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0 2

7

5 2

7 :

50

_Le littomL yougoslave de^rAdriatique :

I. Les nationalités sur le littoral yougoslave

Par le Dr. Arthur Qavazzi, Professeur à l'Université, Membre de l'Aca- démie Yougoslave de Zagreb.

II. Aperçu de l'histoire du littoral oriental

de TAdriatique

Par le Dr. F. de SiSIé, Professeur à l'Université, Membre de l'Académie yougoslave de Zagreb.

m. La civilisation yougoslave sur TAdriatique

Par le Dr. Branko Vodnlk, Professeur agrège à l'Université de Zagreb

IV. La Yougoslavie économique

Par Philippe Lukas, Professeur à l'Académie de Commerce.

Rédige au nom du Conseil national par M. Rojc

Zagreb 1919

Imprimerie provinciale

Le littoral yougoslave de l'Adriatique:

I Les nationalités sur le littoral yougoslave.

Par le Dr. Arthur Gavazzi. Pag. 1—14.

II Aperçu de l'histoire du littoral oriental

de l'Adriatique.

Par le Dr. F. de Sisic. Pag. 15—28.

m La civilisation yougoslave sur l'Adriatique.

Par le Dr. Branko Vodnik. Pag. 29—48.

IV La Yougoslavie économique.

Par Philippe Lukas. Pag. 49—72.

Rédigé au nom du Conseil national par M. Rojc.

BIBLIOTEKA EKONOMSKOG INSTITUTA

Zagreb 1919.

Imprimerie provinciale.

'«r>

Les nationalités sur le littoral yougoslave.

Par le Dr. Arthur Gavazzi,

Professeur à l'Université, Membre de l'Académie yougoslave de Zagreb.

L'État des Yougoslaves a été fondé le \" décembre 1918. Sa superficie est d'environ un quart de million de kilomètres carrés, soit 8 fois celle de la Belgique et 7 fois celle de la Hollande. Mais le nombre de ses habitants est de beaucoup inférieur, puisque avec ses 14.000.000, il n'est que deux fois plus peuplé que la Belgique.

Ce jeune Etat comprend toutes les contrées qui récemment encore faisaient partie de la Serbie, de la Crna Gora (pr. tseurna gora, Monténégro), de l'Autriche et de la Hongrie. C'est une masse nationale dans laquelle ne se trouvent que sporadiquement quelques éléments ethniques étrangers, tels que des Allemands,, des Madjares, des Russes, des Slovaques, des Italiens. Ces élé- ments étrangers sont en nombre si peu important par rapport à celui des Yougoslaves qu'on peut les considérer tout tranquil- lement comme de petites oasis.

Les Yougoslaves commencèrent à émigrer de leur an- cienne patrie (aux environs des Carpathes) en leur pays actuel vers la moitié du VI^ siècle après J. Ch. L'élément romain a peu à peu disparu devant les nouveaux venus; une faible partie s'en est sauvée dans les villes fortifiées du littoral, une autre dans les montagnes, pour y vivre en bergers. Quelques familles à peine de Romains des villes ont conservé leur nationalité, tandis que les Romains des montagnes se sont complètement assimilés par suite de leur petit nombre avec les Slaves. Venise, on le sait très bien, pendant le cours de sa domination, a opprimé les Yougoslaves et tâché de les dénationaliser, afin de créer à l'aide des renégats une base pour ses aspirations impérialistes sur la côte orientale de l'Adriatique. Le résu'.^at en a été peu important: ce n'est que dans les villes du littoral particulièrement à Zadar que quelques Yougoslaves se sont transformés en Italiens. Mais lorsque le littoral yougoslave tomba sous la domination autrichienne, de tristes temps com-

2052215 \ -'^«■■•«■«'"'T^

mencèrent pour la population. Les maîtres allemands de l'Autriche inaugurèrent leur méthode ancienne et éprouvée: ils persécutèrent les Yougoslaves et traitèrent les Italiens <en amis intimes.

C'est dans cette manière d'agir que nous trouvons la raison des événements politiques en Yougoslavie. Dans les premières dizaines d'années du siècle passé commença en effet à se répandre l'idée ethnique de l'unité des trois ra- meaux de Yougoslaves sous le nom général d'„Illyriens". Mais comme ce nom ne répondait pas aux sentiments nationaux, l'évêque bien connu J. J. Strossmajer établit toute cette idée sur une base plus solide. 11 accepta le principe géographique- ethnographique: Les Croates, les Serbes et les Slovènes sont d'après leur origine des Slaves, qui parlent la même langue (avec plusieurs dialectes), et se trouvent d' après leur situation au sud de la zone allemande-hongroise. Sur la base de ces principes essentiellement naturels il se mit à propager l'idée de la communauté de ces trois rameaux nationaux, mais sous le nom de «Yougoslaves". Cette idée de l'unité nationale des Yougoslaves se relia avec l'idée de l'unité politique, qui vient enfin de se réaliser après bien des peines et des souffrances. L'aspiration des Yougoslaves vers l'unité politique était un épouvantail pour les Allemands d'Autriche et les Madjares: ceux ci ont bien compris que leur puissance et leur pouvoir tom- beraient du jour les Yougoslaves seraient les maîtres chez eux. Il leur fallait donc combattre cette idée de l'unité politique yougoslave. L'autorité austro-hongroise trouva dans ce but une base opportune dans les Italiens du littoral yougoslave, bien assurée que leur petit nombre ne saurait lui nuire. Dans les villes existaient des bureaux d'État à cause d'une population nombreuse, l'Autriche fit de la langue italienne la langue offi- cielle et mit des Italiens à la tête des bureaux. Partout elle les favorisa, et aussi à l'occasion du recensement de la population, persuadée qu'elle n'avait rien à craindre d'eux, même si elle augmentait artificiellement leur nombre de quelques dizaines de mille. Toutes les statistiques en ont été fraudées au détriment des Yougoslaves et en faveur des Italiens dans une telle mesure que de tels procédés ont inspiré du dégoût à des érudits mêmes. Le professeur de Faculté Monsieur N. Krebs dit ouvertement* „Le reproche, élevé volontiers du côté italien, .que l'Autriche triche dans les résultats statistiques en faveur des Slaves, ne saurait être maintenu; les essais que nous avons faits nous ont

prouvé bien plus qu'un recensement conduit soigneusement devrait diminuer le nombre des Italiens." C'est d'une manière plus tranchante encore que l'érudit K. Czoernig junior s'attaque à une autorité qui permet aux commissaires de recensement de se laisser diriger par leur opinion politique. II cite entre beaucoup d'autres ce cas intéressant: A Nerezine (île de Cres) 706 Italiens et 340 Yougoslaves ont été inscrits en 1880 par le commissaire. A l'appui de ce résultat fut ouverte une école primaire de langue italienne. Mais bientôt on constata que les enfants de Nerezine ne savaient pas un traître mot d'italien, et l'école dut être transformée en école yougoslave sur la de- mande même des parents. C'est ainsi que l'Autriche fit tous les recensements sur le littoral yougoslave. Aussi faut il ne s'en servir suivant l'opinion de Czoernig lui même qu'avec la plus grande résepve.

Un facteur important a exercé une grande influence sur le résultat des recensements de la population du littoral yougo- slave: c' est ,,la Lega nazionale" bien connue. Dotée par le gouvernement italien de ressources pécuniaires importantes, la „Lega" a ouvert en majeure partie des écoles primaires parmi la population slave: elle a distribué gratuitement aux enfants des habits, des chaussures, des livres de classe et tout les accessoires, dans le seul but de les attirer le plus possible dans sa- sphère. L' élément slave du pays, pauvre en res- sources matérielles, s' est laissé séduire: la ,,Lega" a réussi à dénationaliser quelques habitants, mais la grande majorité est restée jusqu' aujourd'hui yougoslave.

A côté de tous ces défauts mentionnés, nous devons nous' servir, faute d'autres, des listes de recensement „officielles" austro-italiennes de 1910.

Nous exposerons les rapports de nationalités en divisant le littoral yougoslave en quatre groupes naturels:

a) le premier groupe comprend la Dalmatie continentale avec les îles voisines à 1' exception des îles de Rab et de Pag;

b) le deuxième groupe comprend les îles du Quarnéro : Rab, Pag, Krk, Cres et Losinj ;

c) le troisième groupe comprend le littoral de la frontière istrienne à la frontière dalmate: de Rijeka a Zrmanja;

d) le quatrième groupe est la presqu'île istrienne.

6

a) D'après le recensement officiel autrichien de 1910 il y avait en Dalmatie 634.855 habitants, dont:

Yougoslaves: Italiens :

611.211, soit 96,3",, 18.028 soit 2,8',,

La Dalmatie est donc un pays-essentiellement slave. Et pourtant, l'Italie veut, d'après le Pacte de Londres, lui arracher Jes arrondissements politiques ou judiciaires suivants:

Yougoslaves: Italiens:

arrond. judic. de Zadar^) 50.003 soit 80,4% 11.574, soit 18,6";,

»)

>>

,, Biograd

8.599

99,7" 0

20 ,

, 0,2",,

arrond.

polit.

Hvar

26.293

>)

97,77o

586 ,

, 2,2 . n

»>

>)

Korcula-) 21.186

>j

98,07n

436 ,

, 2.0"/o

■»>

>>

,, Knin

54.653

»)

99,57n

186 ,

, 0,3"/n

■»»

>>

,, Benkovac

: 43.945

•)

99,8" n-

84 ,

, 0,2"'n

5>

V

Sibenik

56.004

>i

97,1"„

968 ,

, 1,7" «

arronjd.

judic.

Trogir

28.789

>>

99,1"..

239 ,

, 0,8"/n

j'

))

Sinj

43.008

>5

99,3" ft

106 ,

, 0,2'o

■>>

>>

Imotski

42.018

J>

99,8" 0

46 ,

, 0,1%

>>

>>

Vrlika

13.696

I>

99,9" 0

5

, O.O'/o

Total 388.194, soit 97,3" 0 14.250, soit 2,4",.

" Cette statistique austro-italienne n'est pas digne de confiance, et pourtant, par elle, on peut se faire une idée du caractère national de ces pays de la Dalmatie: il y a plus de 97" ,i de Slaves et moins de 3',, d' Italiens et de leurs partisans.

b) Sur les îles du Quarnéro (Pag, Rab, Krk, Cres et Losinj) il y avait d' après le recensement officiel de 1910 54.000 habitants, dont:

42.300 Yougoslaves, soit 78" n contre 9.700 Italiens, soit 18",,.

Les Italiens donc ne forment pas même la cinquième partie de toute la population des îles du Quarnéro ; la majeure partie d'entre eux, d'ailleurs, habite les grandes localités.

') Dans r arrondissement politique de Zadar j'ai omis les arron- dissements judiciaires de Rab et de Pag, que les Italiens voudraient aussi occuper, mais je les ai ajoutés au groupe des îles du Quarnéro.

-) Dans r arrondissement politique de Korcula j'ai omis 1' arron- dissement judiciaire Peljesac (terre ferme), puisqu'il n'est pas men- tionné dans le Pacte de Londres.

Italiens:

Yougoslaves:

Ville de Krk 1494, soit 86,8"n

226, soit 13,2%

Cres 2255, 55,7%

1798 44,3%

Veliki Losinj 865, ., 54,7" o

716 45,3%

Mali Losinj 3569, ,, 75,5" ,,

1161 24,5%

Total 8183, 67,8% 3901 32,2",,

Donc de tous les Italiens qui habitent les îles du Quar- Tiéro, 84,4",, se trouvent concentrés dans les quatre villes citées: toutes les autres localités sont purement yougoslaves.

c) De la frontière istrienne (près Rijeka) jusqu' à la fron- tière dalmate s' étend le ,, littoral croate". Toute la contrée compte 125.192 habitants, dont 49.806 reviennent à Rijeka et ses faubourgs. D' après la statistique officielle de 1910 il y avait sur le Littoral:

Yougoslaves. Italiens. d' autres nationalités.

90.461, soit 72% 25.004, soit 20", i 9.727, soit 8"o.

Ces 20% d' Italiens sont tout naturellement concentrés dans la ville même de Rijeka (Fiume). Rijeka se compose de la ville, au sens même du mot, et des faubourgs Drenova, Kozala, Plase. Dans les faubourgs (ainsi que dans la ville y attenant de Susak) tous les habitants sont d' enragés Yougo- slaves, tandis que dans la ville il y a quelque peu d' Italiens, mais bien plus de Talijanasi^). Personne au monde ne voudra -croire que les chefs du parti italien à Rijeka: Grosic, GrbaC, Stiglic, Korosac, Sirola, etc. sont de véritables Italiens, puisque leurs noms sont purement yougoslaves et qu'eux mêmes sont nés sur le territoire yougoslave et de parents purement yougo- slaves.

A côté des dates de 1910 nous allons mentionner aussi -celles des années précédentes, pour en déduire quelques re- marques.

Rijeka.

Population

totale Yougoslaves Italiens Madjares

1880 20.981 10.227 soit 49" û 9.237 soit 44% 379 soit 2%,-

1890 29.494.13.478 46 13.012 44 1.062 4„

1900 38.955 16.197 42 17.354 45 2.842 7„

1910 49.806 15.692 32 24.212 ,, 49 6.493 13

1) Les Yougoslaves appellent Talijanasi (soi disant Italiens) ces Yougoslaves qui se disent Italiens, bien qu'ils n'aient absolument rien ■de r italien.

8

Un regard jeté sur ces chiffres pourrait bien nous con- vaincre que le nombre des Yougoslaves de Rijeka diminue re- lativement (en 1910 même absolument), tandis que celui des Italiens augmente. Pour faire comprendre ces chiffres de la statistique officielle madjare-italienne, il nous faut insister sur quelques moments politiques tout récents.

Lorsqu'en 1867 est le dualisme dans l'ancienne mo- narchie austro-hongroise, la ville de Trieste resta dans la pos- session de l'Autriche comme port d'exportation important. Il fallait aussi un port à la Hongrie. En 1868, un compromis fut signé entre la Hongrie et la Croatie, mais, quant à Rijeka, on ne put s'entendre. Les Madjares enlevèrent alors à la Croatie d'une manière violente la ville de Rijeka et son arron- dissement, après avoir créé une espèce de „corpus separatum'* politique. Pour se l'asservir, ils se mirent à persécuter les You- goslaves de Rijeka. C'est ainsi que pour 13 milliers de Yougo- slaves ils fermèrent toutes les écoles nationales existantes, tandis que pour 13, milliers d' «Italiens" (en 1890) ils ouvri- rent des écoles italiennes-madjares. Cette confrérie italienne- madjare ne permit pas aux Yougoslaves d'ouvrir, même à leurs propres frais, une école primaire nationale, et tout cela se passa au su du monarque austro-hongrois, avec son approbation et son appui. Les Italiens et les Madjares, dans leurs écoles, pendant des dizaines d'années, inoculèrent la haine contre tout ce qui était slave, afin de dénationaliser le plus possible les habitants. Si l'on tient compte de la manière dont furent faites les listes statistiques de toutes les années et tout particulièrement celle de 1910, sans le moindre doute il y a à Rijeka plus de Yougo- slaves que d'Italiens. Les commissaires italiens de même qu'en Dalmatie et en Istrie , pendant le recensement, ont demandé au bas peuple yougoslave s'il savait parler l'italien, et, sur sa réponse affirmative, ils l'ont inscrit parmi les Italiens. Qu'on s'avise, par contre, de demander aux habitants de Ri- jeka s'ils savent parler le ' yougoslave, il n'y aura plus alors un 'seul Italien, car tous savent et parlent cette langue. Et c'est bien la preuve la plus éclatante que Rijeka ne pourrait subsister sans les alentours et l'arrière pays, quand bien même toute la ville serait vraiment italienne.

A côté de ces Italiens de Rijeka, leurs amis, les Madjares font aussi nombre. Ce sont des employés des chemins de fer, de tous les bureaux et écoles de Rijeka, envoyés avec la mis-

9

sion d'inoculer dans l'âme des Italiens l'amour pour „maman" Hongrie. Ce procédé a fait de tels progrès que, dans le Con- seil municipal de Rijeka, plus de 16.000 Yougosla- ves n'ont pas un seul conseiller, tandis que 6.000 Ma- djares en ont 12 et tous les autres conseillers sont des „Italiens" de Rijeka.

Tout le pouvoir est donc entre les mains des Madjares et des Italiens, et, pour justifier cet abus, le recensement de la population a été, lui aussi, conduit dans ce but au détriment de la vérité et des Yougoslaves. Et pourtant, malgré toutes ces persécutions, l'industrie, le négoce, les finances et la navigation se trouvent presque complètement entre les mains des Yougo- slaves. Les Italiens de Rijeka trouvent de leur' côté un appui dans la populace à la solde et dans les jeunes gens de 20 à 25 ans („Giovine Fiume"), qui terrorisent la population tran- quille et assidue yougoslave.

d) D'après le recensement de 1910 il y avait sur la presqu'île istrienne environ 364.000 habitants. La statistique officielle austro-italienne a distribué les habitants par nationalité de la manière suivante:

Yougoslaves: Italiens: Arrond. judic. de Kopar:

Kopar

20,57o

78,97o

Pasja Vas

yy,y

0,1 „'

Dolina

99,8

0,0

Marezige

99,9

0.0

Muggia-Milje

20,8

78,6

Ocisla

99,6

0,1

Pomjan

83,4

16.6

Arrond. judic.

de Pirano:

Isola

25,17o

. 74,4%

Pirano

15,8

82,9

Arrond. judic.

de Buzet:

Buzet

96,07o

3,97o

Roc

93,4

6,3

Arrond. judic.

de Podgrad:

Podgrad

99,87o

0,1 7o

Jelsane

yy,y

0,0

Materija

yy,y

0,0

10

Yougoslaves:

Italiens:

Arrond. judic. de

Volosko:

Kastav

99,27o

0.4%

Lovran

73,8

15,6,,?

Moscenice

99,6

0,4

Veprinac

83,7

0,8

Volosko

60,2

4,9

Arrond. judic. de

Buje:

Buje

8,lVo

91.87o

Novi grad

0,0 ??

100,0 ??

' Groznjan

27,4

72,6

Umag

5,6

94,4

Crni* Vrh

0,1

99,9 ??

Arrond. judic. 'de

Motovun :

Motovun

66,97o

32,87o

Oprtalj

34,0

66,0

Visnjan

51,4,,

48,4

Viznada

38,6

61,1

Arrond. judic. de

Porec:

Vrsar

52,7"

47,l"o

Porec

32,3

67,4

Arrond. judic. de

Pazin :

Tinjan

97,9".

2,0%

Boljun

99,o

, 0,6

Zminj

97,3

2,7

Pazin

91,8,,

7,9..

Arrond. judic. de

Labin:

Labin

. 84,8",,

14,8"o

Plomin

73,3

11,1

Arrond. judic. de Rovinj :

Kanfarnar

76,3" 0

23,6"yn

Bal

7,3

92,6 .

Arrond. judic. de

Vodnjan:

Barbana

97,7"n

2,3",,

Vodnjan

43,5

56,3

Sv. Vincenat

80,3

19,4

Arrond. judic. de

Pula:

~

Pula

31,3"v,

58,97n

Ville de Rovinj

1,1»

96.1

En moyenne 54,9"»

38,8 ,0

tandis que 2,87ft retombent sur d'autres nationalités.

11

Déjà cette statistique officielle nous montre que toute l'istrie orientale et centrale est purement yougoslave, tandis que seule ristrie occidentale serait en partie italienne.

Mais pourtant il faudrait corriger dans cette statistique au moins une faute, car elle est trop évidente.

En Istrie se sont développés de l'ancienne „lingua rustica" deux dialectes vieux-romans. Le dialecte du Nord a déjà dis- paru: à Milje (Muggia) il s'est éclipsé il y a quelques dizaines d'années et a été remplacé par la langue itaîlienne dans la ville elle même et par la langue yougoslave dans les environs (Sko- fija, Hribi, Plavje, etc.). Le dialecte du Sud s'est maintenu par ci par là, entremêlé de mots italiens, dans les villages de Dignano (Vodnjan), Gallesano, Bal, Fasana, Sisan et Rovigno (Rovinj). Entre ces deux pays vieux-romans s'est introduite la langue yougoslave :elle sépare complètement les pays littoraux „romans" de l'istrie septentrionale des pays littoraux „roman s" de l'istrie méridionale. Elle s'étend jusqu' à la mer entre l'embouchure de la Mirna et celle du Lim, entourant de tous côtés la petite ville «italienne" de Porec. Il n'y a donc point de continuité continentale sur la côte occidentale istrienne entre les groupes nationaux „italiens", respectivement „romans". La langue de ces Yougoslaves de l'istrie occidentale s'est conservée dans toute sa pureté ; elle ne s'est quelque peu corrompue que dans les arrondissements judi- ciaires de Buje, de Motovun et de Porec. Dans cette langue, en effet, se sont introduits plus ou moins de mots italiens par le fait que la population était plus ou moins éloignée des petites villes «italiennes" du littoral.

La statistique austro-italienne officielle n'a pas tenu compte de ce „dialecte" yougoslave, et a tout simplement inscrit toute cette population parmi les Italiens. Il y a environ 20.000 per- sonnes (d'après N. Krebs) qui parlent le susdit dialecte et qu'il faut inscrire parmi les Yougoslaves. Si nous réparons donc seulement cette erreur de la statistique officielle et cela en toute bienveillance à l'égard des Italiens il y a:

Yougoslaves: Italiens:

dans l'arrond. judic. de:

Buje 12.337 9.398

Motovun . 16.613 4.833

/ Porec 8.775 8.325

. soit: 37.725 22.556

12

TRIESTE y^.TRST ^^ q^ ^

PKMN

MUGOIA ^y

O

V

\ ^

Italiens mêlés de Yougoslaves

Vieux-Romans mêlés de You- goslaves.

Carte ethnographique de la presqu'île istrienne d'après le lecensemtnt officiel austro-italien de 1910.

13

contre, dans la statistique officielle:

Yougoslaves: Italiens:

18-996 41.285

soit donc 18.792 de plus 18.792 de moins.

D'après cette correction peu importante il y aurait sur la presqu'île istrienne:

Yougoslaves: Italiens:

207.993, soit 60,4",, contre 115.440, soit 33,5'!,,

Un arbitre impartial n'y trouverait certainement pas même 25''/o de vrais Italiens.

Tout ce qui est italien, on le voit, est concentré dans certaines villes de la côte occidentale istrienne: à Kopar (Capodistria), Milje (Muggia), Izola (Isola), Umago, Porec (Pa- renzo), Rovinj (Rovigno) et Pula (Pola). Dans toutes ces villes il y a d'après la statistique officielle austro-italienne 58.471 Italiens et partisans contre 15.964 Yougoslaves.

La moitié de tous les habitants italiens de la presqu'île istrienne demeure dans ces sept villes. Le reste en est dispersé dans les autres grandes localités de l'Istrie, mais il s'y trouve en sensible minorité vis à vis des Yougo- slaves. Il résulte bien clairement de tout cela que la popula- tion rurale entière de l'Istrie est purement slave, tandis que seulement celle des villes de la côte occidentale est en majeure partie italienne, mais fortement mêlée d'éléments slaves. Si une commission impartiale, était chargée de demander consciencieusement aux habitants de chaque village de la zone litigieuse de la côte occi- dentale de l'Istrie à quelle nationalité ils appartiennent, il est certain qu'on n'y compterait pas même 30.000 vrais Italiens.

Quant à la nationalité des environs de Trieste, voici ce qu'en écrit le nouvelliste Dali' Ongaro: „Nous ne devons pas en juger d'après l'idiome qu'on parle dans la ville même de Trieste; c'est de tous les coins du monde que sont venus ses habitants; nous devons pénétrer dans les chaumières des paysans des environs, si nous voulons connaître la nationalité du pays." La ville de Trieste elle même est habitée en grande partie par une population italienne, mais ce n'est qu'une oasis italienne sur le territoire slave. Entre Trieste et Monfalcone la population est purement yougoslave; ce n'est qu'à partir de Monfalcone, par Zagraj (Sagrado) et Cormons, que commence

IbibÏiotbka i BKQHOM. IWSTITUTA J

14

à l'Ouest le territoire italien. Et même sur ce territoire il y a aussi beaucoup de localités yougoslaves, bien que les Austro- Italiens les aient italiénisées: telles Monfalcone (Trzic), Redi- puglia (Predipolja), Gradisca (Gradisce), etc., tandis que Gorica, heureusement, a été, est restée et restera slave.

De Trieste (exclusivement) jusqu'à Spic, la frontière la plus méridionale de la Dalmatie, il y a sur le littoral yougoslave répétons le d'après la statistique officielle austro-italienne: 951.965 Yougoslaves soit 817n contre seulement

168.172 Italiens, et ses partisans soit 14" o.

L'étranger, qui traverse le littoral yougoslave, peut faci- lement être induit en erreur par les apparences, s'il n'apprend point à connaître la population, ses mœurs, sa vie et toute sa: culture. Cette opinion se trouve bien justifiée par la remarque que fait l'écrivain américain, Madame Emily Greene Balch, pro- fesseur au Wellesley Collège dans son livre „Our slavic fellow.^ citizens" (New-York, 1910): , L'Italie, par son architecture et sa manière de vivre bien joliment aimable, comme la Turquie, par ses costumes et les coutumes de l'Orient voisin, cachent le fond slave aux yeux des étrangers. Nous nous approchons tout naturellement des objets de leur côté le plus connu, et juste- ment de cette manière, de même que nous connaissons seu- lement la forme germanisée des noms slaves Agram au lieu de Zagreb, Lemberg au lieu de Lwôu^ —, de même, sur ce littoral yougoslave, nous ne connaissons que la forme italienne des noms. Nous disons Fiume au lieu de Rijeka, Ragusa au lieu de Dubrovnik, Monténégro au lieu de Crna Gora. Cette no- menclature, l'aspect vénitien des villes et la langue italienne qu'on parle par les hôtels, tout cela induit l'étranger en erreur. L'élément italien est à la vérité prépondérant dans les parties moins importantes du district de Gorica Gradiska et de ristrie, et dans la ville de Trieste, mais le reste de la popu- lation de toute la côte adriatique d'Autriche et de Hongrie est essentiellement serbo-croate. En Dalmatie, que les touristes . considère ordinairement comme une autre Italie plus pittoresque, plus de 977n de la population parle le croate ou le serbe, qui ne sont qu'une seule et même langue, mais d'alphabet différent."

C'est donc un fait absolument incontestable que toute la côte orientale de la mer Adriatique est habitée par une population yougoslave à rexception de quelque ville littorale.

Aperçu de Thistoire du littoral oriental de TAdriatique.

Par F. de §lsic

Professeur à r Université, Membre de l'Académie yougoslave de Zagreb.

Les Yougoslaves apparaissent tardivement sur la scène historique par le fait qu' a leurs plus jeunes débuts ils n' avaient point d' organisations indépendantes d' importance. Ce sont à vrai dire d' autres peuples, les Goths et les Avares surtout, qui les introduisent dans le monde. Les luttes avec ces peuples organisés militairement amenèrent les Slaves à commencer a se grouper en tribus importantes sous la conduite d' un duc, au côté duquel on cite expressément le conseil des notables. Ainsi organisés en tribus, les Yougoslaves passent alors de r Ukraine et de la Pologne actuelles du sud-ouest au commen- cement du VI^ siècle de 1' ère chrétienne le Danube inférieur et pénétrent dans 1' empire byzantin. Ils n' apparaissent donc pas au commencement de leur histoire comme un peuple uni- que avec un but unique à 1' instar des Goths ou des Francs -— mais en groupes. Aussi 1' expansion et 1' établissement slave dans la péninsule des Balkans ne se sont ils accomplis que graduellement sans événements particuliers, comme 1' eau qui suinte ou comme les eaux d' une rivière débordée qui inondent lentement le pays environnant. Cette manoeuvre, les Yougoslaves r exécutent dans la seconde moitié du VI^ siècle et dans la première moitié du VII^ en compagnie des Avares. C est à cette époque qu' ils s' établissent dans tous les pays actuels de Bulgarie, Serbie, Macédoine, Hongrie occidentale du sud, Croatie, Slavonie, Bosnie, Herzégovine, Crna Gora (pr. tseurna gora, Monténégro), Istrie, Dalmatie et tous les pays slaves jusqu'à la frontière italienne aux abords de la Soca (Isonzo) à l'ouest jusqu' à la source de la Mour et de la Mourica (Murz) au Nord. Ils pénétrèrent en compagnie des Avares pour la pre- mière fois dans la province impériale byzantine de Dalmatie à

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la fin du VI^ siècle, et par la suite de plus en plus souvent et for- tement, à tel point que dès 600 le pape Grégoire I^"^ craignait sérieusement que les Slaves ne fissent irruption par 1' Istrie en Italie même. Jusqu' au commencement du Vll^ siècle le littoral actuel dalmate fut épargné, mais après la mort tragique de 1' em- pereur byzantin Mauritius (602), alors ou 1' anarchie régnait dans r empire, ce fut son tour à lui aussi. Après bien d' autres villes romaines florissantes disparut finalement aussi vers 614 la célèbre Salona, 1' ancien centre romain de la province de Dalmatie, et avec elle la puissance de l'empire byzantin dans le nord-ouest de la péninsule des Balkans. La détresse de r empire byzantin atteignit son comble, lorsqu' en 626 les Slaves et les Avares attaquèrent Constantinople même. Mais les Slaves, battus sur mer, se retirèrent et les Avares abandonnèrent le champ de bataille. L'insuccès sous les murs de Constanti- nople porta un coup terrible à la puissance des Avares, car il était un signe évident de leur faiblesse. Bientôt leur sujets de la veille, les Slaves s' abattirent sur eux de tous les côtés, et se délivrèrent de leur domination de la Save à la Mer Adria- tique: est ainsi que se termina vers la moitié du VIl^ siècle sous le règne de 1' empereur byzantin Héraclius 1' étabhs- sement des Slaves dans leur pays actuel.

Pendant ces invasions en Dalmatie, 1' ancien élément roman a disparu en grande partie, et ne s' est conservé qu'en partie sur les île^s voisines de Krk (Veglia), Cres (Cherso), Losinj (Lussin) et Rab (Arbe) et dans quelques villes romaines fortifiées du littoral, telles que Zadar (Zara) et Trogir (Traù). Une partie des fugitifs de Salona détruite se réfugia dans le palais que 1' empereur Dioclétien s' était fait bâtir dès le com- mencement du IV^ siècle après son renoncement à la pourpre impériale. Ce vaste palais sur les bords de la mer fut, lui aussi, à la vérité pillé, mais non détruit, et offrit aux fugitifs un abri suffisamment sûr. Ceux ci s' élevèrent peu à peu des habita- tions durables et posèrent ainsi les fondements de la ville appelée Spalatum , aujourd'hui Split (Spalato). Au sud-est d' autre part les survivants de 1' ancienne ville romaine Epidau- rum se réfugièrent sur un ilôt voisin de la côte, ils fon- dèrent peu à peu la ville appelée Raguse (Dubrovnik, en slave). Bien que 1' empire byzantin, occupé par de sérieuses guerres incessantes avec les Arabes, ne pût guère se soucier du reste de ses sujets, avec lesquels il avait perdu toutes relations directes

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par terre, ceux-ci pourtant, même après la destruction de Salona, voyaient encore dans 1' empereur byzantin leur maître et pro- tecteur, tout en conservant leurs anciennes traditions chrétien- nes. Ce n' est qu' après la perte de 1' exarchat de Ravenne (750) que 1' empire se soucie davantage des débris de son ancienne province de Dalmatie. D'ailleurs les relations entre le reste des Romans et les Slaves païens voisins s' étaient améliorés, de sorte qu' on pouvait songer aussi à quelque re- nouvellement de r ancien état de choses. Avant tout, on réta- blit à Split (Spalato) 1' archevêché comme succession de Salona détruite, mais il fut subordonné au patriarche de Constantinople. Vers 780, le mausolée de 1' empereur Dioclétien fut transformé en cathédrale de Saint Domnius (évêque et martyr de Salona •f 304). L' organisation politique fut centralisée dans la ville bien conservée de Zadar (Zara), résida le gouverneur impé- rial, qui portait le titre de stratège ou de proconsul, et avait aussi sous son ressort les villes de Trogir (Traù), Split (Spa- lato), Dubrovnik (Raguse) et Kotor (Cattaro) et les îles de Krk (Veglia), Cres (Cherso), Losinj (Lussin) et Rab (Arbe). Cette autorité continua à porter 1' ancien nom de Dalmatie (le thème de Dalmatie) et formait une partie intégrante de 1' empire by- zantin.

Cependant, les Slaves se répandaient dans les immen- ses étendues de la péninsule des Balkans et de ses pays limi- trophes du nord-ouest (dans les anciennes provinces romaines de Pannonie et de Norique), sans tendance formelle déformer, un État unique, mais avec la seule tendance de trouver des endroits propices à ses organisations patriarchales par tribus. Ils ont, en effet, continué dans leur nouvelle patrie cette ma- nière de vivre politique qu' ils avaient établie dans leurs pre- miers foyers. Aussi ont-ils institué vers le IX^ siècle sur le littoral adriatique plusieurs gouvernements, dont deux étaient les plus importants: entre 1' embouchure de la Rasa (Arsa) dans r Istrie actuelle du sud-est et 1' embouchure de la Ce- tina dans la Dalmatie actuelle centrale s' étendait la Croatie, et au sud-est de celle-ci, sur les bords de la Piva, de la Tara et du Lim la Serbie. De ces deux centres se répandirent par la suite le nom de croate au nord jusqu' à la Drave et au sud jusqu' à la Neretva, et le nom de serbe au nord dans la Bosnie actuelle du sud-est et de 1' est et au sud-ouest dans les provinces méridionales actuelles de Dalmatie, d' Her-

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zégovine et de Crna Gora. C est ainsi qu' un seul et même peuple, qui parlait dès les temps les plus anciens une seule et même langue, connu tout d' abord seulement sous le nom collectif de SJaves, commença à se grouper autour des deux noms généalogiques de Croates et de Serbes. De même que dans la suite, durant des siècles, la puissance politique de r une ou de 1' autre de ces peuplades s' étendit, de même respectivement le nom national politique embrassa un espace tantôt plus grand, tantôt plus petit; de plus, des centres poli- tiques différents et bientôt après, une religion différente les Croates en effet reconnurent 1' Église catholique latine, et les Serbes, 1' Église grecque orthodoxe firent avec le temps d' un seul et même ensemble ethnique deux corps indépendants, lais- sant à un avenir plus heureux et plus judicieux le soin de réparer ce que le passé avait si funestement négligé.

L'histoire politique de la côte adriatique orientale com- mence à lafinduVIII^ siècle, et au commencement du IX^ siècle. Les armées de Charlemagne viennent de conquérir 1' Istrie et bientôt après elles soumettent à leur autorité la Croatie jusqu'à l' embou- chure de la Cetina, tandis que la Dalmatie [c'est-à-dire les îles de Krk (Veglia), Cres (Cherso), Losinj (Lussin) et Rab (Arbe) et les villes de Zadar (Zara), Trogir (Trau), et Split (Spalato), resta à 1' empire byzantin. Les Croates furent alors au commencement du IX^ siècle baptisés par des mis- sionnaires francs, d'où s'en suivit ^ans la ville de Nin (Nona) la création d'un évêché croate particulier, soumis directement à r autorité du pape. V empereur Charlemagne laissa d'ailleurs aux Croates complète autonomie avec un duc à' leur tête, choisi librement par le peuple, mais reconnu par l' empereur. Dans les affaires militaires seules le duc croate était soumis à l'au- torité du margrave de Frioul et, de plus, il était tenu de payer un tribut annuel à 1' empereur des Francs.

Lorsque, quelques dizaines d'années plus tard, sous les faibles successeurs de Charlemagne, l'immense empire de ce- lui-ci s'écroula, la Croatie devait tomber sous la puissance alle- mande. Mais ce changement provoqua parmi les Croates une révolte qui se termina vers 877 par 1' affranchissement de la Croatie. C est alors que la Croatie devint un État complètement indépendant sur les bords de la mer Adriatique.

A la même époque, la Serbie, la Dalmatie actuelle du sud et la Crna Gora tombèrent sous 1' autorité suprême byzantine.

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A cette occasion, les Serbes de ces contrées furent baptisés et entraînés dans le giron de 1' Église grecque orthodoxe; mais, à part cela, ils vécurent, eux aussi, sous leurs propres ducs, qui conduisirent en toute indépendance le sort de leur peuple. Seules les villes de Dubrovnik (Raguse) et de Kotor (Cattaro) continuèrent à faire directement partie de 1' empire byzantin.

Cependant 1' État croate commença à s'affermir et à s'éle- ver de plus en plus sous la dynastie de la famille du duc Trpimir, qui régna, à quelques exceptions près, jusque vers la fin du XI^ siècle. Vers 924, la Croatie devient un royaume et obtient de 1' empire byzantin sous son administration ces îles et villes dalmates, qui venaient enfin de passer du patriarchat de Constantinople sous la juridiction du pape romain. L' em- pereur byzantin d' alors, Constantin Porphyrogénète nous a donné une idée des forces militaires de la Croatie au X^ siècle. Il lui attribue faculté de lever une armée de 100.000 fantassins et 60.000 cavaliers. Sa flotte se montait à 80 sagènes, capables de contenir chacune 40 hommes, et à cent condures, montées par dix ou vingt hommes. ,,Cela suppose, dit M. Rambaud, de l'Académie Française, une population de seize cent mille à deux millions d' habitants". Cette puissance militaire importante a permis à la Croatie de pouvoir repousser 1' ennemi de ses frontières. Ce même empereur Constantin écrit d' autres chroniques byzantines le confirment aussi que les troupes bulgares de F empereur Siméon, dans une guerre avec les Cro- ates, ont été totalement défaites par eux. La Croatie s' élève aussi culturellement et à ce point de vue c' est un fait bien caractéristique qu' elle a su à cette époque obtenir dans 1' église r emploi de la langue slave, droit qu' elle a en partie gardé 'jusqu' à nos jours^ „Plus voisine d'ailleurs de la mer et des peuples policés, c'est elle qui, au X^ siècle, est à la tête de la civilisation slavo-illyrienne", dit M. Rambaud.

Mais à la fin du X^ siècle, des désordres intérieurs affai- blissent de plus en plus 1' État croate. Le doge de Venise Pierre Orséolo en profite pour obtenir de 1' empereur byzantin la permission de prendre sous sa protection et administration les îles et villes dalmates. C est ainsi qu' en l'an 1000 Venise, pour la première fois, établit provisoirement sa puissance sur la côte orientale de la mer Adriatique. Quelques années après, la Croatie se relève et les îles et villes dalmates reviennent sous la direction de leurs souverains, et même, vers 1069, le

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roi Pierre Kresimir les ramène sous son entière domination. Ce roi fut le rénovateur de la puissance de 1' État croate. Il dit lui-même dans un document qu e „le Dieu tout-puissant a agrandi son État sur terre et sur mer". Ses capitales étaient Nin (Nona) et Belgrade (Zara Vecchia) sur mer qu' il appelle „notre mer dalmate" ; il portait aussi le titre de roi de Cro- atie et Dalmatie.

Après sa mort (1074), les désordres intérieurs recom- mencèrent en Croatie pour se calmer provisoirement sous le règne de Démétrius Zvonimir, qui fut couronné à Solin (Salona) près Split (Spalato) par un envoyé du pape Grégoire VII. Ce roi gouverna éncrgiquement toute la Croatie de la Drave à la Néretva et toutes les villes et îles dalmates. Après sa mort, des troubles, plus forts que jamais, attristent de nouveau 1' État croate. Sous 1' influence de la femme de Démétrius Zvonimir, qui était la sœur du roi hongrois Ladislas, se forme alors dans la noblesse croate un parti hongrois, qui appelle le roi Ladislas dans le pays et lui offre la couronne croate. Ladislas ne réus- sit pas, mais bien son successeur Koloman, qui fut, en 1102, à Belgrade, couronné roi de Croatie et Dalmatie avec la couronne- croate. A cette occasion, Koloman garantit sous la foi du ser- ment tous les droits publics et politiques au royaume croate: La Hongrie et la Croatie auront désormais un seul et même souverain, mais elles formeront deux royaumes particuliers reliés en communauté politique par la personne du roi.

Le couronnement de Belgrade imposait aussi à Koloman r obligation de regagner, en sa qualité de souverain légitime du royaume croate-dalmate, les villes et îles dalmates, qui, pendant la période d' anarchie en Croatie, étaient retombées sous la direction de Venise. Dans cette question-là, c'est tou- jours encore 1' empereur byzantin qui avait le mot décisif. En 1107, celui-ci, pour se gagner l'alliance de Koloman contre les Normands du sud de l'Italie, lui céda la Dalmatie. Mais lorsque quelques années plus tard se rompit l'amitié et l'alliance entre le roi Koloman et l'empereur Alexis Comnène, Venise commence la lutte pour la Dalmatie. Cette lutte entre les rois hongrois- croates et Venise pour la possession de la côte orientale de la mer Adriatique dure sans interruption de 1115 à 1358. Et le plus intéressant, c'est que les villes et îles dalmates mêmes s'opposent de toutes leurs forces aux Vénitiens, ne voulant absolument pas tomber sous leur domination. Zadar (Zara)

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tout particulièrement, en sa qualité de ville dalmate la plus importante, se soulève contre la république de S'- Marc chaque fois qu'elle a pu compter sur l'aide du roi hongrois-croate. Ce n'est donc que par la force que Venise a pu s'implanter pour quelque temps dans les villes dalmates et sur le littoral croate. La plus caractéristique des expéditions vénitiennes fut celle de 1202, alors que le doge conduisit contre Zadar toute l'armée croisée, qu'il devait faire passer en Palestine; c'est la fameuse quatrième croisade, qui directement au service de l'avide Venise se termina sous les murs de Constantinople et ne vit pas même la Terre Sainte. Le roi hongrois-croate Louis l^"" obtint un brillant succès après une longue et terrible lutte sur terre et sur mer avec Venise, en forçant enfin Venise par la paix de Zadar (1358) à renoncer à toute la côte de Rjecina (Fiumara) à Kotor (Cattaro). Dubrovnik (Raguse) tomba aussi sous le protectorat des rois hongrois-croates (1358 1526), tout en conservant son indépendance politique de république aristocratique, tandis que Kotor (Cattaro) ville qui d'ailleurs, avec les Bouches de Cattaro, se trouva à partir du Xl^ siècle régulièrement à l'intérieur des frontières de l'État serbe ne tomba que provisoirement (1358 1385) sous le protectorat du roi hongrois-croate. La flotte croate redevint alors florissante et notamment quelques uns de ses amiraux (admiratus regnorum Croatiae et Dalmatiae) se sont distingués de 1358 à 1413.

L'occupation permanente du territoire de la Dalmatie actuelle par Venise ne date que du XV^ siècle, lorsqu' après la mort de Louis I^^ (f 1382) éclatent en Hongrie et en Croatie de longues guerres de succession, qui finissent par briser entiè- rement leur force. Et même alors Venise n'obtient du succès que pacifiquement et durant quelques dizaines d'années. La sépa- ration de la Dalmatie commença en juillet 1409, lorsque l'An- gevin Ladislas de Naples, compétiteur de Sigismond de Lu- xembourg (f 1437), vendit au doge, après un long marchandage, pour cent mille écus ce qu'il possédait alors de la Dalmatie, c'est à dire la ville de Zadar, Vrana, Novigrad et l'île de Pag. De plus, Ladislas renonça en faveur de Venise à ses droits de roi de Hongrie, Croatie et Dalmatie sur tout le reste de la Dalmatie. La nouvelle de l'infâme trahison de Ladislas de Naples fit que les villes et îles Dalmates vexées et attristées se rendirent en grande partie volontairement sur la base de la convention à l'autorité vénitienne, pour sauver de cette manière le plus

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possible leur ancienne autonomie. C'est ainsi que tout de suite après Zadar se soumirent à Venise dès 1409 les îles de Cres et Rab et la ville de Nin, puis Skradin en 1411, Sibenik en 1412 (après un long siège), les îles de Hvar, Brac et Koréula et les villes de Trogir, Split et Kotor en 1420. Omis en 1444 et enfin l'île de Krk en 1481. Vers la fin du XV^ siècle, Venise était donc en possession de toutes les villes et îles du littoral à l'exception de Dubrovnik. C'est alors que se répand aussi le nom de Dalmatie sur ces villes et îles du littoral qui jusque n'avaient point formé la notion géographique de Dalmatie, car la Dalmatie comprenait avant le XV^ siècle les îles de Krk, Osor et Rab et les villes Zadar, Trogir et Split. Tout le reste dans leur voisinage immédiat, tel Klis près Split, Knin ou Sinj, se trouvait encore dans le royaume de Croatie (in regno nostro Croatiae). Cette possession permanente, sa plus ancienne, la République de Venise l'appela plus tard (au XVII^ siècle) „aquisto vecchio", l'ancienne acquisition, naturellement pour la distinguer de celle qu'elle avait acquise alors (au XVll^ siècle). Les Bouches de Cattaro étaient appelées Albanie vénitienne (Albania ven'eta); elles étaient séparées de la Dalmatie par le territoire de la République de Raguse. L'état politique géographique sub- sista ainsi de la moitié du XV^ siècle jusqu'à la moitié du XVI^, c'est à dire jusqu'un jour Venise trouva un nouveau rival dans l'Empire ottoman, qui, après la chute de la Serbie (1459), de la Bosnie (1463) et de l'Herzégovine (1480) se mit à s'approcher dangereusement des bords de 1' Adriatique. Dès la première moitié du XVI^ siècle, les armées du sultan Ba- jazid II pénétrèrent en Croatie, aux environs de Knin et de Sinj et bientôt après arrivèrent sous les murs de Split qu'ils assiégèrent, pour pousser ensuite vers Sibenik, Trogir et Klis. Ce furent alors de tristes jours pour la Croatie : dès la moitié du XVI'^ siècle, les Turcs la conquirent toute entière; seules les villes fortifiées du littoral restèrent sous la domina- tion de Venise, menant une vie désespérée remplie de craintes et de luttes continuelles. II en fut ainsi jusqu' à la moitié du XVII^ siècle. A cette époque la notion de Dalmatie était iden- tique avec la possession vénitienne. L'ancien titre politique géographique de «Croatie" disparut donc alors, dans le courant du XVI^ siècle, de la Dalmatie ac- tuelle.

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Sur ces entrefaites éclata, vers le milieu du XVII^ siècle, la guerre de 24 ans (de Candie) entre Venise et la Turquie, pen- dant laquelle -les Vénitiens furent sérieusement soutenus par de nombreuses troupes volontaires de Croates et de Serbes^), qui voulaient avant tout se délivrer de la domination turque into- lérable. Cette guerre se termina par la paix de Candie (1669). Venise y renonça à l'île de Candie (Crête), mais en dédom- magement elle étendit sa possession sur la côte adriatique: la nouvelle frontière courut le long de la côte sur la crête des montagnes du golfe de Novigrad jusqu' à la Cetina inférieure, de sorte que Klis tomba sous la domination vénitienne. Cette ligne limitrophe reçut d'après l'envoyé vénitien qui la fixa avec la commission turque le nom de linea Nani, et en même temps ce territoire commença aussi à être considéré plus tard comme aquisto vecchio, l'ancienne acquisition. La guerre contre les Turcs reprit dès 1684, après la fameuse ca- tastrophe des Turcs sous Vienne, lorsque Venise s'allia à l'Au- triche et à la Pologne. Dans cette nouvelle guerre de quinze ans, les Vénitiens conquirent, surtout au prix du sang des Croates et des Serbes, qui, cette fois encore, les se- condèrent bien largement Sinj au nord et Herceg-Novi l'entrée des Bouches de Cattaro) au sud. La paix de Karlovci en Syrmie (1699) fixa la nouvelle frontière entre Venise et la Turquie; le Vénitien Grimani la détermina, d'où le nom de linea Grimani. Cette frontière fut tirée d'une façon toute simple: les points Knin, Sinj et Gabela sur Neretva furent réunis par des lignes droites sans" souci des montagnes et autres élévations du sol. Autour de chacun de ces points, on laissa une région d'une heure de marche comme zone neutre de dé- fense. Au sud, par contre, Venise acquit presque entièrement les Bouches de Cattaro et Budva. La linea Griman'i était donc la frontière de la possession appelée nuovo aquisto, la nouvelle' acquisition, et avec elle, naturellement, le nom de Dalmatie s'étend à nouveau davantage dans l'intérieur, dans la

1) Les Serbes commencèrent à s'installer par le territoire de la Dal- matie actuelle au nord de l'embouchure de la Cetina dès le XlVe siècle, mais leur établissement principal remonte aux XVIe et XVlIe siècles, lors- qu'ils vinrent de Bosnie. Les contrées situées au sud de la Cetina, res- pectivement de la Neretva, furent de toujours des parties de l'organisa- tion politique serbe, respectivement bosnienne, habitées principalement par une population serbe.

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Croatie d'autrefois. En 1714 recommence la guerre turco- vénitienne, qui se termine par la paix de Pozarevac sur le Danube (1718). Cette paix reconnaît la linea.Mocenigo, qui reste la frontière de la Dalmatie vénitienne jusqu' à la chute de la République de S' Marc (1797), ou en d'autres mots: c'est cette frontière même qui existe aujourd'hui encore entre la Dalmatie et la Bosnie-Herzégovi ne; il faut en excepter uniquement le point le plus méridional Spic (Spizza), qui n'appartient à l'ancienne monarchie austro-hon- groise qu'en 1878 et le territosre de l'ancienne République de Raguse entre l'embouchure de la Neretva et Herceg Novi. La possession nouvellement acquise, comprise entre ces deux lignes de Mocenigo et de Grimani est appelée aquisto nuovisimo et en même temps le nom de Dalmatie s' (tend à nouveau davantage à l'Est dans l'ancienne Croatie. Cette explication montre clairement que la notion politique géographi- que actuelle de la Dalmatie au nord de la Neretva est à vrai dire le dernier circuit de la possession vénitienne sur la côte orientale de l'Adriatique. Cette possession, par contre, est due en partie à la remise vo- lontaire des villes et îles du littoral au XV^ siècle et en partie à la vaillance et aux sacrifices des Croates et des Serbes sous l'étendard vénitien aux XV1I<^ et XVIII^ siècles.

Dubrovnik avec son territoire et les Bouches de Cattaro (Albania Veneta), qui n'ont jamais fait partie de la Dalmatie vénitienne, font exception, comme nous l'avons déjà dit. Mais il y aurait encore quelque chose à accentuer. Peu rassurée par le voisinage de Venise, la République de Du- brovnik déclare à la paix de Pozarevac (1718) qu'elle a cédé deux minces bandes de terres, l'une au nord et l'autre au sud de son territoire, à la Turquie, qui de cette manière s'étend jusqu'à l'Adriatique. C'est ainsi que se formèrent les enclaves de Neum-Klek à l'embouchure de la Neretva et de Suto- rina à l'entrée des Bouches de Cattaro; ces deux parties appar- tiennent, aujourd'hui encore, à l'Herzégovine, qui s'est ainsi avancée jusqu'à la mer.

Par la chute de la République vénitienne (1797) et la paix de Campoformio, toute la Dalmatie avec les îles du Quarnéro et les Bouches de Cattaro (comme ancienne possession véni- tienne) passent dans les mains de l'Autriche, tandis que Du- brovnik continue à rester quelque temps encore une république

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indépendante. Sur la nouvelle de la chute de la République de Venise, la Dalmatie toute entière se soulève, et particulièrement les habitants des campagnes, qui redoutaient la domination des „Jacobins impies", les Français calomniés par les Franciscains. Le désir unanime de voir la Dalmatie réunie à la Croa- tie se fait jour dans toutes les classes de la population. Aussi le général autrichien Mato Rukavina, Croate de la Lika voisine, fut-il reçu avec enthousiasme, lorsqu'il fit son entrée dans le pays au nom du roi hongrois-croate. Mais la réunion avec la Croatie n'eut pas lieu, car l'Autriche officielle et non officielle s'y opposa, voyant sa proie dans la Dalmatie.

Cependant, quelques années après, l'Autriche perd la Dal- matie par la paix de Presbourg (1805) et la cède à l'empereur Napoléon, qui réunit Dubrovnik à la Dalmatie et aux Bouches de Cattaro. C'est ainsi que, pour la première fois, au commencement du XIX^ siècle, le nom de Dalmatie signifia tout le territoire qui désigne ce pays aujourd'hui aussi. Mais voilà qu'en 1809 Napoléon acquiert par la paix de Schônbrunn toute la Croatie de la rive droite de la Save à l'embouchure de TUna, la Carniole, la Carinthie occidentale, l'Istrie avec Trieste et toutes les îles du Quarnero. Napoléon demanda ces pays pour avoir une communication directe par terre avec la Dalmatie, réunie alors avec le royaume d'Italie, bien que son gouverneur, Vincenze Dandolo, ad- ministrât sa province presque indépendamment. En 1809 Napo- léon enlève la Dalmatie à lltalie et crée, en la réunissant à ses autres provinces yougoslaves, l'Il 1 y r i e (les provinces illy- riennes), à la tête de laquelle il place le général Marmont. La domination française ne dure que quelques années dans les pays yougoslaves, et pourtant le peuple a gardé un souvenir durable de ce gouvernement qui était pour lui idéal. Jamais le peuple yougoslave n'a eu d'administrateurs, ni de maîtres si généreux, ni si bienveillants que le général Marmont, „duc de Raguse". L'administration, les écoles, la justice, les questions économiques, tout a pris sous la domination française le caractère d'institutions qui se soucient des intérêts nationaux. Les îles du Quarnero de Cres, Krk, Losinj et de Rab et la ville de Rijeka (Fiume) sont réu- nies à la Croatie civile, à laquelle Napoléon joint en- core l'Istrie orientale. Aussi la chute de Napoléon fut-elle un des coups les plus terribles qui frappèrent jamais les pays yougo- slaves (1815).

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Le retour de la domination autrichienne fait revivre la question de la réunion de la Dalmatie avec la Croatie; mais le'gouvernement de Vienne s'y oppose conséquemment; il a maintenant même commencé à soutenir l'éli^ment italien, sachant bien qu'il ne s'échauffe pas pour de telles idées, mais que lautonomie du pays le conten- tera. Le gouvernement autrichien, bien plus, refusa à la Croatie, jusqu'en 1822, de lui retourner le territoire qui s'étend de la rive droite de la Save à la mer. Lorsque pourtant enfin il le fit, il enleva à la Croatie l'Istrie orientale et les îles de Cres, Krk et Losinj et les réunit à l'Istrie, à laquelle jamais jusqu'alors ces îles n'avaient appartenu, tandis qu'il rendit Rab à la Dalmatie. Et c'est ainsi que le tout resta jus- qu'aujourd'hui.

Mais ce fut en vain: l'idée de la réunion nationale ne se laissa étouffer par aucune lettre patente impériale; au contraire, elle se répandit de plus en plus, gagnant les esprits de la Soca (Ispnzo) et des bords de la mer jusqu'au Timok et au Vardar à l'Est. Il la connaissait bien, cette disposition des esprits du littoral,

e grand patriote et homme d'Etat italien Cavour, lorsque le 28 décembre 1860, il s'exprimait en ces termes^): »Évitons toute expression qui permette de supposer que le gouvernement du roi (Victor Emmanuel) aspire non seulement à la possession de Venise, mais aussi à celle de Trieste y compris l'Istrie et la Dalmatie. Je sais pertinemment que, dans les villesdu litto- ral, le fond de la population est de race et de sen-

iments italiens, mais que le reste de la population du pays appartient exclusivement à la race slave; faudrait donc sans aucune raison judicieuse se brouiller avec les Croates, les Serbes, les Madja- res et les Allemands, si nous voulions montrer que nous aspirons à enlever complètement cette grande partie de l'Europe cenUale. Tout mot qui touche cette question, quelque légèrement qu'il fût exprimé, deviendrait une arme dangereuse dans les mains de nos ennemis. Ils sauraient bien s'en servir pour soulever l'Angleterre contre nous, car cette puis-

') GI. Chiala: Lettere ciel conte Cavour, vol. IV, 139-14U.

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sance non plus ne saurait voir d'un <i'il favorable la mer Adriatique redevenir, comme au temps de Venise, mer italienrîe«.

Nous sommes persuadés que les chefs actuels du peuple italien se souviendront, eux aussi, de ces mots du fondateur de l'Italie moderne et qu'ils ne voudront pas se convaincre à leurs propres dépens de leur profonde vérité.

La civilisation yougoslave sur TAdriatique.

Par le Dr. Branko Vodnik, Professeur agrégé à l'Université de Zagreb.

I.

Lorsque les saints frères Cyrille et Méthode, nés à Salonique en 863, se rendirent sur l'ordre de l'empereur Michel, et à l'invitation du prince de Moravie Rostislav, de Constantinople en Moravie, le premier comme apôtre et théologien, le second comme po- liticien et organisateur . . . dans leurs saintes mains se trouvait 1 e premier livre slave. A cette époque, la civilisation à Con- stantinople était supérieure à celle de l'Europe occidentale, et les Slaves se tournèrent vers le côté oii la lumière était la plus éclatante. Pourtant, même en ces premiers temps, ils imprimèrent à la civilisation byzantine déjà acceptée, leur cachet particulier.

Le premier livre slave fut une traduction de la langue grecque, mais il était écrit en glagolite, lettres slaves, et l'esprit en était aussi slave ; le premier livre slave exprime la résistance politique et culturale du prince Rostislav contre l'État des Francs, donc contre la nationalité allemande, de peur que brandissant l'étendard de la croix, elle n'arrivât à anéantir pour toujours la liberté politique des jeunes peuples slaves qui ve- naient d'apparaître dans l'histoire des nations. Le christianisme occidental, unifié par la langue latine morte, était entravé et non libre, et précisément les théologiens allemands lui donnaient un caractère de pllis en plus dogmatique, tandis que le chris- tianisme à l'est était plus libéral, permettant à côté de l'Église grecque toute, une série d'Églises nationales. Aussi les Slaves se tournèrent-ils vers l'Orient il y avait plus de civilisation et plus de liberté, estimant que la véritable civilisation ne peut exister sans la liberté, de même que la vraie liberté ne peut être sans civilisation.

La première civilisation slave s'établit en Moravie, et de comme d'un foyer rayonnant, commença à influencer les tribus slaves du nord et du sud, mais cela dura à peine une

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vingtaine d'années, car en attendant, les Allemands et les Magyars renversèrent l'État morave.

L'État fut renversé, mais dans sa civilisation, bien que toute nouvelle, il y avait une telle force de vie et de dévelop- pement, qu'étant prédestinée aux Slaves, elle ne put pas être anéantie par la chute de la Moravie. Elle fut transportée aux Yougoslaves. Sous l'influence immédiate de la sphère grecque, le nouvel alphabet cyrillique, emprunté à l'alphabet grec, fit reculer la glagolite, et pendant le schisme, ces pays plus soumis ;i l'influence de l'Église orientale, restèrent unis à Byzance. Une lutte des plus difficiles attendait les Croates, peuple yougo- slave, qui avaient émigré du nord et étaient parvenus jusqu'à l'Adriatique ; ce peuple mi-civilisé, mi-sauvage et de nature guerrière, avec une religion naturelle qui ne s'était pas. encore élevée jusqu'au degré d'une mythologie, s'installa sur les bords de l'Adriatique pour garder durant des siècles, au prix des plus terribles luttes, le littoral oriental de l'Adriatique, voulant là, sur les ruines de l'empire romain et sur la partie la plus civilisée du sol yougoslave, au contact immédiat du monde extérieur, marcher parmi les Yougoslaves à la tête de tous les progrès de la civilisation.

Sur l'Adriatique, de Duklia à Rasa, fut créé l'État croate, le plus ancien royaume sur le territoire de l'ancienne Autriche- Hongrie. Hésitant entre l'orient et l'occident, cet État finit par se joindre au X^ siècle, à l'occident. Mais en embrassant l'Église occidentale, le peuple croate sut, même dans sa civili- sation moyen-âgeuse, parfaitement conserver son caractère na- tional. Sur l'Adriatique fut fondée une Église nationale avec le service divin en paléo-slave et avec des livres glago- litiques. Ce phénomène exceptionnel, dans l'histoire de l'Église occidentale, est une preuve de la force et de la particularité de l'esprit yougoslave sur l'Adriatique, ce qui est encore davantage démontré par le fait que l'Église catholique nationale, bien que sur un territoire assez restreint, s'est conservée encore jusqu' à nos jours. L'énorme pouvoir politique et ecclésiastique dont disposait le pape au moyen-âge était en vain et inutile; en vain les Latins obtenaient dans l'Église les places les plus élevées; inutile fut la plus forte pression de la République vénitienne: le simple curé glagoliticien, ferme et sans plier, organisait sur l'Adriatique en Dalmatie, sur le littoral croate, en Istrie et dans

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les îles, son Église nationale et la civilisation nationale du moyen-âge.

Lorsque la réformation allemande essaya d'arriver, par les Yougoslaves, jusqu' à Rome, en fondant une imprimerie à Urach, on imprimait pour les Yougoslaves des livres avec des lettres cyrilliques, glagolitiques et latines (1561 1564), les prêtres glagoliticiens les plus cultivés d'Istrie et du littoral croate se réunirent autour de cette imprimerie : Etienne Konzul Istranin, Antoine Dalmatin, Georges Cvecic, Georges Jurisic et autres, et ils s'efforcèrent comme écrivains de répandre le protestan- tisme dans le midi slave. Originaire d'Istrie était aussi Mathieu Vlacic (Mathias Flacius lUyricus), professeur à l'université de Wittenberg, Jena, Strassbourg et Anvers, véritable encyclopé- diste de la Réformation et aussi son chef avec Luther et Mélan- chton. Les prêtres glagoliticiens acceptaient avec enthousiasme les livres glagolitiques imprimés, car la hiérarchie romaine désirait que les Glagoliticiens restassent sans livres et sans civilisation, pour quils périssent dans l'ignorance. Pourtant le protestantisme n'y prit pas racine ; tout en se servant de livres glagolitiques de l'imprimerie protestante, ils restèrent ce qu'ils étaient avant: des prêtres nationaux. Ils ne se souciaient pas de subtilités théologiques, ils détestaient, comme toujours, la haute hiérarchie étrangère, ils se servaient de la langue nationale l'église; avant et après le Concile de Trente, ils se mariaient et vivaient la vie de famille, de sorte que la Réformation ne leur apporta rien de nouveau qui piit les attirer.

La littérature glagolitique du moyen-âge nous a laissé plu- sieurs documents précieux qui prouvent une civilisation remar- quable chez les Glagoliticiens, par exemple: le Missefdu prince Novak (1386) et le Missel de Hrvoj, duc de Spalato, avec des Initiales magnifiques du commencement du XV^ siècle ^); le Code de Vinodol (1288) est d'une grande importance, c'est un des plus vieux recueils slaves du droit coutumier populaire.

Très intéressant est aussi l'Évangile slave glagoli- tique de Reims (1395), appartenant à la bibliothèque de la ville de Reims, sur lequel les rois de France, le jour du sacre, prêtaient serment. M. V. Jagic dit au sujet des travaux

1) Missale Glagoliticum Hervoiae, Ducis Spalatensis. Recensuerunt V. Jagic, L. Thallôczy, F. Wickhoff. Vienne, 1891.

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des Glagoliticiens: „Si tous les livres avaient été conservés dont les fragments, plus ou moins grands, se trouvent encore aujourd'- hui en grand nombre à Zagreb, à Ljubljana et à St- Péters- bourg, puis à Vienne, Prague et aussi chez des particuliers, il faudrait rendre hommage aux Glagoliticiens croates, comme à des modèles d'application dans la copie des livres glagoli- tiques; et si un jour on arrivait à réunir et à éditer les exemplaires les mieux écrits et ornés des magnifiques Initiales, le monde impartial de nos pays et de l'extérieur admirerait cette page de notre civilisation du moyen-âge"^)

Au moyen-âge, les Yougoslaves ont eu deux centres de civilisation: l'un, dans l'ancienne Serbie, avait été créée une grande et riche civilisation sous l'influence de Byzance, malheu- reusement écrasée dans sa plus belle floraison, par l'invasion turque; l'autre centre était sur l'Adriatique, que même l'intrusion des Magyars, des Turcs, des Vénitiens et des Allemands ne parvint à détruire complètement. Les Glagoliticiens ont accompli une grande œuvre de civihsation nationale.

L' Église nationale et la littérature glagolitique furent du- rant des siècles des barricades dont les Yougoslaves sur l'Adriatique, durent entourer eux-mêmes, leur pays et leur âme contre l'influence étrangère; ils ont aussi prouvé qu'ils ne pou- vaient être arrachés de l'Adriatique par leurs quatre ennemis qui se servaient con.tre eux d'armes, de politique et de civili- sation: les armes, ils les repoussaient héroïquement; la politique, ils la supportaient et y survivaient; et quant à la civilisation, ils l'acceptaient sans danger et l'assimilaient à leur âme.

II.

Comme au moyen-âge, les Yougoslaves devaient se barri- cader, de même, au commencement de la nouvelle époque, au moment de la Renaissance, il leur était nécessaire de se mettre en avant pour rivaliser avec leur voisine l'Italie qui était de- venue le berceau d'une nouvelle civilisation européenne.

La Renaissance, ainsi que tous les grands mouvements, avait un caractère national et en même temps un caractère général humain, et elle put créer une grande littérature natio-

1) V Jagic et B. Vodnik: Histoire de la littérature croate, Zagreb, 1913, page 24.

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nale italienne et eut une influence sur toutes les nations éclai- rées de l'Europe.

Ce furent justement les Yougoslaves qui répondirent les premiers à son appel. A partir de la moitié du XV^ siècle, ils créèrent leur civilisation de Renaissance qui est dans l'hi- stoire des civilisations de tous les Slaves, la plus ancienne, la plus riche, et qui tient une place impor- tante dans l'histoire de la civilisation européenne.

Déjà, parmi les humanistes, il y a toute une série d'huma- nistes yougoslaves qui se servent dans leurs écrits de langue grecque et latine. Le Ragusain Élie Crijevic (Aelius Lampridius Cerva), disciple de Pomponius Laetus, fut couronné à l'Aca- démie du Quirinal comme poeta laureatus. Le franciscain ra- gusain Georges Dragisic (Georgius Benignus), partisan du do- minicain Jérôme Savonarole, humaniste et philosophe ecclésias- tique, fut le maître de Jean de Médicis qui devint l'illustre pape Léon X.

Parmi les plus anciens imprimeurs, se distingue André Pal- tasic de Cattaro (Andréas de Paltascichis de Cattaro). Le Ra- gusain Dobrusko Dobric (Boninus de Boninis), son plus jeune camarade, fut en renom vers la fin du XV^ siècle comme libraire, imprimeur et éditeur, avec ses éditions qui parurent à Venise, Vérone, Brescia et Lyon. Lucien Lovranac (Luciano de Lovrana) •de Lovran en Istrie, bâtit le magnifique palais ducal d'Urbino et le palais de Gubbio, il fut le maître de Donato Bramante, architecte de la nouvelle Église de Saint-Pierre à Rome. En Italie, fut aussi célèbre comme peintre, André Medulic de Sebenico (Andréa Schiavone) élève de Titien; mais plus célèbre encore fut le miniaturiste Jules KJovic (Giulio Clovio, 1498— 1578) de Grizane sur le littoral croate; son paroissien qui se trouve dans la bibliothèque du Musée national de Naples, est considéré comme une des œuvres les plus parfaites de pein- ture en miniature; un de ses missels précieux est en la posses- sion de lord Holford en Angleterre!^)

Ainsi les Yougoslaves de l'Adriatique partagent non-seu- lement les progrès du nouveau temps de l'Italie, mais ils con- tribuent beaucoup eux-mêmes au développement de la Renais- sance, et prennent une place honorable parmi les artistes et les érudits de leur temps.

1) Bradley: The life, timesant works of Giulio Clovio. London, 1891.

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Les circonstances d'alors, sur les bords de l'Adriatique^ n'étaient pas favorables au progrès de la civilisation ; le roi ungaro-croate Ladislas de Naples, voyant qu'il ne pourrait se maintenir sur son trône, vendit en 1409 pour 100.000 ducats les villes de Zara, de Novigrad, de Vrana et l'île de Pag, avec ses droits sur toute la Dalmatie, à la République de Venise qui de là, étendit, durant le XV^ siècle, son pouvoir sur tout le littoral dalmate et sur les îles environnantes. Cet état dura jusqu'à la décadence de la république de St. Marc (1797).

Vers cette même époque, après la chute de la Serbie (1459), de la Bosnie (1463) et de 1' Herzégovine (1482), la pres- sion turque se faisait toujours plus fortement sentir en Dal- matie, du côté continental, s'avançant même jusqu'aux villes du bord de la mer. La Dalmatie, menacée du côté de la mer par la République vénitienne ennemie, inquiétée dans le dos par les Turcs, n'avait pu créer un 'centre de civilisation, la civilisation yougoslave eût pu se développer naturellement, et c'est pourquoi quantité de grands hommes yougoslaves, ne pouvant travailler en repos, furent obhgés de quitter leur pays et de partir à l'étranger.

Dans la Dalmatie vénitienne, il n'y avait pas de liberté politique, et celle-ci manque, il ne saurait y avoir de civi- lisation. Mais heureusement, il existait sur 1' Adriatique une petite république yougoslave, du nom de Saint-Biaise qui avait son siège à Raguse et qui devint, à cette époque, le centre de la civilisation des Yougoslaves sur l'Adriatique.

Dans la „Dubravka" (1628) pastorale de Jean Gundulic, cette liberté politique de Raguse, qui devait être le point le plus attrayant pour les Dalmates opprimés, a été remarquable- ment bien symbolisée dans la scène, le jour de la célébration de la Liberté de Raguse, on voit arriver, parmi les bergers libres des forêts, un pauvre vieux pêcheur, qui fuyant devant les violences vénitiennes, venait chercher là, dans ses vieux jours un abri „dans le doux nid de la liberté chérie".

A Raguse florit, à partir du XV^ siècle une si belle, si forte, si riche poésie épique, lyrique et dramatique yougoslave de la Renaissance que la plus grande nation pourrait en être fière. Les plus grands peuples slaves n'ont pas eu à cette époque une telle littérature: et tout cela naquit de lame yougo- slave sur ce petit lambeau de liberté ragusaine! Les poètes ragusains marchaient de pair avec leurs contemporains d'Italie.

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Leur simultanéité peut être prouvée par ce fait, que la traduc- tion de „r Aminte" du Tasse par Dinko Zlataric avait été imprimée avant 1' original italien. Les savants allemands ne s' occupèrent jamais de la littérature des petits peuples slaves, mais le phénomène de la Renaissance ragusaine ne laissa pas de les étonner, W. Creizenach, professeur à 1' université de Cra- covie, dans son ouvrage „Geschichte des neueren Dramas" (Histoire du théâtre moderne) Halle, 1901, y consacre un chapitre spécial, intitulé : Das serbokroatische Drama in Dal- matien, (p. 506 526) il traite du drame ragusain-dalmate du XVI^ siècle.

A Marin Drzic, le plus grand auteur comique ragusain de cette époque, Creizenach a réservé une première place dans r histoire du théâtre moderne, et de la pastorale fantastique- allégorique de cet auteur „Plakir" il dit: „En tous cas, c' est une œuvre des plus intéressantes du genre mi-fantasque, mi- réahste et qui a trouvé ensuite une interprétation inimitable dans le „Songe d' une nuit d' été" de Shakespeare.

W. Creizenach n' a étudié que le XVI^ siècle du théâtre ragusain-dalmate, et c'est seulement vers le XVII ^ siècle qu' apparut le plus grand poète yougoslave sur 1' Adriatique : Jean Gundulic (1588—1638). Sa pastorale „Dubravka" et son épopée romantique-héroïque „Osman" peuvent hardiment être comptées parmi les plus grandes œuvres de cette époque. „Dubravka" est une pastorale tout à fait originale, sans cette sentimentalité conventionnelle qui se trouve dans les meilleures pièces italiennes de ce genre ; elle est pleine de poésie, de sentiments nobles, profonds, rehaussée par 1' idée da la liberté et inspirée d' un grand souffle patriotique; et quoique certains critiques littéraires d' Italie considèrent ,,1' Aminte" du Tasse comme sa plus belle œuvre, on peut dire que la „Dubravka" sous tous les rapports est supérieure à ,,1' Aminte".

„Osman", épopée romantique du XVII^ siècle, est dé- crite la lutte désespérée, qu' alors le christianisme devait livrer contre les Turcs, pour laquelle les Yougoslaves ont donné tant de héros et de martyrs restés inconnus, est considérée par M. Murko,. professeur de langue et littérature slave à l'Université de Leipzig comme une plus grande œuvre que la „Jérusalerri délivrée" du Tasse^).

^) M. Murko: Die sùdslavischen Literaturen. Die Kultur der Gegen- wart (Les littératures yougoslaves. La civilisation du temps présent) Teilil, Abt. 9. Leipzig 1908. *

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Au XV^ et au XVI* siècle, la Dalmatie vénitienne possède aussi, à côté de 1' élément pur slave dans les villages, un grand nombre de gens cultivés dans les villes; c' est pour cela, qu' à cette époque, il y eut en Dalmatie quelques grands écrivains. Marko Marulic (1450—1524) de Split (Spalato) fut non seulement dans son pays considéré comme un grand poète yougoslave, mais il fut aussi à 1' étranger reconnu comme un des plus forts penseurs chrétiens du début de la Réformation; aussi traduisait-on ses œuvres en français, portugais, allemand et italien," lesquelles furent imprimées à Florence, Bâle, Cologne, Paris et Anvers.

Dans r île de Hvar (Lésina) apparurent deux grands poètes tout-à-fait originaux: An ni bal Luci c (1485— 1553) et Pierre Hektorovic (1487—1572). Lucie est un poète lyrique exquis; il a écrit, en se tenant à la tradition et à la donnée nationale, le drame „Robinja" (une esclave). Creizenach déclare que ce drame a une grande importance dans 1' histoire du théâtre mo- derne, étant un des premiers essais du genre romantique-profane. Seulement après Lucie se développa le drame romantique-pro- fane chez les Anglais et chez les Espagnols; mais la pression vénitienne se faisant sentir toujours plus fortement, empêchait chez les Yougoslaves sur 1' Adriatique le développement du théâtre dans ce sens, et les traditions nationales yougoslaves, riches et brillantes qui se trouvaie^nt si bien concentrées dans la poésie épique nationale, restèrent elles aussi, pour le théâtre des Yougoslaves jusqu'au XIX^ siècle sans aucune impor- tance. Pierre Hektorovic a composé une épopée de pêcheurs „Ribanje" (La pêche), dans laquelle apparaît pour la première fois dans la littérature yougoslave la poésie épique nationale dans toute sa force. Le savant russe N. Petrovski qui a écrit sur Hektorovic un ouvrage entier, fait ressortir 1' importance extraordinaire pour ce temps du démocratisme de ce poète, et la grande valeur artistique de „Ribanje" par rapport à la poésie cenventionnelle de ce genre en Italie : «Hektorovic, seigneur de Lésina, avec ses idées démocratiques sur la société est r ami intime de ses pêcheurs, chanteurs nationaux, et comme artiste, il est un réaliste remarquable, et avec son réalisme, il a devancé son temps de troix siècles entiers^)".

') H. neTpoBCKiii: 0 coinHeHinxi. llerpa TeKTopoEHia (Oeuvres poétiques de Pierre Hektorovic, Kazan 1901).

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Aussi dans la Dalmatie du nord, les sentiments de la nationalité chez les gens cultivés sont profonds vers la fin du XV*^ et XVI^ siècle, même plus profonds qu'à Spalato et à Lésina, car autour de Zara, centre du pouvoir vénitien, la pression de Venise et des Turcs était la plus forte. Voilà ce que Jan Hasistein- sky z Lobkovic, qui voyageait en 1493 de la Bohême au Saint- Sépulcre dit de Zara dans' son journal de voyage'^): «Cette ville est assez grande, il s'y trouve aussi des seigneurs vénitiens; on y parle grec, italien, mais le plus, slave, et autour de cette ville toute la population est slave". Zara avait donc jusqu' à un certain point le caractère d' une ancienne colonie grecque ; les fonctionnaires vénitiens et les immigrants lui donnaient un peu le caractère italien, mais en somme, elle était encore à cette époque, après un siècle presque entier de domination vénitienne, une ville entièrement slave par elle-même et surtout par ses environs. C est pour cela que Zara a pu donner le jour à Pierre Zoranic (né en 1508) qui a écrit un roman pastoral „PIanine" (Les montagnes) 1' œuvre la plus patriotique de l'ancienne httérature yougoslave sur 1' Adriatique.

Marulic, Lucie, Hektorovic et Zoranic sont des figures originales de la littérature yougoslave , mais après eux , n' apparaissent sur le territoire de la Dalmatie vénitienne que quelques écrivains sans aucune importance. Les Vénitiens ont gouverné la Dalmatie comme si elle était leur propre colonie; ils ont entièrement épuisé le sol et le peuple, ils ont abattu les forêts pour construire leurs vaisseaux , ils ont laissé le peuple s'exterminer dans des luttes sanglantes avec les Turcs et ils ont dénationalisé les gens cultivés.

Aussi, dans ce miheu sans Hberté, à l' époque les plus grands poètes apparaissent dans Raguse libre, la httérature en langue nationale s'est presque tout à fait éteinte sur le même territoire où, auparavant avaient été créées des œuvres dont serait fière n' importe quelle littérature de cette époque.

Au XVIII^ siècle, on sent un mouvement quelconque, mais alors, il ne s'agissait plus de créer de grandes œuvres appelées à représenter la civilisation d'une nation, car les gens cultivés n'étaient plus aptes à créer et à s' assimiler la civilisation nationale, il s' agissait seulement d' entretenir chez le simple peuple la conscience vive du sentiment national.

2) Jan Hasisteinsky z Lobkovic: Putovâni k svatému hrobu (Voyage au Saint-Sépulcre) Prag, 1907.

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Le Père Philippe Grabovac, aumônier des soldats dalmates de r armée vénitienne, a écrit: „Cvit razgovora naroda" (La fleur des causeries du peuple, Venise 1747); dans une chanson ée ce recueil, il chante la gloire d'autrefois, la compare à la léthargie qui règne à cette époque en Dalmatie et il 1' engage à secouer son esclavage; dans une autre, il expose au peuple ce triste fait, qu' il combat et verse son sang au profit d' au- trui. A cause de ces chansons révolutionnaires, on lui mit les fers et on le transporta de Vérone à Venise; là, il fut jeté en prison il mourut après avoir subi de grandes tortures (1750).

Son successeur, le Père André Kacic travailla dans le même but, mais avec plus de prudence. Voyageant à travers la Bosnie et l'Herzégovine, comme missionnaire du pape pour surveiller les couvents des franciscains, il apprit comme on peut, même dans un pachalik turc, vivre et travailler pour son pays, et il devint un opportuniste prudent à 1' instar des fran- ciscains de Bosnie.

11 a écrit: „Razgovor ugodni naroda slovinskoga" (Causeries plaisantes du peuple slave, Venise, 1756), livre dans lequel il a, à la manière d' un „guslar" (joueur de gouslé) national, chanté tout au long l'époque entière des luttes yougoslaves contre les Turcs. Ses causeries ont été le premier livre populaire qui a été lu dans tous les pavs yougoslaves; les „guslars", chanteurs nationaux ont chanté ses chansons avec les leurs propres, car entre elles, il n' y avait pas de différences notables. Kacic ré- pandit ainsi le premier, dans le peuple opprimé et démembré l'idée de 1' union nationale et la confiance en la force natio- nale; malheureusement le poète ne pouvait s'exprimer aussi clairement et formellement qu'il l'aurait voulu, car il craignait d'encourir la destinée tragique de Grabovac, et il fut obligé malgré lui, de flatter le doge de Venise et certains chefs de y armée de Venise.

Lorsqu' en 1667 le grand tremblement de terre de Raguse mit la ville en ruines et amena la république presque au bord de sa perte, et alors que les Turcs affaiblis exigeaient des Ragusains une contribution féodale toujours de plus en plus lourde, la liberté de Raguse n'était déjà plus qu'apparente; le commerce, et avec lui le bien-être de la république dispa- rurent de plus en plus, la Méditerranée perdit l'importance qu' elle avait eue jusqu'alors, et les fondements de la riche civilisation ragusaine s'écroulèrent.

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Dans la littérature triompha le formalisme, et à Raguse

;aussi, sous 1' influence des jésuites, les gens cultivés furent

dénationalisés ayant été élevés dans le latinisme mort et dans

la littérature italienne contemporaine, qui était elle-même alors

en décadence.

La force de création jadis si puissante et originale avait baissé et était remplacée par 1' art de 1' imitation, car on subis- sait des influences de tous les côtés.

Au XVIII^ siècle, Molière a un théâtre permanent à Raguse, pour lequel on a remanié et localisé une vingtaine de ses co- médies; et cependant le pseudo-classicisme rigide finit par triompher.

Vers cette époque surgit un grand homme connu du monde entier, le ragusain Ruggiero Bosko vie, une des plus grandes intelligences de son temps, célèbre mathématicien, physicien, astronome, philosophe et qui a encore aujourd' hui son impor- tance comme père de l'atomistique dynamique.

. Il est intéressant de remarquer que vers la fin du XVIlb siècle, dans Raguse dénationalisée, le plus grand et le plus populaire poète soit un Français Marc Bruère Desriveaux, à Lyon, dont le père avait été consul à Raguse. Il s'y était complètement acclimaté, et pendant que les poètes du pays rivalisaient à qui chanterait en meilleur latin classique, (Rai- mond Kunic a traduit en latin l'Iliade et Bruno Zamanja, l'Odyssée) ce Français nationalisé, lui, se détournait du pseudo- classicisme depuis qu'il avait découvert dans les alentours de Ra- guse, l'Homère ressucité se rapprochant davantage de l'esprit du temps, le „guslar" (joueur de gouslé) chanteur national; et l'imitant dans ses créations poétiques, ce Français d' origine écrit dans la plus pure langue nationale, et blâme d' une satyre mordante les poètes ragusains à cause de leur dénaturalisation. Avec Rousseau, il est partisan de la vie naturelle, qui dans les en- virons de Raguse s' était conservée intacte; non seulement, il a comprend théorétiquement, mais il s' y adonne de tout son cœur en suivant son inclination.

Bruère Desriveaux, de tous les poètes ragusains se rap- proche- le plus des idées contemporaines qui ont servi, après la disparition du pseudo-classicisme, au commencement du développement du romantisme.

La venue intéressante de Bruère Desriveaux est une preuve de plus combien l'esprit yougoslave possède d'éléments sym-

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pathiques, pour qu'un étranger appartenant à une si grande- nation, les ait adoptés et développés quand, momentanément, la force nationale est venue à manquer aux indigènes cultivés.

Raguse est la première ville yougoslave la civilisation française se soit acclimatée au XVIII^ siècle. Molière, est aux ragusains de cette époque, ce que leur était au XVI*^ siècle. Marin Drzic. La langue française était tellement répandue à Raguse que même les remanieurs des comédies de Molière, blâmaient les dames de Raguse à cause de cette mode de „francezarije" (parler, et faire tout à la française).

Raguse est aussi la première ville un Français de nais- sance, estimant les qualités de l'esprit national yougoslave a prouvé qu' une harmonie et entente parfaites étaient possibles entre l'esprit français et yougoslave, entre la civilisation fran- çaise et yougoslave.

Au XVIII^ siècle, la civilisation sur l'Adriatique est en dé- cadence, mais dans les autres pays yougoslaves le recul est encore plus sensible; du reste, c'est le siècle delà décadence et même chez de beaucoup plus grandes nations.

Malgré tout cela, le XVllI^ siècle a accompli sur l'Adria- tique une très importante tâche; il a préparé le terrain pour l'occupation française, qui apporta aux Yougoslaves, les idées d'une Renaissance nationale au point de vue de la politique et de la civilisation.

IIL

Les Yougoslaves, c'est-à-dire: les Croates, les Serbes et les Slovènes sont une même nation qui, depuis des siècles, Vit continuellement sur son intégral territoire ethnographique. Cette nation a occupé un territoire qui se trouvait entre deux mondes, entre l'Orient et l'Occident, et son premier développe- ment politique et civilisateur a eu lieu à l'époque les con- trastes entre ces deux mondes étaient les plus forts. C'est la. cause pour laquelle les Yougoslaves, concernant la politique et la civilisation, ont été séparés en deux. Le pays lui-même, en raison de sa formation et de ses traditions s'est morcelé en provinces, de sorte que le principe „divide et impera" a tou- jours été un moyen naturel de gouverner les Yougoslaves: il a été employé par tous leurs dominateurs, car les Yougoslaves n'ont jamais eu à leur tête, un maître unique, soit de leur côté,, soit du côté étranger.

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Enfin le territoire habité par les Yougoslaves est peut- être le plus important de l'Europe du sud, et c'est justement le point tragique de leur histoire; car ce territoire est de- venu désirable et considéré comme nécessaire au développe- ment de tous leurs voisins, malheureusement plus forts qu'eux; et par cette force brutale, les Yougoslaves furent toujours jus- qu'à nos jours un peuple morcelé comme il n'y en a pas eu dans l'histoire du monde. C'est pour cela que les Yougoslaves jusqu'au XIX*^ siècle ne purent pas avoir une unique civilisation et que chaque petite province vivait de sa propre vie, concer- nant la civilisation. Mais, malgré cela, depuis des siècles, les plus grands esprits yougoslaves cultivaient l'idée slave et yougoslave, cherchant à se délivrer et à s'unifier nationalement. La confiance qu'ils avaient nourrie jusqu'alors dans les grandes nations slaves, s'était évanouie. L'„Osman" de Gundulic était seulement resté une belle illusion poétique sur l'État polonais qu'il avait espéré devoir être le libérateur des Yougoslaves.

Après Gundulic, dans la seconde moitié du XVII^ siècle, apparaît Georges Krizanic, grand théoricien politique qui, ayant confiance dans la Russie, s'était rendu dans ce pays énigmatique comme le premier fanatique de l'idée slave; il vou- lait régénérer ce pays, espérant qu'une fois régénérée, la Russie deviendrait la grande libératrice de tous l'es Slaves. Krizanic a écrit sa ^Politique" pour les souverains russes. A cette époque, oii les luttes économiques et politiques commencèrent en Europe, il démontre que la Russie doit accepter la civilisation occiden- tale, qu'elle doit aussi se soustraire entièrement à l'influence de l'Allemagne qui lexploite économiquement; elle deviendrait ainsi politiquement et économiquement libre, forte, et formerait un État national, entièrement slave qui serait à même alors de libérer et d'unifier tous les autres Slaves. La Russie ne com- prit pas le grand Yougoslave; et à cause de ses idées avan- cées, Krizanic dut passer la plus féconde partie de sa vie en Sibérie dans l'exil. (1661—1676).

Au XIX^ siècle l'idée yougoslave est devenue la pierre fondamentale de l'idéologie nationale en ne tenant pas compte des divisions politiques; à partir de cette époque, elle est le rêve de tous les gens cultivés de la nation et de toute la civilisation qui se fond, seulement maintenant, en une seule et unique civihsation, par laquelle l'idée yougoslave pénètre for- ement dans l'âme du peuple. Et ce revirement foncier dans la

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résolution du problème de l'union yougoslave, au point de vue de la politique et de la civilisation, a été pour la première fois mis en branle et exécuté aussi sur l'Adriatique, et ce sont les Français, qui les premiers, en ont donné l'initiative et qui l'ont réalisé.

En 1797 la République de Saint-Marc s'effondra et la Dalmatie épuisée, appauvrie, amoindrie en territoire et en popu- lation, avec ses hommes cultivés dénationalisés, se libéra de la domination vénitienne. A la paix de Presbourg en 1805, la Dalmatie tomba au pouvoir de Napoléon; en 1808 la vieille république ragusaine tomba aussi dans les mains du grand Corse, qui à la paix de Schoenbrunn obtint aussi la Carniole, la partie autrichienne de l'istrie, la Croatie, les Confins militaires de la Save jusqu'à la mer, et aussi quelques districts de la Carinthie, de la Styrie et du Tyrol.

Napoléon sut apprécier ces acquisitions, considérant les Yougoslaves, comme il le disait lui-même, une sentinelle placée devant les portes de Vienne. Tout le littoral de l'Adria- tique, y compris les terres qui s'avancent profondément à l'intérieur, après un démembrement séculaire, se trouvèrent enfin réunis en une seule main, sous une même administration €t ayant à accomplir une seule mission politique et civih- satrice. Après avoir arrondi ses acquisitions dans le midi yougoslave. Napoléon fonda un État autonome „Pr ovin ces d'Illyrie" (1809). Les Français tâchèrent en Illyrie, surtout dans le domaine le plus négligé de la Dalmatie vénitienne de faire avancer, avant tout, la culture matérielle, mais peu de temps après, ils donnèrent une nouvelle base à la civilisation intellectuelle. On développa les écoles élémentaires; on fonda 25 lycées et deux établissements supérieurs du genre Université, à Zara et à Ljubljana. En Dalmatie, il y eut dans certains endroits des lycées.» qui furent après' supprimés, sous le régime autrichien. Déjà en 1806 commença à paraître à Zara le plus ancien journal^ yougoslave „Kraljski Dalmatin" ; une littérature sco- laire et populaire se développa, servant de base sur laquelle devait plus tard se développer une civilisation supérieure, et tout cela dans la langue nationale et en harmonie avec les particularités et les tendances de la nation.

Les Français furent les premiers qui donnèrent aux Yougo- slaves une idée moderne du mot: Nation, qui depuis ce temps-

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là, signifia non seulement, seigneurs, nobles et clergé, mais aussi bourgeois et paysans.

En Illyrie, on abolit les droits féodaux (en Bosnie ces droits féodaux ont existé sous la domination austro-hongroise, jusqu'à nos jours) et les classes furent égalisées. Tous ressen- taient enfin le sentiment de la vraie liberté.

Lorsqu'une Seigneurie de ce côté-ci de la Save faisait un procès à ses vassaux d'au-delà de la Save en Illyrie, exi- geant- certains droits injustes, les paysans répondaient fièrement en latin dans le procès-verbal : „Galli sumus, ergo liberi".

Les Français, les premiers, trouvèrent sur la base de l'idée nationale, la solution logique du problème yougoslave con- cernant la politique et la civilisation. Tout au contraire de la politique autrichienne qui démembrait, morcelait les pays yougo- slaves, Napoléon, le premier, les unissait. Le premier État yougoslave uni donna une nouvelle vie à l'idée de l'union nationale, et l'illyrie aurait, si la chute de Napoléon n'était arrivée si tôt, sans aucun doute, rassemblé autour d'elle les autres provinces yougoslaves qui sont restées sous la domi- nation autrichienne, magyare et turque. Le problème de la civilisation fut aussi résolu d'une manière ingénieuse. Dans l'état-major de Napoléon, le savant Marcel de Serres était rap- porteur pour tout ce qui concernait les affaires yougoslaves; il édita plus tard l'ouvrage „Voyage en Autriche ou Essai stati- stique et géométrique sur cet empire" (Paris, 1814). Dans le chapitre intitulé .-Des Esclavons et de leur langage", il expose des idées rema'^quablement justes sur la civilisation yougo- slave unifiée. Les Français respectaient aussi les idées des écrivains yougoslaves et résolvaient, d'accord avec eux, toutes les questions. L'union politique réalisée exigeait une prompte décision au sujet de l'union de la culture intellectuelle.

L'illyrie ^devait, déjà à cause de l'administration et de l'in- struction unifiées, avoir une langue littéraire et une orthographe uniques, car jusqu'à ce temps, presque chaque province se. servait, dans la littérature, de son propre dialecte et de sa propre orthographe qui se rapprochait de celle de la nation voisine (italienne, allemande, magyare). Ainsi la question de la langue littéraire et de l'orthographe était-elle la question fondamentale de notre union culturale. Sous l'influence française parut le Vo- cabulario italiano-illyrico-latino (1810) de Joakim Stulli. dédié Marmont, gouverneur de l'illyrie napoléonienne, et la Qram-

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matica délia lingua Ilirica (1808) de F. M. Appendini, l'un et l'autre édités à Raguse.

ATriesteparut la „Novaricoslovicailiricka" (Nouvelle gram- maire illyrique, 1812) de Siméon Starcevic. Dans tous ces travaux se fait remarquer une visible tendance pour que les Yougoslaves forment une seule et même nation, pour qu'ils parlent une même langue, ayant plusieures dialectes différents, avec la remar- que qu'il faut intro^iuire dans la vie publique, dans les écoles et dans la littérature Un seul dialecte dit „Sto" qui était de tous les dialectes dalors le plus répandu et le plus parfait; l'ortho- graphe aussi devait être uniforme et s'adapter aux exigences de la langue.

L'illyrie française, dont le centre de gravité politique et cultural était sur l'Adriatique, tomba en même temps que Na- poléon et fut de nouveau démembrée en plusieurs parties ad- ministratives, mais ridée de l'État de l'illyrie continuait cepen- dant à lui survivre.

La vie de l'illyrie, bien que courte fut cependant assez longue pour enraciner dans le peuple l'idée de l'union nationale pour un futur développement.

Mais ce développement s'annonçait difficile, car après l'occupation française, toutes les puissances voisines cherchèrent à opprimer les tendances nationales des Yougoslaves. Les Yougoslaves se sont unifiés plus difficilement que les autres peuples, car les pouvoirs turcs, autrichiens et hongrois s'op- pqsaient même à leur union culturale, voyant aussi, un moyen qui aiderait les Yougoslaves dans la propagation de leur idéal politique.

Et cependant, bien que l'illyrie de Napoléon fût tombée, parut en ce même temps le héros de Topola, Karageorges qui déliyra la Serbie des Turcs, et ce pays délivré devint le Pié- mont politique des Yougoslaves; mais seulement plus tard à Za- greb, en Croatie fut créé le centre de civihsation danslequel se déve- loppa l'idée de l'union yougoslave. C'est que la jeunesse commença la Renaissance nationale, résolvant le problème na- tional sur la même base, d'après la même méthode et avec le même nom i llyrique comme cela avait été dansl lllyrie du temps de Napoléon. Malheureusement la renaissance nationale n'a pu unir tous les Yougoslaves ni au point de vue politique ni au point de vue civilisateur. Sans relations politiques avec les autres nation de 1' Europe, les Yougoslaves durent pendant l'année

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révolutionnaire de 1848, les armes à la main, défendre leur langue contre les violences magyarisatrices des Magyars et exiger de l'Autriche qu' elle créât un État fédératif pensant qu'ils trouveraient seulement ainsi assez de liberté pour vivre leur vie nationale, et assez de force pour libérer leurs compa- triotes qui gémissaient encore sous le joug turc, en Bosnie et en Herzégovine.

La marche de l'unification de la civilisation a fait tout de même de grands progrès, car jusqu'à cette époque-là, il n'y avait que des littératures régionales, c'est-à-dire que chaque province écrivait seulement pour elle-même, avec son dialecte et son orthographe, mais à partir de la Renaissance nationale, il y a trois littératures: littérature serbe, croate et Slovène. Entre la littérature serbe et croate, il n' y a même aucune dif- férence, excepté dans l'alphabet, les Serbes se servant de lettres cyrilliques, tandis que les Croates emploient des lettres latines; mais entre la littérature croato-serbe et celle des Slovènes, il y a une petite différence dans le dialecte. Bien que la Re- naissance nationale n'ait pas pu parfaitement réaliser l'union nationale, elle a donné aux Yougoslaves le même idéal en politique et en civilisation qui, après l'année manquée -de 1848, à la place du fédéralisme s'était installé l'absolutisme de Bach, devenait quand même de plus en plus visible.

A la demande de la diplomatie turque qui s'effrayait de voir pénétrer l'idée illyrique en Bosnie et en Herzégovine, encore sous la domination turque, l'Autriche défendit en 1843 qu'on employât le nom: illyrique. Depuis ce temps le nom: Yougo- slave sert d'appellation commune pour les Serbes, Croates et Slovènes, et comme chef de la nation, avec la devise de l'idée yougoslave, apparaît vers la seconde moitié du XIX^ siècle le grand évêque Joseph Georges Strossmayer, le célèbre ora- teur Hbéral au Concile du Vatican. La vie nationale et civilisée se développa jusqu'à nos jours sous le nom de yougoslave et les tendances à l'unification y devenaient toujours plus claires.

En 1867, Strossmayer fonda à Zagreb l'Académie yougo- slave pour qu'elle devînt le centre scientifique des Serbes, Cro- ates et Slovènes. Mais les autres branches de la civilisation inclinèrent aussi à se réunir, notamment celle de la littérature.

Les littératures: croate, serbe et Slovène ont produit, il est vrai, au XIX^ siècle de grandes œuvres, mais lorsque les petits contrastes auront disparu, alors une littérature

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yougoslave unique créée pour 12 millions d'âmes, présen- tera seulement l'expression parfaite de l'esprit yougoslave. Le contraste entre la littérature serbe et croate existe dans la différence de l'alphabet; le comte Janko Draskovic. chef politique de la renaissance nationale dans la première moitié du XIX^ siècle, proposa que les Croates se servissent de l'alphabet cyrillique, mais la proposition ne fut pas acceptée.

Le chef des intellectuels serbes modernes, le D"^ Jean Skerlic, déclara à son tour en 1910, au congrès des écrivains yougoslaves de Ljubljana qu'il se chargeait de faire accepter aux Serbes l'alphabet latin.

Ainsi les plus grandes intelligences yougoslaves furent les porteurs de l'idée de l'union nationale et ce procès d'unifi- cation de la civilisation yougoslave est à présent en tant pa- rachevé, que l'union politique des Serbes, Croates et Slovènes en un État, sousla dynastie des Karageor- gévic qui donna le libérateur de la Serbie et des Yougoslaves, est le faitnaturel d'une terminaison logique de tous les efforts accomphis jusqu'ici, et de cette façon la question yougoslave se trouve définitivement résolue.

Dans les efforts civilisateurs accomplis jusqu' à présent,, la source de la nouvelle vie yougoslave n'a que commencé à jaillir. Unis au point de vue de la civilisation et de la poli- tique, ils n'ont plus qu'à créer une culture intellectuelle par laquelle ils acquerront dans le monde, comme travailleurs civi- hsateurs, la même renommée qu'ils ont acquise comme guerriers dans l'histoire qui les a placés au premier rang. L'héroïsme devint le trait principal du caractère yougoslave, et cet hé- roïsme fut toujours au service de la civilisation contre la barbarie. Les souffrances des Yougoslaves dans les luttes séculaires qu'ils soutinrent contre les Turcs sauvèrent la civilisation européenne de l'anéantissement par le sabot turc. Aussi le poète ragusain Vladislav Mencetic, célébrant les héros de la famille de Zrinski, a-t-il bien . dit déjà au XVII^ siècle:

L'Italie aurait depuis longtemps sombré Dans les vagues de l'esclavage, * Si la mer ottomane n'était venue se briser

Contre les écueils croates.

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Les terres de l'Adriatique sont le berceau de la plus ancienne civilisation yougoslave; elles doivent aussi, à l'avenir, mettre les Yougoslaves en relation avec le monde entier ; elles possèdent les traditions les plus grandes et les plus belles; elles ont donné le jour à de grands hommes. Parmi eux, nous comptons: le sculpteur Jean Mestrovic, le peintre Vlaho Bu- kovac, les poètes Jean Mazuranic, Silvius Kranjcevic, Ivo Voj- novic et Vladimir Nazor. Les terres de l'Adriatique seront aussi dans l'avenir la source et le centre de la civilisation yougo- slave; si elles sont mutilées, l'avenir des Yougoslaves sera aussi mutilé; c'est pourquoi l'intégralité complète des terres yougoslaves sur l'Adriatique est l'impératif catégorique de la vie politique et civilisée des Yougoslaves.

La Yougoslavie économique.

(Court aperçu.) ( Par Philippe Lukas, Professeur à l'Académie de Commerce.)

1" Lignes fondamentales du développement économique.

L'espace est le fondement de toute économie, car c'est la partie de la surface terrestre sur laquelle l'homme se meut et développe ses forces physiques et intellectuelles. En second lieu, l'économie dépend des conditions naturelles qui résultent des circonstances géologiques, morphologiques, climatériques et floristiques-fauniques d'un pays. La situation géographique joue dedans un rôle très influent. En troisième lieu, l'éco- nomie dépend du travail de l'homme, car toutes les ressources naturelles resteraient des capitaux morts, si l'homme ne les ex- ploitaient pas, et si l'économie ne les développait pas suivant certaines lois sociales. Le mode d'exploitation dépend des forces productives intellectuelles, qui trouvent leur expression dans la, technique et l'organisation du travail. L'économie, c'est en premier lieu, le travail avec la nature et, en se- cond lieu, le travail contre la nature.

Au point de vue de la grandeur de l'étendue^ de la situation géographique et de la richesse des ressources et forces naturelles, la Yougoslavie figure parmi les pays richement dotés, mais, au point de vue du degré de la culture matérielle, elle se trouve au début de son développement écono- mique, car elle ne vient que de commencer à ex- ploiter ses ressources et ses forces, tandis que les biens culturels ne sont qu'en train de se faire sentir.

2" Superficie, situation, frontières.

La Yougoslavie a une superficie d'environ 250.000 kil. carr., elle est un peu plus petite que la Grande Bretagne sans l'Ir- lande, qui en a une de 231.000 kil. carr.

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Elle comprend les Etats de Serbie et de Crna Gora (Mon- ténégro) et les parties yougoslaves de l'ancienne monarchie austro-hongroise. Elle forme le pays de transition entre l'Eu- rope centrale, la mer Egée et la mer Adriatique. Tandis que le royaume de Serbie en tant qu'Etat moravien-vardarien forme le centre de la péninsule des Balkans et relie l'Europe centrale avec la péninsule des Balkans, la mer Egée et l'Asie Mineure, les pays yougoslaves de l'ancienne monarchie austro-hongroise forment le territoire de transition entre les pays alpins et da- nubiens d'une part et la mer Adriatique d'autre part. Mais tandis que le royaume de Serbie barre la route à ces forces qui tendent à une plus vaste sphère politique et à l'expansion intercontinentale (Express-Orient, chemins de fer de Bagdad, Europe Centrale), les pays yougoslaves de l'ancienne monarchie austro-hongroise sont un objet de lutte entre les pays et forces des Alpes et du Danube et les forces qui agissent sur la mer Adriatique.

De la Soca jusqu' à la Bojana, les Yougoslaves forment une chaîne ininterrompue, flanquant la partie orientale de la mer Adriatique. Tandis que les frontières maritimes sont sans conteste naturelles, les frontières continentales de la côte occidentale sont différemment comprises par les Yougoslaves et les Italiens.

L'Italie est sans aucun doute une des plus belles indivi- dualités continentales, un ensemble borné par des frontières naturelles, mais elle s'étend de la Sicile aux Alpes sans la dé- passer. C'est dans cette étendue naturelle que se trouve la force de l'Italie, et sur ce territoire se développèrent deux peuples, le peuple romain dans les anciens temps et le peuple italien dans les temps modernes. Lorsque l'Etat romain franchit ces frontières naturelles, il perdit son caractère national et devint une sorte de forme juridique internationale pour les acquisitions culturelles de peuples sur la périphérie de la mer Méditerranée. Après la chute de l'Empire romain, l'Italie se trouva dans son territoire naturel, sur lequel se développa le peuple italien.

Aux temps de son expansion, les frontières de l'Italie furent portées à l'Est jusqu' à la Rase (Arse) en Istrie, jamais plus loin; mais tout cela n'est pas fondé géographiquement et disparut, d'ailleurs, bien vite au temps des émigrations des peuples, sans que le nom d'Italie ne se conservât sur ce ter- ritoire géographiquement différent. Les circonstances ethniques et autres de ces deux pays nous font voir combien diverse-

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ment agit le territoire naturel. Tandis qu'en Italie, tous les peu- ples, et même leurs conquérants (les Goths, les Normands, les Lombards), se sont assimilés avec les indigènes et devenus Italiens, l'Istrie a pris une forme ethnographique toute différente.

L'élément roman, maigre la domination de Venise de plus de 1000 ans, ne s'est nulle part maintenu, excepté quelque peu dans les villes et sur les côtes occidentales, et cela, par la loi géographique de conservation, d'après laquelle les survivants des peuples déchus trouvent en tout temps et en tout lieu leur salut ou dans les montagnes, ou sur les côtes (les Celtes, dans le pays de Galles, en Bretagne et en Normandie; les Grecs, en Asie Mineure) le long des bords de la mer.

Pour pouvoir apprécier la situation géographique de ces contrées que les Italiens réclament pour eux, il faut avoir de- vant les yeux les lignes naturelles de l'Europe entière.

Le continent européen peut se diviser en deux moitiés naturelles, l'une découpée, à l'Ouest, l'autre massive, à l'Est. La partie orientale est Hmitée par la ligne du Dnjester et de la Vistule et la partie occidentale par la ligne Dantzig-Trieste. A l'Est de la première ligne se trouve le tronc continental de l'Europe, et, à l'Ouest de la seconde, une sorte de péninsule européenne de climat océanien et mi-océanien. Au centre s'é- tend une partie de transition, se font sentir dans le climat, la flore et la culture les influences des deux autres parties.

La ligne la plus importante et en général la ligne culturelle la plus marquante de I' Europe qui sépare les races romanes et germaines de la race et de la langue slaves, se trouve sur la li- gne Dantzig-Trieste. Il y a bien quelques trangressions d'un côté et de l'autre, mais elles sont si peu importantes qu'elles ne changent point 1' essence du problème. Les Slaves ont franchi cette ligne de démarcation et ont passé en forme de coin dans la plaine lombarde; les Italiens se sont mainte- nus sur la périphérie occidentale de 1' Istrie; mais toutes ces transgressions peuvent se résoudre sur la base du principe national dans l'esprit des principes de Wilson. Ceux qui ^de- mandent ces pays pour 1' Italie sur la base de la géographie ou de la ligne de partage des eaux, sans tenir compte de l'ethnographie et des autres facteurs physiques, ne sont pas moins téméraires que ces géographes autrichiens qui réclament la plaine Lombarde sur la base de la ligne de partage des eaux ap'ennine.

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Ce n'est pas seulement le principe ethnographique, mais aussi la géographie qui parle en faveur des Slovènes. La Soca passée, en venant de l'Italie, on rencontre une tout autre constitution du sol et de toutes nouvelles apparitions de la nature. La formation calcaire du sol près de Monfalcone pénè- tre jusqu'à la mer et s' étend jusqu'à la Bojana.

Les îles voisines de la terre ferme, d'après leur forme, leur formation et leur direction concordante, ne sont que des parties du continent et se sont formées à la suite du déplacement séculaire des côtes dalmates et istriennes, pendant lequel la mer a pénétré dans les bas fonds pour les transformer en canaux et baies, tandis que les monts, se dressant au dessus de la mer, ont formé des îles. Les côtes de la terre ferme et les îles de la mer forment un ensemble organique géographique, dont 1' un ne saurait se détacher de r autre, sans causer la déformation de 1' orga- nisme tout entier. Les limites qui séparent 1' Ita- lie de la Yougoslavie se trouvent au milieu de la mer Adriatique dans la direction de son axe.

Revendiquer pour l'Italie, sur la base' de la géogra- phie, les côtes orientales de la mer Adriatique, ce n' est pas moins fondé que de demander pour 1' Allemagne les côtes de Finlande. Les géographes italiens voudraient peut être baser les prétentions de l'Italie aux îles et côtes dalma- tes et istriennes sur la loi connue de la force de réunion de la mer. La mer, en effet, réunit des côtes opposées, et même toutes les côtes du monde, en un ensemble, mais ce ne sont que des liens de communications et de commerce; les liens politiques exigent d'autres conditions plus fortes. .Jadis, la chose était toute simple à cet égard, lorsque la vie politique et commerciale se passait dans le voisinage des côtes; mais, de nos jours, les continents sont organisés, et les communi- cations continentales balancent suffisamment déjà les avantages de la mer; les côtes, aujourd'hui, ne font face qu'aux besoins de leur arrière pays.

La mer, au point de vue géographique poli- tique, remplit les fonctions de limites, c'est à dire qu'elle sépare les Etats, tandis que sa force de réunion se manifeste aussi, en second lieu, au point de vue des communications et du commerce. Côtes opposées, esprit opposé, dit on bien caractéristiquement en anglais.

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Climat.

Ne parlons du climat que pour faire ressortir les différen- ces floristiques et culturelles qui existent entre le littoral et r arrière pays, et pour attirer 1' attention sur la Rivière (Cor- niche) dalmate, qui, par la chaleur des mois d'hiver, passe avant les bains hivernaux français et autres.

La latitude géographique, la constitution du sol et la situ- ation sur la mer, voilà les facteurs essentiels du climat.

D'après la latitude géographique, la Yougoslavie appar- tient à la zone tempérée; d' après la constitution du sol et r altitude, on remarque dans l' arrière pays d' assez grandes différences entre l'été et l'hiver; d'après la situation sur la mer, on trouve en Yougoslavie une petite contrée climatérique méditerranéenne de caractères climatériques identiques à ceux qu'on rencontre en Italie et dans la France méridionale.

L'influence particulière sur le climat de la Yougoslavie résulte de la direction des montagnes, qui s' élèvent immédia- tement jusqu' à la mer, parallèlement aux côtes. La tempéra- ture en est abaissée à l'intérieur, car les montagnes ne lais- sent point pénétrer le souffle marin, mais, en même temps, elle en est élevée sur le littoral, il fait plus chaud que dans les autres endroits de même latitude géographique et de même situation méditerranéenne. Les températures annuelles moyen- nes et les températures moyennes du mois le plus froid de r année nous le prouvent au mieux.

Dubrovnik :

16V

en

janvier 9^2

Korcula :

'17M

9°,8

Hvar:

16°,5

9^

Nice:

15°,5

S'A

Athènes

16",8

8«,2

Naples

l6^

8«,4.

L'énergie calorique développée par la mer pendant 1' hiver est limitée à une bande étroite de la côte, ce qui fait que la température y est si élevée, mais, déjà à quelques centaines de mètres de la mer, cette influence cesse, un doux climat conti- nental y règne avec des oscillations de chaleur plus ou moins grandes et la flore de 1' Europe centrale et de la mer Noire.

4" Peuple. La Yougoslavie compte environ 14.000.000 d'habitants, qui se divisent en trois groupes: les Serbes, les Croates et les

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Slovènes. A l'origine, il n'y avait aucune difft^rence entre eux; des influences culturelles et une vie historique diverse les ont différencies, mais pourtant, ils ont conservé entre eux un vif sentiment de l'unité nationale, et leur attitude actuelle n'est que la conséquence de leurs aspirations et de leurs efforts.

L'étendue géographique occupée par les Yougoslaves possède cette particularité qu'elle ne forme pas un ensemble naturel unique, à l'instar de la France et de l'Angleterre, mais qu'elle se compose de quelques provinces plus ou moins petites. A l'exception de la Serbie, qui, d'après l'artère principale des fleuves Morava-Vardar, peut s'appeler Etat mora vi en-var- d a r i e n, les autres Yougoslaves occupent les formations calcaires Alpines-istriennes, croato-dalmates, bosniennes et les parties orientales des Alpes et du Danube moyen. Tandis que la Croatie méridionale, la Dalmatie, la Bosnie et Herzégovine et la Crna Qora ont un dos orographique commun dans la Velika et la Mala Kapela, Pljesevica et les Alpes danubiennes avec dçux penchants, l'un vers le Nord, l'autre vers le Sud du côté de la mer, la Slovénie et les pays croates-slavoniens sont réunis en un ensemble par. le bassin de la Save et de la Drave, qui de Triglava se continue vers l'Est sans aucune limite visible.

Les Slovènes se déplacèrent le plus loin des Yougoslaves vers l'Ouest et occupèrent les parties des Alpes orientales, justement celles qui se trouvent entre la mer et les autres pays alpins. Ce fut pour leur développement d'une importance capitale, car, dans l'organisation des pays alpins, ils vinrent comme composants de forces plus puissantes, les Allemands. Aussi sont ils restés, au point de vue de l'organisation, derrière les autres Yougoslaves, à qui le nombre et la situation ont permis une plus grande liberté de développement.

Les Croates ont occupé à l'Est des Slovènes le pays compris entre la Save et la Drave et la partie orientale de la péninsule avec les côtes istriennes et dalmates les plus décou- pées. On y trouve une infinité d'îles, de baies et de canaux ouverts largement vers le Sud et l'Ouest, ce qui fait que de ce côté s'est toujours fait sentir une forte influence, surtout alors le continent n'était pas encore organisé politiquement. Le littoral Yougoslave est peu fertile et peu étendu; aussi n'a on jamais pu y fonder d'Etat de grand style, bien que sur lui se trouvât le centre de l'Etat croate et de l'Etat ragusien. Cette partie fut d'ailleurs un objet perpétuel de luttes entre les forces continentales et maritimes.

00

Au point de vue ethnique, il n'y a point de différence entre les Yougoslaves. A côté de tous les mélanges étrangers il s'est formé un type unique, connu sous le nom de race *dinarique, caractérisé par la haute taille et le crâne brachicéphale. Dans ses études sur le caractère distinctif du corps, l'anthro- pologue anglais W. Ripley (The Race of Europe, London, 1900.) en arrive à conclure que les Illyriens modernes (Arbanais) et les Serbo-Croates forment un type unique physique, connu sous le nom de race dinar ique. D'après cela, cette opinion de quelques écrivains italiens n'est pas fondée, suivant laquelle les habitants de l'Istrie et de la Dalmatie appartiendraient ethniquement au peuple itahen^).

Les Yougoslaves sont physiquement sains et moralement d'une grande fécondité. D'après les données statistiques, le nombre des naissances dépasse celui des décès en moyenne, de 1901 à 1910, de 14,8 pour mille.

1)11 n'est pas sans intérêt de faire remarquer qu'il y a des écrivains italiens (entre autres, Carlo Errera: Una carta etnico-linguistica) qui mê- lent les moments ethniques et linguistiques, afin de pouvoir, de cette manière, signaler un nombre d'Italiens plus grand qu'il ne l'est en réa- lité. Le caractère principal des peuples est la volonté d' après laquelle chacun se dit appartenir à un certain groupe social. Aussi Renan prétend il justement que cet aveu se manifeste par un plébiscite de chaque jour. La langue, cela va de*soi, est un des moteurs principaux de la volonté, mais la langue seule ne forme pas le peuple. Les Irlandais, par exemple, parlent anglais, les Norvégiens danois, et pourtant ce caractère lingui- stique ne saurait faire dire à personne que les Irlandais sont des Anglais et les Norvégiens des Danois, et cela pour cette raison que ces peuples ne veulent pas qu'il en soit ainsi. En second lieu, la langue italienne n'est pas justement si répandu dans le pays que pourrait le croire celui qui arrive du côté de la. mer et juge tout le pays d'après l'impression faite sur lui dans les villes, car à l'intérieur presque personne ne parle italien. De plus, faisons le remarquer, presque tous les Italiens parlent aussi slave tout aussi bien que les quelques pour cent de Yougoslaves parlent italien, de sorte que les Italiens ne peuvent pas en appeler au caractère linguistique du pays. Si la langue italienne est plus répandue qu'elle ne devrait l'être d' après le caractère ethnique du peuple, cela résulte de deux facteurs: le pre- mier, ce sont les anciennes réminiscences, dont il est resté bien peu dans le pays; le second, qui est plus important, c'est la politique autrichienne, qui, lorsqu'elle dominait la province lombardo-vénitienne, voulut aussi créer en Dalmatie les mêmes circonstances culturelles, pour se façonner les fonctionnaires nécessaires. Elle n'ouvrit que des écoles italiennes en Dalmatie et sur le Littoral croate, et, plus tard, elle aida les Italiens, pour entraver, avec leur assistance, la réunion des Yougoslaves de ces con- trées en un ensemble national, ce qui lui a longtemps réussi.

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Le grand nombre des naissances démontre non seulement leur vigueur physique, mais aussi leur force démographique future, qui se manifestera au point de vue de la défense et de l'économie.

Socialement, les Yougoslaves sont un des peuples les plus démocratiques de la terre, car, en Serbie, Crna Gora et Bosnie, il ny a pas de noblesse, et dans les contrées de 1 ancienne monarchie austro-hongroise, les nobles y sont très rares.

Malheureusement, au point de vue culturel, les Yougo- slaves se trouvent assez en arrière vis à vis des peuples occi- dentaux, obligés qu'ils ont été de dépenser toute leur énergie pour dc'fendre leur existence nationale; quant à ceux de l'ancienne monarchie, des gouvernements étrangers leur ont imposé toutes les entraves possibles, pour les empêcher de s'élever culturellement. Tandis que, par exemple, il y a, en moyenne, en Autriche, une école primaire pour 1.250 habitants en Bosnie et Herzégovine il y en a une pour 3.715.

*

5^ Production agricole.

La Yougoslavie est un pays éminemment agricole, et même, d' après le pour cent des habitants qui s^ occupent d' agri- culture, elle est la première en Europe.^) Cependant le mode de travail agricole est encore assez primitif,. au moins dans une grande partie du pays. Les machines modernes s" emploient très rarement, et il y a encore bien loin jusqu' à la culture in- tensive du sol. Et pourtant, la production est assez grande ; une culture rationnelle 1' élèvera considérablement.

Le tableau ci joint contient les noms des espèces importantes de plantes et la quantité de la production ; bien d' autres plantes utiles (lin, chanvre, arbres fruitiers) ne sont pas mentionnées, parce que la statistique de toute la production n' en est pas confirmée, bien qu' elle soit assez importante.

La production absolue est assez grande, mais la production relative est bien faible. Au Danemark, un hectare donne 30 quin-

^) En 1910 se sont occupés d' agriculture :

en Serbie 84",, en Ualie 59%

en Bosnie et Herzégovine 88" en France 49''/o

en Croatie et Slavonie 85" en Angleterre^ 13"/ft

en Dalmatie 83, 7" en Russie 75"

en Slovénie 65%

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58

taux de froment, en Angleterre 21, tandis que dans la contrée la plus fertile de la Yougoslavie, les pays riverains de gauche du Danube, la terre (Loss) est de beaucoup plus fertile qu' au Danemark et en Angleterre, on récolte 10,2 quintaux, à peine par hectare.

Ce tableau fait ressortir en même temps de grandes diffé- rences entre les territoires productifs particuliers de la Yougo- slavie (Istrie ^ Dalmatie). Non seulement la production totale des céréales à pain peut couvrir les besoins de la population, mais même une partie en pourra être exportée (environ 15.000.000 de quintaux de farine).

'

Bêtes

à cornes

Chevaux

Moutons

et Chèvres

Porcs

Volaille

Serbie

1.000.000

152.617

3.800.000

900.000

Croatie et Slavonie

1.200.000

350.000

950.000

1.100.000

Slovénie

506.000

59.000

86.000

544.000

Istrie

64.490

21.000

203.000

17.209

Bosnie et Herzégovine

1.300.000

224.000

2.500.000

511.000

i

Dalmatie

104.714

42.000

1.100.000

70.844

Pays riverains du Danube

839.000

516.000

1.900.000

1.300.000

Cma gora et

Serbie Vardarienne

Inconnu

«

Total

5.014.204

1.364.617

10.539.000

4.443.053

Dans la production du froment, d' après le nombre d ha- bitants, la Yougoslavie figurera' avec 160 kgr. par personne au quatrième rang en Europe :

59

Bulgarie avec 400 kgr.

Roumanie 348

France 228

Yougoslavie 160

Quant à la production du maïs, la Yougoslavie, avec ses 37 à 40 millions de quintaux, prendra la première place en Europe, suivie à de grands intervalles par les autres Etats

européens:

Roumanie avec 28 millions de quintaux,

Italie 21

Espagne , 7 ,

France 6

Le pain de maïs est le pain de beaucoup préféré du paysan yougoslave, d'où il restera pour l'exportation une plus grande quantité de froment.

A côté d'une assez belle production de plantes commer- ciales (lin, chanvre, tabac, betterave à sucre, chrysanthèmes), de fruits (prunes, amandes^ figues^ pommes, poires, oranges, citrons, caroubes) et de plantes à huile (navettes, olives), il faut faire ressortir la grande valeur des forêts^ yougoslaves. Les 10.000.000 d' arpents^ de forêts couvrent un espace deux fois plus grand que ne 1' est la Belgique toute entière. Jusqu' à pré- sent, on a exporté de grandes quantités de bois, des planches et des douves surtout, dans l'Europe méridionale et occidentale Cette, en France) ; 1' organisation de meilleures communica- tions en élèvera considérablement l'exportation.

6" Elevage.

Suivant le sol et le climat, l'élevage des bestiaux est très différent. Au Sud, dans la zone méditerranéenne, rarement il pleut l'été, ce qui fait que le sol passe au steppe, l'élevage des bêtes à cornes est faible; dans l'arrière pays, au contraire, il pleut l'été et la culture des prés est développée, l'éle- vage des bêtes à cornes est assez avancé.

Les races qualitatives importées, en particuher les bonnes vaches à lait, se trouvent surtout en Slovénie et Croatie ; vers l'Est, les races sont plus faibles. Le nombre des moutons s'élève

1) La Dalmatie et l' Istrie fournissent 17.000 quintaux cl' amandes.

2) La Dalmatie fournit annuellement 60.000 quintaux de figues. •0 La Dalmatie fournit 40.000 hl. d'huile d'olive, l'istrie 6000.

*) 1.737 arpents ~ 1 hectare.

60

en chiffres ronds à 15.000.000 de têtes ^); daprès le nombre des habitants, la Yougoslavie occupe le deuxième rang. Pour 100 habitants il y a:

en Bulgarie

189

moutons,

Yougoslavie

107

n >

Roumanie

96

» 5

Espagne

81

n >

Grande Bretagne

59

» >

France

43

» >

Italie

4

»

Les Yougoslaves se nourrissent avant tout de viande de moutons. Le nombre de la volaille ne figure pas parmi les don- nées statistiques; au point de vue volaille, te Yougoslavie occupe une place importante; jusque maintenant il a été exporté un grand nombre de dindes et d'œufs sur les marchés de l'Ouest, à Londres particulièrement. L'élevage des bêtes à cornes se trouve aussi à une belle hauteur, et la Slovénie peut exporter du lait et du beurre, la Serbie de la viande. L'élevage des porcs n'est pas moins important ; avec ses 5.000.000 de têtes, en communauté avec la Serbie vardarienne et la Crna Gora, il occupe, d'après le nombre des habitants, la quatrième place en Europe; pour 100 habitants il y a:

au Danemark ' 54 porcs,

en Allemagne 34 ,

Roumanie 29 ,

Yougoslavie 28 .

La Serbie a jusqu'ici exporté principalement du bœuf et du porc gelé et de la graisse, et cette branche d'exportation con- tinuera à se développer favorablement dans cette direction.

7" Richesses minérales.

Les événements géologiques historiques qui ont formé le relief extérieur de la Yougoslavie sont la cause des diverses espèces de richesses minérales.

^) Le tableau n'indique que 10.500.000 têtes ; mais on n'y a pas fait figurer la Crna Gora et la Serbie vardarienne (53.200 l<il, carr.), qui four- nissent sûrement 4.00(1.000 de têtes au moins. La Yougoslavie toute en- tière fournit donc le nombre ci dessus.

61

Dans les formations archéennes et paléozoïques de Bosnie -et de Serbie on trouve des minerais de fer, de plomb, de cuivre, d'or.^)

Dans les formations mézozoïques des Alpes calcaires du Sud, on trouve des minerais de plomb et de zinc, du mercure et de la houille (Pecuh [Fiinfkirchen], etc.. Les formations ter- tiaires contiennent des couches de houille en Istrie et en Dal- matie. Les minéraux les plus importants sont: la houille, dont on a extrait en 1913, sans tenir compte des pays riverains du Danube (mines de Pecuh), environ 32.000.000 de quintaux-), le mercure, dont on a produit à Idrija, en Carniole, 8.200 quin- taux d'une valeur de 3.900.000 couronnes.

Le deuxième minéral, si important pour l'industrie, le mi- nerai de fer, se trouve aussi en belles quantités. Le gisement le plus considérable est celui de Vares en Bosnie, le mi- nerai est extrait et fondu. La production annuelle s-' y élève à 16.000.000 de quintaux de minerai, dont on reçoit 500.000 quin- taux de fer brut. Pendant la guerre, on a commencé à en extraire à Ljubija, et- ce minerai semble avoir un plus grand pour cent de fer que celui de Varesa. Il y a aussi des minerais de plomb, de zinc et de soufre, mais la production n'en est pas grande.

La Croatie et la Dalmatie méridionales, avec tout leur système calcaire, abondent en immense quantité en cryolite pour l'extraction de l'aluminium; pendant la guerre, on en a produit en plusieurs endroits (seulement en Istrie, 200.000 quintaux).

La marne pour la fabrication du ciment abonde dans toutes les contrées de la Yougoslavie, et tout particulièrement en Croatie et en Dalmatie, dont cette dernière travaille pour l'e'xportation. Les pierres de construction et le marbre se trou- vent en grande quantité dans le Velebit et en Dalmatie; d'im- posants palais (celui de Dioclétien à Split et le parlement de Vienne) sont construits avec les pierres de Brac ou de Korcula. Le marbre d'Unesic s'exporte de Dalmatie.

') La Serbie donne annuellement une petite quantité d'or, 450 kgr. d'argent, 900 kgr., mais 7.000 tonnes de minerai de cuivre.

') Slovénie : 18.000.000 de quintaux; Bosnie et Herzégovine: 8.400.000; Serbie: 4.000.000; Croatie et Slavonie: 1.100.000; Dalmatie et Istrie: le reste. L'Italie en extrait 5.000.000; de sa convoitise pour Siveric en Dalmatie.

62

La Yougoslavie possède de grandes richesses d' eaux mi- nérales et acidulées; citons en les plus connues: Koviljaca, en Serbie; llide près Sarajevo, en Bosnie; Topusko, Krapinske Toplice, Varazdinske Toplice, Stubicke Toplice, Sutinske To- plice, en Croatie; les bains d'iode de Lipik, en Slavonie; les bains sulfureux de Split, en Dalmatie; Rogatec, en Styrie, etc.

8" Développement culturel.

a) Industrie. Le problème industriel est partout, en premier lieu, la conséquence de 1" organisation sociale de la société et du par- tage du travail, ce qui suppose une certaine civilisation et une certaine densité de la population. En second lieu, le dévelop- pement de l'industrie dépend de la quantité des matières pre- mières, du capital disponible, de la force consommatrice du pays, de l'esprit d'entreprise, de l'habileté des ouvriers, des marchés extérieurs et de la situation géographique. La Yougo- slavie dispose de beaucoup de ces conditions, bien que, pour une plus grande impulsion de l'industrie au point de vue de r exportation, elle ne produise pas assez de fer, ni de houille. Mais le manque de houille noire peut se suppléer par la ho- nille blanche, qui, elle, ne s'épuise pas.^)

1) Le géologue compétent, professeur Dr. Frech, compte que la quan- tité probable de houille bosnienne s' élève à 3^':, milliards de tonnes. Mais, outre la houille noire, la Yougoslavie possède en grandes quanti- tés de la houille blanche. Jusqu'ici des études techniques ont été faites sur une partie des eaux, et, d' après 1' ingénieur Th. Schenkel (Karst- gebiete und ihre Wasserkraîte), la force hydraulique de toutes les eaux de la province de Lika s'élève à 200.000 HP., de la Recina 2.000 ,

de lajRicica 15.800 ,

de la province de Dalmatie 195.000 .

(d'après lui et d'après le technicien Baucic, qui a étudié ces eaux, mais n'a pas encore publié le résultat de ses travaux). Déjà maintenant, il existe des installations de SS.'JOO HP sur la Krka, de 36.000 HP sur la Cetina (près Gabavica). On y a construit un bassin pour 100.(00 HP, et si l'on y terminait l'installation, cette centrale serait, par la force hydrau- lique, la première en Europe, tandis qu'elle n'est que la deuxième.

La Trebinjcica, en Herzégovine, pourrait procurer une force de 7(1 à 80.00*-) HP et aussi les rivières de la contrée calcaire de la Yougo- slavie livreraient environ 600.000 HP.

Pour une force de cheval d' une heure on a besoin de 1 à 1 kgr 5 de charbon avec 7.000 calories; pour 600.000 forces de cheval d'une heure il faudrait 35.000.000 de quintaux de charbon. Ces forces hydrau- liques auraient donc une valeur annuelle de 35.0(-i0.000 de quintaux de charbon de Cardiff.

63

La caractéristique du travail industriel actuel, c'est qu'il se fait dans de petites entreprises et qu'il est lié à la trans- formation des matières premières du pays et à la production domestique. Le travail industriel vient de commencer à se développer, et le pays devra avoir recours, longtemps encore, aux marchés occidentaux-.

L'industrie textile, en tant qu'elle ne sert pas à la production domestique, est bien faible; tous les articles de coton, laine et lin sont venus de l'étranger. La confection est en général d'origine étrangère. Certaines espèces de travaux textiles sont prospères dans le pays, tels la toile bosnienne, les tapis de Pirot, les broderies et dentelles de Slavonie et Dalmatie (Pag, Konavlje). Les dentelles de certaines contrées peuvent, par leur exécution et la finesse de leurs desseins, figurer à côté des produits de la Flandre.

L'industrie alimentaire est mieux développée et se livre- à l'exportation dans quelques branches. Citons lés abattoirs, la fabrication des conserves de viande, la préparation du saucisson, le sèchement des prunes, la fabrication de la marmelade de prunes, la fabrication de l'esprit de vin et des liqueurs (eau de vie de prunes, rosolio dalmate, marasquin, muscat), la prépa- ration des sardines à la Nantes (Vis), la fabrication du sucre (importation nécessaire) et de la bière. Des manufactures de tabac, il y en a dans toutes les contrées, mais surfont en Bosnie.

L'industrie du bois est bien développée, quant aux planches et aux douves, et l'e'xportation s'en fait en grand ; mais pour les articles de bois, la Yougoslavie en est réduite à l'importation. Il y a bien quelques fabriques de meubles qui se distinguent par leurs créations, mais cependant l'importation de produits étrangers est" nécessaire.

La préparation des cuirs est bien avancée, et même, la fabrique de cuir de Zagreb était considérée comme la première de l'ancienne monarchie; mais les produits de cuir venaient presque complètement du dehors.

Les produits chimiques de quelques articles sont en pleine production et sont exportés^), tandis que d'autres (fabriques d'allumettes) couvrent les besoins des habitants.

') La fabrication du carbide et de l'engrais artificiel à Sibenik et à Dugi Rat (près Split) a déjà une renommée européenne. La fabrique de carbide de Dugi Rat a produit pendant la guerre 80 tonnes de carbide par jour, et se trouve être, par là, la première en Europe.

64

Les fabriques de ciment (Portiand) travaillent pour l'ex- portation; le ciment de Split est expédia en Italie, en Egypte, en Afrique et en Argentine.

La construction de bateaux compte quelques chantiers maritimes, mais la plus grande partie des bateaux du pays sont construits en Angleterre; la Yougoslavie continuera à être dé- pendante de l'Angleterre dans cette branche de commerce.

Toutes les autres branches de l'industrie sont faiblement développées dans le pays; elles doivent compter sur une forte importation. Il faudra tout particulièrement: des locomotives, des wagons, des automobiles, des aéroplanes, des appareils téléphoniques et télégraphiques, des fils, des instruments de pré- cision, des instruments de physique, des articles d'école, des accessoires géographiques, des globes, des cartes, des compas, des sextants, des atlas, des livres scientifiques, des articles de luxe de cuivre, d'argent et d'or, des montres, des nouveautés» des marchandises, de soie, de laine et de coton, du fil, des habits de confection, des articles de toile, de feutre, des jouets, des instruments de musique, des marchandises de peau, des gants surtout, des couleurs, des fusils et armes, des appareils et accessoires photographiques, des drogues, des médicaments, des huiles éthériques, du savon, des télescopes et prismes, du laiton, de la houille pour les ports, des marchandises de terre €t de porcelaine, du riz, du jute, du caoutchouc, des denrées coloniales, etc. . .

6'' Communications et commerce.

Le principe cher aux Habsbourgs „divide et imper a" ne s' est plus fait sentir dans aucune partie de l'administration politique que dans le service des communications. Les voies de communications n'ont pas seulement une importance com- merciale, elles sont aussi une force politique; aussi l'ancienne monarchie austro-hongroise a-t-elle construit des voies de com- munications en premier lieu, pour favoriser ses peuples domi- nants, les Allemands et les Madjares, et, en second lieu, elle les a construites de manière à séparer de plus en plus les Yougoslaves les uns des autres. La Dalmatie centrale, en étendue la partie principale de la Dalmatie, n'est pas réunie par une voie ferrée à la Bosnie, son arrière pays naturel: c'est la poli- tique divide. La Croatie n'est pas encore reliée directement par une voie ferrée à la Dalmatie, habite le même peuple.

65

avec lequel elle est aussi territorialement unie : c'est la politique divide; mais des chemins de fer ont été construits de Vienne et de Budapest jusqu'à la mer et en Bosnie, dans l'intérêt des races dominantes: c'est la politique impera. De Zagreb à Split, le trajet durait en chemin de fer 39 heures et de Vienne ou Munchen à Trieste, de 12 à 13 heures.

Ces chemins de fer, comme toute voie de communications, «talent sans doute utiles aux Yougoslaves, mais ils les ont politiquement isolés et nationalement affaiblis, car ils ont apporté la langue, l'esprit et la force des peuples dominants sur le territoire des Yougoslaves. Les voies ferrées ont été les meil- leurs pionniers du germanisme et du madjarisme, car, partout oiJ elles menaient, des écoles publiques madjares et allemandes ont été ouvertes dans le but de coloniser et de dénationaliser les Slaves.

La longueur des voies ferrées s'élève maintenant à en- viron 10.000 kms, soit 4 kms, de voie ferrée sur 100 kil. carr. au douzième rang en Europe.

Le premier devoir de la Yougoslavie dans ce sens sera de construire une ligne de chemin de fer à double voie qui reliera les Etats occidentaux avec l'Est. Cette ligne jouerait le rôle de la ligne européenne actuelle, 1' Express Orient.

Les autres lignes, qui attendent d'être construites sans retard, sont celle de Zagreb-Knin-Split (Sibenik) par la vallée de r Una et celle de Beograd-Sarajevo-Split.

Quant aux routes, la Yougoslavie est encore plus mal dotée, au point de vue non seulement de leur longueur, mais aussi de leur qualité. La Dalmatie 1' est mieux dans ce sens, car la France, pendant son heureuse domination de sept ans, y a construit un beau nombre de routes^).

1) Un témoignage classique de 1' esprit de l' administration française en Dalmatie nous est donné par l'empereur d'Autriche François I^r lui même, lors de sa visite en ce pays après le départ des Français. A toutes ses questions, qui a construit ce pont, cette route, cette école, il recevait invariablement cette réponse: les Français. C'est alors qu' il dit : „Ah ! <iuel dommage que ce peuple ne soit pas resté ici quelques années en- core, tout serait construit." Les Français sont venus en Dalmatie, ex- ception faite des quelques années (1797—1806) de la domination autri- chienne, après le gouvernement de 700 ans des Vénitiens, qui ont exigé du peuple des soldats et des impôts, abattu les forêts et transformé le pays en pleine inculte, sans rien faire de bon pour lui.

5

66

Dans ses rapports avec l'extérieur, la Yougoslavie a la mer et des côtes sur une longueur de 2000 kms, avec un grand nombre de ports, qui ne peuvent être tous utilisés dans la même mesure.

Les relations nlaritimes étaient déjà auparavant assurées par plusieurs sociétés de navigation à vapeur aux capitaux yougoslaves; on a construit un beau nombre de vapeurs pour la navigation au long cours et le cabotage. Les sociétés les plus importantes sont: Dalmatia (34 vapeurs d'un tonnage brut de 9130 tonnes), la Compagnie de navigation à vapeur hongroise-croate à Rijeka (42 vapeurs, 17.44S tonnes), la Société austro-croate de la Krka (3 vapeurs), la Navigation libre à Rijeka (6 vapeurs), l'O r i e n t à Rijeka (6 vapeurs, 40.000 tonnes). A Dubrovnik il y a 6 sociétés de navigation avec 36 vapeurs d'un tonnage brut total de IIO.OOO tonnes.

Pour donner une idée par un témoignage impartial de l'administration vénitienne en Dalmatie, qui n'a pas ouvert une seule école, voici ce que dit le journal officiel Reggio Dalmata dans son premier numéro du 12 juillet 1806 à l'article de fond: „Des protecteurs peu sûrs, des ignorants et des- espions ont transformé cette contrée florissante et intéressante en un pays désert et triste".

Ce sont les paroles de Vincenzo Dandolo, du premier gouverneur français (proveditore) en Dalmatie, sur la domination vénitienne en ce pays Il ne faut pas ignorer que V. Dandolo était un Vénitien de naissance; à cause de ses principes démocratiques, il a quitter Venise, s' en est allé en France, d' il fut envoyé en Dalmatie.

Les monuments architecturaux ne sont pas 1' œuvre des Vénitiens, mais bien celle des habitants eux mêmes, qui les ont élevés à force de sacrifices, rivalisant entre eux. Faute de ressources, il a fallu des centaines d' années pour les terminer, ce qui explique cette direction des styles dans les églises dalmates. La superbe église de Sibenik attendit même 1' occupation autri- chienne, et pour la terminer, il fallut une subvention de Vienne. Les sou- venirs du peuple ne se laissent pas falsifier; de même que le peuple se souvient de 1' heureuse domination des Français de la grande et noble nation —, de même le souvenir des dominations vénitienne et autrichienne lui est odieux. Voilà qui est bien caractéristique: les Français ont posé les premiers fondements de l'union des Yougoslaves, en . créant le Royaume d' Illyrie; le premier journal croate, en général, „Kraljski Daim afin", ce sont eux qui l'ont fondé. Les Italiens, aujourd'hui, 100 ans plus tard, après la proclamation des principes de Wilson, sont à peine entrés dans les pays qu' ils enlèvent des églises et des cimetières les inscriptions croates et défendent aux prêtres de parler croate avec leurs fidèles à 1' église.

67

Les ports qui peuvent entrer en compte dans le déve- loppement des communications, sont déterminés par les con- ditions naturelles et locales. Ce sont en premier lieu: Trieste, Rijeka, Susak, Sibenik, Split et Gruz (Dubrovnik). La direction des communications d'après la situation des pays environnants se trouve dans l'axe de la mer Adriatique, c'est à dire qu'il se meut dans une direction longitudinale et non transversale. Les Apennins et les Alpes Dinariques s'élèvent immédiatement sur les bords de la mer et ces deux hautes montagnes tournent le dos à la mer Adriatique. L'arrière pays de la Yougoslavie, malgré tous les obstacles orographiques, doit graviter vers la mer Adriatique, par manque d'autre issue jusqu'à la mer; l' Italie, .an contraire, a toujours gravité vers la mer Tyrrhénienne elle a ses côtes les plus découpées et ses villes les plus gran- des. Si les Vénitiens ont conquis les côtes orientales, c'était, tout d'abord, pour protéger leur route longitudinale, qui conduisait au Levant (Echelles); la Dalmatie n'était pour eux qu'un point d'appui, et non un but de commerce.

D'après la situation productrice et, en général, écono- mique de la Yougoslavie, sa politique commerciale future est toute simple. Elle aura besoin de produits industriels et expor- tera des matières brutes, en premier lieu des denrées alimen- taires et du bois, et, pour cette raison, elle devra jeter les yeux vers les Etats occidentaux.

c. Ports.

Le centre du commerce mondial s'est déplacé sur les côtes de l'Océan Atlantique, de sorte que pas un port de la mer Adriatique ne peut avoir l' importance d' un emporium mondial. Trieste occupait, avant la guerre, dans le commerce des marchandises le 12^ rang parmi les ports européens; après la guerre, son importance sera bien plus localisée, car elle perdra sans nul doute une partie de son arrière pays central et spécifique.

Trieste ne s'est pas élevé comme Venise, par sa force politique, et par elle n'a pas pu se développer commerciale- ment, tandis que Venise était puissante, car elle à toujours soigneusement veillé à ce qu' une ville de commerce quelcon- que — sa rivale ne se développât point dans son voisinage.

La prospérité de Trieste est exclusivement l' œuvre de r organisation pohtique et commerciale de son arrière pays. Si

*

68

la question de cette ville se décidait sans égard aux intérêts de l'arrière pays et même contrairement à eux, ce serait la réduire à une stagnation inévitable. Pour décider de cette ques- tion, il ne faut pas perdre un moment des yeux, cela va de soi, les intérêts spécifiques économiques et nationaux de la ville elle même et de ses environs. Trieste est en majeure par- tie nationalement une ville italienne, mais il faut donner aussi à la minorité yougoslave assez grande de 327o l'occasion de pouvoir se développer nationalement, d'autant plus que les environs de la ville sont exclusivement yougoslaves et qu' ils sont traversés par les deux lignes de chemins de fer qui relient Trieste à 1' arrière pays voisin et lointain.

Le ministre des affaires extérieures Sonnino avait aupa- ravant une toute autre opinion sur cette question. Voici ce qu'il écrivit sur Trieste le 29 mai 1881 dans le Rassegna settima- nale : „Trieste est le port le mieux situé pour le commerce allemand; sa population est mêlée comme tout ce qui habite sur nos frontières orientales. Revendiquer Trieste comme un droit serait une exagération du principe des nationalités." C'est ce que Sonnino pensait de Trieste et des frontières de la Soca: mais que doit il donc penser de Tlstrie, il n'y a pas même 30"'n d'Italiens, et de la Dalniatie, il n'y en a pas même 2,57n?

Tandis que le caractère national de la ville de Trieste elle même, naturellement sans les environs, ne peut pas être contesté, la question de Rijeka est bien différente. Malgré tous les essais des Italiens et des Madjares réunis pour dénationa- liser par force les Yougoslaves, les différences ethnographiques dans la ville elle même sont si peu importantes que cela ne saurait être décisif dans la question de savoir à qui la ville appartient, d' autant moins que les environs, de prés et de loin, sont, sans exception, yougoslaves (pag. 7—8).

Rijeka, d' après le Pacte de Londres lui même, qui livre à la merci des Italiens de grandes parties de la Yougoslavie, n' entre pas dans la sphère des aspirations italiennes, et pour- tant elle est occupée par eux. La raison en est bien claire. Trieste occupée, il resterait encore une porte à la partie Slo- vène de la Yougoslavie pour arriver à la mer, c' est à dire la ligne latérale de la Compagnie des Chemins de fer du Sud qui va de S' Peter à Rijqka. Pour fermer aussi cette issue à toute la Slovénie, les Italiens ont aussi occupé cette ligne et

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pris possession de Rijeka, afin de lui boucher toutes les portes et la forcer à faire passer par les ports italiens son commerce d' importation et d' exportation.

La question de Rijeka n'est pas seulement locale, elle ne regarde davantage ni l'Italie, ni les Yougoslaves, mais elle est d'une grande importance internationale, car d'autres grandes puis- sances y ont des intérêts commerciaux, et de plus grands même que ceux de l'Italie.

D'après la statistique de 1911, par mer il a été importé à Rijeka par mer 7.750.000 quintaux de marchandises, et ex- porté 8.530.000.

Il saute de suite aux yeux que le commerce de Rijeka'^a été plus exporteur qu' importeur, ce qui, à la^ différence de Trieste-), le contraire s'est produit, prouve que Rijeka dé- pend plus de son arrière pays continental que des pays ma- ritimes. La part de l'Italie dans l'importation de Rijeka était de 846.000 quintaux de marchandises d'une valeur de 15.000.000 de couronnes, soit, d'après la valeur totale des marchandises im- portées, 7,5" 0. L'Angleterre a importé 1.500.000 q. de marchan- dises d' une>aleur de 22.000.000 cour. ; les Indes, 1.900.000q. d' une valeur de 49.000.000 cour.; les Etats Unis, 611.000 q. d'une va- leur de 17.000.000 cour.; les ports dalmates et istriens (Yougo- slavie), 1.000.000 q. d'une valeur de 26.000.000 cour. L'Italie par- ticipait dans r exportation de Ri^ekap our 2.050.000 q., dune va- leur de 25.000.000 cour.; la Grande Bretagne, pour 1.030.000 q., d'une valeur de 29.000.000 cour.; les ports dalmates et istriens, pour 1.600.000 q., d'une valeur de 43.000.000 cour.; les colonies anglaises en Asie, pour 319.000 q., d'une valeur de 11.000.000 cour.; les Etats Unis, pour 670.000 q., d'une valeur de 12.000.000 cour.; la France, y compris l'Algérie et la Tunisie, pour 770.000 q., d'une valeur de 11.000.000 cour. La part de l'Italie, d'après la valeur totale de l' exportation, est de 137o, ce qui prouve qu'elle dépend commercialement de l'arrière pays rijekain de la Yougoslavie actuelle plus que cet arrière pays ne dépend de l'Itahe.

Les nombres statistiques susdits sont une preuve évidente que Rijeka est, au point de vue économique, plutôt anglaise, américaine, indienne et yougoslave qu'italienne. Si Ton tient

0 A Trieste l'importation par mer était de 2L400.000 q. et l'expor- tation de 9.300.000 q.

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compte du commerce continental, la part du royaume de Serbie a été de huit fois plus grande que celle de Tltalie, et celle des pays riverains du Danube de 200 fois. Les intérêts commerciaux de la Yougoslavie et de l'Italie ne doivent pas se toucher à Rijeka; il faut choisir un autre point, et ce point, c'est à l'Etat qui sera maître de l'arrière pays, de le décider. D'après tout cela, l'arrière pays yougoslave est plus utile à Rijeka que Rijeka à la Yougoslavie. On comprend que Rijeka est naturellement le port le plus propice pour la partie occidentale de la Yougo- slavie, mais l'Etat yougoslave peut par un tarif différenciel, l'organisation de voies ferrées et maritimes, par des tarifs de transit et les prix de transport diriger le commerce vers les ports les plus éloignés, et l'Italie sans doute ne va pas vouloir occuper toutes les côtes, pour 1' en empêcher. Angelo Vivanti, écrivain objectif italien, dit bien justement: ^La politique de conquête territoriale, vers laquelle le néo-nationalisme voudrait bien conduire l'Italie, semble donc dans la zone de l'Adriatique une absurdité économique." (Irredentismo adriatico).

Le port de Sibenik a sa sphère d'intérêt dans l'arrière pays dalmate, la Bosnie occidentale et la Croatie centrale (Si- benik se trouve sur le méridien de Zagreb). Les aspirations de l'Italie à ee port et au territoire jusqu'à Knin ne peuvent se justifier, pas même sous un prétexte quelconque d'intérêts na- tionaux, car ces contrées figur.ent parmi les parties les plus slaves de la Yougoslavie, il n'y a pas même 17o d'Italiens. Le vrai motif, c'est l'égo'ïsme impérialiste (sacro egoismo): l'Italie voudrait arriver jusqu'aux chutes d'eau de la Krka et jusqu'aux houillières de Siveric. Elle va même plus loin dans sa convoi- tise, jusqu'à la ligne de partage des eaux de la Butusnica, pour mettre ainsi la main sur une partie de la Bosnie. Dans le coin de Knin, quelle aurait en sa possession, se trouve la seule porte naturelle qui relie la Dalmatie et la Bosnie, passe au- jourd'hui le chemin de fer de Steinbeis et viendra aboutir, après une longue attente, la ligne de la Lika, qui est en con- struction: l'Italie, de cette manière, séparerait complètement la Dalmatie de la Bosnie et de la Croatie, Ce serait pour la You- goslavie une blessure par trop forte en pleine chair. D'ailleurs, nous. refoulons l'idée même d'une telle possibilité.

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Conclusion.

Il résulte de ce court aperçu que les aspirations de l'Italie aux côtes orientales de la mer Adriatique manquent de base nationale, géographique et économique; elles sont le résultat dune seule force motrice: l'égoïsme impérialiste.

Les porteurs de cette force brutale, ce sont les puissances centrales, qui n'ont été vaincues qu'alors que l'humanité civi- lisée, sous la conduite de Wilson, a mis l'idée en avant et a anéanti la puissance de la matière.

La manière d'agir de l'Italie à l'égard des Yougoslaves ne le cède pas à celle de l'Autriche. Tandis que l'Autriche poly- glotte employa la force sous une certaine forme légale et or- ganisa la germanisation graduellement, r Italie, elle, unie nationale- ment, ignore ces formes et ces méthodes et n'a recours qu'à la force brutale. Elle a en vue des plans étendus: l'occupation des parties orientales de la mer Adriatique n'est qu'une étape dans la réalisation de plans impérialistes plus grands. Des écri- vains itahens parlent de contrées italiennes qui ne sont pas encore délivrée's (Malte, Nice, la Corse, etc.); la situation de ritahe au milieu de la Méditerranée, à portée de Tunis, il y a un grand nombre de colons italiens, avec le tiers de tous les habitants répandus tout autour du grand bassin, sa situation demande d'elle, suivant l'opinion des écrivains italiens, une sphère d'activité dans cette mer plus forte que celle qu'elle a eue jusqu'ici.

Avant tout, 1' Italie doit, d'après eux, résoudre le plus petit problème, le problème adriatique; il faut occuper toutes les îles importantes, s'implanter à Pulje, Sibenik et Valona et faire ainsi de 1' Adriatique une „mare clausum",il faut y entraver le développement d'une flotte de guerre, pour pouvo ir alors, à pleine force, aborder la réalisation du problème méditerranéen.

L'intérêt des puissances occidentales, contraire à celui de r Italie, est bien celui-ci: que la Yougoslavie soit aussi forte que possible et qu'elle développe non seulement sa force con- tinentale, mais aussi sa force m.aritime.

Les Allemands et les Madjares profiteront de toutes les complications internationales, pour anéantir, après s'être à nou- veau réunis, les Etats libres des petits peuples. C'est la You- goslavie qui est la première sur leur chemin; elle aura à garder la porte de 1' Orient, par laquelle l'Allemagne a voulu, pen-

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dant cette guerre, gagner la route de Bagdad et de l'Egypte, pour réduire à néant l'imperium anglais.

Mais, en plus de ces raisons, les puissances occidentales et les Etats Unis réalisent par l'établissement de la Yougoslavie libre le principe des nationalités pricipe que Wilson a pro- clamé et qu'elles ont admis dans leur programme. Une forte Yougoslavie est la meilleure garantie de la paix dans les Balkans.

Le problème des Balkans el de 1' Adriatique demande une solution impartiale en faveur de la Yougoslavie; il a aussi une grande importance européenne.

Les races slaves sont partout en contact Dantzig-Trieste avec les Allemands, excepté sur une petite étendue sur la Soca et en Istrie, leur voisins sont les Italiens. Jusqu' ici les Al- lemands n'ont pas de tout compris les ces slaves, et même ils leur ont témoigné leur inimitié. Dans le propre intérêt de la race romane elle même et aussi pour le développement gé- néral de la civilisation européene, les Slaves ne doivent pas rencontrer chez les Italiens la même haine quaht à leurs justes aspirations nationales et politiques. Le peuple qui comprendra leur esprit national et se fait une juste idée de leur dévelop- pement, ce peuple peut, comptant suj- leur grande force démographique, jouer, d' accord avec eux, le plus grand rôle dans la destinée de 1' Europe.

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