et l'ordre social 1 D14 reste, il ne faut pas croire que Tarmée de Paris fasse exception en fait de dévouement et de courage. Bientôt nous verrons les troupes qui sont en province les corps spéciaux, la gendarmerie surtout, marcher avec le même élan, la même ardeur, à la dé- fense de la société."
ZM8URRSCTZOM A PARIS.
(suite.)
JOUKNéE DU 5.
La nuit a été assez calme, mais le temps a été mis à profit. Dans plusieurs réunions, on a passé la nuit, et les chefs de sections ont déclaré que généralement les ouvriers ne descendraient pas dans la rue ; qu'on ne pouvait compter sur autre chose que sur le hideux per- sonnel acquis à toutes les insurrections. « Mais en payant de notre personne, en nous montrant au^ bar- ricades, disaient certains représentants rouges, peut- être entraînerons-nous le peuple. — L'armée est vendue, répondirent quelques-uns ; Louis-Napoléon a bien pris ses mesures, on nous fusillera, et ce sera en pure perte que nous aurons joué notre vie, car le peuple
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est indifférent ; il mérite qu'on l'enchatne. » Du reste, on ne s'entendait nulle part d'une façon précise. Par- tout^ il y avait division, irrésolution, et chez un grand nombre, il faut le dire, il y avait une peur excessive. Quoi qu'il en soit, les insurgés se sont procuré des mu- nitions. Ils ont reçu des armes rue des Jeûneurs et carré Saint-Martin. Les proclamations ont été imprimées , lithographiées ou écrites à la main en très-grand nom- bre. On s'est vu, concerte; on a réfléchi. Le mot d'or- dre est celui-ci : engager franchement la bataille, si le peuple se lève; employer, du reste, tous les moyens pour l'y amener, pour l'y contraindre, au besoin. Si le peuple ne se lève pas, harceler, fatiguer la troupe sur une inflnité de points à la fois, sans faire de résistance sérieuse, afln d'amener le général en chef à faire sortir toute l'armée.
On espère soulever le faubourg Saint-Marceau, cette aile gauche de la ligne d'opérations dans les insurrec- tions de Paris. Gomme il est important de ne pas se lai»« ser diviser, il faut relier la rive gauche à la rive droitA« en se rendant maître de la Cité au bas du quartier des Écoles. Nous verrons demain l'insurrection porter sur ce point une partie de ses forces et attaquer à la fois tous les abords du Palais de justice. Tatit il est vrai que, dans le plan des insurgés, l'occupation de la GUé est un point capital. Dans toutes les émeutes^ oti a cbet^ chéà s'en emparer. Aujourd'hui, c'est dans ce but q^'oft lente, acrssïtôt qtie le jo^r commence à poindre^d'é^vM ^m barrii^ades qui conMftiandent le pont
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la première au bout de la rue de la Cité et du quai atit Fleurs, près la maison de la Belle-Jardinière ; la seconde sur l'autre rive du fleuve, à l'entrée de la rue Saint-Mar- tin. Maîtres de ce passage important sur la Seine, les in- surgés de la rive droite et ceux de la rive gauche se don*^ neront facilement la main, en s'emparant de la place du Parvis-Notre-Dame et des bâtiments de THôtel-^Dieu. Mais ce plan demande qu'on soit en force, et fort peu d'insurgés sont à ce premier rendez vous de l'émeute. De simples patrouilles suffisent pour les mettre ^n fuite. Pendant la nuit, on avait affiché, sur plusieurs points des boulevards et des quartiers Saint-Martin et Saint-^ Denis, la proclamation suivante que nous donnons tex- tuellement :
AU PEUPLE.
Art. ^. La Constitution est confiée à la garde et au patriotisme des citoyens français. Louis-Napoléon Bonaparte est mis hors la loi. L*état de siège est aboli. lie suffrage universel est rétabli.
Vive la République ! Aux anncs!
Pour la Montagne réunie,
U délégué,
Victor Rudo.
Nous n'avons pas vu la pièce originale, et ne pouvons, par conséquent, affirmer que cette signature soit bien
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authentique. Un démenti ou des aveux le diront peut- être à l'histoire.
Partout on voit aller et venir les meneurs. Des dis-* tributions d'argent sont faites, et les boutiques des marchands de vin sont littéralement encombrées. Sur les boulevards, dans les faubourgs, dans les rues, une foule d'hommes bien mis pérorent dans les groupes et poussent à la révolte. Parmi eux, il y a beaucoup de représentants, mais isolés ou deux seulement à la fois. Us se dispersent ainsi pour agir sur une plus vaste échelle. Fidèles au rendez-vous donné la veille, les émeutiers du faubourg Saint-Antoine sont, à huit heures, sur la place de la Bastille. Mais la vigilance du préfet de police ne s'est pas laissée surprendre. Presque en même temps, la brigade Marulaz vient prendre po- sition sur cette place. Les maisons sont occupées de la cave au grenier par la troupe, et trois obusiers sont placés à l'entrée du faubourg, prêts à le foudroyer s'il bouge. Douze canons sont braqués dans toutes les di- rections. C'est des maisons de cette place qu'aux fatales journées de juin les insurgés ont tué plusieurs généraux et assassiné Tarchevêque de Paris. Devant ce déploie- ment de forces, devant l'attkude énergique de la troupe, les rassemblements comprennent qu'il n'y a rien à tenter sur ce point, ils se dispersent : les uns rentrent dans le faubourg, les autres vont dans le quar- tier des Ecoles et dans le faubourg Saint-Marceau, pour y soulever leurs adhérents, ou bien gagnent la porte Saint-Martin et les quartiers voisins.
D'UN COUP D'ÉTAT. 16!
C'est de huit à neuf heures du matin qu'on com- mence à afficher^ à grand nombre, ia fameuse pro- clamation de la Montagne , ainsi conçue :
LES REPRÉSENTANTS DE LA MONTAGNE rappellent au Peuple et à l'Armée Tart. 68 et l'art. 110.
Vive la République ! Vive la Constitution ! Vive le Sufl^rage uni- versel!
Le Peuple, désormais, est à jamais en possession du Suffrage uni- versel, n'a besoin d'aucun prince pour le lui rendre, et châtiera le rebelle. Que le Peuple fasse son devoir. Les représentants marcheront à sa tète.
Michel (de Bourges), Schœlcher, général Leydet, Mathieu (de la Drôme), Lasteyras, Brives, Bre- mand, Joigneaux, Chauffour, Cassai, Gilland, J. Favre, Victor Hugo, Em. Arago, Madier de Montjau aine, Mathé, Signard, Rongeât (de risère), Viguier, Eugène Sue, Esquiros, De- flotte.
A côté de cette pièce, émanée des sommités de la Montagne, on pouvait lire une proclamation adressée à l'armée par les énerguraènes des clubs socialistes, et affichée à la même heure. C'était aussi dégoûtant de forme qu'absurde au fond :
A L'ARMËE.
Soldats, qu'allez- vous faire? On vous égare et on vous trompe. Vos plus illustres chefs sont jetés dans les fers; la souveraineté nationale est brisée ; sa représentation nationale outragée, violée. Et vous allez suivre sur le chemin de l'opprobre et de la trahison un tas d'hommes perdus, un LOUlS-NAPOLÉON, qui souille son grand nom par le plus
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odieux des crimes; un SÂlNT-ARNAUD , escroc, faussaii*e, six fois chassé de Tarmée pour ses filouteries et ses vices.
Soldats, tournerez-vous contre la patrie ces armes qu'elle vous â confiées pour la défendre? Soldats, la désobéissance est aujourd'hui le plus sacré des devoirs. Soldats, unissez-vous au peuple pour sauver la Patrie et la République.
A BAS L'USURPATEUR !
Vos Magistrats, vos Représentants, vos Concitoyens, vos Frères, vos Mères et vos Sœurs, qui vous de- manderont compte du sang versé.
Voilà comment des Français parlent d'une gloire mili- taire aussi belle et aussi pure que Test celle du brillant vainqueur de Zaatcha. Et ils adressent cela à l'armée française ! C'est aux barricades que l'armée a fait sa réponse.
De son côté^ le Comité central des corporations ne veut pas rester en arrière. Au nom de la Constitution violée, il décrète, de par sa toute-puissance révolution- naire, non-seulement la mise hors la loi du Président de la république, mais encore la déchéance de tous ceux qui ont voté la loi du 31 mai ; il déclare la majorité de l'Assemblée dissoute, et proclame la dictature de la minorité.
AUX T^VAILLEURS.
Citoyens et Compagnons ^
Le pacte social est brisé !
Une majorité royaliste, de concert avec Louis-Napoléon, a viplé la Constitution le 31 mai 1850.
D'UN CPHP piÉTAT. i^
j^lalgré.!^ grandeur de cet outrage, nous attendions, pour en obte- nir réclatante réparation, Sélection générale de 1^2.
Mais hier, celui qui fut le Président de la République a effacé ce^ date solennelle.
Sous prétexte de restituer au peuple un droit que nul ne peut lui ravir, il veut en réalité le placer sous une dictature militaire.
Citoyens, nous ne serons pas dupes de cette ruse grossière.
Comment pourrions-nous croire à la sincérité et au désintéresse- ment de Louis-Napoléon ?
Il parle de maintenir la République, et il jette en prison les répu- blicains ;
Il promet le rétablissement du suffrage universel, et il vient de former son conseil consultatif des bommes qui Font mutilé ;
Il parie de son respect pour l'indépendance des opinions, et il sus- pend les journaux, il envahit les imprimeries, il disperse les réunions populaires ;
Il appelle le peuple à une élection, et il le place sous Pétat de siège ; il rêve on ne sait quel escamotage perfide qui mettrait Télectcur sous la surveillance d'une police stipendiée par lui ;
Il fait plus, il exerce une pression sur nos frères de Tarméo, et viole la conscience humaine en les forçant de voter pour lui, sous l'œil de leurs officiers, en quarante-huit heures ;
Il est prêt, dit-il, à se démettre du pouvoir, et il contracte un em- prunt de vingtrcinq millions , engageant l'avenir sous le rapport des impôts qui atteignent directement la subsistance du pauvre.
Mensonge, hypocrisie, parjure, telle est la politique de cet usurpa- teur.
Citoyens et Compagnons! Louis-Napoléon s'est mis hors la loi! La majorité de rAsscmblée , cette majorité qui a porté la main sur le sufflrage universel, est dissoute.
S^e, kl miHoriié garde une autorité légitime. Rallions-nous autour de cette minorité. Volgns à la délivrance des républicains prisonniers ; réunissons au milieu de nous les représentants fidèles au suffrage universel ; faisons-leur un rempart de nos poitrines ; que nos délégués iriennent grossir leurs rangs, et forment avec eux le noyau de la nou- f 9|)e As^wblée n^ti^s^e.
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Alors, réunis au nom delà Constitution, sous l'inspiration de notre dogme fondamental Liberté-Fratemité-Égalité, à Tombre du drapeau populaire, nous aurons facilement raison du nouveau César et de ses prétoriens!
Le Comité central des Cobporatioivs.
P. S. La ville de Reims est au pouvoir du peuple ; elle va envoyer à Paris, au milieu de ses patriotiques phalanges, ses délégués à la nouvelle Assemblée.
Les républicains proscrits reviennent dans nos murs pour seconder Feffort populaire.
Cette pièce était affichée dès le matin du 3, ^ers neuf heures.
Ce décret, rendu par le comité central des Corpora- tions, montre jusqu'à quel point de démence peuvent arriver certains esprits. Voilà quelques hommes, sans autre mission que celles qu'ils s'arrogent, qui se font omnipotents, et qui prononcent la déchéance des deux grands pouvoirs de l'État, pour en organiser un à leur façon. Us constituent leurs délégués membres de cette pléiade de dictateurs qu'ils imposent à la France. On se croirait reporté aux beaux jours de février, en plein club des Incorruptibles. Une foule d'individus, échelonnés dans les rues et sur les boulevards, collaient de petites affiches signées Michel (de Bourges), et les arrachaient à l'approche des agents, pour les apposer de nouveau quand ils s'éloignaient. Rue du Gros- Chenet, un passant, pour lire une de ces affiches, veut en relever le coin qui se repliait; on croit qu'il veut l'arracher, et il se voit menacé d'un coup de poignard.
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L'homme au poignard était en pardessus et en gants jaunes.
Ainsi l'émeute s'organisait. Déjà on commençait à jeter dans les groupes les plus fausses nouvelles. Des régiments, prétendait-on, n'attendaient que le moment de fraterniser avec le peuple et de mettre la crosse en l'air ; leurs colonels étaient décidés à marcher pour dé- livrer les généraux et pour mettre à exécution les dé- crets rendus par les représentants dans lajournée d'hier.
Les hommes armés durant la mut parcourent les boulevards et les rues en groupes isolés et criant: ami armes! Chacune de ces escouades d'émeuticrs est suivie d'une foule nombreuse. C'est une de ces colonnes, formée d'environ deux ou trois cents individus, qui conimeDce l'attaque en se ruant, au coin de la rue Beaumarchais, sur uu peloton de gardes républicains qui emmènent des prisonniers. Les militaires dégainent et se replient sur leur poste avec leurs prisonniers, en ■e défendant pied ù pied. Deux des émeutiers, griève- flient hlessés à coups de sabre, sont transportés à la ca- ferne des Minimes. 11 était neuf heures et demie du matin.
On commence en même temps des barricades dans le Jaubourg Saint- Antoine. Trois représentants y sont à la tête des insurgés et les dirigent : ce sont MM. Baudin, Esquiros et Madicr de Montjau. Ils sont là depuis le ma- tin, lisant des proclamations, poussant !e peuple à la ré- ■irolle. Uo poète bien connu les accompagne et parcourt Avec eux le faubourg, où il a de nombreuses connais-
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sances parmi les affiliés des sociétés secrètes et les mem- bres des corporations. C'est au coin des rues Sainte- Marguerite et de Cotte que les barricades ont été com- mencées sous leurs incitations. Madier de Montjau en fait élever et en commande une dans une des rues ad« jacentes, près le boulevard Beaumarchais.
Dès le matin, les troupes de l'armée de Paris avaient pris leurs positions de combat et se tenaient prêtes à livrer une bataille décisive à l'insurrection. A ce mo- ment, l'animation des groupes, le mouvement des meneurs, donnaient lieu de croire que les insurgés voulaient un engagement. Un peu après dix heures, le général Marulaz, apprenant ce qui se passait dans le • faubourg Saint-Antoine, y envoya une colonne, formée de trois compagnies du 19* léger, sous le commande- ment du chef de bataillon Pujol. Pour appuyer ce mouvement, lui-même se mit à la tète d'un bataillon du 44*, lancé au pas de course dans la rue de Charonne, pour prendre en flanc, par la rue de Cotte, la position des insurgés. Ils étaient en grand nombre à la barri- cade, mais beaucoup n'avaient pas d'armes. Baudin et Esquiros étaient au milieu avec leurs insignes de re- présentants. En voyant arriver la colonne du comman- dant Pujol, ils montent sur la barricade , et Baudin, s'adressant aux soldats : a Camarades , leur dit-il, la Constitution est violée ; Louis-Bonaparte est mis, par le fait, hors la loi ; nous sommes représentants du peuple ; vous ne tirerez pas sur nous, vous ne tirerez pas sur vos frères. x> Le commandant somma les insur-
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S de se rendre, quand un coup de feu, parli de la barricade, vient frapper mortelleraent pr^s de lui le fusilier Siran. Le chef de bataillon commande le feu, et Baudin, atteint d'une balle au front, to-nbe mort. Ainsi que tous les autres défenseurs de la barricade , Esquiros prend la fuite. Nous voudrions, en face de ce trépas, nous abstenir; malheureusement, nous ne le pouvons, notre rôle d'historien ne le permet pas. Le matin, Baudin et ses amis se rendaient au faubourg en traversant la place de la Bastille. Un autre homme la traversait aussi, se rendant à son poste, poste de dévouement et de charité. Depuis vingt et un ans, il s'y rend ainsi tous les jours. C'est Frère Ildefonse, qu'on aime et qu'on révère dans tout le faubourg. En l'aperce- vant, l'un des montagnards s'écrie : « Dans deu* heures, les noirs et les blancs en verront de belles ! » L'homme à la robe noire , le vénérable ami des pauvres et du peuple, passe en haussant les épaules, tandis que le groupe montagnard traverse d'un air triomphant la foule indignée de celte grossière injure. Deux heures plus tard, Baudin tombait au premier feu de la troupe. Pourtant les avertissements ne lui avaient pas man- ' que. Le peuple lui-même s'était chargé de les don- ner sévèrement. Quelques heures avant l'attaque de la barricade, un autre représentant avait voulu for- cer les Auvergnats ferrailleurs de la rue de Lappe et des environs à donner des outils pour dépaver les rues. Ces braves gens, qui se souvenaient qu'on leur avait volé pour plus de 80,000 fr. de fer en février, s'étaient
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concertés pour résister. Au moment où le représentant veut forcer les ouvriers de M. Brocquin, rue d*Ava, à laisser prendre leurs fers, l'un d'eux lui porte un coup de besaiguë qui lui enlève une partie de la joue.
Non loin de là, rue de la Muette, un autre représen» tant en habit et pardessus, en gants jaunes et balançant une badine élégante , fait construire une barricade. Aussitôt qu'il la voit achevée, il veut prudemment se retirer. Alors on le traite de lâche, on se jette sur lui, on le frappe ; on l'aurait tué sans un digne ouvrier^ nommé Prieur, qui l'arrache des mains des assaillantsi et, le saisissant au collet, le conduit, aux acclamations de la foule indignée, à la prison de la Roquette, où le directeur le fait immédiatement incarcérer.
Le corps de Baudin a été transporté à l'hôpital Sainte- Marguerite et remis le lendemain à sa famille. Près* qu'au même moment, Madier de Montjau était blessé sur la barricade au coin du boulevard Beaumarchais.
La troupe maîtresse du faubourg, les insurgés le quittent et gagnent le quartier Saint-Martin. C'est à cette heure le rendez-vous général.
Dans les rues Saint-Martin, Saint-Denis, du Temple et leurs adjacentes, la matinée avait été employée à or- ganiser les moyens d'insurrection. On s'était présenté à domicile chez un grand nombre, de gardes nationaux, pour les engager à livrer leurs fusils. On parlait d'une tentative sur la préfecture de police, qu'on supposait mal gardée. Sans compter les sergents de ville, en grand nom- bre, parfaitement armés et prêts à faire le coup de feu.
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il y avait déjà deux escadrons de la garde républicaine. A dix heures, le général Magnan mettait à la disposi- tion du préfet un bataillon du 19' léger el trois pièces d'artillerie. Les insurgés devaient se porter sur la pri- son .Mazas; mais les dispositions habites, prises par M. de Maupas et par l'autorité militaire, ne leur per- mettent pas de mettre ce projet à exécution. Sur plu- sieurs points, notamment rue Popin court, on fait, dans la matinée, des tentatives de barricades. L'apparition de la troupe fait fuir ceux qui lèvent les pavés. Là, comme partout, on remarque que ceux qui commen- cent sont en petit nombre, toujours sous la direc- tion de personnages bien mis qui leur distribuent de l'argent, et qui, quand les premiers pavés sont levés, s'en vont ailleurs en faire faire autant. Quelquefois ces Messieurs eux-mêmes mettent la main à l'œuvre pour commencer. Sur les boulevards, dans les groupes, les physionomies sont à l'insurrection ; les hommes à fi- gures sinistres y sont en grand nombre. L'attitude est menaçante et la circulation devient difficile. A midi, le général en chef, prévenu par le ministre de la guerre, fait occuper militairement les boulevards, depuis le Château-d'Eau jusqu'à la Bastille, par des régiments de chasseurs, de cuirassiers et par de la ligne.
Certains points du boulevard étaient signalés comme étant des foyers d'agitation. ATortoni, au Café de Paris, les rassemblements étaient nombreux, et on lisait, vis- à-vis CCS établissements, une proclamation de déchéance
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contre le Président. M. de Maupas avait, de son côté, signalé ces faits au général en chef Magnan.
On agissait dans les rues; mais on se concertait dans les réunions. Elles sont aussi nombreuses, aussi animées qu'hier. On y est exaspéré de voir que le peu- ple, le vrai peuple, ne veut pas d'émeute, et que Topii- nion des travailleurs, des négociants, de tous les hommes d'ordre et de patriotisme est favorable au gouvernement, et antipathique aux hommes de partis. Pourtant on espère que dans la soirée quelque choc, quelque collision imprévue sera l'étincelle de l'insur- rection, et qu'alors elle pourra se propager et grandir. Peut-être l'agitation amènera-t-elle un conflit. Dans ce but, les tribuns des partis vont partout lire des pro- clamations et faire des discours. Le peuple ne veut pas se soulever ; il faut l'y contraindre. Dans certaines réunions, on décide que des délégués se rendront, à deux heures, place de la Bastille, pour s'emparer des cadavres des victimes, s'il y en a, et pour les promener par les rues en criant : aux armes. Ce moyen a réussi en février, peut-être aura-t-il le même succès. ;0a se donne rendez-vous, à six heures du soir, à la mairie du 6* arrondissement , où les délégués du comité central doivent se réunir ; puis à un café près la porte Saint- Martin, où un ancien officier de marine se chaîne, dit-on, d'organiser l'insurrection du faubourg. En at- tendant, on laisse les agitateurs des rues, représentants et autres, exciter le peuple et attirer, sur une multitude
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de points à la fois, Tattention de Tautorité et Tactivîté des troupes, qu'on espère fatiguer ainsi. Une de ces réunions a lieu, boulevard Montparnasse, pour les dé- légués des associations ; une autre a lieu , rue Neuve- Saint-Âugustin , 58, pour les représentants. Soixante environ s'y trouvent. Quant aux permanences établies par les rédacteurs de certains journaux, elles sont tou- jours en grande activité. Dans quelques salons aris- tocratiques, les allées et venues des émissaires sont incessantes : c'est là que sont en grande partie les ban- quiers de l'insurrection. Dans une de ces maisons, la femme de chambre disait à sa maîtresse : « Madame, c'est énorme l'argent que je distribue. — Allez toujours, lui répondit la grande dame, donnez tant qu'on vous demandera. »
Voyant que l'insurrection se lève, le ministre de la guerre fait afficher dans l'après-midi la proclamation suivante sur les murs de la capitale :
PROCLAMATION DU MINISTRE DE LA GUERRE
AUX HABITANTS DE PARIS.
Habitants de Paris, ^
Les ennemis de Tordre et de la société ont engagé la lutte. Ce n*est (Mtf contre le gouvernement, contre Télu de la nation quMls combattent ; mais ils veulent le pillage et la destruction.
Que les bons citoyens s'unissent au nom de la société et des familles menacées.
Restez calmes, habitants de Paris ! Pas de curieux inutiles dans les
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rues ; ils gênent les mouTcments des brayes soldats qui tous proté* gent de leurs baïonnettes.
Pour moi, vous me trouverez toujours inébranlable dans la yolonté de vous défendre et de maintenir Tordre.
Le ministre de la guerre. Vu la loi sur Tétat de siège , Arrête: Tout individu pris construisant ou défendant une barricade, on \m armes à la main, sera fusillé.
Signé : Le général de division ^ ministre de la guerre ,
De SAiNT-AaNàUD.
De son côté, M. de Maupas, préfet de police, prend Tarrêté suivant, qui est également affiché :
ARRÊTÉ CONCERNANT LES RASSEMBLEMENTS.
Nous, préfet de police ,
Vu le décret du 2 décembre 1851, qui met en état de siège la !'• di- vision militaire,
Aixètons ce qui suit :
Art. r^. Tout rassemblement est rigoureusement interdit. Il sera immédiatement dissipé par la force.
Art. 2. Tout cri séditieux , toute lecture en public , tout affichage d^écrit politique n'émanant pas d'une autorité régulièrement consti- tuée, ^sont également interdits.
Art. 3. Les agents de la force publique veilleront à Texécution du présent arrêté.
Fait à la préfecture de police, le 3 décembre 1851.
Le préfet de police ,
De Maupas. Vu et approuvé : Le ministre de Vintérietêr^
De Mqurt.
D'UN COUP D'ETAT.
A une heure , place de la Bourse, tjualre meneurs, te représentant Delbetz à leur tète, précèdent une iffi- mense colonne qui vient en criant : A bas le dictateur ! vive la constitution! vive la république! s'arrêter i l'angle de la rue Richelieu sur le boulevard. Le rassem- blement y est immense et la circulation des voitures est empêchée. M. Delbetz harangue le peuple et fait les motions les plus provocatrices. Vers trois heures, OD l'arrête au même endroit. C'est quelques instants après que la troupe vient prendre possession du boule- vard, de la porte Saint-Denis au faubourg Poissonnière.
A deux heures, des barricades sont commencées dans le quartier Rambuteau. Elles ne sont pas défendues. A quatre heures, voyant que le peuple ne bouge pas, les insurgés parcourent le quartier Rambuleaù, celui des Halles, les rues Saint-Denis, Grénetat, en criant : Fermez vos boutiques! prenez garde à vous ! aux ar- mes! tandis que des enfants de quinze ans, en blouses blanches pour la plupart, collent partout des alïîches incendiai i-es. Dans Is rues Au bry-le- Boucher, Trans- nonain, Beaubourg, Saint-Martin, Maubuée, on fait des barricades. Les insui^és s'embusquent derrière avec des armes. Ils sont peu nombreux. Pour la plu- part ce sont des enfants de quinze à vingt ans ou des bandits en rupture de ban. Un coup de feu fait fuir les meneurs. Près des Archives, un peloton de gendar- merie mobile est attaqué à son passage par des insur- gés, qui prennent la fuite au premier feu de ces braves militaires. Au coin de la rue du Grenier-Sainl-Lazare.
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les insurgés font une barricade avec une voiture de son qu'ils arrêtent. Sur tous ces points j le mot de ral- liement des émeutiers est Tayo, Tayo. On les entend s'appeler ainsi et se répondre d'une rue à l'autre. Deux colonnes lancées dans ces quartiers par le général Her- billouy qui, avec sa brigade, occupe l'Hôtel-de-Ville et ses environs, débusquent de partout les insurgés sans éprouver de résistance sérieuse. Â mesure qu'une bar- ricade est enlevée, les soldats dispersent ou remettent en place les matériaux qui ont servi à la construire. Le général Herbillon opère lui-même, dans les rues Beau- bourg, Rambuteau, Saint-Martin et Saint-Denis, avec le 9* bataillon de chasseurs à pied et une pièce d'artil- lerie , tandis que la seconde colonne , formée d'un ba- taillon du 6* léger, balaie la rue du Temple et les pe- tites rues latérales.
 quatre heures à peu près, l'insurrection faisait des barricades dans les rues voisines de l'Imprimerie na- tionale. Il était évident qu'on voulait s'emparer de cet établissement. Le directeur, M. de Saint-Georges, fait sortir une partie de la gendarmerie mobile mise à sa disposition par le général en chef. Les positions des insurgés sont enlevées sous un feu très-vif par la gen- darmerie, qui fait entrer dans la cour de l'imprimerie deux fourgons qui avaient servi à faire les barricades. Un jeune tambour du 1^^ bataillon fut blessé griève- ment dans cette circonstance. Il continua de battre la charge jusqu'à ce que la douleur et le sang qu'il perdait le fissent tomber sans connaissance.
D'UN COUP D'ÉTAT.
Après avoir éteint partout le feu des insurgés et pris leurs barricades , la troupe occupe quelque temps le quartier Transnonain. Le mouvement du général Her- bitlon s'était fait avec une grande rapidité. A cinq heu- res et demie, la circulation était rétablie partout et les boutiques rouvertes. Il semblait que les émeuliers eus- | sent abandonné leur champ de bataille et renoncé à combattre. Pendant ce temps-là, des charges avaient eu lieu sur les boulevards pour disperser les rassemble- ments, et ce but avait été à peu près complètement atteint.
Apres que les troupes engagées eurent regagné leur position à l'Hôtel-de-Ville, l'insurrection reprit son terrain. A sept heures du soir, rue de Rambuleau, des groupes nombreux se formaient. On y vovait beaucoup d'hommes armés de pistolets, de sabres. Quelques-uns avaient des fusils.
A la même heure, rue Saint-Honoré, un peloton de chasseurs de Vincennes, parti au pas de course du Pa- lais national, venait de faire feu sur des insurgés qui essayaient, à grands coups de marteau, de briser les grilles du temple protestant. A la première décharge, ils avaient pris la fuite. Un peu plus loin, un feu de pe: j loton avait suffi pour débusquer une trentaine d'hom- mes qui faisaient une barricade au coin de la rue des Poulies.
L'émeute ne larda pas a se concentrer dans le quar> tier Transnonain, dans la rue Beaubourg, dans la rue j Aumaire et leurs adjacentes. A huit heures, le colo-
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neH Chapuis, du 3« de ligne y attaque , avec un bataiHon de son régiment et une compagnie du génie, plusieurs barricades formées rue Beaubourg. Elles sont suecessl- Tement enlevées sous le feu des insurgés , et la tête de colonne, débouchant dans la rue Âumaire, y fait à droite et à gauche des feui de peloton sur les émeutiere qui s'enfuient. Deux hommes sont mortellement at- teints non loin de Tendroit dit la voûte Âuraaire, actuel lementen démolition. L'un des deux morts est un jeune homme , l'autre un vieillard , victime innocente peut- être, mais imprudente au moins. Ces deux cadavres , c'est ce que, depuis le matin, cherchent les insui^és; aussitôt après le passage de la troupe , ils viennent là une vingtaine sous le commandement de Joanny, et, improvisant un brancard avec une échelle et des plan- ches prises dans les démolitions de la voûte Aumaire, ils placent dessus les deux cadavres, et commencent dans les rues cette affreuse promenade que nous ver- rons se terminer sur le boulevard, à côté du Gh&teau- d'Eau , à onze heures et demie seulement. Joanny marche en tête ; ses satellites portent des torches et tous crient : «Vengeance! on a égorgé nos frères! aux armes ! » Et ils montrent les cadavres au peuple. L^o- dieux cortège se grossit dans sa marche d'une foule dé ces bandits des émeutesqui font tant horreur à voir. De temps en temps, il s'arrête; des rassemblements se forment, et il se trouve des orateurs pour exploiter cela ! Des représentants, des chefs de parti pérorent en compagnie de Joanny et de ses sicaires. Quand appa-
D'UN COUP D'ÉTAT.
raît une escouade d'agents do police , ou quand brillent les armes des soldats , le cortège prend sa course et va s'installer plus loin. Le peuple ne se lève pas!
Il est évident que les insurgés obéissent au mot d'ordre donné par les meneurs, et que leur but est de harceler, de fatiguer la troupe ; car ils font des barri- cades partout et ne tiennent nulle part. Quand ils sont débusqués d'un point , ils fuient dati s toutes les direc- tions et se cachent par groupes de trois ou quatre dans lesanfractuosilés des murailles, sous lesporlescochères, et attendent que la troupe soit partie pour refaire im- médiatement les barricades qu'elle vient d'enlever.
Ainsi, après l'attaque que nous venons de dire, deux fois encore dans la soirée, des barricades sont élevées et prises dans les rues Beaubourg et Aumaire ^ de même dans les rues Saint-Martin, Saint-Denis et leurs affluentes , des barricades sont abandonnées par les insurgés et reconstruites après fe passage des troupes, notamment au coin de la rue du Petit-Lion-Saint- Sau- veur, rue Sallo-au-Comte, nie Grénetat, rue du Petit- i Hurleur, rue des Deux-Portes. Aux barricades de la ] rue Aumaire, les insurgés ont eu, à la deuxième atta- que , trois des leurs tués. Le 28» de ligne a eu un tué ] et deux blessés. C'est à environ dii heures et demie ou onze heures que les barricades de ces rues ont été en- levées pour la troisième fois. C'est sur le soir à neuf heures qu'on commence à barricader la rue du Petit- , Carreau, sur les points où demain nous verrons l'insur- \ rection livrer un de ses plus rudes combats. Au fau-
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bourg Saint-Antoine, le poste de Montreuil a été enlevé, et au coin de la rue Sainte-Marguerite , où cinq repré- sentants péroraient, de Flotte en tête, on a commencé une barricade. Passage Saucède , les insurgés ont éteint le gaz et forcé les passants à marcher avec eux.
Rue Saint-Denis, ils ont renversé un omnibus rem- pli de voyageurs. Â onze heures et demie, le cortège commandé par Joanny, et promenant les deux cadavres de la rue Aumaire , forme un rassemblement d'environ mille personnes près du Chàteau-d'Eau. Une charge énergique, opérée par une escouade d'environ trente sergents de ville, sous les ordres du brigadier Revial, met en fuite cette horde hideuse. Un bataillon de chas- seurs, dans les rangs duquel les fuyards vont se jeter, en conduit à peu près une centaine à la Préfecture. Les sergents de ville restent maîtres des deux cadavres, qui sont portés, mis en lieu convenable avec celui d'un insurgé qui vient d'être tué.
La dernière affaire sérieuse de la journée a lieu rue Volta, où une compagnie du 28* enlève une barricade aux insurgés, à peu près à la même heure. Deux gre- nadiers sont blessés, un insurgé reste sur la barricade. Tout le reste de la nuit, les rues sont libres à peu près partout. Cependant de loin en loin on entend quelques coups de feu. Ils sont tirés par des bandits qui, cachés dans l'ombre, visent des soldats en patrouille.
Le lieutenant-colonel Fleury, aide-de-camp du Pré- sident, a eu son képi traversé par une balle, à la hau- teur du boulevard du Temple.
D'UN.COUP b'ÉTAT. n9
Dans celle journée, la troupe a fait admirablement ' son devoir; elle a montré partout cet élan, présage certain de la vicloîre; mais elle est au dernier point irritée. La tactique des insurgés la harcelant partout, n'acceptant nulle part le combat qu'elle brûle de livrer, loin de la décourager, comme on l'espère, anime son ardeur. Puis, à côte de ce sentiment , il y a celui d'une bien légitime indignation. 11 y a des assassins parmi ees adversaires, ces hommes que nous venons de dire, qui, par les Tenêtres, par les soupiraux des caves, vi- sent à coup sûr et sans danger des soldais isolés; des bandits, qui attendent au passage des ofûciers d'or- donnance.
L'un des chefs de l'insurrection de Paris, un ancien officier, présidant une réunion à l'entrée du faubourg Saint-Denis, avait annoncé et fait adopter le projet de désarmer les gardes nationaux du faubourg Saint-Ger- main dans la soirée du 3. On devait se réunir sur divei's points à la fois, et opérer en môme temps dans les prin- cipales rues de ce vaste quartier, où l'on prétendait qu'on ne rencontrerait pas d'opposition chez ta plupart des gardes nationaux appartenant au parli légitimiste. On espérait se procurer ainsi dans un instant une très-grande quantité d'armes. Ce plan était hardi, mais il deman- dait pour l'exécution une décision, une audace, qu'on trouve rarement chez un grand nombre d'hommes à la fois. A la réunion, tous avaient promis de venir au ren- dez-vous et d'y venir bien accuniuaenés. Mais il ne fal- lait pas se le dissimulf ^rmes dan-
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iSO HISTOIRE D'UN OI»]F:]Ma'AT.
gers. On redoutait TinterYention de M. de Maupas au moment de TexécutioD^etron avait une crainte extrême des mesures prises avec une grande habileté par le gé- néral Renaud sur la rive gauche de la Seine. Le préfet de police était instruit de tout, et si les hommes qui devaient se réunir l'eussent fiait , ils n'auraient point désarmé le faubourg Saint-Germain. Mais soit qu'ils eussent été prévenus , soit que la crainte les eût arrêtés , ils ne vinrent au rendez-vous donné qu'en nombre tout à fait insuffisant, et on dut abandonner le projet. Du reste j plusieurs des principaux d'entre eux avaient été arrêtés entre la résolution prise et l'heure de l'exécution.
Durant toute cette journée du 3 , les hommes chargés de veiller à la défense de l'ordre ont montré la plus grande activité. Les chefs militaires , le ministre de rintérieur, le préfet de police, se sont vraiment multi- pliés.
Il y a eu deux cents arrestations et trente-deux nK>rts.
IVSV&&SGTIOV A FA&IS.
(suite.)
JOOBNÉE OU 4.
Ainsi que nous Tavons vu , pas uu résultat sérieux n'a été obtenu dans la journée d*hier. L'insurrection s'est montrée partout, mais nulle part elle n'a voulu engager sérieusement l'action. Cette tactique n'a point échappé à la clairvoyance du général en chef Magnan. Elle n'a pas non plus échappé à celle de M. de Morny. « Le plan des émeutiers est de fatiguer les troupes, di- sait-il, pour en avoir bon marché le troisième jour. C'est ainsi qu'on a eu les 27, 28, 29 juillet, 22, 23, 24 février. N'ayons pas 2, 3 et 4 décembre, avec la W/me fin. 11 faut faire reposer les troupes, ne pas les ii^utUement La police seule pour épier les
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projets; la troupe pour agir vigoureusement si ces pro- jets s'exécutent; mais, en attendant, du repos aux sol- dats. Les patrouilles incessantes et fortes n'empêchent rien; elles rendent l'action des troupes moins effi- cace le lendemain. Ne suivons pas les vieux errements. »
11 faut en finir et forcer les insurgés à livrer une ba- taille décisive. Dans ce but, on a levé dès hier soir tous les petits postes; on a fait rentrer les troupes dans leurs casernes. Livrée à elle-même, Tinsurrection va bien être obligée de choisir son terrain , de s'y établir, et cela fait d'y combattre. Le général en chef est sûr de ses troupes. Les soldats ont confiance en lui et dans les généraux qui commandent sous ses ordres. Tous brûlent de combattre.
Quelque formidable que soit Tarmée du désordre , la victoire n'est pas douteuse. Quand le pouvoir n'ab- dique pas en face des insurgés , ils sont vaincus. Ce qu'ils ont pu prendre parfois pour leur force et leur triomphe , c'est tout simplement la désertion de ceux qui, chargés de défendre la société, étaient assez faibles, assez coupables pour la leur livrer. Notre armée fran- çaise est fille de celles qui , pendant vingt ans , ont fatigué la victoire à les suivre ; elle n'a point dégénéré. Tous ces braves soldats, que l'Algérie a vus triompher tant de fois des éléments et des hommes , ne tremblent pas devant les émeutiers de Paris. En février, l'armée n'a pas été vaincue ; elle a été paralysée , puis livrée et trahie. Jamais on ne pourra supputer les larmes d'in- dignation qu'elle a versées dans ces jours néfastes. La
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honte de ces jours à qui l'a méritée ; justice à l'armée qui fut indignement abandonnée !
Dès le matin , le ministre de la guerre fait afficher de nouveau, à grand nombre , sa proclamation d'hier, qui décrète que tout insurgé sera passé par les armes.
En même temps , M. de Maupas fait placarder la pro- clamation suivante :
LE PRÉFET DE POUCE AUX HABITANTS DE PARIS.
Habitants de Paris !
Comme nous , vous voulez Tordre et la paix ; comme nous , vous êtes impatients d*en finir avec cette poignée de factieux qui lèvent depuis hier le drapeau de Tinsurrection.
Partout, notre courageuse et intrépide armée les a culbutés et vaincus.
Le peuple est resté sourd à leurs provocations.
II est des mesures néanmoins que la sûreté publique commande.
L'état de siège est décrété.
Le moment est venu d'en appliquer les conséquences rigoureuses.
Usant des pouvoirs qu*il nous donne,
Mous, préfet de police, arrêtons :
Art. 1*'. La circulation est interdite à toute voiture publique ou bourgeoise. Il n'y aura d'exception qu'en faveur de celles qui servent à Talimentation de Paris, au transport des matériaux.
Les stationnements des piétons sur la voie publique et la formation de groupes seront, saw sommation^ dispersés par les armes.
Que les citoyens paisibles restent à leur logis.
11 y aurait péril sérieux à contrevenir aux dispositions arrêtées.
Fait à Paris, le 4 décembre 1851 .
Le préfet de police^
De Maupvs.
ia4 HISTOIRE
Ces mesure» énergiques annoncées, ces avertisfi^ ments donnés, de quoi peuvent se plaindre les cou- ' pables et les imprudents?
Leis curieux sont, en pareilles circonstances , les ani&ilîaires des émeutiers. Quiconque est à la barricade doit être considéré comme un insurgé. Quiconque ne reste pas à son logis peut être pris pour un fauteur d'insurrection. Certes, on doit déplorer toujours qu'il y ait des victimes imprudentes ; mais cette fois elles se- ront sans excuse. Aussi loyale qu'elle est sévère , l'au- torité n'a laissé ignorer le danger à personne. Souvent on est systématiquement injuste. Est-ce la répression qui est responsable de ces malheurs privés qui mettent en deuil les familles et les cités? N'est-ce pas plutôt l'insurrection? Pourquoi donc l'innocenter d'un tel crime?
Si l'autorité militaire a compris et déjoué la tactique des insurgés, ces derniers ont compris aussi dans toute son étendue la périlleuse nécessité à laquelle on les condamne.
Ils sentent quUl faut accepter la lutte; mais il faut la faire désespérée. Les meneurs se sont réunis et les plans sont arrêtés. On ne recule devant aucun moyen pour soulever le peuple. Ni les incitations des chefs de parti , ni les discours incendiaires faits dans les rues , ni la hideuse exhibition des cadavres de la rueÂumaire, rien n'a pu le remuer. On va répandre au milieu de lui les plus fausses nouvelles, tout ce qui est de nature à jeter l'alarme , à amener l'adhésion des faibles et
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da moins Fhésttation des autres. Peut-être parvien- dra-4-on même à faire tourner un ^orps de troupes , onTespère; et ensuite on compte sur l'en tratnement de l'exemple.
Ce plan, conçu et arrêté par certains habiles du parti fouge, on trouve immédiatement une armée prête pour Pexécution. Tous les frères et amis, tous les chefs des associations secrètes, tous les rigoristes de la rue Lepelletier, tous les désappointés de la fusion et les gants jaunes de la légitimité, se mettent en campagne. Dans un instant, les fausses nouvelles les plus graves circulent dkns Paris. Cela se fait avec la rapidité de Féclair; cela 86 propage comme une traînée de poudre. Sur les murs on affiche le placard suivant :
Habitants de Paris !
LeB gardes nationales et le peuple des départements marchent sur IteiSy pour nous aider à saiâir le traître Louis-Napoléon Bonaparte.
Pour les représentants du peuple, Victor Hugo, président; Schoelcher, secrétaire.
Les colporteurs de fausses nouvelles parcourent les mes, pérorent dans les groupes, entrent dans les mai- tons , et dans un instant tout Paris sait qu'à Lyon , a Amiens, à Lille, à Rouen, Tinsurrection est victorieuse, et que le général Neumayer, parti de cette dernière ville arec deux régiments, et entraînant les populations sur sa route , est aux portes de la capitale avec trente mille
lao HISTOIRE
hommes. Ix général Lamoricière s* est échappé de prison ; il est sur les boulevards à la tète de régiments qui ont pris parti pour l'Assemblée contre le Président. La cour de cassation s'est transportée à Versailles et y est en permanence. La haute cour de justice y siège aussi, sous la protection des régiments qui s'y trouvent et de la garde nationale. La déchéance et la mise hors la loi du Président sont prononcées. Mille autres nou- velles semblables, et aussi absurdes sont propagées par les agents des partis. Ils poussent du reste aux dernières limites l'audace du mensonge. Si on manifeste un doute sur leurs affirmations, ils n'hésitent pas et disent : Je suis sûr ; je tiens ce que je dis de témoins oculaires ; d'autres vont plus loin et disent : Je sors de voir Neu- mayer ou Lamoricière faisant le coup de feu à la tête de leurs troupes. Puis on met l'odieux , l'ignoble , à côté du faux. On dit que le Président vient de faire prendre de force, à la Banque, vingt-cinq millions pour acheter les troupes et les généraux , comme si en France Thoniieur militaire et le courage étaient à vendre. On crie à la tyrannie ; on parle de persécutions commises envers les prisonniers politiques. Le général Bedeau a été blessé à coups de baïonnettes. Le général Cavaignac a été bâillonné , et on lui a mis les menottes comme à un malfaiteur. En un mot, tout est bon aux hommes de parti qui s'apprêtent à verser le sang fran- çais. Pour réunir plus de soldats sous leurs drapeaux sacrilèges, ils ne reculent devant aucun mensonge , devant aucune calomnie.
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D'UN COUP D'ÉTAT. 187
Si rhonnètcté manque à celte lactique, certes on doit avouer qu'elle est habile. Elle pouvait avoir les ré- sultats les plus déplorables, non-seulement sur la po- pulation, mais encore sur ses défenseurs. Mais, Dieu merci , les anarchistes ont compté sans la vigilance de l'autorité, sans l'activité et le dévouement du préfet de police, sans l'énergie de i-ésolution du ministre de la guerre. Minute par minute, les différents chefs d'ad- ministration, ù t'aide des télégraphes électriques qui sont établis dans leurs bureaux, se concertent, s'in- struisent de ce qui est vrai , de ce qui est faux. Il y a unité de plan, de décisions, d'exéculiou.
Informé de ce qui se passe, le ministre de la guerre fait afTicher dans tout Paris un arrêté qui assimile les colporteurs de fausses nouvelles aux insurgés, déclare qu'ils seront arrêtés comme complices et livrés aux conseils de guerre.
L'énergie employée à propos manque rarement son but. L'arrêté dont nous parlons refroidit singulière- ment les propagateurs de fausses nouvelles. Celui qui menace les insurgés d'être fusillés produit un effet non moins salutaire. Beaucoup qui avaient l'intention d'al- ler aux barricades s'en retournent chez eux.
Cependant le mot d'ordre est donné sur toute la li- gne de l'insurrection. On sent qu'on ne peut pas ini- tier tout Paris au plan qu'on avait arrêté d'abord. EU maintenant que les troupes sont retirées, qu'on est maître du terrain, si l'on crie : aux armes, il faut qu'on les prenne soi-même; si l'on pousse à faire des barrica-
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êesy il faut soi-même y travailter. On combattra, puis- qfoe, malgré soi, on est sur un champ de bataille oii il faut combattre.
Durant toute la nmtinée, des ex-représentants , dès hommes appartenant aux classes riches et en bien plus grand nombre qu'hier, parcourent les rues, exci- tant le peuple à la révolte, lisant des proclamations et répandant de fausses nouvelles.
De neuf heures à midi, on commence à faire des bar^ ricades dans tout l'espace compris entre les boulevards, les rues Rambuteau, Montmartre et du Temple. Les principales barricades sont faites successivement et par ordre d'exécution dans les rues Saint-Martin, do Temple , aux boulevards Saint-Martin et Sakit-Dénis, puis rues Beaubourg et Transnonain , rue de Yolta, rue Phélippeaux , rues du Petit-Carreau, Montoi^eil, Rambuteau. En même temps, elles s'élèvent, comme par enchantement, dans les rues latérales des grandes voies que nous venons de nommer. Les plus fortes de la journée du 4 sont celles de la rue de Rambuteau, prin- cipalement celles qui occupaient les carrefours Rambu-* teau-Saint-Denis et Rambuteau-Saint-Martin. Sur le premier de ces deux points, le carrefour était ferme par quatre barricades. Venaient ensuite celles de la rue Saint-Martin, notamment à l'entrée de la rue Grénetat. Puis celle du boulevard , à l'entrée de la rue Saint- Denis ; elle était formidable. Lés barricades de la rue du Petit-Carreau , surtout au corn des rues Bourbon-
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If^illeiieuve et da Cadran, étaient aussi du nombre des plus fbrties.
Nom avons recueilli, sur les lieux mêmes que l'insur- teeticfri àtait choisis pour champ de bataille, des détails qtue nous donnons comme certains et qu'il est impor- tant de connaître, pour avoir une idée juste de cette guerre impie, de l'égoisme des partis et de l'anarchie contre la société.
Rue Beaubourg, au coin de la rue Jean-Robert, une Itorricafde a été commencée avec une voiture, amenée de la rue des Gravilliers. Trente hommes environ la traî- liàient. Sur ces trente, il y en avait au moins vingt par- feitement mis et appartenant aux classes élevées. Au moment du danger, ils sont partis, laissant quelques misérables à figures atroces et quelques jeunes gens qu'ils ont payés pour se battre.
Dans la rue de Rambuteau, la première barricade a été faite à mi-chemin de la pointe Saint-Eustache à la fue Saint-Denis, vis-à-vis la maison de M. Paton, phar- macien-droguiste. Les hommes qui l'ont commencée étaient de ces repris de justice, de ces forçats échappés, âe ces scélérats qui, le soir, guettent et assassinent les passants. On ne saurait, nous ont dit ceux qui les ont tUs à l'œuvre, trouver d'expression qui puisse ren- dre l'horreur qu'on éprouvait à leur aspect. C'était qnelque chose de hideusement atroce qu'on ne pour- ftdt exprimer. Et pourtant un ex-représentant du peu- ple était là, fraternisant avec ces hommes et leur don-
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nant des poignées de main. Ce représentant aUaît d'une barricade à l'autre dans la rue. Il était légère- ment boiteux. Quand la barricade fut construite : c II nous faut des armes maintenant, disent ces hommes, forçons les boutiques pour en prendre. » Si beaucoup d'habitants dans cette rue ont eu la faiblesse de les donner, si quelques-uns même les ont offertes, d'au- tres ont eu un noble courage, celui de refuser et de résister aux menaces des insurgés.
Un des misérables que nous venons de dire, fait sau- ter, à coups de barre de fer, un panneau de la devanture de M. Paton, et passant sa tête : « Vos armes? dit-il. — Vous ne les aurez pas, répond ce brave citoyen. — On vous y forcera bien. — J'attends que vous le fassiez. » Â plusieurs reprises l'insurgé insiste. « Si vous ne les donnez pas, on va mettre le feu à votre maison. — Eh bien ! venez le mettre si vous l'osez, » répond M. Pa- ton. Les insurgés se retirent en disant : «Allons voir ailleurs , on sera peut-être plus accommodant. » En février, ce courageux citoyen, non-seulement avait re- fusé de faire de la poudre, quoiqu'on le menaçât d'un coup de hache, mais encore avait, chassé les insurgés de chez lui. Plus tard, un club démagogique s'installait dans son quartier. Les doctrines les plus épouvanta- bles y étaient prêchées, les motions les plus atroces y étaient faites. M. Paton vient les combattre, on lui porte un coup de poignard qui perce son paletot. Mais son énergie domine cette horde de bandits ou d'in- sensés. Celui qui le frappait était un repris de justice.
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On nomme M. Paton président du club. Quelque temps après, il le fermait en faisant comprendre aux ouvriers qu'il valait mieux travailler que perdre son temps à s'occuper de politique. On ne saurait trop louer de tels actes de courage. Ils méritent d'être cités comme exem- ple à tous les bons citoyens.
Vis-à-vis chez ce négociant, il y avait une maison en construction ; des maçons y travaillaient, l^es insurges, pour prendre les outils de ces braves ouvriers et pour les forcer à se mettre eux-mêmes dans leurs rangs, en- foncent les portes provisoires de la maison ; mais les maçons se défendent courageusement et chassent leurs ^esseurs.
Un peu plus loin, au carrefour Rambuleau-Saint- Denis, c'étaient deu\ représentants qui avaient déter- miné la formation des barricades. Ils avaient lu aux groupes assemblés des proclamations de la Montagne. Celui qui lisait était agité d'un tremblement nerveux que tout le monde remarquait. Il n'avait pas l'excuse de la jeunesse; n'avait-il donc pas non plus celle du courage? Élait-ce un remords anticipé qui l'agitait ainsi î Dieu le veuille ! car bientôt après on relevait sur les barricades les cadavres de plusieurs jeunes gens que ses paroles y avaient amenés, et qui étaient venus mêler leur sang précieux à celui des bandits de l'émeute. L'un de ces jeunes gens était un artiste. Les artistes! pauvres fous, hommes des illusions et des rêves, jamais ils ne s'arrêtent dans les réalités, toujours ils sont vic- times des idées creuses et des théories insensées; tous
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tes gluaut leur sont bons, tout ce qui a Tapparenee de la générosité les séduit. Ce jeune homme est tombé là^ tomme tant d'autres. Espoir d'avenir, promesses de génie peut-être, amour de la famille certainement, d'autres amours encore, tout a fini là ; et maintenant, ceux qui n'ont que les regrets et les pleurs ignorent oii repose sa dépouille mortelle. Si vous lisez ces lignes, vieillard à cheveux blancs, qu'on a vu trembler en fo- mentant l'émeute, en appelant le meurtre, mêlez vos larmes silencieuses d'expiation aux larmes des regrets. Priez Dieu qu'il vous pardonne comme vous pardonne quelqu^un qui pleurera longtemps !
Aux barricades de ce carrefour, on a vu des choses ignobles. Des hommes bien mis, des riches sont venus. Ih se sont vêtus de blouses dans une maison* voi- sine; ils ont travaillé aux barricades. Et les barri- cades une fois faites, ils sont vite allés reprendre leurs beaux habits et sont partis. C'était l'heure du danger.
On y a vu aussi des choses atroces. Un passant veut faire des remontrances, veut empêcher le désordre. On le prend, on l'attache en croix, les bras et les jambes écartés sur la roue d'une voiture à demi renversée. t.e moyeu lui confond les reins. On foit à plusieurs reprises le simulacre de le fusiller, puis on dit : «Ne le tuons pas, il aura les premières décharges de la troupe. » D'autres insurgés l'ont détaché. Ce fait nous est garanti parles négociants dont la barricade touchait les maisons. B9 nous ont dit encore qu'un autre avait failh, au même
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lieu, être étranglé. On l'avait pris à la gorge, oo lui tordait sa cravate. VA on nommerait cette guerre uoe guerre d'opinion ! Quand on sait les atrocités qu'elles commises partout, quand on voit le personnel de ses combattants, il faut bien le dire, c'est la guerre de la barbarie contre la civilisation. Honte, mille fois honte aux ambitions, aux cgoïsmcs qui ont consenti à se servir de pareils moyens pour faire triompher leurs intérêts! Quelque chose qu'il ne faut pas omettre se passait en niéme temps rue Sainl-Martin, dans l'esiiace compris entre deux barricades, c^llc qui barrait la rue Gré- nctat, ut l'autre qui, à trente pas, barrait la rue Saint- iUarlin, vis-à-vis le restaurant Bonvallet. Là aussi, il y , avait un représentant. C'était un vieillard aussi, lui, ,de cinquante à soixante ans. U avait au bras une jeune femme à la mise élégante, cl belle, à ce qu'on dit. On l'a vue, cette jeune femme, distribuant aux insurgés de l'iiigent, après cela leur jetant ses bijoux, leur pro- diguant des poignées de main ; puiselle les appelait ses amis, les encourageait ù bien se battre. Elle leur payait d'avance le prix du sang. Elle leur donnait ses mains cl ses joyaux, ce que d'ordinaire une femme ne donne qu'à ceux qu'elle aime d'amour ou de charité.
a Forcez donc, disait-elle, tous ces lâches qui se ren- ferment dans leurs maisons à venir vous aider et à combattre avec vous. » En raéme temps, et comme pen- dant à cette créature déclassée, il y avait là une sorte de bandit, de forçat, peut-être, qui criait : u Défoncez les boutiques, jetez tout par ■ 'etez les
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meubles! » C'était bien sa place et son langage, à lui; mais une femme ! Quand Témeute riigit dans les cités et que la mort vole dans l'air, femmes, voire place est chez vous, au milieu de vos enfants. Là, priez Dieu qu'en ces jours néfastes il ne fasse pas trop d'orphelins et qu'il garde les enfants aux mères. Il en est quelques- unes qui vont aux barricades , comme il en est qui vont sur les autres champs de bataille. Quand une femme vient panser des blessés, apporter aux victimes le baume des consolations, elle est encore à sa place ; celle-là, c'est une héroïne, c'est elle qui est vraiment noble et grande. Mais celle qui, pour ses passions politiques, n'a pas horreur du sang, qui marche avec les émeutiers et qui les encourage, n'est pas une femme. Nous laissons à la pudeur révoltée du sexe qu'elle outrage à lui donner le nom qu'elle mérite.
Le lendemain , elle osait , encore au bras de son mari , passer sur le lieu du combat. Peu s'en fallut que les honnêtes citoyens qui nous ont donné ces dé- tails ne l'aient arrêtée pour la conduire en prison.
On a vu aussi, à la grande barricade de la rue Saint- Denis, une femme travailler à arracher les pavés, et exciter les insurgés.
Mais le fait culminant, celui qui domine tout, comme physionomie de cette guerre exécrable faite par les partis, c'est le suivant. Nous l'avons écrit sous la dictée de témoins oculaires, des habitants du quartier. A ces mêmes barricades des rues Saint-Martin et Grénetat, il y avait un certain nombre de meneurs, de chefs de
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parti. K leur costume, à leurs manières, on voyait ce qu'ils étaient, on le vil encore mieux à l'heure du péril : ils partirent tous. Eh bien 1 quand ces hommes virent que les barricades avaient pris un aspect formidable et qu'elles étaient garnies de défenseurs, ils voulurent ar- borer dessus des drapeaux. Puis la division se mit entre eux; l'un plantait un drapeau blanc, l'autre un dra- peau rouge, l'autre un drapeau noir. Chaque parti ren- versait le drapeau du parti contraire. Plusieurs furent ainsi arborés, puis arrachés. On en vint presque aux mains, et les soldats stipendiés de l'émeute regardaient ■làire et disaient en termes qu'on nous permettra de transformer: «Mais, en définitive, pour qui donc allons-nous nous faire tuerî — Peu vous importe, allez toujours, il y a cent raille francs pour vous, » ré- pondait-on. Ce fait est caractéristique, il est le stigmate de cette alfreuse guerre. Ces partis qui déjà se disputent l'émeute, pauvre France, qu'eussent-ils fait de loi, si la Providence eût permis leur triomphe! Les voilà qui combattent tous avec les mêmes soldats, qui recrutent dans l'écume sociale tout ce qui assassine et tue pour de l'argent.
A l'œuvre, à l'œuvre! les parricides, frappez tous le cœur de la patrie, chacun de vous espère qu'il res- tera, proie ensanglantée, accroché au bout de son poi- gnard !
C'était la même chose partout. Rue du Petit-Carreau, c'est un homme décoré et richement \étu, qui fait amener, à l'angle de la rue Bourbon-^' " ■*«. la
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toiture chargée de décombres avec laquelle on coo^ mence la barricade. Lui-même décharge cette voiture. Pendant que l'insurrection fait des barricades dan» Paris, des représentants, réunis à Belleville, rue des Amandiers, font des proclamations incendiaires, et eii- pédient fréquemment des ordres dans toutes les direo tions. M. le préfet de police, instruit de ce qui se passe, veille avec le plus grand soin à ce que ces proclamations ne puissent être affichées. Malgré les précautions de la police, on parvient à coller, en plusieurs endroits, la pièce suivante :
PEUPLE!
Depuis trois jours les valets de la Russie régnent dans la capitale. Les armes te manquent; ta presse est tuée. Prends les armes de tes ennemis. Va briser les presses napoléoniennes, afin que nos frères des provinces ne soient point arrêtés dans leur élan patriotique par de fausses nouvelles.
Plusieurs départements victorieux s'avancent.
Paris le sera.
Pour le comité des proscrits^ J. Cledat.
Pour le comité central de résistance^ L.-M. GUÉRIN.
Sur toute la ligne des boulevards, les groupes sont nombreux, menaçants. Les émeutiers attaquent les officiers isolés. Le matin, ils ont assassiné un gendarme mobile qui portait une ordonnance; à midi, à l'instant
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OÙ on renversait les voilures pour barricader les rues Saint-Marlin et Saint-Denis, deux officiers de la ligne ont été assaillis, sur le boulevard Poissonnière, par une horde de forcenés qui les ont blessés grièvement et les ont entraînés dans la rue du Faubourg-Poissonnière, où ils ont disparu. A peu près au même moment, un of- Hcicr d'état-major de la garde nationale a été renversé de clieval au coin de la rue Richelieu; mais immédia- tement les émeuliers ont pris la fuite. Toutes les bou- tiques sont fermées depuis la Chaussèe-d'Anlin jusqu'à la Madeleine. La mairie du 5* arrondissement est prise par les insurgés qui desarment le poste de gardes na- tionaux qui s'y trouve. A la mairie du 2' arrondîsse- icnt, une tentative pareille a eu lieu, mais elle a été 'énergiquement repoussée.
Le maire lui-même racontait l'événement en de- inandant du secours: » Pendant un instant, disait-il, la Mairie a été assaillie par une bande d*insurgés, qui ont 'ien'é d'enfoncer la porte d'entrée. Le poste de la garde nationale n'est composé que de vingt-cinq hommes. ;'esl trop peu pour résister. Envoyez de la ligne, afin ique je puisse sauvegarder la mairie, ses archives, et aintenir les fonctions qui m'ont été confiées, n A midi, le général en chef Magnaii connaissait entiè- rement, par ses rapports et par ceux du préfet do police, la position des insurgés. Il savait que , sur plusieurs points, les barricades étaient formidables ; mais il avait ■^décidé de n'attaquer qu'à deux heures, et, inébranla- tilo dans ce dessein, il ne voulut pas, quelques instances
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qu'on fît près de lui, avancer d*un seul moment le signal de la bataille. Il voulait la livrer décisive et lais- ser aux insurgés tout le temps possible pour se réunir et pour prendre les mesures qui leur donneraient la confiance nécessaire pour engager la lutte. * Le général avait calculé qu'en deux heures il aurait partout vaincu l'insurrection. L'ardeur des troupes lui était connue. Il savait quels généraux il avait sous ses ordres. Cette confiance était partout. Quand le général en chef avait dit au ministre : « Laissez-moi faire, et je vous réponds de tout; » le ministre avait répondu : « Je vous laisse faire, parce que je vous connais. »
Un peu avant deux heures, le général en chef écrivait au préfet de police : «Dans un instant vous allez en- tendre le canon. Les divisions Carrelet et Levasseur sont en opération de combat. J'ai voulu pour com- mencer que tout mon monde fût réuni et bien sous ma main. Il va l'être. Soyez tranquille, l'affaire sera vigoureusement menée et promptement termi- née. »
C'est un lambeau déchiré aux proclamations de nos grandes guerres ; c'est comme un écho du style napo- léonien. On sent, en lisant ces lignes, à quelle école appartient le général Magnan.
Toutes les dispositions sont admirablement prises. Les quartiers insurgés sont enfermés dans un cercle de fer.
L'armée occupe les positions suivantes : La brigade Bourgon est sur le boulevard entre les portes Saint-
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Denis et Saint-Martin ; les brigades de Cotte et Canro- bert sont massées sur le boulevard des Italiens; le gé- néral Dulac occupe la pointe Saint-Eustache , et la cavalerie du général Reybell est rangée dans toute la ■]— iongueur de ta rue de la Paix. Ces cinq brigades for- ^bent la division Carrelet.
^T La division Levasseur prend l'insurrection du côté opposé. La brigade Herbillon occupe l'Hôtel-de-Ville; la brigade Marulaz, la place de la Bastille, et la brigade Courtigis, arrivant de Vinceimes, est aux portes du faubourg Saint-Antoine. La division de grosse cavalerie du général Korte est aux Champs-Elysées, ^» A deux: heures de l'après-midi, toutes ces troupes K^'élancent à la fois. Le général Bourgon , avec sa bri- gade, remonte le boulevard jusqu'à la rue du Temple, foudroyant fémcute partout où elle ose se montrer. Puis, s'engageant dans cette rue , il attaque et renverse successivement toutes les barricades qui s'y trouvent jusqu'à ta rue de Rambuleau. i^. Le général de Cotte, conduisant sa brigade, vient al- Hlaqucr la formidable barricade de la rue Saint'Denis. C'est le bravo 72" de ligne qui forme la tête de colonne. LccolonelQuilico, qui le commande, était au lit malade quand l'ordre est venu de marcher. Un colonel fran- JHcais n'est pas malade un jour de bataille. Une décharge Blerrible accueille le 72". Le général de Cotte a son cheval (ué sous lui; le colonel Quilico est blessé; le lieutenant colonel Ix>ubeau, l'adjudaut-major. sont tués, vingt hommes tombent auprès d''»
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çleetrisés à la vue de leurs chefs tués ou blessés^ s'élaiip- cent, et, après une vive résistance, la barricade est eo*- levée. Les insurgés y sont nombreux , la plupart y trouvent la mort. Cet obstacle franchi, la ccdonne s'engage dans la rue Saint-Denis, Un bataillon du 15* léger est lancé dans la rue du Petit-Carreau qui est fortement barricadée. Partout rin^pétuosité du général de Cotte triomphe de la résistance de rinsurrection.
En même temps, le général Canrobert arrive à la porte Saint-Martin , et culbute successivement les in- surgés à toutes leurs barricades dans la longueur de la rue du Faubourg-Saint-Martin et dans les rues adji^ centes. Presque toutes les barricades de la grande rue sont enlevées par le 5* bataillon de chasseurs à pied, que le commandant Levassor«Sorval conduit avec une admirable intrépidité.
L'enne ni a fondé les plus grandes espérances sur les barricades vraiment formidables de la rue de Rambu*^ teau. Le général Dulac les attaque, ainsi que celles des rues voisines, avec les trois bataillons du 51* de ligne, commandé par le colonel de Lourmel, un bataillon di 19* de ligne, un du 43" et uue batterie d'artillerie. Rue de Rambuteau la résistance est terrible; le canoa gropde et les feux de la troupe sont tellement nourris , que, pendant près de cinq quarts d'heure, c'est une tempête de détonations. Mais rien ne peut résister à l'élan de nos soldats , malgré l'habile défense des in-t surgés : ils les forcent dans leurs retranchements et en passent quelques-uns par les armes« Il y avait là, parmi
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Taisant
les insurgés, d'anciens satellites lie Caiissiijiri admirablement le coup de feu.
Hais il y avait aussi de pauvres jeunes gens inexpé- rimentés du métier des armes. L'un d'eux, enfant de quinze ans, ne savait comment épauler son fu⁢ tant bien i|iie mal, enfin, il tire, mais le recul de l'arme Payant presque renversé, il la jette et se sauve épou- vanté. Ce fut là aussi que tomba le jeune artiste de qui nous avons parlé plus haut. Tandis que les kindil<( se cachaient derrière les barricades, lui jouait sa vie à dé- couvert et se ballail bravement. Il fut atteint des pre- miers.
La division Lcvasseur s'élançait aussi de son c6tê. La brigade Herbîllon part de l'Ilôtel-de-Ville en deux colonnes, dont l'une commandée par le général Levas- seur lui-même. Elles se portent sur le centre de l'in- surrection par les nies du Temple, Rambuteau, Saint- Martin et Beaubourg.
Le général Marulaz atlaque dans le même sens la rue Saint-Denis et fait atlaqucr les rues latérales par une colonne lé^jère. sous les ordres du colonel de ta Motterougc, du 19' léger.
A l'heure de la balaille, le général Courligis, descen- dant de Vincennes, balayait les barricades du faubourg Saint-Antoine, et prenait, sur la place de la Bastille, la position que la brigade Marulaz venait de quitter.
Comme on le voit , les deux divisions opéraient un mouvement convergent qui devait écraser l'insurrec- tion et ne lui laisser aucune issue. Les prévision'
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général en chef ont été vraies de tout point ; en moins de trois heures, la révolle est vaincue partout. Nulle part dans l'attaque un seul instant d'hésitation ni de désordre. Partout les opérations sont dirigées avec une habileté, une précision qui font le plus grand honneur à ceux qui commandent. Quant aux soldats, entraînés par leurs chefs qui leur communiquent l'intrépidité dont tous ont fait preuve dans cette journée, ils mar- chent au feu avec un ensemble et un entrain qui do- minent les chances du combat et qui fixent d'avance le succès.
Il était ordonné à tous les généraux de suivre avec leurs colonnes d'attaque l'itinéraire tracé par le géné- ral en chef^ sans s'en écarter. Malheureusement, l'un d'eux, se laissant emporter par un courage trop ardent, s'engagea, sortant de son itinéraire, dans la rue du Temple, à la poursuite des insurgés. Une autre colonne y opérait déjà. Pendant quelques minutes de fatale er- reur, ces deux colonnes se sont tiraillées, et deux ou trois soldats sont tombés.
Les plus fortes barricades, telles que celles des rues Saint-Denis, Rambuteau, Saint-Martin, ont été atta- quées avec le canon ; mais partout les soldats ont ter- miné à la baîonnetle.
Ainsi, de deux heures à quatre heures et demie, le quartier circonscrit par les boulevards , les rues Mont- martre, Rambuteau et du Temple, a été sillonné dans tous les sens par les colonnes. La plupart des insurgés ont été tués ou faits prisonniers.
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Au moment où Taction générale commençait, les insurgés, qui sentaient l'importance qu'il y avait pour eux à s'emparer de la Cité, et notamment de la préfec- ture de police, attaquaient vigoureusement le Palais- de*Justice et ses abords. Â deux heures et demie, le feu était très-vif sur la place du Palais-de-Justice et rue Gonstantine, où les insurgés, embusqués dans les mai- sonsy dirigeaient une terrible fusillade sur les gendar- mes mobiles. Ce corps s'est admirablement battu. Il a préservé un des points stratégiques les plus importants dé Paris, puisqu'il relie les quartiers Saint-Denis et Saint-Martin à celui des Écoles.
Pendant que les troupes d'infanterie étaient engagées, la brigade de cavalerie du général Reybell balayait les boulevards en faisant des charges sur les rassemble- ments qui essayaient de s'y former à la hauteur de la rue Montmartre.
La cavalerie fut reçue par un feu terrible que firent les insurgés embusqués dans les maisons. Le général Reybell fit arrêter ses escadrons, qui ripostèrent d'une façon formidable, appuyés par une partie de la division Canrobert. On fit voler en éclats, à coups de canon, les portes des maisons, où quelques insurgés furent pris et pas^és par les armes.
La cavalerie du général Korte, qui, des Champs-Ely- sées s'était aussi portée sur les boulevards, arrêta un grand nombre de fuyards et les fit prisonniers. Il y a eu sur les boulevards Montmartre et Poissonnière, dans
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cette douloureuse circonstance , trente-cinq morts et un certain nombre de blessés.
À cinq heures , ne trouvant plus d'ennemis à corn* battre, les troupes reprennent en grande 'partie leurs positions respectives. La brigade Marulaz s'échelomae sur les boulevards, depuis le café Turc jusqu'à la Bas- tille.
Pendant que cette grande bataille se livrait sur la rive droite de la Seine, la rive gauche, occupée par le général de division Renaud, présentait une vive agi- tation dans les quartiers Saint-Marceau et dans les en- virons des Écoles.
Quelques meneurs cherchaient à s'emparer de l'église Saint-Médard pour y sonner le tocsin, et étaient arrê- tés par un officier de paix et ses agents. L'un d'eux était un médecin, un autre un pharmacien.
Des rassemblements nombreux avaient lieu aux alen- tours du carrefour Bussv, où l'on construisait une bar- ricade. Une forte patrouille envoyée sur les lieux suffit pour les disperser. Partout les excellentes dispositions prises par le général Renaud, sa vigilance inces- sante, ont comprimé les émeutiers et empêché l'exé- cution de leurs projets. Il a eu le bonheur de n'avoir pas à combattre. Ses troupes eussent montré, comme celles des autres divisions, la plus vive ardpur, s'il eût fallu en venir aux mains. Mais, grâce à Dieu, l'insur- rection, celte fois, n'a pas appelé dans ces quartiers les malheurs de la guerre civile !
Écrasés sur le terrain qu'ils avaient eux-mêmes
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choisi, les insurgés ont lenlé un dernier eiïorl en se portant en masse dans l'espace compris entre les rues Montoi^eil, du Petit-Carreau, la Banque et la place des Victoires.
Aussitôt après k départ de la troupe, ils venaient de reprendre possession de ces deux rues , et élevaient, sous la direction de Gaston Dussoubs, frère d'un repré- sentant, des barricades formidables. La première bar- rait la rue Montorgueil, à Tangle de la rue Mandar, et couvrait ainsi le passage du Saumon, duquel ils s'é- taient emparés, et dans lequel la plupart des habitants avaient livré leurs armes. La seconde barricade s'éle- vait, rue du Pelit-Carreau, aux angles des deux rues du Cadran et Saint-Sauveur. La troisième barrait la même rue à Tangle Bourbon - Villeneuve. Entre ces trois grandes barricades, il y en avait plusieurs, mais fort peu importantes. Sur ces points, on avait éteint le gaz, posé partout des factionnaires et forcé les maisons pour avon* des armes. Les passants étaient arrêtés et con- traints à se mêler aux insurgés.
Sur ce point, on avait négligé, et c'était à tort, d'employer un moyen qui réussissait merveilleusement ailleurs. C'était de faire occuper les maisons des angles des rues par de la troupe. Avec un peloton, on garde ainsi une rue tout entière et on intimide singulièrement les insurgés. Autrement, chassés d'une barricade, ils y reviennent aussitôt que les soldats l'ont quittée. Ils paraissent ainsi reconquérir leur position.
En même temps, d'autres barricades s'élevaient rue
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Pagevin, des Fossés-Monlraartre, et menaçaient ainsi la Banque et l'hôtel des Postes. Ces dernières barri- cades furent enlevées les premières. Le colonel Cou- rant, du 19' de lignC; qui était en position au Palais national , se porta rapidement avec son régiment sur la place des Victoires, où une masse d'insurgés, chas- sés des quartiers Saint-Denis et Saint-Martin, s'étaient réunis. Les disperser, enlever au pas de course les barricades des rues Pagevin et des Fossés-Montmartre, ne fut pour le brave colonel que l'affaire d'un instant. Après avoir ainsi balayé l'émeute, il vint prendre posi- tion à la Banque, couvrant ainsi ce point important et le quartier de la Bourse.
Refoulés sur cet endroit, les insurgés se replièrent sur le passage du Saumon et sur les barricades des rues Montorgueil et du Petit-Carreau. Cernés de tous côtés, ils sentaient la nécessité de faire une résistance désespérée. Après dix heures, malgré l'obscurité qui règne dans le quartier, puisqu'on y a éteint le gaz, le colonel de Courmel, qui avec son régiment, le 51% oc- cupe la pointe Saint-Eustache , se décide à attaquer. Plusieurs barricades de peu d'importance sont enlevées par le 2' bataillon, qui est accueilli par une vive fusil- lade à la barricade qui est à l'angle de la rue Mandar. Les soldats montent au pas de course, la baïonnette en avant. Les insurgés ne les attendent pas. Les uns se replient sur les barricades de la rue du Petrt-Carrea«i ; les autres, au nombre de soixante ou cent, cherchait un refuge dans le passage du Saumon. Un capitaine
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crie devant ta grille : « Douze hommes de bonne vo- lonté ! « Douze soldats s'élancent dans le passage.
.Mais l'ennemi ne lient |tas contre cette poignée de braves. Ccnx qui connaissent les lieux fuient par la pre- mière galerie à droite el se font ouvrir ta porte d'une cour qui donne sur la rue du Cadran ; d'autres, moins heureux, se cachent dans les escaliers, sous des au- vents, se couchent dans des coins obscurs. Plusieui-s sont passés par les armes, l'n des insurgés s'était réfugié dans un cabinet qui donnait sur tes toits : entendant monter un soldat, il passe par une lucarne et s'accro- che au zinc, qui cède et se détache. Il tombe dans la rue, où il se brise.
Quatre autres s'étaient réfugiés dans l'escalier, le pre- mier à gauche en venant de la rue Monlorgueil. Par humanité, on les cache; ils inspiraient tant de pitié ! Le passage fouillé, le capitaine sort avec ses hommes, et la troupe, qui faisait halle dans la rue, marche en co- lonne vers la rue du Pelil-Carreau. Les quatre bandits prennent aloi-s leurs fusils, et, se penchant par un sou- pirail, font feu et blessent ou tuent plusieurs soldats.
Gaston Dussoubs est debout sur la barricade, à l'angle de la rue du Cadran. Il s'adresse au\ soldats, et d'une voix vibrante : t Vous ne lircrea pas sur nous, qui sommes des prolétaires comme vous! leur dit-il. D'ail- leurs, la lionstitution est violée; nous sommes dans notre droit, nous mourrons pour le défendre. » Cette
.' vois, durant un instant de solennel silence, est entendue de tout le quartier. L'officier qui commande crie :
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<c Bas les armes! » Ou refuse; le feu commence. A la première décharge, Dussoubs tombe mort. Puis le feu continue, les décharges se succèdent; mais enfin la valeur des soldats remporte et la barricade est enlevée» Tandis qu'une partie du bataillon fouille les maison» et fait de nombreux prisonniers, l'autre s'élance à l'at- taque des deux barricades qui restent,, l'une qui est franchie au pas de course, la dernière qui fait une ré- sistance longue et désespérée, et où les insurgés lais- sent un certain nombre des leurs. C4'est à ces barri- cades, dernier refuge de l'insurrection , qu'on a trouvé parmi les morts le plus grand nombre d'hommes bien vêtus.
Les communes suburbaines ont eu aussi leur part dans l'insurrection. A la Chapelle-Saint-Denis» quel- ques compagnies du brave 28* ont eu à enlever de nombreuses barricades. A Montmartre, l'énergie du maire, M. Piémontési, et le courage de quelques gar- des nationaux, dont l'un a été grièvement blessé, ont empêché la commune de participer à cette lutte impie.
Le général Magnan cite, dans son rapport, comme s'étant particulièrement distingué dans cette journée, le capitaine de la Roche d'Oisy, commandant la 4* com- pagnie du 1*' bataillon de gendarmerie mobile, qui ^ par son attitude énergique et la sagesse de ses disposi- tions, a préservé de toute atteinte l'Imprimerie natio- nale, qu'entouraient des groupes menaçants. Le lieu- tenant Favre, de cette compagnie, avec vingt-cinq^ C^ ^ ses gendarmes, a pris d'assaut la plus forte des b^pii^
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cades faite auprès de cet établisse meiil, et formée de diligences renversées, de pièces de bois et de tonneaux.
Pour compléter ce récit, nous citerons un passage du ' rapport du général en chef;
« Les rapports qui me furent adressés dans la nuit du 4 sur l'état de Paris me donnant la presque certi- tude que l'insurrection n'oserait plus relever Ja tète, je retirai à minuit une partie des troupes de leurs posi- tions de combat, pour leur donner un repos qu'elles avaient si bien mérité.
« Le lendemain, 5 décembre, je voulus montrer toute l'armée de Paris il la population. Je voulais, par cette démonstration, rassurer les bons, intimider les méchants.
« J'ordonnai aux brigades d'infanterie, avec leur ar- tillerie et leurs compagnies de génie, de parcourir la ville en colonnes mobiles, de marcher aux insurgés partout oii ils se montreraient encore, d'enlever et de déli'uire les olistacles (piî pourraient gêner la circu- lation.
n A cet effet, le général Carrelet, à la tète d'une co- lonne de sa division, se porta, vers neuf heures dn matin < h la barrière Rochechouart, où l'on signalait encore l'existence d'une barricade formidable. Mais les insurgés, attérés par le résultat de la journée du 4, n'o* i sérent plus défendre leurs relranchements et les aban- [ donnèrent à l'approche de nos troupes.
0 L'ne autre barricade, élevée dans le faubou^-g Pois- i H>nnière, fut pareillei 'rtée par ses défenseurs, J
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avant l'arrivée de la colonne aux ordres du géaéned^ - Ganrobert, chargé de l'enlever.
« À partir de ce moment , la tranquillité n'a plus été troublée dans Paris, et la circulation a été rétablie sur tous les points. L'armée est rentrée dans ses quartiers, et, dès le lendemain 6, Paris ne voyait plus dans les rues ce déploiement inusité de forces, était rendu à son activité, à son mouvement, à sa vie habituelle. »
Ainsi finit, dans la capitale, cette formidable insur- rection, lutte sacrilège des partis contre le pouvoir qui sauvait la France et la civilisation européenne, si forte- ment menacées par la fatale échéance de 1852.
Si cette lutte n'a pas été plus longue, si elle n'a pas recommencé le 5, cela tient à la terreur inspirée aux insurgés par la valeur admirable de nos soldats. Cela tient aussi à ce qu'un assez grand nombre d'arresta- tions parmi les meneurs furent faites dans la soirée du 4. Â huit heures, M. de Maupas en donnait l'ordre. Cent ou cent vingt représentants avaient rédigé, dans cette soirée, une proclamation d'une violence extrême. Grâce à l'active surveillance de la police, elle n'a pas été affichée.
Du côté de l'insurrection, les pertes ont été nom- breuses. Beaucoup d'insurgés ont été tués sur les bar- ricades, et quelques-uns, pris les armes à la main, ont été passés par les armes. On a fait une foule de prison- niers. C'est à nos soldats que tant de malheureux doi-r vent la vie, car l'ordre était formel. Le ministre dç la .^^ guerre n'avait pas entendu faire dans sa proflafnjtMBMB
D'UN COIP D'ETAT. 2H
une vaine menace. Il avait ordonné qu'on en exécutât les termes à la lettre : Pas de prisonniers armés.
a On fait toujours des prisonniers, malgré mes or- dres, » disait-il dans lu soirée du 4. Du reste, les insur- gés comptaient que cette loi de la guerre serait appli- quée, car, dans plusieurs réunions, ces paroles revin- rent plusicui-s fois comme objection à ceux qui se mon- traient trop ardents : « Mais si on nous prend, on nous fusillera, c'est bien certain. »
Il y a eu 1 1 6 insurgés lues sur place. Beaucoup sont morts de leurs blessures dans les hôpitaux. On peut évaluer à 200 à peu près le nombre de leurs blessé». Le pouvoir ne compte que huit individus tués comme simples curieux. On a revendiqué ce titre pour beau- coup, qui malheureusement avaient un autre motif que la curiosité pour se trouver devant les soldats. Dans ce chiffre, nous ne comprenons pas les quelques per- sonnes, victimes infortunées, qui ont été atteintes dans leurs maisons par le feu des insurgés ou par celui de la troupe.
Quant au nombre des prisonniers, il a été considé- rable dans cette journée, ainsi que dans celle du len- demain 5, et il entre pour plus de moitié dans le chiffre total des arrestations politiques faites à l'occasion des événements de décembre. Ce chiffre était, au 20 jan- vier 1852, do 2,133, dont 210 représentants, sur les- quels 29 étaient encore à Sainte-Pélagie.
Mais les pertes sur lesquelles doit pleurer la France, ,ce sonj wUjH au]&^i )rave armée. Dieu merci.
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elles ont été faibles en comparaison des résultats obte- nus. Il y a eu 25 tués, dont un officier, 1 84 blessés, dont 17 officiers. Le chifTre peu élevé des tués et des blessés dans Tarmée s'explique par la rapidité et par la résolution avec lesquelles on a attaqué et combattu par- tout. Officiers et soldats ont admirablement fait leur devoir. L'armée a conquis un titre de plus à là pecon- naissance du pays.
Elle a été ce qu'elle est partout devant les ennemis de la France, brave, énergique et admirable de disci- pline. Tous, dans la solidarité àt danger, ont com- battu avec cet enthousiasme qui est le gage assuré de la victoire.
Nous avons dit quels sont les généraux qui comman- daient. Avec de tels hommes à sa tête, Tarmée avait la foi et l'entraînement.
Le général Magnan a justifié la confiance que lui té- moignait le ministre en lui disant : « Je vous laisse faire, parce que je vous connais. »
Le ministre de la guerre de Saint-Arnaud a con- stamment dominé la situation par son énergie, sa pré- voyance et la précision de ses ordres. 11 s'est montré digne de sa réputation ; c'est tout dire. L'homme qui parlait à l'Assemblée, comme il l'a fait, devait parler aussi à l'insurrection comme il vient de le faire.
Il faut signaler encore T infatigable activité de M. de Maupas, préfet de police. C'est à lui qu'on doit d'avoir évité des malheurs plus grands. Ainsi, par la rapidité des mesures qu'il a prises, il a empêché les insurgés
D'UN COUP D'ÉTAT. 2)3
de couper les tuyaux des gazomètres. II a constam- ment tenu l'autorilé militaire au courant des démar- ches e1 des actes de l'insurrection. M. de Maupas a nionlré,dans ces fonctions nouvelles pour lui, une liabi- Jeté qui n'a d'égale que son dévouement à la cause de l'ordre et au prince qui en est la représentation si émi-
r nente.
Le 4 au soir, te général ministre de la guerre adres-
' Mit cette proclamation à l'armée :
PROCLAMATION.
Solriats !
Vous avez accompli aujourd'hui un ^aod acte do votre vie mili- taire. Vous avez préservé le pajs de l'anurchie, du pillage et sauvé la République. Vous vous êtes roonlré» ce que vous serez toujours, braves, dévoués, infatigables. La Fraoce vous admire et vous remer- cie, l-e Président de la République n'oubliera jamais voire dévouement.
La victoire ne pouvait être douteuse ; le vrai peuple , les honnêtes ^Ds , sont avec vous.
Dans toutes les garnisons de la France , vos compagnons d'armes •onl fiers de vous cl suivraient au besoin votre exemple.
Le miniilri di ta gutrrr,
A- i>E Sal%t-Arnaiip,
Un mot maintenant sur les malheurs privés, ces iné- vitables catastrophes des temps de révolution. Certes, nous ne dissimulerons pas qu'il y a eu d'innocentes et par conséquent de bien regrettables victimes; mais, il faut le répéter ici, de quel droit, en définitive, ferait- On retomber ces malheurs sur l'autorité, sur la force qui défendait l'ordre social î Est-œ is
fui 4 HiSTOmBr
n'étaient pas avertis? Est-ce que la sollicitude du pré* fet de police et du ministre de \d^ guerre n'avait pas collé ravertissement à chaque muraille? Les curieux et les imprudents n'avaient plus d'excuse, aucune. A l'heure de la bataille, que faisaient sur les boulevards ces grou- pes qui se prétendent, inoffensifs? Us étaient coupables d'y être ; coupables, parce qu'en y étant, ils epcoura- geaient les insurgés et gênaient l'action des. défenseurs de la société ; coupables surtout, parce que, sans motif sérieux, ils exposaient leurs jours, qui appartiennent à Dieu, à la patrie, à leurs familles. Tout des premiers, nous pleurons sur ces victimes; mais nous repoussons de toutes nos forces la responsabilité qu'on voudrait déplacer. De toute l'énergie de nos convictions, et après enquête, nous repoussons aussi les allégations de cruauté, de férocité, que la rage expirante et lâche des partis vaincus a voulu jeter à notre brave armée. Il y a eu quelques erreurs, c'était inévitable, mais nos soldats n'ont pas dégénéré. Ils sont toujours ce que l'Europe les a VUS' partout, indomptables au combat, humains dans la victoire. Qu*Dn le demande à tous ces prison- niers, que l'ordre du ministre commandait de fusiller, ainsi que nous l'avons dit , et que les soldats ont épargnés.
L'insurrection de Paris, nous le disions en commen- çant, est une honte de plus au front des partis. Le peiH pie, le véritable peuple, y est resté étranger ; ce n'qrt pas la main de l'ouvrier qui a construit les barricaditt. Aux Ârts-et-Métiers, environ cinquante ou soixapt^^
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vriers tailleurs de pierre travaillaient quand arrivèrent ] les insurgés, qui voulurent les engager à construire avec I eux des barricades ; mais les ouvriers résistèrent et me- i nacèrent de se servir de leurs outils, si ou insistait da~ | vantage. 11 n'y a eu, dans cette guerre exécrable, en | tête de l'énicute, que des chefs de parti, des hommes 1 qui jamais n'ont incline leurs ambitions, leurs intérêts égoïstes devant la sainte cause de la patrie, que ces I hommes d'en haut et d'en bas, que le privilège ou tes JDstincts brutaux avaient envoyés au palais Bourbon, et >jqui;Comme cela arrive trop souvent dans les assemblées, ^égaraient ou opprimaient la partie honnête qui y sié- geait.
Quant aux soldats de l'insurrection, comme on peut fk'çn convaincre en visitant te personnel des prisons, j^étâient : quelques hommes égarés, à Dieu ne plaise 'qu'il en soit autrement; des enfants, des jeunes gens de quinze à vingt ans; puis tout ce qu'il y a de plus taré dans les bas-fonds sociaux ; les affiliés des associa- tions secrètes, les frères et amis des vandales de Oa- j mecy, des assassins dePoligny; les repris de justice; J les forçats libérés. ]
Nous tenons des officiers qui ont fait le service dans' ] les forts deBicètre eld'lvryque les insurgés, en géné- ral, avaient de l'or et de l'argent en grande quantité. Os jouaient avec des pièces de vingt francs. Durant le temps de leur détention, ils ont pu se procurer, tant qu'ils ont voulu , des vêtements , des vivres , tout ce qui pouvait adoucir matériellemenl leur captivité. Cepen-
2\t fflSTOIRE D'UN œUP D*ÉTAT.
dant il faut rendre à l'autorité cette justice , que les prisonniers , dans les forts comme partout , dans les maisons d'arrêt de Paris, ont constamment été traités avec rhumanitë la plus grande.
Tous les jours ils avaient du vin , les soldats n'en ont qu'accidentellement. Quant à la nourriture , elle était meilleure que celle de ces derniers; les casemates étaient chauffées. Chaque matin , un capitaine de ronde visitait les prisonniers et recevait les réclamations qu'ils adressaient , par la bouche de deux délégués choisis , par eux-mêmes , dans chaque casemate. Le pouvoir a montré autant de modération après la victoire que d'énergie pendant la lutte. Et à l'instant où nous écri- vons ces lignes, nous avons la certitude que les rigueurs de la répression seront singulièrement adoucies par la clémence. Cette vertu est toujours la compagne de la puissance et de la véritable force. Cette vérité est par- tout : c'est une loi universelle.
IV
zvsuB&acnow DAin ubs j^èpab:
CONSPIRATEURS ET SOCIÉTÉS SECRÈTES.
La lutte sacrilège des partis contre la société n'était pas encore terminée dans Paris , que déjà la démagogie socialiste ensanglantait nos départements. Avant de faire le récit des horreurs qu'elle y a commises , nous devons entrer dans quelques considérations générales.
L'histoire des conspirations et des sociétés secrètes , en France , depuis 1 81 5, présente trois phases distinctes et caractéristiques , quant à leur but et à leurs moyens d'action.
Elles visent : sous la Restauration , à renverser les Bourbons ; sous la branche cadette ^ à renverser la mo- narchie ; sous la République , à renverser l'ordre social.
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Ainsi; de 1820, époque des premières conspirations organisées, à 1851, époque de la dernière levée de boucliers des doctrines socialistes , le but s'est prodigieu- sement agrandi : impossible d'aller plus loin , du moins à notre sens. A quoi les démolisseurs pourraient-ils s'attaquer, en supposant qu'ils eussent atteint leur but de renversement? Nous allons suivre pas à pas, tout en étant fort bref, la marche de cette lèpre sociale.
L'empire avait tellement familiarisé l'esprit français avec le principe d'autorité , cette base indispensable de tout édifice social, qu'après sa chute, sous les Bourbons, les conspirateurs et les sociétés secrètes n'osaient pas atta- quer ce principe en lui-même. Ainsi , la Charbonnerie, venue après la société des Amis de ta vérité , qui fut promptement dissoute , la Charbonnerie ne songeait à rien moins qu'à la République. Renverser lesBouii)ons était un but commun qui réunissait les impérialistes et leslibéraux. Les premiers , qui voulaient revenir à l'em- pire par Napoléon II ; les seconds , qui voulaient faire prédominer la puissance du pouvoir parlemeotaicp ; ces derniers étaient les ambitieux et Le$ dupes de 4)réa^ tion constitutionnelle. Quant au personnel, il fut k^ naen^. LesafBlite couvrirent la France d'un vaste réseau ^ui se déchira m deux catastrophes : la mort djes ^r^ geuts de Lia Rochelle et celle dju général Berton. La Charbonnerie reçut un coup dont elle ne se releva p9S« A cette époque , ou trouve déjà ce noyau de con^i- rateurs de métier, qui , sans avoir aucune idée poU^ tique, GQA^reut par moaDmanie» et q/jà viendroot
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jusqu'il nos. jours , ■véritables mouches du coche de tous les complots et de toutes les conjurations quelles qu'elles soient. Jueque-ià , ce qu'on nomme le peuple est étran- ger auï conspirations, aux sociétés secrèlcF. La conspi- ration parlementaire ou libérale succMa à la Charboti- m- rie sous le nom de société .4 ide-toi.
Apr^'s 1 830 , sous Louis-Philippe, on s'attaque direc- tement au principe d'autorité : on veut renverser la (Qonarchie et arriver à la République. Les libéraux, fondateurs du gouvernement de 1830, et pères de sa Charte constitutionnelle, sont dépassés. Des sociétés «ecrètes de toutes sortes se forment sous une foule de dénominations, mais toujours avec le même état-niajor <lc conspirateurs. On les voit fonder tour à tour les so- ciété des Ami^ du petiph , des Droits de Vhorrtmç , celleï des FamiUes, des Saisons, des yottveUes-Saisons.
Des émeutes dans Paris, à Lyon, à Lille, réprimées par la force publique; plusieurs tentatives d'assassinat 9Ur la personne du roi et des princes; beaucoup de fracas et nombre de condamnations devant la justice ; tel est le bilan de ces sociétés , que la police et les lois de septembre avaient à peu près mises à néant dans les dernières années du règne de Louis-Philippe.
Là n'était pas le danger sérieux. La police avait sans cesse l'œil et la main au milieu de ces habiles conspi- rateurs, et les prenait quand bon lui semblait. Il ne feut se faire d'illusions ni sur ta puiss^mce , ni sur la taleur politique de ces hommes de la veille. Le peuple , proprement dit , n'était pas avec eux. Ces conspirateurs,
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qui, du reste, l'ont bien prouvé après la surprise de février, voulaient la République pour en être les maîtres. Quant au peuple , peu lui importait ces ambitieux qui n'avaient pas encore trouvé le secret de parler à ses instincts et à ses convoitises.
Ce fut dans les dernières années de ce règne qu'appa- rurent les prédicateurs du socialisme; ils se posèrent en apôtres. Reprenant^ avec un art infini, toutes les vieilles idées des prétendus réformateurs, ils prêchèrent ces doctrines désolantes de communisme, qui, parmi les ouvriers honnêtes, firent une foule de dupes, et furent accueillies avec enthousiasme par toute l'écume sociale de fainéants, d'incapables et de coquins.
Quand février arriva, ces idées fermentaient déjà dans les bas-fonds delà société. Quelques hommes du gou- vernement provisoire se crurent intéressés à les pro- pager. Louis Blanc ouvrit au Luxembourg cette nouvelle boite de Pandore , si riche de calamités sociales. On sait les théories qu'il y développa. Pour les théories en elles^-mêmes, il n'y croyait guère ; mais il comptait se faire un piédestal populaire et assurer sa puissance sur les masses. Tous ceux à peu près qui furent admis dans cette enceintese posèrent en régénérateurs sociaux, se mirent à l'œuvre , prenant ou feignant de prendre au sérieux leur besogne.
Passerons-nous en revue toutes les théories insen- sées qui furent prêchées? Ce fut une véritable avalan- che de principes subversifs. On franchit d'un bond les vieilleries de Fourrier, de Cabet et consorts, pour arri-
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ver d'emblée aux doctrines de Proudhon, ie grand dé- molisseur. Nier tout, voilà sa théorie; tout détruire, c'en est l'applicalion. Plus de Dieu, chacun oroit, pra- tique à sa guise ; peu importe, du reste, cette chose su- rannée. Plus de propriété, c'est le vol. Plus de gouver- nement quelconque, c'est l'oppression du libre arbitre humain, fait pour agir sans frein, sans régie, suivant son bon plaisir, et qui n'a pas uième le droit de délé- guer à la société la souveraineté naturelle dont il est investi.
Proudhon se prend- il au sérieux ? est-il vraiment de bonne foi ? ou bien plutôt, infernal génie, ne jette-t-il pas un immense et atroce éclat de nrc à cette horde de dupes qu'il a faites?
Quoi qu'il en soit, ces abominables doctrines sont prèchées , colportées partout. Les mille voix de la presse les crient dans nos cités, dans nos campagnes. Les libelles, les almanachs populaires, les feuilles dé- magogiques, les présentent sous toutes les formes.
Il s'agit bien de politique aujourd'hui et de tel ou tel gouvernement à renverser ! Il s'agit de saper par le pied et de jeter dans le gouffre du socialisme tout ce qui forme les bases de l'ordre social : religion, pouvoir, fa- mille, propriété. Pour résumer l'enseignement en un mot : tout cela, c'est le vol. A la brute humaine main- tenant, au nom de ses appétits et de ses convoitises, à courir sus à tout ce qui lui fait obstacle, à tout ce qui lui offre la perspective d'un intérêt à satisfaire, d'une jouissance à assouvir.
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Ce n^est plus à la passion politique toute seule qu'on s'adresse ; on \a d'emblée à toutes les passions mau- vaises. On commence par proclamer la toute-puissance du moi humarn, eft par faire, de chacun des adeptes, un démon d'orgueil qui nie Dieu et toute vérité. Tout oe qu'il y a dans la société de gens tarés, perdus de dettes, frappés de condamnations, arrive avec ardeur sous le drapeau du socialisme ; puis, tous les mécon- tents, tous les avides que la révolution de Février n*a pu assouvir ; tous les incapables que l'ambition a jetés hors de leur sphère ; tous les paresseux qui attendent du hasard leur pain quotidien sur le pavé des rues; tout cela y arrive aussi. Tous les vieux conspirateurs qui se croyaient de futurs ministres, et qui ont été, comme ils disent, volés par les habiles, viennent apporter leur vieille expérience et le contingent des estaminets qu'ils fréquentent^
Tel est l'état-nmjor des nouvelles sociétés secrètes, ayant à sa tète les représentants rouges de l'Assemblée et tous les rédacteurs des feuilles populaires qui n'ap- partiennent pas à la police.
La foule des dupes vient après, sous le drapeau do droit au travail, de l'organisation des salaires et de l'af* franchissement dos patrons. La capitale fournit un im- mense contingent d'hommes abusés par les théories creuses, par les idées insensées, et qui, tous, plus ou moins, oublient leur travail pour faire de la propagande, se croyant ^pelés à régénérer la société et le monde.
Chaque ville de province a son journal ou Ms jMur**
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uaux déniagogiques, autour desquels gravitent les es- prits forts (Je l'endroit, les docteurs d'estaniinel, les membres des sociétés maçonniques, les anciens abon- née de la Réforme, les correspondantK des conuuis- voyageurs des anciennes sociétés secrètes, qui tous, pour rester fidèles à leurs traditions d'opposilîon, s'en- rôlent dans des afBlialions socialistes. Nous descendons peut-être dans des détails infimes, mais nous voulons élre vrais. Dans chaque ville, ces hommes constituent une imperceptible minorité, mais ils enrôlent leurs ouvriers, s'ils en occupent, ceux des autres en buvaut avec eux. Le tout réuni suint pour Taire la clieaLèle de quelques avocats, de quelques médecins, de quelques hommes plus inslruils, qui, avec les jomnaliâtes du lieu et les représentants montagnards, devienneot les souunitës du parli.
Dans chaque ville, onse constitue en comité central, corrct^ndant avec les socialisles des localités de moin- dre importance. On répand les journaux, Jesbrocliures, les almanachs. On parcourt les caoipagu«&, on prêche sur tous les tons et par tous les modes la doctrine nou- velle, qui se résume, en fm de compte, pour le grand aombre, par ces mots : La propriété, c'est te vol!
Les meneurs, pour leur compte, espèrent que la lourmenlc sociale les portera aux premiers grades de l'égalité future, et leur donnera la part du lion dans le partage universel. C'est atroce et c'est risible i
Dans une foule de départements, comme à Paru, Jt doctriae se traduit en un seul mot, celui d'arisio, qu'on
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applique au patron, au propriétaire, à l'homme qui a un habit, une voiture. Celui-là est un ennemi marqué pour 1852. Pourtant, nous convenons que dans les villes la masse un peu éclairée ne montre pas cette fé- rocité. On trouve ce sentiment dans les bas-fonds so- ciaux, chez les coquins qui vivent de vol et de brigan« dage ; puis, il faut Tavouer, chez ce qui est ignorant. La Jacquerie des départements Ta prouvé : rien n'est fé- roce comme l'ignorance.
Lqs sociétés secrètes ont leur (entre à Paris. C'est le Comité des RéftigiéSy Y Union des Communes ^ le Comité central de Résistance.
Paris correspond directement avec le Nord et le Centre. L'Est tout entier avec Lyon, qui reçoit le mot d'ordre de Paris et le communique. Il y a dans cette seconde capitale de la France une foule de sociétés communistes dissimulées sous un but philanthropique, puis d'autres qui sont ou qui croient être complète- ment ignorées. Nous prenons, dans le Constitutionnel du 17 décembre 1851, le passage suivant :
« Toutes les sociétés secrètes se recrutaient par les moyens ordinaires de l'embauchage; maison n'était reçu dans leur sein qu'après un interrogatoire et une cérémonie spéciale. Voici, sauf quelques variantes, la forme habituelle de l'initiation :
« L'initié, les yeux bandés, est placé à genoux sur deux couteaux en croix et sur deux pièces de 5 fr., et le dialogue suivant s'engage entre lui et l'initiateur :
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« Désires-tu être affilié à la société? — Oui.
« Promets-tu de ne jamais révéler ses secrets? — Je « le promets.
« Jures-tu d'obéir à tous les ordres qui te seront don- « nés, lors même qu'ils te commanderaient de tuer ton « semblable? — Je le jure.
« Que sens-tu sous tes mains? — Je sens deux cou- « teaux et deux pièces de 5 fr.
<x Ces objets sont placés là pour t'apprendre que si « l'appât de l'argent t'engageait à trahir la société, elle « t'en punirait par la mort. »
« En ce moment, on débande les yeux du récipien- daire, et deux anciens affiliés, saisissant les couteaux, les brandissent sur sa tête en disant : «Oui, le frère qui « vendrait nos secrets mériterait la mort, et nous la lui « ferions subir. »
« Une autre formule d*initiation, plus sauvage en- core, a été trouvée lors d'une perquisition faite dans le canton de Valence. La voici :
« Je jure sur ces armes ^ symbole de l'honneur, de c servir la république démocratique et sociale, et de c mourir pour elle s'il le faut. Je jure, en outre, haine c à outrance à tous les rois et à tous les royalistes, et € que mes entrailles deviennent plutôt la pâture des « bétes féroces que de jamais faillir à mon serment ! « Je le jure trois fois, au nom du Christ rédempteur.
c Je jure sur mon honneur, au nom de la sainte « cause pour laquelle je viens d'être reçu, de marcher « en tout lieu avec mes frères de la Montagne, prêter
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« aide et assistance à tous l'es démocrates. Je le jure « tfeis fois, au nom du Christ rédempteur. »
a Plus bas se lisent ces mots :
c( Je te baptise, enfant de la Montagne. »
« Voici l'interrogatoire que subissait préalablement le candidat :
c( Dis-moi, citoyen, quelles sont les raisons qui t'a*- « mènent ici ? — Dis-moi, citoyen, on m'a dit que tu € m'avais dénoncé à la justice , est-ce vrai ? — Mainte- a nant que tu as les yeux bandés et les mains attachées a derrière le dos, nou& sommes maîtres de toi; mais a nous voulons avant t' examiner. Si , par exemple, a ton frère ou ton père ne se trouvaient ps^ de too parti, a te vengerais-tu? — Leur tirerais-tu dessus? — Cela c ne te semblerait-il pas pénible à faire? — Mainte- ce nant, on nous dit que le préfet fait circuler des listes 0 pour la prolongation de la présidence. Les signerai»- a tu? — S'il te fallait prendre le§ armes pour la répi»- € blique, les prendrais-tu ? — Tu veux donc être répu- « Uicain? — Il nous faut ton sang? »
a Des signes particuliers de reconnaissance existent entre les affiliés appartenant à une même société se- crète. Ils consistent ou dans la manière de saluer en s'abordanl, ou dans des signaux d'avertissement. Ainsi, dans la société de la Jeune-Montagne, dont plusieurs membres ont comparu devant le conseil de guerre de Lyon, un membre qui en rencontre un autre demande : L'heure? — L'autre répond : Sonnée! — Le premier
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reprend ; Nouvelle^ — On doit lui répondre : Mon" iagnel
a Une société secrète de la Drôme avait, il y a deux ans, pour mot de passe : Attention! courage! Drôme! Depuis l'avortement du complot de Lyon, ce mot de passe a été, à ce qu'il parait, changé, et remplacé par le mot : Marianne. Dans les sociétés secrètes établies à Montpellier et dans les localités voisines, le signe de reconnaissance était : D. Connaissez-vous la mère Ma- rianne ? — R. Oui, elle a du bon vin.
a Ce mot de Marianne et l'expression de boire à la 9anté de Marianne se sont également trouvés tout ré- cemment dans des papiers importants, saisis dans la Seine-Inférieure. On a tout lieu de croire que ce mot de Marianne^ trouvé simultanément aux points les plus éloignés du territoire, au nord, au midi et dans l'ouest, et qui était évidemment le signal de ralliement de toutes les sociétés secrètes disséminées en France, était la tra- duction mystique des mots : République démocratique et sociale. C'était le mot de passe de l'insurrection gé- nérale organisée pour 1852.
CUCUEVAL-OUUUGXY. »
M. Corbin, procureur général à Bourges, s'exprimait ainsi le 2 novembre dernier, dans son magnifique dis- cours de rentrée :
« R a été beaucoup parlé de ces sociétés. Messieurs ; et, pour l'édification du public, il esta propos de met- tre une fois pour toutes en scène ces initiations, dans
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lesquelles le grotesque le dispute à l'atroce : parodies du moyen âge, dont il faut juger sans rire et comme d'une des plus terribles réalités de notre époque. A demi vaincues, dès que le jour les pénètre, elles ne sont pas moins l'instrument le plus sûr des agitations factieuses, le foyer de tous les ferments anarchiques, le puissant véhicule des excitations révolutionnaires.
« Là se lit en commun et se savoure tout ce que la presse clandestine vomit de plus infâme ; là se fredon- nent d'atroces refrains en l'honneur de la guillotine et de ses héros; c'est là qu'après boire, et entre frères, on se promet, qui le château, les prés, les bois, qui la tête du riche ou du bourgeois voisin. Là tout est mystère, parce que ne s'y élaborent que des pensées suspectes et des desseins coupables.
a Au mystère se Joint l'intimidation, quand il faut af- filier quelque adepte , par l'appareil de certains em- blèmes et de certaines formes combinées pour saisir vivement les imaginations , et donner à l'égarement qui jure la lâcheté pour caution.
c( C'est là dans le silence des nuits, au fond de quelque bouge, cabaret, tabagie, tapis-franc, au coin d'un bois ou sur la lande déserte, qu'ont comparu tant d'ouvriers ou de malheureux paysans circonvenus par d'insi- dieuses promesses ou d'audacieux mensonges ; c'est là que, tremblants d'abord, le bandeau sur les yeux, s'en- gageant sans savoir sur des questions qu'ils ne com- prennent pas, ils en viennent à ces serments horribles, qui ne sont que blasphèmes et souillures que la bouche
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balbutie sans qu'un cœur d'homme puisse en accepter la loi.
«Et pourtant les voilà qui jurent, la main sur le poignard ! On leur a dit : Tu seras à nous, à la vie, à la mort; tu renieras ton père, ta mère, ta femme et tes enfants, et vive la République démocratique et sociale ! Et ils ont dit : Oui!... Les insensés!... Puis, quand le bandeau s'abaisse , fusils et baïonnettes menacent leur poitrine. Ils ont juré! tout est dit, l'insurrection les compte parmi ses fidèles ! »
Ces paroles étaient malheureusement l'expression de la vérité, et les horribles scènes que nous avons à ra- conter en ont fourni la preuve à la France.
Le mal était aussi grand dans l'apathie des bons que dans la perversité des méchants, et si l'acte de salut du 2 décembre ne fût pas venu déjouer ces horribles projets ajournés à 1852, un affreux réveil eût surpris cette société engourdie dans son indolente quiétude.
La prise d'armes du socialisme et de la barbarie devait être générale ; sur tous les points de la France à la fois, on devait se lever et massacrer. Qu'on ne dise pas que c'est un nouveau spectre rouge que nous évo- quons. L'auteur du premier qu'on a tant accusé était un prophète. On le sait aujourd'hui. Qu'on ne nous accuse pas d'exagération. Dans les pièces, dans les cor- re8jK)ndances saisies , on voit partout l'organisation de la nouvelle terreur. Ceux qu'on nomme les blancs, et on nomme ainsi tous ceux qui ne sont pas rouges, sont désignés pour le massacre. « Veillez sur eux, est-il dit
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de vingt, façons différentes, pour qu'au grand jour, i n'échappent pas h la vengeance du peuple et qu'ils w puissent pas de nouveau museler sa victoire. » Partout on parle de la guillotine. Voici un passage d'une des pièces saisies :
« Le 13 mai 1852 sera le jour palingénésique des nations ou le dernier de notre existence. Ce jour^ là , le peuple frappera le dernier coup y qui doit ré- duire en poussière ces trônes vermoulus que le ciel permet à l'homme d'élever pour lui apprendre à chérir la liberté. Ils combattix>nt à nos côtés, les orphelins et les veuves de nos frères , lâchement assassinés sur les barricades de juin. Les tètes de Lahr et de Daix (les meurtriers du général de Bréa) , seront nos discours. De la mitraille et des pavés, voilà notre pétition. La ré- surrection de l'humanité en sera le texte ; notre plan, le fer vengeur de la liberté. »
Est-ce donc à désespérer de notre France , grand Dieu ! et le peuple est-il aussi profondément gangrené que ce tableau tendrait à le faire croire? Grâce au ciel, il n'en est pas ainsi; les dupes sont en majorité, les meneurs et les scélérats du parti ne constituent qu'une infime minorité, imperceptible sur le sol de notre France. Un moment d'erreur , de vertige , a pu entraîner des populations paisibles ; mais le jour de se compter venu , dans le chiffre de ceux qui voteront contre le sauveur de la patrie , nous n'aurons qu'en bien petit nombre les scélérats de 1852. Il y a dans ce chiffre des légitimistes entêtés, des orléanistes quand
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même , des républicains avancés mais honnêtes ; restera donc, pour les meneurs et pour les bandits de la sociale , l'effectif qu'on rencontre, dans les jours d'émeute, aux barricades : armée lâche et cruelle, acquise par avance à tout ce qui veut renverser et détruire ; troupe sans cesse au guet pour prendre traîtreusement la société à la gorge.
Et ces gens-là se prétendent le peuple ! En effet, c'est oe peuple souverain qui hurle dans les cités aux jours d'insurrection ; qui , quand un pouvoir ne se défend pas , assassine ses soldats et pille ses palais. C'est cette tourbe affreuse qui promène ses orgies dans nos rues et^qui met sa tyrannie débraillée au-dessus du droit de trente millions d'hommes. C'est elle qui parle au nom du peuple et qui, pour arguments suprêmes, a les pavés d'abord, et aurait la guillotine si on la laissait faire.
Qu'on ne se tromp^as sur notre pensée. Cette af- freuse populace n'a point dans ses rangs la classe ouvrière, que nous respectons et aimons, parce qu'elle est la sève de la nation et la source de sa prospérité ; mais elle a à sa tète, et c'est honteux à dire , les tribuns démago- gues, les ambitieux de la rouge , les forcenés de la so- ciale, et tous ces honteux conspirateurs de la veille, qui, volontiers, se servent d'elle pour leurs desseins ambitieux, qui la flattent et la nomment le peuple. Elle a eu pour l'encourager et la payer, dans Paris, certains hommes des vieux partis, qui croyaient que 1852 pou- vait ramener 1815.
Simples et bons habitants des campagnes , ah ! n'é-
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garez plus vos sympathies à la suite de ces hommes ; sachez-le bien ; vous ne le savez que trop aujourd'hui^ ce qu'ils vous prêchent, c'est la ruine après le déshon- neur. Ayez l'orgueil de votre noble profession. Restez fidèles à vos croyances et à vos principes héréditaires; car ces nouveaux apôtres ne sont que des prédicateurs de mensonge.
Les plus horribles forfaits ont signalé la guerre que le socialisme vient de faire à la société. On a égorgé des prêtres ; on a profané des églises ; on s'est porté, sur des femmes et sur de pauvres jeunes filles, à des atrocités qu'un procureur général n'ose pas dire, même sur la tombe des victimes. On a commis , en France, ce que les Vandales commettaient en Afrique, et ce qui a valu à ce peuple exécrable de léguer son nom y comme l'injure des siècles, à tout ce qui est barbare, cruel et dévastateur. Nous nous trompons, «les Van- dales n'insultaient pas les femmes, » dit l'évêque Victor de Vite, rhisloricn de leurs atrocités. De plus, ils étaient en pays étranger ; et ce que nous avons à raconter, ce sont des Français qui l'ont commis en France.
Chose bien remarquable, et qui prouve péremptoi- rement que c'est bien l'influence des idées démagogi- ques qui a produit l'insurrection , c'est que la prise d'armes a eu lieu dans les départements qui s'étaient signalés par leure votes écarlates ; il y a très-peu d'ex- ceptions. Tous ces départements et quelques autres, travaillés depuis , se seraient levés si on avait attendu 1852. C'est Timprévu du coup d'État qui a déconcerté
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le plan des sociétés secrètes ; c'est l'attitude énergique du pouvoir, qui, dans beaucoup de localités, a comprimé l'explosion de la guerre civile.
Les sociétés secrètes rayonnaient de Paris dans diffé- rentes directions, telles que Rouen, Lille, Strasbourg; mais elles s'étendaient surtout vers le centre de la Trance et à l'Est autour de Lyon , et gagnaient le Midi en suivant le cours du Rhône.
Dans certains départements, il n'y a eu que des com- meoccments de troubles. Nous allons les indiquer en quelques mots, pour en débarrasser notre récit.
A Lille, à Tours, à Reims, à Amiens, à Bressuire, à Strasbourg, à Rhode/. et dans quelques autres localités, à la Suzc , par exemple , près du Mans , à Montargis , quelques tentatives d'insurrection ont eu lieu et ont été promptement réprimées. Il a suffi de l'arrestation de quelques démagogues pour faire tout rentrer dans l'ordre.
Les départements véritablement insurgés se divisent en trois groupes parfaitement distincts, situés aux trois angles d'un triangle à peu près isocèle , dont Clamecy occuperait le sommet, et dont Digne et Agen occupe- raient les autres angles.
Le premier groupe comprend les déparlements du Cher, de l'Allier, de la Nièvre, de l'Yonne, de Saône- et-Loire , du Jura, de la Côte-d'Or.
Le second groupe est formé île la Haute-Vienne, de laDordogne, du Lot-et-Garonne, du Gers et de la Haute-Garonne.
3d4 HISTOIRE D'UN COUP D'fiTAT.
Le troisième groupe se compose de la Drôme , des Basses-Âlpes, de Vaucluse^ de TArdèche^ de THérault^ du Gard el du Var.
Ces trois groupes sont séparés par les départements qui n'ont pas pris part à l'insurrection, et notamment par ceux de la Creuse^ de la Corrèze, du Cantal, de la Lozère, de la Loire et de la Haute-Loire, qui forment le centre du triangle que figurent les trois groupes in- surrectionnels. Le premier groupe aurait rejoint le troi- sième par l'Est sans l'abstention du Rhône et de l'Isère. Le troisième tendait à se réunir au second, au Sud, par l'Âveyron. Le second et le premier tendaient à se re- joindre, à l'Ouest, par l'Indre.
Nous ferons séparément l'histoire de chacun de ces groupes insurrectionnels, en suivant pour chacun l'or- dre qui nous sera indiqué par la marche des événe* ments*
(suite.)
FIIBIIIBB CBOl'PE INSUHBECTIOSNEL.
Cheb. — A Bourges, chef-lieu du département, les nouvelles reçues de Paris avaient causé quelque émo- tion; mais les mesures concertées entre M. Corbin, procureur général, homme aussi énergique que sage, le général d'Alphonse et M. Meunier, préfet, qui a rempli dignement ses fonctions jusqu'à l'arrivée de H. de Barrai, son successeur, suffirent pour rassurer h population amie de l'ordre et pour comprimer les mauvais desseins des agiialeurs. L'attitude ferme et ré- 'flolue de ces magistrats enleva aux anarchistes la har- iifene d'agir snr le cheMieu. Ce fut à Saint-Amand qu'ils levèrent l'étendard de la révolte.
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Saint-Âmand, sous-préfecture^ à quarante-quatre ki- lomètres de Bourges, du côté de rÂIlier, compte de 7 à 8,000 habitants. Les idées socialistes y avaient été ac- cueillies avec ferveur, et, dans la journée du 3, elles y voulurent faire ce qu'elles préparaient pour 1852. Des groupes nombreux se forment, proférant des cris sédi- tieux, injuriant et menaçant les autorités. Un instant, le sous-préfet, qui s'était présenté pour les haranguer et les disperser, a été entouré. Ces lâches ne le laissent par- tir qu'après l'avoir maltraité et frappé. Us traitent de même le commissaire de police, le saisissent, le terras- sent. L'un d'eux menaçait de le tuer; le brave magis- trat lui fait sauter la tète d'un coup de pistolet. Immé- diatement, les autorités appellent sous les armes de nombreux volontaires, qui, réunis à la compagnie d'ar- tillerie de la garde nationale, à la gendarmerie et à une compagnie de grenadiers du 41®, rétablissent promp- tement l'ordre. Dans la nuit, le procureur général, le général et le nouveau préfet partaient de Bourges avec deux cents hommes, tant cavaliers que fantassins, pour se porter sur Saint-Âmand. Prompte justice a été faite. Des arrestations nombreuses ont été opérées. I^e pro- cureur général, le préfet et le général sont rentrés dès le lendemain à Bourges, ramenant une partie de la troupe, qui n'était pas nécessaire au maintien de l'ordre.
Le commissaire de police Lambert a fait preuve d'u» grand courage et d'une énergie qui doit servir d'exem- ple à tous les fonctionnaires.
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Gomme partout, les insurgés avaient voulu sonner le tocsin, et s'étaient présentés chez le sieur Rémond, dépositaire des clefs du clocher. Ce brave homme a ré- sisté, les armes à la main, aidé des personnes de sa fa- mille, et n'a pas livré les clefs.
Le reste du département a été tranquille. Quelques tentatives de désordre, qu'aussitôt les honnêtes gens ont réprimées, ont voulu faire, à la Charité, pendant à la rébellion de Saint- Amand.
Il est bien certain que ce département était un de ceux sur lesquels les anarchistes comptaient le plus.
Nous le répétons, si leurs plans y ont échoué, cela est dû à l'attitude des autorités, et notamment à la coura- geuse initiative prise par le procureur général Corbin dans ses magnifiques discours, qui ont été pour ses justiciables à la fois une prophétie et un avertissement salutaire.
Allier. — Dans ce département, l'insurrection éclata presqu'en même temps que dans le Cher, à Saint- Amand. Elle menaçait à la fois Moulins, Montluçon, Gannat et la Palisse.
L'insurrection n'a pu se développer que dans ce der- nier arrondissement. Le plan des insurgés était de se porter à la fois, dans la nuit du 3 au 4, sur Moulins et sur les chefs-lieux d'arrondissement et de s'en emparer par surprise.
A Montluçon, la surveillance et l'énergie de l'auto- rité surprirent les meneurs et déconcertèrent leur plan.
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Ils étaient réunis, prêts à donner le signal da mouve- ment, quand le sous-préfet, le procureur de la Répu- blique et un adjoint au maire, vinrent avec la force publique cerner la réunion et s'emparer des plus dan^ gereux de ces démocrates. On les surprit armés jus- qu'aux dents et munis de cartouches et de balles mâ- chées. A la suite de ce coup de main hardiment exécuté, plus de trente arrestations ont été opérées. C'était sur^ tout sur Cerilly et ses environs que comptaient les me- neurs de Montluçon.
A Gannat, dans cette même nuit, le mouvement de- vait éclater. Plus de soixante des principaux démocrates du chef-lieu et de l'arrondissement étaient réunis aux portes de la ville, prêts à se porter sur la Sous-Préfeo*- ture. Mais l'éveil avait été donné à l'autorité ; le sons- préfet, le nouveau maire, le docteur Boudant, avaient réuni les bons citoyens et s'apprêtaient à bien recevoir les insurgés. Prévenus de cela, ils n'osèrent pas tenter l'attaque et se retirèrent. Un détachement du 18* de ligne, parti de Clermont-Ferrand, vint prêter son ap- pui aux habitants de Gannat, dont un grand nombre s'étaient inscrits sur un registre comme défenseurs de Tordre. De nombreuses arrestations furent faites par le procureur de la République, le sous-préfet et l'officier de gendarmerie, qui a montré dans cette occasion beai»- coup de fermetés
A Moulins, il y eut commencement d'exécution. Dans la journée du 3, des groupes s'étaient formés et des conciliabutes démagogiques avaient été tenus* Le pré-
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fet, M. de Chariiailles, a\ait fait arrêter plusieurs des chefs et les avail fait déposer ù la iiiaison (l'arrËt. Dé'jà ce coup d'aulorité déconcertait les démagogues. N'importe, décidés à agir, ils se réunissent daos la nuit, au nombre de deux cent ciii(]uante, dans le petit bourg d'Yseure, à un quart de lieue de Moulins, eldécideutdc se porter sur la ville, pour délivrer les prisonniers et s" emparer de la Préfecture et de l'Uôtcl-de-Ville. Mais le préfet était au couraut de ce qui se passait, et deux colonnes de chasseurs partirent de Moulins pour se por- ter silencieusement sur le point de réunion. Le raouve- aientétait combiné pour que les deux colonnes arrivas- sentauméme moment, A minuit, malgré les pi-écautiona prises, les insurgés, prévenus de l'approche de l'une des colon nts, prennent ta fuite en sens opposé, et vont don- ■er télé baissée sur celle qui arrivait pour les prendre par derrière. A cause de l'obscurité, douze seulement jpurenl être pris et furent déposés à la maison d'arrêt. ]h avaient pour armes des faux, des fusils de chasse, 4bs pistolets, des fourches, des poignards.
Les contingents qui arrivaient de Dompierrc et de Chevagnes, formant un effeclif de cent trente insurgés, Ayant appris la déroute de la première colonne, ju- gèrent prudent de rebrousser chemin et de se dis- .perse r.
Une proclamation énergique du préfet fut affichée, Je 4 au malin, dans Moulins.
Des armes furent distribuées à la garde nalionale. Le concours des bons citoyens fut réclamé pour l'organi-
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sation de colonnes mobiles, et un arrêté fut pris qui, Yu l'imminence du danger, mettait le département de l'Allier en état de siège.
Dans l'arrondissement de la Palisse, les événements furent beaucoup plus graves. Malheureusement, de œ côté, l'autorité était endormie dans une sécurité qu'on ne comprend pas en pareille occurrence. Les postes de la garde nationale avaient , comme d'habitude , été le- vés dès le milieu de la nuit, personne ne veillait quand l'insurrection se montra d'autant plus forte qu'elle avait pu s'organiser sans obstacle.
Ce fut dans la journée du 3 que les démocrates du Donjon, commune importante de l'arrondissement de la Palisse, donnèrent pour la nuit le signal de Tinsur- reclion. Les principaux meneurs furent un médecin, un pharmacien et un notaire de la localité. Toute la soirée fut employée à combiner le plan d'insurrection, à mettre en état les armes et les munitions dont on pouvait disposer. De neuf à dix heures, les insurgés commençaient à se réunir. Un peu avant minuit, ik étaient au nombre d'environ deux cents. Le maire, M. de laBoutresse, son adjoint, le juge de paix et un autre citoyen, signalé comme dévoué à l'ordre, furent arrachés de leur lit et emmenés, sans qu'on leur permit de prendre tous leurs vêtements. Ils étaient jambes nues, n'ayant que des sabots aux pieds. On les fît mon^p ter, ou plutôt on les jeta dans une charrette à fumier ; les plus mauvais garnements de la bande servaient d'es- corte, le rassemblement tout entier se mit en chemin
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pour la Palisse. On marchait lentement et la nuit était froide, une brume glaciale tombait sur les pauvres pri- sonniers à demi vêtus. Ils grelottaient , et la vue de cette souffrance arrachai! d'atroces moqueries à leurs conducteurs. L'un d'eux, M. de la Boutresse, se sentant glacé, voulut battre des bras pour se réchauffer. On lui attacha les mains, afin de lui ôler cette ressource. « Il est tout prêt au moins pour être fusillé, disait l'un de ces forcenés. — Allons donc, ça ne vaut pas une balle, ees aristos, disait l'autre. » El les propos les plus abo- minables se croisaient, entremêlés d'horribles blasphè- mes et de refrains démagogiques, où la guillotine avait toujours les honneurs du couplet. Ce supplice dura jusqu'à sept heures et demie du matin. On était en vue de la Palisse. Tant était grande l'incurie, nul ne se doutait du danger, et les bandes socialistes , qui s'é- taient recrutées en route d'une centaine d'hommes, pu- rent commencer à entrer dans la ville, sans coup férir. Mais le sous-préfet, M. de Rochcfort, qu'on venait de prévenir, se disposait à racheter par le courage le plus héroïque l'excès de confiance qu'il avait eu le malheur d'avoir. A la tête de quelques gendarmes, il vient bra- vement attaquer les insurgés, qui accueillent par un feu terrible cette poignée d'hommes. La plupart sont bles- sés, la résistance est impossible. Forcé de battre en retraite, le sous-préfet rentre dans la Sous-Préfecture, où bientôt ces forcenés le suivent. Là , on l'outrage de la façon la plus abominable, on veut le contraindre à mettre une écharpe rouge. Le courageux fonctionnaire
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refuse. Des fusils sont braqués sur «a poitriae; il rer fuse encore, il refuse toujours^ car il veut qu'à défont de la force, l'honneur et la dignité restent au représeoi- tant du gouvernement. Martyr de Tordre social, il a son sang, sa vie à donner. Il ne led sauvera pas par une lâcheté. Pendant qu'une partie de ces bandits était à la Sous-Préfecture , d'autres saccageaient et volaient, d'autres enfin barricadaient les abords de l'édifice, et c'était prudent à eux, car sans ce rempart, ils n'eussent pas riposté peut-être aux quelques braves qui viennent pour délivrer le sous-préfet. C'est la brigade de gen- darmerie, déjà mutilée, qui se présente avec une quir- rantaine de gardes nationaux, que le cri : aux armes, a réunis dans la ville.
Les insurgés ont pris position sur la terrasse de l'é- glise et se sont retranchés derrière leurs barricades. Puis ils ont fait, les infâmes ! une barricade vivante de leurs prisonniers. Les gendarmes n'osent pas tirer, ils s'élancent le sabre à la main ; mais les brigands diri- gent sur eux une fusillade tellement nourrie qu'en un instant ils sont hors de combat. Trois simples gendar- mes sont blessés grièvement. Le maréchal -des -logis Lemaire est mortellement atteint, le lieutenant G)m- bat reçoit une blessure dont il doit mourir au bout de quelques jours. Trois gardes nationaux sont atteints, mais légèrement. Les insurgés étaient trois cents con- tre quelques hommes, mais ces quelques hommes sont des héros. Va-t-on les respecter à terre î Ces gendar* mes blessés, va-t-on, maintenant qu'ils sont là gisants,
D'UN COUP D'ÉTAT. 243
voir en eux des hommes qu'il faut secourir? Terrier, notaire au Donjon et l'un des chefs, se précipite, le lâ- che, sur le brave maréchal-des-logis Lemaire qui est étendu, horriblement blessé de dix coups de feu et mou- rant, il lui tire deux coups de pistolet. Puis, les scélé- rats qu'il commande traînent le cadavre sur les dalles de l'église, le percent à coups de baïonnette, dansent dessus et écrasent la tête à coups de crosse de fusil. Rocher, notaire à la Palisse, comme son confrère, participe à l'assassinat d'un gendarme. Qu'on dise en- core que c'est l'ignorance qui fait commettre de tels actes! Ils ont assouvi leur rage, mais la cruauté froide, plus féroce encore, est dans le cœur de ces bandits. Us laissent étendus par terre et baignés dans le sang, non pas seulement sans les secourir, mais en les insul- tant, les trois gendarmes blessés et leur lieutenant Com- bat. Combien de temps? plus de deux heures.
Après leur victoire, si affreusement déshonorée, les insurgés conduisirent à la maison d'arrêt les quatre prisonniers du Donjon. L'un d*entre eux , le juge de paix, était malade et se soutenait à peine ; en entrant, il appuie la main sur le chambranle de la porte ; un coup de crosse lui brise deux doigts.
Le sous-préfet, au moment de la bataille, était par- venu à s'échapper. S'élançant sur un cheval, il passe à travers la fusillade qu'on dirige sur lui, et va au-devant d'un escadron de chasseurs, qu'à la nouvelle des évé- nements on avait dirigé sur la Palisse.
Aussi lâches qu'ils étaient barbares, les brigands, à
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la nouvelle que la troupe approche, quittent la Palisse et retournent au Donjon.
Après le départ de ces forcenés , les prisonniers fu- rent remis en liberté. Le juge de paix, blessé, eut Tim- prudence de s'en retourner chez lui, où il fut de nou- veau arrêté. Ce ne fut qu'à la nouvelle que des troupes marchaient sur le Donjon qu'on le relâcha.
Pendant que les bandes du Donjon accomplissaient leurs horribles exploits sur la Palisse, les démocrates de Jalligny, aussi sous le copçimandement d'un médecin et d'un pharmacien, se portèrent sur la mairie, dans la journée du jeudi 4, et firent le maire prisonnier. Ce courageux fonctionnaire résista de la façon la plus énergique. 11 fut frappé, terrassé et relevé dans un état déplorable. Le médecin lui appuya le canon de son fusil sur la poitrine. Les bandits se répandirent ensuite dans les communes voisines pour y recruter des parti- sans.
Ils ne tardèrent pas à voir leurs forces s'augmen- ter d'une partie de la bande du Donjon, qui avait fui de la Palisse. Ils résolurent d'attaquer Moulins, et se mirent en marche.
Mais l'appel du préfet avait été entendu, et les ci- toyens de celte ville venaient d'enthousiasme s'inscrire pour la défense de l'ordre. Plus de sept cents volon- taires furent armés et partirent à la rencontre des bandes insurrectionnelles, qui n'attendirent pas le combat et s'enfuirent dans toutes les directions.
Ce jour-là même, un escadron de chasseurs occupait
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la Palisse , et les autorités procédaient activement au rétablissement de l'ordre et à l'arrestation des cou- pables.
Le lendemain, Jalligny et le Donjon voyaient arrivez la troupe et la colonne mobile de volontaires partie de Moulins, à la rencontre des insurgés, qui avaient fui.
Le préfet et le colonel Pierre se portaient, avec des chasseurs, sur Cerilly, où un commencement de trou- ble s'était manifesté.
Partout on pousse activement l'instruction contre les insurgés , et les arrestations se font sans relâche. Le plus grand nombre de ceux qui ont fait partie des bandes est sous la main de la justice. A Roanne, on arrête Terrier et Préveraud, deux chefs de l'insurrec- tion du Donjon. Le 7, l'ordre était complètement réta- bli dans l'Allier, et les colonnes mobiles rentraient à Moulins, ramenant leurs prisonniers. Ces malheureux, attachés deux à deux, marchaient entre deux haies de gardes nationaux, précédés et suivis de forts détache- ments de chasseurs. L'attitude de tous exprimait l'abat- tement le plus profond ; celle de quelques-uns, il faut le dire pour l'honneur de l'humanité, exprimait aussi la honte.
Yonne. — La nouvelle des événements accomplis à Paris parvint à Auxerre et à Sens, à deux heures de Taprès-midi, le 2 décembre.
Le préfet, M. Rodolphe d'Omano, et le générai La- irerdière, commandant l'état de siège de l'Yonne et de
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TÂube, prirent immédiatement les mesures qu'ils jugè- rent les plus convenables au maintien de Tordre. L'Yonne est un des centres de la démagogie ; les trou- bles récents dont ce département a été le théâtre sont de nature à inspirer des craintes sérieuses. On a peu de troupes. Il n'y a dans Âuxerre que trois cent cinquante recrues du 15*" léger et les dépôts des 1" et 7^ lanciers, en tout cent hommes montés. On concentre les brigades de gendarmerie dans les chefs-lieux ^ afin de les avoir sous la main pour agir contre les localités qui s'insur- géraient, et pour qu'elles ne soient pas écrasées sous le nombre dans leurs résidences.
Ce fut dans les cantons de Coulanges-sur-Yonne et de Saint-Sauveur, riverains de Glamecy, que le soulè- vement se manifesta. Le 5, quelques heures après que l'insurrection eut commencé dans cette ville, on sonna le tocsin dans les communes de Druyes, d'Ândryes, d'Etais, de Sougères, de Pousseaux et de Surgy , cette dernière sur l'extrême limite de TYonne et de la Niè- vre, mais appartenant au dernier département. La plupart des habitants, se levant en masse et s'armant de tout ce qu'ils purent trouver, se portèrent sur Cla- mecy, déjà au pouvoir de l'insurrection, et prirent part aux scènes abominables dont cette malheureuse ville fut le théâtre. Des bandes se portèrent sur Coulanges; mais M. Barrey, maire , avait organisé la résistance, grâce au concours des habitants. Le pont était barri- cadé. Il fit dire à l'autorité supérieure qu'il se char- geait de la défense de la ville ; et, en effet, pendant
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trois jours, il se mainlint dans celle honorable défen- sive, sans que les insurgés osassent venir l'attaquer.
A Pousseaux, le maire, M. Bonneau, vieillard âgé de soixanle-seize ans, ayant voulu s'opposer au départ des bandes, fut odieusement assassiné. Il tomba frappé de six balles à la fois. C'était un digne prélude aux atroci- tés qu'on allait commettre à Claniecj.
Le lendemain, 6, jour de foire à Saint- Sauveur, Thiébantt, professeur de médecine vélérinaire à ta Fernie-École , et signalé comme chef de sociétés se- crètes et comme démagogue fougueux, se mit à haran- guer les démocrates, qui s'élaicnt donné rendez-vous à Aelle foire, principalement des cantons rie Bléneau et de Saint-Fargeau. Ce forcené, excitant la fonle par ses discours incendiaires el criant : aux armes, les condui- •it à la mairie, où, malgré la résistance énergique âe H. Dclamour, les armes destinées au service de la garde nationale furent enlevées. L'un de ces handils , nommé Patasson , ajusta, à plusieurs reprises, le juge de paix. Après ce premier exploit, on fit ki fouille des maisons parliculières, où l'on prit tout ce qu'on trouva 'd'armes. Les habitants paisibles furent indignement inaltraifés, et quelques-uns forcés de se joindre aux insurgés. On se sépara ensuite pour aller, chacun dans •a commune, chercher des renforls, et on se donna Pendez-vous pour le soir à Saint-Sauveur. 1^ nuit ve- nue, les insurgés se mettent en marche, divisés en deux bandes, pour se porter sur Auxcrre. La première doit passer par Toucy, où elle ralliera les bandes de
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Yilliers^ Saint-Benoist etMezilIes, de rarrondissemeDt de Joigny, lesquelles, obéissant au mot d'ordre envoyé, marchent de leur côté sur le chef-lieu. La 80conde bande, partant de Saint-Sauveur, se dirige sur Auxerre par Thury, Taingy, Ouanne et Leugny. Dans toutes les communes où elles passent, ces bandes sonnent le tocsin, pillent les armes, maltraitent les habitants pai- sibles et forcent le plus grand nombre à marcher avee eux.
Toucy, menacé d'une double invasion, allait donc devenir un point central d'opération pour les insurgés. L'alarme y était grande; le maire, M. Arrault, mem- bre du conseil général , avait réuni la compagnie de sapeurs-pompiers, armé les citoyens de bonne volonté, et se préparait à faire une énergique résistance. Mais les nouvelles qui lui arrivaient de toutes parts lui donnè- rent de sérieuses inquiétudes. Il dépêcha des courriers qui vinrent à Auxerre prévenir le préfet et demander des secours. M. le lieutenant-colonel de GhefTontaines, désigné pour commander l'état de siège, y était arrivé dans la journée. On ne pouvait dégarnir Auxerre, car on recevait la nouvelle que l'insurrection de Saint-Flo- rentin, arrondissement situé à l'autre extrémité du dé- partement, menaçait le chef-lieu, et que, d'un autre côté, les bandes de Saint-Sauveur, qui avaient pris la route de Thury, allaient attaquer dans la nuit. On ne put faire partir, à onze heures du soir, que vingt-cinq hommes d'infanterie en poste , et dix gendarmes à chevaly aous le commandement du lieutenant Fistié ,
D'UN COUP D'ÉTAT. 2«
du 15* léger. Ce renfort arrivait à Toucy à deui heures du matin. Il n'eut que le temps de se ranger en bataille pour recevoir la bande insurrectionnelle qui entrait dans la ville [»ar la route de Dracy. On marche en colonne, la troupe en tête, sur les insurgés, qui, au cride:^!»' vive? répondent par un coup de feu. «Apprùtez, armes!» dit le lieutenant. Le maire, emporté par un sentimsDt de générosité qu'on ne peut s'empêcher d'admirer, se jette devant les soldats et veut employer les moyens de •onciliation , mais les insurgés ne l'écoutent pas Le lieutenant fait alors charger à la baïonnette, et plu- -lieurs insurgés tombent sous le feu des défenseurs de l'ordre. Toute la bande prend la fuite en laissant vingl- cinq prisonniers entre les mains de la troupe, parmi lesquels Chauvot et Tncotet, deux de leurs chefs. A peine tes a-t-on mis en lieu de sûreté qu'il faut aller fciretèteà la colonne de Saint-Sauveur, forte d'envi- ron deux cents hommes comme la première. Les in- ■urgés engagèrent le l'eu, mais prirent la fuite aux pre- Btères décharges, laissant plusieurs morts et quinze prisonniers. Un soldat, le fusilier Lavaud, fut blessé à jh cuisse, un gendarme reçut un coup de faux. Le lieu- ïnl Fistié montra le plus grand sang-fro-d dans ce* 4eux affaires. On cite aussi, comme s'étant particulié- xemcnt distingués, les deux capitaines de la garde na- tionale, Carré et Fontaine. Blessé dans la première tfuire d'un coup de pique dans le ventre, le capitaine flarrc s'est fait panser à la h&le pour retourner à la se^ •mde. Ainsi, sur ce point, force restait à l'aulorilè.
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La seconde bande^ partie de Saint-Sauveur, laissant derrière elle Taingy, Ouanne et Leugny, arrivait à huit heures du matin à Escamps. La population tout entière avait pris la fuite et se cachait dans les vignes, dans les bois. Après avoir tout mis à sac dans la localité, elle se dirigea sur Ghevannes, où elle entrait à neuf heures. Qievannes n'est qu'à deux lieues d'Âuxerre. Ce fut li que la colonne, envoyée d^Âuxerre contre les insurgés, les rencontra. Le lieutenant de gendarmerie , Petit- Mangin, officier brave et intelligent, avait avec lui dix gendarmes, dix lanciers et vingt-cinq hommes d'in- fanterie du 15* léger, sous les ordres du lieutenant Rogé. Chevannes fut emporté sans coup férir, et plu- sieurs insurgés furent pris. Marchant précipitamment sur Escamps, par où la bande battait en retraite, oo les en délogea à coups de fusil en leur tuant sept hommes et en faisant encore des prisonniers. La troupe se mit à la poursuite des insurgés qui fuyaient dans toutes les directions en jetant leurs armes. Dans cette poursuite, le lieutenant Rogé a tué de sa main un in- surgé qui venait de tirer sur lui. Après avoir battu le pays pendant huit lieues, la colonne est arrivée à Toucy avec ses prisonniers. Ils étaient attachés sur des char- rettes qu'avaient fournies les habitants des localités qu'on avait traversées.
La bande , qui de Saint-Florentin se dirigeait sur Auxerre, n'avait pu s'emparer à Saint-Florentin même de la mairie , énergiquement défendue par le juge de paix et par le maire. Arrivée à Pontigny, elle avait été
D'UN COUP D'ÉTAT. 231
coRipléletiicnt démoralisée par la résistance des habi- tanls, qui ne voulurent passe laisser désartner, el s*ètait _ immédiatement débandée.
n Aussitôt qu'il avait eu connaissance du mouvement
f de Saint-Florentin, le sous-prcfet de Joîgny avait en-
j \oyé dix lanciers et cinq gendarmes, avec ordre de
s'emparer des deux principaux chefs, llrunat et 6au-
chard. Celte petite troupe n'y était arrivée qu'après le
départ des îusurgés, repoussés dans leur tentative sur
I b mairie.
Ainsi, dans ce départemenl, l'organisation des ban- des est évidente. Une même pensée les dirige, elles obéissent au même mot d'ordre, puisque de quatre points à la fois elles marchent sur Auserre au même moment. Dès le matin du 6, les qiiali'e colonnes de la démagogie élaient en pleine déroute. Partout, les com- munes rurales organisaient des gardes nationales pour se dcFendre on cas d'attaque. Dès le 7, il n'y a pas un seul noyau d'insurrection subsistant. De tous côtés, on amène des prisonniers. Les maisons d'arrêt d'Aaserre en renferment à peu près deux cent cinquante. Guyard, huissieràSougères.Commeau, propriétaire à Entrains, ont été arrêtés ; le dernier a été pris par les habitants qui l'onl amené, attaché derrière une charrette. On s'est emparé aussi d'un nommé Landré, cordonnier, chef de bande à Saint-Sauveur. Il marchait h cheval en tète de la colonne, un autre faisait la même chose en queue; quiconque eût voulu quitter le rassemblement eût élé tué à coups de fusil par ces forcenés. C'est surtout dans
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la Puisaie, pays qui borne la Nièvre, et où les proprié- tés De sont pas morcelées comme dans le reste du dè- partementy que la démagogie a trouté des recrues.
Nièvre. — Ce département a eu, avec celui du Jura* le triste privilège de fournir à Thistoire tout ce qu^il y a de plus révoltant, de plus honteux, de plus atroce dans les exploits de la jacquerie socialiste : Clamecy, Po- ligny, deux noms qui resteront bien tristement célèbretl Pourtant ce ne sera pas notre plume qui révélera lei abominations qui ont mis tant de deuil dans ces deux malheureuses villes. On recule d'horreur et de hoott quand on pénètre dans Tintimité de ces atrocités hon- teuses. Silence! respect aux victimes qui dorment dans le tombeau I respect aux douleurs qui vivent dans les cœurs!
Clamecy est une ville d'environ six mille âmes , si* tuée aux confins du département de la Nièvre, limitro- phe de l'Yonne et distante d'environ dix-huit lieues de Nevers. Assise sur le confluent du Beuvron et de l'Yonne, au pied d'une montagne qui la domine en- tièrement, elle a de vieux monuments et de vieux souvenirs. Son origine est si antique qu'on l'ignore. Malheureusement, Clamecy était depuis quelque temps un foyer de socialisme, et beaucoup de ses habitants , quelques-uns même d'entre les notables, étaient affiliés aux hommes de 1852. Malheureusement aussi, la sé- curité, ce crime des tièdes, y était grande; on ne vou- lait pas y croire à certaines éventualités. Plût au ciel
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qu'elles n'eussent été que les évocations de la peur ! A la nouvelle des événements de Paris ^ les démagogues do lieu y prévenus dans leurs complots y se hâtèrent de se concerter. On vit les affiliés des communes voisinesy on s'assura de leur concours, et, pour le vendredi 5 au soir, le signal fut donné. Le sous-préfet, témoin des menées socialistes, avait ordonné quelques arrestations. Ce fut le prétexte apparent. On se réunit sur la place de la Prison , et bientôt arrivèrent les contingents de» communes voisines. Tout ce qui environne Clamecy s'insurgeait , et les bandes commençaient à arriver de la Puisaie, pays limitrophe de l'Yonne. Le tocsin sonne à la fois dans une foule de communes. Pendant ce temps^là, les insurgés, déjà réunis, attaquent avec acharnement la prison, où les gendarmes résistent avec une admirable énergie, mais sont enfin accablés sous le nombre. Deux de ces braves y sont frappés mot telle- ment. Les insurgés défoncent les portes et délivrent les prisonniers. L'un de ces derniers se met immédiate- ment à la tète des rebelles. Ce chef est un jeune homme de bonne famille , condamné , à Paris , à six mois de prison pour outrage public à la pudeur. Ils marchentsur la mairie et s'emparent de cinq cents fusils. Dès lors, la ville a été complètement envahie, mise à sac, pillée, lea maisons particulières dévastées. Les insurgés se présen^^ tent à la recelte particulière et y volent 3,000 francs. Mais ce n'est pas assez de la révolte à main armée, le pillage et le vol : car, ce qui triomphe à Clamecy, c'est la démagogie, c'est le socialisme, c'est, en un mot, 1852.
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ÂTœuvre donc, les cannibales et les infâmes, puncpp la Providence Ta permis; à l'œuvre ! que la France vai^ dans l'horrible épisode de Clamecy, ce qui rattendait dans les menaces , dans les promesses , dans les espé- rances de 1852!
Munier, instituteur depuis plus de vingt ans, direc- teur de TÊcole mutuelle : on Tassassine, lui qui a instruit les pères, et qui, aujourd'hui encore, instruisait leurs enfants. Mulon, l'avoué, passe dans la rue, il donne le bras à une femme qu'il reconduit à sa demeure; elle tremble pour les siens peut-être ! Il y a chez elle u berceau quelque pauvre petit enfant à protéger. On respectera cet homme au bras d'une femme!.... Un
menuisier démocrate vient à lui et s'écrie : c Ah!
c'est ainsi que tu t'amuses à conduire des femmes , au Heu d'être à la tête du peuple ! Eh bien I voilà pour toi ! » Il lui enfonce une bisaiguê dans le flanc et le tue.
Un enfant de treize ans fuit devant les assassins ; il se réfugie dans les bras de sa mère. Ah! le voilà sauvé! Une bête féroce s'arrêterait. Ils assassinent cet enfant dans les bras de sa mère !
D'autres victimes encore tombent pareillement assas- sinées, et un prêtre passe inoffensif, étranger ; c'est le desservant d'une commune voisine, qui se trouve là par hasard, M. Yernet, curé d'Arthrel. Ah ! si son sangpou- vait racheter vos méfaits et payer la rançon des victimes, il vous le donnerait jusqu'à la dernière goutte ! C'est un prêtre catholique, un de ceux qui se font tuer pour la
D'UN COUP D'ÉTAT. 23S
|[%iéri(é,|)tiur l'amour de leurs semblables. Mais toucher , « cet homme ! pour vous, chrétiens, c'est un sacrilège. Habitants des campagnes, vous n'avez pas perdu la foi ! Mais ce ne sont plus des chrétiens, ce ne sont plus des 1 hommes, les brigands de Clamecy, ce sont les soldats de i 852. Ils prennent ce prêtre, ils l'outragent, lui crachent au visage, lui font endurer les plus ignobles traitements. '
■ Et cela dure (rois heures ; ce n'est pas de la colère, ce
■ n'est pas de la rage aveugle, c"est de l'atrocité froide et ^calculée ; les soldats de la jaciiuerie s'amusent. Après Hp'avoir frappé à coups de bâton , ils lui donnent un coup
d'épée dans les reins. Un habitant le recueille à sa porte et lui prodigue des soins. Ces hommes , souillés de meurtre et de sang, qui ont assassiné des enfants et des prêtres, n'ont pas encore assez fait; il y a d'autres atrocités à commettre.
Ce jour a vu de hideux attentats qui laisseront bien longtemps l'épouvante dans le cœur des victimes et le deuil dans cette ville inloitunée. Près de vingt per- sonnes ont été odieusement outragées. Voilà 18^2, voi- là la démagogie ! Qu'on crie donc encore analhème au specïre rouge, à M. de Roniicu ! Prophète qu'on a nom- iDé sacrilège et qu'on accusait de lèse-majesté humaine, on a dépassé vos prophéties. Pendant ce temps-là, les gendarmes et lesous-préfel assiégés par l'émeute, résis- taient toujours. Un malheureux gendarme blessé est saisi par les insurgés qui l'attirent au dehors. On l'accablft de coups. L'un des bourreaux dit aux autres : Ne frap- pons pas si fort , i7 durera plus longtemps 1 On a fait
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mourir ce gendarme sous les coups. Et pendant eellè orgie de pillage, d'assassinat et d'odieuses brutalités, te tocsin ne cessait de se faire entendre , et des bandeà avinées parcouraient les rues, hurlant des refrains iii->- fàmes ou terribles et criant : Vive BafMs ! vite la gull-^ lotinel mort aux riches ! Le drapeau rouge flottait sur les édifices publics.
Une partie des bandits avait barricadé les routes et veillait autour de la ville. Des avant-poster, établis éti tous côtés, dévalisaient les courriers et volaient léd voyageurs.
Au bout de dix-huit heures de lutte désespérée, leit gendarmes avaient été obligés de se retirer, se cachant odF cela était possible. Quelques citoyens avaient partagé cette belle résistance : gendarmes et volontaires étaieirt en tout 28. Le sous-préfet put se réfugier dan» nncmafr* son sûre. Le procureur de la République, l'agent gé- néral du commerce du bois, le commissaire, avaient trouvé asile chez un boulanger. Pour éviter d'être sur-' pris, parce qu'on fouillait les maisons, ils s'étaient fé^ fugiés par une lucarne sur le toit. On leur y portait à manger. Ils y restèrent , enveloppés dans des couver^ tures, jusqu'au départ des insurgés.
Le préfet avait été prévenu le matin et marchait sur Qamecy avec cent soixante-quinze hommes du 10* chasseurs. Le général Pellion , qui craignait une at-^ taque sur Nevers, n'avait pas pu mettre plus de monde à sa disposition. On connaissait le plan des insur- gés, qui était d'attirer l'attention sur Glamecy, Saiot^
D'UN œUP D'ÉTAT. 367
Pierv^le-Moustier et Douzy, puis de se porter brusque- Bient sur Nevers dans la nuit du 5 au 6.
A quatre lieues de Clamecy, le préfet est informé, par un gendarme échappé au massacre, de la posi- tion réelle de la ville. Il apprend que les insurgés y sont fortement barricadés et qu'il est question de tirer sur lui en le visant spécialement. On continue à mar- eher, et, un peu avant la chute du jour, on arrive en vue de Clamecy. Aussitôt on attaque résolument un avant- poste établi sur la route et on l'emporte, en faisant éprouver aux insurgés une perte de cinq hommes. Le préfet, ne jugeant pas convenable de combattre à cette heure avancée, conduit sa troupe, à travers des vignes, seus le feu des insurgés, occuper la montagne qui do- mine la ville, et s'y établit pour y passer la nuit.
Des parlementaires , conduits par M. Lyonnet, in- génieur y vinrent auprès du préfet, qui les fit tous ar- rêter. Durant la nuit, les insurges, qui s'attendaient à une attaque pour le lendemain , commencèrent à se débander, et au jour ils avaient entièrement abandonné Clamecy. Ainsi, la lâcheté la plus insigne après leurs forfaits. Le préfet attendit, pour entrer dans la ville, l'arrivée de la colonne que le général Pellion condui- sait, accompagné de M. Cartier, nommé, parle gouver- nement, commissaire général de l'Allier, du Cher et de la Nièvre, et de M. Corbin, procureur général. Le soir, les autorités firent leur entrée à la tète des troupes, et Theure de la justice commença ; plusieurs chefs, entre autres Guerbet, furent pris.
258 HISTOIRE
Par divers arrêtés, M. Carlier, commissaire général, a révoqué de leurs fonctions : Lyonnét, ingénieur ;Roii»- seau, avoué; Marion, huissier, comme acteurs ou com- plices de l'insurrection. Voici textuellement ce qui con- cerne le maire de Clamecy :
'. a M. Legeay, maire de Clamecy, qui a méconnu tous ses devoirs en fuyant lâchement, sous un déguisement, son poste, sa famille et ses concitoyens, est révoqué de ses fonctions.
« M. Ruby, homme de courage, est nommé maire de Clamecy. »
On procède à l'inhumation des deux gendarmes tom- bés sous les coups des insurgés. Après les familles de ces deux braves, venaient le commissaire général, le génâral Peliion et le procureur général, puis le préfet avec tous les fonctionnaires, plus de quinze cents habitants, et enfin quatre régiments, les 27* et 41% les 1*« et 10* chasseurs.
Le procureur général Corbin prononça l'allocution suivante sur la tombe des deux martyrs de l'ordre :
Ofûcicrs, soldats de toutes armes, et vous, Messieurs,
En présence de ces deux cercueils , qui ne céderait à sa vive émo- tion !
Là reposent deux braves, tous deux morts pour la sainte cause de Tordre et de la société; morts pour vous, habitants de Clamecy; tout deux lâchement assassinés par les hordes de la démagogie.
Deux jours et deux nuits durant, la démagogie a été maîtresse en cette ville. ... la populace ameutée, les maisons forcées , envahies et pillées; la terreur dans toutes les âmes honnêtes; huit assassinats
D'UN COUP D'ÉTAT. 259
et près de vingt victimes ; les plus hideuses saturnales ; le sac et le meurtre : voilà ses œuvres, les voilà telles qu'on nous les promettait pour 1852.
Et sans le 2 décembre, sans le patriotique dévouement de Napoléon Bonaparte, qui doute qu'eUe n^cût tenu parole.
Mais elle comptait sans vous , ô notre héroïque armée , qui, il y a quelques jours à peine , versiez votre sang à Paris , et arrivez encore à temps au fond de nos provinces !
Elle comptait sans vous, brave gendarmerie, arme d'élite , type du dévouement et du plus vrai courage!
.... Et maintenant, Messieurs, recueillez-vous dans un suprême hommage pour ces glorieux martyrs!
Honneur à vous, Cléret! honneur à vous, Brohant! au nom de la magistrature, et au nom de vos camarades de toutes armes, au nom de tous les bons citoyens, honneur à vous!
La patrie n'oubliera pas sa dette envers vos familles , et la justice aura bientôt son cours.
Une battue, ordonnée par le général Pellion dans les bois de Clamecy, a produit la capture de cent insur- gés. Quatre-vingts ont été pris à Entrains. L'un d'eux, qui résistait, a été tué. Sur la demande de M. Carlier, un conseil de guerre spécial fut désigné pour siéger à Clamecy.
Instruit de ce qui se passait à Clamecy, l'évêque de Nevers était parti pour cette ville. Il voulait faire en- tendre la voix de Dieu à ces forcenés. U apprit à Varzy quMls n'avaient pas attendu l'attaque des troupes.
Nous avons raconté. Ce récit se passe de commen- taires. Dieu fasse qu'un tel enseignement profite à la France !
De son côté, l'arrondissement de Cosne était le siège
290 QISTOIRE
de troubles graves, qui éclataient sur les hords det la Loire et se concentraient sur le bourg de Neuvy-sur^ Loire. Le dimanche, 7 décembre, un grand nombre d'hommes de celte commune et de celles du voisinage s'étaient réunis sur la place publique pendant la messe. Il étaient armés et s'apprêtaient à combattre ; car on avait appris que M. Ponsard, secrétaire général du dé- partement, était parti de Nevers, marchant sur Neuvy avec un détachement du 41» et du 18^ de ligne. Nous citons ici une partie du rapport de M. Fortoul, ministre de l'instruction pubUque, au Président, sur les faits re- latifs à M. Vilain, desservant de Neuvy : «c A l'issue de la messe, ce vénérable prêtre apprend que les hommes de sa paroisse sont en armes sur la place publique ; il se rend au milieu d'eux pour leur prêcher la paix. Sa voix paternelle, loin de calmer ces furieux, n'ayant fait que les irriter davantage, il est contraint de se retirer au presbytère. Il y est suivi par une bande ameutée qui lui demande ses armes, a Mes armes, mes enfants, les voilà, répond le digne prêtre en montrant son bré- viaire, je n'en ai pas d'autres! — Vous en avez,» ré- pondent les insurgés. Ils fouillent partout ; mais, ne trouvant rien, ils s'en vont, a Quelques moments après, ils reviennent plus menar^nts : « Allons, lui disent-ils en Tabordant, il faut nous suivre. — Où voulez-vous me conduire? — Vous le saurez. — Mais je ne vous suivrai que quand je saurai où je dois vous suivre. Où donc? — En prison ! — Comment, votre curé en pri- son, et par vos mains ! Que vous a-t-il donc fait pour le
D'UN COUP UrÉJkT. Hi
Imiter ainsi? Depuis vingtr«x ans que je suis au milieu ite.YOUSy je le dis sans en tirer de gloire , je ne me suis fj^pliqué qu'à yous faire du bien. »
« ;11 essaie en ^vatn de les apaiser. Deux des insurgés le ^isiasent. Les Iwoonetto s'abaissent sur lui. II cède à la force sans pâlir devant elle, et dit avec douceur à iÇ(iB méchants : « Marchez, je vous suis, n
« )1 avait à peine franchi la porte du jardin, qu'il i-e- çoit au côté droit la décharge d'un pistolet tiré k bout pQptiant. Ja JbftUe déchire les chairs et sort par le côté ««Mclje.
« |U est douloureux d'avoir h ajouter que ce crime f^ .^1^9 qui aurait dû remplir les spectateurs d'indi- cation, excita au contraire leurs sarcasmes. « Tiens, /('|ë(crient-ils, il ne tombe pas, il n'est pas mort ! Il est ^cuirassé, il faut tirer où il ne l'est pas. » Au même in- stant, l'abbé Vilain est de nouveau menacé par cinq îijLfÀhy dont heureusement aucun ne fait feu. On Ten- tijaine tout sanglant, on le jetle dans une prison, où il 3^ abandonné seul, perdant son sang et ses forces, .nVy^nt pas même un siège pour se reposer. Dieu con- xliiisit auprès de la lucarne de la prison une petite fille, qiii provoqua les secours auxquels le bon curé doit la fniraculeuse conservation de sa vie. »
.Pendant ce temps-là, les insurgés sonnaient le toc- .fp, et une forte baiTicade s'élevait à l'entrée de la ,rj?ute qui traverse Neuvy. Peu de temps après, la co- Jp^pe attaquait résolument ce retranchement et l'em- iPÇi^tait au pas de course. Beaucoup d'arrestations sont
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262 HISTOIRE
faites , notamment celle du scélérat qui a tiré sur le respectable abbé Vilain. Un conseil de guerre, immé- diatement organisé, a jugé ce lâche assassin , et l!i condamné à être fusillé ; ce qui a été exécuté sur la place publique, en présence de toute la population.
Depuis cette époque, sur le rapport dont nous te- nons de citer une partie, Louis-Napoléon a décori l'abbé Vilain , dont on a eu le bonheur de sauver les jours.
M. Ponsard, délégué avec pleins pouvoirs du préfet dans l'arrondissement de Cosne, a fait arrêter et con- duire en prison Dethon, avoué, et Gambon, notaire et adjoint à Cosne, qui avaient déchiré les proclamations du prince président. Ce dernier a été révoqué de ses fonctions. Un mouvement insignifiant a promptement été comprimé, à Poully-sur-Loire, par l'arrestation des chefs.
Voici quelques détails sur les événements de Bonny- sur-Loire. Nous les empruntons au Journal du Loiret :
a C'est le dimanche 7, à midi et demi, que l'explo- sion démagogique a eu lieu. Le son du tocsin, le cri des clairons et le bruit des armes se sont fait enten- dre simultanément. Le tocsin sonnait à la même heure dans cinq à six paroisses. Les émeutiers sortaient de leurs maisons avec leurs fusils en criant : Aux armes! En un clin d'oeil, la place et la Grand'Rue se sont trou- vées couvertes d'une masse armée. On s'est rendu au presbytère pour faire rendre au curé ses armes. Cet ec- clésiastique a livré un mauvais pistolet et un fusil qu'il
D'I.N t.OrC riETAT
a averti être encore chargé depuis 1830. On l'a cin- mené au corps-de-garde avec d'autres habitants nota- bles dont on voulait s'assurer. Plus d'un conjuré était prêt à faire feu sur celui qui aurait tenté la moindre résistance.
o Le trajet du presbytère à la mairie a été effroyable. Au milieu de cette cohue d'hommes armés, figuraient une quarantaine de feamics portant sabre à la ceinture et fusil au bras. Elles vociféraient comme des mégères et arrivaient habillées en hommes.
« Pour portodrupcau, on choisit une jeune mère de deux enfants, de deux à trois ans, qui accepta ce péril- leux honneur. Cette femme est en prison.
n Le tocsin a fait entendre ses sons lugubres depuis midi et demi, à l'issue de la grand'niesse, jusqu'il une heure du malin sans interruption, puis a recommencé à quatre heures. Pendant la nuit, il s'est passé des «cènes révolutionnaires horribles.»
Jura. — Poligny !... malheureuse ville 1... dans l'his- toire de la jacquerie de 1 851 ; il n'y a pas une horreur que son nom ne rappelle. A Potigny , la révolte, la
'guerre contre la société, le vol, l'assassinat, le viol,
'toutes les lâchetés et toutes les infamies !
Dès le 3, à neuf heures du soir, des groupes nombreux et hostiles stationnaient dans la ville. Comprenant que la nuit serait mauvaise, le sous-préfet, qui n'avait pas
-de troupes sous la main, réunit quelques amis qu'il arma. Une brigade de gendarmerie était la seule force
I
261 HISTOIRE
publique dont oapût disposer. A nuBuit^ le. tocsin Miir-
xmi dans tous les villages voisins ^ etjes frèise&et amifti
jprévenus par les démagogues delatville, arri'vaientiiie
'tous les côtés à la fois. Tout à.coup, Jes cloche» de-Ji
ville sonnent simultanément le tocsin ^ une bande d'kir
siirgés>se! précipite* sur. la. Sous^^PcéCecture,: s'empare du
sous^préfety deiM.iGhjevassu ^.laneien Eepréseotant^ de
iU. ^Gagneur, receveur partioulÎAr^ide.sonfilfiy ret de
Jil;.^Magnin, lieutenant d'infanterie eDipeiriuission. Tous
sont jetés en prison ainsi que M. Outbier^ matreiy itpii,
Te«èUi de son écharpe, aJait les plusicourageuxiefiforts
pour arréterices forcenés. Le:sous-préfet a été presque
assommé d'un coup quioniui a porté sur la léte. Les
insurgés orgauîsent une sorte de gouvernenient4>rovi-
•tsoire. Bergère est nommé sous-préfet ; .Lamy, maire
' provisoire , et EWrrival , commandant des. forces répu-
^Uioaines.
La nuit est affreuse ; le tocsin y la. générale, les cris, le bruit des charriots qu'on traîne, des pavés qu'on ar- rache pour faire desrbarricades, to.ulesti (ait pour, porter la terreur dans l'âme des habitants paisibles,. qui. «e sont renfermés dans leurs maisons. .Dans les vilhi^es,^ tocsin' sonne aussi de tous côtés. Dans: la journée dutfi, les insurgés, restés maitre&de la ville, s'y sont com- portés comme eussent fait de véritables harbàres,: pil- ilant, volant, se gorgeant de vin et de spiritueux, pour ensuite.se livrer saux iiifaiBies les plus lâches-et Jes plus cruelles. Les femmes ont été outragées de la ùr çon la plus atroce. Nous connaissons, des détails qui
n'i:is cffup ntTAT. font frémir et que nous n'oserions \rainicnl lépcter. Dès !e matin du 4, iine colonne d'insurgés, partie de Poligny, s'était portée sur l,ons-le-Saulnier. Arrivée à quelnues kilomètres de la ville, elle \ fut dispersée par OTie troupe d'infanterie de ligne, appuyée d'un peloton de gendarmerie, commandé par un capilaine et un Kculenaiit. Le nouveau préfet, M. de Chandjnin, a montré dans celte aflaire la plus grande énergie , payant de sa personne et ne regardant pas où pouvait être le danger. Dix-neuf insurgés furent pris et incar- cérés à Lona-Ie-Saulnier.
Ce fut dans la nuit du i au 5, que ceux des insurçés qui étaient restés à Poligny commirent la plupart des indignités qui ont semé tant de désolation dans celte ville. Les excès de toutes sortes auxquels ils s'étaient livrés, les orgies faites dans les caves des particuliers, les avaient disposés à ces horribles forfaits.
Dans la matinée du 5, quand ils apprirent ([ue la force publique marchait snr eux , après avoir dispersé Jà colonne dirigée sur le clief-licu , et que, d'un autre
tiiAté, tout le département était tranquille, ils cointncn- &rent à trembler. Ils remirent les prisonniers en ti- faertc et prirent la fuite dans foutes les directions. Eux- ihênies, avant leur départ, renversèrent en partie les barricades qu'ils avaient élevées. Quand le préfet, qui s'était mis à ta tête des troupes, arriva, l'oligny était au pouvoir des autorités rt'gulières; les insurgos avaient disparu. Cependant, beaucoup d'arrestations furent |ftiles. Les principaux chefs arrêtés sont : Henri Bar-
2tf6 HISTOIRE
bier, rédacteur du j0iirnal la Tribune de VE$t^ et Ga- gneur (Valdimir), propriétaire, tous deux pris les armes à la main. Bergère, Ite sous préfet provisoire de Tinsur- reclion ; Dorrival, chef militaire de la même insurrec- tion; Lamy, avocat, maire provisoire, et quelques autres chefs, ont réussi à passer en Suisse. Nous le ré- pétons, si nous ne disons rien des horreurs commises i Poligny, c'est que nous n'en voulons pas salir nos pages, et qu'en outre nous nous sommes imposé l'obli- gation de ne raviver aucune douleur et de n'apportera aucun deuil l'aggravation d'une publicité qu'asseï d'autres ont maladroitement provoquée.
 Lons-le-Saulnier, quelques tentatives de désordre ont été faites; Tarrestation d'un certain nombre de meneurs a suffi pour les faire avorter.
Saône -ET- Loire, — Nulle part , dans ce départe- ment, l'insurrection ne s'est montrée bien formidable; mais elle a éclaté sur plusieurs points avec tant d*en- semble , elle a montré une telle unité d'action , qu'il est évident qu'elle y avait un plan parfaitement organisé, des chefs sûrs d'être obéis, et qu'elle y aurait été terri- ble si le 2 décembre 1851 n'eût prévenu le 13 mai 1852.
Aussitôt que les nouvelles de Paris furent connues à Châlons, centre de la démagogie de Saône- et-Loîre, les rouges se mirent en mouvement. Ils savaient qu'une autorité vigilante avait l'œil sur eux et la main prête à sévir. Ils jugèrent à propos de lever l'étendard de la jacquerie sur d'autres points de Tarrondissement. Ils
D'UN COUP D'ÉTAT.
firent partir des émissaires pour Tournus, Fontaines, Chagiiy et quelques autres localités. Le mercredi 3, au soir, le mouvement éclatait à Tournus. Les insurgés, réunis à la salle de spectacle, formèrent une munici- palité provisoire, et s'emparèrent du commissaire de police et de M. Bérenger, adjoint. Le maire et le juge de paix étaient malheureusement absents. M. Bérenger, ayant pu s'échapper, se réfugia à la caserne de gendar- merie, résolu à s'y défendre jusqu'à la dernière extré- mité. A minuit, trente insurgés, devant la caserne, somment ses défenseurs de rendre les armes. Le ma- réchal-dcs- logis parait sur la porte un pistolet à chaque main. nJebrùle la cervelle au premier qui avance, dit-il. M. Bérenger,moi et mes hommes, nousnousferonsluer, mais ne nous rendrons pas. » Intimidés, les insurgésse retirent. Une messagerie de Paris arrive; le postillon, qu'on veut arrêter, sangle à coups de fouet les insurgés, lance ses chevaux au galop et passe. Il a un coupdebaïon- nclte dans la cuisse ; un des chevaux en a un dans le poitrail. Moins heureux ou plus timide, le postillon de la malle-poste laisse piller ses dépêches. Les insurgés occupent militairement la ville, plaçant des sentinelles • i la porte des suspects. Mais, dès le matin, informés qu'ils vont être attaqués, ils sont terrifiés, reportent mne partie des fusils dont ils se sont emparés à la Mairie ^ et disparaissent. Le 5, au matin, le conseiller de préfec- f ture Beugnot , avec deux compagnies de ta ligne, arri~ ^Tait à Tournus et n'y trouvait personne h combattre. \ Les chefs de l'insurrection avaient pris la fuite.
268 HfiTOIRE
En même temps que rinsurreclion ée fùOtttfdit ft Tournus, elle éclatait à Fontaines. Des démagogtiféli; partis de Châlons , s'y faisaient livrer^ le 3 au sotr, ISi clefs du clocher et y sonnaient le tocsin. Partant de là^éit nombre de trente ou quarante , ils marchaient âAr (M- gny en battant la générale. Reçus vigoureusèfiirènt (Mtf la brigade de gendarmerie et par plusieurs faôrioraMet citoyens, les insurgés ont été obligés de battre eH ré- traite. Plusieurs d'entre eux ont été arrêtés par les gen- darmes. Dans la lutte , M. Renard , de Ghâgny , a re^it deux coups de couteau. A côté de ce bratve défendeur de l'ordre , il faut citer aussi M. Goqueugndl, fonôliOiih naire, qui a montré une grande intrépidité'. M. ItftfK crette, procureur de la République , àChàlons, ei soA substitut, M.Chopin, sont arrivés avec vingt dragOM et quinze gendarmes^ lorsque tout était terminé. UsoM fait plusieurs arrestations.
Pendant ce temps-là, l'autorité sévissait à ChàlOïifs, point de départ du mouvement qui s'opérait dans les localités environnantes. De nombreuses arrestation^ étaient opérées , et on ordonnait la ferineture de tôtfi les foyers démagogiques.
Saint-Geiigoux se levait au même moment que leH communes que nous venons de nommer, et l' insurrec- tion y prenait un caractère de haute gravité. On y son- nait le tocsin, et cent cinquante insurgés, après aVoIr pillé les caisses publiques j marchaient sur Màcon par la route de Cluny et de Sainl-Sorlin. Sur leur passage; ils recrutaient de nouveaux soldats à la jacquerie ^ soit-
rrUN COUP IVÉTAT. nant le locsin partout oii iU passaietil pour appoler aux armes. Au cliàieau deCormann, ils forcèrent M. Hiedrf de LacreteHeà leur donner deux mille francs. Arrivés à Cluny, ils se présenlèrent au presbytère , exigeant de M. Rotur, curé, aujourd'hui décoré pour sa courageuse conduite , qu'il leur livrât les clefs du clocher. Plus de vingt fusils étaient braqués sur la poitrine du vénérable prèlre qui a plus de soixante-dix ans. « Les clefs 9onl cachées , dit-il , vous ne les aurez pas. Tuez-moi si vous voulez, je suis assez vieux pour faire un mort. » Dé- eoncertés en face de ce grand courage, ils partirent et ne sonnèrent pas le tocsin à Cluny. Le 6 au malin, ils avaient dépassé Saint-Sorlin , et ils approchaient de Màcon , quand ils fnrenl rencontrés par une colonne sous les ordres du commandant Porion. du V léger. Les insurgés étaient au nombre do quatre à cinq cents, tous mal vctus , mais fort bien armés. Le commandant , qoi marchait en avant de sa troupe, se trouva subitement en présence d'une avartt-garde d'insurgésquî, au nombre décent cinquante environ, groupés en corps, taudis que d'autres bandes étaient dispersées dans les champs et sur la route , avait été cachi^e par ud coude du che- min , un pli de terrain , des vignes et des buissons.
Mû par un sentiraient de généreuse compassion , le commandantPorion marcha aux insurgés pour leur faire comprendre combien leur projet était à la fois criminel et imprudent, puisqu'ils allaient se trouver en présence d'une troupe aguerrie , prête à les exterminer; il les invita donc à déposer les armes. ■ ' '
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270 HISTOIRE
L'attitude et le langage de l'intrépide commandaot firent naître un instant d'hésitation parmi les factieux , qui se séparèrent et reculèrent. Puis , à vingt-cinq ou trente pas, une cinquantaine firent une décharge qui, fort heureusement, n'atteignit pas le brave officier. Irrité par cet acte de trahison , celui-ci s'écria : c Tirail- leurs, en avant! » et, l'épée au poing, poussa droit à un chef qui le tenait en joue. Ce dernier fut renversé [lar le choc , et, au moment où il sentait la pointe de l'épée de son loyal ennemi s'appuyer sur sa poitrine, il demanda grâce. Aussi humain que courageux, le commandant lui accorda la vie et se contenta de le faire prisonnier. L'explosion avait attiré les soldats, qui arri- vèrent au pas de course, et dont les premiers rangs firent une. décharge générale. Les insurgés, épouvantés, se débandèrent et prirent la fuite à travers les champs et les vignes. Ils laissèrent cinq ou six des leurs sur le terrain. Huit d'entre eux furent arrêtés sur le lieu du combat.
Presque tous ces hommes portaknt des sacs dans Tespoir du pillage. La propriété, c'est le vol , disent les socialistes. Pourquoi ne pas renverser la phrase à leur profit, et dire: Le vol, c'est la propriété?
A Louhans, où deux gendarmes furent assassinés, la tranquillité fut promptement rétablie.
Le nombre des prévenus qui, prisonniers ou non, sont cités devant les commissions militaires , est de 487 : 31 pour l'arrondissement de Louhans, 42 pour celui d'Autun , 87 pour celui de Charolles, 110 pour celui de Chàlons, 197 pour celui de Mâcon.
[)'11N COIÎP D'ETAT. 271
Les autres localités qui ont été troublées l'ont été trop peu, et trop peu longtemps pour que nous nous y arrêtions. Pillage de caisses publiques , vol de dépèches, pillage d'armes, arrestation des courriers, destruction des télégraphes, séquestration des ronctioniiaircs, tels sont les principaux méfaits de l'insurrection de Saône- et -Loire. Il faut noter aussi , d'une façon toute particu- lière, ce fait, que presque tous les insurgés étaient, comme nous l'avons dit, munis de sacs.
Gïte-d'Or. — La démagogie socialiste aurait peut- être réussi à y produire quelques soulèvements j mais un assassinat atroce, commis sur un olBcier de la garde nationale de Nuits, ayant groupé dans un même sentiment d'indignation tous les honnêtes gens, les dé- magogues n'osèrent exécuter leurs complots. Nous em- pruntons le passage suivant à la Tribune de Beaune :
« Un crime épouvantable a jeté , samedi 6 décembre. la consternation dans la ville de Nuits. M. Arthur Marcy, second fils de M. Morey de Labouluye, est tombé vic- time d'un abominable guet-apens. Il sortait du café Nicole, ù onze heures du soir, lorsqu'un odieux assassin, embusqué à l'angle d'une rue, s'est précipité sur lui, et lui a déchargé , à bout portant, un pistolet dans la fi- gure. Le malheureux jeune homme est tombé mécon- naissable, et ses amis, pour constater l'identité, ont été obligés d'avoir recours aux objets qui garnissaient ses vêtements et son linge. La justice est, dit-on, sur les traces du coupable. Puisse la vindicte publique être
m fflSTOlRE D'OiN CÔW Û'ÉTAT.
satisfaite, cai" ce crim'6 exécrable a soulevé Tindignation de tous ! x>
L'assassin est uii cordonnier de Nuits', Abmaié Jean- Bernard Bbdin.
Am. — Ce département devait avoir aussi sa part dé troubles. C'est à Saint-André-de-Corcy que te mouve- ment a éclaté. On lit dans le Jourfial dé VÂin, au 8:
a Dans la soirée du 5 décembre^ des individus, venus des faubourgs de Lyon ou des villes voisines , ont en- traîné avec eux quelques paysans de Saint-ltfàrcel , puis se s6tit portés sur la rbute de Lyon à Strasbourg. A son entrée dans le département dé TAiri , après avoir arrêté les diligences, pillé les dépêches, ik ont attaqué fe caserne de gendarmerie de Sâint-André-cfè-Corcy.
a Le brigadier et deux gendarmes arrivèrent aussitôt à èheval pouf repoùsSér cette attaque , mais ifs furent reçus par une décharge qui les blessa tous trois. Un gendarme a reçu deux balles daïlM .là poitrine et eèt mort des suites de ses blessures.
« Écrasés par le nombre , ces braves gendarmes ont encore pir se dégager et s'éloigner jusqu'à Neuville.
« Une force assez considérable a été dirigée sur ce perirtf , de Bourg et de Lyon. Dix-sept individus ont éléf art^êté* eï coûduils à Lyon. »
j^^^^^m ^IP ^^p^^l^^^vA Mf^v^^^V 1 4^F^9^P IhB^K^V I
(WJ^TE,)
DEtXlÈMB GROUPE INSURRECTIONNEL.
Gers. — Les dépêches arrivées de Paris ne produi- sent d'abord aucune émotion grave apparente à Auch ; ^flMÎs dans la joinmèe du 3, les diefs des sociétés secrè- iteS'Se réunirent dans les bureaux de rAmi du peuple. -On décida qu'on ordonnerait aux affiliés de la campa- •gne de s'insurger et de se porter sur le chef-lieu. Des «émissaires partirent dans toutes les directions, pour ^tffimsmetk'e lo mot d'ordre. Parlons d'abord de ce qui ^eot lieu à Auch. Pour être exact , nous n'avons qu'à ^eiter le magnifique rapport du général Géraudon :
« Le 4, l'agitation commença dans la ville ; on prépa- rait, par une diversion, le drame qui devait s'accomplir le soir même.
274 HISTOIRE
« Il n'y avait en ce moment, à Auch, que trois esca- drons du 6® régiment de hussards. Ce faible efifectif de- vait suffire à toutes les difficultés de la situation, car il n'y avait de renforts prochains à attendre d'aucun côté. Mais avec un chef tel que le colonel de Cognord, et des soldats dévoués et intrépides comme l'étaient ses hussards, la partie devait être gagnée.
«Le régiment était ainsi réparti : le premier escadron, de cent soixante-dix chevaux, à Bayonne ; un demi-esca- dron parti pourFleurance et un autre vers Mirande ; trois escadrons dans Auch. Sur ces trois escadrons, la moi- tié, divisée en petits pelotons, gardait les issues impor- tantes de la ville. Il restait donc à la disposition do colonel un escadron et demi.
a A onze heures et demie du matin, heure choisie par les insurgés, un escadron commandé par le capitaine Michel, reçut l'ordre de se porter devant la Préfecture pour y prendre le procureur de la République. Ce fonc- tionnaire se rendit avec cet escadron devant les bureaux de rAmi du peuple, où stationnait un rassemblement nombreux. Ce trajet s'efiectua à travers une foule hos- tile qui faisait entendre les cris de : Vive le 6' hussards ! vive la Constitution ! Mais l'attitude calme des cavaliers de l'escadron en imposa à cette multitude; les sages dispositions prises par le capitaine Michel écartèrent la foule, et permirent au procureur de la République de faire les sommations, au milieu des cris et des voci- férations qui lui étaient adressés de toutes parts.
« Ces sommations n'ayant amené aucun résultat, le
DL'N COUP D'ETAT. S78
capitaine Michel ordonna de charger au trot, dans toute la largeur de la rue. L'impulsion des chevaux et les sabres des cavaliers eurent bientôt déblayé le ter- rain; mais la foule escalada les murs des jardins voi- sins, s'y jeta précipitamment, et assaillit d'une grêle de pierres l'escadron à son passage. Ce fut à ce mo- ment que le fourrier Petit déchargea son pistolet sur ta foule des assaillants, dont les pierres avaient déjà blessé quelques hussards.
«Après cette première répression, le capitaine Michel se porta avec sa troupe sur la place de i'Hôtel-de-Villc, dont ii garda toutes les issues. La lutte était engagée; les cris : A bas les hussards ! aux armes ! se faisaient entendre de tous côtés. Des coups de feu retentissaient dans plusieurs directions. L'un d'eux fut tiré sur le saaréchat-des-logis Gagnairc, qui s'était jeté à la pour- ■suite de plusieurs hommes armés. » « Vers quiilre heures, il y eut un moment do répit qui ■^permit de faire manger les hommes «t les chevaux; un ^loton resta seul sur la place pour y mainlenir l'ordre. - «A l'approche de la nuit, le colonel de Cognord, qui Vêtait installé à l'Hôlel-de-Ville et avait pris le cora- inandcment de toute la partie disponible de son régi- -Bient, envoya le capitaine Michel, à la létc de deux pe- lotons, pour reconnaître la roule de Bordeaux. Des avis, parvenus à l'autorité, donnaient à connaître que l'in- surrection s'avançait par cette route.
En effet, le capitaine Michel se trouva bientôt en face d'une masse considérable d'insurgés, venus de Vic-Fe-
}ff» HISTOIRE
zepsac, Ck>ndom et des villages gi^vironnillfits- CfliibfHl- fies, que leurs chefs ^valua^ei^t k i6,0Q0 hoimnea, a'jutï- jcètèrent, iqalgré l'énorme disproportion du xiomhnek sur rinjonction du capitaine. Ce dernier mit à pisifit les instants qui s'écoulèrent, poMr informer imm^dk* lement le colonel deCognord de la position danp la? qujEflle il se trouvait. ,Le cplonel :ne perdit pas na îpaUnt.
c Après .avoir r^pdu compte aiu géinéral et fm§eèO€r dres, il se rendit, suivi de M. le projcureur de la Aépi](r b^qye et d'un peloton de repfprt (seule force disponi- ble) sur le lieu du rassemblement, et put juger, dèssoD arrivée, queJles insurgés étaient au pombrede. 4^0100 environ , armés de fusils , de cabres , de pistolets et de faux. C'est contre une multitude pareille qu'il allait se trouver aux prises avec quatre pelotons seulemept, for- mant un etfectif de quatre-vingt-dix hommes.
c M. le procureur de la République, M. 3aint-Luo- Courlourieux, homme dpnt l'énergie remarquable ne s'est pas démentie un instant au milieu de ces troubles, ci^oignit aux factieux de se disperser, s'ils ne voulaient y être contraints par la force; mais ils ne tinrent au- cun compte de ces injonctions et cherchèrent à entrer en pourparlers. Leur but devenait évident , ils ch^- chaient à gagner du temps, pour que les nouvelles bao- des qu'ils attendaient pussent arriver devant la ville et augmenter, par leur présence, les chances de succès pour l'attaque.
a Le colonel de Cognord comprit qu'il n'y avait pas un instant à perdre. H demanda que les sommations
D'UN COI P D'ÉTAT.
fussent faites sans délai , et pendant qu'en présence de MM. de Magnitol et Lagaude, ancien et nouveau préfets, le procureur de la République remplissait cette forma- lité, le colonel disposa sa troupe en colonne d'attaque, par peloton, à vingt-cinq pas de distance.
« Il était neuf heures du soir, la nuit était sombre, le H .monient solennel et décisif. Le colonel se mil h. la tête de mf\t& petite colonne et commanda la charge. Il s'élança le Lpremier au milieu des insurgés, et suivi [tar ses quatre- ■i^vingt-dix hussards, que son courage et son exemple Levaient élcclrisés , il traversa deus fois cette masse tumul- tueuseet menaçante, sabrant, bouleversant tout sur son passage. La vigueur et l'énergie de celle attaque impri- mèrent à l'ennemi une terreur telle qu'il prit la fuite dans .toutes les directions, se prêcipilaul dans les carrières et les ravins qui avoisinent la route.
«Maiscetlechargebrillanleavaiteu lieu sur un terrain où ta cavalerie ne pouvait pas se déployer. Les insurgés ' ^i, dans leur effroi, s'étaient jetés sur les berges qui dominent le chemin, avaient assailli les hussards, k .l'aller et au retour, par une décharge foudroyante de toutes leurs armes. Aussi, la victoire qu'on venait de remporter l'ut-elle clièremeiil achetée.
« Un maréchal-des-togis chef et un hussard furent tués. Trois ofticiers supérieure furent blessés dès la pre- i miére décharge, l'un grièvement, le major Dulau, qui l'était volontairement joint à son colonel au moment de la charge. Dix-Iiuit hussards furent blesses. On couiple deux chc\aux tués et dix bles.sés.
278 HISTOIRE
« L'état Joint à ce rapport, indique nominativenMrt tous les braves que te feu des insurgés a atteints. Le colonel est en tète de cet état, comme il était en tète de la charge; son cheval avait été grièvement atteint aussi.
tt Ce fait d'armes, exécuté avec une valeur et une in- trépidité admirables, a sauvé la ville d'Auch d'une dé- vastation certaine, et le département d'une conflagra- tion générale. De tous côtés, les bandes de pillards et d'émeutiers se dirigeaient vers la ville, dans laqueik elles avaient de nombreuses intelligences. L'échec éprouvé par leur première colonne , jeta l'épouvante parmi les autres, qui rétrogradèrent immédiatement et disparurent.
« La conduite du 6^ de hussards est au-dessus de tout éloge : ofBciers et soldats ont fait valeureusement leur devoir, et je ne puis assez reocmmander ces braves, monsieur le ministre, et appuyer les bienveillantes dis- positions dans lesquelles vous êtes déjà à leur égard.
« M. Courby de Cognord vous est connu depuis long- temps, ainsi qu'à moi. Le colonel du 6* régiment de hussards vient de prouver qu'il est toujours l'intrépide chef de la cavalerie française à Sidi-Braliim.
« Veuillez agréer, monsieur le minisire, etc.,
« Le général de brigade commandant la subdi- vision de la 11* division miUtaire et l'état de siège dans le déparlement du Gers,
« DE Géraudon. » M. de Magnitot, le préfet sortant de fonctions, a
D'UN COUP D'ÉTAT. 270
marché pendant Faetion avec son collègue à la tète des troupes. Ensuite il lui a remis la Préfecture^ et, prenant un fusil, est allé se joindre, comme simple volontaire, aux citoyens de la garde nationale.
II faut citer, comme s'étant distingué d'une façon toute particulière, le capitaine Bernardy, commandant la gendarmerie. On nomme parmi les personnages ar- rêtés : Violet, lieutenant de gendarmerie en disponibi- lité; Gastineau, rédacteur en chef de rAmi du peuple j a été pris chez le sieur Lacaze, limonadier, où il s'était caché.
L'insurrection éclatait àFleurance, chef-lieu de can- ton, à onze kilomètres de Lectoure, en même temps que dans les environs d'Âuch. Les démagogues de la loca- lité, ceux qu avait expédiés la réunion de VAmi du peuple y avaient donné le mot d'ordre dans les campa- gnes, et, dans la nuit du mercredi 3, Fleurance fut en- vahie, à petit bruit, par les insurgés. Quelques heures avant le jour, les habitants paisibles furent éveillés par un bruit affreux. Quiconque ouvrait une fenêtre pour ▼oir ce qui se passait, était immédiatement ajusté par les bandits qui remplissaient les rues. De tous côtés ar- rivaient des bandes qui grossissaient ce hideux rassem- blement. Des fusils, des haches, des hauts-volants, des faux, des broches, des coutelas, des trancliets emman- chés de bâtons : telles étaient les armes de ces soldats de la jacquerie. Chacun était prisonnier chez soi. Impos- sible de se réunir pour résister. Dans la ville, il n'y avait que quelques gendarmes, ^ue les insurgés assiégeaient
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dans leur caserne, à laquelle ils voulaient mettre le feu, parce que ces braves militaires, sommés de rendre leun armes, avaient dit qu'ils ne les lâcheraient que morts. On put cependant faire partir un courrier pour Auch et un autre pour Lectoure. Celte dernière ville, étant beaucoup plus rapprochée , envoya plus promptement des secours. Au milieu de la journée, le sous-préfet Lacoste, le juge d'instruction, le greffier, le procureur de la République, arrivaient avec quinze gendarmes sous les ordres du lieutenant Guérin. Les insurgés sortirent pour les recevoir à l'entrée de la ville; mais la valeureuse cohorte s'élança à fond de train et se fit passage jusqu'à la place, oii elle vint se ranger sous le balcon de la mairie. Les insurgés environnaient ces braves. Deux de leurs tambours étaient au premier rang. Le sous-préfet, marchant à l'un d'eux, lui arrache les baguettes, puis la caisse qu'il jette au loin. Vingt fusils le couchent en joue. Découvrant sa poitrine: « Frappez, s'écrie-t-il, frappez un magistrat sans dé- fense ! Croyez-vous m'intimider ? Celui qui protège le bon ordre et Thumanilé n'a rien à craindre; il n'y a que les misérables qui s'arment contre la société qui doivent trembler... Frappez, vous dis-je, je mourrai en faisant mon devoir, et vous, on vous enverra au bagne avec les voleurs et les assassins! » Puis il commande à l'autre tambour de faire un roulement. Cet homme hésite: «Obéissez, lui dit le magistrat, ou je vous passe mou épée au travers du corps! » Alors, sublime specta- cle, M. Lacoste fait les trois sommations, et les insurgés.
WVy COUP D'ÉTAT. 2MI
dominés par celle audace du devoir, se séparent. Ce n'est pas assez pour le représentant de l'autorité: » Maintenant, dit-il, les barricades que vous avez con- struites, travaillez à les renverser. » Les insurgés obéis- sent encore. Que l'on compare la conduite de ces cou- rageux magistrats à celle des représentants à la mairir du I0«.
Comme les insurgés travaillaicnl à la destruction de leurs barricades, un escadron de hussards, parti d'Audi, entrait dans Fleurancc. Epouvantés, ils ont pris la fuite en jetant leurs armes. Beaucoup ont été arrêtés ; mais, comme toujours, les chefs avaient fui des premiers. On cite parmi ceux-ci ; Diipuy, Campan, Dclas, Taris- sant. Claoné, médecin, qui avait attaqué la mairie, les armes à la main, a été arrêté encore nanti de car- touches.
A Mirande, les [roubles se manifestèrent dans la journée du 3. Cinq ou six mille insurgés s'emparèrent de [a ville et firent prisonnières les autorités, notam- ment le sous-préfet qui fut blessé au cou, mais légère- ment,d'un coup de pistolet. Une autorité révolutionnaire fut installée, composée de MM. Canleloup, Nélérinaire, Adrien, Terrail, Passama et quelques autres. Ils firent garder à vue les véritables fonctionnaires dans la pri- son de la ville, pillèrent la poudrière, tirent différentes rcquisilions forcées, et distribuèrent à ceux qu'ils nommaient leurs soldats, des cartes, sorte de bons, sur lesquels les habilanls devaient leur délivrer ce dont îla auraient besoin. Les troupes disponibles à Auch ne
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suffisant pas pour chasser les insurgés, une colonne, partie de Toulouse, formée d*unc compagnie du 60* de ligne et de deux pièces d'artillerie, est entrée le 7 au soir à Mirande. Lors de l'arrivée de cette colonne et des autres troupes , que le préfet y a conduites, les insurgés avaient quitté la ville après avoir détruit leurs barricades, remis leurs prisonniers en liberté, et même imploré leur intercession près du gouvernement. La plupart des meneurs ont pris la fuite ; cependant les arrestations ont été nombreuses.
A Gondora, le 6, les choses se passaient presque de la même manière. La ville, occupée par l'insurrec- tion , vit aussi l'établissement d'une administration in»- surrectionnelle ; mais, comme ceux de Mirande, les insurgés, à la nouvelle qu'un détachement marchait sur eux, se dispersèrent. Ils rétablirent eux-ipémes M. Campaigno à la Sous-Préfecture. Les bandes qui ont marché sur Auch sont parties de Vic-Fezensac, de Masseube et de Jegun . oii les mairies ont été prises par les insurgés. On cite le maire de Jegun, M. Jules Lasmezas, comme ayant montré la plus grande in- trépidité.
Lot-et-Garonne. — A Marmande, à Villeneuve-d'A- gon, rinsurrection s'est manifestée de la façon la plus grave. I-^s nouvelles de Paris arrivèrent à Marmande le 2 au soir. Le sous-préfet, M. Pelline, donne ordre à quelques brigades de gendarmerie de se concentrer sur cette ville. Dans la matinée du mercredi 3, quelques
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D'UN COUP D'ÉTAT.
drapeaux Turent arborés aux fenêtres; les démagogues de la localité se mirent en mouvement, et beaucoup se répandirent dans la campagne, pour y donner le si- gnal de l'insurrection. Le soir, une séance tumultueuse du conseil municipal eut lieu ; on y laissa entrer les délégués du peuple, et, sous la pression qu'ils exercè- rent, le conseil rendit un décret de déchéance contre le Président. Le maire. M. Durour, qui a fait la plus honorable résistance, et un autre conseiller municipal, n'ont pas voulu signer ce décret, qui invitait \i\ popu- lation de Marmande à délendre la Constitution les armes à la main. Le 4, des rassemblements nombreux avaient lieu dans les cafés, sur les places, et le sous<pré- fet fit publier l'invitation aux hommes d'ordre de se réunir, pour prêter leur concours â l'autorité. Cette demande du sous-préfet resta sans résultat. Une com- mission, dite municipale, s'était organisée, et était composée de MM. Vergues, avocat; Goyneau, avoué; Mourai), marchand de prunes; Bacarisse , avoué, et quelques autres. Pefit-Lafitte, Moreau , prirent part aux actes coupables commis dans Marmande. MM. Ver* gnes , Petil-Lafitle et Moreau sommèrent le sous-pré- fet de dire s'il était pour le Président de la Répu- blique, et lui deimuidèrcnt de résigner »es fonction» entre les mains du peuple. M. Pellinc répondit qu'il ne reconnaissait comme son chef que le min)stn> «le l'inté- rieur, et qu'il regardait tout ce qui se passait comme illégal. Le 5, envahissement de la Sous-Préfecture, no- mination de Peyroniiy, chef d'escadron en retraite i
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Miraroonty au commandement de la garde nationale; Seré-Lanauze est nommé son lieutenant. Séquestra^ tion du sous-préfet dans son appartement. Ce fono- tionnaire sort, malgré les consignes des sentinelles, d s'embarque dans une yole avec M. Joly, ingénieur des bords de la Garonne, pour aller chercher des secours à Bordeaux. Miramont avait fourni quatre cents hom- mes à l'émeute. La commission révolutionnaire avait distribué toutes les armes destinées à la garde natio- nale. Plusieurs citoyens étaient gardés à vue, et d'au- tres étaient contraints à faire de la poudre, à fondre des balles et des boites à mitraille, car on espérait utiliser deux canons qui avaient été donnés à la ville pour le service de la garde nationale.
Après l'envahissement de la Sous-Préfecture, le sous- préfet avait donné Tordre à M. Flayette, lieutenant de gendarmerie, de se retirer à Couthures avec ses gen- darmes. Cet officier reçut dans la nuit celui de se re- plier jusque sur la Réole.
Le sous-préfet s'était rendu à Bordeaux près du gé- néral d'Arbouville, qui, n'osant pas immédiatement dé- garnir cette ville, conseilla à M. Pelline de se rendre à la Réole où étaient les gendarmes , et d'y attendre les secours qu'il lui enverrait. Le dimanche 7 , dans la soirée, le lieutenant Flayette reçut l'ordre de se porter à Couthures pour y favoriser le débarquement de cinq cents hommes de troupe de ligne envoyés de Bordeaux sur un bateau à vapeur. Cent chasseurs à cheval et une demi-batterie d'artillerie marchaient sur Mar-
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D'UN COL'P D'ÉTAT. 285
mande par la voie de terre. A quatre heures flu ma- lin, les insurgés , prévenus de l'arrivée des troupes, forcèrent leurs chefs à marcher à leur t^te et prirent la route de Castelnau. Peyronny , Seré-Lanauze , Vergnes, Gergerès et quelques autres, étaient de celle expédilion. Arrivé à Sainte-Bazeiite, Peyronny venait de faire prendre position à ses bandes, quand on enten- dit le bruit d'une troupe de cavalerie qui approchait ; c'était le lieutenant Flayette avec vingt-cinq gendar- mes et le sous-préfet, se portant surCouthures suivant l'ordre qu'il en avait reçu. Au moment où '^ P*''^ ton s'avançait au trot, les gendarmes davant-garde ayant le sabre à ta main, un commandement fait d'une voix fortement accentuée se fait entendre : Qui vive! un instant après : Qui vive, joue, feu ! l'ne terrible fu- sillade suit ce commandement, et plusieurs gendarmes tombent grièvement blessés. Les chevaux du lieute- nant Flayette et du maréchal-d es-logis Gardette s'af- faissent. Les autres chevaux s'emportent, et le peloton se disperse. Gardette et un autre gendarme restent gisants sur la route. Les insurgés s'approchent; un nomraé Prévost dit : «Qui est celui-là? On lui répond : — C'est un maréchal-des-logis qui est tué, — Tant pis, dit cet homme. — Maisil avaittirésurnous? — Alors tant mieux, ajoute Prévost, il faut lejetcr dans un fossé.» Va nommé Masson frappe Gardette de deux coups de sabre : «Lâche, lui dit Gardette, » Masson lui porte un troi- sième coup de sabre. Un autre insurgé, nommé Mazu- met, avait une broche qu'il enfonce entre les flancs du
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blessé. Alors Gardette fit le mort. On se mit à le dé- pouiller ; quand on lui prit son sabre^ il fit un. mouve*- ment. On lui donna encore un coup de sabre. Nom ci» terons textuellement les paroles de Peyronny lui-iDéme devant le conseil de guerre : « Je proteste que j'igno- rais toutes ces atrocités ; il n'y a que la canaille qui puisse agir ainsi; et quand on voit que ce sont des Français , il est impossible de ne pas être saisi d'hor- reur et d'indignation. » Bientôt, ayant appris que 1| troupe avait débarqué, les insurgés se débandèrent Peyronny et Les aujlres chefs durent chercher leur salut dans la fuite. Quant au sous-préfet, il parvint à rallier une douzaifie d'hommes, et rentra avec eux à Mfaur^ mande.
Le lieutenant, de; son côté, retrouvait quelques-uns de ses soldats à Sainte-Bazeille , et , conduU par m paysan sur les bords, de la Garonne, y apprenait que h troupe de ligne venait de débarquer. Il la rejoignait à Sainte-Bazeille. Les troupes entrèrent sans difficulté à Marmande.
Ainsi, cette ville demeura au pouvoir des insurgés de- puis le 3 au soir jusqu'à la matinée du lundi 8.. Is procureur de la République était, pendant tout ce temps-là, resté bravement à son poste.
Le 1 8 décembre au malin , Peyronny et Seré-L^ nauze ont été arrêtés sur un bateau en descendant lu Dordogne pour s'embarquer, au bas de la rivière, sur un navire en partance pour l'étranger. On tes a cou* duils à Bordeaux , ou un conseil de guerre a condaumi
D'UN COUP D'ÉTAT.
Peyronny à la déportation ef à la dégradation comme chevalier de la Légion d'honneur. Le 14, par le ba- teau à vapeur, déjà trente prisonniers étaient arrivés de Marmande.
A VilIcncuvc-d'Agcii, les insurgés s'étaient aussi emparés de la ville et y avaient, comme à M;irmande, installé une autorité révolutionnaire. Le sous-préfet et le président du tribunal s'étaient retirés à l'abbaya d'Eysses, sous la protection de deux compagnies du 1 7" qui gardent la maison centrale, ^ous empruntons le ré- cit suivant au Journal de Lot-et-Garonne, du Hi :
«Le samedi 13. les coloimes expéditionnaires, ayant en fête le préfet de Lot-et-Garonne, ont fait leur enlrée dans la ville, l'n peloton de vingt gemlarmes , sous les ordres du brave commandant Polerlet. entré le pre- mier à Villeneuve, fut reçu par les habitants d'une fa- çon assez malveillante; mais l'énergique attitude de la gendarmerie et l'allocution plus énergique encore du commandant à la foule, imposèrent silence à cet essai de démonstration.
n Une demi-heure après, l'infanlerie, la cavalerie, l'artillerie arrivaient dans toutes les directions, et le calme se rétablissait par enchantement.
o Le préfet de Lot-et-Garonne avait un grand acte de réparation à accomplir. Escorté d'un détachement de chasseurs, il s'est rendu à l'abbaye d'Eysses, où le sous-préfet et plusieurs des autorités avaient dû se réfu- gier. Chassé de Villeneuve par la violence, le sous-pré- fet y est rentré avec les honneurs dus à rautorité.
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« Le préfet s'est empressé de prendre toutes les me- sures de sûreté que commandaient les circonstances. Tous les clubs, cabarets et autres réunions socialistes ont été fermés et gardés par la troupe. Quarante man- dats d'amener ont été lancés ; mais, comme on le pense bien, la commission municipale et toutes les autorités provisoires avaient pris la volée au son du tambour, et l'on a pu seulement ramasser une douzaine de per- sonnes.
ce Quant aux Dubruel, aux Philips, aux Brondeau, el autres premiers sujets de ce gouvernement pour rire, qui se permettait de destituer les fonctionnaires, d'ar- rêter les courriers et de mettre les caisses publiques sous le séquestre, on est à leur poursuite, et bientôt, sans doute, ils rendront compte au conseil de guerre de leur conduite pendant ces tristes journées.
(c Quelques habitants, ayant mis obstacle aux réqui- sitions frappées pour la nourriture et le logement des troupes, les soldats ont été logés militairement chez les récalcitrants.
« Diverses autres mesures d'ordre ont été proscrites par le préfet avec une promptitude et une vigueur re- marquables.
« Le plus difficile a été de se procurer un maire. Des démarches ont été faites auprès de plusieurs habi- tants de Villeneuve, restés fidèles à la bonne cause. Au- cun n'a voulu encourir la responsabilité municipale. Le préfet alors a pris un moyen héroïque, il a fait venir trois conductcui*s des ponts-el-chaussécs, dont les
D'UN COUP DÉTAT.
principes et la couduîle claient des plus salisfaisants, et il les a nommés maire et adjoints.
o Hier malin, le calme le plus profond régnait dans cette ville, la veille insurgée. Le préfet est rentré à Agen. o
La ville de Clairac voulut aussi avoir sa part dans les troubles du département. Le maire, M. Audeberl, fit afficher une proclamation qui mettait le Président hors la loi. Mais dès qu'on eut appris la mise en état de siège du département , le calme se rétablit.
Haute-Gabonse. — Le mercredi 3, au soir, on a affiché à Toulouse la dépèche télégraphique annonçant la dissolution de l'Assemblée. La municipalité est re&tée en permanence une partie de la nuit. Les troupes ont été consignées, et la place du Capitole occupée par un piquet de cavalerie. \ dix heures du soir, rue de la Pomme, où se trouvent les bureaux de l'Émancipation, et sur la place du Capitule, des groupes nombreux commencent à se former. Ils sont très-animés et pré- sentent une physionomie des plus hostiles. Bientôt ils se dispersent , la manifestation a été contrcmandée.
A deux heures du soir, le lendemain , on arrive de tous les côtés sur la place en criant : n Vive la Répu- blique! vive la Constitution! » Une demi-beurc après, M. de Forgeniolles , ciipitaînc d'êlat-major du général Réveil, se présente pour passer au milieu de la foule. H est reçu à coups de pierres et aux cris de : « Vive la Ré-
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pirblique ! » Alors il tire son sabre et veut avancer. Un individu tire un coup de pistolet sur lui et le manque. Aussitôt les curieux prennent la fuite. Un instant après, le général , le procureur général , le maire et quelques conseillers municipaux, arrivent avec l'artillerie à che- val et se rangent devant de nombreuses troupes d'in- fanterie qui étaient en bataille sur la place du Capitole. Les autorités font les trois sommations, et la cavalerie charge au galop sur la foule, qui se disperse.
Le même jour 4, les deux journaux V Émancipation et la Civilisation publiaient une protestation qui invi- tait le peuple à se lever pour la défense de la Consti- tution, et déclarait le Président déchu.
La proclamation suivante a été affichée :
Aux habitants de la Haute-Garonne,
Les signataires de la proclamation incendiaire, publiée aujourd'hui par VÉmancipatikm et la Civilisation, ont été arrêtés, et la cour d*appel de Toulouse, sur les réquisitionsdu procureur général , vient d'é?oquer, ce soir même, la connaissance de cette aflairc, qualifiée complot, ayant pour but d'exciter les habitants à la guerre civile , ainsi que de la tentative d'assassinat dont M. de Forgemollcs, capitaine aide-de-camp de M. le général commandant la division, a été Tobjet aujourd'hui.
Les commissaires instructeurs sont : iM. le premier président et MM. les conseillers Tarroux et I)cnat.
Les arrestations ont été opérées sans résistance. Toulouse jouit de- puis ce moment de la plus grande tranquillité.
Les autorités civiles et militaires sont en mesure de réprimer toute nouvelle tentative de désordre.
Toulouse, le 4 décembre i85i.
Le préfet de la Haute-Garonne,
PlÉTRI.
D'UN COUP ITÉTAT. »4
L^îndi^idu qui a tiré 6ur M. deForgémolles esl en état d'^arrestation.
Grâce à l'énergie des autorités, et surtout aux mesures prescrites et habilement dirigées par M. le préfet Piétri, Tordre n'a pas été troublé davantage à Toulouse.
Haute- Vienne. — La proclamation du préfet de ce département contient le récit des désordres qui l'ont affligé. Nous la citerons en entier :
Le préfet, aux habitants de la Haute-Vienne, T^p
Des anarchistes s'étaient portés dans les communes rurales pour y semer Falarme. Déjà ils proféraient dVffroyables clameurs; ils son- naient le tocsin , prélude de tant de crimes. Ils couraient à travers les campagnes, armés de fusils, de haches , de fourches et de faux. Leur nombre s'élevait à près de cent cinquante.
Aussitôt que cette nouvelle est parvenue à la connaissance de Tau- torité , il a été envoyé de Limoges cinquante bassards et six gen- darmes, sous la direction du commissaire central. Le détachement a atteint les anarchistes à Linards et les a immédiatement mis en dé- route. Trois coups de feu sont partis de la bande sur les hussards. Geux-ei ont riposté par une vigoureuse décharge. Sept insurgés ont été blessés, dont deux assez gravement à la tète.
Le sergent de ville Blanchard en a blessé un autre d'un coup de sabre, au moment où il couchait en joue un niilitaiic.
M. Ruchaud, curé de Saint-Bonnet , a marché contre ces brigands h la tète de vingt-deux paysans armés pour la défense de Tordre. Ce brave et digne ecclésiastique n'a pas pâli devant un canon de fusil tourné contre lui ; il a donné un de ces nobles exemples de courage auxquels applaudira tout homme qui porte un cœur élevé.
Le rapport du commissaire central, daté du 6, à neuf heures du soir, me fait connaître qu'on a opéré trente arrestations et que ce matin on doit en faire de nouvelles. On a saisi des fusils, des balles, des cartouches» des couteaux-poignards.
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pirbliquc ! » Alors il tire son sabre et veut avancer. Un individu tire un coup de pistolet sur lui et le manque. Aussitôt les curieux prennent la fuite. Un instant après, le général , le procureur général , le maire et quelques conseillers municipaux, arrivent avec Tartillerie à che- val et se rangent devant de nombreuses troupes d'io- fanterie qui étaient en bataille sur la place du Capitole. Les autorités font les trois sommations, et la cavalerie charge au galop sur la foule, qui se disperse.
Le même jour 4, les deux journaux V Émancipatwn et ta Civilisation publiaient une protestation qui invi- tait le peuple à se lever pour la défense de la Consti- tution, et déclarait le Président déchu.
La proclamation suivante a été aflîchée :
Aux habitants de la Haute-Garonne,
Les signataires de la proclamation incendiaire, publiée aujourd'hui par VÉmancipcOêon et la Civilisation, ont été arrêtés, et la cour d'appel de Toulouse, sur les réquisltionsdu procureur général , vient d'é?oquer, ce soir même, la connaissance de cette affaire, qualifiée complot, ayant pour but d'exciter les habitants à la guerre civile , ainsi que de la tentative d'assassinat dont M. de Forgemolles, capitaine aide-de-camp de M. le général commandant la division, a été Tobjet aujourd'hui.
Les commissaires instructeurs sont : M. le premier président et MM. les conseillers Tarroux et Denat.
Les arrestations ont été opérées sans résistance. Toulouse jouit de- puis ce moment de la plus grande tranquillité.
Les autorités civiles et militaires sont en mesure de réprimer toute nouvelle tentative de désordre.
Toulouse, le i décembre i85i.
Le préfet de la Haute-Garonne,
PlÉTRI.
D'UN COUP ITÉTAT. »4
L'^indWidu qui a tiréftur M. de Forgémolles est en état â*'arrestation.
Grâce à l'énergie des autorités, et surtout aux mesures prescrites et habilement dirigées par M; le préfet Piétri, Tordre n'a pas été troublé davantage à Toulouse.
Haute- Vienne. — La proclamation du préfet de ce département contient le récit des désordres qui l'ont affligé. Nous la citerons en entier :
Le préfet, aux habitants de la Haute-Vienne, '^p
Des anarchistes s'étaient portés dans les communes rurales pour y semer Talarme. Déjà ils proféraient d'effroyables clameurs; ils son- naient le t^sin, prélude de tant de crimes. Ils couraient à travers les campagnes, armés de fusils, de haches , de fourches et de faux. Leur nombre s'élevait à près de cent cinquante.
Aussitôt que cette nouvelle est parvenue à la connaissance de Tau- torité , il a été envoyé de Limoges cinquante hussards et six gen- darmes, sous la direction du commissaire central. Le détachement a atteint les anarchistes à Linards et les a immédiatement mis en dé- route. Trois coups de feu sont partis de la bande sur les hussards. Geux-€i ont riposté par une vigoureuse décharge. Sept insurgés ont été blessés, dont deux assez gravement à la tète.
Le sergent de ville Blanchard en a blessé un autre d'un coup de sabre, au moment où il couchait en joue un militaiie.
M. Ruchaud, curé de Saint-Bonnet , a marché contre ces brigands à la tète de vingt-deux paysans armés pour la défense de Tordre. Ce brave et digne ecclésiastique n'a pas pâli devant un canon de fusil tourné contre lui ; il a donné un de ces nobles exemples de courage auxquels applaudira tout homme qui porte un cœur élevé.
Le rapport du commissaire central, daté du 6, à neuf heures du soir, me fait connaître qu'on a opéré trente arrestations et que ce matin on doit en faire de nouvelles. On a saisi des fusils, des balles, des cartouches» des couteaux-poignards.
292 HISTOIRE
Les •hussards, la gendarmerie ont déployé une grande énergie. Le commandant du détachement, le lieutenant Renève, a montré une extrême vigueur et une admirahle intrépidité dans Tattaque.
M. le commissaire central a agi avec beaucoup de résolution et de sang-froid, et il a conduit cette affaire avec une activité qui en a as- suré le succès.
Hàtons-nous d*ajouter que Tappcl à l'anarchie est repoussé par la très-grande majorité des braves habitants des campagnes, qui yeulent Tordre , la paix et le travail, et non la spoliation et le brigandage.
Aussi accueillait-on avec sympathie le détachement qui se portait à la poursuite des insurgés.
Si quelques misérables rêvaient un bouleversement anarchique dans notre pays, la vigoureuse répression que cette tentative vient de subir, les condamnations qui frapperont bientôt les coupables , en préviendront à jamais le retour.
M. le procureur de la République et M. le juge d'instruction sont partis hier soir , accompagnés de quelques gendarmes, pour suivre Tinstruction de ce commencement d'une véritable jacquerie, qui au- rait pu devenir grave si elle n'avait été prompte ment et énergique- ment réprimée.
E. DE Mentque.
Limoges, le 7 décembre iSoi, à six heures du matin.
Ce n'est qu'à l'attitude vigoureuse de ses autorités ^ notamment du préfet, M. de Mentque, du général de Solliers, commandant la subdivision, du général Lu- gnot, colonel de la garde nationale , que Limoges a dû de ne pas être attaquée par les brigands, qui avaient pour but la ruine de la société, le meurtre et le pillage.
Des arrestations importantes ont été faites. Bonneix, cabaretier, place de la Mairie , l'un des chefs de la bande qui s'est portée sur les communes de Saint-Bon- net et de Linards, a été arrêté par le maire et les habi-
D*UN œUP D'ÉTAT. 393
Unis de Saint-Vitte au moulin de Cuzzac. Il a fallu lui lier les membres pour pouvoir le conduire à Saint- Yrieix. Ce forcené appelait le peuple à son secours. Cétait à lui qu'était échue la mission de soulever les communes de Saint-Germain, Vicq et Glanges.
Les gendarmes de Nexon ont arrêté dans ce canton trois individus de Limoges : les sieurs Paquet, corroyeur, Barry, menuisier, et Thomas , cafetier, qui le parcou- raient pour soulever la population.
« Comme un grand nombre de villes, Bellac a eu ' son complot , ses rassemblements armés dans les cam- pagnes, et ses bandes organisées pour le pillage , sous rinspiration de meneurs qui sont en ce moment arrêtés Ou en fuite.
« Une explosion devait avoir lieu, dans -tout Farron- dissement , pendant la nuit du 5 au 6, et fortifier l'in- surrection projetée à Limoges. Sur plusieurs points, des bandes se sont formées pour marcher sur Bellac, qui, disait-on , était en feu. Une colonne de pillards, armés de fusils, de faux, de fourches et de bâtons, est venue même aux portes de la ville.
« Grâce aux mesures énergiques combinées entre M. Doé, sous-préfet, et M. Bertrand, procureur de la République, parfaitement secondés par M. Simon, ^ ,y commandant de la gendarmerie , dont toutes les forces militaires étaient réunies au chef-lieu , le plan des pil- lards a échoué. Une partie des meneurs a été arrêtée , d'autres ont pris la fuite.
ttSur un point éloigné de l'arrondissement, à Lus-
19
f
294 HiSTO)R&
saoie&-Ëglises, une bande a arrêté un coMr^r porteiur des dépêches 9 Ta dépouillé et toaltraité. Leprocurenr de la République s'y est transporté sur-4e-chanip , ^ corté d'une force imposante* Six nouvqlles arrestations ont été opérées.
« Ces mouvements partiels se rattachaient à un plan général qui embrassait toiit le département de la Haute- Vienne. La cour de Limoges a évoqué TalTaire. Pendfuit toute cette semaine, MM. Larombière, substitut de M. le procureur général, et Désiles, conseiller, assistés du procureur de la République et de M,, Talandier, substitut, ont entendu de nombreux témoins. Ving^ cinq nouvelles arrestations ont été ordonnéeis, entre au- tres celle d'un ancien prêtre catholique devenu protes-
tAfit, de M. VriçhOQi» fràr*^ 4« Tai^Hm n^Bi^i^Pifust. La vigueur des magistrats a rassuré le pays. » (Lettrp insérée dans le Comlitutiormel du 23 décembre.)
Le conseil municipal de Limoges, reconnaissant des services rendus par le préfet, M. de Mj^nlque, par le général SoUiers et par le colonel de h garde nationale, général Lugnot, a décidé qu'une épée d'honneur serait offerte à chacun des deux premiers, et que le portrait du dernier serait placé au ipiisée d^ 1^ vilte^
De 600 côié, 1» garde nafional(B a ouverjt uqç spupr- criptioa pour qu'une seconde épée d'honneur fût offerte i M. de Mexique. De pareils hommages hoiv>r^nt i la foi^.ceux qui les offrent et ceux qui en sont l'oji^et.
Ba»s^A4^^. — - Si la Nièvrie et le Jnna Ofit à reven-
DUN COUP D'ÉTAT. 295
diquer le triste privilège d*aToir surpassé tous les autres départements insurgés dans les horreurs et les abomi- oations de la jacquerie, celui des Basses- Alpes peut revendiquer celui d'avoir été le siège d'une des insur- rections les plus formidables. Dans ce département , Longoraazino, Gent et leurs autres complices, avaient immensément recruté pour les sociétés secrètes. Le caractère provençal, qui est celui des habitants des Basses-Alpes, surtout dans les parties inférieures du département, se prêtait merveilleusement à recevoir les doctrines du socialisme. Les habitants de ce pays sont prompts à s^ir et réfléchissent peu. Ils sont colè- res, fiers, égoïstes et cruels. Esprits brillants, tètes in- flammables, ils sont aptes aux choses d'imagination, qaais ils approfondissent peu. Le jugement leur fait presque toujoui*s défaut Ils aiment la nouveauté, l'ex- traordinaire et vont tout d'un coup aux extrêmes. Ils sont fougueux en tout et détestent ce qui est sage, mo- déré, réfléchi. Leur littérature prouve ce que nous avançons. Elst-il rien d*audacieux, de satirique comme Barthélémy etMéry? Peut-on trouver un écrivais plus ftere et plus emporté dans sa franchise, souvent irré- fléchie, que Rabbe ? Est-il un historien qui soit plus pirompt à blâmer les opinions timides et plus rapide à exagérer les théories hasardées que Thiers? *
Pfesqtie tous les habitants des campagnes avaient été af&Ués aux sociétés secrètes. On leur avait montré, Qomine application immédiate de la doctrine socialiste, le piortagedcs biens, la suppression de la bourgeoisie,
2(>6 HISKHBE
choses quMls comprenaient très-bien et qui alléchaient leurs convoitises, leurs rancunes de fierté blessée ; puis la régénération sociale, grand mot vide de sens, qu'ils faisaient semblant de comprendre et qui flattait leur vanité naturelle. Ce département, epmme tous ceux do midi, principalement ceux du Var, de Yaucluse, de la Drôme, des Bouches-du-Rhône| de THérault, etc., était prêt à se lever en masse au premier signal . Il est bien œrtain aujourd'hui , même pour les optimistes d*avant le 2 décembre, que, si ce coup providentiel et sauveur n'eût été frappé par Louis-Napoléon , tout le midi de la France s'insurgeait, se levait sous Tétendard du socialisme rouge.
Entre Lyon et Marseille, tout le pays était infecté de socialisme. Ces deux villes étaient deux foyers d'où les sociétés secrètes rayonnaient incessamment. Â Mar- seille, quelque temps avant le 2 décembre, dans une réunion démagogique et sociale. Buisson, conseiller général du canton de Manosque et l'un des chefs de la jacquerie des Basses-Âlpes, disait, au nom des bandes, aux conspirateurs réunis: « Nous sommes prêts; nous nous lèverons au premier coup de sifflet. » Grâce à ce Buisson peut-être, Manosque, chef-lieu de canton dans l'arrondissement de Forcalquier, avait été choisi comme centre de révolte.
Dans le commencement du chapitre, Insurrection de PariSj nous signalions le départ de la capitale d'un cer- tain nombre de meneurs, de chefs démagogues pour la province. Or, le rapport des autorités du département
ffUN COUP D'ÉTAT, des Basses-Alpes au ministre de l'inl&ricur constate que le 4, avant l'arrivée des dépêches télégraphiques à Forcalquier, des meneurs parcouraient déjà les campa- gnes, annonçant les événements de Paris et invitant les habitants à s'insurger. Il ne faut pas trouver ce fait ex- traordinaire. Tout bien calculé, quelqu'un, parti de Paris le 2 au matin, pouvait être rendu à Avignon le 4 au matin et gagner en quelques heures, à cheval, l'arrondissement de Forcalquier dans les Basses-Alpes. Les moyens de transport qu'on a maintenant peimet- lent cette vitesse vraiment miraculeuse.
Le jeudi 4 décembre, c'était foire à Maunes. Ce fui là qu'on donna le mot d'ordre de la révolte. Les dé- magogues des communes voisine» s'y trouvaient réunis, et, dès le soir, transmirent les ordres des chefs dans leurs localités respectives.
Escoffier, horloger à Forcalquier, chef militaire de l'itisurrection dans l'arrondis-sement ; Debout, avocat dans ta même ville; Noël Pascal, instituteur révoqué, se donnèrent rendez-vous pr^s de la ville , et parcou- rurent, pour les soulever, les villages de Lurs . de Pcyi'uis, d'Ongles, de Dauphin, de Picrrerue, de la Brillanne , proches de Forcalquier.
Dès le lendemain 5, au matin, le tocsin, qui n'avait cessé desomier, avait réuni des insurgés en très-grand nombre. Ils s'emparèrenl de la mairie de Dauphin, malgré la résistance éncrgi(jue que leur opposa Fatljoint Morel. Les armes destinées à la garde nationale furent prises.
I
2o8 HISTIMREI :
A Manosque, Buisson, qui était en correspondance incessante avec les démagogues de Marseille, attendait que cette ville se déclarât. Il savait que le département dos Basses-Âlpes manquant de troupes, les forces de l'insurrection y seraient plus que suffisantes, et il vou- lait se porter avec son contingent sur le chef-lieu des 6ouches-du-Rhône. Dans la matinée, il fut instruit que Jes excellentes mesures prises dans cette ville ptr les autorités la maintenaient dans le devoir. Alors il se décida à se joindre aux autres insurgés de rarrondisse- ment pour marcher sur Forcalquier. Le plan était ée s'emparer d'abord de cette sous-préfecture, pour, de là, se porter sur Digne, sur Apt, et donner ensuite la main aux insurrections des départements voisins.
Le sous-préfet, M. Paillard, ne pouvait disposer que de quelques brigades de gendarmerie tout à fait ifisuâ- fisantes pour résister à une insurrection formidable. Il fit un appel aux hommes de bonne volonté, qui, le soir du 5, se réunirent à la Sous-Préfecture, au nombt^ d'environ trente. Comme rien n'annonçait que les in- surgés dussent venir soudainement, on se sépara à dix heures du soir avec promesse de se réunir une heure plus tard. Mais pendant ce temps-là, les insurgés s'a- vançaient. Un formidable contingent, fourni par le Dauphin, Manosque, Mauneset Forcalquier lui-même, marchait sur cette ville. Une autre colonne, très-nom- breuse aussi, arrivait par la route de Banon. Une troî- sièmo, formée des habitants de Peyruis, Lurs et Pierre- rue, venait de son côté. La jonction s'opéra hors de b
D'UN COUP D'ÉTAT
\ille, el bientôt le bruit du tambour annonça f|iie les soldats de la jacquerie approchaient.
Le moment éfait solennel ; M. Paulmier, substitut, et les gendarmes, étaient allés en toute hà(e rerpiérir les gardes nationaux. Quatre seulement et nn officier répondirent à cet appel. Impossible de résister à cette terrible invasion. Que va faire le magistrat tjui re- présente l'aulorité, et (jui, devant de tels ennemis, re- présente, il faut bien te dire aussi, la société? On lui conseille de fuir. « Je nmiirrai à fiion posfe! dit-il, mais je ne fuirai pas. » Ce courageux fonctionnaire voulait, en H0ronlanl ainsi l'émeute, qu'il ne fût pas dit que le principe d'autorité reculât devant la violence, devant les hordes de l'anarchie. Dût-il verser son sang, il voulait accom|)Iir son devoir. Si l'émenle !e Inait, elle prenait ainsi sa vraie signification devant tous les hormf^tt'S gens.
Bientût la colonne débouche sur la place de la Sous- Préfeclure. I>eus mille quaire cents insurgés environ viennent se ranger en bataille sur huit rangs devant ce monument. Tous ont au bras des rubans rouges, ainsi qu'à leurs chapeaux. La pinpart sont armés de fusils, puis les autres de lout ce qui peut couper, percer ou ëssommer. On sait que les paysans ont des armes ter-
[ "Hblcs : leurs faux, leurs croissants, Icui-s piques, leurs liaches; puis les fourches, si dangereuses dans leurs
[*Aiains.
C'était une bande formidable à ■ "^ armes
llrévoîulionnaires et k quai te
300 HISTOIRE
obéissait. Le souî^-préfet se plaça sur son balcon avec son écharpe. Au commandement du chef Escoffier^ qui cria : « Montagnards , halte ! » la bande s'arrêta , et lui, s'avançant sous les fenêtres : « Citoyen sous pré- fet, dit-il, la Constitution est violée ! Bonaparte est un traître! vous êtes déchus tous les deux!» (Te'xtuel.) « Citoyens, on vous trompe! dit le sous-préfet, le Président a rétabli le sulîrage universel. » Des vocifé- rations couvrent sa voix. «Si vous venez m'assassiner, reprit le courageux fonctionnaire en découvrant sa poi- trine, frappez! » Des fusils s'abaissèrent. Buisson, le chef de ceux de Manosque, les releva. L'avocat Debout, et Taillandier, serrurier, encourageaient, au contraire, les assassins. « Le peuple ne veut pas votre mort, dit Escoffier, mais votre châtiment. Descendez, rendez- vous ! — Je ne me rendrai pas ! — On va enfoncer vo- tre porte! — Enfoncez! Je ne céderai qu'à la violence!» Alors le sons-préfet va demander aux quelques dé- fenseurs qu'il a autour de lui s'ils veulent résister. Sur leur refus, il descend. Déjà on brisait la porte à coups de marteau de charron. « Me voici ! dit-il. » On le con- duit à Escoffier, qui, voyant ce grand courage, le prend sous sa protection. Malgré cela, les forcenés qui l'en- tourent lui arrachent sa croix, lui donnent des coups de crosse, le frappent avec des sabres non aiguisés, qui le meurtrissent. 11 reçoit dans la cuisse droite un coup de baïonnette, qui coupe une artère. Escoffier le cou- vrait de son corps. Il parvient à l'arracher aux massa- creurs et le conduit en prison. Quelque temps après,
D'UN COUP D'ÉTAT. 301
M. Pauiraier, lesubslitut, y arrivail aussi, tout meurtri des coups (le crosse que lui avaient donnés ces bri- gands. Buisson et Godefroy, un autre chef des insur- gés, Tavaient protégé. Des gendarmes aussi furent amenés. Escoffier envoya chercher un médecin pour soigner le sous-préfet. Il paraissait navré que ses hom- mes eussent commis de semblables attentats. Après avoir accompli ce devoir d'humanité, Escoffier s'en va retrouver ses bandes.
Un instant après son départ, le bruit se répand qu'une compagnie de la ligne, de passage à Forcal- quier, et partie le matin, fait un retour offensif sur la ville. Ceux de Manosque, bandits qui sont depuis long- temps affiliés à ceux de Marseille, se précipitent sur la prison, s'emparent des magistrats caplifs, sous prétexte de les conduire à Manosque, mais en fait pour les mas- sacrer en route. On met les menottes et la chaîne au cou à M. Paillard, et on veut forcer le sous-préfet à marcher. En vain le médecin, en vain le chef Gode- froy, disent à ces barbares : « Mais vous voyez bien que cet homme ne peut pas marcher, horriblement blessé comme il Test. Voyez, il perd des flofs de sang ! — II marchera! répondent- ils, ou bien nous le massacrons sur place ! » Le malheureux sous-préfet dut se mettre en chemin. Ils lui ont fait faire ainsi six kilomètres. On prit le chemin de Manosque. Godefroy, voyant qu'on voulait se défaire. des prisonniers, voulut accompagner la bande pour les protéger. En route, les insurgés di- saient en patois : a Tu auras beau faire, ce soir ils au-
302 fflSTOïRE
ront la corde au cou, et c'est toi qui tireras dessus, Godefroy. »
On arrivait au village des Eticontres, quand on en- tendit le galop d'un cheval : c'était Escoffier, qui arri- vait à bride abattue. S'étant aperçu qu'on a^ait enlevé les prisonniers, et soupçonnant bien ce qu'on en vott- lait faire, il venait, espérant arriver à temps pour les sauver. 11 fit monter M. Paillard sur son cfieval et le conduisit, toujours escorté de la bande d'assassins, an village des Enconlres, où il le fit mettre dans une cham- bre sur un matelas. En s'y plaçant, le blessé s'affaissa et perdit connaissance. 11 avait énormément perdu d^ sang. Escoffier pleurait en donnant des soins à M. Pail- lard. Il alla lui-même lui chercher un peu d'eau-de- vie pour relever ses forces. Quand le blessé revint à lui, il entendit un des bandits, qui s'était placé de fac- tion dans sa chambre, dire : « Il joue la comédie. i>
Escoffier obtint, à force de prières, d'exhortations et de menaces j de faire partir sa bande et de laisser M. Paulmier pour soigner le blessé. Mais une autre bande de Manosquins étant survenue, ce chef ne put pas empocher qu'on emmenât M. Paulmier.
Vingt-quatre heures après, le sous-préfet put être transporté à Avignon, où des soins lui furent prodi- gués. 11 eut le courage d'' adresser au ministre un rap- port circonstancié des événements, mais dans cette rédaction ses forces le trahirent comme dans sa lutte sublime. Ce rapport n'est pas terminé. Brusquement interrompu , il annonce sans doute que le héros du
D'UN COUP D'ÉTAT. 303
devoir avait écouté, en récrivant, son courage plutôt que consulté ses forces.
Escoffier, à vous maintenant , nôu^ ne passerons pas outre sàrts vous féliciter et sans vous plaindre. Sans vous féliciter, car vous vous êtes repenti ; vous avez pleuré sur cet homme héroïque, martyr de son devoir ; vous vous êtes dévoué pour le sauver. Sans vous plain- dre , car votre place n'était pas avec les assassins et les bandits, vous deviez être parmi les défenseurs de l'ordre. Quelques hommes comme vous, autour d'un homme comme lui , cela eût suffi peut-être pour empêcher le triomphe du désordre, pour éviter des crimes et des hontes à l'humanité. Pour ceux qui n'étaieiit qu'égarés, quelle leçon ! quels remords !
EscofRer, avec ses bandes , retourna vers Forcal- quier, où l'on se concentrait pour marcher sur Digne. Que faut-il donc pour arracher un homme à ses voies criminelles ! Ce chef d'insurgés , nous le retrouverons à Digne , faisant partie de la municipalité insurrection- nelle. Décidément il est coupable. Après les pages pré- cédentes, il nous en coûte d'être forcé d'écrire celle ligne de condamnation.
De tous côtés, les bandes d'insurgés venaient grossir le rassemblement à Forcalqûier. A Banon , à Reillanne, à Saint-Étienne-des-Orgues , les habitants repoussèrent les insurgés à main armée.
L'arrondissement de Sisteron ne tarda pas à suivre l'exemple de celui de Forcalqûier. Le vendredi 5 , on s* agi lait dans la plupart des communes voisines de Sis-
304 HISTOIRE
teron. Les démagogues de la ville étaient sur pied. Le sous-préfet fit arrêter Tun d'eux y le sieur Férédoux fils, qui était signalé comme un des meneurs les plus exaltés. Des bandes ne tardèrent pas à accourir de tous les en- virons j et même de certains cantons des Hautes-Alpes. On sait que la ville de Sisteron est presque sur les limites des deux départements, du côté du canton de Ribiers, dans les Hautes-Alpes, qui fut un des plus ardents à s'insurger. N'ayant que des forces complètement insuf- fisantes pour résister aux bandes insurrectionnelles con- sidérables qui envahissaient Sisteron , le sous-préfet se réfugia dans la citadelle, où il se maintint, avec à peu près quatre-vingts jeunes recrues, jusqu'à l'arrivée des forces qui furent envoyées contre les insurgés.
A l'entrée des bandes, le conseil municipal dut se retirer et faire place à une municipalité provisoire, dans laquelle entrèrent Férédoux , qu'on fît sortir de prison, un nommé Raymond et quelques autres, choisis parmi les socialistes de la localité. M. RIanquartde Railleul, sous-préfet de Sisteron , s'est parfaitement conduit du- rant ces événements déplorables. Plusieurs fois sommé de rendre la citadelle, par les insurgés qui occupaient Sisteron , au nombre d'environ quinze cents ou deux mille, il refusa énergiquement et sut même inspirer une telle crainte par l'altitude qu'il prit, que, quoique les insurgés aient occupé la ville pendant cinq jours, les persoimes et les propriétés y furent respectées.
C'est ainsi que marcha le soulèvement , dans les jour- nées du 4 et du 5 , dans le département des Rasses-
D'UN COUP D'ÉTAT. 30S
Alpes ; mais bientôt il devint général , et se montra partout. Contre cette levée en masse de l'insurrection , il était matériellement impossible de résister. Le dépar- tement n'avait pas de troupes , ou plutôt ce qu'il avait ne pouvait pas compter. On ne pouvait pas mettre trois cents hommes en ligne , y compris la compagnie hors rang du 25^ léger. Tout ce qui était en dehors de cette compagnie se composait de conscrits nouvellement arrivés de Bretagne , et ne sachant pas manier leurs armes. Quant aux gardes nationaux , il ne fallait nulle- ment espérer en leur concours y car il aurait été plus dangereux qu'utile. Presque partout les brigades de gendarmerie avaient été surprises et enlevées. Quand éclata cette formidable insurrection , le dépôt était en marche pour se rendre à Nîmes , et les compagnies étaient disséminées. Toutes les forces réunies^ il eût encore été bien difficile de résister.
Ce fut de Forcalquier et de Manosque que les insurgés se mirent en mouvement pour marcher sur Digne. Ils étaient au nombre de douze ou quinze mille. La nou- velle en arriva à la Préfecture dans la soirée du 5 dé- cembre. Le préfet se hâta de concentrer les quelques brigades de gendarmerie encore disponibles dans les environs. Ainsi que nous l'avons vu, une compagnie , partie de Forcalquier pour Digne y faisait un retour of- fensif sur ce foyer de l'insurrection : ordre lui fut expé- dié de revenir à Digne. Le préfet fit partir des courriers pour prévenir à Âix et à Marseille de la situation du département. L'un d'eux, fouillé huit fois en route,
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arrive néanmoins, à force d'adresse et de présence d*esprit , et parvient à Marseille.
Pendant ce temps-là , le préfet faisait arrêter à Digne plusieurs des principaux démagogues , et notamment Charles Cotte, avocat.
Le 6, à huit heures du matin , les autorités, connais- sant l'esprit de la garde nationale > décident qu'elle ne sera pas convoquée. Dans la journée , obsédé par les demandes qui lui arrivent de tous côtés ^ le préfet con- sent à laisser sortir de prison l'avocat Charles Cotte, ainsi que les autres prisonniers. Le soir, on fut prévenu de l'approche des bandes insurrectionnelles. Beaucoup d'habitants supplient le préfet de céder, pour éviter le sac de la ville ; il refuse , et déclare que son devoir lui commande de résister par tous les moyens en Si)n pou- voir.
Quoique la garde nationale n'eût pas été convoquée, elle se réunit à dix heures du soir, et se rangea sur la place de la caserne en chantant la Marseillaise et en criant : Vive la rouge ! vive la République démocratique et sociale l Évidemment les soldats allaient être pris entre deux feux : les insurges du dehors et les insurgés du dedans allaient se réunir pour les attaquer. Le pré- fet réunit les chefs militaires eji conseil de guerre , pour délibérer sur ce qu'il convenait de faire. D'un commun accord , il est reconnu qu'on m peut pas défendre la ville avec trois cents jeunes recrues, ;qui n'çint aucune- ment l'expérience du métier des arisies, et siiptout soui un feu double. Le préfet proppsade faire ui\^ retraite
D'UN COUP D'ÉTAT. 307
militaire y et de se retirer en se défendant pied à pied ; mais le major commandant ayant déclaré qu'il resterait dans sa caserne pour imposer aux insurgés , et protéger ainsi la ville, il dut se retirer, et gagna le fort de Seyne^ où il resta deux jours. Il avait écril au préfet des Hautes^ Alpes pour rinformer de ce qui se passait et lui de- mander du secours.
Les insurgés , à leur entrée dans Digne , organisèrent une municipalité provisoire, de laquelle Escofiier faisait partie , et voulurent s'emparer de la caisse du receveur général, M. de Matharel. Voici les renseignements que nous trouvons, à cet égard, dans une lettre écrite de Digne au Constitutionnel, du 14 décembre.
a Dès rapproche des bandes insurgées qui marchaient $Vf* Pigne., M. de Matharel ût déposer à la caserne, par mesure de prudence , une partie de son encaisse (15,000 francs) , et il se chargea d'une somme égale en billets de banque. La caserne, qui n'était gardée que par quelques conscrits du 25* léger, a dû , pour éviter le désarmement dont ils étaient menacés, faire des concessions aux chefs de Tinsurrection ^ et particuliè- rement celle de remettre l'argent du trésor, qu'ils ré- clamaient au nom de sept mille paysans armés jusqu'aux diientâ. Un refus eût nécessairement amené des contri- butions forcées , et probablement le pillage et l'incendie dp la ville.
« Le lendemain, non satisfaits des ressources trou- HKéesjkil^ caserne , les chefs de la révolte revinrent au- près du receveur général pour lui demander une somme
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de 1 4,000 fr. qu'il fallait encore , disaient-ils, pour la solde des hommes. Heureusement , le sang-froid de M. Matharel ne lui fît pas défaut , et il résista aux in- stances qui lui furent faites. Il a pu non*seulement soustraire à Tinsurrection la moitié de son encaisse, mais encore sauvegarder les bureaux et les archives de la recette générale, en restant à son poste jusqu'à la fin. »
Le chef de l'insurrection des Basses-Alpes se nommait Aillaud. Debout, l'avocat de Forcalquier, était son lieu- tenant.
Durant tout le temps de l'occupation de Digne par les insurgés, le maire, M. Fruchier, a été admirable de courage. Il n'a cessé de protéger, par tous les moyens possibles, ses administrés contre- les violences des sol- dats du désordre. Payant partout de sa personne, il a constamment montré la plus grande énergie ; sommé de prendre le brassard rouge que portaient les insultés des Basses- Alpes, il a répondu en montrant son écharpe: « Je ne reconnais que les couleurs nationales. »
Nous sommes heureux de rendre justice à ce coura- geux fonctionnaire, auquel une regrettable erreur at- tribuait une conduite toute différente. Le journal qui l'avait commise s'est, du reste, empressé de la rectifier.
A Forcalquier, les insurgés qui avaient mis la ville en état de siège, avaient aussi installé une municipa- lité révolutionnaire. Ils avaient proclamé que tout in- dividu qui serait trouvé avec des armes, ne faisant pas partie de leurs bandes, serait fusillé. Les hommes
D'UN COUP D'ÉTAT. 309
^de dix-huit à trente ans avaient été mis en réquisition ^au nom du peuple. On avait forcé les caisses publiques ^et la poste. Une bande, partie de cette ville, s'était diri- gée sur Apt, dans les Hautes-rAlpes.
Ainsi, tout le déparlement était au pouvoir de Tin- surrection. On pillait les caisses publiques, on arrêtait les courriers, et la population paisible, frappée d'inti- midation, séquestrée de toute nouvelle extérieure au département, était en proie aux plus vives inquiétudes. .Mais de tous les côtés à la fois, les troupes s'avan- çaient pour écraser Tinsurrection. A la nouvelle trans- mise par son collègue, le sous^réfet des Hautes-Alpes . faisait partir de Gap quatre cents hommes du 40° de ligne, sous les ordres du capitaine Monnier qui s'était porté sur Sisleron. A son approche, le sous-préfet et Jes autres autorités, descendant de la citadelle, avaient .. trouvé la municipalité révolutionnaire en séance. Plu- sieurs de ceux qui la composaient avaient été arrêtés. Ce fut à Sisteron que le préfet des Basses-Alpes vint joindre le capitaine Monnier^ Laissant dans celte ville deux compagnies, il partit avec deux autres pour se porter sur Digne. , Les insurgés, apprenant que le préfet des Bouches- . du-Rhône envoyait des troupes contre eux, quittèrent ^ Digne dans la Journée du 9, pour se porter contre elles. La rencontre eut lieu dans la commune des Mées , et après un combat de quelques instants, où les insurgés perdirent plusieurs des leurs, ils se débandèrent et se
portèrent vers Manosque et Forcalquier. Cette dernière
20
3i0 HISTOIRE
ville fut enlevée le 1 1 . Le préfet repreniait Digne le 12, et le 13 les troupes des Basses-Alpes, sous les ordres du colonel de Sercey^ et formant une forte colonne d'ar- tillerie, de cavalerie et d'infanterie, y faisaient aussi leur entrée. Le colonel Vinoy, du 54% venant d'Âpt par Forcalquier, entra à Digne le 14. Le 15, le chef de bataillon Foley, du 10® léger, nommé commandant de l'état de siège par le lieutenant-colonel Pearson , arri- vait, aussi lui, à Digne.
Le 16 au matin, le général d'état- major Morris, nommé commandant des opérations militaires dans le département, était à Forcalquier se rendant à Digne. M. Millet, chef de bataillon du 36' de ligne, a pris le commandement de l'état de siège dans l'arrondissement de Forcalquier.
On s'est occupé alors de rétablir partout les autori- tés démissionnaires ou violemment éloignées de leurs postes, puis on a procédé aux arrestations qui ont été fort nombreuses.
Dès le 13, le préfet marchait sur Barcelonnette, qui, le 8, à la nouvelle des événements de Digne, avait aussi eu son insurrection. Gastinel André, libraire, BufTe, Pascal et Libre fils, s'étaient constitués en comité de salut public. Avec soixante individus armés, ils s'étaient emparés du sous-préfet, qui était malade et alité, et des autres autorités. Là aussi, avait eu lieu le pillage des caisses publiques. Les citoyens paisibles avaient été l'objet des plus odieuses menaces. Après le départ des insurgés de Digne, le sieur Cotte, avocat, et quelques
D'IN COUP D'ETAT. jll
autres s'étaient rendus à Barcelonnelte, qui resta six jours au pouvoir de l'insurrection. A l'approche du préfet et de deux compagnies q l'il amenait, les déma- gogues prirent la fuite et le sous-préfet rentra immé- diatement en fonctions.
A Castellane, il n'y a pas eu d'insurrection.
Huit cent cinquante arrestations à peu près ont été faites dans les Basses-Alpes. Dans beaucoup de localités, les bras manquent pour le travail, et la misère est le partage de bien des familles, qui, avant ces déplorables événements, vivaient heureuses dans une modeste ai- sance. Malheureusement, à cause de la proximité de la frontière, les chefs ont pu s'enfuir pour la plupart, et ce sont les hommes égarés, les moins coupables certai- nement, qui ont à subir la peine de la rébellion. C'est toujours ainsi : les meneurs, les chefs d'insurrection, ceux qui poussent le peuple à la révolte, s'esquivent au jour du danger. C'est ce qu'on a toujours vu à Paris dans les émeutes.
Moins heureux que beaucoup d'autres, parmi les meneurs des Basses- Alpes, les quatre membres du co- mité de salut public de Barcelonnette ont été arrêtés par la garde nationale et par les douaniers de la com- mune de Fuers, dans la nuit du 13, comme ils se dispo- saient à franchir la frontière du Piémont.
L'insurrection des Basses-Alpes a été, comme on le Toit, une des plus longues et des plus graves parmi celles des départements. Cependant, à l'exception de l'assas- sinat commis à Forcalquier sur la personne du sous-
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préfet, et des cruautés horribles auxquelles se sont por- tées les bandes de Manosque, on ne trouve pas que l'insurrection de ce département ait été, à'beaucoup près, aussi féroce, aussi horrible que celle de certains autres.
Vaucluse. — Dans ce département, l'organisation socialiste était très-puis^iite ; elle avait été dirigée par Gent, l'ex-cotnmi^saire. Quand'lcs actes du 2 décembre furent annoncés, en Tabs^ncè du chef principal, ce ftit Etzéar Pin» ancien constituant, qui se mit à la tdte du mouvement, et qui fit le plan de Tinsurrection. Elle éclata sur quatre points à la fois. A Orange, à Carpen- tras, à Apt, à Pertuis.
Le dimanche 7, à cinq heures du soir, tout parais- sait calme à Orange et rien n'annonçait qu'il dût y avoir du trouble, quand, à sept heures du soir, cinq ou six cents socialistes sortirent des cabarets, se portèrent sur lâMairiëdont ils s'emparèrent, sans qu'on leur opposât la moindre résistance, et de là marchèrent sur la Sous- Préfecture qu'ils enlevèrent de même. Les gendarmes furent désarmés, mais bientôt l'énergique intervention de M. le major Théremin fit tout rentrer dans ToWlrc, et les principaux meneurs furent arrêtés.
A Carpentras, le mouvement avait commencé à peu près au même moment. Une bande de pillards mar- chait sur cette ville, se croyant sûre de réussir, parce qu'elle comptait sur le concours des démagogues qui l'habitaient; mais le sous-préfet, M. de Froidefonds, avait fait arrêter ceux qui étaient désignés comme les
D'UN COUP D'ÉTitt. 313
pjriQcjpaux meneurs, et ensuite, réunissant les hommes d'ordre, en avait formé une troupe décidée comme lui ^combattre énergiquement pour la défense de la so- ciété. Avec ces volontaires et une compagnie d'infini- terie, il marcha contre les bandes, les rencontra à une demi-lieue de la ville et les dispersa sans coup férir. Mais bientôt, Carpentras fut cerné par de nouvelles bandes et ne fut dégagé que le 9 par une colonne mo- bile. Ce sera le rapport du général d'Antist qui conti- nuera notre récit. 11 donne complètement Thistoire de ce qui se passa dans le département de Vaucluse :
«Le mouvement s étendait; le 7, il avait envahi Apt; on s'y conduisait comme à Forcalquier. Pertuis avait aussi son insurrection.
« Le général de division dirigea tout de suite sur ce point, situé à dix-neuf kilomètres d'Aix, une colonne qui rétablit l'ordre. Le 8, informé des événements de la veille, ne recevant que des nouvelles contradictoires, je dirigeai sur Api une colonne formée de cent cinquante hommes d'infanterie, vingt-cinq hussards et vingt-cinq gendarmes. Je me disposais à Tappuyer, suivant les cir- constances et les renseignements que le commandant Malher, du 54% chef de la colonne, devait recueillir.
« Mais , après son départ, je sus que des bandes de Forcalquier étaient entrées à Apt, qu'elles marchaient 8ur Avignon , se recrutant des contingents fournis par les villages du Luberon. Le tocsin sonnait partout sur leur passage*; le pays entier se mettait en révolte. Ma colonne pouvait être compromise ; je la fis rentrer.
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(c Le 8 au soir, la rive droite du Rhône s'agita. De$ bandes nombreuses (cinq ou six mille hommes , d'après les rapports les moins exagérés ) s'avançaient sur Avignon ; la ville semblait se préparer à une insur- rection intérieure; les rouges des environs se ras- semblaient pour se joindre à la colonne insurgée venant d'Apt.
« Je dus renoncer au désir que j'avais d'aller à la rencontre de ces bandits. Ma présence dans Avignon étant indispensable pour conserver la ville* je me déci- dai à Y rester. Ce parti m'était d'autant plus imposé, que le matin même J'avais fait partir pour Marseille, par le chemin de fer, un bataillon du 54«.
(c La garnison passa la nuit sous les armes; informé, à minuit , par un gendarme qui avait essuyé une dé- charge de coups de feu, qu'il y avait , à un kilomètre, un rassemblement qui attendait les bandes d'Âpt, j'en- voyai un piquet d'infanterie et de cavalerie pour les disperser. Le chef reçut l'ordre de fusiller tout individu pris les armes à la main.
« A l'approche des troupes , les hommes du rassem- blement jetèrent les armes et s'enfuirent ; quarante-sept furent pris ; on ramassa quelques armes. Cette petite exécution et la marche de la colonne du commandant Malher arrêta les insurgés. Le 9, ils reculèrent en lais- sant quelques bandes aux environs de Lisle.
« Je voulus les enlever; un détachement de cinquante hommes d'infanterie, montés en omnibus, et un esca- dron de hussards partirent le 10, dans l'après-midi, pour
DUN COUP D'ÉTAT. 315
Carpentras, sous les ordres du commandant de France, du 54V
a Ils s'établirent dans cette dernière ville comme s'ils allaient y passer la nuit ; mais, à onze heures, la colonne se dirigea sur Lisle, où dans la soirée se trouvaient un millier d'insurgés ; ceux-ci avaient quitté la ville à neuf heures. Ayant appris à Lisle qu'il y avait quelques bandes aux environs de Cavaillon, le commandant de France alla les y chercher; il en rencontra une près de Cavaillon y il lui tua quelques hommes, reprit les drapeaux enlevés à la mairie de Lisle , et fit fu- siller deux ou trois individus qui tombèrent entre ses mains.
a Le 9, la situation était assez alarmante pour que, chacun de son côté , M. le général de division et M. le préfet de Vaucluse aient cru devoir proclamer Tétat de siège.
« L'expédition deCavaillon eut les meilleurs résultats; les insurgéss'efTrayèrent et reculèrent sur Apt. J'envoyai, le 10, sur cette ville une colonne commandée par M. le colonel Vinoy, du 54*, et formée d'un bataillon du 54% deux escadrons et vingt-cinq gendarmes.
<x Cette colonne rétablit les autorités, procéda à un désarmement et fît soixante prisonniers, parmi lesquels se trouvent le commandant et le tambour-major des bandes qui avaient envahi Apt ; plusieurs meneurs ont été également pris.
« Le 1 2, la position du département de Vaucluse s'amé- liorant, je donnai l'ordre à M. le colonel Vinoy d'en-
m HISTOIRE
i ■ \ t ê •■ - ■*•■. « ■*-'
trer dans les Basses-AIpès , où' opéraient des colonnes envoyées par M. le général de division. »
Nous avons vu , en parlant des Basses-Âlpes ,^ com- ment M. le colonel Vinoy entra à Forcalquier et à Digne. Il reçut Tordre dé revenir à Avignon quand les troupes du colonel Sercey furent arrivées à Digne. Le départe- ment de Vaucluse n*a été agité que durant quatre jou^s.
Quant au nombre d'insurgés tués à Cavaillon et que le rapport ne précise pas, il est de cinq en fout , tant tués que fusillés.
Var. — Ce fut dans la soirée du jeudi 4 décembre qu'on apprit dans le Var les événements de Paris. A Toulon, Tagilation fut extrême. On recevait de tout le département des nouvelles fort alarmantes. L'insurrec- tion éclatait dans une foule de localités. Dans cette même soirée du 4, des rassemblements considérables se formèrent hors des portes de la ville et sur le Champ- de -Bataille. On envoya pour les disperser quelques compagnies qui en vinrent facilement à bout. Sur quel- ques personnes arrêtées, on trouva des ârines, notam- ment des poignards.
« La société secrète de Cuers avait décidé que le 5 décembre serait le jour du soulèvement. Dès sept heures du matin, toutes les avenues des chemins ru- raux étaient gardées par des affidés en costume de gardes nationaux, qui interceptaient le passage le sabre à la main et donnaient l'ordre de s'armer et de se tenir
D'UN coxjP D'état. 311
prèis. A une heure de l'après-midi, un rassemblement nombreux se porta vers la maison commune.
« M. Barralier, maire de Cuers, averti de ce mouve- ment, sortit pour se rendre à la caserne de gendarme- rie ; comme il revenait escorté de la brigade, des voci- férations se firent entendre ; M. Barralier donna Tordre àTa foule de vider la mairie; un individu, nommé Mourre, s'écria : «Le peuple est souverain 1 ce sont des brigands qu'il faut exterminer sur-le-champ !» A ces p'arotes, on se précipita sur le maire ; à trois reprises, lé gendarme Cauvin parvint, au péril de ses jours, à le couvrir de son corps; ses efforts furent vains. M. Bar- ralier et le gendarme Cauvin furent terrassés et empor- tés hors de la mairie. Le brigadier de gendarmerie, qui éfait arrivé sur ces entrefaites , fut également saisi et entraîné du côté de la prison ; au moment où il y arri- vait, un coup de feu l'atteignit au front et il tomba noidrt.
« Un second gendarme, nommé.Daureu, fut poursuivi
i ooups de fusil dans une rue; quant au brave Cauvin,
après avoir lutté contre dix individus, il fut désarmé,
essuya plusieurs coups de feu, dont un Tatteignit à la
tête, et parvint cependant à se réfugier dans la maison
p'Mi sieur Toucas, cafetier, qui s'empressa de le cacher.
'^; «M. Barralier, horriblement maltraité, put cependant
* échapper à la mort et fut jeté en prison.
<x Débarraissés de toute résistance, les insurgés se ren- dirent au domicile de M. Roustan, receveur buraliste des contributions indirectes; sa maison fut mise au pillage :
348 HISTOIRE
tous les meubles, les livres, les carions, furent lancés par les fenêtres et devinrent la proie des flammes. Rien n'a pu être sauvé; il ne reste au receveur que les habits qu'il portait sur lui. La même scène, la même dévasta* tion se sont reproduites chez M. Guérin , receveur à cheval, qui était en tournée. M™* Guérin, pour sauve- garder sa vie, n'eut d'autre ressource que de se ca- cher dans la cave. Cette famille ne pfissède plus rien.
« Les factieux se sont ensuite transportés à la ca- serne de gendarmerie. Il est impossible de retracer les scènes qui s'y sont passées. Tout a été saccagé ; la veuve du brigadier, couchée en joue par les émeutiers, a été forcée de remettre les fonds et les munitions de la bri- gade.
« Après avoir accompli ces actes de vandalisme, les insurgés ont constitué une commission provisoire; ils sont ensuite revenus sur la place publique, et ont assouvi leur rage sur le cadavre du malheureux brigadier tué dans la matinée; ils en ont fait le tour en écrasant la tête à coups de pied, ils ont tiré des coups de fusil sur différentes parties du corps ; et, enfin, un de ces misé- rables, phis féroce encore que ses affidés, s'est lavé les mains dans le sang de la victime !
c< Ces horreurs accomplies, la commission rentra à la maison commune pour déHbérer. Il fut décidé qu'à minuit on exterminerait tous les ennemis du peuple. Un homme, coiffé d'un bonnet rouge, les bras et les jambes nus, avait parcouru la ville avec sa cohorte et désigné ceux qui seraient immolés. Par bonheur, le
D'UN œUP D'ÉTAT. 319
gendarme Cauvin^ homme aussi dévoué qu'énergique, malgré sa blessure et ses souffrances, malgré les périls qui le menaçaient, s'était résolu à aller chercher des secours à Toulon. Les autorités, prévenues par lui, ex- pédièrent immédiatement une colonne qui arriva à Cuers à onze heures du soir, et préserva la population
de plus grands malheurs. » {ConsMutionnel du 18 décembre.)
Le nouveau préfet, M. Pastoureau, arriva à Toulon dans la soirée du 4. Le 5 au matin, il en partit avec huit compagnies du 50% se portant sur Cuers où il ar- riva la nuit. Il y surprit les insurgés, opéra un grand nombre d'arrestations, rétablit les autorités que l'insur- rection avait chassées et remplacées par une municipa- lité révolutionnaire, et revint à Toulon le 6, dans l'a- près-midi , avec soixante-^ix prisonniers. Il y avait parmi eux deux personnages marquants qui avaient été surpris portant des armes , des munitions et des pro- clamations, dans les coffres de leurs voitures.
Aussitôt son arrivée à Toulon, le préfet y proclama la mise en état de siège du département.
Dans la nuit du 6 au 7, M. Pastoureau marcha sur le Luc, autre chef-lieu de canton également insurgé, avec cinq compagnies, quinze gendarmes et neuf sous- officiers et soldats du train montés. En route, une com- pagnie fut détachée de la colonne et envoyée à Hyères, oii« conjointement avec cent marins de VVranie^ elle rétablit et sut maintenir la tranquillité. En route, on apprit que quatre ou cinq mille insurgés, qui occu- paient le Luc et Vidauban, se disposaient à marcher sur
• t
320 HISTOIRE
Draguignan , mais dès qu'ils eurent connaissanoe de l'approche de la colonne du 50^, qui bientôt allait les joindre, ils se rejetèrent sur la gauche, se portant sur Salron et Aups.
Arrivée au Luc,- la colonne rétablit Tordre, pooon- stitua les autorités, fit la même chose à Yitauban, et marcha sur Draguignan avec les prisonniers qu'elle avait faits dans ces deux localités. La garnison de celte ville était sous les armes, attendant l'ennemi, et disposée à le bien recevoir.
Entré à Draguignan le 8, le préfet en repartit, avec ta colonne, le 9, dans la direction de Flayose, Saleme et Lorgnes, oii les insurgés avaient établi leur quartier général. Dans ces différentes localités, ils enrôlaient forcément tous les hommes de dix -huit à cinquante ans. Ils s'emparaient des autorités et les conduisaient avec eux comme otages; ils les faisaient marcher au premier rang lorsqu'une attaque était probable , afin que la troupe n'osât pas tirer sur eux. Dans la seule commune de Lorgnes, les insurgés avaient recruté de force quatre cents hommes. Quand le préfet y arriva, ils avaient fui. On échangea quelques coups de fusil avec eux dans les environs, et, comme il était tard, on rentra à Draguignan.
Durant ce temps-là, le colonel Sercey, avec un ba- taillon du 10' léger, deux canons et vingt-cinq hussards, partait de Marseille, entrait, dans la journée du 8 dé- cembre, à Brignolles, y reconstituait la municipalité, se portait ensuite sur Barjols, et de là dans les Basses-Alpes.
D'rS COUP I) ETAT. 32<
Ainsi les insurgés qui occupaient Aups, Salerne et les environs, se trouvaient pris entre les deux colonnes expéditionnaires. Le 10, le préfet et le colonel Travers partirent de Draguignan pour Aups. Ils avaient onze compagnies d'infanterie et quarante gendarmes, bous le commandement d'un capitaine. ATourtour, les in- liurgés ne tinrent pas, et, aux premiers coups de fusil
' tirés , lâchèrent pied eu laissant un des leurs sur le terrain.
A onze heures à peu près, la colonne arrivait de- vant Aups. IjCs insurgés, au nombre de trois mille ou trois mille cin(| cents , occupaient la ville et avaient porté des masses assez considérables en avant du côté de la plaine. Ils avaient eu soin de s'emparer des mai- sons, pour faire le coup de feu des fenêtres. Aussitôt le
' colonel prit ses dispositions, l'infanterie fut formée en
- pelotons et l'attaque cotnnicnça. La troupe s' étant réso- lument portée en avant, les insurgés prirent la fuite, après avoir perdu plusieurs des leurs. Immédiatement,
• le préfet fit charger à fond et de face par la gendar- merie, qui tua environ cinquante insut^és. Les soldats, développés en tirailleurs, et lournanl la position par la
. gauche, en tuèrent à peu près quarante. Parmi ces derniers, il y en avait deux qui portaient des drapeaux rouges. Cent furent pris les armes à la main. On leur enleva environ quinze quintaux de poudre.
Durant qu'on se battait, le nommé Dutheil, ex-ré-
■Macteur du Patriote de Marseille, qui, prenant le titre de "encrai, s'était mis à la lêlu de l'insurrection, s'en-
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m HISTOIRB
fuyait à bride abattue, sur un cheval volé à la caserne de gendarmerie.
Dans une maison située sur la place, les insui^ avaient enfermé environ quarante prisonniers, qu'ils gardaient comme otages : c'étaient les autorités et les personnages notables des communes dans lesquelles ils avaient passé. Leur mort était résolue. Déjà aux arbres de la place étaient attachées les poulies qui devaient servir à leur exécution, car on avait décidé de les penr dre. On avait fait venir des prêtres pour leur admini- strer les secours de la religion : quelques heures en- core les séparaient du moment fatal. Quand la colonne arriva, les insurgés crurent un moment qu'ils allaient être vainqueurs; ils se contentèrent de foire bonne garde autour des captifs ; mais, au moment où les pre- miers fuyards se replièrent sur la place, ils comprirent qu'ils allaient être vaincus, et ils se ruèrent sur la mai- son pour égorger les prisonniers. Ceux-ci se renfermè- rent et barricadèrent, comme ils purent, les portes. Une compagnie arrivait, lancée au pas de course, à Tinstant où .les insurgés enfonçaient la porte. Les soldats, croyant que cette maison était le refuge des rebelles, firent feu sur les fenêtres. Ce fut alors qu'un des prison- niers, M. de Laval, se dévouant pour les autres, saute par la fenêtre du premier et vient tomber devant les sol- dats. Il veut leur parler ; mais ils le prennent pour un insurgé qui cherchée fuir, et ils font feu sur lui : un feu terrible , presqu'à bout portant, un feu de peloton. Il devait être criblé de balles : il en a ses habits troués; ses
DUN COUP D'ÉTAT. 323
bottes le sont aussi ; le nœud de sa cravate est emporté ; mais la Providence couvrait M. de Laval, il n'a que des blessures légères. Cependant, se croyant blessé à mort, il dit, en tendant la main au capitaine : a Je meurs content, je sauve mes compagnons les prisonniers ! Vive le 50*! » On s'empresse autour de lui. Il était mira- culeusement préservé.
La colonne expéditionnaire a eu un soldat tué, un capitaine, un lieutenant et cinq sous-offîcicrs et soldats blessés.
Après avoir laissé une force suffisante à Âups, y avoir rétabli les autorités, le préfet en partit avec de nombreux prisonniers.
Pendant la journée du 14 , la colonne séjourna à Draguignan ; elle en repartit le 1 2 , pour aller à La- garde -Freynet rétablir les autorités que l'insurrection avait déposées.
Nous achèverons ce qui regarde le Var, en citant la fin du remarquable rapport du général Levaillant :
« Pendant que cette colonne agissait, les troupes qui occupaient Toulon, Antibes et Saint-Tropez ne restaient pas oisives. M. le sQus-préfet de Toulon marchait , le 9, sur Collobrières , avec M. le procureur de la République et deux compagnies, y rétabhssail Tordre et faisait des arrestations. Le colonel de Parron, commandant la place d' Antibes, envoyait cent cinquante hommes à Grasse et cinquante autres à Saint-Laurent-du-Var, pour tenir en respect une colonne de Piémontais qui menaçait Venci et la Gaude. Des éloges sont dus aux
324 HISTOIRE
autorités 9 aux proposés de la douane et à la gendai:iqe- rie, qui , sous la direolioo du brigadier de douane Boyer, se sont armés et ont marché à leur rencontre. Les cojd- pagnies détachées de Toulon marchaient également ||ur fielgemier, Soliès-Pont, Soliès- Ville» Soliès-Touca^ , la Seyne, et y rétablissaient Tordre par leur seule pré- sence.
a Le 8^ M. le vice-amiral , préfet maritime » ex- pédiait un aviso à vapeur à Saint-Tropez y et une fré- gate à vapeur^ VAsmodée, recevait Tordre de longer la côte de Test jusqu'à Ântibes, où elle avait ordre de mouiller, prête à jeter une compagnie de débarquement àTendroit où la nécessité Teût exigé. Cette fr^te, louvoyant en vue de la côte , suffisait pour faire rentrer dans le calme les villages qui auraient tenté de.se sou- lever.
a Le désarmement s'est opéré comme par enchante- ment dans toutes les localités , à la suite d'arrêtés ré- pandus dans tout le département y et de nombreuses arrestations ont été faites. L' une et l'autre de ces me- sures se continuent encore. Le nombre des détenus, aussi bien que celui des armes saisies, est considé- rable. »
Hérault. -7-Les sociétés secrètes étaient très-puissain- ment organisées dans ce.département. Elles avaient pris Bézicrs pour centre de leurs opérations. Dans la soirée du 3, la dépèche télégraphique, qui annonçait les évé- nements de Paris , fut affichée à Béziers. Les troupes
D'UN COUP D'ÉTAT. m
étaient consignées, les postes doublés et vingt -cm<{ hommes gardaient la Sous- Préfecture. Les démago- gues envoyèrent immédiatement leurs émissaires sou- lever les campagnes, pour qu'elles se portassent sur la ville.
L'ancien cimetière, route de Bédarieux, fut désigné comme lieu de réunion. Â quatre heures du matin, le jeudi 4, les rassemblements y étaient considérables. Les réverbères s'éteignent à ce moment dans Béziers. On attendait cet instant. Quatre mille insurgés, armés de foui, de piques, de fusils, se rangeaient en bataille sur le boulevard extérieur. Un grand nombre de femmes les accompagnaient , portant des sacs pour emporter leurbuttfi.
Les insurgés avaient des ceintures et des écharnes rouges. Avant le départ, les chefs tirèrent au sort les quartiers de la ville. Droit de vie et de mort leur était attribué. Les soldats de cette armée féroce voulaient se disséminer pour piller; mais les chefs leur firent com- prendre qu'il fallait auparavant s'emparer de la Mairie et de la Sous-Préfecture. On se mit en marche pour se porter d'abord sur ce dernier point.
Le maire, M. Lognos, dont la maison est voisine du lieu de rassemblement, venait de renvoyer un poste de gardes champêtres qu'il avait établi. Ces hommes ve- naient de lui affirmer que tout était tranquille, quand îl voit défiler l'insurrection sous ses fenêtres. Il court à la Mairie, réveille tout le monde, fait fermer les grilles et se rend à la Sous-Préfecture. 11 racontait ce qu'il ve-
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naît de voir au sous- préfet^ quand on remit à ce fooe- tionnaire un billet ainsi conçu :
Au nom du peuple français, le Président de la République ayant TÎolé la Constitution, le peuple rentre dans la plénitude de ses droits. En conséquence, vos fonctions doivent cesser. En qualité de délégués du peuple, nous venons vous remplacer.
Le sous-préfct crut que ce billet provenait d'une saisie de la police. Il sortait pour s'en enquérir, quand, à U porte de son cabinet, il se trouva en face de deux indivi- dus : Pujol dit VerdalCy et Redon , condamné politique. «Qui étes-vous? que demandez-vous? dit M. CoUet- Maygret. — Nous sommes délégués du peuple ; remettei vos fonctions entre nos mains et retirez-vous. — Je tiens mes fonctions d'un pouvoir régulier, dit le sous-préfet, je ne les céderai pas à une députation de rémeute. — Vous comptez sur vos soldats? dit Redon, ils ne feront pas fou. Us savent, comme nous, que la Constitution est violée, que le peuple est rentré dans ses droits; toute résistance est impossible. Nous sommes d'ailleurs en nombre : plus de dix mille personnes sont réunies, prêles à marcher. — N'auraispje que deux hommes près de moi, répondit aussitôt M. le sous-préfet, que je n'hésiterais pas à me faire tuer avec eux. Je m'adresse à votre conscience; à ma place, agiriez- vous autre- ment? » Redon , ému , s'approcha de M. le sous-préfet , et lui dit : « Je voudrais tout à l'heure pouvoir mettre mon corps entre une balle et tous. » Les deux dél^ués Ise retirèrent alors et rejoignirent les bandes.
D'UN COUP D'ÉTAT. 327
Le souft-préfet envoie un billet au commandant pour lui demander cent hommes qui étaient de piquet à la caserne, descend dans la cour où il appelle aux ar- mes, et prie le lieutenant Montjarres de commander la charge. Bientôt le capitaine Lehongre arrive avec les cent hommes envoyés de la caserne. On montrait à ces soldats, conscrits de huit jours, à défaire leurs cartou- ches et à charger leurs fusils , que déjà les insurgés dé- bouchaient sur la place Saint-Sauveur. Le sous-préfet, ceint de son écharpe, s'avance avec le maire et le com- missaire de police. 11 ordonne les sommations. Au se- cond roulement de tambour, les insurgés font feu. La troupe répond, et celte décharge générale, faite à dix pas, tue sept insurgés et en blesse au moins soixante. Les bandes se dispersèrent , mais allèrent s'embusquer plus loin , derrière les angles des maisons , d'où elles dirigèrent, pendant trois quarts d heure, un feu très- nourri sur la troupe. A sept heures trois quarts, la troupe était sur le point de manquer de munitions, quand le reste des soldats, qui étaient à la caserne, ar- rivant au pas de charge , vint décider du succès du combat.
Les insurgés, repoussés sur ce point , se portèrent sur les quartiers Saint-Félix et de la Madeleine, où ils assassinèrent MM. Bernard Maury et son beau-père, M. Vernhes, qui allaient chercher leurs fils et petits- fils au collège, à la nouvelle des troubles. Le premier fut atteint de treize blessures ; le second fut^ tué de deux coups de hache. Us commençaient à se barricader
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dans ces quartiers ^ quand le capitaine DueolMnbier, avec quelques soldats du 4* hussards , les chargeant ri- goureusement, les mit dans une déroute complète.
Pendant ce temps-là, une foule de citoyens, amis de Tordre, se réunissaient autour du maire et du sous- préfet, et organisaient la défense. Bientôt ils prirent l-offensive; de fortes patrouilles sillonnèrent la ville en tous sens , et , à partir de ce moment, elle cessa com- plètement d'être troublée.
Dès le lendemain, Tétat de siège fut proclamé et de nombreuses arrestations furent faites. Le rapport des autorités évalue le nombre des prisonniers à peu près à quatre cents.
MM. ("oUet-Maygret, sous- préfet, Lognoa, maire, de Montfort, colonel du 4* hussards, le capitaine Ducolom- bier et le commissaire de police, ont admirablement t'ait leur devoir. Les jeunes conscrits du 12^ de ligne méritent aussi une mention toute particulière, ainsi que les officiers qui les commandaient, notamment le capi- taine Lehongre et le lieutenant Montjarres.
Au même signal, Tinsun'eclion se levait àBédarieux, à Capestang, à Pézenas. Dans la première de ces trois localités^ les démagogues se constituent en municipa- lité insurrectionnelle, décrètent une contribution de 100,000 fr. sur les riches, payable dans la journée. Si cette somme n'est pas payée le soir, la ville doit être pillée. La brigade de gendarmerie insultée, maltraitée par la populace, se retire dans sa caserne. On vient Ty assaiUir. Elle résiste. Les insurgés attaquent à coups de
D'UN COUP D^ÉTAT. 3W
fosil, et deax gendarmes reçoivent la mort, ainsi cfue leur brigadier Léotard. On met le feu à la caserne. Un jeune homme veut sauver le cheval d'un des g6n- darnics, il est tué dans la rue. Un autre^ un enfant blessé et brûlé , veut sortir des flammes , on l'y re- jette. On pend un malheureux gendarme, on le garrotte, on l'étrangle petit à petit, et, sur sa prière, on le fusille à bout portant : telles étaient les horreurs qui se commettaient , quand on annonce l'arrivée de trois cents hommes du 35% commandés par le lieute- nant^roloneL Le commissaire de police avait pu s'é- chapper et aller prévenir à Montpellier. Aussi làche!( que cruels, les insurgés prennent la fuite, et la petite co- lonne entre, sans coup férir, dans la ville, oii elle réta- blit les autorités et procède à l'arrestation des coupables.
« C'est le 3, au soir, qu'on apprit à Capestang les événements qui venaient d'èehiter à Paris. Aussitôt tous les ouvriers vignerons et trafilBeurs de terre, qui for- ment l'immense majoritè'dil-Jt population, cessèrent leurs travaux. Liés entre eux par des serments contrac- té» au sein des sociétés secrètes , ils se réunirent par groupes, et passèrent la nuit du 3 au 4 dans les cafés et dans les cabarets, à organiser le soulèvement du lendemain.
« Ayant eu* connaissance de leurs desseins, M. Sais- set, maire et conseiller général, accourut au milieu d'eu! pour les calmer; mais ses exhortations se trouvè- rent impuissantes , et il fut obligé de se retirer. Une heure après, vere» neuf heures, ils se présentèrent
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devant la Mairie, armés de fusils, de haches , de pi- ques, etc.
« La brigade de gendarmerie, qui était sur le point de se rendre à Béziers, comme elle en avait reçu Tordre, ayant voulu accourir au secours delà municipalité, qui faisait tout son possible pour résistera Témeute, fut accueillie, à son arrivée sur la place, par une déchai^ qui blessa le brigadier, deux gendarmes , et en étendit mort un troisième. Quelques instants après, les bandes défilèrent sur le chemin de Béziers, où elles n'arrivè- rent pas cependant , parce qu'elles apprirent en route la vigoureuse répression qui avait frappé ceux qui avaient osé y pénétrer.
« Pendant que l'émeute était sur la place de la Mai- rie, il s'est passé un fait que nous devons signaler. Un jeune homme armé, ayant reçu un ordre d'un des chefs, se détacha des groupes, se rendit à l'église où l'un des prêtres de la paroisse allait monter à l'autel , et lui défendit de dire la messe jusqu'à nouvel ordre. Le res- pectable curé, ayant appris qu'il n'était pas en sûreté, sortit dans la soirée de son presbytère , traversa osten- siblement la ville, et alla sur la grande route attendre la diligence de Béziers, où il est resté jusqu'au 6 au matin, qu'il est rentré à Capestang, après avoir célébré les obsèques de M. TabbéCavalié.» {Écho du Midi, du 13.)
Le mercredi 10, le colonel de Montfort arrivait à Capestang avec deux cents hommes, infanterie et cava- lerie, et une pièce de canon. Avant d'entrer dans le
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bourg, la troupe échangea ayec les insurgés quelques coups de feu qui leur tuèrent un homme et en bles- sèrent un autre. M. Lucien Mirabel fut installé en qua- lité de maire. Après avoir laissé quelques soldats pour maintenir la tranquillité , le colonel deMontfort partit de Capestang , emmenant cinq prisonniers. Le sous- préfet, le juge d'instruction et le procureur de la Ré- publique accompagnaient la colonne expéditionnaire. A Pézcnas, l'insurrection était debout dans tous les alentours , prête à se ruer sur la ville ; mais les mau- vaises nouvelles, venues de Béziers, calmèrent TefTer- vescence et empêchèrent les démagogues de mettre leurs projets à exécution.
Le général Rostolan, parcourant le département avec des colonnes mobiles, ne tarda pas à y rétablir la tran- quillité.
Gard. — Des bandes considérables s'étaient réunies pour marcher sur Nimes. Il y en avait trois principales, qui pouvaient former un efiectif de sept à huit mille hommes. La première venant par la Calmettc, dans la nuit du 5 au 6 décembre , opéra sa jonction près le Mas^e-Granon aux carrières de Barutel avec la seconde colonne, qui venait par la route d'Anduze. La troisième arrivait par la route de Sauve. Ces trois colonnes réunies devaient se porter par une marche rapide sur Nimes, qu'elles espéraient surprendre. Mais les frères et amis de cette ville, étant venus avertir que les autorités avaient pris toutes les dispositions convenables pour repousser
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rigoureusement une attaque , et <|u'il a'j auraii |^ surprise, mais bataille^ on se sémifa, et Nimcis échappa ainsi à une invasion.
Drôme. •— Dans ce département^ i'insurrectioo 44(é vraiment formidable. Elle comptait $ur le comMHurs 4ê Lyon y sur celui de l'Isère et des autres dèpartemeiMA voisins, dans lesquels le général Castellane a su maw^ tcnirsi admirablement la tranquillité.
EUIe s'est levée sur plusieurs points à la fois.
Malgré l'énergique résistance de M. MoutierSi maîm de Cresl , qui , avec deux ou trois gendarmes, is'étail opposé à une centaine d'insurgés, la caserne avait été envahie le 3, à onze heures du soir. Prévenu dans la nuit, le préfet envoya trente-deux servants d'artillerie et vingt-cinq cavaliers qui arrivèrent à Crest k hmi heures. Plusieurs arrestations furent opérées. M. L'É- chelle, conseiller de préfecture, contribua puissam- ment à organiser les habitants en gardes volontaines.
Le 5, les communes de Chabrillant, de Grane, de la Castre, sonnaient le tocsin. Les moyens, de défense furent complétés. L'agitation était aussi extrême au- tour de Die, et le sous-préfet, M. de Chazelles, réciamaît de prompts secours. Une compagnie du 32% capitahii Frezières, lui fut envoyée. À son arrivée à Cresl, pour se rendre à Die, cette petite colonne eut un engage- ment immédiat avec une bande de trois cents insurgés, venant de Saillant, à la tête du pont d'Aoste. Les insur- gés durent avoir cinquante tués ou blessés. Du oôté df
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ht troupe, il n'y eut que deux morts, le brigadier Car- dinal et le maréchal<4e9-logis Carrier.
« A sept heures du soir, arriva Tinsurreclion de Graoe et de Chabrillaot. Sept ou huit cents homoies mar- chant en colonne, dont cent cinquante marchaient de force, et qui, par une intention atroce, étaient en télé fKNir essuyer les premiers coups. Au premier rang, se trouvaient le curé et le vicaire de Grane, le curé de ChabriUant et deux prêtres missionnaires. Le jeune Arribat, fils du précédent adjoint, dévoué à Tordre, idi^lescent de quinze ans, marchait sur la même ligne, ^s ayant le canon du fusil des insurgés appliqué sur
10 dos. Au premier signal de retraite ou de simple ré- Wtance, les misérables qui les contraignaient ainsi
avaient ordre de les tuer. » {Happart du générai Lapéne,)
Dans l'engagement très-vif qui eut lieu et qui coûta uelques hommes aux insurgés, une main providen- tielle protégea les malheureux qu'on forçait à marcher «n tête, car pas un ne fut atteint. Les insurges prirent !• fuite, et le lendemain on trouvait sur le terrain du «ombat et dans les alentours une foule d^armes de toutes lortes qu'ils avaient jetées en s'cnfuyan'.
La compagnie du 32^, au lieu de se rendre à Die, resta
11 Crest. Les insurgés occupaient encore les hauteurs ^i dominent la tour de Crest. Le capitaine Frezières escalada la montagne avec vingt-cinq hommes, tandis ^'un autre détachement la prenait à revers et qu'un olwftieri placé par les ordres du chef d'escadron Delà-
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motte, sur un plateau, balayait les positions de renne- mi y qui ne tint pas et se replia dans le plus grand' désordre.
A peine cette opération énergique terminée, on an- nonça que la ville allait être attaquée par une formi- dable colonne venant de Saou, de Puy-Saint-Martio, Bourdeauxetcommunesenvironnantes.Lecommandant Delamotte fit une forte reconnaissance vers Montélimart avec de l'infanterie, quelques cavaliers et un obusier. A deux kilomètres, on vit les insurgés, forts d'environ deux mille hommes, se déployer en ligne sur la gauche de la colonne. Deux coups d'obusier bien dirigés les Brent hésiter un instant ; mais comme ils s*avançaient résolument pour tourner la colonne, le commandant fit battre en retraite sur Crest. La barricade qui for- mait tête de pont, fut fortement occupée ; une pièce de huit fut mise en batterie et Tobusier placé sur le quai, commandant la roule qui vient perpendiculaire à la Drôme. Bientôt les insurgés attaquèrent en colonne serrée, mais la mitraille et une vive fusillade les mirent en désordre ; ils se dispersèrent pour faire le coup de feu derrière les maisons. Quelques obus lancés à propos, et une charge de cavalerie, dirigée contre un peloton qui s'avançait hardiment pour tourner la bar* ricade par derrière la culée du pont , mirent les insur- gés en pleine déroute. A partir de ce moment, ils ne reparurent pas.
Pendant les premiers jours, Montélimart fut seule- ment agitée. Les mesures énergiques et intelligentesdu
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major Carmier et du sous-préfet Laurette, assureront quelque temps la tranquillité. Plusieurs arrestations furent opérées^ entre autres celle de Tex-représenlant Combier. A Rochegude, les insurgés s'emparaient de la Mairie malgré la résistance du maire, M. Ishe. Ils y passèrent la nuit à délibérer en buvant, et le lendemain matin , le juge de paix de Saint-Paul-Trois-Cliàteaux , survenant avec des gendarmes^ arrêtait les principaux d'entre eux.
Dans la nuit du 6 au 7, sur la route de Sauzet, on si- gnalait l'existence d'une bande qui voulait marcher sur Montélimart. Le capitaine Palastron, du 63% se porta en avant pour la disperser y mais il ne rencontra que quelques hommes armés marchant par groupes de deux ou trois à la fois, qu'il arrêta.
A onze heures, dans cette même nuit, le capitaine Pommerais, avec cent hommes des 63* et 1 3* de ligne, partit pour Marsonne, où, suivant le rapport du garde champêtre, quatre cents insurgés étaient réunis et son- naient le tocsin. Au village de Saint-Marcel, la colonne 16 trouva en face de six à sept cents insurgés au inoins. Trois hommes, portant un drapeau, s'avancèrent pour parlementer : « Bas les armes! leur dit l'ofTicier. — Nous ne voulons pas être esclaves, répondirent-ils, vive la ligne! à nous, nos frères!» Le feu commença. Après deux heures d'un combat fort vif, dans lequel les soldats, qui tous étaient de jeunes recrues, tinrent merveilleusement, le capitaine battit en retraite et ren- tra à Montélimart à cinq heures et demie du matin.
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Tout le long du chemin, on entendait le toesia dansles campagnes.
Au point du jour, le 7, une forte colonne partit de Montélimart pour pousser jusqu'à Sauzet ; mais partout les insurgés, qu'on vit en assez grand nombre, ne ^wjh lurent pas tenter d'engagement et prirent la fuite. On entra dans Sauzet sans coup férir. M. Laurelte, sou&- préfet, qui était avec la colonne, a montré la plus grande énergie et le plus grand sang-froid.
Le plan des insurgés, comme on le voit par leurs opérations contre Crest et contre Montélimart, était de s'emparer de ces deux villes , pour ensuite se porter ea masse sur Valence, qu'auraient attaquée, de leur côlè, les communes de l'Ârdèche , voisines du pont suspendi. Ceux de l'Ârdèche devaient être commandés par un nommé Blotton, appareillcur à la carrière de GuiUerood.
Après leur défaite au pont de Crest, les insui^és de Grave et communes voisines s emparèrent du village de Saulce et marchèrent la nuit suivante sur LorioK Ils mirent le feu au télégraphe, volèrent deux lunettes^ puis, le lendemain matin 9, voyant que le feu avait épargné les machines, ils y rentrèrent et brisèrent tout à coups de hache. Le maire de Loriol avait voulu résis- ter ; mais ni son conseil municipal ni les pompiers ne voulurent lui prêter appui. Vingt-cinq hommes du 9* d'artillerie, de passage à Loriol pour se rendre à Bour- ges , et commandés par le maréchal-des-logis-fourrier Esnest, se mirent à la disposition de l'autorité dans la matiuée du 8, prirent les fusils des pompiers, et res-
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tèreni impassibles devant les émeuliers, qui n'osèrent pas les attaquer. Ils se retranchèrent dans la Mairie qu'ils protégèrent.
Les insurgés allaient marcher sur Valence en quittant Loriol. Le préfet était à Crest; Pautorité militaire dut aviser seule. La garnison de Valence prit ses postes de bataille hors de la ville , avec quatre pièces d'artillerie. Une garde civique de quatre cents hommes fut organisée. Ces précautions intimidèrent les insurgés , qui n'osèrent attaquer. Ayant appris la défaite de ceux de Monté- Nmart , ils quittèrent Loriol dans la matinée du 9 , et f^agnèrent leurs communes respectives.
Pendant que les insurgés marchaient sur Crest, Mon- télimart et Loriol, la commune de Chavannes avait aussi son insurrection. Le maire , Boflard et son fils, avec une soixantaine d'individus armés de fusils et de fourches, forçaient les gens paisibles à s'armer et à marcher avec eux.
Des forces avaient été demandées ; mais elles n'arri- vèrent qu'après la défaite de l'insunection. II faut donc fhire honneur de ce résultat exclusivement au dépôt du 2* régiment d'artillerie, aux recrues de quatre régiments <riitfiinterie, qui , sans aucune habitude du métier des armes, ont montré la plus grande ardeur et la réso- lution la plus intrépide en face du danger. A la date du l** janvier, plus de six cents individus étaient en état d'arrestation. Les chefs, pour la plupart, étaient en fuite.
Comme nous Tavons dit, cette insurrection a été
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l'une des plus terribles , sinon par le nombre , du moins par Tardeur des insurgés qui se sont mieux battus qu'en aucun autre département. Cependant, en présence de ce fait y que des colonnes de six à sept cents hommes n'ont pu entamer, pendant des heures entières, une seule compagnie isolée, la nuit, on doit avouer que, quand on voudra employer l'armée contre le désordre , elle sera invincible; Tanarchie ne peut rien contre la discipline et le sentiment du devoir.
ÂRDÈCHE. — Dans ce département limitrophe de la Drôme, les insurgés comptaient se porter sur Valence, pour donner la main aux bandes qui attaquaient Crest et Montélimarl , et qui devaient marcher aussi sur le chef-lieu ; mais ils furent loin de montrer la même énergie.
Une bande de plus de six cents insurgés des villages de Saint-Vincent-de-Barrès, de Saint-Lager-et-Bres- sac, de Baix-de-Cruas , de Saint-Symphorien et de Roche-Sauve, prit la fuite devant une demi-brigade de gendarmerie, qui eut Taudace de l'attaquer dans la plaine du Lac. Presque tous ces bandits avaient des sacs et des paniers, pour emballer le butin qu'ils comptaient faire à Privas.
Beaucoup de femmes suivaient cette armée du pil- lage. L'une d'elles disait qu'on n'allait pas assez vite, et qu'elle n'aurait pas le temps de faire plusieurs voyages.
Dans la nuit du 7 au 8 , un rassemblement d'au
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moins huit cents insurgés se préparait à marcher sur Aubenas. Quelques gendarmes s^avancèrent contre eux et les mirent en déroute au point du jour. Les sa- peurs-pompiers de la commune de Vais barrèrent le passage aux fuyards ; les gendarmes purent en arrêter un certain nombre.
A Largentières , ils furent plus hardis ; ils attaquè- rent le poste du pont Barante, où un sergent les re- poussa vigoureusement et donna Talarme. Le poste fut renforcé 7 et le sous-préfet, accouru sur les lieux, fit faire les sommations, à la suite desquelles une seule décharge, (|ui abattit plusieurs des insurgés, mit tous les autres en fuite. Beaucoup furent faits prisonniers, notamment plusieurs qui étaient blessés.
M. Théron, habitant de Vais, dans une lettre adres- sée à la Patrie du i 4, rend ainsi compte de ce qui s'est passé dans cette commune :
•c A la nouvelle du décret de Louis-Napoléon , le maire de la co.umune de Vais, prévoyant la fureur des rouges qui entouraient sa commune, convoqua son con- seil, qui se déclara en permanence et établit à la com- mune un poste de surveillance, avec deux membres du conseil, présents chaque nuit.
« Le 6, lendemain de Tatlaque de la préfecture du département, les débris de celte bande, réunis aux Mon- tagnards du canton d'Antraigues, le drapeau de ce can- ton en tête, au nombre de sept cents, armés de fusils, de fourches et de bâtons, divisés en trois groupes, com- mandés par MM. Gamon, (ils du juge de paix de ce
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canton, pistolets et sabre en main; Yigouroux, médedl de Vais , etc. j etc. , etc. , se portèrent en masse sur te bourg de Vais. Ce village, bien peuplé, souriait pariai^ tement au projet delà démagogie, par sa position topo* graphique, à cinq kilomètres d*Aubenas.
a Ce bourg n'avait pour se défendre d'autre forei publique que deux gardes champêtres et une compa<- gnie de sapeurs- pompiers de quarante-cinq hommes.
« Prévoyant les événements de la nuit, M. Julei Champanhet, maire, et son frère Lpuis, officier de ma* rine en congé, avaient organisé deux postes de quinxe hommes chacun, Tun à la Mairie, et Taulre sur la route d'Antraigues, à trente mètres du village, avec sentinelk avancée sur la route.
« Aussitôt que les démagogues furent signalés aux postes par la sentinelle avancée, le maire prit la caisse et battit lui-même la générale dans la Grande-Rue, et un appel aux armes fut fait aux habitants. En un quart d'heure, cent habitants et le reste des pompiers, bien armés, avançaient pleins d'ardeur. M. Louis Champan- het, deux pistolets au poing, s'avance vers la troupe ennemie , lui fait sommation de s'arrêter. Après un long colloque, Gamon se retire avec sa bande dans la direction de Saint-Andéol.
a Ainsi se passa la nuit du 5 au 6. Sans effusion de sang, cent cinquante hommes, conduits avec talent et énergie, sans force publique, ont suffi pour dissiper sept cents brigands. »
Dans la i.uit du 6 au 7, la bonne contenance des
D'LS LOUP l)"ÉTAT ,IU
habilatits de Vais en iiiiposu aux insurgés r(ui ii'osérciil les attaquer.
Au moment où nous écrivons les dcruières lignes de ce chapitre, insurrection des départements, tout est catme , tout est pacifié , et le repentir» sans doute , est dans bien des consciences que l'esprit d'anarcliie avait perverties. Aujourd'hui, ceux qui n'ont été qu'égarés doivent apprécier les doctrines que leur prêchaient les apôtres du socialisme. Nous ne nous sentons pas la force ni de frapper ni de maudire : ces hommes sont des vaincus, ces hommes sont des Français. Ah ! nous vou- drions pouvoir déchirer ces pages. Si notre rôle d'his- torien ne nous astreignait pas à montrer l'enseigne- ment du passé, oui , nous eussions effacé peut-être ces récits désolants; mais à mesure que notre travail s'é- loignait du point de départ, nos réflexions sont devenues moins dures, nos jugements moins acerbes. Le lecteur a pu remarquer que nous nous sommes, àlaltn, borné à raconter presque sans commentaires.
C'est que deux faits immenses se sont accomplis. L'élection présidentielle a prouvé le repentir ; car, dans les départements insurges, le chiffre des voles négatifs est loin d'atteindre celui des insurgés eux-mêmes. Donc, ces malheureux qu'on avait trompés se sont repentis. Qu'on nous trouve un autre motif. Puis, pendant que nous écrivions ce récit , fait, quoique non pas imprimé, le dernier de notre livre, la clémence du prince a passé sur les coupables. En présence d'un exemple donné d'aussi haut, notre plume a dû se hâter d'obéir aux
3« HISTOIRE D'UN COUP D^AT.
inspirations de notre cœur. Ainsi donc , horreur atit doctrines y regrets et pleurs sur les crimes qni ont tant affligé notre France ; mais pitié pour lés hommes , pour ceux du moins qui n'ont été qw6 d'aveugles instruments.
Habitants des campagnes, qui n'étiez point faits pour la lutte impie, et que le vent du désordre a entraînés, malgré vous peut-être, retournez où la clémence da prince vous renvoie : à vos demeures, que vous n'aban- donnerez plus désormais ; vers vos femmes , qui ont tant pleuré votre absence ; vers vos pauvres petits enfants, qui demandaient chaque soir pourquoi leur père ne rentrait pas au logis. Retournez à votre passé de travail, d'habitudes paisibles; à vos croyances héréditaires, à \otre bonheur, en un mot.
Aujourd'hui , vous savez où mène l'esprit de désor- dre , et ce que produisent les doctrines insensées. On vous a prêché la licence ; elle conduit à la perdition par le chemin du crime. Ne croyez plus désormais qu'à la liberté. Seulement, ce mot dont on a tant abusé, voulez- vous le bien comprendre? La liberté, c'est Texercice du droit et l'accomplissementdu devoir. Il y a longtemps que vous saviez cela, du reste. Quel est celui d'entre vous qui ne connaisse pas cette maxime : Ne fais pas à .autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fît à toi-même; et cette autre : Aimez votre prochain comme vous- même? C'est la fraternité de l'Évangile.
V
AVANT LÉLECriOîf
Nous avons fait Thistoire du coup d'État propre- ment dit. C'était un ensemble d'actes trop importants pour ne pas Tisoler et le présenter à Tadmiration du lecteur dégagé de tous les faits accessoires. Nous avons fait à part aussi l'histoire de l'insurrection de Paris et celle de Tinsurrection des départements. Il fallait mon- trer cette lutte sacrilège des partis et du désordre isolée également , pour que l'horreur qu'elle inspire ne vint pas se mêler aux sentiments d'orgueil national qu'on doit éprouver en lisant le récit des actes de ce gouver- nement, marchant au salut du pays, inspiré par son honnêteté et appuyé sur sa force.
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Dès le matin du 2 décembre, on afficha la composi* tion d'un ministère provisoire :
MM. DE MORN\\ intérieur ; FOULD, finances; ROUHER, justice; MAGNE, travaux publics : LACROSSE, marine; CASABIANCIA, commerce; SAINT- ARNAUD, guerre; FORTOUL, instruction publique ; TURGOT, affaires étrangères.
Le Moniteur devait en faire connaître prochainement la constitution définitive. Pendant les graves événe- ments des premiers jours, le ministère de l'intérieur fut comme Tétat-major des autres. Presque toujours, les différents ministres y furent réunis pour concerter les mesures à prendre, pour être immédiatement instruits de ce qui pouvait concerner leurs départements respec- tifs. A la tête de cette cohorte d'hommes dévoués et habiles, M. de Morny, comme un général en chef à la tête de son armée, se multipliait d'une façon vraiment prodigieuse, pourvoyant à tout avec une aisance et une sûreté d'action qui étonnent les plus versés dans la science administrative.
|: Aussitôt son entrée au ministère, il y avait organisé, sous l'habile direction de M. Gimet, un bureau de cen- sure qui dut immédiatement s'occuper de la presse, di- riger son action conservatrice et museler son mauvais vouloir. Au nom de l'état de siège, douze journaux furent
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suspendus : V Union, C Assemblée nationale, le National, le Siècloy la République, V Avènement du peuple^ la Ré" volution, le Charivariy V Opinion ptAliquCy le Corsaire y le Messager. Les presses furent mises sous scellés et les imprimeries occupées par des soldats. Quant aux jour- naux qui n'avaient pas été frappés de suspension, ils durent soumettre toutes leurs publications au visa du gouvernement avant d'imprimer. Quelques-uns, la Presse par exemple y n'ayant pas voulu faire les sup-* pressions ou les modifications prescrites par la censure, reçurent défense de paraître. Trois seulement, la Pa^ triey le Moniteur et la Gazette de France parurent le soir. Seule, la Patrie planta son drapeau à côté de l'acte de Louis-Napoléon, Un seul article d'apprécia- tion parut, ce fut le sien, signé de M. de Cesena, qui venait assumer sa part de péril, si péril il y avait.
En accomplissant le grand acte du 2 décembre, le prince Louis-Napoléon prenait le pouvoir suprême d'une main et le rendait de l'autre à la nation. Il n'y a pas eu une minute d'intervalle entre le coup de foudre qui a brisé l'Assemblée et la Constitution, et le décret qui a remis le peuple français entre les mains de sa propre puissance. L'art, i*' du décret dissout l'Assem- blée nationale; l'art. 2 rétablit le suffrage universel; le suivant convoque le peuple français dans ses comices. ' Le prince a parfaitement compris qu'il n'était que le délégué de la nation. Il a agi comme tel, et immé- diatement il s'est présenté devant son juge. Un ambi- tieux eût fait autrement, il fût resté maître par l'auto*
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r'Éé du fait accom^i : a Au nom de la force , obéissez^» eût-il dit. C'est ainsi que faisaient jadis ees empereui» roauûiis qui recevaient la pourpre d'une émeute préto- rienne. ]k régnaient un jour^ et la force qui les tirait étevés les brisait eux-iuénaes. Mais lui n'a pas les vues étroites de la personnalité et de l'égoïamq. Le pouTW pour le pouvoir, ce n'est pas ce qu'il désire, . c'est un fardeau dont volontiers il eût déchargé ses épauleS| nous n'en doutons pas. Ce qu'il veut, il le dit : A^ coroplir la grande mission qu'il a reçue.... fermer l'ère des révolutions.... créer des institutions qui survivent aux hommes... et sur lesquelles on puisse asseoir quel- que chose de durable. C'est dans ce but d'avenir et de salut qu'il a brisé ce qui était une cause permanente de trouble et de discorde... C'est dans ce but qu'il de- mande le pouvoir.
Il est préoccupé du bonheur, de l'avenir de la France. Ce n'est pas un rêve d^ambition personnelle qu'il veut réaliser, c'est la réédification de la société qui croule, de la civilisation qui va périr peut-être. Il veut refaire heureux et prospère ce pays, auquel Dieu a promis de si hautes destinées, aujourd'hui compromises par les ambitions, par les égoismes, par les aberrations politi- ques et sociales de toutes sortes.
Pour un tel but, il faut un pouvoir bien grand, bien fort, un pouvoir à base immense. Il faut le pouvoir de la nation elle-même , le déléguant par la grande voif du suffrage universel. Il faut le pouvoir venant de Dieu^ vox populij vox Deû C'est celui-là que le prince Louii*-
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N^i^lépQ Bonaparte demande , parce qu'il ne croit pfts (IV^'fifï dehors de celvi-là, il y en ait d'autre qui ^it fort, dw^Q f e) par-dessus tout légitime. Nous démontre- rons plus loin , de la façon la plus formelle^ que la %(Wirçe du pouvoir est dans l'élection, qui esji le mode qif'^ 1^ volonté nationale de se manifester. Cette délé- gation de la souveraineté que fait un peuple dans ses comices, n'a réellement puissance entière et souvera^p (^^e quand le peuple tout entier est appelé à exprimer ^ volonté. Le suffrage universel est donc la seule voix de la souveraineté populaire. C'est pour cela que ceux même qui avaient exclu du suffrage la plus grande partie de la natiop, gardaient à ceux que le privilège déléguait le nom d'états généraux; car anciennement on convoquait le peuple entier. Il est dit dans la charte daLiOuis le Débonnaire, qu'on doit consulter la généra- lité du peuple, generalitatem populi.
Pans le chapitre intitulé : Coup d'Ëtat, nous avons 4<mné le texte de l'appel au peuple. 11 contient les basef sur lesquelles Louis-Napoléon veut faire une Constitu- tion pour la France. Tout est défini, clair, précis, et, comme le prince le dit lui-même : a Pour la première fois depuis 1804, le peuple vote en connaissance de cause , en sadiant bien pour qui et pour quoi. »
Mais si Louis-Napoléon fait un appel franc, loyal, à FaiTêt auquel il promet de se soumettre , il veut que 4iiBl Ar.r/èt soit neodu sans entraves, sans pressions poli- tiques , et que l'ordre règne en France tant qu'il aura en main le pouvoir provisoire qu'il a dû prendre. C'est
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pour seconder ces intentions du prince, pour en assu- rer l'exécution , que M. de Mau pas fait afficher la pro- clamation aux habitants de Paris, que nous avons ci- tée à la page 100 de ce livre.
Le prince Louis-Napoléon voulait que Télection se fit le plus promptement possible , ne désirant pas gar- der longtemps un pouvoir de fait seulement et pro- visoire. Il rendit , dès le 2 décembre , le décret sui- vant, qui ne fut affiché dans Paris que le 3 au matin , mais qui avait été envoyé aux préfets dans la journée du 2:
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS.
Le Président de la République ,
GoiisidéraDt que la souveraineté réside dans runiversalité des et' toyens et qu'aucune fraction du peuple ne peut s*en attribuer rexer- cice, TU les lois et arrêtés qui ont réglé jusqu'à ce jour le mode de Tap- pel au peuple, et notainmcnt les décrets du 8 fructidor an Ul, 24 ^ 25 frimaire an VllI, Tarrèté du 20 floréal an X, le sénatus-consoHt du 28 floréal an Xll ;
Décrète :
Article i''^ Le peuple français est solennellement convoqué dans SOS comices, le 14 décembre présent mois, pour accepter ou rejeter k plébiscite suivant : Le peuple français veut le maintien de Tautorité de Louis-Napoléon Bonaparte, et lui délègue les pouvoirs nécessaires pour établir une Constitution sur les bases proposées dans sa pro- clamation du...
Art. 2. Sont appelés à voter tous les Français âgés de 21 ans, joQi&- ^ant de leurs droits civils et politiques. Ils devront Justifier, soit de leur inscription sur les listes électorales en vertu de la loi du il mars 1849, soit de Taccomplissement, depuis la formation des listes» des conditions exigées par cette loi.
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Art. 3. A la réception da présent décret, les maires de chaque commune ouvriront des re^strcs sur papier libre, Tun d'acceptation, l'autre de non-acceptation du plébiscite. Dans les quarante-huit heures de la réception du présent décret, les juges de paix se transporteront dans les communes de leurs cantons pour surveiller et assurer l'ou- verture et l'établissement de ces registres.
En cas de refus, d'abstention ou d^absencc de la part dos maires, les juges de paix délégueront soit un membre du conseil municipal, jioit un notable du pays, pour la réception des votes.
Art. 4. Ces registres demeureront ouverts aux secrétariats de toutes les municipalités de France pendant huit jours, depuis huit heures du matin jusqu'à six heures du soir, et ce à partir du dimanche 14 décembre jusqu'au dimanche soir suivant 21 décembre.
Les citoyens consigneront ou feront consigner, dans le cas où ils ne «auraient pas écrire, leur vote sur l'un de ces registres, avec mention de leurs nom et prénoms.
Art. 5. A l'expiration du délai fixé par l'article précédent, et dans les vingt-quatre heures au plus tard, le nombre des suffrages expri- més sera constaté ; chaque registre sera clos et transmis par le fonc- tionnaire dépositaire au sous-préfet, qui le fera parvenir immédiate- ment au préfet du département Le dénombrement des votes, la clôture et la transmission des registres tenus par les maires, seront surreillés par les juges de paix.
Art. 6. Une commission, composée de trois conseillers généraux dé- signés par le préfet, fera aussitôt le recensement de tous les votes ex- primés dans le département.
Le résulut de ce travail sera transmis par la voie la plus rapide au ministre de l'intérieur.
Art. 7. Le recensement général des votes exprimés par le peuple français aura lieu à Paris au sein d'une commission qui sera instituée par un décret ultérieur.
Le résultat sera promulgué par le pouvoir exécutif.
Art 8. Les frais faits et avancés par l'administration centrale et rommunale, et les frais de déplacement des juges de paix pour l'éta- blissement des registres, seront acquittés, sur la présentation des quittances ou sur la déclaration des fonctionnaires, par les receveur» de l'enregistrement ou les percepteurs des contributions directes.
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Art. 9. Le ministre de iMntérieur est chargé d'activer e) 4^ régu- lariser la formation, Touverture, la tenue, la clôture et Teav^i d» r^istr«8.
Fait au palais de TElysée, le 2 décembre 1851.
Louis-Napoléon Bonaparti.
Lb ministre de Vintérieur^
De Morny. Paris, le 2 décembre 1851.
En même temps que ce décret était envoyé aux pré- fets, M. de Morny faisait parvenir aux maires la circu- laire suivante :
Paris, le 2 déceipbre 1851.
Monsieur le maire,
La nation est convoquée dans ses comices pour régler les do^tiaéeii et l'avenir de la France.
Le décret de ce jour convoque le peuple , à partir du dlmaiicliii 14 décembre jusqu'au 21 décembre suivant ; il vous charge de faci- liter et régulariser, dans le cercle de vos attributions, la maniiesta- tion libre et spontanée du vœu public.
Je dois vous retracer en peu de mots les caractères de votre missiou et appeler votre attention sur les points suivants :
Ouverture des registres, — Réception des votes, — Relevé des suf- frages , — Clôture et transmission des registres, — Règlement des dépenses.
Ouverture des registres, — A la réception du décret du vous devrez ouvrir au secrétariat de la municipalité deux registres : L'un d'acceptation y l'autre de rejet du plébiscite soumis à la s^ctioo du peuple.
Ces registres seront sur papier libre et conformes aux modèles nu- méros 1 et 2, anpexés à la présente circulaire.
11 sera écrit en tète de chaque page du premier registie le mpt ACCEPTATION, et en tôte de chaque page du second le mot REJET.
Chaque page sera numérotée et paraphée.
DTN COUP D'ÉTAT. 351
Dans les grands centres de population, les maires pourront avoir plusieurs registres.
Vous mentionnerez Sur ces registres le Jour et Theure de leur ou- terturc pour fixer le cours et l'expiration du délai de huit jours, dé- terminé par l'article 4 du décret, pour la réception des votes.
En même temps que ces premières formalités seront remplies, vous ferez avertir les habitants de la commune, dans les divers centres de population qui la composent, par les. voies ordinaires delà publicité, c*e8t-à-dire par des affiches et des publications au son du tambour , que les votes seront reçus pendant Uuit jours, depuis huit heures du matin jusqu'à six heures du soir.
Réception dez votes, — Tous les Français, âgés de vingt et un ans et jouissant de leurs droits civils'et politiques, ont le droit de voter. La loi du 3! mai 1850 est abrogée; le suffrage universel est rétabli. Vous devez donc faire voter sur les listes électorales dressées en vertu de la loi du 15 mars 1849.
Toutefois, depuis que ces listes ont été faites, un assez grand nombre de Français a atteint l'âge de vingt et un ans. 11 serait injuste de les priver du droit de voter. Vous les admettrez donc lorsque leur droit vous sera personnellement connu ou vous sera attesté par deux autres électeurs.
Vous assisterez, autant que possible, monsieur le maire, à la récep- tion des suffrages, et vous vous ferez remplacer, en cas d'absence, par un adjoint ou un membre du conseil municipal.
Le mode de consignation des votes sera très-simple.
Ceux qui seront d'avis d'accepter le plébiscite inscriront ou feront inscrire leurs noms et prénoms sur le registre d'acceptation.
Ceux qui voudront exprimer une opinion contraire se borneront à inscrire leurs noms et prénoms sur le registre de rejet.
La spontanéité et l'indépendance des suffrages doivent être res- pectées par tous. Vous devez surveiller et réprimer au besoin, à l'aide de la force publique, toute manœuvre, toute violence, qui, à un degré quelconque, générait la liberté des votants. 11 ne faut pas que les passions des partis, leur aveuglement, leurs intrigues, leur ambition, puissent dénaturer ce grand acte de la souveraineté nationale.
Relevé dçf suffrages^ clôture et transmission des registres. — Après Texpiration du délai de huit jours, vous ferez, monsieur le maire, la
3d2 histoire
clôture des deux registres ; vous ferez aussi, du nombre des Toles a- primés sur chacun d'eux, un releyé général à la tin du rostre.
Les registres et le relevé des votes devront être immédiatement transmis au sous-préfet
Règlement des dépenses, — Les dépenses rendues nécessaires pour Texécution du décret seront remboursées, conformément à rartide 8 du décret, aux divers fonctionnaires sur leur déclaration ou la pré- sentation des quittances, par les receveurs de Tenregistrement ou les percepteurs des contributions directes.
Vous devrez vous conformer aux instructions qui vous seront don- nées par M. le juge de paix, chargé de surveiller rexécution du dé- cret, et je la confie, monsieur le maire, à votre patriotisme éclairé.
Le ministre de Vintérieur ,
Dk Mobm.
DÉPARTEMEKT REGISTRE N« 1 .
d —
— ACCEPTATION.
Arrondissement —
d En vertu du plébiscite du les citoyens
— dont les noms suivent, ont répondu af/IrmativemnU i
COMMUNIE la résolution posée en ces termes :
d « Le ])euple français veut le maintien de Tautorité
« de Louis-Napoléon Bonaparte, et lui délègue les poo-
a voirs nécessaires pour faire une Constitution sur les
« bases proposées dans sa proclamation du ■
NOMS ET PRÉNOMS DES SIGNATAIRES.
NUMEB06 D^OMDRE.
Total du nombre des signatures :
Le registre n** 2 est absolument pareil au registre n^ 1 , sauf U tob- stitution du mot négativement au mot affirmativement.
D'UN COUP D'ÉTAT. 333
Des instructions furent adressées , pour l'exécution de ce décret, aux procureurs généraux et aux juges de paix, par le ministre de la justice. Voici ces deux pièces dans leur entier :
Paris, le 2 décembre 1851.
Monsieur le procureur général,
Vous connaissez les événements qui viennent de s^accomplir à Paris. La souveraineté résidant dans le peuple , le Président a cru indispensable de l'invoquer pour réprimer les factions et sauver le pays.
Je vous envoie les proclamations et les circulaires adressées direc- tement aux juges de paix et aux procureurs de la République. Veillez à ce qu'il en soit donné connaissance à chacun des fonctionnaires placé sous vos ordres , faites-leur comprendre toute la gravité de la situation et la nécessité de leur concours dévoué, sur lequel le gou- Temement compte comme sur le vôtre.
Le minisire de la juslice^
ROUHER.
Paris, le 2 décembre 1851.
Monsieur le juge de paix ,
Les proclamations de ce jour vous font connaître les événements survenus à Paris.
Le décret de la même date vous donne donc, monsieur le juge de fMiiXy la mission de surveiller, dans chaque commune de votre can- ton, l'établissement des registres d'acceptation ou de lejet, et de con- trôler tout ce qui intéresse leur tenue régulière, en vous conformant aux instructions détaillées qui ont été adressées à MM. les maires. Vous devrez donc, dans les vingt-quatre heures de la réception du décret précité, vous transporter personnellement dans chaque com- mune de votre canton*
Vous êtes chargé aussi, sous la surveillance de Tautorité supé- rieure, d'éviter ou de vaincre tous les obstacles qui s'opposeraient à la manifestation solennelle de la volonté populaire.
54 BISTOmE
Vous constaterez par vous-même l'ouverture des registres de votei. Vous vérifierez s^Hs sôtit conformes aux modèles ci -annexés, et au be- aoki vous ferez toute rectiûcation nécessaire.
Dans le cas où, pour une cause quelconque, ces registres n'âuraieit pas été établis, vous en provoquerez ou opérerez l'ouverture, et vous commettrez au besoin, en remplacement du maire, soit l'un des membres du conseil municipal, soit Tun des notables de la com- mune, pour procéder à la réception et à la constatation des suffrages, comme pour clore et tranmnottre les registres au préfet par rintermé- diaire du sous-préfet.
Enfin, vous veillerez à ce que les kat)itants soient avertis de fov- vcrture du scrutin, par tous les modes de publication usités dans la commune.
Après Texpiration du délai de huit jours, c'esl-à-dire depuis le di- manche 14 décembre jusqu'au dimanche 21 décembre inelasivement, je vous recommande encore de surveiller Texécution des formalités de constatation des votes de clôture c( de transmission des registres, et, à cet effet , vous ferez une nouvelle inspection des comnranes de votre canton.
Vous devrez adresser tous les jours au sous-préfet un rapport con- statant le résultat de votre surveillance.
La mission qui vous est confiée, monsieur le juge de paix, a une trop haute importance, et doit recevoir de votre interveution un trop liaut caractère d'impartialité, pour que vous puissiez la déléguer. La délégation à Tun de vos suppléants ne me paraît admissible que dans le cas où vous seriez atteint d'une maladie grave, et dans celui oii l'étendue territoriale de votre canton vous imposerait, pour le travail (l'inspection, une division qui assurerait mieux l 'accomplissement (les formalités d'ouverture et de clôture des registres.
Je compte sur votre patriotisme pour concourir de tous vos efforts à la manifestation libre et sincère de la volonté d'un grand peuple.
Le ministre de la justice^
ROUB£R.
Quanta Tarmée, elle devait être appelée à voter im- médiatement.
D'UN COUP D'ÉTAT. 39%
Ije ministre de la guerre faisait parvenir aux géné-^ raux de division la circulaire suivante :
Général,
Je vous transmets les proclamations du Président de la République adressées au peuple français et à Tarmée.
Vous ferez immédiatement afficher ces proclamations dam les ca- •ernes, et vous donnerez Tordre à chaque chef de corps de les faire lire à haute voix dans chaque compagnie.
Je vous envoie aussi le décret de ce jour , en vertu duquel l'armée est appelée à exprimer sa volonté dans les quarante-huit heures de Ia réception des présents manifestes.
Vous ferez donc sans retard dresser, dans les divers corps sous vos ordres, des registres conformes aux modèles ci-joints et vous inviterez les officiers, sous-ofliciers et soldats à y consigner ou faire consigner teurs votes dans le plus bref délai.
Dès qae les votes des corps sous tos ordres auront été recueillis, vous me les adresserez avec des états certifiés par les différents chefs de corps ou de détachements, et par vous-même, en résumant le noTDbrc des votes d'dcceptation ou de rejet.
Le Président compte sur Tappui de la nation et de Farmée, et, en ce (|ui touche la division que vous commandez, sur l'énergie de votre attitude, sur la prompte et sévère répression de la moindre tentative de trouble.
Agréez, général, l'assuradce de ma considération distinguée.
Le général de division, minUtre de la guerre.
De Saint-Arnaud.
Ainsi qu'on le voit , le prince Louis-Napoléon em- pruntait ce mode de voter au passé historique de la France, et notamment à Téiection napoléonienne. Il croyait pouvoir faire cet appel franc et loyal au carac- tère français; mettre chacun à même de dire son opi- nion, et de signer de son nom Tacte de sa souveraineté.
356 HISTOIRE
Il y avait là quelque chose de chevaleresque et de hardi, il faut en convenir. C'était une belle occasion aux partis de se montrer; car nous aimons à croire que chacun en France a le courage de son opinion. Et au- jourd'hui qu'une acclamation si universelle du pays a proclamé le prince Louis-Napoléon , nous sommes en droit de dire que cette mesure ne pouvait manquer de convenir à l'immense majorité des Français. On doit faire aux huit millions d'hommes qui ont nommé le prince, au vote secret, Thonneur de croire qu'ils l'eus- sent nommé de même en mettant leur nom en face de leur vote.
Il n'y a donc eu de protestations contre ce mode que dans l'infime minorité qui a dit non. Nous croyons aussi , parce que cela est vrai, et que nous ne voulons faire d*injure gratuite à personne , que le plus grand nombre de ceux qui ont dit non sur leur bulletin secret auraient eu le courage de signer non sur un registre. Nous avons cette opinion , parce que nous croyons au caractère franc, loyal et courageux du peuple en France.
Dans la journée, un grand nombre de représentants vinrent donner leur adhésion aux actes accomplis par le Président. Des dépèches télégraphiques annonçaient que, dans un grand nombre de départements, les dé- crets et proclamations avaient été reçus avec un en- thousiasme remarquable.
Quant à l'insurrection que nous avons décrite, le gouvernement en suivait heure par heure le dévelop- pement, et s'apprêtait à la réprimer énergiquement.
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D'UN COUP D'ÉTAT. 357
On 8*attendait au conflit , et , pour ne pas embar- rasser Faction de la troupe par le concours de la garde nationale, un ordre du jour de son général en chef, LawŒstine, lui commandait de ne pas se rassembler, et menaçait de peines sévères ceux qui , sans ses ordres, feraient battre le rappel. Malgré les précautions active- irement prises par le colonel Yieyra, cette mesure était devenue nécessaire, d'après ce qui s'était passé dans la tO* légion, le matin même.
Ce même jour aussi, Louis-Napoléon, qui, dans son appel au peuple , avait reudu justice, au patriotisme de trois cents des membres de l'Assemblée, décida de nommer une commission consultative. Le Moniteur du 3 décembre publia le décret suivant, qui la constituait, bien que le prince se réservât d'y faire entrer de nou- veaux dévouements et de nouvelles aptitudes.
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.
AU MON DU PEUPLE FRANÇAIS.
Le Président de la République, Voulant, ju8qu*à réorganisation du Corps législatif et du oonseii d^Etat, s'entourer d'hommes qui jouissent à juste titre de Testime et de la confiance du pays, a formé une commission consultative com- posée de:
MM. Abbatueci (du Loiret).— D'Argout, gouverneur de la Banque.— Le général Achard (de la Moselle). — Le général De Bar (de la Seine). — Le général Baraguey-dHilliers (du Doubs). — Barbaroux (de la Rémiion). — Baroche (de la Charente-Inférieure). — Barthe, pre- mier président de la Cour des comptes. — Ferdinand Barrot (de 1 1 Seine). — D« Beamnont (de la Somme). — Benoit-Champy (de la
23
358 HISTOIRE
Côte-d'Or). — Bérard (de Lot-et-Garonne). — Bineau (de Maine-«t- Loire). — Boinvillicrs (de la Seine). — Joseph Boulay (de la Meurthe).
— Cambacércs (de TAisne). —De Casabianca (île la Ck>rse). — L*aini- ral Cécille. — Chadenct (de la Meuse). — Chassaigne-Goyon (du Puy- de-Dôme). — Prosper de Chasseloup-Laubat. — Charlemagne (de rindre). — Collas (de la Gironde). — Dariste (des Basses-Pyréoées).
— Denjoy (de la Gironde). — Dosjobcrt (de la Seine-Inférieure). — Drouyn de Lhuys (de Seinc-ct-Marne). — Théodore Ducos (de la Seine). — Dumas (de Tlnstitut). — Maurice Duval. — Le maréchal Excelmans, grand chancelier de la Légion d'honneur. — Le géoénl d'Hautpoul (de TAude). — Léon Faucher (de la Marne). — Le géné- ral de Flahaut. — Achille Fould (de la Seine). — H. Fortoul (des Basses- Al pes).—Frémy (de l'Yonne). — DcGaslonde (de la Manche).
— Frédéric de Lagraiigc (du Gers). — De La Grange (de la Gironde).
— Granier (de Vaucluse). — Augustin Giraud (d'Angers). — Charles Giraud, membre de Tlnstitut. — Godclle (de l'Aisne). — De Goulard (des Hautes-Pyrénées). — De Hceckeren (du Haut-Rhin). — Lacaze (des Hautes-Pyrénées). — Ladoucctte (de la Moselle). — Lacrosse (du Finistère). — De La Riboissière (dllle-et- Vilaine). — Lebeuf (de Seine-et-Marne). — Lefebvre-Duruflé (de l'Eure). — Lemarois (dek Mancho) . — Le Verrier (de la Manche) . — Magne (de la Dordogne).
— Meynard, président de chambre à la Cour de cassation. — De Mérodc (du Nord). — De Moiitalembert (du Doubs). — De Momj (du Puy-dc-Dômo) — De Mortcmart (de la Seine-Inférieure). — De Moiichy (de POise). — De Mousliers (du Doubs). - Lucien Murât (du Lot). — Le général d'Ornano (dMndre-et-Loire). — Pépin -Lehalleur (de Seine-et-Marne). -- Joseph Péricr, régent de la Banque. — De Per- iiigny (du Nord). — Le général Kandon. — Rouher (du Puy-de- Dôme). — Le général de Saint-Arnaud. — Ségur d'Aguesseau (des Hautes-Pyrénées). — Seydoux (du Nord). — Suchet d'Albuféra (de l'Eure). — De Turgot. — De Thorigny, — Troplong, premier prési- dent de la Cour d'appel. — Vieillard (de la Manche). — Vuillefroy.
— De Wagram.
Le Président de la République ^
Louis- Napoléon Bohaparte. Le ministre de Vintérieur^
Db MORIIT.
i •
D'UN œUP D'ÉTAT. 35t
Comme on le voit, le priirce s*entourait d'un conseil choisi parmi cétix des hommes éminents qu'il croyait aptes à rendre de nouveaux services à la France. Ce choix honorait ceux qui en étaient Fobjet. La plu- part de ces personnages avaient apporté leur adhé- sion à l'Elysée. Quelques-uns avaient été nommés parce que, bien qu'ils n'eussent pas fait d'adhésion, on leur avait supposé du patriotisme et ce sens politique qui fait les hommes d'État. De ce nombre, était M. Léon Faucher* Il crut devoir protester, et il le fit dans les termes suivants :
Monsieur le Président,
C'est avec un étonnement douloureux que je vois mon nom figurer parmi ceux des membres d'une commission consultative que vous ve- nez d'instituer. Je ne pensais pas vous avoir donné le droit de me faire cette injure ; les services que je vous ai rendus en croyant les rendre au pays , m'autorisaient peut-être à attendre de vous une autre reconnaissance. Mon caractère, en tout cas, méritait plus de respect Vous savez que, dans une carrière déjà longue, je n'ai pas plus dé- menti mes principes de liberté que mon dévouement à l'ordre. Je n'ai jamais participé ni directement ni indirectement à la violation des lois, et, pour décliner le mandat que vous me conférez sans mon aveu, je n'ai qu'à me rappeler celui que j'ai reçu du peuple, que je con- serve.
Léon Faucher.
Cette lettre fut envoyée à beaucoup de personnages haut placés; par qui? nous l'ignorons. Des journaux étrangers la reproduisirent. Le signataire ne pouvait que perdre à une pareille publicité ; car cette lettre ,
360 UiSTOIRB
qu'au point de vue des convenances il doit regretter d'avoir écrite, prouve qu'il n*a pas eu Vintelligence de la situation. Une telle défaillance de jugement a droit d'étonner chez un homme qui a tenu un^ place si larg^ dans le monde politique* Nous avoQs dû citer cette pièce, et nous ne pouvions la citer sans être sé- vère. Mais si l'histoire a ses exigences, on peut tou- jours, Dieu merci, les concilier avec ce sentiment de hautes convenances qui fait qu'on se respecte soi-même en jugeant les actes sans franchir les égards qu'on doit aux hommes.
On raconte que cette lettre fut pénible au prince pour son auteur, et que ce fut près de M. de Momy que M. Léon Faucher vint chercher une réponse, qu'on ne lui faisait pas. Cette réponse fut une leçon sévère- ment donnée.
Dans la journée du 3, Finsurrection s'étendait dans Paris : nous l'avons décrite, ainsi que celle des dépar- tements, qui commençait à gronder sur plusieurs points à la fois. Le gouvernement veillait sur le salut du pays avec une sollicitude et une activité admirables. Chose prodigieuse, de la Bourse on entendait la fusillade» et la rente montait. Elle atteignait 2 fr. 10 cent, de hausse. C'est que Paris sentait la puissance et la force de la main protectrice qui avait pris les rênes du gouverne- ment.
Ce fut aussi dans la soirée de ce jour, tant le .prince et ses ministres se sentaient forts, que fui donné l'ordre de mettre en liberté les représentants arrêtés à la Mai-
D'UN œUP lyÉTAÏ./^: * JH
rie da 10^ arrondissement, et détenus à Yincennes, à Mazas et au Mont-Valérien. Mais comme tous s'ob- stinaient à rester prisonniers , cette mesure ne reçut son exécution que le lendemain pour un certain nombre.
Cette fois encore, les ei«4^résentant9 voulurent qu'on usât de violence à leur égard : du moins ceci se passa au Mont'Valérien. Il fallait que des soldats les touchas- sent de la main pour qu'ils consentissent à devenir li- bres. A oe fort , quatorze , plus ou moins compromis , devaient être détenus jusqu'à nouvel ordre. Il fallut que le commissaire se fit accompi^er par M. Duponceau, huissier de l'Assemblée, qu'il les lui désignât nomina- tivement, ces messieurs se refusant à faire connaître leur état civil. *
Quand il fallut faire passer les quatorze , qui de- vaient rester, dans une chambre voisine, le commis- saire les en pria poliment, c Nous ne céderons qu'à ht fSorce,» dirent-ils. Deux soldats montèrent et touchèrent légèrement les quatre premiers. Le commissaire , peiné de ce manque complet de dignité , s'adressa au général Oudinot , et lui dit : c Vous , général, passez , je vous 60 prie* — Je veux aussi les deux soldats. » M* Antony Thonret dit : € Moi , j'en veux quatre , à cause de mon poids.»
Ces messieurs furmt placés dans des voitures, et on les mil en liberté : ceux qui voulurent furent dépotés à la porte de leur domicile , les autres place de la Con- eofftfey barrière du IMne et place de ta Bastille.
362 J* "f HISTOIRE
On raconte dis incidents assez curieux sur cette mise en liberté des souverains parlementaires. M"* Paillet irint demander la liberté de son mari, on la lui ac- corda ; mais en même temps on lui dit que pour aller à Yincennes, il fallait traverser le faubourg Saint-Antoine où Ton se battait, a Alors , gardez-le , dit cette dame ; gardez-le , je vous en prie , jusqu'à ce qu'on ne se batte plus, o
M. Larabit était à Yincennes. On l'engageait à s'en aller : a Je veux rester prisonnier, répondait-il ; je veux protester. — Vous êtes donc bien opposé à Tacte du Président. — Au contraire , je le trouve admirable. — Eh bien I alors. — Je veux protester. — Mais pourquoi T — Fourme rendre si ridicule qu'il en rejaillisse quelque chose sur tous les autres. »
M. Odilon Barrot était, comme nous l'avons dit, détenu à la même forteresse. Dans la nuit , deux agents se présentent et l'invitent à les suivre. Où cela? il l'ignore. On descend, une voiture est là, qui attend. Les deux agents y montent avec lui et ferment les stores. Puis la voiture roule ainsi longtemps dans l'ob- scurité. Enfin on s'arrête ! c Monsieur, dit l'un des deux hommes, nous allons aller prévenir de votre arrivée. Promettez-moi de ne pas descendre. » M. Odilon Barrot fit une promesse solennelle , et les deux hommes le ren- fermèrent dans la voiture. Une heure au moins se passa. Inquiet et fatigué d'une si longue attente , l'ancien mi- nistre ouvre la portière, a Cocher, dit-il, où sont donc ces messieurs? — Ces messieurs m'ont payé , sont partis
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irUN COUP D'ÉTAT.- 7W. 363
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cl m'ont dit que maintenant c'était à votre compte. -^ Mais où sommes-nous donc ? — Rue Neuve-des-Mathu- rins y 24. » M. Odilon Barrot était à sa porte.
Ainsi, la protestation des représentants du 10* ar- rondissement eut pour dénoûment une pasquinade de M. Antony Thouret, et une mauvaise plaisanterie faite à l'homme qui était en quelque s(>rte ^incarnation du système parlementaire.
Ce fut dans la nuit du 3 au 4 qu'eut lieu le transf(ère- ment , à Ham y des représentants arrêtés dans la matinée du 2 décembre. On les fit monter, à Mazas, dans les Toitures cellulaires de la Préfecture de police , et on les conduisit, tout le long des boulevards Jusqu'à la gare du chemin de fer du Nord. Au départ, ils ne se virent pas. fls étaient séparés chacun dans une chambre. Ils furent téparés anssi en voiture. Le général Le Flô , qui avait, le matin du 2, revêtu son grand uniforme, fut invité à mettre le paletot de l'un des agents. 11 était près de quatre heures, et on ne voulait pas qu'il pât être vu en costume dans la traversée des boulevards. Ces me*- iieiirs ne se virent qu'à l'endroit où on quille le chemin de fer pour se rendre à Ham. Ils déjeunèrent ensemble avant de partir pour cette forteresse , ob ils furent in- ternés sans que rien de remanjuable se passât.
Cependant, dans le public, le décret qui établissait le vote an registre, avait produit une certaine agitation. Les adversaires du prince disaient : < Cest une con^ trainte morale, c'est une façon d^extorquer les votes. » Avec un pen de réfleiion, ils eosent compris qnlk se
364 V"V HISTOIRE
faisaient la plus sanglante injure en se déniant à eux- mêmes ce courage civique qui proclame et qui signe ses convictions. Ce qui toucha le gouvernement, ce ne fu- rent pas ces réclamations d'une minorité infime, im- perceptible sur le sol de la France, ce furent des consi- dérations d'une autre nature. On pensa que peut-être certains intérêts se croiraient compromis en signant d'après leur conscience; que des employés, par exem- ple, se croiraient contraints de dire oui. On fut instruit que dans les campagnes, où tous les actes privés sont ea évidence, beaucoup craignaient que le registre des votas devint une liste de proscription entre les mains des rouges , si le Président ne réussissait pas* Les nouvelles transmises par les préfets, dans la journée du lendemaio 4, et l'écho des bruits de la capitale, confirmèrent le gouvernement dans la pensée qu'il était convenable de restituer l'élection au vote secret-
On doit considérer comme très-heureux que le vot« secret ait été rétabli, car si l'autre mode eût été main- tenu, ceux qui constituent la minorité d'hommes inté- ressés à voter au bulletin secret, n'eussent pas manqué de dire que la conscience des électeurs avait été mo- ralement violentée. C'est donc dans la plus complète indépendance que les partis se sont comptés; c'est donc des entrailles mêmes de la conscience du pays qu'est partie l'acclamation du président.
Aussitôt donc que le prince Louis-Napoléon eut coih slaté qu'un certain nombre de citoyens désirait le vole secret , il fit un décret qui rendait l'élection à ce
D'UN œUP D'ÉTAT. 365
mode, adopte, du reste, depuis longtemps en France et passé en quelque sorte dans nos mœurs :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.
AU NOM UU PEUPLE FRANÇAIS.
Le Président de la République,
Considérant que le mode d'élection promulgué par le décret du 2 décembre avait été adopté dans d'autres circonstances comme garan- ttMant la sincérité de rélection ;
Mais considérant que le scrutin secret actuellement pratiqué parait mieux garantir Tindépendance des suffhigcs ;
Considérant que le but essentiel du décret du 2 décembre est d'ob- tenir la libre et sincère expression de la volonté du peuple , Décrète :
Art. 1**. Les art. 2, 3 et 4 du décret dn 2 décembre sont modifiés ainsi qu'il suit :
Art. 2. L'élection aura lieu par le suffrage universel.
Sont appelés à voter, tous les Français, âgés de vingt et un ans, jouissant de leurs droits civils et politiques.
Art. 3. Us devront justifier, soit de leur inscription sur les listes électorales dressées en vertu de la loi du 15 mars 1849, soit de l'ac- eompliasemeot, depuis la formation des listes, des conditions exigées par cette loL
Art. 4. Le scrutin sera ouvert, pendant les journées des 20 et 21 dé- cembre, dans le chef-lieu de chaque commune, depuis huit heures du matin jusqu'à quatre heures dn soir.
Le suffrage aura lieu :
AU SCRUTIN SECRET,
Par oui ou par non ,
Au moyen d'un bulletin, manuscrit ou imprimé. Fait au palais de l'Elysée, le 4 décembre 1831.
LemS^NAMLÉON BONAPàKTt.
Lb miniêtft 4» l'mtéri9mr^
te Hmiii.
366 HISTOIRE
M. de Morny publiait de son côté la proclamatioii suivante :
Le Président de la République et son gouvernement ne recuieront devant aucune mesure, pour maintenir Tordre et sauver la société; mais ils sauront toujours entendre la voix de Topinion publique et les vœux des honnêtes gens.
Us n'ont pas hésité à changer un mode de votatlon qu^ils avaient emprunté à des précédents historiques, mais qui, dans Tétat actuel de nos mœurs et de nos habitudes électorales, B*a pas paru assurer suffisamment Tindépendance des suffrages.
Le Président de la République entend que tous les électeurs soient complètement libres dans Texprcssion de leur vote, quMls exercent oa non des fonctions publiques, qu'ils appartiennent aux carrières civiki ou à Tarmée.
Indépendance absolue, complète liberté des votes, voilà ce que veut Louis-Napoléon Bonaparte.
Le ministre de Vintérievr^
De Mor!it.
Le décret du prince montre à quel point il prétait roreille aux demandes de Fopinion publique. Mais pour Tapprécier entièrement, il faut voir quand il a été rendu : c'est lorsque la voix du canon avait fait taire rémeule; c'est quand la résistance était domptée. D eût été facile de faire en ce moment de Tautorité arbi- trairement compressive. Vainqueur, le prince voulut être juste jusqu'au scrupule. Partout l'armée avait voté suivant le mode primitivement prescrit, quand le nou- veau décret fut connu. Chose remarquable, c'est que la presque unanimité qu'elle a donnée au Président par le vote au registre est restée , on peut le dire j la même
«^
D'UN COUP D'ÉTAT. 367
au i^ote secret, tant sont petites les différences qui ont eu lieu entre les deux résultats. Alors qu'il n'était en- core question de faire voter l'armée que par le premier des deux modes, le Président écrivait au ministre de la guerre :
Mon cher général,
TaTais adopté le mode de yotation avec la signature de chaque vo- lant , f>arce que ce mode , employé autrefois , me semblait mieux as- surer la sincérité de l'élection ; mais, cédant à des objections sérieuses et à de justes réclamations, je viens, vous le savez, de rendre un dé- cret qui change la manière de voter.
Les suffrages de Tarmée sont presque entièrement donnés, et je suis lieureux de penser qu'il s'en trouvera un assez petit nombre contre ipoi. Cependant, comme les militaires qui ont déposé un vote néga- tif, pourraient craindre qu'il n'exerçât une fâcheuse influence sur leur iearrière, il importe de les rassurer.
Veuillez donc bien, sans retard, faire savoir à l'armée, que, si le mode d'après lequel elle a voté est différent de celui d'après lequel voteront les autres citoyens, l'effet en sera le même pour elle, c'est- à-dire que je veux ignorer les noms de ceux qui ont voté contre
. En conséquence, le relevé des votes une fois terminé et dûment constaté, ordonnez, je vous prie, que les registres soient brûlés. Agréez, etc.
Louis-NapoléO!« Bonaparte.
Cette lettre se passe de commentaires. Il fut décidé, dès le jour même, que l'yrmée voterait au bulletin secret.
Dans la journée du 6, de nombreuses arrestations Airent faites; notamment celles de MM. Mathé (Allier), €h. Huguenin (Haute-Saône), tous deux siégeaient à la
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Montagne. Dans la malmée, M. Xavier Durneuy di journal la Révolution^ fut arrêté avec sept des f6ili&- teurs du même journal.
M. Thiers, qui avait été dispensé d'être transférée Ham, rentra à son domicile où il fut surveillé en atleflh fiant son départ pour rÂlIeraagne.
Pour en finir, en ce qui concerne M. Tbiers, racon- tons comment il fut transféré au delà du Rhin. Il de- manda au gouvernement à être accompagné jusqu'à la frontière par un agent de la force publique. L'officier de paix Yeindcnbach le prit chez lui le 8 décembre, avant six heures du soir. Deux amis de rex-mînisirey M. Mignet et un autre, le conduisirent jnscpi'à la gare du chemin de fer de Strasbourg. M. Grangier de la Marinière ne le quitta qu'à Kehl. Ce fut là que M. Thien lui remit pour Toffîcier de paix une lettre de protesta- tion et une de remerciments pour l'es ^ards dont 3 avait été l'objet.
Voici donc la situation nette et bien établie. Loub*> Napoléon a pris l'avance sur ses adversaires, qui sont prisonniers ou en fuite. L'émeute est vaincue. La con- fiance renaît, les fonds publics sont en hausse consi- dérable.
L'Europe reconnaissante témoigne die ses sympathies pour Pacte et elle admira l'homme. En attendant le vote , le prince est vraiment dictateur. Plus rien ne fentrave, ni Constitution absurde, ni AssemMée rivale et malveillante. Il a tout pouvoir, que va-t-iï foire? car il a quinze jours devant lui; homme de génie, il peut
D'UN OW? I^ÊTAT. 369
tûm ^a^aatage en quinze jours que n'importe quel gouvernement r^résentalif dans une année.
La jourfiée du 7 décembre fut fertile en actes ofS- eîels. Celui que nous placerons le premier, parce que BOUS somaMs^ûriqti'il fjut le premier dans la pensée et 4biis le cœur de Louis-Napoléon , c'est le décret qui fend Sainle-<ieDe^ève^ le Panthéon actuel , au culte Mtbolîque.
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS.
Le Président de la République , Sur le rapport du ministre de rinstruction publique et des cultes, Vu la loi des 4-tO avril 1791 ; «Vu le décret du 20 février 1806 ; Vu Tordonnance du 12 décembre 1821 ; Vu Tordonnance du 26 août 1 830 ;
Mcrëte : >Arl. f^. L^ancienne église de Saitate-Gencviève est rendue au cuHc, o^fonnément à rintantion de son fondateur, sous T invocation de Saînte-Geneviève, patronne de Paris. ^ Il sera pris ultérieurement des mesures pour régler Texercice per- manent du cuHe catholique dans cette église. kti. 2. L'ordonnance du 26 août 1830 est rapportée. Art» d. Le mmistre de Tinstruciion publique et des cultes et le mini&> Ire des travaux publics sont chargés , chacun en ce qui le concerne, de Texéi'/Ution du présent décret, qui sera inséré au BuUetin des lois. Paris, le 6 décembre t891 .
LoU1S-NaW>LÉ0N BOf^AFARTE.
Lb mkUihre de VinstrucUon publique et dm ouUes ,
FOHTOUL.
*
Celte pensée qui va vers Dieu , après la victoire, est
m
0.
370 HISTOIRE
d'un heureux présage. Il ne faut pas que les princes et les puissants de ce monde s'isolent de celui qui tient dans ses mains les destinées des nations. Ce remerclment, après le triomphe sur l'anarchie , promet que le chef de l'Ëtal veut s'inspirer des idées chrétiennes dans son gou- vernement. Il n'y a que les médiocrités impuissantes qid se séparent de Dieu. Les hommes de génie comprennent qu'ils ne sont que les instruments de ses desseins, et qu'ils doivent avant tout se conformer aux enseignements de l'éternelle justice , de l'éternelle vérité. Le prince qui prend d'une main si ferme le timon des a£GeiireSy et se place à la tête du progrès et de la civilisation y devait cet hommage et ce gage à l'Ëglise de France, à cette Église, de laquelle nous parlions ainsi, dans notre Die* tionnaire général des persécutions (vol. 2 , p. 471 ) :
« Église de France, salut à toi ; salut aux majestés de ton berceau. Que belle et grande est ta destinéel Av commencement, les martyrs de Lyon dans les amphi* théâtres ; à la fm , tes prêtres et tes évêques sous la hache de 93 ! Marche , noble et sainte ËgUse , fille aînée de rÉglise romaine, ta mère. Bientôt, c'est de ton sein que sortiront les martyrs, les docteurs et les mission- naires. Tu seras comme la fleur de l'arbre dont la racine est à Rome. Pas un coin du monde n'échappera à tes missionnaires, comme pas un peuple à ta civilisation. Quel est le rocher où une nef française n'ait porté la croix avec sa bannière? Quelle est l'œuvre civilisatrice que ses missionnaires n'aient pas accomplie? Marche, noble Église, lumière, espoir et soutien de la chrétienté.
D'UN COUP D'ÉTAT. 37!
Tu donneras au monde des fils qui s'appelleront Gré- goire de Tours, saint Louis , Vincent de Paul, Bossuet et Fcnelon ; puis d'autres qui s'appelleront Charlemagne et Bonaparte, deux noms dont le bruit ébranle le monde. Le premier déchirera un coin de son manteau de pourpre pour abriter la tête du vicaire de Jésus-Christ , et quand l'ingratitude d*un peuple voudra dépouiller de cette au- mône héréditaire le père des fidèles, un Bonaparte dira : La France Ta donnée, et le possesseur est sous sa garde. Fille de l'Église romaine, défends ta mère et la maison que tu lui as donnée. Marche, noble Église; ton nom veut dire gloire et civilisation sur la terre; au ciel, il a celui des gloires célestes. Salut à toi, mère des saints! A toutes les époques, tu verras quelque nom glorieux porter en ton nom , dans sa main , la palme ou le flam- beau. Honneur à TÉglise qui ouvre ainsi ses fastes et qui les ferme comme tu viens de le faire! Le bronze tonne dans Paris, les partis déchaînés se déchirent , toute parole de paix est impuissante, huit généraux tombent ; il coule du sang comme dans vingt batailles. Ah ! Dieu est absent de ces luttes fratricides. Trois jours de combats sacrilèges n'ont point assouvi la fureur des combattants. Un homme de Dieu parait, la palme à la main, symbolique prophétie : c'est l'archevêque ! apôtre des conciliations; il a dans les veines le sang d'un mar- tyr, et ce sang éteindra la lutte. Après le pasteur mort, silence! le bronze se tait. Qui donc oserait rentrer dans la sanglante arène , quand l'holocauste est ofiert et la rançon acceptée par Dieu ? La dernière victime est un
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martyr, et la fin du combat est un miracle. Ainsi TÊ- glise étend Texpiation sur ce vaste sacrilège. »
Quand nous écrivions ces lignes, nous espérions que la lutte impie ne se renouvellerait pas. Hélaç ! les évé- nements ont donné tort à nos espérances !
Les ennemis de la société ont versé de nouveau le sang français. Celle fois encore, au milieu de tous les hérolsmesy nous avons à constater celui des ministres du Diev à% paix. De simples pasteurs des campagnes ont imité Tarchevêque de Paris. De nouvelles obligations de reconnaissance étaient imposées au pays. Louis Bonaparte, après la victoire, s'acquitte envers Dieu et envers rhéroïque clei^é français. Ce que Tarchevéque mort avait tant désiré lui sera donné. Nobles martyrs, à vous le Panthéon ! Non pas à vous , car pour payer vos sublimes dévouements, ce qu'il vous faut, c^^st m coin de terre et une croix de bois dans un bumMe cimetière , au milieu du troupeau confié à vos soins. Ce que vous voulez , c'est un autel de plus au Dieu qui vous envoie , c'est une chaire de plus aux vérités dont vous êtes les apôtres. Ce que vous demandez, c'est qu'on eflace ce mot païen Panthéon sur le fronton d^m mo- nument de la France chrétienne. C'est qu'il n'y ait pas, dans la grande cité , vis-à-vis les tours saintes de Notre- Dame de Paris, cet insolent anachronisme mytholo- gique. C'est qu'on rende au culte chrétien ce temple, dont les révolutionnaires avaient fait, sous prétexte de récompense aux grands hommes , une morgue hideuse pour Marat, pour ses précepteurs et pour sea disciples.
\
D'UN COUP D'ÉTAT. STS
Ce monumeal, vaste el froid tombeau, dunt l'aspect glaçait le cœur, et où l'àme ne voyait que le néant , sera désormais plein de vie, d'harmonies et de prières. Il est sous l'invocation de la patronne de Paris, celte Geneviève qui arrêta les hordes barbares d'Attila. Ne semble-l-il pas que Louis-Napoléon l'appelle pour ar- rêter aussi les hordes des nouveaux barbares. Sainte fille du peuple, vous êtes la patronne de Paris, soyez la protectrice aussi de celui qui vous y donne un temple; de celui qu'aiment tant les bons habitants des campa- gnes où vous viviez simple bergère.
Quefera-t-on du magnifique chef-d'œuvre de David, le moderne Phidias? Respectueusement détaché du fronton, il ira prendre sa place dans quelqu'un de nos musées. Artistes! il y a plus de place pour le vrai génie au fronton d'une église qu'à celui d'un panthéon. Sculptez-y d'un câté l'archevêque mourant, victime du patriotisme et de la charité ; c'est là de l'histoire natio- nale aussi. Sculptez de l'autre ce simple et vieux curé de campagne, refusant aus fusils de l'émeute les clefs de son église. Au milieu, placez le neveu de l'Empereur offrant son décret à l'héroïsme du clet^é de France. Vous aurez écrit dans la pierre, pour tous les yeux, l'histoire que nous écrivons humblement pour quelques- uns dans ces pages. Autant que possible, immortalisons Içs hauts faits, les gloires, les dévouements qui appar- tiennent à notre pays; lesgénératioiis verront sans cesse, vivant devant elle, l'exemple qu'elles doivent s'efforcer d'imiter.
374 HISTOIRE
Par un autre décret, promulgué le même jour, le prince commençait à remercier l'armée tout entière de son noble et vaillant concours :
Ay NOM DU PEUPLE FRANÇAIS.
Le Président de la République,
Vu la loi du 25 décembre 1790, rclatiTe au traitement des mili- taires ;
Vu la loi du 11 avril 1831, sur les pensions de l'année de terre;
Vu Tordonnance du 3 mai 1832, sur le service des armées en cam- pagne ;
Sur le rapport du ministre de la guerre ,
Voulant que les scn-ices rendus au pays, à Tintérieur, soient ré- compensés comme sont ceux des armées au dehors.
Décrète :
Art. l•^ Lorsqu'une troupe organisée aura contribué, par des com- bats, à rétablir Tordre sur un point quelconque du territoire, ce ser- vice sera compte comme service de campagne.
Art. 2. Chaque fois qu'il y aura lieu de faire application de ce principe, nn décret spécial en déterminera les conditions.
A rElvsée, le o décembre ISol.
Le Président de la Hépublique ,
Ix>uis-NAr<ii.ÉoN Bonaparte.
Le ministre de la guêtre ^
A. DE Saint-Arnaud.
Pour porter éncrgiquement remède aux désordres des départements, le gouvernement nomme M. Maurice Duval commissaire extraordinaire dans les départements des Côtes- du -Nord j du Finistère, dllIe-el-Vilaine, de la Loirc-lnférieure, du Morbihan, de Maine-et-Loire, de la Vendée et de la Mayenne. M. Cartier est nommé
DUN œUP D'ETAT. 375
en la même qualité pour les départements de TAUier^ du Cher et de la Nièvre.
Si d'un côté le pouvoir prenait ces hautes précau- tions administratives contre le désordre, de l'autre il prouvait sa modération y en retirant aux préfets une partie des pouvoirs absolus et arbitraires qu'il leur avait conférés par la circulaire ministérielle du 2 décembre. M. de Morny leur faisait parvenir la circulaire suivante :
Paris, le 7 décembre i85i.
Monsieur le préfet.
Par ma circulaire en date du 2 décembre, vous avez été investi du droit de suspendre et même de remplacer immédiatement tous Ica fonctionnaires dont le concours ne vous serait point assuré.
Ces pouvoirs extraordinaires ont dû vous être conférés, alors qu'il y avait nécessité de briser immédiatement les résistances qui auraient été de nature à compromettre le succès des grandes mesures de salut public décrétées par le prince Louis-Napoléon.
Ces pouvoirs vous permettaient d'atteindre les juges de paix. Ils doivent cesser aujourd'hui que le gouvernement est maître de la si- tuation. Le temps qui doit s'écouler avant l'ouverture du scrutin permet, d'ailleurs, de suivre les voies ordinaires de nomination.
Vous devrez donc, à l'avenir, monsieur le préfet, laisser aux chefs des cours d'appel le libre et plein exercice du droit qui leur appar- tient de présenter, et, au ministre de la justice, l'exercice du droit qui lui appartient également de pourvoir à toutes les fonctions de la magistrature. M. le ministre de la justice invite, au reste, les procu- reurs généraux à prendre votre avis sur les révocations et sur l«\s remplacements qui devraient être opérés.
Le ministre de C intérieur.
De Mornv.
La modération est la marque de la force , comme la justice est la vertu de la vraie puissance.
rm 1UST0IMS
Af/rès les êvénetâeïits graves qui tenaient ée s' complir à Paris^ il y avait nécesBlté de iftévir contre Mt- taines fautes^ et, il fout bien (employer ce lerme^cofitre certaines lâchetés. Dans les ^iMs^tiers eli'vabis par Té- meute, si quelques hbnon9d)les citoyens avaient coui»- genseuient refusé lierurs aimes aux insinués, ou mène les avaient défendues, un grand nombire les atldent livrées, quelques-^uns les avaient offertes. Le lendemain encore, la troupe, en parcourant ces quartiers , lisait , ce que, du reste, nous avons lu nous-méme sur une infinité de portes : Armes données.
Justice immédiate devait être faite. Le miiiistre de l'intérieur et le général de la garde nationale échangè- rent la correspondance suiva nte :
A M. LE QÉRÉRAL GOMMANDAItT SUPÉMIUR WS OAI0B»>NAtMIIALBS
DE LA SBIftB.
Paris , le 7 décembre ÏS^l.
Général ,
Dans plusieurs quartiers de Paris, quelques propriétaires ontrim- pudeurde mettre sur leur porte : Arines données. On côntevtait qu'un garde national écrivît : Armes arrachées de fôirte , kûh^' tùéttte à cou- vert sa responsabilité vis-à-vis de l'Élat et son hooïïear'tis^à-visde ses concitoyens; mais inscrire sa honte slir le fWnt dé sai (^f df^re inai- son révolte le caractère français.
Tai donné fordre au préfet de police de faire eâkcer cesinsfiripiions, et je vous prie de me désigner les légions oii ces faits se'^tit^fodaits, afin que je propose à iA, le Président de la République de décréter leur dissolution.
Agréez, général, Texpression de ma considération la plus distinguée.
Le ministre de l'intérieur^
De ÉIoekt
D*UN COUP D'JÈf AT. 371
Paris, le 7 décembre 1851.
Monsieur le ministre,
Toute la garde nationale amiji^udira aux sentiments exprimés dans la lettre que tous m'avez fidi Thonneur de qu'écrire.
Une des légions de Paris a subi le double affiront du désarmement à domicile et des inscriptions honteuses dont tous parlez. Sa mairie, malgré la présence de plus de soixante hommes , a été prise par les insurgés : c'est la 5" légion.
Je Tiens vous la signaler et demander son licenciement. Je suis heureux d'avoir, d'un autre côté , un grand nombre de faits qui con- statent l'esprit d'ordre et d'obéissance qui n'a cessé de régner dans beaucoup d*autre9 légions.
Agréez, monsieur le ministre, l'assurance de ma haute considération.
U général eowimandant s^péri^w dis gardtz fiaiiofiolei df kk Stàm,
Lawoistine.
Un décret ordonna le désarmement de la 5' légion. Sous le régime parlementaire, cet acte de justice, ac- compli dans l'espace de quelques heures, aurait dépensé plusieurs séances législatives, valu au pays une demi- douzaine de discours incendiaires, et aurait jeté l'agi- tation dans la capitale.
Un root sur M. Lawoestine , général en chef de la garde nationale. Homme de l'Empire, il fit ses preuves du temps de nos grandes guerres, et se distingua, en 1800, le 0 août , à la bataille d'Almonacid, où il fut Messe. Il a le caractère des hommes de cette époque. Quoiqu'il ait, avec l'énergie d'un militaire les formes <f un homme du monde , il n'en a pas moins une pro- fonde aversion pour le parlementarisme. Homme d'ae-
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tion et de résolution , il est parfaitement capable d'ap- précier la garde nationale et après cela de la con- duire.
Ni Louis-Napoléon, ni son gouvernement ^ ni les généraux, n'oubliaient qu'il y avait dans les hôpitaux de Paris des soldats blessés dans l'insurrection. Plu- sieurs fois déjà, le Président leur avait envoyé ses aides- de-camp, s'était enquis, avec la plus grande sollicitude, de leur état, <le leurs besoins. Le général Magnan alla lui-même les visiter dans la journée du 7, et d'abord au Val-de-Grâce, ensuite à l'Hôtel-Dieu et dans les diverses ambulances, sut leur parler ce langage qui , pour des soldats français, est la moitié de la guérison. Le gé- néral en chef a remercié , de la façon la plus chaleu- reuse, les médecins qui ont donné des soins à nos braves militaires. Dans la longue promenade qu'il a faite dans Paris, il a pu se convaincre, par l'accueil qu'il a reçu , que la population sait apprécier les ser- vices éminents qu'il a rendus au pays.
Paris a entièrement repris son calme habituel. Dans les départements, la démagogie, prévenue par l'acte du 2 décembre , ne peut faire que des tentatives impuis- santes. A mesure qu'une des tètes de l'hydre se lève, le pouvoir Técrase. Le monstre qui menaçait de tout dévorer en 1 852 , est frappé à mort ; c'est vainement qu'il se débat, ses efforts ne sont plus que les convul- sions de l'agonie. Cependant, l'acharnement de la lutte montre ce qu'elle aurait été si le gouvernement se fût endormi dans l'cnathique imprévoyance qui cachait le
DUN COUP D'ÉTAT. 379
danger aux yeux de la France entière. Grâce à son cou- rage, à son dévouement j il faut le dire, la victoire est enfin certaine. Désormais, le peuple s'appartient; il ne subira ni les dictateurs de la fusion, ni la terreur de la démagogie. Remis entre les mains de sa propre puissance, il fera, librement et en dehors de toute in- fluence, acte de souveraineté. Nous nous trompons, il subira une influence immense, irrésistible, celle de la reconnaissance à laquelle un peuple généreux ne sau- rait se soustraire. Déjà l'enthousiasme du pays prophé- tise les résultats du scrutin qui va s'ouvrir. Ce symp- tôme de la situation ne peut échapper à Louis -Napo- léon; n'importe, il parlera au peuple le langage du devoir seulement. Il doit rendre compte à la France de ses six jours de dictature , et il le fait dans la proclama- tion suivante, qui parut au Moniteur le matin du 8 décembre.
RÉPUBUQUE FRANÇAISE.
PIOCUMATION DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBUQCE AU PEUPLE FRAFIÇAIS.
Français, ]
Les troubles sont apaisés. Quelle que soit la décision du peuple, la société est sauvée. La première partie de ma tâche est accomplie ; l'ap- pel à la nation, pour terminer les luttes des partit, ne faisait, je le ra- Ttis, courir aucun risque sérieux à la tranquillité publique.
Pourquoi le peuple se serait-il soulevé contre moi?
Si je ne possède plus votre confiance , si vos idées ont changé, il n*est pas besoin de faire couler un sang précieux ; il suffit de déposer dans Tume un vote contraire. Je respecterai toujours Tarrét du peuple.
Mais, tant que la nation n'aura pas parlé, je ne reculerai devant
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tion et de résolution , il est parfaitement capable d'ap- précier la garde nationale et après cela de la con- duire.
Ni Louis-Napoléon , ni son gouvernement , ni les généraux, n'oubliaient qu'il y avait dans les hôpitaux de Paris des soldats blessés dans l'insurrection. Plu- sieurs fois déjà, le Président leur avait envoyé ses aides- de-camp, s'était enquis, avec la plus grande sollicitude, de leur état, <le leurs besoins. Le général Magnan alla lui-même les visiter dans la journée du 7, et d'abord au Val-de-Grâce, ensuite à l'Hôtel-Dieu et dans les diverses ambulances, sut leur parler ce langage qui , pour des soldats français, est la moitié de la guérison. Le gé- néral en chef a remercié , de la façon la plus chaleu- reuse, les médecins qui ont donné des soins à nos braves militaires. Dans la longue promenade qu'il a faite dans Paris, il a pu se convaincre, par l'accueil qu'il a reçu , que la population sait apprécier les ser- vices éminents qu'il a rendus au pays.
Paris a entièrement repris son calme habituel. Dans les déparlements, la démagogie, prévenue par l'acte du 2 décembre , ne peut faire que des lenlativos impuis- santes. A mesure qu'une des têtes de l'hydre se lève, le pouvoir Técrase. Le monstre qui menaçait de tout dévorer en 1 852 , est frappé à mort ; c'est vainement qu'il se débat, ses efforts ne sont plus que les convul- sions de l'agonie. Cependant, l'acharnement de la lutte montre ce qu'elle aurait été si le gouvernement se fût endormi dans l'cnathique imprévoyance qui cachait le
D'UN COUP D'ÉTAT. 379
danger aux yeux de la France entière. Grâce à son cou- rage, k son dévouement, il faut le dire, la victoire est enfin certaine. Désormais, le peuple s'appartient; il ne subira ni les dictateurs de la fusion, ni la terreur de la démagogie. Remis entre les mains de sa propre puissance, il fera, librement et en dehors de toute in- fluence, acte de souveraineté. Nous nous trompons, il subira une influence immense, irrésistible, celle de la reconnaissance à laquelle un peuple généreux ne sau- rait se soustraire. Déjà l'enthousiasme du pays prophé- tise les résultats du scrutin qui va s'ouvrir. Ce symp- tôme de la situation ne peut échapper à Louis -Napo- léon; n'importe, il parlera au peuple le langage du devoir seulement. Il doit rendre compte à la France de ses six jours de dictature, et il le fait dans la proclama- tion suivante, qui parut au Moniteur le matin du 8 décembre.
RÉPUBUQUË FRANÇAISE.
PIOCUMATION DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE AU PEUPLE FRAFIÇAIS.
Français, j
Les troubles sont apaisés. Quelle que soit la décision du peuple, la société est sauvée. La première partie de ma tâche est accomplie ; l'ap- pel à la nation, pour terminer les luttes des partit, ne faisait, je le ra- Tais, courir aucun risque sérieux à la tranquillité publique.
Pourquoi le peuple se serait-il soulevé contre moi?
Si je ne possède plus votre confiance , si vos idées ont changé, il n^est pas besoin de faire couler un sang précieux ; il suffit de déposer dans Turne un vote contraire. Je respecterai toujours Tarrèt du peuple.
Mais, tant que la nation n*aura pas parlé, je ne reculerai devant
-A
380 HISTOIRE
aucun effort, deyant aucun sacrifice, pour déjouer les teniâtifet 4éi factieux. Cette tâche, d'ailleurs, m*est rendue facile.
D'un côté, Ton a vu combien il était insensé de lutter contre une arfnéc unie par les liefis de la discipline, aniniée pa^ lé sentiment dé rhoiineûr militaire et par le dévouemenià la patrie.
D'un autre côté^ l'attitude calme des habitants de Paris, U répro- bation dont ils flétrissaient l'émeute, ont témoigné assez hautement pour qui se prononçait la capitale.
Dans ces quartiers populeux, où naguère rinsnnrcM^tioii se i^ecnilAk si vite parmi des ouvriers dociles à ses entraînements, ranarchie, éetle fois, n'a pu rencontrer qu'une répugnance profonde pour ses détes- tables excitations. Grâces en- soient rendues à l'intelligente et patrio- tique population de Paris! Qu'elle se persuade de plus en pins qïk mon unique ambition est d'assurer le repos et la prospérité de h France.
Qu'elle continue à prêter son concours à l'autorité, et bientôt te pays pourra accomplir, dans le calme, l'acte soleiinel qui doit inaii- gurer une ère nouvelle pour la République.
Fait au palais de TÉlyséé; le 8 décembre 1851.
Louis-Napoléon BOHArâaTC.
Ainsi, ce n'est point un maître qui parle, ce n'est point un ambitieux vulgaire que la victoire et le succès puissent aveugler. Il voulait deux choses : d'abord sau- ver la société ; ensuite s'en remettre au jugement du peuple. Alors pourquoi se soulever? pourquoi combat- tre? pourquoi du sang? Quand une natioti à le scnitÎD, pourquoi recourir au fusil ? Tout ce qui est honnête a du reste compris cette situation, et ce n'est pas le moin- dre orgueil que puisse avoir la France, de songer qu'il n'y a eu dans les rangs de l'insurrection que ce qu'à tous les titres un pays doit être fier de désavouer, empressé de repousser.
• 1
't
D'UN COUP D'ÉTAT. 381
Depuis longtemps, la France, Paris surtout, dési* raient ardemment qu'on les délivrât des forçats libérés, des repris de justice en rupture de ban, de cette armée du crime qui entre dans les prisons pour l'avoir coow mis, qui en sort pour le commettre. C'est presque fatal, le criminel ne redevient que bien rarement honnête homme. Si cela tient souvent à la perversité des con-« damnés, il faut en convenir, les vices de notre législa-^ tion n'y sont pas étrangers. Les humanitaires auront beau dire que quand uû homnàe a subi sa peine, il est réhabilité, que la peine est un baptême ; leurs raison»^ nements ne prouveront rien en pratique. Jamais ils ne feront que le préjugé social tombe devant un condamné. Eux-mêmes, donneront^ils du travail à un forçat libéré? Tadmettront-ils chez eux, à leur table, dans leur inti- mité? et qu'on ne dise pas que nous allons trop loin. 11 faut cela. Car quelque part qu'on pose à cet homme une limite, ce sera toujours celle de sa réprobation. Il y lira le mot : paria; et forcément il se rejettera en ar- rière, froissé, humilié, désespéré, criminel; caria porte de la société honnête fermée, il faudra qu'il rentre dans la société coupable , dans l'antre des voleurs ou au bagne. Où vdulcz-vous qu'il aille? Quelque part qu'il soit, n'est-il pas sous la surveillance, cet ostracisme néces- saire, nous en convenons, qui circonscrit son existence dans l'espace de quelques kilomètres carrés? N'est-il paseti évidence comme l'ancien criminel ? On dit: « c'est ie forçat. » On fait la solitude autour de lui ; sMl y a un crime commis, ce doit être lui le coupable. Non, la vie
3B2 fflSTOlRE
honnête n*est presque pas possible pour ces hommes. II fallait donc faire à ces malheureux, dans leur intérêt comme dans celui de la société , un lieu où ils pussent yivre. Depuis longtemps, TÂngleterre nous avait donné cet exemple. Depuis longtemps, tout le monde qui pense indiquait la plaie. Nous-mème Tarions fait dans notre livre des Passions. 11 était nécessaire que la so- ciété eût un émontoire, un lieu de déportation. Le dé- cret, qui pourvoit à cette lacune de la législation fran- çaise, est un acte de haute humanité, en même temps qu'un acte de sûreté générale. Vainement en sentait- on la nécessité. Le gouvernement parlementaire nous Teût fait attendre peut-être un demi-siècle encore. Le Monite:.r du 9 décembre 1851 le publie :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS.
Le Président de la République ,
Sur la proposition du ministre de Tintérieur,
Considérant que la France a besoin d'ordre, de travail et de sécu- rité; que, depuis un trop grand nombre d'années, la société est pro- fondément inquiétée et troublée par les machinations de ranarchie, ainsi que par les tentatives insurrectionnelles des affiliés aux sociétés secrètes et repris de justice, toujours prêts à devenir des insiruinents de désordre ;
Considérant que, par ses constantes habitudes de révolte contre les lois, cette classe d'hommes, non-seulement compromet la tranquillité, le travail et Tordre public, mais encore autorise d'injustes attaques et de déplorables calomnies contre la saine population ouvrière de Paris Cl de Lyon ;
Considérant que la législation actuelle est insuffisante, et qu^il est
J^;'
D'UN COUP D'ÉTAT. 383
nécessaire d'y apporter des modifications, tout en conciliant les de- voirs de rhumanité avec les intérêts de la sécurité générale.
Décrète :
Art. 4*'. Tout individu placé sous la surveillance de la haute police^ qui sera reconnu coupable du délit de rupture de ban, pourra être transporté, par mesure de sûreté générale, dans une colonie péniten- tiaire, à Cayenne ou en Algérie. La durée de la tranq|K)rtalion sera de cinq années au moins et de dix ans au plus.
Art. 2. La même mesure sera appliôable aux individus reconnus coupables d'avoir fait partie d'une société secrète.
Art. 3. L'effet du renvoi sous la surveillance de la haute po- lice sera, à l'avenir, de donner au gouvernement le droit de détermi- ner le lieu dans lequel le condamné devra résider après qu'il aura subi sa peine.
L'administration déterminera les formalités propres à constater la présence continue du condamné dans le lieu de sa résidence.
Art. 4. Le séjour de Paris et celui de la banlieue de cette ville sont interdits à tous les individus placés sous la surveillance de la haute police.
Art. 5. Les individus désignés par l'article précédent seront tenus de quitter Paris et sa banlieue dans le délai de dix jours, à partir de la promulgation du présent décret, à moins qu'ils n'aient obtenu un permis de séjour de l'administration; il sera délivré à ceux qui la de- manderont une feuille de route et de secours qui réglera leur itiné- raire jusqu'à leur domicile d'origine , ou jusqu'au lieu qu'ils auront désigné.
Art. 6. En cas de contravention aux dispositions prescrites par les art. 4 et 5 du présent décret, les contrevenants pourront être trans- portés , par mesure de sûreté générale , dans une colonie péniten- tiaire, à Cayenne ou en Algérie.
Art. 7. Les individus transportés en vertu du présent décret seront assujettis au travail par l'établissement pénitentiaire ; ils seront privés de leurs droits civils et politiques; ils seront soumis à la juridiction militaire ; les lois militaires leur seront applicables. Toutefois, en cas d'évasion de l'établissement, les transportés seront condamnés à un emprisonnement qui ne pourra excéder le temps pendant lequel ils auront encore à subir la transportation. Ils seront soumis à la disci-
384 HISTOIRE
pline et à la subordination militaires envers leurs chefs et surteil- lants civils ou militaires pendant la durée de remprisonnement.
Art. 8. Des règlements du pouvoir exécutif détermineront l'oiigt- nisation de ces colonies pénitentiaires.
Art. 9. Les ministres de Tinlérieur et de la ^eerre sout cbargéi, chacun en os qui le concerné, de rexéciiti<»i du présent décret
Fait à Paris^ à TÉlysée-National, le conseil des ministree enteiiA^ le 8 décembre 1851.
Lodis-Napoléon Borapamc.
Lb ministre de Vintérieur^
De MoRinr.
Ce décret, en ce qui concerne les repris d^ justice, remédie au mal du moment ; mais nous le désirerion encore plus sévère. Qu'on ne se trompe pas sur la por- tée et sur le sens de nos paroles. Nous allons las e^iU<^ quer. L'article 1'% faisant à la transportation Tapplioi- tion des dispositions légales de notre Gode en ce qui concerne le bannissement, dit : « La durée de la traos- portation sera de cinq ans au moins, et de dix ans au plus. » Nous sommes convaincu que c*est une pensée de clémence qui l'a dicté.
Nous le croyons insuffisant. En effet, si le con- damné, soumis à la déportation, a l'espoir du retour, il ne colonisera pas, il ne se fera pas une nouvelle patrie; SCS désirs, ses vœux iront vers la France; il sera un mauvais colon, peut-être un mauvais sujet, parce qu'il ne prendra pas racine sur la terre du bannissement. Puis, quand il reviendra, il sera exactement dans la même position vis-à-vis des préjugés qu'avant le dé- part, et, de plus, il aura vieilli, il n'aura plus d'aptî-
D'UN COUP D^AT. 385
«taies; il «se irouveraau milieu d'une société qui aura aardhé, progressé; n'étant apte à rien de bien, il sera wipable de tout mal. Pourquoi les résultats sont-ils si magnifiques à Botany-*Bey7 Parce que la déportation ^est défiaitifre. La sévérité que nous Toulons, c'est de rhumanité.
le décret laisse la transportation facultative à la îdisposition de l'administration. On sent la pensée vrai- -ment humaine et généreuse qui a dicté cette disposi- tion en faveur de certaines exceptions.
L^article 2 du décret soumet à la même mesure ceux •qui auront iait partie des sociétés secrètes : c'est de la -^tèrité; maïs c'est de la justice. La société secrète, c^eat contre la société ce qu'est le guet*iipens contre findiYidu : c'est la préméditation de Tassassinat de .Fordre loeial établi ; ce n'est pas seulement l'hostilité montre les igouvemements, c'est la guerre lâche et sou- Rumine comme eelleque font les voleurs et les assassins. 'jLet membres des sociétés secrètes ne sont plus des ci- 4ioyens, parce qu'ils se sont mis en dehors de la société ; •ibw>sent>mis au-^delà de la liberté , qui , en conférant le droit, prescrit le devoir ; ils ont choisi la licence, qui -é^temu.'qiil (brave, ou qui viole la loi. Pour quiconque -Mit isaîtiBnMnt et froidement les choses, cet article est >toiH aîqpleinent l^pptication, (aite au membre des so- HSÎététfacciAte^de la loi qu'il prétend appliquer à la >ioéiétè«iitièfse. U a m» la société hors du droit; la so- »oiétè>kii rend la pareille.
i ce décret {)ennet à l'autorité de débarrasser
386 HISTOIRE
Paris et la France de ces misérables qui volent et assas- sinent, et de ces forcenés qui font les conspirations, les émeutes et les barricades ; il met les honnêtes geni à l'abri du poignard, et la société à Tabri des pavés et des coups de fusil ; car, ainsi que nous Tavons dit dans les chapitres précédents, c'est là cette affreuse populace qui se prétend le peuple, qui proclame Tinsurrection un droit, un devoir, et qui est toujours prête à la faire au profit de quiconque lui promet le pillage, de qui* conque la grise ou la paie.
C'est bien triste à dire. Il ne fallait qu'Ater de France quelques milliers de bandits, de vauriens, qui étaient le levain de toutes les fermentations impures, le point de départ de tous les attentats contre la société, et on ne l'osait pas ; disons le mot, on ne le voulait pas. Sous le système parlementaire, tout, jusqu'à cette lèpre sociale, s'abritait sous quelque cornière de la tribune. Si un gouvernement eût proposé celte loi de salut, nul doute que quelque orateur se fût trouvé pour la combattre et pour revendiquer l'honneur d'a\oir conspiré lui- même toute sa vie dans le sein des sociétés secrètes. Où allions-nous, grand Dieu !
Nous avons à revenir ici sur M. de Maupas. Cet ad- ministrateur a fait de ce décret une admirable appli- cation. Il a purgé Paris de brigands, de forçats et de meneurs de sociétés secrètes, avec une vigueur, une promptitude, une habileté, vraiment surprenantes. M. de Maupas, dans le poste plus éminent encore oii vient de l'appeler la confiance du prince, rendra d'immenses
DTK COUP D'ÉTAT. 387
services, non plus à Paris seulement , mais à la France entière.
Ccst ici le lieu de dire qu'entrant dans la pensée de Louis-Napoléon 9 M. de Maupas a fait disparaître , de partout où on le^ vendait , exhibait et colportait , les livres, gravures et autres objets immoraux ou indécents qui offensaient la pudeur et la moralité publiques.
Déjà plusieurs jours se sont écoulés depuis que la démagogie et les conspirateurs ont livré à Tordre leurs combats impies. Les militaires blessés souffrent dans plusieurs hôpitaux. Le matin du 9 décembre, Tun d'eux, à l'hôpital militaire du Gros-Caillou , disait à Taumô- nier : « Je sens bien que je vais mourir, je n'ai qu'un regret, je désirerais voir Napoléon auparavant. — Vous le verrez, mon ami, » dit le digne prêtre. Était-ce pressentiment, ou bien était-ce une promesse faite har- diment au nom du cœur du prince? Nous croyons la dernière supposition ; car, quelques instants après , le neveu de l'empereur était là, visitant le pauvre malade et le décorant sur son lit. L'un des deux, le blessé, pleurait; l'autre, le prince, retenait des larmes qui roulaient dans ses yeux, mais qu'on voyait. Pleurez, pleurez, prince, nous vous souhaitons beaucoup de ces larmes-là , ailleurs qu'au lit de nouveaux blessés toute- fois, mais auprès d'hommes dont le dévouement au devoir aura touché votre cœur. Avant de quitter le Gros-Caillou, le prince avait visité, consolé tous les blessés, et distribué dix croix. L'un de ces braves, amputé du bras, en recevant la sienne, lui disait:
I
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388 BISTOIRB
« J'en ai encore un à votre service.. » JUe {eiulemaîn 10, le prince a continué sa visite, dans les hôpitaux cîvik, aux blessés qu'on y avait déposés.
Le 8 , un décret mettait en état de siège .l'Hérault et le Gard. La même mesure était appliquée aux Basses^ Alpes par décret du 9, paraissant le 1 0 au Moniiewr. Le même jour, le prince rendait son décret coacernaDt le chemin de fer d'Avignon. L'Assemblée avait mis trois ans à élaborer cette loi , qu'avec elle on aurait peut- être attendue deux années encore.
Le même jour, étaient instituées les commissions militaires pour connaître des faits relatifs à Tinsur- rection.
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS.
Le Président de la République,
Vu le décret du 2 décembre i85i , qui déclare la i'* division en élat de siège , Décrète :
Art. 4". La connaissance de tous les faits se rattachant à Finsur- rection des 3 décembre et jours suivants dans les départenaents com- posant la 1" division militaire, et le jugement des individus poursui- vis à raison de ces faits, sont déférés à la juridiction militaire.
Art. 2. Pour faciliter les opérations de instruction , il est institué, sous la direction du général Bertrand, chargé du service de Tinfante- rie et du recrutement au ministère de la guerre, quatre commissions militaires composées chacune de trois membres, dont un officier su- périeur, président.
Les membres de ces commissions seront nommés par arrêté du ministre de la guerre.
Art. 3. Les commissions militaires ainsi instituées procéderont, soil par leurs membres, soit par voie de commissions rogatoires , à tous les actes d'informations nécessaires ; elles apprécieront les charges
v"^
tnjR COUP D*ÉTAT. 899
fléBoUadt des procédures ; elles statuerout^ soit sur le reuToi des in- culpés devant les conseils de guerre de la 4'* diTision, soit sor la mise »ta liberté^ s'il y a lieu.
Art 4. Ltl:;coiiHBi8Bi<Mi6 nilitaîres d*instruction, organisées par le présent àiCÊÊÊ^ pe réuniront au Palais de Justice sur la conTocation du général Benrtrand.
Le ministre de la guerre et le garde des sceaux sont chargés, cha- cun en ce qui les concerne, de Texécution du présent décret
fait à FÉlysée-liational, le 9 décembre 1864.
Loms-^NAPOLÉON Bonaparte.
L$ ministre de la guêtre^
A. DE SAmr-AimAUD.
Les départements du Var, du Gers y du Lot et de Lot- «t-Oaronne, étaient mis en état de siège, par déeret publié yie 10 , au Moniteur ^ comme ayant pris part aux troubles insurrectionnels. Le 1,2, le Moniteur promul- guait deux décrets nommant maréchaux de France les «généraux de division Harispe et Vaillant. Sin^gulières vicissitudes! Pendant que Louis-Napoléon conrère au ^néral Vaillant la récompense de glorieux services, le général Oudinot prend le chemin de Texil. Le même Jour paraissait le décret suivant, concernant la commis- sion consultative et déterminant quelques-unes de ses attributions.
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.
AD NOM DU PEUPLE FEANÇAIS.
Le Président de la République , Sur le rapport du garde des sceaux, ministre de la justice.
Décrète: Art. 1*'. La commission consultative, instituée par le décret du 3 dé- cembre courant, est chargée du recensement général des Totes eipri-
25
390 HISTOIRE
mes par le peuple français dans les scrutins des 20 et 21 déoembR procbaîn.
En conséquence, tous les procès-verbaux de recensement dreaiés par les commissions départementales, instituées en j0$xï de Fart I du décret du 2 décembre, lui seront transmis par le fllMgtre de l'in- térieur.
Le résultat sera promulgué par le pouvoir exécutif.
Art. 2. La commission consultative est appelée à donner son m sur les projets de décrets en matière législative qui lui tiioal sooiiiii par le Président de la République.
Art. 3. Elle remplira en outre les fonctions déférées au conseil d*Etat par Part. i2 de la loi du 19 juillet 1845, sauf les matières do contentieux administratif, au jugement desquelles il sera pourvu par un décret ultérieur.
Art. 4. La commission sera présidée par le Président de la Répu- blique, et, en son absence, par M. Baroche, nommé vice-président
Art. 5. Un décret du pouvoir exécutif divisera la commission con- sultative en sections pour Vexamen des affaires qui lui seront sou- mises.
Art. 6. Les maîtres des requêtes et auditeurs attachés à Fancien conseil d*Etat pourront être appelés à remplir, auprès de la commis- sion consultative, les fonctions qu'ils exerçaient auprès du conseil.
Art. 7. Le garde des sceaux, ministre de la justice, est chargé de l'exécution du présent décret.
Fait à TElyséc-National, le conseil des ministres entendu, le 11 dé- cembre 1851.
Louis-Napoléon Bonaparte.
Le garde des sceaux^ minisUn de la juitioe,
E. ROUHER.
Dans l' intérêt de la classe owrière, si longtemps privée de travaux, le Président décrétait aussi la cons- truction d'un chemin de fer de ceinture, destiné à re- lier, en dedans des fortifications, les différentes gares des lignes qui partent de Paris. En même temps <pie
Vm COUP D*£TAT. 391
rétablissement de ce chemin de fer, qui doit donner pour 6 millions de travaux^ est décrété, 400,000 fr. 80nt mis A la disposition du ministre des travaux pu- blics pê|g^ j|ontinuer la construction du ministère des affaires étrangères. Le lendemain , un crédit de 2,100,000 fr. était ouvert sur Texercice de 1852 pour la continuation des travaux du Louvre et des Tuileries. liC même jour paraissait un décret retirant aux com- missaires extraordinaires les pouvoirs qui leur avaient été conférés. Nous donnons ce décret et la lettre adressée aux commissaires par le ministre de l'intérieur en exécution de ce décret :
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS.
Le Président de ht République,
Sur là proposition du ministre de T intérieur, Décrète :
Art. 1*'. Cessera, à partir de ce jour, la mission eitraordinaire eonfiée;
A M. Maurice Du?al, dans les départements des Côtes-du-Nord, du Finistère, d'Ule-et-YîIaine, de Maine-et-Loire, de la Mayenne, du Morbihan, de la Loii»4iittrieiire, de la Vendée ;
A M. Carlier, dans les départements de TAllier, du Cher, de la NièTre et de TYonne ;
Et à M. Bérard, dans le département de la Somme.
Art. 2. Le ministre de Holérieur est chargé de Texécution du pré ient décret.
Fait à FElysée-National, le 1 3 décembre 1 85i .
Louis-Napoléon Bonapaite.
Le ministn de rfntéri0%ir^
DiMoailT.
392 HISTOIRE
Paris, 13 décembre 1891.
Monsieur le commissaire extraordinaire.
Dès le début de la crise que nous venons de traTener, le goum- it^tHétit n jugé, à la Conduite du parti sochAîste, qu», sUfprîs avant Péohéiuioeide :1852« il «ttait user de ses dwmiètM resscaioes et tenter un effort désespéré. Les cocrespondanoes %s^^édkè^ de Parift, les émis* saires envoyés dans toutes les directions, les motsd^ordre transmis avec rapidité et précision, les preuves d'une organisation souterraine for- midtibte, IkiQt a<l6inotttré qne les projM sinistres, dont la société au- raitptt être victime six mois plus tard, «lluent èckiterBiir une graïAB échelle. Cest afin detparer à ces graves éventoalités et d*imprimcr<ui mouvement rapide à la répression, que le gouvernement a eu recours à 'votre pauidtlimic, en vous ébargeant de diriger Faction de Faoto- rité avec ensemble sur les points où les honnêtes gens parataaîentle plus menacés.
Le plan des anarchistes a été déjoué dans la capitale par la bravoure de Tarmée et par le mépris des bons ouvriers qui ont été si souvent la dupe de ces faux frères : partout l'autorité a repris son empire, et il devient inutile de conserver en France rien qui puisse avoir un caractère révolutionnaire. Gela n'empêchera pas le gouTememiot d*accomplir résolument ce qui est nécessaire pour le bien et contre le mal.
Ces considérations ont engagé M. le Président de la République à faire cesser la mission extraordinaire que vous avez bien voulu accep- ter. Veuillez donc, au reçu de cette lettre, considérer .votre aumdat comme expiré, et venir à Paris me rendre compte de ses résultats, ea me mettant à même d'apprécier les dispositions des populations que vous avez visitées.
Veuillez agréer, monsieur le commissaire extraordinaire, Tasso- rance de ma considération la plus distinguée.
Le minUtre de antérieur^
DaMoainr.
Puis vient la constitution définitive de la commi»* sien consultative 9 ainsi composée par décret du 13.
D*UN COUP ITÉTAT. 393
fièfày plus haut nous avons donné la liste d'une commis- sion consultative y mais nous avions indiqué qu'elle n'était que provisoire.
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.
AU mm VB PEUPLE FRANÇAIS.
Le Président de la RépubKque,
Sur la proposition du garde des soeaui, ministre de la justice, nécrèto;
ArCicU l*^ La commission consultative est définitivement compo- sée aînsî qii*il suit :
MM. Abbatucci, ancien conseiller à la cour de cassation (Loiret). — Le général Achard (Moselle). — Ernest André (Seine). — André (Charente)» — D*Argoot, gouverneur de la Banque de France, ancien ministre. — Le général Arrigbi de Padoue (Corse) . — D^Audiffret , président à la Cour des coaiples. — Le général de Bar (Seine).» Le général Baraguey-d'Hilliers (Doabey. — Barbaroux, ancien procureur général (Réunion). — Baroche, «■den ministpe de l'intérieur et des affaires étrangères, vice-président de la coaunisBion (Charente-Inférieure). — Ferdinand Barrot, ancien ■linistre (Seine). — Barthe^ ancien ministre, premier président de la QNir des comptes. — Bataille (Haute-Vienne). » Êvanste Bavoux ^Saîn^-et-Mame). — De Beaumont (Somme). — Bérard (Lot-et-Ga- fMse). — Berger, préfet de la Seine (Puy-de-DAme). — Bertrand OTomie). — Bidault (Cher). -* Bigrel (CAtes-du-Nord). — Billault avocat» — Bineauu ancien ministre (Maine-etr Loire). — Boinvilliers ancien bâtonnier dea avocats (Seine). — Bonjean, avocat général à la OQur de cassation (Drôme). -^ Boulatignier. — Bourbousson (Vau- cUlse). — Bréhier (Manche). — Hubert de Cambacérès. — De Camla- oérès (Aisne). — Carlier, ancien préfet de police. — De Casablanca, an- ckn nûaistre (Corse). — Le général Castellane, commandant supérieur 4L9«iL-^De Canlaincourt (Calvadue). — Vice-amiral Cécille (Seine- ire. — Chadenet (Meuse). — Charlemagne (hndre^). — Cha;»- roa (Puy-de-Dtoe). — Le général de Chasseloup-Laubat lore). — Prosper de Chasseloup-Laubat (Charcnte-lnfé-
394 HISTOIRE
rieure). — Chaix-d*Est-Ange, aYOcat à Paris (Marne). — De Cbaielto, maire de Clermout-Ferrand (Puy-de-DAme). — Collas (Gironde). — De Grouseilhes, ancien conseiller à la coar de cassation, ancien mi- nistre (Basses-Pyrénées). — Curial (Orne). — De Cuverville (Cdtes- di]-Nord). — Dabeaux (Haute-Garonne). — Dariste (Baflaes-Pyrénées). «- Daviel, ancien ministre. — De Lacoste, ancien commissaire géné- ral du Rhône. — Delajus (Charente-Inférieure), «r^ Delavau (Indre).
— Deltheil (Lot). — Denjoy (Gironde)» — Desjdiert (Seine-Infé- rieure). — Desmaroux (Allier). ^ Drouyn deLhuTO;^ine-et-llame), ancien ministre. — Théodore Ducos (Seine), miiaatrede Ut marineet des colonies. — Dumas, de Tlnstitut (Nord), ancien ministre. — Charles Dupin, de l'Institut (Seine-Inférieure). — Le général Dor- rieu ( Landes ). — Maurice Duval, ancien préfet. — Eschassérianx (Charente-Inférieure). — - Le maréchal Excelmans, grand chancelier de la Légion d'honneur. — Ferdinand Fayre (Loire-Inférieure); — Le général de Flahaut, ancien ambassadeur. — Fortoul, niinistre de rinstruction publique (Basses-Alpes). — Achille Fould , ministre des finances (Seine). » De Fourment (Somme). — Fouquier-d'Héroaêi (Aisne). — Frémy (Yonne). — Furtado (Seine). — Gasc (Haute-Ga- ronne). -^ Gaslonde (Manche). — De Gasparin, ancien ministre. — Ernest de Girardin (Charente). — Augustin Giraud (Maine-et-Loir^.
— Charles Giraud, de l'Institut, membre du conseil de rinstruGtkn publique, ancien ministre. — Godelle (Aisne). — Goulhot de Saint- Germain (Manche). — Le général de Grammont (Loire). — De Gram- mont (Haute-Saône). — De Greslan (Réunion). — Le général deGron- chy (Gironde). — Hallez-Claparède (Bas-Rhin). —Le général d'Haol- poul, ancien ministre (Aude). — Hébert (Aisne). — De Heeckeren (Haut-Rhin). -- D'Hérambault (Pas-de-Calais). — Hermann. — Heur- tier (Loire). — Le général Husson (Aube). — Janvier (Tam-et-Ga- ronne). — Lacaze (Hautes-Pyrénées). — Lacrosse, ancien ministre (Finistère). — Ladoucette (Moselle). — Frédéric de Lagrange (Gers).
— De Lagrange (Gironde). — Le général de La Hitte, ancien minis- tre. — Delangle, ancien procureur général. — Lanquetin, président de la commission municipale. — De Lariboissière (Ille-et-Yilaine). — Le général Lawœstine. — Lebeuf (Seine-et-Marne). — Le général L^ breton (Eure-et-Loire). —Lecomte (Yonne). — Leconte (Côtes-do* Nord). - Lefebvre-Duruflé, ministre du commerce (Eure). — Léinl
Om OOCP bTT AT. 3IS
— Lfirog (XiBckeK — Lenercier îdanKite^. —
^K — Lfvcrrier fllantke>. — LeziT de MameÂa •Lmt» — Legôiênl Xignui, fOMiiwlintea dwf de Tarwe de ne, Bînistre des tnwu pablks ^UMdojnK^ — Ed- (Iteffdogae). » ttuchuid (lloidj. ~ Mathieu Bodei» àb OMrdecaaBilîoo (damie). — De Xaspas; prêlèlde|M>» — De Xôûde (!(ord). — Sesnaid. préàdeal de diambfv à la . ~ lÊtjWÊtàtr, wmàoBL pf«fct (Loière). » Miserel <!<Cof^L — ■ooin, âofea des maires de Paris. — De Montalembeit <DoQbs». — De MornT, oûiiislie de rmténear (Poy-de-Dôaie). ~ Etmj de Voftenurt (Seine-iiifërieare). — Le cotonel de la Xoskowa Olo»lle). ^ De XooehT (Oise). ^ De Moustier (DooM. ~ Lacieii Marat .Lot). — AotMiie Odier, censeur de la Banque de Fraoce. — Le général d'Oraano (Indie-et-Loire). — De Parieu, ancien ministre (Caotal). — Pascalis, conseiller à la Cour de cassation. — Le général Met f Ariège). — Pepin-Lehalleur \Seine-et>Mame). — De Persigny (Xord). •» De Planer (Oise). — Plichon^ maiie dWrras (Pas-de-Ca- kis). » Pofflalîs^prenier président de la coor de cassation. » Pou» géfard, aaire de Rennes (Ule-el-Yilaine). — Le général de Préral.— De Raneé (Algérie). — Le général Randon« ancien ministre, gou^er- near général de FAlgérie. — • Le général RegnauU de Saint-lean- d'Angâj, ancien ministre (Q^fenle-lnférieure). — Renouard de Bus> mères (Ras Rhin). — Renouard (Loière). ^ Le généra Rogé. — Rouher, garde des sceaux, ministre de la justice (Puj-de-Dôme). — De Rojer, ancien ministre, procureur général à la cour d^appel de Pitfis. — Le général de Saint-Arnaud, ministre de la guerre. — De SatnI-Amaud, aTocat à la cour d*appel de Paris. — De Salis (Mo- srile). » Sapey (Isère). — Schneider, ancien ministre. — De Ségur d^AgnesBean (Hautes-Prrénées). — Seydoux (Nord). — Thayer(Amé- dée). — Thieullen (Côtes-du-Nord). — De Tborigny, ancien ministre. '— Toupot de Béraux (Haute-Marne). — Tourangin, ancien préfet — Troplong, premier président de la Cour d*appel de Paris. — De Turgot, ministre des affaires étrangères. » Vaillant, maréchal de Fiance. — Waîsse, ancien ministre (Nord). — De Vandeul (Haute- Marne). — Le général Vast-Vîmeux (Charente-Inférieure). — Vau- cMle, maire de Versailles. — Viard (Meurthe). - Vieillard (Mau-
396 HlSTOmB
cbe). -^ Viriflefroy. -^ Vditfy, SKHÉMKirétaiffe d*BUfe^au mîDMlèiMiV ftnanoesw -^ De ^agr&tù.
Art. S. L» eomimsaioD eonsiAtelifite se rénoifa dès le 29 dèscalÉ» firo^ttiiv à réSèld& prooéder «i recenaoïBeiit d# ToCes reeuiîHittt «léeutioii des décrets dés 2 et 4 dée«mhle préeeaft moi»*
Avt 3. M* Prosper Hooket^ leârélmre géiériâ de ramàen eoMii d'État , est noauné seerétaire géBéral de k eonmtsewn consatta* tite*
Art 4. M. Denis Lagârde, aiteien 8ecrétaipe*-rédaeAdttr de VÂBatm* hïée léi^blative, est noÉiiiié secrétaire-rédMteor^ chef 4a serrioe été procè»-v6rbatix de la eoninisrîon coBflaltatîve.
Fait an palais de PElysée-Matioiialy le eonaeil des mimsIreÉ eotah
dtt, k 43 décembre i8l^«
Louis-NamUqh Borapjmpl,
U garde de« êaauXf Mlitlmt* ImjuÊUoet
E. RttUMa»
Le 16^ paraissaient au Jkmiteur : un décret qui met» 8Î4 ea état de siège les départemente de rAwyMir el dt Yaucluse ; celui qui dissolvait la 6* lêgioû dé là gardé nationale de Paris, et enfin celui qui ordonnait la con- struction de la Bourse de Marseille. Mais le fait admi- nistratif culminant de ce jour, c'est la publication au Moniteur de la circulaire, adressée le 15 aux préfets par M. de Morny, relativement au travail du dimancbei la voici dans son entier :
CIRCULAIRE.
Paris, 45 décembre 1851.
Monsieur le préfet,
A plusieurs reprises, depuis quelques années, le gouv^mement s'eH altaché à faire comprendre aux administrations et aux fonctionnairis de tous ordres, quelles règles ils ont à suivre en ee qui oonceme la
«anatkm des Iravrai publies te dimancht et les joufs fériés reconnut par )m Ici.
Lateflbrti que le gouvernement a tentés dans ce sens n*OBt points jmqu'à es juur, ebtenu k saocàs désirable. Tantôt ou a rsnoootré des résistances de la part des municipalités, tantôt des intérêts- se sont ifQs uwnaeéB ,. et, diose plus grate , les agents du pou^potr eux- mêmes, soit incertitude, soit faiblesse, ont négligé de se conformer aux ordres qu» leur étaient transnii^
Le repoa du dimancbe est Tune des bases essentielles de cette mo- rale qui fait la force et la consolation d*un pays. A ne l'envisager qu^au seul point de vue du bien-être matériel, ce repos est nécessaire à ht santé et au développement intellectuel des classes ouvrières : nntame qur travaille sani relâfcbe, et ne réserve aucun jour pour VaccomplisBtiBeBt de ses daroiii et pour le progrès de son instroc* tion, devient tôt ^^ tard en proie ^ matérialisme, et le sentiment de sa dignité s'altère en lui en même temp^ que ses facultés pbysiquea» Trop souvent, d*ailleurt, Des classes ouvrières que Ton assujettit m travail du dimancbe, se dédommagent de cette contrainte m dift» jpant un autre jour de la semaine; funeste babitude, qui, par le m^
pris des traditions les plus vénérées,, conduit insensiblement à la ruine Ses familles et à la débaucbe.
Le gouvernement ne prétend pas, dans des questions de cette na- âure, foire peser une sorte de contrainte sur la volonté des citoyens, pbaque individu reste libre d'obéir aux inspirations de sa conscience ; mais l'Etat, l'administration, les communes, peu vent donner Texemple du respect des principes. Cest dans ce sens et dans ces limites, ffOt je crois nécessaire de vous adresser des instructions spéciales.
Go conséquence, je vous invite à donner des ordres pour qu'à l'a- venir, autant qu'il dépendra de l'autorité, les travaux publics cessent le dimancbe et les jours fériés. Vous veillerez à ce que, désormais , lorsqu'il s'agira de travaux à entreprendre pour le compte des dépar- tements et des communes, on insère dans les cabiers des cbarges une clause formelle qui interdise aux entrepreneurs de faire travailler les jours fériés et les dimancbes ; il conviendra même que l'acte soit ré- digé de telle sorte que cette interdiction ne demeure pas une formule vaine et susceptible d'être éludée. Enfin, pour ce qui concerne les rè- glements municipaux destinés à probiber, pendant les exercices du
398 HISTOIRE D'UN œUP DtTAT.
€uUe, les réunions de cabaret, chants et autres démonstratioiis eilé- rieures qui troubleraient ces mêmes exercices, vous userez, avec une sage prudence et un zèle éclairé, de votre influence pour diminuer, autant que possible, les fâcheux scandales qui se produisent Irop souvent»
Agréez, monsieur le préfet, Tassurance de ma considération dis- tinguée.
U miniffr» 4f l'MMMir,
Db Moriit.
Le département du Jura était mis en état de si^e, par décret qui paraissait le 18 au Moniteur, en même temps que celui qui organisait Tadimnistration centrale du ministère de l'intérieur 9ur de noofelles bases^ en réduisant dans d'assez notables proportions le nombre des employés.
Telles sont les choses accomplies, depuis le 7 décem- bre, par Louis-Napoléon Bonaparte et son gouvernement, jusqu'à la date du 20, époque à laquelle le vote com- mence sur le plébiscite. On le voit, il y a plus de faits accomplis dans ces quelques jours qu'il n'y en aurait eu dans toute une session parlementaire. Le peuple, en voyant ces résultais comparés à l'impuissance de l'As- semblée, a déjà porté son jugement dans sa conscience. Voyons comment il va le formuler dans son vote.
(mute.)
ÉLKCnOH.
Cest une nécessité de salut public qui a produit l'acte du 2 décembre. L'enseignement des faits à cet égard a été complet , et ce serait faire injure au bon sens du lecteur que de vouloir démontrer une telle vérité : les voix les plus considérables l'ont proclamée ; l'affreuse guerre faite à la société en a^ par-dessus tout, établi l'évidence. Le succès est venu donner à ce grand acte la consécration de sa légitimité. A toutes les épo- ques de rbistoire, et notamment de notre histoire na-
400 HISTOIRE
tionale, nous voyons les conquérants ou les modifica- teurs des nations se contenter, le plus souvent, de cette légitimité-là.
Le succès, c'est le degré des trônes, le baptême des révolutions, le pavois de la plupart des dominateurs. Peu importe qu'il ait fait passer un homme sur des ruines ou dans le sang. Le succès, c'est le fait accom- pli, prestige que suit toujours la popularité.
La plupart du temps, il faut en convenir, il ne cou- ronne que des ambitions privées , que d'autres ambi- tions triomphantes ne tardent pas à renverser. Les peu- ples, éiernelles victimes, paient de leur or, de leur sang ces grands coups de dés de la fortune. Incessam- ment, de nouvelles dominations poussent dans Tabime des révolutions celles qui les ont précédées. C'est que le succès n'est pas un principe ; c'est qu'il n'est pas une base sur laquelle on puisse édifier rien de solide et de durable.
Celui qui vient de couronner les actes de Louis-Na- poléon est noble et magnifique. Il est moins celui d'un homme que celui de la société. Ce n'est pas une ambi- tion qu'il satisfait, c'est une nation qu'il sauve. Ren- verse-t-tl un pouvoir protecteur et vénéré, qui ait, soit le prestige du temps, soit celui des services rendus T Non. Il délivre la France des entraves d'une Constitua*- tion absurde et tellement frappée de réprobation, qu'il n'est pas un parti politique qui, à son tour, ne l'ait répudiée. Ce qu'il renverse, ce n'est pas tant ce pou- voir du présent que cette affreuse usurpation de lave-
D'UN COUP DUTAT. 461
njr^ qui meoaçatt de jeter demain la France , corps ek honneur, dans le gouffire sanglant du sooialisine. J^e succès, c'est le salut de la patrie.; mais c'est ausfii ce«- kii de chaque citoyen, laenacé-dans son honneur,, dans sa fortune, dans sa famille, idans ses croyances.
Eh bien ! ce mcoès, tant magnifique «oit41, ce n'est pas un drok, <oe n'est pas la base qu'il faut a l'avenir. Ce serait peuè^re asseK pour «n bomaie ^ambitieux, a^^rant à gouverner; mais ce n'est pas assez pour ua» nation, ni :peur un prnce <]ui se prëeccupe anrant tout du salut et des ditttioées .futures du |>ay$»
Louis-Napoléon Bonaparte a Sût son appel au peu- ple. 31 loi demaflide de dire ^m ou non, s'il entend lui délégua paur dix ans le pouwir, et s'il l'^kutonse à ftôre une Gonslitution diaprés les bases énoncées Àam Mt^i^peL
La "voilà donc enfin venue cette époque, si longtemps 4(éûrée, où la grande voix du suffî*age universel va se laîrie entendna ! Tous lea partis qui ont de la loyauté, tous les .politiques qui ont au cœur l'amour de la patrie, n'orit •œssé, (depuis longues années, de demander qu'on fit àia nation un suprême appelquî désarmât les par» tîs, et qui forgl^t tous les citoyens à s'inckner, aous peine de forfaiture), devant celte voix de la majorité, dans tous les temps reconnue pour être la voix do
Oeux quii dans un intérêt de domination inami&- stUa, ont pi^tiendu, ou fait prétendre, que le principe de la souvetaineté populaire était quelque chose de
' ^.
i02 HISTOIRE
nouveau emprunté à Tépoque et aux théories de 89, sont dans une erreur profonde, ou cherchent bien sciemment à tromper.
L'élection est la source de toute légitimité. De tout temps, les souverains pontifes ont été élus ; ancienne- ment, les évéques l'étaient par le peuple.
Chez presque toutes les nations germaniques et gauloises, les chefs ou les rois étaient nommés dans les assemblées populaires , et c'est là qu'il faut remonter pour trouver le principe de ce qu'on a, depuis, nommé États généraux, assemblées du Champ-de-Mai.
Si nous ouvrons notre histoire nationale j noos y voyons nos ancêtres en possession immémoriale de la souveraineté nationale et la déléguant à qui bon leur semblait. Quand Ghildéric, le père de Clovis, se met à déshonorer le trône par ses impudicités, nos pères le chassent du royaume. Us choisissent pour lui succéder, non pas quelqu'un de sa race, mais Égidius , général des troupes romaines. Pendant huit ans, ce prince, issu de l'élection, régna seul. Au bout de ce temps, la na- tion rappela Childéric, qui partagea le trône avec Ëgi- dius. (Grégoire de Tours, Hist. franc., t. ii, c. 12.)
Sous la domination austrasienne, nous voyons Char- lemagne et son fils reconnaître formellement ce prin- cipe de la souveraineté nationale.
L'article 5 de la charte que fit le grand empereur pour partager l'empire entre ses trois enfants , Charles, Louis et Pépin, est ainsi conçu : «Si l'un des trois frères laisse un fils que le peuple veuille élire pour suc-
D*UN COUP D*ÉTAT» 403
céd» à son père dan» Théritage du royaume y nous you* Ions que les oncles de l'enfant y consentent , etc »
Louis le Débonnaire , dans une charte conslUution* nelle , nous soulignons ce mot exprès , dit Rorhbacher {Histoire de V Église^ \ol. 27, p. 466) , délibérée, con- sentie, jurée en 817 ; relue , confirmée et jurée de nou-» ireau en 821 , reconnaît la souveraineté de la nation.
Il déclare , dans le préambule , que le suffrage de tout le peuple s'étant porté sur son fils Lothaire , cette élection est regardée comme un signe manifeste de la irolonté divine.
Le dixième article de cette charte porte ces mots : « Si quelqu'un d'entre eux (des rois ses enfants) deve- nait oppresseur des églises et des pauvres , ou exerçait
la tyrannie la sentence commune de tous
décernera ce qu'il faut faire de lui , afin qu'il
soit réprimé par la commune sentence de tous »
Dans le quatorzième article , il est dit : « Si Tun d'eux laisse en mourant des enfants légitimes , la puissance ne sera point divisée entre eux, mais le peuple assem- blé en choisira celui qu'il plaira au Seigneur »
Dans le dix-huitième , non moins caractéristique, Louis le Débonnaire recommande à son peuple, au cas où son fils aine viendrait à mourir, de choisir un autre de ses fils , « afin , dit-il , qu'il soit constitué , non par la volonté humaine , mais par la volonté divine. »
Or, tous ces articles si importants, dit l'abbé Rorh- bacher, nous ne les avons vu citer dans aucune Histoire de France^ écrite en français, il ajoute : « Cependant
404 iHISTOlRE
06B articles , «uivant qu'itsisoiit appréciés f)u «Béconmis^ donnent un sens tout différent à toute Tancieone IfflH ioîre de France , et même àieon histoire moderne. C'est l'ignorance plus ou moins volontaire de oesifaHs, qui^t tiwt embrouillé depuis trois «iècles 4eB idées «t Jes tiMwes fort daires dans île ino^en Age. »
Comme on le ^oit, >ce principe tde la souveraineté po^ pulaire exprimée parole suffrage unimrsel , loin d'être y comme le disent certains iiommes de parti , une iniKK ration pévdMtionnaire , est tout simplement le droit constamment reconnu et appliqué en France dans les premiers sièoies de notre monarchie , et cela par des hommes auxquels on ne contestait ni la puissance > ni le génie y ni la gloire. Cette opinion que nous soutenons était universelle à cette époque. Tous Jes tbéol(^ens, tous les jurisconsultes la soutenaient On peut le yoify du reste y dans les écrits du jésuite Suarez y qui en a réuni toutes les preuves.
Gerson y chanoeller de Finance, posait en principe, publiquement y en présence de Charles YI , que la sou<- veraineté vient du peuple, et que, quand il fallait remé- dier à certains maux d'un État, ou punir certains mé- Cails des souiverains , les peuples étaient les maîtres et ksjugfô des rois (Gerson, discours, Vivatrex). Personne ne contestait cela.
Si nous cherchons dans les écrits des autres docteurs, nous trouvons qu'Almain, l'une des lumières de l'Église gallicane, soutient exactement les mêmes principes. Il publiait, sans qu'on récriminât,. ceci : «(C'est ia com-
D'IN COUP D'ETAT. 403
(nunauté qui conrêre à un roi , ou à plusieurs , comme j^nn lui semble, le pouvoir du glaive, le droit de vie et 4e raori ; aucune communauté ne peut aliéner celte puissance. Le prince n'en use que par simple déléga- tion , et cette puissance reste tellement bien à la com- munauté qu'elle peut s'en servir pour déposer celui qui gouverne mal; car cela est de droit naturel. »
Bossuet, lui-même, voulait bien admettre que la ^uverainelé des rois n'était pas lellenient de Dieu, qu'elle ne fût aussi du consentement des peuples. IDefmsio cleri gain, I. iv, ch. 21.) Quanta Pénclon, ji disait formellement : « La puissance temporelle vient de la communauté des hommes qu'on nomme tiation. » (Fénelon, t. XXII, p. 583.) K une époque où déjà on commençait à parler de droit divin , sous Louis XV, ^assillon soutenait encore les doctrines de Gerson. Il précliait, de\anl le roi, le jour du dimanche des Ra- meaux, dans son Pctit-Carénie, que la puissance royale yient du consentement libre des sujets, qu'elle est Issue lies suffrages publics, et puisque , dîlTÎl , l'autorité des ;rois vienlde notis , les rois n'en doivent faire usage que four nous.
On peut voir la doctrine que nous soutenons ici, .jdéfendue et proclamée dans les lettres de Grégoire VII; fit si nous cherchons seulement dans les autorités ecclé- .fiastiques des preuves que nous pourrions trouver aussi chez bien d'autres, c'est que nous voulons formellement démontrer qu'il n'y a point liaison entre les intérêts de la légitimité , prétendue de droit divin , et les crojances
4
406 HISTOIRE
religieuses. C'est une erreur qu'on a propagée , surtout sous la Restauration , et antérieurement pour combattre le principe de la souveraineté populaire. Nous tenons à montrer que TËglise y au contraire, faisant cause com- mune avec ce qu'il y a d'éclairé dans la nation y a con- stamment soutenu les droits de souveraineté nationale que certain parti est intéressé à contester, tout en ne dédaignant pas de l'invoquer quand il le croit utile.
Si nous voulions faire un travail complet sur ces matières , les documents ne nous manqueraient pas ; mais nous ne voulions qu'indiquer sommairement. Nous ne terminerons pas cependant sans citer les paroles suivantes de l'abbé Gerbet, dans sa lettre à M. de Mon- talembert :
c< Le clergé ne se tiendra pas à l'écart ; il ne se sépa- rera pas de l'opinion publique dans la grande élection qui aura lieu dimanche prochain. S'il doit s'unir, au- tant que cela dépend de lui, aux vœux des populations, n'est-ce pas surtout lorsque, par un mouvement à peu près unanime, un peuple s'efforce, en se sauvant lui- même, de sauver la civilisation avec lui? Le clergé trouve dans sa propre histoire de beaux exemples, que ses pères lui ont donnés dans des circonstances analo- gues à l'état actuel du monde. Dans les bouleversements qui suivirent la chute de l'Empire romain, TÉglise, les papes à sa tète, soutinrent tout pouvoir qui leurpro- mettail de protéger la société contre les mœurs elles instincts sauvages de la barbarie. »
M. l'abbé Gerbet a raison, car le clergé français s'est
D'UN œUP D'ÉTAT. 407
admirablement conduit dans l'élection dont nous avons à faire Thistoire.
Jamais^ à aucune époque de notre histoire^ plus écla- tant hommage n'a été rendu à la souveraineté nationale. C*est le peuple entier qui va se prononcer librement et en dehors de toute influence, si ce n'est celle qu'exer- cera sur lui le nom prestigieux de Napoléon, et le sou- irenir des éminents services que vient de rendre à la société celui qui a l'honneur de le porter.
Ainsi que nous l'avons dit plus haut, il a le pouvoir, mais le pouvoir n'est pas le but qu'il se propose. Ce qu'il veut, c'est reconstituer sur ses bases les plus lar- ges, les plus vraies, ce principe d'autorité que tant de révolutions successives ont ébranlé et amoindri en France. Il veut fermer l'abîme des révolutions et ouvrir au pays l'ère de la prospérité et de la stabilité dans les institutions.
LouiS'Napoléon Bonaparte est l'homme nécessaire. Sans lui, la guerre des partis déchirerait la France. Réu- nis pour l'attaquer, les partis se fussent immédiate* ment acharnés les uns contre les autres après la victoire commune, et la patrie eât été le champ de bataille et Fenjeu. Aucun d'entre eux n'aurait été assez fort pour empêcher la démagogie de passer. II aurait donc fallu la subir d'abord et attendre qu'elle se noyât dans notre sang et dans notre honneur, pour savoir ensuite à qui, des orléanistes ou des légitimistes, serait restée la France mutilée.
Quel nom mettre à la place de celui de Napoléon? En
408 HISTOIRE
est^il un seul qui piûs&e hittei: avec eakiMàS Taot .^to- rieux soit cet autre, jamais il ne réveillera les échos de gloire et d'amour populaire qui répondent en France au nom de l'Empereur.
La France dira oui y parce qu'elle s^rouve l'acte du 2 décembre ; parce qu'elle comprend qu'avant tout il s'agit du salut social; parce qu'elle veut prouver sa reconnaissance à celui qui vient, de la sauver des hor- reurs de 1852; parce que, depuis vingt jours^ elle sent qu'elle est gouvernée par une main puissante et habile.
Elle dira oui, car elle veut l'industriei le travail, la sécurité, qui ne peuvent exister qu'avec un gouverne- ment fort, unitaire, et qu!avec des institutions stables et puissantes ; parce qu'en un mot^ comme Le neveu de l'Empereur le demande, elle ne veut pas rester constam- ment en révolution.
Ceux qui diront noUj tendent à rouvrir l'abîme du so- cialisme et à plonger la France plus que jamais dans ia mer de révolutions qu'elle vient de franchir, et dans laquelle elle désire ne plus compromettre son repos, son existence, son honneur. Ils retournent, en admet- tant les chances les moins mauvaises, à ce gouvarui^ ment de complots, d'hésitations, d'impuissances, qui vient d'être renversé aux applaudissements du pays tout entier. Mais ceux qui diront non, il faut bien co convenir, auront dans leurs rangs certains hommes de conscience qui ne pensent pas pouvoir reconnaître le principe de la souveraineté nationale, et qui ne croient qu'au droit divin. On doit respecter les scrupules de
D'UN COUP D'ÉTAT. Wl
leurs eonvietionsy tant erronées soient-elles ; seulement on comptera ces hommes des vieux partis, et la France tMra le nombre de ceux qui lui conteslent ses droits.
Quant à ceux quis'abstiendront, nous ne savons com- ment caractériser leur conduite. L'abstention, quelques écrivains éminents ont eu pour elle, tout en la stigma- tisant, des paroles de politesse que nous ne saurions approuver. Pourquoi faire de la courtoisie en pareil ca»? Entre oui ou non que peut-il y avoir? Voulez-vous Louis-Napoléon T dites-le. N'en voulez- vous pas? ayez le courage de le dire aussi. Au scrutin secret, vous ne serez pas trop compromis, a Mais, prétendez-vous, tout en ne voulant pas reconnaître le principe de la souve- raineté populaire, nous ne voulons pas affaiblir le pou- iroir sauveur qu'il va proclamer. » Et vous viendrez lui demander protection I Vous mettrez, vous, vos familles, ves biens, sous sa garde ! Vous voudrez qu'il vous dé- fende contre les ennemis de toute société I
Et pourquoi ne voterez-vous pasT Pour vous réser- ver, sans doute, le prétendu droit d'hostilité, de conspi- ration, peut-être , quand le danger sera passé ; quand le pouvoir aura fait , pour vous comme pour les autres cMoyens, la situation calme et tranquille. Ce sera de ringratitude et de la rébellion. Ceux qui disent non font acte de bons citoyens encore , en ce sens que , iNMant, ils acceptent par le fait, le devoir de s'incliner devant la décision de la majorité. Le lendemain de l'élection, ily en a beaucoup parmi eux, ceux au moins qui ont la conscience droite et honnête, qui se rangeront
410 HISTOIRE
franchement du côté de ^l'élection ; mais vous , les chevaliers de l'abstention, les partisans des principes, qui, dites-vous, ne transigent pas; vous qui venez vous abriter aujourd'hui sous l'épée du pouvoir, et qui de- main le paierez d'ingratitude, vous faites acte de mau- vais citoyens. De quel droit vous abstenez-vous 7 qui vous autorise à vous retirer dans ces hauteurs de l'abs- tention? Nous allons vous le dire hardiment, et en déchirant ces voiles transparents que d'autres ont mis entre vous et les sévérités de leur langage.
Quand la France entière se précipite dans ses co- mices ; quand elle y vient, conduite par les sommités de la science et du talent, provoquée par la parole puissante d'un Montalembert, des premiers évèques de France; quand chaque commune vient, drapeau en tête, conduite au scrutin par son curé, par son maire; quand tout ce qui est honorable et patriote vient donner Tappoint de son vote à ce qu'il croit le salut du pays, vous vous abstenez! Vous appartenez à des principes supérieurs... Pour avoir le droit d'agir ainsi, il faudrait que vous n'eussiez pas acclamé, en Février, ceux qui venaient de renverser un trAne glorieux, il faut le dire, honnête et français à tous les titres. Il faudrait que vous n'eussiez pas acclamé le gouvernement d'alors , que vous n'eussiez pas siégé dans ses assemblées ou voté pour ceux qui y siégeaient. Âh ! vous aviez peur, nous le disons pour vous, qui ne Tavoueriez pas, ou bien vous pensiez que la République vous ramènerait à 1815.
Dans tous les cas, vous avez voté, ou siégé, ou gou-
D'UN œUP D'ÉTAT. 411
venié ; vous avez prêté, de toutes les façons, votre con-* cours. 11 en est parmi vous qui s'abstiennent, et qui, au profit de leur élection personnelle, ont invoqué plus haut que personne, en Février, le principe de la souve- raineté du peuple. Ils ont fait des discours dans les clubs et sur les bornes ; ils n'ont pas dédaigné les ban- quets patriotiques aux barrières de Paris, en compagnie des démocrates les plus purs. Ces démocrates, aujour- d'hui, leur rendent cet hommage : que leurs discours dépassaient alors ceux de Ledru-RoUin dans les mêmes circonstances.
Non, l'abstention n'est point un devoir de conscience, quand la conscience a transigé de cette façon-là ; c'est tout simplement une tactique d'ambition déçue dans le passé, qui stipule pour un avenir qu'elle espère plus favorable à ses fins.
Acceptez donc les jugements de Dieu, qui conduit les choses de ce monde et qui donne la puissance à qui bon lui semble. Aujourd'hui, c'est un prince de vieille race, qui est dans les mains de la Providence un instru- ment de salut et de civilisation. Demain, ce sera l'un de ces hommes nouveaux qui sont le commencement des races de princes, car toute race souveraine a sa source dans le sang populaire. A l'heure qu'il est, ce n'est pas un roi, ce n'est pas un empereur que le peuple se donne. Il a ce droit, il ne l'exerce pas. Il dé- lègue temporairement ses pouvoirs à un prince qui se présente avec deux titres, qu'apparemment vous ne lui contesterez pas. Ferez-vous qu'il n'ait pas, depuis trois
ànfi, sauvé la France de Tànarchie, et qu'il ne Vâit pas, au 2 décembre, sauvée de la démagogie socialistet Ferez-vous qu'il ne soifpa^ de notre famille impériale, vous qui aimez les princes de race souveraine? Â quelle date, suivant vous, faùt-il qu'une gloire aussi vaste que celle des Bonaparte remonte^ pour que voUs hii délivriez ses parchemins princiers? Sauriez- vous lé dire?
Louis-Napoléon Bonaparte sera l'élu de la France malgré vous 'et sans vous; et nous e^érons que malgré vous et sans vous elle le gardera. Vous voulez le passé, elle veut Tavenir. Vous rêvez le privilège, elle a soif de démocratie sage et d'égalité; c'est le courant de la civi- lisation qui veut cela. Vous préparez des cataclysmes ; car vous ne savez que faire des digues à ce courant ; la France veut quelqu'un qui sache le diriger et lui ct*euser son lit. Notre époque, il n'en faut pas douter, est une époque de transition et de transformation sociales.
N'étions-nous pas prophète en 1845, quand nous disions au peuple dans notre Livre des pauvres : a Ces questions (sociales) sont brûlantes et tous les hommes d'État sentent qu'elles approchent, seulement ils n'en disent rien parce qu'elles sont difficiles et qu'ils en ont peur. » Faut-il donc attendre les catastrophes pour y remédier? Ne serait-il pas plus sage d'étudier que d'at- tendre apathiquement et lâchement? Ne serait-il pas plus digne d'un grand peuple et de grandes assem- blées, de s'occuper de ces hautes questions sociales
que des intérêts mesquins qui nous divisent?
Unissez-vous pour attendre les événements dont sont
Ï)'UN COUP D1ÈTAT. 413
gvoB les nuages de nôtre époque » et plus loin :
« Attendez, Dieu le veut; ces événements, pour aller moins vite, n'en iront pas moins certainement. »
Eh bien ! les événements se sont accomplis. Nous les avions prévus, et pourtant nous étions bien éloigné du moude politique. Le bouleversement social a failli tout entraîner, la France ne l'a pas oublié. Au 10 décem* bre, le neveu de l'Empereur s'est présenté au pays comme un sauveur et le pays l'a acclamé par six mil- lions de voix. C'est ce vote qui a donné au prince la force d'accomplir les actes qui viennent de sauver la société.
En l'acclamant aujourd'hui, la France va lui dire qu'elle approuve ce qu'il a fait, elle va lui donner le j[M)uvoir d'achever son œuvre.
Dans toute la France, le 20 et le 21 décembre, le peuple s'est porté d^enthousiasme au scrutin. L'élection a été une immense acclamation dans les villes et surtout dans les campagnes. Une multitude de communes ont voté oui à l'unanimité. Dans beaucoup de départements insultés, le chiffre des votes négatifs n'a pas, à beau- coup près , représenté celui des hommes qui avaient pris part à l'insurrection socialiste. Pour terminer ce qui a trait à l'élection , nous anticiperons sur les dates iét dirons en quelques mots comment la constatation officielle des votes eut lieu. La commission consultative, après en avoir fait le dépouillement, se rendit, le 31 décembre, à l'Elysée, et M. Baroche, son président, remit au prince l'extrait du procès-verbal, constatant
414 HISTOIRE
que y pour les départements , TÂlgérie et les armées de terre et de mer, le résultat du vote était :
Votants, |
8,1*6,773 |
|
OUI, |
7,439,216 |
|
NON, |
640,737 |
|
Annulés |
comme îrréguliers, |
36,820 |
Au discours que prononça M. Baroche, Louis-Napo- léon répondit en ces termes :
Messieurs,
La France a répondu à Tappel loyal que je lui a^ais fait. Elle a compris que je i),'étais sorti de la légalité que pour rentrer dans le droit. Plus de sept millions de suffrages viennent de m'absoudre en justifiant un acte qui n'avait d^autre but que d'épargner à la France, et à l'Europe peut-être, des années de troubles et de malheurs. (Viyes marques d*assentiment.) Je vous remercie d'avoir constaté officielle- ment combien cette manifestation était nationale et spontanée.
Si je me félicite de cette immense adhésion, ce n'est pas par or- gueil, mais parce qu'elle me donne la force de parler et d'agir aina qu'il convient au chef d'une grande nation comme la nôtrç. (Bravos répétés.) Je comprends toute la grandeur de ma mission nouvelle, je ne m'abuse pas sur ses graves difficultés. Mais avec un cœur droit, avec le concours de tous les hommes de bien, qui, ainsi que vous, ra'éclai- reront de leurs lumières et me soutiendront de leur patriotisme, avec le dévouement éprouvé de notre vaillante armée, entin avec cette pro- tection que demain je prierai solennellement le ciel de m'accorder encore (sensation prolongée) , j'espère me rendre digne de la con- fiance que le peuple continue de mettre en moi. (Vive approbation.) J'espère assurer les destinées de la France, en fondant des institutions qui répondent à la fois, et aux instincts démocratiques de la nation, el à ce désir exprimé universellement d'avoir désormais un pouvoir fort et respecté. (Adhésion chaleureuse.) En effet, donner satisfaction aux exigences du moment, en créant un système qui reconstitue l'autorité sans blesser l'égalité, sans fermer aucune voie d'amélioration, c'est jeter les véritables bases du seul édifice capable de supporter plus tard une liberté sage et bienfaisante.
D'UN œUP D*ÉTAT. 415
Après cette séance, parut un décret portait que le résultat de l'élection serait affiché dans toutes les com- munes de France.
Le lendemain 9 T' janvier 1852, Louis-Napoléon Bonaparte venait, sous les voûtes saintes de Notre-Dame de Paris, remercier celui qui l'avait élu par la voix du peuple. Certes, nous sommes de ceux qui vénèrent par instinct tout ce qui est grand : ainsi les souvenirs de notre vieille monarchie ; ainsi les épopées miracu- leuses de l'époque impériale. Cependant ni ces gran- deurs du passé, ni ces majestés plus récentes, n'émeu- vent aussi religieusement notre àme que cette simple solennité. C'est qu'elle consacre le plus grand événe- ment de notre histoire nationale. Le pouvoir délégué par la nation vient rendre hommage à Dieu dans son temple. Et le prince et le peuple s'unissent pour éle- ver vers les cieux un cantique d'actions de grâces. C'est qu'aujourd'hui commence une ère nouvelle, celle qui ouvre l'avenir à toutes les légitimes espé- rances, celle qui ferme le passé sur les révolutions. La tyrannie, qui vient d'en haut, la licence, qui vient d'en bas, sont les deux sources fatales des révolutions.
Mais aujourd'hui, la grande voix de la majorité, la voix du peuple, la voix de Dieu, prescrit le droit et le devoir; plus de prétextes, plus d'excuses aux luttes des partis.
Ce qui est grand et admirable dans cette fête, ce n'est pas ce déploiement de forces militaires échelon- nées depuis l'Elysée jusqu'à Notre-Dame; ce n'est pas
41 « HISTOIKE DTJN COUP D'ÉTAT,
le cortège lùagnifique d'hommes éitiinente qui entou- rent Napoléon, et qui lui font comme une couronne de ce que la France a de plus glorieux dans les arts, la science et la guerre ; ce ne sont pas non plus ces riches tentures qui décorent l'antique église et ses abords ; ce ne sont pas ces flots d'harmonie qui s'élancent des voûtes, ni ces voix du canon, cette musique des ba* tailles, qui détonent à chaque minute dans les airs; Ce n'est pas cette foule pressée qu'épanche Paris de tous ses quartiers sur la Cité , ce navire flottant qui porte Notre-Dame ; ce n'est pas ce concours de tous les fonctionnaires qu'envoient nos provinces. De ces fêtes, nous en avons eu à toutes les époques : les rois, la Ré- publique, l'Empire cfn ont eu de pareilles ; mais ce qui est grand et admirable, c'est de voir ensemble, au pied de Dieu qui leslbénit, un grand peuple qui a reconquis sa souveraineté, et un prince auquel il la délègue, au nom de celui qui est le maître de toutes choses au ciel et sur la terre, et qui dit aux puissants de ce monde : « C'est de Dieu que vous tenez l'empire, c'est Dieu qui vous a donné la force; il vous interrogera sur vos œuvres, et sondera le fond de vos pensées. » {Sag.y ch. VI, v, 4.) Et qui dit aux peuples : « Celui qui ré- siste au pouvoir, s'oppose à un ordre que Dieu a établi... car les princes ne sont pas à craindre lorsqu'on fait de bonnes actions ; mais seulement lorsqu'on en fait de mauvaises. ( Hom.y ch. xni, v. 2-3.)
(suite.)
APBftS L'I&LBCnOlf.
Maintenant que nous avons donné tout ce qui est latif à Télection présidentielle , il nous reste à faire rapi- dement rénumération des actes administratifs impor- tants jusqu'à la promulgation delà Constitution. Nous reprenons donc cette énumératîon où nous l'avons lais- sée, en omettant, comme nous Tavons fait jusqu'ici, ce qui n'a pas d'importance politique.
Soucieux d'assurer aux déportés politiques le bien-être que l'humanité prescrit de leur donner, le Président, par un décret daté du 20 décembre, et promulgué le 22, ouvre un crédit de 658,000 fr. pour former un éta- blissement pénitentiaire à la Guyane ; 58,000 fr. se-
418 HISTOIRE
ront affectés aux dépenses du service militaire , et 600,000 fr. à celles de la colonie.
Le Moniteur du 24 contenait le décret suivant, qui réforme l'injustice du gouvernement provisoire à l'égard des officiers généraux :
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS.
Le Président de la République,
Vu le décret du gouvernement provisoire du 28 avril 1848, qui règle le nombre des divisions et subdivisions militaires ;
Vu le décret du 3 mai 1848, qui réduit le cadre d^activité des offi- ciers généraux et le cadre de Tétat-major ;
Considérant que Texpérience a fait reconnaître les vices de Torgani- sation des divisions et subdivisions militaires déterminées par le dé- cret du 28 avril i848; que la trop grande étendue des commande- ments territoriaux ne laisse pas toujours au pouvoir sa liberté d*ac- tton et les moyens de réprimer les tentatives de désordre avec toute la promptitude désirable ; que les derniers événements ont surtout révélé ce danger, et que, dans Tintérèt de la sûreté publique, il de- vient urgent d*augmenter le nombre des divisions et subdivisions militaires ;
Considérant que, pour arriver à ce résultat, il est indispensable de rétablir le cadre des offîciers généraux et celui des officiers d'état- major sur les anciennes bases, et que le décret du 3 mai 1848 n*a plus de raison d*ètre, puisquMl était exclusivement motivé sur la di- minution du nombre d'emplois dévolu aux officiers de Tétat-major général ;
Sur le rapport du ministre de la guerre. Décrète :
Le décret du 3 mai 1848, qui avait réduit le cadre d*activité des officiers généraux el le cadre de Tétat-major, est abrogé.
Louis-Napoléon Bonapartb.
Ce décret est suivi de celui qui , d'après un rapport remarquable du général de Saint-Arnaud , ministre de
DHJN œUP D'ÉTAT. 419
la guerre, porte que dorénavant la gendarmerie se composera :
1* De TinglHiix légions pour le service des départements et de FAl-
2* De la gendarmerie coloniale ;
3* De deux bataillons de gendarmerie mobile ;
4* De la garde républicaine, chargée du senrice spécial de la ville de Paris ; ^
5* De deux compagnies d'infanterie auxiliaire de la gendarmerie en Afrique, sous la dénomination de voltigeurs algériens ;
6* De deux compagnies de gendarmes vétérans ;
7* Du bataillon de sapeurs-pompiers de la ville de Paris.
Des tableaux successifs donnent la composition des cadres, et le décret règle la répartition des grades d'of- ficiers entre la gendarmerie et l'armée.
Le même jour, parait le décret suivant :
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS.
Le Président de la République ,
Vu la loi du 14 avril 1832 et celle du 4 août 1839 ;
Sur le rapport du ministre de la guerre^ Décrète :
Art. 1*'. Sont promus dans le cadre d'activité des officiers généraux, Bavoir :
Au grade â9 général de division. — Les généraux de brigade : Corbin, Duflburc d^Antist, Servatius, Roguet , Le Pays de BourjoUy, de Sei^ maise, Grand, Herbillon, Noizet, Morris, Reibell, Dulac, Reyau, Au- las de Courtigis, Tbiry, Forey.
Au grade de général d« brigade, — Les coloneb : Tatareau, du corps d*état-major ; Lemaire, commandant la 19* légion de gendarmerie ; d*Anthouaid-Vraincourt, commandant le 24* régiment d'infanterie de ligne; Mayran, commandant le 58* régiment d'infanterie de ligne ; Cœur, commandant le 2* régiment de la légion étrangère ; Répond, commandant le 31* régiment d^infanterie de ligne; Bouet, comman-
1 *.
420 HISTOIRE
dant le 33* régiment d'infanterie de ligne; Peyssard, commandant le 27* réfi^ment dMnfanterie de ligne; d^Hugues, commandant le 37* ré- giment d'infanterie de ligne ; Conrand, commandant le 19* régiment d'infanterie de ligne ; Bourgourd de Lamare, commandant le 13* ré- giment dMnfanterie légère ; d'Aurelle de Paladines, commandant le régiment de zouaves; Ney d'Elchingen, commandant le 7* régiment de dragons; Bouscarin, commandant le 3* régiment de spahis ; Bel* tramin, commandant le 6* régiment de dragons ; Dupuch^ comman- dant le 4* régiment de chasseurs d'Afrique; Du Poillouë de Saintr Mars, commandant le 9* réçiment de dragons ; Lannes de Montehello, commandant le 7* régiment de chasseurs ; AUot, commandant le 7* ré- giment d'artillerie ; Allard , directeur des fortifications à Nantes.
Art. 2. Le ministre de la guerre est chargé de l'exécution du pré- sent décret.
Fait à l'Blysée-National, le 22 décembre 1851..
Loms-NAPOLÉoif Bonaparte. le mmiêtn d$ la guerre^
A. DE SAIffT-AimAUD.
Le Moniteur du même jour contient aussi le décret pour l'exécution des lois des 30 avril 1849 et 1 \ juillet 1851, concernant rétablissement des banques colo- niales.
Un décret du 27 décembre réunit, à partir du 1" jan- vier 1852^ l'administration des douanes et celle des contributions indirectes en une seule, qui prend le nom des deux réunies. Louis-Napoléon signe le même jour, sur le rapport du ministre de la guerre, le décret qui fait du territoire français vingt et une divisions mi- litaires, comme le porte le tableau suivant :
TABLEAU DES NOUVELLES DIVISIONS ET SUBDIVISIONS MILITAIRES.
i»"* DIVISION. — Qwirtier général à Paris. — 1^» subdivision, Seine (Paris). — 2* Seine-et-Oise (Versailles). — 3* Oise (Beauvais). —
DTK OOUP WÉTAT. 411
4f Sdne-el-llaiTie (Melon) — S" Aube (Troyes).—e* Yonne (Aaxerre). — 7* Loiret (Orléans). — 9* Euie^-Lolr (Chartres).
S* MTHKNf. — QiMntMr §énérai à ^omm. -* i» subdÎTisîon, SHne- Mérieore (Roaen). — 2* Eure (Ëneox). — 3* CalTados (Cnen). — 4^ Orne (Aknçon).
3* DmsMn. ^ Qmmiiêr géUrél à UIU. ^ i** subdiTÎsion , Nord (LiUe). — 2* Pas^e-Calals (Arras). — 3* Somme (Amiens).
4* DmsMm. — QmartiÊr gémirûl à Ck&UmM-tm^Mmrmê. — {f subdi- vision, Marne (Gbalonfr«or-Mame). ^ 2* Aisne (Laon).— 3* Ardennes
S* Dmsi0!«. — Qfiarikr général à MètM. — 1>« subdiTÎsîon ^ Moselle (Metz). ^ 2* Meose (Verdun). — 3* Meurthe ( Nancy ). ^ 4* Vosges (Epînal).
6* onsioii. — Çmartigr général à Strasbourg. — l^ subdivision, Bas- Rhin (Strasbourg). — 2* Haut-Rhin (Colmar).
7* DivisiO!«.»Quar(ttfr général à Besançon.-^ 1» subdivision, Doubs (Besançon). — 2* Jura (Lons-le-Saulnicr). — 3«Côte-d'0r (Dijon). — ¥ Haute-Marne (Chaumont). — 5* Haute-Saône (Vcsoul).
8* Division. — Quartier général à Lyon. — l^* subdivision , Rhône (Lyon). — 2* Loire (Saint-Ëtienne) — 3* Saône-et-Loire (Chalons-sur- Siûkie). — 4* Ain (Bourg). — $• Isère (Grenoble). — 6« Hautes-Alpes (Gap). — 7* Drôme (Valence). — 8* Ardècbe (Privas).
9* NVisioii. — Quartier général à Marseille, — i^* subdivision, Bou- ches-du-Rhône (Marseille). » 2* Var (Toulon). ~ 3* Basses-Alpes (Digne). — 4* Vaucluse (Avignon).
\(f DIVISION. — Quartier général à Montpellier. — 1" subdivision, Hérault (Montpellier) .— 2* Avcyron (Rodez). — 3« Lozère (Mende). ^ 4* Gard (Nîmes).
il* DIVISION. — Quartier général à Perpignan. — i^ subdivision , Pyrénées -Orientales (Perpignan). — 2* Ariége (Foix). — 3* Aude (Carcassonne).
12* DIVISION. — Quartier général à Toulouse. — !'• subdivision, Haule-Garonne (Toulouse). — 2* Tam-et-Garonne (Montauban). — r Lot (Cahors). — 4* Tarn (Alby).
13* DIVISION. — Quartier général à Bayonne. — 1» subdivision , Basses-Pyrénées (Bayonne). —2« Landes (Mont-de-Marsan).» 3* Gers (Auch). — 4« Hautes-Pyrénées (Tarbes).
27
tô2 HISTOIRE
14* oiTisiON. — » Quartier général à Bordêomœ. — 1<« Bubétnswn , Gi- ronde (Bordeaux). — 2* Chareate-Inférieune (La Rodielle). -^ 3* Clm* rsate <Aji^uléfine)« -^ 4* Dordogue (Périg aeva).^^6^£olHel»^roRoe (Age».)
15* DIVISION. — Quartier général à Nantes, — 1" sutidrfiBioli, Loire- Inférieure (Naoteç).-^ 2* Maine-et-Loôre (Afigeis). ^ — ^* Deux-Sèrres (Niort). — 4* Veadée (Ma^éon- Vendée)^
16* DIVISION. — Quartier ^nérai 4 ItomKf» -y 1«« subdivision , Ille-et- Vilaine (Rennes). — 2* Morbihan ( Vanse»). ^ 8* Fimstère (Brest).
— 4* Côtes-du-Nord (Saint-Brieuc). — 5* Manche (Cherbourg^ «* a? Mayenne (Laval).
17* DIVISION (CoTfic)» — Quartéer^nénéral à Basîki. — !'• subdivision, Bastia. — 2« Ajaccio.
18* DIVISION. — Quartier générai à Toifri,*- I m subdivision, Indre- et-Loire (Tours). — 2* Sarthe ( Le Mans). — 3* Loir-etrCber (Blois).
— 4* Vienne (Poiliers).
19* DIVISION. — Quartier général à Bourgêi. — . lr« rabdiviston , Cher (Bourges). — 2* Nièvre ( Nevers)* — 3* Allier (Moulins). — 4* Indre (Chàteauroux).
20* DIVISION. — Quartier général à Clermont^Ferrand. — !«• subdivi* sioD , Puy-de-Dôme (Clennont-Ferrand). ^ 2* HautinLoire (Le Poy).
— 3* Cantal (Aurillac).
21' DIVISION. — Quartier général à Limoges. -^i^"» Bobëivision , Haute- Vienne (Limoges). — 2* Creuse (Guéret). — 3* Corrèze (T^lle).
Le ministre de la guerre ,
A. DE Saint- Abi^acd. Approuvé :
Louis-Napoléon Bonaparts.
Chaque département forme une subdivision. Comme le dit le général ministre de la guerre, dans son rapport, celte nouvelle division militaire du territoire a l'avan- tage de mettre tous les chefs-lieux de division , sauf deux, en communication directe par le télégraphe avec Paris, et, autant que possible, avec leurs principales subdivisions.
D'UN œUP D*ÉTAT. 423
Le 29, Louis-Napoléon signe le décret suivant, dont les considérants sont la justification complète pour tous ceux que la passion n'aveugle pas :
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS.
Le Président de la République,
Sur le rapport du ministre de Tintérieur,
Considérant que la multiplicité toujours croissante des cafés, ca- barets et débits de boissons est une cause de désordre et de démora- lisation ;
Considérant que, dans les campagnes surtout, ces établissement ^ «ont devenus, en grand nombre, des lieux de réunion et d'affiliation pour les 'sociétés secrètes, et ont favori^ d*une manière déplorable les progrès des mauvaises passions ;
Considérant qu*il est du devoir du gouvernement de protéger, par des mesures efficaces, les mœurs publiques et la sûreté générale , Décrète :
Art. l*^ Aucun café, cabaret ou autre débit de boissons à consom- mer sur place, ne pourra être ouvert, à Tavenir, sans la permission préalable de Tautorité administrative.
Art. 2. La fermeture des établissements désignés en Tart i**, qui existent actuellement ou qui seront autorisés à Tavenir, pourra èlre ordonnée, par arrêté du préfet, soit après une condamnation pour contravention aux lois et règlements qui concernent ces professions, soit par mesure de sûreté publique.
Art. 3. Tout individu qui ouvrira un café, cabaret ou débit de bois- sons à consommer sur place, sans autorisation préalable ou contrai- rement à un arrêté de fermeture pris en vertu &e l'article précédent, sera poursuivi devant les tribunaux correctionnels, et puni d'une amende de 25 à 500 fr. et d'un emprisonnement de six jours à six mois. L'établissement sera fermé iminédiatem^int.
Art. 4. Le ministre de l'intérieur est chargé de l'exécution du pré- sent décret.
Fait au palais de TÉlysée, le 29 décembre 1851.
Louia-Napou'on Romm*artk, U miniitre de i^inlt^rifur^
1)K M0H«N\[,
424 HISTOIRE
On se souvient avec quelle sollicitude certains mem- bres de la dernière Assemblée défendaient ces lieux pu- blics qu'ils nommaient les salons du peuple. Il est évident pour tout homme sensé, qu'on ne doit pas lais- ser sans garantie qui que ce soit libre de faire de sa maison un foyer de conspiration ou de démoralisation.
Tous les vieux soldats, tous les débris de nos grandes guerres ont dû sentir se réveiller en eux les souvenirs de leur passé glorieux, en voyant le décret du 31 dé- cembre, qui rétablit Taigle sur les drapeaux de l'armée et sur la croix de la Légion d'honneur. L'aigle, c'est l'Empire avec ses miracles et ses événements gigantes- ques. L'aigle, c'est la gloire française brillant à la fois sous toutes les latitudes de l'Europe et léguant à l'his- toire plus d'épopées magnifiques que l'antiquité tout entière. L'aigle, c'est pour notre jeune armée, si les événements le commandaient, ce qu'à Dieu ne plaise, un témoin qui leur dirait les traditions de leurs devan- ciers, un guide qui leur montrerait les routes tracées par leurs aines.
Désirons la paix, prions Dieu qu'il nous la garde; mais, tandis que les nations étrangères conservent si religieusement les quelques trophées de deux ou trois de nos défaites, relevons avec orgueil le signe de nos gloires. L'aigle a vu toutes les capitales ; l'aigle ne se sou- vient pas même du nombre des victoires.
Le monde n'a pas un trophée comme notre colonne de la grande armée. L'aigle impériale a compte plus de canons conquis qu'il n'en faudrait pour élever de
DTO OOCP DTÉTAT. «S
ptrak moDomeots sur toutes les places pobfiqpKs de Pftris.
Uo décret, signé le 3, porte que les rnoonaies d'or et d'argent porteront sur la fàce Teffigie de Louis- Napo- léon j et en exergue ces trob mots : Louis ^ Napoléam Bomaparie.
Après d'autres décrets d'utilité publique concernant, soit rétaUissement de bains et lavoirs publics, soit la concession de lignes de chemin de fer à des compa- gnies, Tient celui du 6 janvier, décrétant rétablisse- ment de lignes télégraphiques électriques rayonnant de Psaris sur nos principales Tilks, et mettant en commu- nication CCS villes entre elles.
Nous ne faisons qu'indiquer sommairement tous ces décrets, parce qu'ik n'ont pas un rapport direct au su- jet principal que nous traitons ; mais nous citerons en- tièrement ceux que contenait le Moniieur du 10, ainsi que les réflexions dont il les accompagne :
« Le go uvemement, fermement déterminé à préve- nir toute cause de troubles, a dû prendre des mesures contre certaines personnes dont la présence en France pourrait empêcher le calme de se rétablir.
« Ces mesures s'appliquent à trois calories :
« Dans la première, figurent les individus convaincus d'avoir pris part aux insurrections récentes; ils seront, suivant leur degré de culpabilité, déportés à la Guyane française ou en Algérie.
c Dans la seconde, se trouvent les chefs reconnus du socialisme ; leur séjour en France serait de nature à
«M mSTÛlAE
fomefifter la guerre civile ; ils seront expulsés du terri- toire de la République, et ils seront transportés s'ib Venaient à y rentrer.
ce Dans la troisièdde, tont compris les hommes polî- tiqws qui se sont fait remarquer par leur \iolente hos- tilité au gouvernement, et dont la présence serait une (Sàuse d'agitation ; ils seront momentanément éloignés de France.
< Dan« les circonstances actuelles, le devoir du gou- vernement est la fermeté ; mais il saura maintenir la répression dans de justes limites.
t Les divers décrets qui précèdent concernent seu- lement les anciens représentants.
« Les sieurs Marc Dufraisse, Greppo, Miot, Mathé et Rictmrdet seront transportés à la Guyane française. »
LeMamieur publie en outre, dans sa partie officielle, les noms des anciens représentants compromis dans la deuxième et la troisième catégorie :
AU NOM DU PEUPLE FlUNÇAIS.
Louis-Napoléon, Président de la République, Décrète :
Art. 1*'. Sont expulsés du territoire français, de celui de T Algérie et de celui des colonies, pour cause de sûreté générale, les anciens re- présentants à TAssemblée législative dont les noms suivent :
Edmond Valentin. — Paul Racouchot. — Agricol Perdiguier. — Eugène Cholat. — Louis Latrade. — Michel Renaud. — Joseph Be- noît (Rhône). — Joseph Burgard. — Jean Colfavru. — Joseph Faure (Rhône). — Pierre-Charles Gambon. — Charles Lagrange. — Martin Nadaud. — Barthélémy Terrier. — Victor Hugo. — Cassai. — Signard. — Viguier. — Charrassin. ^Bandsept. — Savoye. — loly. — Com-
D*UN COUP OTÈTAT. 4«
w *- Réyseet. — Duché. — Ennery. — Guilgot. — Hochstuh}. — Michot-Boutet. — Baune. — Bertholon. — >Soli<Blchep. —De Flotte. — Joîgneaux. — Laboulaye. — Bruys. — Esquiros. — Madier de Moni- jdu. — Noël Parfait. — Emile Péan. — Pelletier. — Raspail. ^Théo- dore Bac. — BdDceî. — Belîn (Drôme). — Besse. — Bourzat. — Bri? es.
— ChaToix. — Dulac. — Dupont (de Bussac). — Gaston Dussoubs. — Guiter. — Lafon. — Lamarque. — Pierre Lefranc. — Jules Leroux.
— Francisque Maigne. — Malardier. — Mathieu (de la Drôme). — Millotte. — Boselli-MoHet. — Charras. — Saint-Férréol. — Sommier. ^ TesteUn ^Nord).
Art 2 Dans le cas où^ contrairement au présent décret, Tun des individus désignés en Part, l*' rentrerait sur les territoires qui Itri smÉ interdits , il poiivra être déporté par mesure àt sûreté générale.
Faiâ au palais des Tuileries, le conseil des ministres entendu, le
il>aovkri852.
Loui^-NapoUon.
Le miniitn d$ Vintériiur,
De Mornt.
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS.
Lotris^Napoléon, Président de la République, Décrète ?
Art f •'. So»t momentanément éloignés du territoire français et de celiri de FAlgérte, pour cause de sûreté générale, les anciens repré- sentants à TAssemblée législative dont les noms suiTeni :
Duvergier de Hauranne. — Creton. — Général de Lamoricière. — Général Changamicr. — Baze. — Général Le Flô. — Général Bedeau.
— Thiers. — Chambolle. — De Rémusat. — Jules de Lasteyrie. — Éraile de Girardin. — Général Laidet. — Pascal Duprat. — Edgar Quinct. — Antony Thouret. — Victor Chauffour. — Versigny.
Art. % Bs ne pourront rentrer en France ou en Algérie, qu'en vertu
d^une autorisation spéciale du Président de la République.
Fait au palais des Tuileries, le conseil des ministres entend», le
9 janvier 4852.
Louis^Navoléoii*
U minittrê de Vintérieur,
Db Moun.
428 HISTOIRE
Nous donnerons aussi textuellement le décret con«» cernant la garde nationale :
r
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.
AU NOM DU PEUPLE FBAIIÇAIS.
Louis-Napoléon, Président de la République «
Considérant que Tordre est Tunique source du traTail et qu^il ne s*établit qu'en raison directe de la force et de Tautorité du gouverne- ment;
Considérant que la garde nationale doit être non une garantie contre le pouvoir, mais une garantie contre le désordre et Tinsurrection ;
Considérant que les principes appliqués à l'organisation de la garde nationale à la suite de nos différentes révolutions, en armant indis- tinctement tout le monde, n'ont été qu'une préparation à la guerre civile ;
Qu'une composition de la garde nationale, faite avec discernement, assure Tordre public et le salut du pays ;
Considérant que, dans les campagnes surtout, où la force publique est peu nombreuse, il importe de prévoir toute nouvelle tentative de désordre et de pillage ; qu'une récente expérience a prouvé qu'une seule compagnie de bons citoyens armés pour la défense de leurs foyers, suffit pour contenir ou mettre en fuite des bandes de malfai- teurs;
Sur le rapport du ministre de Tintérieur; Décrète :
Les gardes nationales sont dissoutes dans toute Tétendue du terri- toire de la République.
Elles sont réorganisées sur les bases suivantes, dans les localités où leur concours sera jugé nécessaire pour la défense de Tordre public.
Dans le département de la Seine, le général commandant supérieur est chargé de cette réorganisation, qui aura lieu par bataillons.
Art. !•'» Le service de la garde nationale consiste :
1° En service ordinaire dans Tintérieur de la commune;
:2° En service de détachement hors du territoire de la commune;
D*UN COUP D'ÉTAT. 429
Art. 2. Le service de la garde nationale est obligatoire pour tous les Français âgés de vingt-cinq à cinquante ans, qui seront jugés aptes à ce service par le conseil de recensement. Néanmoins, le gouvemeneat fixera, pour chaque localité, le nombre des gardes nationaux.
Art. 3. La garde nationale est organisée dans toutes les comoioiiet où le gouvernement le juge nécessaire : elle est dissoute et réorganisée suivant que les circonstances l'exigent. Elle est formée en compagnie, tMitaillon ou légion, selon les besoins du service déterminés par Tau- torité administrative , qui pourra créer des corps de sapeurs-pompiers.
La création de corps spéciaux de cavalerie , artillerie du génie , ne pourra avoir lieu que sur l'autorisation du ministre de l'intérieur.
Art. 4. Le Président de la République nommera un commandant supérieur, des colonels ou lieutenants-colonels dans les localités où il le jugera convenable.
Art. 5. La garde nationale est placée sous l'autorité des maires , des sous-préfets, des préfets et du ministre de l'intérieur.
Lorsque , d'après les ordres du préfet ou du sous-préfet , la garde nationale de plusieurs communes est réunie au chef-lieu du canton, soit dans toute autre commune, elle est sous l'autorité du maire de la commune où a lieu la réunion.
Sont exceptés les cas déterminés par les lois où la garde nationale est appelée à faire un service militaire et qu'elle est mise sous les or- dres de l'autorité militaire.
Art. 6. Les citoyens ne peuvent ni prendre les armes ni se rassem- bler, comme gardes nationaux, avec ou sans uniforme, sans l'ordre des chefs immédiats , et ceux-ci ne peuvent donner cet ordre sans une réquisition de l'autorité civile.
Art. 7. Aucun chef de poste ne peut faire distribuer des cartouches eux gardes nationaux placés sous son commandement , si ce n'est en vertu d'ordre précis, ou en cas d'attaque de vive force.
Art. 8. La garde nationale se compose de tous les Français et des étrangers jouissant des droits civils , qui sont admis par le conseil de recensement , à la condition d'être habillés suivant l'uniforme , qui est obligatoire.
Art. 9. Le conseil de recensement est composé ainsi qu'il suit :
i» Pour une compagnie : du capitaine , président, et de deux membres désignés par le sous-préfet ;
430 HISTOIRE
2* Pour un bafaiHon : du chef de bataillon , président, et du capi- taine de chacune des compagnies qui le composent : le capitaine peut ie fliire suppléer par son sergent-major.
ProYisoirement , et jusqu'à nomination aux grades , il est composé de trofs membres par compagnie , et de neuf membres par bataillon, désignés par le préfet ou sous-préfet.
A Paris , la désignation sera faite par le ministre de Tintérieur, sur là présentation du général commandant supérieur.
Le conseil de recensement prononce sur les admissions et arrête le contrôle définitif.
Art. 10. II y aura Un jury de révii^ion par chaque canton. Il est pré- sidé par le juge de paix et composé de quatre membres nommés par le sous-préfet.
A Paris, le jury de révision, institué à Tétat-major général, est présidé par le chef d'état-major; à son défaut, par un lieutenant-co- lonel d'état-major, et composé de :
4 chefs de bataillon ;
2 chef^ d'escadron d'état-major ;
2 capitaines d'état-major ;
1 chef d'escadron, rapporteur;
I capitaine, rapporteur adjoint ;
i capitaine, secrétaire;
1 lieutenant, secrétaire adjoint.
Art. 11. Le Président de la République nomme les officiers de tous grades, sur la présentation du ministre de l'intérieur, d'après les pro- positions du commandant supérieur, dans le département de la Seine, et d'après celles des préfets, dans les autres départements.
Les adjudants sous-officiers sont nommés parle chef de bataillon, qui nomme également à tous ies emplois de sous-officiers et de capo- raux, sur la présentation des commandants de compagnies.
Art. 12. Les communes sont responsables, sauf leur recours contre les gardes nationaox, des armes que le gouvernement a jugé néces- saire de leur délivrer ; ces armes restent la propriété de HStat.
L'entretien de Tarmement est à la charge du garde national; les réparations, en cas d'accident causé par le service, sont à la charge de la commune.
Les gardes nationaux détenteurs d'armes appartenant à l'Etat, qui
D'UN OWP irtTAT. 4^1
ne présentent pa^oa ne font pas présenter ces armes aux inspections générale» annuelles preaerites par les règlements, peutent être con» damnés à une aaiende d*«i frane an moins et de cinq francs atr plas, 9m profit de la commune.
Cette amende est prononcée et recouvrée comme en matière de po- Uot municipale.
Art. 13. Dans tous les cas où les gardes nationales sont de service avec les corps soldés, elles prennent le rang sur eux.
Art. 14. Les dépenses de la garde nationale sont votées, réglées et •urfeillées comme toutes les autres dépenses municipales.
A4- 15. Les dépenses de la garde nationale sont obligatoires on AMultalives.
Les dépenses obligatoires sont :
1° Les frais d'acbat de drapeaut, tambours et trompettes ;
T Les réparations, Tentretien et le prix des armes, sauf recours contre les gardes nationaux, aux termes de Tarticle i 3 ;
3* Le loyer, Tentretien, le ehauffiige, Féclairage et le mobilier des corps- de-garde;
4° Les frais de registres, papiers, contrôles, billets de garde et tons les menus frais de bureaux qu'exige le service de la garde nationale ;
ty La solde des majors etadjudants-'majors ;
(^ La solde et rbabillement des tambours et trompettes ;
Toutes autres dépenses sont facultatives.
Art. 16. Lorsqu'il est créé des bataillons cantonaux, la répartition de la portion affiérente à chaque commune du canton dans les dépenses obligatoires du bataillon, autres que celles des compagnies, est faite par le préfet, en conseil de préfecture, après avoir pris Tavis dos con- seils municipaux.
Cette répartition a lieu proportionnellement à la population de ehaque commune et à son contingent dans le principal des quatre éontributlons directes.
Art. 17. Il y a dans chaque légion ou chaque bataillon, fbrméspar les gardes nationaux d'une même commune, un conseil d'administra- tion chargé de présenter annuellement au maire Tétat des dépenses 'ttéoessAîres pour le service de la garde nationale, etde viser les pièces j ustificatives de l'emploi des fonds. ' Il y a également, par bataillon cantonal, un conseil d^administra-
'. • •
432 HISTOIRE
lion chargé des mêmes fonctions et qui doit présenter au sous-préfet rétat ^des dépenses du bataillon. La composition de ces conseils est déterminée par un règlement d'administration publique.
Art. 18. Dans le département de la Seine, il y a un conseil d'admi- nistration par un nombre de bataillons qui sera déterminé ultérieu- rement par le ministre de Tintérieur ; il est composé ainsi qu'il suit :
Un chef de bataillon, président;
Un officier par bataillon ;
Le major attaché à ces bataillons sera rapporteur du conseil;
Un secrétaire , chargé , en outre , des écritures pour les conseils de discipline. ,
11 est nommé un officier payeur pour ce même nombre de bataillons.
Art. 19. Le règlement relatif au service ordinaire, aux revues, exercices et prises d'armes est arrêté :
Pour le département de la Seine par le ministre de l'intérieur, sur la proposition du commandant supérieur.
Pour les villes et communes des autres départements , par le maire, sur la proposition du commandant de la garde nationale et sous l'ap- probation du sous-préfet.
Les chefs pourront, en se conformant à ce règlement, et sans ré- quisition particulière , mais après en avoir prévenu l'autorité muni- cipale , faire toutes les dispositions et donner tous les ordres relatifs au service ordinaire , aux revues et aux exercices.
Dans les villes de guerre , la garde nationale ne peut prendre les armes ni sortir des barrières qu'après que le maire en a informé , par écrit, le commandant de la place.
Le tout sans préjudice de ce qui est réglé par les lois spéciales à rétat de guerre et à Tétat de siège dans les places.
Art. 20. Lorsque la garde nationale est organisée en bataillons cantonaux et en légions , le règlement sur les exercices est arrêté par le sous-préfet, de l'avis des maires des communes et sur la pro- position du commandant , pour chaque bataillon isolé, et du chef de légion pour les bataillons réunis en légions.
Art. 21. Le préfet peut suspendre les revues et exercices dans les communes et dans les cantons , à la charge d'eu rendre immédiate- ment compte au uiinistre de l'intérieur.
Art. 22. Tout garde national commandé pour le service doit obéir»
DUN COUP D'ÉTAT. 433
taaf à réclamer ensuite, sMl sW croit fondé, devant le chef du eorpe.
Art. 23. Le titre IV de la loi du 15 juin 1851, intitulé : DisdpUne^ est maintenu jusques et y compris Tart. 418 de la même loi.
Sont abrogés toutes les lois antérieures au présent décret, ainsi que toutes les dispositions relatives au service et à Tadministration de la garde nationale qui y seraient contraires.
Fait au palais desTuileries, le 11 janvier 1852.
Louis-Napoléon.
Lt ministre de Vintérieur^
De MoaifT.
Le i 5 janvier, la Constitution , signée le 1 4 au pa- lais des Tuileries, parut au Moniteur.
Nous allons en donner le texte et la faire suivre de la liste des sénateurs et de celle des conseillers d'État.
CONSTITUTION
FATTE EN VERTU DES POUVOIRS DÉLÉGUÉS PAR LE PEUPLE FRANÇAIS
A LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE
Par le vote des 20 et 21 déceftibre 1851 .
Le Président de la République,
Considérant que le peuple français a été appelé à se prononcer sur la résolution suivante :
« Le peuple veut le maintien de Tautorité de Louis-Napoléon Bo- naparte, et lui donne les pouvoirs nécessaires pour faire une Con- stitution d'après les hases établies dans sa proclamation du 2 dé- cembre ;
« Considérant que les bases proposées à l'acceptation du peuple étaient :
« 1* Un chef responsable nommé pour dix ans ;
« 2^ Des ministres dépendants du pouvoir exécutif seul;
M 4 filSTOiRE
« 3^ Un conseil d'Étal formé 4es honuoes les plus distingués, pré- parant les lois et en soutenant la discussion devant le corps lé* gislalif;
a 4® Un corps législatif discutant ^t TOtant les lois, nommé par le suffrage uniirersel, sans scrutin de lipte qui fausse Félection ;
a B*" Une seconde Assemblée formée de toutes Les illustmtioas du pays ; pouvoir pondérateur, gardien du pacte fondamental et des li- bertés publiques. »
Considérant que le peuple a répondu aftirmativement par sept mil- lions cinq cent mille suffrages ,
PaOMlOiGUf: la Constitution dont la teneur suit :
TITRE PREMIER.
Art. I*'. La Constitution reconnaît, confirme et garantit les grands principes proclamés en 1789, et qui sont la base du droit puUic des Françw$.
TITRE II.
FORME DU GOUVERNEMENT DE LA RÉPUBUQUE.
Art. 2. Le gouvernement de la République française est confié pour dix ans au prince Loui^Napoléou Bonaparte, président actuel de la République.
Art. 3. Le Président de la République gouverne au moyen des mi- nistres, du conseil d'État, du sénat et du corps législatif.
Art. 4. La puissance législative s'exerce collectivement par le Président de la République, le sénat et le corps législatif.
TITRE m.
DU PRÉSIDENT DE LA BÉPUBLIQUE.
Art. 5. Le Président de la République est responsable devant le peuple français, auquel il a toujours le droit de faire appel.
Art. 6. Le Président de la République est le chef de TÉlat ; il com- mande les forces de terre et de mer, déclare la guerre , fait les traités de paix , d'alliance et de commerce , nomme à tous les emplois, fait les règlements et décrets nécessaires pour Pexécution des lois.
D*UN œUP D'ÉTAT. 4^6
Art. 7. La justice se rend en son nom.
Art. 8. 11 a seul Tinitiative des lois.
Art. 9. Il a le droit de faire grâce.
Art 10. 11 sanctionne et promulgue les lois et les sénatus-consuUes.
Art. 11. n présente, tous les ans, au sénat et au corps légifilatif, par un message , Tétat des affaires de la République.
Art. 12. 11 a le droit de déclarer Tétat de siège dans un ou plusieurs départements , sauf à en référer au sénat dans le plus bref délaL
Les conséquences de Tétat de siège sont réglées par la loi.
Art 13. Les ministres ne dépendent que du chef de TÉtat ; ils ne sont responsables que chacun en ce qui le concerne des actes du gouvernement ; il n'y a point de solidarité entre eux ; ils ne peuvent être mis en accusation que par le sénat.
Art. U. Les ministres, les membres du sénat, du corps législatif et du conseil d'État, les officiers de terre et de mer, les roagistrais et les fonctionnaires publics prêtent le serment ainsi conçu :
^ jure oléissance à la Constitution et fidélité au Présidentm
Art. 15. Un sénatus-consulte fixe la somme allouée annuellement au Président de la République pour toute la durée de ses fonctions.
Art. 16. Si le Président de la République meurt avant rexpiration de son mandat, le sénat convoque la nation pour procéder à une nouvelle élection.
Art. 17. Le chef de TÉtat a le droit, par un acte secret et déposé aux archives du sénat , de désigner au peuple le nom du citoyen qu'il recommande, dans Tintérèt de la France, à la confiance du peuple et à ses suffrages.
Art. 18. Jusqu^à Télection du nouveau Président de la République, le président du sénat gouverne avec le concours des ministres en Ibnctions, qui se forment en conseil de gouvernement, et déhbèrent à la majorité des voix.
TITRE IV.
DU SÉIUT.
Art. 19. Le nombre des sénateurs ne pourra excéder cent cinquante ; il est fixé pour la première année à quatre-vingts. Art 20. Le sénat se compose : 1* Des cardinaux, des maréchaux, des amiraux ;
436 HISTOIRE
T Des citoyens que le Président de la République juge conyenable d'élever à la dignité de sénateur Art. 21 . Les sénateurs sont inamovibles et à vie. Art. 22. Les fonctions de sénateurs sont gratuites ; néanmoins le Président de la République pourra accorder à des sénateurs, en rai- son de services rendus et de leur position de fortune, une dotation personnelle, qui ne pourra excéder trente mille francs par an.
Art. 23. Le président et les vice-présidents du sénat sont nommés par le Président de la République et cboisis parmi les sénateurs. Ils sont nommés pour un an.
Le traitement du président du sénat est fixé par un décret. Art 24. Le Président de la République convoque et proroge le sé- nat. Il fixe la durée de ses sessions par un décret. Les séances du sénat ne sont pas publiques. Art 25. Le sénat est le gardien du pacte fondamental et des liber- tés publiques. Aucune loi ne peut être promulguée avant de lui avoir été soumise. Art. 26. Le sénat s'oppose à la promulgation : i* Des lois qui seraient contraires ou qui porteraient atteinte à la Constitution, à la religion, à la morale, à la liberté des cultes, à U liberté individuelle, à Tégalité des citoyens devant la loi, à l'inviolabi- lité de la propriété et au principe de l'inamovibilité de la magistrature; 2® De celles qui pounaient compromettre la défense du territoire. Art. 27. Le sénat règle par un sénatus-consulte : 4° La Constitution des colonies et de l'Algérie ; 2° Tout ce qui n'a pas été prévu par la Constitution et qui est né- cessaire à sa marche ;
3*^ Le sens des articles de la Constitution qui donnent lieu à diffé- rentes interprétations.
Art. 28. Ces sénatus-consultes seront soumis à la sanction du Pré- sident de la République, et promulgués par lui.
Art. 29. Le sénat maintient ou annule tous les actes qui lui sont déférés comme inconstitutionnels par le gouvernement, ou dénoncés, pour la même cause , par les pétitions des citoyens.
Art. 30. Le sénat peut , dans un rapport adressé au Président de la République , poser les bases des projets de loi d'un grand intérêt national
D'UN œUP D'ÉTAT. 437
Art. 3i. Il peut également proposer des modifications à la Gonsti- tation. Si la proposition est adoptée par le pouvoir exécutif, il y est statué par un sénatus-consulte.
Art. 32. Néanmoins , sera soumis au sufirage universel toute mo- dification aux bases fondamentales de la Constitution , telles qu'elles ont été posées dans la proclamation du 2 décembre et adoptées par le peuple français.
Art. 33. En cas de dissolution du corps législatif, et jusqu'à une nouvelle convocation, le sénat, sur la proposition du Président de la République, pourvoit, par des mesures d'urgence, à tout ce qui est nécessaire à la marche du gouvernement.
TITRE V.
DU CORPS LÉGISLATIF.
Art. 34. L'élection a pour base la population.
Art. 35. 11 y aura un député au corps législatif à raison de trente- cinq mille électeurs.
Art. '36. Les députés sont élus par le suffrage universel, sans scrutin de liste.
Art. 37. Ils ne reçoivent aucun traitement.
Art. 38. Ils sont nommés pour six ans.
Art 39. Le corps législatif discute et vote^les projets de loi et Timp/it
Art 40. Tout amendement adopté par la commission charger: d'exa • miner un projet de oi sera renvoyé , sans discussion , au consiril d'Ëtat par le président du corps législatif. Si Tamendenient n'est pas adopté par le conseil d'État , il ne pourra pas être sriumis à la délibé- ration du corps législatif.
Art. 4i . Les sessions ordinaires du corps législatif durent troi» mois ; ses séances sont publiques; mais la demande de cinq membrei» suffit pour qu'il se forme en comité secret
Art 42. Le compte rendu des séances du corps législatif par les journaux ou tout autre moyen de publication ne consistera que dans la reproduction du procès-verbal, dressé à l'iMue de cba/|ue «léarKe par les soins du président du corps législatif.
Art 43. Le président et les vice-présidents du eorp^ Utriubdif mmi nommés par le Président de la République p^iur un an, iU v>rit cbc^-
JOè nSTOIRE
sis parmi les député». Le traiteHient du président du corps législatif est fixé par un décret.
Art. 44. Les ministres ne peuvent être membres du corps légis- latif.
Art 45. Le droit de pétition s'exerce auprès du sénat. Aucune pé- tition ne peut être adressée au corps législatif.
Art. 46. Le Président de la République convoque, ajourne, proroge et dissout le corps législatif. En cas de dissolution, le Président de la République doit en convoquer un nouveau dans le délai de six mois.
TITRE VI.
DU CONSEIL D^ÉTAT.
Art. 47. Le nombre des conseillers d'État en service ordinaire est de quarante à cinquante.
Art. 48. Les conseillers d'État sont nommés par le Président de la République, et révocables par lui.
Art. 49. Le conseil d'État est présidé par le Président de la Repu- blique, et, en son absence, par la personne qu'il désigne comme vice- président du conseil d'État.
Art. 50. Le conseil d'État est^cbargé, sous la direction du Président de la République, de rédiger les projets de loi et les règlements d'ad- ministration publique, et de résoudre les difficultés qui s'élèvent en matière d'administration.
Art. 51. H soutient, au nom du gouvernement, la discussion ; des projets de loi devant le sénat et le corps législatif.
Les conseillers d'Etat, chargés de porter la parole au nom du gou- vernement, sont désignes par le Président de la République.
Art. 52. Le traitement de chaque conseiller d'État est de 25,000 fr.
Art. 53. Les ministres ont rang, séance et voix délibérative au con- seil d'Etat.
TITRE VII.
DE LA HAUTE COUR DE JUSTICE.
' Art. 54. Une haute cour de justice juge, sans appel ni recours en cassation, toutes personnes qui auront été renvoyées devant elle
D'UN œUP DÏTAT. 19»
eonme préfeoDes de crimes, attentats oa complots coati>^ le Pivsh dent de la République ou contre la sûreté fntérieure oo exIérietiTv del*ÊtaU
Elle ne peut être saisie qu'en vertu d'un décret du Président de la République.
Art. 55. Un sénatus-consulte déterminera l'organisation de cette haute cour.
TITRE Mil.
DlSPOSmOIVS GÉflÉRALES ET TRATISrrOIRES.
Art 56. Les dispositions des codes, lois et règlements existants, qui ne sont pas contraires à la présente Constitution, restent en vigueur jusqu'à ce qu'il y soit légalement dérogé.
Art. 57. Une loi déterminera l'organisation municipale. Les maires seront nommés par le pouvoir exécutif, et pourront être pris hors du conseil municipal.
Art. 58. La présente Constitution sera en vigueur à dater du jour où les grands corps de TÉtat qu'elle organise seront constitués.
Les décrets rendus par le Président de la République, à partir du 2 décembre jusqu'à cette époque, auront force de loi.
Fait au palais des Tuileries, le i\ janvier 4852.
Louis-Napoléon Biinaparte. Vu et scellé du grand sceau :
Le garde des sceaux^ ministre de ia justice , E. ROI'IIER.
En exécution du litre VI de la Constitution, par dé- cret rendu le 23 janvier 1852; sont nommés membres du conseil d'État :
MM. Baroohe, ancien ministre , est nommé vico- président du con- eeil d'État. — Maillard, ancien conseiller d'Étal, est nommé président de la section du contentieux. — Rouher, ancien ministre, est nommé président de la section de législation , justice et affaires étrangères.— Delangle, ancien procureur général, est nommé président de la sec-
440 HISTOIRE
tion de Tintérieur, de Tinstruction publique et des cultes. — De Pa- rieu , ancien ministre , est nommé président de la section des finances. — Magne, ancien ministre, est nommé président de la section des travaux publics, de Tagriculture et du commerce. — Leblanc, vice- amiral , est nommé président de la section de la guerre et de la marine. Sont nommés conseillers d*État :
MM. Allard, général de brigade, membre du comité du génie. — Barbaroux , ^cien membre de TAssemblée législative. — Ferdinand Barrot , ancien ministre. — Quentin Baucbard , ancien membre de TAssemblée législative. — Boinvilliers, ancien membre de F Assemblée législatif. — Bonjean , ancien ministre , avocat général à la cour de cassation — Boudet , ancien conseiller d*Ëtat. - Boulatignier, ancien conseiller d'État. — Joseph Boulay (de la Meurthe) , ancien conseiller d'État. — Carlier, ancien préfet de police de Paris. — Charlemagne, ancien membre de TAssemblée législative. — Michel Chevalier, mem- bre de rinstitut. — Conti , directeur des affaires criminelles et des grâces au ministère de la justice. — Cornudet, ancien maître des re- quêtes au conseil d'État. — Cuvier, ancien conseiller d'État. — Dariste, ancien membre de l'Assemblée législative. — Denjoy, ancien membre de l'Assemblée législative. — Flandin, ancien membre de l'Assemblée législative. — Fremy, ancien membre de l'Assemblée législative. — Charles Giraud, ancien ministre. — Godelle, ancien membre de l'As- semblée législative. — Hermann , ancien conseiller d'État. — Janvier, ancien conseiller d'ÉUt. — Lacaze, ancien membre de l'Assemblée législative. — Armand Lefèvre , ministre plénipotentiaire de France à Berlin. — Leroy de Saint- Arnaud , avocat, maire du 12* arrondisse- uie.nt. — Marchand , ancien conseiller d'État. — Stourm , ancien conseiller d'État. — Suin , avocat général à la cour d'appel de Paris.
— De Thorigny , ancien ministre. — Villemain , intendant militaire.
— Vuillefroy, ancien conseiller d'État. — Vuitry, sous-secrétaire d'État au ministère des finances. — Waïsse , ancien ministre.
Sont nommés maîtres des requêtes de première classe :
MM. Blanche, ancien secrétaire général du ministère de l'intérieur.
— Bréhier, ancien membre de l'Assemblée législative. — Léon de Bussière , ancien maître des requêtes , Chadenet , ancien membre de l'Assemblée législative. — Chassaigne-Goyon t ancien membre de
irO OOCP VETAT. 4lt
rAsenblêe lésislatrre. — Chassériaa , hislortoçnphe de lu
— Dabcaiii , ancien membre de F Assemblée lé^islathe.— tomartroy, ancien maître des requêtes. — De Forcade, avocat à la coor d'ap^l de Paris. ~ Gaic, ancien membre de rAssemMée lêfislati^. — Ga»- kode, ancien membre de FAssemMée législatiire. — GomeK ancien maître des requêtes. — Lestiboodois , ancien membre de FAssemblée législatÎTe. — Loyer, ancien mnnbre de FAssemblée léfislatite. — Maigne , ancien maître des requêtes. — Moolaod , ancien maître des requêtes. — Ernest de Padooe , préfet do département de Seine-el- Oise. — Pascalis , ancien maître des requêtes. — Rerercbon, ancien maître des requêtes Amédée Thiernr, ancien maître des requêtes.
Sont nommés maîtres des requêtes de deuxième classe ;
MM. d^Argout, ancien raaître des requêtes en serrice extraordinaire. " Aubemon, ancien auditeur. — Bataille, ancien membre de FAs- semblée législative. — De Bemon, ancien auditeur. — De Chassiron, ancien attaché d^ambassade. — Daveme, ancien maître des requêtes.
— Du Bertier, ancien maître des requêtes en senrice extraordinaire.
— Dubois, ancien maître des requêtes. — François, ancien maître des requêtes. — Gavini, ancien membre de FAssemblée législative. — Gou- pil, ancien maître des re«|uétes. — Jahan, ancien cbef du cabinet du ministre des travaux publics. — Paul de Maupas, procureur de la République à Nt^urcbàlel. — De Montesquiou, anci« n auditi-ur. — Pages, ancien maître des requête. — Ernest Portalis, ancien auditeur.
— Redon, ancien maître des requêtes. — Richaud, ancien maître «Vs requêtes en senrice extraordinaire. — Anatole de Scgur, ancien prc- fet — Vuillermet, ancien maître des requêtes.
Sont nommés auditeurs de première class*? :
MM. de Bosredon, ancien auditeur au conseil d'État. — Cardon de Sandrans, avocat à la cour d'appel de Paris. — De Cisabianca, an- cien chef de cabinet du ministre des finances. — Farê, ancien audi» tenr au conseil d'État. — Fouquier, conseiller de préfecture de FAisne.
— De Garel, attaché au ministère de Fintérieur. — Hudault, substitut du procureurde la Républiques Mantes.— LéopoldLehon, ancien chef de cabinet du ministre de Fintérieur. — Lemarie, ancien auditeur au eonseil d'État— Leviez, ancien auditeur au conseil d'État— Lhopital» ancien auditeur au conseil d'État. — Marbeau, ancieii auditeur au conseil d'État. — Majnard fils, avocat à la cour d'appel de Paris. —
M2 jWPfMRB
Mcmton-Duveroay, ancien auditeur au conseil d'État. — Robert, an- cien auditeur au conseil d'Etat. — Sers, ancien auditeur au conseil d'État. Sont nommés auditeurs de deuxième classe z MM. Aucoc, Bartholoni, de Belbeuf, BoinyiUiers fila, deOiamblain, Cottin, Desmichels, Dufau, Guemon-Ranyille, Lechanteur, Leroy, de Narcillac, Pons de Rempont, Pontalès (Antonio), Vieyra. Fait au palais des Tuileries, le ^ janvier 1852.
Louis-Napoléon Bohafarte. Par le Président:
L$ minière d'Btat,^
X. DE Casabiahga.
Conformément au titre lY de la Constitution, parait le décret du 26 janvier i 852, qui nomme les membres du sénat. Ceux qui sont désignés par l'article 20 de la Constitution ne sont pas portés dans cette liste. Ce sont les maréchaux, les amiraux et les cardinaux qui font, de droit, partie du sénat :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.
Louis-Napoixon, Président de la République, Décrète :
MM. le général de division Achard, ancien membre de T Assemblée législative. — Le comte d'Argout, ancien ministre des finances, gou- verneur de la banque de France. — Le marquis d'Audiffret, président à la Cour des comptes. — Le général de division de Bar, ancien membre de TAssemblée législative. — Le général de division Bara- guey-d*Hilliers, ancien ambassadeur, ancien membre de TAssemblée législative. — De Beaumont (de la Somme), ancien membre de l'As- semblée législative. — Le prince de Beauvau, ancien pair de France. — Le marquis de Belbeuf, ancien premier président de la cour d'ap- pel de Lyon. — Charles Berthier, prince de Wagram. — Boulay (da la Meurtbe), ancien vice-président de la République. — Le comte de Breteuil, ancien pair de France. — De Cambacérès aîné, ancien pair
D'UN COUP D'ÉTAT.
de France. — Le corale de ùtbtcllane, général en chef de l'armée de Ljon. — Le vice-amiral Casj, membre du conseil d'amirauté. — I>e comte de Caumont-Laforce. — François Clary. — Le niarquit* de CroL — Le baron de Crouseilhes, ancien ministre de rinstruclion publique, ancien membre de l'Assemblée législative. — Le comte Cuiial, ancien membre de l'Assemblée législative. — Drouyn de l'Huys, ancien ministre des affaires clraiigèreii, ancien membre àa- l'Asserablée législative. — Dumas, ancien ministre de l'agriculture et du commerce, membre de l'inslitut. — Charles Dupin. membre de riiistitut, ancien membre de l'Assemblée législative, — Ëlie de Beau- mont, membre de l'Iiistilul. — Achille Fould, ancien ministre des fi- nances, ancien membre de l'Assemblée législative. — Fouquel d'Hé- rauel , ancien membre de l'Assemblée législative. — Le baron d* Fourment, ancien membre de l'Assemblée législative. — Gautier, an- cien minbtre des linances, régent de la banque de France. — L» cnmle Ernest de Girardin, ancien membre de l'Assemblée législative.
— Goulhot de Saint-Germain, ancien membre de l'Assemblée législa- tive. — Le marquis de laGrange (Gironde), ancien membre de l'A»- flemblée législative. — Le général de division comte d'Baulpoul, «a- cit-'D minisire de la guérie, ancien membre de l'Assemblée législative*
— Le vice-amiral Hugon. — Le général Hussoji, ancien membre di l'Assemblée législative. — Lacrossc, ancien ministre des travaux pur blics, ancien membre del'Asaemblée législative. — De Ladoucetle, an» cien membre de l'Assemblée législative. — Le général de division la HitU', ancien niiuislre des affaires étrangères, président du comité d'artillerie. — Le comte de Lariboîssière, aiiiien membre du l'Assem- blée législative. — Le général de division comte de Lawœstine, com- mandant de la garde nationale de Paris. — Lebeur, régent de 1& banque de France, ancien membre de l'Assemblée législative. — Le- marrois, ancien membre de l'Assemblée législative. — Le comte Louis Lemercicr, ancien pair de France. — Le général île divisioj) Lnaj de Saint-Arnaud , ministre de la guerre. — Leverricr, membre de llnetitut, ancien membre de l'Assemblée législative. — Leiai de Mar- iMiia, ancien pair de France. — Le général de division Blagnan, g(~. Itérai en cher de l'armée de Paris. — Hnnuel {ia la Nièvre), aoeioi' membre de l'Assemblée législative. — Marchant (du Nord), ancieil membre de l'Assemblée législative. — Meynard , président à la cour
4
L.
Mouton-Duvernay, ancien auditeur au conseil d'État. — Robert, an- cien auditeur au conseil d'Etat. — - Sers, ancien auditeur au conseU d'É^t.
Sont nommés auditeurs de deuxième classe z
MM. Aucoc, Barthoionifde Belbeuf, BoinyiUiers fils, deChamblain, Cottin ^ Desmichels , Dufau, Guernon-Ranville, Lechanteur, Leroy, de Narcillac, Pons de Rempont, Pontalès (Antonin), Vieyra.
Fait au palais des Tuileries, le ^ janvier 1852.
Louis-Napoléon Bohafabte. Par le Président:
X. DE CAftABIAlIGA.
Conformément au litre lY de la Constitution, paiait le décret du 26 janvier i 852, qui nomme les membres du sénat. Ceux qui sont désignés par Tarticle 20 de la Constitution ne sont pas portés dans cette liste. Ce sont les maréchaux, les amiraux et les cardinaux qui font, de droit, partie du sénat :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.
Louis-NAPOii:oN, Président de la République, Décrète :
MM. le général de division Achard, ancien membre de TAssemblée législative. — Le comte d'Argout, ancien ministre des finances, gou- verneur de la banque de France. — Le marquis d'Audiffret, président à la Cour de^ comptes. — Le général de division de Bar, ancien membre de l'Assemblée législative. — Le général de division Bara- guey-d'Hilliers, ancien ambassadeur, ancien membre de l'Assemblée législative. — De Beaumont (de la Somme), ancien membre de l'As- semblée législative. — Le prince de Beauvau, ancien pair de France» — Le marquis de Belbeuf, ancien premier président de la cour d'ap- pel de Lyon. — Charles Berthier, prince de Wagram. — BouLay (da la Meurtbe), ancien vice-président de la République. — Le comte de Breteuil, ancien pair de France. — De Cambacérès aine, ancien pair
D'UN COUP D'ÉTAT.
^^H
de France — Le cumte de Castellane, ^aéral en cheT de Tarmëe de Ljon. — Le vice-amiral Casj, membre du conseil d'amirauté. — Le comle de Cau mont-La rurce. — François Claiy. — Le luaniuis de Croî. — Le baron de Crouseilhes, ancien ministre de l'instruction publique, ancien membre de l'Assemblée législative. — Le comte Cuiial, ancien membre de l'Assemblée législative. — Drou;n de l'Huys, ancien minisire des alTaires étrangères, ancien membre de t' Assemblée législative. — Dumas, ancien ministre de Tagriculturc et du commerce, membre de l'Institut. — Charles Dupin. membre da l'Institut, ancien luembre de l'Assemblée législative. — Elle de Beao- mont, membre de l'Iiiatilut. — AcbiUe Fould, ancien ministre des &- nances, ancien membre de l'Assemblée législative. — Fouqucl d'Hé- rouel , ancien membre de l'Assemblée législative. — Le baron d» Fourment, ancien membre de l'Assemblée législative. — Gautier, an- cien ministre des fiuauces, régent de la banque de France. — La comle Ernest deGirardin, ancien membre de l'Assemblée législative.
— Goulbot de Saint-Germain, ancien membre de l'Assamblée législa- tive. — Le marquis de laGrange (Gironde), ancien membre de l'Afr- Kmblée législative. — Le général de division comte d'Hautpoul, an- cien ministre de la guérie, ancien membre de l'Assemblée législative.
— Le vice-amiral Hugon. — Le général Kusson, ancien membre d» TAssemblée législative. — Lacrosse, ancien minislre des travaux pu- blics, ancien membre de l'Assemblée législative. — De LaduuceUe, an- cien membre de l'Assemblée législative. — Le général de division la Hiltc, ancien ministre des affaires étrangères, président du comité d'artillerie. — Le comte de Lariboissière, ancien membre de l'Assem- blée législative. — Le général de division comte de Lawcestine, com- mandant de la garde nationale de Paris. — Lebeur, régent de la banque de France, ancien membre de l'Assemblée législative. .— Le- narrois, ancien membre de l'Assemblée législative. — Le comte Louis Lemercier, ancien pair de France. — Le général de division Leroy de Saint-Arnaud, ministre de la guerre. — Leverricr, membre de nnslitut, ancien membre de l'Assemblée législative. — Lciai de Mar-
1, ancien pair de France. — Le général de division Magnan, gé- Didral en chef de l'armée de Paris. — Manuel \ie la ^U£vre). aocioi. membre de l'Assemblée législative. — Marchant (du Nord), ancien membre de l'Assemblée législative. — Meynard, président à la cour
U2 il^nSMRB
Mouton-Duvernay, ancien auditeur au conseil d'État. — Robert, an- cien auditeur au conseil d'Etat. — Sers, ancien auditeur au cooseU d'Ë^t.
Sont nommés auditeurs de deuxième classe i
MM. Aucoc, Bf^rtholoni,de Belbeuf, BoinviUiers fils, deChamblain, Cottin ^ Desmichels , Dufau, Guemon-Ranville, Lechanteur, Leroy^ de Narcillac, Pons de Rempont, Pontalès (Antonin), Vieyra.
Fait au palais des Tuileries, le ^ janvier 1852.
Louis-Napoléon Bohafabte. Par le Président:
X. DE CAftABUnCA.
Conformément au litre lY de la Constitution, paiait le décret du 26 janvier \ 852, qui nomma les membres du sénat. Ceux qui sont désignés par Tarticle 20 de la Constitution ne sont pas portés dans cette liste. Ce sont les maréchaux, les amiraux et les cardinaux qui font, de droit, partie du sénat :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.
Louis-NAPOii:oN, Président de la République, Décrète :
MM. le général de division Achard, ancien membre de TAssemblée législative. — Le comte d'Argout, ancien ministre des finances, gou- verneur de la banque de France. — Le marquis d'Audiffret, président à la Cour des comptes. — Le général de division de Bar, ancien membre de l'Assemblée législative. — Le général de division Bara- guey-d'Hilliers, ancien ambassadeur, ancien membre de TAssemblée législative. — De Beaumont (de la Somme), ancien membre de TAs- semblée législative. — Le prince de Beauvau, ancien pair de France. — Le marquis de Belbeuf, ancien premier président de la cour d'ap- pel de Lyon. — Cbarles Berthier, prince de Wagram. — BouLay (da la Meurtbe), ancien vice-président de la République. — Le comte de Breteuil, ancien pair de France. — De Cambacérès aîné, ancien pair
D*UN GOI]P I^AT. 443
de France. — Le comte de Castellane, général en chef de Tarmée de Lyon. — Le \ice-amiral Casy, membre du conseil d*amirauté. — Le comte de Caumont-Laforce. — François Clary. — Le marquis de Groî. — Le baron de Crouseilhes, ancien ministre de l'instniction publique, ancien membre de TAssemblée législative. — Le comle Curial, ancien membre de l'Assemblée législative. — Drouyn de THuys, ancien ministre des affaires étrangères, ancien membre de TAssemblée législative. — Dumas, ancien ministre de ragricuUurc et du commerce, membre de Tlnstitut. — Charles Dupin, membre de rinstitut, ancien membre de l'Assemblée législative. — Elie de Beau- mont, membre de Tlnstitut. — Achille Fould, ancien ministre des fi^ nances, ancien membre de TAssemblée législative. — Fouquet d*Hé- rouel , ancien membre de TAssemblée législative. — Le baron dé Fourment, ancien membre de l'Assemblée législative. — Gautier, an- cien ministre des Cuances, régent de la banque de France. — Le comte Ernest de Girardin, ancien membre de l'Assemblée législative.
— Goulhot de Saint-Germain, ancien membre de TAssemblée législa- tive. — Le marquis de la Grange (Gironde), ancien membre de l'Aa* semblée législative. — Le général de division comte d'Hautpoul, an- cien ministre de la guerre, ancien membre de l'Assemblée législative.
— Le vice-amiral Hugon. — Le général Husson, ancien membre de l'Assemblée législative. — Lacrosse, ancien ministre des travaux pu- blics, ancien membre de l'Assemblée législative. — De Ladoucette^ an- cien membre de l'Assemblée législative. — Le général de division la Hittc, ancien ministre des affaires étrangères, président du comité d'artillerie. — Le comte de Lariboissière, ancien membre de l'Assem- blée législative. — Le général de division comte de Lav^œstine, com- mandant de la garde nationale de Paris. — Lebeuf, régent de la banque de France, ancien membre de l'Assemblée législative. — Le- marrois, ancien membre de l'Assemblée législative. — Le comte Louis Lemercier, ancien pair de France. — Le général de division Leroy de SaintrArnaud , ministre de la guerre. — Leverrier, membre de linetitut, ancien membre de TAssemblée législative. — Lezai de Mar- Qiiia, Étiden pair de France. -» Le général de division Magnan, gé- iléral en chef de l'armée de Paris. — Manuel (ds la Nièvre), aocioi membre de l'Assemblée législative. — Marchant (du Nord), anciea membre de l'Assemblée législative. — Meynard , préatident à la cour
■y
444 HISTOIRE '
de cassation. — Mimerel, ancien membre de TAssemblée législative. *> Le prince de la Moskowa, ancien membre de rassemblée législa» tiye. — Le prince Lucien Murât, ancien membre de l'Assemblée lé- gislative. ^ Le général de division Ordener. — Le général de divi- sion comte d'Ornano, ancien membre de l'Assemblée législative. — Le général de division duc de Padoue, ancien membre de TAssemblée législative. — Le vice-amiral Parceval-Descbônes. — Le général de division Pelet, ancien membre de l'Assemblée législative. — Le duc de Plaisance, ancien pair de France. — Poinsot, membre de Tlnsti- tut. — Le marquis de Pontis, ancien pair de France. — Le comte Portalis; premier président à la cour de cassation. — Le général de division comte de PrévaL — Le général de division Regnault de Saint-Jean-d'Angély, ancien ministre de la guerre, ancien membre de TAssemblée législative. — Le général de division duc de Saint-Si- mon, ancien pair de France. — Sapey, ancien député, ancien con- seiller-maitre à la Cour des comptes. ^ Le général de division comte de Schramm, ancien ministre de la guerre, président du comité d'in- fanterie. — De Ségur d'Aguesseau , ancien ninmbre de l'Assemblée législative. — Le comte Siméon, ancien membre de l'Assemblée légis- lative. — Amédée Thayer, membre de la commission municipale de la Seine. — Thi bandeau, ancien conseiller d'Etat de l'Empire. — Tro- plong, premier président de la cour d'appel de Paris. — Le duc de Vicence. — Vieillard, ancien membre de rAsscmblée législative :
Sont nommés membres du Sénat.
Fait au palais des Tuileries, le 26 janvier i852.
Louis-Napoléon Bonaparte. Par le Président :
Le ministre cTÉtat,
X. DE Casabianca.
Notre tâche est terminée. L'auteur de Tintroduction, chargé aussi de la conclusion, va dire les conséquences politiques de l'acte du 2 décembre. Nous avons dû, quant à nous , nous borner au récit des faits, tels qu'ils se sont offerts d'eux-mêmes.
• SINJN œUP D'ÉTAT. 445
Ces faits sont un grand enseignement; Dieu fasse qu'il serve à notre patrie, elle doit être lasse de révolu- tions; toutes lui ont coûté bien cher. Aujourd'hui, que nous avons constitué un pouvoir sur la base la plus large qu^aiteue jamais pouvoir en ce monde, abri» tons-nous sous sa main protectrice, fermons l'ère des agitations politiques, des expériences gouvernemen- tales.
Le peuple doit savoir à présent, que ce ne sont point les faiseurs d'émeutes et de barricades qui créent des institutions. Le progrès naît de Tamélioration morale des hommes. Personne n'est assez fort en ce monde, pour empêcher un peuple de conquérir un progrès dont il est digne, pour lequel il est mûr; mais il dépend de ce peuple d'en reculer l' avènement. S'il comprend mal l'idée de liberté, s'il veut la licence, s'il prend le fusil au lieu du bulletin , il fait reculer le progrès. La liberté veut l'autorité, autrement elle devient la licence ; elle va à l'anarchie, et l'anarchie, c'est la barbarie. Un peuple doit respecter ceux qui le gouvernent, et croire que ce n'est point par la violence qu'il peut rendre meilleures les institutions et les lois; c'est en se rendant meilleur lui-même; car les lois finissent tou- jours par être l'expression des mœurs et de l'étal actuel des nations. Une nation éclairée comme la nôtre, ne doit viser qu'à faire des révolutions pacifiques, et pour cela, il faut qu'elle sache bien que le progrès ne vient pas brusquement, mais qu'il s'opère d'une façon calme et presque insensible.
446 HISTOIRE D'UN COUP VtTAT.
Il monte dans rhumanité comme la sève dans les rameaux des arbres; il a horreur des secousses et des agitations violentes. Les révolutions par la force ne servent qu'à quelques ambitieux , et presque toujours les peuples en sont victimes. Bien rarement on voit , comme aujourd'hui, celui qui demeure mattre de la puissance 9 la déposer aux pieds de la nation , et faire appel, pour gouverner, à la seule, à la vraie légitimité, à l'élection , qui est, ainsi que le disaient les juriscon- sultes de notre vieille monarchie , le canal choisi par Dieu pour exprimer sa volonté aux princes et aux peuples.
CONCLUSION.
Un iounense événement, un grand fait s'était pro- duit. Après des révolutions successives, venant d*en bas pour détruire, une révolution venant d'en haut pour fonder, s'était accomplie. On était enfin rentré dans les traditions nationales de la France, où rien de vaste et de grand, de profond et de durable, ne s'est établi en dehors de l'action du Pouvoir, qui, pendant les huit siècles de la monarchie capétienne , a constanh- ment marché à la tète du mouvement des idées , ayant l'initiative de toutes les réformes, et se servant, pour pousser l'Humanité en avant, dans la voie de la civilisation, de la puissance du principe d'autorité. Louis*Napoléon reprenait la tâche inachevée de Louis le Qros, de Philippe -Auguste, de Saint- Louis, de Louis XI, de François P', d'Henri IV, de Louis XII et
448 CONaUSlON.
de Louis XIY, au point où TEmpereur Tavait continuée et où la Restauration l'avait interrompue. Il la repre- nait au nom d'intérêts plus universels et d'idées plus larges, ou plutôt il la reprenait à un moment où elle se rapprochait davantage du but suprême vers lequel Dieu conduit la France, à l'aide d'instruments divers et à travers des routes différentes. Il venait déblayer le sol du présent des dernières ruines du passé qui le jon- chaient encore, et, sur ce sol, il allait élever les fon- dements de l'avenir.
Ainsi, à l'instar des deux grands Empereurs, des deux puissants génies qui, à dix siècles d'intervalle, ont rempli l'Europe de l'éclat de leur gloire, du bruit de de leur nom et de la splendeur de leur puissance, Louis- Napoléon apparaissait sur la scène du monde, ayant au front l'étoile des organisateurs et des fondateurs de sociétés. Il devait donc agir et procéder comme ont agi et procédé Charlemagne et Bonaparte, concentrant en- tre leurs mains toute la force du Pouvoir ; car c'est seu- lement à l'aide de celte concentration qu'il peut ac- complir, à leur exemple, sa mission réformatrice et civilisatrice. L'unité dans le gouvernement a toujours précédé et préparé les règnes féconds, qui ont laissé des traces dans le monde et influé sur les destins de l'Hu- manité. C'est la Constitution nouvelle qui seule pouvait être le palladium de celte unité. La première pensée de Louis-Napoléon a donc dû s'arrêter sur cette Constitu- tion, qui allait être le fondement de l'édifice qu'il ^tait appelé à construire.
Deux grands principes, celui de liberté et celui d'au- torité, se partagent l'empire du monde, depuis qu'il existe sur la terre des groupes d'hommes qui se for- ment en société ; ces deiis principes, qui n'ont jamais cessé de se combattre, et qui triomphent tour à tour dans cete lutte éternelle des idées, s'incarnent, l'un dans la doctrine d'examen, l'autre dans la doctrine d'obéissance. De même que chaque arbre porte ses fruits, ils ont l'un et l'autre leurs conséquences forcées et naturelles, logiques et légitimes. La doctrine d'exa- men enfante l'esprit de révolte, qui bouleverse et révo- lutionne. Avec elle, on renverse. La doctrine d'obéis- sance produit l'esprit de discipline, qui hiérarchise cl organise. Avec elle, on édifie.
Une Constitution appartient toujours, radicalement, à l'une ou à l'autre de ces deux doctrines. Laquelle de- vait vivifier de son esprit, animer de son souffle la Con- stitution nouvelle? Entre la doctrine d'examen et la doctrine d'obéissance, Louis-Napoléon, qui venait construire, ne pouvait pas balancer, et, pour se déci- der en faveur de la seconde contre la première, il n'a- vait qu'à méditer sur l'histoire des Constitutions poli- tiques de la France, de 17S9 à 1851 , pour trouver dans cette étude des inspirations salutaires et des en- seignemenls suprêmes.
Cette histoire ne devait-elle pas apprendre au neveu de l'Empereur que toutes les fois que le principe d'au- torité n'a pas dominé dans la Constitution du pays et dans l'organisation du Pouvoir, de toute la hauteur de
A50 CONCLUSION.
sa foroe et de sa puissance , le Gouvemement a vécu dans la lutte pour mourir par une réirolution ! C'est ce qu'il est facile de démontrer en examinant dans leurs causes et dans leurs^ effets les différentes Constitutions qui se sont succédé depuis soixante ans dans notre pays, trop souvent et trop cruellement éprouvé par de vastes catastrophes et de sanglantes insurrections. Il n'est personne qui ne sache qu'elles sont devenues très-nombreuses en moins d'un siècle. Mais quel en était l'esprit, quel en était le caractère? c'est ce que généralement on ignore. Pourquoi les unes ont-elles fatalement abouti à une révolution par un chemin semé de troubles et d agitation? Pourquoi les autres ont-elles logiquement donné le calme, le repos, l'or- dre, la prospérité? C'est ce qu'on ne sait pas assez peut-être.
La Constitution de 1791 est la première Constitution que la France ait possédée. Mais il faut convenir que ce coup d'essai n'a pas été un coup de maître. Quand on entre dans les profondeurs de cette œuvre fatale, inspi- rée par un esprit funeste, on s'explique aisément qu'elle n'ait pu résister au bélier révolutionnaire, car, à cha- que ligne s'y révèle l'ignorance la plus complète des lois auquelles obéit invariablement la nature humaine, et des notions les plus élémentaires de la science poli- tique. La Constituante de 1789 s'y était cependant re- prise à plusieurs fois, pour faire et parfaire la Constitu- tion de 1791 , vraie robe de Déjanire, dont elle avait revêtu la monarchie capétienne.
OâNCLUSION. 431
Cette Constitution n'est pas sortie tout d'un bloc des délibérations de la Constituante; elle s'est successive* ment complétée, décret par décret, du mois de septem- bre 1789 au mois de septembre 1791, époque de sa promulgation solennelle. Mais le temps qu'elle avait mis à naitre ne l'avait pas rendue plus viable ; son existence devait moins durer que son enfantement. La Constitu- tion de 1791 déléguait le pouvoir législatif à une as- sembtée unique, permanente y indissoluble, qui avait exclusivement le droit de proposer et de décréter les lois. Il y avait là tout ce qu'il fallait d'éléments incen- diaires pour mettre le feu aux quatre coins de la Frwce, produire dix révolutions et renverser dix gou- i(irnements, couvrir le sol de cendres et de ruines, faire ^ QBUler des torrents de sang et tomber des milliers de t^tes.
Les Anglais et les Américains, qui connaissent la tendance naturelle des Assemblées politiques au despo- tisme, ont cherché contre leur tyrannie des garanties dans la division du Pouvoir législatif entre deux Cham- bres. Us se sont bien gardés de concentrer dans une seule la force que tout corps délibérant tire naturelle- ment de sa collectivité. Ils savaient trop, pour tomber dans une aussi profonde méprise, combien les Assem- blées politiques sont facilement entraînées à abuser de cette force.
Les Constituants de 1789, si servilement copiés dans lews erreurs par les Constituants de 1848, ne se sont pas contantes de méconnaître cette loi fondamentale
482 GONaUSION.
de Tart du gouvernement des hommes. Après avoir in- vesti une Assemblée unique du Pouvoir législatif, ils ont encore fait cette Assemblée permanente et indisso- lubie, la plaçant ainsi, à dessein, tout à fait en dehors de l'action du Chef de l'Ëtat.
Assise sur de pareilles bases, une Assemblée délibé- rante est comme une locomotive lancée à toute vapeur. Il faut qu'elle éclate ou qu'elle arrive , et tout ce qui ne s*écarte pas de son chemin, ne peut qu'être broyé comme un grain de sable. G)rament ne viserait-elle pas à la domination exclusive , lorsqu'elle ne sent de contre-poids d'aucune nature, lorsqu'elle ne voit de barrière d'aucune sorte, et qu'elle ne répond de ses «c- tes que devant l'Histoire et devant Dieu! Le frein le plus puissant contre les abus de pouvoir et les actes de* tyrannie, c'est celui de la responsabilité personnelle. La responsabilité n'est efficace que lorsqu'elle est in- dividuelle. Celle des corps délibérants n'est que collec- tive; c'est ce qui fait qu'elle n'existe pas.
La Constitution de 1791 déléguait le Pouvoir exé- cutif au Roi. Mais étranglé dans sa base, découronné de ses plus précieuses prérogatives, annulé dans son action, ce Pouvoir n'avait aucun des éléments de force et de vitalité qui devaient le rendre fécond. Sans ini- tiative pour les lois, qu'il n'avait pas la faculté de pro- poser ; sans autorité sur l'armée, soustraite à son com- mandement; sans influence sur les fonctionnaires enlevés à son choix; sans droit contre l'Assemblée, qu'il n'avait pas la faculté de dissoudre, le Roi ne pouvait
CONCLUSION. 453
rien, ni pour se défendre ni pour défendre Tordre, la liberté, le pays, la société, la civilisation, contre les éga- rements du Corps législatif , qui pouvait tout impuné- ment contre la Royauté.
On sait quels furent les déplorables résultats de cet esprit de jalousie du Pouvoir législatif contre le Pouvoir exécutif, dont la Constitution de 1791 était imprégnée, et qui avait passé , trait pour trait , dans la Constitu- tion de 1848, exactement calquée sur elle. Le 29 sep- tembre, l'Assemblée constituante résignait ses pouvoirs, en déclarant que sa mission était terminée. Le t*' oc- tobre , l'Assemblée législative se réunissait en vertu de h Constitution qui devait être promulguée. Le Pouvoir atif et le Pouvoir exécutif, organisés par cette Gomtitution , se trouvaient enfin face à face. Ce fut ^JMmiédiatement , entre ces deux Pouvoirs, une lutte sidurde, profonde, implacable, terrible : lutte qui était aussi inévitable qu'il est inévitable que la nuit succède au jour, et que le jour succède à la nuit.
Là où il y a égalité, il y a fatalement rivalité ; là où il y a rivalité, il y a nécessairement guerre. Cela tient aux lois éternelles du cœur humain , dont les ressorts d[>éissent à l'inexorable logique des passions , sans que la différence des temps ni des lieux puisse rien changer à leur jeu, qui est partout et toujours le même. L'es- prit de domination, naturel aux corps délibérants, entraîna bientôt l'Assemblée législative sur la pente irrésistible de l'usurpation. Le Pouvoir royal s'effaça complètement devant l'action absorbante et envahis-
454 CONCLUSION.
santé du Pouvoir parlementaire. Décapité politiquement par la Constitution, avant d'être guillotiné par le bour- reau , Louis XYI fut successivement arrêté , suspendu y emprisonné, au mépris de cette Constitution qui le déclarait inviolable.
Puis, l'Assemblée législative appela une Convention nationale, qui abolit la^ Royauté,' et qui assassina le Roi , en livrant la France au régime de la Terreur ; et, au règne de cette Convention nationale , qui était sou- veraine en droit et en fait , correspondit la plus épou- vantable époque de notre histoire. Quelle tyrannie fut jamais plus monstrueuse que la tyrannie irresponsable de cette Assemblée ! La dictature de Marins et de Sylla coûta certes beaucoup moins de sang à la République romaine, que la dictature de la Convention nationale, décrétant le Gouvernement révolutionnaire , concentré au sein du Comité de salut public , n'en fit répandre sur le sol français. Un Marius même a une responsa- bilité qui le retient ; les membres d'une Assemblée po- litique n'en ont pas; rien ne les contient.
C'est en i 792 que la Convention nationale a usurpé tous les pouvoirs, en réunissant entre ses mains la puissance législative et la puissance executive. Un dé- cret du 10 août rendu par l'Assemblée législative, qui allait mourir, avait d'abord prononcé la suspension du Roi. Un décret du 21 septembre, promulgué par la Convention nationale, le jour même de sa réunion, prononça l'abolition de la Royauté. Le 24 juin 1793, la Convention nationale promulguait une Constitution
CONaUSlON. 455
nouvelle y qu'elle envoyait à Tacceptatioa du Peuple français^ précédée de la guillotine et suivie du bourreau.
Une Constitution si puissamment apostillée ne pouvait manquer d'être librement et volontairement adoptée. Cependant, quoique les assemblées primaires eussent été convoquées et se fussent réunies sous l'em- pire de la Terreur, la Constitution de 1 793 n'a réuni que 1,801,918 suffrages, tant il est vrai que la sym- pathie , et non la peur, peut seule entraîner la nation française, el que jamais on obtiendra d'elle, par la violence, ce qu'elle accorde avec élan dans son en- thousiasme.
Mais cette Constitution était à peine acceptée, que la Convention nationale, jetant enfin le masque, trouva que, si légère qu'elle fut , cette trame, à travers laquelle son despotisme pouvait cependant passer à l'aise, était encore trop gênante. Elle se proclama, sans plus de fa- çon, au-dessus de toutes les lois humaines et de toutes les lois divines , en abolissant la Constitution qu'elle- même avait faite. Constitution impossible d'ailleurs, qui n'avait d'autre mérite que celui d'exagérer et d'outrer à l'excès les vices de celle de 1791.
Ainsi ces hommes, que les démagogues de notre temps qualifient de martyrs, de saints et de héros , ces hommes, auxquels les socialistes de nos jours dressent des statues et font des apothéoses dans eurs livres et dans leurs discours ; ces hommes, enfin, que les mo-^ dernes révolutionnaires adoptent comme les modèles de leur vie poUlique, ont donné le premier exemple
4ft6 GONaUSlON.
d'une Constitution déchirée par la force. Les maîtres nous ont appris d'avance ce qu'auraient été les dis^ cipleSy si les disciples avaient eu le pouvoir des maî- tres. Les Montagnards d'aujourd'hui, si on les eût laisses agir, se seraient fait un point d'honneur d'imiter en tout les Montagnards d'autrefois; et la Gonstitulion de 1848, sur les lambeaux de laquelle ils ont affecté de pleurer, aurait subi avec eux le sort de la Constitution de 1793. Elle aurait violemment disparu. Seulement elle aurait disparu au profit de la Démagogie et du So* cialisme , au profit de la spoliation universelle et de la proscription générale.
Le règne sans limite et sans frein de la Convention nationale fut officiellement décrété le 10 octobre 1793, sous le nom de. Gouvernement provisoire et révolu- tionnaire. On sait ce que fut ce gouvernement d'une Assemblée souveraine, qui était moins une réunion d'hommes qu'une ménagerie de bêtes féroces ; de cette Assemblée qui réunissait dans son sein Robespierre et Couthon, CoUol-d'Herbois elFouquier-Tinville, Legen- dre et Marat. Ce fut quelque chose de plus sanglant et de plus monstrueux que le règne même des Claude et (les Néron, des Héliogabale et des Caligula de la Rome des Empereurs. Jetons un voile sur ces tristes pages ds notre histoire, et passons en gémissant sur ces mal* heurs de la patrie et sur ces misères de Thumanité» pour arriver à la Constitution du 22 août 1795, qui suivit la journée du 9 Thermidor, journée d'oîi sortit le Gouvejrnemeiil du Directoire. Cette Constitution,
COWXUSÏON. 457
qui fut proclamée le 23 septembre de la même année, fut acceptée par 1,107,367 suffrages.
La Constitution de 1795 sépara de nouveau la puis- sance législative et la puissance executive. Elle fit plus, elle divisa le Corps législatif en deux chambres. Il y eut le Conseil des Anciens, où Ton n'entrait qu'à Tàge de quarante ans ; et le Conseil des Cinq-Cents, dont on ne pouvait être membre qu'à l'âge de trente ans : conseils électifs dont l'un servait à l'autre de contre -poids et de contre - épreuve. Les résolutions du Conseil des Cinq-Cents rie devenaient lois de l'État qu'après avoir été adoptées par le Conseil des Anciens, qui devait les rejeter ou les accepter dans leur ensemble, mais qui rie pouvait pas en modifier séparément les articles.
C'était déjà un progrès : c'était un premier pas dans une voie où, en remontant le courant de l'anarchie, on montrait le désir de revenir aux conditions essen- tielles et normales de Tordre. Malheureusement, on ne procédait encore à la restauration des vraies doctrines de gouvernement qu'avec une excessive timidité, alors que, pour raffermir la France ébranlée et rasseoir la société bouleversée, il aurait fallu agir avec hardiesse, énergie et promptitude. Le principe d'autorité était tou- jours sacrifié ; car le Corps législatif, toujours indissolu- ble et permanent, était resté en dehors de l'action de la puissance executive. L'unité, enfin, manquait par- tout; elle manquait à la base comme au sommet du Pouvoir. A la tête du Gouvernement de TËtat, de même qu'à la tête de l'administration de chaque département,
4p8 œNCLUSION.
il y avait un directoire composé de cinq raembres. Un pouvoir en cinq personnes! quelle aberration !
Le Directoire n'avait ni l'initiative des lois, ni le commandement des armées, ni la désignation des ad- ministrateurs, ni le choix des magistrats. Nommé par le Corps législatif, et renouvelé tous les ans par cin- quième, c'était moins un pouvoir agissant dans l'intérêt du pays, qu'un instrument passif, fonctionnant au gré de la lettre morte d'une Constitution anormale. Com- ment aurait-il pu communiquer au corps social le mouvement, la force, l'activité, l'impulsion, la vie, surtout lorsqu'à son défaut d'unité venait s'ajouter son défaut de durée? Il n'y a de pensée fécondante que celle que le temps mûrit et développe.
La Constitution de 1791 avait abouti au terrible des- potisme de la Convention nationale. La Constitution de 179S ne pouvait que précipiter la France vers sa dis- solution politique, par la faiblesse du Pouvoir et le re- lâchement de la hiérarchie. Ce fut bientôt un effroyable éparpillemenl de toutes les forces sociales, une épouvan- table confusion de toutes les idées morales. Déchirée par les factions du dedans, vaincue par les ennemis du dehors, épuisée, démoralisée par le régime de ba- vardage impuissant et stérile qui avait succédé au régime sanglant delà Terreur, la Nation française cou- rait à sa décadence avec une effrayante rapidité, lors- qu'une main glorieuse et forte vint tout à coup l'arrê- ter sur le penchant de sa ruine, en relevant le principe d'autorité.
CONCLUSION. 459
La journée du 14 juillet avait enfanté la Constitution de 1791 ; celle du 10 août avait produit la Constitution de 1793; la journée du 9 thermidor avait donné la Constitution de 1795 ; la journée du 18 brumaire pré- céda la Constitution de 1799, qui eut la gloire d'inau- gurer la première restauration du principe d'autorité.
La séparation du pouvoir exécutif et du pouvoir lé- gislatif fut plus profondément établie encore dans la Constitution de 1799 que dans la Constitution de 1795. L'unité du pouvoir exécutif ne fut pas tout d'abord complète, du moins en apparence. Il y eut trois Con- suls au sommet de l'État. Mais, à vrai dire, celui des trois qui avait le titre de premier Consul possédait des attributions qui en faisaient en réalité le seul et unique chef du Gouvernement, auquel aboutissait, comme à son centre naturel, toute l'action de la puissance exe- cutive. C'était lui qui promulguait les lois, qui nommait et révoquait à volonté les membres du Conseil d'État, les ministres, les ambassadeurs, les officiers de l'armée de terre et de mer, tous les fonctionnaires enfin de Tordre administratif et judiciaire , à l'exception des juges de paix et des juges de cassation.
On voit qu'on se rapprochait déjà du principe d'u- nité, en même temps qu'on revenait au principe d au- torité. L'initiative de la proposition des lois avait été restituée au Gouvernement ; elle lui avait été restituée d'une manière absolue. Cette disposition était un pro- grès immense dans les voies de la logique et de la rai- son, car la logique et la raison se refusent à comprendre
m œNausioN.
UQ pouvoir contraint de faire exécuter ce qu'il n a ni copçuy ni conseillé y ce qu'il blâme peut-être. Daos Torigine, les fonctions des trois Consuls étaient dé* c.eonales. Ils étaient indéfiniment rééligibles. Ainsi Ton comprenait enfin quel lien étroit existe entre la stabilité des hommes et la stabilité des choses.
Dans la ConstituUon de 1 795, le système des Assem- blées uniques avait déjà disparu. La G)nstitution de 1799 fit une pr^nière brèche au système des Assem- blées permanentes. £lle décida que la session du Corps législatif ne serait que de quatre moii. U était composé de trois cents membres qui devaient être âgés de trente ans au moins. Un Conseil d'âtat permanent était char- gé de rédiger les projets de lois proposés par le GouYeD* oem^nt. Ces projets de lois étaient ensuite portes dù*^ vant le Tribunat, Assemblée également permanente, composée de cfnt membres âgés de vingU-cinq ans m moins. Après les avoir discutés, cette Assemblée exprt^ mail un vœu en faveur du rejet ou de l'adoption. Ces mêmes projets de lois allaient ensuite devant le Corp^ législatif, qui statuait en dernier ressort, au scrutin secret, sans aucune discussion. Le débat s'établissait de^ vant le Corps législatif, entre trois membres du TribuBat chargés de défendre l'opinion de cette Assemblée et troi$ Conseillers d'Ëtat, qui remplissaient les fonctions de Commissaires du Gouvernement. Le Corps législatif écoulait, appréciait et votait, avec le droit absolu de re-* jet ou d'adoption , ces projets de lois qui lui étaient soumis. U les acceptait ou les refusait dans leur en-
CÛNaUSlQN. 46A
semble, mais sans pouvoir les dénaturer par des amen- deioente.
Dans la Constitution -de 1799, le Sénat conservateur n'eut que des attributions restreintes. Cette Assemblée ne comptait d'abord que quatre-vingts membres ina- movibles qui étaient nofîimés à vie et qui devaient être âgés au moias <le quarante ans. C'était moins un corps délibérant, participant à la puissance législative , qu*une sorte d'électeur suprême, nommant les Consuls, les Législateurs et les Tribuns, qu'il devait choisir sur des listes de candidats désignés à son choix dans une forme toute spéciale.
Les -citoyens de chaque arrondissement dressaient une première liste, appelée liste communale, dans la- quelle on devait prendre les fonctionnaires publics de cet arrondissement. Les citoyens compnÎ6 dans les listes z' ;% communales d'un m&me département^ formaient une .^-^^ seconde l^te appelée liste départementale, dans laquelle devaient être pris tous les fonctionnaires publics de ce département. Enfin les citoyens portés sur cette se- conde liste en composaient une troisième qui s'appelait liste nationale, et dans laquelle devaient être pris les Consuls^ les Tribuns, les Législateurs, et même les juges de cassation, qui, par une exception bizarre, n'élaienl pas encore À la nomination du Gouvernement.
Le Sénat conservateur devait se recruter lai-mêm« par des choix faits sur uoe triple liste de candidats pré- sentéi^ : i'un par le Corps législatif, le second par le Tjribunat^ et le troisièroie par le premier ConsuL ûs
*-
f?
462 CONCLUSION.
corps était également une sorte de tribunal politique jugeant les questions constitutionnelles. Le Tribunal et le Gouvernement avaient , chacun de son côté , le droit de lui déférer les actes dont la constitutionnalité leur paraissait douteuse.
Le Sénat conservateur délibérait en séance secrète; mais le Tribunat discutait et le Corps législatif votait les lois en séance publique. Cependant , on ne voyait pas alors de ces orateurs qui , posant devant le public comme un acteur sur la scène , songent moins à con- vaincre leurs collègues qu'à enflammer les masses. Il n'y avait pas enfin de ces discours qui, ne visant qu'à l'eiïet^ tombent au milieu des passions du peuple comme une mèche allumée sur des barils de poudre. C'est que le Tribunat n'était, en réalité, qu'une sorte de première étamine par laquelle passaient les projets de loi , dont le Conseil d'État avait rédigé le texte , sous l'autoriié du Gouvernement, avant d'arriver devant le Corps lé- gislatif, leur arbitre suprême.
D'ailleurs, renfermée entre quelques hommes spé- ciaux et compétents; uniquement destinée à éclairer la religion, à former l'opinion des membres du Corps légis- latif, la discussion qui s'établissait entre trois membres du Tribunat et les conseillers d'État ne pouvait pas dé- générer en débats oiseux et confus, en scènes irritantes et scandaleuses. Il n'en pouvait sortir ni trouble exté- rieur, ni émotion publique. Plus calme, mieux éclairé, le Corps législatif devait voter, à coup sûr, beaucoup moins sous l'influence des passions et beaucoup plus
CONCLUSION. 463
SOUS l'influence des arguments. Le Conseil d'État qui élaborait; le Tribunal qui examinait et discutait; le Corps législatif qui prononçait : voilà comment se fai- ,
sait la loi, simplement, rapidement, en quelques se- maines.
Le Sénatus-Consulte organique, du 4 août 1802, ne fut point une Constitution nouvelle. Ce Sénatus-Consulte ne fit que développer, en les complétant, les éléments d'ordre et de stabilité que renfermait la Constitution de 1799. Les consuls furent alors à vie, et, comme le se- cond et le troisième étaient nommés par le Sénat , sur la présentation du premier, Napoléon Bonaparte per- sonnifia plus complètement, tout à la fois, le principe d'autorité et la pensée d'unité, qui présidaient alors à l'organisation du gouvernement de la France.
Les attributions du Sénat conservateur furent éten- jm^ dues, mais non changées; il pouvait prononcer la disso- jyT lution du Corps législatif que le Gouvernement convo- quait , ajournait ou prorogeait à volonté, ainsi que celfe du Tribunat, qui fut divisé en sections , et réduit à cinquante membres.
Le Sénat conservateur nommait encore les membres du Tribunal de cassation ; mais il ne les nommait plus que sur la présentation du premier Consul. Enfin , le Sénatus-Consulte de 1802 ne se bornait pas à conférer à Napoléon Bonaparte cette dignité de premier Consul à YÎe , il lui reconnaissait également le droit de présenter, de son vivant , son successeur au Sénat. Ce droit équi- valait presqu'à l'hérédité, qu'allait bientôt rétablir le
Iê4 OOUGLUSnil.
Sénatus-Con^ultc du 18 mai 1804, SéMtns-ConsuIte qui modffîa moins Tesprit que la lettre de la Consrti-
•jjl^ ' tution de 17£9, complétée par le Sénatus-€k>nsulte
^ organique de 1802.
L'autorité du Chef de l'Ëtat fut moins agrandie, en effiet , qu'on ne pourrait le supposer, par la transforma- tkm du Gouvernement consulaire en Gouvememeût impérial. Cette (ransfbrmation influa beaucoup plus sur b foniie que sur le fond , et ce qu'il y eut de plus nou- veau et de plus caractéristique dans les Constitutions de l'Empire y c'est moins le pouvoir qu'elles donnèrent à Napotéon Boiia{MR4e , que le cérémonial et la pompe dont elles entouràreot ce pouvoir.
La Constitution consulaire de 1799, qui désignait nominativement Napoléon Bonaparte comme premier ^ ^ , Consul pour dix ans, présentée à l'acceptation du Peuple >; français, avait réuni 3 millions 11,007 suffrages. Le Sénalus-Consulte organique de 1802, qui lui déférait la même dignité à vie, avait réuni 3 millions 568,885 suffrages. Le Sénatus-Consulte organique de 1804, qui créait la dignité impériale héréditaire, fut votée parla Nation à la majorité de 3 millions 521,575 voiK contre 2,569. Voici comment la proposition avait été formu- lée : Le peuple veut V hérédité de la diffnUé împériale dans la descendance directe j naturelley légitime et adop^ tive de Napoléon Bonaparte^ et dans la descendance directe, naturelle et légitime de Joseph Bonecparîe et dé Louis Bonaparte.
Il est à remarquer que ce vote ne devait e(^ âuean cas
CONCLUSION. 4«S
profiter, soit aux autres frères de l'Empereur, soit i leur descendance. L'article 7 du Séiialus-Cuusulte or- ganique Je 1804 avait en eflel prtîvu l'hypothèse où la descendance de Napoléon, de Joseph et de Louis Bona- parte, viendrait à s'éteindre. 11 prescrivait formellement de procéder, dans ce cas, à une nouvelle élection im- périale. L'Empereur devait alors être nommé par le Sénat, en vertu d'un Séuatus-Cousulte organicjue, pro- posé par les titulaires des grandes dignités de l'£inpire, et soumis à la sanction du peuple.
Les fondements de l'édifice gouvernemental élevé par les mains du Napoléon, avaient été posés en 1799 et en 1802. Le Sénalus-Cunsulte de 1804 en fut le coo- ronnement. Aloi's se trouvèrent complétées ce que l'on appelle les Cunslitutions de l'Empire, magnifique édi- fice, dont toutes les parties se relient et se coordonncut entre elles avec un art admirable pour former un de ces ensembles pleins d'harmonie et de grandeur, de force et de vitalité, qui saisissent l'imagination en même temps qu'ils satisfont la raison.
A la base, il y a la Souveraineté du peuple, assise large et profonde sur laquelle, depuis la chute de l'Empire, aucun gouvernement n'avait , avant f é- lection présidentielle, reposé. L'exercice de cette Sou- veraineté ne fut pas une Gction , comme on voudrait j le faire croire : les registres sur lesquels chaque ci- ' toyeu était admis à émettre son vœu, aflirniatif ou négatif, étaient déposé» partout. Il s'en trouvait non- seulement daus les demeurer olHcielles, aux sécréta-
466 GONaUSION.
riais des administrations et des municipalités^ aux greffes des tribunaux et aux justices de paix , il en existait encore dans les demeures privées, dans les études de notaires.
Donc, à la base des Constitutions de TEmpire, il y a la Souveraineté du Peuple. Au sommet, il n'y a que l'Em- pereur, c'est-à-dire l'ordre; car, dans les sociétés, Tordre naît de l'unité. L'Empereur est le centre vers lequel convergent tous les rayons de ce cadre immense où s'enchâssent les Assemblées de canton , les collèges électoraux d'arrondissement et de déparlement, le Sé- nat, le Conseil d'Êlat, le Corps législatif, les grands di- gnitaires, les ministres, les grands officiers, la Cour de cassation, les Cours d'appel, les Tribunaux civils, les Justices de paix, les préfets, les sous-préfets et les maires, tout le mécanisme enfin du Pouvoir exécutif, législatif et judiciaire.
L'Empereur, c'est la pensée gouvernementale qui descend , de degré en degré , dans tous les rangs de l'administration , pour arriver, par les préfets et les sous-préfets, jusqu'au dernier maire de village. Ceux qui ne voient que l'Empereur dans l'Empire, tombent dans une méprise profonde, qu'expliquent , du reste , la grandeur de son génie et l'éclat de sa gloire. Derrière l'homme qui devait mourir, il y avait une idée qui pou- vait vivre, une idée éconde, puissante et vraie.
L'Empereur, dans l'organisation du Gouvernement de l'Empire, c'était le principe d'autorité fait homme; mais le principe d'autorité, sorti des entrailles même de
œNaUSÏOîi. 467
la nation. L'Empereur, enfin, c'était la personnification du Pouvoir social dans son acception la plus vaste et la plus haute. Voilà le point de départ. Autour de cette idée première, se groupent une pensée de stabilité, une pensée de justice , une pensée d'utilité. La pensée de stabilité était dans l'hérédité de la dignité impériale ; la pensée de justice se trouvait partout, car tout tendait, dans cette large organisation , à mettre en lumière les talents, à récompenser les services, à fonder enfin le règne de l'intelligence.
Le Sénatus-Consulte organique de 1802 avait créé un système électoral, qui resta celui de l'Empire. Voicr quel se trouvait être alors ce système : 11 y avait des Assemblées de canton, des Collèges d'arrondissement et des Collèges de département. Les Assemblées de can* ton étaient composées de tous les Français majeurs , ayant un an de domicile et jouissant des droits de citoyens, qualité qui n'appartient, ni aux négociants en état de faillite, ni aux domestiques à gages.
Chaque Assemblée de canton présentait, pour chaque place de conseiller municipal , deux candidats choisis parmi les citoyens les plus imposés du canton. L'Empe- reur nommait ensuite celui des deux candidats qu'il jugeait le plus apte à remplir ces fonctions, qui étaient décennales. C'est dans le sein des Conseils municipaux- ainsi formés, qu*il choisissait les adjoints et les maires.
Les Assemblées de canton nommaient également leurs représentants au Collège d'arrondissement , à raison d'un membre par cinq cents citoyens, el leur»
1 .
4ês œjsKUJSSBm.
délégués au Collège du département^ avee robligaiion de les choisir sur une liste comprenant les six feiMl citoyens les plus imposés du département. Les^^Ufibt légionnaires faisaient, de droit, partie des él|||Hgkl d'arrondissement. Les grands officiers, les comman- deurs et les officiers de la Légion d*honneur, faisaient également partie, de droit, des Collèges de département. Les membres des Collèges électoraux étaient nomiDés à vie.
Les Collèges d'arrondissement présentaient deux candidats pour chaque place de conseiller d'arron^b-* sèment. Les Collèges de département présentaient , de leur côté , deux candidats pour chaque place de oon* •eiller général. Le choix entre les candidats apparte-^ naît également à l'Empereur, pour les Conseils d'ar- rondissement et pour les Conseils de dèpanrtenaent. Les membres de ces Conseils étaient nommés pour quinze ans.
Chaque Collège d'arrondissement inscrivait deux noms sur la liste des candidats aux fonctions de membre du Tribunat, Chaque Collège de département inscrivait deux noms sur la liste des candidats aux fonctions de membre du Sénat. Les C >IIégcs d'arrondissement et de département réunis, formaient ensemble une liste qua- druple de candidats aux fonctions de membre du Corps législatif.
L'Empereur désignait au Sénat, sur les listes formées par les Collèges de département , trois candidats pour chaque place de sénateur. Le Sénat choisissait libre—
ment celui des trois autiuel il reconnaissait le plus de tîlres à ses sympathies. Quatre-vingts de ses membres ëUieat nommés d'après ce système ; mais l'Empereur pouvait, en outre, conférer, de sa propre autorité, la dignité de sénateur, en dehors des listes formées par les Collèges de département, aux citoyens (jui s'étaient signalés par leurs talents , leurs services , leurs travaux ou leurs découvertes. Enfin, les princes français et les grands dignîtairesde l'Empire faisaient, de droit, partie du Sénat, dont les membres étaient nommés k vie.
Le Sénat, ainsi composé, choisissait à son tourtes membres du Tribunal , sur les listes formées par le* i Collèges d'arrondissement, et les membres du Corpfl législatif sur les listes formées par les Collèges dedèpar»! temcnt. Les uns et les autres étaient nommés pour dix ans. Le système fut toutefois modifié, dès les premières années de l'Empire, par la suppression complète du Tribunal, qui disparulcomme un rouageinutiteet dan- gereux, rouage que la Constitution de 1852 a sagement j écarté.
Ainsi, dans les fonctions dont la Souveraineté Peuple est la source première, rien n'est livré, ni aux j caprices du hasard niaux passions de la foule. A mesura j que la fonction s'élève, l'Assemblée d'où sortent I«- ' candidatures s'élève aussi. Puis, c'est l'Empereur qui nomme ou le Sénat qui choisit. La garantie de l'élec- tion par en bas se combine avec le choix d'en haut.
La porte du Sénat, qui est le premier corps de l'Empire, et la porte du Conseil d'État, qui en est le
410 GONCLUSiON.
second, ne sont fermées à personne. Le chemin qui y conduit, ce n'est pas la naissance : c'est la science^ c'est le travail. Ce sont enqpre la science et le travul qui font monter aux grandes dignités et aux grands offices de l'Empire. De si bas qu'on soit parti, on ar- rive , par ses seuls mérites et ses seuls services , à ces charges suprêmes, récompenses à vie du talent et de la vertu. Voilà de la véritable et de la bonne éga- lité; non de l'égalité qui abaisse, mais de l'égalité qui élève.
Du reste, le Sénat conservateur garda , dans IfS Constitutions impériales, les attributions qu'il possé- dait déjà dans les Constitutions consulaires. 11 continua aétre surtout un électeur suprême et un Tribunal constitutionnel. C'est lui qui avait la^arde des lois, qui étaient déposées dans ses archives , aussitôt après leur promulgation. Ses attributions furent encore agran- dies par le privilège qui lui fut conféré , de rendre les sénatus-consultes organiques. Dès ce moment, iljoignit le caractère constituant à ses fonctions d'électeur et d'arbitre. La Constitution de 1852 donne au nouveau Sénat les mêmes attributions constituantes, mais elle ne lui confère aucunes fonctions électorales. Ses séance^ seront secrètes, comme celles de l'ancien Sénat.
Le Conseil d'Ëtat et le Tribunat, tant qu'il subsista, continuèrent à fonctionner, sous les Constitutions im- périales comme sous les Constitutions consulaires, avec les mêmes attributions et avec des formes analogues. 11 n'en fut pas de même du Coiips l^islatif,»qui eut alors
coNausKw. r.t
des séances de deux natures : les unes dites séances or- dinaires, et les autres dites comités généraus. Le Corps légidatif, dans les séances ordinaires, volait sur les pro- jet» de loi, sans discussion, après avoir entendu les orateurs du Tribunal et du Conseil d'Ëtat. Dans les co- inilés généraux, les membres du Corps législatif exa- minaient entre eux les inconvénients et les avantages de ces projets de loi.
Le Conseil d'Ëtat que vient d'établir la Constitution de 1852, répond exactement à celui du Consulat et de l'Empire. Il est à la fois une Assemblée législative pré- parant les lois, et un Tribunal administratif rendant de* arrêts. Le nouveau Corps législatif absorbe le Tribunal^ car il réunira le droit de discussion au droit de vole, et ses séances seroiil publiques comme celles de l'ancien Corps législatif. Ce nouveau Corps législatif se rappro- che, par son caractère, des dernières Assemblées déli- bérantes de la Monarchie constitulionnetle; mais il en aura les avantages sans les inconvénients, car II n'aura pas la faculté d'introduire à l'improviste, dans les lois soumises à son examen, des amendements venus des quatre points de l'horizon parlementai 1*6, qui en dé* truiseiil l'économie, et ses mtirabres, dont les discours ne seront pas livrés à la publicité, n'auront aucun int6- rêt de vanité à parler par les fenêtres du palais Bour- bon aux passions populaires.
Les grands dignitaires de l'Empire étaient comme autant de moyens de surveillance et d'information, que TËH^reur tenait à sa disposition, pour avoir l'feil eur
élt CONCLUSION.
les grands services publics, et pour être instruit des abus à réformer et des améliorations à introduire. Cha- cun des grands dignitaires était proposé, dans ce but, à Tun d'eux, avec la mission expresse de lui en signaler les vices. C'est un peu le rôle que remplira seul le mi- nistre de la police générale.
L'une des créations les plus utiles et les plus intelli- gentes du gouvernement de Napoléon, ce fut la sccré- tairerie d'Ëtat, qui vient d'être rétablie, et qui Démet- tait à l'Empereur de tenir constamment entre ses mains tous les fils de l'écheveau ministériel. Le secrétaire d'Ëtat personnifiait la pensée de l'Empereur auprès de chaque ministre , suivait auprès d'eux l'exécution de eette pensée dirigeante, jour par jour, affaire par af- faire. C'est par ce fonctionnaire que le chef de TËtat embrassait , sans fatigue et avec rapidité , d*un coup d'œil , l'ensemble des intérêts généraux du pays , et qu'après avoir fait pénétrer ses vues dans toutes les branches de l'administration , il s'assurait que ses in- tentions étaient comprises et ses volontés obéies. Aussi, quelle puissance d'initiative et quelle rapidité d* exé- cution ! Quelle continuité dans les idées et quelle efficacité dans les résultats! Quelle unité de pensée et d'action ! Comme la volonté de l'Empereur rayonnait dans tous les ministères, toujours améliorant, réfoi^ mant, organisant, dans l'intérêt de la France et pour le bien du peuple.
Chaque homme alors était à sa place : les orateurs dans les assemblées, les ministres dans leur cabinet»
CONCLUSION. 173
Les orateurs parlaient, les ministres administraient, le Gouvernement gouvernait, et le peuple travaillait ; et la France, sortant de ses ruines comme Lazare de son tombeau, ressuscitait à Tordre, à la grandeur, à ta gloire, à la vie enfin. Au dedans, les factions étaient anéanties, au dehors les ennemis étaient vaincus, et les bons se rassuraient, et les méchants tremblaient.
L'administration s'organisait, la législation s'établis- sait; Ipi routes se traçaient, les canaux se creusaient, les ports se fortifiaient, les autels se relevaient, et, en même temps que la démagogie reculait en France, la civilisation avançait en Europe. Que s'était-il passé T Une Constitution avait été décrétée où le principe d'autorité, englouti dans le fleuve révolutionnaire, avait été restauré. L'unité de pensée et d'action avait reparu au sein du Gouvernement; la stabilité s'était rassise au sommet de TËtat; le Pouvoir avait retrouvé sa base et repris son rôle.
Sans doute , il faut faire la part de la prodigieuse activité et du vaste génie de l'Empereur. Mais il est juste aussi de faire la part de ces Constitutions de l'Empire, si propres à exciter l'émulation des intelligences et à donner de la vigueur aux caractères, et, surtout, si bien appropriées aux qualités spéciales , et même aux défauts particuliers de l'esprit français, qu'on pourrait dire d'elles qu'elles formaient, dans toute l'acception, une véritable Constitution nationale sans modèle dans aucun temps ni dans aucun pays, une Constitution qui était bien française, et qui n'était que française.
474 œNausioN.
Ce fut le règne des actes^ tant regrettés depuis le règne des discours. Ce règne vit d'imiDa||||pLieuvres, de vastes travaux et de gigantesques entreprises, s'a^ oomplir par la seule force de son organisation puis- fiante. Tout s^éleva au niveau des institutions : les idées , les caractères y les mceurs y les hommes et les chosesi. Avec elles, l'Empereur vivant, la France était devenue la première du monde. L'Empereur mort, elle restait par elles ce que Tavait faite ce géan|;4tt siè- cle; car, si ce sont les grands hommes qui font les grandes institutions, ce sont les grandes institutions qui font les grands peuples.
Dieu réservait à la France de nouvelles épreuves et des enseignements nouveaux. La coupe de sa colère n'était pas encore épuisée. Il entrait d'ailleurs dam ses desseins qju'un grand exemple de l'instabilité des for- tu-BOs humaines vint frapper le monde de stupeur et d'épouvante. C'est ainsi qu'il se plaît souvent à humilier l'orgueil de notre raison, par des événements qui dé- jouent toutes les prévisions de notre sagesse et tous les calculs de notre intelligence. Au moment même où, parvenu à l'apogée de sa gloire, Napoléon dominait TEurope par l'éclat de sa puissance non moins que par la hauteur de son génie, celui qui tient entre ses mains la destinée des Empires, le précipita de son troue, et la grandeur de sa chute vint ajouter encore, au prestige de ses viistoires passées, la poésie d'une immense infor- tune. L'histoire, qui raconte les faits matériels, n'a vu que TEmpereur vaincu enfin par la coalition des rois
CœCLUSiœi. 47i
de l'Europe dans ces jeux sanglants de la force et du hasard, ék ri louvent il awt été victorieux. La philoso* phie ne croit pas à ce triomphe des anaes des souve- rains de Russie, d'Autriche et de Prusse. Ces sou- verains tenaient sans doute Fépée qui a fait crouler fBmpire de Napoléon, ce colosse qui étendait ses bras au delà des Alpes, des Pyrénées et du Rhin , comme FEmpire de Charlemagne. Mais c*est Dieu qui mar- chait devant cette épée, mettant en fuite les aigles flpançaises. Il n*y a que le destin qui ait pu vaincre le géant du siècle.
L'Empereur emporta en 1814 le principe d'auto- rité caché dans les plis de son manteau d'hermîiie. Louis XVni , en remontant sur le trône de ses ao- oMres, remplaça les Constitutions de TEmpire par la Charte de la Restauration, calquée sur la Charte d'An- gleterre, comme si FAngleterre avait eu la même des- tinée, le même caractère, le même esprit que la France. Le chef de la rovale maison de Bourbon connaissait kien mal Fhistoire de sa patrie , quand il lui imposa des institutions modelées sur les lois britanniques. Ea Angleterre, dès l'origine de la lutte qui s'établit au douzième siècle entre Télément féodal et Télémeiit royal, ce fut Téléaient féodal qui remporta^ et Télémeot royal qui succomba. En France, il n'en a pas été ainsi. L'élément royal a graduellement absorbé Télément fièo* dal. En France , enfin , tout a constammeni Marché ?ers l'unité par la concentration de toutes les forces et de tous les droits entre les mains du Hoi, et pendant
476 CONCLUSION.
plus de six siècles le principe d'autorité y a complète- ment effacé le principe de liberté. Rien n'est donc plus dissemblable que la France et l'Angleterre , parvenues toutes les deux à l'âge de la vieillesse et de la raison par des routes tout à fait opposées. La Charte de 1814 fut une grande erreur historique et une grande faute politique, car elle rallumait la torche éteinte des révo* lutions avec le souffle des paroles incendiaires qui al- laient se prononcer à la tribune législative.
La Charte de 1814 laissait sans doute un pouvoir immense au Roi, qui seul avait alors l'initiative de la proposition des lois ; qui avait seul le droit de les pro- mulguer, qui pouvait dissoudre la Chambre des Dépu- tés et modifier la Chambre des Pairs. Mais elle armait l'esprit de révolte, en faisant au principe de liberté une part trop large dans les institutions politiques de la France. Fille de la doctrine d'examen, elle ne consacrait le principe d'autorité que pour le livrer à la polémique ardente des partis. Louis XVIII promulguant la Charte, c'est un architecte qui n'élèverait une forteresse que pour l'entourer de tirailleurs, de pontonniers et d'ar- tilleurs occupés à la démolir pierre à pierre. Il fallait l'accord de trois volontés pour la confection des lois, de trois volontés égales en droit et en influence sur le sort définitif des mesures législatives. Créer cette né- cessité, c'était tenter Dieu. L'organisation du Pouvoir législatif imaginée par Louis XVIII avait établi une double lutte : lutte des Chambres réunies contre le Roi, lutte des Chambres entre elles.
COxNCLUSION. 477
On a beaucoup vanté ce système ingénieux des trois Pouvoirs de la monarchie constitutionnelle : on y a vu l'élément de Tharmonie. C'était l'élément de la discorde qui s'y trouvait, et Louis XVIII, en les instituant, avait institué la guerre. Dans la Charte de 1 830, cette guerre s'est continuée dans Tanarchie , car c'était de l'anarchie que le partage de l'initiative de la proposition des lois, qu'elle établissait entre la puissance executive, person- oiGée dans le Roi, et la puissance législative, divisée en deux Chambres. Rien n'était plus propre à enfanter la confusion , à créer l'antagonisme. Mais les deux Char- tes de 1815 et de 1830, qui ont abouti chacune à une révolution par en bas, menaçant la société d'une ruine générale , renfermaient un élément de destruction plus actif encore. Elles ont fondé ce régime parlementaire, ce terrible bélier dont les démolisseurs se sont si habi- lement servis pour renverser. Tune sur l'autre, deux monarchies constitutionnelles. La Constitution de 1848 l'avait enflé davantage encore. Cette Constitution , qui avait assis l'instabilité au sommet de l'État et organisé la lutte au sein des grands pouvoirs publics ; cette Con- stitution, pâle copie de celle de 1791 , qui avait désarmé l'autorité , enchaîné la volonté , annulé l'action du Pré- sident , en l'enfermant dans un cercle de fer, dans le- quel il ne pouvait se mouvoir, ni pour faire le bien ni pour empêcher le mal , cette Constitution , entin , avait porté jusqu'au dernier degré de l'exagération les vices du régime parlementaire.
Le régime parlementaire , qui a renversé tant de
478 CONCLUSION.
gouvernements et creufié tant d'abtmes , était le monstre dont il fallait éoMMr la tète, en modérant le principe de liberté ele^roilaiirant le principe d'autorité. Il y a soixante ansi q[ue « fégime a été' importé d'Angleterre en France , p«^ les hommes qui ont illustré de leurs kimières et de leurs talents la première Assemblée con- stituante. Il est né à l'heure méme'OÙ s'écroulait la vieille monarchie , dans ces jours d'ardeur et d'illusion , où la nation tout entière, croyant marcher ^ une rénovation, quand elle courait en avQugle à une révolution , saluait de ses cpis d'enthousiasme et d^espérance^ Faurore du g^Ternecnent représentatif.
A travers les |>lus étranges, vicissitudes et malgré des éclipses prolongées, le régime parlementaire s'était perpétué jusqu'à notre époque, sMnfiltrant toujours de plus en plus dans les idées , dans les mœurs , dans les habitudes , chaque fois qu'il reparaissait dans sa plé- nitude, et ne parvenant jamais cependant à s'enraciner assez profondément dans les esprits pour que son exis- tence fût mise hors do doute et de contestation.
Fils de ladootrine d'examen, le régime parlementaire a sans doute rendu d'immenses services ; il a eu surtout des phases brillantes. Il a émancipé les intelligences et échiiré les esprits par la discussion, tt y a eu, dans les régions du gouvernement, des moments de vertige çt d'erreur, où il a sauvé la libertédes étreintes du despo- tisme et la civilisation des ténèbres de l'obscurantisme. Il a eu enfin des jours de splendeur, où il a jeté sur la France un vif éclat.
CONCLUSION. 479
Mais le régime parlementaire a, jusqu'à ce moment, un tort immense ou un grand malkwr. Après avoir commencé sous d'heureux auspices ^ il a toujours fini avec des catastrophes. Après avoir ouv£rL chacune des phases diverses qu'il a parcourues, avec luaie hauteur de talent et une énergie de patriotisme qui lui gagnaient toutes les sympathies, il les a fermées au milieu des luttes violentes et des passions aveugles , qui , en provoquant des désastres publics , le faisaient haïr des esprits sages et des populations laborieuses. Ainsi, en 1789, TAs- semblée constituante inaugure le régime représentatif avec Barnave et Mirabeau. En 1793, la Conventio* nationale le continue avec Robespierre et Marai.
Aussi, en 1799, fatigué des violences et des turpi*^ tudes dont ce régime lui avait donné suooessivement le spectacle pendant six années de démagogie , la France entière applaudit au patriotbme hardi du général Bona- parte, qui mutile la représentation nationale et anéantît le régine parlementaire.
Après quinze ans de mutisme et d'effacement, le ri» gime parlementaire reparait avec la (Charte et la Res* tauration , personnifié dans deux grandes Assombléit délibérantes. Il commence avec une Chambre qu) sert au Pouvoir de rempart contre Tesprit de révolte re- naissant , une Chambre ^«e Lovis XYIH appelle sa Chambre introuvable, pow fkiir avec cette trop célèbro majorité des ^21, qui ne vmilait renverser qu'un mi- nistère et qui détruisit wie moiiarchie.
Après s'être intitulés libéraux, les hommes d*opp^
480 CONCLUSION.
sition de celle époque deviennent révolutionnaires, beaucoup sans le savoir, quelques-uns, qui sont les me- neurs, sacbant bien qu'en tirant sur le ministre ils visent au Roi. Au point de vue de Tart, cette phase^ qui dura quinze années, a jeté dans l'histoire du ré- gime parlementaire un grand éclat. Lfes Chambres de la Restauration se sont distinguées par l'éloquence des orateurs, la gravité des discussions, la grandeur des luttes.
Mais déjà l'on voyait naître cette chasse aux porte- feuilles, qui devait enfanter tant de coalitions et en- gendrer tant d'intrigues ; déjà l'on voyait surgir ces ambitieux que la soif effrénée du pouvoir devait en- traîner dans une guerre déloyale et passionnée contre tous les ministères qui repoussaient leurs sollicitations ardentes.
La Tribune devint un piédestal où les chefs de parti posaient leur candidature ministérielle. De là tous ces brillants discours qui agitaient les masses ^ enflam- maient les esprits, mais qui ne résolvaient aucun pro- blème, qui ne terminaient aucune affaire, qui ne pro- duisaient aucune amélioration. L'ambition et la vanité l'emportèrent, dès cette époque, sur le patriotisme et la raison. Les discussions législatives ne furent bientôt que des tournois oratoires, dont l'issue était de donner au vainqueur la direction des affaires publiques.
Ceux qui sèment les vents récoltent les tempêtes. Aussi, les orateurs qui avaient dépopularisé, pendant .quinze ans, le gouvernement de la Restauration, se ré-
veillèreol bd matin en pleine atotrekie. Les démagogues de la rue traduisirent en coups de fusil les discours des libéraux de la (Chambre. L^oppoôlioa d'en haut s'était fiaûte, comme toujours, insurrectionnelle ea Ims. Les ohefe de partis de la Restauration avaient marché par un chemin pavé de discours, d agitation et de scru- tins polîtiquety à une rëvolution gouvernementale. Ils avaient voulu exploiter la monarchie à leur profit : ils l'avaient tuée.
Mise à deux doigts de sa mine , penchée un instant sur le gouffre de l'anarchie, qui hurlait dans les rues ; troublée pendant quatre ans par l'émeute qui grondait tantôt à Paris, tantôt à Lyon, la France comprit que la Chambre des Députés, au lieu d'user, avait abusé de sa puissance et de sa force. Le régime parlementaire venait de lui coûter une révolution et de lui donner une longue crise de misère. Elle lui conserva cependant son estime et sa sympathie, parce que sa confiance et sa foi n'étaient pas ébranlées, et que, du reste, elle le vit se remettre immédiatement et courageusement à relever les ruines qu'il avait faites, et à fermer les plaies qu'il avait ouvertes, comme si ceux qui avaient à se reprocher l'anéantissement de la Charte de 1815, avaient voulu compenser les conquêtes que le Pouvoir législatif venait de faire , dans la Charte de 1830, sur le Pouvoir exécutif, en prêtant à ce pouvoir un concourt inébranlable contre l'esprit de démagogie.
C'était pour avoir voulu l'emporter sur le Roi, qui le parlement avait amené la situation qui avait fait U
4it €OI«CLU§IOIN.
léfOMan de Jailtet. G^est dans le choc qu^avait pro- duit la lutte entreprise par le pouvoir législatif contre le Pouvoir exécutif, que le Gouveraeoient s'était écrou* lé. Averties du péril par une catastrophe, les premières Chambres de la monarchie de t^O s'efforcèrent M- Ti ter recueil contre lequel s'étaient briséwl6»denuères Chambres de la monavcbiede 19I^« Mais une fois Té- meute vaincue, le souvenir de la résolution de Juillet effacé, le péril oublié, l'esprit d'agitation et d'antago- insaie, qui est dans les tendances mévitablos des as- semblées déKbérantes, ne tarda pas à reparaître dans le paiiement. La chasse aux portefeuilles recommença plus âpre et plus ardente.
On usa et on abusa largement du droit d'initiative que la Charte de 1830 accordait à chaque dépoté. Le dystème représentatif, institué comme une ^rantie eonstitiitionnelle contre les ^bus "et les excès possibles du Gouvernement, ne fut plus considéré que comme un levier donné aux chefs de partis pour «oulever les esprits, ou tout au moins comme un moyen d'éléva- tion personnelle, comme une force à l'aide de laquelle on pouvait entrer dans la citadelle du Pouvoir, faire ca- pituler le chef de TËtat et le contraindre à se pendre à discrétion. 11 ne fut plus enfin qu'un instrument d'am- bition aux mains de quelques meneurs de talent, placés sur le premier plan de la scène parlementaire.
La lutte du t\)uv)oir législatif contre lé Pouvoir exé- eutif reprit alors une vivacité nouveHe ; les chambres ae 60 bornèrent pas à s'immiscer danstegoavemenient,
CONCLUSION. 463
en dictant au Roi les choix ministériels ; elles pelèrent encore, pour le malheur du pays, sur le personnel des admiDistrations et le détail des affiiires. En face des minorités d'opposition, il n*y eut plus que des majorités ée coalition, qui s'imposaient au Pouvoir plutôt qu'elles ne l'appuyaient.
Forcée de eombattre sur le terrain parlementaire, âu lieu d'agir dans le domaine administratif, la monar^ chie de 1830, qui était dans la nécessité de réagir contre le fait révolutionnaire qui l'avait enfantée, res- sembla constamment à un athlète qui emploie quel- quefois la force, plus souvent la ruse, pour triompher des embûches et des prétentions de son ennemi , jus- qu'à ce qu'elle fut emportée dans une tempête, suscitée par l'agitation qui était descendue de la Chambre dans la rue, et qui en remontant de la rue dans la Chambre, emporta tout : Charte, Parlement et Royauté. Ainsi, pour la troisième fois, le régime parlementaire condui- sait la France à une révolution par la même pente.
Il n'est pas une des phases du régime parlementaire qui n'ait fatalement abouti à une révolution. C'est que la même cause doit toujours produire le même effet. Cette cause persistante que personne ne peut nier, c'est |
cette vérité éclatante et incontestable que toute Assem- ^
blée est de sa nature essentiellement envahissante. Il suffit de remonter, par le souvenir ou la pensée, le cours des années pour en trouver, à chaque .page de notre histoire, la preuve manifeste.
Quelle est l'Assemblée délibérante, au sein de la*-
l
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quelle n'existe pas, au suprême degré, l'esprit de corps? c'est son âme, c'est sa force, mais c'est aussi la source où elle puise cet amour de la domination qui l'emporte au delà de sa sphère.
C'est ce qui est arrivé même aux parlements de la vieille monarchie. A l'origine, ils n'étaient que des corps judiciaires. Mais sous l'impulsion de cet esprit en- vahissant qui s'empare de tous les corps constitués, ils ne tardèrent pas à devenir des Assemblées politiques. •Un des devoirs des parlements consistait à enre- gistrer les édils royaux. De ce devoir, ils firent bientôt découler le droit de remontrance, puis le droit de refus. Une fois entrés dans le domaine du gouvernement, les parlements marchèrent d'empiétement en empiéte- ment, jusqu'à l'époque où ils disparurent eux-mêmes dans la tourmente qu'ils avaient suscitée par leur tur- bulente opposition et leur lutte opiniâtre contre la Royauté; qu'ils ont tant contribué à abattre.
C'est une tendance qui tient au cœur humain. 11 n'est pas de Pouvoir qui n'aspire à s'élever et à s'é- tendre. On ne doit pas faire un crime aux Chambres législatives de se montrer envahissantes. Mais on doit en conclure logiquement, avec tous les hommes de sens, que puisqu'il est inévitable qu'elles soient fatale- ment portées à exagérer leurs droits et leurs attribu- tions, il est dangereux de favoriser cette disposition naturelle de leur esprit, en leur donnant une organi- sation qui serve à développer, par une concentration trop forte, leur tendance à une suprématie trop grande.
Il est, au cotitpairo, prudenl et sage d'en amortir les ef- fets, en ne leur accordant sur la marche des affaires pu- bliques qu'une action contenue, qu'une influence me- surée, et surtout en leur créant un contre-poids utile, un frein salutaire.
Cette nécessité d'opposer, dans les institutions ellcs- mèniea, une digue aux passions des assemblées dèlil)é- r^ntes, ne résulte pas seulement de cette tendance na- turelle et générale à l'envahissement. Ce qui la crée, c'est surtout le danger qui naft de l'ambition démesurée, de l'orgueil immense de ces hommes d'éfjoïsme et de Tanité, qui, enivrés du sentiment de leur pei-sonnalité, ne songent qu'à s'emparer de la direction des esprits, pour conquérir ensuite la direction desaiïaires.
des hommes, qui ne voient dans le régime parlemen- taire, qu'une voie qui leur est ouverte pour arriver à la fortune, h la renommée, à la dictature, se font de ce régime un piédestal , du haut duquel , s'elTorçant de gravir au somincl le plus élevé possible, ils ^posent devant le public. Ils adoptent une idée, une formule. uH ' mol, qui leur sert às'emparér de l'opinion de l'Ass^- blée et du Pays. Avec ce mol , avec cette formule , ave^c Celte idée, ils battent en brèche le gouvernement qui existe ; ils le renversent à force de le miner par d'inces- santes attaques, et sur ses ruines, ils élèvent leur propre pouvoir. AlorF ils changent de rdle ; ils veulent se placée comme obstacles en travers du chemin des hommes dé démagogie, dont ils ont fait passagèrement leurs auxi- liaires. Ils veulent arrêter de vive force et de haute
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lutte, le mouvement révolutionnaire qu'ils ont pré- cipité; mais il est trop tard. Ils sont emportés, tou- jours emportés par le torrent dont ils ont rompu la digue.
N'est-ce pas là l'histoire de Mirabeau et de BarnaveT Avec le mot de liberté, ils sapent }a base d'une monar- chie de quatorze siècles, en croyant n'attaquer que ce qu'on appelait alors le parti de la cour. Puis, quand ils voient que cette monarchie , qui déjà penche sur sa ruine, va s'écrouler, ils veulent la relever, la raffermir; mais ils succombent à la tâche : Mirabeau meurt dans son ht, d'épuisement et de désespoir, en déplorant de ne pas vivre assez pour réparer son œuvre de destruc- tion ; Barnave porte sa tète sur l'échafaud, en versant une dernière larme sur une monarchie qu'il avait si imprudemment contribué à détruire.
N'est-ce pas là encore l'histoire de Casimir Périer et de Chateaubriand ? Avec le mot de Charte, ils minent le gouvernement de la Restauration, qu'ils combattent sous la forme de ce fantôme de convention, que l'op- position de l'époque qualifiait de camarilla du château; puis, quand il tombe au bruit des coups de fusil de Tin- surrection, Chateaubriand va gémir dans la solitude et le silence, sur la chute et l'exil du vieux roi qu'il a renversé sans le vouloir et sans le savoir, et Casimir Périer se jette de nouveau dans la mêlée, non plus pour détruire, mais pour réédifier. Lui aussi succombe à la tâche comme Mirabeau, et comme lui il meurt de las- situde, en laissant la société livrée à toutes les convul-
I
sions de l'esprit révolutionnaire qui fermente dans ses entrailles.
C'est la déplorable histoire du célèbre financier Laffîttequi, après la Révolution de millet, montait à la Tribune pour demander pardon à Dieu et aux hommes de la part qu'il y avait prise. Cést enfin fhistoire de MM. Thiers etBarrol, qui ont tué la monarchie de 1830 avec le mot de réforme, en invoquant la chimère du gouvernement personnel, et qui, le 24 février, furent surpris ci consternés, avec toute la garde nationale de Paris, d'avoir appelé la République.
Les enseignements du passé étaient là, enfin, pour démontrer, de concert avec les difficultés du présent et les dangers de l'avenir, à Louis-Napoléon , que si les assembléesdélifaéranles peuvent rendre d'utiles services en éclairant le pouvoir, lorsqu'elles sont pondérées par une habile et sage organisation , et modérées par un frein puissant et salutaire, il arrive plus fréquemment que, sous l'influence de meneurs ambitieux et intri- gants, ellesse rendent coupables des plus grands excès, des plus funestes écarts.
Ces écarts et ces excès seront désormais impossibles. Sans supprimer le gouvernement représentatif, Louis- Napoléon a détruit le régime parlementaire, en donnant à la France une Constitution , qui est la consécration du principe d'autorité. Il l'a fait aux applaudissements de la nation entière , qui a battu des mains à la dissolution de l'Assemblée , à l'anéantissement de la Constitution et à la mort du parlementarisme. Mais s'il a pu le faire ,
4«8 Gwausiw.
i^'est qu il s'appuyait -sur ces deux forces invincibles : le Peuple et Tarmée. Si l'armée l'a suivi, si le Peuple Ta exalté, c'est qu'il est rhomme des temps modernes. C'est plus qu'un nouveau gouvernement qui s'élève, c'est un nouveau régime qui s'inaugure, c'est une ère nou- velle qui s'ouvre f avec le notn, avec la famille de Bonaparte.
Louis-Napoléon a sauvé la Société et la Civilisation chrétiennes de l'invasion des barbares du Socialisme ; il a maintenu l'ordre , la religion , la morale , la famille , la propriété , ces colonnes éternelles sur lesquelles re- pose toute association humaine.
Mats la France ne revient pas en arrière, elle marche en avant. Les classes de la société aristocratique ten- dront de plus en plus à disparaître dans le magnifique ensemble de l'unité na:tionale , réalisant dans toute sa plénitude l'idée démocratique. C'est à l'accomplisse- ment de cette œuvre que le neveu de l'Empereur va consacrer le pouvoir immense et colossal que Dieu a remis entre ses mains par la voix du Peuple ; car là est sa mission providentielle , comme naguère à Rome a été celle du neveu de César.
Il y a toutefois, entre les deux époques, cette diffé- rence profonde , qu'à Rome, Octave Auguste réagissait contre le gouvernement des patriciens, tandis qu'en France , Louis-Napoléon continue simplement l'action des rois. Mais Louis-Napoléon , en France , ainsi qu'Octave Auguste à Rome, rencontriBra comme obstacles devant lui, la résistance et l'hostilité ties classes
aristocraliques. ou, pour être plus vn' oligarchiques. ' Si l'intelligence de ces classes égalait leur ègoîsnie, elles seconderaient Louis-Napoléon dans son œuvrej sublime d'émancipation des classes popnlaires; eWéi ' seraient les premières à demnndLT les réformes finan- % cières, les modifications de tarife et d'impôts, les amth 1 liorations adniiiistralivcs, qui, sans égaliser les fortu- nes, peuvent concourir à rapprocher les rangs, eh ] améliorant le sort moral et physique des classes labo*- i rieuses, {|ui demandent à pnrlicipcr, dans une propor- tion plus large, aux bienfaits de la Civilisation.
Mais ces classes avides et vaniteuses imiteront dans teurorçneil et leur avarice l'aristocratie romaine. Au tien de se rapprocher de Louis-Napolénn , plies com-'J metiront la faute immense de s'en éloigner chaque Y jiiur davantage. Au lieu de lui prêter le concoure de leur influence, h la condition naturelle et logique de poser du poids de leurs conseils el de leurs hmuëres dans les conseils du Gouvernement, elles alïîchernnt une inertie insensée ou un ridicule dédain; elles fe- ront le vide autour du neveu de l'Empereur : • Dieu rend fous ceux i[u'il veut perdre. » Cette conduite des classes oligarchiques précipitera leur abaissctnent. Elles sont désormais impuissantes. Louis-Napoléon n'a rien à redouter d'elles ; car elles représentent une idée morte, et il personnitîe des idées vivantes. Mais s'il ne . rencontre au milieu d'elles ([ue des hostilités déguisées « \ que des résistances ouvertes, si elles s'écartent de son
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chemin , ou si elles ne s*y trouvent que placées en tra- vers pour lui barrer le passage, il sera logiquement con- duit à ne s'appuyer que sur le Peuple et sur Tarmée.
Le Peuple et l'armée ne feront jamais défaut à Louis- INàpoléon. Les chefs de Varmée sont engagés avec lui dans une voie de solidarité oii ils doivent vaincre ou mourir ensemble. Les instincts du Peuple l'avertissent qu'entre les mains de Louis-Napoléon le principe d'au- torité ne sera que l'instrument de l'émancipation du prolétariat moderne. Plus il sera contraint par la haine des classes oligarchiques de s'appuyer sur le Peuple et l'armée , plus il sera forcé d'aller vite et loin dans la voie que la Providence elle-même lui a tracée.
Si je pouvais croire à la sagesse intéressée des classes oligarchiques de France, je leur conseillerais de ne pas imiter les classes aristocratiques de Rome dans la lutte aveugle qu'elles ont d'abord soutenue contre le pre- mier empereur, puis contre la famille entière des Césars, dont le règne a été si étrangement dénaturé dans son es- prit par les historiens du temps. Mais comment ne pas désespérer d'elles, quand on les voit recommencer , en dépit des plus terribles avertissements et des plus cruelles expériences, ce jeu des révolutions où elles ont si souvent risqué leur fortune et leur vie !
Les décrets de la Providence s'accompliront. Les classes oligarchiques commettront faute sur faute. Elles rêvent encore de monarchie. Elles calculent déjà le nombre de jours qu'a duré le gouvernement du ne- veu de l'Empereur. Elles oublient que le Peuple et
l'armée sont là qui, désormais, chercheront loiijours un maitre qui les protège et les gouverne, dans la fa- mille Bonaparte. Demain, Louis-Napoléon loioberail sous le fer d'un assassin que les portes de la France ao, s'en ouvrivraieni pas davantage au comte de Cbamborc ou au comte de Paris. La race de Capet est maintenant^ une race condamnée ; le Peuple et l'armée iraient * chercher un autre Bonaparte, ha flot de la démocratie ne débordera plus, mais il coulera dans un lit beau- coup plus large et plus catme, creusé par les mains de Louis-Napoléon. Il coulera non plus pour dévaster par la guerre au dehors et la révolution au dedans, mais pour féconder le terrain de l'Humanité , où tieurit l'arbre de la Civilisation. Les temps sont venus. César dort glorieusement, dans le paix du tombeau, sous le dôme des Invalides. Mais Auguste a pris en main les rênes du gouvernement de la France. L'heure du Peu- ple est arrivée.
'»
TABLE DES MATIÈRES.
Introduction i
HISTOIRE D'UN COUP DTÈtAT.
I. Chapitre PRÉLiMmAiRE 43
II. Le coup d*Ëtat 61
in. L'lNSUR*i(ECTI0N A pARiS :
Journée du 2 f 34
Journée du 3 i57
Journée du 4. . 181
IV. INSURKECTIÔN ÙU MPAKtBihltTi t
€ofi8pirate\i'rs ètMdâéi éecrètiM: . <f . . • . 217
•
Premier groupe insurreetionnel. '\ •- . ; , 235
Deuxième groupe insurrectionnel. 273
Troisième groupe insurrectionnel 294
V. Histoire administrative :
Avant l'élection . . 343
L'élection 3941
Après l'élection • . . . 417
Conclusion. • 447
PIN DE LA TABLE.