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L ART CHRETIEN

ARRAS. Typographie Kouêst-au Leroy,

REVUE

DE

L ART CHRETIEN

RECUEIL MENSUEL

D'ARCHEOLOGIE RELIGIEUSE

DIRIGÉ PAR

M. L'ABBE J. CORBLET

de la Société Impériale des ^Antiquaires de Jrance

ANNÉE

TARIS

LIBRAIRIE DE CH. BLERIOT, 55, QUAI DES GRANDS AUGUSTINS

MDCCCLKll

THE GETTV CENTER LIBRARY

MONUMENTS CHRÉTIENS PRIMITIFS

à Marseille-

QlATHlE.MIi; ARTICLE

SARCOPHAGE N" 5.

L'ordonnance architecturale de ce sarcophage est aussi gracieuse qu'imposaute {Voir la planche ci-joinle). Huit arbres s'élancent en forme de colonnes uniformes, confondant leurs rameaux à larges feuilles pour dessiner des arcades et diviser les compartiments. De nombreux symboles rehaussent encore l'harmonie du plan et rendent plus sensible la vie de cette végétation en berceau. Pour varier l'ensemble des troncs d'arbres espacés avec symétrie, l'artiste a disposé sur deux d'entr'eux d'énormes serpents qui les enlacent étroite- ment dans toute leur hauteur, tandis qu'un limaçon, chargé de sa coquille, s'allonge pour atteindre le sommet d'un troi- sième.

C'est dans les sept compartiments que se déroule une série de compositions qui seront l'objet de notre étude.

Des mains sacrilèges ont mutilé cette belle page de l'art

'• Voir le tome iv, p. 5.

6 MONUMENTS CHRÉTIENS PIUMITJFS

chrétien primitif. Heureusement les débris retrouvés pres- qu'intégralement ont pu être coordonnés par les soins du conservateur du Musée marseillais, fidèle à la prescription toujours providentielle des paroles évangéliques : Colliyite fragmenta ne perçant ' . Il nous sera donc facile d'en inter- préter les scènes historiques, si ce n'est au centre la com- position a disparu à peu près en entier.

Elle a disparu à une époque antérieure au saccagement de l'abbaye de Saint-Victor, et l'on jugera combien cette mutilation spéciale mérite de regrets , sous le rapport de l'Iconographie chrétienne.

Quel motif a pu inspirer un pareil acte de vandalisme ? L'historien de Marseille, on le sait, a publié dans ses An- nales les bas-reliefs antiques conservés dans la double église de Saint-Victor. Le dessin du sarcophage qui nous occupe, fort grossier d'ailleurs et inexact dans son ouvrage, n'accuse que des ombres, au point le marbre a été brisé à coups de marteau; mais l'annaliste en passe la cause sous silence. Il y a lieu pourtant de s'étonner que parmi les nombreux monuments réunis autrefois dans nos célèbres catacombes, celui-là seul ait été dégradé : pas plus que les autres il n'était jamais sorti du sanctuaire confié à la garde des moines.

Dans un livret imprimé et vendu avec l'autorisation des chanoines de Saint- Victor ^, on a invoqué une vieille tradition pour expliquer cette fâcheuse mutilation. Certes, si le fait transmis à la mémoire de nos aïeux était absolument vrai, il ne saurait justifier l'action des Iconoclastes qui en au- raient été les auteurs.

JOAN. VI, 10.

- Notice des vionumcnts conservés dans l'église..., de Saint-Victor de Mar- seille, page 18.

A MAIiSEILLF.. 7

x\(lmettûns, en eftet, [mur un instant, que la composition du sujet détruit renfermât quelque réminiscence payenne, une ligure allégorique sans voiles, je ne sais quoi d'équivalent, pourquoi aurait-on attaché plus d'importance à ces simples indications que ne l'avaient fait les premiers fidèles ? Et sur- tout, pourquoi, dans le but de se dégager d'un détail excep- tionnel, se serait-on permis de dénaturer la composition en- tière ?

Mais la tradition invoquée est dénuée de preuves, au témoignage de l'auteur de la Notice. Nous en sommes aussi pleinement convaincu : l'observation qui va suivre suffira sans aucun doute à nos lecteurs pour le leur démontrer.

La composition du milieu de notre sarcophage apparte- nait par le fond et les détails à la religion chrétienne : histo- rique, elle n'a pu comporter que des personnages du Nouveau Testament : or, jamais les artistes chrétiens qui avaient cru pouvoir, du consentement de l'Église, représenter habituelle- ment sans voiles Adam et Eve au paradis terrestre, Isaac sur son bûcher, Daniel dans la fosse aux lions, Jonas rejeté sur le rivage par la baleine, etc., n'ont montré, dépouillés même légèrement, les disciples régénérés du Sauveur : allégorique, elle n'a pu être combinée qu'à l'aide des signes traditionnels, symboles sacrés et très-chastes, comme on peut s'en con- vaincre en examinant les sarcophages dont le sujet central ne constitue point un souvenir historique.

Notre grand intérêt serait maintenant de pouvoir saisir le secret total de la composition disparue. Pour arriver à un résultat au moins probable, s'il ne nous était pas donné d'atteindre à la certitude, il n'est pas de recherches que nous n'ayons faites dans le riche et vaste domaine des pro- duits de l'Art chrétien. Plusieurs hypothèses se sont pré- sentées à notre esprit. Avant de les exposer, décrivons le

8 MONUMENTS f.HRKTJENS PRIMITIKS

iiuirbrc devenu muet et indiquons en termes précis les restes de la scène qui n'ont pas été violés, jusqu'aux plus humbles jalons que le marteau a respectés. 11 nous paraît superflu d'ajouter que la fidélité de notre gravure ne laisse rien à désirer.

Deux cerfs se désaltèrent à des sources d'eau qui jail- lissent du sein d'un monticule ; au sommet de ce monticule, un tenon qui servit peut-être de base à un objet quelconque est demeuré debout : dans l'étendue du compartiment on remarque sept autres tenons et un fort éclat de marbre au centre même. Les trois tenons de la partie supérieure sont également espacés : deux d'entr'eux ont conservé les traces d'une faible ornementation, c'est-à-dire que le ciseau les a légèrement travaillés (;à et ; les tenons qui font partie du dos de chaque cerf sont d'aplomb avec les lignes saillantes de leur corps.

Quant à l'éclat du marbre qui se voit au milieu, on y distingue au-dessous un double appendice à peine fouillé en creux. Déplus, dans tous les sens du champ du bas-relief, entre les tenons et sauf à l'endroit brisé, le marbre a été uni })ar le ciseau .

A droite et à gauche de cette composition centrale, quatre Apôtres se tiennent debout, deux à deux, sous leurs arcades respectives r on reconnaîtra saint Pierre et saint Paul dans les Apôtres les plus rapprochés : leur main droite est levée en vif témoignage d'admiration. De la gauche, saint Paul tient le volum.e relié de l'Evangile , et saint Pierre serre un \)an de son manteau. Le reste de leur costume est conforme à la tradition dont nous avons déjà parlé.

La pose accentuée des bienheureux disciples nous révèle iiicontestablement une scène importante. On dirait qu'ils admirent, pleins de respect et d'amour, ou le Fils de Dieu lui-

A MARSEILLE. ^^^ 9

même en personne ou un symbole qui le leur rappelle éner- giquement. Ils font plus; ils adhèrent de toute leur con- viction à ce qu'ils entendent ou à ce qu'ils contemplent.

Ce groupe d'Apôtres nous a conduit à une première hypo- thèse : il nous a incliné à penser que le Sauveur des hom- mes, seul ou avec ses deux jeunes disciples, comme on le représente si souvent dans la composition de Jésus docteur, occupait la partie supérieure du compartiment central : ou bien que l'artiste l'avait sculpté assis sur un trône avec le livre ouvert de l'Evangile, sujet très-familier encore aux ouvriers de l'art chrétien primitif.

L'allégorie des cerfs se désaltérant n'avait rien d'opposé ni d'étranger à la présence de Jésus : elle pouvait, au reste, avoir son trait d'union dans l'agneau hautement symbolique qui aurait été posé en rapport avec les cerfs, comme il s'en montre à peu près toujours inséparable dans les marbres et les verres antiques '.

Il nous semblait alors voir apparaître Jésus, sous la forme d'un adolescent plein de charme et de vérité , debout , montrant du doigt la source d'eau vive ouverte à ses pieds, appelant à lui les âmes altérées et répétant les mêmes paroles qu'il fit entendre à Jérusalem :

« Jésus étant entré dans le temple, dit l'Evangéliste, le « dernier jour qui était un jour solennel, il se tenait debout « et criait, disant : Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi « et qu'il boive; celui qui croit en moi, suivant l'Ecriture,

' Dans un travail précédent , nous avons publié une frise figure le même sujet [Revue de l'Art Chrétien, mai 1859). Sans sortir de l'abbaye de Saint-Victor, on aurait pu voir, avant la Révolution, un autre sarcophage dont le principal sujet renfermait l'agneau et les cerfs se désaltérant à ses pieds, «ntrc deux palmiers (Voir le dessin qu'en a donné Ruffi dans V Histoire de Marseille, tome ii, 125).

10 MONUMENTS CimÉTIENS PRIMITIFS

« des fleuves d'eau vive s'échapperont de son cœur ' : » ou redisant aussi la miséricordieuse et pressante invitation que le disciple bien-aimé attache à ses lèvres dans l'Apocalypse : « Je donnerai gratuitement à boire de la source d'eau vive à « celui cpii aura soif ^. »

Dans cette interprétation, les cerfs représentent les fidèles saintement altérés. Ils sont, en etfet, aux termes du royal Psalmiste, le plus sensible symbole de la soif ardente qui tourmente les âmes des vrais disciples ^ ; et l'Agneau, d'a- près l'Apocalypse, les conduit avec une généreuse dilection aux fontaines inépuisables "* .

Prises en elles-mêmes et à part, de semblables composi- tions appartenaient à l'ordre traditionnel : et quoique nous ne les ayons jamais rencontrées en relation avec l'allégorie des cerfs, ce n'était point une raison suffisante pour en repousser l'admission. Il y a quelques types que les antiquaires érudits savent fort bien ne pas avoir été reproduits, quoiqu'ils fussent fort instructifs et pieusement poétiques.

Une seconde hypothèse s'est offerte à notre étude, au sou- venir de deux sarcophages encore existants dans la crypte vénérable de l'église Saint-Maximin. Ces sarcophages, qui ont renfermé les ossements de sainte Marie -Madeleine et de saint Sidoine, ont aussi été brisés dans le compartiment cen- tral. L'un d'eux se montre avec dix tenons, l'autre avec six : la surface entre les tenons paraît de même unie au ciseau.

' .JoA^. vil, 37,

- Apoc. XXI; 6.

' Quemadmodum desiderat cervus ad fontes aquaium, ita desiderat anima

niea ad te, Dcus.... sitivit anima mea ad Deum fortcm, vivum Fsaha.

xi.1, 1, 2.

* .Ipoc. vit, 17.

A MARSEILLE. Jl

L'a})l)éFaillon, qui les a dessinés dans son ouvrage élevé à la gloire des apôtres de la Provence ', a essayé d'interpréter les sujets mutilés du milieu. Il croit que la Croix triomphante du Sauveur les décorait tous deux. Celui de saint Sidoine a maintenu, à la vérité, une partie de l'arbre de la Rédemption, émaillée de pierres précieuses ; dans l'autre, il n'en reste au- cune trace.

Le sujet de notre sarco])hage marseillais n'était-il pas le fruit de la même conception ? Pour être exact, nous devons dire que les tombeaux de la crypte de saint Maximin ne l)résentent point l'allégorie des cerfs ; à leur place on recon- naît les deux figurines traditionnelles à costume guerrier.

Malgré cette différence de détails, il semble, à première vue, surtout en examinant les rapports des tenons supérieurs et l'existence du tenon qui domine le monticule, que le type glo- rieux de la Croix a pu être reproduit sur notre sarcophage : et loin que l'allégorie des cerfs en éloignât la possibilité, elle y rencontrerait une certaine harmonie : à la base de la Croix, ils indiqueraient aux fidèles qu'ils boiront à longs traits la vie éternelle dans le sang même qui découla de l'arbre divin -. Rien ne s'opposerait davantage à cette idée, en ce qui concerne les Apôtres. Ils seraient dans leur admirable expression, tant en leur nom qu'en celui de l'É- glise, pour exalter le triomphe de la Croix et se nourrir avidement des fruits de sa victoire; Pierre et Paul surtout y méditeraient les paroles brûlantes que les générations auront à recueillir dans leurs discours et dans leurs épitres sur le magnifique thème de l'étendard sacré de leur Maître.

' Monuments inédits sur l'apostolat de sfinte Marie- Madeleine en l'ro- v&ncc... etc., tome 1, 461 et 763,

- Qui bibit meum sanguinem habet vitam yeternam. Joan. vu. 55.

H MONUMENTS CHRÉTIENS TRIMITIFà

En supposant cpie la Croix latine concordât difficilement, si elle s'y trouvait unique et sans autre ornement , avec le nombre et la distance respective des tenons, nous avions combiné un autre plan qui complétait le type de la Croix ti'iompliante.Il s'agissait de placer, à l'extrémité de la longue branche, la couronne émaillée avec le monogramme du Christ, le X et le P entrelacés dans une des formes variées qu'a in- ventées l'art chrétien primitif; ou sans monogramme avec une Hamme au centre; ou bien l'alpha et l'oméga pendant aux croisillons; ou la bannière à droite et à gauche, comme était figurée plus particulièrement la croix dite de Résurrection. Le sujet en est magnifique , et il a été plusieurs fois répété dans les sarcophages '. Naturel au IV^ siècle, alors que la Croix trop longtemps humiliée triomphait en tous lieux ; éminemment éloquent en iconographie chrétienne, depuis la révélation " du Labarum à Constantin et la révélation plus salutaire encore dont fut l'objet l'impératrice Hélène, sa présence domine un nombre considérable de monuments : elle suscite dans les imaginations et dans les cœurs un en- thousiasme inexprimable. Les poètes Prudence, Paulin, Fortunat de Poitiers, la popularisent au plus haut degré, en célébrant dans leurs hymnes les vertus et l'immortalité de l'étendard réel de Jésus-Christ.

' Sur l'un des sarcophages d'Arles dessinés par Millin, on admire cette scène : la croix enrichie de perles ; à ses pieds les deux figurines ; sur les branches deux colombes ; à son sommet le monogramme du Christ entrelacé dans une couronne feuillagée ; à côté de la croix, deux Apôtres sont debout dans une attitude qui rappelle les nôtres. Voyage dans le Midi de la France, planche lxv, 3.

Dans les Antiquités des Basses-Alpes de Henri, le même sujet est gravé sur un sarcophage ; on y voit de plus le soleil et la lune à droite et à gauche du monogramme couronné.

Voyez aussi Aringui, Eoma svbtcrranea , tome i, 311.

A MARSEILLE. 13

Le coiiiplcment de la couronne llorissaute relève le noble éclat de la Croix. Ce vers antique le traduit avec bonheur: « Porte d'abord la Croix, si tu veux conquérir la couronne ' . •> Et, si notre interprétation allégorique obtenait une faveur légitime, elle remettrait en notre mémoire le distique du même saint Paulin, composé par lui en face de deux croix émaillées et ceintes d'une couronne de fleurs :

Ardua tlorigerae criix cingilur oiLe coronw Et Domini fuso lincla cniore nibet *.

Elle ferait aussi souvenir de la belle mosaïque de St-Jean- de-Latran à Rome, la Croix veuve de Jésus-Christ est décorée avec splendeur, plantée sur le sommet d'une mon- tagne mystique et baignée d'eau. Cette eau s'échappe en quatre courants dans lesquels viennent s'abreuver des cerfs et des brebis.

A la suite de cet exposé, dont on me pardonnera la lon- gueur, s'il sert à rendre plus facile la tâche des interprètes qui examineront ce sarcophage après moi, il est de mon devoir de dire mes doutes à l'endroit de toutes ces hypo- thèses. Deux mots suffiront à cet égard : indépendamment de la distribution des tenons qui ne laissent pas à l'imagination le pouvoir de se méprendre, outre l'éclat du marbre, au mi- lieu du compartiment, qui ne peut s'accorder avec nos pre- miers sujets précités, il s'élève contre la supposition d'une scène à personnages, une difficulté majeure : la surface entre les tenons et dans tous les sens, à l'exception de la brisure du centre, étant unie au ciseau, on ne peut admettre qu'il y eût des statuettes inhérentes au bloc ; car, quel que soit

' ToUe crucem, si vis auferre coronam. S. Paulim opéra. ' S. Paulini Epist. XII, ad Severum.

14 MONUMENTS CHRÉTIENS PRIMITIFS

le relief des statuettes sur les sarcophages, elles sont prises toujours dans la masse du marbre et y adhèrent de toute leur forme ; et puis, lors même qu'elles en seraient encore plus détachées, comment l'ouvrier aurait-il pu unir le marbre derrière ces statuettes ?

Evidemment à cette place privilégiée de notre sarcophage s'épanouissait une composition en saillie, retenue au bloc par les tenons ; une sculpture à jour, fouillée comme on fouille les arbres, les croix, les couronnes.

Quelle était cette composition? Notre dernière hypothèse l'a montré à nos lecteurs : plus probable que toute autre , elle ne résoud pas néanmoins victorieusement la question relative au nombre et à la distance qu'occupent les tenons.

C'est pourquoi nous préférons nous tenir sur la réserve et ne pas sortir du domaine des hypothèses, à l'égard de cette étude qui, selon nous, attend encore son juge : et adliuc sub judice lis est.

En poursuivant l'exposé des scènes successives du sarco- phage, nous avons sous nos yeux trois sujets qui paraissent fréquemment sur les monuments chrétiens primitifs ; le qua- trième est fort rare.

Celui qui occupe l'extrémité à droite par rapport au spectateur représente saint Pierre avec un Israélite et discutant ensemble : l'Israélite est bien reconnaissable à son couvre-chef perlé , coiffure dont il y a un grand nombre d'exemples sur les sarcophages ' . Nous pensons qu'il n'est autre que le serviteur du grand-prêtre Caïphe, le même qui interpella le disciple eifrayé en lui disant : Ne vous ai-je pas vu dans le jardin avec Jésus de Nazareth, et auquel Pierre

' Voir surtout lus saicophages est gravé It; sujet de Moysc frappant le rocher avec uu bâton.

A MARSEILLE. 15

répondit négativement '. Il porte le costume des serviteurs, La scène de ce compartiment est voisine de celle cpii rappelle Jésus-Christ prédisant à saint Pierre qu'il le trahirait par trois fois avant que le coq eût chanté : elle en est comme la suite et l'accomplissement. Le Sauveur dans cette compo- sition a, comme toujours, trois doigts de sa main droite levés. Quelques archéologues ont cru y reconnaître le symbolisme du triple reniement. Le coq est aux pieds de l'Apôtre qui parait déconcerté des paroles de son auguste Maître et qui a le bras droit levé pour protester qu'il ne l'abandonnera jamais, quand même il serait délaissé par tous les disciples.

Pour l'interprétation des deux scènes appartenant aux compartiments de gauche, nous ne serons pas d'accord avec des antiquaires justement renommés. Dans l'une et dans l'autre, un personnage est conduit devant les tribunaux.

La première à l'extrémité du sarcophage se retrouve sou- vent sur des bas-reliefs primitifs : le prisonnier est amené par des gardes, les mains liées derrière le dos. Au tombeau de Junius Bassus extrait des catacombes de Kome, il est entre deux gardes romains ; à celui de sainte Marie-Made- leine qu'on possède à St-Maximin, on n'en remarque qu'un, comme dans le sarcophage marseillais ; mais le sujet est le même sur les trois bas-reliefs. Dans chacun d'eux apparaît un arbuste noueux qu'on prendrait pour un roseau : dans les deux derniers on distingue un objet indécis^ pouvant peut-être indiquer une proue de barque : le prisonnier porte le costume donné par la tradition au Sauveur et aux Apô- trea : tunique, manteau et sandales. Le garde porte la chlamyde agrafée des Romains ; il tient des deux mains un rouleau, ou une arme, ou ini bâton assez mal accusée

' JoAN XVIII, 26.

16 mojNUMENTs chrétiens primitifs

Torrigio voit dans cette composition Jésus-Christ conduit au supplice. Bottari pense qu'on doit y voir la prise du Sau- veur au Jardin des Olives : selon lui l'arbuste noueux serait un olivier. Aringlii, au contraire, l'interprète par la prise de saint Pierre à Jérusalem ; enfin, l'abbé Faillon, dans l'explication qu'il donne du tombeau de sainte Marie-Made- leine, dit aussi comme Bottari que le sujet dont il s'agit représente l'arrestation de Jésus au Jardin des Oliviers ' . Nous sommes de l'avis d'Aringhi ; avant d'en formuler les raisons, occupons-nous de la scène suivante d'un autre pri- sonnier traîné par les juifs^, la corde au cou.

Ce type a plus d'une similitude avec les deux scènes posées à la môme place dans les tombeaux de Bassus et de sainte Marie-Madeleine. C'est encore dans les trois un prisonnier conduit par des gardes dont les costumes sont néanmoins différents. L'abbé Faillon y retrouve le Sauveur, au moment il fut souffleté par l'un des serviteurs du pontife Anne ^.

Je répète que, dans ce sujet comme dans l'autre, si l'arres- tation ne concerne pas Jésus-Christ, elle regarde l'un de ses disciples traîné devant les juges \ Or, pas plus que dans le premier sujet, je ne puis y découvrir le Sauveur.

' Monuments inédits de l'apostolat de sainte Marie- Madeleine, tome 1, page 459,

- Monuments inédits, t, 1, 463.

^ Millin, qui a beaucoup parlé de nos tombeaux marseillais, s'est sur cha- cune de ces compositions. Quant au rédacteur de la Notice des monuments de ^'ain^Fzc^ordontnous nous sommes occupé plus haut,après avoir dit naïvement, ;i l'occasion de la figure brisée du milieu du sarcophage » qu'elle ne pouvait « être que l'esprit des ténèbres, qui tâchait de détourner les humains des eaux » salutaires dont les cerfs se désaltèrent, » il ajoute, comme pour confirmer sonjugement : « Au reste, Judas est représenté sur ce tombeau, la corde au « cou et la bourse à la main. » C'est une distraction un peu forte, qui a été répétée dans les Notices successives du Musée de Marseille, à l'article des sar- cophages.

A MARSEILLE. 17

Des interprètes de rantiquitë chrétienne ont cru recon- naître quelques scènes de la Passion de l' Homme-Dieu dans certains sarcophages primitifs. Ils avouent qu'à la vérité dans les siècles les plus rapprochés du berceau du christianisme, il n'y a pas un seul monument de sculpture ou de peinture, ni une mosaïque, l'on ait présenté à la piété des fidèles le Christ flagellé, couronné d'épines, portant sa croix ou mou- rant sur l'infâme gibet; mais ils pensent qu'il n'en a pas été de même des scènes antérieures à la flagellation : nous n'hé- sitons pas à nous prononcer dans un sens plus général. Nous croyons donc que l'art chrétien n'a représenté qu'un seul trait de la Passion du Sauveur, c'est celui il est amené devant Pilate et le gouverneur de la Judée proteste en faveur du Juste devant tout le peuple assemblé, se lavant les mains pour témoigner de sa propre innocence en cette accu- sation inouïe : deux scènes ordinairement unies, quoique ren- fermées dans un double compartiment ^ . Or, ce fait excep- tionnel, l'art chrétien ne l'a figuré que parce qu'il renferme pour le divin accusé plutôt un titre de gloire qu'un souvenir d'humiliation et de douleur. C'est pourquoi partout ces antiquaires, habituellement si judicieux dans leurs observa- tions, ont signalé le Sauveur soit en état d'arrestation, soit chez Hérode, soit ailleurs, il faut reconnaître un de ses dis- ciples traîné devant ses juges spéciaux.

Personne, en efî'et, n'ignore à quel point lesjpremiers athlètes de la foi se sont étudiés à dérober à tous les regards l'ignominie du supplice du Rédempteur. On ne voulait mon- trer l'Homme-Dieu que sous de nobles attributs, de riantes

* Voir notre sarcophage no 2, dans la Revue de Vjrt chrétien, juillet 1859, et les tombeaux de Junius Bassus et de sainte Marie-Madeleine dans l'ou vrage de l'abbé Paillon déjà cité .

18 MOxNUMENTS CIJRÉTIENS TRIMITIFS

couleurs, de glorieuses allégories. Sa puissance, ses prédica- tions, ses miracles, la mission qu'il confia à ses Apôtres reviennent constamment dans toutes les pages de l'art pri- mitif; ses souffrances n'y apparaissent jamais '.

La Croix même, lugubre et émouvant trophée de la mort, la croix ne devait être peinte ou sculptée cpie resplendissante d'émaux et de perles, que surmontée de couronnes, que triomphante en un mot.

» La mort du Sauveur était de préférence rappelée par le « symbole de l'Agneau , mais cette innocente victime on ne <• la voulait pas morte; il la fallait vivante ^. »

Si les disciples au contraire sont reproduits par l'art chré- tien, arrêtés, conduits en prison et même lapidés % leur présence et leur humiliation couvrent d'honneur leur divin Maître ; car ils sont les témoins de sa divinité ; ils en publient le triomphe à leur manière ; pleins de joie et de dévouement, ils la confesseront jusqu'à la mort \

Au reste, si notre opinion pouvait être contrariée par quelque fait certain et inconnu de nous, elle n'en serait pas moins fondée pour les scènes de notre sarcophage marseillais.

L'art chrétien des premiers âges , nul ne le contestera, a toujours manifesté Jésus-Christ durant sa vie mortelle, selon le type traditionnel que voici : Figure d'adolescent, imberbe, à longs cheveux abondants et bouclés sur les épaules. Après sa résurrection, il est ordinairement peint et sculpté avec la

* Raoll-Rochette, Mémoire sur les antiquités chrétiennes (dans les Mém. de l jicad. des Inscrip., etc., p. 165).

* Le Christ triomphant ou le Don de Dieu, par M. Gbimouard de Saiwt- Ladrekt (Extrait de la Revue de l'Art Chrétien, p. 2).

^ Comme saint Etienne dans le sarcophage n^ 2. Revue de l Art CV/re- <«<?jj, juillet 1859.

* Acl. Apost., v,41.

A mauseill;:. 19

barbe et les cheveux d'un homme âgé, et rarement dans l'éclat de la jeunesse '.

« Dans cette multitude sans nombre de figures du Sauveur « pendant sa vie mortelle, sculptées sur les anciens sarco- « phages, nous ne connaissons, dit le docte et fort judicieux « Bottari, qu'un seul exemple il est montré d'une ma- « nière contraire à la tradition;, c'est celui du tombeau de Junius Bassus ^. »

Bottari en signalant ce fait unique aurait fournir des preuves pour démontrer le fait même de l'exception : il ne l'a point fait; mais au fond il est si peu rassuré en lace de son affirmation, qu'on voit bien qu'il incline à donner droit au sentiment d'Ariiighi. L'abbé Faillon appuie la remarque de Bottari et confirme en particulier l'application de cette règle invariable, en indiquant les autres groupes du même sarcophage Jésus-Christ parait toujours imberbe : il en conclut que sur le tombeau de Bassus, ce n'est point le Sau- veur qui est conduit en prison, puisqu'il est barbu ^ Nous nous sommes demandé pourquoi le savant archéologue ne concluait pas de même pour la scène du tombeau de sainte Madeleine. C'est qu'il n'a point reconnu l'identité des com- positions dans les deux bas -reliefs. Or, plus on examine attentivement ces sujets, plus on est frappé de leur simili- tude : même pose du garde romain; arbuste noueux des deux côtés; même place se passe la scène, à l'extrémité gauche du sarcophage. Si donc cette identité était démontrée, comme Jésus-Christ est barbu dans cette composition, l'exception

' On s'en rendra compte en parcourant les grands ouvrages inspirés par l'étude des Catacombes de Rome et en visitant les sarcophages de Marseille, d'Arles, de Toulouse, d'Aix, de St-Maximin, etc.

*l<"vol., p. 35.

' Momnnenls inédits... tome i,443, note a.

20 MONUMENTS CHRÉTIENS PRIMITIFS

alléguée disparaîtrait. Que l'on compare maintenant les planches des trois sarcophages, il deviendra évident qu'elles se ressemblent, qu'elles redisent le même type, et dès-lors il suit pour notre double composition en particulier, que les prisonniers mis en scène étant barbus et à courte cheve- lure, représentent des disciples du Sauveur, et non le Sau- veur en personne.

Nous n'avons pas à nous occuper beaucoup du nom de ces disciples. Saint Pierre et saint Paul ont été conduits devant les juges, ils l'ont même été bien des fois par les Juifs et parles soldats de l'empire. Assurément, nous admettrons toujours de préférence qu'il est question de ces deux Apôtres plutôt que de tout autre disciple, parce qu'ils se montrent le plus sou- vent dans les sarcophages primitifs et dans bien des scènes différentes.

Rien n'empêche pourtant que l'on ne s'arrête à la personne seule de saint Pierre. On y serait d'autant mieux disposé que le chef des Apôtres est déjà représenté dans les deux derniers compartiments à droite, ainsi que nous l'avons ex- posé. Le Sauveur lui avait prédit que « devenu vieux, il serait forcé de livrer ses mains, qu'un autre le ceindrait et le mènerait malgré lui ' . »

Nous aurions son arrestation à Jérusalem par ordre d'Hérode et sa dernière arrestation à Rome fulminée par l'empereur Néron. Quant à la variété des costumes, il est à remarquer qu'une première fois, c'est un soldat romain qui exécute l'ordre d'arrêt ■; la seconde fois ce sont deux jeunes personnages à longue tunique et en sandales dont l'un a pour couvre-chef une toque festonnée et élégante

' JOAN. XXI, 18.

' Sa tunique est relevée par une ceinture : il porte la chlamydc, costume des soldats romains, comme on le voit sur la colonne Trajane.

A MARSEILLE. 21

Il nous reste à indiquer les symboles répandus sur la déco- ration architecturale du monument chrétien.

Les deux serpents qui étreignent les avant-derniers arbres et qui s'élancent pour dévorer de petites colombes ou des œufs dans leurs nids, signifient sans contredit la fureur du démon : ce serpent antique, selon les saints Livres, qui s'a- nime et se jette sur les jeunes âmes encore pures et blanches d'innocence pour les dévorer ' . Dans certains sarcophages la tentation d'Adam et d'Eve, au Paradis terrestre, est désignée par le serpent entortillé autour de l'arbre de la science du bien et du mal. De douces colombes habitent dans les feuillacres entrelacés des arbres mystiques qui les nourrissent de leurs fruits. Les nids des colombes sont formés de petits paniers de joncs. Au sommet de quelques-uns des arbres, l'œil attentif peut saisir des pains mémorial des agapes ou symbole de l'Eucharistie de forme ronde, avec une incision en croix qui" avait fait donner par les Romains à leur pain domes- tique le nom de Quadra, et que le Christianisme, dit Raoul- Rochette, s'était si facilement appropriés, en y attachant avec le signe de la rédemption l'intention qui lui était propre ^.

Le limaçon qui s'allonge pour monter vers les branches portant sur son dos sa fragile maison, est fort rare dans les sarcophages. Je ne l'ai vu qu'une fois , dans l'ouvrage d'Aringhi, parmi les animaux symboliques représentés par l'art chrétien. Millin pense que le limaçon est ici un emblème de prudence : à notre avis, il serait plutôt sur les sarcophages un emblème de résurrection.

L. T.DASSY. O.M. I.

Correspondant des Comités historiques.

* Au sarcophage d'Arles qui porte la même ordonnnance d'architecture, il n'y a qu'un seul serpent.

* Tableau des Catacovihea de Rome, page 152.

DES LANTERNES

L'usage des lanternes est fort ancien, comme en fait foi l'histoire de Diogène.

Sur d'anciennes gravures, on voit souvent le Christ au Jardin des Oliviers, au moment les soldats arrivent pour le faire prisonnier, munis de torches et de lanternes. On re- présente parfois les retraites sauvages des ermites et des anachorètes éclairées la nuit par une lanterne.

Le premier dessin que nous donnons est une lanterne romane en cuivre rouge. Elle est percée d'ouvertures remplies par des cabochons en cristal de roche qui devaient produire un effet de lumière très-vif par l'éclairage intérieur. Entre les cabochons serpentent des arabesques gravées. Ce cu- rieux meuble provient de l'église de Wetteren,dans les Flandres, près de Gand, et servait prol)ablement pour accompa- gner le prêtre, quand il portait le saint Viatique.

DKà LANTERNES. 23

La seconde^, de style ogival, était destinée à être suspen- due, en forme de lampe, à une voûte ou à un plafond. Je l'ai dessinée d'après une vignette d'un manuscrit de la Bibliothèque royale de Bruxelles, portant le numéro 9,169.

Un enfant de chœur, portant une bannière ornée delà croix et une sonnette, est le sujet de la troisième vignette. La hampe de la bannière est surmontée d'une lanterne couronnée d'un globe et de la croix. C'est une gravure de 1493 qui figure dans la grande chronique allemande, connue vul- gairement sous le nom de Chronique de Nurenberg.

Le Musée de la porte de Hal conserve un bouclier du XIV siècle, d'une forme très-simple et de petite dimension. Au milieu

se trouve un crochet ou crampon pour y attacher une lanterne sourde. Cette partie manque à cette arme curieuse, qui pouvait aussi servir pendant les ténèbres de la luùt. On désignait ces sortes d'armes sous le nom de boucliers de nuit {fig. 4). Le grand cadre du centre est fixé sur l'arme par des chevilles ou boulons à têtes rondes rivées, le tenant isolé du champ. Il en est de môme du petit cadre ovale qui entoure le crampon destiné à agrafer au milieu la lanterne sourde.

ARNAUD SCHAEPKENS.

LES CATACOMBES

considérées comme type primitif des églises chrétiennes \

Quand tout venait de changer dans le monde moral, et que, des hauteurs du Calvaire, un Dieu jetant à tous les peuples une parole d'unité, les conviait à une vie nouvelle dans un même culte et une même foi ; quand cette double expression des premiers besoins de l'humanité s'était mani- festée par d'innombrables symboles , ne fallait-il pas à cette religion qui recueillait l'immense héritage de toutes les âmes, des temples respirât, comme dans ses dogmes et ses prières, l'esthétique d'un intime et mystérieux enseigne- ment ? Cette religion du cœur et de l'esprit ne pouvait ab- jurer un droit qu'avaient usurpé sur ses primitives inspira- tions les fausses doctrines du paganisme et si celui-ci, comme nous l'avons établi déjà, variait les formes de son architecture religieuse d'après les caractères différents de ses divinités ' , comment les premiers maîtres du Christianisme

* Extrait d'une Histoire générale du Symbolisme religieux, que l'auteur achève en ce moment, et dont il a bien voulu détacher pour les lecteurs de la Rei-ue co curieux chapitre. Les notes qui se réduisent ici, pour plus de brièveté, à de simples renvois, seront accompagnées dans l'ouvrage de M. l'abbé Auber des textes originaux qui servent au sien de pièces justificatives, et deviendront un vaste recueil de matériaux et de témoignages empruntés à tous les siècles.

' Cette thèse fait le sujet d'un des chapitres précédents.

I.KS rATACOMBES. 25

auraient-ils pu méconnaître l'importance d'une création pa- rallèle au profit de la véritable révélation ? Cet idéal néces- saire ne s'était-il pas d'ailleurs essayé, pour ainsi dire, chez le peuple dépositiiire des prophéties, et ne semblait-il pas encore indiquer de loin aux enfants de la promesse un taber- nacle, nouveau comme tout le reste, et le plus digne par son spiritualisme du Dieu qu'on y devait adorer « en esprit et en vérité ' ? » Ce Dieu qui réalisait en sa personne le type des patriarches ", qui avait prescrit à Noé les mesures diverses de l'arche libératrice;, mesures dont les nombres renferment des mystères symboliques ^, devait-il faire moins pour son Eglise en qui tous les hommes doivent être sauvés, et que l'arche représentait, au dire de tous les interprètes '' ? Il y avait plus : cette grande merveille qu'on appela le temple de Salomon, qui ne s'était élevée à si grands frais qu'afin de préfigurer l'EgUse et le corps du Sauveur % n'offrait rien qui ne fût symbolique, depuis ses fondements inébranlables de marbre et de porphyre, jusqu'à ses plafonds de cèdre par- fumé; depuis sa distribution intérieure jusqu'aux innombra- bles ornements qui en décoraient les murs, jusqu'aux meubles et enfin aux images qui servent au culte ou à l'embellisse- ment ®. A suivre les Pères dans l'explication minutieuse qu'ils ont donnée des particularités de cette magnifique con-

* JOAN. IV, 23.

* V. HoET, Démonstration évangélique, éd. Migne, Cursus compl. Script. Sac, t. II, col. 859.

f S. IsiDOR. Hi.spAL., Questio. in Vet. Testam. In Gènes., c. 7.

* S. AuGUST., De Civit. Dei, lib. xv, c. 26.

■^ Id., Prœfat. in Psalm. cxxvj, Theodoret. , in Lib. I Paraliponien., quest. 1.

* V. les interprètes modernes d'après toute la tradition: Tirin, Estius, Calmet, Sacy, Corneille de la Pierre.— Evseb., /ita Constant., \ih. iv, c, 18 ; Hist. eccles., lib. x, c. 4.

TOMK VI. 3

2G LES CATACOMiiES.

struction, on voit bien que tous les mystères qu'elle renferme sont applicables à des vérités spirituelles de la seconde loi. C'est dans saint Augustin surtout qu'il faut en chercher la preuve : ce grand génie a tout résumé en quelques mots, soit de ses œuvres oratoires, soit de ses commentaires sur les psaumes ' , et nous reviendrons à beaucoup de ses idées quand nous aurons à produire les nombreux enseignements que l'Esprit-Saint a prodigués sur cette matière.

Les traditions architecturales étaient donc toutes faites depuis longtemps, à l'aurore du Christianisme. Il n'eut plus qu'à les prendre pour les continuer en les perfectionnant.

Mais avant d'épancher sur les vastes dimensions de ses cathédrales et de ses églises monastiques les reflets de ce génie divin qui j parle une langue si riche et si variée, il lui fallut se rétrécir en de médiocres espaces. Le berceau de l'art chrétien devait s'environner de ténèbres, sans doute pour manifester d'autant plus à la lumière qui devait les suivre, la gloire trop longtemps contestée de cette éternelle Sagesse, qui n'opère jamais plus évidemment que par les con- trastes.

En effet, c'est réellement dans les catacombes qu'il est logique d'aller chercher le prototype des églises chrétiennes. Pour peu qu'on en veuille étudier le plan intérieur, on voit bientôt quels rapports nos monuments sacrés gardent encore avec ces lieux vénérables se conservent nos plus religieux souvenirs. L'abside avec le trône épiscopal qu'entourent les sièges du presbytère ; l'autel élevé sur une crypte reposent les sacrées reliques des Martyrs ; les vides circulaires ménagés en voûtes {monumenta arciiata), presque toujours terminés eux-mêmes en hémicycles dans les parois latérales, pour y

* In Psahn. xxxix et XLiv.

LES CATACMMBKS. 27

recevoir d'autres corps h mesure que la persécution les y envoyait, et qui sont devenus par la suite ces chapelles des bas-côtés, inaugurées sous le vocable de tant de saints; ou ces arcatures continues, bien plus anciennes, décorant les murs intérieurs de nos plus vieux oratoires'; enfin, jusqu'à ces vestibules {cuhicula) introduisant à la pièce principale, et qui représentaient très-exactement cette annexe qu'on appela plus tard le diaconicum ou sacristie : tout prête à faire comparer ces pieux sanctuaires à ceux qui s'ouvrent pour nous chaque jour, et dont nous voyons que le plan original n'a souffert que de légères modifications ^. Nous ne pouvons donc ad- mettre avec plusieurs écrivains de notre temps que l'art ca- tholique se soit inspiré d'abord des basiliques profanes de la Rome payenne\ On retrouve, il est vrai, dans nos temples, de frappantes analogies avec les anciens édifices publics, et ce que nous venons d'en dire convient, jusqu'à un certain point, aux uns et aux autres. Mais on a trop répète, comme fait archéologique, une erreur qui enlèverait absolument à la Rome souterraine son antériorité de date sur nos basiliques religieuses, en la privant de l'influence directe qu'il faut lui accorder sur celles-ci. Cette influence est manifeste, et tout en admettant de frappantes ressemblances quant aux plans de ces constructions si différentes dans leur but^ en avouant que rien ne dut paraître plus convenable aux exigences du nou-

Ces observations se fortifient beaucoup des nouvelles découvertes faites dans les Catacombes par M. Louis Perret, de Lyon, dont le beau travail a été publié en 1855.

* V. AuiNGHi, Roma suhterranea, tom. i, p. 461, et la planche de la page 471. Romx, in-f", 1651.

' Ainsi ont pensé, d'après les données vulgarisées jusqu'à nous, MM. Bâ- tissier, IJist. de l'Art monumental, p. 359 et 454, Raoul-Rochettc, Renouvier, Schmitt, et bien d'autres.

28 LES CATACOMBES.

veau culte que ces vastes enceintes si commodes pour une nombreuse assemblée, et la religion prenait si avanta- geusement la place de la magistrature civile, on doit se garder d'oublier ces mêmes nefs, ce même hémicycle absidal, cette même position du clergé et du peuple indiqués tout d'abord dans les catacombes, dont nous avons vu l'origine dans l'Apocalypse, et à laquelle, par cette double raison, l'on dut se garder de renoncer plus tard ' . Voilà, nous semble- t-il, et pour répondre à une question d'un de nos savants collè- gues de la Société française d'arcliéologie, « conmient il s'est fait que le Christianisme inclina vers cette forme monu- mentale, et qu'il en a même produit spontanément des spécimens durant l'ère orageuse des persécutions ^. » Et qu'on n'aille pas nous objecter que les catacombes, devenues le refuge des chrétiens persécutés, purent bien être disposées par eux sur le modèle des basiliques de la ville supérieure. En fût- il ainsi, cela prouverait tout au plus qu'il y avait certains rapports entre celles-ci et la description de l'Eglise éternelle Dieu s'était révélé à saint Jean ; mais auquel de ces deux objets pense -t-on que l'Eglise ait pu donner la préférence ? Nous irons plus loin, et de ce qu'il y avait dans la Kome souterraine des lieux consacrés en formes di-

' V. ce qu'a dit de cette abside primitive le P.LijPI, Dissertazioni e Lettere ftlologiche, etc., 1" part., {J xvij et xxvj ; in-4o, Faenza, 1755.

V. M. DE RoisiN, Origines de la basilique chrétienne; Bullet. monu- mental, t. xxvj, p 263. Ces édifices, en effet, devaient être simples et bien différents des églises du Moyen Age par leur côté architectural, comme il convenait à des tentatives nécessairement timides. C'est ce qui faisait dire à saint Jean Chrysostôme, dès le IV •= siècle, que les basiliques et les palais des princes l'emportaient de beaucoup par la splendeur et la magnificence de l'ar- chitecture sur les constructions élevées à la gloire des Saints (V. Ilomil. xxvj, in II Cor., 5).

LES CATACOMBES. 29

verses, spliériques, obloiigs ou carrés ', nous n'hésiterons pas à expliquer par comment beaucoup d'églises ou baptis- tères célèbres ont pu adopter ces plans dont on accuse trop légèrement la prétendue excentricité. Aussi dès que s'inter- rompirent les persécutions qui avaient forcé les premiers chrétiens à se cacher, les églises qu'ils purent bâtir au grand jour n'eurent point d'autres formes ; et quand cette assertion manquerait des preuves positives qu'on peut lui donner ^, on le conclurait très^bien par induction, puisqu'au rapport des historiens, les lieux sacrés démolis ou brûlés par les persécu- teurs se relevant aussitôt que la paix nous était rendue, les lois symboliques relatives à la construction et qui venaient des traditions apostoliques % forçaient d'en reproduire l'an- cienne ordonnance déjà consacrée.

Remarquons d'ailleurs que l'ensemble si vanté des basi- liques romaines dut se ]ilier d'abord à de nombreuses re- touches pour l'accommoder à sa nouvelle destination, soit

' V. BoTTAKi, Future e sculpture sayre estratte del cimitery di Roma, t. u, p. 112, pi. xojv ; et t. iii, p. 91, 92 ; et pi. clvj et dxxxv.

* V. M. DE RoisiiN, nb. svj).

* Les canons qui forment l'ensemble du livre connu sous le nom des Consti- tutions apostoliques sont, au sentiment de tous les critiques, d'une époque bien postérieure au temps des Apôtres, et ne peuvent guères remonter au-delà du Ille siècle. Mais on reconnaît généralement qu'ils expriment des tradi- tions puisées au berceau du Christianisme, et dues à quelque plume catho- lique qui en aura formé un seul corps, lorsque la liberté rendue à l'Église permit d'établir au grand jour le dï'oit ecclésiastique jusqu'alors tenu secret, aussi bien que les usages de la liturgie. Ainsi les règles invoquées sous le nom d'apostoliques ont toujours pu l'être, et la continuité du respect qu'elles ont toujours obtenu dans toutes les Églises, et notamment au deuxième concile de Nicée en 782, constate siirement la légitimité de notre confiance. On peut donc s'en faire une autorité en matière d'archéologie et d'histoire, et l'on saura dé- sormais, quand nous aurons à nous appuyer sur elles, dans quel sens ortho- doxe nous persisterons à la citer.

30 LES CATACOMBES.

qu'on ait utilisé aussitôt celles que Constantin donna aux catholiques, soit qu'il ait fallu bientôt en élever d'autres sui- des plans plus conformes aux développements de la liturgie. Nous savons ce que devait être au W siècle la cathédrale de Trêves dont les fouilles récentes ont révélé les dispositions primitives ' ; ou encore cette église de Saint-Hyppolite martyr, dont Prudence se plaît à décrire si exactement les trois nefs, les chapelles latérales, l'abside avec son siège épiscopal ^. Mais quelque beaux édifices que fussent ces palais ou ces prétoires, qui n'en étaient pas moins quelquefois des lieux de transactions commerciales, et même des promenades pu- bliques, il y avait loin de ces usages de la vie profane aux grandes choses de la religion. Plus celle-ci marchait, plus elle aspirait à d'autres pensées. Elle voulait avant tout que dans l'asile du Sacrifice et de la prière tout parlât à l'esprit et au cœur de ses adeptes. Ce quadrilatère allongé, dont rien ne tempérait la sécheresse que deux rangs de colonnes à chapiteaux insignifiants ; ces fenêtres à plein-cintre, distri- buées symétriquement et sans nombre arrêté à la surface des murs, pour donner à un intérieur sans mystère un jour partout égal ; cette architrave grecque dont la masse, surmontée d'une frise dessinée au hasard, allourdissait des portes aux lignes perpendiculaires et horizontales, et pesait sur des co- lonnes qui ne s'y rattachaient que par un système de souten- nement froid et absolu ; tout cela n'était guères d'un utile secours à la pensée religieuse, et ne rappelait pas mal non plus le matérialisme de l'art payen. Si donc on put admettre d'abord ces dispositions générales qu'on eût trouvées sans

Voir la description qu'en a donnée M. de Roisin, Bulletin des Comités historiques, 1849, tom. i, Archéologie, p. 233. - PlUI)K^T., Perislephan, hymn.xi, v. 215.

LKS CATACOMBES. 31

beaucoup d'efforts eu sortant des souterrains sacrés, ce ne put être qu'à condition d'en changer les détails, et de tout reporter aux principes d'un spiritualisme nouveau. Et voilù comment on convint tout de suite que l'église chrétienne aurait la forme d'une nef (de vaûs, vaisseau^ et non de vaèi temple) ; que l'autel serait, d'après les Constitutions aposto- liques ', tourné vers l'Orient; que l'axe longitudinal, en sortant du sanctuaire, se briserait du Nord au Sud par une brusque déviation de sa ligne naturelle ' ; que la forme de croix serait donnée au monument par le double prolonge- ment du transsept à droite et à gauche Il n'y eut pas loin, un peu plus tard, de cette ordonnance élémentaire à ses développements successifs, et ce que l'art y ajouta dans l'intérêt de la pensée doctrinale devint une conséquence de ce premier élan fondé sur les données positives de l'Ecriture et de la Tradition. Qui ne voit aujourd'hui le germe aussi fécond que remarquable de toutes ces idées et de beaucoup d'autres dans la description si connue qu'Eusèbe de Césarée nous a donnée de l'église de Tyr relevée de ses ruines en 51 5 par son évêque Paulin ' ? Il est clair, d'après ce texte^, que l'importance attachée à chaque détail de ce vaste et magni-

* Lib. II, c. 57, ap. Coteuer, Patres œvi apostolici, tom. i, p. 261, in-f", 1672. Il faut bien ici remarquer ces importants détails de l'orientation des absi- dioles orientées comme l'abside, et de cette forme de nef, dont l'étymologie même a sa signification absolue. Voilà toute une église telle que le Moyen Age nous en a tant donné, et son origine la rattache comme son plan au plan des Catacombes.

* Ce symbole de la déviation de l'axe se remarque à Poitiers dans le bap- tistère de Saint- Jean, qui date du IV" siècle. On en a donc attribué à tort l'apparition au XI« ou XII'^ siècle ; et c'est une des erreurs que nous signalons àM.Trémollière,dans son a^rticle Sy)nholis7ne dans l Encyclopédie duXIX^ siè- cle, tom. xxiii.

^ Hist. écoles., lib. x, c. 4.

32 I-ES CATACOMBES.

fique édifice venait des symboles qui y traduisaient les vérités de la foi. C'est donc avec raison qu'un docte écrivain de nos jours, constatant que toutes les églises bâties au IV' siècle en Orient et en Occident conservaient les formes antérieures à la paix de Constantin, fait observer que les mystères cachés sous les particularités de la construction étaient compris du peuple fidèle comme autant d'objets de l'enseignement reli- gieux ' ; car Eusèbe, que nous suivons ici, n'est pas seulement l'historien de ce fait : il avait prêché au jour même de la dédicace de cette église, et en avait exposé tout le symbolisme devant une affluence considérable que présidait un grand nombre d'évêques.

Concluons que notre symbolisme actuel, vivant encore dans tous nos temples catholiques du Moyen- Age, est sorti tout fait de ces églises souterraines qui abritèrent les premiers chrétiens, et que les catacombes furent vraiment les premières basiliques oii s'offrit le sacrifice de propitiation.

l'abbé auber

Chanoine de TÉglise «le Poiliei?.

' Cf D. GuÉUAKGKU, Institut, liturgiques, t. \, p. 94. Fledry, Hist. ecclés., livre x, n" 'S.

DU RÉALISME ET DES SYMBOLES dans VAn chrétien.

PREMIER AllTICLK.

I. L'art est une langue; l'imitation de la nature est son moyen; il a pour but l'expression de la pensée : imiter la nature, sans autre intention, c'est parler pour ne rien dire. Exprimer sa pensée par des images peintes ou sculp- tées, sans nul souci de la vérité des formes et de leur beauté, ce serait peut-être de l'imagerie; ce ne serait pas de l'art.

La saine notion de l'art comprend simultanément une idée de vérité et une idée de beauté, qui doivent se manifester à la fois dans la pensée et dans la forme. Consacré uniquement à la reproduction de la nature comme elle tombe journelle- ment sous nos sens, l'art s'affaisse dans le pire des réalismes, celui qui exclut jusqu'au choix des formes, jusqu'à la con- venance des pensées.

L'art veut-il s'élever au-dessus des sensations vulgaires, jusqu'au sentiment de la beauté, il saisit de plus haut les rapports et les proportions des choses, il les idéalise. Le goût qui sait comprendre et atteindre le beau cesse d'être grossière- ment réaliste : s'il ne se met en garde contre les séductions

34 DU UÉALJSMK ^T DES SYMBOLES

des formes, ces formes fussent-elles idéalisées, il n'est pas cependant à l'abri d'un réalisme plus raffiné. Sous le nom de réalisme, nous entendons proscrire toute préoccupation exa- gérée des formes, de leur réalité, de leur beauté même, au détriment de la prépondérance que doivent toujours conser- ver les idées; nous voulons combattre toute tendance à la représentation positive de faits, qui ne s'inquiéterait pas assez d'en faire ressortir la signification. Ces exigences, ap- plicables à toutes les branches de l'art, sont surtout indis- pensables quand il s'agit d'art chrétien.

II, La nature par elle-même est toujours belle; les deux racontent la gloire de Dieu et le firmament publie les œuvres de ses mains ; la terre, la mer, les fleuves, les mon- tagnes tiennent des discours ; les arbres aussi parlent à leur manière; dans ce concert harmonieux, les fleurs, les plan- tes, les^ feuilles ont leurs accents poétiques. Il n'est pas d'être créé qui n'ait sa poésie; il n'en est pas, à mesure qu'il monte dans l'échelle des êtres animés, dont la poésie ne s'élève proportionnellement. Le corps de l'homme. Ce chef- d'œuvre du monde invisible, n'est-il pas à lui seul tout un poëme?

Pour être beau, pour être vrai, pour être abondant en fortes et saines pensées, suffirait-il donc à l'artiste de copier la nature? Non, parce que, dans un sens, elle est inimitable, et que, dans un autre, nous pouvons beaucoup mieux faire que de tenter une imitation impossible.

Par la voix de la nature, c'est Dieu qui se fait entendre ; en vain nous voudrions répéter ses accents divins , tout au plus pourrions-nous, comme un écho, en faire retentir les syllabes les plus sonores, désormais dépourvues d'aucun sens. Pour parler véritablement la langue de la nature, il faudrait soi-même posséder la puissance créatrice, faire circuler en

DANS l'art ghuétien. 35

réalité dans im tableau, l'air, la lumière et la vie. Nous n'en pouvons montrer que des apparences éloignées. Cependant il est quekpie chose dans l'art qui dépasse en élévation et en beauté tout ce qui se peut voir dans la nature, c'est l'idée. L'art ne serait-il qu'une traduction, pour traduire il faut com- prendre; or, la nature ne se comprend pas elle-même, tandis que l'art porte le sceau d'une intelligence qui la comprend.

Comparer l'art à la nature et lui donner une sorte de préférence, ce n'est pas faire une comparaison injurieuse aux œuvres divines. Car la plus belle des œuvres de Dieu, n'est-ce pas l'intelligence de l'homme, laite à l'image du Créateur? Quelque chose de plus beau que toutes les beautés de la na- ture célébrées par David, c'est l'âme de David qui les célèbre. III. Les œuvres d'art développent le sentiment des beautés de la nature, elles ravivent nos impressions, elles nous invitent à les revoir d'un œil attentif, et toutes ces merveilles qui, en passant habituellement sous nos regards, y restaient comme inaperçues, deviennent une source perpé- tuelle de jouissance et d'admiration.

Le peintre réaliste lui-même, pour peu qu'il soit habile dans le maniement du pinceau, s'élève facilement dans ses œuvres au-dessus de ses théories. Il ne peut reproduire au- cune partie de la nature sans y imprimer le cachet de sa pen- sée. Il est nécessaire qu'il comprenne^, au moins en quelque manière, le jeu de la lumière et des ombres, qu'il se fasse une idée des formes, qu'il sente quelque chose en les voyant. Cette idée, ces sentiments, sont à certains égards supérieurs à l'objet de ses imitations.

Nous comparerions volontiers le réalisme dans l'art avec l'égoïsme en morale ; l'un et l'autre pèchent par ce qu'ils ont d'étroit; en s'élargissant, ils rentrent dans le vrai. Cher- cher son propre intérêt dans l'intérêt de tous, n'est plus

36 I>1) RÉALISME ET DES SYMBOLES

égoïsme, mais largeur de vues et d'aifections ; emprunter aux réelles beautés de la nature l'expression des sentiments qu'elles inspirent n'est pas réalisme, mais saine intelligence de l'art. C'est parce que le véritable intérêt n'est jamais isolé que l'égoïste n'est jamais excusable ; c'est parce que toute imitation de la nature renferme au moins une idée, que l'ar- tiste ne saurait s'excuser non plus, quand il ne se la propose pas comme objet principal. N'aurait-il à peindre qu'une pierre informe, un lambeau de vêtement, l'idée serait par exemple de faire sentir combien, sur la plus humble surface, la lumière peut se piontrer riche de teintes, de reflets et de contrastes.

C'est surtout l'idée morale qui est capable de tout élever, de tout embellir. Voici un pauvre mendiant, le réaliste se contentera de le peindre épuisé et difforme ; faites percer dans ses traits défigurés un reste de dignité, un sentiment de ré- signation, ou bien qu'il paraisse reconnaissant sous la main qui le soulage, aussitôt vous sentez que sous ce corps abject, il est une âme belle ou capable de le devenir; le contraste de- vient une nouvelle source de beauté ; le laid cesse de l'être, dès qu'il apparait comme une œuvre inachevée, ou comme une réparation commencée.

Il est une poésie de la souffrance, de la difformité qui en est l'indice et l'effet; cette poésie consiste dans les bons senti- ments, dans toutes les salutaires vérités qui s'y rattachent, dans la couronne qui doit en récompenser le bon usage. L'art ne devrait jamais représenter une laideur physique, sans la réhabiliter en quelque sorte par la beauté morale.

IV. L'égoïste manque souvent à son véritable intérêt par cela seul qu'il en fait l'objet exclusif de ses poursuites, de même souvent aussi le réaliste cesse d'être vrai par cela seul qu'il veut l'être trop grossièrement.

DANS l'aP.T CURÉTIEN. 37

L'imitation prise trop à la lettre n'est jamais vraie parce qu'elle ne peut pas être complète. « Il faut que l'art, dit à ce sujet un jeune écrivain, auquel il n'a manqué probable- ment que de prolonger sa vie pour prendre rang parmi les hommes les plus éminents de notre siècle, il faut que l'art change toutes les valeurs absolues, qu'il n'en conserve pas une seule pour reproduire la valeur d'ensemble, puisque l'échelle sur laquelle se développe la reproduction est beaucoup plus bornée. L'école réaliste ne voit pas enfin que l'art n'est qu'une aiFaire de rapports, que les rapports seuls et l'har- monie qui en résulte sont l'objet de l'art, et constituent, pour l'esprit, la beauté '. »

Une réalité absolue, non pas atteinte (elle ne peut l'être), mais visée seulement, a pour conséquence de rompre dans la représentation l'harmonie des rapports qui fait le charme de la nature.

V. L'artiste veut-il uniquement s'attacher à cette poésie qui rejaillit des effets de la nature pris en eux-mêmes, il masse les objets, il en supprime les détails ; les figures humaines dans un paysage, n'apparaissent plus elles-mêmes que com- prises dans un système général d'accord et d'opposition; l'ac- tion est un prétexte, il en résultera une impression générale de gaîté ou de mélancolie, de grandeur ou de joie; mais il n'en sortira aucune pensée susceptible d'être rigoureusement renfermée dans une proposition grammaticale ; c'est comme une belle symphonie.

Dans ce genre, prendre au réel la nette et précise déter- mination des objets, ce serait en manquer tout l'effet. Vous ne chercherez pas à distinguer une feuille d'une autre feuille, un arbre d'un autre arbre ; ce que vous ne faites pas, l'es-

i fragments d'art et de philosophie , par Ai,. Tonwely ; Tours, 1859, p. 77 .

38 HIJ IIÉALISME ET DES SYMBOLES

prit le fait autant qu'il le faut pour le degré d'illusion utile au but que vous avez vous proposer. Vous n'avez pas voulu tenter la reproduction impossible des formes de la na- ture, vous avez obtenu la réalité des impressions qu'elle est capable de produire, vous êtes vrai.

Yl. Quelquefois une imitation plus stricte, utile ou vraie comme étude, cesse de l'être, transportée dans une œu- vre définitive.

Passionné pour les études anatomiques, Michel-Ange les étale elles ne devraient pas plus paraître que l'écha- faudage lorsque la voûte est construite. A force d'être exact dans la reproduction de chaque muscle du corps humain, il cesse d'être vrai dans la représentation de ce corps lui- même. Il n'est pas vrai que dans les circonstances il les montre, les hommes contractent leurs muscles à ce point ; il n'est pas vrai qu'ils prennent les attitudes forcées qu'il leur donne.

Est-ce une action que vous avez à me mettre sous les yeux? un tableau, quelque soit sa dimension, n'embrasse qu'un instant, un aspect; l'action, au contraire, comprend une succession d'aspects et d'instants souvent très-variés. Choisirez-vous un seul instant, un seul aspect, tels qu'ils se sont réellement présentés, vous rendrez tout au plus un détail, un épisode de l'action, mais non pas le fait lui-même.

Pour le rendre, il faut en exprimer la substance, en dégager les traits caractéristiques, les grouper comme s'ils avaient été simultanés, comme s'il eût été possible de les embras- ser tous d'un regard.

Mais ce travail, tout témoin intelligent d'une action se le fait à lui-même, pour s'en rendre compte, en embrasser l'ensemble et en conserver le souvenir; sans être peintre, il se fait intérieurement un tableau, et c'est ce tableau que Par-

DANS l'aHT CMUÉTICN. 39

tiste a mission de fixer sur l:i toile. Ici encore, ici surtout, pour être vrai, élevé et complet, il faut renoncer à une trop servile représentation de la réalité.

VII. L'imitation de la nature doit donc subordonner son mode et sa mesure aux différents genres dans lesquels s'exerce le génie des arts ; il en est de lui comme de l'écri- vain; quand ce dernier prend la plume, son style s'élève ou s'abaisse, s'orne ou se simplifie, suivant la nature delà com- position. Le langage de la prose diffère de celui des vers, le chant d'un poème épique ne doit pas se confondre avec un chapitre d'histoire, le ton d'un discours n'est pas celui de la conversation, l'ode et l'élégie ont chacune leurs accents.

De même une peinture de chevalet destinée à l'ornement d'un salon ne peut être conçue comme une peinture murale fixée sur un monument public, devenue partie intégrante d'une église ; un vitrail ne peut pas être ordonnancé comme un bas-relief. La finesse du modelé, qualité éminente ici, ne serait plus bonne il faut surtout de la fermeté dans les profils.

L'art monumental demande peu de mouvement, mais des lignes simples, suivies, peu multipliées, qui forment corps avec l'architecture; elles ne sauraient convenir à un tableau de genre, dont le principal mérite sera de prendre la nature sur le fait, dans un détail familier de la vie.

Tantôt vous aurez atteint la perfection, si mon œil fixé sur votre ouvrage oublie que c'est un tableau; tantôt au con- traire, si vous me faites sentir la pierre, dans le temple, afin que ma pensée s'élève avec elle. Vous me montrerez des corps, mais ce ne seront plus seulement des* corps, ce seront des pensées liées à tout un ensemble de chants, de cérémo- nies, de prières, de souvenirs, qui rempliront aussi bien mon âme que l'enceinte sacrée.

40 DD RÉALISME ET DES SYMBOLES

VIII. Le Christianisme constitue au-dessus de la na- ture tout un ordre surnaturel.

L'Art chrétien a pour mission d'exprimer des vérités, des faits, des sentiments surnaturels.

L'ordre surnaturel ne détruit pas la nature, il l'épure et l'élève. L'Art chrétien doit aussi, sans rien dénaturer;, sur- naturaliser tout ce qu'il atteint.

Toute œuvre doit plaire par sa beauté, doit instruire par l'expression de quelque utile vérité; les œuvres d'un art véritablement chrétien doivent faire quelque chose de plus, elles doivent édifier.

Aux réalités des faits, des formes, des proportions, des attitudes, l'artiste empruntera tous ses moyens d'action; mais il le fera avec sobriété, avec à-propos par rapport à l'idée qu'il en doit faire ressortir; l'artiste chrétien en le fai- sant se proposera pardessus tout de faire jaillir une source d'abondante édification ; il ne fera pas de l'imitation de la nature son but unique, ni même son objet principal.

Quel relief, me direz- vous, dans ces formes ! comme elles se détachent du fond ! quelle vie dans ces chairs ! il semble- rait que le sang y circule !

Et que m'importe, si c'est la prière d'un Saint que je vous ai demandé de me représenter ? Que m'importe si, sur des physionomes humaines, je vous ai demandé de me peindre les plus pures affections de l'âme, si, d'un grand événement, je vous ai demandé de tirer une haute pensée, une utile leçon ?

IX. L'Art chrétien, obligé de parler à l'esprit et sur- tout au cœur, aux yeux secondairement, destiné à repré- senter beaucoup de choses qui ne se voient point, à ex- primer principalement des vérités et des sentiments surna- turels, ne doit pas seulement, pour remplir toute l'étendue de sa mission, éviter les écarts d'un réalisme outré, il lui est né-

1)AN.S l'aKT GIIUKTIEN. 41

cessaire de recourir à ce langage figuré connu sous le nom de symbolisme.

La parole elle-même aurait bientôt atteint les dernières limites de sa puissance d'expression, si, obligée de prendre chaque terme dans son sens propre, elle devait s'interdire toute figure.

Les choses visibles sont la figure et l'image des invisibles ; celles qui sont présentes nous disent celles qui ne le sont plus ; les objets ont la signification de leur usage, ils nous rappellent ceux qui nous les ont donnés, ceux qui s'en sont servi et ils nous les représentent : ainsi, par exemple, la croix, c'est Jésus-Christ crucifié, c'est Jésus-Christ vainqueur, c'est le Christianisme fondé par cet instrument de salut.

Les termes de comparaison sont pris pour les choses mêmes auxquelles on les compare, et deviennent des méta- phores. Toutes les langues en sont remplies ; à chaque instant, sans même y prendre garde, nous en répétons quelques-unes, devenues usuelles.

Il n'y a pas de langue plus habituellement figurée que celle des Saintes Ecritures ; les symboles les plus accrédités de l'Art chrétien, la main divine et l'Ancien des jours pour re- présenter Dieu, l'agneau pour représenter son divin Fils à l'état de victime, la colombe pour représenter le Saint- Esprit et par extension l'âme fidèle remplie de son soufile divin, ne sont que la traduction et la mise en scène des figures de ces Livres sacrés.

L'Art chrétien primitif est tout en symboles ; le besoin de beaucoup dire en est la raison, plus encore que la nécessité on était de se cacher. Quand le triomphe du Christianisme fut consommé, l'Art chrétien conserva encore son caractère presque exclusivement symbolique; la juxta-position des personnages, leurs tailles respectives, leurs costumes, les

42 l»U FIÉALISIIE ET DES SVMIiOLES

moindres accessoires, gardèrent souvent une signification mystérieuse.

X. Nous donnons le nom de symbole à toute image exprimant une idée figurée qui ne se trouve pas nécessaire- ment comprise dans la représentation des objets.

Analogues aux caractères hiéroglyphiques, les images symboliques en diffèrent notablement. L'hiéroglyphe n'est qu'un signe, l'idée de l'art n'y entre pour rien; l'artiste dans l'emploi des symboles ne doit jamais oublier qu'il est tenu h la vérité et à la beauté des formes.

Les symboles doivent appartenir à un langage convenu, qu'il n'est pas libre d'inventer à plaisir.

Pour représenter Dieu surtout, nous avons déjà, dans cette Revue *, établi en principe, d'après les plus hautes auto- rités, qu'en dehors des symboles usités dans les Saintes Écritures, aucun autre ne saurait être légitimement employé.

Il n'est pas nécessaire d'être très- versé dans la mystique pour savoir que, dans leurs plus intimes communications avec le Ciel, les secrets de ce monde et de l'autre révélés aux Saints, revêtent souvent des apparences symboliques.

Ces figures, ces images, ces symboles sont toujours à peu près les mêmes dans les mêmes circonstances et offrent de singulières ressemblances avec ceux qui sont en usage dans l'Art chrétien ; n'est-il pas permis d'en conclure qu'ils ne sont point absolument arbitraires, mais fondés souvent sur les rapports essentiels qui existent entre les choses, antérieure- ment à toute convention. Les anges, les démons, n'ont pas de corps; ceux qu'on leur attribue, aussi bien dans le domaine de l'imagination que dans celui de l'art, n'ont et ne peuvent avoir aucune réalité physique : ils appartiennent entière- ment au langage symbolique.

Tome 11, p. 34.

itAXs l'aut chuétikn. 43

Cependant toutes les formes dont nous nous servons pour représenter les Anges expriment quelques-unes des qualités qui leur appartiennent bien réellement : l'intelligence, Tim- mortalité, la beauté, la pureté, l'exécution forte et rapide ; et il est plus que douteux qu'il soit possible d'imaginer aucune autre figure qui leur convienne aussi bien que celle d'un chaste et beau jeune homme aîlé, devenu le type de leur représentation.

Les Démons, au contraire, impliquent une idée de dif- formité morale qui ne peut se bien traduire que par des dif- formités physiques : aussi ne citera-t-on très-probablement jamais une apparition du Démon, soit qu'il ait pris momen- tanément un corps, ou que l'imagination le lui ait prêté, il ne soit montré sous une forme plus ou moins abjecte et hideuse. Il se transforme, il est vrai, en ange de lumière, mais c'est en dissimulant sa propre personnalité, en se don- nant pour un autre; aussitôt qu'il se présente comme Dé- mon, aussitôt que l'âme qu'il veut séduire, que l'âme séduite elle-même le reconnaissent pour ce qu'il est, le prestige dis- paraît, l'esprit du mal se manifeste tel qu'il est, laid et ignoble comme le mal lui-même.

XI. Le symbolisme peut être admis dans les compo- sitions de l'Art chrétien en des mesures fort diverses.

Elles peuvent être symboliques dans leur foraie principale ou seulement renfermer des symboles.

Quelle place faire dans une composition au symbole ou au réel? Il importe à l'artiste de se faire cette question, avant de mettre la main à l'œuvre, et leur proportion une fois détermi- née, d'après la nature du sujet et des impressions qu'il veut produire, il la maintiendra jusqu'au parfait accomplissement de sa tâche: c'est une condition de vérité autant que de clarté et de précision.

44 I)U RÉALISME DES SYMBOLES DANS L'ART CHRKTJEN.

Il n'y a pas d'anachronisme à rénnir, par exemple, dans une pensée symbolique autour de la Crèche du Sauveur, les Prophètes qui d'avance étaient rendus présents par les as- pirations de leurs désirs, et les Saints des siècles futurs qui ont remonté le cours des âges dans leurs ardentes médita- tions, pour assister à l'accomplissement de ce consolant mys- tère; mais il faut qu'à première vue, l'on sache, l'on com- prenne le sens de cette association de personnages apparte- nant à des temps, à des lieux si divers.

Tout serait confondu si on introduisait les mêmes person- nages dans une représentation où, autant que le comportent les procédés de l'art, tout annoncerait d'ailleurs l'intention de rendre la réalité historique dans ses strictes conditions de temps et de lieu.

La nature d'une composition historique n'est jamais ce- pendant si exclusive de l'emploi de tout symbole, qu'il n'y ait lieu d'y recourir accessoirement ; il en est de toujours utiles, de souvent nécessaires, pour faire reconnaître, par exemple, tel personnage ou telle classe de personnages dont ils sont les at- tributs consacrés par l'usage; on ne devra pas craindre de couvrir la tête d'un Pape, d'un Roi, d'un Evêque, de la tiare, de la couronne, de la mitre, bien qu'ils ne les aient certaine- ment pas portées dans les circonstances de la vie on les montre placés, bien que l'usage de ces insignes soit d'une époque postérieure à celle le spectateur doit se trans- porter. Mais il faut que chacun de ces emblèmes soit autorisé par un usage bien établi ; le langage des symboles doit tou- jours être clair plus qu'aucun autre et se tenir soigneusement en garde contre l'invasion du néologisme.

GRIMOUARD DE SAINT-LAURENT - (La suite à un jirochain numéro.)

PEINTURES DE M. FLANDRIN à Saïnt-Germain-des-Prés

Il n'est bruit dans le monde des arts que des peintures de M. H. riandrin à l'église de Saint-Germain-des-Prés. Les échafaudages qui ont si longtemps encombré ce précieux monument ont en partie disparu; les voiles qui cachaient le mystère du travail et des méditations de l'artiste sont tombés, et ceux qui, sur la foi de certains critiques de l'école du Siècle, avaient cru que la religion était désormais impuissante à féconder le génie et que l'Art chrétien avait fait son temps comme l'Eglise, ont pu s'assurer qu'au XIX® siècle la sève de l'inspiration religieuse n'est pas encore tarie. Si le Salon ne voit plus étaler sur ses murailles, à côté d'un art resplendissant de sensualisme, que quelques rares et faibles pages de sainteté , c'est que la peinture mu- rale a pris de nos jours, et surtout dans les édifices reli- gieux, un si vaste développement qu'elle réclame le concours des artistes les plus intelligents et les plus habiles; c'est là, sur des surfaces sans autres limites que l'édifice, et non sur une toile à tableau , que doivent se concentrer à l'avenir toute la force vive du génie et tous les efforts de l'étude et de la méditation .

.40 l'HIMUliLS ItE M. n.AM)UÎN

Sauf deux bujets importauts encore inachevés, M. H. Flandrin a peint seul la vaste église de Saint-Germain-des- Prés. On a pu, par cet exemple, et eu comparant ce qui s'est fait dans d'autres églises, chaque artiste a suivi sa fan- taisie, apprécier les avantages de l'unité de pensée et d'exé- cution.

M. flandrin a pu ainsi donner un vaste développement à une grande idée préconçue; son programme, en effet, n'est autre chose que l'histoire complète de la Religion unie à l'humanité, depuis les premiers faits bibliques jusqu'aux dernières scènes de la rédemption . Il a suivi les plus pures traditions du dogme et de l'art chrétien, avec la naïveté de l'art primitif et la science de l'art moderne.

La Revue a déjà fait connaître à ses lecteurs les peintures de M. Flandrin à Saint-Vincent de Paul * et à Saint-Martin- d'Ain ay, à Lyon ^ ; elle trouvera peut-être matière dans la description de celles de Saint-Germain-des-Prés à des études précieuses d'iconographie chrétienne. Elle pourra en même temps s'occuper, en dehors de ces belles pages, de la décO' ration employée dans cette église comme tradition archéolo- gique de l'époque romane. La critique , tout en louant les eiforts faits dans cette difficile tâche de la décoration poly- chrome, devra signaler les écueils contre lesquels seraient entraînés, surtout en province, les ornemanistes tapageurs, qui déjà ne se sont que trop inspirés des modernes peintures de la Sainte-Chapelle de Paris.

Aujourd'hui nous nous bornons à indiquer les sujets traités par M. Flandrin dans ses peintures murales de Saint-Germain-des-Prés, en notant les textes qui les accom- pagnent.

' Tome 11, |,agf ilO. ■' '\'<Hr\v I, |Kij.'c ;i6b.

A saint-(;eiimain-dks-i*kks. 47

I. PRINCIPALX SUJETS.

(Première arcade à gauche, en entrant). Annonciation, incar- nation de Jésus-Christ dans le sein de la très-sainte Vierge. Moïse se prosterne devant le buisson ardent, que la flamme n'em- brase pas (figure prophétique de la maternité virginale de Marie).

Texte (au-dessus du vitrail) : « Domine, mitte quem missurus es. » (Envoyez, Seigneur, celui que nous attendons). Exode, \s, l'a.

2<> (Deuxième arcade de gauche). Naissance de l'enfant Jésus à Bethléem. Adam et Eve réprimandés par Dieu (le Sauveur promis, avec la réparation de la désobéissance d'Eve).

Texte : « Per hominem mors, per hominem resurreclio. » (Un homme nous a valu la mort, un homme nous rend la vie). II Cor., XV, 21.

3" Adoration de Notre-Seigneur parles mages. Balaam prophé- tise qu'un astre s'élèvera du milieu d'Israël.

Texte : « Habitantibus iu regione umbree... lux orta est. » (La lumière s'est levée sur ceux qui habitaient dans les ténèbres). /saie, IX, 2.

4" Baptême de Notre-Seigneur dans le Jourdain, pour annoncer le don de régénération qu'il doit accorder à l'eau employée dans le premier des sacrements. Le passage de la mer Rouge, l'en- nemi seul périt, tandis que le peuple de Dieu en sort miraculeuse- ment pour de glorieuses destinées.

Texte: « Erit sanguis vobis in signum. » (Le sang vous sera un signe). Exode, xii, 13.

50 Institution de l'Eucharistie par Notre-Seigneur (prêtre selon l'ordre de Melchisédech). Ps. cix, 5. Melchisédech;, offrant le sa- crifice du pain et du vin, bénit Abraham, père des croyants.

Texte: « Novi Testamenti mediator est. » (11 est le médiateur d'une nouvelle alliance). Hebr., ix, 15.

6" (Cinquième arcade de droite). Trahison de Judas. Joseph vendu par ses frères.

Texte : « Pro sainte vestra misit me Deus. » (Dieu m'a envoyé pour votre salut). Gen., XLV, 5.

(Quatrième arcade). Mort de Jésus-Christ sur le Calvaire.

48 PEINTURES DE M. FLANDRIN

Isaac au moment d'être immolé par son père.

Texte : « Proprio filio non pepercit. » (il n'a pas épargne son propre fils). Rom., \n\, 32.

lîÉsuRRECTiON DE Jésus-Christ. Jonas rendu au jour par le monstre marin.

Texte: a Signum Jonse propbetœ » (Le signe du prophète Jonas). Matth., XII, 39.

9" Mission des Apôïhes pour réunir les nations dans une même foi. Dispersion des peuples au pied de la tour de Babel, par la confusion des langues.

Texte: « Gentes esse cohseredes... promissionis in Gliristo.» (Les nations hériteront toutes de la promesse en Jésus-Christ). Gai., III, 6.

iO° (Non encore achevé). Ascension de Notre-Seigneur. Préli- minaires du jugement dernier.

Texte: « Semel oblatus... secmido apparebit (Victime d'abord... il reviendra, etc.). Eebr'., ix, 28.

H. personnages de l'ancien testament. A la hauteur des Vitraux.

1" (Au-dessus de la première arcade, à gauche, en entrant). Adam et Eve ; Abel, Enoch.

(Deuxième arcade de gauche). Noé, Abraham ; Isaac, Mel- chisédech.

Jacob, Joseph ; Moïse, Job.

Aaron, Josué ; Marie (sœur de Moïse), Débora, Jahel.

5" Judith, Gédéon ; Samson.

(Au-dessus de la cinquième arcade, à droite). Samuel, David ; Salomou.

Isaïe, Ézéchias ; Jérémie, Baruch.

Ézéchiel, Daniel ; Élie, Elisée.

Habacuc, Sophonie ; Osée, Joël.

10" Amos, Michée, Nahum ; Malachie, Zacharie, saint Jean- Baptiste.

P. S.

BIBLIOGRAPHIE

HISTOIRE DE L'ABBAYE DE SAINT-DENIS EN FRANCE, par M™" Félicie d'Ayzac, dignitaire Jionoraire de la Maison impériale de Saint-Denis. Paris, imprimé par autorisation de l'Empereur à l'imprimerie impériale, 1861, deux gros volumes in (20 francs.)

L'ancienne église abbatiale de Saint-Denis nnit deux genres de gloire qui concentrent sur elle l'attention de l'antiquaire et de This- torien: la beauté de l'architecture et la richesse des souvenirs.

Fondée par Dagobert, reconstruite par Charlemagne, elle fut ré- édifîée en H40 par Snger, qui fît respirer dans son architecture tout le génie de son époque. Saint Louis fit reconstruire les Irans- septs et les voûtes ; Philippe-le-Hardi ajouta six travées à la nef et fit élever, en 1280, la flècbe qui couronne la tour du nord.

La façade principale est remarquable par son ordonnance géné- rale et par la beauté de sa statuaire. La porte principale est à plein cintre, tandis que les portes latérales sont à ogive {{ig. 1, à la page suivante).

L'intérieur a un aspect grandiose; les voûtes s'élèvent à 30 mètres du sol; on compte 111 mètres depuis le portail jusqu'à l'abside [fig. 2, à la page 51).

Malgré les travaux de deux savants bénédictins, Dom Doublet et Dom Félibien , l'histoire de l'abbaye de Saint-Denis n'était pas assez connue, surtout sous le rapport de l'art et du régime inté- rieur ou administratif. C'est à ce point de vue que se place surtout ]\|me Félicie d'Ayzac, en réservant la partie purement historique pour une seconde publication.

Grâce à l'abondante moisson qu'elle a faite dans les cartulaires et les archives, elle a pu réunir de nombreux renseignements qui avaient échappé à ses devanciers et faire revivre, sous des traits

50

BIBLIOGRAPHIE

1 Porhil (le 1 f^li c Simt Di iiis

BIHl.IOGllAlMI fi.

51

2. liitciitur lie '.''J^'li.^'j SaiiU-I'ciiis

52 BIBLIOGRAPHIE.

animés, la pUysiouomie de la plus illustre de nos abbayes royales, depuis sa fondation, au VII« siècle, jusqu'à sa transformation en maison impériale d'éducation pour les filles des officiers supérieurs légionnaires. Après un sommaire liistoiique, qui était nécessaire pour l'intelligence de la partie descriptive, elle consacre sept livres à la règle et aux mœurs des habitants de l'abbaye, à ses pompes religieuses, à son organisation intérieure, à ses possessions, ses droits et ses revenus, <i ses anciens bâtiments, enfin à ses bâtiments nouveaux.

Le chapitre consacré aux obsèques des Rois nous a particulière- ment intéressé. Nous en résumerons quelques curieuses particu- larités.

Jusqu'au XIII" siècle, on faisait bouillir les cadavres des Rois avant de les confier à la terre. Plus tard on se contentait de les plon- ger dans de l'eau saturée de chaux, pour dessécher les chairs; on les enveloppait de bandelettes imprégnées d'aromates et après les avoir revêtus des insignes de la royauté, on les déposait dans un cercueil de bois bitumineux, en ayant soin de combler tous les vides avec des matières odorantes. Cette caisse était revêtue d'un cercueil en plomb, oii étaient gravés le nom, l'âge et la date du dé- cès du prince, et déposé dans une troisième bière eu chêne, sur la- quelle on clouait un drap mortuaire en velours noir. Ce cercueil recouvert encore d'un ample drap d'or était exposé dans la chambre du trépas pendant dix-huit jours. Pendant les six premiers jours, on mettait à côté un lit de parade aux draps d'or, une table étaient , servis les repas du Roi et Veffigie du défunt, statue en pied, moulée en cire, tenant les mains jointes, et revêtue de tous les insignes royaux : C'est ce qu'on appelait la Représentation. Les pompes des funérailles ne commençaient qu'un mois après le jour du décès. Le cercueil était porté à Notre-Dame, était célébré un service so- lennel. On se rendait de à l'abbaye de Saint-Denis. Quatre hé- raults d'armes marchaient en tête du cortège ; venaient ensuite vingt-quatre crieurs de Paris en robes de deuil, les quatre ordres mendiants, les paroisses de la ville, les gentilshommes de la maison du Roi défunt, portant des cierges de cire jaune. Le cercueil, sur- monté de la Représentation dont nous avons parlé, était porté par les hannouars ou porteurs de sel de Paris. Les personnages les plus

HIBLIOGHAPHIE. î>3

émineuts du royaume tenaient sur des carreaux de velouis les honneurs du Roi. Venaient ensuite le Parlement en robes rouges, la Chambre des comptes, le Cliâlclet, la Municipalité, l'Université, rArcbevèquc de Paris à clieval, les Princes et les Grands du royaume, les Ambassadeurs, les Cardinaux, des pauvres vêtus de deuil et portant des torches allumées. Le cortège était fermé par la noblesse, la maréchaussée, le connétable, l'armée et la foule in- nombrable de la bourgeoisie et du peuple.

L'Abbé de Saint-Denis, accompagné de ses religieux, de ses grands vassaux et de ses gentilshommes, se rendait au-devant du cortège, au champ du Landil, l'Archevêque de Paris lui fai- sait la remise du corps du défunt. Le cercueil restait déposé pen- dant quarante jours dans une chiipelle ardente. « La pieuse coutume de ce dépôt, dit iM"'^ F. d'Ayzac, il est permis de le croire, fut imaginée et établie par l'effet d'un pieux regret.' Un sentiment délicat des convenances fit juger peu séant de rendre si tôt à Ja tombe les restes de ceux qui naguères étaient entourés de tant de témoignages de dévouement et d'amour. Entre la présentation du corps et l'ouverture du sépulcre viennent se placer, pour les rois, ces quarante jours de grand deuil, de prières et de tristesse autour de leurs restes, comme pour témoigner qu'on ne s'en séparait qu'à regret et pour s'accoutumer peu à peu à l'absence du souverain que le plus irrésistible de tous les pouvoirs avait effacé de la terre. »

Pendant les jours du dépôt, on dressait une table dans la salle des gardes-du-corps ; à l'heure du dîner, un hérault s'écriait trois fois : « Le roi est servi » , et quelque temps après, il répétait : « Le roi est mort. » C'est alors seulement que commençait le repas des gardes-du-corps.

Le jour de l'inhumation, le cercueil était érigé sur un immense catafalque des fîguies allégoriques représentaient les princi- pales vertus du prince défunt. On y déposait les deux couronnes du sacre, la couronne funèbre et les honneurs du roi, c'est-à-dire l'épée, le sceptre et la maiu de justice.

Quand le cercueil était descendu dans le caveau royal, les écuyers y jetaient lour à tour les éperons, les gantelets, l'écu, la cotte d'armes et l'armet timbré du roi ; le manteau royal y était jeté par un grand dignitaire, le fanon par le premier valet tran-

o4 BlBLlOGr.APIlIE.

chant, les honneurs par les priuces du sang ; le chancelier et les maréchaux y précipitaient leur bâton de dignité qu'ils avaient brisé... Le hérault criait trois fois du fond du caveau : « Le roi

est mort, priez pour l'âme de ly ! » Puis s'élançant du caveau, il criait : «Vive le Roi», elles fanfares des clairons proclamaient

l'avènement d'un nouveau règne.

BIBUOâRÂPHIE. 55

La vaste crypte de Saint-Denis est la plus curieuse nécropole de l'Europe {fig. 3). Les nombreux tombeaux qui y sont renfermés ont donné lieu à plus d'une erreur archéologique. Il résulte des re- cherches de M. le baron de Guilhermy ' qu'on ne doit pas faire remonter au-delà du règne de Louis IX la construction des monu- ments érigés aux prédécesseurs de ce saint Roi, et que ce n'est qu'à dater du règne de Philippe-le-Hardi que les figures royales qui ont échappé au vandalisme peuvent être considérées comme des por- traits authentiques.

Depuis Dagobert I" jusqu'à Louis XV, tous les rois de France furent enterrés à Saint-Denis, à l'exception de Charlemagne, Louis VII et Louis XI.

Les deux beaux volumes que vient de publier M™« F. d'Ayzac sortent des presses de l'imprimerie impériale. Ils ne sont pas illus- trés de vignettes, mais deux planches gravées avec soin y sont annexées; l'une représente une vue générale de l'abbaye copiée sur celle du Monasticum Gallicanum; l'autre a été calquée sur une carte manuscrite, mais sans date, qui appartient à la Bibliothèque impériale *.

Nous n'apprendronç rien de nouveau à nos lecteurs en disant que M"* F. d'Ayzac unit la poésie de l'imagination à une immense érudition. Ici, bien plus encore que dans ses travaux extérieurs, elle a donné essor à ses brillantes et solides qualités : aussi VHis- toire de l'Abbaye de Saint-Denis sera assurément un des ouvrages qui fera le plus d'honneur à la littérature sérieuse de notre époque.

J. CORBLET.

RECHERCHES HISTORIQUES SUR L'IMPRIMERIE ET LA LI- BRAIRIE A AMIENS, avec une description de livres divers imprimés dans cette ville, par F. Pocy. Amiens, 1861,tn-8°.

Le premier ouvrage connu, imprimé à Amiens, est un Recueil de coutumes qui paraît dater de 1507. Depuis cette époque jusque

' Monographie de l'église royale de Saint-Denis.

* Nous devons à l'obligeance de M. Lecoifre, les trois vues qui accom- pagnent notr« article ; il en a fait graver le» bois pour la Semaine des Fa- milles.

56 BIBLIOGRAPHIE.

1609, on ne connaît aucun ouvrage imprimé dans celte ville. M. Pouy signale les productions des imprimeurs des deux derniers siècles et sème son récit de piquantes anecdocles. Il donne d'inté- ressants détails sur la législation et l'organisation des imprimeurs d'Amiens avant 1789, sur les livres brûlés parla main du bourreau, sur la censure, sur les almanachs et les journaux, sur l'origine de la librairie à Amiens, sur les principales collections bibliographiques du département de la Somme, etc. La seconde partie de ses savantes Recherches est consacrée à la description de divers ouvrages exé- cutés à Amiens, qui se recommandent soit par leur rareté, soit par certaines particularités, ou qui offrent un certain intérêt au point de vue artistique, historique, archéologique ou Httéraire.

DE IvrUSIQUE AU XV"^ SIECLE. Notice sur un manuscrit de laBihlio-

thèque de Dijon, par Stephen Morelot. iw-4«.

L'histoire de la musique au moyen-âge est encore à faire, malgré les nombreux travaux publiés sur cette intéressante question : aussi doit-on applaudir à la publication de tous les documents qui peu- vent jeter quelque jour sur les origines de l'art musical. Le ma- nuscrit dont M. Morelot publie des fragments, renferme plus de 200 chansons françaises du XV* siècle à trois et' quatre parties et plu- sieurs motets religieux. Ce manuscrit ne nous fournit pas seulement de précieux monuments de la musique populaire de cette époque ; il nous fait connaître les formes scientifiques les plus compliquées dont faisaient usage les compositeurs du XV* siècle.

HISTOIRE ABRÉGÉE DU TRÉSOR DE L'ABBAYE ROYALE DE SAINT-PIERRE DE CORBIE ; nouvelle édition augmentée de notes, par M. H. Dusevel. Amiens, Lemer, 1861, m-16 de 94 pages.

Cet opuscule était devenu fort rare, et nous félicitons M. Du- sevel de l'avoir fait réimprimer, en y ajoutant un certain nombre de notes expUcatives. L'abbaye de Corbie possédait les corps de saint Adhédard, saint Paschase Ratbert, saint Précord ; des reliques moins importantes de sainte Balhilde, saint Anschaire, saint Gérard, saint Gentien, saint Ktienne, etc.; aussi le nombre de ses châsses et reliquaires était-il considérable. Parmi les objets d'art les plus cu- rieux, on trouve mentionné « un ancien crucifix d'yvoire, attaché sur une croix de cuivre éraaillé. »

J. GORBLET.

-SARCOPHAGE -AUTEL de r église Saint -Zenon, à Vérone.

Le sarcophage-autel dont je désire entretenir les lecteurs de la Revue de l'Art chrétien., et dont je dois le dessin à un de mes amis, se trouve dans la crypte de notre basilique Saint-Zénon.

On sait qu'en souvenir des mystères des catacombes, on conserva longtemps l'usage de célébrer la Messe sur le tom- beau des Martyrs, et qu'on retrouve encore aujourd'hui une commémoration de cette touchante pratique dans les re- liques que l'on dépose dans les pierres sacrées.

L'autel-sarcophage de notre basilique a contenu les corps de trois Saints : 1" saint Crescentien, martyr du IV siècle, dont il est fait mention dans les Actes du pape saint Marcel ' ; notre évêque saint Lucille , qui assista au Concile de S"ardes, en 547, et qui est mentionné dans V Apologie de saint Athanase; notre évêque saint Lupicin (XIP siècle), dont les reliques sont actuellement dans l'abside centrale de la crypte.

' BoLLAND., 5 sept., page 488.

TOME Yi. Février 1862. 5.

58 SARCOPHAGE- AUTEL

En 1576 on lisait l'inscription suivante au côté nord de l'autel ' :

CORPORA SANCTORVM CRESCENTIANI MARTYRIS

LVCILLI ET LVPICINI CONFESSORVM

EPISCOPORVM VERONENSIVM

Lorsqu'on ferma l'abside, ce sarcophage continua à servir d'autel, et on reproduisit sur le mur de clôture l'ancienne in- scription suivante :

HIC CRESCENTIANI MARTYRIS OSSA QVIESCVNT

ET CVM LVCILLO TV LVPICINE SIMUL

COELESTIS PATRIAE CONSORTES ATQVE SEPVLCHRl

VERONAM PRAESVL DICIT VTERQVE SVAM

Et plus haut :

DIVIS

CRESCENTIANO LVCILLO

ET LVPICINO

Ce précieux monument nous parait offrir les caractères du commencement du IX® siècle. Tl est en calcaire tertiaire ; la table est en marbre rouge de Vérone. Il a 0"'97 de hauteur, 0"84 de largeur et 2™20 de longueur. 11 était jadis entière- ment peint, et on voit encore quelques restes des couleurs qu'on a grattées, en endommageant un peu la sculpture en quelques endroits.

La face principale est divisée en trois compartiments {voir la planche ci-jointe) ; au centre, on voit le Christ en croix,

Sfi. Episcoporum Veronensium monumenta. Venetiis, 1576.

DE l/ ÉGLISE SAINT-ZÉNON, A VÉllONR 59

vetii d'un court jupon, ayant deux clous aux pieds. Il est encore vivant; et, tournant la tête vers saint Jean, il semble lui donner pour mère la très-sainte Vierge qui, debout auprès de la croix, verse des larmes amères. Deux Anges éplorés, aîlés et vêtus, planent au-dessus de la croix ; ils portent probablement quelques instruments de la passion. Les deux compartiments latéraux sont divisés en deux ar- cades à plein cintre, soutenus par des colonnes torses ; sous chaque arcade est assis un Evangéliste, tenant sur un pu- pitre son Evangile et accompagné de l'animal symbolique qui lui est propre. Tous quatre ont les pieds nus; saint Mathieu et saint Jean les tiennent sur un escabeau. Il est à remar- quer que ce dernier Apôtre est jeune et imberbe près de la croix, tandis qu'il est âgé et barbu, lorsqu'il écrit son Evan- gile. Je crois qu'une simple raison chronologique peut suffire ici pour expliquer cette différence, sans qu'il soit besoin de recourir au motif allégué par M. Didron', c'est-à-dire à l'influence du style byzantin.

Deux oiseaux et des palmes symboliques accompagnent l'extrados des arcades.

La face postérieure nous montre les fruits immédiats de la Eédemption, à savoir : les âmes des justes délivrées des Limbes et les âmes du Purgatoire introduites dans la gloire du Paradis {voir la planche ci-jointe). Je ne crois du moins y reconnaître que ces deux sujets, bien que l'ensemble pa- raisse, au premier coup-d'œil, être divisé en plus de deux scènes. En effet, je reconnais le divin Rédempteur, figuré deux fois seulement et parfaitement reconnaissable à son nimbe crucifère. Les quatre personnages qui sont à gauche ne nous semblent pas former une représentation spéciale; ils

Manuel d'Iconograpliie chrétienne , p. 304.

GO SARCIlOriIAGE-AlTtL

paraissent en reliition avec les deux figures qui sont près du Sauveur : c'est donc une même scène, représentant les justes délivrés par Jésus-Christ. 11 serait difficile de déterminer leur identité. Celui que le Christ touche à l'épaule est sans doute Adam; le suivant est Eve, reconnaissable à sa longue chevelure. Il en est ainsi du reste dans d'autres représen- tations analogues, d'une haute antiquité.

Sur la droite, nous voyons le Sauveur délivrer une âme des flammes du Purgatoire, tandis qu'un de ses Anges en retire une autre. Cette circonstance est parftiitement con- forme à la doctrine de l'Eglise, comme l'a très-bien établi dans cette Revue ' le II. P. Dom Renom, contre une affirma- tion contraire de M. l'abbé Pascal.

Le bas-relief du côté de l'épitre représente une chasse. A

A.J.

terre, l'ours terrassé par les chiens est frappé par le couteau du veneur. Derrière, un autre chasseur tient un chien en

' To-.f.o. m, \)»i.c 196.

DE l'JvGLISK S.U.NT-ZKNON, A VÉRONE. (il

laisse et a un olipliaiit à la main. Sur les arbres, (rautrcjs chasseurs poursuivent et frappent ours et singes, animaux qui ont la faculté grimpante.

La chasse, symbole des vicissitudes de la vie humaine, se trouve représentée sur divers sarcophages anciens. Ici l'ours et le singe sont peut-être le symbole des vices que l'honnne doit poursuivre et détruire en lui-même dans tontes les cir- constances de la vie '.

Le côté correspondant a été mutilé ; on y a gravé, en 1808, l'inscription suivante :

ik

\Ër (SiasscsEMifflAMo.

[Fi;i©©©MflT.'-\

!A. ©o .D8©3„ E)]E= Êïï>. 7 S KO g

Cette inscription moderne n'en remplace pas une plus

' Voyez S. Mflitoms Chu-is, n[>. SpicU. Soh'sni., t. m, Ursus, Sii/iic, Tcnalio, Ycndior.

62 SARCHOPHAGE-AUÏEL DE l'ÉGLISE SAINT-ZÉNON, A VÉRONE.

ancienne. Les inscriptions dont ont parlé divers historiens, étaient placées près de l'autel et non pas sur le monument lui-même; d'ailleurs, l'inégalité de la surface sur laquelle est gravée l'inscription de 1808 prouve évidemment qu'il y avait des sculptures qui ont été coupées.

Ce sarcophage-autel n'a pas assurément le mérite artis- tique de ceux des premiers siècles ; mais il appartient à une époque encore assez reculée pour intéresser vivement l'ar- chéologue qui ne recherche pas seulement la perfection des formes dans les monuments, mais qui aime à constater l'état des arts à toutes les époques et surtout à celles qui ne nous ont légué qu'un fort petit nombre de spécimens.

ANTONIO BERTOLDI.

Vérone, 18(51

DU RÉALISME ET DES SYMBOLES dans VArt chrétien.

DKDXIEMK KT DERNIER ARTICI.K

XII. En appliquant à un sujet spécial les idées que nous avons émises, nous espérons réussir à les faire mieux goûter de nos lecteurs ; nous prendrons pour exemple le bap- tême de Notre-Seigneur.

Il s'agit d'abord de fixer le type du Sauveur du monde ; un réalisme grossier se contenterait de copier à la lettre le corps du portefaix assez bien conformé pour servir de modèle dans un atelier ; comprenant la nécessité de s'élever plus haut, il est des artistes qui ne trouveraient rien de mieux, en les copiant également, que d'attribuer au Christ les chairs blanches et délicates, le noble port d'un jeune homme de bonne famille qui aurait consenti à se dépouiller de ses vête- ments pour poser devant eux; d'autres enfin croiraient avoir atteint le nec plus ultra de l'idéal, s'ils avaient pu imiter les formes d'un beau marbre antique. Mais l'artiste vraiment chrétien, en s'aidant de tout ce qu'il a vu pour peindre le corps

* Voir le numéro de janvier 1862, p. 33.

64 DU IIÉALISMK ET DES SYxMBOLES

de l'Homme-Bieu, prendra à cœur d'imaginer quelque chose que l'œil ne puisse jamais rencontrer en aucun autre corps vivant, en aucune image profane, quelque chose qui exprime la force sans effort, la santé sans eifervescence de la chair et du sang, la beauté sans rien de sensuel, quelque chose enfin qui réponde à l'idée que nous pouvons nous faire d'un corps glorieux, éclairé, outre la lumière ordinaire, par les premières hieurs d'un rayonnement propre.

XIII . Que l'artiste chrétien ait à peindre le Christ dans le cours de sa vie mortelle et passible, ou dans les gloires de sa Résurrection ; qu'il ait à le détacher d'une toile ou à le fixer sur un mur, nous admettons qu'il doit se faire aujour- d'hui une loi d'être toujours vrai autant que noble dans les proportions générales, d'être exact autant que naturel et facile dans tous les mouvements et toutes les attitudes; il le peut sans rien sacrifier des qualités plus précieuses qu'il doit surtout ambitionner. S'il fallait toutefois choisir entre ces œuvres primitives où, avec plus ou moins de raideur, de sécheresse dans les membres^ avec des fautes d'anatomie, de perspective, d'équilibre^ apparaît au moins l'intention manifeste de résoudre le difficile problème que nous avons posé, rinJ:ention de diviniser un corps qui est efi^ectivement celui d'un Dieu ; s'il fallait, dis-je, choisir entre ces œuvres primitives et tant de Christs de toutes les écoles modernes se montre le désir de séduire les yeux, bien plus que l'intention d'édifier et d'instruire, nous n'hésiterions pas : assurément il y a une plus forte somme de vérité et de beauté l'idée que nous devons nous faire de l'Homme-Dieu est mieux sentie, que l'anatomie du corps est mieux ren- due.

Nous le dirions, même en mettant hors de concours ces produits de pinceaux quelquefois habiles sans contredit.

DANS i/aUT CUUKTIKN. 05

mais déplorablement fourvoyés, le nom sacré du Christ est attribué à des figures ignobles qui sembleraient dignes du pilori.

Ces figures au reste cadrent bien avec l'idée de ces C/in'sis humanitaires conçus en certains esprits de nos jours, C/irisls qui semblent vomir le blasphème à pleine bouche, et qui ne sont pas plus le divin Sauveur des hommes et leur juge, que Satan transformé en anû'C de lumière ne devient un bon an2;e.

XIV. Le corps du Fils de Dieu étant dessiné avec une mesure délicate de symbolisme qui ennoblisse et spiritualise ce que l'observation apprend à imiter des effets de la na- ture , il faut fixer les autres termes de la composition . L'Evangile nous apprend que Jésus se plongea dans les eaux du Jourdain pour recevoir le baptême de saint Jean. Pour représenter l'immersion complète, telle que le rap- porte le texte sacré, les artistes des premiers siècles et ceux du Moyen Age ont imaginé un fleuve de convention élevé autour du corps qu'il devait baigner, souvent sous la forme d'un monticule, sans atteindre les autres personnages placés au même niveau.

Quand on a voulu faire couler le fleuve selon ses lois natu- relles, il a fallu supprimer l'immersion et souvent on a sup- primé le fleuve lid-môme. Un faible filet d'eau trempent les pieds du Christ ne peut en effet constituer ni un fleuve ni une immersion.

Ce sont, comme le monticule onde des temps primitifs, des moyens convenus et d'une valeur plus symbolique que réelle pour exprimer des choses que les ressources de l'art se refusent à reproduire tout à la fois selon la réalité historique et selon la réalité naturelle.

Il paraît bien difficile de composer un groupe supportable a la vue, en faisant disparaître la plus grande partie du corps

66 DU KÉALISME ET DES SYMBOLES

de Jésus dans les eaux du Jourdain, tandis que saint Jean, demeuré sur ses bords, resterait élevé au-dessus, autant que le demanderait la différence naturelle des plans ; aussi, aucun artiste, que nous sachions, ne l'a jamais tenté avec succès.

Témoins de la scène évangélique, nous n'aurions rien vu sans doute qui ne satisfit nos yeux autant que notre cœur, parce que les saints personnages qui en furent les acteurs nous auraient apparu sous autant d'aspects qu'ils firent de mouvements.

Nous les aurions vu l'un et l'autre s'aborder, s'humilier, s'abaisser, se relever, l'eau jaillir en blanche écume, se répandre en flots d'argent, puis le Sauveur étant remonté sur la rive, le ciel s'illuminer d'une splendeur soudaine et la divine Colombe briller dans cette lumière d'un éclat et d'une douceur incomparables.

C'est de tout cet enchaînement successif de faits que se serait formé le tableau déroulé sous nos reafards. Immobiliser un seul de ces faits dans un moment donné, l'immobiliser à un point de vue horizontal, ce serait nous le montrer tout autre que nous aurions pu le voir.

Si divers qu'aient été les procédés et les tendances de toutes les écoles, aucune n'a reculé devant la nécessité de chercher une position plus ou moins conventionnelle qui ré- sumât tous les mouvements et tous les aspects dont le Christ et son saint Précurseur purent donner le spectacle au ciel et à la terre, comme aucune n'a hésité à représenter l'Appa- rition du Saint-Esprit simultanément avec le Baptême, bien qu'en réalité elle l'ait suivi.

XV. Nous ferons toutefois remarquer une différence caractéristique entre les termes du langage figuré, au service de l'Art chrétien dans ses anciennes périodes, et ceux que nous lui voyons employer dans les temps modernes. Ces

DANS l'art CIlliKTlEN. 67

termes maintenant sont empruntés h. la nature réelle ; com- parés avec ce qu'ils signifient, ils n'en diffèrent (jue du petit au grand ou du tout à la partie. Considérez, au contraire, beaucoup d'œuvres primitives, vous y verrez ce qui réellement ne s'est jamais vu et ne peut se voir.

Etait-ce impuissance d'imitation, inhabilité de novice? Oui peut-être, jusqu'à un certain point; mais il faut aussi y voir le sentiment d'une impuissance plus radicale: celle des images purement naturelles pour représenter avec une force suffisante d'expression les vérités que l'artiste avait mission de figurer.

Vos petits ruisseaux sont jolis, ils sont vrais; j'en ai vu de semblables, j'ai vu aussi de belles nappes d'eau comme celles que vous attribuez au Jourdain en d'autres circons- tances; vous me les rappelez et vous faites jouir mes sens. Mais si je veux méditer sur les eaux sanctifiées par le contact du Sauveur, je ne vous réponds pas que le fleuve aux formes tout archaiques , m'apparaîtra son divin corps en effet sub- mergé, ne me donnera pas tout d'abord à?penser davantage.

Nous en dirons autant des rayons lumineux qui, à la lettre, jaillissaient du ciel ou de la divine colombe en filets d'or : les modernes, pour peindre cette clarté céleste, prennent les mêmes moyens qui leur serviraient pour imiter un vif éclat de la lumière naturelle : pour qui veut réfléchir, la dis- proportion n'en paraît que plus grande entre la réalité et sa représentation.

Transportés sur les bords du Jourdain et pénétrant par la foi jusqu'aux réalités invisibles, nous apercevrions encore des yeux de l'âme le Père céleste qui fit entendre sa voix et les Anges qui ne pouvaient rester étrangers la Trinité se manifestait tout entière.

Que nos lecteurs ne s'effraient pas d'un ordre d'idées sj

68 DU KÉxUlSME ET DES SYMBOLES

multiple, si vaste, si élevé ; nous ne disons rien que d'autres n'aient pensé, rien que le symbolisme chrétien n'ait tenté de traduire dans son langage.

XVI. La plus ancienne représentation du Baptême de N. S. Jésus-Christ que nous connaissions personnellement, a été découverte par Bosio, dans la catacombe de Pontien ' . Elle n'appartient point aux siècles les plus primitifs, mais seulement à l'époque du mouvement considérable qui se pro- duisit dans les arts au VHP siècle, mouvement auquel les Papes Adrien P", saint Léon III, Pascal I, Adrien II, atta- chèrent principalement leur nom, à Rome, tandis qu'il fut im- primé par Charlemagne dans le reste de l'Europe. Cette peinture, tout imparfaite et simple qu'elle apparaisse, est ce- pendant conçue dans le mode tout substantiel de pensée que nous venons d'exposer.

Le Christ plongé dans l'eau jusqu'à la ceinture, reçoit si- multanément le baptême de saint Jean, qui lui pose la main sur la tête, et le souffle du Saint-Esprit, représenté par un faisceau de rayons qui s'échappe du bec de la divine co- lombe. Il porte le nimbe simple ainsi que son saint Précur- seur. Celui-ci pose les pieds sur une rive toute de convention comme le fleuve lui-même; sur l'autre rive, un cerf, image des âmes saintes, vient s'abreuver à ces eaux qui préservent de toute soif, et un Ange, sortant à moitié d'un nuage, vient représenter toute la cour céleste^, indiquant son rapport de subordination avec le Fils de Dieu, en portant avec respect dans ses mains les vêtements dont Jésus s'est humblement dépouillé.

Empruntez à d'autres œuvres du même temps la main bénissante de Dieu le Père, et vous aurez réuni dans un

U(»)ia sollcranca, \). 13J.

DANS i/aut CIinKriEN. Gl»

cadre étroit rensem])le d'idées le plus iui>gnirK[iie ([ui se puisse concevoir.

XVII. Nous iivoiis déjà parlé des Saints appelés à figu- rer dans la représentation des Mystères de la vie de Notre- Seigneur Jésus-Christ, sans aucun égard à la distance des temps et des lieux. Il n'est rien de plus fréquent dans l'Art chrétien. Fra Angelico nous en offre des exemples multipliés, particulièrement dans les peintures murales qui ornent les cellules du couvent de Saint-Marc, à Florence ; une seule doit nous occuper : celle qui représente Notre-Seigneur baptisé par saint Jean, en présence de la sainte Vierge et de saint Dominique. Bien que, sans aucune impossibilité, Marie ait pu accompagner son Fils jusqu'aux bords du Jourdain, ce n'est évidemment pas à un autre titre que saint Dominique qu'elle y apparaît ici : c'est pour exprimer que mieux qu'aucun autre elle a recueilli les fruits de ce mystèi'e, et pour dire qu'elle savait toujours s'y rendre présente par l'élan de son cœur.

11 n'est pas douteux que beaucoup de Saints se soient crus transportés au milieu des événements qui faisaient l'objet de leurs pensées. Quand bien même ils seraient uniquement l'ef- fet d'une imagination fortement impressionnée, ces mysté- rieux phénomènes de la vie intérieure mériteraient particu- lièrement l'attention de l'artiste chrétien, comme manifestait une manière de voir et de sentir propre aux âmes privilégiées qu'il a surtout mission de représenter.

Ces considérations peuvent paraître bien élevées, appli- quées à un usage qui s'explique tout simplement par le désir de faire honneur à des patrons particuliers. Elles montre- ront au moins comment, sur ce point, autant que sur beau- coup d'autres, l'Art chrétien, en suivant ses propres allures, s'est rencontré avec les conceptions de l'ascétisme le plus pur et le pbis élevé.

70 DU RKAI.lSMi; ET DES SYMBOLES

Il oPt d'ailleurs fort à remarquer que cet usage a pris son principal développement dans les écoles issues de la floraison franciscaine, au nombre desquelles nous n'hésitons pas à ranf^er celle du pieux dominicain de Fiesole ; écoles dont le symbolisme spécial nous semble avoir des liens aussi étroits avec la théologie mystique, que le symbolisme en général avec les enseignements généraux de la théologie.

XVIII. Deux Anges, descendus à terre et portant respec- tueusement à genoux les vêtements du Sauveur, complètent la composition de Fra Angelico et concourent avec l'expres- sion de piété qui respire dant toutes les têtes, avec le carac- tère aérien des formes et des couleurs, à la rendre tout as- cétique ou plutôt toute céleste. Cependant on y reconnaît une tendance non équivoque à l'imitation de la nature, une ob- servation sérieuse des mouvements et des attitudes, un sen- timent vrai du paysage, une intention de faire véritablement un fleuve qui fuit dans le lointain; en conséquence, il a fallu se contenter d'une immersion partielle de la moitié des jambes, que la loi inflexible du niveau n'aurait môme pas permis d'ob- tenir, si elle eut été rigidement observée.

Raphaël avait fait plus qu'obéir à cette tendance qui , sagement comprise, aurait s'associer avec les traditions symboliques et mystiques de l'école de son maître; il avait en grande partie violemment rompu avec ces traditions, lorsqu'il fut chargé du grand travail des loges du Vatican. Dans le Baptême de Nolre-Seiyneur ^ dont il confia l'exé- cution à Jules Romain, le Jourdain est un ruisseau, l'im- mersion est nulle, le nimbe est remplacé par des rayons lumi- neux, et le Saint-Esprit ne manifeste sa présence par aucun signe.

Nous y voyons au contraire apparaître un nouvel élément de composition qui, pour mériter d'être taxé de naturalisme,

DANS l'AIIT CIlRÉriEN. 71

(le réalisme môme, ne nous en semble que plus contraire aux réalités de l'histoire, à la vraie représentation du sujet. Nous voulons parler de quatre personnages se dépouillant de leurs vêtements et déjà entièrement ou presque entièrement nus. évidemment l'amour du nu est le motif; la prépa- ration au baptême n'est que le prétexte.

Nous ne nions pas qu'il y ait dans ces corps une vigueur de vérité anatomique, capable de lutter avec Michel- Ange, unie à cette grâce de contours qui n'abandonna jamais Eaphaël ; nous ne nions pas que parmi ceux qu'avait touchés la parole de saint Jean et dont le tour était venu de recevoir le baptême, il n'y en eut d'occupés à se déshabiller au moment 011 le Fils de Dieu s'assujettissait à ce signe de pénitence ; mais en faire une partie principale d'une composition l'on ne compte en tout que dix figures, nous ne craignons pas de le dire, c'est gravement tomber dans le faux.

Nous disons que Raphaël avait alors rompu en grande partie avec le symbolisme traditionnel; nous ne disons pas que la rupture fut complète. Ce symbolisme en effet n'a pas été entièrement exilé de ce tableau : il y est représenté par quatre beaux Anges, dont deux à genoux à terre remplissent l'office ordinaire de porter les vêtements du Sauveur, tandis que les deux autres restent noblement suspendus en l'air dans un sentiment d'admiration.

Une idée nous viendrait même, si l'ensemble du travail des loges ne semblait s'y refuser, c'est que ces quatre personnes qui se dépouillent , mis en regard de ces quatre Anges , auraient pu exprimer la Terre et le Ciel : la Terre renou- velée bientôt par le sacrement de la régénération, en pré- sence du Ciel heureux et satisfait. Mais alors il eut été digne de Raphaël, tout en indiquant le dépouillement d'une ma- nière plus sommaire, de concilier ces nobles sentiments avec

72 w iu'ali-mk kt ijks symboles

l'expivstiiou (le l'attente, dans ces têtes qui se contentent

de se courber presque unitbrniénient.

XIX. Un Baptême de Notre- Seigneur Jésus-Christ, de Salviati, conservé à la Pinacothèque de Venise, sans avoir d'ailleurs rien de mystique dans les expressions, les atti- tudes, le faire en général, est composé au contraire exactement selon les mêmes données que celui de Beato Angelico, avec cette seule diiférence que sainte Catherine y tient la place de saint Dominique, et (pi'il su complète dans sa partie supé- rieure par un Père éternel entouré d'Anges.

Nous ne connaissons d'ailleurs aucun sujet on ait plus longtemps respecté la tradition. La donnée des anges préposés à la garde des vêtements du Fils de Dieu, maintenue pendant tout le Moyen Age, survivant à la Renaissance, se retrouve jusqu'à la fin du XVIP siècle, dans les œuvres des maîtres en vogue, comme André Sacchi, Carie Maratte, et plus près de nous encore, dans les ouvrages de ces peintres ambulants, venus principalement de l'Italie, qu'on voit dans beaucoup d'églises de nos campagnes et de nos petites villes.

Le courant opposé dont nous avons constaté la présence dans les œuvres de Raphaël avait cependant fait son chemin ; et, pour ne citer que des œuvres éminentes, nous en avons la preuve dans le Baptême de Noire-Seigneur, qui figure parmi les Sept Sacrements du Poussin.

Nous n'y voyons plus ni anges, ni saints, ni gloire; les nimbes, les rayons, tous les signes symboliques ont disparu, la colombe qui plane au-dessus du Christ, quelques regards qui commencent à se tourner vers elle, un homme qui met sa main devant ses yeux pour indiquer qu'elle est éblouissante, impressions qui, si elles étaient vives, devraient être partagées par d'autres spectateurs , ce sont les seuls indices d'une intervention surnaturelle.

DANS r/AUT r.îiuKTiEX. 7;{

Des hommes nus ou k peu près, qui attendent leur tour pour recevoir le baptême, ou qui, après l'avoir reçu, sont oc- cupés à reprendre leurs vêtements, sont traités au contraire avec une complaisance qui s'accorde bien avec le peu d'em- pressement qu'ils mettent à se couvrir.

Le genre de beauté qui appartient à ce tableau , c'est la large majesté du paysage, quelque chose de grave, de noble, d'antique, de recueilli même, dans les poses, les draperies, les sentiments, mais d'une manière tout humaine et qui le cède sous ce rapport précisément à des œuvres profanes de notre grand maître, aux Bergers d'Arcadie par exemple.

Pour bien sentir ce qui manque ici, il faut s'attacher au personnage du Christ. Dans tout le tableau, il n'en est pas de moins divin; il est lourd et épais; son attitude, son expres- sion sont naturelles et convenables sans doute ; mais le pre- mier venu pourrait les prendre.

Nous maintenons que cet acte de la vie d'un Dieu fait homme ne s'est point ainsi passé, ne considérât-on que ce qui en a paru extérieurement. Pour vouloir être trop vrai de cette vérité de bas étage, l'art moderne entre les mains des hommes même dont l'élévation de caractère et de génie est le moins contestable, perd trop souvent la faculté de soule- ver les âmes au vrai niveau des grandes choses.

XX. Que conclure ? Que malgré trois ou quatre siècles de fortes études et d'illustres exemples, il faille revenir aux formes archaïques d'un autre âge et s'efforcer unique- ment d'exprimer de grandes et belles pensées dans un langage symbolique qui ne serait plus compris ?

Celui qui tirerait de nos paroles semblable conclusion nous aurait bien mal compris. Mais on peut en conclure que l'infir- mité des choses créées ne leur permet guère d'être en progrès sur tous les points à la fois; partout le déclin suit

74 DU KÉAUSME KT UES SYMBoLliS

de près répanouissement, et sur une même tige il est des fleurs qui se flétrissent au mutin même d'autres commen- cent à éclore.

Aucun âge, aucune école n'off're dans les arts tous les genres de perfection réunis. Conduits par des vues différentes, A^ous portez ici vos préférences, nous portons les nôtres; les unes et les autres peuvent être justifiées, les critiques l'être également; tout dépend de ce que l'on veut, de ce que l'on cherche. Vous voulez de la vie, du relief, de la lumière, des ombres, de la vérité dans les formes, les mouvements ; nous voulons des pensées qui nous instruisent, des sentiments qui nous touchent, de la vérité dans la représentation sub- stantielle du sujet.

Mettons-nous d'accord en empruntant h toutes les écoles ce qu'elles ont de bon, non pas selon les procédés d'un ecclectisme arbitraire, mais en nous conduisant par des prin- cipes que nous nous efforcerons de nous rendre communs ; tombons d'accord qu'il faut plaire aux yeux par la forme, et atteindre l'âme par l'idée, que forme et idée doivent puiser dans la vérité la première condition de leur beauté.

Vous étudierez les œuvres que nous admirons pour en faire passer l'idée dans les vôtres ; nous nous attacherons à celles dont les mérites vous captivent pour en prendre tout ce qui peut, sans l'absorber, prêter du charme à une pen- sée solidement chrétienne.

Nous traiterons le même sujet : vous,- par son côté histo- rique, nous, par son côté mystique ; vous, en le montrant comme il dut paraître, nous, autant que possible, tel qu'il est en substance; vous, sur une toile qui sera à elle seule tout son monument, dans une série de peintures murales oii les faits s'étalent ; nous, dans un tableau d'autel, les pan- neaux d'une verrière, l'émail destiné à orner une châsse, 1111 vase sacré, enfin les idées se concentrent.

JIANS l'art CHIIKTIKN. 7o

XXÏ. S'agit-il toujours du lijipteme de Notre-Seigueur Jésus-Christ, vous, vous disposerez vos fonds, vos plans, vos groupes, de manière h donner une idée soit de la Judée, soit d'une campagne, des rives d'un fleuve quelconque, et d'une foule diversement impressionnée ; il vous est loisible de faire distinguer ceux qui vont bientôt devenir les premiers disciples du Sauveur de ceux qui seront ses ennemis, ceux qu'excite une vaine curiosité de ceux que touche un premier mouvement de la grâce, ceux qui viennent de recevoir le baptême de saint Jean de ceux qui s'y pré- parent; mais à une condition, c'est que de tous ces regards, de ces expressions, de ces mouvements, que vous avez libre- ment choisis, il n'y en ait aucun qui ne serve à concentrer l'attention sur le fait principal, à le faire comprendre, aucun qui ne concoure à produire une impression décisive ou de foi, ou d'espérance, ou de renouvellement, tout autant que dans l'œuvre que nous nous proposons de composer dans l'intention d'obtenir plus directement cette impression.

Pour nous, nous n'avons pas besoin de déterminer un temps et un lieu en particulier, tous les temps sont à nous ; notre lieu, c'est la terre entière régénérée ; ou, si nous vou- lons rappeler la Palestine, le Jourdain, à cause de leur signi- fication, un signe nous suffit, un peu d'eau, un palmier; ce qu'il nous faut, ce sont des Anges, des Saints, qui nous ap- prennent comment nous devons nous-mêmes envisager un si fécond mystère. Mais ces Anges, ces Saints, le Christ, son saint Précurseur, la terre, le ciel, les eaux, les astres, la lumière, nous ne dessinerons rien qui ne soit bien propor- tionné, rien qui ne soit en rapport avec des couleurs et des formes bien réelles, rien qui ne soit d'une intelligence fa- cile.

Les uns et les autres, par l'ensemble soutenu de nos coni-

76 DU RÉALISME ET DES SYMBOLES DANS LART CHRÉTIEN.

positions, nous dirons si clairement ce qu'elles sont, que chacune d'elles soit comprise comme elle doit l'être, et qu'à première vue tous puissent dire: ceci est du symbole, cela est de l'histoire.

Le réalisme absolu est une chimère ; entendu comme ten- dance et appliqué à l'imitation de la nature, il est un principe de dégradation; entendu delà reproduction trop littérale des faits, il est toujours étroit et entraîne souvent dans le faux.

Le symbolisme dans l'art représente l'élément le plus im- matériel ; il lui appartient d'élever l'art, mais élever n'est pas détruire ; il détruirait l'art, s'il ne prenait pour base le réel.

Guidé par un goût judicieux, l'art chrétien prendra aux réalités visibles, leurs beautés, leurs proportions, sans ou- blier jamais qu'il n'est pas au-dessus de sa noble mission de faire pénétrer dans les cœurs les réalités même que l'œil ne peut naturellement apercevoir.

H. GRIMOUARD DE SAINT-LAURENT.

QUATRE SCEAUX

de la province de Limbourg.

La publication des sceaux belges du Moyen Age formerait un beau livre d'art, qui aurait un grand intérêt pour l'his- toire de la gravure et de la sculpture. Déjà depuis longtemps les savants belges se sont distingués par la publication par- tielle de ces antiquités nationales qui ont un si grand prix pour l'histoire de leur pays. Le nombre de ces cachets ou empreintes en cire, en plomb ou en terre glaise, est si con- sidérable, qu'on en découvre encore journellement de nou- veaux.

Les quatre sceaux ou empreintes dont nous donnons le dessin dans cet article appartiennent à l'époque romane et ogivale. Sur le premier, de forme ovale pointu figure saint Servais, évêque de Tongnes, en costume épiscopal {fîg. 1). Il porte d'une main sa crosse épiscopale et de l'autre un livre. Autour de la figure on lit : STS. SERVATIUS EPS. Ce sceau est

78 QUATRE SCEAUX

imprimé au moyen d'un cachet en ivoire, qui provient du trésor ou des urcliives de Maëstricht.

La seconde planche {fi g. 2) est dessinée d'après un cachet en cire de 1225, de l'église de Notre-Dame à Maëstricht. La Vierge y figure assise, la tête couronnée et nimbée, te- nant de la main gauche un livre ouvert avec l'abréviation de Mater Chrisli, et de la droite un lys. Le bord en grande partie brisé porte en inscription SIGNUM ECCLËË. Le costume de la sainte Vierge est fort riche. La tête et les épaules sont en partie voilées; son corps est drapé à la manière byzantine, d'une tunique talaire serrée aux reins par une large cein- ture. Ses deux manches, très-larges aux mains, sont ornées

1)K LA rKOYINGE I>E LIMBOUKG. 79

éofiilemerit comme le ))ord inférieur, d'ornements en lo-

s an se

La troisième pkmclie figure un sceau double de l'époque ogivale. Il est rare de rencontrer un bas-relief de ce genre, composé et taillé avec plus de goût et de talent. La province de Limbourg, qui a vu naître les Van Eyck, ne restait pas en arrière dans la sculpture à l'époque ses peintres pro- duisaient les plus beaux chefs-d'œuvre de l'art chrétien.

Ce sceau représente le règne simultané du prince-eveque de Liège et du duc de Brabant sur la ville de Maëstricht. On y voit les armes de la commune, l'étoile d'argent sur fond de gueules (la Stella malutina de la Vierge ou l'étoile

80 OUATUE SCiiAUX

qui guidait les bateliers vers la chapelle de Notre-Dame au Rivage, Maria ad littus, près de la Meuse).

Saint Lambert avec le péron liégeois y ligure pour l'au- torité, liégeoise. Saint Servais avec la clé épiscopale dont cette Revue a publié le dessin dans le volume de 1860, re- présente l'Autorité brabançonne, avec l'écusson double aux armes du Brabant et du Limbourg, victorieusement unies à célèbre journée de Woeringen. Ce sceau, qui a été publié à différentes reprises en Belgique, a un intérêt particulier parce qu'il réunit les armes liégeoises, brabançonnes et lim- bourgeoises, avec celles de la commune qui n'y apparaissent que timidement sur un petit écusson aux pieds des deux évêques. Le- bord porte cette inscription : s. COE f TOCIUS t OPIDI t TRAJECTENSIS f AD f CAS. C'est le sceau de la com- niune et de la ville de lilaëstricht au XV siècle.

Eiiliu Kl quatrième planche tigure le sceau circulaire de

DF, LA PROVINCE DE L1M1Î(K,RG. 81

Bilsen, petite ville du comté de Looz, dans la province de Limbourg. Les armes de cette ville (branche de cliène) y fi- gurent à côté de celles du comté de l.ooz, cpii sont hurclées

|l|i||l'l'|l||ll'|H t

d'or et de gueules de dix pièces. Les armes de la ville de Bilsen sont, d'après l'historien du comté du Looz, un arbre nourri de sinople sur un tertre de même. Le sceau qui était attaché à un diplôme de 1578 porte pour inscription: t S. SCABINORUM et VILLE DE LOSSEN BILSE.

ARNAUD 8CIIAEPKENS.

LE LION ET LE BOEUF

sculptés aux portails des Eglises.

M. l'abbé F. Poisson nous écrivait de ]\Iortagne-sur-Sè- vres (Vendée), à la date du 10 octobre:

« Monsieur le Directeur,

(I J'exerce le saint Ministère dans une église du diocèse de Luçon qui ne manque pas d'intérêt au point de vue de l'art. L'ensemble de cette église est roman, le chœur et le transsept du XP siècle, les trois nefs, selon moi, du XIP. La façade actuelle a son cachet bien marqué du XIV* siècle ; elle a été faite probablement dans le dessein d'une complète reconstruction, comme le montrent à l'intérieur plusieurs li- gnes qu'on n'a pas essayé de raccorder avec le reste, et la fe- nêtre delà grande nef, qui, dans le principe, était coupée par la voûte romane au-dessus de laquelle elle s'élevait de plus d'un mètre.

« Cette façade est construite en granit et assez soigneuse- ment appareillée. Entre le contrefort et le portail de la grande nef, à moitié hauteur entre la naissance et la pointe de l'o-

LE LION ET LE UŒVV SCULPTÉS AfX IMjnTAILS DES ÉGLISES. 83

give, se trouvent deux animaux, un lion ;i droite, un bœuf à gauche, qui , sculptés chacun dans un bloc de granit, ressortent sur le plat du nuir d'environ ()™20'". C'est sur ce détail que je désire attirer votre attention.

« Pourquoi ces deux animaux sont-ils seuls représentés sur cette ta(;ade ? Ils ne peuvent être regardés comme des animaux évangéliques, puisque les deux autres sont absents et l'ont toujours été, comme il est facile de s'en convaincre au premier coup d'œil. Ces deux sujets étant relativement sculptés d'une manière plus grossière que les chapiteaux qui ornent le portail, j'inclinais à croire avec phisieurs que ces animaux, retirés d'un monument plus ancien, peut-être de la façade primitive, avaient été placés, par suite d'une simple fantaisie d'artiste et sans raison symbolique, dans la nou- velle construction. Mais, en parcourant le /îa^?'o?îa/ de Du- rand de Mende, j'ai trouvé le passage suivant : « Des pein- « turcs ou des représentations, les unes sont sur l'église, « comme le coq ou l'aigle ; les autres hors de l'église, à sa- « voir : aux portes et au front du temple, comme le bœuf et « le lion. » (Livre i, chap. o, u. 5).

« Ce passage m'a naturellement frappé, en me présentant comme un fait assez ordinaire ce que je prenais pour un fait accidentel. Il est vrai que Durand écrivait au XIIP siècle et que la façade en question ne remonte qu'au XIV^. Mais ce qui se faisait avant Durand et à son époque, a pu se faire après lui ; du reste, cette objection est d'autant moins sérieuse que, les animaux sculptés dont il s'agit étant probablement plus anciens que la construction à laquelle ils adhèrent, on a pu les replacer ainsi pour reproduire un détail de la façade du XIP siècle.

« Comment et pourquoi ces animaux sont-ils ainsi placés? Si ce qui précède explique le comment^ il ne donne pas la rai-

84 LE L1(»N ET LE DœUF

SOU du jmirquoi. Je l'ai iuutilemeut cherchée daus Duraud deMeude.

M Ou m'a dit que ce meuie motif de décoratiou existait daus uue église du diocèse de Poitiers avec deux vers latins explicatifs eu iuscriptiou. Je ue vous garantirai pas ce fait, que je n'ai pu vérifier, mais qui m'a été donné comme certain.

« Serait-ce abuser de votre bouté, Monsieur l'Abbé, et trop compter sur votre zèle si connu pour l'extension des études archéologiques, que de vous prier de vouloir bien m'honorer d'une courte réponse. Si même vous jugiez cette question capable d'intéresser vos lecteurs, et si vous préfériez publier votre réponse dans la Revue de l'Art chrétien, je vous auto- i-ise à faire de ma lettre l'usage que bou vous semblera. »

« Agréez, etc. ferd. poisson. »

Les deux bas-reliefs dont nous parle M. Poisson sont-ils réellement plus anciens que le portail actuel ? On pourrait alors supposer qu'ils faisaient partie d'un autre monument, ils auraient figuré comme attributs de saint Marc et de saint Luc, et que des circonstances que nous ne pouvons déterminer maintenant, auraient empêché d'encastrer dans le portail les deux autres animaux évangélistiques.

Mais quand bien même cette supposition serait vraie, il resterait toujours à expliquer le texte de Guillaume Durand. Pourquoi sculptait-on le lion et le bœuf aux portails des églises ? Il y a une désignation formelle et nous devons rechercher la cause qui a déterminé le choix de ces deux animaux pour décorer les portails.

Remarquons tout d'abord que le plus grand nombre des monuments qui existaient du temps de Guillaume Durand, ont disparu de nos jours, et que nous n'aurions pas le droit de suspecter la véracité de l'évêque de Mende, quand bien

SCIILI'TÉS AUX COUTA II.S DES ÉGLISES. 85

même nous ne trouverions nulle part des exemples du fait qu'il mentionne.

Voit-on encore sur quelques portails cette représentation du bœuf et du lion ? C'est une question sur laquelle nous ap- pelons l'attention de nos collaborateurs.

L'église du Poitou dont on a parlé à M. l'abbé Poisson, doit être celle de l'antique abbaye de Moreaux, qui date du Xir siècle. On y voit sculptés en forte saillie, sur le portail, à droite un lion, à gaucbe un bœuf. L'inscription suivante est gravée en lettres capitales sur l'un des voussoirs :

UT : FUIT : INTROITUS : TEMPLI : SCI. SALOMONIS SIC : EST : ISTIUS : IN MEDIO : BOVIS : ATQ^: LEONIS.

Ces deux animaux servent de piédestaux à deux statues d'é- vêque. L'inscription constate une analogie matérielle : on voit un bœuf et un lion, comme on voyait des lions et des bœufs supportant les bassins placés à l'entrée du temple de Salo- mon. Mais le christianisme a souvent emprunté des figures et des symboles, soit au judaïsme, soit au paganisme, en y ajoutant une autre signification, et c'est cette idée symbolique que nous devons chercher à déterminer.

Nous nous rappelons avoir vu des bœufs dans les décora- tions sculptées de plusieurs porches ; mais nous ne pourrions affirmer qu'ils n'y figurassent point comme attribut de saint Luc, de saint Saturnin, de saint Taurin, de saint Médard, de saint Tryphème, de sainte Brigitte, etc., ou comme emblème de la patience, de la force chrétienne ou du travail.

Tout le monde sait qu'aux deux tours du portail de Laon, sur la corniche du premier étage des tourillons, il y a huit statues de bœufs. Leur présence est interprétée par une tradition historique sur laquelle nous reviendrons plus tard.

86 LE LIO.N ET LK IKflCF

Quiiut iui lion, on peut constater son existence sur de nombreux monuments.

On sait que les Egyptiens, les Grecs et les Romains pla- çaient (les lions aux portes des édifices publics ; que le trône de Salomon était flanqué de deux lions ; enfin que, dans l'an- tiquité, le lion était le symbole de la force, de la générosité et de la vigilance ; mais nous ne devons nous occuper ici que des monuments clirétiens.

Il y avait deux lions à l'entrée de Saint-Séverin, à Paris, les dignitaires de cette église rendaient leurs sentences judiciaires intcr leones ' .

Au portail de Laitre-sous-Amance (Meurthe), deux co- lonnes accouplées reposent sur un lion accroupi. On remarque sur un chapiteau deux bœufs accouplés dont la tête est sur- montée du joug ^.

A Courcy (Calvados), un lion (XII® siècle) dont le cou est garni d'un collier dentelé, surmonte le pignon du chevet ^

Aux portails de Saint-Gilles et de Saint-Trophime d'Arles, des lions mordent la base des colonnes, ou broyent sous leurs dents des moutons et des guerriers armés.

A Moissac, un lion assis se trouve sous les pieds de saint Pierre ; d'autres lions écrasent ici un serpent, une espèce de porc. D'autres lions d'un très-beau style figurent sur un linteau.

Au porche de l'ancienne cathédrale de Dax, on voit un lion, écrasé sous les pieds du Christ.

ASaint-Poichaire de Poitiers, un naïf sculpteur, craignant sans doute qu'on ne se méprît sur la ressemblance de son

Lerœif, Ilist. de la ville et du diocèse de Paris, t i, p. 174.

* Notice sur l'église de TMitre, par M. A. Digot. ' liulletin mon., t. xv, p. 448.

SCULPTÉS AUX PORTAILS DES ÉGLISES. 87

œuvre, a tracé le mot Inoiics au-dessous de l'image qu'il ve- nait d'ébaucher sur un chapiteau.

Au portail de Saint-Vulfran d'Abl)eville, un lion accroupi, revêtu d'un manteau, tient dans ses griffes un écusson et une bannière. « Ce lion, dit M. Dusevel ', comme celui qui servait de girouette an clocher du beffroi de l'Hôtel-de-Ville, ne serait-il pas quelque emblème de féodalité, un souvenir des hauts et puissants seigneurs qui possédèrent autrefois Abbe ville? »

Des lions au repos supportent les colonnes du portail à l'abbaye de Saint-Zénon, à Vérone.

Le portail de la cathédrale de Ferrare (XIP siècle) est orné de deux lions ; l'un tient un bœuf et l'autre un mouton.

A Saint-Jacques de Ratisbonne, les cinq archivoltes de la voussure retombent sur dix lions.

Les deux lions en marbre rouge qui sont aux portails de Notre-Dame de Plaisance et de la cathédrale d'Ancône, écrasent sous leurs pattes, l'un un serpent, l'autre un qua- drupède à tête de bélier. Ces animaux, comme beaucoup d'autres sculptures analogues d'Italie, ont une tête qui res- semble à celle de l'ours blanc ^.

On remarque encore des lions à l'extérieur des cathédrales de Cologne, d'Arles et du Mans , des églises de Vienne (Isère), d'Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales), etc., et, en Italie, à Saint-Laurent de Gênes, Saint-Antoine de Padoue, Saint-Pierre et Saint-Paul de Ravenne, aux églises de Sienne, Reggio, Parme, Bologne, Modène, Foligno, etc.

L'album de Villars de Honnecourt contient six planches %

* Le département de la Somme . Abbeville, p. 9.

Bull, mon., t. vu, p. 71, 115.

^ Planches 25, 36, 46, 47, 51 et 52.

gg LE LION ET LE «OEUF

se trouvent des études de lion, ce qui nous prouve que les artistes du XIIF siècle cousidéraient cet animal comme un type qui pouvait être souvent reproduit.

Recherchons les motifs de cette réprésentation si fréquente au moyen- âge. Mais avant d'indiquer le sens symbolique du lion, quand il est seul, rappelons qu'il peut exprimer des idées bien diverses quand il accompagne un personniige en qualité d'attribut ou quand il fait partie d'une scène histo- rique .

Le lion rappelle la solitude et le désert, quand il accom- pagne des Saints qui ont vécu dans le silence de la retraite, comme saint Jérôme, saint Antoine, saint Paul ermite, saint Onuphre, sainte Marie l'Egyptienne, etc. ; il est l'em- blème de la force chrétienne * , placé sous les pieds des mar- tyrs qui ont enduré les supplices avec une énergie surhumaine, comme saint Adrien, sainte Nathalie ; il rappelle les scènes sanglantes de l'amphithéâtre à côté de saint Ignace, de sainte Euphémie; il n'a également qu'une signification histo- rique quand il accompagne Daniel et Samson.

Quand le lion fait partie de l'ornementation des tombeaux de princes ou de chevaliers, il rappelle leur courage guerrier ; il symbolise la force de l'âme, la victoire remportée sur les passions, quand il accompagne les tombes d'autres person- nages ; on ne peut lui donner que cette signification dans les sépultures des évêques, des prêtres, des femmes, etc.

Un chapiteau du portail de Saint-Agnan de Cosne nous montre un lion buvant dans un calice. C'est évidemment l'emblème du chrétien qui puise sa forcé dans le banquet eu- charistique.

Il y avait jadis une lionne allaitant deux lionceaux de-

' Léo signifitat fortitudinom. Eiist.vth. , lib. ii, isme?!.

SCULITKS AUX l'OI'.TAILS DES ÉGLISES. 89

vaut l'église Saint-Martial de Limoges : c'est Louis le Débon- naire qui les avait fait sculpter pour perpétuer le souvenir des victoires que son aïeul Pépin le Bref avait remportées sur WaïfFre. Une inscription sur une lame de (iuivre ne pouvait laisser aucun doute à cet égard ' .

Dans la même ville, à Saint-Michel-des-Lions, on voyait jadis deux lions sortant à mi-corps de la façade; mais ils ap- partiennent à un monument bien antérieur. L'église a été bâ- tie sur l'emplacement de l'ancien château de Sedulius, oii se trouvaient quatre lions en pierre, qui avaient peut-être fait partie d'un temple dédié à Orus ^.

Les lions de Sainte-Marie-Majeure, à Rome, ont également une origine païenne ; ils proviennent des temples détruits d'Isis et de Sérapis.

En laissant de côté ces divers exemples Cfui peuvent s'ex- pliquer dans un sens historique, il n'en reste pas moins un grand nombre de lions dont la présence au portail des églises ne peut être interprêtée que par le symbolisme.

Mgr Cousseau pense que dans les églises d'Italie « la dis- position particulière des colonnes, qui rappelle le temple de Salomon, indique le siège sur lequel s'exerçaitjadis le pouvoir de la juridiction pontificale. Or, ajoute-t-il, dans les églises de moindre importance, les dimensions du portail n'étaient point en harmonie avec de grands décors, la même idée se reproduisait, mais sur une plus petite échelle, dans les petits lions qui, au lieu de supporter la colonne, étaient supportés par elle ^ »

Dans le même ordre d'idées, on a dit que le siège de Salo-

* Allou, Descrij^t. des mon. de la Hanlc-Vicnnc, p. 171. ' De RoMAiNKT, Ilist. du Limousin, p. 322,

* BuUet. inonum., t. ix, p. 478.

TOME VI. 7.

90 Lt: LION CT LE BCEUF

mon étant supporté par des lions, on avait pu figurer ces ani- maux dans un endroit la justice était rendue ' .

D'après ce système, les lions seraient des emblèmes d'au- torité et de juridiction, parce que certains actes de justice étaient proclamés du portail de l'église, et portaient la for- mule inter leones. Mais cette formule ne fait que constater l'endroit avait lieu la proclamation, et ce lieu était choisi non pas à cause des lions, mais à cause de l'élévation du parvis d'où on pouvait dominer la foule, et parce qu'on était sûr d'avoir un nombreux auditoire au sortir des offices.

M. l'abbé Crosnier ^ voit dans ces lions la figure des princes de la terre, qui ont persécuté l'Eglise : tantôt ils mordent la base de la colonne, rolumna et firmamentum veritatis, dit l'apôtre saint Paul ; tantôt ils broient sous leur dent meur- trière des agneaux, des hommes, des guerriers armés, qui représentent les diverses catégories de martyrs de l'Eglise. Quand le lion est au repos, ce serait l'autorité temporelle scmmise au joug de la foi ; quand il écrase le porc ou le serpent, ce serait la puissance civile s'opposant au développement de la corruption et de l'hérésie.

Cette interprétation, savamment exposée, ne nous paraît point s'appuyer sur les saints Pères, ni sur les glossateurs du moyen-âge. Le lion écrasant le dragon, par exemple, ne nous semble point rappeler l'intervention de la puissance civile dans la répression du schisme et de l'hérésie : nous y trouvons bien plutôt la traduction d'un hymne paschal attribué au roi Robert :

Christus invictus leo Di-acono sursrens obruto.

* null. mon., t. X, p. 532.

' Iconographie chclicnne, p. 175.

SCULPTÉS AUX IOllT\ILS DKS ÉGLISES. 91

Four ces divers exemples de lions domptant un l)clier ou un serpent, nous préférerions l'opinion de M. Schnaase', qui se rapproche de la nôtre. Il voit un symbole de la force de l'église qui terrasse ses ennemis.

D'autres antiquaires ont expliqué la présence des lions sculptés à nos portails, en disant qu'on considérait jadis ces animaux comme étant doués de la faculté d'éloigner les ma- lins esprits et de paralyser leur mauvais vouloir. En suppo- sant qu'on ait attribué au lion vivant certains privilèges merveilleux de cette nature, on ne l'accordait certainement pas à sa représentation sculptée. Aussi cette explication nous parait-elle peu satisfaisante.

C'est dans l'Ecriture sainte qu'il faut rechercher l'origine des idées symboliques. On sait que Jacob mourant prédit en ces termes les futures grandeurs de son fils Juda : « Juda est un jeune lion ; vous vous êtes levé, mon fils, pour ravir la proie : en vous reposant, vous vous êtes couché comme un lion et comme une lionne : qui le réveillera? » (Gen. xlix, 9). Saint Zenon , saint Hilaire , Rhaban Maur et presque tous les commentateurs ont appliqué cette prophétie à Notre- Seigneur qui s'est levé pour monter sur la croix, qui a i^avi ainsi au démon la proie qu'il voulait dévorer, qui s'est couché dans le sépulcre , plein de force et de majesté, et qui s'est réveillé de la mort par sa propre puissance ^. Aussi Jésus- Christ est-il désigné sous le nom de lion de la tribu de Juda (Apoc. V, 5).

Dans d'autres endroits de la sainte Ecriture, le lion est pris en mauvaise part: Conculcahis leonem et draconem (ps.xc). Salva me ex are leonis (Ps. xxi). L'apôtre saint Pierre

' Btdlet. monum., t. viii, p 558. * S. Zknoiv, lib. II, Trart. 43

92 LE MON ET LE B(fiUF

compare le démon à un lion rugissant qui rôde autour de nous, en cherchant à nous dévorer (I Petr. v, 8).

Voilà deux sources différentes de symbolisme. Aussi le lion sera tout à la fois la figure de Jésus-Christ et l'emblème du démon et de ses satellites. Mais dans ce dernier cas, les artistes le représenteront dans une position humiliante qui rappellera sa défaite. Ainsi, au grand portail de Notre-Dame d'Amiens, le Sauveur foule un lion du pied droit et un dra- gon de l'autre.

Les données de l'Écriture furent considérablement ampli- fiées par les écrivains ecclésiastiques et les auteurs de Bes- tiaires qui savaient trouver, dans les légendes de l'histoire naturelle, des comparaisons et des allégories ayant principale- ment pour but d'exciter la piété. Le R. P. Cahier ' , M"' Fé- licie d'Ayzac ^ et M. Hippeau ^ ont savamment étudié le symbolisme du lion d'après les Bestiaires du moyen-âge. Ils nous permettront de leur emprunter quelques citations.

M'"^ F. d'Ayzac a parfaitement démontré, dans son Étude sur le Tétramorphe , que chacun des animaux apocalyptiques, donnés en attribut aux évangélistes, est avant tout une fi- gure de Jésus-Christ : l'Homme indique le verbe fait chair ; le Veau ou le Bœuf, son immolation ; le Lion, sa royauté et sa résurrection; l'Aigle, son triomphe et son ascension: Chris- tus est homo nascendo, vitulus moriendo^ leo resurgendo, aquila ascendendo^ dit saint Jérôme.

Le lion, par sa force et la majesté de ses allures, a toujours ' été considéré comme le roi des animaux, et en cette qualité

Vitraux de Bourges, p. 78.— Mélanges d'hist. et d'arckéol., t. ii.

' Etude sur le tétraniorphe, dans le tome vu des Annales archéologiques, p. 151.

* Iconographie religieuse, dans le Bulletin de la Société des Beaux-Arts de Caen, vol., 2= cahi.-r, p. 109.

SCL'LPTÉS AUX PORTAILS DES ÉGLISES. 93

il figure la puissance et la royauté de Jésus-Christ, dont saint Ambroise a dit : ko quia fortis. Le Bestiaire anglo-normand de Philippe de Thann exprime cette idée en disant :

Li leon senefie Le fîz saincte Marie Reiz est de tu le g^ens Sans nul redulement.

« Les yeux du lion, dit M"" F. d'Ayzac, que les natura- listes disaient entr' ouverts et étincelants durant son som- meil, en avaient fait chez les païens un emblème de la vigi- lance ; ils furent, parmi les chrétiens, surtout durant le moyen- âge, une allusion mystérieuse à cette nature divine, que n'é- teignit point le tombeau, l'humanité du Sauveur subissait une mort réelle ' . »

Saint Epiphane s' appuyant sur une fausse observation d'Elien, dit que le lion eftace avec sa queue la trace de ses pas et que, par même, il est l'image du Sauveur, qui ca- cha sa venue sur la terré de manière à dépister les recher- ches du démon.

Les poètes religieux du moyen-âge étaient tellement amou- reux de symbolisme, qu'ils décomposaient le lion, pour y trouver des significations diverses : la partie antérieure du lion, forte et puissante, figurait selon eux la nature divine de

* Cette pensée est exprimée par S. Augustijj, De Civitat., 1. i, c. 41 ; S. HiLAiRE, in psalin. 131 ; S. Brunon d'Asti, in Gènes. , c. xnx. V. Ayin. archéoL, t. vu, p. 208. Plusieurs anciens auteurs ont fait remarquer que les lions étaient placés à la porte des temples, comme des gardiens vigilants, à cause du privilège qu'on leur attribuait de dormir les yeux ouverts : témoin ce vers d'Alciat :

Est leo, sed custos, oculis quia dormit apertis ;

Templorum idcirco ponitur antc fores.

94 LE LION ET LE B(IEUF

Jésus-Christ et, lapartie postérieure, d'une apparence un peu grêle, représentait sa nature humaine :

Force do Déilé Demustre piz carré ; Le trait qu'il a derrère De mult gredle tnanere Demustre humanité Quil out od Déité.

(Philippe de Thann.)

Ces diverses traditions réunies suffisaient bien pour que les artistes adoptassent le lion comme une figure du Sauveur; mais ils durent être surtout frappés d'une légende merveil- leuse qui donnait au lion la signification spéciale de Jésus- Christ ressuscitant. On croyait que les lionceaux en naissant restaient trois jours sans vie, et que leur père, après ce laps de temps, les ressuscitait en soufflant sur eux et en rugissant. Voici comment le Bestiaire ms. de l'Arsenal ^ expose cette tranformation :

« La tierche vertu del lion ce est que quand la lionesse en- fante son lioncel, ele le rend tôt mort par la bouche, c'est une forme de char en forme de lionchel ; puis le garde ele m jors tôt mors, et al tiers jor vient li lions et si l'aleine, et demaine grant ruiement [bruit] sor lui, et tant lui vait entor et ruit et alaine sor lui que si met vit par son alener et le resuscite... et alsi li poissans Père resuscita de mort al tiers jor son saint fils nostre segnor Jhu Crist. »

Abailard a resserré en une strophe cette légende tout en- tière :

' Mijlanij. il fiisl et d'arcli , t. ii.

SOULl'TÉS AUX l'OKTAlLS i>ES Élil.lSES. 95

Ut Leonis catulus

[•■ [ Resiinexit Domimis

Qucm iiîgilus palrius

Die terlia Suscitât vivifîcus

Teste pliysicci.

Ce singulier rapprochement n'est point tle l'invention du moyen-uge; on le retrouve dans Origène', saint Epiphane ^, saint Eucher % le vénérable Bède % etc., et dans presque tous les anciens commentateurs du chapitre XLix" de la Genèse.

A-Ussi, comme le fait fort bien remarquer le R. P. Cahier ^, le lion, aux yeux des auteurs ecclésiastiques qui l'interprè- tent, figure spécialement la résurrection du Sauveur, bien plutôt que la puissance divine proprement dite ^.

Il est si bien le symbole de la résurrection, que c'est seule- ment par ce motif qu'il est devenu l'attribut de saint Marc. « Saint Marc, dit Guillaume Durand, est figuré par un lion rugissant dans le désert, parce qu'il se propose surtout de décrire la résurrection du Christ. C'est pourquoi son évangile est lu le jour de Pâques (lib. 7, c. 4-4, 4). »

Ainsi donc le lion, nimbé ou non, quand il est seul, est

t Nam physioJogus de catulo leonis hrec scribit quod, quum fueiit natus, tribus diebus et tribus noctibus doimiat ; tuni deinde patris frcmitu vel nigitu tanquam tremefactus cubilis locus suscitet catuluni dormientein. In Gcnes. Jiomil. xvii.

^ Physiologus, c. i.

' In Gènes., lib. i.

* In Gènes.

* Vitraux de Bouryes, p. 78.

® S. Bhunon d'Asti, in Gènes., c. 49. S. Yves de Cuaivtres, Sermo de Convenientia.

96 LE LlUA' tT LE BfKUF

ordinairement le symbole de la résurrection du Sauveur ' ; il conserve assurément cette même signification quand il est à côté du bœuf, qui est la figure de l'immolation de Jésus- Christ, comme nous allons le voir.

M"*' F. d'Ayzac, dans son Élude sur le tétramorphe^ montre que le veau est un attribut de Jésus-Christ, parce qu'il indique l'immolation et le sacerdoce du Dieu fait homme; 2" que le taureau indique son sacerdoce, sa force, sa toute puissance, ses abaissements, sa patience et ses vengeances au jour du jugement dernier ; 3" que le bœuf a les mêmes sens de sacerdoce, de puissance, de patience et d'abaisse- ment; 4" et qu'enfin la génisse rousse des sacrifices judaïques représente Jésus fait homme, Jésus immolé, Jésus rédempteur. Elle cite à l'appui des textes incontestables. Saint Yves de Chartres " nous dit que Jésus-Christ a été immolé pour le genre humain, comme le veau l'était pour le salut des Juifs, que Jésus était sans péché, comme la victime judaïque était sans tache. Ce même auteur, en parlant de la génisse rousse des expiations judaïques, voit dans son sexe faible et dépen- dant, la nature humaine du Christ ; dans sa couleur rougeâtre, la mort sanglante du Sauveur. Beaucoup d'autres écrivains ecclésiastiques ont expliqué de la même manière le symbo- lisme du bœuf ^

' Quand les vitraux peints ou les sculptures offrent le parallèle de l'Ancien et du Nouveau Testament, des figures et des réalités, le lion devient le pen- dant de la Résurrection Ainsi une verrière de Saint-Jean de Lyon nous montre un lion et son lionceau dans un médaillon c^ui correspond au panneau de la Résurrection, tandis que plus loin le serpent d'airain correspond au Calvaire et l'aigle à l'Ascension.

- De convenientia.

' Le bœuf, dit saint Grégoire, figure Jésus-Christ, parce qu'il s'est laissé égorger comme une victime {Moral, lib. xxxi, c. 21). Est homo [Jésus Christus) dum vivit, bos duni morilur, leo vero quando resurgit,.. (HiLDE- BEUDi Opéra, ]). 1318)

SdULPTÉS AUX PORTAILS DES ÉGLISI'S. 97

Si 011 a donné le veau p(jur attribut à saint Luc, c'est parce que cet animal représente la Passion de Jésus-Christ, dont cet évangéliste a raconté l'histoire avec de nombreux détails. « Luc, dit Guillaume Durand, est désigné par un veau parce qu'il se propose principalement de décrire la passion le Christ, tout à la fois Christ et victime, s'offrit comme une victime à Dieu son Père ' . » Le VIP Ordo ro- manus^ en décrivant les cérémonies du baptême, dit qu'après que le diacre avait lu aux catéchumènes le commencement de l'évangile selon saint Luc, le prêtre prononçait ces pa- roles : « L'évangéliste Luc porte la ligure du taureau, pour rappeler l'immolation de Notre-Seigneur ^. »

Nous avons déjà dit un mot des bœufs qui sont sur les tours de Notre-Dame de Laon. Une tradition populaire ex- plique leur présence, en disant que c'est pour rappeler que des bœufs auraient traîné des matériaux de construction sur un pont gigantesque , partant du bourg et aboutissant au portail. Même en admettant le fait, cette glorification^ qui sent l'apothéose païenne, nous semble bien peu dans l'esprit du moyen-âge.

M. J. Marion '^ a donné une explication plus vraisem- blable, en invoquant un texte de Guillaume de Nogent. Ce chroniqueur raconte qu'un clerc avait été envoyé au bas de la montagne, pour y chercher des matériaux ; il s'empressa d'obéir à cet ordre; mais en gravissant la colline, un des bœufs qu'il conduisait tomba de lassitude. Il était désormais impossible de continuer la route... Mais bientôt un autre bœuf, venu on ne sait d'où, accourut se placer sous le joug,

Ration., 1. vu, c. 44, n" 4.

' Patrologie de Migne, t. 78, col, 997.

' Essai hist. et archéoJ sur la cathédrale de Laon. In-8°, Paris, 1843.

98 LE LION ET LE BŒUF

et tnûna lestement son fardeau jusqu'au portail de Notre- Dame. A peine délié, il descendit la montagne sans guide, et personne ne put savoir ce qu'il devint.

On pourrait faire observer tout d'abord qu'il ne s'agit ici que d'un seul bœuf, tandis qu'il y en a huit aujourd'hui sur les tours de Notre-Dame, et que probablement il y en avait seize dans l'origine. Mais une objection plus grave à faire contre cette interprétation, c'est qu'elle est toute moderne et qu'elle a été produite pour la première fois, si je ne me trompe, par M. J. Marion. Comment admettre que les écrivains an- térieurs, ceux du moyen-âge surtout, aient gardé le silence sur la corrélation d'un miracle avec ces énormes bœufs, qui ne peuvent certes échapper à l'œil le plus distrait ? Ce silence s'expliquerait, si nos pères n'ont vu dans ces statues que les emblèmes ordinaires de la Passion du Sauveur. Ce n'aurait pas été à leurs yeux un fait anormal et jugé digne d'une re- marque spéciale.

Ce ne sont que des doutes et non pas une opinion que nous émettons sur l'origine des bœufs de Laon. Nous serions heureux de voir nos savants collègues de la Société acadé- mique de Laon élucider cette intéressante question.

Eevenons maintenant à notre point de départ. M. l'abbé Poisson nous demandait l'explication du bœuf et du lion, dont Guillaume Durand constate la présence ordinaire dans les portails, sans en donner le motif. Il paraîtrait naturel, au premier abord, de ne voir dans le bœuf qu'une réminiscence de ceux qui soutenaient les bassins sacrés du temple de Sa- lomon ; dans le lion, un souvenir de ceux que les anciens plaçaient à la porte des édifices publics. Mais nous devons nous rappeler qu'en admettant les types payens ou judaïques, la Eeligion y attacha toujours de nouvelles idées symboliques. Tout en admettant que le bœuf et le lion peuvent exprimer

SCULPTÉS AUX rOUTAlI.S DES ÉGLISES. 99

bien des idées diverses, nous avons montré que le plus ordi- nairement le premier était le type de la passion du Sauveur, et le second l'emblème de sa résurrection. On pourrait in- sister en demandant pourquoi ces symboles doivent figurer au portail des églises i)lut6t que partout ailleurs. Ici la ré- ponse nous semble facile. La porte principale de l'église est la figure de Jésus-Christ, qui a dit de lui-même : Ego mm ostium. Saint Eucher ', saint Isidore -, Alcuin, Rupert, Hugues de Saint-Victor % Honorius d'Autun , Durand de Mende sont unanimes sur ce point, en faisant remarquer que Jésus-Christ est la porte par laquelle on arrive au salut et à la Jérusalem céleste^ . Or, ajouterons-nous, comment Jésus-Christ a-t-il opéré notre salut? Par sa passion volontaire qui nous a racheté du péché originel et par sa résurrection qui nous a conquis droit de cité dans les ci eux. On s'explique donc faci- lement que ce soit à côté de la porte principale figurant Jésus- Christ, que soient représentés le lion et le bœuf symbolisant sa passion et son triomphe sur la mort. Le portail ainsi or- donnancé semble nous dire : C'est grâce à Jésus-Christ, à Jésus-Christ mourant, à Jésus-Christ ressuscitant, que vous entrerez dans le ciel, dont l'intérieur de ce temple est l'i- mage.

l'abbe j. corblet.

' Ostium ergo templi Dominus est (Comment, sur le ii« livre des liois,n. 8).

* Christus, ostium, quia per ipsum ad Dcura ingredimur (vii^ livre des Elymologies, c. 2).

' Ostium domus ipse est Christus qui ait : Ego sum ostium. [De Templo Salomonis, lib. iv, tit. 3.)

* Le Pontifical fait dire à l'Êvêque consécrateur, au moment de l'onction des portes : Benedicta sis ; sis introitus salutis et pacis.... per cum qui se ostium appelavit, Jésus Christus.

LE TEMPS DE NOËL

{Cantiques, Liturgie. Coutumes.)

On ignore l'origine du mot Noël, qui semble particulier à notre langue; on ne le trouve ni dans la liturgie grecque, ni dans la liturgie latine, et, malgré sa désinence hébraïque, il est également étranger à l'hébreu. L'étymologie la moins improbable serait celle qui ferait dériver Noël du mot natale^ nom latin de cette glorieuse fête. Chez nos pères, ce mot était une exclamation de joie et correspondait aux vivats de notre époque. Noël î Noël ! ce cri magique était la vieille acclama- tion de bonheur de nos aïeux, quand un prince chéri venait les visiter, quand une reine donnait un héritier à la cou- ronne, quand une victoire était remportée.

On a donné le nom de Noël à des cantiques populaires, destinés à célébrer le Messie attendu ou déjà arrivé. Nos pères les aimaient et les chantaient durant les longues veil- lées de l'Avent. En Normandie, en Bourgogne et dans plu- sieurs autres provinces, aux quatre dimanches qui précèdent Noël, les hautbois de l'Avent, ménétriers rustiques payés par la ville, s'en allaient de maison en maison, confiant aux échos de la nuit leurs pieuses mélodies. Un événement qui montrait

LE TEMPS DE NOËL. |(H

dans la crèche de Bethléem le divin Libérateur, depuis tant de siècles promis à la terre , apportant la paix aux hommes de bonne volonté, dans cette nuit de Noël que nos ancêtres, selon Bède, appelaient la mh-e et la reine des îmits, devait naturellement obtenir la préférence sur beaucoup d'autres fêtes de l'année chrétienne , et devenir le premier objet du culte de la poésie populaire.

Aussi le iVoè7, se produisant dans les mille dialectes de la langue romane, dès que le peuple, au IX® siècle, cessa d'en- tendre le latin, retentit dans tous les sanctuaires de la France, d'où il se propagea dans les églises des autres nations de l'Europe. Toujours simple et naïve, cette poésie des cités et de la chaumière était colportée par les trouvères et les troubadours ; à la faveur du chant qui en était toujours l'ac- compagnement obligé, elle se gravait dans toutes les mé- moires, s'acclimatait au foyer domestique et se transmettait comme un héritage de génération en génération.

La grande Bible des Noëls remplaçait à l'intérieur les mystères de la Nativité^ représentés sur la place publique. Quelques Noëls étaient même distribués par personnages et pouvaient être à la fois joués et chantés. Tel est celui l'on voit Joseph et Marie cherchant un asile dans Bethléem et ne trouvant partout que des refus.

Notre littérature a conservé les noms de quelques-uns de ces rapsodes chrétiens à qui nous devons ces petits chefs- d'œuvre de grâce et de piété. En 1520, on imprima à Paris les Noëls de feu maître Lucas le Moigne^ en son vivant curé de Saint -Geor ge- du -Pui- la -Garde ^ au diocèse de Poitou, et, en \ 558, les Cantiques du premier advénement de Jésus-Christ par le comte d'Alsinois. Tours vit publier, en 1675, la gravide Bible des Noëls vieux et nouveaux. On trouve dans ce dernier recueil le célèbre Noël qui commence par ces mots :

102 LE TEMIS UE NOËL

A la venue de Noël Chacun se doit bien réjouir.

Besançon a produit deux auteurs de Noéls, le P. Christin Prost, capucin, mort en 1696, et François Gauthier, impri- meur-libraire de cette ville, il mourut en 1730. En Bour- ccosine, tout le monde lisait, tout le monde chantait, tout le monde apprenait les Noël Bourguignons de Gui-Barôzai (Bas- RoséJ, vigneron célèbre qui était le chantre le plus populaire de cette ancienne province. Plus tard, en 1701, Bernard de la Monnoye publiait, sous le pseudonyme et sous la protec- tion de son devancier, Gui-Barôzai^ ses spirituels et malins Noëls, résultat d'un défi, qui ont acquis une assez grande célébrité pour être réédités à Paris (1842), avec une traduc- tion littérale en regard du texte patois et avec de nombreuses notes.

L'idiome provençal s'est personnifié avec éclat, sous le règne de Louis XIV, dans un poète qui, par ses mérites divers et le nombre de ses productions, n'a pu avoir ni rivaux ni imitateurs. Nous voulons parler de l'abbé Nicolas Sabely, bénéficier et maître de musique de l'église collégiale de Saint- Pierre-d'Avignon, il mourut en 1675, à l'âge de 61 ans, non loin de Monteux, son pays natal. Ses Noèls furent si goûtés de son temps qu'on les chanta dans toute la France ; on les chante encore aujourd'hui devant les crèches des églises, dans la Provence. Un des plus connus est le fameux Noël dei trcs Boumians (des trois Bohémiens), que plusieurs critiques attribuent à un autre provençal, Louis Puech. Ces Bohémiens s'olFrent à dire la bonne aventure à l'Enfant- Jésus, à Marie et à Joseph, et, par la chiromancie, devinent tour à tour leurs grandeurs et dévoilent le mystère auguste de la

LE TEMPS DE NOËL. 103

naissance du Dieu fait homme, clans un récit semé de traits charmants et de beautés incomparables.

Le Languedoc est aussi justement fier des Nocls de Pierre Goudouli ou Goudelin, Vllomere des Gascons, en 1579 et mort en 1 G 49. Un autre poète patois, Arnaud Daubasse, maître peignier de Villeneuve-sur-Lot, composait, chaque année, un nouveau Noël qu'il faisait chanter à l'église par ses deux filles. à Moissac en 16G4, il mourut à Villeneuve en 1727.

En 1 720, un maître d'écriture de Bordeaux, Pierre Gobain, recueillit les divers Noëls français et gascons qui étaient ré- pandus dans le Bordelais, et en publia la collection en un volume in-1 8 de 90 pages. Il joignit à ce recueil quelques pièces de sa composition dans le même genre, entr 'autres les Noëls Rébeillats-bous, meynades et puisque du premier père, que les habitants des campagnes chantent encore avec délices. Nous avons lu d'autres Noëls patois, dont quelques termes accusent une origine Landaise, Bazadaise ou Garonnaise. Nous regrettons d'en ignorer les auteurs.

L'Espagne, l'Italie, l'Allemagne ont aussi leurs Noëls. Lope de Véga a chanté le Messie en beaux vers castillans. Nous trouvons dans le Dictionnaire de plain-chant de M. Joseph d'Ortigue, un Noël plein de grâce et de naïveté, en patois Valencien, sous ce titre qui indique un chant d'allégresse : Tonadilla alegre.

Qui le croirait ? Luther lui-même a célébré le mémorable événement de la naissance temporelle du Fils de Dieu, base des mystères de la religion catholique qu'il avait désertée ; on peut lire le texte primitif et la traduction de son travail dans le Dictionnaire que nous avons cité.

Parmi les nombreux poètes chrétiens qui sont venus dé- poser auprès de la crèche de Bethléem les hommages de leur

104 J'K TEMPS UE NOËL.

muse latine, trois ont puisé dans leur piété des accents trop suaves pour ne les pas mentionner. Les deux premiers sont Abailard et saint Bernard, unanimes au moins dans les louanges de la Vierge-Mère et de son divin Fils. Le troisième est l'immortel auteur du Stabat Mater dolorosa, le bienheu- reux Jacopone. On lui doit le Stabal de la crèche jusqu'ici trop peu connu , malgré les justes réclamations de feu M. Ozanam. Nos lecteurs trouveront ces trois pièces dans le tome m" du Ralional de Guillaume Durand, traduit et annoté par M. Charles Barthélémy.

Ce terme de Noël, qui signifie déjà tant de choses, nais- sance du Sauveur, joie, cantique, a été pieusement usurpé par les adorateurs de la crèche, qui en ont fait un nom propre. Un saint l'a porté; de hauts personnages l'ont préféré à leurs titres de noblesse et Tout placé à côté de leur nom patronymique.

Le Messie promis à Adam, à Abraham, à David, figuré par les Patriarches, annoncé, signalé, prédit par une longue et illustre suite de Prophètes, le réparateur de l'œuvre de Dieu défigurée par le péché, avait été attendu quatre mille ans ; la sainte Eglise, môme après le mystère accompli, semble at- tendre son Emmanuel, pendant les quatre semaines de l'Avent, l'appelle par ses soupirs embrasés et se prépare graduellement à son avènement. Le 17 décembre, elle ouvre la série septé- naire des jours qui précèdent la vigile de Noël, et qui sont célèbres dans la liturgie sous le nom de [éries majeures. Tous les jours, à vêpres, on chante une antienne solennelle, qui est un cri vers le Messie, et dans laquelle on lui donne quelqu'un des titres qui lui sont attribués dans l'Ecriture. (Jes antiennes doublées, même triplées dans certaines Eglises, sont vulgairement appelées les 0 de l'Avent, parce qu'elles conmiencent toutes par cette exclamation. L'instant choisi

LE TEMPS riE NOËL. 105

pour faire entendre cet admiral)lc appel à la charité du Fils de Dieu, est l'heure des vêpres^ parce que c'est sur le soir du monde, vergente mundi vespere, que la lumière du monde, le véritable Orient, est venu parmi nous. Le 18 décembre, on GéVehre VExpedalion de V enfantement de la sainte Vierge^ nouvelle fête préparatoire à la fêle des fêtes, et communément désignée sous le nom de Notre-Dame-de-l'O , à cause des grandes antiennes commençant par 0, qu'on chante en ces jours.

La nativité du Sauveur est le plus grand événement de l'histoire du monde. Le calendrier de Charlemagne appelle le mois de décembre C/irist-Monalh., mois du Christ, ou Heilig- Monath, mois saint. C'est de la naissance du Sauveur que date l'ère chrétienne ; il y a dans cette supputation une haute raison; tous les jours chrétiens découlent du premier jour du Christ sur la terre. Un grand peintre, dans un tableau de la nativité de Jésus, a fait partir toute la lumière du corps de l'Enfant divin; il en est de même pour la société; elle ne peut avoir d'autre lumière que celle qui jaillit de la nuit rayonnante de Noël. C'est pour une raison identique que l'année civile commençait jadis à Noël, et que cette fête était appelée le jour des Calendes. Les Provençaux ont conservé un souvenir de cette appellation dans les Aubades de Calme, promenades musicales dont les vieux Noëls font tous les frais. L'espace nous manque pour retracer les coutumes tradi- tionnelles et les vénérables institutions qui sont nées de la fête de l'Enfant-Jésus. Nous abrégerons nos récits. Disons un mot pourtant de cette bûche de Noël, qui brûlera jusqu'à la messe de minuit , brûlera encore pour le réveillon , et ne sera pas encore consumée à la messe du point du jour. « Cette « bûche, dit Marclietti, représente Jésus -Christ qui s'est « comparé lui-même à du bois vert dans nos Evangiles. »

106 LE TEMPS DE NOËL.

En arrivant à Rouen, par la Seine, on trouve à droite un petit bois, la charité chrétienne, à une époque déjà bien éloignée de nous, aimait à déposer ses bienfaits. C'est qu'é- tait le tronc de l'aumône, trésor ouvert pour les pauvres sur le chemin de la solitude. Ingénieuse délicatesse ! Le tronc in- violable d'un arbre mourant de caducité était le seul inter- médiaire dont la bienfaisance osât se servir pour assister le mallieur. Trop maltraité par les ans et les orages pour donner encore des fruits ou même un peu d'ombre, l'arbre n'en était que plus apte à receler le bienfait inattendu qui devait sou- lager l'indigent trop honteux ou trop timide pour tendre la main à son semblable. Dans certaines provinces de France, les mères ont laissé à leurs enfants une aimable réminiscence de cet usage Normand, en cachant de petits présents dans la huche de Noël. Les troncs de nos églises ne sont qu'une imi- tation transformée du môme usage.

Dès l'origine, les chrétiens entourèrent du plus tendre respect les lieux et les objets sanctifiés par la présence du Sauveur. La crèclie, en particulier, cette pauvre crèche de bois le divin Fils de Marie avait été déposé, il avait dormi, fiit, de la part des pèlerins, l'objet du culte le plus empressé. Saint Jérôme voulut en être le gardien durant les longues années qu'il passa dans la sainte grotte. Transportée à Rome, l'an 642, lors de l'invasion du mahométisme, elle est encore aujourd'hui le plus précieux trésor de l'une des basiliques de la Ville éternelle. De le nom de Sainte-Marie- à-la- Crèche donné à cette église déjà décorée du titre de Sainte-Marie-Majeurc.

Rome a donc succédé à Bethléem. Aussi nulle part on n'a rendu autant d'honneur au grand mystère de Noël. Une église y est dédiée à l'Enfant-Jésus ; une autre a été bâtie sur l'emplacement du temple de Jupiter capitolin, au lieu môme

LE TJiMFS bK NOi L. 1()7

OÙ, selon une tradition untorisée, la sainte Mère de Dieu, tenant son Fils entre ses bras, apparut dans le Ciel, au milieu d'un cercle d'or, à l'empereur Auguste. Cette église, chantée plus tard par Pétrarque, fut appelée l'Autel du Cûd, Ara Cœli, soit parce qu'elle est le point le plus éminent de la cité, soit parce qu'on la considérait comme ayant été le premier monument qui ait annoncé à l'antique Rome le rapprocliement du Ciel et de la terre. On y conserve une ancienne figure de l'Enfant- Jésus, // sanfo Bambino, la plus vénérée de toutes les images du même genre qui sont à Rome. Chaque année, aux fôtes de Noël, on l'expose dans une crèche, près de laquelle sont représentés Auguste et la Sibylle. C'est la fête des enfants ; tous les privilèges sont pour eux , même celui de prêcher du haut de petites chaires dans cette même église; la foule ne manque jamais au sermon du petit Cicéron chrétien.

« A Rome, dit un auteur, le presepio occupe toutes les « pensées Pour le Romain plus peut-être que pour aucun « autre peuple, Noël est une fête capitale, une fête de « famille. Ainsi, dans la cité chrétienne, ce n'est pas la bonne « année qu'on vous souhaite, c'est la bonne fête. Le capo << d'anno n'est rien, Noël est tout. N'est-il pas, en eifet, « très-logique ' de choisir, pour s'offrir des vœux mutuels, « l'anniversaire de l'événement le plus social, par conséquent « le plus heureux qui ait marqué les annales du monde ? »

Dès le IX® siècle, on dressait dans les églises, en face du maître- autel , des espèces de tentes qui simulaient la crèche du Sauveur. A côté figuraient un Ange^, saint Joseph, le bœuf et l'âne. Divers chants liturgiques analogues à cette représentation étaient exécutés par le chœur des prêtres et des fidèles. « Au X'' siècle, dit M. Magnin ', on voit s'établir

' Journal des Savanls, numéro d'août 1861, p. 491.

108 I-E TEMPS LE NOËL.

dans les cathédrales et les abbayes l'usage de joindre à ces naïfs et simples offices un autre spectacle dont le sujet et la forme étaient laissés au goût et à la discrétion du préchantre (ju de l'écolatre. Emprunté presque toujours aux livres his- toriques ou moraux de l'Ancien Testament, aux paraboles évangéliques, à l'Apocalypse et aux légendes les plus mer- A'eilleuses des Saints et des Martyrs , ce jeu supplémentaire ajoutait tout l'attrait de la variété et le piquant de l'imprévu aux autres récréations et gracieuses réjouissances qui ren- daient la célébration de Noël si chère au peuple et à une grande partie du clergé, et leur en faisait, pendant le reste de l'année, désirer si ardemment le retour. »

L'art chrétien s'est exercé maintes fois sur le berceau du Sauveur. Que de crèches dans nos chapelles, les grands et petits aiment à s'arrêter! Nous avons visité près de Lisbonne, dans une église, un monument de cette espèce tellement important, que le faubourg lui-même, Belem^ abréviation de Bethléem^ lui a emprunté son nom. L'amour de la crèche avec l'Enfant-Dieu vêtu de langes ou de dentelles, avec la sainte Vierge, saint Joseph, les bergers et leurs agneaux, a envahi la maison du riche elle remplace pour quelques jours tous les jouets; elle apparaît même sous le chaume et dans la rue; car la joie est pour tous au beau jour de Noël ; la joie est la fortune du pauvre, comme elle fut le prix de l'innocence des pasteurs.

l'abbe j.-b. pardiac.

BIBLIOGRAPHIE

Mémoires historiques sur l'origine et le cidle de la Vierge miraculeuse de Sainle-Marie-Majeure , par Mgr Fabi Montani. Rome, 1861. Note sur une Sépulture chrétienne du Moyen Age trouvée à Etaples, par M. l'abbé Cochet. Amiens, 1861, in-8°. Table générale des matières contenues dans la seconde série du Bulletin monumental, par M. l'abbé Auber. Caen, 1861, in-S». Histoire des rues d'Amiens, par M. Goze. Amiens, 1861, 4 vol. in-12. Histoire du tulle et des dentelles mécaniques en Angleterre et en France, par M. Fergusson fils. Paris, 1862, in-12. Notice historique sur l'abhaye de Sery, par M. Dausy. Amiens, 1861, in-8''.

Il existe déjà soixante-sept ouvrages sur la Madone miracu- leuse de Sainte-Marie Majeure. Cependant, Mgr Fabi Montani a trouvé moyen de dire des choses neuves dans la publication qu'il vient de faire à Rome, des Mémoires historiques sur Vorigïne et le culte de la vierge miraculeuse de Sainte-Marie Majeure. Il consacre deux chapitres àTexamen d'une question que n'a pas encore résolue l'archéologie contemporaine. La tradition populaire attribuant la Vierge libérienne au pinceau de saint Luc, l'auteur se demande s: cet évangéliste a été réellement peintre, et il penche pour l'affir- mative, malgré ceux qui objectent que s'il était juif, ce qui n'est pas prouvé, la tradition est une erreur, puisque le mosaïsme inter- disait la peinture et la sculpture aux Hébreux, à cause de leur in- clination à l'idolâtrie. Quant à la vraie origine de l'image libérienne, Mgr Fabi Montani n'admet pas que ce tableau ait pu figurer au triomphe de Vespasien, et pense qu'il a été envoyé par les Pères d'Èphèse à Sixte III, qui l'aurait fait transporter sur le mont Esquilin ; il réfute l'opinion des écrivains, qui ont prétendu qu'avant le Con- cile d'Éphèse, on ne représentait jamais la Vierge tenant son Fils dans ses bras.

110

DlDLIOGr.APlUt:.

Le ±\ mai 18(51, on a trouvé à Étaples, duns un cimelièrc dé- laissé à la (ni du XIV« siècle, nne sépulture cbrélienne consistant eu uu petit caveau construit avec de la chaux et du silex, dans lequel étaient déposés des ossements et divers objets funéraires. Une couche de terre noire avait été formée par le bois décomposé du cercueil, dont il ne restait que quelques clous et ferrures. M. Souquet, vice-consul à Étaples, adressa à M. Cochet la photo- graphie dont nous reproduisons ici le dessin, et lui demanda son avis sur l'époque de ce tombeau. C'est à cette occasion que notre savant collaborateur vient de publier une Note sur une sépulture chrétienne du moyen-âge , trouvée à Etaples ; il pense qu'elle est celle d'un chevalier chrétien inhumé avec ses armes au XIII^ ou au XIV® siècle. Voici, d'après MM. Souquet et Cochet, l'indication des objets trouvés dans ce tombeau :

1. Épée en fer longue de 88 c. avec pommeau de cuivre ; lame creuse par le milieu ; tranche des deux côtés. Sa longueur rappelle l'époque mérovingienne ; mais la forme de la poignée accuse le Moyen Age.

2. Eperon en fer, de la même forme que ceux de l'époque mé- rovingienne. Les éperons à pointes sans molette ont persévérer jusqu'au cœur du Moyen Age. Leur présence dans un tombeau prouve que le défunt appartenait à la noblesse : car, comme le dit un ancien proverbe : « Vilain ne sait ce que valent éperons. »

3. Plaque en fer surmontée d'un petit cylindre, avec un manche par dessous; c'est peut-être un fragment de lampe.

4. Quatre clous en fer dont deux à tête ronde et deux à tête aplatie.

5. Objet on fer ressemblant à un dossier de selle

S(^pultiiro (l'Étaples iSOi;

BIULlOGli.U'IHI^

111

f). Deux objets que M. Souquct croit être des espcces d'étriers à trois branches et sur lesquels M. Cochet réserve son opinion.

7. Un petit vase en terre blanchâtre, -sans veiiiis. Le charbon de bois qu'il contenait encore démontre qu'il a servi à l'usage de cassolette dans la céré- monie des funérailles. Comme cette coutume liturgique ne paraît point re- monter au-delà du Xlir siècle, on doit être à peu près fixé sur la date de cette sépulture. Ce vase a la forme de ceux qu'on a trouvés à Bouteille, près Dieppe, en 1857.

ET ET

Vases chrétiens trotivi's à Bouteilles (1857).

Cette clécoiivei"te est d'autant plus intéressante qu^elle prouve que l'iuhumatioa armée a duré plus longtemps dans le Boulonnais que dans la Normandie.

~ M. Tabbé Auber avait publié, en 1846, la Table générale des matières contenues dans la première série du Bulletin monumental ; il vient de continuer cette œuvre de patience par la Table de la se- conde série, qui comprend dix volumes comme la première. La valeur d'un recueil périodique est certainement doublée par une bonne table analytique, et celle de M. Auber nous semble ne rien laisser à désirer.

Presque toutes nos villes de province ont maintenant leur his- toire : mais l'Histoire, un peu fière par nature, dédaigne une foule de petits faits qui ne lui semblent pas relever de son domaine. La Chronique des rues n'a point cette prétention ; elle trouve encore à glaner les autres ont moissonné, et rien n'échappe ù ses fa- milières causeries. C'est un cadre viennent se grouper succes- sivement les grands événements et les petites historiettes, les

112 BIBLIOGRAPHIE.

sompliicuix niomimonls et les modestes hùlcUerics, les glorieux: souvenii's et les légendes populaires. Nous devons féliciter M. Goze d'avoir si bien compris l'inléi-cl de ces sortes de publications; son Histoire des rues d'Amiens tiendra une place distinguée à côté des ouvrages analogues publiés récemment sur les rues de Paris, de Rouen, de Lyon, d'Abbeville, etc.

M. Fergusson fils vient de composer une intéressante Histoit^e du tulle et des dentelles mécaniques en Angleterre et en France. Selon quelques auteurs, le tulle aurait emprunté son nom à la ville de Tulle ; mais c'est à tort, puisqu'on n'en a jamais fabriqué dans celte ville. On pourrait supposer que le mot Tulle vient de Tuly, qu'on trouve dans un inventaire anglais de 1315 ; mais M. Fran- cisque Michel lui donne la signification de toile peinte fabriquée à Toidouse. « Si l'on n'accepte point, dit M. Fergusson, les noms ni de Toulouse ni même de TullC;, malgré leur alfinité apparente, ne pourrait-on pas en chercher l'origine dans les broderies célèbres que l'on fabriquait en Lorraine et particulièrement à Toul? Il est certain du moins que, dans ces broderies, on exécutait à l'aiguille, en écartant et en rassemblant les fils, une espèce de jour ou de point de filet. Ce genre de travail, très-répandu au Moyen-Age, se fait en- core de nos jours sur la mousseline et la baiiste ; il prit naissance en Italie, dans les couvents, d'où il passa en Espagne, puis dans la Flandre espagnole vers 1530, puis enfin en France. Or, comme la dentelle, dont le fond est le point de tulle, fut créée peu de temps après en Allemagne (1551), et que ce fond ressemble aux jours pratiqués dans les broderies de Toul, en latin Tullum ou Tullo, ou peut s'expliquer aussi qu'il ait pris en allemand le nom de Tûll et en français celui de Tulle. »

La Notice historique sur l'abbaye de Sery que vient de publier M. Darsy, est remplie de savantes recherches, comme les ouvrages précédents de l'auteur. Sery, situé près de Gamaches, ne fut d'abord qu'un simple prieuré, fondé en 1127; un siècle plus tard, il prit la règle de Prémontré. L'emplacement primitif de l'abbaye n'est plus maintenant qu'un cimetière; une partie de l'église a été détruite : ce qui en reste est converti en habitation.

J. CORBLET.

Revue de l'Arl chrétien

iars

1862

oculplure du Porclie principal de SlVulfraiL d'Abl^eville -

LETTRE AU DIRECTEUR DE LA REVUE sur quelques Sculptures de Lion-

Mon cher Collègue,

Je viens de lire votre excellent travail sur le Lion et le Bœuf sculptés aux portails des églises.

Vous citez, dans cette étude iconographique, entr'autres exemples, le lion du portail de l'église Saint-Yulfran d'Abbe- ville , qui est accroupi , revêtu d'un manteau , et qui tient dans ses griffes un écusson et une bannière, et vous rappelez ce que j'ai dit de ce lion dans ma Notice sur Abbeville.

J'avais d'abord pensé que le lion de Saint-Yulfran, comme celui qui servait de girouette au clocber de l'hôtel-de-ville, pouvait être un emblème de féodalité, un souvenir des hauts et puissants seigneurs qui possédèrent autrefois Abbeville; mais en réfléchissant bien j'ai modifier cette opinion.

Le lion de Saint-Vulfran me semble aujourd'hui pouvoir comporter deux significations, selon qu'il est pris en bonne ou en mauvaise part.

Dans la première hypothèse, ce lion me parait être l'image de l'Eglise de Jésus-Christ et de la vigilance épiscopale, ce que semble indiquer la place qu'il occupe entre les deux sta- tues de saint Firmin et de saintGermain l'Ecossais, qui passent pour avoir prêché les premiers l'Evangile dans nos contrées.

Au second cas, le lion de Saint-Vulfran représenterait,

TOME Yi. Mars 1862. 9.

Il.i LETTRE ai: DIIiKf.TEUR T>E LA REVUE

selon moi, et comme le porte d'ailleurs une tradition locale, le féroce Nabucliodonosor, le prince hérétique qui fait la guerre aux prédicateurs et leur obtient la palme du martyre, en les mettant à mort.

Quant au manteau dont ce lion est revêtu, il caractérise la royauté de Nabucliodonosor changé en bête ; la bannière qu'il tient est destinée à rappeler la victoire remportée sur l'idolâtrie, par nos premiers Évoques^, dans le Ponthieu et le Vimeu.

Le lion de Saint- Vulfran pourrait bien encore être le sym- bole de l'Eglise tout entière, s'il remontait à une époque plus ancienne, si par' exemple il datait du XIP siècle; mais au XVP siècle, l'on exécuta cette statue, le lion avait en gé- néral une autre signification.

Vos lecteurs, en examinant la planche ci-jointe, dessinée par M. Duthoit, pourront adopter l'opinion qui leur semblera la plus admissible. Le lion , vous le savez, est de toutes les images symboliques qui se rencontrent dans les églises et sur les tombeaux anciens, la plus fréquemment représentée ; de telle sorte qu'il serait difficile, pour ne pas dire impossible, de donner parfois une explication positive^ claire et bien cer- taine de tous les spécimens de cet intéressant symbole.

Vous dites, dans le même article, que le lion a une signifi- cation historique quand il accompagne Daniel et Samson. Le fait est vrai, et c'est probablement pour restei* dans votre sujet que vous n'avez pas cru devoir ajouter que plusieurs antiquaires le regardent aussi, en ce cas, comme une repré- sentation mystique : suivant eux, Daniel dans la fosse aux lions serait l'emblème du Purgatoire, et le lion déchiré par Samson ', tel qu'on le voit au portail de l'église romane de

' Voir la gravure représentant ce sujet, t. v de la Bevve de l'jirt chré- lin, p. 588.

SLlll OrELQlIKS SCULPTlillES HK LION. 115

Berteauconrt (Somme), offrirait l'image du diable vaincu par Jésus-Christ, ou la gueule de l'Enfer brisée par le Sauveur pour en tirer nos premiers parents ' .

C'est avec raison que vous ajoutez que le lion est tout à la fois la figure de Jésus -Christ et l'emblème du démon et de ses satellites ; je pense comme vous à cet égard, et crois aussi que dans ce dernier cas, les artistes le représentaient dans une position humiliante qui rappelle sa défaite ; c'est ainsi qu'au grand portail de Notre-Dame d'Amiens le Sauveur foule un lion du pied droit et un dragon de l'autre. Ce lion, au portail d'Amiens, est effectivement le symbole du démon, de l'Antéchrist écrasé par son vainqueur.

Bien que vous n'ayez eu à vous occuper que du lion sculpté aux portails des églises, comme l'indique le titre de votre intéressant travail, permettez-moi de dire ici quelques mots, par forme de digression, sur les tombeaux du département de la Somme, le lion est figuré.

Dans la cathédrale d'Amiens , à l'entrée de la nef, on re- marque une magnifique tombe en bronze supportée par des lionceaux ; cette tombe est celle de l'évêque Evrard de Fouil- loy, qui jeta les fondements de cette vaste basilique. Le pré- lat est représenté dans la position d'un pontife béatifié, foulant aux pieds deux dragons. Les lionceaux nous paraissent être comme les gardiens du temple ou de la tombe du pieux évêque.

Ces lionceaux peuvent encore être pris pour l'emblème de la victoire d'Evrard sur les vices de son temps ; le lion avait, en effet, quelquefois cette signification, et c'est pour la rap- peler qu'on voit assez souvent des lions placés à l'entrée de la chaire à prêcher, comme il s'en trouve à celle de Corbie et ailleurs.

' Manuel d'Iconographie chrétienne grecque et latine, in-8", 184.5, p. 104.

HT) I.ETTRK AU DIUECTEUR DE LA l'.EVUE

Au fond d'une niche pratiquée dans l'épaisseur du mur de clôture de la même cathédrale , on voit le tombeau de l'é- vêque Ferry de Beauvoir. Ce prélat est , suivant l'usage du XV^ siècle, couché sur sa tombe, revêtu de ses habits pontifi- caux. A ses pieds on remarque également un lion qui est éveillé : cet animal offre sans doute le symbole de la Résur- rection. Si ses yeux étaient fermés, on pourrait dire qu'il représente le Christ au tombeau, ou le Christ qui, malgré son sommeil, a vaincu le démon.

Vous verrez , mon cher Collègue , si cette dernière inter- prétation vous convient mieux que la première.

Dans la seconde moitié du XP siècle , on donna au lion une signification non-seulement mystique, mais encore mo- rale. Lorsque sur un monument de cette époque, il saisit un chien ou tout autre animal à la gorge , c'est l'image du lion qui cherche une proie à dévorer [circuit leo quœrens quem devorct) ; mais c'est aussi le symbole des passions violentes et déréglées. Or, sur le tombeau de Raoul de Crespy, à Mont- didier, on voit un lion qui semble étrangler un chien ; cet emblème convenait parfaitement au bas de la tombe d'un puissant seigneur comme Raoul, qui était le plus fameux usurpateur de son temps, et qui s'était fait connaître par ses fréquents mariages et les répudiations scandaleuses de ses femmes légitimes.

Enfin, dans l'église d'Ailly-sur-Noye, sur la table qui sur- monte le tombeau de Jean Hautbourdin , bâtard de Saint -Pol, un lion est aussi représenté aux pieds de ce seigneur, qui passait pour le plus beau et le plus vaillant guerrier du XY" siècle ; mais pour exprimer sans doute son ardeur, son intrépidité dans les combats, ce lion semble prêt à se relever, et sa queue qui se dresse indique, ce me semble, plutôt la vic- toire que la niurt chez l'homme illustre dont il orne le tombeau.

SI IV UliKLOl'KS Si:Ul.l'Tl UKS DlC l.lUN. 117

Je conclus, comme vous^ ([ue le lion exprime des idées bien diverses dans la symbolique chrétienne. Tantôt il re- présente le fidèle gardien du temple ; tantôt c'est le symbole du prédicateur de Jésus-Christ, de la Résurrection du Sau- veur, de la Force, de la Royauté; d'autres fois, enfin, il offre au contraire rmia,i2;e du Démon, de l'Antéchrist, des Persé- cuteurs de l'Eglise. Il est donc vrai, comme vous l'avez dit vous-même, qu'il joue un grand rôle dans cette symbolique, et qu'il n'est pas toujours facile d'expliquer d'une manière précise ce que signifient certains lions, tels par exemple que celui du portail de Saint-Vulfran, qui a motivé ma lettre.

Agréez, mon cher Collègue, l'assurance de mes sentiments dévoués.

H. DUSETEL

de la Société impériale des Antiquaires de France.

P. -S. Vous inclinez à croire que les bœufs de la cathédrale de Laon ont un caractère symbolique et ne sont pas dus à un souvenir local. Vous trouverez une confirmation de votre opinion dans le dernier n" du Bulletin monumental (u" 2, page 175), M. Darcel s'exprime en ces termes : « Un dé- tail distinctif de la cathédrale de Laon, c'est l'existence de grandes figures de bœufs dans les tours : or, si l'on pénètre à Bamberg (Bavière), dans les cours voisines des tours, on remarque les mômes figures architectoniques. Elle ne sont pas visibles à l'extérieur, à cause des constructions adossées à la cathédrale. » Vous en concluerez sans doute qu'une semblable décoration monimientale, qu'on retrouve identique à Laon et à Bambei'g, ne peut s'expliquer que par une in- terprétation applicable aux deux cathédrales, et non point par une légende locale, dont l'authenticité est plus que sus- pecte.

D'UN ARGUMENT

des premiers siècles de notre ère contre le dogme de la Résurrection-

Parmi les idées nouvelles que le Christianisme jeta dans le monde, la doctrine de la Résurrection fut de celles que la société païenne reçut avec le plus d'étonnement. La pieuse croyance des fidèles à la renaissance des corps n'inspirait souvent aux idolâtres que le dédain et la raillerie. Cette ré- sistance des esprits à admettre un semblable mystère, se me- surerait rien qu'à compter les écrits que les Pères durent con- sacrer à la défense du dogme contesté ; mais nous possédons sur ce point des données plus précises, et les réponses même des fidèles semblent nous faire connaître, dans ses derniers détails, le système d'attaque des incrédules.

Je viens de parler des railleries : on les voit déjà se pro- duire dans l'Aréopage^, lorsque prêche saint Paul : « Quel- " ques-uns, nous apprennent les Actes, quelques-uns se mo- " .quèrent; d'autres dirent dans leur étonnement : Vous nous « reparlerez de ces choses. ' » Chez ces derniers, une foi

' .Ida A pont, xvii, 32.

d'un augu-ment j»es premiers siècles i\[)

docile a pu féconder tout d'abord les leçons du grand Apôtre. Voyons ce qu'objectaient les incrédules.

Comprise par eux dans un sens tout grossier, l'annonce de la résurrection leur semblait une bizarre imposture. « Quoi, « s'écriaient-ils, les cadavres détruits par la putréfaction, « évanouis dans l'air, réduits en poudre, ceux que dévorent « les bêtes et le feu, ceux des naufragés qui se dissolvent « dans l'eau, tous ceux-là se reformeront pour reconstituer « un corps ! » Puis venaient les questions captieuses : « Un « homnie pressé par la faim a mangé la chair d'un de ses sem- « l)lables; cette chair, qu'il s'est assimilée, à qui reviendra- « t-elle, à lui, ou bien au mort dont elle formait d'abord la « substance? »

Les Gentils demandaient encore si les enfants mort-nés renaîtraient, bien qu'ils n'eussent pas vu le jour; si l'on re- naîtrait contrefait, comme on avait pu l'être; si nos cheveux tombés sous les ciseaux nous seraient tous rendus, puisqu'il est écrit que pas un cheveu de notre tête ne périra '. On riait de Jouas, ce grand type de la renaissance promise ^. Mais après toutes ces railleries au milieu desquelles le Chris- tianisme devait se répandre et grandir, était toujours sérieuse- ment opposée l'impossibilité de reconstruire un corps détruit et divisé. Dans cette ferme assurance, et pour priver leurs victimes de la vie future, les païens brûlaient les corps des martyrs, en jetaient les cendres dans les fleuves, pour que rien n'en restât sur la terre. « Les chrétiens perdront ainsi, « se disaient-ils , cet espoir de la résurrection qui leur fait

AuGCST., Civ. Dei, xxij, 12 ; et" A.thknagoh., de Resiirr. iv.

* AtGCST. EjJtsl. eu, ad Deograt; Civ. Dei, i, 14 ; voir encoio pour les railleries des païens, Miinut. Feux, OcUv. \i ; Aukob. ii, 13; Okigi. Cuutra Cels. 1. 1, éd, de 1658, p. 7.

120 d'l'X argument des premiers SIKCLKS liE NOTRE ERE

« introduire une foi nouvelle et courir joyeusement à la mort. « Voyons si leur Dieu pourra les faire renaître ! ' »

Nos pères réussissaient mal sans doute à convaincre plei- nement de tels adversaires, car l'argument païen est souvent repris et combattu dans leurs écrits ^

Un grand désastre vint le faire revivre.

Lorsque les hordes d'AlaVic saccagèrent la cité éternelle, ceux qui attribuaient à l'abandon des temples tant de mas- sacres et d'infortunes, insultèrent à la foule des chrétiens égorgés et demeurés alors sans sépulture.

" C'est là, disait l'Evêque d'Hippone, c'est ce qu'une « foi pieuse ne saurait guère redouter. Il est écrit que pas un « cheveu de notre tête ne périra, et les bêtes qui dévorent n un cadavre ne sauraient l'empêcher de ressusciter. La « Vérité ne dirait pas: Ceux qui tuent le corps sont impuis- " sants à tuer l'âme, si ce que l'ennemi peut faire des restes « de ses victimes était un empêchement à l'autre vie. Dieu « nous garde de révoquer en doute ce qu'a dit la Vérité ! Le « sol n'a point recouvert les cadavres d'un grand nombre de " chrétiens; mais nul d'entr'eux n'a pu être séparé du ciel « et de la terre que remplit de sa présence Celui qui sait d'où « la créature doit être rappelée pour la résurrection. Les << gentils ne peuvent insulter aux chrétiens restés sans sé- " pulture, car il est promis aux fidèles que non-seulement la " terre, mais tous les éléments dans le sein desquels le corps

' EuSEB., Ilist. eccL, v, i, in fine. Lua païens croyaient que les fidèles ne brûlaient pas leurs morts dans la crainte de les empêcher de ressusciter (Mi- KDT. Félix, Octavhis, c. xi et xxiv).

* Tatian. VI ; Athenagor., de Resurr., iv ; Irew., v, 3; Tertull., de Carne Chrisii, xv ; Ambros. De fide Resurr., n, 58; Paul. Nol., Poem. XXXIV, v. 270 et sqq. ; Greg. Tcron. H. Fr. x, 13, Cwlor. mart. i, 95, ptf

CO.NTRE l.E IJOC.ME DE I, A RÉSlilUîECTIO.V. 1*21

« serait confondu, le rendront à la vie éternelle, au jour fixé " par le Très-Haut ' . »

Dans un livre consacré à confondre l'erreur des idolâtres, ce n'était pas toutefois à eux seuls que s'adressait saint Augustin. Invoquer l'Evangile que ceux-ci se refusaient à reconnaître, c'eût été leur parler une langue inconnue. L'é- veque d'IIippone faisait sans doute appel à des frères troublés par les clameurs païennes, par la stupeur surtout dont se sentaient alors saisies quelques-unes des Ames les mieux douées ^. Tous les fidèles n'avaient point il s'en plaignait avec amertume * une foi également robuste ; tous ne se disaient pas, avec leurs saints Docteurs, qu'il n'y avait pas merveille plus grande à reconstruire qu'à créer *.

L'antique terreur du défaut de sépulture remplissait encore certains esprits. Une perfection que j'ose dire surhumaine pouvait seule faire demander par les pénitents de l'Egypte que leur corps ne fût pas enseveli, mais jeté dans les ileuves ou exposé pour servir de pâture aux chiens et aux loups ^.

Les hérétiques, d'ailleurs, se succédaient remettant sans cesse en question la réalité du dogme consolateur. Après l'é- cole gnostique, Théodore, évoque d'Egine, Eutychès devaient répandre en Orient le venin de leur fausse doctrine ^. L'Occi-

' Civ. Dei, i.

- Voir, dans les œuvres de saint Augustin, le pJ 2 de la lettre n" 154 que lui adresse Macédonius, après les massacres de Rome.

"' Civit. Dei, i, 35 ; cf. la belle Histoire de la destruction du paganisme en Occident, par M, le comte Beugnot, t. ii, p. 105 et 106.

"* Athenagor., De Resurr., la ,• Iren., v, 3; Ambros., de fide Resurr., ii, 58 ; Gregor. Tcr., h. Fr. x, 13; Sacrament. Greyorian. dans Muratori, Liturg. rom. t. ii, p. 356, etc.

5 JoHAN. Cltm. Grad. v, 22 et 28.

" Gregor. Tcrom. Glor. mart. 95; Dom "Bvlteav, Dialogues de saint Gré- goire-le-Grand , préface, p. Lxxvil, etc.

122 d'un argument les premiers siècles de notre ère

dent L'Ut de même ses épreuves; la vieille objection des païens

y reparut dans la bouche des incrédules.

Rien n'est plus curieux à étudier, pour l'histoire des er- reurs humaines, qu'un long chapitre Grégoire de Tours raconte sa discussion avec un prêtre gaulois. Celui-ci, in- fecté, dit-il, de l'hérésie saducéenne, appuie chaque propo- sition sur un texte des Livres saints et ne se rend pas facile- ment.

'• Des os réduits en poudre, dit-il, peuvent-ils donc rece- « voir de nouveau l'existence et former un homme vivant? »

« Certes, répond Grégoire, nous croyons que Dieu res- « suscitera sans peine le cadavre tombé en poudre et divisé « [)ar le vent sur la terre et les eaux. »

« Vous vous trompez, répond l'incrédule, et vous soutenez « une grande erreur avec de séduisantes paroles, lorsque « vous dites que l'homme dévoré par les bêtes, englouti dans « les Ilots, mangé par les poissons, dispersé par le courant des « eaux, détruit par la putréfaction dans le sein de la terre, « sera ressuscité un jour \ »

Il y avait plus d'un degré dans l'erreur que Grégoire de- vait ainsi combattre. Les gnostiques niaient la Résurrection parce que le Christ, pur fantôme, disaient-ils, n'était mort et ne s'était relevé de son tombeau qu'en apparence ^. Le prêtre gaulois déclarait au contraire que le Seigneur, réellement fait homme, était mort et ressuscité. La reconstitution de la chair était le seul point qu'il tint pour impossible ^

Chez des chrétiens d'une foi moins chancelante, l'idée fu- neste attachée par le vulgaire à la privation de sépulture, je

* m st. Franc, x, 13.

* Voir mes Inscriptions chrétiennes de la Gaule, t. u, disseit. n" 478. ' GuEG. TuRON. loc, cil.

CONTRE LE DOGME DE LA UÉSlUillECTlON, IÎ13

ne sais quel souvenir peut-être des âmes errantes que re[)ous- sait Cliaron, de Falinure et de son ombre désolée, laissait ce- pendant encore place à l'erreur.

Pour eux, les païens de Lyon avaient frappé juste, en je- tant dans le Ivhône les corps des Martyrs afin de les empêcher de renaître. Les paroles de saint Augustin sur les massacres de Rome me semblent attester l'existence de cette croyance étrange. Les monuments de l'épigraphie nous la montreront vivante encore à une époque moins reculée.

Souvent, dans les imprécations formulées sur les épitaplies contre les violateurs des tombes, on demande à Dieu que le coupable soit privé de la résurrection.

C'était parfois, me semble-t-il, la peine du talion appelée sur ceux qui, dispersant les restes d'un mort;, le privaient, selon quelques-uns, du bienfait de la vie future.

Je sais combien peut sembler étrange une proposition sem- blable, et je n'avancerai que preuves en main.

Deux des formules d'imprécations dont je rappelle l'exi- stence ne contiennent à l'appui de ma thèse que racclamation NON RESVRGAT *.

Une troisième a plus de valeur, puisqu'elle fait précéder

GoRi, Inscr. Etr. t. m, p. 105:

SI QVIS HVNC SEPVLCHRVM VIOLAVE

RIT PARTEM HABEAT CVM IVDA TRADITOREM ET IN DIE IVDICII KON RESVRGAT

OuERici, SyUoge,Y). 352 (Inscription attribuée au siècle) :

•f- PETRVS INDIGKV S PRESBlTELi TT PA MATHII JOHIS ET PA VLl DEPCHOH OMS V T NVLLVS VIOLET HVC SEPVLCKVM

12<i d'un argument des premiers siècles de notre ère immédiiitement ces mots du vœu : INSEPVLTVS lACEAT, éta- blissant ainsi une corrélation visible entre les deux idées ' .

Un dernier monument paraîtra, je l'espère, plus concluant âmes lecteurs.

La belle collection épigrapliique du palais Giovio, à Corne, contient une épitaphe dont la fin, devenue illisible, n'est pas même, si mes souvenirs ne me trompent, arrivée jusqu'à nous tout entière.

En tête de cette inscription qui me paraît appartenir aux dernières années du sixième siècle, est gravée, aux deux côtés d'un vase, l'image d'un agneau soutenant une longue croix latine.

J'avais renoncé, non sans regret, à connaître dans toute son étendue, un texte dont le début semblait promettre une for- mule intéressante, lorsqu'un manuscrit de Peiresc, signalé

ET QVI PRESVM8ERI T IN DIEM IVDICII NON RESVKGAT.

Je n'ignore pas que ces deux textes peuvent se rapporter au célèbre ver- set du psaume l'^'" : Ideo non résurgent impii injudicio, verset que les Pères expliquent dans des sens divers, mais conformes à la doctrine de la résur- rection générale (Cyrill., Catech. xvm, 14; Ambhos., Enarr. in Psalm. 1, Lvi ; Theodor., In Psalm. i, 5 ; Greg. Tor., Hist. Fr.,x, 13, etc.). Mais dans le cas même oîi les rédacteurs des inscriptions que l'on vient de lire au- raient eu ce passage en vue, il ne faut pas oublier qu'il a parfois été pris dans un sens absolu. C'est ainsi que le comprenaient Lactance (vu, 20, 21) et le prêtre dont parle Grégoiie de Tours (Hist. Fr., x, 13).

' Bosio, Roma Sotteranea, p. 436:

MALE PEREAT INSEPVL TVS lACEAT NON RE SVRGAT CVM IVDA PARTEM HABEAT SI QVIS SEPVLCRVM HVNC VIOLAVERIT

CONTRE lE DOCME DE i.A IlÉsURUECTIOIN. 123

à mon uttentioii par le savant M. Léopold Delisle, a mis sous mes yeux une copie complète du monument. Je reproduis cette transcription ancienne :

B M

HIG REUVIESCIT IN l'Af'.E FAAIVLA Xl'I GVAT

ELDA SPE QVE VIXET IN HOC SECVLO ANNVS PL. M. LI DEPS SD 111 RAL SE PTB ITER HIC BEQVIESCVNT BASILi VS FILIVS IPSIVS VNA C FILIO SYO GVNTIVNE QVI ViXET IN HOC SECVLO ANNVS PL M XL ADIVRO VVS 0 MNES XPIANl ET TE CVSTVDE BEAT(/). IVLIANI PER DO ET PER TREMENDA DIE IVDIGII VT HVVE SEPVLCRVM VIOLARI NVNQVAM PERMITTATIS SED CONSERVET(Mr) VSQVE AD FINEM MVNDl VT POSIM SINfi IMPEDIMENTO IN VITA REDIRE CVM VENERIT QVI IVDICATVRVS EST VIVOS ET MORTVOS '.

Cette dernière formule atteste la persistance du sentiment combattu par les Pères.

Pour les chrétiens dont elle termine l'épitaphe, l'espoir de

' Bibliothèque impériale, supplément latin, n" 101, t. i, f" 16. Cotte copie contient quelques inexactitudes. Voici celle que j'ai prise à Côme :

B M

HIC HEQV1E.SCIT IIM PACE FAMVLA XPl GVWTELDA

sp F QVI vixiT IN HOC .SE {Spectobilis fcminci)

CVLO ANNVS PS MS L DPS S D m KL. SEPT ITER HIC REQVIESCVNT EASILIVS FILIVS IPSIV VNA C FiLIO SVO CVKTIONE QVI VIXIT

150 11' UN AIIGLMENT DES l'REMIKUS SIÈCLES DE NOTRE ÈRE.

la résuiTection devait donc s'évanouir, si la terre ne recou- vrait leurs restes jusqu'à la consommation des siècles.

L'adjuration étrange qui démontre cette croyance n'éton- nait apparemment ni les fidèles, ni le gardien d'église aux- quels elle s'adressait ' . Le centre chrétien dans lequel vécurent (luntelda et ses fils semble donc avoir professé, comme eux, une de ces erreurs que Grégoire de Tours nous montre conçues, développées par la réflexion, l'étude, même chez un ministre du Seigneur.

C'est une des vicissitudes à travers lesquelles Dieu a voulu faire croître et mûrir dans le cœur des hommes, l'idée consolatrice qid marque le plus nettement l'avènement de la Foi nouvelle.

EDMOND LE BLANT.

ÏN HOC SECVLO ANWVS PL MS L (^) ADIVRO VOS OMNES XPIATJI...

liVKC SErVLCR

RovELLl [Sloria dl Como, 1789, in-4", t. i, p. 329) n'a rien déchiffré au- delà du mot OMNES. Le défaut de temps et surtout un groupe sculpté, placé maladroitement devant le bas du marbre, m'ont empêché d'étudier la fin très fruste du fragment parvenu jusqu'à nous.

' Une autre inscription du nord de l'Italie parle aussi des prêtres gardiens d'un sanctuaire (Maffei, Mnseuvi Veronense, p. 181).

NOTE SUR DES MARMITES EN BRONZE

CONSERVÉES DANS QUELQUES COLLECTIONS ARCHÉOLOGIQUES,

à propos (ïun vase de ce genre trouvé à Caudehec- les-Elbeuf, en 1 86 1 .

Le 9 mars 1861, une marmite en bronze, possédant ses trois pieds et deux supports pour une anse qui a disparu, a été trouvée à Saint-Pierre-lès-Elbeuf (ancien territoire de Caudebec-lès-Elbeuf). Ce vase, qui fut recueilli en creusant les fondements d'une maison, gisait à une très-petite pro- fondeur ifig. 1).

Ho-, i _ Paint-Pir.rro lès-Elbciif (1801).

^28 NOTES SUR LES MARMITES EN BRONZE

Il était vide et sans couvercle, muni de deux tenons et d'une anse en fer ; pour le reste, il ne présentait aucun signe distinctif. Sa grandeur est celle d'une marmite ordinaire.

Cet objet est entré dans le cabinet de M. Tronel, amateur d'antiquités, à Elbeuf. Consulté à ce sujet par M. le curé d'Amfreville-la-Mivoie, près Rouen, voici quelle a été ma réponse :

« Monsieur l'Abbé et cher Confrère,

« Je vous remercie beaucoup d'avoir bien auguré de ma bonne volonté, mais hélas ! dans la question que vous me soumettez, la lumière manque complètement, à moi d'abord, et à d'autres aussi, je le crains bien du moins.

« La marmite en bronze, dont vous m'envoyez le dessin, est chose vulgaire en archéologie ; toutefois, ce n'est pas chose éclaircie. A ma connaissance, votre marmite est la septième de ce genre trouvée dans la Seine-Inférieure. Je crois que le Musée de Rouen en possède au moins cinq. En tout cas, voici dans quel ordre et dans quelles localités elles ont été découvertes : à Lillebonne, en 1856; aux Loges, près Fécamp, en 1843; au Val-de-la-Haye, près Rouen, en 1846; et à Tourville-la-Chapelle, près Dieppe, en 184.7. La sixième a été recueillie à Vatteville-la-Rue , en 1859'.

« Le Musée d'Abbe ville en possède aussi cinq, trouvées dans l'arrondissement communal de ce nom. M. Houbi- gant, de Nogent-les-Vierges (Oise), en a deux dans sa collec- tion, l'une trouvée à Riaux, près Liancourt, en 183-4, et

Cette marmite moins grande que les autres avait une anse en fer et elle contenait un chandelier ou porte-lampe en cuivre. Elle est conservée chez M. le docteur Gueroult, à Caudebec en Caux.

CONSEUVÉKS DANS QUELQUES COLLECTIONS ARCIlliOLOGIQUES. 121)

l'autre aux environs du Cani}) de Cnteiioy, près (lermont (Oise).

M Dans les reproductions qu'il a faites des objets qui com- posent sa collection d'antiquités bellovaques, M. Houbigant fait figurer parmi les objets romains ou gallo-ronuiins qu'elle renferme, une marmite et un chandelier. Au bas de la planche on lit cette attribution : « Marmite et flambeau trouvés près du Camp de Catenoy. On croit que ces objets étaient à l'u- sage des soldats et qu'ils sont du Bas-Empire. » J'ai hâte d'ajouter que rien ne semble motiver cette assertion. Le Musée de Nantes renferme une marmite recueillie dans les marais de Donges (Loire-Inférieure). Le Catalogue de 1856 la qualifie de gauloise ', mais sans motif ni fondement.

« M. de Caumont me paraît beaucoup plus sage quand il dit dans son Bulletin Monumental, t. xxiv, p. 9 : « Il existe « à Poitiers et dans beaucoup de musées, des vases en cuivre « montés sur trois pieds comme nos marmites et sur l'âge des- « quels je n'ose encore me prononcer, (^elui que je reproduis « aurait été, d'après l'indication du Catalogue manuscrit^ « trouvé dans un cercueil, à Saint-Maurice de Gençay « (Vienne). »

» Maintenant, Monsieur l'Abbé, il faudrait examiner et discuter les faits, afin de savoir quelles conséquences on peut tirer de ces prémisses. Par elles-mêmes, ces marmites ne disent rien; elles ne portent ni date, ni attribution, ni carac- tère distinctif quelconque. Le milieu dans lequel elles se trouvent peut seul éclairer leur origine. Or, la plupart sont trouvées en terre ou dans des marais, ce qui ne détermine rien. Quelques-unes ont été rencontrées avec des chandeliers

' GuÉRACD et BAKEi^iTEAC, C'aUiloguc du Musée archéologique de Nantes, publié en 1856, p. 91.

TOMK Y!. 10

130 NOTES SUR LKS MARMITES EN DUONZE

de bronze renfermés dedans. Ainsi en fut-il h Uiaux (Oise), en 185i, et aux Loges (Seine-Inférieure) , en 1845. {fîg. 2 et

h

3.

Lfis Logos (pics Fécamp), J845.

3). Mais les chandeliers ou pieds de lampes eux-mêmes sont mal-aisés à déterminer. On en trouve de semblables jusqu'au XIV« siècle'.

<< Cependant aux Loges, la matière s'éclaire d'un jour nouveau, car avec trois chandeliers la marmite renferme trois cuillères en cuivre; et sur chacune de ces cuillères figure une fleur-de-lys. Ce signe trahit assez l'époque capétienne et le Moyen-Age chrétien, du moins pour le dépôt des Loges. A présent, tous les autres dépôts du même genre, et non déterminés avec la même précision, doivent-ils rentrer dans cette catégorie? Je ne le pense pas. D'où il suit que pour le cas que vous me proposez, aucune conclusion un peu sé- rieuse ne saurait être tirée sans une connaissance bien ap- profondie du milieu dans lequel gisait la marmite de Saint- Pierre-les-Elbeuf. D'après le peu que vous m'en dites, je

' L'abbé Coublet et H. Duskvel, Rei'MC àe l'Art chrétien, t. m, p. 14-15, .%-:38, pi. J, (Ig 1.

O.OiNSERVÉES DANS QUELQUES COLLECTIONS AIICIIÉOLOGKJUES. 131

suis porté à croire que votre pièce n'est pas antique. Il doit eu être de môme de la plupart de ses pareilles. »

l'aBBE COCHET.

P. S. Ceci était écrit lorsque j'ai eu l'occasion de com- muniquer mes observations à M. West-Wood, antiquaire

anglais d'Oxford. Ce savant archéologue voulut bien m'envoyer le dessin d'une pierre tombale du XIV siè- cle, conservée dans le Musée d'York. On y voit au milieu une croix fleurie à chacune de ses branches, et à droite et à gauche une cloche et une- marmite en bronze sembla- ble aux nôtres. Ces deux instruments, rares sur les tombes chrétiennes du Moyen Age , paraissent à notre savant confrère indi- quer la sépulture d'un fon- deur de métaux. Ce curieux monument était autrefois placé dans l'hôpital de Saint- Mary'sAbbey,àYork(^</.4). De cette pièce il résulterait, ce me semble, qu'au XIV® siècle on fondait encore des marmites comme les nôtres. La longue durée de ces marmites explique sans doute leur abondance dans les collections.

l'abbe c.-t.

Yoik, Musée. Pierre tombale du XIV».

SYMBOLISME du Cantique des Cantiques

S'il nous manquait une preuve pour établir l'autorité du sens allégorique dans les Livres saints, le Cantique des Can- tiques, ainsi nommé par un hébraïsme qui en exprime l'ex- cellence, nous en donnerait une sans réplique. Tl n'en est pas de plus absolue, en effet, puisque rien dans ce Livre sacré ne doit être pris à la lettre, et qu'il faut le lire comme une figure prophétique de la sainte union de Jésus-Christ et de son Eglise. Ce point une fois décidé par l'unanimité des docteurs, depuis Origène, regardé par saint Jérôme comme s' étant surpassé dans l'exposition qu'il en a faite ^, jusqu'à Bossuet et Michaélis dans leurs doctes scholies, on n'a plus qu'à laisser aux excès de la pensée humaine les détestables aber- rations qu'elle osa produire à ce sujet. Qu'à la suite de Théodore de Mopsueste et d'autres ennemis de nos vérités

' Extrait d'un ouvrage inédit de l'auteur qui aura pour titre : Histoire du Symbolisme religieux.

* S. HiKRONVM., Prœfatio in orig. Cantic.

SYMBOLISME TW CANTIQUE DES CANTIQUES. -133

religieuses, Bcze, Gi'otiiis, Voltaire, Renan, vautrent donc leur imagination en de honteuses turpitudes ; qu'ils se fossent de l'Esprit-Saint, de l'Eglise, des âmes les plus pures, autant de complices de leurs calomnieuses traductions... ce liber- tinage impie est jugé ! A Dieu ne plaise que nous le com- battions ici ! mais nous devons dire comment le sens littéral n'est pas admissible, et pourquoi le symbolisme est seul ac- ceptable : double assertion que nous désirons prouver.

Et d'abord, quel est l'objet naturel et obvie de ce poème oriental ?4L)'est un épi thalame composé en vers, dont la me- sure nous est inconnue, comme celle de tous les vers hé- breux; où l'Epoux et l'Epouse, dans un dialogue empreint du caractère enthousiaste de la poésie asiatique, s'expriment une tendresse nnituelle et chantent les douceurs de ce pur amour. La vivacité du style, qu'animent des images aussi colorées qu'inusitées chez les nations de l'Occident et le dan- ger qu'il y aurait eu à livrer cette lecture aux jeunes esprits dont l'inexpérience aurait pu transporter à des idées phy- siques ces expressions mal comprises encore d'une affection toute surnaturelle, avaient fait interdire ce livre aux Juifs eux-mêmes jusqu'à l'âge se pouvaient exercer les fonc- tions sacerdotales ' . Ce n'est pas le seul bon ouvrage qu'on ait éloigner ainsi de certaines intelligences trop peu ca- pables de s'en bien servir. Les premiers chapitres de la Genèse, entr'autres, n'étaient donnés aux Israélites qu'après l'âge de trente ans. Il faut donc s'être entièrement éloigné des véritables sentiments du Christianisme, de la vénération due aux saintes pages d'où jaillissent ses dogmes et sa

' s. HiERON., Prœjatio in Ezechielem. D. Calmet, Commentaire sur la Genèse, in -4", p. 155. Bossokt, Maximes et réflexions sur la Comédie XXI.

134 SYMBOLISME

morale, pour avoir vu dans celle-ci une œuvre purement pro- fane, indigne des constantes inspirations qui dominent tout le reste, sans prendre garde à cette impérieuse alternative qui doit faire adopter tous les livres de la Bible comme ve- nant de Dieu, ou les faire tous rejeter également s'il en est un seul qui n'en vienne pas.

Le consentement unanime fies auteurs dont l'Eglise s'ho- nore, celui des docteurs juifs, qui tiennent ce livre, aussi bien que nous, pour canonique et sacré, l'a fait regarder comme un chant mystérieux inspiré à Salomon , non par son union avec la fille du roi d'Egypte, mais par un esprit de prophétie qui, sous les feintes apparences d'une pastorale, décrit les célestes amours du Christ et de l'Eglise. L'opinion contraire soutenue par l'évoque de Mopsueste, qui préten- dait n'admettre qu'une réalité purement matérielle, parut une impiété aux Pères du second Concile général, tenu à Constantinople, en 555 : elle fut une des erreurs qui firent prononcer sa condamnation ' . La lettre n'est donc rien dans ce poème de la Sagesse éternelle. Il ne faudrait pour s'en convaincre qu'étudier ce qu'en ont dit les plus beaux génies de tous les siècles, et apprécier justement des autorités telles que Théodoret, qui ne peut certes passer pour trop mystique, saint Jean Chrysostôme, saint Cyprien, saint Basile, les deux saints Grégoire de Nice et de Nazianze, le V. Bède, saint Grégoire-le-Grand, saint Bernard, saint Thomas d'Aquin, et d'autres encore, tous suivis par les plus illustres commenta- teurs modernes. Aux yeux de ces grands hommes, le Can- tique est un écrit i)urement spirituel. Ceux qui bazardèrent une explication opposée, et n'y virent que l'expression d'un

* V. Concilium Constantinop. V, apud P. Labbe, ad ann. 553. Tille- mont, Mém. pour servir à l lliUoire ecclésiastique, t. xix, p. 440.

DU CANTIQUE DES CANTIQUES. 135

mariage cliarnel se laissèrent prendre à quelques termes mé- taphoriques, dont un peu plus d'étude et de réflexion leur eût fait découvrir le sens véritable. Les parfums, les baisers, les cheveux, le cou et autres détails tout humains dans l'ac- ception propre des mots, ne leur parurent que des choses sensibles, et cette grossière explication devait amener néces- sairement d'autres idées plus grossières encore... De les orgies d'imagination de Voltaire et de ses complices dont le criminel sensualisme n'estimait rien qu'à la mesure du déver- gondage de leur esprit. Rien n'était plus facile que d'éviter ce piège, s'est perdu leur honneur d'écrivain, en se sou- venant que les autres livres bibliques sont pleins de sem- blables allusions ; que les Prophètes surtout s'en servent à profusion en mille endroits que nous pourrions citer ' , et qu'en suivant la trace des interprètes les plus respectés ils fussent arrivés au même terme sans compromettre ce qu'ils pouvaient avoir de sens commun et de bonne foi. Bossuet fait observer avec la justesse qui le distingue, que le Psaume 44" est dans le même cas et ne peut s'entendre que d'une noce mystique dans laquelle l'union future du Verbe divin se prépare d'avance avec l'humanité qui soupire après lui ^. On rencontre presque à chaque ligne de nos Livres saints des mots et des choses qu'il ne faut prendre que dans un sens indispensablement figuratif. Tel est, entre mille autres, dans notre Cantique, le 4" verset du chapitre ii l'Epouse dit de son p]poux qu'il a réglé en elle l'exercice de la charité ^ Quel autre amour que celui de Dieu, qui implique celui du prochain et celui de soi-même, aurait be-

' V. le chapitre xvj d'Ézéchiel.

- Bossuet, Prœfat. in Cantic. Canticor.

^ Ordinavit in me charitatem (Cant. ii, 4 )

436 SYMBOLISME

soiii (l'être réglé et pourrait l'être? Ou ne parlerait pas en ces termes d'une passion terrestre à qui tout frein est un joug qu'elle supporte impatiemment. Ce n'est qu'en Dieu et dans les choses qui tiennent à lui que se trouvent la modération des désirs et l'usage sagement rîiisonné des sentiments na- turels : ce qui fait dire par saint Augustin , que si quel- qu'un voulait comprendre beaucoup de passages du divin Cantique selon la réalité charnelle, il favoriserait moins en lui la charité véritable qui doit naître du commerce des saintes Lettres, que les sentiments criminels d'une coupable volupté ' .

Quant à l'action qui se développe sous la plume inspirée de Salomon, il paraît bien que ce sage prince a voulu en faire une sorte d'églogue, dont la forme convenait mieux aux usages civils des mariages de son temps. Rien n'oblige de croire que cette forme ait été inspirée, et l'esprit particulier de l'écrivain a pu la choisir dans l'ordre d'idées quilui conve- nait le mieux . Mais il paraissait tout simple qu'une union my- stique fût représentée par l'union naturelle de deux époux, celle-ci ayant été sanctifiée dès le principe par Dieu qui l'in- stitua.

Les personnages de ce petit drame, qui se conduit d'ail- leurs avec autant d'habileté littéraire que de feu, de délica- tesse et de variété, se réduisent à deux, l'époux et l'épouse. Mais leur rôle change et se représente à diverses fois, sous trois aspects diiFérents. C'est ici particulièrement qu'il faut reconnaître la transparence du voile allégorique sous lequel on les retrouve toujours. Tour-à-tour roi et reine, ou bergère

' Velut si quis quani multa scripta sunt in Cantico canticorum cainalitcr accipiat, non ad hiniinosrc chaiitatis fructum, sed ad libidinosai cupiditatis effcctum (S. Aigist. De Spirilu cl iJtleru, c. 3.)

DU CANTIQUE DES CANTIQUES. 137

et pasteur, ou vigneron et simple fille des champs, travail- lant aux soins de la vigne et des jiirdins, on les voit se revê- tir par anticipation des traits que le Nouveau-Testament donnera un jour au Sauveur et à l'Eglise fondée par lui. Et comme il sera roi, d'après sa propre et infaillible parole *, il sera encore le bon ])asteur, le pasteur souverain de tous les bercails ^; il sera la vigne et môme le vigneron^ agissant tou- jours de concert avec son Père, à qui il donne cette qualifi- cation dans l'Evangile ^ Pour l'Eglise, il n'est pas un caracr tère de Jésus-Christ qu'elle ne revête ; elle s'anime de son esprit, elle vit de sa vie; sa mission terrestre n'est que la continuation de la sienne. Avec lui elle est reine ^ ; elle coopère au travail de son époux^ dans le champ Dieu cul- tive, arrose et donne l'accroissement; elle paît les brebis et les agneaux ^.

Ces traits généraux sont parfaitement conformes à l'idée que l'Evangile nous donne du Sauveur et de son Eglise. Ils servent encore à nous démontrer pour une foule d'autres, que l'Esprit saint les a toujours en vue dans le livre que nous ana- lysons. Mais ce qui n'est pas moins merveilleux, et ce qui prouverait que de hautes et saintes autorités l'ont considéré sous le même aspect, c'est le soin que saint Jean et d'autres auteurs sacrés semblent avoir eu de nous montrer, soit dans l'Apocalypse, soit dans les Evangiles, sous les mêmes figures

' Dixit Ei Pilatus : Ergo Rex es ïu i Respondit Jcsus : Tu dicis quia Rox sum Ego (JoAN., xviij, 37.)

^ Ego sum Pastor bonus (Joan., x. 14.) Rex super eos et Pastor unus erit omnium eorum (Ezech., xxxvij, 24.)

^ Ego sum vitis vera, et Pater meus agricola est (Joan., xv, 1.)

* Astitit Regina a dextris tuis, Deus>(Ps. xlix, 10.) Piinceps ipse sedebit in Ea (EzÉcii , xljv, 3.)

'' Pasce agnos nieos.., Pasce oves meas (Joaw., xxi, 16, 17.)

138 SYMltOLISME

de l'Époux et de l'Epouse ce même Sauveur, cette môme Eglise que uous devons voir dans le cantique de Salomon. Après les avoir dépeints sous les mûmes traits dans la parabole des vierges folles et des vierges sages, après avoir rattaché mainte autre comparaison à ce poëme des anciens jours qui semble en avoir éveillé la pensée, ce sont toujours des épouses parées pour recevoir l'Epoux ', des vierges prudentes entrant aux noces avec lui par une porte qui se referme aussitôt ' ; c'est saint Jean-Baptiste appelé Vami de V Époux '\ Ce titre d'Epouse admet nécessairement des conséquences très-appli- cables à l'Eglise dans sa maternelle fécondité. C'est à ce titre qu'il faut lui approprier les paroles de l'Epoux, que « ses mamelles lui sont plus douces que le vin \ N'est-ce pas en effet, comme du sein de l'Eglise que s'épanche en forme de lait nourrissant, la doctrine surnaturelle du salut? Uans douze passages du Cantique cette même expresssion se renouvelle et se plie à des explications identiques. Le moyen-âge l'avait bien compris et le rendit admirablement, entre mille autres sujets d'iconographie dans une des belles verrières de Bourges. A l'un des médaillons supérieurs de cette grande page l'Apocalypse se résume en quinze scènes des plus significa- tives, on voit représentée une reine assise, vêtue de rouge et de vert (charité et régénération), comme fort souvent le Sauveur, et laissant paraître à découvert ses deux mamelles deux hommes puisent de leur bouche la vie et l'immorta- lité. De ses deux mains étendues elle tient sur leur tête une

' Sponsam paratam sponso suo (Apoc. xxl, 10.) Rapprochez ce que nous disons ici do notre explication de ce passage de l'Apocalypse, ci-après.

* Virgines quae paratae erant intraverunt ad nuptias, et clausa est janua (Math., XXV, 10.) ,

"' Amiens Sponsi (Joan., ix, 29.)

* Meliora sunt ubera tua vino (Cant. iv, 10).

DU CAISTIQUE DES CANTIOUES. i'i\)

cguroiinc. C'est rcniblcmc de l'éternelle récompense accor- dée an saint empressement des enfants de Dieu vers les biens surnaturels. C'est en môme temps la traduction du Cantique : Meliora sunt ubera tua vino ; et celle d'Isaïe engageant les amis de Dieu à puiser aux mamelles de ses consolations^ à sa- vourer ce torrent qui les inonde de gloire^ à se faire porter sur ses genoux, et suspendre à son sein ' . On voit que tout ici respire le sentiment d'une mère, et combien tant de passages s'expliquant naturellement Tun par l'autre, rendent aussi très-naturel le sens chaste et honnête qu'il faut toujours donner à la parole de Dieu.

Voyons maintenant comment une fois entré dans ce fond de pensées allégoriques, le poëte doit simplement en élaborer les détails et ajuster à son sujet les ornements qui en dépen- dent. Qui n'a point remarqué jusqu'à quel point de singu- larité, explicable seulement à ceux qui prennent au sérieux les études bibliques, s'élève la poésie de l'Orient? Son langage ne connaît rien de trop expressif. Pas d'images donc qu'elle n'admette, de formes hardies qu'elle ne choisisse, de simple objet qu'elle ne colore, de limites grammaticales qu'elle n'excède. Cette vivacité de trait, favorisée par une nature toujours bouillante des ardeurs locales, se révèle à chaque page et s'empare d'un choix de termes, dont s'étonne l'imagination plus froide denos pays tempérés. Mais, de même qu'en lisant les poètes du Nord, comme ceux du moyen-âge ou de la basse latinité, il faut faire la part du caractère du peuple qui s'y reflète, apprécier ses habitudes propres et ses idées na-

' Sugatis et repleamini ab ubere consolationis ejus, ut mulgeatis, et deliciis affluatis ab omnimoda gloria ojus... Declinabo super eani (Jérusalem , autre Symbole de l'Église et de lame fidèle ) quasi fluvium pacis, et quasi torren- tem iuundantem gloriam gentiuni quain sugetis ; ad ubera purtabimini, et super gciiua blandientur vobis (Isaie, Ixvj, 11 et 12.

140 SYMBOLISME

tionales, dont le style se ressent toujours : ainsi faut-il jugier la poésie des Hébreux d'après les influences de leur ciel qu'elle a subir. Partout la littérature ressemble à certaines plantes indigènes : leurs dispositions générales, l'agencement des feuilles, des pétales et des corolles, la forme et l'attitude des fleurs et des fruits qu'elles étalent, ont une certaine ex- centricité, plus ou moins étrange à ceux qui n'habitent pas les plages elles s'épanouissent: elles n'en ont pas moins leurs beautés réelles que goûte une analyse raisonnée et qui élève notre âme au ciel avec leurs parfums et leurs couleurs. Mettons-nous donc, pour juger sainement des poèmes de la Bible, au point de vue du peuple qui les écrivit. Saisissons l'esprit de son langage si expansif dans la concision ferme de sa phrase énergique ; et nous serons moins étonnés des scènes vivement colorées de l'auteur, et du tour littéraire qu'il leur donne. Jusqu'alors, ni depuis, aucun époux ne s'était avisé de comparer son épouse aux plus belles cavales du char d'un prince, ses joues à celles d'une tourterelle, ses yeux à ceux d'une colombe; encore moins ses cheveux à un troupeau de chèvres, et ses dents à une réunion de brebis tondues, puri- fiées dans le lavoir ' . Mais toutes ces similitudes s'expliquent aisément pour quiconque a l'expérience des bestiaires trans- mis par les anciens à nos pères du moyen-âge. On reconnaît par une foule de souvenirs en quelles proportions peuvent plaire à un jeune homme les allusions tirées de la vitesse pro- verbiale des coursiers de l'Orient, l'élégance modeste et l'in- violable fidélité de la tourterelle. Le troupeau de chèvres rap-

' Equitatui meo in cuiribus phaiaonis assimilavi te, arnica mea, pukhrse sunt genaj tu;i! sicut turturis (Cant. i, 8 et 9). Oculi tui columbarum... Capilli tui sicut gt'cgi-s caprarum, quïe asconderunt de monte Galaad. . . Dentés tui sicut gregcs tonsaïuni quue asconderunt de lavacio.. (Ib., iv, 1, 2.)

DU CAMTIUUE Hliï^ CAMIUL'KS. 141

pelle cette indépendance de lu volonté ([ui ne s (MK^lniine qu'à un objet aimé *. Kt dans tout cela ne voit-on pas autant de traits fort convenables au cœur d'un Dieu qui, en se taisant homme, a consenti de même à lier sa toute puissance, et à consacrer dans l'union intime qui l'attache à notre nature réformée par lui les plus tendres preuves du plus généreux amour ?

De son côté, l'épouse ne reste pas au-dessous de ces har- dies métaphores. Le nom de son bien-aimé est comparé à l'onction d'une huile parfumée ; lui-môme, il est une grappe de raisin de Chypre dans les vignes d'Engaddi, un chevreuil, un faon de biche ^ . Et ainsi dans tout le cours de cette fraîche et naïve pastorale tout ce que la nature crée de vif et de gracieux, d'agréable et de beau, tout ce qu'estiment les per- sonnages divers qui se succèdent, pauvres ou riches, rois ou bergers, dans ce drame plein de mouvement et d'effet, est successivement adapté par le poëte à la situation changeante de ses héros. De là, l'intervention si fréquente de ces mille objets de comparaison qui rapprochent d'eux les plantes aro- matiques, les oiseaux, les détails de la vie champêtre, et le luxe des habitations royales, et l'opulence des meubles et des habits. Le lys des champs, la fleur des vallées deviennent les emblèmes de la simplicité de l'épouse et de la pureté de son cœur. L'Epoux est beau comme le cèdre et le palmier. Le lit nuptial s'embellit de colonnes d'argent; le marbre, le bois précieux, les baumes les plus exquis ornent et parfument leur demeure. On voit briller sur leurs vêtements l'or et le

' V. Tous les Bestiaires ou Pkisiologucs donnés par le Moyen-Ago : Hugues de Saint- Victor, Théobald, Guillaume-le-Noimand,et beaucoup d'autres dont nous parlerons.

* Oleum effusum nomen tuum (Cant, i, 2.) Botrus Cypri dilectus meus, in vineis Engaddi (i, 13.) Similis capreae hinnuloque cervorum (ii, 10.)

14-2 SYMDOLISiME

saphir; l'hyaciiitlie et l'ivoire s'y mêlent et témoignent, connue tout le reste, des vertus intérieures dont ces pamres ne sont que la noble et riche expression. Il est clair que de telles bouches ne distillent que des rayons de miel ; de tels époux ne peuvent se nourrir que du vin le plus pur et du lait le plus exquis. Dans leurs jardins ne croissent que des arbres choisis, aux fruits délicieux : la vigne féconde, l'at- trayante grenade, l'olive et la noix h l'huile abondante et pure. Et remarquons bien qu'il n'est ni un de ces fruits, ni un de ces arbres qui n'ait dans la flore morale, dans la bota- nique sacrée, une signification toute mystique, sur laquelle nous aurons occasion de revenir.

Au jugement de plusieurs interprètes que résument D. Cal- met, dans la préface de son commentaire littéral, et Bossuet dans son exposition latine, l'action racontée par le poëte hé- breux se divise en sept journées, et fait allusion en cela aux usages suivis dans les mariages des Orientaux. On sait que chez les Israélites en particulier, les cérémonies de noces se prolongeaient pendant sept jours, ce nombre sacré étant donné par une raison symbolique à l'œuvre importante qui devait perpétuer celle de la création. Ce rite fut exactement observé dans les mariages de Jacob, de Samson et de Tobie. encore une foule de paysages se rapportent évidemment à ces habitudes qu'on pourrait reconnaître, de nos jours même, dans ce pays aux mœurs constantes et immobiles. Les voyageurs modernes constatent cette persistance des antiques mœurs patriarcales parmi les arabes de la Palestine. Outre que le langage de ces peuples est plein de figures et de pa- raboles, le cérémonial du mariage ne diffère que par quelques omissions insignifiantes de celui que nous lisons dans l'histoire des temps bibliques.

Un ancien consul de France envoyé par Louis XIV dans

DU CAM'IQl'l-; bliS TA^tTIOlES. 14.'}

le Levant a pu y leniarquer ces usages des populations mu- sulmanes, chez lesquelles se sont conservées les traditions des premiers temps, et il observa que tout se passait à une noce dont il fut témoin selon la description du Cnu- tique des cantiques. Il y vit l'épouse se tenaut debout', at- titude officielle, indice de la haute opinion qu'on se faisait de son mérite, recevoir les félicitations de plusieurs des in- vités commis à cette charge, et qui tour-à-tour firent l'éloge de sou visage, apostrophant ou ses yeux, ou sa bouche, ou ses joues, ou sou cou, et célébrant ainsi tous les détails de sa personne en des termes hyperboliques tels que ceux qui nous surprennent le plus dans le livre inspiré ^. On con- çoit que dans cette énumératiou la poésie du style ne faisait abstraction d'aucun des détails que repousserait la civilisation européenne, et dont les races primitives n'avaient pas à se scandaliser comme nous. C'est ce qui explique les nombreuses expressions répandues dans le Cantique, le dialogue, parfois si extraordinaire à notre sens, qui s'établit entre les deux époux, et les comparaisons inattendues qui y fleurissent.

Pour peu qu'on ait d'ailleurs l'habitude des Livres saints, et même celle des ouvrages profanes de la littérature orien- tale, il suffit de rappeler en faveur de ces excentricités d'une parole aussi imagée, une foule de textes les choses qui nous semblent aussi délicates ne sont pas traitées autrement, et dont nous ne méconnaissons la portée réelle qu'à dé- faut de cette simplicité des mœurs et de la foi qui faisait tout accepter sans autre importance que celle de la pensée dominante. Il ne faut voir qu'un langage humain, comme celui qu'employait saint Paul pour faire entendre aux Romains

' Astitit Regina a dextris tuis, Deus (Ps., xlix, 10.)

- Le chevalier d'Hervicux, cité par Sacy dans sa Frvfacc de l'Jpocalypse.

M4 SYMBOLISME

qu'après avoir été, dans le paganisnie ou dans le judaïsme à jamais déchus, les esclaves de l'impureté et de la prostitu- tion des sens, ils ne devaient plus consacrer ces mômes membres qu'à des œuvres d'innocence et de sainteté ' . Il n'en est pas autrement quand Dieu établit dans l'institution du mariage que l'homme et la femme deviendraient une même chair -; qiuxnd Ezéchiel, de la part du Très-Haut, rappelle à Jérusalem l'état d'abaissement l'avaient réduite son apostasie et ses passions , les bienfaits divins dont elle avait été l'objet, et la tendre piété dont il protégea sa jeu- nesse en couvrant sa nudité, en purifiant ses souillures na- tives ^ Certes, tout ce contexte est formé d'expressions peu admissibles aujourd'hui dans notre langue, qu'on appelle la plus polie du monde, et qui ne le sera cependant jamais à l'égal de celle des Israélites. Ainsi pourrions-nous citer mille autres endroits.

Qu'y a-t-il donc dans ce style de moins extraordinaire que dans celui du Cantique de Salomon? Et pourquoi, mécon- naissant à dessein, ou par ignorance, une appréciation qui doit se faire jour dans l'interprétation de tous les dialectes,

' Humanum dico pi opter infirmitatom carnis vcstijc: Sicut ciiim exhibuistis membra vestra seivire immunditisc... Ita nunc cxhibcte membra vestra servire in sanctificationem (Rom. vi, 24.)

- Itaque eiunt duo in una carne [Gen., ii, 24.1

* Quando nata es, in die ortus tui, non est preecisus umbilicus tuus, et aqua non es Iota in salutem, nec sale salita, nec involuta pannis... Projecta es super faciem terrse in abjectione animée tuae... Transiens autem per te, vidi te con- culcari in sanguine tuo... Vive, dixi... in sanguine tuo vive... Et grandis ef- fecta... Pervenisti ad mundum muliebrem, ubera tua intumuerunt, et pilus tuus germinavit ; et eras nuda et confusione plena; et transivi per te, et vidi te, et ccce tempus tuum, tcinpus amantiuni, et cxpandi amictum ineum super te, et operui ignominiam tuain, etc., etc. Voir tout ce passage dans Ezéchiel, ch. XV j.

1)1" CANTIOCI': DKS CANTIOrKS. l-io

(les esprits si digues <Vune mitre tache se sont-ils ciTorcés de souiller la pensée divine de lu fange de leurs mauvaises pen- sées? Outre que cette injustice sacrilège avait contre elle les enseignements de la raison, des plus illustres savants, de l'E- glise elle-même, mère assez peu accoutumée à pervertir ses enfants, ces doctes génies de tous les siècles qui brilleront à jamais dans l'auréole du Christianisme, se respectaient as- sez sans doute pour ne transiger avec aucune des moindres exigences de la pudeur publique et de la sainteté des plus chers devoirs. Or, tous se sont unanimement accordés sur cette exégèse de la sainte parole, tous ont blâmé d'une répi-i- mande sévère, soit dans leurs écrits, soit dans les assemblées ecclésiastiques, le téméraire orgueil de ces traducteurs hété- rodoxes qui n'ont voulu voir qu'un sens vulgaire et d'autant plus regrettable dans ces mystiques épanchenicnts du plus chaste amour qui fut jamais. Ne jugeons donc point ces pages vénérables avec le sens de l'homme terrestre et charnel. Remontons à ce mariage saint qui unit le premier homme à la première femme avant la chute originelle; considérons ces noces innocentes dans le caractère élevé que Dieu leur donna, et qui furent eu tout, dit saint Augustin, dignes de l'heu- reuse demeure elles se firent ' ; et nous verrons dispa- raître l'enveloppe matérielle pour ne plus admirer dans cet épithalame sacré que l'union prophétisée de l'Epoux divin et de l'Epouse «• choisie avant tous les siècles » ^; qu'un chant mystérieux honorant dans l'Incarnation l'alliance du Verbe

' Illae nuptiae dignœ felicitate paradisi ; nam quum ordinatè se animus vin- cit, ut iirationales motus ejus menti rationiqué subdantur, si tamen et illa Deo subdita est, laudis atque virtutis est (S. Adgust., De Civitale Dci, lib. xii, c. 23. V. aussi saint Thomas d'Aquin cité par Vives dans sa Glose sur ce passage de ce Père .

* Elegit nos ante mundi constitutioncm {Ei)hes., /. 4.)

' TOME YI . 11.

1 40 SYMBOLISME

avec lu nature humaine, ou avec l'âme juste à laquelle il s'unit également, soit dans ce môme mystère, soit clans la nourriture Eucharistique. Enfin, dans cette terminologie qui blesse au premier abord notre fausse délicatesse, nous n'aper- cevrons plus que des modes d'une langue à part, d'une ac- ception qui n'a plus rien de naturel, et qri ne peuvent se comprendre que par les âmes spirituelles. C'est pour ces âmes seules que l'Esprit- Saint les a dictés. Voulant donner une signification morale à des sentiments physiques , et prédire pour la consolation des justes de son temps les fu- tures destinées de l'Épouse-Vierge qui devait descendre de Salomon selon la chair, il s'est servi des mêmes mots qu'em- ploie nécessairement la parole des hommes. L'amour appli- qué à Dieu n'est pas autre que l'amour ressenti pour la créature, sinon qu'il a pour objet un Etre infiniment plus digne, vers lequel il s'élève tout épuré des émotions sen- suelles. C'est toujours cette même flamme invisible, spiil- tuelle qu'on sent en soi sans pouvoir la définir justement, et dont la chaleur active préoccupe notre cœur d'une fin quel- conque, plus ou moins digne de lui. Ainsi beaucoup d'autres expressions modifient autour de celles-là leur modification propre, y passent à une forme nouvelle, uniquement figurée. La lettre n'est plus là; l'esprit seul y règne et donne une vie bien supérieure à ces choses, à ces paroles qui sans lu^ eussent continué de ramper dans les conditions intimes de leur nature vulgaire.

L'Allemagne du Moyen Age nous a laissé l'héritage poé- tique d'un de ses plus illustres Meister Sanger ou maîtres chanteurs^ troubadours de cette contrée alors si naïve dans la littérature chrétienne. Henri Frauenlob, dont la mémoire est encore vénérée à Mayence, aimait à célébrer dans ses beaux vers, à la fin du XlIP siècle, les saintes et pudiques

1)11 CANTIQUE DKrf CANTIQUF.S. M7

beiuités (le la foiiinie chrétienne dont il prontiit le type dans celles de la Vierge Mère de Dieu. Dans un hymne admirable de sentiment et de poésie, il chante les chastes amours de la Dame vierge et du Seigneur roi qui en a fait sa fiancée. C'est une reproduction très-reconnaissable, sinon une imita- tion fidèle du Cantique des cantiques; et ce poète si mo- deste par sa retenue habituelle, s'empare de toutes les scènes, de toutes les images, de toutes les expressions de l'œuvre biblique, et sa langue s'y prête si docilement à la pensée que nous n'oserions actuellement le traduire sans d'importantes modifications, tant il y manque de précautions et de voiles ! Accuserait- on de téméraires étrangetés cette muse à qui son siècle a décerné la couronne de la chasteté et de la candeur? Disons plutôt que ce siècle n'avait ni les tendances ni les passions désordonnées du nôtre. Les trou- vères et leurs chants plus ou moins licencieux, qu'on oppo- serait peut-être ici à nos raisonnements, ne sont qu'une preuve de notre thèse, et quand on parlait, quand on écri- vait, quand on chantait ainsi sous l'égide sacrée de la plus chaste des religions, il fallait bien que la pensée fût plus pure que la langue ne semblait l'être, et que les poètes, comme les sculpteurs et les peintres, missent beaucoup moins de licence dans celles de leurs œuvres qui nous étonnent, que de pureté naïve dans leurs intentions qu'on n'apprécie pas assez ' .

Il est bien entendu que les auteurs romans que nous si- gnalons ici, ne sont point de ceux qui s'appliquèrent à des

* V. le recueil allemand : Heinrichvon moisscii des Frauenbes. Lciche, Spriicke iind Lieder (Hymnes, Proverbes et Chansons de Henri de Meissen Frauenlobes). V. encore Drecx-Duradieu : Récréations historiques, t. i, p. 129 et suiv.

14f> SYMliOLISME

œuvres profanes. Si le sentiment religieux peut éi)urer la pensée et l'expression qui tendent à un enseignement divin, il n'est que blâmable de consacrer l'une et l'autre à des écrits dont le but est de llatter, en les excitant, les plus déshono- rantes passions.

Loin de nous dune Salomon et la Sunamite. Loin même un roi purement allégorique et le peuple en qui reposeraient toutes ses alFections. Rien de tout cela n'existe dans les deux personnages du poème sacré. Il faut y adorer le souffle divin, appliquant à notre conduite ses pieuses leçons. C'est ce que comprendra quiconque se sera dépouillé, comme dit saint Paul par une autre allégorie, du vieil homme, de ses œuvres sensuelles, et aura revêtu comme une robe de sim- plicité et d'innocence, l'Esprit qui donne la conuiiissance de Jésus-Christ ' .

D'ailleurs, ces raisons d'interdire tout autre sens que ce- lui de l'allégorie, ressortent de l'esprit du judaïsme: car elles existaient déjà chez les Juifs qui ne voulaient rattacher qu'à Dieu et à la Synagogue, aimée de Lui et l'aimant elle-même, les choses sensibles qui symbolisaient cette union, véritable symbole aussi du mariage virginal contracté sur le Cal- vaire^.

Nous avons signalé comme les plus complets et les plus remarquables de tous les deux Commentaires de saint Ber- nard et de Bossuet sur notre Cantique. Ils nous semblent, en effet, réunir à eux deux, quoique avec des caractères di-

' Expoliantes vos veterem hominem cum actibus suis, et induentes novum (Coloss. 111, 9.y

* TiiÉODORET, Prœfatio in C'antic Voir comment saint Isidore de Séville explique très naturellement de la Synagogue et de l'Eglise qui lui a succédé tout ce chapitre vije et viij'^ du Cantique (S. Isid. Hispal. ad app appendix vj. Migm;, t. vij, col. 1130.)

Dl' CAMTIQIJK DES CANTIQUES. 149

vers, ce que les Pères des premiers siècles ont dit de plus substîintiel et de mieux approprié au sujet. Tous deux s'ac- cordent, avec leurs devanciers, sur le point culminant de l'interprétation, et n'y voient qu'une continuelle allusion à la vie spirituelle de l'Epoux mystique et de l'Epouse qui règne avec Lui sur le monde régénéré des âmes chrétiennes. Bossuet, plus docte dans ses recherches, plus occupé du sens nsiturel des mots, résout les difficultés grammaticales en même temps ([ue celle de l'exégèse ; par il aide à une tra- duction exacte; il sauvegarde l'intégrité du texte, il n'ou- blie rien de ce qui en élucide les obscurités. Nous ne croyons pas qu'il soit possible de. rapprocher plus ingénieusement que ne l'a fait ce grand génie, les passages bibliques analogues à ceux qu'il creuse et approfondit. Mais c'est toujours au sens allégorique et spirituel qu'il tend et qu'il arrive; c'est par qu'il perfectionne l'examen de chaque verset. Avec ce beau Commentaire, en un mot, on va jusqu'au fond de la phrase, on comprend la lettre et on adore ri]sprit.

Saint Bernard, pour être moins érudit, s'attachant moins au dehors historique, se dégage d'autant plus de la lettre, et spiritualise tout ce qu'il dit. Pour cette âme habituellement nourrie aux sources de la contemphition solitaire, c'est évi- demment le mysticisme qui doit dominer la pensée interpré- tative : il s'y adonne exclusivement, et fait de son Com- mentaire l'un de ses plus beaux ouvrages, tant par la piété onctueuse que par le génie de son intuition ascétique. Ele- vant ses pensées aux choses du Ciel, il prend occasion d'une phrase, d'un mot, pour établir une suite de considérations pratiques qui reviennent toutes à l'avancement de l'esprit et du cœur dans les voies de la perfection évangélique. Le saint Docteur a donc fait un livre de la plus haute utilité pour les âmes appelées de Dieu à la vie intérieure. Aussi, ce livre

J50 SYMBOLISME

a-t-il mérité sur tous les autres de môme genre, dus à cette plume si laborieuse, la préférence des meilleurs juges '. C'é- tait, en partie, le fruit des méditations de l'abbé de Clair- vaux, lorsque en 1155, après ses fatigues en Poitou, pour les aifaires du schisme de Gérard d'Angoulême contre le pape Innocent II, rendu enfin à sa chère solitude et caché dans une cabane de ses grands bois ', il fut amené par les événe- ments auxquels il avait pris une si grande et si glorieuse part, à considérer dans l'Eglise, battue par tant de tempêtes, cette Epouse obscurcie, il est vrai, aux regards des hommes, par l'éclat trompeur du soleil de la terre', mais toujours belle de ses grâces intérieures, aimée d'autant plus, et d'autant plus glorifiée par l'Epoux céleste, qu'elle était méconnue de ses propres enfants qui l'outrageaient, par ses protecteurs naturels qui la dépouillaient du sacré vêtement de sa foi * . De ces saintes et mélancoliques pensées, renfermées d'abord dans l'âme du pieux anachorète, naquirent des développements communiqués bientôt à l'âme de ses religieux qui l' écoutaient chaque jour aux conférences du monastère; ce qui fit que peu après, un autre Bernard, prieur de la Chartreuse-des-Portes, en Bourgogne, lui demanda pour lui et ses frères, une copie de ces édifiantes instructions ^ On voit par les lettres du Saint qu'il s'y refusa longtemps, ne comptant point faire un ou- vrage de ces simples instructions destinées seulement aux

* SixTus Sepjeînsis, Bihliotheca sancla,\\h. iv.— GrKRiiices, abbas Igma- ccnsis. Serm. 3, de SS. apostol. Petro et Paulo.

* Inlroductio in app. S. Bernardi ; init. t. i, lib. ii, c. 6.

•* Nigra suin sed formosa (Cant. i, 4.)... Nolite considerare quod fusca sum, quia decoloravit me sol {ib. 5.) Voir l'exposition plus au long do ce Nigra sum, dans le serm. xxvj.

* Custodes perçusse lunt me, et vulneraverunt me ; tulcrunt pallium nieuiu (Cant., V. 7)

» S. Bjcun, Epistola^ 141, 153 et 154, pp. 70 et 109, t i.

DV CANTFQUE DES CANTIQUES. 451

Ames qu il gouvernait. Cependant de nouvelles instances triomphèrent de ces difficultés; il céda, et c'est ainsi que furent écrits, en plus grand nombre, les sermons sur le Can- tique des Cantiques'. Car, étant mort en H 53, et les 45' et 46" faisant allusion à l'hérésie de Pierre de Bruys, qui mouidten H 47, on ne peut douter que cette année-là en- core, et peut-être aussi pendant les six autres qui suivirent, il ne continua ses entretiens sur la même matière. Quelques- uns de ces derniers appartiennent, d'après ses biographes ^, à Gilbert Hoylandus, moine de Cîteaux, dont les souvenirs et le style ont pu nous transmettre ce qu'il avait entendu de la bouche du saint et éloquent abbé.

Dans ce travail, dont chaque sermon est proprement un chapitre et qui forme par son ensemble le IIF tome de l'édition de 1 679, les inductions morales, les règles pratiques ressortent du texte avec les considérations affectives d'un cœur inspiré. Quiconque le lira dans les conditions que l'auteur exige en commençant, y trouvera un charme qui va jusqu'à la séduction et qui retient le lecteur, comme malgré soi penché sur ces pages si douces ^ Telle dut être l'attention religieuse de ces hommes d'élite retirés avec saint Bernard dans le silence de leur ombreuse vallée, lorsque après les fatigues de chaque journée, rangés le soir autour de lui sous les voûtes romanes d'une vaste enceinte au jour assombri, saisis par le respect

' Sixte de Sienne s'est trompé en attribuant les 86 discours à la dernière année de la vie de saint Bernard. L'éditeur de Lyon que nous suivons (1679, 6 tom. en 2 vol. in-f"), a restitué leurs véritables dates à une grande partie d'entre eux au commencement du t. m, verso du titre (I*'" vol. p. 274.)

* SixTK DE Sienne, loc. cit.

s Ante carnem disciplinse studiis edomitam et mancipatam spiritui ; ante spretam et abjectam sseculi pompam, indigne ab impuris lectio sancta prae- sumitur [Serm i, n" 2.)

152 SY.MDOLlS.Mn

des Écntures et par la présence de, ce grand Saint qui domi- nait ce cloître comme son époque, ils écoutaient les révéla- tions du livre divin, pleins du recueillement nous devrions tous le lire et le méditer. Comme cette transformation des choses humaines en pensées divines devait alors leur paraître belle ! Comme la foi devait les élever au-dessus des sens et de la simple raison sous la pénétrante influence de cette ma- jestueuse parole ! et comme ce symbolisme inattendu, ex- primé du texte en un torrent de science sacrée, était bien propre à jeter d'avance à ces âmes pures et recueillies, avec le méi)ris des voluptés mondaines, quelque rayon précurseur de la lumière du Ciel !

Si accoutumé, en effet, (pi'ils pussent être à l'étude du symbolisme, auquel nul d'entre eux n'avait pu jusqu'alors demeurer complètement étranger, comme le font supposer plusieurs passages de ces allocutions ', ils devaient peu s'at- tendre d'abord à ce renversement absolu de leurs perceptions ordinaires, à voir surgir de tant de mots difficiles à manier, de tant de positions si périlleuses à l'homme charnel, ces vives fleurs de piété, ces douces leçons de chaste pudeur. C'est que plus l'expression paraît gênante, suspecte aux oreilles des profanes, plus elle devient facile et nette dans cette large et étonnante traduction, dont chaque ligne trace un emblème de la vertu, dont chaque mot est pris à partie, et se change en quelque précepte inespéré. Cherchons-en une idée exacte par quelques citations de cette aimable et ingé- nieuse habileté.

« D'où vient, dit-il en commençant, d'où vient à cet écrit de Salomon le nom de cantique des cantiques, qui n'est donné à aucun autre dans l'Écriture? Moïse, Débora, Judith, la

' Voir ht Cuniuv, Scnii i. n" 6 et 7

nu CANTIQUE DES CANTIQUES. 153

mère de Samuel, d'autres proplictes nous ont laissé des chants : aucun d'eux n'est décoré de ce titre. Salomon lui-même ne prétend pas faire du sien le témoignage de sa reconnaissance pour .la gloire et les richesses qu'il tient de Dieu, pour la paix qui immortalise son règne, pour la sagesse qu'il avait pré- férée à tout. Son cantique a un objet bien supérieur, et il le désigne par un caractère d'excellence, parce qu'une ins])i- ration divine y célèbre les louanges du Christ et de son Eglise, la grâce d'un saint amour, le mystère d'un mariage éternel. soupire le désir de l'âme sainte dans son épithalame spi- rituel. C'est le plus beau de tous les éloges, mais dont le sens n'est que figuré, car le poëte sacré y voile sa face comme Moïse, personne alors ne pouvant encore supporter de son regard l'éclat radieux de cette face divine ' . »

Bientôt, le saint baiser que souhaite l'épouse au commen- cement du 1" chapitre ' devient le symbole des ardentes as- pirations de la Judée vers 1-e mystère promis de l'Incarnation. De là, le saint commentateur passe au sens moral : il veut que l'âme chrétienne aspire également au saint baiser de Jé- sus-Christ qu'à présent elle possède. Comme elle l'aime quand elle l'a goûté ! Comme elle souhaite d'y revenir ! Mais ce bon- heur n'est point à celle que charge encore le poids de ses pé- chés, que dominent les passions de la chair, qui recherche d'autres jouissances que celles de l'esprit. Et comme il y a divers degrés dans la perfection par laquelle on s'élève à Jé- sus-Christ, et au bonheur tout spirituel de le connaître et de l'aimer, ce que saint Bernard appelle le saint baiser de sa bouche pure et sacrée, '< il y a aussi, ajoute-t-il, avant d'ar-

' In Cantico, serm. i, n" 5.

- Osculetur van osculo oris sui, quia moliora sunt ubeia tua vino (Cant. r, 1.

154 SYMBOLISME

river à cette grâce suprême, de moindres bonheurs qu'il faut mériter et obtenir. Ame convertie, épouse nouvelle du Sei- gneur, n'aspirez donc tout d'abord qu'au pieux baisementde ses pieds, prosternée avec le publicain, rampante avec Ma- deleine pécheresse; témoignez ainsi votre repentir, versez sur ces pieds divins des larmes qui vous purifient, devenez ainsi une de ces brebis qui remontent du lavoir dégagées, comme des sou'llures d'une toison onéreuse, des affections mondaines et de l'attache aux vanités. Cette humble confes- sion vous vaudra d'entendre les consolantes assurances de la réconciliation que vous cherchiez: vos péchés vous sont re- mis; relevez- vous, fiille de Sion, de la poussière de votre es- clavage. »

De là, le pieux symboliste passe à un second degré de la vie intérieure: c'est le second baiser; c'est celui des mains sacrées de Jésus-Christ. On n'y arrive qu'en persévérant dans la pureté recouvrée à ses pieds, qu'en veillant de près sur soi-même, afin de ne plus souiller la robe d'innocence qu'a- vait rendue la miséricorde du Sauveur. Parvenu donc à ces mains bienveillantes, on trouve dans l'humble baiser qu'on leur donne une force supérieure pour s'élever à d'autres ver- tus. « Alors ce sont ces mains pleines de grâce qui versent à l'âme l'énergie de la continence, les fruits de bonnes œuvres, le courage d'entreprendre toujours plus. L'humilité accom- pagne ces dons et les couronne, car ce n'est point de soi- même qu'on les a acquis. Et si on les a reçus, comment pourrait-on se les attribuer? »

Mais voici l'heureux succès de ces dignes efforts qui se complète. Après ces faveurs saintement reçues, on peut en désirer de plus grandes. Les grâces de choix autorisent à une plus active confiance, etnous arrivons à ce baiser, chaste et précieux indice d'une union parfaite, dans laquelle l'E-

DU CANTIQUE DES CANTIQUES. 155

poux des Vierges nous conmiunique tout sou esprit, qui ne fait plus qu'un avec le nôtre ' . »

Cette affluence de pensées, cette abondance de dévotes théories règne ainsi du commencement à la fin de cette belle exposition. Ce baiser pacifique inaugurant dans l'œuvre de Salomon, roi de la paix^ tout ce chant nuptial de l'Agneau divin, fournit, comme une source intarissable, la matière des neuf premiers discours de saint Bernard, et y devient l'occa- sion d'une merveilleuse glose, en étendant les trois prin- cipes susdits du progrès de l'âme dans la spiritualité, on voit la nature de Dieu et celle des créatures spirituelles et corporel- les définies avec un admirable mélange de sublimité et d'onc- tion, la Miséricorde et la Justice caractérisées dans les termes de la plus haute et de la plus claire théologie, l'esprit de la piété monastique fortifié dans la pratique de l'amour divin par l'étude des meilleures règles de la psalmodie et de l'oraison. Et tout le reste du livre marche avec cette même richesse d'imagination, cette même justesse de rapprochements, jus- qu'à devenir un traité, le plus complet qu'on nous ait jamais donné peut-être des exercices de la perfection chrétienne et religieuse. Et parmi ces riantes fieurs jetées avec autant d'art que de simplicité dans cette fraîche composition, on entend le saint Docteur frapper de sa charitable éloquence le relâche- ment et la paresse, exalter la ferveur, encourager le faible, exciter le fort, faire ressortir tant de mouvements divers d'un fond qu'il sait accommoder à toutes les situations de la vie parfaite. Parfois môme il y trouve une source de tendresse affectueuse d'où son âme s'élance tout entière avec une tou- chante effusion de sentiment. Ayant par exemple à expliquer le verset du I®"" chapitre^, il fait remarquer le mot Cedar,

' In Cant. serm. m.

' Nigra sum sed formosa sicut tabeinacula Cedar, sicut pelles Salomonis,

15G SYMBOLISME

qui signitic en hébreu les ténèbres ; il le rapproche des lenLes de Salomon^ image, par leur beauté mystique, de la vie cé- leste des élus, et s'étend sur les ténèbres morales de cette vie passagère, nous habitons comme une tente ce corps mortel, dont l'âme immortelle doit s'échapper un jour vers la demeure impérissable de sa vie à venir. Pendant ce séjour de la terre, l'âme contracte toujours quelque tache qui ternit l'éclat de sa beauté : Niyra sum. Le commentateur déplore donc les maux de cet exil, tout fait naître pour le cœur humain tant d'amertume, et prend de occasion de s'é- pancher sur la mort de son frère Gérard, moine de Clair- veaux, qui vivait avec lui sous la règle commune, et que les plus belles qualités rendaient si digne de ses regrets. Ce dis- cours prononcé en 1158 est le vingt-sixième. On croit y entendre les lamentations d'un prophète. Tout y est saisis- sant de sentiment fraternel et de religieuse résignation. Les accents de cette douleur si profonde et si vivement exprimée expliqueraient tous seuls quels éléments de charité s'entrete- naient au foyer de ce cœur si aimant et si pur.

Nous pourrions en prolongeant cette analyse faire un gros livre. D'autres ont déjà traité au long cette matière que nous ne pouvons qu'effleurer. Mais en fait d'explication de ce livre et de l'Apocalypse dont nous essaierons au même point de vue un plus ample développement, nous recommandons surtout celle qu'en a donné en ces derniers temps une pieuse anonyme d'Italie, pauvre et sublime religieuse d'un couvent de Naples, vivant avec l'Esprit de sagesse en de merveil- leuses communications. Cette exposition, approuvée de plu- sieurs maîtres fort savants dans les choses spirituelles, ren- ferme une application symbolique de ce beau cantique aux secrets les plus élevés du mysticisme chrétien. Ce sont des lu- mières nouvelles et inattendues qui viennent encore indiquer

DU CANTIQUli DES CANTIQUES. J 57

le livre divin comme une source véritable et sûre des plus ravissantes contemplations ' .

Notre but devait être différent, et en le poursuivant sans préoccupation aucune de la vie ascétique, nous avons pu, croyons-nous, démontrer au moins l'esprit symbolique d'une des plus belles églogues de la Bible. C'est beaucoup de voir saint Bernard s'y recueillir avec tant de vénération et en faire un tel profit. On s'est tant efforcé de ranger le pieux docteur parmi ceux qui n'avaient que faire du Symbolisme; on l'a revêtu malencontreusement d'une si étrange igno- rance du langage figuré de la sculpture chrétienne de son siècle, qu'il est utile à notre cause d'avoir prouvé que ce grand génie du XIP siècle admet bien réellement avec la tradition catholique, si bien connue par lui, cette règle impé- rieuse autant qu'immuable de l'exégèse chrétienne.

l'abbé auber

Charoine de l'église de Poitiers.

' V. Explication des saintes Ecritures par une servante de Dieu, Le Can- tique et V Apocalypse, publiés par D. Luigi Navano, t'. F"", avertissement, in 8°, 1855.

BiBLiOGRAPHIE

HISTOIRE DE SAINT FIRMIN, Marti/r, premier Evêque d'Amiens, ■par M. Charles Salmon. Arras, Rousseau- Leroy , 1861, ^-8° de 523 pages. [10 fra7ics.)

L'examen superficiel de la Collection des BoUandistes, étalée sur les rayons d'une bibliothèque, ferait peuser un moment que l'ha- giograpliie a dit son dernier mot : l'étude sérieuse de ces in-folio compacts mène à un sentiment opposé ; elle montre que tous les fruits d'une érudition trois fois séculaire ne sont pas encore venus à maturité. Si les personnages que la Religion a mis sur l'autel ai- mèrent Dieu par-dessus toutes choses, ils aimèrent aussi beaucoup l'humanité, et celle-ci a contracté à leur égard une dette de recon- naissance qu'elle ne saurait trop payer. La plupart des Saints ont mérité des statues sur la place publique ; on s'était jusqu'aujour- d'hui contenté de leur en élever dans les temples, notre époque a trouvé l'hommage insuffisant, et saint Bernard, monté sur le pié- destal de Dijon, étend sa main de bronze pour appeler autour de lui, Martin, Rémi, Amand, Vaast, Omer, Bertin et cent autres aux- quels nos pères sont, comme nous-mêmes, redevables d'une double félicité. L'histoire des Saints primitifs, c'est l'histoire du progrès chez les nations modernes, de la lutte du bien contre le mal, de la civihsation victorieuse de la barbarie, de la vérité écrasant l'erreur. Le beau génie, le grand cœur, le parfait chrétien qui s'appelait Frédéric Ozanam a consigné ces idées dans quelques pages, honneur des lettres et de la science françaises ; M. de Montalembert s'est complu à développer les généralités esquissées par Ozauam : mais leur plan, à tous deux, est trop vaste pour aborder les questions de détail et se restreindre dans les étroites limites d'une ville ou d'une

miîLiuGUAi'im:, IfiO

piovince. Concenlrer raclion religieuse d'iinc cité siii riiDinuio qui lui aunonra la lîonne Nouvelle, c'est à dire la liberté, est une tAche qui demanderait à peu près autant de volumes que l'on compte de grands centres de population eu France; celte tâche, lieureuseracnt, n'exige pas assez d'unité pour incomber à un seul écrivain, elle peut se répartir entre tous les historiens locaux et chacun tl'eux a le droit d'apporter sa pierre à l'édifice commun. Telle a être la pensée de M. Charles Solmon, en offrant à sou pays natal une His- toire de saint Firmin, martyr et premier cvêque (V Amiens.

Firmin,né à Pampelune en Navarre, converti à la Foi chrétienne par saint Honeste et saint Saturnin, cet évêque que saint Pierre en- voya dans les Gaules sous le règne de l'empereur Claude, Firmin, issu d'une maison sénatoriale, était à l'âge de dix-sept ans aussi versé dans les lettres profanes que dans la doctrine catholique. Promu au sacerdoce, puis à l'épiscopat, par saint Honorât qui, après Saturnin, occupa le siège ensanglanté de Toulouse, le jeune Espagnol - il avait alors trente et un ans, reçut avec joie la mission d'aller prêcher l'Evangile aux nations lointaines; patrie, famille, biens terrestres, il abandonna tout sans hésiter pour obéir à la pa- role du divin Maître. Les Pyrénées franchies, Firmin commença son apostolat en Guyenne, d'où il gagna l'Auvergne ; faisant un brusque retour vers l'Ouest, il parcourut successivement l'Anjou et la Normandie : enfin, il pénétra dans la Gaule-Belgique et s'arrêta chez les Bellovaques. Précédemment évangélisé par saint Lucien, compagnon de saint Denys l'Aréopagite, le peuple de Beauvais n'é- tait pas étranger au dogme nouveau, Firmin obtint du succès; bientôt dénoncé au gouverneur Valerius qui reconnut en lui un redoutable adversaire, il fut battu de verges et jeté en prison. Il allait cueillir la palme du martyre, lorsqu'une circonstance fortuite brisa ses chaînes et le rendit aux chrétiens avides d'écouter la pa- role ardente de sa charité. Le danger évanoui, l'apôtre courut en affronter un pire ; quittant les Bellovaques en pleurs, il se rendit à Amiens divers miracles et des conversions multipliées signa- lèrent sa présence. Les Morins encore plongés dans les ténèbres de l'idolâtrie ne pouvaient non plus échapper au zèle de Firmin; inaccessible à la crainte, il aborda résolument cette race sauvage et parvint à y implanter quelques semences de bon grain. Amiens,

i60 mBLiOGRvriiiE,

ioutefois, ville chérie du saint Pontife, ne le vil pas longtemps éloi- gné de son territoire. Au retour de Firmin, les oracles devenus muets, les sacrifices interrompus à la suite de ses prédications pu- bliques irritèrent au dernier point les prêtres des idoles qui portè- rent leurs doléances au tribunal des gouverneurs Longulus et Sé- bastien, Ceux-ci abandonnant leur résidence de Trêves arrivèrent immédiatement chez les Ambiani -poin' combattre le champion sus- cité par le Dieu des Chrétiens. A l'arrestation décrétée contre lui, l'Évèquc répondit en s'offraut spontanément à la colère des Pro- consuls : il confessa généreusement devant eux la Foi de Jésus- Christ, et la récompense ne se fit pas attendre ; un bourreau noc- turne décapita le martyr au fond d'un sombre cachot. Bienfaits et dévouements sortent rarement de la mémoire du peuple ; le corps de Firmin, inhumé par le sénateur Faustinianusdans une sépulture de famille, reçut aussitôt l'hommage des fidèles que de nombreux prodiges attiraient en foule à Abladène. Un jour vint néanmoins, les traces du vénérable tombeau disparurent complètement; on connaissait son existence dans l'enceinte de la Cathédrale élevée par saint Firmin le Confesseur, mais on ignorait le lieu précis qu'il y occupait. Jaloux de rassembler dans la nouvelle église, dont il ache- vait les constructions, toutes les reliques appartenant à l'ancienne, Saint Salve, évêque d'Amiens (VI? siècle) adressa au Ciel de ferventes prières pour obtenir la révélation des restes de son glorieux prédé- cesseur. Dieu consentit à exaucer les désirs de Salve ; saint Firmin le Martyr, exhumé cinq siècles après son trépas, fut renfermé dans un coffre en bois doré et déposé au sein d'une crypte bâtie à cette intention. Vers I HO, les Amiénois, répondant à l'appel de saint Geoffroy, offrirent à leur saint Patron une custode beaucoup plus riche que la précédente; la piété démonstrative du Xfll® siècle fit encore davantage ; en 1204, une troisième châsse, due à l'initiative de Thibaut d'Heilly^ reçut les dépouilles mortelles de Firmin. Cette nouvelle fiertre était d'or pur, couverte de ciselures et de joyaux ; les excès du deinier siècle l'anéantirent, et, si quelques auteurs ne l'avaient pas minutieusement décrite, il n'en serait demeuré aucune trace, faute de dessins.

Les faits dont le résumé précède sont complétés par l'Histoire du culte de saint Firmin en Picardie et en Espagne.

BIBLIOGRAPHIE. 161

M. Salmon expose avec clarté et mélliotlo, et sa narration four- mille de détails cnrienx. Il est seulement regrettable que des récits de miracles et de cérémonies publiques, liés intimement à Thisloire politique d'Amiens, soient noyés ça et dans des longueurs faciles à éviter. Les hagiographes primitifs étaient des chroniqueurs, pré- parant la besogne des historiens futurs; pourquoi l'écrivain, ou- blieux du titre imprimé sur le frontispice de son livre, a-t-il parfois délaissé la sévère concision du style historique pour s'enfoncer dans les prohxités légendaires? Une seconde édition, nous n'en doutons pas, fera justice des inutilités, elle les supprimera.

A côté d'alinéas, un peu trop déguisés en chapitres, surgissent des pages nombreuses l'érudition est servie par une plume ha- bile. Citons eu première ligne un Résumé de l'histoire ecclésiastique de la Picardie, qui sert d'introduction k l'ouvrage. C'est un hors- d'œuvre, il est vrai, mais un hors-d'œuvre excellent, prouvant chez son auteur une connaissance approfondie du sujet. Le cha- pitre VI, Amiens sous la domination romaine, étude consciencieuse, intéressante au plus haut degré, les Recherches sur les monuments de la liturgie de saint Firmin, basées sur des pièces justificatives multipliées à la fin du volume, sont également dignes de louange. Toutefois, le point sur lequel nous nous arrêtons de préférence, et pour le travail qu'il a coûté, et parce qu'il mérite en réalité un éloge sans restriction, est le chapitre XII, intitulé ÉiJoque de la vie et de la mort de saint Firmin. La France et l'Espagne, mises à contribution par M. Salmon, lui ont fourni les arguments d'une thèse soutenue aujourd'hui avec avantage par divers historiens. Tirant profit des savantes recherches de Mi\I. Paillon et Arbellol, de dom Piolin, d'Obanos et de Maceda, récrivain picard a fait pour le diocèse d'Amiens ce que M. le chanoine Robitaille fait mainte- nant pour l'Artois: il s'est efforcé de reculer jusqu'aux temps aposto liques l'introduction du christianisme dans le nord des Gaules. Suivant notre faible jugement, M. Salmon, contraire à l'opinion des Bollandistes, prouve, sauf meilleur avis : que saint Firmin prêcha à Amiens vers la fin du I" siècle; que cet Évêque souf- frit le martyre au commencement du second, sous le règne de Trajan.

L'exécution matérielle de l'œuvre laisse peu à désirer ; ce volume

TOME VI. 12

1G9 BlBLIOGHAPllIE.

de GOO papes prand iu-8" est remarquable sovis tons les rapports. Aussi bien que Paris, la province compte de bons protes, de bons correcteurs, voir même des imprimeurs dégoût; Arras possède quelques-uns de cesderniers, et M. Rousseau-Leroy est du nombre. Félicitons M. Salmon d'avoir rencontré un typographe aussi dis- tingué ; nous devons à leur association un des plus beaux livres sortis des presses artésiennes.

Deux bois, dessinés par l'habile M. Duthoit, ornent l'Histoire de saint Firmin; elle en eût exigé davantage. L'une de ces gravures représente la statue de l'Évèque, au grand portail de Notre-Dame d'Amiens ; l'autre donne la figure d'une ancienne châsse d'argent du XIII" siècle, restituée en 1850 à Mgr de Salinis qui y déposa, le 14 juin 1851, les reliques du premier de ses prédécesseurs.

Quoiqu'inférieure eu richesse à la fiertre de Thibaut d'Heilly, la custode fournie aux reliques de saint Firmin par la piété d'un collectionneur anonyme, est néanmoins une œuvre d'art capitale. Nous ne pouvons donc mieux terminer le compte-rendu d'un ou- vrage trop peu ménagé par nous, l'auteur est de nos amis, qu'en empruntant à M. Salmon la description du monument le plus précieux qui soit au Trésor de la cathédrale d'Amiens. (V. la planche.)

Cette châsse est d'argent, ornée d'émaux, de ciselures et de pierres diverses. Elle remonte à, la fin du XII® siècle ou au com- mencement du XIIP; elle est donc contemporaine de la châsse que le vandalisme de 1793 fit disparaître et qu'elle est venue remplacer.

Comme tous les grands reliquaires de cette époque, elle a la la forme d'un tombeau. Elle est longue de O'^jTo, haute do 0'",48, et de 0'",5-5, y compris les pommes qui la surmontent.

Quatorze statuettes garnissent ses quatre faces ; une adossée à chaque extrémité contre les pignons, six sur chacun des grands côtés.

Les deux pignons et l'arête du toit sont extérieurement bordés d'une crête de 0'",035™, dorée, découpée à jour et très-déhcatement travaillée. L'ensemble est sommé de trois pommes aussi en vermeil.

Au bas de la châsse, une plinthe saillante est ornée d'une guir- lande courante émaillée, reproduite au-dessus et au-dessous des douze statues latérales. Des inscriptions, or sur champ d'émail bleu, remplacent les guirlandes aux pignons.

tllU-HKiJlAIMIIK.

1G3

164 BIBLIOGRAPHIE.

Sur riiii de ces pignons apparaît la statue assise de Notre-Sei- gneur, vêtue d'une robe à larges manches, dont le bord est couvert de broderies. Les pieds du Christ sont nus ; il bénit de la main droite; la gauche qui s'appuyait sur un livre, a disparu. La tigure, haute de 0'",26, est abritée sous une ogive trilobée. On lit à ses pieds en lettres onciales :

t TE. PRECOR. VT. FACIAS. OMNI. ME. CRIMINI. PVDOREM.

Au-dessus .

t UERM. SOPHIA. PATRIS. QUE. REPLES. LUMINE. MUNDUM.

A l'autre extrémité, on voit une statue de femme tenant de la main droite un sceptre; de la gauche, un livre à fermoir et plat ciselé. Cette figure est haute de 0"',23.

En-dessous est écrit :

t FERT. OPPUS. AVTOREM. RETINES. CO. PROLE E. MVNDVM. Au-dessus :

t EN PRETER. MOREM. GENITURA. PARITs GENITOREM.

Les douze figurines, placées sur les grands côtés, mesurent O^IS; elles représentent sans doute les Apôtres, nimbés, pieds nus, un livre dans la main gauche et barbus pour la plupart. Une arcature en plein cintre, reposant sur des colonnettes et dont les tympans sont occupés par des Anges à mi-corps, les ailes éployées, encadre les compagnons du Sauveur.

Un riche bandeau les pierres alternent avec l'émail, contourne les encorbellements du toit, divisé lui-même en trois comparti- ments creux que séparent des bandeaux identiques à l'ornement ci- dessus. Chaque compartiment renferme deux personnages en demi- relief, assis, nimbés et partout les mêmes. L'un desdits personnages qui porte un nimbe double et festonné doit être Notre-Seigneur ; l'autre n'a qu'un seul cercle autour de la tête.

eu. DE LINAS.

CHRONIQUE

Le Ministre de Fliilérieur de Belgique a adressé la circulaire sui- vante aux gouverneurs de province. Nos lecteurs y trouveront d'excellents avis pour la conservation des tableaux qui dépérissent parfois dans les églises, faute de conseils ou d'expérience :

« Bruxelles, le 20 janvier 1862.

« Monsieur le Gouverneur,

« Les précautions que la conservation des tableaux exige, sont simples et d'une exécution facile. L'expérience prouve cependant qu'un grand nombre d'administrations publiques les ignorent ou les perdent de vue.

« Souvent, en effet, la Commission des monuments est appelée à constater le déplorable état dans lequel se trouvent des œuvres importantes, soit à défaut de soins, soit par suite de mesures inin- telligentes.

« A ma demande, cette Commission a résumé les points qui doivent être spécialement signalés à des administrations commu- nales, des conseils des hospices et des bureaux de marguilliers :

« L'humidité est, pour les productions du pinceau, l'un des agents les plus actifs de destruction : elle difforme les panneaux ou consomme la toile et fait éclater la peinture par écailles. 11 faut toujours que l'air circule derrière l'étendue entière d'un tableau. Une légère charpente en bois peut être utilement établie pour pré- server une œuvre de grande valeur, des inconvénients que présente la proximité d'un mur souvent humide et quelquefois salpêtre ;

l()t) nilUiJiNiuuE.

« 2" L'aclioii du soleil est funeste et rapide. Les ravages qu'il cause sont profonds et parfois irréparables.

« Des réclamations fréquentes se sont élevées contre l'habitude de placer des rideaux devant les tableaux. On peut, jusqu'à un certain point, obtenir un résultat équivalent en plaçant des stores aux fenêtres par lesquelles le soleil pénètre, ou en couvrant le vi- trage d'une couleur blanchâtre et mate ;

a 3" Autant que possible, il faut éloigner les cierges des ta- bleaux.

« La fumée grasse de ces cierges forme, avec la poussière et rimmidilé, une matière gluante qui ternit bientôt l'éclat de la couleur.

« Le voisinage des cierges donne naissance à d'autres accidents, et l'on pourrait citer des tableaux qui ont été troués par les élei- guoirs ou endommagés par la chute de gouttes de cire brûlante;

« La poussière et les traces d'humidité doivent être enlevées à de fréquentes reprises et avec une délicatesse infinie. On doit, pour cette opération, employer du linge fin hors d'usage ou des morceaux de vieux foulard. Il faut éviter surtout l'application d'une huile quelconque destinée à rendre aux tableaux un éclat momen- tané. Cette huile s'imbibe dans la couleur, dans la toile ou dans le panneau, et il devient impossible d'empêcher l'ouvrage de pousser chaque jour davantage, au noir. L'huile employée dans ces con- ditions exerce sur la toile une influence désastreuse.

« Il ne faut permettre qu'aux hommes de l'art de laver et de nettoyer les tableaux. L'opération du nettoyage est celle qui détruit le plus d'ouvrages, elle est sans contredit très-dangereuse. Les uns se croient assez éclairés pour la tenter et sacrifient des chefs- d'œuvre ; d'autres se vantent de posséder des secrets et leur travail a le même résultat funeste.

« L'emploi du savon a toujours des conséquences fâcheuses et doit être invariablement proscrit.

« 5" Le choix du vernis est une question sérieuse. On ne peut se mettre assez en garde contre les compositions employées depuis le renchérissement considérable de la gomme-mastic. Un mauvais vernis fait gercer toute la superficie d'un tableau et parfois le perd pour toujours. Le vernis doit, en général, être rafraîchi au bout de

C.IUVOMQUE. 107

dix ans environ, afin d'empêcher la cJiancissnrc et le dessèchement de la couleur qid précède la production des écailles.

« Un tableau qui n'est pas protégé par le vernis, se couvre de poussière, que riiumidité de l'air y fixe ensuite et fait pénétrer dans tous les pores, de manière à modifier le ton gén(;ral et à augmenter les chances de destruction. Le vernis ne peut être appliqué que par des hommes compétents.

« Je viens d'indiquer, Monsieur le Gouverneur, quels sont les souis, pour ainsi dire journaliers, que les tableaux anciens ré- clament.

« Il serait difficile de dire quels sont les travaux de restauration qu'il importe d'exécuter dans tous les cas particuliers qui peuvent se présenter.

« La Commission royale des monuments s'empressera toujours de donner, de concert avec MM. les commissaires de l'Académie royale de Belgique, les conseils qui lui seront demandés au sujet des questions délicates qui se rattachent à la conservation des objets.

<( Dans tous les cas, même dans ceux qui paraissent les plus simples, les administrations doivent user de la plus grande circon- spection dans le choix des artistes auxquels les travaux de restau- ration sont confiés.

« Je vous prie. Monsieur le Gouverneur, de vouloir bien porter le contenu de cette circulaire à la connaissance des administrations quGiSon objet intéresse. Elles apprécieront facilement l'importance des conseils qui leur sont donnés, et combien elles engageraient leur responsabilité, eu s'abstenant de s'y conformer exactement. »

LE MINISTRE DE L'INTÉRIEUR, ALP. VANDENPEEREBOOM.

M. E. de Busscher a décrit, dans le Bulletin de l'Académie royale de Belgique, les peintures murales découvertes en 1861 dans la chapelle de Saint-Jean et Saint-Paul, à Gand. On y voit un arbre de Jessé remarquablement exécuté. Jessé, portant une longue barbe blanche, est coiffé du bonnet juif; sa tête repose sur un oreiller or- nementé. La sainte Vierge qui fleurit au sommet de l'arbre, tient un livre d'une main, et de l'autre, une palme d'or ; sa tête couronnée

168 CHRONIQUE.

est entourée de l'auréole. M. Jean Béthune doit reproduire en grandeur naturelle ces curieuses peintures.

M. G. d'Heilly en racontant dans la Revue des Beaux-Arts un voyage qu'il a fait récemment sur les bords du Rhin, note la parti- cularité suivante sur la cathédrale de Strasbourg : « Un gardien spirituel et érudit m'a fait visiter la plate-forme. Les balustres et parois sont couverts de noms incrustés dans la pierre, d'inscriptions, d'adages, etc. On y trouve les grands noms de Goethe, d'Herder, de Lcssing, de Gessner, de Wieland, et enfin celui de Voltaire qui est gravé au coin à droite au-dessus de l'entrée qui conduit à l'horloge. En 1798, la foudre brisa en deux la pierre, et ne laissa subsister que la moitié de ce nom fameux : ....taire. Les gardiens de l'é- poque ont bêtement reformé le nom entier. Il y avait pourtant je ne sais quelle sombre fatalité dans le grand nom de cet ennemi du Culte catholique, emporté par la foudre du Dieu dont ses écrits avaient si souvent nié la puissance, l'infinité et même l'existence. »

M. Grésy a lu à ses collègues de la Société des Antiquaires de France, une Notice sur un timbre d'horloge du XV<^ siècle, conservé au théâtre de Melun, portant l'inscription suivante : Ante omnia fratres charissimi diligatur Deus deinde proximus. L'an MIIII^ lïIM^ XVIII me fit reffire M. N. Petit. Viennent ensuite les armes parlantes de l'abbaye de Barbeaux : deux poissons adossés et sépa- rés par une crosse en pal, à laquelle est suspendue une coquille. L'anse est formée par un triangle trinitaire sur lequel reposent trois têtes de moines. Serait-ce une traduction iconographique du pré- cepte évangélique de l'inscription, un emblème de l'union frater- nelle en Dieu ? Ce timbre monastique, auquel les machinistes du théâtre réservaient un rôle assez déplacé, va figurer au nouveau musée de Melun.

j. c.

Flanche V.

REVUE DE EART CHRETIEN

\m.

Echelle de ira 5,2'"'" pour raftlre PLAN DE IJÉGLTSE S^. ETIENNE DE MEUS

el de soR Baplislère (Ardeche).

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F, de S':Aîeca

1P62.

P.EVUE DE L'AllT CHRETIEH

Planche

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l._ BAPTISTÈRE ET FAÇADE de l'Eglise de MELAS.

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î _ Intèrleiir du Bap^isUie de MÊLAS ,

LilK Ih Dfisavanj-DMUUeuvr, Arras

r de;' A Féal

UNE ÉGLISE CATHÉDRALE DU V SIÈCLE

ET SON BAPTISTERE

Saint-Etienne de Mêlas [Ardèche)-

De nombreux travaux d'archéologie nationale , fruit de laborieuses études, ont depuis quelques années fait avancer à grands pas cette science encore nouvelle. L'étude spéciale des monuments religieux de la période ogivale, si parfaite dans son ensemble, paraît avoir déjà épuisé toutes les reclierclies et prononcé son dernier mot.

L'ère romane secondaire (XP et XIP siècles) ne tardera pas, on le sent, à être déterminée d'une manière définitive ; mais il existe entre cette époque et celle de l'origine des constructions religieuses dans les Gaules au IV® siècle, une immense lacune à combler. La science après nous avoir initiés, forte de ses preuves, aux styles égyptien, grec et romain, s'arrête devant les ruines amassées par les Barbares du X^ siècle, par les Sarrasins et les hommes du Nord ; elle cherche, en tâtonnant, une architecture de pierre il

TOME VI. Avril 1862. 13.

170 UNE ÉGLISi: CATHÉDRALE DU V^ SIÈCLE

n'y en avait pas, et se tait en accusant les Normands et la prétendue terreur de la fin du monde. C'est en Italie l'ac- tion presque nulle des siècles sur la durée des monuments a laissé debout tout ce que les liommes n'ont pas voulu ren- verser, qu'elle va chercher quelque lumière. Cependant l'an- cienne Province romaine n'a jamais cessé de partager avec l'Italie cet art de bien construire, favorisé par des maté- riaux de choix et des ciments indestructibles. Aussi sommes- nous persuadé qu'avec moins de routine, plus de zèle et d'indépendance dans les recherches, on parviendra bientôt dans la vallée du Rhône, à reconnaître tous les éléments du style appelé Roman primordial ou Latin pour le rattacher à celui qu'on désigne sous le nom de Secondaire^ et combler enfin cette lacune inconcevable^!

Nous choisissons aujourd'hui parmi les spécimens de cette époque méconnue, un édifice, le plus ancien que nous sachions encore debout et complet ; digne d'intérêt par son antiquité même et particulièrement par la faveur dont il fut honoré pendant un quart de siècle , et qui , par les dépendances et accessoires dont il se trouva doté, nous off're encore aujour- d'hui, sur une modeste échelle il est vrai, un type de nos églises cathédrales des premiers siècles.

I.

L'histoire nous apprend que les Barbares d'outre-Rhin ravagèrent les Gaules au commencement du V^ siècle, et qu'ils détruisirent entr'autres villes, Alhe d'Augxiste, capitale du pays des Helviens, après avoir porté le fer et le feu dans le pays des Cabales et peu de temps avant leur défaite dans les campagnes d'Arles. Les traditions de l'église de Viviers nous enseignent que le clergé d'Albe, dont l'évêque Avole

ET SON UAI'TISTKRK. 171

avait péri sous le fer des Barbares, se réfugia k JNlélas saint Mamert, évêque de Vienne, vint sacrer évêque Auxonne, qui sur l'avis de son Clergé transféra, vers l'an 430, le siège épiscopal à Viviers.

L'opinion, qui est unanime à reconnaître qu'un certain laps de temps s'écoula entre la ruine d'Albe et le transfert de son évêclié à Viviers, se trouve divisée sur le fait du séjour du clergé à Mêlas, bien qu'elle ne puisse lui assigner un autre refuge. Mais l'étude récente que nous avons faite sur la défense de la capitale des Hel viens, basée sur la dis- position de ses abords, et d'après la topographie des lieux ', nous a convaincu de ce séjour dans une localité d'origine romaine, origine attestée par les ruines, monnaies, bétons, etc., en nous obligeant à reconnaître que Mêlas était un des châteaux (castra) qui protégeaient les abords de la capitale, €t que le clergé, par une facile prévoyance bientôt justifiée, dut choisir ce castrum de préférence à tous les autres.

Etabli sur la voie d'Albe à Lyon, ce château commandait l'entrée de la vallée et le passage du torrent dans le lit duquel s'élèvent encore les ruines du pont. Ce lieu doté d'un mo- nastère de femmes au Vil' siècle, vicairie du Pagus Viva- riensis au IX* siècle, confirmé comme possession de l'église de Viviers dans la charte de Charles-le-Chauve donnée à Besançon en 877, jouissait, on le voit, d'une certaine impor- tance à la fin de ce même siècle, quand fut réparée la partie orientale de sou église.

Au travers de tant de ruines, quelles causes ont, quinze siècles durant, protégé son église jusqu'à ce jour?

Les causes les plus fréquentes de destruction aux lieux

Aperçu géographique sur le pays des Helviens, par le V" dk Sai?;t- Akdéol. Bulletin de l'Académie Delphinale, année 1860.

172 UNE KGLISE CATHEDRALE HL V* SIECLE

l'action du temps est presque nulle, se réduisent ù deux : la violence et les reconstructions.

L'unique souvenir que cette partie de la vallée du Rhône ait gardé de la première de ces causes , concerne la rapide invasion des Sarrasins, effectuée de 757 à 759 ; elle fut bientôt arrêtée dans sa marche, aux approches de Vienne, par les armes victorieuses de Charles Martel qui la refoula jusqu'aux portes de Narbonne.

Echappée aux coups de ces mécréants, que les cathédi-ales et les abbayes attiraient de préférence à cause des trésors et des objets de prix qu'elles étaient censées posséder, l'église de Mêlas fut redevable à des circonstances spéciales d'échap- per à la dernière de ces causes, plus dévastatrice encore, les reconstructions par nécessité d'agrandissement.

Le bourg de Mêlas, heureusement pour le sort de son église, ue pouvait ni s'accroître ni prospérer. La voie romaine qui le rattachait à Albe, tracée sur des pentes abruptes, suspen- due sur des précipices et ravagée par des torrents, devint bientôt impraticable. Le passage se fit d'Albe ruinée à Viviers. Au XIP siècle, le baron Adhémar fit construire un château sur le rocher qui dominait au nord l'ancien caslrum de Mêlas, au point ce dernier avait planté son signal dont la partie prise pour le tout , lui avait laissé le nom de Tigillum (par élision Tillium)^ d'où le nouveau château prit le nom de Monstilium. Un village dont les murs et les ruines de son église se voient encore, se forma autour du château sous le nom de Tilliau. Au XVP siècle, ce môme village des- cendit sur les bords du Rhône dont la navigation fit la for- tune, et s'accrut sous le nom de Teil, aux dépens de Mêlas, qu'il absorba dans la commune, sinon dans la paroisse.

Après r affirmation historique de son existence au siècle, après l'explication des circonstances qui ont préservé son

KT SON BAI'TlS'rPlIlK. 173

église de la ruine jusqu'à ce jour, vient s'ajouter la preuve d'une liiiute antiquité dans la différence entre le niveau du pavé de cette église et le sol qui l'environne.

Le pavé de nos villes romaines est généralement enfoui à un ou deux mètres, alors môme que, situées sur un pla- teau, ces villes semblent devoir être à l'abri de tout attéris- sement. Albe et Valence sont dans ce cas. L'église méro- vingienne de Saint-Laurent à Grenoble, située au pied d'une montagne, se trouve enfouie sur un côté à une profondeur de six mètres. On pourrait presque assigner la part de chaque siècle dans cet exhaussement du sol. L'église de Mêlas, éta- blie sur un plan incliné du nord au sud, est enfouie à un mètre et demi environ, et son baptistère distant de quatre mètres se trouve enfoui à deux mètres de profondeur. Cepen- dant le sommet du tertre n'est qu'à quelques pas ; cette dis- position ne se prête guères à un exhaussement du sol qu'a- près une longue période de temps écoulée.

Mais abordons la masse de l'édifice pour le juger de l'œil, le toucher du doigt; interrogeons sa forme, ses lignes, ses pierres, elles nous diront la part de l'ère romaine qui cesse dans le midi à l'invasion Sarrasine, et celle de l'ère Carlo- vingienne qui finit avec le X" siècle.

Eemarquons d'abord la nature et la provenance des deux sortes de pierres qui constituent les parties essentielles {Voir la planche 2, 1). L'une est un calcaire oxfordien, gris, dur, susceptible d'être poli ; l'autre est un grès (crétacé su- périeur) blanc, tendre et facile à tailler. La première provient des carrières de Lussas, distantes de vingt-trois kilomètres. C'est la pierre qu'Albe employa de préférence dans ses édi- fices, temples, tombeaux, dalles, conduits, fûts, etc. Les Komains estimaient le marbre, et, à son défaut, ce qui en approchait le plus. La qualité des matériaux est luie des

174 UNE KGIISE l'.ATHÉDRALE DU V* SIÈCLE

conditions de la durée de leurs œuvres. Bientôt après lamine de cette ville, les voies pour le transport ayant cessé d'être praticables, cette exploitation fut abandonnée pour n'être reprise cpi'au XYIIF siècle. La deuxième pierre est exploitée à la porte de Mêlas, sous le nom de pierre du Tlieil. Elle fut substituée à la première, ainsi que celle de la Gorce, l'une au nord, l'autre au midi, dans toutes les constructions posté- rieures du Bas-Yivarais élevées entre le Rhône et l'Ardèche. La blancheur, la légèreté, la facilité de la taille, et avec cela une consistance éprouvée par un usage de plusieurs siècles, justifient cette préférence.

N'oublions pas de faire la part des époques distinctes aux- quelles furent employées ces deux sortes de matériaux.

Examinons d'abord le flanc méridional de l'église, dégagé récemment à sa base : on peut le diviser en trois parties. A l'est les contreforts, les larges assises du chœur; à l'ouest de pareilles assises dans l'épaisseur du mur de face, et entre deux, le mur de la nef construit en moellons et recouvert sur les trois quarts de sa surface de cubes de pierre dure d'un petit appareil régulier de i 2 centimètres environ de hauteur, dégrossis à la pointe et rangés en lignes horizontales. La partie supérieure à main droite en est seule dépouillée.

Dans la partie inférieure à gauche , on remarque la porte primitive, murée après l'érection de la façade ' .

Le mur du chœur offre un travail pareil à celui de l'ouest, auquel il se rattache par une corniche courant sous le toit. Cette corniche , dont le profil se fait remarquer sur les con- structions de la vallée du Rhône antérieures au TX® siècle ,

' Sous \e st'uil de cette porte se trouvait une inscription tumulaire en ca- pitales romaines, antérieure au X"' siècle, d'après l'ensemble de la formule, des caractères, des abréviations et des lettres cruciformes.

ET SON nAPTlSTÈRE. 175

fait corpv? avec le mur en petit appareil et reproduit ce profil sur les rampants de la façade. Le mur du chœur est construit en pierres blanches taillées à la hache, disposées en assises de moyen appareil. A une certaine hauteur, le moellon irré- gulier se substitue à la pierre taillée pour faire le massif du clocher dont la partie supérieure présente de part en part, mais sans aucun raccord , l'emploi de petits cubes, débris du chœur primitif.

Il y a évidemment deux époques et deux systèmes. Le petit appareil dans la vallée inférieure du Rhône disparaît à l'époque Carlo vingienne pour êti'C, h l'imitation de l'antique, remplacé jusqu'à nos jours par cet appareil moyen composé de pierres de hauteur égale pour chaque assise et de longueur variable.

Ce petit appareil se voit tout semblable à Albe , employé au théâtre romain, à l'antique église de Saint-Martin, aux aqueducs, dans plusieurs habitations privées, et à Mêlas, dis- tant de sept kilomètres de cette ville, dans un mur romain mis à découvert par la tranchée d'un chemin rectifié, mur enduit à sa base d'un béton de ce même ciment dont les ruines d'Albe attestent le fréquent usage. Une observation attentive permet de reconnaître que la nef de l'église con- struite en petit appareil, fait corps avec les fondations de l'église entière, que le mur de l'ouest est une application faite après coup et que le chœur a été relevé sur les an- ciennes fondations.

Voici l'état des découvertes faites il y a peu d'années par le savant et modeste curé de Mêlas, qui a eu l'obligeance de nous en faire part, lorsqu'il fit déblayer la base du mur méridional pour y établir un jardin : deux couches de terre d'inhumation superposées contenaient des débris d'ossements et de planches, traces de l'ancien cimetière abandonné de-

17G UNE ÉGLISE CATIIP^OriALE DU V* SIÈCLE

puis plusieurs siècles et transféré au côté nord. Sous ces couches et joignant le mur de la nef, s'étendait le pavé d'un ancien cloître, de celui probablement du monastère annexé à cette église au VIP siècle. Il était formé de fûts de demi- colonnes en pierre dure de Lussas posées sur leur partie convexe.

Devant l'abside, un épais béton remplaçait ce singulier pavé. On mit à découvert sous l'un et l'autre deux rangs su- perposés de tombes gallo-romaines. Elles étaient construites en dalles et moellons affectant la forme d'un carré long plus étroit aux pieds qu'à la tête. Les joints des pierres étaient lûtes avec ce ciment romain qui contient de la brique pilée et tel qu'on le voit dans les débris énumérés déjà tant à Albe qu'à Mêlas. Chaque tombe renfermait une petite lampe en terre cuite placée près de la joue gauche du cadavre et un vase pour les parfums, d'une grandeur moindre pour les enfants. Le ciment d'une de ces tombes renfermait dans sa pâte une médaille de Faustine mère par- faitement conservée.

Ici éclate la preuve évidente de la haute antiquité de cet édifice : les tombes gallo-romaines qui touchaient au mur de l'église manquaient de parois sur ce côté, le mur de l'église en tenant lieu ; il est donc antérieur à ces tombes.

Il devient dès-lors intéressant de pénétrer à l'intérieur pour étudier sur la face interne de ce mur le mode de con- struction des églises de cette période si peu connue. Il accuse parfaitement les deux systèmes remarqués au dehors sur les quatre travées qui composent la nef. Les trois premières sont décorées chacune d'un faux arc à plein cintre d'une pro- fondeur de 25 centimètres environ. Entre chacun de ces arcs, contre le nuir qui les sépare, une colonne en pierre de Lussas est enchâssée au tiers de son diamètre.

ET SON BAPTISTKUE. 177

La base des deux premières colonnes est corintliienne ; celle des deux suivantes est composée de deux tores super- posés, sans gorge, avec oves sur le tore supérieur, et celle des deux colonnes voisines du chœur est ionique. Chaque colonne est surmontée d'un chapiteau ouvragé, d'un tailloir qu'une corniche courant à la naissance de la voûte rattache l'un à l'autre, et enfin de l'arc doubleau de la voûte. Sous le pre- mier faux arc, l'ancienne porte bouchée offre une seconde voussure en cintre surbaissé plus évasée que son ouverture. Sous le deuxième faux arc s'ouvre au midi une fenêtre en plein cintre évasant à l'intérieur et au dehors, et dont l'ou- verture est d'environ 30 centimètres de large sur iO centi- mètres de hauteur. La quatrième travée delà nef fait partie, avec le chœur, de cette reconstruction, sur les anciennes bases que nous avons remarquées au dehors. Voici en quoi elle diffère des trois autres : au lieu d'être décorée d'un faux arc, elle en renferme deux dans le même intervalle et sous une même hauteur, ce qui les fait étroits et élancés. A partir de cette travée jusqu'au fond du chœur, il y a absence de sculpture. Le chapiteau n'est qu'un tailloir com- posé de baguettes superposées. En revanche, l'architecte, dans cette partie refaite et agrandie, a fait preuve de talent dans l'élévation de la coupole, la disposition des jours et le raccordement des lignes. Tandis que les murs de l'église primitive ont une épaisseur de 1 mètre oO c. et forment une nef large de 4 mètres sur la largeur des trois premières tra- vées, les murs de la quatrième, construits extérieurement à l'aploml) des fondations, ont une épaisseur de 1 mètre 20 c. seulement, ce qui donne à l'intérieur une largeur de 60 c. en sus. Cette différence ne choque pas l'œil. Elle a été prise à 20 c. en avant de la troisième colonne et y pro- duit l'aspect d'un pihistre. Cependant la corniche de cette

178 UiNE ÉGLISE CATHÉDRALE DO V* SIÈCLE

partie reconstruite, y compris la liauteur de la troisième colonne, a été rabaissée de 30 c. environ. Il le fallait ainsi pour que le sommet de la voûte en berceau brisé couvrît, sous une môme courbe, toute la nef à une même hauteur, puisqu'elle avait dans cette partie élargie, \m diamètre de 60 c, en sus.

L'arc du chœur, sensiblement plus bas que la voûte de la nef repose sur des pieds-droits dont les impostes se raccordent à ceux des pieds-droits du double faux arc qui est pareille- ment reproduit dans le chœur, mais surmonté ici d'une étroite et longue fenêtre. Une coupole octogone sur encor- bellement donne à cette partie une grande légèreté.

L'abside semi-circulaire qui termine le chœur à l'orient, au lieu de suivre la trace des anciennes fondations dans leur demi-cercle, aifecte la forme d'un demi-cercle allongé en fer à cheval. {Voir le plan de l'Église^ planche 1). Les murs laté- raux font une saillie sur la nef et^ pour cela, sont bâtis à l'aplomb des anciennes fondations, les laissant déborder de 50 c. à l'extérieur, tandis que dans le fond du sanctuaire on a obtenu le demi-cercle allongé par le procédé contraire.

Le mur de l'ouest ou de façade a été appliqué contre l'ancien ; construit à une époque l'exhaussement plusieurs fois séculaire du sol dominait le pavé de l'église à plus d'un mètre, sa porte a été établie à ce dernier niveau. Elle conduit dans l'intérieur par un escalier de sept marches. Ce portail construit entièrement en pierres blanches de moyen appareil, se compose d'une ouverture carrée sous linteau horizontal, enchâssée sous trois voussures à plein cintre {planche 2, n" 1). Sous le pignon est percée une petite fenêtre étroite comme une meurtrière, et les rampants du toit sont couronnés en forme de fronton par une corniche de la même pierre, qui va se rattacher aux contreforts du chœur,

ET SON BAPTISTÈRE. HO

en suivant le sommet des murs latéraux. Une étude atten- tive sur l'agrandissement progressif des chœurs du V** au XIP siècle, appuyée de nombreuses comparaisons et fortifiée par quelques dates authentiques nous font assignera cette ré- paration la fin du IX® siècle, et le XP à l'érection de la façade.

L'église de Mêlas est accompagnée du côté nord , d'une sorte de bas-coté composé d'tm mur épais, décoré de fausses arcades à plein cintre, d'une voûte en quart de cercle dont un cordon de pierres accuse la naissance, et d'rnie abside en hémycicle éclairée par une toute petite fenêtre {Voir le plan de r Église, planche i). Le bas-coté finit vers le milieu de la longueur de la nef. Il ne communiquait avec l'église que par une étroite porte. C'était le lieu désigné dans les pre- miers siècles sous le nom de Secreiarium ou Diaconicnm. Ce lieu servait de sacristie, dépôt pour les ornements du culte, les vases sacrés, le trésor, et c'était dans son abside qu'était déposée la réserve eucharistique. Il fut, à la fin du XV® siè- cle, mis en communication avec la nef par une ouverture en arc aigu, et peu d'années après par une seconde en plein cintre, décorée sur un côté de son épaisseur d'une niche ou- verte sous une courbe en accolade. Une inscription lapidaire enchâssée contre le premier de ces deux arcs relate qu'en 1410 cette chapelle fut faite en l'honneur de la Mère de Dieu. Elle le fut en ce sens qu'un autel y fut consacré et livré à la piété des fidèles au moyen de ces ouvertures.

Terminons cet examen par l'étude des chapiteaux qui couronnent les six colonnes de la nef.

Les archéologues qui placent invariablement au XP ou au XIP siècle la construction de cette église, reconnaissent pourtant que les chapiteaux sont pour la plupart antérieurs à cette époque. Trois sur les quatre les plu» rapprochés du chœurs datent de la grande réparation faite au chœur et à la

180 VISE ÉGLISE CATIIÉDUALE W \" SIECLE

voûte. Les deux premiers en entrant, cachés par le cintre et la balustrade d'une tribune fermée hors le temps des offices, ont été rarement vus et étudiés.

Après une observation attentive, nous restons persuadé qu'ils appartiennent à l'église primitive. On sent que des siècles de barbarie se sont écoulés entre ce beau travail et le ciseau grossier des quatre autres chapiteaux. On serait d'abord tenté de les attribuer au XIP siècle, si le XIP siècle avait jamais produit un chapiteau aussi corinthien que celui placé à droite (fig. 1); c'est une pièce franchement romaine. Si les caulicaules y recouvrent un peu trop les volutes dans les angles, si la disposition des acanthes inférieures a légère- ment varié, c'est que le IV siècle n'était plus le siècle d'Auguste ni môme celui d'Adrien ; c'était la décadence,

mais non encore la barbarie. Le chapiteau composite qui lui fait face est sorti de la môme main {fig. 2). Cependant si le

ET SON lUn'lSTKIU':. ISI

premier charme et provoque radmiratioii, le second laisse stu- péfait à kl vue d'un sujet de l'exécution lu plus grossière, dé- coupé au milieu de rinceaux aussi souples que gracieux. On y voit Abraham prêt à frapper son fils. A sa droite est un ange qui d'une main arrête son bras et de l'autre lui présente un bélier enchevêtré dans les volutes. Sur l'autre face est un ser- viteur portant une hache et conduisant un âne chargé de fagots. Ce sujet a été reproduit depuis la sanctification des catacombes jusqu'au XII" siècle.

Devant un tel disparate on suppose d'alDord qu'un artiste maladroit du moyen-âge a taillé ce sujet dans la masse d'un deuxième rang de feuillage. Il y a plutôt lieu de croire que ces deux chapiteaux ont été faits par quelque sculpteur d'orne- ments de la ville d'Albe, habile dans sa spécialité, mais incapable d'aborder convenablement la nature vivante, qui exige de plus sérieuses études.

Cette division entre l'étude du vif et celle de l'ornementa- tion existe aussi de nos jours. Aux XI" et XIP siècles de pareils sujets se présentent grossiers et dépourvus de proportions, mais on y trouve une pieuse naïveté, on y sent une âme ou à peine on reconnaît un corps. Ici il n'en est pas de même; le sujet est traité brutalement à l'exclusion de tout sentiment chrétien. On le supposerait fait sur commande par quelqn' ou- vrier d'Albe encore payen.

Abraham {jig. o), de même que l'ange est vêtu d'une braie qui rappelle celle de la Gallia braccata, dont cette région du Ehône faisait partie. Le front est bas, les cheveux sont courts [more romano), épais et par couches superposées. Quelques poils courent des oreilles au menton, la lèvre supérieure est imberbe, le cercle des yeux est formé par un bourrelet sail- lant et la prunelle est trouée. Un pareil type de figure se retrouve le plus souvent sur nos monnaies mérovingiennes.

18'2 LNE ÉGLISE CATllliDRALE DU SIÈCLE

Le pied du billot sur lequel est agenouillé Tsaac, se terndne par la griffe lion employée dans l'ameublement de l'an- cienne Rome. Les deux grandes et belles volutes à fines ner- vures qui abritent cette étrange composition enroulent des feuilles d'olivier franchement découpées, au travers desquelles circulent l'air et la lumière.

Auprès de ces deux chapiteaux les quatre autres présen- tent peu d'intérêt. Le deuxième à main gauche est le seul historié. On y voit un vénérable personnage drapé dans une robe longue mais juste au corps, assis derrière des barreaux au travers desquels il passe la main droite qu'un ange lui saisit. Il a les cheveux longs tombant sur les épaules. Il est coiffé d'un bonnet large et carré marqué d'une croix. Serait-ce une allusion à la délivrance des évêques d'Albe et Viviers ?

Disons pour terminer que cette église, de même que la majeure partie des plus anciennes cathédrales, était dédiée à saint Etienne. Et il est à remarquer que tandis que toutes les églises du diocèse de Viviers et celles de beaucoup d'autres sous le vocable de ce Saint, célèbrent sa fête le jour de l'inven- tion de ses reliques qui eut lieu en l'an 415, l'église de Mêlas, antérieure à cet événement, n'a cessé, selon l'observation de M. l'abbé Alignol, de la célébrer le jour de son martyre.

De l'ensemble des fortes et nombreuses présomptions énumérées plus haut, et des preuves établies à la suitC;, nous sommes amené à conclure que les fondations de cette église et les flancs de sa nef dans les trois premières travées appar- partiennent à l'église du IV siècle qui recueillit dans les pre- mières années du siècle suivant les débris du clergé d'Albe et servit de cathédrale à l'évêque Auxonne que saint Mamert de Vienne y vint sacrer ; que la quatrième travée de la nef et le chœur sous coupole, moins les fondations, ont

KT SON BAPTlSTKIir.. 18.'{

été refaits ainsi que la voûte entière, lu'corniclie et le tailloir des chapiteaux, à la fin du IX*" siècle ; que la façade a été élevée au XP siècle, et le fond de l'abside relevé de nos jours.

II

Dans ce temps-là les églises cathédrales étaient habituel- lement accompagnées d'un baptistère presque toujours de forme octogone comme celui de Constantin à Rome et celui d'Aix en Provence. Il était isolé et placé ordinairement au côté gauche de l'entrée, c'est-à-dire au nord, l'église étant orientée. Sa coupole était supportée par des colonnes entre lesquelles étaient placés dans des enfoncements, des autels, des cuves pour les enfants et des vestiaires. L'église de Saint-Etienne de Mêlas devenue provisoirement cathédrale fut nécessairement pourvue de cet accessoire. Il existe encore dans son entier tel que le fit édifier l'évêque Auxonne. {VoiJ' le 'plan du baptistère, planche 1).

Comme l'église , il a échappé aux mêmes causes de de- struction ; son existence qu'on peut regarder en effet comme extraordinaire, a dépendu d'une situation extraordinaire. C'est ainsi que la reconstruction sur une plus vaste échelle de toutes les cathédrales aux époques postérieures, a entraîné la destruction des baptistères qui y attenaient. Si quelques- unes ont été relevées sur une autre place, les causes de ce changement ont pu amener l'abandon ou la destruction de ces édifices complémentaires. Si Mêlas avait conservé l'évê- ché, il serait devenu une ville, et sa petite église avec son baptistère, démolie ainsi qu'il fut fait à Viviers dès le VP siècle et plus tard au XIP pour faire place à une plus vaste, n'existerait plus. On peut donc concevoir pourquoi

184 UN'K ÉGLISE CAÏIIKDIIALE UIJ V SIECLE

les aiiciL'us 1)iiptistères sont rares et comment celui do Mêlas a siirvéou .

Examinons quelques détails de sa construction (planche 2, îz° 1). Ses murs sont revêtus du petit appareil disposé par couches horizontales, mais offrant un peu moins de précision qu'au mur de l'église. Au lieu d'être taillé dans un calcaire dur, il a été [)ris dans un calcaire schisteux extrait des en- virons. Cependant ses murs épais de \ mètre 20 cent., épais- seur forte relativement à son diamètre intérieur qui n'est que de 4 mètres 60 cent, sous coupole, et ses huit absides en hémicycle qui l'enveloppent comme de puissants contre- forts, compensent largement les imperfections de la bâtisse au point de vue de sa solidité, si l'on considère surtout que dans cette région les mortiers sont du ciment.

Son enfouissement profond dans le sol, qui est de 2 mètres, le protégeait mieux encore que l'église.

Il est de forme octogone ; quatre de ses côtés plus grands alternent avec quatre plus petits [planche 1). Chaque côté contient une abside en hémicycle, ouverte sous une double voussure dont les pieds-droits sont dépourvus d'imposte, et la naissance de sa voûte est sans cordon. Chaque abside est séparée de sa voisine par une colonne engagée au tiers etdont le chapiteau ébauché accuse le plan corinthien. Huit ban- deaux plats s'élèvent au-dessus des colonnes et vont se réu- nir en étoile au centre de la coupole. Le rayon des arcs des petites absides se trouvant plus court que celui des quatre grandes, il en résulte que la naissance de la voûte qui date du sommet des grands arcs, s'appuie au-dessus des petits arcs sur un mur vertical d'une hauteur égale à la différence des rayons. L'architecte a profité de cette surface pour y percer des jours d'une exiguïté inconnue au XF siècle {Voir la planche 2, if 2). Ce ne sont pas des fenêtres, pas même

ET SON BAI'TISTKUK. 18"»

(les meurtrières, mais de simples trous de !20 cent, sur 50, qui pur uu évasement à l'iutérieiir, éclairaient suffisamment ce lieu dans sa primitive destination, et le protégeaient, par cette disposition, contre des surprises qu'il était alors permis de redouter ' . Au dehors le mur suit le mouvement des absides ^ ; en évitant des angles on a fait une économie dans le volume et la taille des pierres.

Dès le VP siècle la pierre blanche et tendre prise sur les lieux fut seule employée aux constructions, à l'exclusion de la pierre de Lussas dont l'exploitation pénible et dispendieuse avait été abandonnée dès la ruine d'Albe, son transport étant depuis lors devenu impraticable. Oi' ces colonnes, comme celles de l'église primitive^, sont en pierre dure de Lussas. Les tronçons furent, tout comme ceux du cloître, enlevés aux ruines d'Albe. Il s'y en trouve, il est vrai, deux ou trois fragments en pierre blanche, mais on voit qu'ils y sont intercalés comme supplément et STq:)erposés sans égard à leur densité respective. Albe li 'employa que rarement cette pierre pour des fûts. On ne l'y trouve guères qu'en corniches et chambranles. Ici les chapiteaux, quoique sinq^lement épannelés, indiquent par leur plan et leur profil, que le ciseau devait en dégager l'acanthe et, dans les bases, la triple moulure corinthienne.

Une preuve évidente qui démontre incontestablement l'ancienneté de l'église, c'est l'égalité de niveau entre le pavé et celui de l'ancienne église qui n'a pas varié depuis le IV" siècle. Se figurerait-on un architecte du XF ou XIP

' Transformé en chapelle, un plus grand besoin de lumière y a fait pra- tiquer postérieurement aux dépens de son harmonie, trois fenêtres carrées, dont une dans la voûte.

- Quelques années plus tard ce procédé fut employé par S. Honorât dans les angles orientaux de l'église de la Tiinité qu'il fit bâtir dans l'île de Lérins.

TOME Yl, 14.

186 l'NE ÉGLISE CATUBDKALE PU V" SIÈCLE

siècle voulant élever, nous ne savons à quelle intention, une chapelle octogone à huit h dix pas d'une église, creuser le sol connue pour une citerne et l'y enfouir? Comment y ac- céder? par un escalier extérieur? Mais dans le dégagement circulaire du sol autour de cet édifice, opéré il y a peu d'an- nées, il n'en a pas été trouvé de traces, non plus que de porte, A cette époque comme toujours, on bâtissait sur le niveau du sol. C'est ainsi qu'a agi, au XP siècle, l'archi- tecte dans l'élévation de la ftiçade. Au lieu d'ouvrir la porte au niveau du pavé, dût-on y descendre par un escalier exté- rieur, il tint compte du niveau du sol, il y établit le seuil de la porte et plaça l'escalier à l'intérieur ' .

En résumé, l'appareil de ce baptistère et ses gros maté- riaux sont de même forme et de même nature que ceux de l'église; son pavé est au même niveau " ; son emplacement est exactement celui d'an baptistère des premiers âges et sa forme en est parfaitement liturgique.

A toutes ces preuves énoncées qui, nous l'espérons, ont convaincre les esprits sur l'antiquité de cette église, nous en ajoutons une dernière qui suffirait seule à défaut détentes les autres. C'est qu'une des églises delà capitale des Helviens, éloignée de sept kilomètres, dédiée à saint Martin, évoque de Vienne, ruinée avec la ville en 410 et découverte dans ses fondements il y a peu d'années , est identique à celle de Mêlas dans ses plan, ordonnance, dispo-

' Au temps le baptistèie de Mêlas n'avait plus rien à retenir de son ancien privilège, alors que chaque paroisse possédait des fonts, il fut mis en commu- nication immédiate avec l'église par un couloir voûté en plein cintre ouvrant dans la deuxième travée de la nef. Quelques moulures terminées par une tête, semblent indiquer que cette modification a été opérée pendant le XIII^ siècle.

* Son pavé a été exhaussé d'un mètre pour éviter l'humidité. Un sondage pratiqué jusqu'à la base des colonnes nous a montré son premier niveau.

KT SON li.Vl'TISTERi:. 187

sitioiis, murs, a]>pareil et mortiei". Sa largeur est la môme, su longueur seule est un peu moindre. On pourrait dire que Saint-Martin d'Albe est un Saint-Etienne de Mêlas ruiné, comme Saint-Etienne est un Saint-Martin debout.

Si par les efforts tentés pour jeter quelque lumière sur un point obscur des annales de l'église de Viviers, nous avons réussi à persuader que le refuge des successeurs de saint Janvier, illustré par la présence de saint Mamert, conserve encore les édifices religieux consacrés ou élevés par leurs mains, avant le temps il leur fut permis de fixer sur le rocher de Viviers le siège illustré par tant de saints et d'éminents prélats, nous éprouverons la satisfaction d'avoir ramené un saint respect sur cette église antique et véné- rable, éveillé la sollicitude dont elle est digne et réclamé des soins pour sa conservation, eu égard à la place importante qu'elle occuperait désormais dans la chronologie de nos an- ciens monuments.

V*' F. DE SAINT- ANDÉOL.

LES CATACOMBES DE ROME au point de rue de la Controverse-

Au moment le protestantisme attaquait les croyances traditionnelles de l'univei's chrétien, il traitait d'idolâtries nouvelles l'invocation des saints, le purgatoire, la prière pour les morts, le culte de la Vierge et des images, il ne se dou- tait pas qu'un témoin irrécusable allait bientôt s'élever pour attester l'antiquité de ces dogmes.

Une Pompeïa chrétienne allait sortir de terre et fournir au débat soulevé par l'hérésie d'importantes pièces à conviction en faveur de l'Eglise, sa constitution, ses sacrements. Con- temporaines de la primitive Eglise, les catacombes de Rome gardaient enfouies, depuis des siècles, des monuments au- thentiques de la foi des âges apostoliques. La science allait mettre au jour ces monuments ; l'archéologie allait devenir l'auxiliaire de la Bible et de la tradition pour défendre l'in- tégrité du symbole catholique.

Vers la fin du XVP siècle, un avocat Maltais, du nom de Bosio, découvrit les catacombes, depuis longtemps oubliées. Il consacra son temps et sa fortune à explorer la ville sou-

LES CATACOMBES DE ROME. 189

terraine. Pendant trente-trois ans, il passa les jonrs et sou- vent les nuits à en visiter les innombrables galeries. Prenant en main tantôt la pelle et la pioche pour creuser et se frayer un chemin, tantôt la plume et le crayon pour dessiner les chambres, copier les peintures et les inscriptions, il laissa un travail important, mais inachevé.

Ses recherches et ses travaux devaient être le point de départ d'autres recherches et d'autres travaux inspirés par l'amour de la science et delà religion, tels que les ouvrages du R. P. Marchi et de M. Perret. Le R. J. Spencer Northcote vient de publier à Rome, sur ce sujet, un petit volume très- intéressant cpii s'adresse à tous les lecteurs sérieux ' . Il y ré- sume ce qu'il importe à un catholique de savoir sur ces cryptes obscures d'où jaillissent tant de lumières.

L'auteur s'occupe plus des catacombes romaines au point de vue archéologique qu'au point de vue religieux. j\Iais la signification des peintures et des inscriptions qui s'y trou- vent est si clairement et si uniformément catholique, qu'une fois leur authenticité et leur âge établis, la conséquence dogmatique se présente d'elle-même à l'esprit du lecteur. On va en juger par les courtes citations que nous empruntons au R. Spencer.

La constitution de l'Eglise primitive, son identité avec celle de l'Eglise catholique actuelle, la similitude de leur hié- rarchie, résultent avec évidence de nombreux documents. Cela est d'autant plus important que cette question est deve- nue le pivot de la controverse entre les protestants et nous. « Il nous est presque permis d'avancer, dit l'auteur, qu'alors même que tous les écrits des Pères auraient péri, il serait

' R. J. Spewceh NoiiTHcoTE, Les Calacomhes romaines. Paris, Pous sielgue Rusand, 22, rue Saint-Sulpicc.

100 LV.a CATACOMBES Di: liOÎIE

possible de reconstruire l'édifice entier de l'ordre ecclésias- tique à l'aide des inscriptions éparses dans les inscriptions funéraires des catacombes. Evêque, prêtre, diacre, sous-dia- cre, acolyte, exorciste, lecteur, tous ces titres sont men- tionnés, à diverses reprises, sur les pierres tombales de la Rome souterraine. » (Page 7o).

Calvin demandait dédaigneusement : « Quel est le monu- ment de l'antiquité chrétienne qui ait jamais parlé de vos exorcistes ? » S'il eût pu accompagner, un demi-siècle plus tard, Antoine Bosio dans ses visites au cimetière Saint-Ca- lixte, il eût pu y lire une foule de réponses comme celle-ci à la question qu'il posait :

PAVLVS EXOIÎCISTA DEPOSITVS MAllTYIllES « Paul exorciste enseveli aux (ou près des) martyrs. »

Si , de ce dernier échelon de la hiérarchie , nous montons au premier, nous trouvons la primauté de saint Pierre écrite sur les murs des catacombes aussi clairement que dans l'E- vangile.

Moïse frappant le rocher de sa baguette y fait le sujet d'un grand nombre de peintures et de sculptures de la pre- mière moitié du IIP siècle et du siècle suivant. Le spectateur ignorant ou superficiel pourrait même se demander pourquoi les premiers chrétiens revenaient aussi fréquemment sur un pareil sujet, eux, disciples de la Loi nouvelle, qui avaient abrogé celle dont Moïse était le chef. INIais un examen attentif change bientôt en joie l'étonnement du catholique, et lui montre la confirmation d'un des points de sa croyance oii il ne voyait qu'une énigme. Moïse n'est ici que la symbolisa- tion du prince des Apôtres, devenu le Moïse du nouvel Israël. Ce rocher frappé par la baguette était le Christ, dit saint

AU l'OliNT DE VUE DE LA Cu.Ni HOVEltSE. liU

Paul (I Cor., X, 4), et les eaux qui en jaillissent sont celles du baptême et de la grâce conférés par la Loi nouvelle. C'est là, dit le R. Spencer, l'interprétation unanime des Pères de l'Église.

Le nom de Prlrtis^ surmontant plusieurs de ces figures, lève tout doute sur la personnification représentée ; il dé- montre sui'abondamment que, sous les traits de Moïse, c'est bien le vicaire de Jésus-Christ que la primitive Eglise a voulu désigner. L'antithèse est évidente.

D'autres productions de l'Art chrétien des Catacombes corroborent cette démonstration. » Lorsque Notre-Seigneur, dit le R. Spencer, est représenté ressuscitant Lazare, chan- geant l'eau en vin, ou accomplissant d'antres miracles, il tient à la main une baguette avec laquelle il touche l'objet sur le- quel il va exercer son pouvoir. Cette baguette, symbole d'au- torité, ne se rencontre jamais, sur ces monuments primitifs, que dans la main du Christ lui-même, de saint Pierre ou de Moïse, ou, pour mieux dire, seulement dans celle du Christ ou de saint Pierre; car elle ne se trouve jamais à la main de Moïse ;, excepté lorsqu'il en frappe le rocher; et alors, nous l'avons vu, il est la figure de saint Pierre. Un bas-relief sculpté sur la face principale d'un sarcophage offre un remar- quable exemple de ce symbolisme. A la suite des scènes retra- (j-ant différents miracles du Sauveur et il tient lui-même la baguette, vient un groupe il ne la porte plus ; elle a passé aux mains de saint Pierre, ou plutôt ce groupe repré- sente le don f^iit au prince des Apôtres de cette baguette » (page 77).

Le coq })lacé à ses pieds ne laisse pas de doute sur l'inten- tion de l'artiste et la signification de cette allégorie.

Une autre de ces peintures représente saint Pierre comme le chef du sacerdoce et de la Loi nouvelle. Au milieu se voit

192 LES CATACOMBES DE ROME

Isaac étendu sur l'autel; d'un côté, se tient Abraham, la main levée ])01iy immoler son fils, que protège une main sor- tant du ciel ; de l'autre côté, on aperçoit saint Pierre, portant d'une main les clefs mystiques qu'il presse sur sa poitrine, et, de l'aiiti'e, touchant la victime dont il est le nouveau sacri- ficateur.

Si nous voulions passer en revue toutes les vérités attestées par la voix grave et irrécusable de ces témoins providentiels, il nous faudrait énumérer un à un tous les articles de notre symbole.

Le sacrement de Pénitence, par exemple, est représenté, dans la catacombe de saint Hermès, par un homme agenouillé devant un prêtre qui lui donne l'absolution.

Le sacrement de l'Eucharistie s'y retrouve représenté sous des allégories qui sont l'application exacte et rigoureuse de cette description, fixité par saint Jérôme, des trésors de l'E- vêque : « Corpus Domini in canistro vimineo , et sanguis in vitro. Le corps de Notre-Seigneur dans une corbeille d'osier, et soH sang dans un calice de verre » .

Mais nous voulons nous en tenir aux points de la foi dont nous parlions au début de cet article.

Le purgatoire et la prière pour les morts, par lesquels nous commencerons, ont leur fondement dans la Bible. On lisait déjà dans l'Ancien Testament : « C'est une sainte et salutaire pensée de prier pour les morts, afin qu'ils soient délivrés de leurs péchés » (Macch., ii, 12). Pour se débarrasser de ce texte importun, les protestants ont retranché du canon des Ecritures le livre d'où il est tiré. L'expédient est commode. C'est ainsi qu'ils ont retranché l'épitre de saint Jacques, parce qu'elle établit le mérite des œuvres et l'institution du sacrement de l'Extreme-Onction. Beaucoup d'entre eux re- jettent, à présent, l'inspiration des Livres saints elle-même.

AU POINT DE VUE DE LA CONTROVERSE. . 103

Quand la parole de Dieu les gène, ces messieurs ne se gênent pas avec elle. Bientôt ils nous abandonneront cette vieille relique comme les autres.

Mais la Bible, que les ignorants du parti ont encore la bonhomie de croire prolestante , la Bible n'est pas leur seule ennemie. La science est, pour eux, une accusatrice non moins sévère et non moins formelle. Les quelques inscriptions sui- vantes l'attestent. Parmi elles, les unes sont écrites en grec, d'autres en latin ; dans plusieurs, ces deux langues sont mêlées, suivant l'usage du temps :

âyp. aiaîanoc nAa>AAmN heoy

AOTAOC niCTOG

.EKO1MH0I1 EN FIPIINH MNHœil AVIOV

O ©EOC EIG TOTG AUiNAC.

« Aurelius yElianus de Paphlagonie, fidèle serviteur de Dieu; il repose en paix. Souviens-toi de lui, Seigneur, pour

l'éternité. »

«

VICTORIA REFRIGERER IS SPIRITVS TVVS IN BONO.

(( Victoria, puisse ton âme se rafraîchir dans le bien, » c'est-à-dire en Dieu.

BENEMERENTI SORORI BON.... VIII KAL. NOB.

AEOYC XPIGTOYG ONNinoTEG CniPIT.. TOY. PEa>. UEPE. IN X.

" A ma sœur bien méritante Bon (osa, qui mourut) le hui- tième jour avant les calendes de novembre. Puisse le Christ Dieu tout-puissant rafraîchir ton âme dans le Christ ! »

iDi LES CATACOMBES DE ROME

KALEMIRE DEYS REFRIGERET

SPIRITVM TVVM VNA GVM SO

RORIS TU^ HILARE.

« C'aleiiura, puisse Dieu rîitraîcbir votre unie avec celle de votre sœur Ililaire ! »

Des parents /ont graver ces mots :

AlIMHrPFG ET AEOÎSTIÂ CEIPIKE 4>EÏA1E

BENEWERTI MINHCBHG IHGOYC O KTPIOG

TËKINON.

« Démétrius et Léontia, à leur fille bien méritante Syriaca. Souviens-toi, Seigneur Jésus, de notre enfant. •> De pieux enfants, au contraire, s'expriment ainsi :

DOMINE NE QVANDO ADVMBRETUR

SPIRITVS VENERIS DE FILIIS 1PSE[VS

QVI SVPERSÏITES SVNT BENEROSVS

PROJEGTUS.

« Seigneur, ne laissez pas l'âme de notre mère Vénus sé- journer dans les ténèbres. Ceux de ses iils qui lui ont sur- vécu, Benerosus et Projectus, ont érigé ce monument. »

« Ces inscriptions et mille antres semblables des quatre premiers siècles seraient une anomalie dans un cimetière pro- testant, dit ^Igr Gerbet dans son Esquisse de Rome chrétienne. Elles feraient crier au papisme. » IMais. elles prouvent en même temps que le papisme est le cbristianisme primitif. C'est tout ce qu'il nous faut.

En voici deux qui justifient jusqu'an langage employé par l'Eglise au chevet des mourants :

Ai: rOlNT DE VUE liE LA CONTROVKllSE. 195

ZDSIME VIVAS IN NOMINE XTl.

« Zozirae, puisses-tu vivre dans le nom du Christ. »

RVTA OMNIBVS SVBDITA ET AFFABIUS BIBET IN NOMINE PEÏRÎ IN FACE X.

« Ruta, soumise et afïable envers tout le monde, vivra au nom de Pierre dans la paix du Christ. »

VIVAS IN NOMINE LAVRENTII.

« Puisses-tu vivre au nom de Laurent ! »

« Nous ne voulons pas rechercher présentement, dit le R. Spencer, la valeur précise de ces expressions : Yivas in no- mine, soit qu'elles s'applicpient au Christ, soit qu'elles s'ap- pliquent à ses Saints. Nous prétendons seulement faire re- marquer que l'Eglise, de nos jours, ne fait que répéter les paroles que nous retrouvons aux Catacombes, lorsqu'au lit de mort de ses enfants, elle dit à l'âme prête à s'envoler : « Sors de ce monde, âme chrétienne, non-seulement au nom de Dieu le Pl're tout-puissant qui Va créée, au nom de Jésus-Christ qui t'a rachetée, au nom de l'Esprit-Saint qui fa été donné, mais encore, au nom des saints Apôtres et des Evangélistes, au nom des saints Martyrs et des Confesseurs, etc., etc. » (Pages 185 et 186).

Arrivons à l'invocation des Saints.

Les premiers chrétiens ne priaient pas seulement pour les morts ; ils demandaient aux morts, qu'ils supposaient dans la gloire, de prier pour eux. Communion touchante et su- blime que la mort n'a pu rompre et qui fait communiquer les chrétiens à travers les mondes !

196 LES CATACOMBES DE ROME

Nous choisissons au hasard parmi les abondants témoi- gnages que nous avons sous les yeux :

DOMINA' BASSILA. COMMENDAMUS TIBI

CRi^SCRNTINlJS ET MICINA FI LIA NOSïRA

CBESCEN... QVE VIXIÏ MEN. X. ET DIES...

« Nous Crescentinus et Micina, nous vous recommandons, ô saint Bazile, notre fille Crescentina, qui a vécu dix mois et... jours. •)

GENTIANVS FIDELIS IN PAGE QVI VIX

IT ANNIS XXI MENSS VIII DIES

XVI ET IN ORATIONIS TVIS

ROGES PRO NOBIS QVIA SCIMVS TE IN X.

« Gentianus, fidèle en paix, qui vécut vingt et un ans, huit mois et seize jours, priez pour nous dans vos prières, parce que nous vous savons (être) dans le Christ. »

AIONYCIOG NHniOG AKAKOC EN0AAE

KEITE META T12N AFIliN MNHCKEC9E

AE KAl HMQN EN TAIG AlIAIC YMiiN

nPEYXAlG KAI TOT TAY^ATOC KAl

rPAiiANTOG

« Denis, enfant innocent, reposez ici avec les saints ; souvenez-vous de nous dans vos saintes prières, de moi qui ai gravé et de moi qui ai écrit (cette inscription). »

Dans la crypte du pape saint Alexandre, qui date de la

' Les mots dominus et domina étaient employés dans les anciennes inscrip tiona dans le sens de sanctus ou sancta.

AU rOlNT DE VUE Itli LA C.ONTIiOVERSE. 11)7

première moitié du second siècle, \)rb^ du toiabenu de ce saint pontife, on lit l'inscription suivante, tracée par Sylvina, sur le tombeau de sa mère martyre, Sylva :

SEMPER IN CHHISTO DEO VIVAS, VAH, PETE VAll PETE PRO SYLVINA, ET TV QVOQVE PETE ALEXANDEH.

« Vis toujours dans le Christ-Dieu, ô Sylva. Prie, Sylva, prie pour Sylvina, et vous aussi priez pour ellC;, Alexandre.

Enfin, il y a d'innombrables exemples de cette formule aussi courte que significative :

VIVEZ EN PAIX, ET PRIEZ POUR NOUS.

QUE TON ESPRIT REPOSE EN DIEU. PRIE POUR TA SCEUR.

PRIE POUR TON ÉPOUX.

PRIE POUR TES PARENTS.

Nous n'en finirions pas de citer tous ces vieux témoins de notre sainte Foi. En retrouvant les termes mêmes, par les- quels nous l'exprimons aujourd'hui, pétrifiés sur les murailles des catacombes, nous sommes sûrs de son antiquité; en la puisant aux âges mêmes l'Eglise prend sa source, nous sommes sûrs de sa pureté. La négation seule en est moderne.

Pour infirmer ces témoignages, nos adversaires doivent aller jusqu'à prétendre que l'Eglise primitive interpréta mal la pensée du Christ et des apôtres ; que le vrai et pur chris- tianisme fut une espèce de mort-né inconnu au monde jusqu'à la venue de Luther et la révélation de Calvin qui l'ont res- suscité. Ces nouveaux messies ne seraient même pas les derniers ; car étant reniés eu grande partie par leurs Piéritiers actuels, ceux-ci seraient les vrais révélateurs, les seuls qu'il faille écouter, les seuls infaillibles. Encore, d'autres peu- vent-ils venir demain abroger leur enseignement, comme ils

198 LI^S CATACO.MBES DK ROME

ont :vl)rog('' celui des premiers réformateurs qui avaient abrogé celui de l'Eglise. Eu dehors de l'Eglise véritable, le christianisme est une toile de Pénélope sur laquelle l'ouvrier évangélique d'aujourd'hui défait sans cesse le travail de son collègue de la veille.

C'est donc la plus orgueilleuse et la plus sotte des inad- vertances de préférer, dans le christianisme, les opinions nouvelles et perpétuellement changeantes des protestants à la foi antique et immuable de l'Eglise primitive. Devant ces croyances mobiles, toujours provisoires, jamais définitives, le catholique doit être heureux et fier des certificats d'origine que la science moderne apporte à son symbole. 11 doit être heureux de posséder ces nouveaux titres de noblesse, ces vieux blasons de sa foi retrouvés dans les catacombes. Chaque pierre tumulaire est, pour lui, le glorieux écusson d'un an- cêtre. La palme du martyre qui y est gravée, la fiole de sang qu'elle recouvre avec les ossements, sont les nobles pihes qui en ornent le champ; les inscriptions sont les devises. La cou- ronne seule est absente de ces armoiries de l'humihté, de la foi et du courage chrétiens ; elle attendait les héros au ciel , Dieu lui-même l'a déposée sur leur front.

Quels services les Dioclétien n'ont-ils pas rendus à la vé- rité, en forçîint les chrétiens de leur temps à reléguer sous la terre tant de précieux monuments ! J\Iis ainsi à l'abri des in- jures du temps et des révolutions qui agitent sa surfiice, ces monuments ont été conservés à l'avenir, et ils apportent au- jourd'hui à la controverse catholique un auxiliaire d'un prix inestimable. Rome, attaquée par l'hérésie, n'a qu'à frapper du pied la terre pour en ûiire surgir des légions de défenseurs.

Si les bornes de cet article nous le permettaient, nous par- lerions encore des peintures et des sculptures qui attestent la vénération des premiers fidèles pour les reliques et les images.

AU POLM DE VUE DE LA CU.STllÛYEnSF.. il)!)

Nous signalerions les ex-voto offerts :i sainte Agnès, saint Sébastien et autres J\lartyrs; les médailles portant le inono- grannne du Christ, que Ton trouve suspendues au eou de certains corps. encore, nous nionti'erions l'origine antique et vénérable des pieux usages, des moindres pratiques ou dé- votions conservées, non inveidées par nous. Le protestant croit triompher à ce propos ; il se rit de ces signes extérieurs de religion; il croit ou il dit que cela remplace, chez nous, le culte en esprit et en vérité.

Quand nous verrons ces ennemis systématiques du symbo- lisme, dans le catholicisme, le blâmer ailleurs, il sera temps de leur répondre sérieusement. Mais tant que nous les ver- rons approuver un bon fils^d'attacher du prix à l'image de ses parents qu'il pleure, de la vénérer en proportion de l'amour qu'il leur portait, nous ne croirons pas à la sincérité du re- proche qu'ils nous adressent avec tant d'affectation, et nous aurons le droit de les taxer d'inconséquence ou de parti pris.

La consécration apportée par la science à l'antiquité de nos croyances nous rappelle les efforts malheureux tentés naguère par M. le pasteur Puaux pour assigner à chacune d'elles la date de leur naissance. C'était apparemment une tâche in- grate et difficile pour tout adversaire de l'Eglise véritable; car plusieurs de ses confrères, qui se l'était imposée comme lui, ont abouti à des dates fort différentes entre elles et sur- tout fort peu d'accord avec les siennes.

M. l'abbé Robert, dans un excellent ouvrage, a relevé la plus grande partie des inexactitudes et des bévues dont four- mille le « Tableau de l'établissement des dogmes, coutumes et usages de l'Eglise romaine » de M. Puaux.

Si cette réfutation sommaire et courtoise ne suffisait pas à M. le pasteur, il trouvera encore dans la Eome souterraine ample matière à corriger son malencontreux tableau.

200 LES CATACOMBES DE nOME

Par exemple , il fixe au VHP siècle le commencement du culte de la sainte Vierge et des images. Eh bien ! sans aller à Rome, M. Puaux n'a qu'à entrer à la bibliothèque impériale de Paris et à demander le savant ouvrage de M. Perret. Il y trouvera , entre autres dessins importants , la copie d'une fresque, représentant précisément la sainte Vierge ayant de- vant elle son divin Fils, qu'elle semble présenter aux hommes. D'après les autorités les plus graves, cette fresque est du IP siècle. Pour peu que M. Puaux sache soustraire les chiffres aussi bien que les dogmes, il verra donc qu'il se trompe au moins de six siècles sur huit.

Mais on ne peut pas plus attribuer à l'auteur de la fresque originale l'invention du culte de la Vierge et des images qu'on ne peut attribuer à Esteban Murillo l'invention de la croyance à l'Immaculée Conception, parce qu'il a donné ce nom à l'une de ses célèbres toiles. Les deux artistes n'ont fait que tra- duire par le pinceau une croyance antérieurement existante. M. Puaux en veut-il la preuve? Nous le conduirons dans la catacombe des saints Nérée et Acliillée, vers une autre fresque qui remonte au temps de Domitien, quelques années à peine après le martyre de saint Pierre et de saint Paul. Elle repré- sente encore la Vierge Marie assise sur un trône, revêtue du costume des ricbes matronnes romaines et présentant le Sau- veur à l'adoration des trois Mages. Nous le répétons, la date de cette peinture est certainement antérieure à la fin du I" siècle. Or, saint Pierre étant mort à Rome l'an 66, M. le pasteur comprendra que le culte de la Vierge et des images devait se pratiquer du temps et sous les yeux mêmes du prince des Apôtres. Puis, faisant un dernier effort, il avouera peut- être enfin que ce disciple de Jésus devait vénérer lui-même la Mère de son divin Maître. Il y avait un précédent céleste, plus ancien encore, que saint Pierre ne pouvait ignorer et que

AU FÛINT DE VUE DE LA CONTROVERSE. 201

jNI. Fuînix lie saurait mépriser : celui de l'Ange qui, de la part de Dieu, avait salué Marie pleine de grâce. Que M. le pasteur nous permette de préférer l'exemple de l'Ange , des Apôtres et des premiers fidèles à son opinion.

La vue des deux fresques qui nous suggèrent ces réflexions a fait naître en nous un désir : celui d'en voir l'image devenir populaire. Nous voudrions en voir reproduire par la litliogra- phie une réduction pouvant entrer dans les livres d'église. Par le sujet lui-même , par leur date , leur origine , elles se- raient un objet de piété à joindre aux belles gravures popu- laires de Dusseldorf. Mais elles auraient surtout l'avantage d'être une réfutation matérielle de la prétendue nouveauté des croyances qu'elles supposent. Une note explicative, im- primée au verso, dirait en quelques mots l'authenticité des originaux. En parlant à la fois aux yeux et à l'esprit, ces images seraient une prédication sensible, au moyen de laquelle les plus simples seraient prémunis contre l'accusation de nou- veauté qu'on oppose à l'un de nos dogmes les plus attaqués.

L'illustre Cuvier a recomposé, à l'aide des fossiles antédi- luviens, plusieurs espèces du règne animal disparues du globe. M. de Rossi recompose, à l'aide des matériaux fournis par les catacombes, le symbole catholique aux âges aposto- liques, et prouve son identité avec le nôtre. Peut-être, des protestants allant à Rome chercher les plaisirs du touriste et peut-être raviver les haines du sectaire, trouveront -ils au musée de Latran la lumière qui éclaira saint Paul sur le che- min de Damas.

15

PRÉCIS

DE L'HISTOIRE DE L'ART CHRÉTIEN

en France & en Belgique

ONZIÈME ARTICLE *.

CHAPITRE QUATRIÈME.

OKIGIWE DU SYSTEME OGIVAL '

Le système ogival ne fut complètement adopté qu'au XIIP siècle. Mais comme l'ogive se marie au plein cintre dans le cours du XIP siècle et que nous l'avons déjà vue ap- paraître pendant la période romane -byzantine sur quelques points du Nord de la France, nous croyons devoir placer ici quelques réflexions sur l'origine du système ogival.

* Voir le numéro de novembre 1861, p. 564.

' J'ai publié un Mémoire sur l'origine du système ogival dans YInvestiga» leur, journal de l'Institut historique (n" d'août 1850), et je l'ai fait tirer à part à un très -petit nombre d'exemplaires. Ce travail a été litléralement reproduit dans le Dictionnaire d' Archéologie sacrée, publié chez Migne en 1852 (t. ii, p. 447 et suiv ), par M. l'abbé Bourassé, sans qu'une simple note indiquât que j'en étais l'auteur. Reproduisant aujourd'hui, avec des modifications, mes recherches de 185U, je suis obligé de constater cet oubli, pour qu'on ne suppose point que j'ai emprunté une partie de mon article au Dictionnaire de M. Bourassé : < e qui serait le contrepicd de la vérité. J. corblkt.

riiÉcis DE l'uistoiue de l'art chuétien. 203

Plusieurs archéologues se sont engages dans une fausse voie, en voulant [)rouver que V invention de la forme ogivale remonte à tel ou tel siècle du Moyen-Age et appartient ex- clusivement à telle ou telle nation. L'ogive, considérée dans son application à l'architecture, a existé dans les temps les plus reculés. On la rencontre sur les bords du Gange et de rindus, dans l'Asie Mineure, le Mexique et même dans les constructions cyclopéennes des Pélasges : mais l'ogive, dans ces diverses contrées, n'était qu'un ornement accessoire, une figure accidentelle, et non pas le principe générateur d'un système architectonique. Le problème ne consiste donc pas à savoir quand fut inventée cette forme curviligne qui résulte de deux arcs de cercle, mais à rechercher les causes qui mo- tivèrent l'admission générale de cette forme dans un nouveau système architectural. Les opinions les plus contradictoires ont été émises à ce sujet : nous allons reproduire les princi- pales.

Milizia ' et M. Boisserée, en retrouvant dans nos cathé- drales la grandiose végétation des forêts, s'imaginent de pla- cer le berceau de l'architecture gothique dans les sombres forêts qui servaient de temples aux Germains. L'art se serait modelé sur cette sauvage et forte nature : la cathédrale du XlIP siècle serait la forêt qui s'est faite pierre. Mais n'y a- t-il pas neuf siècles qui séparent le Franc de Germanie du Français du Moyen-Age ? Et d'ailleurs le développement ra- pide de la civilisation chrétienne n'avait-il point élevé d'in- franchissables barrières entre les idées d'alors et les souvenirs confus du culte primitif des Germains? Le système de Milizia n'est pas plus soutenable que celui de Chateaubriand, qui voit le patron de l'ogive dans la feuille de palmier; saisir un

* Vie des Archilcctes.

204 PRÉCIS DE L'illSTOIlU': l'art GUaÉTIEN

ingénieux rapport, ce n'est point déterminer une origine.

Amaury Duval ' avance que cette architecture qu'il l)ap- tise du nom de xiloïdique (lu/2;, bois), est due à l'imitation des églises primitives construites en bois. Cette hypothèse n'a pas même pour elle un vernis de vraisemblance. 11 suffit de parcourir les descriptions , tout incomplètes qu'elles soient, que quelques chroniqueurs nous ont laissées des basiliques en bois, pour se convaincre de la différence radicale qui existe entre ces deux gein-es de construction. Qu'y a-t-il de commun entre un monument du XIIP siècle et ces primitives églises sans voûte, tout trahit l'art romain en décadence? Com- ment le caractère ogival se serait-il déjà manifesté dans ces antiques monuments, alors que nous n'en retrouvons pas la moindre trace dans les édifices en pierre des IX^ et X" siècles?

Une opinion analogue a été émise par James Hall ^, qui considère le style gothique comme une imitation des premières chapelles bâties en Angleterre par les missionnaires, avec de simples branches entrelacées.

Une bien plus haute antiquité a été octroyée à cette archi- tecture dans un Mémoire adressé à l'Académie de Belgique en 1848. L'auteur y avance sérieusement que l'arche de Noë et le temple de Salomon. étaient tous deux de style ogival ^.

Warburton % Wilson et beaucoup d'écrivains antérieurs au XIX* siècle, ont attribué l'importation de cette architec- ture aux Goths, les moins barbares d'entre les hordes du Nord qui envahirent les Gaules. Cette opinion a été solide- ment réfutée depuis longtemps, bien que l'on ait conservé cette dénomination impropre de gothique^ que le temps semble

' France littéraire, t. xvi.

- Essai on tJie origine of gothic architecture.

^ Bulletins de l'Académie royale de Belgique, 1848.

* Notes sur les essais moraux de Pope.

DN FRANCE ET EN nEI.GIQUE. 205

avoir consacrée. Il est déiiioutré que les Goths n'avaient nullement le génie artistique; mais on a peut-être été troj) loin en les considérant comme dominés par un instinct des- tructif des beaux -arts. Ils ont, il est vrai, laissé bien des ruines sur leur sanglant passage, mais quel est, au Moyen- Age, le peuple vainqueur qui n'ait point fait subir aux na- tions domptées ces tristes conséquences de la défaite ? Quand les Gotlis curent affermi leur domination improvisée, ils em- ployèrent les bras des vaincus à l'érection de divers monu- ments. Théodoric, roi des Ostrogotlis, fit élever des aqueducs, des thermes et des palais par des artistes italiens. Ne doit-on pas môme reconnaître qu'il avait une certaine compréhension de l'art, lorsqu'il écrivait à son architecte des conseils que Louis XÏV n'a pas su donner aux Perrault et aux Mansard : « Censenius ut et antiquain nilorem pristinum conlineas et nova simili antiqiiitate producas, quia sicut décorum corpus uno con- venit colore vestiri^ ita nitor palatii similis débet per universa membra diffundi. » Ne croirait-on pas entendre parler quelque sage inspecteur de la Société française pour la conservation des monuments ? »

César Cerasiani, G. Wren, R. Willis ' donnent une origine sarrasine à l'arc à ogive; mais il est bien évident que le style mauresque ne renferme aucun des éléments du style ogival. Quel air de famille peut-on constater entre l'arc en fer à che- val et l'arc tiers-point, entre la coupole à minarets et la fièche gothique ? Le palais de l'Alhambra , il est vrai , nous offre des ogives ; mais on sait que ce monument ne remonte qu'à l'an 1275.

M. E. Boid voit dans Too^ive une invention des Arabes ^

' Remarques sur l'Architecture du Moyen Age, 1833.

* Hislolre et Analyse des principaux styles d'architecture, 1835.

206 PRÉCIS DE l'histoihe de l'art chrétien

suggérée par les formes compliquées des ouvrages orientaux en treillage. Il cite à l'appui de son hypothèse les ogives des monuments de Caboul et d'Ispahan ; mais il n'eu parle que par les descriptions toutes poétiques des auteurs arabes qui n'ont été confirmées par aucun voyageur.

M. Ch. Lenorraand suppose que les Arabes faisaient d'a- bord usage du mode byzantin, mais que, au VHP siècle, quand ils eurent conquis le second empire des Perses, ils empruntèrent l'architecture des Sassanides, qui était à ogives ; que de ils l'introduisirent au Caire, puis en Sicile, au X' siècle, et que ce nouveau système, par une sorte d'in- filtration, se serait répandu dans tout l'Occident. On peut répondre à ce savant antiquaire : T Qu'il n'est nullement prouvé que l'architecture des Sassanides fût ogivale : les ruines de ces antiques monuments semblent, au contraire, démontrer qu'ils ont été construits par les artistes grecs et romains que l'empereur Valérien fit venir en Perse, pendant sa captivité (239-269) ; 2" Qu'il serait étonnant, dans cette hy- pothèse, que les Arabes n'eussent point, pendant leur séjour en Espagne, introduit l'élément ogival dans les mosquées mauresques; 5" Qu'il cite à l'appui de ses conjectures des dates qui sont tout au moins contestables. Ainsi, par exemple, le palais de la Ziza, en Sicile, d'après les recherches de ]\Iil- ner, ne daterait que de l'an 1213. Quand bien même on dé- montrerait évidemment que ce monument est du X" siècle, on pourrait toujours présumer que ses ogives ont été ajoutées à une époque postérieure , probablement au XP siècle , alors que les Normands conquirent la Sicile. Ajoutons avec M. le comte de Laborde ' qu'on se trompe en attribuant aux Arabes un génie inventif et qu'ils étaient plus habiles à per- fectionner qu'ingénieux à concevoir.

' VoyiKjc pUlofcsqnc en Espagne.

E;\ FnA.NCK LT EN IIELGlyUE. 207

Whittingtuii ', lord Aberdeeii, M. llittorf donnent égale- ment une origine orientale à l'ogive, dont ils citent des exemples dans l'Arabie, la Perse et l'Asie- Mineure. C'est de l'Orient qu'elle aurait été rapportée dans nos contrées par les pèlerins et les Croisés. Mais, comme l'a observé Milner ^, la date des édifices qu'on allègue comme une preuve concluante est fort suspecte ; les monuments à ogive de la Perse ne sont pas antérieurs à Tamerlan, et l'on n'en trouve aucun dans la Terre-Sainte. Les partisans de cette opinion sont tout au moins obligés de convenir que l'ogive orientale diffère beau- coup de celle de l'Occident, qu'elle n'est point accompagnée de ces gracieux ornements qui embellissent la nôtre et qu'en- fin l'usage en était fort rare avant le XIIP siècle.

D'après J. Barry, Payne, Knight, Seroux d'Agincourt ' et M. Quatremère de Quincy, les exemples de voûtes d'arêtes, qui seraient l'origine de l'ogive, se rencontrent dans l'archi- tecture greco-romaine des temps de la décadence, et le style ogival chrétien ne serait qu'une application plus complète de cet ancien système.

F. Rehm, J. Carter, Ed. King % etc., attribuent à l'An- gleterre le développement primitif de l'architecture à ogives. Mais l'étude comparative des monuments prouve que nos cathédrales gothiques sont plus anciennes que celles de la Grande-Bretagne, la lutte du style circulaire et du style à ogive n'apparaît que vers la fin du règne de Henri II, mort en 1189.

Selon M. Parker, d'Oxford, c'est à la race normande que serait le style ogival. Les Normands auraient emprunté

' Revue historique des Antiquités ecclésiastiques de la France. ^ Treatise on the ecclesiastical architecture of England. '' Histoire de V Art par les Monuments . * Monumcnla anliqua, 1805.

208 PRÉCIS DE l'histoire de l'art chrétien

leurs idées artistiques à tous les pays qu'ils ont parcourus, à l'Anjou, au Poitou, au Midi, à la Sicile, à l'Orient, et c'est du mélange de tous ces styles, combinés et perfectionnés, que serait sortie une architecture nouvelle.

Vasari, Palladio, L. Stieglitz, D.Fiorillo, Th. Hope ', etc., font honneur à l'Allemagne de l'invention de cette architec- ture, qu'ils appellent germanique ; mais il est constaté que l'ogive n'apparaît en Allemagne que vers le milieu du XIP siècle, et même dans beaucoup de monuments de cette époque, on voit le plein cintre régner sans partage.

J. Dallaway et R. Smirke " font venir d'Italie le style à ogive, vers l'an 1 100. Il est vrai que l'Italie n'est pas aussi dépourvue de monuments gothiques qu'on l'avait prétendu ; mais l'ogive y apparaît plus tard qu'ailleurs, et les premiers monuments construits dans ce système ont été l'œuvre d'ar- chitectes allemands.

L'invention de l'ogive a été attribuée aux Egyptiens par E. Ledwich % aux Hébreux par E. Lascell-es \ aux Lombards par H. Watton % aux Normands par Godwin '*, aux Francs- Maçons par J. Hall ^

Hallam ^ a développé cette dernière opinion, en y ajoutant quelques réserves. Il dit que si les anciennes archives de cette association existaient, elles pourraient jeter du jour sur le progrès de l'architecture gothique et peut-être nous en

* Histoire de l'Arcliiteclare, 1835.

* Archœologia , t. xv.

' Antiquités de l'Irlande.

* Origine héraldique de l Architecture gothique. ^ Eléments d' Architecture , 1804.

^ Vie de Chaucer, 1804.

' Essai sur l'Architecture gothique .

^ L'Europe au Moi/en Age, t. iv, p. 231.

EN FRANCK KT EN KCLGIQUE. 209

faire connaître l'origine. 11 croit que l'introduction remar- quable et presque simultanée de ce nouveau genre dans toutes les parties de l'Europe ne peut s'expliquer ni par les circon- stances locales ni par le goût et le caprice d'une seule nation, Bentluim, Milner ', M. A. Lenoir, pensent que l'ogive s'est formée par l'intersection des arceaux. On remarque dans un grand nombre de monuments du XI*" siècle et surtout aux supports des corniches, des arcs circulaires qui, en se croi-

sant, produisent naturellement des ogives. Nos ancêtres, frappés de la beauté de cette nouvelle forme , l'auraieut em- ployée d'abord comme ornement, et, considérant ensuite qu'elle réunissait la solidité à la grâce, ils l'auraient adoptée comme élément générateur de leur architecture ? Avec ce système on s'expliquerait facilement la présence simultanée du cintre et de l'ogive pendant une longue période, et le triomphe définitif de cette dernière forme dans presque toute l'Europe, mais à des époques diiïérentes.

CMoller croit que l'intempérie des climats septentrionaux a nécessité l'élévation des pignons et que de serait provenue la forme ascendante du style ogival. On pourrait opposer à cette opinion que les églises de Norwége, de Suède et de Suisse ont des couvertures plates, et que ce serait surtout dans ces pays neigeux que la nécessité dont on parle aurait se mani- fester.

* Treatise on arc/i. of England, 1811.

^liO PUÉCIS J)E LlllSTOlRE DE LAHT CHRÉTIEN

MM. Yoiing, Mérimée, Bourassé ', VioUet-le-Duc ^ voient la principale cause de l'emploi de l'ogive dans ses propriétés de résistance et dans la solidité qu'elle donne aux monuments à toit élevé. C'est la voûte d'arête répartissant son poids sur quatre supports qui aurait nécessité l'emploi de l'ogive, con- sidérée comme système de construction.

M. A. de Caumout, après avoir admis que l'inclinaison ogivale a pu avoir été adoptée pour faciliter l'écoulement des eaux pluviales et donner par plus de solidité aux édifices, termine le remarquable chapitre qu'il a écrit sur ce sujet en disant que rarcliitecture ogivale s'est développée sous la triple influence des conceptions de nos artistes indigènes, des souvenirs romains et du goût oriental. Par même il conci- lie ensemble les opinions divergentes de Seroux d'Agincourt, de Bentham et de M. Ch. Lenormand.

M. le docteur Woillez ^ établit que l'apparition de l'ogive résulte en général de l'adoption des voûtes à nervures croi- sées, et que c'est d'abord en Picardie que ce germe de l'art ogival fut fécondé par l'expérience.

M. le docteur Batissier * fait remarquer que le système ogival n'est point sorti d'un seul jet du cerveau de quelqu'ar- tiste; que l'ogive fut admise d'abord comme élément nouveau et exceptionnel dans l'architecture ; que son emploi n'a été cause d'aucune révolution, et que son avènement n'a fait que coïncider avec d'autres innovations importantes, dont le con- cours simultané était nécessaire pour développer un nouveau système d'architecture.

' Dictionnaire d'Archéologie sacrée.

* Dictionnaire de V Architecture française, v" Construction. ' Mém. de la Soc. des Anliq. de Picardie, t. i\', p. 284. ^ Histoire de l'.lrt tnonnmcnbil , jt. 497.

EN TRANCF, KT KN HEI.GKjdK. 211

D'après M. L. Vitct ', l'arcliitecture ogivale est née des mêmes circonstances et s'est dévelop])ée d'après les mêmes lois que les langues et les institutions, à cette même épocpie. Son principe serait dans l'émancipation, dans la liberté, dans l'esprit d'association et de commune, entin dans des senti- ments tout indigènes et tout nationaux.

Ce n'est point un motif de goût, selon 31. ]). Ramée ^, qui a fait triompher l'ogive. Ce résultat sei'uit à la puissance de l'art séculier qui, au XIIP siècle, détrôna l'art sacerdotal. Ce serait donc l'influence des artistes laïques, et surtout des francs-maçons, qui aurait fait Henrir le nouveau style dans la chrétienté.

M. Michelet ^ a donné à l'ogive une origine tellement mys- térieuse, qu'elle échappe à l'appréciation du simple vulgaire. « Dans le triangle ogival, dit-il, deux lignes sont courbes, c'est-à-dire composées d'une infinité de lignes droites (??). Cette aspiration commune de lignes infinies en nombre, qui est le mystère de l'ogive, apparaît dans l'Inde et la Perse ; elle domine dans notre Occident au Moyen-Age. Aux deux bouts du monde, se présente l'effort de l'infini vers l'in- fini (??), autrement dit la tendance universelle, catholique. »

S'il nous était permis, après ces diverses autorités, d'ex- primer notre opinion personnelle, nous la résumerions ainsi :

L'arcliitecture gothique ne nous est point venue de l'O- rient. Quand bien même on admettrait que les Arabes aient connu l'ogive avant nous, les rares monuments elle appa- raît n'étaient pas assez remarquables pour exercer une in- fluence quelconque sur l'esprit des pèlerins et des Croisés qui les avaient visités.

' Monographie de Notre-Dame de Nuyon.

' Manuel de V Histoire générale de l'.Irchitecliire.

* Histoire de France, t. n, p 668.

212 TRÉCIS DE l'histoire DE l'aRT CHRÉTIEN.

2" Le système ogival est un produit fiutochthoiie de l'Oc- cident. Il a eu tout à la fois des causes morales dans le besoin d'innovations qui travailla le XIP siècle et dans les ardentes inspirations de la Foi; et des causes purement matérielles dans l'utilité de l'arc brisé pour la solidité des édifices, dans la tendance à exhausser de plus en plus les monuments, dans l'élévation des voûtes à nervures croisées, etc.

L'arc ogival, se produisant chez nous plutôt qu'en An- gleterre, en Allemagne, en Italie, etc., doit être considéré comme une innovation française.

-i" Les premières manifestations de l'ogive apparaissent en Picardie et dans les provinces avoisinantes. Nous serions donc en droit de réclamer pour la Picardie l'invention du système ogival ; mais nous n'insisterons pas sur ce sujet, dans la crainte de nous faire accuser d'un patriotisme trop exclusif en plaçant dans notre province natale le berceau de l'archi- tecture gothique, comme nous y avons déjà placé dans un autre travail ' le berceau de la langue française.

J. CORBLET.

* Glossaire étymologique et comparatif du patois picard, précédé de re- cherches historiques sur le Dialecte romano-picard.

HISTOIRE DE S. JACQUES LE MAJEUR et du Pèlerinage de Compostelle-

Tout travail littéraire a son origine propre : les uns ra- content ce qu'ils ont vu, les autres ce qu'ils ont pensé. Les vrais travailleurs de la pensée sont rares ; mais les touristes abondent sous toutes les zones. J'ai voulu, moi aussi, goûter des voyages; j'ai couru sur terre et sur mer; j'ai vu, j'ai contemplé et j'ai tâclié de retenir. Compostelle est un de mes souvenirs les plus chers ; Compostelle ! immortel pèlerinage, que nos pères du bon vieux temps connaissaient mieux que nous. Que de choses nous aurions conserver, qui sont tombées par notre indifférence ou notre relâchement î

Ce que tant d'illustres écrivains ont exécuté pour Home et Jérusalem avec la double autorité du savoir et du génie, je veux le tenter, avec le seul mérite du bon vouloir, au profit de Compostelle. Je ne rougis point d'ofïrir à des contemporains préoccupés d'autres soucis l'histoire dont mon œuvre porte le titre. Ceux qui dédaigneront cet opuscule comptent peut-être parmi leurs ancêtres quelque pèlerin de Saint- Jacques. Tel qui sourit à ce mot de pèlerin, le sera peut-être un jour lui- même ; un revers , une déception , un retour providentiel à

2U PÈLERIN AGE DE COMPOSTELLE.

des idées (Vid^ord combattues, }>uis acceptées avec enthou- siasme, suffisent pour conduire au pied des autels tant d'autres ont prié et pleuré. Les mobilités du cœur humain, aujourd'hui mauvais, demain repentant, font tout espérer, comme elles font tout craindre.

J'écris donc })0ur tous, même pour les esprits forts, qui me refuseront jusqu'à leur pitié; pour les amis de l'histoire, que toutes les questions du passé intéressent; pour les amis des légendes et du merveilleux, qui trouveront en Espagne des récits aussi curieux qu'en Belgique et en Allemagne ; pour les amis de l'hagiographie, pour toutes les âmes chré- tiennes, qui étudieront avec moi quelques-uns des person- nages évangéliques et les pèlerins canonisés ou vénérés qui ont représenté leur siècle auprès d'un tombeau aujourd'hui trop solitaire. J'écris aussi pour les archéologues, à qui je révélerai des merveilles qui ne sont pas même soupçonnées. J'écris pour mon pays, que tant de liens unissent à la pé- ninsule Ibérique ; les pèlerinages avaient abaissé les Pyrénées et ouvert de nombreux passages à la France sur le chemin de la Galice ; de nombreuses pages de mon travail prouveront la vieille amitié de la fille aînée de V église et du royaume catholique. J'écris enfin pour l'Espagne, pour ce beau pays si justement fier de ses traditions ; je lui dois plus qu'une aimable hospitalité de quelques jours; je lui dois des impres- sions bienheureuses, des jouissances du cœur et de l'esprit. Je me hâte de le proclamer et je veux payer au moins une partie de ma dette chérie en déposant auprès du tombeau, qui fut et qui sera son palladium et sa gloire, l'humble hom- mage de ma reconnaissance et de mon opuscule.

Pardonnez-moi, chers lecteurs, de vous entretenir encore de ma personne. La justification du plan que j'ai adopté, m'en fait un devoir. Enfant de la Gironde, habitant de P)or-

PÈLERINAGE HE COMI'OSTELLE. 21 T)

(leaux, j'avais devant moi les deux voies qui couduiseut en Galice, la mer et les montagnes. Mon aller s'est effectué ])ar l'Océan, grâce au service transatlantique créé récemment, et mon retour par terre; double voyage très- varié, de Bordeaux à Compostelle et de Compostelle à Bordeaux, durant lequel je serai votre guide, si vous daignez m'honorer de quelque confiance. C'est une Odyssée chrétienne que je vous propose. Aventureuse ou non, elle est trop pittoresque pour n'être pas du goût de ceux-là même à qui un motif religieux ne saurait suffire. Partons et allons solliciter des Galiciens une hospitalité bienveillante en échange des secours que le dio- cèse de Bordeaux leur a envoyés^, dans leur détresse, en 1853.

CHAPITRE PREMIER.

ITINÉltAIRE DE BOUUKAUX A COMPOSTELLE.

Quand nos ancêtres, surtout ceux du Midi de la France, choisissaient la voie de mer pour abréger leur pèlerinage, ils s'embarquaient d'ordinaire à Bayonne ou au Cap -Breton. Le bâtiment, grand ou petit, bon ou mauvais, qui les portait, les déposait plus ou moins tardivement à la Corogne, à Vigo ou sur une côte quelconque de la Galice. Natures ardentes et généreuses, ils comptaient pour peu les ennuis et les dangers d'une traversée incertaine; tout s'oubliait au terme du pè- lerinage.

Plus heureux que nos pères avec moins de mérite, nous mettrons à profit la vapeur, ce progrès féerique de la navi- gation au XIX® siècle, et nous trouverons dans l'antique port de la lune de Bordeaux ce que nous chercherions vaine- ment ailleurs. Nous voulons parler du service mensuel établi depuis peu de temps entre Bordeaux et Rio-Janeiro ; service

216 PÈLERINAGE DU COMl'OSTELLE.

éminemment ntilc non-sciilcment un commerce, mais encore à la piété chrétienne et aux pèlerinages; car de Lisbonne, les pacpiebots font leur première station trois jours après leur départ de la capitale de la Guienne, il est facile de se rendre à Compostelle.

Partons avec joie, cliers lecteurs ; les peuples cpie nous allons visiter, sont nos frères. De même que la Galatie d'Asie, le Portugal et la Galice, en Europe, ont été peuplés primi- tivement par des colonies de Celtes ou Galls ; nos ancêtres étaient un peu cosmopolites ; ne le sommes-nous pas nous- mêmes par la frécpience et la rapidité de nos communications ? Partons, le ciel lui-même nous invite à lever l'ancre; car il a été dit depuis longtemps :

Rouge vesp?'e et blanc matin Réjouissent le pèlerin.

Le bourdon et l'escarcelle ont toujours été la marque par- ticulière des pèlerins, ou, comme parle Gruillaume de Malmes- bury, le soulagement et Vindice du voyageur * . Munis de ces deux indispensables compagnons de la route , entonnons le chant des pèlerins :

Écoutez-nous, roi Christ, Écoutez-nous, Seigneur, Et dirigez notre voie *.

Et voguons sous la garde de saint Raphaël , protecteur des

* Solatin et indicia itineris.

- Audi nos, Rex Chiistc, Audi nos, Domine, Et viam nostram dirige. Poésies populaires latines du Moyen Aye, pai' M. Édélestais'i; du Méril. Palis, 1817, Y 56. Voir la suite dans les deux pages suivantes de l'ouvrage.

rKLKUlNAUK LK COAirO.STELLK. 217

lointaines pérégrinations. Le Galicien., nne des caravelles de Christophe Colomb à son cpiatrièrae voyage, fut perce à jour par les tarières ' ; que l'Ange du Seigneur préserve des tarières et des naufrages les Messageries impériales h qui nous aban- donnons pour trois jours notre existence. Rapides comme l'aile de l'hirondelle, exacts comme le soleil, les paquebots transatlantiques^ véritables traits d'union entre l'ancien et le nouveau monde, se balancent sur l'élément liquide avec une majesté et une placidité qui semblent défier les orages. Si le sort nous favorise, la Guienne, la chère Guiemie sera la dépo- sitaire de notre personne et de notre fortune. Grâce à son nom, notre orgueil provincial nous fera croire que nous sommes encore chez nous, même quand nous n'apercevrons plus la Garonne, la Gironde et le golfe de Gascogne. Causer, lire, jouer, méditer, tout est possible abord, à moins qu'un mal toujours redouté, presque toujours inévitable, rarement dangereux, ne vous tienne captif dans une chambrette déco- rée du nom de cabine.

Les berlingues., îlots portugais, que nous saluons du regard et de la main, nous font pressentir le Tage et Lisbonne. Nous voici à la barre du fleuve ; Belem se présente avec sa forte- resse-miniature et son église mauresque ; encore quelques mi- nutes, la machine s'arrête; la ville d'Ulysse est devant nous, ville toute blanche, toute neuve, qu'on ne devrait voir que de loin ; ceux qui ont fait le tour du globe, classent son port parmi les quatre plus beaux de l'univers. Ne serait -il pas encore plus ravissant, si tout notre littoral océanique lui ex- pédiait de plus nombreux bâtiments ?

Si quelque chose a disparu de votre bazar de voyage, sou- venez-vous que vous foulez le sol qui a vu naître saint Antoine

' Christophe CoJomh, par Rosklt.y de Lougi'Es, t ir, p. 257.

TOME VI. 16.

218 lÈLEl^INAGF, DE COMFOSTELLE.

de Padoiie et allez l'invoquer dans l'église érigée, sous son vocable, au-dessus de l'appartement oii il vint au monde.

Hâtons-nous, reprenons la mer à bord de la Liisitanie. Dieu aidant, nous serons dans quinze heures en présence de Porto, plus célèbre pour ses vins que pour ses monuments. C'est le Bordeaux du Portugal. Un roi des temps modernes est allé expier dans ses murs un rêve malheureux. Son tombeau, peu connu de l'Europe, couronne une montagne au-delà du Douro, près de l'embouchure de ce fleuve, et une place qui porte au- jourd'hui son nom, Praca de Carlos Alberto^ rappelle au tou- riste et au penseur des calamités qui durent encore et dont ce prince a été une des premières victimes.

Braga est sur notre route. Son calvaire du Bom Jésus de Monte est justement célèbre ; mais un double souvenir d'un autre genre y intéresse le pèlerin de Saint-Jacques et le Fran- çais. Cette ville doit à l'Apôtre de l'Espagne et du Portugal son premier évêque et peut-être son premier martyr, saint Pierre, dont le Martyrologe Romain et les Bollandistes lixent la fête au 26 avril. Vers la fin du XP siècle, un noble enfant du Quercy;, un illustre Bénédictin de l'abbaye de Moissac, connu dans l'histoire soug le nom et la qualification de saint Gérault^ fut amené de Moissac par Bernard, primat de To- lède, qui le fit chantre de sa cathédrale et ensuite archevêque de Braga. Après avoir évangélisé ce pays, il termina sa car- rière en 1109. Le Martyrologe de saint Benoit place sa fête au 5 décembre. Sa vie a été écrite par Jean Maldonat, cité par François Harseus en son Epitome.

Au XVr siècle, l'église de Braga fut gouvernée par un pieux dominicain, Barthélémy des Martyrs, qu'elle n'a pas encore oublié.

Braga fut jusqu'au XIIP siècle la rivale de Compostelle et lui disputa la juridiction sur quelques évêchés.

PKLEIUNAUE UE COWFOSTELLE. 219

Nous sommes trop pressés pour nous arrêter à Barcellos et à Viana-, arrivons à Caininha. Ici finit le Portugal; ne m'en veuillez pas de vous avoir promenés dans ce pays lointain ; c'est une terre favorisée du ciel, vrai paradis de l'Europe. Un de ces proverbes hyperboliques (pii durent autant (pie l'his- toire, est conçu en ces termes : Dieu fil le Portugal et se reposa.

Nous allons changer de pays, mais non pas entièrement de langage. Le Portugais s'est formé du Gallego, l'idiome d'Al- phonse X, que le peuple, opiniâtre comme ailleurs;, s'ob- stine à parler presque exclusivement.

Un petit Heuve très-paciiique, le Minho, sépare le Portugal et la Galice. Si le souffle d'un vent favorable se joint à l'im- pulsion de la rame, nous aborderons dans quelques heures à Tuy^ ville forte qui, du haut de la montagne elle est assise, menace de l'autre côté du fleuve la ville portugaise de Valence. Réglons nos comptes le mieux possible avec la douane et la police du royaume d'Espagne, nous venons d'entrer, et re- commandons-nous à l'apôtre et au patron de ce pays encore aujourd'hui si chrétien.

Nous voici en Galice; ne foulons qu'avec respect un sol tant de pèlerins ont laissé l'empreinte vénérée de leurs pieds. Encore quelques stations à travers des routes bordées de cet utile maïs, zea maïs, que les gens de nos campagnes ne con- naissent guère que sous le nom de blé d'Espagne; encore un peu de patience , quand nous rencontrerons ces lentes cara- vanes de chars rustiques dont les essieux criards font gémir les airs et les oreilles par les notes les plus aiguës et les plus discordantes. Ce bruit s'entend d'une demi-lieue et ne déplait pas aux naturels du pays. Ils ont ainsi un instrument de mu- sique qui ne leur coûte rien et qui joue de lui-même, tout seul, tant que la route dure. A l'agrément se joint l'utilité : ce bruit perçant et continu avertit les bouviers qui cheminent

220 PÈLEKINAGË UE CO.MrOSTELLfc:.

en sens contraire dans des sentiers trop étroits ils ne pourraient se croiser, de s'arrêter assez tôt pour laisser passer celui qui est le plus proche de l'issue du sentier. Les consolations qui nous attendent, seront mieux goûtées après quelques fatigues, quelques ennuis et quelques terreurs plus ou moins cliimériques. La petite cité de Purrino n'est at- trayante ni par son nom, ni par sa physionomie, et ne mérite pas la moindre halte ; allons nous reposer quelques heures à Vigo sur les bords d'une baie incomparable, d'où les bâti- ments qu'elle a abrités peuvent gagner l'Océan par deux issues également sûres.

Avançons , avançons vers le terme désiré de notre voyage , vers Compostelle. Une petite ville, el Padron, qui est sur notre chemin, doit fixer notre attention. Son nom a une rai- son d'être, dont nous dirons plus tard l'origine.

Gravissons cette montagne; c'est la Montagne de Sai?it- Marc, Monte de san Marcos. Jadis les pèlerins l'appelaient la Montagne de la joie ^ Monte del gozo, parce que de sa cime élevée ils apercevaient pour la première fois le pieux objet de leurs désirs et dès ce moment livraient leur cœur à la plus douce joie. Mais l'esprit de pénitence tempérait ces premiers transports. Avant d'aller plus loin, ils se prosternaient, et le point de la montagne qu'ils touchaient de leur front incliné dans la poussière, s'appelait le lieu de r/iiwii liât ion, el humil- ladoiro.

Compostelle nous apparaît dans le lointain; ce n'est pas un mirage mensonger, mais une consolante réalité. Salut, ville chérie ! Je n'ai point encore sillonné tes rues, je n'ai point encore visité tes monuments; mais déjà tu es plus belle à mes yeux que tant de splendides capitales. Un tombeau m'attire dans tes murs ; c'est à l'ombre de ce tombeau que je veux prier. Combien d'autres l'ont fait avant moi ! Les uns ont

PÈLERINAGE DE COMPOSTE LLE. 221

humilié leur pourpre royale devant ce marbre sans épitaphe et ont tâché d'y expier les séductions et les faiblesses du pou- voir. Les autreSj, pauvres volontaires ou résignés, coupables ou craignant de l'être, ont trouvé sur les mêmes dalles la paix du cœur dans les larmes de la pénitence ; la date de leur pèlerinage a été celle d'une vie nouvelle et de jours plus se- reins. Que de bonheur caché sous leurs grossiers camails à coquilles î Que de récits pour les soirées du village !

Les temps sont changés ; les voyages autour du monde et les vulgaires trains de plaisir ont remplacé les pèlerinages; un nouveau courant d'idées et d'affections circule dans la société; des besoins nouveaux, fébriles, insatiables tourmententune gé- nération nouvelle qu'on dirait sans ancêtres; mais qu'importe? Un pèlerin de Saint-Jacques, un Jacopite ' , si tard venu qu'il soit au XIX" siècle, n'en est pas moins le successeur de plu- sieurs générations de chrétiens au même tombeau ; il renoue le fil de nos traditions nationales, et à ce titre il aspire au respect de ses contemporains, sans aucun souci des sarcasmes du scepticisme ou de l'ignorance.

' Les pèleiinagos étaient si communs pendant le Moyen Age, qu'on dut créer un mot particulier pour exprimer chaque espèce différente Les pèlerins delà Terre-Sainte, avant de letourner dans leur pays, coupaient des branches de palmier qu'ils emportaient conmie un témoignage de raccomplissement de leur vœu. De le nom de iJaîmarii, j^almatl, pulmiçjeri, par lequel on les désignait Notre langue a conservé le vieux mot de Paumiers, qu'on trouve dans nos anciens poètes. Raymond de Plaisance et Foulques d'Anjou furent surnommés Palmiers. Ce surnom est devenu le nom propre de quelques fa- milles qui le portent encore aujourd'hui. Les pèlerins de Rome étaient appelés Romei , de l'origine des noms Romieu, Roumieu de certaines fa- milles. — Les pèlerins de Compostelle s'appelaient Peregrini ; de les noms de Pèregrin, Pèlegrin qui appartient encore aujourd'hui à certaines familles. {Poésies populaires latines antérieures au XI I^ siècle, par M. Edélestand DC MÉR1I-. Paris, 1843, p. 191). Les derniers étaient encore appelés Jacobitœ ou Jacobipetœ, pèlerins de suint Jacques. [Glossaire de Ducange.)

222 PÈLERINAGE DE COMPOSTELLE.

Dieu soit loué ! Nous voici à Composteile, Qu'est-ce donc que cette ville, célèbre dans tout l'univers chrétien ? Son histoire et su gloire ne sont autres que celle de l'apôtre, dont la Providence lui a confié les immortelles reliques. Que de cités qui doivent leur nom, leur grandeur, leur prospérité au passage de quelque serviteur de Dieu ou au culte de leur dé- pouille mortelle ?

l'abbé pardiac.

[I.a suite à un prochain numéro.)

ANCIENS DESSINS DE CHANDELIERS

M. l'abbé Corblet a publié dans le volume de 4859 de la Revue une notice très développée sur les chandeliers et sur l'origine de ces instruments du culte. La publication de ce savant travail nous dispense de faire l'historique des chandeliers en usage dans les églises. Nous nous bornerons donc dans cette courte note à mettre sous les yeux des lecteurs trois dessins de chandeliers calqués sur des vignettes de manuscrits, et un autre dessiné d'après une cise- lure en style roman, qui figure au Musée royal de Belgique. Ce chandelier, très-simple de forme, est tenu par un ange qui occupe le haut d'un des volets ou battants de ce magnifique reliquaire en vermeil [fig. \). Le second {fig. 2) est calqué sur une vignette de

1. 2.

l'époque romane. Il est placé sur un autel, en partie visible^ près

224

DESSINS UE CHANDELIERS.

du calice donl se sert l'oliiciaiit. Ce chandelier, d'une forme Irappue, supporte une chandelle ou bougie enlacée d'une bande tournée en spirale. Le petit chandelier que leprésente la figure 3 porte une

'Wi

V-

V

torche dont la pointe serpente du côté gauche. La figwe 4 est éga- lement un chandelier de l'époque ogivale ; il ressemble beaucoup au précédent, excepté que le pied et la bobèche en sont plus déve- loppés et que le nœud qui est au milieu du pied, au lieu d'"être orné de moulures, est formé d'une simple boule. Ce chandelier est surmonté d'un cierge allumé. L'usage des chandeliers en métal est très-ancien, comme cela est démontré dans le travail de M. l'abbé Corblet, et il est bien à regretter que le clergé admette, de nos jours, sur les autels, des chandeliers en bois, comme cela se voit à la cha- pelle du Saint-Sacrement de Saiute-Gudule à Bruxelles. On donne ainsi un aspect sombre au reste des ornements, tandis que le métal reflète son éclat sur l'ensemble de l'autel.

ARNAUD SCHAEPKENS.

REVUE DE L'ART CHRETIEN 1862 ,

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CTJ 07

MONUMENTS CHRÉTIENS PRIMITIFS à Marseille '

SIXIÈME ARTICLK *.

SARCOPHAGE N" 0 : JÉSUS ENFANT GLORIFIÉ

Ce sarcophage a renfermé pendant plusieurs siècles les ossements du saint abbé Cassien; mais on se convaincra sans peine, en mesurant ses faibles dimensions, qu'il n'a pas été construit pour servir de première sépulture au célèbre fon- dateur de l'abbaye de Saint- Victor : sa longueur à l'intérieur ne porte que 1""20. L'artiste chrétien l'avait donc destiné à recevoir la dépouille d'un enfant. (Voir la planche ci-jointe. J

L'historien de Marseille nous apprend que ce sarcophage reposait de son temps sur quatre colonnes de marbre ' . D'a- près son dessin, les colonnes soutenaient un entablement détaché du monument supérieur. Ne serait-il pas permis d'y voir un ancien autel que les moines auraient transformé en

* Voir le numéro de janvier 1862, p.' 5. ' RiFrr, t. II, 126.

TOME Yi. Mai 1862. 17.

22G MONUMENTS CHRÉTIENS PRIMITIFS

mausolée, à l'époque du moyen-âge l'on commença à exhausser de la sorte les sépulcres de quelques saints dis- tingués ' ?

La table de marbre et les colonnettes n'ont pas été re- trouvées parmi les débris antiques recueillis dans le souter- rain marseillais.

Plusieurs interprétations ont été données à ce bas-relief chrétien : l'archéologue Saint-Vincent reconnaît le Sauveur au centre du tableau ; à ses côtés seraient les apôtres Pierre et Paul, en leur qualité de patrons de l'abbaye; quant à l'enfant porté sur les bras de son père , il serait offert par ses parents au monastère, pour l'y faire élever ; le personnage debout, le plus à droite, serait l'abbé Cassien lui-même ^.

Au reste, Saint-Vincent attribue cette explication au savant Le Fournier, moine de Saint- Victor au XVIIP siècle.

Grosson a adopté l'opinion des deux précédents anti- quaires, en faisant remarquer pour sa part que « dans le cos- tume ancien les vêtements des moines étaient la tunique et la chlamyde '. »

Millin a interprété différemment le groupe de la dernière arcade de gauche : « Persuadé que cette tombe chrétienne

' On s'éloignait alors des usages primitifs. En effet, dans les siècles pré cédents, les ossements des Saints avaient été invariablement placés sous les autels (Selvaggio, Antiq. Christ., t. m, 375), conformément à la vision de saint Jean : Vidi sub altare Del animas interfectorum, Apoc, vj. Le fait est confirmé par le poète Prudence, dans ces vers trop peu poétiques :

Sic venerarior ossa libet Ossibus altar et impositum Illa Del sita sub pedibus Prospicit hsec, populosque suos Carminé propitiata fovet.

' Notice des Monuments..., etc., 17, 18.

* Almanach historique de Marseille, année 1773, p 81.

A MARSEILLE. 227.

représentait comme les autres un trait de la sainte Écri- ture, ). il pensait « qu'on y avait figuré l'oblation de Jésus au Temple ' . »

Les derniers éditeurs de la Notice sur les tableaux et autres monuments du Musée de Marseille ont donné à leur tour l'explication que voici :

« A l'arcade du milieu, un personnage vêtu comme un prêtre ; aux arcades les plus rapprochées, deux assistants ; à l'extrémité droite, un homme tenant son bonnet et de l'autre côté, une femme accompagnée d'un homme qui paraît offrir au prêtre un petit enfant qu'il tient dans ses bras, indiquant la cérémonie d'un oblat consacré par ses parents à la vie monastique, selon l'usage des premiers siècles de l'institution cénobitique '. »

Nous avons déjà fait remarquer avec quelle négligence avaient été dessinés dans les ouvrages de Rufïi et de Millin les beaux sarcophages que nous étudions. Nous pouvons for- tifier ici notre observation critique.

Dans ce sarcophage, les têtes, les poses sont défigurées; les costumes, incertains. La planche de Millin est encore plus erronée. Le Jésus du centre s'y montre d'un âge mûr ; le personnage le plus à droite tient à la main un bonnet ou une toque, tandis que, en réalité, il soutient ou relève un pan de son manteau ; à la gauche de Jésus, on dirait une femme plutôt qu'un homme ^

Le plan de notre page d'art chrétien se développe en cinq compartiments : les arcs en sont surbaissés et géminés ; les colonnes ont été empruntées à l'ordre dorique.

' Voyage dans le Midi de la France, t. m, 177. ' La dernière édition de cette Notice est de. 1851. 'Planche lvi de l'Atlas.

228 MO.Nl'MENTS CilliÉTIENS l'HlMITlFS

Un enfant en occupe le milieu. Vêtu d'une tunique à manches étroites, il porte par-dessus une sorte de manteau qui ondule jusqu'aux avant bras et se termine en pointe vers le genou. C'est la partie du costume que les Latins pa- raissent avoir désigné sous le nom de planeta^ qui pouvait être aussi le colobium des Orientaux ' . Les mains de l'enfant sont ouvertes et ses bras à demi étendus ; les pieds n'ac- cusent aucune trace de chaussure.

Deux personnages barbus et drapés comme on représente les apôtres sur les sarcophages chrétiens primitifs se tien- nent debout à ses côtés et sous leur arcade respective. De la main droite, ils gesticulent comme des hommes en admiration.

Un troisième personnage, plus jeune et imberbe, drapé comme les autres, exprime ses pensées avec une douce per- suasion.

A l'arcade opposée figure un groupe plein de mouvement : un homme d'un âge peu avancé, en tunique et en manteau, présente sur ses mains un petit enfant. Une jeune femme marche derrière lui, timide et se tenant à sa personne ; sa tête est à demi voilée et son vêtement flotte jusqu'au sol.

Tel est l'ensemble de cette composition dont le cadre, on le voit, est peu étendu, mais dont l'interprétation nous paraît assez difficile.

Avons-nous devant les yeux une seule scène, ou bien faut-il y admettre des sujets indépendants? Quel est cet enfant si bien posé sous l'arcade centrale ? Est-il dans un état d'isolement, ou comme un terme vers lequel tous les autres personnages convergent? Quels sont les autres per- sonnages debout et discutant ; enfin à quel fait historique

' /inalecta de re vestiaria, Fekrahilis, p. 65. Ce vêtement est sans con- tredit l'origine des chasubles du Moyen Age, si ornées et si majestueuses.

A .MAllSEILI.i;. 229

se rattache le groupe de famille qui occupe rextrémité gauche (lu plan?

Les esprits qui ont pénétré les secrets de l'antiquité chrétienne, conviennent que certains sujets représentés sur les sarcophages sont encore pour la science des livres à peu près scellés. La pensée réelle qui les a conçus n'apparaît qu'au milieu de graves incertitudes. Après les travaux fort remarquables des archéologues du XVIIP siècle et malgré les dissertations judicieuses de plusieurs modernes, il reste divers points à définir, quelques symboles à justifier, des détails historiques à éclaircir. Pour resserrer de plus en plus le champ des conjectures, il importe donc d'interroger per- se véramment tous les bas-reliefs renfermés dans les musées, et ceux que d'heureuses fouilles révèlent au labeur des pionniers de l'Iconologie chrétienne. Qu'ils apportent avec confiance le fruit de leurs patientes études, afin de préparer pour un avenir rapproché, s'il est possible, le dernier mot de cet art admirable qui naquit avec l'Eglise.

On ne s'étonnera donc pas de la divergence d'opinions qu'a fait naître l'examen du sarcophage connu sous le nom de l'abbé Cassien. Pour ce qui nous concerne, quoique le jugement que nous allons émettre nous paraisse fondé sur des indices majeurs, nous n'en tenons pas moins à déclarer que nos afiirmations ne sauraient être péremptoires ; laissant ainsi à d'autres archéologues le désir et l'espérance de trou- ver la clef véritable qui nous aurait échappé.

Si l'enfant debout à la place d'honneur pouvait être pris à part, il serait naturel d'y voir l'image du jeune enfant que le sarcophage avait d'abord recelé. De nombreux exemples cités dans des ouvrages spéciaux viendraient à l'appui de cette interprétation : et sans nous éloigner du Musée mar- seillais, nous pourrions invoquer le portrait en pied d'une

230 MONUMENTS CHRÉTIENS PRIMITIFS

jeune chrétienne, grossièrement taillé en creux sur un marbre avec son inscription : la pieuse défunte a été également re- présentée les bras étendus et recommandant son âme à Dieu ' . Nous dirons quelques mots de plus pour favoriser cette ex- plication : le jeune enfant porté sur les bras de son père, pourrait être le même élu du Seigneur sculpté au milieu du sarcophage. Après avoir été offert à Dieu dès l'âge le plus tendre, il n'avait pas tardé à quitter la vie présente : peut- être cet enfant béni du sanctuaire, ce jeune lévite portait-il à l'autel un vêtement assez semblable à celui des prêtres , et sur sa tombe privilégiée, on aurait voulu consigner ce double fait. Enfin s'il était possible de ramener la date de cet ou- vrage d'art chrétien jusqu'à l'abbé Cassien et qu'il y eût lieu d'accepter le monastère de Saint-Yictor comme déjà fondé, ne pourrait- on pas voir ici le témoignage d'une de ces pre- mières oblations qui deviennent si fréquentes dans la suite des siècles? Le costume de I'Oblat défunt ne serait- il pas, dans ce cas, plus particulièrement celui des innocents élèves de la vie cénobitique ?

Mais une difficulté réelle m'empêche d'embrasser l'inter- prétation précédente. Je ne puis m'expliquer, en effet, ce mouvement des personnages qui ont été sculptés et mis en action aux côtés de l'enfant central. Il est hors de doute que ce sont des Apôtres : leur similitude avec les disciples du Sauveur habituellement figurés sur les sarcophages, ne nous permet pas d'hésiter à cet égard. Or, à quelle fin les apôtres apparaîtraient-ils comme acteurs dans une scène aussi modeste? Dans quel but les aurait-on attachés à ce tableau,

* Deus meus es... cormnendo spiritum meum ; telle est la fin de l'inscription. Ce rnaibre inédit sera publié, en son lieu, dans la suite des Monuments chré- tiens primilifs à Marseille.

A MARSEILLE. 231

contemplant un défunt qui n'est pas même un adolescent, discourant en face de lui ou lui adressant la parole?

L'enfant de notre sarcophage, quel qu'il ait été durant sa vie mortelle, a-t-il pu devenir l'objet de tant d'honneurs et recevoir après son trépas une pareille gloire ?

Dirons-nous dans une seconde explication que la douce figure qui brille entre les Apôtres est une de celles que l'ar- chéologie sacrée désigne sous l'appellation d'ÛRANTE.Cetype, en eifet, reproduit un grand nombre de fois sur les sarco- phages et dans les peintures des premiers siècles, était vive- ment affectionné par l'Eglise. Avec ses mains étendues, son attitude ferme, I'Orante exprimait encore autre chose que la prière chrétienne en action ; les disciples de l'Evangile eu avaient fait comme la personnification de leurs croyances au dogme de la résurrection des morts ' . On conçoit dès lors sa présence largement manifestée à tous les regards, au sein des Catacombes et dans les lieux s'assemblaient les pre- miers chrétiens. On comprend surtout sa reproduction toute mystérieuse sur les sarcophages. Ici nous nous expliquerons au moins la pose accentuée et énergique des trois Apôtres, prédicateurs zélés de cet article de notre foi. A leurs gestes, on dirait qu'ils publient ou qu'ils expliquent au peuple fidèle le suprême événement qui doit le préoccuper par dessus toutes choses.

Mais, dans cette hypothèse, serait la raison du groupe qui se montre en dehors des Apôtres? Quelles relations y aurait-il à établir entre l'offrande d'un enfant et le symbole de la résurrection des morts?

Le Fournier, Saint-Vincens et Millin reconnaissent le Sau- veur au centre de la composition. Ils sont d'accord en cela

' Rama subterranea, Akikghi, t. ii, 578.

232 IHONUMENTS CHRÉTIENS PUIAUTIFS

avec la tradition, qui ne s'est jamais lassée dans l'antiquité de multiplier sur les tombeaux l'image auguste de Jésus. Seulement ces doctes archéologues ne paraissent pas avoir saisi l'âge sous lequel l'artiste chrétien l'avait représenté.

Pour nous, Jésus est ici à l'état d'enfant. La raison du sujet est des plus naturelles : c'est un entant qui doit être déposé dans le sarcophage ; habitué à sculpter de préférence l'image du Sauveur au milieu de ses marbres funéraires, l'ar- tiste chrétien se sera inspiré du contraste qui frappait son imagination. Souvent il l'avait exécutée sous la forme d'un adolescent plein de grâce ; il aura cru opportun de figurer ici Jésus dans un âge encore plus tendre. Le tableau rappel- lerait ainsi historiquement son enfance et présenterait en même temps dans sa personne le symbolisme éloquent de cet âge que l'Evangile avait préconisé en termes si magnifiques. Or, dans les deux sens, le jeune néophyte du sarcophage devait recevoir une sorte d'apothéose par la représentation du Fils de Dieu enfant. En contemplant l'image si pure du divin modèle, on se persuaderait avec intérêt que l'humble défunt avait conservé en son âme l'innocence baptismale. A son sujet aussi, les fidèles goûteraient l'heureuse occasion d'admirer Jésus dans une autre phase de sa vie et de glorifier du même trait l'enfance avec sa couronne évangélique.

Les saints Livres ne nous parlent pas longuement des pre- mières années de Jésus. On dit de lui qu'en croissant et se fortifiant, il surabondait en sagesse et que la grâce de Dieu habitait en lui ' . On raconte qu'aux approches de la fête de Pâque, ses parents le conduisaient habituellement à Jéru- salem, et qu'à l'âge de douze ans, ayant été amené par eux dans la Ville sainte, il s'en trouva séparé et comme perdu ;

' Luc:., c. Il, 40.

A MARSEII-LE. 2;}.3

qu'après trois jours de sollicitude et de reclierclics, Joseph et Marie eurent enfin le bonheur de le rencontrer au Temple, au milieu des Docteurs, les écoutant et les interrogeant' ; que là, tous ceux qui l'entendaient étaient ravis de la prudence de ses questions et de la justesse de ses réponses ".

Saint Luc, revenant sur un témoignage glorieux qu'il avait déjà donné au saint Enfant, termine le récit de son pèleri- nage à Jérusalem par cet éloge suhlime : « Jésus croissait en sagesse, en âge et en grâces devant Dieu et en présence des hommes \ »

Jésus enfant apparaissait ainsi sous la mystérieuse in- fluence du symbolisme ; sa vue redisait tout ce que cet âge devait obtenir de vénération et d'amour dans le christianisme.

En eifet, le Sauveur ne s'était pas contenté d'entourer les enfants d'une tendresse profonde et inouïe dans la morale payenne, alors qu'il se livrait aux exercices solennels de la prédication : il s'était interrompu dans ses discours pour presser entre ses bras ceux qui s'approchaient de sa personne sacrée, et les caresser avec effusion; mais remarquons sur- tout l'esprit de son enseignement en ce qui concerne l'en- fance : il exige que ses disciples s'attachent à ressembler aux plus jeunes du premier âge '' . Jésus affirme que le royaume du ciel ne leur appartiendra qu'à cette condition ^ « Dans ce royaume, dit-il encore, le plus grand sera celui qui se sera fait le plus petit. » Il va proclamer que tout disciple qui reçoit un enfant en son nom le reçoit lui-même "^ et il

' Luc, c. II, 46. - Luc. , c. H, 47. " Luc, c. ir, 52. * Math., c. xviii, 3. ^ Math., c. xviii, 4. ® Math., c. xviii, 5,

234 MONUMENTS CHRÉTIENS PRIMITIFS

anathématise quiconque scandalise ou méprise l'innocente créature '.

^ La pensée de l'artiste chrétien renfermait une grande in- telligence : elle devenait très-instructive : dans son tableau Jésus et l'enfant se trouvent exaltés à la fois.

Quelle douce figure dans cet Enfant-Dieu ! Quelle modestie dans sa pose 1 Et quelle naïveté dans son expression ! Ses bras indiquent la prière ; ou bien ils se sont ouverts pour révéler et communiquer la paix de son âme. La simplicité de son vêtement ajoute encore à l'harmonie du caractère.

Les Apôtres que l'artiste a placés à droite et à gauche de Jésus enfant, saint Pierre et saint Paul sans doute, publient avec ardeur sa gloire et ses vertus. Le disciple le plus à droite de la scène est imberbe ; on pourrait y voir saint Jean, le bien-aimé de Jésus, qui dans le collège apostolique a le mieux retracé dans ses mœurs la candeur et la pureté de l'enfance.

Le groupe de l'extrême - gauche explique sans effort la pensée génératrice du tableau ; il y répond en outre avec bonheur : c'est l'offrande sacrée d'un enfant par ses propres parents.

Nous partageons pleinement la conviction du docte auteur du Voijaye dans le Midi de la France^ qui n'admet que des scènes de la sainte Ecriture sur les sarcophages chrétiens primitifs , sans y méconnaître pourtant certains types et divers détails symboliques qui s'y rencontrent ; mais en adoptant les faits de l'histoire biblique à l'exclusion de toute représentation étrangère, Millin nous paraît s'être trompé dans le souvenir qu'il invoque en cet endroit. Notre groupe lui a paru figurer la purification de la Vierge, c'est-à dire

* Math., c. xviu, 10.

A MARSEILLE. 235

Joseph et Marie présentant à Dieu le Christ nouveau-né, quarante jours après sa naissance ' .

J'aurais d'abord une vraie répugnance à accepter l'offrande de Jésus des mains seules de Joseph. Au IV* et au siècle, l'art chrétien n'aurait pas reproduit de la sorte le sujet dont il s'agit. Si, à cette époque, les disciples de l'Evangile n'avaient plus à voiler aux yeux des Juifs et des payens les dogmes sculptés, peints ou gravés de leurs saintes croyances, je crois qu'ils n'auraient pas hésité à déposer résolument l'Enfant- Dieu entre les mains de la Vierge ; c'est par Marie, de pré- férence, que Jésus aurait été présenté à l'Eternel.

En dehors de cette raison, l'enfant lui-même porté sur l^s bras du père repousse par son âge l'interprétation de Millin : cet enfant est déjà grand. Sa tunique, le reste de son vête- ment font assez voir qu'il y a un fils de quelques années. Ses mains sont jointes pieusement et tout en lui révèle qu'il participe avec connaissance et avec foi à l'acte religieux dont il est le sujet.

Pour nous qui, dans l'exposé du bas-relief, avons cru pouvoir nous arrêter à l'idée de l'enfance chrétienne honorée et célébrée en la personne de Jésus, nous trouvons bien na- turelle ici la reproduction de l'événement de l'Evangile le plus approprié à cette idée, celui qui consacre la bonté de Jésus pour les enfants et l'ardente confiance d'un père et d'une mère ofi'rant leur fils à ses immortelles bénédictions. « Jésus s'étant avancé vers les frontières de la Judée au-delà du Jourdain.... de petits enfants lui furent amenés, afin qu'il leur imposât les mains et qu'il priât sur eux. Les Dis- ciples s'opposaient avec quelques reproches à cette touchante manifestation ; mais Jésus leur dit : Laissez ces petits enfants

' Tom. m, 177.

23G MONUMENTS CHRÉTIENS PRIMITIFS

et ne les empêchez pas de venir à moi; et leur ayant imposé les mains il quitta ce lieu ' . » Saint Marc ajoute qu'il embrassa ces enftuits et qu'il les bénit paternellement^.

Ainsi deux époux Israélites se sont avancés vers le Sau- veur avec une respectueuse confiance : le père élève l'enfant pour que Jésus le bénisse. L'épouse jeune et modeste n'ose se détacher de son époux. Sa crainte bien marquée ne sur- prend point devant le texte sacré qui nous montre les Apôtres opposés à cette présentation familière des enfants.

Sous le voile de ce fait évangélique se cache une figure pleine d'intérêt, suave et pressante invitation adressée aux parents d'offrir leurs enfants au Sauveur. La piété des fa- milles chrétiennes saisira un langage si éloquent et les jeunes enfants de leur côté, à la vue de l'offrande d'un des leurs, comprendront l'exhortation qui leur est faite : ils iront à Jésus qui les attend, les bras ouverts, dans l'espérance de reposer un jour en paix dans son céleste empire.

Comme les traits historiques de l'Ancien Testament ont souvent été reproduits dans l'iconographie chrétienne, surtout quand ces traits devenus publics appartenaient au domaine du peuple nouveau, il serait possible que le groupe de fa- mille se rapportât spécialement à l'offrande du jeune Samuel.

Au rapport du premier livre des Rois, <' Elcana était triste de la stérilité d'Anne son épouse... Anne, de son côté, ver- sait souvent des pleurs... Dans son affliction, elle pria le Seigneur et lui fit vœu, si elle devenait mère, de con- sacrer pour toujours son enfant à son culte. Cette prière fut exaucée; Anne mit au monde un fils qu'elle nomma Samuel.

' Math., xix, 13. ^Mauc, X, 16.

A .MAl'.SEILLK. 2']7

« Elcunii et son épouse vinrent plus tard ù Silo [nmv exé- cuter leur vœu : Samuel était encore un petit enfant, infantulus^ et ils le présentèrent au grand prêtre Héli, ([iii le consacra au service du Temple. Le jeune Samuel servait le Seigneur revêtu de l'éphod de lin ; sa mère lui avait fait en outre une petite tunique ' .

Ce fait sculpté sur le bas-relief chrétien ne contrarierait en rien l'interprétation générale que nous en avons donnée. Le jeune Samuel est regardé dans l'Eglise comme la figure de Jésus enfant. Sa présence est donc un autre titre de gloire qui revient au Fils de Dieu : elle est encore un souve- nir sagement produit à l'honneur de l'enfance évangélique. Enfin Samuel et ses parents brillent à la place qui leur est assignée comme de dignes modèles à proposer aux pères, aux mères, aux enfants des familles chrétiennes.

L.-T. DASSY,

r.oirespomlant dr. Ministùre pour les Travaux hisloriqnes. ' I Reg. 2, 3.

NOUVELLES PARTICULARITÉS Relanres à la Sépulture chrétienne du Moyen Age,

I, PIQUES DANS LES FOSSES. II. BOUCLES ET ANNEAUX. III. CHA- PELETS. — IV. COQUILLES PERCÉES. V. SANDALES OU CHAUSSURES.

En 1860 j'ai soumis aux lecteurs de la Revue de l'Art Chrétien quelques détails particuliers et tout-à-fait spéciaux que j'avais observés dans les sépultures chrétiennes du Moyen Age. Depuis deux ans mes recherches ont continué sur cette branche si intéressante de notre archéologie nationale et j'ai recueilli plusieurs particularités nouvelles que je crois de nature à intéresser les liturgistes, les archéologues et les ecclésiologistes.

Quelques-unes des observations que je vais avoir l'honneur de soumettre à mes lecteurs sont le fruit de lectures et de voyages, mais la plupart sont le résultat de découvertes per- sonnelles. Ce sont surtout des études faites au sein de la tombe chrétienne à l'aide de fouilles que je dirigeais moi- même. Je ne garantis bien que celles-là; les autres, je les donne pour ce qu'elles valent, je ne m'en fais l'écho qu'autant que les auteurs m'ont paru mériter quelque confiance. Presque

SÉPULTURE CHRÉTIENNE DU MOYEN AGE. 23'J

toujours je cite mes témoins, laissant à chacun le mérite de son dire et la responsabilité de son assertion.

I. Piques dans les fosses. La première particularité que je ferai connaître cette année me paraît surtout spéciale au diocèse d'Evreux ; cela est si vrai que la seule paroisse du diocèse de Rouen le fait m'ait été révélé, est celle de Caudebec-lès-Elbeuf qui n'est entrée dans notre circonscrip- tion diocésaine que depuis le Concordat, par suite de la division départementale de 1790. Cette coutume, qui du reste est le privilège d'une Confrérie, consiste à déposer une pique en fer dans la fosse du défunt, et à côté de sa bière.

La Confrérie qui garde cette pratique est une société de Saint-Micliel dont l'origine ne nous est pas connue. Malgré nos recherches, nous n'avons pu nous procurer ni les règle- ments, ni les statuts de cette association qui du reste n'existe plus à Caudebec et qui languit dans le diocèse d'Evreux.

Nous avons su seulement qu'à Caudebec-lès-Elbeuf, au moment de sa suppression, qui eut lieu vers 1820, la Con- frérie de Saint-Michel ne se composait plus que d'une dizaine d'associés qui tous ont disparu. Chaque année quel- qu'un d'entre eux faisait le pèlerinage du Mont Saint-Michel aux périls de la mer, et à son retour les frères allaient au devant de lui jusqu'aux limites de la paroisse. Tout frère portait avec lui une hallebarde, dont il était propriétaire. Cette hallebarde se composait d'une pique en fer munie d'une hampe, et, à la mort de chacun d'eux, la pique était déposée dans la fosse à côté du défunt. Les trois fossoyeurs de Cau- debec que j'ai interrogés, assurent avoir rencontré de ces piques qu'ils remettaient en terre.

A Caudebec il ne reste guère que le souvenir de la Con- frérie de Saint-Michel. J'excepte pourtant une statue de l'Archange, en costume de guerrier et la lance à la main,

24.0 SÉPULTURE ClIUÉTiENNE

que l'on voit dans l'église et un vieux drapeau à deux cou- leurs que l'on portait encore uaguères aux processions. Ce guidon quadripartit était surmonté de la lance en fer de Saint-Michel. Dans le département de l'Eure, la Confrérie existe encore, notamment àHuest et à Fauville près Evreux, les abus qui l'ont détruite ailleurs ne se sont pas fait sentir.

IL Boucles et anneaux. Dans nos premières Particu- larités relatives à la sépulture chrétienne du Moyen-Age^ nous avons donné le cercueil d'un religieux de l'abbaye de Sainte- Geneviève de Paris ' . Ce sarco- phage ouvert en 1807, lors de la destruction de la basilique abbatiale, nous a été conservé dans son état primitif par M. Alexandre Lenoir et a été publié, vers 1850, par M. Al- bert Lenoir son fils '\ Nous reproduisons une seconde fois cette sépulture monastique dont le cercueil est Franc, tandis que le dernier occupant est vrai- semblablement un religieux du XIIL siècle d'après son costume et les quatre vases à charbon qui l'accompagnent.

' Revue de l'Art chrétien, t. iv, p. 43-1. Quelques paiiicularités rela- tives à la Sépulture chrétienne du Moyen Age, p. 12.

* A. LiiNOin, Statisl. mon. de Paris, 13" livr., pi. xi, fig. 1 à 10.

DU MOVKN A(;i;. 2'<1

Le lecteur reinurijueru que 1(> religieux ainsi repi'éseuté dans son costume monastique possède une ceinture fermée au moyen d'une boucle encore bien reconnaissable. Il nous semble que cette ceinture et cette boucle, ornements de la vie, firent partie de la sépulture monastique du Moyen- Age. Deux faits nouveaux vont le prouver. Ces deux faits se sont présentés à nous d'eux-mêmes , pendant l'année qui vient de finir.

Au mois de juillet 1861 on creusait au nord de l'église prieuriale d'Auffay (arrondissement de Dieppe), les fonda- tions d'une sacristie. Averti que l'on rencontrait dans les fouilles des carrelages émaillés, des pierres tombales et même des sépultures accompagnées de vases à encens, je me rendis sur les lieux et je trouvai moi-même un squelette portant à sa ceinture une boucle et deux anneaux en bronze. Je re-

produis ici, dans leur grandeur naturelle et dans la position respective qu'elles occupaient au sein de la terre, ces trois pièces intéressantes, elles étaient encore enveloppées dans des matières noires que je pris pour des restes de cuir ou de tissu ' . Etait-ce les restes d'un laïque ou ceux d'un reli-

' TiuUet. de la Soc. (1rs Anliq. de Normandie, 2e année, p. 383. Vigie de Dieppe, du 2 août 1861. IVonrcllistc de lioiicn du 4 août 1861.

TOME YI. 18

24'2 SÉrULTlHE ClIllÉTIENNE

gieux? C'est ce que je ne pouvais décider iitteiulu qu'au moyen-âge laïques et moines portaient des ceintures. « Cin- gula pro lurabis, » dit une description de Paris au XIV siè- cle '. Quoique la rencontre eût lieu dans un cloître, je restai cependant incertain sur l'attribution.

Mais une seconde découverte, faite quelques mois après, m'a fait penser qu'il s'agissait bien ici de costume mona- stique.

Au mois d'octobre dernier, fouillant les ruines de la célèbre abbaye de Saint- Wandrille , je trouvai devant le maître- autel môme de l'antique basilique une sépulture que je ne saurais supposer être autre chose que celle d'un bénédictin de Fontenelle. A la ceinture du défunt se trouvait aussi une boucle et deux anneaux de bronze parfaitement semblables à ceux d'Auiïay. On peut en juger par l'exacte reproduction que nous donnons ici. Seulement la bèclie de l'ouvrier ayant

soulevé les objets au moment je détouruais les yeux, je ne

puis dire au juste la place exacte des trois objets. Je suis

porté à croire que la disposition était la même qu'à Auffay.

De cette double découverte faite au sein d'un prieuré et

' IhiJlctbi (In (Jomilé de /a linu/uc, de VInst. ci <hs iirla de lu France, t. m. p. 520.

DU MOYEN ACE. i^i'i

d'une abbaye derordre de Saint-Benoît, j'ai quelque droit de conclure que la ceinture et les boucles faisaient loi dans la sépulture monastique du Moyen-Age.

Comme dernier rapprochement je citerai la boucle ci-jointe

entièrement semblable aux nôtres, et que je dois à l'obligeance de M. L. Métayer, de Bernay. Ce jeune et zélé explorateur a trouvé cet ornement, en I808, dans une des sépultures de la Madeleine de Bernay, cette ancienne léproserie qui a donné des choses si curieuses. Cette maladrerie était comme beaucoup d'autres desservie par des Frères infirmiers.

m. Les chapelets. Au premier abord et en considé- rant la grande quantité de chapelets qui se voient chaque jour dans les demeures chrétiennes et dans les mains catho- liques, on serait tenté de croire qu'il doit s'en rencontrer beaucoup sm^ les morts. Il n'en est pourtant pas ainsi, et jus- qu'à présent dans mes nombreuses fouilles d'églises et de cimetières chrétiens, je n'ai encore recueilli que deux cha- pelets. Les faits de ce genre signalés ailleurs ne sont pas non plus très-multipliés. Toutefois, j'ai hâte d'attirer l'at- tention sur cette particularité qui devra s'ofirir de temps en temps à l'explorateur chrétien.

La première fois que nous avons rencontré un chapelet ou une portion de chapelet, ce fut en 1860, en fouillant dans

â44 SÉI'ULTIÎR!: CIIUKTIENNK

l'église démolie d'Etran près Dieppe. Les grains en bois étaient montés sur une chaînette d'argent ou de cuivre argenté.

Nous savons qu'il était près d'un corps, mais n'étant pas présent au moment de la découverte^ nous ne pouvons dire sur quelle partie du corps il était placé.

Le second chapelet qui se soit présenté à nos observations, ce fut dans l'église abbatiale de Saint-Wandrille en octobre

1861. Ce chapelet accompagna autrefois le corps d'un religieux inhumé sous le clocher dans un caveau qui avait

DU MOYEN agi:. 245

été visité. Il se compose de grains en bois montés sur des fils de laiton ; la croix elle-même est formée avec des grains

de bois, et nous croyons qu'elle se terminait par une mé- daille de cuivre, communément nommée de Saint -Benoit ou Croix des Sorciers. Nous donnons ici cette médaille cu-

rieuse bien connue des amateurs \ Nous l'attribuons aux

' Dans la pensée que quelques-uns de nos lecteurs pourraient ne pas con- naître l'interprétation de cette médaille qui se trouve pourtant dans le Maga- sin j)iUoresque de 1841, t. IX, p. 92-93, nous la répéterons ici; il est vrai que ce recueil populaire l'a donnée d'une manière assez incomplète. Du côté de la croix les quatre lettres C. S. P. B. placées dans les angles signifient Crux Sancti Patris Benedicti. Dans le champ de la croix les lettres qui vont de haut en bas C. S. S. M. L. signifient Crux sancta sit mihi Lux. Les cinq lettres du croisillon N. D. S. M. D. veulent dire : Non dœmon sit mihi Dux.

246 SÉPULTU1\E CH«ÉTIEiNNE

premières années du XVIP siècle, et nous avons la certitude qu'elle descendit dans la fosse à côté d'un Bénédictin, pro- bablement réformé de la congrégation de Saint-Maur.

A ces modestes découvertes nous allons joindre les trou- vailles faites ou signalées par nos confrères. Des faits bien constatés sont et seront toujours les seuls éléments de la véritable science.

En 1861, des chapelets en bois montés sur un fil de cuivre jaune, ont été observés à Bernay dans l'ancien couvent des Cordeliers ; ils accompagnaient des corps qui doivent être ceux d'anciens religieux ' .

Enfin un dernier chapelet venu à notre connaissance a été rencontré, en 1838, par M. L. Métayer, de Bernay, dans le chœur de Saint-Léger de Rostes (Eure). C'était un religieux capucin vêtu de sa chasuble, ayant auprès de la tête un vase à charbon et au côté droit un cordon de fil auquel était suspendu un chapelet composé de grains en bois dur et noir comme de l'ébène. Les dizaines étaient indiquées par d'autres grains de bois blanc, recouverts d'un tissu de soie de couleur.

Au verso de la croix on voit le monogramme du nom de Jésus : I. H. S. et au dessous les trois clous de la passion; autour sont les lettres : V. R. S. N. S. M. V. S. V. Q. L. I, V. B., ce que l'on traduit par ces quatre vers .

Vade rétro, Satana,

Non suadeas mihi vana ;

Sunt vana quse libas

Ipse venena bibas. On nous a assuré que l'origine de cette croix ou médaille de Saint-Benoît ne remontait qu'au XVIIe siècle. Dans ce cas la nôtre serait un des plus anciens monuments de ce genre, mais on ajoute qu'à cette époque elle fut plutôt renouvelée qu'instituée. Cette dévotion se propagea surtout en Bavière. Le Révérend Père abbé deSolesmes, le célèbre et savant dom Guéranger, vient de composer un Essai sur l'origine, la significatioji et les privilèges de la médaille ou croix de Saint-Benoit. Cette notice est actuellement sous presse. ' L. Mkt.weu, Journal de l'arrond. de Bernay du 5 sept. 1861.

nu MOYEN AUK. -^H

A ce chapelet étaient attachées deux médailles et une petite croix d'ébène se démontant en trois parties. Les grains de ce chapelet n'étaient pas montés sur un fil de laiton, mais passés à un cordonnet de soie. Dans le cercueil fait en bois de poirier et rempli de bruyères, on avait placé une monnaie iruste du XVP siècle, il est probable que la sépulture était voisine de la Ligue ' .

ly. Les coquilles. Au commencement de 48{>1, M. Legoutteux, quincaillier à Fécamp, rue Neuve du Marché^ a fait construire une cave dans une maison qui lui appartient située rue des Forts et actuellement occupée par le sieur Lecointe, pâtissier-confiseur.

Pour asseoir cette cave, on creusa jusqu'à la profondeur de plus de trois mètres du sol actuel. Dans cette excavation, on rencontra des ossements humains et des tombeaux en pierre. Ces cercueils étaient construits avec des moellons maçonnés sur les côtés et recouverts de dalles brutes formant encaissement. Il est probable que plusieurs ont offrir pour la tête des entailles carrées ou circulaires.

Les sarcophages étaient si pressés en cet endroit, qu'on eu a reconnu jusqu'à trois rangs superposés.

Ces tombeaux, par leur matière et leur forme, rappellent évidemment ceux de Bouteilles, d'Etran, de Rouxmesnil, du Petit- Appeville (Seine -Inférieure), du Câtillon près de Bé- nouville- sur-Orne (Calvados), des abbayes de Jumiéges et de Saint- Wandrille et de la cathédrale de Worcester, qui tous appartiennent au XIP et au XIIL' siècle de l'ère chrétienne.

Quelques-uns d'entr'eux, nous a-t-on assuré, ont offert des vases à charbon ; deux de ces vases se sont montrés en- tiers et ont été recueillis par MM. Legoutteux, père et fils. Malheureusement l'un d'eux a été cassé après sa découverte.

* L. Métayer, Bulletin motmmcnlal , t. xxvni, p. 424.

248 SÉl'LLTL'RE CHRÉTIENNE

Tous deux nous ayant été rerais par les propriétaires, il nous a été facile d'y reconnaître des vases du XllP siècle.

Ces vases, ronds et sans anse, possèdent au col un simple bourrelet. Ils sont rayés ou cannelés horizontalement sur la panse. Le pied en est bombé et ils tiennent difficilement sur le fond. La terre est blanche, fine, et bien cuite, en un mot, ils ressemblent entièrement à ceux qui furent trouvés , en 1856, à Leure, section du Havre, dans la sépulture de Pierre Bérenguier et dont un spécimen existe au musée- bibliothèque de cette ville. De pareils vases ont été rencon- trés dans les sépultures de Saint -Denis- de -Lillebonne, en 185i; de Sigy près de Neufchâtel, en 1835; de l'abbaye d' Auraale, en J 859 ; de la Léproserie de Janval près Dieppe en 1860; de l'abbaye de Saint- Wandrille, en 1861 et dans des tranchées, à Bully et à Douvrend (Seine-Liférieure).

Au moment de leur découverte, les vases de Fécamp con- tenaient, et ils contiennent encore, le charbon de bois, qui y brûla le jour de l'inhumation. Ils sont noircis au dedans par la flamme et la fumée; tous deux, sont percés sur la panse, d'un rang de trous pratiqués après la cuisson; autant de preu- ves deleurrôle d'encensoir dans les funérailles chrétiennes.

Outre ces deux vases, il a été aussi recueilli, dans ce champ des morts, plusieurs co- quilles, dites pèlerines, percées de deux trous circulaires. Deux de ces pèlerines m'ont été re- mises (j'en reproduis une ici) : malheureusement on ignore l'endroit précis qu'elles occupaient sur les défunts, observa- tion qui m'eut révélé leur rôle pendant la vie.

nu MOYEN AGE.

249

Déjà vers 1850, M. Vitecoq de Fécamp, avait trouvé au même endroit de semblables coquilles et eu assez graud nom- bre. 11 m'en a remis une que j'ai fait graver et que je re- produis également ici dans sa forme naturelle. A quoi pou- vaient servir ces coquilles ? C'est ce que nous ignorons. Etaient-elles des marques d'un pèlerinage fait au Mont Saint- Micliel, ou à Saint- Jacques de Compostelle ? Ou bien étaient- elles seulement le signe distiuctif d'une confrérie de Saint- Jacques ou de Saint-Michel? C'est ce que nous ne saurions dire.

En nous parlant de la découverte faite en 1850, M. Vite- coq nous assura que les morts trouvés alors portaient une de ces coquilles sur chaque épaule; nous citons cette assertion à défaut d'observation meilleure. Ce qui est certain, c'est qu'il a été rencontré ailleurs qu'à Fécamp des coquilles de ce genre. Même sans sortir de notre pays, nous pouvons citer celle que nous avons vue à Jumiéges, dans ce petit musée gémétique, que fonda M. Casimir Caumont et que conserve, en l'augmentant, M. Lepel-Cointel, le religieux propriétaire des ruines de l'abbaye. La coquille forée qui figure dans une des montres a été recueillie, vers 1858, dans les sépultures qui entourent le grand monastère fondé par saint Philibert. En 1858, notre ami Métayer, de Bernay, a trouvé une pèle- rine dans les caveaux-sépulcres de la Léproserie de la Ma- deleine ' .

' i\'ote sur les fouilles exécutées à la Madeleine de JJernai/ en 1858, p. 3.

250 SÉrULTLUE CHllÉTIKNNE

M. Gosse, (le Genève, en signale aussi de tout-à-fait sem- blables dans les anciennes sépultures de la Suisse et de la Savoie. Chose singulière! Elles sont percées de la même ma- nière que celles de Jumiéges et de Fécamp.

Malheureusement M. Gosse n'étant pas présent au moment de la découverte, n'a pas pu voir dans quel milieu se trou- vaient ces coquilles; du moins, il a négligé de nous en in- struire. Toutefois, tout porte à croire que les coquilles de La Balmeetde Zurich sont contemporaines de celles de Fécamp. Voici, après tout, en quels termes s'exprime notre zélé con- frère : « J'ajouterai, dit-il, la circonstance très-heureuse de la découverte faite cette année (1855) dans un tombeau de la Balme (près de La Roche eu Faucigny) d'une coquille

marine, le Janira maxima (le Peclen maximus de Linnée) : elle présente, près de la charnière, deux trous qu'on y a pratiqués pour pouvoir la suspen- dre. Elle est, du reste, -%^\^^^ quant à sa composition, dans un état à peu près normal. Cependant, on a remarqué qu'elle estd'une grande friabilité ' . » Nous reproduisons ici le dessin de la coquille de La Balme tel que le donne M. Gosse ; on remarquera la plus grande similitude avec nos coquilles de Fécamp.

' Nns coquilles de Fécanip, au contraire, sont aussi solid('S que si elles sur- aient du fond des mers.

- DU MOYEN AGK. 2*il

Ce fait de la découverte d'une coquille inui'iiic dans une sépulture, n'est pas unique en Suisse. M. Keller, de Zurich, en a trouvé une n.on loin de cette ville ; voici ce qu'il dit ;i ce sujet, lorsqu'en J841, il décrivit, dans les Mémoires de la Société des Antiquaires de Zurich (t. \"^ p. 29), les exhuma- tions faites à Entibuchel, près Balgrist, canton de Zurich : « Le squelette, n" G, parait avoir été celui d'une femme; la tête reposait sur une pierre; à son cou étaient des mor- ceaux de corail, et près de sa poitrine se trouvait une coquille de l'océan Indien, la Cyprica tijgris) elle était percée à deux endroits et il est probable qu'elle a servi d'ornement ' . »

Si, en dehors des coquilles percées, il nous était permis de citer celles qui ont apparu dans les cercueils, nous en indi- querions des exemples rencontrés dans la Gaule romaine et dans la capitale même de l'Empire.

C'est ainsi que des coquilles ont été vues dans un cercueil en plomb que contenait un caveau en brique, découvert à la gare d'Angers, le 15 juillet 1848. M. Godard-Faultrier, qui nous a laissé le récit de cette curieuse trouvaille, dit qu'on a recueilli au bas du cercueil , deux pèlerines qu'il appelle des peignes de Saint-Jaccpies. Le même auteur cite encore deux ou trois pèlerines vers le milieu du môme sarcophage et comme placées sur le corps. Enfin, dans le plan qu'il nous a laissé du cercueil et des objets qu'il contenait, il figure sept coquilles dont quatre sur le corps et trois au-dessous des pieds ^.

Il paraît bien que la pèlerine, soit en nature, soit en effigie, plaisait aux Gallo-Komains du Bas-Empire, car sur un beau

' Gosse, Siiite à la notice sur d'anciens cimetières troiœe's soit en Savoie, soit dans le canton de Genève, p. 20-21, pi. iv, fig. 4.

' Godaud-Faultriew, Rapport snr un tovtheau gallo-romain adrcsscà M. Bordillon, préfet de Maine-et-Loire, p. 4 et 5, pi. ix.

252 SÉPULTURE CHRÉTIENNE

cercueil en plomb du IV® ou du V* siècle, contemporain de celui d'Angers, découvert à Londres, en 1851, on voit figu- rer, sur le couvercle et sur les côtés, un grand nombre de pèlerines en relief ' . Il en est de même sur de beaux sarco- phages en plomb , trouvés à Yorck et à Colchester depuis un siècle -.

Il parait bien qu'il s'en trouvait aussi dans les sépultures des clirétiens des catacombes , car M. Perret en représente une dans le bel ouvrage qu'il a publié sous les auspices du gouvernement français. Cette coquille est conservée à la cus- tode des reliques de Saint- Appolinaire ^

Enfin, dans ses Recherches sur les antiquités de la Russie méridionale et des côtes de la Mer noire ^ ]\I. Alexis OuwarofF reproduit une coquille trouvée dans les tombeaux de la Cri- mée ; mais cette dernière est en or et ne nous donne la pèlerine qu'en figure.

V. Les sandales ou chaussures. La cinquième parti- cularité que nous avons à révéler dans la sépulture chrétienne du Moyen Age est celle des sandales, bottines ou chaussures funèbres.

Ces chaussures étaient-elles purement funèbres, ou en d'autres termes, spéciales aux défunts et à leurs sépultures? C'est ce que nous ne pourrions affirmer positivement ; mais du moins nous le présumons fortement. Les textes des deux plus grands oracles liturgiques du Moyen Age nous semblent prouver très-clairement que cette chaussure était symbo- lique, et qu'elle était, sinon une prescription de la liturgie, du moins une de ses émanations les plus directes et une de ses pratiques les plus répandues. Voici, en eifet, comment s'ex-

' RoAcu Smith, Collectanea antiqua. vol. m, p. 48, pi. xiv.

' WiuGHT, The ceit, thc roman and the saxons, 2 éd., p. 113 et 114.

^ PiiuUET, Les Catacombes de Rome, t. iv, pi. .\ii, fig. 8.

T)li MOYEN AGI-:. 253

priment à ce sujet Jean Beleth, chancelier de l'Université de Paris au XIP siècle, et son commentateur Guillaume Durand, évêque de Mende au XllP : (Mortui) habeant et soleas in pedibus quo significent ita se paratos esse ad judicium '. Et ut quidam dicunt, debent liabere caligas circa tibias ut per hoc ipsos esse paratos ad judicium reprœsentetur ".

C'est à cette coutume qui fut autant ecclésiastique que laïque et aussi bien monastique que populaire, que nous attri- buons la présence des nombreuses semelles de cuir de san- dales qu'en octobre 1861, nous avons extrait des sépultures bénédictines de Saint- Wandrille. Nous n'en avons pas trouvé moins d'une douzaine dans des cercueils de plâtre qui ne nous 'paraissent pas remonter au-delà des XI V°, XY^ et XVr siècles \

Déjà il y a deux cents ans il avait été rencontré des chaus- sures dans cette même abbaye de Fontenelle lors des répara- tions exécutées par Dom Laurent Hunault en 1671 \ Le lecteur pourra remarquer que les pieds du religieux Génove- fain, représenté en tête de cet article, sont couverts de bot- tines et de ligatures qui ont lui aspect entièrement funèbre.

Les fouilles pratiquées à l'abbaye de Jumiéges de 1 830 à 1840 par M. Casimir Caumont ont aussi montré autour des jambes des abbés des bottines de cuir ou des sandales avec leurs ligatures ^ Nous même, nous avons pu en reconnaître en octobre 1861 , dans l'exploration du chapitre de Jumiéges que M. Lepel-Cointel a bien voulu faire en notre présence.

' JoHAiN. Belktii. Divin, offic. explicatio, c. CLix. * DuRAKDUs, nationale divin, offic, lib. xii, c. 35. ^ Revue de la Normandie, l'^ année, ]862, p. 140-141. '* » Quatre bottines de cuir, parfaitement conservées. » Guii.mkth, Descr. (jéo(j.,hist., stal. et 7non. des arrond. etc, t. il, p. 173. ^ Sépult. gaiiL, mm. , franq. cl norm., p. 365.

234 SÉPULTUHK CHRÉTIENNE

En 1801 également, dans la cathédrale de Worcester, on a trouvé dans le nnir même de l'édifice un squelette ayant aux pieds des sandales dont les semelles de cuir avaient très- peu servi '. Un petit nombre d'années auparavant, l'évêcpie Lyndewode, récemment découvert en Angleterre, avait été trouvé avec des sandales à ses pieds ^ ; ce qui prouva aux Antiquaires anglais que cette coutume avait persévéré dans la Grande-Bretagne jusqu'au XVP siècle.

Des découvertes analogues ont été faites à Angers dans plusieurs églises. M. Godard-Faultrier cite des sandales, des semelles ou des bottines de cuir sur un abbé de Toussaint trouvé en 1845 % et sur François d'Orignai, abbé de Saint- Serges, trouvé en 4857 \ Ce dernier vivait au XV* siècle.

La coutume paraît remonter très-loin, car un historien milanais assure qu'en 1658, on retrouva dans la basilique ambroisienne le tombeau de Bernard, roi d'Italie et petit- fils de Charlemagne. Ce prince, inhumé en 818, avait encore conservé à ses pieds et autour de ses jambes des chaussures de cuir rouge et des semelles de bois '\

On a surtout recueilli en abondance des chaussures sym- boliques en bois sculpté dans les tombeaux souabiens de l'époque carlovingienne , explorés, en 184-6, à Oberflacht

' The gentleman s magazine, octobre 1861, p. 427.

* yîrchœoloçfia, vol, xxxiv, p. 403. Wylie, The graves oj t/ie Jle- v)anni, p. 2G.

* Goi)aud-Fai;ltuikr, Nouvelles archéologiques, décembre 1853, p. 11. La Paroisse, 1" année, p. 9, 15 sept. 1861.

* II). No/e sur un tombeau découv. à Saint-Serges d'Angers, p. 2. —La Pa- roisse, 1^= année, p. 9, 15 sept. 1861.

" Superstites adhuc à corio rubeo calcei utrumque pedem contengebant : iidem que ligncam quisque soleam hinc inde coriaceis indutam habebunt. » PcRi- rKi.M, .Monument basilic, ambros.

DU .MOYEN AGE. 2.^)5

près Stutgai't, dans le Wurtemberg *. Le célèbre docteur J. Grimm prétend que la coutume des chaussures funèbres existe encore en Allemagne ".

On cite môme des traces de cet usage dèsl'éporpie romaine. M. Deville a reconnu une semelle dorée dans un tombeau de Quatre-Mares près Rouen, en 1815 \ Nous-même en avons trouvé à Cany, en i8i9 *, et M. Godard-Faultrier eii signale à Angers, la môme année ^.

l'abbé COCHET.

' VoiN DdiiiucH, Die Iieidengraber am Lupfen hei Oherjlacht, pi. xiii, n" 4. Wyi.ik, The graves of the y/Iemanni iyisurbese, p. 24-26.

- Wylie, Archœologia, vol. xxxvi, p. r29-161.

'" Devillk, Découverte de scpult. antiques à Quatre-Mares, dans la Revue de Rouen, année 1845, t. i, p. 124. La Normandie souter , 2" édition, p. 49.

* La Normandie solder., 1'" édition, p. 5:1-54 : 2'^ édition, p. G3-64. GiRARDiiN, Précis analyt. des trav. de l'acad. de Rouen, année 1852, pi, iv.

* Goi)Aud-Faui.trikii, La Paroisse, P'" année, n" 9, p. 229, 5 sept. 1861.

HISTOIRE DE S. JACQUES LE MAJEUR et du Pèlerinage de Composrelle.

nEUXlÈME ARTIfl.K *.

CHAPITRE II.

SAINT JACQUKS LE MAJEDR ET QUELQUES PERSOWIS'AGES ÉVAKGIÎLIQUES.

Deux apôtres ont également porté le nom de Jacques; le saint Evangile les distingue de deux manières : d'abord, par leur nom patrorfymique : l'un est Jacques de Zébédée, c'est- à-dire fils de Zébédée, Jacobus Zebedœi\ L'autre est Jacques d'Alphée, c'est-à-dire fils d'Alphée, Jacobus Alphœi^-, ensuite, par voie de dissemblance : l'un est Jacques le Mineur, Maria Jacobi Minoris % qualification qui a valu à l'autre apôtre le nom de Majeur, quoique ce dernier terme n'ait pas été em- ployé par les écrivains sacrés.

* Voir le numéro d'avril 1862, p. 213.

' Matth., X, 3.

- Tbid.

' Mauc, XV, 40.

l'l';).KlilNAGK DK CuMrciSTKI.l.i;. «57

Saint Jacques le Majeur, fils de Zébédée, a été ainsi sur- nommé soit à cause d'un âge plus avancé que celui de son homonyme, soit à cause de la priorité de sa vocation, soit à cause d'une taille plus élevée, soit enfin à cause de l'impor- tance des faveurs dont son divin Maître daigna l'honorer.

Il n'entre pas dans notre sujet de parler longuement de saint Jacques le Mineur. Il était fils d'Alphée et de Marie, parente de la très-sainte Vierge; il était donc, selon la chair, parent de Notre-Seigneur, et non son frcTe, quoique le saint Evangile, pour se conformer au langage des Juifs, lui donne cette épithète : « Fratrcs ejus Jacobus et Joseph et Simon et « Judas ' . ') Marie, sa mère, est appelée dans l'Évangile Marie de Cléophas, Maria Cleopha -, c'est-à-dire femme de Cléophas, qui est le même qu'Alphée, et Marie de Jacques, Maria Ja- cobi^, c'est-à-dire mère de Jacques.

Saint Jacques le Mineur eut quatre frères : V Saint Simon, apôtre, surnommé le zélé y Simojiem, qui vocatur j^e/o^es \ et le Cananéen , Cananœus ^, sans doute pour le distinguer de Simon-Pierre^ , de Simon le Cyrénéen % de Simon le Lépreux *, de Simon le Corroijeur^^ de Si77ion le Noir '", et surtout de Judas Iscariote. fils de Simon *\ et ensuite parce qu'il était, comme saint Barthélémy, de la célèbre ville de Cana, en

' Matth., XIII, 55.

- JOAN., XIX, 25.

"" Matth., xxvii, 56. Mauc, xv, 40; xvi, 1.

■' Lcc, vx, 15. Jct.,i, 13.

^ Matth., x, 4. Marc, v, 18.

« Marc, ui, 16. Luc, v, 8. II Pétri, i, 1.

" Matth., xxvii, 32. Marc, xv, 21.

" Marc, xiv, 3.

" .4ct., X, 6.

Act., XIII, I.

" JoAN., V, 72; XIII, 2, 26.

tome VI. 19.

258 l'KLERINAliE DE COMrOSÏELLE.

Galilée, Notre - Seigneur opéra son premier miracle. 2" Saint Judey apôtre et auteur de la deuxième épître ca- tholique, où il s'appelle lui-même frère de Jacques, frater Jacobi\ pour donner plus d'autorité à sa parole. Le texte sacré exprime sa fraternité avec saint Jacques par ces mots : Jude de Jacques, Judas Jacohi ", c'est-à-dire frère de Jacques. Saint Matthieu '', saint Marc '', et le canon de la Messe le nomment Thaddée. On le distingue plus communé- ment sous ce nom , de peur que son nom de Jude, dont l'or- thographe latine est la même que celle de Judas Iscariote, ne soit confondu avec celui du traître qui livra Notre-Sei- gneur aux Juifs. Le texte grec de saint Mathieu l'appelle Lehhée. Il prêcha la Foi en Mésopotamie, pendant que saint Simon évangélisait rp]gypte. Les deux frères se réunirent en Perse, y convertirent un grand nombre d'infidèles, et furent martyrisés en même temps. Une fête commune leur a été consacrée par l'Eglise, le 28 octobre. 5" Saint Joseph, appelé Barsahas, surnommé le Juste ^, qui fut mis sur les rangs avec saint Matthias, lorsque les Apôtres s'assemblèrent pour don- ner un successeur au traître Judas. Le Martyrologe Romain fixe sa fête au 20 juillet. -4" Saint Siméon, qui n'est pas men- tionné dans le Nouveau Testament, mais dont la tradition et le Martyrologe Eomain célèbrent les louanges. Il fut évêque de Jérusalem après son frère saint Jacques le Mineur et fut crucifié à l'âge de 120 ans. La sainte Eglise l'honore le 18 fé- vrier.

Telles sont les annales évangéliques , annales mille fois

' Jl'd^, I.

* Lcc^, VI, J6. - AcL, I, V?,. 5 Matth., X, 3.

* Marc, m, 18. » Acl. I, %>>.

PKLEUINACK. PK COMPOSTF.t.LE. 25*.»

glorieuses, de rimmortelle fiunille de saint Jacques le Mi- neur. Privilégié entre tous ses frères, il fut élevé, dit saint Epiphane, avec l'enfant Jésus. Il partage avec ses frères l'honneur d'avoir été appelé dans l'Evangile ' frères c'est-à- dire parent de Notre-Seigneur. Il est le seul de sa famille et le seul des Apôtres à qui saint Paul ait donné cette précieuse qualification : « Aliuni Apostoloruni vidi neminem, nisi Jaco- «< bum fratrem Domini-. » Selon les apparences physiques, il était frh^e de Notre-Seigneur par une ressemblance de traits si frappante, que Judas craignait une méprise de la part des Juifs qui devaient arrêter son maître et se crut obligé de le leur signaler d'une manière infaillible par un baiser perfide. Quelques interprètes ont supposé que saint Jean faisait allu- sion à cette ressemblance par ces mots de l'Apocalypse : J'ai \\\ quelqu'un qui ressemblait au Fils de l'Homme : « Vidi... « similem Filio hominis^ . » Il avait aussi, à un degré éminent, la pureté de Notre-Seigneur, sa foi, sa sagesse, son amour de la paix * et l'innocence de sa vie. Comme le Sauveur, il priait sans cesse et le front contre terre, à tel point que son front et ses genoux étaient devenus aussi durs que la peau d'un chameau ^ A l'austérité d'un jeûne de chaque jour il ajoutait la privation constante de vin et de viande. Après la mort de son divin Maître, il jura de ne rien manger jusqu'à ce qu'il l'eût vu ressuscité. Notre-Seigneur récompensa sa

' Matt., xiii, 25.

* Galat., 1, 19.

^ Apoc, I, 12, 13.

* Un tableau d'Overbeck, reproduit en gravure par Franc. Keller, repré- sente saint Jacques le Mineur avec une branche d'olivier à la main. C'est une innovation qui ne trouve son excuse que dans une des qualités du saint.

* S. JoANKis Chrysostomi opéra edict. Migne, t. vu, col. 113. Légende du Bréviaire romain (1 mai].

260 l'KU',lU.\AGE DE COMTOSTELLE.

foi par la laveur d'une apparition spéciale : « Deindè visus « est Jacobo * . »

La sainteté de saint Jacques lui valut, comme à l'un de ses frères, le surnom de Juste. Les fidèles se réjouissaient, quand ils pouvaient toucher la frange de ses vêtements. De leur côté, les Apôtres, par une considération particulière pour sa vertu, lui confièrent le gouvernement de l'Eglise naissante de Jérusalem et la garde du saint Sépulcre. 11 fut donc le premier évêque de lo, ville sainte; il fut aussi le premier parmi les apôtres qui célébra la messe , après l'Ascension du Sei- gneur, s'il faut en croire un auteur du XIIP siècle, Jacques de Voragine, auquel nous devons une précieuse collection de curieux récits, connus sous le nom (VHistoire Lombarde ou Légende dorée. Un autre auteur ajoute, dans un ouvrage non moins curieux et plus rare, que les Apôtres et la sainte Vierge communièrent de la main de saint Jacques le Mineur ^.

Son zèle s'étendait au delà de Jérusalem, comme le té- moigne son épitre catholique .^ ainsi appelée parce qu'elle n'est adressée à aucune église particulière, mais aux douze tribus dispersées dans l'univers. Par cette épître, un des modèles de l'éloquence chrétienne, il partage avec saint Jude l'hon- neur d'être classé parmi les écrivains sacrés. Il assista, l'an 51, au concile de Jérusalem, fut discutée la question de la circoncision et des autres cérémonies légales. Il y parla après saint Pierre et fit adopter par les Apôtres une décision qui fut envoyée aux chrétiens que les Juifs convertis avaient

' I Cor., XV. 7.

- Lucis evangelicœ suh vélum, sacroram emhleinatinn,recondilœ,j)ars terlia; hoc est cœleste panthéon sive calum novum in Jesta et gexta sanctonini fotins anni ; varie illustratmn per R. P. Hkkricdm Engklgrave, s. ;'. Antverpiœ, 1658, t. 1, p. 188.

l'KLERlNAGE DE COMTOSTELLE. 2Gl

voulu iu(|uiéter. Au témoignage de salut Paul, il était avec saint Pierre et saint Jean une des colonnes de l'Eglise '.

Epuisé de travaux et de vieillesse, le saint Apôtre avait atteint la 50" année de son épiscopat et la 90'" de son âge. Les Juifs, irrités d'avoir échoué contre saint Paul, parce qu'il en avait appelé à César et qu'il avait été envoyé à Rome, tournèrent toute leur fureur contre saint Jacques. Ils le lapi- dèrent et le précipitèrent du haut du temple. Surmontant la douleur de ses membres brisés, le Saint levait les mains vers le ciel et priait pour ses bourreaux, en empruntant les paroles du Sauveur . « Pardonnez -leur, parce qu'ils ne savent ce <i qu'ils font. » Pendant que ses lèvres mourantes murmuraient ces douces paroles de la miséricorde divine, un foulon dé- chargea sur sa tête un coup violent avec l'instrument de son métier et consomma son martyre. C'était l'an 65 de l'ère nouvelle; Néron régnait à Rome depuis sept ans '. Saint Jacques fut enseveli près du temple; mais plus tard son corps fut porté à Rome ^; le pape Jean III lui dédia une église en 559 et assigna à sa fête , jointe à celle de saint Philippe , le 1" jour de mai.

L'Art chrétien, convertissant en un titre de gloire pour saint Jacques le Mineur l'instrument de son supplice, lui a donné pour attribut caractéristique un bâton de foulon. Con- tentons-nous de citer la façade méridionale de la cathédrale de Chartres, un triptyque du maître-autel de la cathédrale de Meissen, en Allemagne, et un retable de la cathédrale de Clermont.

' Galat., Il, 9.

- S. HiERONYMi opéra omnia, édit. Migne, t. ii, col. 613.

"' La vie et les miracles de sainte Anne avec un abrégé des Vies des Saints et Saintes qui composent la famille de Jésus. Bordeaux, 1690, chez Simon de la Court, p. 356.

262 l'ÈLEUINAGE DE COMPOSTELLE.

La question ainsi dégagée, nous étudierons plus facilement le Saint le plus populaire de la catholique Espagne, saint Jacques le Majeur ou saint Jacques le Grande ainsi qu'il est appelé dans certains livres. Retracer sa vie, ses courses apos- toliques, ses prédications et les hommages que toute la chré- tienté, mais surtout l'Espagne et la France, lui ont décernés, c'est presque écrire une épopée. L'histoire a ses grands hommes, connus d'un petit nombre de lettrés ; l'Eglise a ses héros, dont le nom est répété chaque jour par des milliers de savants et d'ignorants, de grands et de petits, dont le nom est invoqué, dont le nom est porté comme une marque assurée de protection. Celui dont j'ai entrepris un peu témérairement l'histoire et que dorénavant je n'appellerai plus que saint Jacques, sans addition de son surnom de Majeur, est grand et illustre entre tous les autres. A défaut d'éloquence, il me suffira d'être vrai pour faire aimer et admirer un des parents du Sauveur, un de ses plus chers disciples, un de nos pre- miers pères dans la foi.

Saint Jacques naquit à Bethsaïde , petite ville de la Ga- lilée, située à l'une des extrémités du fameux lac de Géné- sareth. Il eut donc la même patrie que le Prince des Apôtres, saint Philippe et saint André. Zébédée fut son père; par sa mère Salomé, sœur ou du moins parente de la sainte Vierge, selon l'interprétation fournie par le Propre des Saints du dio- cèse de Bordeaux ' , il était lui-même parent, à un degré plus ou moins éloigné, du Messie promis à l'univers.

On s'accorde généralement à croire que Marie Jacobé et Marie Salomé, mères des deux apôtres appelés Jacques, étaient sœurs ; les deux apôtres dont elles étaient les mères, étaient donc cousins germains.

" XXV Mdii

l'ÉLElUNAGE HE COAU'OSTELLl';. 263

La tradition rapporte qu'après la mort du Christ les deux sœurs s'embarquèrent avec sainte Madeleine, saint La- zare, etc., et que cette sainte troupe aborda en Provence, à l'embouchure du Rhône, sur les côtes de l'île appelée au- jourd'hui la Camargue. « On croit, dit M. Faillon, que l'en- « droit abordèrent les saints Apôtres de la Provence est « dans le voisinage du Gras dOrcjon ', à une petite distance « de la ville qui porte aujourd'hui indifFéremment le nom « des Saintes Maries ou celui de Notre-Dame-de- la-Mer. On •' ajoute que, voulant rendre grâce à Dieu, qui les avait con- « duits par sa providence, ces saints personnages lui éle- « vèrent un autel de terre pétrie, parce que, sans doute, ils « ne trouvaient pas d'autres matériaux dans ce lieu ; et que « Dieu, pour témoigner combien leur religion lui était " agréable, lit sourdre une source d'eau douce - dans cet en- « droit même, l'on n'en trouvait auparavant que de salée; « que ce prodige les déterminant à convertir ce lieu en ora- " toire, ils le dédièrent à Dieu en l'iionneur de la bien- " heureuse Vierge Marie, et que cette circonstance engagea « les saintes Maries Jacobé et Salomé à se fixer elles-mêmes <( dans ce lieu, en se construisant une cellule jointe à l'ora- « toire, tandis que les autres saints personnages de cette <' troupe allèrent exercer leur zèle à Marseille , à Aix et ail- " leurs. Ces deux pièces, l'oratoire et la cellule qui y était « jointe, furent l'origine de l'église actuelle de Notre-Dame- " de-la-Mer, et le motif de la réédification de cette ville « après sa destruction par les Sarrasins. La tradition ajoute

* Gras ou Grau signifie embouchure . Le terme latin gradiis ou grattis dé- rive, selon Du Cange, a çjradiendo, c'est-à-dire de la marche du fleuve vers la mer.

' Cette source existe encore. Le peuple lui attribue la propriété de guérir les morsures des chiens enragés.

264 PÈLERINAGE 1>E CO.MroSTELLE.

'1 que ces saintes femmes, sachant par les propîiéties de ■'< Notre-Seigneur que la Palestine devait être bientôt dé- " vastée et entièrement ruinée, avaient apporté avec elles, « en partant de Jérusalem, trois têtes des saints Innocents, " et une autre qu'on prétend être celle de saint Jacques. Il « est certain, du moins, que trois têtes de petits enfants, et '< une autre plus considérable, furent déposées dans la terre « avec les corps des saintes Maries, qu'on inhuma à côté « de la source, dans l'oratoire dédié à la très-sainte Vierge, " et était l'autel dont nous avons parlé * . »

L'auteur si érudit, que nous venons de citer, démontre la vérité de cette tradition par des arguments trop péremptoires pour n'être pas acceptés, mais trop étendus pour être admis dans mon travail. Cette tradition, qui fait remonter au P'" siècle la prédication de l'Evangile dans une partie des Gaules, est mille fois glorieuse pour notre pays et méritait une mention particulière. Le soleil de la loi de grâce s'est levé sur nous en même temps que sur la Péninsule Ibérique.

L'Art chrétien a reproduit le voyage des saintes Maries Jacobé et Salomé dans un petit groupe, aujourd'hui mutilé, qui termine la crête du toit de l'église de Notre-Dame-de-la- Mer, du côté du couchant. Un jeune artiste plein d'avenir, M. Aie. Giraud, a bien voulu dessiner ce groupe, au profit de mes lecteurs.

Ce sont deux figures de femmes dans une nacelle qui vogue sur la mer ; type reçu dans le pays pour désigner ces deux saintes, ainsi que la ville de Notre-Dame-de-la-Mer.

Nous n'avons assigné qu'une date approximative au mo- nument de l'église dont nous parlons. Mais les draperies

* Monuments inédits sur l'nposlolat de sainte Marie-Madeleine, etc., t. i, roi. 1267-68.

PMLERlNAaE DE COMPOSTJ'LLE.

265

rappellent les formes et les règles de la sculpture des Ro- mains. L'église, à son tour, offre des caractères non contredits

Voyage des saintes Maries Jacobé et Salorné. (Monument antériuur au IX° sièclf.)

par l'histoire de sa fondation, et d'une antiquité telle, qu'il n'y a point de témérité à adopter pour ce monument une époque antéi'ieure au siècle de Louis-le-Débonnaire ' .

' Une autre église, celle de Lisbonne, a dans ses armoiries une barque en mémoire de la bai'que qui y porta miraculeusement le corps de saint Vincent, diacre et martyr à Valence, depuis le cap qui porte encore aujourd'hui le nom de ce saint, et qui anciennement se nommait le promontoire sacre des Algarves. Les deux corbeaux qu'on remarque sur la proue et la poupe rap- pellent les deux oiseaux de cette espèce qui défendirent le corps du saint exposé, après son martyre, aux bêtes féroces. D. Alphonse Henriquez, pre- mier roi de Portugal, plaça ce dépôt sacré dans l'église cathédrale, qui en fit ses armoiries ainsi que la ville de Lisbonne : « En memoria, dit l'historien, de la nave que ano 1173, milagrosamente conduxo el divino cuerpo de San Vincente Martir, patron suyo, desde el cabo asi dicho, antiguamente pro- vwntorio sacro del ./Igarve, colocada en la cathedral por el primero Rey D. Alfonso Henriquez. »

266 rÈLERINAGE DE COMPOSTELLE,

Ce type explique l'origine du nom de Notre-Dame-de-la- Barque^ sancta Maria de Ratis, donné primitivement à l'église desSai7ites, en mémoire de la barque sur laquelle abordèrent les saints Apôtres du pays, comme l'attestent les auteurs de Provence, Ruffi, Suarez, Bouche, Guesnay, Noguier.

Lors des ravages des Sarrasins, les reliques des saintes Maries furent cachées sous terre. On les découvrit en 1448, au moyen des fouilles ordonnées par le roi René et dirigées par les commissaires que délégua le pape Nicolas V. Leur authenticité une fois reconnue, le roi René et la reine Isa- belle de Lorraine arrivèrent pour les honorer. La cour bril- lante qui les accompagnait assista aux fêtes par lesquelles on célébra la bienheureuse invention de ces reliques. Le bon roi offrit des châsses pour renfermer le pieux trésor ; puis il fit présent à l'église de trois tableaux peints par lui-même, que la gravure a reproduits dans le siècle dernier. L'un avait pour sujet la Vierge-Mère, une autre sainte Marie Jacobé et le troisième sainte Marie Salomé. Le roi- artiste avait repré- senté les saintes Maries avec un vase de parfums à la main, conformément au texte de saint Marc, qui nous apprend qu'après le sabbat elles achetèrent des parfums pour venir embaumer Jésus : « Et cùm transisset sabbatum, Maria Mag- <i dalene, et Maria Jabobi, et Salome emerunt aromata ut ve- « nientes ungerent Jesum' . » La prose si populaire, 0 filii et filiœ, que les fidèles chantent avec tant d'allégresse au jour de Pâques , rend aussi hommage à cet acte intentionnel de piété :

Et Maria Magdalene, Et Jacobi et Salome Venerunt corpus ungere.

' Marc, xvi, 1.

I-^KLKRINAGE DE COAU'USTELLi:. 2(17

Les Grecs ont donné le nom de Myrrophorvs aux suintes emèaMmewses de Jésus. Ils en comptent six, parmi lesquelles figurent de plein droit Jacobé et Salomé ' , Elles figurent aussi, sous un costume de veuve, avec ou sans parfums, auprès des saints sépulcres dont la religion de nos pères a décoré tant de chapelles.

L'église de Notre-Dame-de-la-]\Ier a conservé les précieux restes de ses évangéliques fondatrices et les montre chaque année, le 22 octobre, à la foule empressée et recueillie. On ne saurait trop honorer les illustres ancêtres de notre foi.

Saint Jacques me pardonnera d'avoir consacré quelques ligues à sa glorieuse mère et à la sœur de sa mère, insépa- rables dans leur tombeau comme dans notre culte. Quand la mère et le fils sont grands tous les deux devant Dieu et de- vant les hommes, comment parler de l'un sans parler de l'autre? Et quand la Providence, la céleste distributrice des faveurs temporelles et spirituelles, a doté de leurs cendres des royaumes différents, le pèlerin qui s'exile pour quelques jours dans un but de dévotion, peut-il oublier les sanctuaires chéris qu'il a laissés dans sa patrie? A chaque pays ses joies et ses consolations. Si la Galice nous vante le tombeau de saint Jacques et contemple avec orgueil les phalanges de pèlerins qui se succèdent de siècle en siècle dans son immor- telle basilique, celui de la mère de cet apôtre, sur les bords d'une lie provençale, n'est pas sans quelque gloire. Il a eu

' Dans l'église grecque, le deuxième dimanche après Pâques, que nous appelons du Bon-Pasteur ^ est désigné sous le nom de dimanche des saintes Jfijrrophores ou porte-parfums. On y célèbre particulièrement la piété des saintes femmes qui portèrent des parfums au sépulcre pour embaumer le corps du Sauveur. Joseph d'Arimathie a aussi une part dans les cantiques dont se compose l'office de l'église grecque durant cette semaine. [L année liturgique, par Duin Guéranger, '2" partie du temps pascal, p. 1(34 )

208 l'ÈLERINAGE DE COMPOSTELLE.

ses historiens, ses poètes, ses prodiges et ses pèlerins de toute classe et de toute province. Le royaume tres-chrétienn^QsX pas un des moins riches en reliques et eh souvenirs religieux.

Par un privilège qui ne devait pas être réservé à tous les Apôtres, le texte sacré nous a révélé les noms du père et de la mère de saint Jacques, et leur a assuré par cette seule mention une infaillible innnortalité.

La Providence donna tardivement ' à saint Jacques un frère, du nom de Jean, encore plus illustre que les auteurs de ses jours, lui frère qui devait être l'ami du Sauveur, apôtre, évangéliste, martyr, le type le plus complet de l'in- nocence, le favori du ciel et de la terre.

Jacques et Jean étaient pêcheurs comme leur père. Un jour qu'ils raccommodaient leurs filets, Notre-Seigneur les aperçut dans leur barque et les appela. A l'instant, ils quittent leurs filets et leur père et suivent Jésus de Nazareth. « Illi autem, « statim relictis retibus et pâtre, secuti sunt eum ^ » Leur vocation avait suivi de près, peut-être immédiatement, celle de saint Pierre et de saint André, avec lesquels ils avaient de commun la patrie et la profession.

Le nom de Jacques a la même étymologie que celui de Jacob; en hébreu, il signifie littéralement supplantateur, supplantator ; celui de Jean se traduit par deux mots, grâce du Seigneur, Domini fjralia. Dans le sens spirituel, ces deux noms signifient chacun une vertu, selon saint Bernardin de Sienne : « Petrus interpretatur obediens, Jacobus pauper, « Joannes castus et luminosus gratiâ Dei ^ »

' Selon quelques auteurs, saint Jacques était 12 ans avant le Messie, et 6 ans avant saint Jean l 'Evangéliste, son frère,

* Matth., IV, 22.

° S. Bkrnaudim Senk^jsis, Ordinis Seraphici M'movwn, Scrmoncs eximii de Christo Domino, etc. Lugduni, 1650, t. iii, p. 201.

l'KI.ElUNAGK DE CO.MrOSTKLI.E. ^(lO

Les deux frères reçurent du divin Maître un surnom qui exprime un nouveau mérite : ils furent appelés Boancrges^ c'est-à-dire enfants du tonnerre : « imposuit eis nomen Boa- « nergeSj quod est filii tonitrui '. » Par cette qualification, le Sauveur désignait cette trompette éclatante de la vérité, que ces deux apôtres devaient faire retentir dans tout l'univers, et qui fit trembler la terre pour l'assujettir au joug adorable du Seigneur.

Quelques interprètes appliquent particulièrement à saint Jean ce nom d'enfant du tonnerre^ parce que ses écrits, sur- tout son évangile, sont comme un tonnerre qui se fait en- tendre du haut des nuées à cause de leur sublimité ; une lé- gende rapporte que lorsque saint Jean écrivit son immortel chapitre de la divinité du Verbe, le ciel souscrivit à chacune de ses paroles par un coup de tonnerre.

Mais la même épithète exprime aussi la puissance, l'é- nergie et la sphère d' activité de la prédication de saint Jacques qui retentit du couchant à l'aurore, en Espagne et en Pa- lestine ; elle peint également la mfde sévérité des traits qui distinguent la figure de cet apôtre, et elle symbolise la ter- reur qu'il imprima aux ennemis du nom chrétien, comme nous le dirons plus tard. Il faut ajouter que les phénomènes atmosphériques de la Galice, patrie adoptive de saint Jacques après sa mort, justifient, à leur façon, le surnom de Boanerges. J'ai entendu, près de Compostelle, des explosions électriques tellement formidables que le sol ébranlé semblait s'agiter sur ses bases. V enfant du tonnerre habite donc le pays des ton- nerres, pour en être sans doute le paratonnerre. On l'invoque avec saint Jean l'évangéliste et sainte Barbe contre la foudre.

Saint Jacques fut honoré comme saint Jean, mais à un

-* Mahc, m, 17.

270 l'KLKKlNAGE DE COMPOSTELLE.

degré inférieur, de l'amitié de Jésus-Christ. Il assista comme témoin et comme acteur à l'une des pêches miraculeuses ' ; il assista à la guérison de la belle-mère de saint Pierre ^ et de l'hémorroïsse, à la résurrection de la fille d'un chef de la synagogue nommé Jaïre % à la transfiguration '', à l'agonie de Notre-Seigueur dans le jardin des Oliviers ^ et à toutes les apparitions deNotre-Seigneur après sa glorieuse résurrection.

Les Samaritains refusèrent un jour de recevoir Notre-Sei- gneur chez eux parce qu'il allait à Jérusalem. Jacques et Jean, les deux enfants du tonnerre, indignés de cet outrage, dirent à leur maître : « Voulez-vous que nous commandions « au feu du ciel de descendre sur ces gens-là « Vous ne « savez à quel esprit vous appartenez, » répondit le Sauveur **. A une autre époque, le prophète Elle avait pu user de moyens violents pour venger la gloire du Seigneur ; mais la loi de grâce venait d'être inaugurée par V Agneau de Dieu. L'esprit de douceur, de mansuétude et d'immolation devait seul pré- sider au zèle des Apôtres.

Les Apôtres avaient tout abondonné pour suivre Jésus- Christ. Quelle devait être leur récompense ? Notre-Seigneur promit à chacun d'eux un trône à côté du trône de sa gloire, quand viendrait le temps de la Régénération,, c'est-à-dire du jugement dernier \ Salomé appliquait à la création d'un royaume temporel ces paroles qui flattaient son ambition maternelle ; d'un côté, elle redoutait la prépondérance de

« LtJc, V, 4-10. « Maiu;., I, 29-31. 5 Marc, v, 22-43. * Matth., XVII, 1-10. " Matth., xxvi, 36-38. 8 Luc, IX, 51-56. ' Matth , xix, 26-30.

PÈLERINAGE IlE COMFOS'l'EM.K. 271

saint Pierre, qu'elle voyait préféré aux autres dans les grandes occasions ; mais d'un autre côté, elle comptait sur le mérite de ses fils et sur les droits que leur parenté avec le Sauveur semblait leur conférer. Elle aborde donc avec con- fiance Notre-Seigneur : « Ordonnez, lui dit-elle, que mes deux fils soient assis dans votre royaume, l'un à votre droite et l'autre à votre gauche. » « Vous ne savez pas ce que vous demandez, » leur répond Jésus '. Les disciples insistent; Notre-Seigneur supporte leur ignorante importunité et en profite pour leur tracer une règle de conduite plus conforme à l'humilité évangélique. Une primauté autrement désirable que toutes celles de ce monde était réservée à saint Jacques ; le moment approche d'en parler.

L'aBBE l'ARDlAC.

[La suite au prochain numéro.]

Matth., XX, 20-24 Bossuet a supérieurement explané ce passage évangélique dans le Précis d'un Panégyrique pour la fête de saint Jacques.

L'ÉGLISE DE NOGENT- LES-VIERGES [Note adduionnelle )

Monsieur le Directeur,

Ma notice sur l'église de Nogent-les-Vierges , insérée dans le nu- méro de mai 1860 delà Revue de l'Art chrétien, contient, sm^Béatrix de Bourbon, reine de Bohême, des erreurs que M. Houbigant a bien voulu me signaler et que je crois devoir rectifier. J'avais eu le tort d'accepter, sans recourir aux sources, les allégations de M. Graves. Quelle que fût la confiance due, en général, à ce conscien- cieux auteur, j'aurais faire, en écrivant la notice, ce que j'ai fait depuis.

Je ferai remarquer, d'abord, une faute de typographie, dans la reproduction de l'inscription du monument élevé à Creil sur la place des Marais. La date est 1385 et non 1395. Mais cette date de 1385, qui se trouve dans le Dictionnaire historique de Moréri, est fausse elle-même, comme je le démontrerai plus loin.

Louis Ii^f, duc de Bourbon, fut mis, en 1318, en possession de la chatellenie de Creil, dont le possesseur devait hommage au comte de ClermoLit, et qui était affectée, par privilège, à l'aîné de la mai- son de Bourbon*.

En 1325, il abandonna cette chatellenie à Charles-le-Bel, roi de France. Mais, deux ans après, et sous Philippe de Valois, elle ren- tra en sa possession.

Béalrix de Bourbon, fille de Louis P'' et de Marie de Hainaut,

' Histoire de la ville de Creil ^ par M Mathow, de Keauvais. 1861.

F/KGLISE DE NOGENT-LhS-VII.UGES. '273

('•[lousa, eu 133i* ou 1335*, Johan de Luxenibouig, loi de Bolièmc, ol lui apporta en dot, à titre de Ijaioiinie, la terre deCreil, estimée 4,000 livres de rente, à charge d'hommage envers les comtes de Clermont.

De ce mariage naquit un fils, du nom de AVenceslas, qui fut comte, puis duc de Luxembourg, et mourut le 13 décembre 1383, selon Moréri.

En 1346^ Jehan de Luxembourg, roi de Bohème, bien qu'il fût devenu aveugle, accourut en persoune au secours du roi Philippe de Valois, attaqué par les Anglais. Il fut tué glorieusement h la funeste bataille de Grécy*.

Béatrix de Bourbon, sa veuve, revint en France, elle se re- maria avec Eudes, seigneur de Grancey, eu Bourgogne.

J'ignore la date de la donation faite par cette princesse aux com- munes de Creil, Montataire et Nogent-les- Vierges, dont il est ques- tion daus ma Notice. La procession annuelle qui a lieu en recon- naissance de cette donation, est fixée au jour de l'Ascension ; l'in- dication du mois de juin, que j'ai donnée, est donc trop générale, et par là, inexacte.

Le 7 aoiit 1374, Béatrix de Bourbon, du consentement de son deuxième mari, Eudes de Grancey, et de son fils V^euceslas, trans- porta la baronnie de Creil à Charles V, roi de France, et à la reine sa femme, qui la réunirent à la couronne. La reine de Bohême x'e- çut, en échange, les ville et chatellenie de Bar-sur- Aube *.

' MoRERi, Dictionnaire historique. Louis I«'' mourut en janvier 1341, ou, selon Piganiol de la Force, en février 1342, et Marie de Hainaut en août 1354.

- Nicolas Vigner, Histoire des comtes et ducs de Luxemhoury , publiée, pour la première fois, par Duchesne, en 1617. Dans l'édition donnée en 1619 par Nicolas Pavillon, avec de nombreuses notes, la date du mariage de Béa- trix est reculée à 1336. On sait que l'année commençait alors à Pâques ; de , dans les divers historiens, des différences chronologiques. Pour vérifier les dates, il faudrait connaître le jour et le mois du mariage.

' Voir, dans les Chroniques de Froissart, le récit de cette mort héroïque.

'* On le voit par là, c'est à tort que M. Graves a écrit que le comté de Cler- mont appartenait à la reine de Bohême, laquelle n'a possédé que la baronnie de Creil. Dans une Histoire de la ville de Creil, par M. Mathon, insérée, en 1861, dans les Mémoires de la Société académique de Beauvais, l'acte de cession du 7 aoiit 1374 est donné en entier.

TOME VI. 20

274 l'église de iSOfiENT-LES-VIEltOES.

Nicolas Viguer, dans son Histoire des comlcs et ducs de Luxem- bourg, dit que Béatrix de Bourbon survécut de 37 ans, à Jeban de Bobèrae, ce qui place sa mort eu 1383 et non en 1385.

A l'appui du fuit, Nicolas Pavillon, annotateur de Vigner, donne la teneur de Tépitapbe qui se lisait encore, au temps de Pigauiol de la Force (1742), dans Téglise des Jacobins de Paris, la reine de Bobème avait été inbumée. Voici cette épitapbe :

CY. GiST TRES NOBLE ET TRES PVISSANTE DAME MADAME BIATRIX. DE BOURBON. ROYNE DE BOESME ET COMTESSE DE LVCCEMBOURC. LAQVELLE FVT FILLE DV DVC LOYS DE BOVR- BON ET DE MADAME MARIE DE HAINAVT ET FEMME DE FEV lEHAN ROY DE BOESME. QVI TRESPASSA LE VENDREDI XXV^ lOVR DV MOIS DE DECEMBRE MIL IIF. IIII" ET TROIS.

Pigauiol de la Force, daus sa Description de Paris (tom.v,p.l09), en parle ainsi dans l'énumération des tombeaux des Jacobins : « Béatrix de Bourbon, fille de Louis 1", duc de Bourbon, et de « Marie de Haiuaut,fut mariée eu 1334, à Jean de Luxembourg, roi (( de Bohême, et, eu secondes noces à Eudes, seigneur de Grancey, (i en Bourgogne. Elle mourut le 25 décembre 1383 et lut inhumée « dans cette église, l'on voit sa ligure, debout et appuyée contre « un des piliers du sanctuaire du maître-autel et son épitapheau- « dessous, outre un tombeau de marbre qui est dans la nef à main (( gauche. »

Le musée de Versailles possède une copie en plâtre, haute de 4™69% de la statue ci-dessus mentionnée. La figure originale est dans l'église de Saint-Denis.

Il y a lieu de rectifier l'inscription de la place des Marais, à Creil.

Dans ma Notice, j'ai décrit. Monsieur le Directeur, la verrière qui orne la fenêtre de Tabside dans l'église de Nogent-les-Vierges, et qui représente le martyre des deux Saintes. Depuis, on y a mis celte légende : Comment sainte Maure et sainte Brigide furent martyrisées.

Au-dessous, huit tableaux, plus petits, y ont été ajoutés. En voici les légendes :

L ÉGLISE DE NOGENT-LES-VIEUGES. 27ri

Comment naquirent en h'cosse sainte Maure et sainte liriijide.

Comment elles furent baptisées.

Comment elles secouraient les malhevt^eux.

Comment elles refusèrent de riches alliances.

Comment elles partirent en pèlerinage.

Comment elles bénirent Dieu à leur arrivée à Jérusalem.

Comment leurs corps furent transportés et arrêtés à Nogent par la reine Bathilde.

Comment leurs sainta Reliques y sont honorées.

Ces tableaux, fabriqués sur ]es dessins de M. A. Lavignc, chez M. Lévèque, h Beauvais, sont, en général, assez bien composés; mais la couleur n'en est pas suffisamment harmonisée avec celle du martyre représenté au-dessus.

Deux autres croisées, qui se trouvent, à droite et à gauche, dans les murs latéraux du cIioRur, ont été garnies de verrières bien réussies.

A droite, est représenté saint Louis, roi de France, en pied, por- tant le sceptre de la main droite et la couronne d'épines de la main gauche. Par respect pour la sainte relique, la main est recouverte d'un pan du manteau royal. Au-dessus sont les écussons de saint Louis et de sa femme. Au bas, dans un cartouche, saint Louis est représenté à genoux, en prières. On lit l'inscription suivante : A saint Louis, Boy de France, visitant en pèlerinage l'église de Nogent- les- Vierges et ordonnant à ses frais la constructioti du chœur actuel, la paroisse reconnaissante.

A gauche est représentée Béatrix de Bourbon, aussi en pied, et tenant la donation faite aux trois communes. Au-dessus, ses armes et celles de Jehan, son premier mari. Au-dessous, dans un car- touche, celui-ci est à genoux et en prières. Voici l'inscription : A Béatrix de Bourbon, reine de Hongrie, faisant don à Nogent-les- Vierges de ses prairies autrefois communales, la Commune reconnais- sante * .

Cette inscription contient une faute grave et qui devra être rec- tifiée. Béatrix était reine de Bohême et non de Hongrie. La Bohême et la Hongrie formaient deux royaumes distincts. Ce qui a pu pro-

' En 17P3, ces prairies ont été partagées entre les habitants.

276 l'église de nogent-les-vierges

duire la confusion, c'est qu'une autre Béatrixaélé, dans ce temps- là^ reine de Hongrie.

Je profite des rectifîcatioiis qui motivent ma lettre, pour ajouter à ma Notice quelques renseignements sur les œuvres de Michel Bourdin.

Le musée de Versailles, outre les ouvrages déjà énuroérés de ce sculpteur, possède la statue, en marbre, d'Amador de la Porte; il est à genoux et revêtu d'une casaque, décoré de la croix de l'ordre de Malte.

Amador de la Porte, grand'croix de Malte, grand prieur de France, ambassadeur de son ordre eu France, gouverneur d'Angers en 1619, du Havre en 1626, lieutenant du roi au pays d'Aunis en 1633, est mort à Paris, le 31 octobre 1640.

Cette statue, haute de 1™46% placée autrefois dans l'église du prieuré du Temple, ornait le tombeau, en marbre noir et blanc, du grand Prieur '.

On connaît encore, de notre sculpteur, les statues de saint Ger- vais et de saint Protais, au portail de l'église des Saints-Gervais-et- Protais, à Paris®.

L'église Sainte-Croix d'Orléans possède une de ses plus belles œuvres. On y voit, dans la chapelle de la Vierge, placée au rond- point, se trouve la sépulture de la maison de Longueville, qui l'a fait décorer en marbre blanc et noir, au-dessus de l'autel et dans une niche, une figure de Notre-Dame de Pitié, en marbre blanc, d'une grande beauté '.

' Voir, dans la Description de Paris de Piganiol de la Fokck, t. iv, pagos 225-229, les insciiptions de ce mausolée. D'après son épitaphe, Amador de la Porte est en 1555, étant mort en 1640 à 85 ans. Octogesimum œtatis annmn excedente Justro , morte justorum ohdormivit in Domino anno Sal. 1640.

^ Piganiol de la Force, t. lu, pages 502 et 505.

' Essai historique sur Orléans, par Polldche, m.dcc.lxxviii. Cet auteur rapporte la tradition qui fait mourir à Oi'léans Michel Bourdin , en punition d'un vol commis à Notre-Dame de Cléry en 1622. (Voir, à ce sujet, la note qui est aux pages 275 et 276 de la livraison de mai 1860 de la Revue de l'Art chrétien]

l'église de NOGENT-LES-VIERGES. 277

Pour compléter la notice de l'église de Nogent-les-Vicrges, il me reste à mentionner une belle horloge astronomique, établie par l'habile M. Vérité, horloger à Beauvais*.

Elle a sept cadrans. Celui du milieu indique les heures. Au- dessus, est un baromètre; au-dessous, le quantième du mois; à droite, en haut, les révolutions de la lune, et eu bas, les mois; A gauche, en haut, les révolutions du soleil, et en bas, les jours de la semaine.

Un cadran extérieur répète les heures.

Cette œuvre remarquable se recommande à la fois par la régu- larité de la marche et par la simplicité des rouages.

Veuillez agréer, etc.

ÉLIE PETIT.

' La réputation, déjà si justement étendue de M. Vérité, s'est accrue par la magnifique horloge qu'il a faite pour Ms'' Mathieu, cardinal-archevêque de Besançon, et qui est dans la cathédrale de cette ville.

BIBLIOGRAPHIE

NUMISMATIQUE BÉTHUNOISE, Recueil historique de Monnaies, Mé- reaux, Médailles et Jetons de la ville et de V arrondissement de Béthvne, par L. Dakcoistje, Ârras, A. Brissy , 1859 (1862).

Lorsque, sons le litre modeste A'Essai, il publiait, en 184.3, son Histoire monétaire de la province d'Artois, ^l. A. Hormand ne con- sacra, faute de documents, qu'un petit nombre de pjages aux mon- naies de Béthune. Toutefois, mettant sa confiance dans l'avenir, notre si regretté collègue et ami terminait son chapitre par un acte d'espérance. «Un jour viendra, disait-il, de nouvelles décou- vertes combleront les lacunes que je n'ai pu remplir. » L'appel adressé à l'avenir par l'érudit numismate n'a pas été vain ; un homme, depuis longtemps connu dans la science par de remar- quables travaux, s'est chargé d'y répondre. L'auteur des Recherches historiques sur Hénin-Liétard et de la Numismatique Douaisienne , M. Dancoisne, vient, sous le titre de Numismatique Béthunoise, de livrer au monde savant le fruit de patientes et laborieuses investi- gations.

L'ouvrage se divise en deux parties. La première, précédée d'une courte introduction, esquisse rapide de l'histoire de Béthune et de ses seigneurs, traite des monnaies, méreaux, médailles et jetons appartenant au chef-lieu de l'arrondissement. Les monétaires mé- rovingiens sont rares ; M. Dancoisne produit un tiers de sol d'or (VHP siècle) qu'il a récemment trouvé, et un autre qu'il croit, avec raison, être plus que douteux. Absence totale de pièces karolin- giennes, mais, comme M. Hermand, l'auteur a la foi du numismate; il compte sur de futures découvertes. Les monnaies seigneuriales pu- bliées sont au nombre de 12, chiffre que M. Dancoisne eût pu faci- lement enfler ; il s'est borné à présenter les types principaux sans

iiii;i-i(i(iHAi'iiii:. 271»

tenir comide des vaiiélés peu saillantes : ce sonUles deiiiors et une obole d'argent du XII* siècle et du XIII*, époque après laquelle la monnaie de Bétluine, tombée en discrédit, fut délaissée sans regret.

Un intérêt puissant s'attache aux articles relatifs aux méreaux. Ces petits disques de plomb, d'abord marques conventionnelles, destinées dans les villes à tenir lieu de fractions de monnaies, furent ensuite employés sur le marché aux grains de Béthuue à payer le salaire des portefaix : quand ceux-ci en possédaient une quantité suffisante, Targenlier de la ville en remboursait la valeur en argent légal. Les méreaux servirent aussi de bons desecours pour les indigents, et, aux corporations ou commerçants, de signes re- présentatifs pour effectuer, dans le cercle de leurs relations parti- culières, des transactions de minime importance. Après les méreaux communaux, les méreaux ecclésiastiques, jetons de présence qui at- testaient l'assiduité du clergé à paraître aux offices et lui donnaient droit à certaines distributions de pain, de vin ou d'argent. De ces derniers, comme des pièces communales, M. Dancoisne fournit des spécimens choisis, provenant de la collégiale de Saint-Barthélémy, de l'église de Saint-Vaast, du prieuré de Saint-Prix et de l'associa- tion des ChaiH tables de Saint-Eloi.

Je ne mentionnerai pas les médailles commémoratives d'événe- ments politiques, les jetons et les billets de confiance qui occupent une large place au sein du volume ; j'ai hâte d'arriver à la seconde partie. Elle renferme une nomenclature alphabétique des com- munes de l'arrondissement qui firent frapper des monnaies, mé- dailles ou enseignes de pèlerinage. Chaque localité a son article sé- paré ; Alîouagne et la sainte Larme, Amettes et le B. Benoît Labre, Carvin-Épinoy et saint Druon, Notre-Dame de Libercourt, les mé- dailles seigneuriales et religieuses d'Hénin-Liélard, Isbergue et la Sainte qui porte ce nom, La Beuvrière et sainte Christine, Lambres et saint Lambert, les monnaies mérovingiennes et karolingiennes de Lens avec les médailles qui rappellent la victoire du grand Condé, Liilers et son Chapitre, Locon et saint Maur, enfin les mon- naies et médailles de Saint-Venant, passent tour à tour sous les yeux du lecteur.

M. Dancoisne expose avec une lucidité et une méthode dont on ne saurait trop le louer; son style est simple, ferme et coulant :

280 BIBLIOGRAPHIE.

quoique chaque article soit accouipagné d'aperçus liisloriques d'une haute valeur, toute longueur, toute digression inutile est évitée avec soin, et, pour les lecteurs qui voudraient plus qu'une instruc- tion amusante, 23 pièces justificatives puisées dans les archives municipales de Béthune sont rejetées à la fin du livre.

La Numismatique Béthunoise, ornée de 27 belles planches repré- senlant environ 180 sujets, sort des presses de M. A Brissy, impri- meur à Arras ; elle fait le plus grand honneur au goût de ce typo- graphe distingué qui, avec M. Rousseau-Leroy, accapare la clien- tèle des érudits artésiens.

CH. DE BINAS.

LES TRÉSORS SACRÉS DE COLOGNE, ohjets d'art du Moyen Age con- servés dans les églises et dans les sacristies de cette ville, dessinés et décrits par Franz Bock, texte traduit de l'allemand par MM. W. et E. Sdckac. Paris, A. Morel, 1862, grand m-8" de 186 pages et 48 planches.

Je visitais pour la seconde fois, il y a deux ans, les églises de Cologne et j'avais le bonheur d'avoir pour guide mon savant ami l'abbé Franz Bock; je lui exprimais le regret que sa Description des Trésors sacrés ne soit pas connue en France, il y a si peu de per- sonnes qui connaissent la langue allemande. Le vœu que je formais alors vient d'être exaucé, et prochainement M. Morel éditera une traduction d'un ouvrage analogue de M. le docteur Bock sur les richesses liturgiques d'Aix-la-Chapelle. Ceux qui ont visité Cologne admireront de nouveau, dans d'excellentes lithograpliies, les objets d'art dont le souvenir leur est resté: mais que de merveilles nou- velles se révéleront à leur attention ! Ce ne sont pas seulement les églises célèbres de Cologne, celles que visitent tous les voyageurs, qui contiennent des chefs-d'œuvre de l'art catholique, il y en a partout : à Saint-Martin, à Saint-Alban, à Sainte-Colombe, à Saint- Pierre, à Sainte-Cécile, à Saint-Jacob, à Saint-Jean, à Saint- Séveiin, eic. M. Bock a décrit tous ces objets avec une science parfaite, et, à leur occasion, il a souvent résolu de difiiciles pro- blèmes d'archéologie et de liturgie.

J. CORBLET.

KQT'^ .. , .

MONUMENT FUNERAIRE du chanoine Ruyschen, à St-Servais de Maêstricht.

L'usage de placer des ex-voto dans les églises, pour expii- mer la reconnaissance envers Dieu, ou pour rappeler la mé- moire des morts, a sensiblement diminué depuis deux siècles. Ces ex-voto funéraires respirait le génie des arts, pendant les XIV et XV siècles, ont été remplacés par de lourds mo- numents qui, pour la plupart, témoignent plutôt delà vanité des survivants que de leur esprit religieux et artistique. Sur ces tombeaux fastueux sont représentés des armes de familles, des armes d'alliance, des couronnes et divers emblèmes qui contrastent singulièrement avec les inscriptions éplorées qui les accompagnent. Il y a même quelques monuments funé- raires du XVIIPet du XIX' siècle qui sont composés de ma- nière à faire douter de leur destination religieuse. Le sujet principal est ordinairement le Temps, grand vieillard ailé et décharné, appuyant le pied sur le globe du monde et bran- dissant d'un air menaçant sa faux exterminatrice. Puis vient le portrait du défunt, entouré de génies ailés, d'armoiries aux riches lambrequins: une pompeuse inscription énumère, dans un style tout païen, ses titres et ses qualités. Le sen- timent religieux n'y apparaît que rarement; pour le trouver dans les ex-voto, il faut remonter au Moyen Age, ou, sans al- ler si loin, aux siècles des Van Eyck et des Rubens, qui pei-

TOMK vr. Juin 1862, o|

2,S2 MOiSUMliNT FLINÉRAIKE DE UUISCUEN.-

gnirenttant de pieux personnages dans l'attitude de la prière, sur les volets de leurs magistrales compositions.

La Renaissance nous a légué des sculptures funéraires d'une riche imagination, exemptes de cet aspect lugubre qui glace les tableaux et les bas-reliefs votifs dont nous avons parlé précédemment. Expressifs dans l'ensemble des lignes et des groupes, ces monuments ont encore l'avantage d'unir d'une manière intelligente et gracieuse, F architecture et la peinture dans un même cadre. Nous citerons comme exemple le bas-relief votif en pierre dont nous offrons la gravure en tête de cet article : il est loin sans doute d'être irréprochable dans ses formes ; mais on y constate un véritable talent ar- tistique et un harmonieux ensemble.

Dans la partie supérieure, le Rédempteur bénissant d'une main, porte de l'autre le globe surmonté de la croix. Plus bas, deux anges soutiennent, l'un la colonne de la passion, l'autre le sceptre de Marie terminé par une fleur de lys. La zone inférieure nous montre celui auquel le monument est consacré, le chanoine de Saint-Servais, Gilles Ruyschen, en prière^ agenouillé; il est accompagné de saint Servais, le pa- tron et l'évoque des villes de Tongres et de Maëstricht. La sainte Vierge tenant le Christ enfant dans ses l)ras, plane au- dessus de lui ; elle est couronnée par deux anges. Un prie-dieu sur lequel est un livre ouvert, est timbré des armes du cha- noine.

L'architecture du cadre est composée avec le goût et le luxe habituels aux artistes de la Renaissance. Sur son socle formé de deux banderolles en parties déroulées, et réunies au mi- lieu par un ange qui les expose, on lit une invocation implo- rant la miséricorde divine pour le salut du défunt qui mourut pendant la seconde moitié du XVP siècle.

ARNAUD SCIÎAEPKENS.

LA PRIÈRE DE MARIE ET LE BON PASTEUR Etude sur un Sarcophage d'Arles.

I. Marie est Mère de Dieu, c'est le premier et le plus beau de ses titres, celui d'où dérivent tous les autres. Ce titre, l'Art chrétien l'exprime par la ligure d'une jeune mère tenant son fils sur son sein. On dit communément que ce mode de repré- sentation se répandit à la suite du concile 'd'Ephèse; l'étude des monuments qui nous restent de cette époque ne justifie pas cette opinion. Ce concile proclama une vérité qui, ob- scurcie un instant par les sophismes de Nestorius, avait dès le commencement brillé de tout son éclat dans les croyances de r Eglise, comme une condition inséparable du mystère fondamental de l'Incarnation. Dans celle des images attri- buées à saint Luc ' qui semblerait avoir le plus de droit à cette vénérable origine, la Madone de Sainte- Marie - Majeure, la Vierge-Mère porte son divin Fils entre ses bras.

' Nous croirions qu'il y aurait de notre part une sorte de témérité à ne tenir aucun compte de la tradition qui fait de saint Luc, le premier peintre de la sainte Vierge, quand beaucoup des critiques les plus éminents et les ))Uis

284 ÉTUDE SC1\ l!N SAllCOPIIAGE D'.'.îtLES.

Parmi les peintures des Catacombes qui, en dehors de l'adoration des Mages Marie figure comme personnage his- torique, représentent incontestablement la sainte Vierge, nous n'en connaissons que deux oiielle^soit accompagnée de l'Enfant-Jésus; l'une, placée dans le cimetière de Sainte- Agnès *, attribuée devant nous sur les lieux même au IP siècle par le regrettable P. Marchi, est tout au moins du commencement du IV siècle, c'est-à-dire dans tous les cas antérieure au Concile d'Ephèse, et l'autre du cimetière de Saint-Jules est très postérieure à ce Concile, étant proba- blement une œuvre du VIP ou du VHP siècle '\

sévères ne craignent pas de l'admettre, et que cette croyance est répandue de- puis un temps immémorial en un si grand nombre d'églises particulières. On ne lui oppose rien d'ailleurs que des arguments négatifs: saint Luc, dit-on, était médecin et non pas peintre... a-ton vu qu'un médecin de profes- sion ne puisse avoir quelque talent en peinture f On fait observer que la plu- part des images prétendues de sa main diffèrent notablement de style et de type... On pourrait en conclure qu'il n'a pas peint toutes celles qu'on lui at- tribue, que beaucoup,* toutes peut-être, ne sont que des copies, des imitations plus ou moins éloignées des originaux ; il ne s'en suit pas qu'il n'ait pas peint les originaux. D'après les révélations de la sœur Émerique, la Ma- done de Sainte-Marie Majeure ne serait elle-même qu'une copie de ce genre, et l'original, réellement à saint Luc, serait renfermé dans l'un des piliers de la basilique. On a essayé de distinguer le saint Luc, peintre de Ma- dones, du saint Évangéliste en faisant de lui un moine grec du VIII» siècle ; aucune supposition n'est moins soutenable, elle tombe devant ce seul fait que la tradition dont nous parlons est mentionnée par Théophile, lecteur, écri- vain du VI« siècle.

' La question de l'antiquité de cette image, est surtout subordonnée à celle du chrisme dont elle est accompagnée. En admettant sur l'autorité de M. le chevalier de Rossi, que ce signe ne s'est répandu qu'à la suite de la vi- sion de Constantin, faut-il en conclure qu'il ait été sans exemple aupara vant ? Bosio, Roma softeranea, p. 471;Bottaui, Fitture e sculpture sacre, (.. III, pi. (i.iii; d'AGiKCOOKT, t. Vj pi. XI, fig. 8; Pjîruet, Catac, t. ii,

pi. VI.

* BosK), p. 579.

ÉTUDE .SUR UiN sAncoriiAGK d'aulis. 285

Sur les fonds de verre, on ne connaît qu'une seule figure de mère portant son enfant ' : rien n'autorise à la prendre pour la Mère de Dieu. Ce genre de représentation est également étranger aux sculptures des sarcophages ; il est fréquent au contraire dans les mosaïques, non pas toutefois dans les plus primitives: nous en pourrions citer une dizaine, mais toutes du VHP ou du IX" siècle ^

IL Si nous devons en juger par les monuments, nous dirons que pendant toute la première période de l'Art chrétien jus- qu'à cette époque, Marie fut principalement représentée dans l'attitude alors consacrée pour exprimer la prière, c'est- à-dire del)out et les mains levées au Ciel. La Madone de l'Ara Cœli, une de celles que la tradition fait remon- ter à saint Luc, remarquable, si la gravure que nous en avons sous les yeux est fidèle ', parla similitude de son type avec celle de Sainte-Marie-Majeure, se rapporte à cet ordre d'idées, bien que les mains y soient inégalement levées, con- trairement à toutes les figures dont nous allons parler et elles le sont avec une symétrie parfaite.

La peinture du cimetière de Sainte-Agnès résume ces deux modes de représentation, la Sainte-Vierge s'y montrant les bras étendus et son divin Fils assis sur ses genoux. Nous n'en connaissons qu'un second exemple, mais il en fait sup- poser un très-grand nombre d'autres intermédiaires, étant donné par le sceau moderne du mont Athos; c'est un monu-

' BoLDETTi, p. 202;' d'Agiwcolrt, t. V, pi. XII, fig. 22; Perret, Catac, t. IV, pi. XXVI ; G.\RUCCi, Vetri ornati, etc., pi. xxx, fig. 1.

^CiAMPiJNi, Vet. mo7i.,t. II, pi. XXXVIII, xmv, xlix, li, Liv; de Sacr. cedif., pi. xxiv, Passeri, 3Iomimenta sacra ehurnea, à la suite de Goni, Thés. vet. Dypt., t. m, pi. v; Fointaka, Chiese di Roma, t. ii, pi. xviii,

XXVI.

^ Chiese di Roma. t. ii, pi. xiv.

286 ÉTUDE SUR UN SARCOPHAGE D ARLES.

ment curieux de la persistance des types dans l'art byzantin, dont nous devons la connaissance à M. Didron '.

Marie, au contraire, est représentée uniquement dans son rôle d'intercession sur plusieurs fonds de verre elle est désignée par son nom ; dans toutes les peintures des Cata- combes et les sculptures des sarcophages il est possible de la reconnaître ; dans l'une des plus anciennes mosaïques absi- diales de Rome, celle de l'Oratoire de Saint- Venance, atte- nant au baptistère de Saint- Jean-de-Latran, elle est facilement reconnaissable ", au-dessous de son divin Fils, au milieu des Apôtres saint Pierre et saint Paul et de plusieurs autres Saints. Nous pouvons citer trois autres exemples de ce genre appartenant à des monuments antérieurs au X^ siècle: un marbre gravé de Saint-Maximin en Pro- vence, publié par le R. P. Garucci, elle est désignée par ces mots : MARIA VIRGO. MINESTER DE TEMPVIO GEROSALE ^ ; 2" une peinture du VHP siècle environ, découverte par d'A- gincourt dans une chapelle souterraine qui était enfouie derrière le chœur de la basilique de Saint-Laurent hors les Murs , et elle apparaît entre sainte Catherine et une autre sainte '' ; 5" enfin la plus ancienne monnaie impériale qui soit connue comme portant son effigie^ : cette monnaie est du règne de Jean Zimiscès ; on y lit ces caractères : MP 0V Merc de Dieu.

L'objet spécial de notre étude est d'éclaircir la significa- tion de la scène centrale de l'un des sarcophages étudiés par nous dans le musée d'Arles (n" 19), l'on voit parallèlement

« Ann. Arch., t. i,p. 213; Hist. de Dieu, p. 291, fig. 73.

' CiAMPiNi, Vet. mon., t. ii, pi. xxxi.

3 Voyez-en la gravure dans le tome ir, p. 236, de la Revue de l'Art chrétien.

* D'Agincocrt, t. V, pi. XI, fig. 2 .

* Valsh, An Essai/ un Ancient coins, etc., in-8", London, 1828, pi. 38.

ÉTUDE SUll UN SAUCOPIIAGE JiAKLL.S. Oj^T

au Bon-Pasteur, une femme dans l'attitude que nous venons de voir attribuée à la Très-sainte Vierge. Le Bon-Pasteur est placé entre deux palmiers ; la femme, entre deux autres arbres que l'on peut prendre pour des oliviers, est accompagnée de co- lombes, comme le Pasteur l'est lui -même de brebis ; elle semble s'adresser à lui et l'invoquer, tandis que celui-ci, se retour- nant vers elle, semble l'exaucer.

III. L'attitude dont il s'agit n'est point exclusivement propre à la sainte Vierge, nos lecteurs ne l'ignorent pas ; exprimant la prière, elle convient à tous ceux qui pi-ient : Daniel dans la fosse aux lions, les trois jeunes Hébreux dans la fournaise, la prennent ordinairement; on la donne, dans les monuments primitifs, à quelques autres hommes ; elle y est cependant plus habituelle aux femmes auxquelles on donne alors le nom à'Orantes.

Il appartient, en effet, spécialement à la femme de prier, tandis que le fait de l'homme est d'agir; étrangère au gou- vernement des peuples et au maniement des armes, il lui est donné de participer à tout par la prière; les humbles filles du Carmel, au fon'd du cloître qui les enferme, peuvent aussi ga- gner des batailles et faire germer les bonnes lois : sans contre- dit, la prière de Marie, la plus sainte des femmes, la première des créatures, mais aussi la plus humble, a plus fait pour la con- version du monde que les travaux de tous les Apôtres réunis. Il y a beaucoup de ces figures à'Orantes complètement isolées et sans aucun signe particulier qui les distingue ; il serait possible qu'en les représentant les artistes chrétiens n'aient pas eu d'autre intention que d'exprimer une idée abstraite de prière, que de faire une invitation générale à prier.

Il en est d'autres aussi qui sont nommées ; c'est la chré- tienne dont on a voulu honorer la sépulture, ou la martyre,

288 ÉTUDE SUR IN SARCOPHAGE d'aRLES.

la sainte dont on réclame la protection. Nous considérons dans tous les cas comme plus probable que la figure à'Orante implique^ habituellement du moins, l'idée de l'état de béa- titude.

IV. Le rôle de VOrante gagne singulièrement en impor- tance, lorsqu'au lieu d'être seule elle se montre assistée par deux autres personnages, dans lesquels on ne peut se dipenser de reconnaître saint Pierre et saint Paul ; car leurs noms sont écrits sur plusieurs fonds de verre et sur un sarcophage de Saragosse ; dans une peinture du cimetière de Saint- Calixte ' , nous avons reconnu leurs types bien caractérisés tels qu'ils étaient conçus alors.

La signification de la présence des princes des apôtres dans cette circonstance ne nous semble pas douteuse; ils représentent l'Eglise : c'est seulement au sein de l'Eglise et en union avec elle que la prière a toute son efficacité. \JOrantG elle-même peut être considérée comme une sorte de person- nification de l'Eglise: alors les Apôtres l'assistent comme les chefs du ministère sacré. Cette interprétation ne préjudicie point à l'idée que d'ailleurs nous offrira la figure de cette sainte femme. L'Eglise est épouse, elle est mère, elle est vierge comme Marie; les rapports de l'Eglise avec Dieu se ré- sument dans un degré moins éminent en ceux qu'entretient avec lui toute âme véritablement chrétienne; mais les Vierges ont un titre spcial pour la représenter; il en est de même des saintes femmes dont l'Ecriture a rendu la chasteté célèbre.

' Maraiigoni en a donné une gravure [Acta sancti Fictorici, in 4°, Rome 1774, p. 40) ; elle est bien grossière, mais elle a le mérite d'avoir été faite avant la disparition de VOrante, maintenant détaeliée de la paroi de Y Jrcosolicmn sur laquelle elle était peinte ; nous avons entendu sur les lieux attribuer cet accident à la précaution délicate de certains touristes très-désireux de préserver les Romains du danger d'invoquer un témoignage favorable à l'antiquité de leurs prétendues superstitions.

ÉTUDE SL'R UN SAllCOrHAGE D'aRLES. 280

V. Un sujet fort analogue de composition avec VOrante entre les deux Ai)ôtres est celui de la chaste Suzanne entre les deux vieillards qui tentèrent de la séduire, telle qu'on la voit sur un sarcophage d'Arles ^ Modestement vêtue, toute entière à la lecture du livre des Saintes-Ecritures, elle ne prend nulle attention à ses deux séducteurs qui, placés cha- cun derrière un arbre, se penchent vers elle avec un mouve- ment plus pittoresque que ne le comporte d'ordinaire la placidité de ce genre de monuments.

Tout cet ensemble s'accorde bien avec la pensée des inter- prètes qui considèrent Suzanne comme étant ici la ligure de l'Eglise et de sa pureté inaltérable au milieu de tous les genres de séductions. L'analogie qu'il offre avec le sujet précédent paraîtra plus sensible encore, quand nous aurons fait observer que la femme placée entre les deux Apôtres n'est pas toujours en prière ; elle est souvent caractérisée par un livre ouvert ou fermé qu'elle tient à la main; on la voit aussi le plus souvent entre deux arbres, soit qu'elle prenne l'une ou l'autre attitude.

Seulement il est à remarquer que Suzanne entre les deux vieillards occupe une partie latérale sur la face du sar- cophage où elle est placée, tandis que la composition de la femme accompagnée de saint Pierre et de saint Paul se voit toujours au centre de ces monuments, position d'ailleurs réservée uniquement au Sauveur lui-même et il est repré- senté dans le sentiment le plus propre à la fois à le glorifier et à mettre en relief le prix de la Rédemption .

VI. VOrante^ quand elle occupe une place aussi privilé-

' N" 131 du Musée. On voit la gravure de ce sarcophage, mais très-mau- vaise, dans VAhrégé chj-ono logique de l'hist. d'Arles, par M. de Noble la Lalzière, in-4'^ Arles 1809, pi, xxiii, fig. 2.

290 ÉTUDE SUR UN SARCOPHAGE D'ARLES.

giée, peut-elle être autre que la Mère de Dieu ou la personnification directe de l'Eglise? Une distinction est à faire entre les différents genres de monuments : sur les fonds de verre, la vénération des chrétiens de Rome pour l'une de leurs plus illustres héroïnes, pour celle qui rappelle le souvenir le plus gracieux et peut-être le plus touchant, leur vénération pour sainte Agnès, est constatée par la fréquente apparition de son nom ' appliqué aux figures d'Orantes, soit qu'elle s'y montre seule entre les deux arbres, avec des colombes, soit qu'elle soit accompagnée des Apôtres.

11 n'y a rien qui doive nous surprendre; nous y voyons la preuve du rang exceptionnel accordé de toute antiquité chrétienne au culte des saints Patrons. Sainte Agnès était la sainte Geneviève de Rome; saint Laurent, qui partageait avec elle de semblables honneurs, occupe sur un autre fond de verre un siège élevé entre saint Pierre et saint Paul '.

Chaque église particulière, chaque lieu, chaque personne a ses patrons^ ses saints de prédilection ; Marie est toujours et partout la patronne de tous, partout elle partage plus ou moins avec les Saints du lieu les honneurs d'un culte de prééminence; et ce seul fait manifeste l'éminente supério- rité du rang qu'elle occupe dans la confiance et l'estime des chrétiens.

A ne considérer que les fragiles monuments qui nous oc- cupent en ce moment, la Vierge plusieurs fois nommé- ment désignée au milieu de saint Pierre et de saint Paul,

* Garucci, Vetri ornati di figure in oro, in-fol. Rome 1858; le nom de sainte Agnès paraît sous ces diverses formes AGNES, AGNE, ANNES, ANNE, ANE. Une autre de ces figures porte le nom inconnu de PERE- GRINA, pi. XXI, XXII.

* Gauuccï, V't'^ oni., pi. XX.

LillDE SUR UN SARCOPHAGE D'aRLES. 291

l'est cependant moins souvent que sainte Agnès, on pourrait croire que toutes deux sont mises sur la même ligne : on le pourrait d'autant mieux que deux de ces verres les montrent également en Ora??;^^ à côté l'une de l'autre, sans rien qui les distingue. Et pour achever d'induire en erreur, si on ne savait pas combien il règne encore d'incertitude sur la valeur honorifique accordée à la droite ou à la gauche dans ces temps reculés, il arrive que le nom de sainte Agnès se lit à la première de ces deux positions.

N'est-ce pas parce que le rang de la Reine des vierges était présent à tous les esprits qu'on a pu, sans l'exprimer, lui associer l'une des premières dignitaires de sa cour virgi- nale, quand il s'agissait ou d'honorer spécialement celle-ci, ou, par la réunion de deux types excellents chacun, dans leur genre, quoiqu'à des degrés divers, d'exalter surtout la virgi- nité et la prière ?

Il s'agit d'ailleurs ici des produits d'une branche infé- rieure de l'art. Les doreurs sur verre inventaient peu ; ils se contentaient de reproduire des types consacrés par d'autres monuments, et c'est même ce qui fait principalement l'im- portance archéologique de leurs œuvres ; il est présumable cependant que, semblables aux imagiers de nos jours, ils ont pu se permettre quelques innovations pour satisfaire telle ou telle dévotion particulière, innovations qui n'eussent pas été admises en des lieux consacrés au culte public.

VII. Nous ne connaissons aucune des peintures des Cata- combes où, placée entre les deux Apôtres, VOranie soit nom- mée; les sarcophages n'en offrent qu'un seul exemple, à Saragosse, le nom de FLORIA se lit avec ceux de petrvs et de PAVLVS ' . A notre avis sur un monument de ce genre,

Ilagiocjlypta. Note du P. GARLCCi,p. 170. Le sarcophage dont il s'agit

292 ÉTUliE SDU UN SARCOPHAGE d'aRLES.

une senibluble détermination de la personne de VOrante^ faite dans les conditions elle est placée, au profit d'une idée évidemment locale, constitue une exception , tout autant que l'inscription servant à la constater.

Quelques auteurs ont supposé qu'en maintes occasions, sous la figure de VOrante, on s'était simplement proposé de repré- senter la chrétienne dont le sarcophage devait contenir les restes ; cette conjecture nous paraît hors de toute vraisem- blance.

Quand on a voulu sculpter sur ces monuments la figure de ceux auxquels ils étaient destinés, on l'a fait d'une toute autre nuuiière : on les a renfermées en des médaillons qui en occupent, il est vrai, le point culminant, mais de telle sorte qu'il ne soit pas possible de les confondre avec les person- nages des sujets sacrés, placés tout autour comme des espé- rances de salut et des formules de prière.

Il serait singulier, s'il en était autrement pour les Orantes, que les femmes seules eussent obtenu sur les monuments un privilège toujours refusé aux hommes.

VIII. Les difî'érents degrés de liaison qui peuvent exister

est précisément celui dont le R. P. Garucci invoquait le témoignage avant d'avoir adopté la même opinion que nous, relativement à celui des Apôtres, qui de la main du Sauveur reçoit le don du volume sacré. On voit que re- présentant un tout autre sujet, ce sarcophage demeure étranger à la question, comme nous l'avions soupçonné. (Revue de VArt chrétien, t. ii, p. 261). On nous permettra de faire observer à ce propos que, quant au sarcophage d'Arles, mis aussi d'abord en avant par le savant auteur pour soutenir sa pre- mière thèse, on y voit (nous nous en sommes de nos propres yeux assuré depuis) derrière l'apôtre de droite, non pas un coq, mais le phénix sur le palmier. Au reste, nous avons vu beaucoup d'autres monuments dont nous parlions alors par le témoignage des autres, ou dont nous ignorions l'exis- tence, et tous sont venus, sur les points essentiels, confirmer les jugements que nous avions essayé de porter dans notre étude sur le Christ triomphant et le Don de Dieu.

ÉTUDK Sl'Il UN SAUCOIMIAGK d'AULES. 'J!!,!

entre les sujets peu nombreux habituellement rû[)étés sur les sarco[)hages ' n'ont pas été tous encore parfaitement sai- sis et appréciés; il est palpable cependant qu'ils ne sont pas jetés à leur place sans aucun ordre; la composition centrale notamment, nous le répétons, s'y montre spécialement con- sacrée à Jésus, dans les termes les plus propres à le mettre en relief en qualité de Rédempteur, quand elle ne l'est pas à VOrante. L'étude des sarcophages prête donc à VOrante une importance que les fonds de verre, à considérer sur- tout leur caractère plus privé, ne lui donnent pas au même degré.

Le rôle de VOrante centrale sur les sarcophages n'est pas seulement relevé par le fait d'occuper la place du Sauveur, et par l'assistance de saint Pierre et de saint Paul ; il l'est encore par la nature de cette assistance. Dans plusieurs visites consécutives au musée de Saint- Jean de Latran, nous avons noté plusieurs sarcophages les deux apôtres remplissent l'office d'Ur et d'Aaron près de Moïse sur le mont Raphidien et soutiennent les bras de VOrante. Nous aurions toutefois besoin, nous le sentons, de les re- voir avant de rien affirmer, par la raison qu'observant plus attentivement dans la Roma sotteranea les gravures d'autres monuments analogues, d'abord les apôtres nous avaient paru remplir vis-à-vis de VOrante le même office, nous nous sommes aperçu qu'au lieu de lui soutenir les bras de leurs mains, ils les tendaient seulement vers elle. Mais pourquoi le font-ils? pour fixer vers elle toute l'attention des specta-

* Ces monuments demandent selon nous à être étudiés par groupes, d'après les séries et les nuances offertes dans la répétition des mêmes sujets, sans distinction à -peu près de localité ; à Rome, dans le reste de l'Italie, dans nos anciennes villes du midi des Gaules, ils procèdent tous d'une même école dont l'influence se fait sentir dans la pensée comme dans l'exécution.

294 ÉTUDE SUR UN SARr.ûFllAGE D'aRLES.

teurs, et de cette manière ils relèvent son rôle encore plus s'il est possible.

Cette dernière intention est surtout manifeste dans une peinture du cimetière des Saints Marcellin et Pierre', d'ailleurs VOrante est remarquable par la coiffure riche et élevée qu'elle porte sur la tête. Il est au contraire une autre peinture du môme cimetière où, d'après la gravure de Bosio, ses bras seraient bien réellement soutenus par les apôtres '.

IX. Une peinture du cimetière de Sainte- Agnès ^ accorde non moins d'importance au personnage de VOrante^ dans un ensemble de scènes les deux apôtres cependant ne fi- gurent pas. Placée en face au milieu d'un arcosolium^ elle est accompagnée, dans deux compartiments séparés, des cinq vierges sages s' avançant à gauche avec leurs lampes allu- mées, assises à droite au festin nuptial; l'époux, sous la figure du Bon-Pasteur, apparaît dans un compartiment su- périeur au sommet de l'arc, au-dessus de celle que nous pou- vons difiicilement, dans cette circonstance, nous défendre d'appeler la Vierge des vierges ; et dans les parties latérales, sur les parois de la retombée de la voûte, on voit d'un côté Daniel dans la fosse aux lions, et de l'autre, la chute d'Adam et d'Eve.

Daniel ne nous offre avec les autres scènes du monument aucun rapport que nous puissions saisir, mais il n'en est pas de même de la chute du premier homme et surtout de la pre- mière femme : dans les peintures des Catacombes comme dans les sculptures des sarcophages, la représentation de cette

' Bosio, p. 381. Nous renvoyons aussi en général pour toutes les peintures des Catacombes au grand ouvrage de M. Perret, mais nous ne pouvons pas les indiquer en détail, n'ayant pas cet ouvrage dans ce moment sous les yeux.

Bosio, p. 389.

^ Ibid., p. 461.

ÉTLiDE Sun UN SAUCOPIIAGE d'aRLES. 2^U

chute est fréquemment rapprochée de L^ femme privilégiée dont kl signilication nous occupe; elle l'est, soit que celle-ci conserve l'attitude d'Orante, comme dans l'exemple précé- dent, soit qu'elle tienne un livre connne dans un sarcopha^^e du cimetière de Sainte-Lucine * , maintenant transporté au musée de Saint-Jean de Latran , l'opposition entre l'an- cienne et la nouvelle Eve nous a paru particulièrement sentie.

Un autre sarcophage du même Musée, provenant du ci- metière de Sainte-Agnès ', nous a montré, à côté de la femme de la composition centrale, non plus la chute de la mère du genre humain, mais probablement sa création.

X. La corrélation entre le Bon-Pasteur et l'idée exprimée par les Orantes est, s'il est possible, encore mieux accusée que les précédentes.

Ce n'est pas sans intention que nous disons les Orantes au pluriel, nous avons effectivement d'abord en vue plusieurs exemples le Bon-Pasteur, soit sous sa figure ordinaire, soit assis et entouré de son troupeau , est accompagné de deux de ces saintes femmes ^

Un sarcophage du cimetière de Sainte-Lucine * associe, au contraire, au sujet central de la femme assistée par les apôtres, la double répétition de celui du Bon-Pasteur aux deux extrémités du même monument. Sur un autre sarco- phage du musée d'Arles \ le centre étant occupé par un médaillon à portrait, VOrcmte et le Bon-Pasteur, sans aucun sujet intermédiaire, se correspondent aux deux extrémités ;

' Bosio, p. 159.

' Ihid.,]). 425.

■^ Ihid., p. 269, 271, 273.

' Ihid. , p, 291 .

^ N- 126 du Musée.

290 ÉTUCK si!i; i;n sarcoimiack d'arl?:s.

la citation eutin du cimetière des Saints-Marcelliii et Pierre ' , le Bou-Pasteur et VOrante, avec deux colombes, sont pla- cés à côté l'un de l'autre, mais séparés par des arbres, nous ramène au sarcophage qui est l'objet principal de nos inves- tigations.

Pour en compléter l'exposé, nous ferons observer que les olivierS;, les colombes et les fleurs se retrouvent fréquemment comme attributs des Oranles^ tandis que les palmiers entre lesquels on les rencontre aussi quelquefois, sont plutôt ap- propriés à la présence du Sauveur ^.

XL Au résumé, à s'en tenir aux indications positives, on dira que VOrante représente quelquefois Marie, qu'elle ne la représente pas toujours; en méditant le sujet, on arrivera à dire par induction que VOrante représente la femme régé- nérée, la femme, la Vierge par excellence, la nouvelle Eve pouvant servir de type à l'âme chrétienne, à l'Eglise; par conséquent, Marie d'une manière absolue, et d'une manière relative, par assimilation, toute vierge, toute femme mar- chant sur ses traces, que l'on veut spécialement ou honorer ou invoquer.

Mais il est des situations qui impliquent tellement la di- gnité supérieure de Marie, qu'elles n'ont pas facilement être communiquées à d'autres; il en est qui nous paraissent complètement incommunicables , et de ce nombre nous croyons devoir compter celle qui a frappé notre attention sur le sarcophage d'Arles.

Coopératrice de l'œuvre de la rédemption par l'efficacité de son intercession toute-puissante, on comprend que la très-

' Bosio, p 38.

* Nous avons remarqué beaucoup d'Oranges voilées et chaussées, beaucoup qui ont la tête et les pieds nus ; il ne semble pas y avoir eu de règle à cet égard dans les époques primitives.

KTUDK Sril U.\ SARCdl'IlAr.!': D'.\r>LKS. 297

sainte Mère de Dieu puisse, sur les sarcophages, prendre vis-à-vis de nous la place assignée au Rédempteur ou au symbole de la rédemption, et que seule elle le puisse sans une diminution considérable et probablement très-rare de la pen- sée fondamentale qui en vivifie l'ensemble.

Sur les autres monuments, sur les fonds de veri'e en par- ticulier, où la pensée de la rédemption, avec d'autres sujets groupés tout autour, n'est pas habituellement mise en relief à la place même occupée par VOranle, on s'explique que la substitution se soit faite plus facilement, même lorsque la présence de deux apôtres vient relever son rôle.

Quoi qu'il en soit, dans les mouuments figurés de l'Art chrétien, l'on voit, à toutes les époques, tous les personnages qui, selon les occasions, acquièrent quelque droit à la préémi- nence, occuper la première place, la place même que viennent de quitter Jésus ou Marie.

Ce qu'on ne voit point , ce qu'on ne doit point voir du moins, c'est que, Jésus présent, aucune autre créature vienne se placer à ses côtés, au même rang, si ce n'est Celle à qui s'appliquent ces paroles prophétiques : Aslitit Regma a dexins luis. On a représenté maintes fois Marie effective- ment assise à côté de son divin Fils. Le sujet dont nous nous occupons exigeait qu'ils fussent l'un et l'autre debout sous la figure qui les représente, le premier, comme l'au- teur de toute miséricorde ; la seconde, comme celle qui tou- jours la demande et l'obtient : la diversité même de ces attributions établit suffisamment la différence hiérarchique existant à l'infini entre le Fils et la Mère ; à cela près, il n'est aucune distinction honorifique (pie Jésus ne partage ici avec Marie.

L'union qui s'établit entre le divin Pasteur et toutes les fîmes qui prient a été très-légitimement exprimée par la ré-

TOMK \l. 22.

298 ÉTUDE sril LN' SAHCOPllAGE d'aULES.

pétition des figures à'Oranles autour de sa houlette sacrée, mais entre toutes les âmes, il en est une dont la prière vaut à elle seule plus que la prière de tous les anges et de tous les saints ensemble : c'est la prière de Marie, s'élevant seule, pour ainsi dire, jusqu'au niveau de la source de toutes les grâces pour leur servir de canal.

XII. Que dirons-nous de plus : que ce rôle que nous voyons à Marie dans notre sarcophage exprime sous une forme monumentale et pleine d'une saveur antique, VOra pro nohis que nous lui adressons tous les jours ; que cette expression de la miséricorde divine portée dans la ligure du Bon-Pasteur jusqu'à ses dernières limites n'est autre chose que le Miserere iwbis, résumant tous nos rapports avec Jésus, comme VOra pro nobis^ prononcé avec l'excès de la confiance, résume tous nos rapports avec Marie.

Ces paroles : Jésus, ayez pitié de nous! Marie, priez pour nous! prononcées naguère d'une voix éteinte par un père mourant, étaient la suprême consolation de ses enfants. Peut-être est-ce après avoir éprouvé une consolation sem- blable qu'une famille chrétienne de la Rome des Gaules fit sculpter, au VP ou VIP siècle, sur le tombeau de son cime- tière des Aly camps, cette double image de la Miséricorde in- finie et de l'invocation souverainement efiicace de la Mère de miséricorde.

Dans les temps postérieurs, Marie a continué d'être re- présentée priant pour nous : seulement le mode de représen- tation s'est modifié, comme l'attitude passée en usage pour prier. Les yeux levés au ciel, les mains pressées contre son cœur, plusieurs des images dont le mouvement miraculeux des yeux fut canoniquement constaté à l'époque de la pre- mière invasion des Etats pontificaux, en 1796 et 1797, la

ÉTUDE SUR UN SAP.C.Ol'HAOK DAI'.LES. 29U

montrent dans ce sentiment ' ; il est porté au plus haut de- gré dans la Vierge qui, en 1850, les circonstances étant analogues, fut à Rimini le sujet de semblables merveilles. Nous nous reposerons volontiers sur ce souvenir si abondant lui-même en consolations, d'autant plus que la Madone de Rimini était d'avance invoquée sous le titre de Mère de mi- séricorde^ et que nous avons sujet de lui crier plus haut que jamais : Mère de miséricorde^ priez pour nom!

H. GRIMOUAKD DE SAINT-LAURENT.

' Mauchetti, Prodigi awenuti in moite sacre imagine, etc. Rotna in-8», 1797.

ZOOLOGIE MYSTIQUE

L'Ag.

leaii.

I. L'Agneau, nommé dans l'Ecriture pour dé.'igner le Fils de Dieu, se montre investi de ce rôle allégorique sur les sarcophages chrétiens et les fresques des Catacombes, por- tant la croix latine implantée droite sur f-on front. On le voit

L'Agnoau sur 1p ro- (Fond Je verre, d'après Busnarottil.

alors, fréquemment, tantôt debout à côté du Sauveur dont il est l'image sensible et dominant diverses scènes du haut du

y.OOLOGIK. MVSTIQUl'- 301

roc aux quatre fleuves, figures des Evangélistes, tantôt seul sur ce même roc, remplaçant l'image du Fils de l'Homme et recevant les adorations dues à la sainteté du Christ. Sur un bas-relief superposé à la porte du cimetière de l'église cathé- drale de San Severino (Etats romains) ', on le voit orné du nimbe surcroisé, portant la ci'oix de passion dans sa patte droite, et placé entre deux des attributs des Evangélistes, à savoir l'ange ailé, portant le nimbe uni, chargé du livre symbo- lique et revêtu de deux tuniques et de l'étole : et le taureau, également ailé, destitué de nimbe et portant le livre. Dans une chambre sépulcrale des Catacombes de la voie latine, une fresque offre l'Agneau divin au repos, armé de la croix d'as- cension, veillant sur les cendres bénies de ses saints et de ses martyrs ". Cet emblème est l'un des plus beaux que ren- ferment les Catacombes : car la croix dite de Passion et celle de Résurrection ne figurent point au complet toutes nos saintes espérances ; mais la croix dite à'Ascensiofi les résume et les réunit, et devait, certes, à ce titre, trouver place sous les voûtes des Catacombes. La croix de passion est l'emblème de la Rédemption de la terre ; celle de Résurrection est celui du passage du séjour ténébreux des morts à la demeure des vivants ; la croix d'Ascension achève l'idée, et traduit l'appel des vivants au séjour de la vraie lumière.

L'Agneau, emblème primitif et spécial du Sauveur du monde % représenta seul, sur la croix, à partir du IV^ siècle, la personne de Jésus-Christ. Quelques crucifix avaient paru avant cette époque, présentant le Fils de Dieu sous le type humain \ Mais le Concile d'Elvire assemblé en l'an 503

' Bosio, Roma, p. 627,

* Bosio, Fresque inurah, p. 307. Et Bottari, Roma, ii, p. 108. 'Rhab. Macr, De Univ., viii, 8. Et tous les mystiques chrétieni.

* TEllTrLMAN.

302

ZOOLOGIE MYSTIQUE.

décréta alors par prudence et pour prévenir les profanations des iconoclastes, que « ce qui doit être adoré ne serait plus peint sur les murs : Placuit picturas esse in ecclesia non debere, ne quod colitur et adoratur in parietibus depin- gatur. » Delà, ce déluge d'allégories, ces figures d'Agneaux et de Bons-Pasteurs qui tapissent les Catacombes et qui rap- pelaient aux fidèles, sans pourtant violer ce canon, les objets et les épisodes pro- pres à réveiller leur foi et à réchauffer leur ferveur. Les croix furent peintes en rouge, l'Agneau qui s'y coucha fut ])lanc. Mais le Sauveur étant Agneau dans sa fréquente mise en scène avec différents personnages, ceux-ci ne pou- vaient rester hommes ; l'Agneau leur prêta sa figure et accomplit quelquefois seul tous les rôles dans les œuvres d'art de ce temps. Nous n'en donnerons ici d'autre preuve, entre beaucoup d'autres, que le sarcophage de Bassus'; un Agneau assis dans une fournaise et onze autres, la patte levée ou tenant un sceptre ou une baguette, emblème, selon Bède, de la vertu de la croix , y remplacent , en les caractérisant très-clairement par leurs gestes et leurs attitudes, divers personnages historiques : tels sont les trois jeunes hébreux jetés vivants dans la fournaise et type des saints et des justes : Moyse, étendant la main, ici pour recevoir le décalogue, et pour frapper le rocher : saint Jean baptisant Jésus-Christ : plus loin, Jésus-Christ lui-même, d'abord baptisé dans les eaux du Jourdain, ensuite bénissant les pains, et enfin res-

Lc Bon-Pasteur des Catacombes.

' Bosio, Borna, loi. 45.

i.'agnkau, nOl

.suscitant le Lazare eimnaillotté (Unis un linceul. Tous ces personnages, leur suite, leurs spectateurs, sont des agneaux.

Ainsi l'abus n'eut plus de bornes, jusqu'à ce que, au VIP siècle (692), le Concile appelé in Trullo (du dôme du palais impérial de Constantinopîe il avait été tenu), tout en approuvant les figures usitées sous l'ancienne loi, voulut qu'on leur substituât des peintures moins énigmatiques, et plus convenables aussi à la dignité de leurs objets et au règne exclusif de la loi nouvelle les figures ont cessé. Il ordon- nait en même temps et d'une manière formelle, que le Christ fût représenté désormais, non plus sons la forme d'Agneau, mais sous une ligure humaine. Ainsi l'abus fut réprimé, mais on vit subsister l'usage, et l'allégorie de l'Agneau se continua dans une certaine limite. Dans les Catacombes de Saint-Mar- cellin et Saint-Pierre ' , une antique fresque de voûte repré- sente dans ses quatre angles Jésus sous la forme d'Agneau, portant dans sa patte une palme, et sur son dos son propre sang, figuré par une de ces fioles les chrétiens des pre- miers âges recueillaient le sang des martyrs. Pour qu'il ne demeure aucun doute sui* l'intention de ce sujet, cette fiole, image de la divine Eucharistie, est nimbée, et à juste titre. Nous comptons revenir sur cette peinture, exemple rare, à cette époque, de l'appropriation du nimbe à un objet inanimé, mais très-rationnel dans son intention hiératique, et que motive et justifie la sainteté de son objet.

On voit pendant toute la période du Moyen Age, en statue et en bas-relief, l'Agneau, couché sur le livre aux sept sceaux tel qu'il est montré dans l'Apocalypse. Cette image toute biblique a encore aujourd'hui de la grandeur, quoique bien déchue du type idéal de l'Agneau dans les Catacombes.

' Bosio, Roma, p. 363, cubiculus.

30i ZOOLOGIE MYSTion:.

C'est dans le XIV® siècle qu'elle perdit son plus antique et plus noble caractère ; alors son type hiératique s'effaça pro- gressivement. Depuis cette époque, on voit l'Agneau, sans attributs mystérieux, soit fixé sur un médaillon, soit porté sur un bras de saint Jean-Baptiste, qui le montre de l'autre main.

II. Sur les fresques des Catacombes, l'Agneau paissant, l'Agneau dansant ou caressant le Bon-Pasteur, représente,

L'Agiiri'.u, figurij Je i'iimo justP, recovant les paresses du Boa-l'.;st(Mir.

ainsi que la brebis dansante qu'on y rencontre quelquefois, le peuple du divin bercail, l'âme juste réclamant sa part des caresses que le Maître dispense à l'Enfant prodigue, montré sous la figure d'une brebis, et quelquefois même d'un bouc qu'il rapporte sur ses épaules ' .

III. L'Agneau, dont on reconnaît quelquefois certains membres dans l'agencement des monstres hybrides qui sont

' Bosio, Roma, fresque des Catacombes de Sainte-Agnès, p. 473.

l'agneau. 305

les emblèmes du Démon ou de la réuuiou du div^ei's péchés, figure alors, ainsi que le bélier lui-même, l'ignorance, la stu- pidité, l'ineptie, l'engourdissement paresseux de l'âme, péchés souvent reprochés, dans les livres des moralistes, aux laïques lagenl laye), et plus sévèrement encore aux clercs, aux religieux et à leurs abbés.

TV. L'Agneau représente quelquefois encore la vie active; il est mis alors en parallèle avec la chèvre, image de la vie théorique ou contemplative. <> Agna, vita activa in Levitico : « Agat pœnitentiam et olFerat agnam de grege, si ve capram » , quœ est contemplât ivtL^ vitœ figura ' .

FELICIE d'aYZAC,

Dignitairi' hnnoraii-f de U Maison inipcTialc de Saint Denis. ' RjiAB. Mai li, De Unircrso, vjii, 7, et dans tous les aulfurs inystiqnos.

HISTOIRE DE S. JACQUES LE MAJEUR et du Pèlerinage de Compostelle.

TROISIEME ARTICLE

CHAPITRE m.

VRKDICATIOUS DE SAINT PIERRE, DE SAINT PACL ET DE SAINT JACQUES, EN ESPAGNE.

De tous les pays dont se composait l'ancien monde romain, l'Espagne est le plus occidental. Son éloignement l'exposait donc à ne recevoir que très-tard le bienfeit de l'Evangile. Mais la Providence donne des ailes à la Foi , et, quel que soit le foyer d'où elle parte, Jérusalem ou Eome, elle lui im- prime une force d'expansion qui atteint les dernières limites du globe. De nombreux auteurs, que nomme Florez dans son savant ouvrage Espana Sagrada ' , soutiennent que saint

* Voir les numéros d'avril 186-2, p. 213, et de mai 1862, p. 256. ' Espana Sagrada, por el P, M. F. Henrique Florez, del Orden de san Augustin. En Madrid, ano de 1748, t, m, p. 2-5.

rKl.EUINAUK DE COMrOSTKLLK. 307

Pierre a prêché en Espagne. D'après ces écrivains, le prince des Apôtres, après avoir ordonné saint Epaphrodite (22 mars), évêque de Terracine, serait parti de cette ville pour l'Espagne, il aurait laissé un évêque, du nom d'Epinète, à Sirmium .

Mais ces prétentions ne sont pas démontrées ; ce qui l'est davantage, c'est la mission de sept évoques ordonnés à Rome et envoyés en Espagne. Le Martyrologe romain cite (15 mai) leurs noms et ceux des villes ils se reposèrent de leurs glorieux et féconds travaux ' .

On sait par ailleurs ce que saint Pierre et ses premiers suc- cesseurs ont fait pour établir le Christianisme au-delà des Pyrénées et dans plusieurs autres pays, a II est manifeste, dit « Innocent 1" dans une de ses lettres ^, que dans toute « l'Italie, les Gaules, les Espagnes, l'Afrique, la Sicile et les « îles intermédiaires, personne n'a fondé des églises, si ce « n'est ceux que le vénérable apôtre Pierre et ses successeurs « ont élevés au sacerdoce. » Les Papes de cette époque ordonnaient évêgues des (/enlils de nombreux missionnaires chargés de créer eux-mêmes leurs diocèses par la conver- sion des infidèles, comme des rois qui seraient couronnés d'avance pour des royaumes qu'ils sauraient conquérir par leur sagesse et par leurs armes ^

Le Docteur des nations, écrivant aux Pomains, leur promet d'aller les voir, lors de son voyage en Espagne, dont il exprime jusqu'à deux fois le projet '. Son plan de voyage, en quittant

' Dans le Bréviaire gothique, la fête de ces sept évêques est fixée au 1*' mai ; une très-longue hymne y célèbre leur gloire. \Liturgia Mozarahica, édit. Migne, t. ii, col. 1111-1116.)

* Ikkocknt I, Ejpis^ ad Décent.

' Thom.\ssin, De Veter. et Nov. cccles. discipL, p. 1, lib. r, c. r.iv.

* Rom. XV, 24, 28. -

308 rÈf.EHlMAGE 1»E COMl'ÛSTELLE.

la Grèce, était de passer en Italie, puis dans les Gaules, et de se rendre en Espagne. Mais il dut ajourner l'exécution de son pieux dessein. Arrêté par les Juifs à Jérusalem, il fut envoyé captif à Home, il passa deux ans dans les fers. Mais après sa délivrance, il réalisa ses intentions et alla en Espagne, il })rcclia la foi du Christ' . Parmi ceux qu'il con- vertit, la sainte Eglise a placé sur ses autels sainte Zantippe et sainte Polyxène (!2o septembre). Elles sont du moins appe- lées par le Martyrologe romain disciples des Apôtres, Apo- slolorum dàcipulœ.

Le voyage de saint Paul en Espagne est un fait historique soutenu ptir des autorités si graves et si nombreuses, qu'il serait plus que téméraire de le contester. Les Pères grecs et latins et les écrivains espagnols les plus anciens sont una- nimes sur ce point. Pour abréger, je citerai, sans accompagne- ment d'aucun texte, les noms de saint Jean Chrysostôme, de saint Sophrone, patriarche de Jérusalem, de saint Athanase, de saint Cyrille de Jérusalem, de Théodoret, de saint Jérôme, de saint Grégoire-le-Grand , de saint Isidore, du vénérable Bède, de saint Anselme, de saint Thomas-d'Aquin, de Cor- nélius a Lapide, de Tirinus, de Luc de Tuy, de Florez.

' Selon le P. Dubois, savant Célestin, saint Crescent, disciple de Notre- Seigncur et premier évêquc de Vienne dans les Gaules, avait reçu de saint Paul le gouvernement de cette église qu'il venait de fonder. [Antiqiiœ sanctce ac senatoriœ Viennce Allohrofjorum Gallicorum, sacrœ et i^rophance plurimo} antiquitates , auctore Joannc a Bosco, p. 21. Opuscule faisant partie du livre intitulé : Floriacensis vcfvs hihliollieca Benedicthia , opéra Joannis a Bosco parisiensis. Lugduni, 1605.) L'Apôtre des nations donna pour succes- seur à saint Crescent un autre disciple du Christ, saint Zacharie, qui fit don à l'église naissante de Vienne « de la saincte toiiaiUe ou mnnlil sur lequel Il notre Rédempteur avait consacré la saincte Eucharistie.» [Histoire de l'An- tiquité et Sainteté de la cité de Vienne en la Gaule ('isalpine, par Mcssire Jean Le Lièvre. Vienne, 1623, p. 58.). Saint Zacharie fut le Protomartyr des Gaules, comme saint Amadour en fut le premier soUtaiie.

l'Ki.Elw. N'AGI', iHi, i:(v\ii'(isii',i.i.i;. non

L'!Uiti([UO hréviîiire de Tolède et celui des é^i^lises de Iliiescu et de Jacii {iffirmeiit le même fuit.

A ceux que taut de ])reuves ne peuveut convaincre, on peut encore montrer les vestiges de Li prédication de saint Paul en Espagne : l'église de Tortose !i toujours lionoré, et sans contradiction, la mémoire de son premier évé([ue saint Ruius, qu'elle prétend avoir reçu de la main de saint Paul. Si c'est le même personnage que VÉlu du Seigneur qui est nommé dans pitre aux Romains ', on peut supposer que saint Paul l'avait attaché à sa personne et en avait fait le premier pasteur des néophytes de Tortose. L'église de Tarragone revendique, à son tour ", pour premier évêque un Saint, du nom de saint Paul ^ qui n'est autre, selon le Martyrologe romain (22 mars), que le proconsul Sergius Paulus^ converti et baptisé par le grand Apôtre. Devenu premier évoque de Narbonne, selon le môme Martyrologe, il aurait été plus tard premier évêque de Tarragone, selon la tradition constante de cette église et selon Florez ^ Un auteur espagnol parle d'une pierre qu'on voyait autrefois à Viana avec une inscription antique qui attestait la croyance commune touchant l'évangélisation de l'Espagne par saint Paul. L'in- scription est un vers léonin que deux pieds de trop font malheureusement clocher :

Sauhis pra'co cruels fait nobi.s piimonlia Jiicis *.

' Rom. XVI, 13.

- On montre encore dans cette ville la pierre sur laquelle moahiit saint Paul pour prêcher l'évangile.— Dans un désert de la Palestine, j'ai visité avec bonheur un fragment <lu rocher du haut duquel saint Jean-Baptiste an- nonçait aux Juifs celui dont il était le précurseur.

'' Esjjuna Sagrada, tome III, p. 24.

* Invesiigationes historicas de las antiguedades del Retjno de Navara: por el Pf Joseph DE MoRET. S. J En Pamploua, ano do 1669, p. 164.

310 rÈLKllLXAGE DE COAli'OSTELLE.

L'apostolat de saint Pierre et de saint Paul en Espagne repose, on le voit, sur des preuves et des traditions respec- tables. L'ordre clironologique place antérieurement à ce double apostolat celui de saint Jacques ; mais je l'ai réservé pour ce moment à cause de son importance, et dans le désir de traiter cette question, sans me laisser détourner de mon chemin par quelque nouvelle digression.

La première persécution suscitée contre l'église de Jéru- salem ne dispersa que les fidèles et non les Apôtres ' . Ceux-ci restèrent dans la Ville sainte, même après la lapidation de saint Etienne, le protomartyr de la religion du Christ, afin d'y maintenir et d'y fortifier l'Eglise naissante, et d'empêcher les Juifs de croire qu'ils l'avaient étouffée dans ses langes. Ainsi, quoique Jésus-Christ leur eût dit de fuir d'une ville dans une autre lorsqu'ils seraient persécutés, ils demeurèrent néanmoins, parce que c'était ici le cas les pasteurs doivent exposer leur vie pour leurs brebis. Ils restèrent encore plusieurs années à Jérusalem, pendant lesquelles cette ville, qui avait été le berceau de la religion, en fut le centre et comme la métropole.

La première persécution de Jérusalem fit périr saint Etienne vers la fin de l'an 5o. La seconde immola saint Jacques, comme nous le dirons plus tard, dans le courant de l'an 45 ou 44. C'est donc dans l'intervalle de ces deux révolu- tions, c'est-à-dire dans un espace d'environ dix ans, que saint Jacques exer(;.a son zèle apostolique, soit en Asie, soit en Europe.

Selon les calculs les plus exacts, les Apôtres ne se disper- sèrent que vers l'an 37 ou 38, à l'exception de saint Jacques le Mineur, qui dut rester à Jérusalem, en qualité d'évêque

' ./et. VIII, 1.

l'KLEKI.NAGE Dli COMI'OSTELLE. .'Hl

de la cité sainte. Il faut donc encore restreindre l'apostolat de saint Jacques le Majeur entre les années 57 ou 38 et les années 43 ou 44, et réduire son action en dehors de Jérusa- lem à une durée de cinq à sept ans.

La paix dont l'Eglise jouit momentanément i)ar toute la Judée, la Galilée et la Samarie ' , fut le moment marqué par la Providence pour la dispersion des Apôtres. Le fils de Zébédée n'évangélisa point la Galilée, sa patrie, parce que 7ml n'est prophète dans soji pays "•; mais il prêcha, dit le Bré- viaire romain ', dans la Judée et la Samarie. Lorsque Jésus- Christ envoya les Apôtres faire leur première mission, il leur défendit d'entrer dans les villes des Samaritains \ Il avait fait lui-même une exception à sa défense, lorsqu'il s'arrêta à Sichar, ville de la Samarie ^ La défense fut levée quand, après sa résurrection, il déclara aux Apôtres qu'ils lui serviraient de témoins dans Jérusalem, dans toute la Judée, daîis la Sa- marie et jusqu'aux extrémités de la terre". Saint Jacques ne fit donc pas difiiculté d'annoncer l'Évangile aux Samari- tains.

L'heure de la séparation venait de sonner pour saint Jacques. Il revient à Jérusalem et se dispose au départ. L'ad- mirable vision de saint Pierre au sujet du centenier Corneille ne lui permet pas de rester plus longtemps parmi les Juifs, Il ira jusqu'aux confins du monde, usque ad ultimum terrœ \ pour faire participer aux bienfaits de la foi les Gentils de ces

' .4ct. IX, 31. " Lcc. IV, 24. ■•' 25 juillet. * Matth. X, 5.

^ JOAN, IV, 5.

« j4ct. 1, 8. ' Ibid.

;Jh2 VÈLElllNAGE DK œ.MPOSTELLE.

lointaines contrées. Comme les autres apôtres, il va deman- der à la Vierge-Mère, à la coopératrice de la rédemption, une dernière bénédiction. Il se prosterne à ses pieds et embrasse respectueusement ses mains. « Va, lui dit la sainte Vierge, obéis au précepte de mon fils, ton maître; et. tu auras converti le plus d'hommes, en Espagne, érige un temple en mon honneur, selon les ordres que je te donnerai ' . »

L'année 37 touchait à son terme " . L'apôtre dit un der- nier adieu à la ville sainte et s'éloigna de ses murs. Son zèle dut lui faire adopter la voie la plus courte pour aller à Joppé. Joppé, aujourd'hui JaiFa, est une des pins anciennes villes du monde. Que d'émotions réveille son nom dans le cœur du pèlerin français ! C'est qu'il a foulé pour la pre- mière fois la Terre-Sainte', c'est qu'il s'est prosterné sur le sable humide de la grève pour baiser avec autant d'amour que de respect le sol sacré de la Palestine. On pleure, on adore ; le cœur se dilate sous un ciel nouveau ; la brise qui vous caresse n'a-t-elle pas déjà précédé les pas ihxplus beau des enfants des Jiommes, de l'Homme-Dieu et de ses disciples?

Jonas s'était embarqué à Joppé pour Tharsis, afin de fuir la face du Seigneur ^ Neuf siècles plus tard, saint Jacques s'y embarque à son tour pour obéir à la voix du divin Maître et porter la lumière de l'Evangile aux Gentils que saint Pierre, dans une vision dont il fnt favorisé dans cette même ville'', aperçut sous la forme de toute sorte d'animaux réu- nis dans une nappe, qui descendait du ciel comme l'Eglise, dont elle était la figure, et qui remontait ensuite vers le sé- jour des élus.

' Acta Sanciorum, 25 julii.

- Chronicon sacro pav i,v Hayi:.

' JoMyTi. I, 3.

* Acl. X, 11 20.

l'KLKlUNAGE I>1-. C0.MI'0STE!.1.E. 313

La rrovidence n'a pas voulu satisfaire notre curiosité à l'égard du voyage luaritiine de s:\int Jacques ; nous ignorons les péripéties de cette longue traversée sur cette mer capri- cieuse que nous appelons la Médilerranée^ et que les Juifs désignaient sous le nom de grande Mer, mare magnwn ' , ou Mer occidentale, mare occidentale -. Ce qui ne concerne que riiomine, et non Dieu ou les âmes, est d'un trop mince inté- rêt pour occuper les écrivains sacrés, toujours plus attentifs à nous édifier qu'à nous distraire.

Quant au voyage lui-même, c'est un fait historique at- testé par des autorités si nombreuses et si imposantes, qu'on n'avait jamais songé, avant le XIIP siècle, à le révoquer en doute. Il compte parmi ses défenseurs saint Jérôme, Théo, doret, saint Isidore et son contemporain saint Julien, arche- vêque de Tolède. Un écrivain anglais du VIP siècle, saint Adhelme,évêque de Scherburn, affirme clairement l'apostolat de saint Jacques en Espagne. Nous extrayons son témoignage de son poème sur les autels dédiés à la bienheureuse Marie et aux douze Apôtres :

Hic qnoquo Jacobus crelus genitore vetusto PrimiUis Hispanus conveilit dogmate gentes ^.

Un autre historien anglais, le vénérable Bède, qui vivait au VHP siècle, a écrit dans le même sens.

Mais au quatrième concile de Latran, en 1215, Eodrigue Chimenez, archevêque de Tolède, jaloux de Compostelle, leva

' Num. XXXIV, 5, 6, 7.— Joslé, 1, 4.

' Deut. XI, 24.

"• PafroL, édit. Mignc, t. 89, col. 293.

TOME VI. 23.

314 l'ÈLElilNAdE DK CO.Ml'USTELI-E.

l'éteiulard de îii révolte contre la tradition de son pays et des autres contrées de la catholicité. Cette témérité n'obtint au- cun succès. Vers l'année loiO, un Dominicain, le Père Alexandre François, renouvela l'attaque. Vains efforts! Quelques années plus tard, saint Pie V faisait insérer dans le Bréviaire imprimé par ses ordres le fait contesté. Mendoza survint et discuta victorieusement le grand procès que le pontife avait résolu par voie d'autorité. La cause semblait donc irrévocablement jugée. La contradiction n'était plus ni décente, ni licite. Baronius osa cependant se la permettre dans un de ses ouvrages ' . Ses raisonnements captieux furent cause que Clément VIII retrancha cet article du Bréviaire ; mais Urbain VÎIl l'y rétablit et ses successeurs l'y ont main- tenu. Le Martyrologe Romain est d'accord avec le Bréviaire. Vers la lin du XVIP siècle, le P. Christianus Lupus, flamand, de l'ordre de Saint- Augustin, s'insurgea, quoique un peu tard, contre la croyance générale. Ses arguments furent répétés sans réplique, en 1682, par Dom Gaspard Ybangez de Sé- govie, marquis de Mondejar. Trois autres écrivains, trois autres puissances sont intervenus dans les débats: le cardinal d'Aguirre, que Bossuet appelait la lumûre de V Église ; Guil- laume Cuper, l'un des plus savants Bollandistes, qui visita, pour mieux éclairer la question, les mystérieux cabinets de l'Escurial et le trésor de la cathédrale de Tolède ; et Florez, l'immortel historien de l'Eglise d'Espagne. Leurs glorieuses pages ont mis fin à cette longue querelle dont nous avons exposé impartialement les phases diverses. L'Espagne est restée en possession de sa légende, et personne aujourd'hui ne songe à lui disputer un de ses titres les plus précieux. Oui, saint Jacques a été le premier apôtre de la péninsule Ibé-

« Jnnaîes eccJ., Antucrpise, 161*2, t. ix.

1>ÈLERINA(4K DE COMPOSTELLE. 31 ÎS

rique. Il y a dans les annales de l'humanité peu de faits aussi avérés, aussi universellement admis que la mission de saint Jacques en Espagne. Ce grand événement fait partie non- seulement de l'histoire de l'Espagne, mais encore de l'histoire de l'Eglise catholique.

L'Art chrétien s'est inspiré de l'histoire et a publié à sa façon l'apostolat de saint Jacques en Espagne. On le trouve représenté, avec la condamnation et l'exécution de l'Apôtre, sur une rosace des vitraux de Keims.

Donc, pendant que saint Thomas prêchait dans l'extrême Orient, saint Jacques semait la parole divine dans les régions occidentales du monde romain. Dès le F"" siècle, l'Evangile était publié jusqu'aux extrémités de la terre, en Espagne, très-probablement dans les Gaules , et saint Paul pouvait dire aux premiers chrétiens : « Je rends grâces à Dieu de ce que hi foi est annoncée dans l'univers entier * . »

L'île de Sardaigne a prétendu^, par la plume de certains auteurs, avoir été évangélisée par saint Jacques. Si cette pieuse ambition s'appuyait sur des preuves solides, il fau- drait supposer que l'Apôtre se serait arrêté dans cette île avant d'entrer dans l'Océan par le détroit des Colonnes d'Her- cule. Mais cette assertion est entièrement gratuite et ne peut soutenir aucun examen.

Il n'est guère plus probable que saint Jacques ait prêché dans les Gaules. Notre belle patrie doit à d'autres représen- tants de Jésus sur la terre l'honneur d'être et d'être appelée la fille aînée de rÉglise.

Vincent de Beauvais affirme dans son Miroir hislorial ^ que l'Irlande a possédé quelque temps l'Apôtre de l'Espagne.

* Coloss., I, 3-7.

- Spéculum historiale, lib. 8, cap. 7.

3l() l'ÈLEUINAGE UE COMro.S'lEl.l.E.

Mais ce témoignage unique, contredit d'ailleurs par le si- lence de la tradition, ne saurait équivaloir à une preuve décisive.

Sortons du cliamp des hypothèses et rentrons dans le do- maine de l'histoire et de la tradition. Il est probable que saint Jacques visita les côtes méditerranéennes de l'Espagne, en particulier les villes de Barcelone, de Tarragone, de Va- lence. Il laissa à Carthagène pour premier évoque un de ses disciples, plus tard martyr, saint Isicius; Grenade reçut aussi de sa main son premier pasteur , saint Cécilius , qui l'avait suivi de Jérusalem.

Après avoir doublé le détroit, l'infetigable Apôtre prêcha dans l'Andalousie. Un de ses autres compagnons de voyage, saint Pie, fut le premier évoque de Séville. Le Portugal en- tendit à sou tour cet enfant du tonnerre^ dont l'éloquence confirmée par de nombreux prodiges terrassait les cœurs les plus rebelles. La Galice était le principal foyer de l'idolâtrie: pour mieux détruire l'empire du démon, saint Jacques se fixa plus longuement dans cette contrée, aux environs d'Iria- Flavia, qui fait aujourd'hui partie de la ville nommée Pa- dron.

Le globe des anciens finissait là, du moins de ce côté. Se- lon une tradition, Iria ou lllia-Flama avait été fondée par lllia^ fille d'un prince illien ou troyen, et par son origine établissait un lien de parenté entre l'Espagne et l'Asie. Enée n'avait-il pas aussi implanté la race asiatique dans la belle Italie ? Mais une parenté plus étroite que celle du sang de- vait bientôt relier entre elles tous les, peuples, tous les cli- mats, sans distinction de Grecs et de Romains, de Juifs ou de Gentils. Il était réservé à saint Jacques, venu de la Pa- lestine aux confins de la péninsule Ibérique, d'opérer pour sa part ce bienheureux prodige de la fraternité chrétienne en

PÈLERINAGK DE COMl'OSTKLLE. .'J i 7

prcchaiit à rOricnt et à rOccident un seul Dieu , un seul Sauveur, un Père unique du genre humain.

Flavius Dexter, dans sa Chronique^ son commentateur Franciscus Bivarius et quelques auteurs espagnols attribuent à saint Jacques le Majeur l'épître catholique qui porte son nom. Nous ne souscrivons pas à cette opinion peu commune et peu fondée. Mais s'il était vrai, comme le prétendent les partisans de cette opinion, que cette épître eût été composée en Espagne et par l'Apôtre de l'Espagne, on ne pourrait lui assigner d'autre date que celle du séjour assez prolongé de saint Jacques en Galice.

La prédication de saint Jacques porta ses fruits. La bonne nouvelle eut bientôt des adeptes nombreux, parmi lesquels l'Apôtre choisit neuf disciples qui devaient l'accompagner et le seconder. Anastase, un de ces neuf disciples, mérita que son maître lui confiât l'église naissante d'Iria-Flavia, dont il fut le premier pasteur. Un autre, du nom de Théodore, fut aussi mis à la tête d'une autre chrétienté de la Galice.

La tradition de certaines églises qui se croient redevables à saint Jacques de leurs premiers évêques, nous permet de retrouver l'héroïque itinéraire de cet immortel Apôtre depuis Iria-Flavia jusqu'à Saragosse, une de ses plus importantes stations. Il ne nous paraît pas improbable que saint Jacques ait suivi la ligne qu'on pourrait tirer par les villes que nous allons nommer avec les évêques ordonnés et préposés à leurs églises par l'Apôtre :

Bra2;a saint Pierre.

Orense saint Arcadius.

Lugo saint Capiton.

Astorga saint Efren.

Palencia saint Nestor.

On attribue aussi à saint Jacques l'évangélisation de Tu-

318 PÈLERINAGE DE COMPOSTELLE,

delà et de Lérida. Dans cette dernière ville, une curieuse légende, dont les mœurs populaires retracent encore aujour- d'hui le souvenir, rappelle la prédication de l'Apôtre. Re- vêtu de l'habit du pauvre, de la pénule apostolique, saint Jacques marchait encore nu~pieds, ainsi qu'il est représenté sur les monuments religieux du moyen-âge. Un jour ses pieds sont blessés par une épine ; l'homme de Dieu ne peut aller plus loin; il s'arrête. Les anges s'approchent avec des fanaux et l'éclairent pendant la douloureuse extraction de l'épine. Le lieu s'arrêta l'Apôtre, descendirent les anges, c'est la rue de Lérida qui s'appelle aujourd'hui la rue des Chevaliers, Calle de los Caballeros. Un oratoire dé- dié à saint Jacques j a été élevé en mémoire de l'événement ; chaque année , au jour de la fête du saint, on y célèbre les saints Mystères et on y prêche. Dès la veille, les enfants, ces anges de la terre, annoncent au peuple par leurs chants et leurs promenades au flambeau la fête de Santiago. Heureux les peuples qui conservent leurs souvenirs et leurs légendes ! Une légende plus autorisée et plus connue concerne Sara- gosse, ville fameuse à plus d'un titre, fortement assise sur les bords de l'Ebre. Saint Jacques y prêcha plusieurs jours et convertit à la foi de Jésus-Christ huit hommes , succès qu'il n'avait encore obtenu nulle part, quant au nombre. Or, les nouveaux disciples sortaient de la ville, chaque nuit, pour vaquer à la prière et se faire instruire, loin du tumulte et des agitations de la cité. C'est pendant une de ces nuits sanc- tifiées par de ])ieux entretiens que saint Jacques et ses néo- phytes entendirent sur une des rives du fleuve un concert angélique; les esprits célestes chantaient en l'honneur de la Vierge immaculée : Ave^ Maria, gratta plcna. L'Apôtre flé- chit le genou et distingua la Mère de Jésus-Christ. Elle était sur un pilier de marbre blanc, supra pilare, entourée de my-

rÈLEHINAGE DE COAll'OSTKLLK. ;il<J

riiidcs d'anges. Gloire lut rendue au Très-Haut par les auges, qui firent encore retentir les airs de ces paroles empruntées aux offices de la terre : Benrdicamus Ihmwio.

N^ S" DEL PILAR.

(D'après um; anricnnn gravuif.)

Quand ces voix pures eurent fait silence, la glorieuse Vierge parla au saint Apôtre : « C'est ici, mon tils, la, place « il faut bâtir une église en mon honneur. Cette colonne, sur laquelle tu m'aperçois, c'est mon Fils, tou nniîtrc, qui

320 PÈLERINAGE DU CO.MrOSïKLLE-

" i'a envoyée du ciel par les mains des anges ; elle sera le ;- centre de la chapelle fine tu vas me consacrer ; de merveil- <| leuses choses y seront accomplies par mon Fils en faveur Il de ceux qui viendront m'y implorer. Cette colonne restera <' jusqn'à la fin des siècles et le Christ ne manquera ja- « mais d'adorateurs dans cette cité. »

Ainsi parla la Vierge ; les anges qui l'assistaient la trans- portèrent à Jérusalem, auprès de son fils adoptif, frère de saint Jacques, et regagnèrent eux-mêmes le séjour que la Providence leur avait fixé.

Après avoir abandonné son âme à la reconnaissance envers Dieu et la Mère de Dieu, saint Jacques exécuta les ordres qui lui avaient été imposés. L'oratoire qu'il bâtit avec l'aide de ses disciples autour de la colonne avait une longueur de 16 pas sur 8 de large. La sainte Vierge revint souvent dans ce lieu et unit sa voix au chant des fidèles.

Telle est la légende de Notre-Dame del Pilar ou de la Colonne; notre gravure [page 519) représente l'apparition de la sainte Vierge au grand Apôtre de l'Espagne.

La sainte Eglise a sanctionné cette légende en autorisant l'office, pour le 12 octobre, de cette bienheureuse apparition. Dans le Propre des Saints espagnols et dans le Breviariiun marianum imprimé à Lérida en 1839 avec l'approbation de Rome, cette fête est inscrite sous ce nom : Conwi. B, V. M. de Colwnnâ. Le concours et la piété des fidèles et les fixveurs miraculeuses qu'ils ont recueillies ont donné à ce sanctuaire une popularité et une importance extraordinaires. Les Ara- gonais, en particulier, sont justement fiers de l'église de la Vierge à Saragosse, qu'ils appellent la mère de toutes les églises de la ville, Madré de todas las iglesias de la ciudad.

Le pape Clément XII autorisa l'office de Notre-Dame del Pilar ; Pie VII éleva la fête au rang des fêtes de première

PKLElUiVAliE DE COMlMi.STELLK. iiL' t

classe avec octave et approuva un office j^ropre, mais seule- ment pour tout le royaume d'Aragon, dont Saragosse est la capitale.

La protection que la sainte Vierge avait promise à la ville de son choix n'a point été stérile, « car, dans les jours nais- « sauts de l'Eglise, lorsque les premiers fidèles n'avaient " d'autres temples que les antres des monts sauvages, d'au- « très images de Dieu et des saints que celles gravées dans << les cœurs ; lorsque la persécution ne laissait debout que les <' autels païens et les statues des fausses divinités, Saragosse « conserva miraculeusement l'imao-e vénérée de Notre-Dame <' del Pilar. Les martyrs qu'elle donna à la croix sont innom- <' brables. Pendant le règne affreux de Dioclétien, le sang de « ses confesseurs inonda ses places publiques, au point que " les habitants avaient nommé Sainle la rue ils furent <i immolés en plus grand nombre. Cette ville tomba au pou- i< voir des Visigotlis, commandés par leur roi Euric, et se » conserva néanmoins pure d'arianisme ; le respect que sa « piété inspirait était tel, que dans le VP siècle, les fils de <• Clovis, Childebert et Clotaire, l'ayant assiégée dans leur « expédition d'Espagne, l'épargnèrent en considération de " saint Vincent. Les vainqueurs se retirèrent après avoir « demandé pour unique trophée la moitié de l'étole du mar- « tyr, auquel ils consacrèrent ensuite une basilique à Pa- » ris ' . » La domination musulmane ne put interrompre à Saragosse les exercices du culte chrétien. Le cimeterre des féroces enfmts de Mahomet s'émoussa contre la colonne dont la Reine des armées avait fait son trône.

Il n'est pas sans importance pour l'histoire de saint

' L'Espagne historique, Ullcraire et monumenlale , par BI. P. A. GAi'ZKNCJi Dt Lastovuw, p. 52.

322 PÈLEUlNAaE I)K CO.Ml'QriTELLE.

Jacques, et même pour celle de l'Eglise d'Espagne, de fixer l'époque de l'apparition de la sainte Vierge à Saragosse. L'hymne de Marcus Maximus, pour les premières vêpres de la fête de Notre-Dame del Pilar^ lui assigne pour date l'an 59 de l'ère chrétienne :

0 grandis appaiitio, Jacobo facta piiniitùs Anne Dono tricesimo Natalis ahiii Domini !

Ce L!:rand événement eut donc lieu de lon!>;ues années avant l'Assomption de la sainte Vierge; par une prérogative unique, le sanctuaire qui lui fut dédié l'honora vivante et anticipa eu quelque sorte sur les hommages que la cour céleste devait offrir plus tard à la Reine des anges et des hommes.

Le grain de la foi catholique que saint Jacques a semé en Espagne, qu'il a arrosé de ses sueurs, sera dans peu d'années un grand arbre. L'Apôtre a rempli son mandat ' ; mais la Providence qui le rappelle en Palestine, le ramènera bientôt en Galice. Le Saint affronte de nouveau les hasards de la mer et revoit le beau ciel qui l'a vu naître. Il se hâte d'aller vénérer à Eplièse la Mère de Dieu qui l'a honoré de tant de faveurs, et retrouve le disciple bien-aimé, son frère, saint Jean l'Evangéliste. L'auguste Reine des Apôtres l'ac- cueille avec bonté, lui communique les progrès de l'Evangile en Espagne et lui révèle son prochain martyre. Notre héros

Flavics Dkxteu prétend dans sa Chronique [Patrol., édit. Migne, t. 31, col. 135) que saint Jacques, après avoir quitté l'Espagne, évangélisa les Gaules, la Grande-Bretagne et la Vénétie. C'est un témoignage de plus en faveur de ceux qui datent du le"" siècle la conversion des Gnules au christianisme.

t>KI,i;iUNAGE DE CuAJroSTKLl.K. 3:23

s'enflamme à la pensée du combat suprême qui Tattend; il implore nue dernière lois la protection de la Vierge pour l'Espagne et particulièrement pour le sanctuaire cpi'il lui a dédié, en reçoit l'a.^surance par un sourire plein de douceur et reprend le chemin de Jérusalem.

Depuis le jour oii la sainte A'^ierge a })roiiiis à l'Espagne aide et protection, dix-huit siècles se sont écoulés à travei'S les vicissitudes les plus lamentables et les révolutions les plus désastreuses. L'Espagne, si voisine d'autres pays hérétiques ou pervertis, envahie successivement par les hordes barbares et par les voluptueux disciples du Coran, l'Espagne a con- servé intacte la foi qu'elle tient de saint Jacques ; l'Espagne est encore aujourd'hui le royaume Catholique par excellence. Heureux les pays qui n'abdiquent pas leurs croyances!

CHAPITRE IV.

MAUTYRE DE SAINT JA( QDES.

De retour en Palestine, saint Jacques assiste avec quel- ques autres Apôtres à la consécration de la Santa casa de Nazareth ; il prêche aux Juifs le Messie mort par eux et pour eux , ressuscité, assis à la droite du Père ; Y Enfant du ton- nerre éclate, gronde, tonne dans la synagogue; des prodiges de toute nature démontrent la vérité de sa parole ; les pé- cheurs se jettent à ses pieds; les prêtres et les chefs du peuple, couverts de confusion, se retirent ; le démon frémit, les magiciens tremblent.

Parmi ces derniers, l'histoire et la légende citent liermo- gène, plus jaloux que tous les autres et plus acharné à la perte de l'apôtre. Le magicien envoyé vers saint Jacques son dis- ciple Philétus, pour convaincre d'erreur l'apôtre du Christ en

'S-2'i rÈLEHlNAGE DE COMPOSTELLE.

présence des juifs. Lu foule s'assemble, on se groupe autour (les deux champions ; mais tous les arguments de Philétus sont réfutés, la vérité triomphe et brille d'un nouvel éclat après avoir dissipé les nuages du paradoxe et de la mauvaise foi. Ce qui est encore plus consolant, c'est que Philétus convaincu et persuadé soit par une simple exposition delà doctrine, soit par les miracles qu'opère saint Jacques, se déclare converti. Il revient vers son maître, exalte l'enseignement nouveau qu'il vient d'entendre et manifeste sans détour sa pleine adhésion à l'E van aile. Confus et furieux, Herm'ooène fait enchaîner son disciple et le lie si étroitement que tout mouvement lui est interdit. « Nous verrons, s'écrie-t-il, si ton Jacques pourra « te délier. » Philétus informe suint Jacques du sort auquel il vient d'être réduit. Saint Jacques lui fuit parvenir son manteau. A peine le captif a-t-il touché ce manteau, que ses chaînes brisées tombent et qu'il court avertir saint Jacques de sa délivrance.

Hermogène ne peut plus contenir sa colère ; il invoque les démous, implore des maléfices plus puissants et conjure tous les malins esprits de lui amener Jacques et Philétus, tous deux garrottés. Les démons font gémir les airs d'horribles hurlements et se plaignent que l'Ange du Seigneur les a attachés avec des chaînes embrasées et qu'il leur fait endurer d'horribles tortures. Une prière de suint Jacques suffit pour faire cesser leurs tourments : « Retournez , leur dit-il, vers « celui qui vous a députés vers moi, et amenez-le garrotté, « mais sain et sauf. » Les démons obéissent, attachent les mains à Hermogène derrière le dos et le traînent auprès de saint Jacques. L'Apôtre adresse quelques reproches au magi- cien, l'éclairé sur le danger de sa liaison avec les malins esprits et met un terme à sa confusion en le faisant délier par Philétus. « Tu es libre, lui dit saint Jacques, va tu

rKLK;ii.N..(it; dI': iiuiU'ubrKi.i.!:. 32.j

" voudras; caria vengeance n'est pas permise aux disciples « du Christ. » « Je conn;iis les fureurs des dénions, ré- " pond Hermogène; si tu ne me donnes pas quelque chose " qui t'appartienne, ils me tueront. » Et Jacques lui donne son bâton. Hermogène n'était déjà plus le même homme. Il prend tous ses livres de magie, en charge les bras et la tête de ses disciples et les jette aux pieds de l'Apôtre. Il consomme son sacrifice en les livrant aux flanmies ; mais Jacques crai- gnant que l'odeur de l'incendie n'inquète ceux qui ne sont pas prévenus, fait enfermer tous ces livres dans des caisses dont il augmente le poids avec des pierres et du plomb, et les fait précipiter dans la mer. Hermogène se prosterne aux pieds de l'Apôtre dans les sentiments d'une vraie pénitence, s'attache à l'homme de Dieu et obéit à toutes ses volontés. La crainte du Seigneur hâte ses progrès dans la perfection ; le Tout-Puissant opère par ses mains de nombreux prodiges, à la suite desquels quantité d'hommes abjurent leurs égare- ments d'esprit et de cœur et se convertissent à la foi du Christ.

L'épisode de saint Jacques et d'Hermogène est le thème d'admirables bas -reliefs du XVP siècle qui décorent un des transsepts de la cathédrale d'Amiens. Cette composition est partagée en quatre compartiments ; saint Jacques prêche la Loi nouvelle aux Juifs ; 2" il fait un exorcisme ; 5" en pré- sence des juges africains, il présente deux de ses doigts au démon et le défie de les mordre ; i-** Hermogène enchaîné demande pardon à saint Jacques. » L'expression simple et ft naïve des têtes, dit M. Dusevel ' , la singularité des costumes « des divers personnages, notamment de Philète et d'Her- <i mogène qui, suivant l'usage du temps, ont des robes à fleurs

' Nolicc suf la Cathédrale d'Amiens, p. 56.

32G VÈLEIIINAGE LIE COMPOàTELLlî.

« d'or et à ramages, bordées de caractères grecs et latins et <> la curieuse deutelle des arcades sous lesquelles ils se trou- <i vent, excitent vivement l'attention des étrangers. »

Une peinture de l'église Saint -Macaire (Gironde) a égale- ment pour sujet la légende du célèbre Hermogène, que nous trouvons encore reproduite sur les vitraux de Bourses et de Chartres.

Les Juifs irrités de la défection d'un magicien enrenom qu'ils croyaient inébranlable et de celle de tous ses admii-ateurs, corrompent à prix d'argent deux centurions de Jérusalem, Ly.sias etThéocrite, et obtiennent l'incarcération de Jacques; ils organisent ensuite une sédition et font traduire leur vic- time devant un tribunal ; mais l'attitude magnanime de l'A- pôtre leur impose un respect qui les étonne eux-mêmes ; ils l'écoutent pendant qu'il démontre, par les Ecritures, la Passion et la Résurrection de Jésus-Christ. Ils se sentent touchés et éclairés, confessent leurs torts et se rangent parmi les disciples de la nouvelle doctrine.

Quelques jours s'écoulent; Abiathar, grand-prêtre pour cette année, jure de venger ses autels déserts et, dans ce but, provoque par ses largesses une violente émeute. Un scribe, du nom de Josias, jette une corde au cou de l'Apôtre et le conduit au prétoire d'Hérode, fils d'Aristobule. Le roi Hé- rode ' était un vrai courtisan du peuple, esclave de l'opinion publique beaucoup plus que de son devoir. « Les plus grands « crimes commis à cette époque, dit Mgr Mislin^, portent tous

' Il ne s'agit pas du vieil Hérode, Tinstigateur du massacre des Innocents; il ne s'agit pas non plus de son fils Hérode Antiphas, le décollateur de saint Jean-Baptiste, de cet Hérode qui appelait Jésus-Christ un roi de théâtre; il s'agit du troisième Hérode, Hérode Agrippa, persécuteur de saint Pierre et meurtrier de saint Jaco^ues.

'^ Les saints Limx, par Mgr Mislik . Paris 1858, t, 2, p. 353.

l'KM.niNAor, Di; (;(iMP0STr.i,i,i'. .'{O"

" le cîicliet (le lu faiblesse des princes qui vouliiient se rendre M populaires. C'est une des marques distiuctivcs delà famille « d'Hérode. » Plût à Dieu que cette marque eût disparu avec cette famille ! Combien est juste cette exclamation deBossuet: « Rois, gouvernez hardiment. Le peuple doit craindre le « prince ; le prince ne doit craindre que de faire le mal. Si le « prince craint le peuple, tout est perdu. »

Au lieu de résister aux passions sanguinaires de la foule, Hérode lui promet une large satisfaction, et, sjuis procès, sans jugement, il condamne le juste à la décollation. L'apôtre marche au supplice d'un pas ferme et généreux ; une joie sereine brille sur son front et va s'accroître par la consolation d'un acte de bienfaisance envers un infortuné. Il s'approche d'un paralytique couché sur le chemin et répond par ces paroles à sa prière : « Au nom de Jésus-Christ pour l'amour a duquel je vais au supplice, lève-toi et bénis le Seigneur. » Et le paralytique se lève guéri.

Témoin de ce miracle, Josias tombe aux pieds de l'Apôtre et sollicite son pardon par un torrent de larmes. « La « paix soit avec toi, » lui dit saint Jacques en l'embrassant. Ce baiser du pardon avant le martyre, ces paroles si frater- nelles, ce souhait si tendre sont, aux yeux des investigateurs des coutumes chrétiennes, la forme et la formule la plus an- tique du baiser de paix que le ministre des autels donnait autrefois au peuple avant la communion, dont les pieux Ma- ronites ont conservé l'usage ' et que le rit romain a maintenu entre les membres du clergé dans les Messes solennelles. Peu de cérémonies ont une origine aussi reculée, aussi vénérable,

* Eu 1858 nous avons assisté, à Nazareth, à la messe des Maronites dans leur modeste église. Avant la communion, le célébrant donna la paix au prêtre qui l'assistait et celui-ci à l'un des fidèles. Les hommes la transmirent aux hommes et les l'emmes aux femmes.

328 rÈu-:mxAGE i)E cu^iro.sTELLE.

aussi touchante que le baiser de paix de nos sanctuaires.

Saiiit Jacques arrive au lieu du supplice avec Josias, son nouveau disciple, bientôt son néophyte par le baptême qu'il lui confè.re et bientôt encore le compagnon de son martyre et de sa gloire; il adresse à Dieu une prière et présente sa tête au bourreau, qui l'abat par un double coup d'épée : « Occidit autem Jacobum, fratrem Joannis, gladio \ »

L'exécuteur ramasse cette tête sanglante, la lève vers le ciel et la montre, un genou en terre, aux satellites envoyés par Hérode. Ceux-ci veulent s'en emparer, mais leurs mains se dessèchent, la terre tremble et les anges entonnent dans les cieux les louanges de VApôlre prolomartyr^ immolé par les ordres du prince protopersécuteur de r Église ".

Tous les Apôtres ont conquis la palmé du martyre; mais saint Jacques est le seul dont saint Luc nous ait raconté la mort. Cette glorieuse exception s'explique par les cir- constances extraordinaires qui ont signalé ce drame sanglant.

Il n'est pas inutile de remarquer que les deux Apôtres, du nom de Jacques, tous les deux parents de Notre-Seigneur, sont morts dans la même ville que leur divin Maître, aux

' Art. XII, 2.

- OuDEUici YnAJAS, Historia ecclesiastica, édit. Migne, col. 111, 112. Légende dorée. Un des vitraux modernes de l'église Saint-Michel, à Bor- deaux, représente le baptême de Josias par saint Jacques. Une des pein- tures si antiques et si curieuses de l'église Saint- Macaire (Gironde) représente successivement la conversion de Josias, son baptême et son martyre. Le Mudo (Juan Fernandez Navarreti), un des artistes les plus renommés de l'Espagne, s'est immortalisé par le tableau du Martyre de saint Jacques-le- Majeitr. On rapporte que, pour se venger de Santoyo, secrétaire du roi Philippe II, le Mudo donna sa figure au bourreau du saint, et que Philippe dut protéger ce chef-d'œuvre centime le ressentimimt de son secrétaire. Mais le P. Siguenza, qui habitait alors l'Escurial ce tableau avait été exposé, affirme que cette laide et singulière figure du bourreau de saint Jacques est tout simplement colle d'un artisan de I.ogrono, patrie du peintre.

PÈLERINAGE DE COMPOSTELLE. ;{29

environs du Cîilvaire; ils ont été dignes de mêler leur sang au sang divin du Rédempteur, leur frcre^ et par la confession de leur foi, ils ont scellé avec rauteur de leur glorieuse no- blesse une alliance nouvelle plus durable que celle de la nature, et aussi immuable que les joies éternelles qui en sont la récompense.

Saint Jacques tient le même rang entre les Apôtres que saint Etienne entre les Saints; ils sont tous les deux, en un sens, les prémices des Martyrs. Saint Jean l'ii^vangéliste, mar- tyr de désir, a donné le premier, il est vrai, l'exemple du martyre ; mais saint Jacques en a achevé la consonnnation .

Sainte Hélène honora par la construction d'une superbe église l'immortel théâtre du martyre de saint Jacques; plus tard, l'Espagne, si zélée pour le culte de son premier apôtre, bâtit un magnifique couvent sur le même emplacement. C'é- tait le célèbre Monastère de Saint-Jacques, sur le mont Sion. Une petite chapelle occupa et occupe encore la parcelle de terre arrosée d'un sang si précieux. Les Espagnols en ont été dépossédés par les Arméniens schismatiques , qui en sont encore aujourd'hui les maîtres.

On s'accorde généralement à fixer au 25 mars, jour si mé- morable dans l'Eglise, la décollation de saint Jacques. Mais la sainte Eglise célèbre, sous le signe du Lion, le 25 juillet, cette mort ou plutôt ce triomphe de l'invincible apôtre.

Il est moins facile d'en préciser l'année. François Bivarius, commentateur de Flavius Dexter, a essayé de résoudre cette dernière question dans une longue et savante dissertation. Nous croyons nous écarter peu de la vérité en donnant pour date à un événement aussi important l'une des années 45 ou 44.

L'aBBE l'ARDIAC.

{La suite au prochain numéro ]

TOMK VI. 24

BIBLIOGRAPHIE

ATHÈNES décrite et dessinée, par Erke-^t BRETo^', de la Société det Antiquaires de France. Paris, Gide, 1862 ; grand ni-8° de 379 pages, orné de 8 'planches tirées à part et de 160 vignettes (10 fr.).

Alliènes, qui a conservé tant de monuments antiques, contem- porains de son ancienne gloire, a toujours attiré l'attention des archéologues. Les ouvrages de Chandler, Dodwell , Ottfried Mul- 1er, Pittakis, Letronne, Leuormand, Beulé, etc., ont conquis une juste estime dans le monde savant ; mais ils n'en ont guère franchi le cei'cle. Il fallait une plume habile et un crayon expérimenté pour vulgariser les connaissances acquises et les offrir au public sous la forme d'un élégant volume accessible à toutes les intelligences comme à toutes les bourses. M. Ernest Bieton a entrepris cette œuvre difficile, la science, sans abdiquer sa gravité, doit se dé- pouiller de ses aspérités, et il a obtenu un succès analogue à celui qu'il avait déjà remporté en décrivant les ruines de Pompéï.

Nous ne suivrons pas M. Ernest Breton dans la description des temples, des autels, des gymnases, des tombeaux de l'Athènes du paganisme; mais nous lui emprunterons quelques détails sur les antiquités chrétiennes de la capitale actuelle de la Grèce.

On sait que le Parthénon, bâti dans l'Acropole, sous la direction de Phidias et consacré à Minerve par Périclès, devint au VII* siècle ime église chrétienne, sous le vocable de la Sagesse Divine (sainte Sophie), et qu'il fut eu partie détruit par les Vénitiens pendant le

lUnLIOGUAI'llIli, 331

siège do 1087. La façade occidonlale est la mieux conservée: c'est sur ses colonnes que M. Pillakis a découverUle nombreuses iuscrip- tions gravées à la pointe.

1 l''f <-

FaeuJe occidentale du Parthenon.

La plus ancienne remonte au VII* siècle ; elle est relalivc à la mort de l'évêque André:

.:fMOKTU)BP)eei£HM^

rAWAPeAcoAntï) HNenicê exoYc

'ECQ

a Le 15 du mois d'octobre, le premier jour de l'indiclion 7, est mort André, noire saint évêquc, eu l'an 0202 (après J, G. CDi.) »

33Î BIBLIOGIVAPIIIE

L'inscription suivante, remplie d'abréviations, a été gravée au XIV« siècle :

qtxTXG

a Est mort dans le Seigneur le serviteur de Dieu, Nicolas, prêtre

et vicaire de la sainte église d'Athènes, au mois de juillet, le et

derindiction...,le jourquatrième, en l'an 6822 (après J.-C. 131-4.) »

M. E. Breton fait observer que ces dates reportent la création du monde à 3,508 ans avant J.-C, suivant l'ère juive^ adoptée par les Grecs, et non pas à 4,004 ans, comme le fait notre chronologie.

On trouve de nombreuses épitaphes analogues à colles que nous venons de citer, relatant la mort de métropolitains, d'archevêques, d'évêques, de prêtres, de diacres, d'archivistes, de procureurs, de scribes, de moines, de chanoines, d'abbés, etc.

Une autre catégorie d'inscriptions est purement commémorative. Elles commencent presque toutes par ces mots en abrégé: MvrjdOrjTi Kûpie (Souvenez-vous, Seigneur) ; en voici deux exemples :

(.0

iKlCAHC lAC Amnii)

<( Souvenez-vous, Seigneur, de votre serviteur Grégoire, diacre et économe de l'église d'Athènes. »

BinLlOGUAPIIIE.

333

iC€ BQHTAâi

p

V

« Scigiicui', secourez votre serviteur, le diacre Cyriaquc, Seigneur, secourez-le. »

Ces inscriptions ont été épargnées par les Turcs, de même que quelques restes de peintures byzantines on leconnaît une tète de la Vierge et plusieurs médaillons d'Apôtres. M. E. Breton a éga- lement vu ailleurs des symboles chrétiens que les Musulmans ont respectés, faute d'en comprendre la signitication; sur une fontaine, au pied de l'Acro-Gorynthe, deux marbres byzantins porteulchacun un monogramme du Christ.

Un des plus curieux monuments chrétiens d'Athènes est la petite église des Saints-Apôtres, devenue souterraine, située dans le voi- sinage de la grotte de Pan ; on y pénètre,, en B, par la muraille mé-

«w^N^Tvmmm\^w^\^^^

Plan de Véglise des Saints-Apèitres .

P

S 1

Embouchure du canal de la CiejisyJii',

lidionale. Le cul de four en ])riques C qui a remplacé rancienne entrée, abrite la fontaine de la Clepsydre, dont il est question dans Aristophane et dans l'iutarque. L'eau s'échappe à dix pieds de profondeur d'une fissure de rocher, décorée d'un petit frontispice de marbre composé de deux pieds-droits, avec un fronton portant sur la frise le seul mot<!)PVNIKOV.

L'autel, dont on ne voit plus de traces, devait être situé en A'. On

334 uraL'OGRAriuE.

y voit encore des peintui-es représentaut le Christ eiilre hi Vici'ge et saint Je.'in-Baptiste.

<=> rMi ru N

Intérieur de l'église des Saints- Apûtrcs.

L'église est jonchée de décombres. Su voûte , à plein-cinlre , repose sur des parois verticales, dont la jiartie inféiienre est taillée dans le roc. Les figures des douzes Apôtres sont peintes sur les parois, ainsi, qu'une Annonciation. Ces fresques, qui sont fort endomma- gées, semblent remonter au X" siècle.

De même qu'à Rome, quelques-uns des temples païens d'Athènes ont cédé leur emplacement au culte catholique. Une église de style ogival, à une seule nef, fût élevée à une époque inconnue sur les ruines du temple de Diane Agrotera, sous l'invocation de saint Pierre crucifié. Elle a perdu toute sa façade; ses arcs doubleaux reposaient sur des colonnes de marbre de l'Hymette, provenant sans doute de l'ancien temple.

Mais CCS restes d'antiquités chrétiennes sont peu de chose auprès des chefs-d'œuvre de Mnésiclès, d'Ictinus et de Phidias. Il faut en lire la description dans l'excellent ouvrage de notre savant collaborateur, l'intelligence du texte est facilitée par de nom- breux dessins exécutés d'après nature.

J COKBLET.

CHRONIQUE

On sait qu'une partie des revenus des Cliapilres était tlcslinée à récompenser l'assiduité de leurs membres aux offices et qu'eu gé- néral leur présence était constatée par la distribution de jetons eu plomb, nommés ma? allas, merellus, merel, mereau. Le trésorier remboursait en monnaie ces valeurs fictives qui, du reste, avaient cours dans l'crtaines villes épiscopales. M. Rouyer pense que les plus anciens méreaux ne sont pas antérieurs au Xlli'' siècle. Il fau- drait reculer plus loin l'existence de ces pièces de convention, si l'on admet les conclusions d'un travail que vient de publier M. A. Digot, dans les Mémoires de la Société archéologique de Lorraine. Parmi les méreaux du Cbapitre de Tout qu'il a décrits, il en est un qu'il ûiit remonter au Xl^ ou XIP siècle. C'est une masse de plomb, coulée grossièrement, et offrant une concavité entourée d'une bordure en saillie. D'un côté, la surface est parfaitement lisse ; de l'autre, on voit une croix, sans aucune inscription. M. Digot trouve que ce méreau, d'un poids considérable et d'un travail grossier, a quelque ressemblance avec les deniers frappés à Toul, par les évêques Gérard, Brunon et Ricuin.

M. l'abbé Clerc a publié un intéressant Mémoire dans le der- nier volume des travaux de l'Académie de Reims sur ces deux ques- tions : Quel était le costume des moines deLuxeuil?2o En quoi la tonsure irlandaise ditrérait-elle la forme générale des ton- sures? Primitivement, et sans doute jusqu'au IX*; siècle, les moines de saint Golomban portaient l'habit blanc qui, selon les principes de la liturgie, est l'expression de la joie ; ils prirent ensuite la robe brune, emblème de la pénitence. Ils portaient la tonsure à la ma- nière des Irlandais, c'est-à-dire qu'ils ne se rasaient que pardevant, en domi-cercle, d'une oreille à l'autre ; ils prétendaient en cela.

ooo ciinoMQi;E.

iinitiT l'iipùlre s.'iiiit Jean, qui laissait croitre ses cho.veux sur le «Icnièro de la tête.

Quelques erreurs ty[iographiques se sont glissées dans l'ar- ticle de M. Antonio Bertoldi, sur le sarcophage-autel de Saint-Zénon (u" de février, pages 37 et 38). Nous rétablissons ici les deux pas- sages qui ont été altérés : L'antel-sarcophage de notre basilique contient les corps de trois Saints : saint Crescentien, martyr du VI* siècle, dont il est fait mention dans les Actes du pape saint Marcel; 2" notre VI* évêque, saint Lucille, qui assista au Concile de Sardes, en 347, et qui est mentionné dans V Apologie de saint Atlia- nase; notre XII* évêque saint Lupicin. Actuellement il se trouve dans l'abside centrale de la crypte : auparavant il était dans l'église supérieure, au devant de l'abside du côté de l'épître, maintenant fermé. Après les inscriptions de la page 58, il faut ajouter celte phrase : Plus tard on transféra ce sarcophage dans la crypte; je crois que ce fut en 1808, alors qu'on fit la récognition des eainls corps.

Nos lecteurs connaissent toute l'importance du tableau polyp- tique d'Anchin, conservé dans la sacristie de Notre-Uame de Douai, duquel M. l'abbé Deliaisne a publié la description dans notre Revue (t. IV, p. 449). On se rappelle que notre savant collaborateur s'est prononcé contre l'attribution qu'on avait faite de ce chef-d'œuvre a Memling, mais qu'il n'a point osé se prononcer sur son auteur, en l'absence de preuves positives. On nous assure que M. Alphonse Wautei's, archiviste de la ville de Bruxelles, vient de trouver un document authentique, constatant que cette œuvre admirable a été exécutée vers l'an 1313 par Jehan Bellegambe, natif de Douai. M. Dehaisne avait fixé sa date approximative entre 1311 et 1520; un témoignage inattendu vient de montrer la sagacité de ses con- jectures.

La société impériale des AuLi(juaires de France a nommé notre collaborateur, M. A. de Barthélémy, à la place de membre résidant, vacante par le décès de M. le commandant Delamare.

J. COaBLET.

REVUE DE 1:aRT CHRETIEN.

^- baiidaie de Samt Edme .

>• Sandale de Comminges

Chaussure de Sa:nl Rerre de LuxemBour

■*ry-3uit::eaji ^Ar

LES SANDALES ET LES BAS

P U K M 1 K It A 11 T I C I, K .

PRELIMINAIRES.

Lorsque j'entrepris, il y a quatre ans, la publication dont commence ici la troisième partie, mon projet n'était pas de donner à ce travail l'extension considérable qu'il a acquise depuis. Le plan que je voulais suivre en premier lieu consi- stait simplement : à revenir avec plus de détails sur la description des vêtements ou étoffes que mes Rapports à Son Excellence M. le Ministre de l'instruction publique avaient signalés, 2" à reproduire par la lithographie un choix d'ob- jets, soit inédits, soit imparfaitement copiés par mes devan- ciers. Il m'a été bientôt difficile de ne pas franchir des limites aussi restreintes. D'abord, plusieurs personnes, à la tête des- quelles j'inscrirai MM. Oudet, Thibaud et Van Drivai, ont mis à ma disposition des monuments nouveaux; puis l'on m'a fait observer qu'une suite de monographies, sans lien entre elles,

TOME VI, Juillet 1862. 25.

338 LES SAXIJALES ET LES RAS.

fatiguerait à la longue, malgré riiitérèt particulier de cha- cune, et qu'il serait plus convenable de grouper dans un seul article les divers objets appartenant à la même catégorie, en joignant à leur étude individuelle une étude d'ensemble, propre à généraliser les faits avancés. Je n'ai pas reculé de- vant le surcroit de travail que m'imposait une pareille tâche ; les bourses, les tuniccUcs éptscopalcs, la mitre, les r/ants, ont été traités sous l'impression des bienveillants avis que j'avais reçus. Néanmoins, la méthode suivie à l'occasion des précé- dents sujets présente assez d'inconvénients pour m'en dépar- tir quelquefois. Se borner aux appartenances d'une localité, d'un personnage, conduit à passer rapidement sur les objets analogues, ou à des redites, double écueil qu'il faut savoir éviter. J'oifre donc aujourd'hui aux lecteurs indulgents, dont le concours ne m'a pas failli depuis l'heure j'ai abordé le genre d'études auxquelles toute mon existence est vouée, une série de brèves notices sur les anciennes chaus- sures que j'ai pu rencontrer en France, notices accompagnées d'un aperçu de l'histoire des calceamenla, fasciœ, tibialia, laïques ou sacrés, de l'antiquité aux temps modernes.

Aux documents que j'ai rassemblés moi-même, à la science des liturgistes d'autrefois, je pourrai joindre la profonde érudition renfermée dans quelques ouvrages récemment édi- tés. MM. Rich, Roacli Smith, le chanoine llock en Angle- terre, les splendides publications du Comité impérial des monuments de Vienne ' , les excellents travaux de mon docte

' Grâce à l'extrêiiie bienveillance de S. E. M. le baron Charles de Czoer- nig, président de la Commission impériale et royale des monuments historiques de Vienne, j'ai pu obtenir du gouvernement autrichien la collection presque complète de l'Annuaire et des Communications (Mitt/ieilungen) publiés à ses frais. Ces recueils, pleins de savantes recherches, sont au point de vue de la gravure et de la chromolithographie des modèles difficiles à surpasser.

LES SANHAi.KS KT l.tS lîAS. :{;!<)

ami j\I. l'abbé J'ock en Allemagne', le i-ecucil inachevé (bi regrettable M. Gaiissen en France"-, me fonrniront, comme texte et gravures, matière à de nombreux emprunts.

CHAPITRE I.

AACIKNNKS flIATTSSrRKS ^n^SK!lVK^:S• KN l'HA^CK.

Sandales île sainte Aldegonde à Maubeu(/e. Lorsque la bienheureuse Aldegonde, fille de race mérovingienne, subis- sait les poursuites d'un prince anglais qui voulait l'épouser malgré sa résistance, la jeune vierge (elle avait alors treize ans) surprise par les émissaires de ce prétendant, s'enfuit en leur abandonnant l'un de ses souliers et traversa miracu- leusement la Sambre avec l'aide de deux anges qui la sou- tinrent au-dessus de l'eau •\ Une tradition veut que l'unique chaussure, emportée par la sainte sur l'autre rive, ait été

' Non content de ni'adresser ses ouvrages parus, M. l'abbé Bock, dont le nom fiiit autorité en matière de vêtements liturgiques et d'anciennes étofFes, a eu l'obligeance de me communiquer les épreuves des admirables planches in-folio qui doivent illustrer les Kleinodien des Heil-Romischen Reiches (Joyaux de la couronne du Saint-Empiie romain), édités par l'ordre de S. M. l'empereur d'Autriche.

- M. Gaussen, digne émule de Willemin, après avoir consacré sa vie en- tière à la publication du Portefeuille archéologique de la Champagne, est mort à la peine sans avoir vu terminer son ouviage. Dans une préface écrite avec le cœur, M. d'Arbois de Jubainville a su peindre en peu de mots toutes les misères qui assaillirent un artiste distingué, sans le détoui'ner un instant du but qu'il s'était proposé ; mais pourquoi le savant archiviste de l'Aube et M. le chanoine Tridon ont-ils interrompu le texte explicatif qu'ils étaient si bien en mesure de terminer?

' R. P. AwuRÉ TxuQUET, Vie adviirahle de la très-illuslrc jyrincesse xainte aldegonde, éd. Estienivk, Maubeuge, 18:37. p. '^3.

340 LES SANDALES ET LES BAS.

conservée de temps immémorial dans le trésor de la Collé- giale de Maubeuge '. Rayssius, qui mentionne cette relique, suit les mêmes errements : << Solea seu suppagmentum ejusdem (S. Aldegundis), quod reliquit in ulteriori Sal)is ripa, cum ab Eudone consequeretur, ac eumdem Sabim siccis plantis pertransisset ". » Le sentiment du chanoine douaisien est, on le voit, complètement d'accord avec la tradition énoncée ci-dessus. La Solea de sainte Aldegonde a été peinte dans un inventaire illustré à la fin du XV^ siècle, inventaire re- copié au XVIP et continué jusque vers 1650. Le pre- mier recueil est malheureusement égaré, le second m'a été communiqué par son propriétaire actuel, M. Bottiau, procu- reur impérial à Valenciennes et héritier de la bibliothèque de feu M. Estienne. Le dessin que j'ai calqué laisse voir à peine l'extrémité aiguë du soulier .(environ 0'",02!7'"), simple semelle de cuir épais, piqué sur les bords; le reste est caché sous une double custode verte et rouge, semée d'oiseaux et de iieurs très-certainement brodés en soie de couleur. On lit en marge : « Il y a présentement xxii pièces atficqees à ung fille d'or. Lan 1642 on y at mis encore une bague avecque une agate et 4 rubis et deux peti brasselle dor ou illiat 24 piesse^ »

La précieuse sandale, dérobée à la convoitise des agents révolutionnaires, se trouvait, en 1807, entre les mains du prince de Ghistelles, qui la remit alors à j\L Bévenot, curé-

' Vie, etc., notes de M. Estien.ne, vi, p. 4.

' Hierogazojyhi/iacium BeIgicuni,Tp. 13.

"' Inventaire cité, fol. 14, v. Je sollicite une indulgence bien méritée pour l'orthographe des nobles chanoinesses qui transcrivirent ces notes, car leur travail fournit aujourd'hui, en texte et dessins, assez de documents pour rétablir à peu près le riche trésor de Maubeuge, absorbé par la Révolu- tion.

LES SANDALES ET LES BAS. 3 il

doyen de MauLeiige. Cet ecclésiastique la i)laça dans la sa- cristie de son église paroissiale, où, grâce ti l'obligeance de M. l'archiprêtre Babeur, j'ai pu la contempler à mon aise en I808. L'aspect de la relique n'a guère changé depuis le XV siècle ; la custode interne de velours vert est toujours visible, moins les broderies qui sont usées ; mais la couver- ture extérieure a été remplacée ou cachée par un reps bleu- clair, lamé d'argent. Les joyaux mentionnés par l'inventaire subsistent encore pour la plupart. Les deux bracelets d'or, disposés longitudinalement, forment chaînette et sont ornés chacun de douze intailles grossières, six cornalines et six la- zulites. Ij'agale montée en bagne avec quatre rubis était au- trefois un camée sur onyx représentant une impératrice romaine ; un vandale quelconque a barbarement gratté cette tête, tout en respectant la monture qui consiste en un mé- daillon d'or ovale (0'",0i7"' sur 0"',044'") cantonné de quatre fleurs de lis émaillées bleu et blanc, alternant avec quatre pierres'. Des vingt deux pièces qui existaient avant 1642, douze ont disparu en laissant néanmoins des traces sur l'é- toffe. Le reste se compose de deux agates blanches et un onyx antiques, un jaspe diapré vert et blanc, deux lazulites et quatre cornalines ; ces pierres sont également gravées en creux.

La sandale de Maubeuge est renfermée dans une caisse en bois de peu d'apparence et garantie par une glace mobile. Autant que l'on peut juger d'un objet à, peine entrevu sous d'épaisses enveloppes, celui-ci doit appartenir au genre de cliaussui'e nommé solea par les anciens, c'est-à-dire une se-

' Ce camée intact est peint dans V Inventairn. fol. 37, v- La montuiQ est un petit chef-d'œuvre de bijouterie, style Louis XIII, mais, si mes yeux n'ont pas failli, je soupçonne fort que les anciens rubis sont remplacés au- jourd'hui par des strass.

312 LES SANDALES ET LES BAS.

melle attachée sur le cou-de-pied an moyen de courroies, telle que la portent les Capucins et les Carmes. On objectera peut- être que sa longueur (O^^Se*^) s'oppose à ce qu'on puisse l'at- tribuer à un enfant de treize ans, mais je ferai observer que, de cette longueur, il faut retrancher deux centimètres de pointe au minimum, et que les princesses franques étaient des femmes robustes, issues de la race teutonique qui n'a ja- mais eu la prétention d'entrer en lutte avec les dames chi- noises ponr l'exiguïté des pieds.

Quoi qu'il en soit, si notre soulier remonte à 644 (sainte Aldegonde naquit vers la fin de 650) , il est incontestable- ment l'un des plus vieux spécimens de chaussure que nous possédions. Rien d'ailleurs ne vient combattre son authenti- cité, car il est assez difficile d'admettre que l'on ait gardé aussi longtemps, sans raisons très-majeures, un o'ojet dénué de toute valeur intrinsèque.

On m'a encore montré dans la sacristie de Maubeuge une petite mule d'argent renfermant un morceau du soulier de sainte Aldegonde. Ce reliquaire, qui provenait également de l'ancien trésor capitulaire, était passé aux mains du chanoine Cambier ; égaré à la mort de cet ecclésiastique, il a été re- trouvé depuis peu.

Souliers de sainte Bathilde à Clielles. Lorsque l'on ferma les maisons religieuses, en 1792, une portion des re- liques appartenant à l'abbaye de Chelles put être sauvée et se trouve aujourd'hui dans l'église paroissiale de la commune. Un savant distingué, M. Eugène Grésy, qui visitait cette église en l85o, y rencontra une petite châsse de bois noir, forme pupitre, couverte d'ornements en cuivre repoussé, roses et lis, style Louis XIII^, avec le monogramme I H S, compris entre les deux lettres S. B. La châsse, close par un verre dormant, n'était plus exposée faute d'authentiques ;

LKS SANDALKS ET LKS UAS. 343

son ouverture fit découvrir trois chaussures en cordouan noir; une isolée, une paire: le tout à l'intérieur niaroquiné de couleur fauve, à l'empeigne brodée en soie au point re- fendu ou de chaîuette. Je ifai pas eu riieureuse chance de voir ces curieux calcci^ mais M. Grésy en a donné une de- scription si exacte, accompagnée de gravures enluminées si consciencieuses ', qu'aidé de l'une et des autres^ je crois n'être pas tro}) hardi en formulant à mon tour une opinion sur la matière.

Le soulier dépareillé mesure 0"',*28'" de longueur ; l'em- peigne, élégamment taillée en fer de lance^ remonte sur le cou- de-pied ; deux courroies faisant corps avec le reste se croisent pour aboutir à des oreillettes {ansœ) correspondantes à droite et à gauche du quartier. L'ornementation consiste en deux palmiers inégaux, posés bout à bout, l'un sur l'empeigne, l'autre sur la languette, le premier, chargé de fruits ; l'en- semble esquissé en blanc, rouge et vert : un léger filet blanc suit à distance le contour des solutions de continuité.

La paire a 0'",27'. Le passage du pied, bordé aussi d'une baguette blanche, dessine une sorte de cœur arrondi par la base. Une lanière mince et assez longue pour faire le tour de la cheville s'engage dans une oreillette unique. Des fleu- rons découpés comme à l' emporte-pièce, appliqués sur fond de cuir doré et rechampis de traits polychromes, blanc, rouge, vert, décorent l'empeigne.

D'une rare élégance, ces trois souliers ont le quartier élevé; la semelle très-étroite, sans renfort, est aussi souple que les autres pièces auxquelles elle se joint par une couture cachée sous un passe-poil. En marchant, le pied devait ap- puyer en grande partie sur l'empeigne et le quartier qui ce-

' Revue archéol. , 1856, xi^ liv., janvier, p. 60:^ et pi. 273.

344 LES SANDALES ET LES liAS.

pendant n'offrent aucune trace de frottement, en dépit de crevasses au talon , inarque certaine d'un fréquent usage. C'étaient donc des chaussures de cérémonie et non destinées à la vie ordinaire.

Si l'on demande à quel sexe les calcei de Clielles ont ap- partenu, leurs dimensions (ils mesurent environ 0'",25"^ de circonférence à l'orteil) et leur luxe répondront que c'est à des femmes de haute taille et d'un rang élevé. Quant à la date probable de ces vêtements, quelques considérations vont la déterminer, je l'espère.

En premier lieu, les trois chaussures sont contemporaines; leur identité de matière et de travail est complète; une lé- gère différence réside seule dans la forme et l'ornementa- tion; ce que je dirai pour l'une, peut donc s'appliquer à toutes. Or, le soulier dépareillé est exactement semblable aux sandales funèbres du B. Éginon, évêque de Vérone, mort en 80!2, sandales dont je parlerai ailleurs avec plus de détails. Quant à la paire, elle est taillée sur le patron de la sandale, dite de Saint-Sylvestre, conservée à Saint-Martin des Monts. Cette dernière est, je crois, du XIIF siècle, comme la mitre qui partage son attribution, mais le genre de calceus auquel elle se rattache a si peu varié depuis l'antiquité, que l'objec- tion tirée d'une telle analogie resterait sans valeur eu face des rapports déjà énoncés.

Le VHP siècle offre certainement un âge respectable ; il faut néaimioins remonter encore plus loin. M. E. Grésy rap- proche très -judicieusement la broderie des souliers de Chelles de quelques motifs peints dans les catacombes et sur un manuscrit grec du TX^ siècle ' ; eh bien, ces mêmes végé- taux à feuilles en accolade, ces palmettes contournées en

' Revue arch., lue. cit.

LES SANDALES ET LES BAS. 345

volutes, un précieux débris d'origine incontestablement chré- tienne et gallo-romaine me les montre réunies. Je veux par- ler des plaques d'argent ciselé que j'ai dessinées en 1856 dans l'église Saint-Eusèbe à Aux erre, plaques qui ne peuvent être postérieures au IV" siècle, car le coffret qu'elles or- naient fut trouvé pêle-mêle avec des fioles de martyre et des ossements '. Assigner à nos calcei une date aussi reculée manquerait de vraisemblance ; celle du VHP siècle sera moins difficile à justifier.

Je reprends l'argumentation de M. Grésy.

Parmi les reliques conservées dans la paroisse de Saint- André, à Chelles, figurent les corps des saintes Batliilde, reine des Francs, fijndatrice du monastère {+ 680), et Bertille, première abbesse (-\- 692). La lettre B, inscrite sur la châsse, fournirait donc matière à confusion, si l'on ne savait qu'en 1647 un des souliers de sainte Bathilde et son voile furent donnés à l'abbaye de Corbie ^ , ce qui explique le nombre impair des chaussures incluses dans la cassette et milite en faveur de leur authenticité. Après une épidémie qui sévit gravement sur sa maison, Madeleine de la Meilleraye, ab- besse de Chelles, sœur du Maréchal, fit faire quantité de nouvelles châsses; le 15 juillet 1651, elle procéda à l'ouver- ture de la fiertre de sainte Bathilde et divers miracles s'opé- rèrent par l'attouchement des os vénérés ^ La probabilité

'Rapport, etc., 1857, p. 21.

* " Corpus S. Bathildis thecœ aigentcaî, caput vero proprio scrinio inclu- sum etiam nunc in monasteiio Kalensi colitur, prseter insignem maxilla; su- perioris portionem, quam Corbeienses nostii, anno 1647, ab illustri abbatissa Magdalena obtinuerunt, et in argentea effigie, una cum S. reginse ac monachœ vélo aUeroque calceo, posuerunt. » Mabillon, Acta SS. 0. S, B., saec. II, p. 784, Monitum. V. encore Lebedi", Hist. du dioc. de Paris, t. vi, p 42; IJist. abrégée du trésor de l'abb. roy. de Corbie, p. 30, 1757, in-16.

^ Hist. ms. de Chelles, 3 vol , Bibl. du grand- sémin. de Meaux.

3-iG LES SANDALES ET LES BAS.

veut qu'un tel monieut d'enthousiasme ait déterminé la com- mande des reliquaires neufs, et qu'alors les quatre souliers découverts aient été retirés à part, dans la custode M. Grésy put passer la main, grâce à l'absence motivée d'un d'entre eux. Malheureusement, si les lettres S. B. doivent se traduire par sanctœ Bathildis, on lit dans un Mémorial annexé au Cartulaire de Chelles ' qu'en 1544 on renferma dans l'ancienne châsse de sainte Bathilde des « reliques et des vêtements de plusieurs saints qu'on avait trouvés dans une mauvaise châsse de bois. » D'où, l'erreur commise par M*"^ de la IMeilleraye.

Les historiens scrupuleux se sont tus sur des objets non reconnus authentiques. Le Gallia christiana omet le voile et la sandale, quand il mentionne l'insigne portion de mâchoire envoyée à Corbie ; V Histoire mamiscrite de Chelles^ fort pro- lixe à l'endroit de cette mâchoire, ne dit rien sur le reste; V Histoire abrégée du trésor de Corbie, qui, chapitre v, n" 7, parle du soulier, l'a passé sous silence au chapitre ii, n" o. La différence de taille entre les chaussures, leurs dimen- sions presque masculines, font reculer les moins incrédules; mais ce qui enlève toute confiance à M. Grésy est un in- ventaire des saintes reliques de Chelles extrait d'un ma- nuscrit de la maison et reproduit dans l'histoire précitée'. Parmi cent cinquante articles, dont bon nombre respirent le merveilleux, figurent sept souliers révérés, et ceux de sainte Bathilde n'y sont pas compris. Un soulier de la sainte Vierge, 2" un de sainte Anne, un des saints Innocents, 4" deux paires de sandales dont les saints Apôtres usaient pour célébrer la messe. Ces dernières mettent un terme aux doutes de notre savant confrère ; en elles il recon-

' Bibliothèque de Meaiix. Rédigé avec soin en 1530 avec continuation. - ï. I, p. 29.

LES SANDALES ET LES BAS. 3-47

naît à la fois d'anciennes chaussures liturgiques et les rares spécimens qu'il a eu le bonheur de signaler le premier '.

A un système formulé avec autant de bonne foi que de talent, il est facile d'opposer des raisons non moins spé- cieuses. Grecs et Romains évitaient soigneusement la gêne dans .leurs habits et leurs chaussures; les Barbares, quoi- qu'ayant un costume plus étriqué, ne dédaignaient pas leurs aises; aussi les vêtements sacerdotaux, empruntés aux An- ciens, conservèrent-ils longtemps une ampleur remarquable. Les sandales liturgiques, en particulier, ont toujours pu se mettre et se retirer sans effort, comme une pantoufle. Le pied d'un homme ordinaire mesurant aujourd'hui entre 0"',26o'" et 0"',27% il est impossible d'accepter ([ueles prêtres gallo-romains ou francs, dont les extrémités inférieures non comprimées dès l'enfance acquéraient un développe- ment complet, aient voulu célébrer la messe avec une chaussure trop courte. Au contraire, les longueurs de 0'»,27'' et O^jSS" ne devaient pas répugner à l'anglo-saxonne Ba- thilde et aux nobles religieuses ses compagnes , une haute taille impliquant chez elles un pied proportionné ". Les mo- numents prouvent en outre qu'aux premiers siècles de la mo- narchie française la forme des souliers était identique pour les hommes et les femmes d'un rang élevé; le calceamentum episcopale se distinguait seulement par un c/rtn/.s' disposé en croix que l'on n'y rencontre pas toujours.

' Revue arcJi., loc. cit.

'^ J'ai mesuré par curiosité les pieds de quelques statues antiques choisies entre les modèles les plus élégants; voici les résultats obtenus : Vénus de Médicis, type mignon, C", 235™ ; Diane chasseresse du Louvre, plus grande que nature, 0'^,318™, encore les dames de la cour de François I"'', choquées de la taille des pieds de la déesse, y firent-elles retoucher; Apollon du Bel- védère, mêmes proportions, 0"i,323'" ; Antinoiis, 0"'27'' ; Jason ou Cincinna- tus. G™, 292"'.

3i8 LES SANDALES ET LES BAS.

L'erreur reprochée à M""*" de la Meilleraye est peu vrai- semblable. Cette abbesse n'ignorait certainement pas la fraude commise en 1544 ; elle la connaissait si bien, qu'entre deux paires de chaussures, elle sut choisir pour Corbie la plus antique d'aspect. On n'accusera pas le XVIP siècle d'un trop grand savoir en fait d'archéologie pratiqiie du Moyen Age. M'"" de la Meilleraye fut donc guidée par des motifs étrangers à la science. Le Mémorial , d'ailleurs , parle de vêtements en général et n'en spécifie aucun.

L'omission signalée dans l'Liventaire trouve son explica- tion. Ce document ne mentionne que des reliques isolées, et, à l'époque on le rédigea, les chaussures de sainte Ba- thilde, incluses dans sa châsse, purent être regardées comme partie intégrante du corps de la reine, en supposant que leur existence fût connue.

Le silence gardé par le Gallia christiana se comprend vis- à-vis d'un objet d'ordre secondaire, silence d'ailleurs ample- ment compensé par la note d'un écrivain aussi sérieux que D. Mabillon ' . L'historien du trésor de Corbie parle une fois du soulier et s'abstient d'une répétition. Je soupçonne Y Histoire manuscrile de Chelles d'avoir été composée au XVIIF siècle, lorsque le goût du jour portait à démolir toutes les traditions. La seule objection qui me paraisse irréfutable réside dans la différence de longueur entre les chaussures, ce qui défend de les attribuer à un même individu; mais rien n^empêclie le soulier dépareillé d'avoir appartenu à la fondatrice du mo- nastère.

Je me résume. Quelle que soit la provenance des sandales de Chelles, leur forme et surtout les maigres profils de leur

* Ce soulier est aussi mentionné par D. Coquelin, (1678) « De S. Bathilde... Calceus et medietas veli ejus. » Hisl. reg. abb. S. Pétri Corb. compendium , Mém. de la Soc. des Antiq. de Pic, t. viii, p. 392.

LES SAMJALRS ET LKS UAS. .'{.iO

ornementation les reportent à des tenii)s antérieurs au IX® siècle. La tradition relative à sainte Batliilde a été ac- ceptée par une abbesse, l'illustre Mabillon et le chanoine Lebeuf. En face d'autorités aussi respectables , le doute peut être toléré, la négation absolue est interdite.

Sandales de Commitujes. Suivant l'iiistorien érudit de la cathédrale de Comminges, le trésor de cette église possé- dait jadis trois paires de sandales en soie, blanc, rouge et violet, attribuées au saint évoque Bertrand de l'Ile- Jourdain (1085-1150). Lorsque j'explorai, en 1856, l'antique métro- pole des Conoenœ^ je n'y rencontrai que deux chaussures, victimes d'une restauration si habile ou plutôt si déplorable, qu'il me fut impossible de distinguer le vieux du neuf. Je me contentai alors de reproduire la silhouette de l'objet, sans m'arrêter aux détails. Heureusement, un artiste, qui m'avait précédé à Comminges, vit les sandales et s'empressa de les dessiner dans l'état de dégradation elles se trouvaient en- core au moment de sa visite. Son croquis, publié dans un ou- vrage rare et dispendieux , est pris d'une façon assez peu intelligente; il m'a néanmoins été fort utile, car, placé à côté du mien, il a résolu les doutes que j'avais conçus et m'a permis de rétablir la forme primitive d'un vêtement très- curieux * .

Les chaussures de Comminges (V. la planche, fig. B) sont des espèces de souliers montants ou bottines, ayant le flanc interne fendu et garni d'une double rangée d'œillets qui per- mettaient de les lacer sur la cheville. La semelle, de maro- quin rouge, est moderne, légèrement pointue, et mesure 0"\28'' de long contre 0"',09° de large à la naissance des or- teils. La trépointe, en tissu à larges raies alternatives, vert

' Le baron L. d'Agos, Vie et miracles de S. Bertrand, p. 289. Voyages piit. dans l'anc. France, Languedoc , t. ii, fol. 81 his. r., pi. 188 his.

350 LtS SANDALES ET LES BAS.

et argent, parait ancienne. L'empeigne est faite d'une tapis- serie de soie au point carré, exécutée sur canevas ; l'orne- mentation consiste en un échiqueté ou réticulé, inscrivant des lions, des étoiles et des croix ' .

Trop courts, trop étroits et surtout trop difficiles à mettre pour être liturgiques, ces calcei^ s'ils ont figuré dans une garde-robe masculine (je n'en suis pas certain), n'ont pu convenir qu'à un costume séculier. Les souliers montants, à empeigne munie d'une ouverture antérieure, sont ccmimuns sur les monuments à partir du XI" siècle, et, si l'on rencontre encore au XV® des bottines lacées à l'intérieur ^, les chaus- sures de Barthélémy de Roye (1221) et de Thibaut de Mont- morency (1267) présentent la même particularité ^ Elles dif- fèrent à peine des sandales de Comminges, les dernières sur- tout, émaillées de pois ou petites roues. En ajoutant à cela que nos calc.ei présentent une grande analogie comme dessin et main-d'œuvre avec une aumônière du XIIP siècle, appar- tenant à la cathédrale de Troyes % on leur concédera facile- ment une antiquité au moins égale, sinon plus reculée. Un évêque n'est pas toujours à l'autel, il peut avoir une stature médiocre, et les usages de la vie ordinaire ne lui interdisent pas les vêtements de luxe; il y aurait donc peu d'inconvé- nients à laisser à saint Bertrand un objet qu'on voudrait lui attribuer, si la tradition, telle qu'il faut l'interpréter, ne mentionnait expressément des sandales liturgiques, aujour- d'hui perdues. On doit s'arrêter devant un pareil obstacle, et, de ce qui précède, je tirerai pour toute conclusion que

' Rapport, etc., 1857, p. 65.

' WiLLEMiTv, Mon. franc, inédit., pi. 159 et 160, Alexandre de Berneval et Wi tasse de Guiry.

^ MoNTFAUcoN, Mon. de la mon. franc., t. ii, pi. 14,1 et 34, 'J. * Portefeuille arch. de ht Champagne, Toxtrine, pi. 12.

LES SANDALES ET LES ISAS. .'{ O I

les m/tr/ (le Commiiiges ont appartenu à quel(|iic liant per- sonnage du XIIP siècle ' .

Sandales funéraires de saint Edmond, à Sens. Saint Ed- mond ou Edme , archevêque de Cantorbéry, persécuté par Henri III, roi d'Angleterre, se réfugia, en 1259, dans le mo- nastère de Pontigny (ordre de Citeaux, diocèse d'Auxerre), l'abbé Jean III le reçut avec bonheur'. Après sa mort (1210), Edmond fut inhumé dans l'église de la maison qui l'avait accueilli. En ouvrant la tombe du saint prélat, on trouva ses restes encore revêtus de pontificalia^ parmi les- quels des sandales intactes. Lors de mon voyage à Sens (1856), ces chaussures étaient entre les mains de M. Chau- veau, vicaire général; j'ignore leur destinée ultérieure'. Elles sont en tissu de soie pourpre, altéré par le temps, et doublées de cendal jadis vert. Leur longueur ne dépasse pas 0"\50^ Elles ont la forme d'un soulier montant jusque sur la cheville fV. la planche fig. A) et l'aspect des chaussons vulgairement dits de Strasbourg. Une large échancrure écaillée, ouverte sur la partie antérieure, s'arrondit au centre du cou-de-pied. Des rinceaux, à la fois élégants et capricieux, couvrent l'empeigne et le quartier ; une guirlande encadrée

' Peut-être à l'évêque Bertrand de Gouth {l'295'1300i, devenu depuis le pape Clément V.

- Il Praedictura Edinundiim régis Angliœ persecutiones defugientem l.Ttus excepit, sanum et infirmum curavit, sepelivitque mortuum. » Gall . christ., t. XIII, p. 446.

^ Rapport, etc , 1857. p. 19. Fort, arch., Textrine, pi. 7, san.s texte. L'ouverture du tombeau de saint Edmond remonte assez loin, car D. Mar- tène cite, comme les ayant vus au trésor de Pontigny, l'anneau pastoral et la coupe du prélat, plus le calice et la patène avec lesquels il fut inhumé, Voy. litt., t. I, part. I, p. 58.— D'après une communication que m'a faite M. le cha- noine Carlier, l'exhumation de Gauthier Cornut, archevêque de Sens (-f-1241|, fit aussi découvrir une paire de sandales funèbres qui furent réintégrées dans le cercueil.

352 LES SANDALES LES BAS.

de baoïLiettes circule iuitoiir du col de la ouôtre. Toute l'or- nementation, brodée eu or, au plumetis, offre un remar- quable spécimeu à'opus anglicum. Ces sandales, qui devaient s'attacher au moyeu de cordons cousus aux renflements de l'écliancrure, étaient d'un usage commode, le pied y péné- trait avec facilité, et l'action de les mettre ou de les retirer n'entravait aucunement la gravité du cérémonial liturgique. Sandales de sai?it Louis d'Anjou à Saint-Maximin fVarJ ' . Au nombre des objets légués par le jeune évêque de Tou- louse (J297) à la maison des Dominicains de Saint-Maximin figuraient deux sandales dont une seule a pu résister au zèle indiscret de quelques dévots ; encore, sous prétexte d'obtenir des reliques, ont-ils déchiqueté jusqu'au dernier lambeau l'étoife qui la recouvrait. De cette chaussure, longue de 0'",i28'' et légèrement arrondie à l'extrémité, il ne reste plus que la semelle de liège, épaisse de 0'";,008™, garnie à l'inté- rieur de chamois rouge et au dehors d'une basane blanche, le renfort en toile écrue de l'empeigne et sa doublure en cen- dal jaune. La trépointe, heureusement, a conservé les traces d'un riche tissu qui, au dire de témoins oculaires ^, resplen- dissait, il y a peu d'années, sur l'intégrité du vêtement. Une étude minutieuse m'a permis de rétablir le dessin de ce tissu dont le champ d'or côtelé (reps) présente une série de raies alternatives ; 1 " argent , chargé d'ellipses imbriquées en jaune, bordé d'un double filet vert ; or, semé de croisettes d'argent à cœur blanc, vert ou jaune, encadré d'une ba- guette d'argent que prolongent deux filets jaunes : réunion de caractères essentiellement byzantins. Malgré l'absence du quartier, qui a certainement existé, il est facile de déter-

Rapport, etc., 1857, p. 58.

- M. L. Rostan et le sacristain de l'église

LES SAiSDAI.ES ET LES BAS. 3o;j

miner hi forme des sandales de suint Louis; elles ne diffé- raient pas de nos pantoufles modernes.

Sandales de saint Pierre de Luxembourg, â Avignon. A la mort du bienheureux Pierre de Luxembourg (1387), ses sandales échurent aux Célestins d'Avignon. Déposées au magasin national, lorsqu'on ferma les couvents, elles y furent reconnues par un ecclésiastique et transférées dans l'église paroissiale de Saint-Pierre, qui les conserva jusqu'en 1823. A cette époque, on les donna à la chapelle du petit-sémi- naire, où elles existent encore '. J'ai vu et dessiné, en 1856, les chaussures du jeune cardinal; elles sont en maroquin noir bordé de maroquin rouge, sans quartier, et appar- tiennent au genre sandalium (F. la planche, fi<j. C). L'em- peigne, longue de O'",07o'", ne couvre que les doigts du pied et présente à son extrémité une ouverture découpée en cœur. La semelle, qui mesure 0"',262™, est en cuir noir, épaisse de 0'",009"' et munie d'une trépointe rouge piquée en soie blanche. L'empeigne a pour tout ornement un entrelacs gau- fré, entrelacs reproduit à l'intérieur de la semelle (talon), qui est contournée par une baguette prolongeant un cordon de roses aussi gauffré". Ces sandales, impropres aux usages de la vie extérieure, ne conviennent pas davantage aux Pon- tificalia d'un cardinal, évêque de Metz, bien que le nôtre fût simple diacre ; j'y reconnais, pour mon compte, des pan- toufles domestiques que le saint portait ordinairement dans sa maison, les pieds nus sans doute, vu son austérité bien connue.

f CH. DE LINAS.

iLa suite à un prochain numéro.)

' A, Caixron', Hist. du B. Pierre de Luxemhourif . - Rapport, etc., 1857, p. 29.

TOMK Vt. 26.

DES VOUTES EN BOIS et de leur Réparation '.

Les anciens architectes, qni comprenaient niienx que nous ce qui faisait l'harmonie de leurs créations, n'avaient pas craint d'employer les voûtes de charpente dans des édifices de premier ordre, leur légèreté, leur sonorité, leur am- pleur leur assuraient une juste préférence. Maintenant, dans la plupart des monuments publics d'Angleterre, et no- tamment dans les églises, on construit des voûtes de bois, peintes et dorées, dont l'efiet est d'une grande richesse.

Il y a en France d'anciennes voûtes en merrain qui sont de véritables chefs-d'œuvre. Nous pouvons citer comme exemple la magnifique voûte de l'ancienne église Saint- Jean de Dijon, et celle de la grande salle du palais de justice à Rouen, qui date des premières années du XVP siècle, et dont la hardiesse surprend toujours , puisque , malgré ses vastes proportions, sa charpente se soutient s^ns poinçons et sans entraits.

' Nous rendrons compte dans un prochain numéro de la Revue de l'excel- lent ouvi'age que vient de publier M. Raymond Bordeaux, sous le titre de Traité de la réparation des églises. En attendant, nous reproduisons ici, avec son autorisation, le chapitre qui concerne les voûtes en bois.

DES VOUTKS EN BOIS ET DE LEUll l'.Él AUATIO.X. SM^

Les voûtes de bois qui appartiennent à répoqiie ogivale ont pour pièces principales d'abord des poutres horizontales, placées sur le sens de Tépaisseur des murs et qu'on nomme sablun'cs ou plat es- formes^ puis des arbalétriers cintrés en ogive, dont Técartement est maintenu par des poutres hori- zontales et transversales appelées c.nlraits ou tirants. Un po- teau vertical assemblé sur le milieu de l'entrait, et qui se nomme poinçon ou chandelle^ supporte la poutre faîtière et soutient les arbalétriers à leur partie supérieure. Ces maî- tresses pièces font en même temps partie de la toiture pro- prement dite. La voûte, qui cache les chevrons et les pièces secondaires de la charpente, est composée de douves de mer- rain. Ces douves forment une voûte en berceau ogival. Elles dissimulent les arbalétriers en laissant visible le côté des sa- blières ou plates-formes, les entraits tout entiers et les poin- tons. Mais les grosses pièces, exposées ainsi à la vue, n'ont point été laissées sans ornements. Les poinçons ont pris l'as- pect de colonnettes, les entraits se sont couverts de sculp- tures variées, les sablières chargées de moulures deviennent des corniches souvent très-ornées. Quelquefois le bout des pièces de bois secondaires, destinées à relier les sablières aux madriei-s de la charpente extérieure, forment de place en place des modillons ornés de sculptures; ces pièces acces- soires se nomment sabots ou blochels. Enfin, sur la ligne la plus élevée des voûtes de cette espèce, des rosaces décou- pées, des écussons, des enjolivements divers se trouvent sus- pendus.

Rouen présente plusieurs spécimens de ces voûtes en char- pente, à Saint-Godard et dans quelques églises supprimées, au nombre desquelles nous citerons celle des Augustins, dont la voûte en lambris est un excellent type du genre. A Caen, nous indiquerons la voûte de l'ancienne église des Ca,rmes et

3.")(» DKS VOUTEK EN lîOIS

celle de l'église Saint-Sauveur, au coin de hi rue Froide, ré- cemment altérée par des restaurations l'esprit de l'archi- tecture gothique n'a pas été assez suivi. A Chartres, une église supprimée et livrée à l'administration de la guerre, Saint-André, je crois, a aussi une voûte en bois qui est re- marquable ' .

Le XVP siècle vit inventer des voûtes en bois à plein cintre ou d'autres à courbe surbaissée. Philibert Delorme, le grand architecte de la cour de Henri II, goûtait si fort les voûtes de charpente qu'il leur consacra une notable partie de ses écrits sur l'architecture. C'est à lui qu'on doit l'inven- tion des voûtes en anse de panier qui portent son nom et qui, à la lin du XVP siècle, avaient pris la place des voûtes ogi- vales à entraits et poinçons.

Mais les voûtes à la Philibert Delorme n'ont pas la légè- r-eté et l'élancement des voûtes gothiques; leur peu d'éléva- tion les rapproche des plafonds, et leur inventeur les avait destinées plutôt pour des palais que pour des églises.

On voit au XVP siècle quelques exemples de voûtes en bois qui simulaient les riches voûtes à pendentifs de la Re- naissance, et qui étaient construites à arêtes, avec des ner- vures, des liernes et des clefs tombantes et ouvragées comme les voûtes de pierre. Le chœur de Saint-Etienne le Vieux, à Caen, en fournit un exemple.

Les voûtes de bois font néanmoins le désespoir de tous les architectes vulgaires, des amateurs d'églises badigeonnées et des marguilliers qui veulent du nouveau. Les poinçons et les entraits apparents au-dessous de la voûte blessent leurs yeux délicats, et les douves noircies par le temps leur font invoquer le secours du plâtrier. Ils sont enchantés quand

* Elle a été brûlée en mais 1861.

ET DE LEUR UÉPAl'.ATION. 357

ct4ui-ci a arrangé la voûte de l'église comme un galetas ou comme une mansarde. Mais jamais il n'ont songé que la lai- deur de ces voûtes vient des dégradations qu'on leur fait su- lur, de^ araignées (pii les encombrent, des échelles et des débris de toutes sortes que ces administrateurs soiijucux ont accrochés à leurs poutres sculptées. C'est alors qu'on s'ima- gine, sur la pro])osition d'un maçon, de faire mettre un en- duit connue celui que Ton voit aux voûtes de la Madeleine de Verneuil, à celles de Breteuil (Eure), à celles de Saint- Patrice de Rouen, ou que, par un rafânement de mauvais goût, on établit un plafond orné de moulures en sapin, comme un l'a fait sottement en 1851 dans l'église de Saint-André, à quelques lieues d'Evreux ' .

Les voûtes de bois n'ont besoin ni du maçon, ni du plâ- trier. Pour les restaurer, il faut le concours du charpentier ou d'un menuisier au courant de la menuiserie gothique.

On devra d'abord se garder de faire disparaître les poutres apparentes qui soutiennent ces voûtes et en maintiennent l'écartement. Outre que les. poinçons et les entraits sont sou- vent ornés de sculptures, ils sont caractéristiques et indis- pensables à la solidité de tout l'édilice. Ils empêchent la charpente de pousser les murs en dehors, et jouent le rôle des contre-forts et des piliers-butants qui soutiennent l'ef- fort des voûtes dans les églises voûtées en pierre. Aussi il

' '■ Ce n'est pas que les églises à voûtes ck- bois soient absolument rares. Il en existe même à qui ce genre de construction, laissé apparent à dessein, donne une physionomie très-pittoresque, qu'il faudrait bien se garder de leur ôter par l'établissement d'une méchante voûte en plâtre, sous prétexte d'amé- lioration, ainsi que je l'ai vu faire à un curé malavisé et à des fabriciens ignares. Il n'existe point de termes pour caractériser dignement un semblable vandalisme. » 31. Scunn , Manuel de l'architeclurc des monuments religieux. \). 102. Voyez aussi p. 46(5.

358 DES VOUTES EN BOIS

est à remarquer que les églises voûtées en merrain avec entraits n'ont à l'extérieur que des contre-forts peu impor- tants. La suppression des poutres qui maintiennent les voûtes de bois entraînerait donc la nécessité de remanier les gros murs et de les flanquer de solides piliers-butants.

Les désastreux effets de la suppression des poutres sont indubitables'. Partout, dans nos campagnes, l'inspection extérieure des murs révèle si la voûte a été privée de ces appuis si utiles ; partout les entraits ont été sciés, les combles s'affaissent et les gros murs se lézardent et sur- plombent. Il faut alors reprendre les murailles ébranlées et remplacer les poutres supprimées par des barres de fer dont la maigreur produit le plus mauvais effet. Certes, c'est une étrange manière de restaurer que de conduire à une ruine imminente par un affaiblissement certain :

Nam si débilitas redit^, iustauratio non est *.

Mais si l'on conserve les poutres qui supportent et relient la voûte, qui la divisent en travées, il devient déraisonnable de cacher avec du plâtre les douves de merrain qui consti- tuent cette voûte ; car ce plafonnage n'a d'autre but, de l'a- veu môme de ceux qui l'emploient, que de donner à une voûte de bois un peu de l'apparence d'une voûte de maçon- nerie. Or, si des murs de pierre peuvent supporter un cou- ronnement en bois, il serait contre les lois de la stabilité que des madriers supportassent une construction en pierre.

' Je ne puis énuméi'er ici toutes les églises tombées par suite de l'enlève- ment des entraits; mais tout récemment encore l'église romane de Saint-Aubin de Scellon, l'une des plus remarquables de l'arrondissement de Bernay, s'est écroulée à la suite de cette absurde mutilation.

* AuHELii Pridkistii, De Resurrectionc Carmen.

KT DE LEUR RÉPARATION. 359

Aussi rien n'est plus illogique que ces prétendues restaura- tions où des entraits conservés forcément trahissent des voûtes en bois masquées sous un enduit postiche.

C'est ici le cas d'appliquer les principes que nous avons formulés dans l'un des chapitres de notre première partie, nous avons démontré que rien n'est moins monumental et moins convenable pour une église que ces puérils traves- tissements ' .

On peut répondre, il est vrai, que si ces voûtes de bois ont été autrefois en harmonie avec les vitraux brillants, avec les boiseries couvertes de sculptures, avec toutes les ri- chesses artistiques des anciens jours, la plupart d'entre elles sont devenues sombres et poudreuses, et que les ravages du temps qui laissent sur la pierre de pittoresques empreintes leur ont causé, à elles, une triste décrépitude; qu'il faut donc forcément les cacher et celer sous un enduit protecteur leurs planches disjointes et vermoulues.

L'objection est sans force, car on peut les ramener à leur état primitif. Au lieu du maçon, ce sera un menuisier intel- ligent que l'on prendra pour les restaurer. La dépense sera moindre et le résultat meilleur.

Si ces voûtes sont complètement pourries, si les poutres en sont grossières, s'il n'y a pas de sculptures, s'il n'existe qu'un lambris informe et moderne, il vaudra mieux ne pas gaspiller d'argent en plâtrages fragiles, en laides barres de fer substituées aux fermes et aux entraits, mais ce sera alors le cas de faire franchement la dépense et de remplacer la voûte de bois qui ne peut être restaurée par une voûte véritable en maçonnerie légère, moins coûteuse qu'on ne le suppose si

' K Toute cette hypocrisie de la matière et de la forme est souverainement déplaisante. Il n'y a pas d'art auquel la sincérité soit plus nécessaire qu'elle ne l'est à l'architecture » Fortotil, De l'Jrt en Allemagne , 1. 1»"", p. 199.

360 DES VOUTES EN BOIS

l'on suit exactement les procédés des architectes gothiques.

Mais, dans la plupart des cas, avec i)eu de dépense on ra- mènera les voûtes de merrain à leur état originaire, et on leur restituera l'aspect élégant et pittoresque qu'elles avaient eu d'abord.

On les fera simplement débarrasser des souillures que la négligence y a laissé s'attacher, des supertetations imagi- nées par le mauvais goût et des raccommodages disparates.

Les douves pourries ou vermoulues seront remplacées avec du merrain choisi ; les pièces déjetées ou brisées seront re- mises en place.

Si le temps et la poussière ont trop noirci la voûte, si la pluie en pénétrant par places y a fait des taches, un lavage à la brosse restituera au bois une couleur plus soignée. Si l'on a eu le mauvais goût de la faire blanchir à la chaux ou cou- vrir d'un badigeon à l'huile, l'eau chaude et la lessive en fe- ront justice. Quelquefois un encaustique à la cire ou un ver- nis transparent pourront être appliqués pour donner du brillant à la voûte restaurée.

Mais cette restauration ne se fera pas sans précaution , car ces voûtes, les plus défigurées en apparence, gardent sou- vent de curieux débris d'antiquité et des vestiges d'anciennes décorations.

Il y en a qui ont été couvertes de peintures précieuses. La voûte de l'église des Carmes, à Caen, par exemple, est en- core décorée de grandes scènes qui représentent la vie de Jésus-Christ et qui ont été exécutées par un peintre de l'é- cole de Restout, sinon par un membre de cette famille d'ar- tistes. J'indique ici ces peintures ignorées, parce qu'elles s'effacent tous les jours , les curieuses nefs de l'église des Carmes étant aujourd'hui transformées en magasin.

Il y en a d'autres l'on avait peint des décorations d'un

ET DE LEUll RÉPARATION. 3Gt

beau style. Telle était la voûte de Saint-Nicolas-le-?einteur, à Koiieii, cette église autrefois fameuse par ses splendides verrières, et qui, changée en atelier à la suite de la Révolu- tion, ne subsiste plus que dans une lithographie des Voyages dans Vancienne France.

A Tours, les églises de Notre-Dame Ja Riche et de Saint- Saturnin ont des voûtes en bois qui malheureusement ont été plâtrées, mais dont les entraits et les poinçons sculptés sont intéressants.

Dans la haute Normandie, surtout aux environs d'Evreux et de Lisieux, celles de ces voûtes qui n'ont reçu d'injures ni du temps ni des hommes ont conservé des détails curieux.

Voici un tyi)e d'entrait qui domine surtout dans l'ancien évêché de Lisieux : luie guivre gigantesque semble vouloir dévorer entre ses dents formidables le madrier de chêne à l'extrémité duquel elle est sculptée. Nous plaçons à côté un croquis de l'assemblage du poinçon qui porte sur cet entrait: nous avons dessiné ces détails de charpente dans l'église de Bois-Anzeray (Eurej.

362 DES VOUTES EN BOIS

A l'endroit le poinçon est greffé sur l'entrait, celui-ci présente un rentiement destiné à compenser l' affaiblissement produit par la mortaise, et on a profité de cette saillie pour y sculpter des armoiries.

Les entraits étaient ainsi ouvragés de préférence à trois endroits, aux deux bouts et au milieu, c'est-à-dire aux points de jonction avec les sablières et avec le poinçon. Le milieu portait souvent des blasons, placés ainsi en évidence :

Enlraits et poiiiyons de l'ancienne (5glise de Sotleville-les-Rouen.

ET Dli LEUR RÉPARATION. 363

Certaines de ces poutres ont été sculptées dans toute leur étendue et enrichies de torsades, d'oves, de perles, etc. M. Bouet en a dessiné une, qui était extrêmement riche, dans le chœur de l'église de Livarot ; elle était décorée de torsades et d'entrelacs avec les armoiries des anciens comtes de ce bourg ; des rageurs^ ou têtes de requin d'un grand re- lief, étaient sculptés à chaque extrémité« Malheureusement, cet entrait a été supprimé vers 1850, pour mettre plus en évidence un pitoyable rétable d'autel fraîchement confec- tionné dans le style soi-disant grec ou romain. Un poinçon également sculpté a forcément disparu par la même occasion. Les poutres de la nef, quoique beaucoup plus simples, peuvent donner une idée de la richesse d'ornementation qui caractérisait celles du chœur. Les églises voisines sont re- marquables par des charpentes du même genre. A l'entrée de Livarot, il existe une chapelle de la lin du XV^ siècle, celle du château de la Pipardière, qui est pleine de boiseries ornées. On y voit une tribune de bois sculpté et des voûtes de bois curieuses. La charpente même du clocher placé sur le milieu de la nef est visible de l'intérieur et couverte d'or- nements. L'art du charpentier fut ainsi poussé très-loin dans la construction de cette chapelle seigneuriale. On peut aussi citer la voûte en charpente de l'église de Landelle, près de Vire, qui semble avoir été imitée au XVIP siècle dans les églises des environs ' .

A ces sculptures exécutées sur les grosses poutres ve- naient se joindre d'élégantes découpures en menuiserie, des rosaces à jour, des écussons formant une série de culs-de-

' Quelques-unes des poutres sculptées de la voûte de l'église Saint-Aubin de Guérande, en Bretagne, ont été lithographiées dans les Voyages dans l'an- cienne France. Elles sont aussi terminées par dos têtes de requins ou de cro- codiles.

3Gi

DES VOUTES EN BOIS

lampe sur la ligne de faîtage au point le pins élevé de ces voûtes.

La voûte de la nef de la petite église de Guernan ville, au diocèse d'Evreux, a conservé d'intéressants fragments d'une décoration de ce genre.

La vignette ci-contre représente une portion de la nervure faîtière de cette voûte ogivale. Cette nervure est décorée d'une riche moulure bordée de feuilles le persil, en bois découpé à jour ; des rosaces sont placées au point de jonction des baguettes ou couvre-joints, qui des- cendent des deux côtés de cette voûte pour en assembler les douves.

Des rinceaux sont peints en noir sur ces douves dans l'entre -deux des convre-joints ou nervures vei*- ticales, connue on le voit sur cette seconde ligure.

On conservera avec soin les écus- sons suspendus à ces voûtes. Ils fournissent toujours de précieux renseignements pour l'histoire de l'église qui les renferme. En eifet, à côté des armoiries seigneuriales, on retrouve la marque des plus

A (iutiiiaiiville

ET liK LKIH llliPAIlATION. .'JO.'i

liuiiibles bienfaiteurs. A la suite des blasons nobiliaires viennent les chiifres des curés successifs, les emblèmes et les devises des confréries, la trace, en un mot, de tous ceux qui contribuèrent à la construction ou à la décoration du temple.

Quelquefois les nervures ou baguettes qui divisent la voûte en bandes ou voussures verticales ont été rehaussées de vives couleurs ou ciselées d'élégantes guillochures. Quelquefois aussi ces couvre-joints se terminent à leur partie inférieure par un feuillage ou un cul-de-lampe, comme on peut le voir dans lavignette suivante, est représentée une portion d'en- trait sculpté de la voûte de l'église de la Ferrière-sur-Risle (diocèse d'Evreux). On remarquera le riche profil des mou- lures de la plate-forme ou sablière de cette voûte.

Fragment de la voûte de la Fciiièr

Nous donnons à la page suivante un croquis de la voûte, aujourd'hui très-altérée, de la petite église de Saint-Sébastien, près Evreux; les nervures sont guiilochées chacune d'un dessin différent.

Aux ornements sculptés venaient se joindre des ornements peints qui, je crois, n'ont encore été signalés nulle part, et qui peut-être n'existent que dans la contrée que j'habite,

366

IiES VOUTES EN BOIS

Fiaerncnls de la voûlc de Saint-Sébastien, près Évrcui

ET DE LETR REPAltATION.

367

j'en ai vu des exemples variés '. Ces ornements ont été tra- cés à cru sur le merrain non peint des voûtes, à l'aide d'un emporte-pièce en tôle découpée ou en cuir i)ercé à jour. Ils font, sur le bois naturel, un effet assez semblable aux dorures que les relieurs exécutent sur le plat des livres. Voici des fragments de cette ornementation bien simple, mais d'un très-bon effet, que j'ai relevés dans deux églises entre Evreux et Lisieux :

A Fontaine-la-Soret.

A Boisne) .

' M. Bouet nous écrit que l'on voit de beaux dessins du même genre et exécutés avec soin à la voûte de charpente fort curieuse qui couvre l'une de» églises de Dijon.

368 DES VOUTES KN BOIS

J'ai recueilli à liugles, dans l'église Saint-Germain, cet autre échantillon, qui reparaît de place en place sous le ba- digeon :

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Non loin de là, aussi à Rugles, le lambris de la voûte ogi- vale de l'église abandonnée de Notre-Dame * porte encore les dentelles suivantes, faites de même à l'aide d'un emporte- pièce ou pochoir :

C'est encore avec des emporte-pièces semblables, frottés de couleur rouge, qu'on a tracé sur la voûte de l'église

' Cette église de Notre-Dame de Rugles est tiès-dignc de la visite des an- tiquaires, car ses murs en petit appareil romain avec chaînes de briques en font un des monuments les plus anciens de la haute Normandie. C'est sans doute la plus vieille église du diocèse d'Evreux.

KT l)K Lia K HKl'AKATIu.N,

300

d'Illiers-rÉvôquc (Eure) cet oi-neiiient dans le style du XV*= siècle :

C(;t uutre type a été relevé dans l'église de Konian, près Damville :

On remai\pie des broderies du même genre à la voûte de l'église d'Harcourt (Eure).

Parfois les sablières ont été décorées de peintures assez curieuses, par exemple, à Chéronvilliers, la partie unie de ces pièces de charpente est enjolivée de rul)ans en zigzag peints en rouge et en noir.

Pour résumer ces détails, on voit que, loin de masquer ces anciennes voûtes, le moyen d'en tirer parti est de les restau- rer dans leur style primitif, en conservant tous leurs orne- ments peints ou sculptés. Les enduits dont on voudrait les charger en compromettraient la solidité et ne tarderaient point à se gercer et à se détacher par lambeaux. D'ailleurs le plafonnage des voûtes de merrain a un nutre défaut, c'est

TOMK V£. 27

370 DES vorxEs eis bois.

de les rendre extrêmement sourdes et de les priver de leur

sonorité^ si précieuse pour une église. Les nefs voûtées en

bois sont en effet comparables à la caisse sonore d'un grand instrument de musique, et cette raison suffirait à elle seule pour faire proscrire le badigeon et surtout les enduits.

RAYMOND BORDEAUX.

ZOOLOGIE MYSTIQUE

LAiiîilo

^pe.

L'antilope, appelée encore aptalops, aplalon, astalon^anlula ilans les Bestiaires, est la figure allégorique de l'homme do- miné par l'instinct des sens.

Le signalement de cet animal et l'histoire de sa capture dans les auteurs du Moyen- Age, ne sont pas exempts de méprises et rentrent dans le domaine du fabuleux, bien qu'on les y voie affirmés par un témoignage unanime : l'Eu- rope et l'Asie elle-même étaient alors à son sujet les échos de l'antiquité.

Nommée jachmur chez les Arabes, calopus dans Albert le Grand et wn/s dans le Physiologue de S. Epiphane, l'antilope, fière, sauvage, élancée comme la gazelle, surpasse le cerf à la course et franchit de vastes abîmes par des bonds d'un élan prodigieux ', Son poil est roux pendant l'été, plus foncé et

' Greecè avôoXo']/ : « Animalcervo similis circa Euphratein, serratis cornibus, quibus hœreus in ramis arborum facile capitur (Eustath. in Hexamer.). Idem Petro T)aimïano antholopus , et calopus Alberto, et Arabihus Jamur \e\ .7ach- mur. Et in Lcxico Coptico riavrôXo']/, Epiphanio, (opo, Unts.

37-2 ZOOLOGIE MYSTIQUE.

fauve en hiver; ses cornes sont caduques, longues, couchées en arrière, tranchantes, dentelées en scie. ]\lassives à l'inté- rieur, ce qui les rend très-vigoureuses, elles brisent sans effort les branchages entrelacés des arbres dans les fourrés impénétrables l'antilope se jette en fuyant. Commune aux monts de la Syrie, elle aime les bords de l'Euphrate, et sou- vent, lassée, haletante, elle descend vers les vallées et cherche les eaux fortunées qui ont arrosé le Paradis ' . Sui- vant les anciens écrivains, elle recouvre sa vigueur après s'être désaltérée et prend son élan vers des bois « moult espés et enronscinés : » elle s'y enfonce dans des halliers remplis d'une espèce de liane excessivement déliée, mais dont les rameaux, aussi forts que souples, forment en s'en- trelaçant des liens et comme des pièges inextricables. Le ])auvre animal « juc tant à ses sultif vergetés soutif et de- lietes, » qu'il y embarrasse ses cornes et y est, au dire de Philip de Thann :

« pris a ronscenie

« Coine uu poiscon a une roi t. »

c'est-à-dire embarrassée dans les broussailles comme dans un filet. Dans cette détresse, l'antilope se débat et pousse de longs bêlements : c'est le signal de sa perte; ces vagissements pro-

II Kt quant l'Ile ad sai grant Il Une eve vait querant Il Ki vent de Parais « U hume fud primes mis, « Ceo est EuiVaten (1 Issi le apelat l'em;... » (L'appelle-t-on.)

Philip dk 'I'hawjv, T/iv /Icslian/.

l'am'ILOvk. 373

iuiigés et répétés par les éelios attirent l)ientôt les chasseurs, (|ui s'emparent de l'animal et souvent le frappent sur place.

AntiUipc embarrassée dans un fourré (Besli.iire ms. do la Bibl. imp.)

Le Bestiaire de l'Arsenal rapporte les mômes circon- stances de la chasse de l'antilope. Ainsi, après les pliysio- logues, s'expriment à son sujet tous les Bestiaires, et ils expliquent aussi uniformément cette tradition. L'antilope est la figure du chrétien; ses deux cornes sont l'emblème de la connaissance des deux Testaments, c'est-à-dire de la loi ancienne et de la loi nouvelle, qui sont l'armure de son à me :

« Iceste biesle seiiefie

u Flusiors liome ki sont eu vie,

« Ki ont dons cornes linement,

n C'est l'uns et l'autre Testainont.

{Bestiaire man. de la Bibl. impèr.)

« Hom, dit à son tour le Bestiaire de V Arsenal^ eschive- toi del cleable, car tu as les deux cornes : ce sont deux ent (end) emens que tu as de bien et de mal qui senefient les deus Testamens, le vies et la novele, por coi tu peus tranchier et colper les plantes des menues vergelètes, ce sont tôt li vices

374 Z001.IM.IK MYSTIOUK.

corporel, avost savoir) : fornications, avarice, ivrece, en- vie, orgoels, homicide, détracions, luxure et tôt altre ma- nière depéchié. »

Ces Testaments, les chrétiens les connaissent, ils y ont vu la règle à suivre et des préservatifs certains contre les occa- sions mauvaises; néanmoins ne laissent-ils pas « qu'ils n'al- lent au buisson juer et lor cornes envoloper Le chasseur, disent les Bestiaires, c'est l'irréconciliable ennemi du repos des hommes, « cest cil ki le fol home cace tant quil l'ataint en ceste place ' : » le buisson, c'est

« Li biel mang i er,

« Li biel boire e.l souef coacier,

f( Les bieles famés, li biel draps,

« Li palefroit ambiant et cras -,

« L'or, l'argent et la grant pecune '"

« Ki tant fait mal caus ki l'aiine, etc*. »

Aussi, l'imprudent qui a touché l'arbre défendu ne peut-il plus s'en éloigner et doit-il y trouver sa perte :

(f Tant demeurent sor le buiscon,

c( Que li vénères a larron

« Vient sor ans ^ »

Philip deThann, connue le Physiologue de S. Epiphane,

' " Venato)*, diabolus, in cujus figura Nembroth ille gigas venator coram Domino, ut in Genesi, etc. » (Rhabaiv. Maur., De Universo, vin, 1. V. aussi S. Brunon. Astkns., in Gènes, et allas. S. Anselm. Cawtcau, Op. omnia. Ludolph. Saxojiens., m Vita Christi, etc.).

* Riche (de crassus).

' Les grands trésors (pccunis;) qui nuisent tant à ceux qui les amassent.

* Li Bestiaires, manusc. de la Biblioth. imp.

•^ Même Bestiaire : '^De la nature al Jslalon qui tant a diverse nature corne vos ci aprics urcs.

i-'antij,ope. .'{75

prête eu surplus une allusion aux eaux rantiloj)e va boire avant de courir vers le bois : c'est, dit-il, la honteuse ivresse, cette cause de tant de vices, et les « vergetés » du buisson sont les « nof péchés criminals », principalement la luxure. « For ce, conclut après les mêmes explications le Liv?-e des natures des besles en s'adressant à son lecteur, te dois bien tu garder de cest péciés que par le délit (attrait) de luxure ne soies enlaciés, que li deables ne tochies (t'occie) : cest li venaii'es qui tosjors te gaite por engigner : li vins et les femes déportent home de Dieu ' . »

Outre le texte explicatif, le sens moral de la légende de l'antilope est encore reproduit par les enluminures des ma- nuscrits de la Bibliothèque impériale. Celle du Bestiaire coté 632-15, folio 5 mérite une explication ; nous en donnons le dessin à la page suivante.

Au bas, l'antilope /oanf et s'enlaciant dans le buiscon, est arrêtée par le long épieu d'un chasseur lancé à la course après elle : elle est percée de part en part. Au-dessus, la moralité. C'est, en haut de la miniature, Jésus en buste, environné d'une gloire et la tête ornée du nimbe croisé et gemmé. En bas, un religieux, debout, la main gauche armée d'une croix et semblant bénir de la droite, évangélise de son mieux : mais, comme celle du Sauveur, sa bénédiction tombe à vide ; fort peu parmi son auditoire s'appliquent ses enseignements.

* Bestiaire de l'Arsenal, fol. 204. L'interprétation donnée dans ce manu- scrit au sujet de l'antilope est la même que celle du Physiologue de saint Epi- phane : « Tu igitur, spiritalis homo, considéra quanto te uro generosiorem fecerit Deus : loco enim duorum duo tibi dédit Testamenta, novum videlicet et vêtus, quse cornua sunt contra potestates adversas, ut ne te circumveniat diabolus, ... Oceanus copiam divitiaruin significat : tanus vero, vita^ volupta- tem, qua implicitus homo finem negligit. Venator igitur, hoc est diabolus, illum aggreditur ; quem voluptatibus nuncupatum fidemque negligentem in- veniens, in suam potestateni redigit (S. Kpipiiaw., Vlii/sioloij., m).

37C ZOOLCGIK MYSTIQUE.

Sur les cinq auditeurs groupés dont le visage est vu de face, trois semblent rire ou ricaner ; un quatrième, la tête appuyée sur sa main, rêve à autre chose ou sommeille ; aux pieds du ministre de paix, deux religieux jouent aux dés et sont ab- sorbés par leur jeu; un autre, reconnaissable à son costume et à ses cheveux en couronne, est assis devant une table couverte de mets savoureux : vaquant à deux soins à la fois, il embrasse de ses deux bras une femme jeune et parée at-

Antilopes spirituelles saisies par le veneur infernal. (Bestiaire ms. de la Bibl. iœp.)

tablée a côté de lui. Ainsi, les trois concupiscences, l'orgueil montré dans les rieurs, l'avarice dans ceux qui jouent, la volupté dans les derniers, personnifient les aptalops. Derrière eux s'est glissé li vénères : ce vénères ou vénéor^ habile à la chasse des âmes, a, par-dessus son corps humain, un pelage de bête fauve, indiquant la rapacité, les embûches, la cruauté du tentateur. Il a aussi deux longues cornes, mar- quant sa. fatale puissance ; des oreilles couchées et inclinées vers la terre, indiquant l'endurcissement, la surdité spiri-

l'antilope. 377

tiielle, rticoueil des pensées terrestres et basses ; enfin ses gros yeux flamboyants, son bec crocliu d'oiseau de proie, expriment son avidité, sa soif pour la curée des âmes. Cependant, il guette sa proie du poste il est embusqué; riant d'une joie infernale, dominant de toute sa taille le groupe ivre et préoccupé, ses bras s'ouvrent et s'arrondissent, prêts à étouffer sans mot dire ces antilopes imprudentes prises au piège du buiscon.

rÉLiciE d'ayzac,

Dignilaire honoraire de la Maison impéiialc de Saint Denis.

HISTOIRE DE S. JACQUES LE MAJEUR et du Pèlerinage de Coinpostelle.

yUATlllEME ARTICLE

CHAPITRE V.

THAJiSI.ATlOW DES RELIQUES DE SAIKT JACQUES EW ESPAGKE.

La haine des Juifs poursuivit suint Jacques, même après sa mort ; ils ne permirent point aux chrétiens, alors présents à Jérusalem, de creuser un lit funèbre à ses restes mutilés et de leur assurer un repos qu'on ne refuse pas au criminel après son supplice. Ils jetèrent le corps de T Apôtre parmi les immondices de la cité et le laissèrent exposé à la voracité des chiens^ peut-être aussi nombreux alors qu'aujourd'hui, et à la rapacité des oiseaux de proie. Mais Dieu qui est admirable dans ses saints^ qui garde exaclement tous leurs os, protégea son serviteur contre la malice de ses ennemis.

Saint Jacques avait été suivi d'Espagne en Judée par sept de ses disciples '. Ceux-ci, après avoir assisté au martyre

* Voir les numéros d'avril, p. 213, de mai, p. 256 et de juin, p. 306. ' Espana Sagrada, tome m, p. 136.

l'KI.EHINAGK HE COMl'OSTEI.I.E. 379

de leur maitre, recueillirent pendant la nuit son corps et sa tête et parvinrent à transporter à Joppé leur pieux trésor. Un navire, que le ciel semblait avoir envoyé, était prêt à partir; ils s'eml)ar(pient , pleins de confiance en Dieu, voguent sans danger sur une nier tranquille et au bout de sept jours, selon quelques auteurs, abordent à Iria-Flavia, un des ports de la Galice. Un auge avait été le pilote et avait veillé sur le dépôt sacré dont l'Espagne devait bientôt être si fière.

De tous les incidents de cette traversée miraculeuse, nous ne rapporteroys que le suivant, qui est présenté sous forme de légende par quelques auteurs et dernièrement encore par un journal Portugais ' . Une animation inaccoutumée régnait à Iria-Flavia. Un mariage qui allait unir deux familles puis- santes causait tout ce mouvement. L'époux, seigneur du pays, était à cheval, g^ccompagné d'un nombreux cortège. Tout à coup le coursier s'emporte, n'obéit plus au frein et entraîne son cavalier dans la mer. Une barque, semblable à un point dans l'immensité, sillonnait paisiblement l'océan entre l'embouchure du Minho et le port d'Iria-Flavia. Un homme était assis au pied du mât, et six autres l'entou- raient, debout, les yeux fixés sur le rivage. Tous portaient le costume des apôtres du Christ. Un disque lumineux do- minait ce groupe et projetait sur les eaux une lueur qui dirigeait la barque dans sa course aventureuse. Le coursier s'avance dans la mer, malgré les efforts désespérés de son maitre et arrive si près de la barque, qu'un dialogue peut s'établir entre le seigneur du pays, que nous nommerons Maya sur la foi de certains écrivains, et entre les voyageurs :

u Qui êtes-vous? dit Maya aux étrangers.

' 0 Nacional du Porto, quinta feiia. 27 sept. 1860,

380 rÈLEIUXAGE DE COiMPÛSTELLE.

Serviteurs de Dieu, répondireut-ils.

D'où venez-vous ?

De Joppé.

allez-vous ?

Dieu voudra nous conduire. Celui que nous suivons, est Jacques, fils de Zébédée, un des douze apôtres du Christ et nous sommes ses disciples.

Vous êtes des disciples de Jacques ?

A dire vrai, nous le fûmes, dit encore un des voya- geurs ; car Jacques a souffert le martyre. Et en terminant ces paroles, l'étranger montra du doigt un co^re de bois de cèdre, placé au fond de la barque. Il reprit : Nous l'avons soustrait à la fureur de ceux qui nous poursuivaient^ et confiants dans la Providence, nous cherclions une terre hos- pitalière où nous puissions le déposer.

Grande fut la surprise de Maya, en jentendant ces paroles ; il ne pouvait expliquer que par une intervention surnaturelle, l'heureuse issue du voyage de ces inconnus.

Disciples du Christ, s'écria-t-il, je vous oifre mon palais. Nous nous réjouissons, répondirent-ils ; car Jésus- Christ a dit à ses disciples : Qui vous reçoit, me reçoit ; et qui me reçoit, reçoit celui qui m'a envoyé.

Maya allait continuer le colloque ; mais une nouvelle surprise lui était préi)arée : regardant son cheval qui par un brusque mouvement avait fait surnager une plus grande partie de son corps, il le vit, il se vit lui-même entièrement couverts de coquillages. Il jeta sur les disciples un regard interrogateur pour avoir l'explication de ce nouveau my- stère; mais les disciples, agenouillés devant la sainte relique, ne conversaient plus qu'avec Dieu et le bénissaient d'avoir glorifié son serviteur par tant de prodiges.

Un rayon de lumière illumina soudainement l'intelligence

l'kLEniN'AGE DE C.OMl'OSTELLE. 38!

dtî Maya; il était croyant. 11 lit comprendre le ciiangcnient et le désir de son âme en conrbant la tête. Alors un des dis- ciples prenant avec la main de Teaii de la mer, la versa snr la tête de Maya en disant : « Je te baptise an nom du Père, « du Fils et du Saint-Esprit. » Amen, répondirent les autres disciples. Amen, répondit Maya.

Le nouveau chrétien ramena son cheval, redcveini docile, sortit sain et sauf de l'Océan et revint an milieu de la foule éperdue, tremblante, qui avait tout contemplé, mais n'avait pu rien comprendre.

La légende ajoute cpi'au moment l'eau régénératrice tomba sur le front de ]\[aya, une voix céleste fut entendue dans les cieux et déclara que les coquillages des futurs pè- lerins de saint Jacques seraient considérés comme un symbole des vertus du grand apôtre de l'Espagne. Le zèle apostolique qui lui fit braver plusieurs fois les terribles hasards de la mer, est signifié de deux manières : 1" par un canard, attribut peu ordinaire de l'apôtre, mais consacré par un des vitraux de Reims. Cet oiseau aquatique était devenu lui symbole de navigation dans le langage des monuments du Moyen Age ; et son nom avait même reçu dans plusieurs idiotismes français le sens de Flottage. Quoique plus d'un apôtre ait entrepris de longs voyages pour porter au loin l'Evangile, nul autre cependant ne semble avoir exécuté une si longue traversée pour annoncer Jésus-Christ aux nations infidèles, et l'oiseau nageur est aussi bien approprié à saint Jacques que la pèlerine et le bourdon, qui lui furent affectés à d'autres époques. 2" Par un des produits de la mer. Un coquillage marin est l'attribut naturel de l'ancien pêcheur de Galilée, de l'apôtre-marin pendant sa vie et môme après sa mort. Un prodige a révélé la volonté du ciel et a imposé aux pèlerin.s de Saint-Jacques, à l'imagerie chrétienne, à

.']82 rkLKlUXAtil-; de COMrOSTliLLE.

Turt clirétien, un emblème devenu si po])uliure, que ceux-là môme en comprennent la signiliciition , qui en ignorent peut-être l'origine.

Les pèlerins avaient tant d'amour et de respect pour les coquilles qu'ils avaient rapportées de Compostelle, en signe de pèlerinage, qu'ils ne voulaient pas s'en séparer à la mort. On en a découvert dans des cercueils, en beaucoup d'endroits.

Voltaire, dont la science était si superficielle, prétendait que les bancs de coquillages trouvés au sommet des Alpes n'étaient autre chose que des coquilles détachées du cha- peron ou du collet des pèlerins qui se rendaient à Rome. Cette lourde plaisanterie n'avait pas même les apparences du vrai, puisque les pèlerins de Rome n'ont jamais porté de coquilles sur leur chaperon.

Les grands maîtres de l'art ont unanimement placé un ou plusieurs coquillages, comme attribut caractéristique, sur le chapeau, le camail ou le bourdon de Saint-Jacques. Il est à regretter qu'Overbeck , le fondateur d'une école si digne d'encouragement, ait manqué dans une de ses compositions à cette règle iconographique.

Deux médaillons des vitraux de Bornages n'ont d'autre ornement qu'un semis de coquillages en l'honneur de l'apôtre et du pèlerinage de Compostelle.

Parmi les mollusques, un seul a été adopté par la tradition et par l'usage comme attribut de saint Jacques. Il appartient à la famille des Pectinides à cause de l'analogie de sa forme avec le Peigne. Dans le langage scientifique de l'his- toire naturelle, il est appelé Peclen Jacobœus, et dans le langage vulgaire Peigne de Saint-Jacques^ Coquille de Saiîit- Jacques et pèlerine ; ce dernier terme provient de ce que les pèlerins de Saint- Jacques ornaient de quelques valves de ce mollusque leur camail ou })èlerine de cuir; usage qui existe

rKr.EHINAGE DE COMPOSTELMÏ, .'ÎS.'I

oncorfî piiriiii nous et en Espagne. Los Espagnols lui floniient le nom de Venera ' .

Voici le dessin d'une valve de coquille de Saint-Jaccpies,

Coquille et Bourdon de Saint-Jacques.

semblable à celles que j'ai rapportées de mon pèlerinage. Nous y joignons le bourdon et la gourde, compagnons obligés

Un apôtie a donné son nom à un coquillage ; un autre a donné le sien à un poisson de l'Océan et delà Méditerrannée. Nous voulons parler du pois- son connu sous le nom vulgaire de Dorée, à cause de sa couleur générale mêlée de peu de vert et de beaucoup d'or ; les ichthyologistes le désignent sous celui de Zée Forgeron [Zeus Faher. Linn), à cause des teintes basanées dont une partie de son corps paraît enfumée. L'existence d'une tache noiie et ronde, placée do chaque côté vers la partie antérieure du corps, a inspiré diverses croyances au peuple. Ici l'on considère ces taches comme résultant de l'impression des doigts de saint Pierre, quand cet apôtre tira ce poisson de l'eau, pour prendre dans sa bouche, ])ar l'ordre du Sauveur, la pièce de monnaie qui devait satisfaire le fisc. De le nom de Poisson de Saint-Pierre. donné à ce thoracin. Ailleurs, ces empreintes sont celles des doigts de saint Christophe qui prit ce poisson pour amuser l'Enfant-Jésus, f{uand il le portait sur ses épaules en lui faisant traverser un fleuve. De encore le nom de Poisson de Saint -Christophe. On l'a aussi appelé Poisson de Saisit- Martin, à cause de la saison on le pêche. (Voy. Du Cange aux mots Citula et Pisris).

38i PÈLERINAGE DE CO.MPOSTELLE.

de tout pèlerin, de venus pour cela même un attribut de pè- lerinage ; sur certains monuments, v. g. sur un reliquaire fort intéressant du XV siècle, placé derrière l'autel du Sacré-Cœur à la cathédrale de Bordeaux, saint Jacques n'est (Caractérisé que par le bourdon et la gourde.

La coquille de Saint-Jacques est un mollusque bivalve des mers d'Europe. Dans la langue héraldique, une coquille dont on voit le dedans ou le creux, prend le nom de Vannet^ h cause de sa ressemblance à un van à vanner le grain. Très-peu de familles le portent dans leur écu; celle de Vannelat^ à cause de son nom, porte d'azur, à un Vannet d'or. On a conservé le nom de coquille au meuble d'armoiries qui repré- sente une coquille de Saint- Jacques montrant le dos. On voit figurer jusqu'à 8 et 9 coquilles sur l'écu des nombreuses fa- milles ou des cités ' qui ont adopté ce meuble armoriai, soit à cause de leur nom, comme les familles Jacques, Coquille, soit à cause d'un pèlerinage au tombeau du Saint. La famille de Pimentales , qui prétend descendre du Seigneur dont je viens de raconter la légende, porte pour cette raison des coquilles dans ses armoiries. Elle s'est bornée à cinq.

La botanique a voulu glorifier, de son côté, l'immortel apôtre en désignant sous le nom de Bourdon de Saint-Jacques une des fleurs les plus majestueuses de nos jardins. C'est le nom vulgaire d'une plante de la famille des malvacées; ses larges corolles blanches, jaunes, roses^ purpurines, etc., souvent doubles, font l'ornement de tous les jardins sous les noms plus connus de Mauve-Rose, Passe-Rose^ Rosier-Bâton, Rose-Trémiere. Ce dernier nom, altération évidente de celui de Rose d' Outre-mer, révèle une origine exotique; à l'époque

' Les annoiries d'Aurillac sont de giiciilcs à trois coquilles d argent, au chef cousu d'azur, chargé de trois fleurs de lys d'or.

i'i;LKiiiNA(iE UE r,u,Mi'osri:LLE. :;8.j

(les ( /l'oistules, elle nous a été apportée de Syrie ', pays de saint Jacques; son origine et sa forme élancée, verticale comme celle d'un bourdon, l'ont fait surnommer iJou/ï/o/?. (/c Sainl-Jacques. Pour les botanistes, c'est VAlcée Rose (Alcea Rosa. Linn.j. Un pieux désir de populariser le nom de l'apôtre de l'Espagne, a fait encore donner son nom à une plante de la tribu des Sénécionées, que les pèlerins rencon- traient fréquemment sur leur passage ; je veux parler de !a Jacobéc , ou Jacobœa , comprenant la Jacohee vulgaire ou herbe de Sainl-Jacques ou séneçon Jacobée (senccio Jacobœa. Linn.), plante médicinale très-commune dans les prairies, les fossés, le long des bois, etc., durant le mois de juin. Ses feuilles, redoutées des troupeaux, nourrissent les chenilles du Phalœna Jacobœa pronuba. L'autre espèce est la Jacobée maritime, nom vulgaire de la cinéraire maritime. Il faut ajouter au bouquet des fleurs de saint Jacques deux autres fleurs : le Lotier de saint Jacques, Lotus Jacobœus, nom donné par Linnée à ce Lotus originaire de VUe Saint' Jacques, une des Antilles anglaises, près de l'île Saint-Thomas; puis V Amaryllis Saint-Jacques ou lis de Saint-Jacques [Amo.ryllis formosissima. Linn,), dont les grandes fleurs écarlates rap- pellent la couleur rouge de l'épée armorialle des chevaliers de Saint- Jacques,

Pour compléter dès-à-présent les attributs de saint Jacques, je mentionnerai Ip large chapeau orné de coquilles^ que les enfants eux-mêmes connaissent, et que les artistes ne placent

' La Passe-Rose est cultivée encore aujourd'hui en Syrie, en particulier au jardin des Oliviers, par les Franciscains. Le frère chargé du jardin m'a donné de la graine de cette fleur, que j'ai propagée dans le département de la Gironde en mémoire de Notre- Seigneur et de l'un de ses apôtres J'ai également propagé le hlé de Booz, variété si curieuse que j'ai apportée du champ même de Booz, voisin de Bethléem.

TOME VI. 28.

386 l'ÈLKlUiSAGE DE COMrOSTELLK .

pas toujours sur le chef de l'apôtre, préférant le jeter eu arrière. Cet attribut traditionnel a déterminé les chapeliers à adopter saint Jacques pour patron de leur corporation *.

Le livre, dépositaire de la vraie science, est un attribut commun à saint Jacques et aux autres apôtres.

Les disciples de l'apôtre avaient admiré les desseins misé- ricordieux du divin j\Iaitre des cœurs dans l'événement que j'ai raconté. Leur émotion durait encore, quand ils arri- vèrent à l'embouchure de VUUa {Ulia) ; un vent favorable leur fit l'cmonter ce fleuve jusqu'à L'ia-Flavia, Maya les attendait. Cette ville est à trois lieues de la mer, près de la jonction de l'Ulla et du Sar {Taris). Ils débarquent leur pré- cieux trésor avec un autel sur lequel les apôtres avaient célébré le Saint-Sacrifice et une colonne sur laquelle saint Jacques avait été décollé. Le corps du Saint est déposé sur une grande pierre à laquelle la barque est attachée; la pierre semble s'attendrir et s'ouvre miraculeusement en forme de tombeau comme pour offrir une couche au disciple du Christ et donner à l'exilé une hospitalité respectueuse. Dieu n'oublie jamais ceux qui ont combattu pour sa gloire ou pour sa doctrine ; aux victimes des passions de la foule ou des pouvoirs iniques, il élève un trône ou un autel qui est plus qu'un trône, suspend en leur faveur les lois de la nature et donne à leurs ossements persécutés un tombeau qui n'est pas toujours creusé par la main de l'homme, mais nul homme ne pourra plus les inquiéter.

Cette pierre, qui vers le milieu du XYIP siècle conservait encore sa forme miraculeuse, s'il faut en croire un grave

' Dans quelques pays, en particulier dans l'Auvergne, les chapeliers se mettaient sous le patronage de sainte Barbe ou de saint Michel. (Histoire des comrmmaulés des arts et métiers de V .4 nvergnc , par J.-B. Bodillet. Cler- mont-Feriand, 1857, p. 75).

l'Kl.tlUNACF, DE C.OMI'OSTEI.LK. 3S7

auteur de la Compagnie de Jésus ', fut, aux yeux du pays eouverti ù la foi chrétienne, un monument assez important pour donner son nom à la ville. Les Espagnols appellent Padruu une colonne, une pieire Ton grave une inscrip- tion destinée à perpétuer le souvenir d'un grand événement ^. Iria-Flavia a donc perdu soii nom dans la géographie mo- derne et ne s'appelle plus que Padron depuis des siècles. Florez est un des nombreux auteurs qui attestent cette éty- mologie : « La voz Padron se dériva por la piedra en que los « discipulos pusierou el cuerpo del apostol al tiempo de <( pasarle a la tierra desde la nave ^ » (Jette opiniou em- prunte un nouvel argument au dialecte Galicien, dans lequel ou appelle Padroues les pierres auxquelles on amarre les

bateaux. « Debemos insistir en e\ Padron por la coluna

« a que ataron la barca ; a cuyas piedras ullaman en Galicia » Padrones. » ]\rais Florez lui-même rapproche de cette éty- mologie celle qui suppose tautive l'orthographe de Padron qu'on devait écrire Patron, nom que la ville aurait reçu pour avoir favorisé le débarquement des restes du saint patron de l'Espagne : « La voz padron se dériva de patronns por haber <• llegado alli el patron de Espana \ » Dans quelques vieux écrits, cette ville est eu effet appelée Villa pat roni. Dans l'his- toire de Compostelle, elle est désignée sous le nom de palronus. L'une et l'autre de ces étymologies proclament l'importance du culte de saint Jacques chez les premiers chrétiens de la

' I. Ipsa rupes se expandens, et in sepulori formam effingens, sanctum (I cadaver excepit : perseveratqiie hodiè eadem specie" sepulcri. » {Lucis evan- yelicce stib vélum sacrorumemblematum jmrs iertut, hoc est cœleste Panthéon, por R. P. Henriccm Eagki.guavk, S. J. Antverpiae, 1658. t. ii, p. 48).

- On lit dans la édit. du Dictionnaire de la langue castillane par l'aca- démie Espagnole, Madrid, 1822 : » Padron, la rolumna de piedra con una « lapida o inscripcion de alguna cosa que sea peipetua y publica. »

' Espana Sayrada, tonio xix, p. 4.

388 l'ÈLEUINAGE DE COMPOSTELLE.

Galice et rappellent un nom plus cher à la Péninsule que ceux (les héros païens qui ont aouIu immortaliser leur mémoire dans les appellations de Lisbonne, Saragosse, Gibraltar.

Un simple souvenir, mais un souvenir religieux suffit pour attirer à Padron les populations voisines et nécessiter des accroissements successifs. La prospérité matérielle est sou- vent ici-bas la récompense des cités chrétiennes.

Mais la Providence a ses pieuses industries, connue nous avons nos calculs; elle place loin ses bienfaits, multiplie les difficultés du chemin pour nous les faire désirer et apprécier. Les montagnes, les solitudes d'un accès difficile, c'est-à-dire les lieux les plus proches du ciel et les plus éloignés du tour- billon où s'agitent et se discutent les intérêts humains, tels sont les théâtres les plus ordinaires des miséricordes du Sei- gneur. La poussière et le bruit des grandes routes tout le monde passe, croyants et incroyants ; les rivages tumul- tueux des mers sillonnées par des pirates, par les enfants de Mahomet comme par les disciples du Christ, ne sauraient convenir au culte des tombeaux ni aux effusions d'une âme qui a besoin de s'entretenir avec Dieu. La plupart des grands faits évangéliques ont eu pour témoins des montagnes ; il faut traverser les mers et ensuite le désert pour arriver au Saint-Sépulcre dans la cité sainte ou au tombeau de sainte Catherine sur le mont Sinaï. Que d'hommes peu réfléchis ont reproché à Rome les déserts qui l'entourent ? Que ne reproche-t-on aussi au fleuve qui baigne ses murs, la mai- greur de ses eaux ou les limites étroites de son parcours ? Un peu de mystère va bien à nos goûts et à notre intelligence. Souvenez-vous de la sainte Baume, de la Camargue, de Eocamadour, de Manrèse, de Monsarrat et de l'empressement laborieux avec lequel nos pères visitaient tous ces pieux rendez-vous de la chrétienté : presque toujours des mon-

l'ÈLElUNAdi; l)l': CO.Ml'OSTELLIC. ,380

tagnus, pur conséquent des fatigues longues, pénibles, inéii- toires. Les plus saintes choses, dès qu'elles sont trop faci- lement accessibles, perdent de leur prestige et de leur attrait aux yeux du riche et mcMue du ])auvre. Les })èlerinages se sont ralentis, depuis qu'on a facilité les connnunications par des véhicules de toute sorte et par l'emploi de la vapeur sur terre et sur nier. Les voyageurs sont partout ; les aiï'aires ou les plaisirs les attirent dans les cinq parties du monde ; mais les pèlerins sont rares ; on va i)lus à Constantinople, à Athènes, au Caire ou à Suez qu'à Jérusalem, beaucoup plus à Grenade et à Séville qu'en Galice.

Nous sommes ainsi faits ; la civilisation augmente les jouissances par le progrès, par le rafiinement des arts et de l'industrie ; mais elle affaiblit ou éteint la foi dans les cœurs devrait germer la reconnaissance ; la conquête de la terre et des éléments nous fait oublier le ciel et les amis de Dieu.

Mais l'indifférence publique ou le dédain de certains esprits ne font pas varier l'économie de la divine Providence ; elle garde à distance ses trésors ; Dieu n'est prodigue de ses doiis que dans ses sanctuaires les plus recidés; c'est surtout qu'il fait entendre cette miséricordieuse parole : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et qui êtes char- « gés, et je vous soulagerai ' . »

A cinq lieues d'Iria-Flavia, dans la profondeur des terres, habitait alors un petit peuple dont la modeste résidence était appelée, on ne sait pourquoi, liberum donum^ Libre-Don, par les Komains. Deux rivières innavigables, le Sar et la Sarela, serpentent autour de la déclivité ce village, de- venu cité importante et capitale d'une province, étale aujour-

' Venite ad me, omues qui laboiatiti et oiieiati cstis, et egu leficiain vos. (Matth. XI, 28),

390 PÈLEP.INAGE DE COMPOSTELLE.

d'hui sou humble parure de vieilles maisons. L'obscurité de son nom, l'exiguité de son territoire, sa situation aux ex- trémités du globe ', étaient des conditions dignes de fixer l'attention de cette même Providence qui n'avait pas dédai- gné la bourgade de Bethléem pour en faire le berceau du Messie. La plus petite des bourgades de l'Ibérie devait, ù son tour, être glorifiée par un événement que l'histoire pro- fane n'a pas daigné raconter, mais qui n'en occupe pas moins une large place dans les annales de l'Eglise.

C'est donc en ce lieu, providentiellement appelé liber uuh doinim, que les disciples du grand apôtre apportèrent leur trésor, inestimable don que la riche Asie semblait envoyer à l'Europe pour la faire participer d'une manière moins inégale aux bienfaits du Tout-Puissant. Une grotte s'oiFre à eux ; ils y trouvent quelques outils de maçonnerie dont ils se servent pour abattre une statue de Bacchus, divinité du pays, et construire un tombeau à leur maître. Mais au lieu de creuser horizontalement dans les parois de la grotte selon la coutume des Juifs, suivie par les chrétiens des Catacombes, imitée encore aujourd'hui par l'Espagne -, ils bâtirent un petit

Ce lieu, appelé plus tard Compostelle, n'est pas très-éloigné du cap Finistère {Finis terra), qui était regardé par les anciens comme le point le plus occidental de l'Europe et l'endroit le monde finissait.

* Le tombeau de Notre-Seigneur, ceux des rois et des prophètes, près de Jérusalem, présentaient la forme de locidi [Loculus, lieu petit, étroit, dim. de locus.) creusés horizontalement dans le roc. Il m'a été permis de m'en convaincre. Ces formes de tombeaux sont les plus fréquentes dans les cata- combes de Rome. Les riches familles espagnoles ensevelissent leurs proches de la même manière dans l'épaisseur du mur du cimetière. L'excavation horizon- tale yjratiquée dans le mur a juste les dimensions nécessaires à la bière. On est obligé de mesurer l'espace, même aux riches, dans ce rendez-vous universel des grands et des petits. Les pauvres sont moins à l'étroit dans les fosses du champ commun. J'ai visité en Portugal et en Espagne un certain nombre de cimetières, et j'ai constaté partout ce mode anti(pie de sépulture.

rkLEllINAOE DE COMPOSTEI.LE. 301

édifice en marbre, taillé eu arcade : « Feceruiit parvain <i arcuatam domiim, iibi construxere lapideo opère sepul- « cnim ' . I) On avait longtemps ignoré le nom de ces arcs turaulaires : les antiquaires des derniers siècles s'étaient bornés à désigner sous le nom de monumenls arqués (monu- menta arcuata) les tombeaux qui présentaient cette parti- cularité si remarquable. 11 n'y a pas longtemps qu'une inscription des catacombes a révélé son véritable nom, arcisolium. C'est donc cette dernière dénomination qu'il faut «appliquer au tombeau en arcades de saint Jac(iues. Les tom- beaux païens n'avaient jamais affecté cette forme, qui est d'origine chrétienne. On est donc autorisé à supposer une sorte d'inspiration chez les disciples de l'apôtre, architectes improvisés qui imitèrent ce qu'ils n'avaient jamais vu, ou créèrent simultanément avec Kome un genre dont les mo- numents du polythéisme n'avaient pu donner l'idée, l'a/T/xo/e chrétien.

Le travail achevé, on chanta des psaumes à la gloire de Dieu et de son glorieux apôtre, et on inaugura sur cet humble tombeau un culte qui devait durer autant que les siècles.

Le martyrologe Romain a fixé au 25 juillet la fête de la translation des reliques de saint Jacques. Mais le Propre des saints de l'Espagne, appi-ouvépar plusieurs papes, réserve ce jour pour le martyre du Saint et renvoie au 50 décembre, en vertu d'une tradition immémoriale, la translation de ses reliques.

Les disciples ne pouvaient se résoudre à s'éloigner du cher patron de leur patrie. Quand les intérêts de la foi les appe- lèrent dans d'autres contrées, ils laissèrent deux d'entr'eux,

Le pape Léon III, cité par Fi.ORKZ. (Espana sayrada, tomo m, p. xi.viii, append.)

302 riii-KniNAGE de coaipustelle.

Anastase et Théodore auprès de ce tombeau, pour en être en quelque sorte les gardiens et les chapelains. Fidèles à leur mission, ces deux disciples ne quittèrent jamais ce poste de faveur et furent enterrés, selon leur désir, à la droite et à la gauche de leur maître. C'est dans cette situation respective que leurs corps furent découverts plus tard avec celui de l'apôtre.

L'art chrétien ne pouvait séparer ceux que la mort elle- même n'avait pu désunir. Une des façades de la basilique Gallicienne dédiée à saint Jacques, est ornée d'une statue du Saint avec ses attributs, entre deux disciples qui ne peuvent être que ceux dont nous avons parlé.

La présence du patron de l'Espagne dans le pays qu'il avait évangélisé durant sa vie mortelle, ne fut point stérile pour la foi chrétienne. Les amis de Dieu ont le privilège de faire le bien même après leur mort. Les pays circonvoisins embrassèrent de bonne heure notre sainte religion et la chré- tienté de la Galice se lit remarquer bientôt entre toutes les autres par sa ferveur et ses œuvres saintes. Le Portugal, l'Espagne et l'Aquitaine honorent d'un culte particulier sainte Quiterie, fille d'un prince de la Galice. Au milieu des ténèbres et des dissolutions du paganisme, dont elle était entourée, cette jeune néophyte soupçonna les avantages de la virginité et préféra, dans un exil volontaire, la couronne de l'innocence et la palme du martyre à la brillante union rêvée par son père. L'église du Mas d'Aire (département des Landes) possède le tombeau de l'intrépide héroïne Galli- cienne, un des premiers témoins de la foi préchée par l'A- pôtre ' .

J.-B. PARDI AC.

[La suite au prochain nutnéru)

' Officia propria diœrcsis Bnrdigahnxis. 22 IMuii.

NOTRE-DAME DE MISÉRICORDE à Familleureux [Hainaut).

Au commencement du XIP siècle, le territoire qu'occupe nctuellement le village de Familleureux ' , était encore pres- qu'entier couvert de bois. Ce domaine appartenait alors au chapitre de Nivelles, qui le céda en fief à une famille noble du Brabant. Des défrichements eurent lieu par les soins du nou- veau vassal qui s'y fit construire une demeure seigneuriale et une chapelle, autour desquelles se groupèrent les habita- tions des colons.

Le château et le domaine de Familleureux passèrent dans la suite aux seigneurs de Bois-Seigneur-Isaac et, le 1 1 mai 1404, ils devinrent la propriété d'un noble chevalier, Wautier de Bousies, plus connu sous le nom de Fier-à-Bras de Vertaing;.

' La commune de Familleureux est située à vingt-deux kilomètres N.-E. de Mens. Anciennement comprise dans le duché de Brabant, elle fait aujourd'hui partie de la province de Hainaut, canton de Seneffe. Elle est traversée par le chemin de fer de Braine-le-Comte à Charleroy, à deux kilomètres et demi de la station de Manage.

TOME VI. Août 1862. 29.

3'J4 NOTRE- LA ME UE Al ISÉUl CORDE

Ce seigneur, qui était fils nuturel d'Eustache II de Bou- sies, sire de Vertaing, de Feluy, etc., fournit une brillante carrière militaire. « C'était, dit l'annaliste Vinchant, un personnage sage etbien expérimenté aux armes.» En 1580, il se trouva avec son pennon dans l'armée anglaise que le comte Thomas de Buckingliam, oncle du roi Richard II, conduisit au secours de Jean IV, duc de Bretagne, attaqué par les Français, et il donna, pendant cette guerre, des preuves d'une grande valeur. Deux ans après, il combattit contre les Fla- mands sous les drapeaux français, fut du nombre des che- valiers qui forcèrent le passage de la Lys, se trouva au siège de Commines, et assista à la célèbre bataille de Koosebeke, livrée le 27 novembre 1382. Plus tard, il devint l'un des contidents et des plus zélés serviteurs du comte d'Ostrevant, fils aine d'Albert de Bavière, comte de Hainaut, et accompa- gna ce jeune prince à un magnifique tournois que le roi d'An- gleterre donna à Londres, au mois d'octobre 1 390. Fier-à-Bras de Vertaing excita ensuite le comte de Hainaut à la guerre contre les Frisons ; puis il passa en Angleterre, il enrôla des gens d'armes et des archers qu'il conduisit à l'armée du comte Albert de Bavière, fut présent à l'assemblée des Etats que ce souverain convoqua à Mons, au sujet de l'expédition de Frise, et prit avec les chevaliers hennuyers l'engagement de le seconder dans son entreprise contre les Frisons. On connaît les résultats de cette expédition : les malheureux Frisons payèrent chèrement les écarts du comte de Hainaut et le crime des conspirateurs. Cette guerre fut une des plus sanglantes de notre histoire ' .

Le bâtard de Vertaint^; continua à se dévouer au service

' ViKCH.VNT, Annales du Haiiiaul, t. m, pp. 289-312. Froissahd, Chro- niques, t. Il et m; édition de J. A. Bucliou.

A FAMILLEUREUX. .Wr)

du comte d'Ostrevaut, (|ui lui accorda, en lôîiT, une pension annuelle et viagère d'environ InO livres sur la recette du domaine de Rœulx ' .

Quelques annéesplus tard, le sire Fier-à-Bras prit sa retraite et vint au château de Familleureux pour s'y reposer des fa- tigues de la guerre. A côté de sa demeure, s'élevait la cha- pelle castrale qui avait été bâtie au XIl^ siècle sur la Motte de Familleureux par l'un des premiers seigneurs de ce do- maine. Cet édifice, qui subsiste encore de nos jours, est digne de fixer un instant notre attention. Il forme le chœur de l'église paroissiale et consiste en une abside terminée par un mur plat à pignon triangulaire orné à ses angles in- férieurs de deux croix en pierre bleue. On a muré les trois fenêtres pratiquées à son chevet, ainsi que le quatre-feuilles qui surmonte celle du milieu. Six autres fenêtres romano-ogi- vales, dont le contour est en pierres taillées, éclairent le sanctuaire qui a 12 mètres (30 cent, de longueur sur 5 mètres 40 cent, de largeur. La voûte se compose d'un lambris en planches ; il est divisé en carrés longs qui se coupent à angles droits. La retombée des arceaux repose sur de simples con- soles formant des statuettes parfaitement coloriées. Aux clefs de la voûte sont figurés quelques personnages de la Bible.

Cette chapelle, qui était dédiée à Notre-Dame de Famil- leureux, ne fut érigée en paroisse qu'en l'année 1512. Avant cette époque, l'église paroissiale avait son siège près de la ferme de Courrière, qui appartenait à l'abbaye de Bonne- Espérance ".

' Archives du Royaume. Compte du domaine de Rœu/x. Années 1397 à 1411.

- En vertu d'un diplôme de Nicolas, évêque de Cambrai, daté de l'an 1162, l'autel de Familleureux relevait de l'abbé de cette maison religieuse, (Maghe, Chronic. Bonce Spei.)

390 NOTllE-llAME Dli MISÉRICORDE

En considération des nombreux mii-acles qui s'opéraient alors dans la chapelle castrtde. l'abbé Jean Cornu autorisa ce cliangement et l'antique édifice de Courrière demeura sup- primé ' . Comme le sanctuaire de Marie n'était pas assez vaste pour contenir les paroissiens et les nombreux pèlerins qui y venaient prier et que le service divin n'était pas en rapport avec la piété des fidèles, l'abbaye de Bonne-Espé- rance et la communauté de Familleureux firent construire de connnun accord deux chapelles latérales, une nef, ainsi qu'un cloclier au-dessous duquel fut reportée la porte à plein- cintre de la chapelle seigneuriale. Cette porte est ornée d'une archivolte à quatre rangs de tores qui s'appuient sur des pilastres et des colonnettes en retraite les unes sur les autres.

L'église de Familleureux fut agrandie vers la fin du XVIIP siècle. On y ajouta les nefs latérales furent élevés deux autels : l'un sous l'invocation de Notre-Dame de Misé- ricorde et l'autre dédié à saint Barthélémy, apôtre. Deux rangées de quatre colonnes cylindriques en pierres bleues d'Ecaussines, les extrêmes engagées, supportent d'un coté, dans la nef centrale, des voûtes ogivales à nervures croisées, et de l'autre, dans les bas-côtés, des arcs à plein-cintre. Les fenêtres qui donnent le jour aux nefs sont au nombre de six; elles dessinent un arc cintré dont le contour est en pierres taillées.

Parmi les objets d'art que possède cette paroisse, il en est un qui mérite de fixer l'attention, tant à cause de son an- cienneté, que de la légende curieuse qui s'y rattache. C'est un tableau en bois sculpté offrant la représentation d'un épi- sode de la vie de Fier-à-Bras de Vertaing, que nous avons fait

' MAGHE,CV/ro?!. Bonœ Spei.

A FAMILLEUllEUX. 'MH

comiîiitre [)lus liuut. La traditioii l'uuruit au sujet de ce ta- bleau les détails suivants :

C'était au commencement du XV siècle. Par une belle journée d'été, les lia1)itants de Familleureux se trouvaient réunis sur la place publique de leur localité avec ceux des villages voisins, pour prendre part à des réjouissances et à des jeux populaires, que le bâtard de Vertaing avait organisés à l'occasion d'un événement heureux arrivé dans sa famille. Ces populations rustiques, joyeuses de s'associer au bonheur du noble seigneur qui les avait invitées, prenaient leurs ébats avec un entrain remarquable. Tout à coup, au milieu de la fête, une rixe s'élève entre les manants de Familleureux et ceux de Houdeng. Fier-à-Bnis, averti à l'instant, accourt pour apaiser le tumulte qui allait toujours croissant; mais ses efforts sont vains et il se voit obligé de se retirer devant les insultes et les menaces grossières des hommes de Houdeng, qui avaient été les premiers agresseurs. Le sire de Familleu- reux, dont l'irritation fut au comble, jura d'exterminer les coupables et de livrer leurs habitations aux flammes et au pillage. Les préparatifs de son expédition contre Houdeng étaient en train de s'accomplir^, lorsque les auteurs de l'iii- sulte, en ayant été instruits et redoutant le châtiment dont ils étaient menacés, s'acheminèrent vers le château de Fa- milleureux pour aller implorer leur pardon et désarmer par tous moyens le courroux du seigneur qu'ils avaient irrité à un si haut point.

Mais le bâtard de Vertaing, inaccessible aux prières, vou- lait venger son injure dans le sang. Averti de la présence des coupables à la porte de son manoir, dont ils sollicitent hum- blement l'entrée, le chevalier offensé se saisit de son glaive, et, suivi de son fidèle lévrier, il s'élance vers ces malheureux et étend mort sur place le premier qui s'offre à lui. A ce

398 NOTRE-DAME DE MISÉRICORDE

sanglant spectacle, ses compagnons demandent grâce en poussant des cris déchirants ; mais le féroce seigneur, que la vue du sang anime, reste insensible à leurs supplications et s'apprête à faire de nouvelles victimes. Déjà, il lève le bras pour frapper, quand tout à coup l'image de la miséricor- dieuse Vierge Marie se dresse devant lui et le sépare de ceux sur qui il brûle d'exercer sa vengeance. Au moment même de cette apparition, une main invisible enlève le casque du sire Fier-à-Bras, qui, frappé de ces prodiges, revient à des sentiments plus humains et pardonne promptement aux hommes de Houdeng l'offense qu'il en avait reçue.

Telle est la légende merveilleuse représentée sur le tableau dont la gravure est en tête de cet article. A gauche de cette remarquable sculpture, on voit le sire Fier-à-Bras de Ver- taing au pied d'un arbre couvert de son feuillage. 11 est vêtu d'une robe courte à larges manches et serrée par une cein- ture. Pour chaussure, il porte une sorte de brodequins qui lui couvrent le pied et une partie de la jambe; sa figure est barbue. Il tient de la main droite le glaive qu'il remet dans le fourreau à la vue de l'image de la Mère de Dieu. Derrière lui on distingue la main qui a enlevé son casque, et à l'angle, dans le fond, le château de Familleureux. Le chien qui l'a suivi se tient à côté de lui.

Tout le côté opposé est occupé par une ligne de huit per- sonnages à genoux, dans l'attitude de la prière. Ce sont les manants de Houdeng qui sollicitent leur pardon. Ces hommes à figures barbues sont nu-tête et nu-pieds, mais chacun d'eux est vêtu d'un costume qui lui est particulier. Tandis que les uns ont une robe longue à larges manches, les autres portent un vêtement court avec des manches étroites et ser- rées au poignet. Au-dessous d'eux, on remarque couché le cadavre de leur compagnon qui fut victime de la vengeance

A FA.MILLEUHEUX. 3'.)!)

(lu bâtard de Vertaing. Cet individu imberbe est vêtu d'une robe avec ceinture; sa tête est légèrement penchée en arrière; le sang coule de la blessure qu'il a reçue au front, au-dessus de l'œil droit.

Entre le seigneur de Familleureux et les hommes de Hou- deng se montre l'image de la sainte Vierge. Marie est drapée dans un long manteau ; elle porte son divin Fils sur le bras droit et tient une fleur de la main gauche. L'Enfant-Jésus a un livre ouvert dans lequel il indique du doigt ce qui s'y trouve écrit, sans doute cette belle et touchante maxime de l'Evangile : « Bienheureux les misérieordievx, car ils obtieti- dronl miséricorde . »

Ce monument de sculpture sur bois nous parait très-ancien. Il date, ti coup sûr, de la première moitié du XV siècle. Le costume des personnages, l'orthographe et la forme des carac- tères de l'inscription qui se trouve au-dessous, la probabilité même d'une amende honorable faite par le sire Fier-à-Bras de Vertaing, tout nous confirme dans cette opinion. Long- temps ce tableau fut placé dans le chœur, près de la tribune du seigneur de Familleureux ; ce n'est qu'au commencement de ce siècle qu'on l'a transporté à côté de l'autel de Notre- Dame de Miséricorde. Il a deux encadrements distincts. Dans la partie inférieure du premier, on lit une inscription en ca- ractères gothiques, composée des deux lignes suivantes :

Ce 6t It ramenorancc ^cl offensée que djil î>e i^oubnliig nrotent fnlt à ilîone. itcrnbrog be Ocrtatng en ee Ptle et maison bu iamilleus iffls.

Le second encadrement est moderne. On y a mis en lettres capitales, sans doute pour le vulgaire, la môme incription, orthographiée différemment, avec le millésime 1441, par le- quel on a voulu peut-être indiquer l'année de l'exécution du

4-00 NOTRE-DAME DE MISÉRICORDE

tableau. Mais l'auteur de ces nouveaux caractères a-t-il été puiser cette date? Nous n'avons pu nous renseigner à cet égard. Au reste, voici ce que nous avons copié textuelle- ment :

CEST IL REMOMORANCE DEL OFFENCE QVE CEVLX DE HOVDAING AVOIENT FAIT A MONSIEUR FIER A BRAS DE VERTAING EN LA VILLE ET MAISON DE FAMILLIEVREVX. GUÉRISON DES MALADES PRIEZ PR NOUS. MCCCCXLI.

La hauteur du tableau de Faniilleureux est de 1 mètre 20 cent., et sa largeur de 1 mètre 80 cent., l'encadrement moderne non compris. Quoique plus de quatre siècles aient passé sur cette œuvre d'art, elle est encore dans un bon état de conservation. Les personnages ont gardé leur an- cienne peinture.

Les témoins de l'événement extraordinaire que nous avons raconté se hâtèrent de le publier, et l'on comprend sans peine qu'à la suite de la médiation touchante de la Mère de Dieu entre le farouche seigneur et les vilains qui criaient miséricorde^ les populations de la contrée, vivement impres- sionnées par ce prodige éclatant, accoururent en foule à Fa- niilleureux invoquer la sainte Vierge, sous le titre de Noire- Dame de Miséricorde ^ probablement en mémoire du pardon qu'elle avait obtenu pour les hommes de Houdeng.

Notre-Dame de Miséricorde de Familleureux était antre- fois tout particulièrement honorée dans les maladies conta- gieuses. Ainsi, lorsque des localités des diverses provinces de la Belgique avaient à souifrir d'une épidémie, les populations souvent terrifiées entreprenaient un pèlerinage à ce san- ctuaire de Marie et y imploraient avec confiance la Consola- trice des affligés. Parmi les endroits qui, au XV siècle, furent ravagés par une maladie pestilentielle, on cite le village de

A lAMILLliUUEUX. " /,()|

Marche-lez-Ecoiissiiines, situé à quatre kilonièties de Fuiiiil- leureux. Le fléau éclata avec une telle intensité qu'il frappa en peu de temps un grand nombre de personnes de tout âge, de tout sexe et de toute condition. Les remèdes humains étant impuissants pour combattre le mal, les habitants consternés eurent recours à Dieu et vinrent à Familleureux, en procession solennelle, supplier sa sainte ]\Ière d'inter- céder auprès de lui en leur faveur. Le saint Sacrifice fut cé- lébré au milieu des gémissements et des ardentes prières des familles désolées. Le Ciel s'émut à leurs supplications et bientôt, dit la tradition, la contagion diminua et disparut ensuite entièrement.

Depuis l'époque de cette heureuse délivrance du fléau de la peste, la paroisse de Marche-lez-Ecoussinnes, reconnais- sante de la puissante protection de la Vierge miraculeuse de Familleureux, vient annuellement à son sanctuaire faire une démonstration pieuse le 9 du mois de septembre. Après une messe d'action de grâces célébrée à l'autel de Marie, a lieu la procession solennelle dans laquelle on porte une statue très-ancienne de la Mère de Dieu et qui repose à Fa- milleureux.

PRÉCIS

DE L'HISTOIRE DE L'ART CHRÉTIEN

en France & en Belgique'

DIXIEME ARTICLE

CHAPITRE CINQUIEME.

XU' SIECLE.

Article I". .architecture (style roinano-ogival.)

Dates historiques. Suger, dans son livre intitulé De Hebus in administratione sua gestis, consacre de nombreux chapitres à la description de l'abbaye de Saint-Denis' et nous fournit de précieux renseignements sur l'état des beaux-arts au Xir siècle. Ou voit que déjà à cette époque, de même qu'à la nôtre, on ne savait point toujours respecter les œuvres du passé et qu'on les défigurait souvent par de prétendus embellissements. Suger, considérant comme bar- bares certaines œuvres léguées par le siècle de Cliarlemagne, s'efforçait de déguiser leur vétusté sous une physionomie plus moderne. Chaque siècle s'est comporté de la même ma- nière envers ses devanciers. M. de Montalembert a écrit un

' Voir le numéro d'avril, page 202.

PRÉCIS DE l'histoire DE l'aRT CHRÉTIEN. 403

livre fort éloquent sur le vandalisme de notre époque. N'y aurait-il pas matière à faire un ouvrage analogue, non pas seulement sur les destructions opérées par la Renaissance, mais sur celles qu'ont accomplies les siècles du Moyen- Age?

Si le XIP siècle a eu parfois le zèle inconsidéré de la des- truction, il faut lui tenir compte de la beauté des œuvres qu'il substituait aux anciennes. A cette époque, comme au siècle suivant, on démolissait volontiers un chœur, une tour, une chapelle ; mais on remplaçait la partie détruite par une œuvre supérieure : nos architectes modernes ont souvent la môme ambition, mais, hélas ! ils sont souvent les seuls à ad- mirer les résultats de leurs bouleversements.

La construction des églises était, au XIP siècle, une œuvre de foi et de piété à laquelle souvent prenaient part, sous la direction de l'architecte, des personnes de tout rang qui se trouvaient suffisamment rémunérées de leur labeur par la satisfaction de leur conscience. « C'est un prodige inouï, dit Aimon, abbé de Saint-Pierre-sur-Dive, dans une lettre de 1 1 45 aux moines de Tutteberg, c'est un prodige de voir des hommes puissants, fiers de leur naissance, habitués à une vie molle, s'attacher à un chariot et traîner des pierres, de la chaux, des pièces de bois et tout ce qu'il faut pour le saint édifice. Parfois, mille personnes, hommes et femmes, sont attelés à un seul chariot, tant la charge est pesante, et cependant on n'entendrait pas le plus léger bruit. Quand ils s'arrêtent en route, ils se parlent^ mais seu- lement de leurs péchés, dont ils se confessent avec larmes et prières. Alors les prêtres les exhortent à déposer les haines, à remettre les dettes, et si quelqu'un se trouve endurci au point de ne vouloir pardonner à ses ennemis, il est aussitôt exclu de la sainte compagnie. »

40-4 iMiÉr.is DE l'iusïoire de l'art chrétien

On voit par cette citation que les laïcs contribuaient, dans une certaine part, à la construction des édifices ; ils en eurent quelquefois môme la direction. Le clergé ne pouvait plus suffire à toutes les entreprises. L'indépendance que conquirent les serfs ou les vassaux inférieurs, par suite de l'aifrancliissement des communes, dut contribuer à faire épa- nouir les arts ailleurs que dans les cloîtres et à les faire sor- tir du domaine exclusif du clergé.

Caractî<:res généraux. Les Vénitiens, qui faisaient en France un trafic considérable, contribuèrent au développe- ment du goût byzantin, qui influença surtout l'ornementa- tion architecturale. Ce courant venu du Midi remonta vers le Nord et se fit très-peu sentir dans les provinces de l'Ouest.

Les églises sont moins lourdes et moins sévères qu'au siècle précédent. Les lignes perpendiculaires commencent à dominer; les façades offrent moins de massifs de maçonnerie; la décoration devient plus riche. Mais le caractère le plus distinctif de cette époque est le travail d'élaboration qui de- vait amener le triomphe du style ogival. C'est avec raison qu'on a désigné ce style sous le nom de romano-ogival ou de transition, car on y trouve réunis les éléments de la période précédente et ceux qui doivent inspirer l'art ogival du XIIP siècle.

Dans la plupart des monuments de cette époque, l'ogive et le plein-cintre sont en présence, non-seulement comme formes décoratives, mais comme procédés de construction. Tantôt les deux formes sont entremêlées, tantôt l'une des deux, domine exclusivement dans une partie de l'édifice. En général, le plein-cintre règne dans les parties basses, tandis que les étages supérieurs sont réservés à l'ogive : mais on peut citer d'autres nombreux exemples les rôles sont in-

EN FRANCl-: ET K.\ liEIXllQLI^ 405

tervertis. An commencement dn Xll" siècle, il y a des mo- numents tout en pleiii-ciutre, et, h la fin, des monuments tout en ogives, mais les autres caractères généraux pré- sentent assez d'analogie pour faire classer ces édifices dans une même famille. Ici, d'ailleurs, encore plus que dans les autres styles, nous devons trouver des nuances nombreuses selon les dates et les pays. Ainsi, dans la province ecclésia- stique de Lyon, les églises n'ont été ogivales qu'accidentelle- ment vers la fin du XIP siècle et même pendant le XIII*'. Ainsi donc, l'absence de l'ogive dans un monument du Midi, ne suffit point pour qu'on l'attribue à une date antérieure au XIIP siècle, de même qu'en Picardie la présence du cintre brisé ne prouve pas qu'un monument soit postérieur au Xr siècle, puisque dès cette époque, l'ogive romane ap- paraît dans la crypte de Nesle (Somme), aux églises de Saint- Germer et du Coudray (Oise), etc.

On qualifie de romane l'ogive de cette époque (fig. 1),

parce qu'elle n'a point encore le caractère élancé qu'elle doit prendre au XIIP' siècle et que ses moulures appartiennent à l'école romane.

Plan. Les petites églises rurales conservent la forme des anciennes basiliques. Dans les édifices plus importants, les bas-côtés ne s'arrêtent pas à la courbure de l'abside, ils se prolongent ordinairement autour du chœur, qui s'entoure de chapelles. On a longtemps admis que cette disposition, à

40(3 l'RÉGIS DE l'histoire DE L'aRT CHRÉTIEN

laquelle on est convenu de donner le nom de cliorea^ n'avait apparu qu'au XIP siècle; mais on en a constaté divers exemples au siècle précédent : à la cathédrale de Valence, dédiée en 1093, à celle de Nevers (1097j, à Saint-Hilaire de Poitiers (104.9), etc. M. Alfred Ramé suppose même que le prolongement des bas-côtés autour du chœur s'est produit dans quelques monuments carlovingiens du centre et de l'ouest de la France.

En général, le chœur est plus bas que la nef, tandis qu'au XIIP siècle, il est plus élevé.

L'obligation qui incomba aux chanoines de réciter souvent l'Office des morts et celui de la sainte Vierge, les retint plus longtemps dans l'église; ils songèrent à se prémunir contre le froid. De ces clôtures de chœur d'abord basses et à claires- voies, qui devaient s'exhausser dans les siècles sui- vants et se décorer de bas-reliefs.

Les nefs élargissent leurs proportions; plusieurs étages de colonnes s'élèvent jusqu'aux retombés des voûtes. De nom- breuses fenêtres s'ouvrent au-dessus des arcs latéraux et versent un jour plus abondant dans l'église.

Une forme aussi exceptionnelle en France qu'elle est ré- pandue en Allemagne, est celle des transsepts à terminaison circulaire (cathédrales de Noyon, Soissons et Tournai). M. L. Vitet pense que cette manière de construire est d'ori- gine orientale, et qu'on n'en trouve d'admirables essais que cette influence a été directe, comme dans les villes mar- chandes de la Germanie. Il se demande pourquoi une forme dont les effets sont si gracieux, qui jette tant de netteté dans les lignes de l'architecture, n'a pas été plus généralement adoptée. « Serait-ce la séparation des Eglises grecque et ro- maine qui, en lui imprimant un caractère pour ainsi dire schismatique, aurait nui à sa fortune en Occident ? En se-

EN FRANCE EN ItELGIUUi:. /|07

rait-il des églises à transsepts semi-circulaires comme de ces églises à coupoles semées de loin en loin dans quelques-unes de nos provinces, véritables chefs-d'œuvre d'élégance qui seraient probablement moins rares, si la fidélité aux tradi- tions latines avait permis d'en multiplier les imitations ? »

Quelques églises de cette époque sont circulaires : telles sont celles de Charoux (Vienne) et de Rieux-Morinville (Aude). Ce sont des souvenirs de l'église du Saint-Sépulcre, à Jérusalem. C'est également à l'influence des modèles orien- taux que sont dues les coupoles du Périgord et de quelques provinces avoisinantes. Une autre forme exceptionnelle est celle qu'on remarque à l'église d'Aigueperse, en Auvergne, le chœur, droit dans la première partie, se termine par la moitié d'un décagone.

On remarque plus fréquemment dans la disposition du plan la déviation de l'axe principal, qui est une traduc- tion iconographique de Vinclinato capite de l'Evangile. Dans le Bordelais, presque toutes les églises romanes ont leur ab- side inclinée du côté du nord ; quelques-unes, en très-petit nombre, sont inclinées vers le sud.

Les tristes nécessités de l'époque firent parfois fortifier les églises pour les mettre à l'abri du pillage ; elles étaient alors munies de créneaux, de mâchicoulis et de meur- trières. Telles sont les églises d'Elne (Pyrénées- Orientales ) , de Mague- rone (Hérault) et de Royat (Puy-de-Dôme) (fig. 2) :

Plusieurs conciles s'oc- cupèrent des abus qui 2. pouvaient naître de la transformation militaire de ces édises.

408 l'RKCIà DE J/UISTOIRK DE l'aIIT CHUÉT[EN

Un concile d'Avignon, tenu en 1209, défendit de fortifier les monuments religieux et ordonna même de détruire ceux qui étaient munis de fortifications, à moins qu'ils ne fussent né- cessaires pour s'opposer à renvahissement des infidèles, ?iisi forte ad repnllendam instanliam paganorum.

Cryptes. C'est le dernier âge des cryptes dont on ne pourra plus citer que de bien rares exemples sous le règne du style ogival. Une des plus vastes est celle de Notre-Dame de Boulogne, qui mesure plus de cent mètres de longueur. Elle comprend trois nefs, un chœur, des transsepts, des cha- pelles latérales et absidales. Celle d'Issoire {fig. 5), que quelques archéologues attribuent au XF siècle, est accompagnée de cinq chapelles dont trois carrées et deux demi-circulaires. 3,

Appareil. Le grand appareil est beaucoup plus usité que le moyen. Les appareils réticulés, en arêtes de poissons, etc., que nous avons signalés dans les siècles précédents, con- tinuent à être en usage ; mais les décorations en briques de- viennent de pins en })lns rares. Les linteaux ne sont guère employés que pour couvrir les petites ouvertures.

Contreforts. Placés à l'endroit on s'exerce la poussée des nervures, ils deviennent plus saillants et plus forts; mais leurs assises, disposées en retraits, en dissimulent la lour- deur. Souvent ils sont surmontés de clochetons quadrangu- laires, et l'amortissement de la face principale se couvre d'imbrications. Les arcs-boutants sont moins rares et moins massifs qu'à la fin de la précédente période. Ils n'ont encore d'autre but que de soutenir les murs et de neutraliser la poussée des voûtes. Ce n'est qu'au XIIF siècle qu'on en ti-

EN FRANCE ET EN DELGIOLE. 4U!»

rera un admirable parti pour donner à l'édifice une physio- nomie plus légère et plus hardie.

Corniches. Les corniches inférieures, destinées à sépa- rer les étages, se composent uniquement, en Normandie, de tores et de cavets. Ailleurs, elles s'appuient sur des modil- lons ou corbeaux taillés en bizeaux (fig. 4) ou en dents de scie, découpés en arcades, figurent des têtes humaines, 4.

des monstres, des animaux, des fleurons, des pampres, des rosaces, des entrelacs, des enroulements, des dessins géomé- triques et des dispositions tellement variées qu'elles échap- pent à rénumération [fig. 5 à 12).

6.

8.

9.

Portes. Ogivales ou cintrées, elles sont richement dé-

TOMK VI. 30

410 l'RÉClIS DE l'histoire DE l'aUT CHRÉTIEN

corces {fig. 13) et pourvues de colonnes à chapiteaux variés; les voussures, qui se multiplient, se tapissent tantôt de per- sonnages, tantôt de chevrons, d'étoiles, d'entrelacs, de feuil- lages, etc. [jig. 14).

13.

U.

Les pieds-droits, ornés de figures en demi- relief, forment (pielquefois un tout continu avec les arcs qui les surmontent. On voit, pour la première fois, apparaître des statues aux voussures et aux parois latérales des portes. Nous en appré- cierons le caractère au chapitre sculpture. Le linteau et le tympan se parent de trèfles, de diverses moulures et de bas-re- liefs. Des portes construites aux et XP siècles, et qui étaient restées lisses, furent sculptées à cette époque. La baie du portail principal est quelquefois divisée en deux parties par un trumeau qui supporte une grande statue ; mais cette inter- position d'un pilier central ne fut généralement admise qu'au Xlir et surtout au XI V*^ siècle. Les portes latérales

EN FRANCE ET EN BELGIQUE. Ht

s'ouvrent sur la nef et le chœur, taudis (^u'au siècle suivant elles donnent presque toujours entrée par les transsepts.

Porches. Parmi les porches (pii sont annexés aux mo- numents romano-ogivals, il en est qui sont postérieurs à l'é- rection des églises. On ne les élevait })oint seulement dans un but de décoration, mais aussi dans un but d'utilité, pour défendre l'entrée des temples contre les injures de l'air. Quelques-uns, armés de mâchicoulis et de créneaux, oifrent une véritable défense militaire.

Fenêtres. On trouve encore, surtout dans les cam- pagnes, de petites fenêtres étroites sans colonnettes [fig. 15) comme au siècle précédent; mais, en général, elles sont beaucoup plus larges et sont formées d'une archivolte sup- portée par des colonnes {fig. 16).

LJà>

15.

16.

Les fenêtres, isolées, géminées ou ternées, sont tantôt en cintre, tantôt en ogive. La fenêtre centrale de la façade prend de grandes proportions, et, vers l'approche de l'ère ogivale, elle offre un luxe remarquable de moulures à cubes pyramidaux et même de figures en relief.

Roses. L'œil-de-bœuf agrandi se divise en rayons qui partent du centre de la baie circulaire pour aboutir au grand

17. Nolrc-Darao de N'oyaii.

: on en voit quel-

.\

41:2 rai'cis de lhistûiiu: de i/aut chrétien

cercle de circonférence {fuj. 17), orné parfois de moulures et de figures en relief (Saint-Etienne de Beauvais); ces rayons ou colonnes sont rarement réunis par des trilobés. Cette disposition des roses romanes leur a .t, fait donner le nom

^__£^ de roues de sainte

Callierifip; elles sont situées à l'extrémité des transsepts ou au- dessus du grand portail quefois au centre de l'abside.

Tours Divisées en plusieurs étages par des corniches, elles sont percées de baies cin- trées ou ogivales et déco- rées d'arcades simulées ifif/. IHel 19).

Au commencement du XIP siècle, elles étaient quadrangulaires, surmon- tées de pyramides à quatre pans, Hanquées aux angles de contreforts à nombreux larmiers. Plus tard, elles se couronnent de flèches octoi!;ones revêtues d'im- bricationset dont les angles sont garnis de clochetons en encorbellement. Ou voit se multiplier les clo- chers junieaux, ordinairement d'inégale hauteur, pour syra~

18

Sainlc-Cioix de Lii'fto.

19.

?i.-I)<nnf de Novon.

liN l'MlANCIi ET lv\ lltl/ilutli:. H,'!

l)olisei', (lit-oii, dans lit tour moins élevée, le i)onvoii* tcni- ])orel, vt dans la tour la [dus haute, lu i)uissan('e spiritucdlc. On trouve des tours roniano-ogivales jieeonij)agnant des édi- fices de style postérieur : cela provient de ce que, lors(|irnn reconstruisait n\\^'. éfilisc, on laissait souvent sidisislci' Taii- cieu clocher ])ar niotit" (réc()noiiii(\

Colonnes. Ja's piliers sont cantonnés d'un ^laiid noinbnî de fûts (pii se détachent du massif on ils m', sont en- Lij'agés (|iu; d'un tiers environ. (îomnu^ à réj)0([iie |)récé(h'nte, ils sont souvent décorés d(ï divers oi'iiements. (^iiel(|ues-uns sont entourés, de distancer en distance, de UKadures ioikU's en formes d'ainieaux, ([ui leur font doiUHîr le nom dacolonncs ainwlécs. Dans (juelques provinces, la réunion des colonnettes en faisceau ne se produi- sit que vers le milieu du XI F" siècle, et les angles saillants qui séparent les l'ûts annelés furent gra- cieusement" oniemiaités. J^es angles de la ]>lintli(; offrent aussi, de I I ."JO à lîi.'JO, un(! {((dite d(''- coration (|u"oii nonim(; pdllc ou ;ji'i/l'''. Les r.o- loniies isolées em[)loyées comme piles (flf/. tiOj sont usitées dans les pio- '^''

vinces survécurent le ))liis longtem])S l(;s traditions ronuiines. On les taillait au tour, selon la iiK-thode antique.

414 PRÉCIS DE I/UISTOIRE DE l'aRT CHRÉTIEN.

Chapiteaux. Ils présentent une étonnante variété et parfois nne grande perfection. Les chapiteaux historiés per- sistent jusqu'à La lin du XIP siècle dans le Poitou, le Berry, la Bourgogne, l'Aquitaine et l'Auvergne (/?//. 21 et 22). Dans

y^

21.

22.

le nord de la France, les figures de chapiteaux sont rares et n'ont plus d'autre but que de remplacer les volutes aux angles des tailloirs. Dans la plupart des monuments de tran- sition, la corbeille, qui rappelle souvent le galbe corynthien, se tapisse de feuillages profondément fouillés qui n'ont pas toujours leur type dans la flore indigène. On voit souvent reproduites des feuilles plates appartenant aux plantes mo- nocotylédones dont les différents genres se rencontrent dans les eaux et les endroits marécageux. C'est le commencement de l'imitation de la nature végétale qui doit tant influencer l'art du XII? siècle.

EN I-llA.NCE ET EN DEÎ.CilnUE. 11.")

Les tiiilloirs sont tantôt épais et massifs {fig. !25) et tantôt d'une médiocre dimension {fig. 24). On en voit parfois deux

t2'l

24.

superposés Tun à l'autre, et dont le second se projette en saillie.

Arcades. Elles acquièrent un surliaussement considé- rable. L'ogive employée souvent, à cette époque, dans les arcades, reste décorée de moulures romanes et se combine avec des pleins-cintres. La plus ancienne forme de l'ogive n'est môme qu'un plein-cintre brisé, c'est-à-dire qui pré- sente à son sommet un angle à peine sensible, tandis que l'o- give à lancette qui règne au XIII" siècle et qui api)araît même dès le milieu du XIP siècle en certaines contrées, est formée par deux arcs qui ont chacun leur centre en dehors du contour de l'arc qui lui est opposé.

Des arcades cintrées, surhaussées ou ogivales sont simu- lées sur le nu des murs, à l'intérieur des églises. Dans le

416 PRÉCIS DE l'histoire de l'art chrétien

Midi, le cintre domine presqu'exclusivement, on voit des arcades semi circulaires reposant sur des consoles qui rap- pellent tout à fait l'ornementation romaine. Cette reproduc- tion des formes antiques n'est qu'exceptionnelle dans le Nord de la France (les Minimes, à Compiègne).

Les arcades sont souvent géminées et même ternées {/îg. 25). On en voit de mitre es [fiy. 27), comme au siècle précédent, dans le Nivernais et l'Auvergne. C'est assez im- proprement qu'on range parmi les arcades cette forme pri- mitive que les Anglais appellent arc rampanl^ et qu'il vau- drait mieux appeler arc angulaire^ puisqu'elle consiste dans la juxta-position de deux angles droits.

25.

27.

Voûtes. Les voûtes ogivales en arête sont employées presque partout. Elles sont renforcées d'arcs diagonaux juxta-posés à la voûte et prenant leur point d'appui, comme les arcs doubleaux, sur le tailloir des chapiteaux et parfois sur des culs-de-larapes ifig. 26) en saillie sur le nu du mur. La croix qui divise la voûte en quatre compartiments est resserrée ou écartée, formée uniquement de deux arcs diago- naux ou traversée à son intersection par un doubleau inter- calaire, pourvue ou non de formerets, embrassant une seule ou bien deux travées. Ce système des arcs en croix, inconnu des Komains et des Byzantins, est le principe du système

EN FRANCE ET EN IVELaïU'JE- 417

Ogival qui doit se développer plus tard. Il s'était révélé dans la seconde moitié du siècle précédent : les croisées d'ogive apparaissent en 1059 à l'église de Bosclierville, en 10()7 à Saint-Martin des Chamj)s, à Paris. Mais la routine et l'im- puissance empêchèrent l'adoption générale de ce système, qui ne devint universel, du moins pour les grandes nets et les transsepts, qu'au milieu du XIP siècle.

Les arcs doubleaux, au lieu d'être rectangulaires, se pro- filent souvent sous la forme d'un gros boudin. Les clefs de voûtes commencent à être ciselées avec soin ; elles figurent des rosaces, des animaux, des personnages, des feuillages, etc. Nous devons faire remarquer que, à cette époque, on voûta beaucoup des églises des siècles précédents , soit parce qu'elles n'avaient été que plafonnées, soit parce que leurs voûtes primitives, produit d'un art encore en enfance, s'é- taient promptement écroulées.

Ornements. Les principaux ornements de la période romano-ogivale sont les zig-zags, les frettes, les dents de scie, les étoiles, les pointes de diamant, les ?Kittes {fig. 28), les

28.

29.

30.

31.

32.

festons, les perles [fig. 29), les dentelles, les violettes {fig. 50 1, les rinceaux, les bandelettes [fig. ù\), les arabesques, les en- roulements, les entrelacs [fig. 52j, les arcades simulées, etc.

il8 PRÉCIS DE L'ilIàTOlRE DE l'aRT CHRÉTIEN

On commence à rencontrer, snrtout h la fin de cette époque, des fleurons, des Irois-feiiilks, des quatre- feuilles^ etc.

Les statues adossées sur les murs sont protégées contre la pluie par un dais richement décoré, en ibrme d'édicule (/?</. 35). Les petits monuments qui y sont figurés reproduisent en général une forme architecturale d'un style antérieur à l'époque le dais a été construit. Les artistes variaient les dessins des dais réunis dans un même portail. Là, comme dans les chapiteaux, ils s'ingéniaient à éviter l'uiuformité. Les culs-de-lampes ou consoles {fig. 34) qui servent de supports aux statues sont également sculptées avec une grande richesse.

Géographie des styles. L'influence byzantine est beaucoup plus grande dans le Midi et le Périgord que dans le Nord de la France. Elle est presque nulle en Bretagne et en Normandie. L'ogive se montre rarement dans l'Est et le Midi, qui conservent la plupart des caractères architectoniques du siècle précédent, mais avec une plus grande perfection de détails.

Belgique. L'art flamand s'inspire tout à la fois des écoles qui régnent sur les bords du Rhin, de la Moselle et de la Meuse, et de l'influence orientale. Le type du XP siècle persévère longtemps dans les contrées situées à droite de la Meuse. La coupole a})paraît pour la première -fois en Belgique à Notre-Dame de Ruremonde, On remarque dans les Flandres le commencement des appareils en briques.

Nord de la France. C'est en Picardie que le style à

34.

EN FRANCK ET EN BELGIQUE. il 9

Ogives nous semble avoir pris son premier développement ; il apparaît bientôt après tlans l'Ile-de-France, la Champagne, la Lorraine, l'Orléanais, etc. Vers le milieu du XIP siècle, les voûtes en berceau sont remplacées, pour les grandes nefs, par des voûtes d'arête. Abandon des chapiteaux historiés. Rareté des statues. Sobriété et correction dans les décorations murales. Les rapports de la Picardie avec les bords du Rhin introduisent dans cette province quelques dis- positions d'origine étrangère (transsepts circulaires de Sois- sons et de Noyon ; plan en forme de croix de Lorraine, à Saint-Quentin). Sur les bords de l'Oise, grande finesse dans les profils; quelques colonnes engagées, au lieu d'être cylindriques, présentent la forme d'une arête.

Normandie. Tours carrées, fort élevées, couronnées de hautes pyramides. Les angles saillants qui séparent les co- lonnes sont ornementés. Infériorité artistique par rapport au Midi, surtout pour la statuaire. Fréquence des zig-zags et desfrettes.

Périgord et Angoumois. Églises à coupole qui se mo- dulent plus ou moins sur Saint-Front de Périgueux.

Poitou., Anjou, Saintonge. Grande richesse d'ornements qui sembleraient inspirés par les tapis fabriqués en Perse dont on décorait alors les églises. Quelques monuments, à coupoles.

Bretagne. Porte principale à double arceau soutenu par de simples pieds-droits. Tour carrée élevée au centre. La transition ne s'y produit qu'après la première moitié du XIP siècle.

Auvergne. Triphorium à arcades multilobées. Portails et archivoltes lisses. Rareté des bas-reliefs et des statues. Tours peu élevées. Contreforts rares. Pas de colonnes en faisceau. Absence de zig-zags et de frettes cannelées. Mar-

520 TRÉCIS DE l'histoire DE l'aUT CHRÉTIEN

queteiies en pierres de couleur, moulures en damiers. Beaucoup de monuments sont construits par une confrérie de maçons qui s'appelaient les Logeurs du bon Dieu.

Bords du Rhin. Les contreforts ne sont que de simples pilastres peu épais, s'élevant jusqu'à la corniche du toit : on leur doiHie le nom de bandes lombardes. Portail occidental remplacé par une abside. Tours nombreuses avec fronton triangulaire; arcatures prodiguées au couronnement. Fréquence des corbeilles godronnées et cubiques.

Lyonnais, Bourgogne, Bourbonnais. Régularité du plan, élégance des galbes, correction des détails. Pas d'ogives. Contreforts en bandes lombardes, sans retraits en larmier. Pilastres cannelés. Bases et chapiteaux ifty. 55 et 06) qui conservent quelque souvenir de l'antique.

36.

Guyenne et Gascogne. Elégance des formes sculpturales. Pas de losanges, de tores rompus, de méandres. Lignes aj*- rondies et gracieuses. Abside triangulaire des chapelles, dont l'intérieur est pourtant circulaire. Eeproduction des formes antiques. Fidélité au plein-cintre.

Languedoc, Provence et Dauphiné. Contreforts en bandes lombardes. Corniches soutenues par de véritables con- soles, comme dans l'ordre corinthien. Appareil d'ornemen- tation formé de marbres polychromes. Perfection des parties sculptées. Dcî? figiu-es naturelles ou fantastiques accom-

EN FRANCIS ET EX BELGIQUE. i^l

piigiient les rinceaux et les feuillages. Sur le littoral uiéditérannéen, les villes avaient des relations directes îivec rOrieut, riulluence byzantine se révèle par des al)sides à pans coupés, des arcatures plates décorant les murs, des moulures coniplicpiéeS;, des feuillages aigus et dentelés.

Exemples du style romano-ogival. « Le plus beau monument d'architecture de l'épocpie de transition , dit ^1. I). Kamée, le plus grand et le plus complet;, c'est l'an- cienne cathédrale de Noyon. Elle se compose de trois nefs, de deux transsepts dont les faces septentrionale et méridio- nale sont circulaires, d'un chœur circulaire autour durjuel j-ayonnent cinq chapelles également circulaires. Sur chacune des faces orientales des transsepts, il existe un porche. A l'ouest, on entre dans l'église Notre-Dame par trois portes précédées d'un porche qui a été ajouté au XI V^ siècle. Le portail est flanqué de deux tours énormes d'apparence impo- sante et massive. Quatre escaliers commodes, clairs et spa- cieux, conduisent au magnifique triphorium ou tribunes (lu premier étage, dont les ouvertures sur la nef se composent d'une grande arcade à ogive divisée par une colonne qui supporte un côté des deux autres ogives; la nef est formée de [)iliers carrés, flanqués de fines colonnettes et de colonnes ciselées supportant des arcs à ogive. Les colonnettes du chœur, qui s'élèvent au nombre de trois au-dessus des cha- piteaux de chaque colonne du rez-de-chaussée et qui s'é- lancent jusqu'à la naissance de la voûte, ont sept anne- lures.... Le chevet penche à droite.... L'ornementation est rare dans cette église : elle ne se montre qu'aux chapiteaux et à quelques consoles du chœur. Tous les chapiteaux de la partie qui date du XIP siècle sont composés de feuillages formés de plantes grasses, de feuilles exotiques. Notre-Dame de Noyon est peut-être le monument religieux l'ogive se

i2'2 l'HKCis DE l'iii3to;rk de i/art chrétien

trouve niclée an plein-ciiitre de la manière la plus pronon- cée, la plus extraordinaire, la plus énigmaticpie. »

Notre-Dame de Poitiers {pg. 37) contraste vivement avec Notre-Dame de Noyon par la surabondance des reliefs et la

37.

richesse de la partie décorative. Au-dessus de ses trois por- tails régnent deux étages de galeries. L'ogive n'apparaît qu'aux portails latéraux ; partout ailleurs, c'est le plein- cintre qui règne exclusivement.

L'église de l'ancien prieuré de Saint-Leu d'Esserent (Oise) appartient au siècle précédent par sa fondation (1080), mais sa façade, le chœur et les trois tours sont du style de transi-

EN FRANXE ET EN TiEI.GIOCE. 4^;j

tion. Le cliœur est flanqué de deux tours carrées et garni de cinq chapelles. Au-dessus du porche est une vaste salle qui servait jadis de bibliothèque au prieuré. On connaît peu d'exemples de cette curieuse disposition.

L'église Saint-Quentin [fuj. 58), à Tournai, n'a qu'une seule nef dont le côté droit n'est éclairé par aucun jour. La façade est d'une grande simplicité : une porte romane, deux étages superposés de trois arcades ogivales, deux tourelles rondes couvertes d'une flèche eu bois.

.38.

Le portail central de Saint-Pierre de Roye offre trois archi- voltes en retraite ogivo-romanes. La première se compose de deux rangs de chevrons brisés, l'un en creux, l'autre en relief; la deuxième, de monstres fantastiques d'une concep-

424 TRÉcis DE l'histoire de l'art chrétien

tioii riche et variée ; ils sont séparés par des circonférences en creux , dans le centre desquelles s'enfoncent deux têtes de clous accolées. Une guirlande de cintres intersectés se glisse entre ces deux voussures. Sur la troisième se profile un cordon de crosses végétales. Les chapitaux sont fort re- marquables : ce sont des oiseaux qui, bec contre bec, boivent dans la même coupe, des bandelettes croisées, des enroulements, des entrelacs, etc. L'archivolte se compose d'une plate-bande de crochets aifrontés et d'un cordon d'oves et de feuillages qui jadis se terminait par deux crapauds dont on ne voit plus que les pattes. Au haut du pignon se trouve une petite rosace dont les rayons partent d'un trèfle central aboutissant directement à la circonférence.

Les églises suivantes appartiennent, en tout ou en grande partie, au style romano-ogival :

Cathédrales de Laon, Tulle, Châlons-sur-Marne, Soissons, Langres, Autun, Angers, Vienne, Vaison, Senlis, etc.

Saint- Sauveur, à Bruges.

Saint-Bavon, àGand.

Saint-Martin, à Saint-ïron (Belgique).

Notre-Dame, à Châlons-sur-Marne.

Saint-Éloi, à Tracy-le-Val (Oise).

Saint-Martin, à Laon. .

Notre-Dame d'Etampes.

Saint-Sauveur, à Ne vers.

Saint-Martin, à Avallon.

Saint-Ours, à Loches.

Sainte-Trinité, à Laval.

Sainte-Croix, à la Charité-sur-Loire (Nièvre).

Sainte-Madeleine, à Troyes.

Sainte-Foy, à Conques (Aveyron).

Notre-Dame-de-la- Couture, au Mans.

EN l'ItANCK HT KiN llKl.dlnlM:. \-2l\

Siiiiit-Martin-tle-Sescas (Gironde).

Saint-Nazaire, à Carcassonne.

Saint-Sernin, à Toulouse.

Saint-lMiiurice, à Vienne.

Les églises de Saint-Loup et de Champeaux (Seine-et- Marne), de Fécamp (Seine-Inférieure), de Nantua (Ain), de Civray et de Parthenay-le-Vieux (Vienne), de Sainte-Croix, près d'Arles, de Beaulieu (Corrèze), de Beaune (Côte-d'Or) de Saint-Gilles (Gard), de Font-Gombaud (Lidre), de Paray- le-Monial (Saône-et-Loire), de ]\Iontréal (Yonne), etc

Monastères. Deux écoles arcliitecturales sont en pré- sence : celle de Cluny, qui admet la richesse dans l'orne- mentation, et celle de Citeaux, inspirée par saint Bernard qui proscrit le luxe dans la sculpture. Cette sévérité admet pourtant bien des exceptions, car les églises cistercieinios

39.

CloUic df Nivollc

de Longpont, de Foigny, de Vaux-Clair, sont décoi'ées avec une certaine maîïnificence.

31.

4:2(-) rtii^.cis de i.'iiistôiiU'; hk i/aist chrétien

On remarque deux dispositions particulières dans les églises de l'ordre de Cîteaux : le chevet est carré, pour évi- ter les frais qu'entraîne la construction des absides; quatre chapelles sont placées latéralement au sanctuaire et ont leur entrée dans les transsepts.

Les cloîtres étaient la partie habitée de l'abbaye l'ar- chitecture étalait le plus volontiers ses splendeurs. Nous donnons h la page précédente ffig. 59J le dessin du cloître de Nivelles (Belgique), qui a été récemment restauré.

Les cuisines abbatiales étaierit rondes, carrées ou octo- gones, à un ou plusieurs étages, et contenaient plusieurs cheminées ou fourneaux. Leur toit conique, hémisphérique ou octogone était terminé par une lanterne centrale qui laissait échapper les vapeurs de la cuisine.

Fanaux de cimetières et chapelles sépulcrales. On voit dans certains cimetières des édicules nommés fanaitx lampiers ou lanternes des morts, ayant la forme d'une tou- relle ou d'un pilier terminé par une lanterne de pierre dont les ouvertures regardent les quatre ])oints cardinaux. Ces colonnes cylindriques ou carrées sont ordinairement flanquées de colonnettes engagées et surmontées d'une croix. Un flam- beau nocturne allumé dans la lanterne conviait les fidèles à prier pour les morts. Ces fanaux pouvaient accessoirement servir de phare indicateur pour les voyageurs. Presque tous avaient à leur base un autel orienté se célébrait probablement la messe d'inhumation. La colonne de Fenioux (Charente-Liférieure) se compose de onze colonnes, engagées reposant sur un même socle [fig. 40). Les onze pe-j tits piliers carrés qui reposent sur l'architrave laissent entre] eux autant d'intervalles par on apercevait la lumière qu'on y mettait pendant la nuit.

Les chapelles sépulcrales avaient la même destination que

Ki\ rn.VNi.K ET EN r.Ki.(ji(,)( E. ' ii.1

les colonnes creuses et pouviiient, en outre, servir :i diverses cérémonies mortuaires. Elles ont ordinairement la forme

40.

rVune tour circulaire à plusieurs étages dont le toit est sur- monté d'un fanal. Elles étaient souvent dédiées à saint Mi- chel, parce que cet archange doit remplir un rôle important au jugement dernier. La chapelle des morts de Montmorillon est remarquable par la bizarrerie de ses sculptures ; l'extérieur est entièrement roman et l'intérieur est tout ogival, La crypte paraît avoir servi de charnier dans l'origine. Ce petit monument, aujourd'hui dépourvu de sa lanterne sépulcrale, faisait jadis partie du cimetière de la Maison-Dieu .

J. CORBLET.

\Ln suite à un prochain miinéro.

RECHERCHES

Sur la Vie et rOEuvre de Jean Bellegambe, peintre douaisien du XVI siècle-

I.

Tous les artistes et les voyageurs qui ont visité le Nord de la Frauce, ont vu et admiré dans la ville de Douai, en l'une des salles de la sacristie de l'église Notre-Dame, le ta- bleau connu sous le nom de Retable d'Anchin . Nul d'entr'eux n'a pu oublier cet immense polyptyque et ses neuf pan- neaux dont les 254 personnages, dispersés au sein de frais paysages ou sous de magnifiques constructions architectu- rales, représentent, sur la face extérieure, toute la terre vé- nérant la Croix, et, sur la face intérieure, tout le ciel adorant la sainte Trinité ; nul d'entr'eux n'a pu oublier la curieuse histoire de ce retable, exécuté au XVP siècle, pour dora Charles Coguin, abbé d'Anchin, conservé jusqu'à la Révolu- tion sur le grand autel ou dans la trésorerie de cette abbaye, jeté par les vandales de 95 dans les greniers du Musée de Douai, séparé en plusieurs fragments qui furent cédés, ven- dus à vil prix et dispersés en diverses mains, et enfin heu- reusement retrouvé et reconstitué, grâce au zèle et aux sacri-

HECHKUCUES SUU JliAN liED.EGA.MHi;. .'(>2!l

iicL'S tlii tluctcur EsGciUier qui, à sa mort, le légua ;i l'église Notre-Diime. Lougtemps ce clief-d'œuvre avait été altribué à Meralinc; une étude, publiée dans les Mr moires de la Socirlr d'agriculture, sciences et aris de Duuai et dans la Hecue de F Art chrétien, a complètement détruit cette opinion cpie i)ré- cédemment déjà l'on avait attacpiée ' . L'auteur de cette étude; avait ensuite prononcé, en hésitant, les noms de Jean Gos- saert de Maubeuge (Mabuse) et de Gérard liorenbault, quand l'un de ces hasards heureux, qui arrivent parfois aux travail- leurs, a levé enfin tous les doutes à cet égard et a donné à la France, à la Flandre, à la ville de Douai, un nom de ])lus à ajouter aux noms glorieux dont elles peuvent s'enorgueillir. Le 25 avril 1802, un érudit à qui l'histoire artistique de nos contrées doit plusieurs découvertes importantes, M. Al- phonse Wauters , le savant archiviste de la bibliothèque royale de Bruxelles, visitait de nouveau et plus que jamais admirait le retable d'Auchin ; et il se demandait, aussi avec hésitation, si Jeau de Maubeuge u'était pas l'auteur de ce chef-d'œuvre. Trois jours après, dans les riches archives qui sont confiées à ses soins, il trouva un manuscrit intitulé: Mémorial à MM. Vabbé et religieux d'Auchin pour satisfaire que M. le duc de Croy et d'Aerschott leur at requis par ses let- tres du 2S de décembre 1600, ensuite du commandement de Son Altesse sérénissime '. Eu feuilletant, en étudiant cet in-

'■ Mémoires de la Société Impériale d'agriculture, sciences et arts séant à Douai. Année 1858-1859. De l'.-irt chrétien en Flandre, par l'abbé C. De- haisnes. Etude sur le Retable d' Anchin, dans la Revue de V Jjt chrétien, 1860.

* Ce manuscrit est coté 7876. Il renferme trois copies du même travail ; la dernière est surchargée de corrections et constitue évidemment la rédaction primitive. Toutes les trois oiFrent, sans variantes, le passage dont je me sers ici. Une annotation reproduite à la fin de toutes trois porte qu'on les a coUa- tionnées, le 2 mars 1601, avec « le premier exemplaire. » (Note de M. \^'au- ters).

430 RFCHERCHF.S

ventaire, quelles ue fui'cnt pas sa surprise et sa juie de lire le passage suivant : " Les plus cxcpUentes pinctures sont de la <' table du r/rand aufel à doubles feu il letz^ peinturée par l'ex- «I cellrtit jjainfre Bf'hjdnihc. n

« Cette phrase, ajoute M. Wauters dans la brochure (pi'il a publiée pour rendre compte de sa découverte ', cette phrase, je crois, ne laisse aucun doute. Kédigéeparun moine de l'abbaye, cinquante-cinq ans seulement après la mort de l'abbé Cokin -, à une époque les traditions sur Bellegambe n'étaient pas encore eftacées, elle constitue un renseignement parfaitement authentique. Quoique le sujet du tableau n'y soit pas indiqué, deux circonstances attestent qu'il s'agit ici de notre polyptyque. On sait que ce dernier ornait jadis le maître-autel de l'église a])batiale. Le manuscrit rapporte en outre que le tableau de Bellegambe était à doubles volets; or, le polyptyque offre précisément cette disposition si rare. Charlemagne y étiuit représenté sous les traits de l'empereur Maximilien, mort en 1519, on pourrait supposer avec quel- que vraisemblance que Bellegambe peignit son tableau vers ce temps. D'un autre côté, l'abbé Charles Cokin, qui fit exécuter ce retable, n'exerça qu'en 1511 les fonctions d'abbé d'Anchin. La date probable de l'exécution serait donc de 15H à 1519 ^ ..

' Jean Bellegambe de Douai, le peintre du tableau polyptyque d'Anchin, par M. Alphonse Wauters. Bruxelles, Emm. Devroye , 1862. Br. in-8" de 22 pages.

- Charles Coguin de Saint-Aragon, coadjuteur de l'abbé d'Anchin en 1507, exerça les fonctions d'abbé en son propre nom de 1511 à 1546. Dom Fran- çois de Bar, qui écrivit peu d'années après la mort de cet abbé, l'appelle Coli'in alias Coguin et adopte ensuite ce dernier nom ; M. Escallier, dans son Histoire de l'abbaye d' Anchin,ei^\. Leglay,dans le Cameracum christianum, l'ont imité. Nous avons donc employé le nom de Coguin plutôt que celui de Cokin, que l'on trouve dans le manuscrit de Bruxelles.

■' Jean Bellegambe . par M Alph. Wauters, p. 14.

^1 R .IKA.N (IKI.I.LdAMIiK. /JiJl

La (.'itiitioii ciupriiiitée au inanuscrit de P.i iixcllcs et les observations jii(licienses dont l'a l'ait saivi'e Al. Wauters , établissent (jue .leaii lîelleganibe est raiiteni' du retable d'Aucliin ; mais toutefois, elles n'olfrent pas Tniie de ri;>i preuves irrét"utal)les, de ees démonstrations évidentes aux- quelles eliacnn doit néeessaireirient se rendi'e. Ijl/Kd'ijciti/ancc Ih'/(/(', en parlant, de la découverte du savant archiviste, avait semblé annonce]' nue sorte de contrat passé entre l'abbé d'Ancliin et le peintre, une pièce du commencement du XVP siècle revêtue de sii^natures; et le maïuiscrit d(; BiMixelles a (îté é(;rit ])lus de quatre-vingts ans après répo(pie assignée comme la date probable du tableau ; il ne reirièrme, an sujet du retable, que deux lignes qui, au premier abord, peuvent paraître peu explicites. Trompés en partie dans leur es[)oir, des es[)rits sérieux conservent encore quelques doutes sur le véritable auteur de la peinture j>ossédée par Téglise Notre- Dame. Ils se demandent si les deux lignes citées par M. Wau- ters s'appliquent nécessairement à ce tableau, si le retable du maître-autel d'Ancbin n'a point pu, aune époque quelconque, être ]*emplacé par une autre œuvre qui ne fût pas de Belle- gambe, si l'auteur du Méniurial, en citant ce dernier nom an commencement du XV^ll'' siècle, ne s'est pas appuyé sur une tradition vague et incertaine, et entin s'il est possible (jue le maitre qui a exécuté une œuvre aussi importante n'ait pas été connu jusqu'aujourd'hui dans le pays et dans la ville qui l'ont vu naître et travailler. Le savant archiviste de Bruxelles n'a point réfuté d'avance, dans sa 1)rochure, ces objections difterentes qui ont leur côté spécieux; quand même il les aurait prévues, il ne pouvait les détruire com- plètement, parce qu'il n'avait pas sous la main les documents qui peuvent servir à établir sa thèse. Les recherches parti- culières que nous avons faites depuis plusieurs années sur les

i'Si KKGUERGHES

manuscrits d'Aucliiii, l'étude comparative que nous avons établie entre ces manuscrits et celui de Bruxelles, le soin avec lequel nous avons suivi les publications relatives à Jean Bellegambe, l'examen attentif de toutes ses œuvres auquel nous nous sonnnes livrés de nouveau, tout cela nous permet de réfuter les objections qui ont été soulevées contre l'opinion de M. Wauters, de faire connaître jusqu'à un certain point la vie de Jean Bellegambe et de donner une idée de son œuvre et de son talent. Le peintre, les peintures nous ont semblé mériter une étude sérieuse : nous l'essayons.

II.

Au commencement du XVIP siècle, l'abbaye d'Anchin s'e- norgueillissait décompter au nombre de ses religieux le grand- prieur dom François de Bar, savant historien qui a laissé plusieurs ouvrages importants sur l'histoire ecclésiastique du nord de la France, et qui a parlé, dans plusieurs de ses écrits, de la question que nous traitons ici. François de Bar naquit en 1528, à Seizencourt, village situé aujourd'hui dans le département de l'Aisne, d'une famille noble alliée à celle de Charles Coguin, le commettant du retable conservé à Notre-Dame de Douai. Petit-neveu de ce célèbre abbé, il fut envoyé jeune encore dans le monastère d'Anchin ; comme il nous dit lui-même qu'il y étudia les belles-lettres, on peut supposer qu'il y entra avant l'âge de dix-huit ans, par consé- quent du vivant même de son grand-oncle qui mourut en 1 o i6; du moins son arrivée à l'abbaye fut postérieure de bien peu d'années, puisque, vers 1556, après qu'il y eut terminé ses études littéraires et théologiques, ses supérieurs l'envoyèrent passer quelques années à l'Université de Paris. Rentré au monastère d'Anchin, il y professa avec beaucoup de talent,

SI'U JEAN BEJ.LEtiAMBE. iS'.i

fut élevé, dès 157^, à la dignité de grand-[)rieiir et se distin- gua au milieu des afliiires les })lus difficiles par sa piété et ses vertus, ses talents et son lial)ileté. Les embarras suscités par les guerres qui désolaient la Flandre et le zèle qu'il apporta à mettre un terme aux troubles intérieurs du monastère cau- sés par l'indiscipline de quelques religieux et la faiblesse d'un abbé, ne purent le détourner de se livrer aux recherches les plus étendues et les plus actives sur l'histoire ecclésia- stique de la Flandre et de l'Artois. Dans les dix années qui précédèrent sa mort, ari-ivée le 25 mars 1(30(), il consigna par écrit, dans un grand nombre d'ouvrages, le résultat de ses longs travaux ; la bibliotlièt[ue publique de Douai possède encore aujourd'hui vingt forts volumes écrits de sa main qui contiennent l'histoire des évêchés de Cambrai, d'Arras, de Tournai, de Saint-Omer, de G and et des monastères de ces diocèses. Nul ouvrage- n'offre des renseignements aussi cer- tains et aussi étendus sur le nord de la France et le midi de la Belgique : bien que la grande Histoire de l'abbaye d'An- chin^ écrite par dom François de Bar en trois volumes in- folio, soit malheureusement perdue, le docteur Escallier, en se contentant le plus souvent de traduire ce qui nous reste de ce religieux, a pu donner au public sa curieuse et impor- tante Monographie de l'abbaye d'Anchin '.

En lisant dans la brochure de jM. AYauters que le Méinu- rial, qui désigne Jean Bellegambe connne l'auteur du retable de Notre-Dame, a été rédigé en l'an 1601, pour l'archiduc Albert, par un religieux de l'abbaye d'Anchin, nous nous sommes demandé si cet inventaire officiel, qui révèle dans son auteur une connaissance sérieuse de l'histoire du mo-

* François de Bar, Manuscrits de la Bibliothèque de Douai, n" 767, t. iii, 245 et passim. Foppews, Bihliotheca Belgica,a.u mot Franciscus de Bar. Escallier, V Ahhaye d' Jnchin, passim.

434 RECHERCUJiS

iiastère et de ses richesses artistiques et autres, ne pouvait pas être l'œuvre de raiinaliste d'Auchin, de l'érudit qui avait étudié tous les écrits et toutes les traditions, toutes les archives et tous les comptes de l'abbaye, du travailleur in- fatigable qui était, en cette môme année 1(301, occupé à écrire V Histoire d'Anchm^ en un mot du grand-prieur dom François de Bar. Désireux d'éclaircir nos doutes à cet égard, nous avons demandé à Bruxelles un fac-similé du manuscrit en question ; une communication bienveillante nous a en- voyé les lignes consacrées au retable d'Auchin dans la mi- nute même du Mémorial^ et à peine y avions-nous jeté les yeux^ que nous avons reconnu la main de l'historien d'Au- chin ; en comparant cki fac-similé avec les manuscrits mêmes de la bibliothèque de Douai et particulièrement avec les numéros 770 et 77 J qui ont été écrits l'un en 1599 et l'autre en 1601, et par conséquent à Fépoque oii le Mémorial a été rédigé, nous n'avons plus eu le moindre doute à cet égard, nous avons acquis la certitude que la minute du ma- nuscrit de Bruxelles est de la main de dom François de Bar. L'on comprendra facilement rinq)ortance de ce renseigne- ment qui complète la curieuse découverte de M. Wauters. L'on avait dit que l'inventaire dans lequel Jean Bellegambe est désigné comme l'auteur du retable d'Auchin était écrit par un religieux inconnu, qui sans doute n'avait point vécu sous Charles Coguin, qui avait indiqué un nom d'artiste peut-être au hasard, ou du moins peut-être d'après de vagues indications que s'étaient transmises quelques générations de religieux. Et voilà qu'aujourd'hui, par le curieux renseigne- ment que nous a fourni la comparaison de l'écriture du ma- nuscrit de Bruxelles avec celle des manuscrits de Douai, il est prouvé que la phrase du Mémorial a été écrite par l'au- teur des ouvrages les plus complets qui aient été composés sur

SIU JEAN BELLEGAMBE. i.Jo

l'histoire ecclésiustique de la Flandre, par un religieux qui a vécu plus de cinquante ans dans l'altbaye d'Anchin, qui y a exercé les fonctions de grand-prieur pendant plus de trente ■ans, qui a étudié d'une manière toute spéciale l'histoire de ce monastère qu'il avait écrite en trois volumes; petit-neveu de Charles Coguin, fier de cette parenté dont il parle avec com- jdaisance, plus fier encore des travaux de son grand-oncle, qu'il énumère longuement, ce religieux devait eonnaitre tous les détails relatifs aux ouvrages exécutés ])ar ordre de ce prélat protecteur des arts, et surtout ce (pu se rapportait au retable, œuvre qui avait coûté des sonnnes immenses et que l'on considérait comme le trésor du couvent ; enfin , reçu dans l'abbaye du vivant môme de Charles Coguin ou du moins peu d'années après sa mort, il avait vécu longtemps avec un grand nombre de religieux qui avaient vu travailler l'auteur du retable. L'on avait invoqué contre l'opinion de M. Wauters le silence de François de Bar en rappelant que ce savant annaliste d'Anchin avait dit, en parlant de la peinture du maitre-autel excellenter depictarum sans don- ner le nom de l'auteur, et voilà qu'aujourd'hui il est prouvé que la minute du manuscrit de Bruxelles, dans lequel on lit le nom de Jean Bellegambe, a été rédigée par dom François de Bar lui-même. Rien n'est plus curieux, mais surtout rien n'est plus concluant que l'argument fourni par la comparai- son de l'écriture des deux manuscrits : à part la signature de Jean Bellegambe ou celle de Charles Coguin, aucun témoi- gnage ne pouvait être plus solide que celui du savant anna- liste d'Anchin. L'on ne peut donc mettre en doute l'authen- ticité et l'autorité de la phrase du Mémorial^ dans lequel on lit : « Les plus excellentes pinctures sont de la table du grand autel à doubles feuilletz , peinturée par l'excellent paintre Belgambe. »

436 RECllEHGHES

Mais, comme nous l'iivoiis déjà dit, l'on s'est demandé si cette phrase ne pouvait pas indiquer un retable autre que le tableau polyptyque que possède l'église Notre-Dame. Une étude sérieuse de deux passages des manuscrits de François, de Bar conservés à Douai et une comparaison attentive de ces deux passages avec la phrase du manuscrit conservé à Bruxelles démontrent de la manière la plus évidente que dans les deux manuscrits il est question du même tableau. Dans son Historia episcopatus Atrebatensis^ ouvrage écrit en 1599, François de Bar, racontant en abrégé la vie de tous les abbés d'Anchin, parle en deux endroits différents du re- table qui ornait le maître-autel de l'église abbatiale. Il dit dans les lignes consacrées à l'abbé Guillaume Brunel : « Le «^ retable d'argent et de vermeil du maitre-autel fut enfermé « dans une immense custode en bois, que plus tard Charles « Coguin agrandit avec beaucoup de magnificence, en la fai- « sant artistement orner de peintures et de découpures à « jours'. » Et ailleurs en parlant de l'abbé Coguin lui-même: « Il fit recouvrir le retable d'argent et de vermeil au moyen <• du tableau du maître-autel qui ofi're deux volets tournant « sur gonds ; cette peinture exécutée par un artiste excellent « coûta des sommes immenses ^. »

' Summi altaris tabulam argenteam ac auro tectam capsà ingenti inclusi quara Carolus Coguin postmodum quam ditissime auxit picturis ac fenestiis iugeniose distinctain. François de Bah, Historia episcopatus Atrehatensis , t. III, p. 198, 767 des mss. de la bibl. de Douai. Sur le maître-autel de l'église de l'abbaye se trouvait un magnifique retable en argent, doré avec le plus grand soin, exécuté au XIII'' siècle par un religieux d'Anchin. C'est pour recouvrir ce retable qu'on plaça une custode en bois au-dessus de l'autel. Dom Charles Coguin voulut embellir et cacher cette custode au moyen de peintures ; et c'est pour cela qu'il fit exécuter le retable aujourd'hui conservé à Notre-Dame.

* Duplici quoque tabularum summi altaris revolutione excellenter depicta- rum cingi mensam argenteam ac deauratam incredibili sumptu fccit. Fran- çois DE Bah. Même manuscrit, p. 21(3.

SIU JKAN BKI.I.KCAiMlii:. i.;n

C'est (lu retable .'miourcrhui cunservé ii N()tre-l)aine (ju'il est question clans ces deux passages de Francjois de Bar : en effet, ce retable provient d'Anchin, puisqu'on y trouve les armes de l'abbaye, son église avec son portique roman et ses quatre clochers, son entrée principale avec ses trois portes surmontées de plusieurs fenêtres accouplées auxquelles con- duit un escalier de pierre; il a été exécuté par ordre de dom Charles Cogiiin , puisque l'on y voit le portrait, le patron et les armes de cet abbé, armes, patron et portrait qui rap- pellent presque exactement une miniature du 1125 des manuscrits de la bibliothèque de Douai, enluminé par ordre du même prélat. Un examen sérieux et détaillé du retable conduit au même résultat: en faisant tourner sur leurs gonds les volets mobiles, on retrouve cette disposition exceptionnelle si bien décrite par François de Bar dans les mots diiplici tabiilarum revolutione ; et c'est bien à ces neuf immenses pan- neaux, exécutés avec le fini le plus parfait, que l'on peut appliquer ces autres paroles du même auteur : incredibili sumptu fecit. Rappelons d'ailleurs que, loin d'inventer ces arguments pour le besoin de notre thèse, nous ne faisons que suivre en cela l'opinion de M. Escallier qui s'appuyait non- seulement sur les raisons que nous venons de développer, mais aussi sur les traditions qu'il avait recueillies de plusieurs prêtres, anciens religieux de l'abbaye d'Anchin ' . Ces preuves suffisent, nous l'espérons du moins, pour démontrer à nos lecteurs que les deux passages du manuscrit de Douai sont relatifs au tableau aujourd'hui conservé à Notre-Dame. Or, en comparant le texte de ces passages aux deux lignes trou- vées par M. Wauters, l'on est amené à conclure que dans les deux ouvrages François de Bar parle de la même peinture.

' EscAF.LiKR, r Ahhnyc d'Anchin. p. 246.

.i.:.{8 UECllEI'.illlES

En effet, dans le manuscrit de Bruxelles comme dans celui de Douai, il est question d'un retable possédé à la fin du XVP siècle par l'abbaye d'Ancliin; ce retable est désigné ici par les mots à doubles femlletz^ et par diiplici tabularum revolutioney expressions qui témoignent d'une disposition à la fois identique et tout exceptionnelle ; il est pla,cé au même endroit, sur le maître-autel, puisqu'on lit d'un côté la lable du grand aulel et de l'autre sunimi alla ris tabulam, îabulamnt summi altaris; enfin François de Bar dit ici pinrturée par l'excellent peinlre, et eoccellenter depiclarum. Il y a tant de rapports entre le texte des deux manuscrits, queTon pour- rait croire qu'en l'an 160] , dans le Mémorial qu'il a envoyé à Bruxelles, l'annaliste d'Anchin n'a fait que traduire en français le texte latin qu'il avait écrit deux ans auparavant, en 1509, dans le manuscrit aujourd'hui conservé à Douai. Ainsi donc, tout démontre que dans ces deux écrits difi'érents, il est question de la même peinture. Nous avons prouvé plus haut que le tableau conservé à Notre-Dame est aussi le même que celui du manuscrit de Douai : deux choses semblables à une troisième sont seml)lables entre elles, comme disent les mathématiciens ; donc le retable dont il est parlé dans le ma- nuscrit signalé par M. Wauters, est bien celui qui a été retrouvé par M. Escallier ; donc l'auteur du retable d'Anchin est V excellent peintre Belgambe.

Les preuves que nous venons de développer contiennent la réfutation de toutes les autres objections qui avaient été sou- levées. L'on avait parlé du silence de François de Bar, et c'est François de Bar lui-même qui a écrit de sa main les lignes dans lesquelles se lit le nom du vieux maître douai- sien. L'on avait dit que cette indication était due à un reli- gieux inconnu, qui n'oflrait aucune garantie de véracité ; et le Mémorial a été rédigé par l'annaliste du monastère, par le

SI II lEAN lîKI.I.KdA.MrtE. .{HW

[tins saviint (le sos liistoriens. L'on i^'était (IcinaïKlé si le re- table n'avait pas été remplacé par lui autre ; et François de Bar nous dit qu>.n 1601 la peinture exécutée par Bellegauibe pour sou grand oncle Charles Coguin se trouvait sur le maître-autel de l'abbaye; d'un autre côté, aujourd'hui encore nous voyons les armes du même Charles Coguin sur le tableau qui, jusqu'au siècle dernier, a orné le même maitre-autel. A ceux qui ont trouvé étonnant que Jean Bellegambe, s'il est réellement l'auteur du tableau polyptyque conservé à Notre- Dame, ait pu jusqu'aujourd'hui rester inconnu, et rester inconnu dans le pays et dans la ville il est né, il a tra- vaillé, nous répondrons en demandant si la naissance et la vie de l'auteur de la Châsse de saiiUe Ursule sont connues depuis longtemps à Bruges; si, même de nos jours, elles sont dégagées des fables et des légendes "dont on les avait entou- rées. Du reste, en parlant de Jean Bellegambe, nous allons prouver que ce vieux maître a joui d'une grande réputation dans sa patrie et même au-delà des monts.

III

Située non loin des cités qui ont vu naître et travailler les Van Eyck, Van der Weyden et Memlinc, habitée par de nobles familles et par une riche bourgeoisie qui entretenait des relations commerciales avec la Flandre, renfermant dans son enceinte beaucoup d'églises et plusieurs maisons reli- gieuses, entourée de riches et puissantes abbayes, la ville de Douai dut nécessairement ressentir le mouvement artistique que les vieux maîtres flamands imprimèrent à leur })ays d'abord, puis à toute l'Europe. Un érudit, à qui les recher- ches les plus minutieuses ne coûtent rien quand il s'agit de

440 l'.IOCllEHC.IlKS

l'histoire de sîi cité natale, M. A. Preux, eu a trouvé les preuves les plus évidentes dans les riches archives de cette ville ' . Le plus ancien peintre de Douai que l'on connaisse est Colart Talon, qui fut reçu bourgeois en 1 422. Nous trou- vons ensuite Nicaise de Cambray, à Villers-au-Tertre, qui fut admis au nombre des citoyens de la même ville le i 5 juillet 1445, et qui est qualifié du nom de peintre dans un compte présenté au duc de Bourgogne en 1448 ou 1449 ; ses enfants, Simonnet etGoddefrin, exercent la même profession; le premier peignait à Lille en 1 4o5; et c'est probablement à la même famille qu'il faut l'attacher Jean de Cambray qui, avec plusieurs autres peintres et ouvriers de Douai, Arras et Cambrai, fut appelé pour travailler à Bruges en 1468. En 1 450, mourait à Douai Jehan Lefebvre, entailleur (sculpteur), qui donna à l'église Sainl-Pierre, pour être placée en face de sa tombe, sur une mnpri.sc qui s'y trouvait, une statue de la Vierge dorée de fin or bnmi. Un autre peintre douaisien, Jehan Gossuin, revint, le 29 octobre 1 484, acquérir la bour- geoisie dans sa ville natale; sa femme était de Courtray, et l'on peut supposer qu'il contracta cette union, en allant étudier sous les grands maîtres de la Flandre flamande. Citons encore Guillaume Coustelier, qui vivait à la fin du XV et au commencement du XVI" siècle, à l'époque florissait maître Jehan Bellegambe.

Ces noms qui forment une suite non interrompue de pein- M très depuis le commencement du XV^ siècle, prouvent qu'il

' Tout ce que nous donnons sur les peintres douaisiens qui ont précédé Bellegambe est emprunté à un travail publié par M. A. Preux dans les Sou- venirs de la Flandre u-allonne (année 1862, p 23 à 3.3). Nous i appellerons ici, comme M. Preux l'a lait aussi, que nous avions parlé des anciens peintres de Douai dans VArt cJiréllen en Flandre (p. 238), en ne citant toutefois au XVe siècle que les noms des artistes de la famille de Canihraij (C D.)

SUR JEAN BELLKGAMBK. 411

y avait à Douai une tradition aTtistii|ue (|ui se jierpétuaii de génération en génération, Mallieiireusement, les notes nécessairement arides et incomplètes du registre cutx bourgeois ne donnent que la profession de ces artistes, sans même nous apprendre s'ils étaient autre chose que des peintres de décors et d'armoiries. ]\Iais en lisant, dans plusieurs testaments, que des statues et des vitraux doivent être placés près des tombes ; en voyant, dans nos historiens les plus anciens, qu'il existait dans les églises de Douai un grand nombre de vieux tableaux ; en se rappelant qu'un bourgeois de notre ville, Guérard Duhem, veut sur sa tombe ung épilaphe ou tableau oh il soit paint V image de la Vierge Marie tenant son petit enfant Jésus j, et un angele qui présentera à ladite sainte Vierge la représentation du testateur avec les représentatiom< de défunte Marguerite de Haucourt (pti fut sa femme et de ses trois filles quil a eu d'elle ' ; en se rappelant tout cela, l'on se dit qu'il y a eu certainement à Douai plusieurs peintres dignes du nom d'artistes; l'on se croit autorisé à répéter avec les Souvenirs de la Flandre wallonne, qu'autour de Nicaise de Cambray et de ses fils durent se grouper un certain nombre d'élèves.

De tous ces peintres, le plus célèbre aujourd'hui, celui sur qui la découverte de M. Wauters attire principalement l'at- tention de tous ceux qui s'occupent de l'histoire de l'art, est maître Jean Bellegambe, Les archives de la ville offrent des noms de cette famille dans les premières années du XV siècle. Le père de l'auteur du retable se nommait Georges ; cayelier ou fabricant de chaises de profession, il était aussi ménétrier, et c'est sans doute en cette dernière qualité qu'il fut nommé à plusieurs reprises maire de la confrérie de Notre-Dame du Joyel. Jean, l'uiûquefils, issu de son premier

A. PiiKUx, Souvenirs dota Flandre Wat tonne, p. 83.

TOME VI, 32

ÂA^ hei;heiigiies

mariage, naquit pr(>l);il)lement vers 1470; les détails que les archives de la ville fournissent sur sa vie sont malheureuse- ment bien incomplets; le registre aux testaments nous ap- prend qu'en 1521 il comparut devant les échevins comme exécuteur testamentaire de sa sœur Guillemette ; dans cette pièce il est appelé maître Jehan BeUegamhe, paintre, ainsi que dans un registre aux actes qui nous lait connaître qu'en 1S31 , il vendit à un autre bourgeois de Douai, pour la somme de 2,000 livres parisis, une maison faisant toucquet des rues de la Clauerye et de la Saunerye ' . Les passages de ces deux registres, cités par M. Preux, ont une importance considé- rable pour déterminer plusieurs circonstances de la vie de Jean Bellegambe : en effet, la première nous apprend d'abord qu'il était à Douai en 1521 , qu'il a\ait à cette époque cinq enfants vivants, Philippe, Martin, Mariette, Catherine et Poline, et que sa sœur possédait des tableaux et des manu- scrits sans doute peints par son frère ; la seconde nous le montre, en 1531, bourgeois de Douai et possesseur d'une maison qu'il vend à un prix élevé pour l'époque. Ces détails sont curieux et intéressants ; mais malheureusement ils sont inconq)lets, et l'on n'a encore rien découvert sur ce qu'il y a de plus important dans la vie d'un peintre, sur les maîtres, les études, les voyages de Jean Bellegambe; espérons que de nouvelles recherches aboutiront à nous faire mieux con- naître sa physionomie artistique. Ajoutons que le portrait de l'auteur du retable d'Anchin se voit dans un recueil de dessins qui se trouve à la bibliothèque d'Arras " : les traits

* Tous ces détails sont empruntés à la brochure de M. A. Preux : Résur- rection d'un grand artiste, Jehan Bellegambe de Douai, in-8°. Douai, War- telle, 1862, p. 9 à il.

* Bibliothèque d'Arras. Manuscrits n" 266, f. 280. Ce portrait a été indi- qué par plusieurs auteurs. Un fac-similé en a été reproduit dans les Souve- nirs de la Flandre ical tonne. Juin 1862.

S1!M .lEAN BELLEGAMIilî. 413

(lu peintre ont quelque chose d'irrégulier et de coninnin; des cheveux longs et plats encadrent sa figure; la petite toque coquettement posée sur sa tête et le surtout léger dont il est revêtu, semblent être son costume d'atelier; à en juger par les yeux, par la position de la tête et de la main droite, nous sommes portés à croire que l'artiste s'est peint dans cette attitude ; ce serait d'après son tableau, que le dessin conservé à Arras aurait été calqué par une main dont l'inexpérience se révèle par une certaine indécision ; au ])as il est écrit en caractères delà première moitié du XVP siècle : Maistre Jehan, Bellcgamhe, paintre excellent ; ce portrait précède immédia- tement celui de Raphaël.

Voilà tout ce que l'on sait aujourd'hui sur l'un des plus grands artistes de l'école flamande primitive; l'ingrate posté- l'ité a presque complètement oublié le peintre qui a exécuté le retable d'Anchin. Hâtons-nous d'ajouter que longtemps le nom de ce vieux maitre fut connu et admiré dans l'Italie, dans la Flandre et surtout dans sa ville natale. Guichardin,dans sa Description des Pays-Bas, écrite en i o60, le met au nombre des meilleurs peintres de la Flandre; Vasari fait de même dans ses Vies des Peintres qui parurent huit ans plus tard ' : ces deux écrivains, le dernier surtout, font autorité dans l'histoire de l'art. JMais c'est principalement à Douai que se conserva le souvenir de ce grand artiste ; trois passages d'auteurs différents cités par M. Preux en fourniront la preuve. Jean Frasneau de Lestoquoy dit dans un ouvrage imprimé à Douai en 1616, qui a pour titre : Jardin dlli/rer ou cabinet des fleurs :

' Vasaui, Opère, tome ii, page JlOO. Di divcisi artefici fianiminghi, sono anco stati famosi pittoii Giovanni Bcllagamba di Douai, Diiick d'Harlem, utc.

444 - HKCHERCHES

Peintre tlouisicn, le maistre des couleurs, Tu pourrais exercer Ion art avec les fleurs ; Le glaïeul fournirait ses diverses tainlures Pour te faire inventer des diverses painlures.

11 ajoute en note : ' C'était un paiiitre du surnom de Bel- gambe, paintre très-excellent duquel sont issus les Belgambe semblablement paintres ; il estoitdictle niaistre des couleurs, selon Guicardin, en la description des Pays-Bas, à raison de l'art qu'il avoit à composer et accoraoder les plus vives cou- leurs, surpassant, en ce regard, avec sa vivacité tous autres paintres. L'on voit encores pour le présent de ses paintures, encores qu'anciennes estre aussi vives en leurs couleurs que si elles estoient nouvellement faites et paintes. »

En 1607, un poète douaisien, Jacques Loys, disait en par- lant de Vaast Bellegambe, peintre qui descendait de l'auteur du retable :

Que maître aussi des couleurs l'on peut dire Comme l'ayeul que tout le monde admire '.

Et le Père Philippe Petit;, dans un ouvrage imprimé en 1655, après avoir parlé d'un tableau de Jean Bellegambe, faisait ainsi l'éloge de ce vieux maître : « Peintre autant es- timé que fut aucun dans ces XVII provinces, nommé com- munément le maistre des couleurs. Encor aujourd'huy la moindre pièce sortie de son pinceau est grandement re- cherchée '. »)

' Les Œvrres poéiiquea de Jacques jL(/*/s. Douai, Pierre Auioy, 1612, p 109. Fondations du couvent de Sainte-Croix, etc., recueillies par le R. P. Philippe Petit. Douai. V" -Mare. Wiyon, 1(35:3, p. l-li.

St R .lEAN BELLtGAMBE. -Uri

Rappelons de nouveau que François de Bar l'appelle juniiirc excellent dans le manuscrit de Bruxelles et que les mêmes expressions se lisent au bas du portrait conservé à Arras.

Plus tard, le vieux maître douaisien partagea le sort des Van Eyck, des Van derWeyden, des Memlinc, des Stuerbout et de tant d'autres grands artistes de l'école primitive : il fut oublié. Et même, tandis que l'on conservait quelques souvenirs vagues, on du moins le nom des maîtres de la Flandre flamande, on perdait complètement la mémoire de Jean Bellegambe : les histoires de peintres, écrites en Flandre, en France, ne le citaient plus; pendant la première moitié du XIX^ siècle, on n'avait conservé qu'imparfaitement le sou- venir de Jean Bellegambe. En 1859, son nom fut rappelé d'après Guichardin et les notes de M. Guilmot par l'auteur de VArt chrétien en Flandre '; et depuis quelque temps, M. A. Preux recherchait, dans les livres imprimés à Douai et dans les archives de la ville, tout ce qui pouvait concerner cet artiste douaisien, quand enfin l'heureuse découverte de M. Wauters a fait subitement sortir de l'obscurité le nom de celui que l'on avait appelé longtemps le maUre des couleurs, l'excellent peintre Jehan Bellegambe.

A. ASSELIN ET G. DEHAISNES. (La suite au prochain numéro.) ' L'Art chrétien en Flandre, par m. c. dehaisnes, p. 287.

BIBLIOGRAPHIE

HISTOIRE SIGILLAIRE DE LA VILLE DE SAINT -OMER, par

31 M. A. Hermawt et L. Deschamvs de Pas ; m-^° de 160 pages et 45 2)lançhes, Paris, 1861, prix -iO francs.

Le nom de sceau ou scel {sigillum] s'applique toujours aux em- preintes en cire, obtenues à l'aide d'une matrice gravée en creux et fixée au bas des actes pour assurer leur authenticité. A partir du XII* siècle, chaque juridiction, soit séculière, soit ecclésiasiique, eut son scel qui représenta d'abord la figure du seigneur ou du chef administratif et, plus tard, ses armoiries ou emblèmes qui finirent par être seuls employés.

Une histoire sigillaire, qu'elle concerne une ville, qu'elle regarde l'ensemble d'un État, otl're donc au moins autant d'intérêt qu'un recued numismatique. Aussi nettement et en plus grandes dimen- sions que le métal, la cire a conservé les images contemporaines d'une multitude de personnages qui, à diverses époques, illus- trèrent leur nom ou servirent efficacement leur patrie.

Remarquable par l'excellente conservation de ses archives muni- cipales auxquelles on a joint ce qui restait des archives du chapitre de Notre-Dame, la ville de Saint-Omer en particulier ouvrait à la science une mine féconde à exploiter. M. A. Hermand s'en aperçut, et, il y a 25 ans, commença l'ébauche du livre dont nous avons à rendre compte.

Une savante introduction (les sceaux et leur usage) initie le lecteur au but que Ton a voulu atteindre en composant l'ouvrage, divisé en deux parties. La première (administration civile) com-

HlliLIDGIlAl'llIE. 447

prend les sceaux de la cité, des châtelains, du haiilia^'e eldes bour- geois appartenant aux familles éclievinales; la seconde, tout ec- clésiastique, décrit les sceaux de l'église de Saint-Omer, des justices seignenriales dépendantes du chapitre, des Pré^ôts, des Kvèqnefl, des paroisses, de l'abbaye de Saint-Bei'tin, enfin, des maisons reli- gieuses^ intrà et exti^à muros : 45 planches, reproduisant 333 em- preintes sigillaires, illustrent le texte déjà si riclie par lui-même.

La part légitime qui revient à chacun des auteurs de ce splcndidc volume est assez difiicile à déterminei"; INL A. Hermand, nous l'a- vons dit tout à l'heure, en conçut le plan primitif, mais après la mort prématurée de cet érudit numismate, advenue en 1858, M. L. Deschamps de Pas, qu'il s'était associé depuis longtemps, resta seul chargé d'un travail à peine préparé. Sauf donc l'ordon- nance générale des idées qui est sans doute du fait de M. Hermand, tout le détail;, classement, dessins, rédaction, appartient à son trop modeste collaborateur. M. Deschamps de Pas, qui, sur le frontispice d'un livre publié à ses frais, n'a voulu occuper que le second rang, mérite, suivant nous, le premier; infatigable explorateur des archives de Saint-Omer, Lille et Arras, il est parvenu, en plaçant les unes à côté des autres des empreintes partiellement dégradées, à recon- stituer dans leur entier les sceaux les plus rares et les plus curieux, besogne ingrate, exigeant à la fois la patience du savant et l'ha- bileté de l'artiste.

M. L. Deschamps de Pas a été puissamment secondé dans l'exé- cution matérielle de son livre par M. A. Deschamps de Pas, dont le beau talent est si connu des lecteurs de ]a. Revue. Ce dernier, chaque monument original devant les yeux, a reproduit lui-même sur pierre les dessins de son frère ; il n'existe donc nulle part une œuvre archéologique aussi fidèle et aussi consciencieuse.

CARÏULAIRE MUNICIPAL DE SAINT-MAXIMIN , public: par M. L. RosTAW, SOUS les auspices et aux dépens de M. le duc dk LuviSKS ; m-4°, Paris, H. Pion, 1862.

Il existe, en notre pays de France, un grand seigneur, qui est aussi un grand savant et qui, s'il avait voulu s'en donner la peine, aurait pu être aussi un artiste distingué ; il s'appelle le duc de Luynes : ne lui dites pas que je l'ai nommé, sa modestie égale son mérite, et il pour-

448 BIBLIOGRAPHIE.

rait se ]>lessei' de mes louanges. M. le duc de Luynes ne se contente pas de travailler lui-même, il vient libéralement en aide à ceux qui travaillent, et, que l'on manie la plume ou le pinceau, on est toujours sur de trouver chez lui bourse ouverte, pourvu que l'on ait du ta- lent: M. L. Pioslan en sait quelque chose. L'érudit provençal, ayant rencontré dans les archives municipales de Saint-Maximin, un Cartu- laire renfermant les privilèges et statuts de cette modeste localité, crut que la publication pourrait en être intéressante et communiqua son projet dans un hôtel bien connu de la rue Saint-Dominique. Les résultats font juger de l'accueil qu'il y reçut : l'antique Registre, contenant 107 pièces généralement inédites (1295 à 1653), est aujourd'hui imprimé chez M. H. Pion et mis à la portée de tout le monde. Un Cartulaire ne s'analyse guère, aussi ne signalerai-je à l'attention qu'une taxe de pain (KIY*^ siècle) en langue proven- çale, une préface et uue multitude de notes auxquelles le profond savoir de M. Hostan donne la plus haute valeur : pour le reste, toile, lege.

CH. DE LINAS.

SAINT-DÉSIRÉ, par M. L. Desrosiers, in-4° accompagné de 5 planches

(2/r.).

L'église de Saint-Désiré (Allier) témoigne par ses dimensions que le village elle est située avait jadis quelqu'importance. On sait d'ailleurs qu'au XP siècle il avait un arcliiprêtre et un archidiacre et que ce fut primitivement une forte station du pagum des Bi- luriges. Une crypte à trois nefs s'étend sous l'église ; elle est attri- buée au X"" siècle, par M. Desrosiers. Une coupole sur pendentifs s'élève sur l'intertranssept qui date du Xll" siècle. L'auteur en con- clut que l'école byzantine des rives du Rhône s'est étendue dans tout le Velay, jusque sur les frontières de l'Auvergne, et que l'école auvergnate s'appropria la coupole et l'introduisit dans le Bour- bonnais. On projette de restaurer cette église, si intéressante a di- vers titres. L'excellente notice de M. Desrosiers contribuera assu- rément à faire fixer ratlention du gouvernement sur un des plus curieux monuments du Bourbonnais.

i. CORBLET.

RfcVUS DE L'ART CHRETIEN, Septembre 1862.

IVOIRE SCULPTÉ

DU TRÉSOR DE l'eGMSE DE TONGRES.

Arras, typ. Rousseau -Lero

IVOIRE SCULPTÉ

du Trésor de l'Eglise de Tongres.

L'église de Tongres possède trois ivoires sculptés dans son trésor. Deux d'entre eux ornaient encore, il y a peu de temps, l'autel de la chapelle méridionale de l'église de Genoels-Elderen, village situé près de la ville de Tongres. Ils font partie, depuis peu, du trésor de l'église de cette ville. L'un représ'ente le Christ foulant aux pieds V aspic et le basi- lic ; l'autre, divisé en deux tableaux, figure deux des prin- cipales scènes de la vie de la sainte Vierge : la Salutation et la Visitation ; le troisième ivoire, celui qui l\iit le sujet de cet article, est incrusté dans la couverture d'un Evangéliaire, rare spécimen de l'Art chrétien des premiers siècles du Moyen- Age.

Cet ivoire, dont nous oifrons le dessin en tête de cet ar- ticle, représente le Calvaire et le réveil des morts sortant de leur sépulcre, au moment l'Homme-Dieu expira. Au milieu, on voit le Christ sur la croix; son corps n'est pas

TOME VI, Septembre 18G2. 33

450 IVOUIE SCLLI-TÉ

meurtri par les clous, sa tête ue porte pas de couronne d'é- pines, son front est large, et sa riche chevelure, tressée en nattes, tombe sur ses épaules. Au-dessus de sa tête, deux anges suspendent un diadème perlé que bénit la main divine sortant d'un nuage. La croix qui est sans (itulus et le Christ •qui est imberbe indiquent la haute antiquité de cette œuvre.

Du côté droit du Sauveur on voit l'f^glise planter au pied de la croix la bannière de la résurrection, le signe du triomphe de la nouvelle Loi. Elle tient près du cœur un pe- tit bouquet composé de trois feuilles, symbole de la Trinité. La sainte Vierge, triste et affligée, pleurant la mort de son divin Fils, essuie ses larmes avec son voile. Du côté gauche de la croix, on voit la Synagogue, la tête en partie voilée, tenant une palme, s'éloigner de la croix, à qui elle jette un dernier regard. Sa mission est finie au moment le sacrifice divin est accompli. Puis vient une quatrième figure, une jeune femme qui a la tête nue et les cheveux frisés ; elle tient le rouleau ou le Livre des anciens. Elle arrive, hésitant et in- décise, comme l'Eglise grecque non unie, portant et élevant sa main vers la tête.

Dans la partie supérieure du tableau on voit le soleil et la lune entourés d'un cercle de feu d'où s'échappent des flammes; le soleil est personnifié par une espèce d'Apollon antique qui appuie sa tête sur la main gauche et tient un sceptre de la droite. La tête est entourée de l'auréole den- telée ou couronne rayonnante, signe distinctif du Dieu de l'antiquité. La lune est représentée par une jeune femme dans une attitude de tristesse, la tête en partie voilée et couronnée du croissant.

Sur le reliquaire en vermeil de la sainte Croix du musée delà Porte-de-IIal, à Bruxelles, figurent également, comme

iiu THK.sou iiii l'Église dk ToiSGiif'iri. .'/.M

sur l'ivoire de ïoiigres, rÉglise et la Synagogue. Nous don- nons les dessins de ces deux figures, qui datent de deux siècles plus tard (jue celles de l'ivoire de Tongres. L']'>lise

est une jeune femme forte et cambrée qui a la tête couronnée; une abondante chevelure serpente sur ses deux épaules et de la main droite elle tient un calice. La Synagogue, aux formes chétives, faible et défaillante, et à la vue obscurcie, occupe le côté gauche de la croix.

Dans le compartiment inférieur de l'ivoire de Tongres sont les morts qui sortent de leurs tombeaux, puis la terre et les eaux. Cette partie du bas-relief est la moins heureuse;

i5"2 IVUlRE SCULPTÉ

les iigures sont trappues, leurs formes ont moins d'cim[)leur. Tout semble y être réuni dans un trop étroit espace. La terre est symbolisée par une jeune femme allaitant un serpent cpii enlace son bras droit, tandis que de la main gauche elle s'attache à un arbre. Elle a les jambes croisées et sa forte chevelure retombe eu tresses sur ses épaules ; c'est une sorte de Cybcle comme ou eu voit souvent sculptées sur les chapiteaux romans. L'Océan est représenté par ini vieux Neptune cpii s'appuie sur un vase renversé d'où s'échappent des eaux. Il occupe le côté gauche du tableau, s'écoulent l'eau et le sang du Sauveur. De la main droite il montre un poisson qui, dans la langue grecque, iy.zv(j, par une disposi- tion ingénieuse des lettres^ exprime le nom du Christ. Sa tète chauve est armée de deux grandes cornes dont les pointes se terminent en têtes de serpents. C'est au milieu de ces deux figures symbolisant la terre et la mer que les morts sortent de leurs tombeaux, au moment le Christ meurt sur la croix.

Le I\. P. Arthur Martin pense que l'ivoire de ïongres date de la fin du IX" siècle. Il est très-probable que c'est j une œuvre de l'école italienne de cette époque.

Ce bas-relief, comme nous l'avons dit, est incrusté dans la couverture d'un Evangéliaire dont l'écriture parait être postérieure au X*" siècle. Jusque vers la fin du siècle der- nier, ou le présentait à baiser aux chanoines du chapitre de l Tongres, avec ces paroles : Ecce lex sacra.

Eu examinant à part chaque figure de cette composition vraiment chrétienne, tout ami de l'art regrettera sans doute que le nom de son auteur ne soit pas venu jusqu'à nous. Pour faire mieux ressortir la beauté de cette œuvre, nous en donnons trois croquis représentant des détails des- sinés sur une plus grande échelle que dans notre première

DU ÏUÉSOU HE L'ÎGLISE DE TOXORKS. -^ri,']

planche. Ce sont les têtes de deux ligures ullégoriqucs ([ui accompagnent le Sauveur ififi. I et 2) et celle du soleil.

Nous terminerons cette note en signalant aux archéo- logues la couverture sculptée sur ivoire «d'un manuscrit (pii se trouve à la bibliothèque de l'Univei'sité de Liège et sont représentés le Christ et le portrait de l'évêque Xotger; l'ivoire des trois Résurrections de la cathédrale de Saint- Paul de la même ville, et l'Evangéliaire qui a été acquis par un amateur de Liège, M. le baron de Crassier, à ]\Iaes- tricht, et dont la couverture sculi)tée en ivoire est ornée d'une croix double et des figures de la Vierge et de saint Jean.

ARNAUD SCIIAEPKENS.

Bruxelles, juin 1862.

RECHERCHES

Sur la Vie et rOEuvre de Jean Belle gamhe, peintre douaisien du XVb siècle-

DEUXIKMK AKTICl.K *.

IV.

Jean Bellegumbe était dans la maturité de l'âge et dans tout l'éclat de son génie , quand il peignit le retable d'An- cliin. Aucun de ceux qui ont étudié ce chef-d'œuvre ne s'é- tonnera de nous entendre dire qu'avant d'arriver à tant de sublimité, à tant de puissance, à tant de sûreté et de sou- plesse dans la main, il avait nécessairement beaucoup tra- vailler : son pinceau devait avoir produit un grand nombre de miniatures et de tableaux. Quelles sont ces œuvres ? Que sont-elles devenues? Quelles sont celles qui nous ont été con- servées? Quelles sont celles qui peuvent être attribuées au vieux maître douaisien? Voilà des questions auxquelles nous allons essayer de répondre. Hélas ! trop souvent nos réponses seront incomplètes et incertaines ! Trop souvent nous aurons à accuser et l'oubli injuste de la postérité, et les ravages du temps, et la fureur des incendies, des révolutions, et l'igno-

* Voirie numéro d'août, page 428.

UKCllERCUKS SUR JKAN UliLLEGAMBli. 453

rance de l'homme ! Mais toutefois, eu fouillaut daus uos vieux auteurs, eu cherchant daus les musées et les collectious par- ticulières de la ville de Douai, nous avons trouvé des rensei- gnements curieux, nous avons rencontré des œuvres qui ne peuvent être que de Jean Bellegambe ou de son école.

Et d'abord, François de Bar, dans la phrase du manusci'it de Bruxelles qui nous fait connaître le nom de l'auteur du re- table d'Anchin, nous apprend que cette abbaye possédait, du même maître, un retable qui décorait l'autel Saint^Mau- rice et plusieurs autres tableaux * . En lisant les deux pas- sages, cités plus haut, de Jacques Loys et de Frasneau de Lestocquoy, l'on est amené à conclure qu'au commencement du XVII" siècle, il existait, dans la ville de Douai, un cer- tain nombre de tableaux peints par Jean Bellegambe, connus et admirés par toute la population ^.

Nous avons aussi rapporté les lignes dans lesquelles le P. Philippe Petit, prédicateur général du couvent des Frères Prêcheurs de Douai , fait le plus grand éloge du vieux maître douaisien, à l'occasion de « la peinture delà table d'autel représentante la mort et miracles de notre P. S. Dominique. Voici ce qu'il dit à la même page : « Sur ceste table d'autel « de notre fondateur, on y voit cette épitaphe : Devant ceste « chapelle repose le corps de M. Thomas de le Papoire, seigneur " dudit lieu et de Pipaix, conseillier et maistre des recjuestes " de l'empereur Charles V, lequel mourut Fan lo55. Auprès " de luy repose le corps de M. M. Margueritte Oudart , « vefve dudict M. Thomas, laquelle a faict faire ceste

' Jean Bellegambe qu'y a peint aussy la table de la chapelle suint 31auii<e et plusieurs tableaux. Texte cité ])ar 31. W'auters , Jean Bellegauibi', p 14. - Op. et loc. cit.

456 RECHERCHES

« table d'autel.... Elle mourut l'an 1544 '. » Cette indica- tion est précieuse; non-seulement elle nous fait connaître un retable de Jean Bellegambe qui devait être assez important, puisqu'il représentait la mort et les miracles de saint Domi- nique, mais elle nous donne le nom de la commettante, épouse d'un douaisien investi de la confiance de Charles- Quint ; de plus, elle porte à croire que l'auteur du retable d'Anchin, dont nos archives ne constatent l'existence que jusqu'en 1531 , peignait probablement encore après 1535, puisque sur l'autel élevé aux frais de Marguerite Oudart fut placé un retable à son pinceau. Le couvent des Domi- nicains devait encore posséder d'autres œuvres du même maître : nous lisons en effet dans le Registre aux testaments reposant aux archives de Douai , que la sœur de Jean Belle- gambe donne à un Frère Prêcheur wi psautier escrit à la main en pappier et ung tablet qui se dot ou est une nativité et une îire dame de pitié., au Cloître des Dominicains, pour être placé devant son tombeau, iing tableau de nre dame de pitié à courtines de sage, ainsi que le livre de sainte Catherine de Senne à sa belle-mère, et ung tableau de la Nativité nre dame à sa sœur Mariette ~. On peut supposer, sans trop de témé- rité, qu'une partie au moins des tableaux et des manuscrits de Guillemette Bellegambe avaient été exécutés par son frère. L'église des Dominicains renfermait donc plusieurs œuvres de notre vieux maître. Peut-être ont-elles été la proie des flammes lors de l'incendie qui dévora le couvent en 1785; peut-être ont-elles péri, ont-elles été égarées au milieu

Philippe Petit : Fondation du couvent de lasaincte Croix. Douai. 1653, p. 142.

- Registre aux Testaments àe la ville de Douai. Années 1510 et suiv. fol, 286. I\I. Preux qui a, le premier, indiqué l'existfnce de ce testament, en a cité plusieurs passages.

SUR JEAN BEI.LEGAMBE. 457

des orages de la Kévolution, comme les autres ta1)leaHx que possédaieut Douai et Ancliin.

V.

Mais heureusemeut tout n'a point subi ce triste sort : plu- sieurs peintures , plusieurs panneaux , aujourd'hui encore conservés dans les collections de notre ville, peuvent et doivent être attribués à Jean Bellegambe ou à son école. Les lecteurs de cette Revue ont lu, il y a deux ans, une longue étude sur le retable d'Ancbin accompagnée d'un dessin au trait à feuillets mobiles ' . Nous ne dirons donc rien de ce chef-d'œuvre , nous contentant de leur rappeler que c'est une peinture tellement caractéristique, et dansla composition et dans le groupe, et dans le faire et dans les procédés, et dans l'exécution des têtes, des étoiïes, des constructions architecturales, qu'après l'avoir étudiée, l'on doit flicilement distinguer le maître qui l'a produite de tous les autres maî- tres de l'école flamande primitive. Les mêmes numéros de la Revue de l'Art Chrétien ont aussi donné la description de deux autres retables qui se trouvent l'un à Douai dans la collection de M. le docteur Tesse, et l'autre chez M. le doyen d'Oisy-le-Verger. Ajoutons ici que tout , dans le triptyque de M. Tesse, rappelle le tableau légué à Notre-Dame par M. Escallier. Le groupe principal estd'une ressemblance frap- pante avec celui du retable d'Anchin ; commettants, patrons, écussons, armoiries, tout est ordonné et exécuté de la même manière; l'architecture, quoique moins riche, rappelle le

' Revue de l'art chrétien. Essai sur le retable d'Anchin, par l'abbé C. Dehaisnes. Année 1860. Numéros de septembre et d'octobre.

458 RECHERCHES

même style jusque dans ses détails ; les étoifes, la crosse, la mitre oft'rent la même fermeté et la même finesse de main ; partout analogie dans la conception, le faire et la touche. Les calculs approximatifs faits pour la date de ces deux ta- bleaux reporteraient leur exécution vers 1518 et 1319. Le triptyque de M. Tesse ue peutêtre une copie : jamais imitateru- n'aurait peint une tête aussi vivante que celle de l'abbé Jacques Coëne; jamais il n'aurait rendu si admirablement la splendide ornementation de la chape dont les orfrois sont autant de miniatures. Nous n'oserions pas affirmer avec autant de certitude que le triptyque d'Oisy-le-Verger est de Jean Bellegambe lui-même; il est difficile d'apprécier cette peinture qui a beaucoup souffert.

Nous n'hésitons pas à placer au nombre des œuvres du vieux maître douaisien, deux volets d'un triptyque conservé dans le musée de notre ville sous le numéro 200 ' . La partie centrale, qui est perdue, devait représenter l'Immaculée-Con- ception. Cette pieuse croyance, qui est aujourd'hui un dogme, est proclamée sur les deux panneaux extérieurs de ce trip- tyque, par des personnages qui représentent tout le monde catholique, de même que, sur le retable d'Anchin, toute la terre vénère la croix. Le panneau de droite montre, au milieu d'arcades qui laissent entrevoir diverses constructions architecturales, un pape assis sur un trône richement orné; portant la tiare et la triple croix des Souverains-Pontifes, il

' Ce triptyque avait, fermé, une largeur de 1 m. 85 et, ouvert, une largeur de 3 ni. 69. Il suffit d'un «eu! coup-d'œil pour voir que les deux volets mobiles , aujourd'hui réunis, ont été placés dans un sens opposé à eelui qu'ils occupaient primitivement. Le triptyque de M. le doyen d'Oisy-le-Verger et deux autres petits triptyques conseivés dans la Cathédrale d'Arras, peu- vent donner une idée exacte de la forme du grand triptyque de l'immaculée- Conceptinu, et du riche encadrement dont il devait être orné.

SUR JKAN BKLLEGAJIBE. ^riO

semble, d'un geste de la inuin, donner un décret au monde entier; les paroles tracées dans un cartouche placé au-des- sus de sa tête, sont empruntées presque exactement à la bulle Grave 7iimis de M8ô ; ce pape est presque certai- nement Sixte lY, qui publia deux bidles favorables à la croyance à rimmaculée-Conception, Tune en 1476;, et l'autre, celle que nous venons d'indiquer, en 1485. A ses pieds, à droite, saint Jérôme, la tôte rasée, revêtu des insignes du cardinalat, avec le lion son symbole, et à gauche, saint Am- broise et saint Augustin portant la chape, la crosse et la mitre des évêques, et tenant à la main, l'unie fouet, et l'autre le cœur enflammé que la tradition des siècles leur a don- nés ; ces trois saints personnages montrent, 'sur des ban- deroles et sur un livre, des passages, tirés de leurs écrits, qui sont favorables à l'Immaculée-Conception. Saint Jean- Chrysostôme, portant un phylactère sur lequel on lit aussi un texte analogue emprunté à ses ouvrages, et plusieurs au- tres évêques se montrent au second plan ; dans les balcons qui ornent les. arcades gracieuses des constructions architec- turales, des prélats d'occident et d'orient en costume du XV^ siècle annoncent que les deux églises viennent de se réunir dans la croyance à la naissance sans tache de la Mère de Dieu. Voilà la tradition, la papauté, la catholicité tout entière qui élèvent leur voix en faveur de cette vérité ; l'autre panneau va nous montrer l'Université de Paris et la ville de Douai parlant en même temps. Durant tout le Moyen Age, l'Université de Paris a été la grande école du monde catholique : elle se montrait si favorable à la croyance à l'Im- maculée-Conception qu'en 1497, tous ses membres, avant d'être reçus , devaient s'engager à soutenir cette opinion : aussi ce sont ses docteurs que le peintre a représentés, mais sur un plan moins avancé, en regard du Pape. Dans une large

460 nECUEHCIlES

fenêtre, au-dessus de laquelle ou lit : Facilitas (hculofjicr pari- sien— et un texte des statuts de l'Université favorable à rimraaculée-Conceptiou, se montrent saint Bonaventure por- tant la robe grise des Franciscains sous sa cliape d'éveque , Pierre Lombard, évêque de Paris, Duns Scott, le docteur subtil, et plusieurs autres prélats et i-eligieux : les trois pre- miers, dans les attitudes les plus variées et les plus vraies, indiquent des extraits de leurs ouvrages dans lesquels ils ont soutenu la croyance dont il est ici question. A une autre fenêtre de l'arrière [)lan, David et des prophètes semblent indiquer que les saints de l'Ancien Testament glorifient aussi la Mère de Dieu. Au premier plan , la ville de Douai vé- nère la Vierge Immaculée ; cette ville et sa bourgeoisie sont représentées par un groupe qui se compose d'un homme assez âgé, probablement le chef du magistrat de la cité, puis d'une femme, sans doute son épouse, et de trois autres personnages qui paraissent être leurs enfants; auprès d'eux un ange por- tant une tablette sur laquelle on lit un texte de saint Bernard relatif à la sainte Vierge. Ces cinq personnes, richement vê- tues pour des bourgeois, sont agenouillées les mains jointes et prient les yeux tournés vers le panneau central. Der- rière eux, comme les patrons, les protecteurs de cette famille et de la cité, sont représentés un Dominicain qui, pour rappeler que son ordre a cessé de s'opposer à la croyance à rimmaculée-Conception^ porte un passage de saint Thomas d'Aquin favorable à cette opinion, et un Franciscain qui rappelle sans doute que les enfants de saint François ont toujours soutenu cette glorieuse prérogative de la sainte Vierge. Ces deux religieux figurent certainement la ville de Douai : en effet, le Franciscain tient en sa main le gracieux beffroi de cette cité, tel qu'il a été reconstruit après l'in- cendie de 1171, et, de même que le Dominicain, il indique

siT. ,ii:an bicllecamui:. 4t)l

du doigt cet édifice qui, en Fhuidre pluscjuc [lartont iiillcurs, représente la l)ourgeoisie. Du reste, rinscription de la ban- derole que tient le Franciscain le dit assez : Ivr sei;vi MEI rURITATIS TU.E ORTUM... YEXrilANTES, VIUGO GLOUIOSISSIMA , CIVrr.VTEM IIANC SANCTAM ILEllEDIÏABUNT. DiUlS le fond, OR

aperçoit les tours et le clocher de la ville, piirmi lesquels se distingue encore le beffroi, avec le riche couronnement que l'incendie venait de dévorer quelques années auparavant.

La peinture que nous venons de décrire est polychrome : celle de la face extérieure est une grisaille. Elle représente des épisodes de la vie de saint Joachim et de sainte Anne, que les peintres de l'école primitive rattachaient toujours à rimmaculée-Conceptiou. Sur le volet de droite saint Joa- chim offre un agneau eu holocauste ; mais il est repoussé par le grand-prêtre et par les pharisiens à cause de la stéri- lité de sa femme. Sur le volet de gauche, nous voyons sainte Anne, accompagnée de Judith, sa suivante, distribuant des aumônes aux pauvres, afin d'obtenir du ciel le bonheur d'être mère; et à l'arrière-plan, d'abord l'ange Gabriel annonçant à cette sainte femme que sa prière sera exaucée, et ensuite saint Joachim rencontrant, sous la porte d'or des évangiles apocryphes, son épouse qui lui fait part de la jiromesse de l'ange. Au haut des constructions architecturales, des ar- moiries offrant une roue et trois pots. Les rapports qui existent entre les sujets et entre les constructions de la par- tie polychrome et de la grisaille, nous font penser qu'elles sont de la même époque et de la même main .

Il y a plusieurs années déjà, un critique de goût, M. A. Cahier, a parfaitement fait ressortir les analogies frappantes qui existent entre ce volet et le retable : nous ne ferons que résumer ici ses idées. Dans les deux tableaux, même mélange de style, même forme élancée à des arcades en plein cintre,

4G2 RECllERCilKS

mômes colonnes grecques, mômes arabesques sur les piliers, mêmes balcons se réunissent les évoques, mômes perspec- tives ouvrant sur des fenêtres ogivales à meneaux en pierre ; pour les personnages, même pose, môme expression dans la physionomie, même manière de peindre la tête. Les étoffes, les chapes, les mitres, les croix, les objets d'orfèvrerie offrent la ressemblance la plus frappante ; il n'est pas jusqu'à l'écri- ture des phylactères qui ne soit absolument la même ; les procédés de peinture n'offrent pas de différence ; et si quel- ques têtes, comme celles du Pape, de saint Augustin, offrent des tons rouges et plats qui ont poussé au noir, il faut attribuer cela au pinceau qui a essayé de restaurer ces panneaux il y a déjà plusieurs années '.

L'auteur que nous venons de citer, dans son étude sur ces panneaux, a prouvé qu'ils proviennent du couvent des Cordeliers (plus tard Récollets wallons), qui avaient érigé dans leur église une chapelle et une confrérie en l'honneur de rimmaculée-Conception. Quant aux commettants, les armoiries indiquent qu'ils sont de la famille des Pottier. D'un autre côté, un Collart Pottier fut chef du magistrat en 1510 et en 1514; c'est probablement à cette époque, qu'il fit exécuter ce retable et qu'on le peignit auprès du beffroi qui semble rappeler les fonctions qu'il exerçait ".

Comme nous le disions plus haut, le compartiment central de ce retable de l' Immaculée-Conception est perdu ; mais il est possible de se faire une idée du sujet que probablement Jean Bellegambe y avait peint, en étudiant un tableau sur bois

' A. Cahier, Uni^ieiix lahlean dumusée de Douai. Mémorial de la société d'agriculture, sciences et arts de Douai, t iv, 2* série. Tout ce que nous venons de dire sur les panneaux du musée n'est en général que le résumé du travail de RI. A. Cahier.

- A. PiiKlx, Jehan Bellegandte de Douai, p. 1 1.

Slll JEAN nKI.LK(;A.MnF.. 4(53

du XVP siècle, qui se trouve à Douai, dans la liclic collec- tion de M. Amédée Thomassiu. Ce petit tableau représente aussi rimmaculée-Conception ; dans l'ouverture de l'une de ces arcades genre renaissance qu'aimait à reproduire .lean Bellegambe, au premier plan d'un lointain paysage ([ui rap- pelle aussi le retable d'Anchin, l'auteur a peint sainte Anne, les mains jointes et les yeux modestement baissés ; de son sein s'échappent des rayons ardents qui forment un cercle lu- mineux, au centre duquel apparaît vaguement, rose et douce, l'enfant conçue sans péché, qui sera plus tard la Weve du Fils de Dieu : c'est une pensée originale et hardie, qui est rendue avec une grande pureté et un rare bonheur. Le paysage offre trois épisodes de la vie de saint Joachim et de sainte Anne ; ici le pieux vieillard qui, dans sa tristesse, s'est retiré dans la campagne pour garder ses troupeaux, entend l'ange lui annoncer que la stérilité de sa femme cessera; là, sainte Anne distribue des aumônes à plusieurs pauvres qui l'en- tourent; et ailleurs, les deux époux se rencontrent sous la porte dorée : dans un balcon qu'offre l'arcade, on voit plusieurs évêques. Lorsque le tableau a été restauré, la tête du princi- pal personnage , qui est d'ailleurs belle et pieuse , a perdu quelque chose de son caractère primitif ; heureusement l'on n'a pas touché aux autres parties de cette peinture, et en exa- minant la construction architecturale et ses ornements qui rappellent tout à fait ce que l'on trouve sur les quatre re- tables que nous venons de décrire, en voyant des évêques. dans un balcon qui sont identiquement semblables à ceux que l'on voit aussi dans des bidcons sur le tableau po- lyptyque et sur les volets du ]\Iusée, en étudiant les trois épisodes du paysage qui rappellent ceux des panneaux de rimmaculée-Conception, nous avons cru qu'il y a lieu de ranger ce tableau au nombre des productions de Jean Belle-

4GI RECHERCHES

gambe. On pourrait peut-être sans trop de témérité voir dans ce charmant panneau, une première étude ou du moins une idée générale du retable dont nous venons de décrire les deux volets ; les mêmes épisodes sont reproduits, et Ton sait que les maîtres de cette époque se copiaient souvent eux-mêmes ; la petite peinture de M. Tliomassin pourrait bien être rela- tivement au grand retable des Récollets Wallons, ce que le tryptyque de M. Tesse est au grand polyptyque retrouvé par M. Escallier.

YI.

Les hommes spéciaux qui ont longemps pratiqué la^ peinture s'accordent avec les amateurs pour reconnaître la main du vieux maître douaisien dans les deux volets d'un petit trip- tyque de la collection léguée à la ville de Douai par M. Es- callier'. Si le compartiment central est évidemment d'une autre main, il en est tout autrement des deux volets; celui de droite offre un personnage du XVI^ siècle derrière lequel se tient debout saint Jean-Baptiste, et celui de gauche une femme pieusement agenouillée, protégée par saint Jean l'Evangéliste ; sur le chanfrein du premier de ces panneaux, on lit en caractères et en chiffres de l'époque : i524, ea die XXVIII... Les rapports frappants qui existent entre le saint Jean-Captiste de ce tableau et celui du retable d'Anchin, entre la pose et les vêtements de ses commettants et ceux de la famille Pottier sur les panneaux du musée, le coloris de ces deux volets, la date de 1524, tout porte à croire qu'ils sont ou de la main ou de l'école de Jean Bellegambe.

11 existe dans la cathédrale d'Arras deux petits triptyques,

* Musée de Douai, n" 29 du catalogue (157 du catalogue Escallier).

SUR .lli.VN lICl.LiaiA.MlJE. .Ui3

offrant le millésime de 1 528, que des connaisseurs ont raj)- prochés du retable d'Anchin : ils rappellent davantage Jean de Maubeuge, Le type et la pose des personnages, sauf peut- être un ange (pu ouvre un panier, offrent un caractère tout différent de ce cpii se voit dans les peintures de Jean 13elle- gambe ; la tête de la Vierge révèle une alliance plus intime de l'art des bords du Rhin et des écoles italiennes ; plus fine, la touche a moins de largeur ; les constructions archi- tecturales, presque exactement les mêmes, sont d'un style grec i)eut-etre plus pur; les vêtements sont moins étudiés dans les détails de l'ornementation ; enfin, dans les paysages il y a plus de perspective aérienne et le feuille des arbres prouve une science plus complète.

Dans la même ville d'Arras, un heureux hasard nous a fait découvrir, au milieu d'une foule d'autres oltjets d'art, deux petits panneaux du XVP siècle qui, au premier coup d'œil, nous ont rappelé l'école de Jean Bellegambe. Sur le panneau de droite, un personnage de cinquante à soixante ans, revêtu du costume de l'époque et portant à son bras les armes d'Espagne, est agenouillé les mains jointes; auprès de lui son écuyer; derrière, saint Nicaise son patron, qui tient dans ses mains sa tête sanglante, symbole ordinaire du mar- tyre par la décapitation. Le panneau de gauche montre une femme d'environ vingt-cinq à trente ans, en costume du XVP siècle, et, derrière elle, saint Jean l'Evangéliste et sainte Claire avec les attributs que la tradition leur a donnés. L'on voit sur la face extérieure, qui est d'une autre main et d'une date postérieure , d'un côté la Mort sous la forme d'un squelette décharné, donnant la bénédiction et s'ap- puyant sur une bêche de fossoyeur, et de l'autre côté une épitaphe en quarante vers français, surmontée d'un écusson armorié. Cette inscription et les recherches que nous avons

TOMK VI. 'U

4(16 RLCUERCIIKS

faites nous ont fait connaître que le connnettant était Nicaise l^adani, de Béthune, chroniqueur renommé, long- temps héraut d'armes de Charles -Quint sons le uom de Grenade , et plus tard })révôt de Bapaume, mort à Ar- ras en 1547. La femme de l'autre panneau était son épouse, Jeanne liicouart. A en juger par les traits de Nicaise Ladam et de sa femme, ainsi que par la peinture elle-même, la partie polychrome a été peinte de 1515 à 1525. Sur ces deux volets, nous avons retrouvé dans le commettant^ le type, la pose et le mouvement que nous avons déjà indi- qués plusieurs fois précédemment; le Saint-Jean, dont le ca- ractère est malheureusement dénaturé par un repeint qui enlève toute proportion à la tête, rappelle celui du tableau polyptyque d'Anchin, par la pose et le calice symbolique. Si le sujet principal, qui nous aurait oifert un point de compa- raison plus solide encore que l'étude des commettants, n'existe plus, du moins nous trouvons des analogies frappantes dans les moindres détails du costume et des objets d'orfèvrerie. L'étoffe du vêtement de saint Nicaise rappelle la chape de Jacques Coëne dans le triptyque de M. Tesse; la crosse de sainte Claire est tout-à-fait semblable à celles qui se voient dans le tableau polyptyque et dans les panneaux du Musée; et le chapelet et la boucle de ceinture de Jeanne Ricouart sont identiquement reproduits dans les peintures dont nous venons de parler. La date concorde avec l'opinion de ceux qui at- tribuent ces volets à Bellegambe ou à son école : comme la veuve du conseiller de Charles-Quint qui fit exécuter par le vieux maître douaisien et placer sur la tombe de son époux le retable de la chapelle de Saint-Dominique, le héraut d'armes du même empereur aurait fait peindre par le même artiste, un retable qui fut ensuite placé sur sa tombe dans rédise Saint-Jean-en-Konville, à Arras.

SUR JEAN BKLLEGAMllK. .\(;~

Nous avons vu, il y a quelques années, à Paris, chez M. Forgeais, archéologue et marchand, un panneau qui montrait sur Tune de ses faces, le portrait de Charles Coguin; les traits, l'attitude et la chape de l'abbé, la crosse qu'il porte, le prie-Dieu devant lequel il est agenouillé, tout rap- pelle le retable d'Anchin; il en est de même du paysage qui oflre des arbres, un pont jeté sur un ruisseau et des mon- tagnes dans le fond. Il est à regretter que le Musée de Douai n'ait pas acquis ce panneau qui, si nos souvenirs ne nous trompent pas, doit être de Jean Bellegambe lui-même.

VII.

Voilà tout ce que nous avons pu recueillir sur Jean Belle- gambe et sur son œuvre, dans nos auteurs les plus anciens, dans les brochures qui viennent d'être publiées, et dans nos recherches à travers les bibliothèques, les musées et les col- lections particulières : sans doute le travail et peut-être le hasard fourniront encore de nouveaux renseignements. Nous n'avons pas voulu tarder davantage à présenter à ceux qui s'occupent d'histoire artistique, ces quelques pages qui ont été écrites avec toute la conviction que peuvent inspirer l'étude, le goût des arts et le désir de faire connaître un ar- tiste chrétien dont le nom a été si longtemps oublié.

A. ASSELIN ET C. DEHAISNES.

LES SANDALES ET LES BAS

DEUXIEME AUTiri.E

CHAPITRE II

CHALiSSDRES DES ANCIENS.

De tous les êtres vivants, l'homme est celui dont les or- ganes de locomotion sont les plus délicats et les plus sen- sibles; il est donc vraisemblable que le roi de la création chercha, dès l'origine, à défendre ses extrémités inférieures contre l'inclémence des saisons, les épines ou les cailloux. La première chaussure fut probablement végétale et l'écorce des arbres en fit les frais ' . Puis, la nécessité enfantant l'in- dustrie, le roseau ou le palmier tressés fournirent des éléments moins destructibles. Mais un tel préservatif, approprié aux climats chauds, restait insuffisant dans les régions froides, et l'homme, pour courir à la recherche du gibier dont il se

* Voir le numéro de juillet, p. 337.

' PiiiLosTRATE, v'il.a Jpollonii , lib ii, c. 9, mentionne les souliers d'écoice des habitants de l'Inde.

LKS SANDALES KT LES liAS. 469

nourrissait, iniagitia de lui deniander le vêtement des pieds comme il lui avait déjà empriuité celui du corps. Uiie])eau d'animal, tournée le poil en dedans, liée autour de la che- ville par des tendons sécliés au soleil, constitua le soulier primitif. Quand on eut inventé les moyens de travailler le bois et de préparer le cuir, apparut la semelle attachée avec des courroies, solea,- une empeigne et un quartier, progres- sivement annexés à cette semelle, produisirent le çalceus. La civilisation croissant et la sensualité aussi, les jambes, à l'exemple des pieds, exigèrent une couverture; d'abord sépa- rés du ppclule, Vocrea et le libiale s'incorporèrent ensuite à lui pour former les péronés^ le cothurne et les bottes. Plus tard, de nouvelles enveloppes en tissu, fasciœ paliilcs, cru- rales, empêchèrent la peau nue de toucher immédiatement à la chaussure. Ces dernières feront le sujet d'un chapitre ultérieur; je ne veux traiter ici que des objets classés par les anciens jurisconsultes sous la dénomination de calcea- nienla.

^ I. Peuples orlenlaux.

I. Juifs. L'antiquité hébraïque est trop pauvre en mo- numents ligures pour qu'il soit possible de rétablir exacte- ment la forme des chaussures israélites ; je l'essayerai néan- moins à l'aide des textes sacrés mis en regard des bas-reliefs assyriens. De temps immémorial les Juifs portèrent des cal- ceamenta; à diverses reprises, Dieu ordonne à Moïse et à Josué de quitter leur chaussure ' . Ces calceamevta étaient de deux espèces : la première, que mentionnent la Genèse et Isaïe, consistait en une semelle attachée à la jambe par

' Exode, ni, 5; .Josué, v, 16.

470 LES SANDALES ET LES BAS.

des courroies ' ; l'autre engageait l'intégrité du pied. Lorsque les Gabaonites voulurent en imposer à Josué, ils se présen- tèrent devant lui chaussés de « calceamenta perantiqna ad indicinni vetustatis pittaciis consuta ' ; » mais le verset 7 du chapitre iv de Ruth est beaucoup plus explicite. En effet, si la majorité des interprêtes y rend le mot SV3 par calccamen- tum ou un équivalent, la paraphrase chaldaïque dit: « Excal- ciavit vir vaginam suam : » or, vagina (étui, fourreau} ne peut répondre qu'à l'idée d'un objet creux, un soulier muni d'empeigne et de quartier. La chaussure des femmes est très-vaguement indiquée ; des ornements la relevaient, <' in die isto auferet Dominus ornamentum calceamentorum ; » elle affectait la couleurbleue : « et calceavi ianthino * : » Un classement établi par Abarbanel me permettra de préciser davantage. Ce commentateur distingue trois genres de calcea- menta : la chaussure que le simple mouvement du pied fait tomber; 2" la chaussure qui, tenant plus fortement au pied, a besoin d'être retirée ; la chaussure attachée par des cordons \ Je reviendrai sur la dernière au sujet des As- syriens. Le n" 2 dont parlent Ruth et le Deutéronome n'est autre que la pantoufle arrondie, sans cordons, à semelle plane {marJwub), généralement usitée chez les Orientaux ; le n" 1 me semble personnel au beau sexe. La Vulgate, pour exprimer la chaussure de Judith, emploie le terme samla- lium, toujours appliqué par les Gi'ecs et les Romains à un

« ' A filo subtegminis usque ad corrigiam caligoe,» Gcn., xiv, 23. « Nec rumpetur corrigia calceamenti ejus. » Isaïe, v, 27.

* Cousus avec des fils enduits de poix. JosuÉ, ix 5

^ISAÏK, III, 18 EZKCHIEL, XVI, 10.

* In Deut., XXV, 9, ap. S. Cahen, Trad. de la Bible, t. XVI, p. 57, n. 7. Toute cette note qui explique le v. 7 du c. iv de Ruth présente le plus haut intérêt.

LK3 SAMiALi:S ET LES lîAS. /(7 I

caiccus mtdicbris; lesdites sandales étaient éclatantes, puisque, métaphore à part, elles ravii'ent Holopherne '; de plus, le Cantique des cantiques peint admirablement la dé- marche l)alancée d'une femme chaussée de pantoufles sans quartier'. La sandale de cuir ou d'étoffe, encore aujourd'hui portée par les dames turques, arméniennes, grecques, mau- resques et juives, sandale qu'un sim[)le mouvement engage ou dégage et dont l'empeigne, voire la semelle intérieure, sont fréquemment chargées de riches hrodei'ies en or, réunit, à mou sens, les conditions indispensables pour i-appeler celle des temps bibliques. Les Israélites usaient à la guerre de bottines en fer et en airain ^ ; aller pieds nus était chez eux signe de deuil ^ ; enfin, quoique leur chaussure n'eût pas grande valeur, ils la considéraient comme un objet de pre- mière nécessité, môme relativement aux classes indigentes^. n. Assyriens et peuples de l'Asie mineure. Les scul- ptures assyriennes fournissent un nombre assez considérable de types humains pour qu'il soit permis à l'étude de recon- naître la forme des chaussures chez les peuples araméens. Le bas-relief de la chasse aux lions recueilli par M. Layard dans les ruines du palais de Nemrod offre deux soldats chaus- sés de soleœ munies de quartiers et attachées par des cour- roies croisées sur le cou-de-pied ". Les fouilles de M. Botta

' » Iiiduitque sandalia pi^dibus suis. » x, 3, Sandalia cjiis lapiicrunt 11 oculos ejus. » XVI, 11. '■* Il Quam pulchli sunt gressus tui in calceamentis, u vu, 1.

' 11 Fenum et œs calceamentum ejus. » Deul., xxxiir, 25. Et ocieas <• aercas habebat (Goliath) in cruiibus. » Reg., i, xvii, 6.

* 11 Vade.... et c-alceamenta toile de pcdibus tuis. » Isaîk, xx, 2, et aussi Ezéchieî, xxiv, 17 et 23.

* Il Samuel pecunias et usque ad calceamenta... non aecepit. » Ercle-

siastL, xLvi, 22 « Pro eo quod vendiderit.... paupeiem pro calcea- mentis... Ul possideamus... pnupeies pro calceamentis. Amos,ii,<>: viii, (i.

•■• .\. DE LoNGPKUiKR, Rev. aïcli. t IV, p. 300 ot pi. 69.

472 LES SANDALES ET LES BAS.

ont rais au jour une solea plus éléraentaire encore, car elle n'a qu'une simple bride contournant les chevilles avec un sous-pied pour retenir la semelle'. Toutefois, la chaussure ordinaire des Chaldéens (les monuments l'attribuent aux hé- ros, rois, seigneurs, eunuques et soldats) consistait en une crepida enveloppant le talon et les côtés du pied dont la partie supérieure restait découverte. Un anneau de métal uni ou ciselé, traversé par le gros orteil, assujettissait la se- melle contre la plante; cinq cordons, deux internes, trois externes, partant de trous percés dans le quartier, se nouaient sur le cou-de-pied. Il en existe des spécimens coloriés en rouge ou en noir. Un esclave et, je crois aussi, une femme portent la même chaussure sans quartier, avec sous -pied et bride aboutissant à l'anneau ■. Une autre variété munie de quartiers distingue les Assyriens tributaires qui saluent le grand roi au jour du Nourouz^; enfin, M. Botta en cons- tate l'usage actuel parmi les peuples mésopotamiques et notamment au mont Sindjar. Peut-être serait-il trop hardi d'accorder aux œuvres d'art ninivites la prodigieuse anti- quité qu'on voudrait leur assigner, néanmoins leur âge est assez respectable pour qu'une chaussure qu'elles retracent et dont la forme persiste après tant de siècles écoulés, ne diffère en rien des calceamenta à courroies de la G-enèse et d'Isaïe. Quelques cavaliers assyriens ont par-dessus leur anaxyris (caleçon), collante et bigarrée, une sorte de brode- quins montant jusqu'à mi-jambe , ouverts et lacés par- devant; brodequins qui garantissent aussi la peau nue des

' Monument de Ninire, pi. 92, 98 et autres.

- Botta, loc. cit , pi. 19, 20, 41, 81 (rouge), 101, 119, 155, (noir, brique émaillée). PI. 127 et 92.

' Bas relief de Persépolis ; Flandfn et CosTE, Voi/. en Perse, pi. 108.

LES SANDALES ET LES BAS. 473

fantassins '. Hérodote y lait sans donte allusion (juaiul il dit que les Babyloniens avaient une chaussure nationale ana- logue à celle des Béotiens". Parfois ce cothurne n'a aucune solution de continuité : dans le costume des palfreniers, il dépasse souvent le genou ; alors la courroie est disposée en échelle ou en zigzag. On doit croire que la semelle en était peu résistante, car la plupart des individus qui le portent chaussent en outre un socque à quartier élevé dont l'em- peigne s'effile en pointe recourbée ^.

Les bas-reliefs de Yasili-Kaïa offrent un spécimen curieux des plus anciennes chaussures de l'Asie mineure : les souliers ou bottes des hommes sont démesurément longs, pointus et arqués ; ceux des femmes rappellent le type chinois. Le ca- chet du Céleste-Empire est également reconnaissable aux pieds d'un soldat lycaonien, sculpture coloriée que M. Texier croit contemporaine de la venue des premiers Grecs en Asie; le soulier lacé parait en cuir et s'emboîte dans une cnémide semblable \

in. Phéniciens et Egyptiens. Le peu qui nous est ré- vélé des chaussures phéniciennes a trait aux fonctions sacer- dotales. Hérodien rapporte qu'Héliogabale fit participer aux sacrifices les généraux et les premiers officiers de l'empire, revêtus de l'habit phénicien, avec des calceamenta de lin comme les portaient en Phénicie ceux qui prédisaient l'ave- nir. Apulée attribue des souliers jaunâtres aux prêtres de la déesse de Syrie ^ .

Botta, loc. cit. pi. 64, 67, 99, 145 (cavalieis) ; 90 (t'antassiiis). - « 'VTTOov^aaTa eKt/ojpia TrapairXrîtjia Tr,Gi BoiOTVjai auSadi. » i, 195. ' BoTT.A, loc- cil. \A. 67, 81, 13-2, 150 et 36, 37, 39, 129, 133, 135, etc. 4 Ch. Tkxier, Descripl, de l'Asie Mineure, Ptoiium, pi. 75 et 78; Ko- pieh, pi. 103.

^ Hisl. rom,, 1. v, 13. « Pedes lutcis induti caiccis » Mêlant., 1. vni

474- LES SAN'DALES ET LES BAS

L'image des dieux, rois, pontifes et guerriers de l'Egypte, se montre prescpie toujours avec une soka pointue et recour- bée, maintenue par une courroie longitudinale avec sous-pied agrafé sur la cheville '; Sétif I, roi de la XIX ''' dynastie, est ainsi figuré au IMusée du Louvre (B,7). Hérodote nous apprend que les prêtres égyptiens mettaient des souliers de papyrus (ÛTro^-zip-ara (SùSXiva), Le nom latinisé de ces sou- liers était baxa ou baxea ; Apulée en chausse le thauma- turge Zachlas et aussi la déesse Isis ^. Plus d'un original en a été découvert au fond des hypogées de l'Egypte. Parfois les baxeœ ont le quartier et l'empeigne du soulier ; parfois un simple lien de feuilles est adapté à la semelle; parfois encore un appendice, destiné à passer entre le gros orteil et le doigt voisin, fait saillie à la partie antérieure. M. Rich a repro- duit un type de ce dernier genre d'après le modèle en papy- rus de la collection de Berlin ^. Un livre l'on peut trouver d'utiles renseignements donne sous l*a vague rubrique : « Sandale et bal)ouche des femmes de l'ancienne Egypte, d'après les monuments, » la gravure de deux baxeœ fort curieuses * . La première, semelle à bride, vient d'être signalée ; l'autre, tressée en forme de baris, navire particulier à l'E- gypte, se nommait chez les Grecs tisfAoxplç , ■nepi^Apov^ n'Aoïà-

' V. Descripl. de l'Egypte par la Comm. française ; Cit. Lenormaint, Mu- sée des ant. égypt.; Texier, loc. cit. pi. 132 (Sésostris, bas-relief de Nym- phio) : MoNTFAUcoK, Ant. expL, t. ii, pi. 118, (statuette d'Osiris), etc., etc.

^ Lib. n, 87. c Pedes palmeis baxeis inductus. n Métani. 1. ii. « Pc- des ambrosios tegebant soleœ, palmae victiicis foliis intextre. n Ih., 1 xi. Le thaumaturge Apollonius de Tyane portait aussi une chaussure de pa- pyrus. Piiir.osTUATE, Jpoll. vila.

* Dict des ant., p. 78.

* Histoire de la chaussure, par MM. P. Lachoiv, Dl'cheswe et Skuk, p. 5.

LES SANDALKS ET LES BAS. iT:",

fjiov, dy.di.ziov: suivant Jiiliiis Pollux, elle fut d'abonl à l'usage des servantes * .

IV. Perses. Les monuments achéménides offrent plu- sieurs espèces de chaussures complètement distinctes. Les soldats portent un calceus fermé, noué sur le cou-de-pied avec des cordons. Les Mages, Satrapes, officiers du palais et Doryphores ont des souliers dont l'empeigne, partagée en deux pièces jointes par une couture, se découpe vers le haut en trois paires d'oreilles [ligulœ) réunies au moyen de bou- tons. Le bord antérieur de ces souliers, qui couvrent la che- ville, est en outre garni d'une languette demi-circulaire re- montant d'à peu près O'^OB" le long de la jambe. Les rois semblent chaussés de bottes ou bottines collantes pareilles à celles que j'ai signalées chez les Assyriens ^ Quelques tribu- taires présents à ia solennité du Nourouz ont la même botte parfaitement caractérisée; un chamelier bactrien , vêtu comme les mougyks russes, en porte d'assez amples pour re- cevoir ses larges braies. Sauf le cas d'un personnage dont le cou-de-pied est chargé de nœuds % toutes les chaussures précitées manquent d'ornements, malgré l'or qui les relevait, suivant le poëte Denys :

Xpuaw o'à[xctt TTooEUCiv £X0(7[ji.yic;avTO TTî'oiÀa *.

Il est assez difficile de déterminer la forme des chaus-

' Onomasticon, vu, 22. L'écinvain cite ce vois du Trophonius de Céphiro- DOllE :

Nîiv ô w(T7T£p 7] Ospâiraiva, à'yo) TTcptéapioai;.

' Flandiw et CosTE, Voij. en Perse, pi. 100, 101, J23, 147, 152, etc.; Persépolis. Le soulier actuel des prêtres guébres, pointu, recourbé, sans ouverture et dépassant la cheville, pourrait bien être une réminiscence de l'antique chaussure royale des Perses. V. Banier, Cér. rel., t. v.

' / 01/. en Perse, pi. 105, 106, 107 et 108 ; Persépolis.

* Périeg., 1061. Etiewne, De urhihris, mentionne une chaussure per- sique, particulière aux femmes, à laquelle il donne peu de valeur [IxiTtXii,) .

i76 LES SANDALES ET LES BAS.

sures parthes et sassanides, toutes cachées sous de A^astes pantalons, maintenus autour de la cheville, soit par des ru- bans longs et flottants noués sur le cou-de-pied soit au moyen de courroies bouclées. Tertullien, qui rencontra des Parthes et des Mèdes venus à Rome sous le règne de Sévère, relate qu'ils portaient des bottes enrichies de perles, et, au XIP siècle, Tzetzès parle encore des chaussures persiques couvertes de perles et de pierres précieuses. Les bas-reliefs de Chapour présentent une série de personnages en bottes et larges pantalons descendant à mi-jambes ; le roi ou prêtre, sculpté à Tengh-i-Saoulek, est vêtu absolument de la même manière. Les chasseurs brodés sur le suaire de saint Lazare à Autun (XIP siècle), deux héros peints sur une faïence re- lativement moderne à Astérabad, portent des bottes assujet- ties au genou par des jarretières qui, chez les derniers, sont munies de boucles très-riches. Enfin, les bottes appartiennent toujours au costume persan moderne ' . Certains cavaliers sassanides ont aussi Vanaxyris collante et rayée , confondue avecle peduk que surmonte un nœud énorme '. La chaussure des femmes, profondément ensevelie sous les plis des robes ou des pantalons, est presque invisible; elle devait ressem- bler aux pantoufles des dames guèbres : ses rares s[)écimens sont dénués d'ornements; un seid étale une double rangée de perles \

« Et in peionibus uniones emergere de luto cupiunt. » De Hab. mul. Chil. 1, 29, 3. V. .^nt. expl . t. I, pi. 31, 1, Parthc ; Voij. en Perse, pi. 33, 14, 186, 53, 225 ; Homm.\ire de Heix, Turquie et Perse ; Dibeux, La Perse, pi. 65, 66, 70 et 77 ; etc , etc.

- Voy. en Perse, pi. 183 et 186. Les Mingréliens, peuples du Caucase sur les bords de la mer noire, portent encore des souliers rayés qui permettent de suppléer à l'état fiuste des bas-reliefs de Nakch-i-Roustam. V. Chardin, Voy. en Perse, pi. 2, éd. Langlès.

* AVy. en Perse, jjI. 9 et 186 ; Ch.^kdip:, loc. cH, pi. 75

LES SAND.W.KS liT LES DAS. 177

V. Scythes, baccs, (iollts, lliins cl Louihanls. Aiiiniicii iMarcellin nous apprend que les Huns cachaient leurs jambes velues sous des peaux de chevreau, et Paul Warnefrid ra])- porte que le soulier des Lombards, retenu par des courroies lacées, était fendu sur le cou de-pied jusqu'à la naissance des orteils. La statue n* 7, au musée des Antiques du Louvre, offre un exemple de cette chaussure dont les cordons dispo- sés en treillis vont se réunir autour du pantalon qu'ils main- tiennent à la cheville. Sidoine Apollinaire dit que les Gotlis portaient des bottines en cuir de cheval attachées par un nœud au bas de la jambe, dont le haut restait découvert. Les bas-reliefs de la colonne de Théodose représentent des Scythes ou des Goths chaussés d'un socciis à double lan- guette pareil à celui des histrions étrusques ' . Sauf le cas d'une carhatina liée avec des lanières croisées, les souliers des Daces, figurés sur les monuments, diffèrent peu du cal- ceus achéménide et dénoncent une communauté d'origine^. D'après les objets d'art trouvés dans les nécropoles de Koul- Oba et de Panticapée (Crimée), on voit que les Scythes avaient une chaussure à demi-voilée par leurs braies flot- tantes, ou bien, par-dessus Vanaxyris collante et bariolée.

' Rer. gest-, xxxi. » Calcei vero eis erant usque ad summum pollicem pêne aperti, et alteinatim laqueis corrigiarum retenti. » De gestis Langob., IV, 23.

Nec tangeie possunt Altatse suram pelles, ac poplite nudo Peronem pauper nodas suspendit equiiium.

Carm. vu, 456. Ba^dihi, Imp. Orient., t. Ji, pi. i etsuiv.

* Ant. expl., t. I, pi. .32, 51, 2, 54, 69 ; m, pi; 34 ; suppl. , m, pi. 4.— « Persaî qui sunt originitus scythie. » Am. Marcellin, Ioc. cit. Le type de toutes les chaussures des barbares, originaires de l'Asie, se retrouve sur les monumiMits assyriens et perses.

478 LES SANDALES LES BAS.

des bottes molles à entonnoir «. Ces bottes se nommaient certainement tzangues ; elles étaient fabriquées avec le cuir roussâtre que le voyageur Mandeville vit préparer en Tartarie et que nous appelons cuir de Russie : un passage du Chronicon paschale lève tous les doutés que mon assertion pourrait sou- lever. Il y est dit que Tzatliius, fils de Zamnaxis, roi des Lazes, étant venu demander à l'empereur Justin le Thrace l'investiture des états de son père, parut à la cour revêtu du costume byzantin, mais avec les tzangues roussâtres de. son pays ornées de perles à la mode persique'. Or, les Lazes étant une tribu scythe soumise aux Perses, on doit en conclure que le nom barbare gfécisé rÇayyta, d'une chaussure commune à eux et à leurs maîtres, fut emprunté aux idiomes orien- taux. Je reparlerai plus bas des tzangues.

^11. Grecs et Romains.

Les anciens peuples du Latium eurent évidemment leurs chaussures particulières, mais un contact journalier avec les races helléniques, tant par l'Italie méridionale et la Sicile que parla conquête de la Grèce elle-même, introduisit prompte- ment dans le costume romain des éléments dont la forme et le nom ne perdirent jamais leur cachet originel. La chaus- sure est de ce nombre, et Rome ne se fit pas faute de copier les calceamenta grecs. Quoiqu'elle n'en ait pas adopté le to- tal, établir pour chaque nationalité une nomenclature dis-

' Dubois de Monpérkux, Voyage autour du Caucase, fig.; nécr. de Pan- ticapée ; vase de Koul-Oba.

- <i Ta yàp Trî^aYyta àuTou -/[v àreo t/ji; "/wpotç àuxoû poucotîa, Oepcuôi <jy-/iw.aTi, à'/ovTH [^.apYapita;. » Chron. pasch , p. 332, anno 4 Justini Thra- cis (520). Les chaussures parthes, que TertuUien, cité plus haut, nomme pé- ronés, n'étaient autre chose que des tzangues.

LKS SA.NDAI.KS KT LES I5AS'. 470

tiucte conduirait ù «le trop longs développements. Je préfère donc grouper dans un même pai-agraphe toutes les chaus- sures grecques et romaines classées en trois catégories : chaussure laissant la partie supérieure du pied à nu, .s-o- leci; 2" chaussure couvrant l'intégrité du pied, calcciis ; S" chaussure garantissant à la fois le pied et la jambe, co- t/uimus. Mon cadre est fort élasticpie, je le sais, aussi les calceameuia douteux ou dont les noms seuls ont été conservés par Isidore et Julius Pollux à titre de renseignements ' se- ront-ils relégués à la fin.

I. Chaussure laissant la partie supérieure du pied à nu. Solea. On doit entendre généralement par solea toute chaussure qui ne garantissait que la plante du pied : « Om- nia ferme id genus, quibus plantarum calces tantum infimae teguntur, cetera prope nuda et teretibus habenis vincta sunt, soleas dixerunt ; nonnunquam voce gr£eca crepidu- las -. » Les Romains, ennemis de la gêne^ portaient la solea dans leurs habitudes de vie ordinaire, hors du costume offi- ciel ; elle consistait en une simple semelle attachée par des courroies non croisées : on la mettait et la retirait facilement, aussi la prenait-on pour assister aux repas, l'usage étant de se coucher pieds nus sur les lits du triclinium ^ Pétrone nous montre Trimalchion jouant à la paume « soleatus. « Cette chaussure était commune aux deux sexes; un magis- trat manquait à la bienséance s'il en usait sur son tri1)uiial \

' Origines, lib xix, c. 38, De calceamentis Onomasticon, lib. vu, c. 22. Calceorum species. Les citations que je pourrai faire d'Isidore et de Pollux seront empruntées à ces chapitres, désignés une fois pour toutes.

^ AiiLU Gellk, xhi, 21. Isidore, loc. c?'t— Festus, De verb.sign.

^ Plaute, Trucul., ii, 4, v 12 et 16. Horace, lib. ii, sat. viir,

'' Satyr., 27. Propeuce. Ovide, Ars amandi, ii, 212 : Et tenero soleam deme vel adde pedi.

Qi]l]NTiLiE>J, XI, 3 : « Stetit soleatus prÈetor populi Romani, d

480 LES SA.NbALliS KT LES lîAS.

Il y avait des soleœ de cuir, de bois et même de laine ; leur courroie, corrigia^ ameulum^ n'existait pas toujours, ainsi que Pline le remarque à propos de la statue de Cornélie, « soleisque sine amento insignis : » alors un tenon passant entre les orteils devait y suppléer ' .

Sculponea. C'était une chaussure grossière propre aux esclaves employés à la campagne. Un calembourg de Plaute fait comprendre le rapport des sculponeœ «à la aolea ; Stalinon dit à Olympion d'acheter des provisions de bouche et entre autres des soles « soleas, » à quoi Chalinus riposte :

Qui qufeso, potius quam sculponeas Qiiibus baluatur tibi os, seuex nequissime *.

M. Ricli croit avoir retrouvé un type de sculponea sur la figurine en bronze d'un esclave occupé à des travaux rus- tiques ; si l'érudit anglais ne se trompe pas, il a reproduit une chaussure analogue à celle du philosophe Posidonius, statue n" 89 des Antiques du Louvre.

Carbatina. Julius Pollux dit que la y.arjcarivn tire son nom des Cariens qui l'inventèrent. Chaussure éminemment rustique, elle était faite d'un morceau de peau de bœuf crue placé sous le pied^ puis relevé en gouttière, de façon à ga- rantir le talon et les orteils. Des courroies, passant par des trous percés sur les bords, s'enroulaient autour de la jambe. Quand les soldats de Xénophon eurent usé leurs vieux sou- liers, ils se fabriquèrent des carbatines ^ ; Catulle affecte pour

' Satyr., 95.— Mabtial, xiv, 65. Soleœ niateiiale.s, ex mateiia corio intexta. n Isidore, Ioc cit. Hist. nat. xxxiv, 14. Ant. cxpj.^ m. pi. 35. Dict. des Ant. p. 590.— Chardin, Ioc. cit. pi. 19.

-C.\TON, R. rust., 59 et 135. Orig., Ioc. cit. Casina, ii, 8, .59.

' « Kap^drivai ir£7roir,a£vai in twv VEOOxpxtov [iciwv. » Aiiahasi.i, i\, 5, 14.

LES SANDALES ET LES IIAS. 181

elles lin souveniin mépris ; on les rencontre sur des vases grecs et des peintures de Pompeï ; elles sont toujours en usage chez les paysans italiens et les Kabyles *.

Crepida. l^a y.pr^rùiy^ chaussure nationale des Hellènes, n'était portée par les Komains qu'avec le costume grec, c'est- à-dire le pallium ou la chlamyde. On voyait au Capitole la statue de Lucius Scipion, « non solum cnm chlamyde, sed etiam ciim crepidis; -> Pleminius est repris pour s'être mon- tré au gymnase « cum pallio crepidisque; » Tibère, pendant le séjour qu'il fit à Rhodes avant la mort d'Auguste « rede- git se, deposito patrio habitu, ad pallium et crepidas ". » La crépide consistait en une semelle garnie sur les cotés, soit d'un cuir percé de trous, soit de simples lanières tournées en boucle {amœ)^

Ansaque compresses colligit arta pedem '.

Une courroie {corngia)^ passant à travers les amœ, attachait la crépide au pied ; les femmes avaient parfois des courroies dorées. Une agrafe de métal, que je crois être l'objet désigné par Pline sous le nom iVobstragulum, placé entre le gros or- teil et le doigt voisin, ajuste souvent la corrigia k la se-

' Ista cum lingua, si iisus vcniat tibi, posais Culos et crepidas lingere caibatinas.

98, 4. TiscHBEiN, Peint, de vases, i. 14; Mufteo borbon., xt, 25 ; Hopk, The cosi. of the Anrienfs ; RicH, Dirt. des avi.; Mag. piff., 186], p. 281. Hesychius définit la ravbatine, y.ovoT£)>aov ou [Jtovdoîpuov, c'est à-dire d"nn seul morceau de cuir. Je pense qu'il faut confondre avec cette chaussure l'aÙTOij/EOiiT (improvisé) calceus rudis sine arte confectus, dont parle Hermip- pus cité par Pollux.

- Peusk, I, 127. CirKKo>, Pro Eabirin, 10 ; Tjte Livk, xxix, 19; Scé- TOAF, Tibère, 1.3.

' TiBHLT.E, I, 8, 14. a Apellem .. feruntquc a sutore reprehensuin, quod in crepidis una intus pauciores fecis.set ansas. » Pline. Hisf.. ndt., xxxv, .36,12.

TOMK VI. 35.

482 LES SANDALES ET LES BAS.

nielle ; les dames romaines poussaient le luxe jusqu'à enri- ehir Vobstraguliim de perles ' , La crépide s'adaptait indiiFé- remment à l'un ou l'autre pied ^; Pollux, cpii lui donne aussi le nom d'a^Trio-, la traite de chaussure militaire; on la trouve sur beaucoup de statues grecques, notamment l'Apollon du Belvédère et la Diane chasseresse, n" 178 du Louvre.

La Sycchas, 2u//ào-, dit Pollux, ressemblait fort à la cré- pide; elle tirait son nom de ce qu'elle embrassait le pied. On rencontrerait peut-être dans Montfaucon quelques spécimens de si/rchas ^

Le Diabalhrum^ AidoccOpov^ appartenait aux deux sexes ; Festus le signale comme une espèce de solea grecque. Eus- tathe dit que c'était surtout une chaussure de femme, et quand Naevius, cité par Varron, l'attribue aux hommes, c'est pour désigner une mise efféminée. La figure d'un sa- vant byzantin, chaussé de patins à quartiers et à courroies, me paraît offrir le type du diabathmm, dont l'usage, en Orient, persistait au XVIP siècle *.

La Fulmenta, Kào-o-jfjLa, dérivatif de fulcrum., fulcimen^ fulcimentum (appui, soutien), était une semelle, ou plutôt une réunion de semelles ajoutées à la chaussure pour re- hausser la taille des individus :

Subjicit liuic fulcrum : fulmentas quatuor addil *.

* « Jam pedum candor, intra ami gracile vinculum positus. » Péiuone, 126. » Quin et pcdibus, nec crepidarum tantum obstragulis, sed totis soc- culis addunt (maigaritas). Hist. nat. ix, 56.

* <( Et idem utrique aptiim pedi, vel dextro vel sinistro. » Isidore, loc. cit. ' Jnt. expl., t. m, pi. 35 ; t. ii, pi. 100.

* Onomast. loc. cit. « Diabathra in pedibus habcbat et erat amictus epi- croco, utrumque vocabulum gra cum. n Vauroîn, De ling. lat., yi, 3; Ant. expl., \n, pi 4, 5, X^ siècle; CiiArx'ois'nYi.K, Décad. de Verni), grec, Tllus- trations, dame turque.

' Liuii.lLis, .fal.. IV, 9.

LES SANDALES ET LES l!AS. 183

L^fulmciila se fixait avec des clous ; « fulmentas clavis aîneis subducere. » Elle était à l'usage des soldats :

FidmoMÎas juhecim sub|iini;i soccis,

dit plaisamment l'esclave Stasime qui veut s'engager ' . Les dames romaines mettaient des semelles de liège à leur chaus- sure d'hiver. La Pallas de Velletri, une autre statue de Mi- nerve et une jeune femme sculptée sur un bas-relief d'Ar- gos ont des fuhncnlœ aux pieds ".

On donnait le nom de Scabillum, KpouTréçta, à une semelle de bois très-épaisse munie d'une fente horizontale profonde, se logeait un petit instrument de métal que la pression du ■pied faisait raisonner. Le scabillum battait la mesure, gui- dait le chœur, accompagnait le joueur de flûte et indiquait l'instant marqué pour lever et baisser le rideau ^

Ainsi que l'indique son nom, la Gallica fut empruntée aux Gaulois. Elle s'introduisit à Rome vers le temps de Cicéron ; on la portait avec la laccrna^ manteau qui avait la même ori- gine; leur usage était inconvenant et an ti nation al *. Sous

' Ldcilius,.xxviii, 46. Placte, Trinummus , m, 2, 94.

- Pline, Hist. nat., xvi, 13. Jnt. du Louvre, n" 310; RicH, loc. cit.

p. 288 ; Charton, f^oi/. anc. et mod., t. I, p. 302.

' Poixiix, loc. cit.; cet auteur parle de Crupeziphores béotiens. ScÉ-

TONE, Caligula, 54. » Mimi ergo est jam exitus... deinde scabilla concre-

pant, aulœuin toUitur. « Cicéron, C'œ/. 21 .— AntexpL, ni, pi. 191. Rubens,

De Re vest., p. 187. . * Il Deinde cum calceis et toga, nuUis nec gallicis nec lacerna. » Cicéron Philip., II, 30. Il T. Castricius... cum discipulos quosdam suos senatores (I vidisset, die feriato tunicis et lacernis indutos et gallicis calceatos « So- <| leatos tamen vos populi romani senatores per urbis vias ingredi nequaquam '< décorum est. » Plerique autem ex ils qui audierant, requirebant, cur so- « leatos dixisset, qui gallicas, non soleas haberent. Sed Castricius profecto, ■I scite atque incorrupte locutus est... Gallicas autem verbum opinor novum, « non diu ante setatem M. Ciceronis usurpari cœptum. » Aci.u Gei.le, xiri, 21. (V. le reste de la cit. à l'art. Solea),

-484 LES SANDALES ET LES BAS.

l'empire, dit M. Rich, les gallicœ devinrent à la mode, on en fit yiour toutes les classes et de qualités diiFé rentes. D'après un sarcophage d'Amendola, représentant une bataille entre les Romains et les Gaulois, cet auteur prétend que les galli- cœ étaient des souliers bas, à semelle épaisse et dont l'empei- gne laissait le cou-de-pied entièrement découvert. L'expli- cation du savant anglais ne concorde pas tout à fait avec les calcei fermés qu'il donne pour spécimens ; elle répond peu au texte d'Aulu Gelle l'analogie des soleœ et des gallicœ se trouve nettement spécifiée. Je crois qu'une chaussure à jour {feneslrata) , publiée par Montfaucon d'après Bonanni , et deux autres nudipedes de Y Antiquité expliquée^ sont de vé- ritables gallicœ. Bauduin avance que la semelle des gallicœ était en bois, ce qui est probable, car notre mot galoche, dé- rivé de gallica, exprime une chaussure ainsi fabriquée. Il y eut aussi des gallicœ en roseaux tressés :

Calipfa(iiie remota Gallica sit pedibiis molli redimita papyio *.

Le type qu'en donne Bauduin est assez vraisemblable ; il a beaucoup de ressemblance avec Valpargata en jonc des Es- pagnols.

La caliga était par excellence la chaussure militaire des Romains. L'immense majorité des monuments en fait une solea, laissant les orteils à nu, et attachée au moyen d'un système de courroies multiples, qui couvrent le cou-de-pied et finissent par environner la jambe de cercles parallèles '.

^ Dict. des ont. p. 297 et 298.— Ant. expl.. m, pi. 35 et pi. 8, fig. i (pa- tricien) et 3 (philosophe). On conseivo au Musée de Londres une chaussure analogue a celle de la pi. 35, mais ]j1us grossière. De calceo ant , c. 14. ('(irmen ad sénat Isacuni , ap. Rijbkns, De Re l'est., p. 155.

' « Caligul;o, caliga?, vel a callo pedum dicta;,.vel c^uia ligentur. » Isidore, foc. cit. La calige n'appartenait qu'aux langs inférieurs de l'armée : « C. JkJarins, ad consulatmii a caliga perductus.» Sknéqpe, Dehenef. v, 16.

LES SANDALES ET LES BAS. i.Sf)

M. Ricli en veut faire un calccus fermé, et présente, à l'ap- pui de son o})inion, un bas-relief tumulaire de Milan l'on voit un homme assis en face de deux souliers, avec l'ins- cription svTOR CALIGARIVS, ([lie l'érudit écrivain interprête par cordonnier m valiges. Je me permettrai un avis moins absolu, car sntor caliyarius peut signifier également (pie le défunt avait la double spécialité de coi'donnier ordinaire et de fabricant de caliges (le cordonnier-bottier de nos vieilles enseignes); de i)lus, les objets placés devant ce personnage sont-ils réellement des caliges? N'y verrait-on pas plutôt des souliers véritables {opus sulorisi ou simplement des fornu^s en bois {lentipellium, y.xlci:ovi)? L'état fruste du marbre rend la question difficile à résoudre. J'essayerai de mettre M. Ricli d'accord avec les errements acceptés jus(pi'à lui, en disant (pie les Romains nommaient caliga leur chaussure ex- clusivement militaire, qu'elle fût ouverte ou fermée. Pompée portait des fasciœ blanches sous ses caliges ' ; les soldats purent imiter cet exemple, surtout en Germanie le froid exigeait que le pied fût garanti. Justin relate que dans l'ar- mée d'Antiochus « etiam gregarii milites caligas auro figè- rent. •) Le soldat romain renforçait sa chaussure de clous serrés et pointus :

Quum duo crura liabeas, otl'endere tôt caligas, lot Millia clavorum '.

Suétone, reprochant à Caligula de ne s'habiller ni en Ro-

' Dict. des ant., p. 96. « Et eiiiin mihi caligae ejus et fasciîe cretata? non placebant. » CicÉiiOiv, Ad Altic, ii, 3.

'■' Hist. xxxviri, 10 JcvÉNAf,, sal. xvi, 24; V. encoie Id., m, 217 et Pliwe, Hist. nul., IX, 33. Josèphk, Bell. Jud. vi, 7, parle ainsi du Centu- rion Julianus ; « Ta yàp uTToo'/ifxaTa 7r£T:Q(p[X£vai ttuxvoî; xai Ôîî'givJJXo!; e/cov, wffirsp Twv à'XXojv cTpaxioTtov eV.acTOi;. » Ant. expl., m, 35. FKiuiARr, De Re vest., anal., pi. 6, are de Const.

486 LES SANDALES ET LES BAS.

main ni eu citoyen, l'accuse d'avoir paru eu public « modo " iu crepidis vel cothuruis, modo in speculatoria caliga, « noiniunquam socco muliebri ' . » Caïus ne tira donc pas son sobriquet d'un usage immodéré de la calige, mais bien de ce que cette chaussure, incompatible avec la dignité suprême, le faisait particulièrement remarquer.

II. Chaussure couvrant l'mtéfjrilé du pied. Calceus. Le Calceus appelé par les Grecs, y.cû-œi^ /aÀ/.rtxa^v, iir.câr,^.x ■A.OÙOV., était, ainsi que l'indique son noni;, un soulier montant qui enveloppait tout le pied. Cette chaussure généralement noire, commune aux deux sexes, avait une empeigne cousue et la forme de nos souliers couverts ou brodeqiuns ordinaires; on pouvait l'attacher avec des cordons et elle ne s'adaptait pas indiiféremment à l'un ou l'autre pied -. Aurélien inter- dit aux hommes l'usage des calcei rouges, jaunes et verts, qu'il toléra pour les femmes. Il y avait aussi des calcei blancs ; les histrions en portaient. Un luxe eflfréné s'introduisit plus tard dans la chaussure des Romains qui finirent par préférer, même aux souliers dorés, les ca/ce? de pourpre, brodés à l'ai- guille, Tiopfvpd xoà y.iyvnzà. ^ Le calceus était l'accompagnement obligé de la toge ; « proprium togœ tormentum » dit Tertul- lien \

' Caliyula, 52. V. pour les figures de caliges ; ./nt. expl.; Imp. Orient , Malliot, lîech. sur les cost. t. i, etc. etc. Le bas-relief n" 555 du Louvre représente le centurion C. Maccenius avec des caliges ouvertes, et, ceci je l'ai vérifié moi-même sur les plâtres, la plupart des caliges de la colonne trajane sont dans le même cas.

- Du Caage, Gloss. (jrœc. Zoinark. Poi.llx. Ei.iein,', Var. llist., VII, 4. « Si mane sibi calceus perperam ac sinister pro dextero induceretur, ut dirum. «"Spétonk, .'liiguste, 92. RicH, loc cit. Canius, stat. 107 du Louvre.

^ Vopisccs, Aurél., 49.— Martial, vu, 82. Phèdre. v,7, 37. Suirr.r- çius,ap. RuBKNS, Zoc.ci^ p. 149.— S. J. Ciirys., iïoî«. 22^ Ad poji. Antioch.

* De Pallio, c. 5. Y. aussi Pline, vu, ejiist. 3, etc. etc.

LKS SANliALES ET LES li.VS. 487

h'()bstri(jillt(in était un calceiis renforce de deux plaques de cuir, cousues à la semelle et trouées pour livrer passage aux courroies ' .

Pollux mentionne des chaussures précieuses qn'il nomme calcei fenestrali, « I.'/i<7zcù Tolv^elii Ù7rccJr,p.a, y.où QpvnziyJv : zxvrai âè Y,xl ).zT:zoa-/ièd<; wv5'pi.a^3v . » Le IMusée des antiquités de Londres possède quelques spécimens de ce genre de sou- liers exhumés du fond de la Tamise, la vase qui les recou- vrait assura leur conservation. Ces curiosités, uniques au monde, sont en peau de truie [sicine) noire et découpée en réseaux élégamment variés. Trois d'entre elles sont d'un seul morceau recousu aux extrémités ; un renfort de cuir leur tient lieu de semelle, et des ligulœ livraient passages aux cor- dons absents. Les dimensions de deux souliers, restés intacts, (0,1 Ve-^' sur 0,076"" et 0,252'° sur O.OSS'"; peuvent les faire attribuer à une jeune fille et à une femme; un autre (0,223"" sur 0,070""), à semelle quadruple, munie de gros clous rivés sans apparence de couture, à courroies et oreilles taillées dans le quartier, doit avoir chaussé une paysanne; son affinité avec la solea et le pays il a été trouvé m'engagent à le regarder comme une gallica rustique, conforme au sentiment d'AuluGelle-,

Les souliers de femme, calceoli^ étaient minces et déformes diverses ; j\L Rich en offre trois modèles d'après les pein-

' Rien, loc. cil. "Obstrigilli sunt qui per plantas consuti sunt et ox .su- porioro parte conigia trahitur, unde ot nominantui'. » Tsidohk.

Ch. Roach S.MiTH, Cal. of the .Mvs. nf London ant., p. 6(3 et pi ix. Lettre du même à l'auteur, b''' déc. 1856. L'.-/?i^ exjjL, t. \u, pi. 35, offre une chaussure qui participe de la crépide et du calcens feneslmlus. Les sou- liers du ihéteur Euménius (statue trouvée à Clèves, IV« siècle) me paraissent ég-d\ement feneslrali , mais la gravure que j'ai sous les yeux est trop impar- faite pour y renvoyer le lecteur.

488 LES SANDALES ET LES BAS.

turcs de Ponipéï : ils moment jusqu'à la cheville, ont des semelles et des talons bas; leur empeigne est tout d'une pièce , et leurs cordons, lorsqu'il y en a, sont passés dans l'ourlet qui arrête la partie supérieure. Outre les couleurs indiquées ci-dessus, on portait des calceuli blancs; ceux des suivantes de Tliéodora (mosîiïque de Ravenne, VP siècle) et de sainte Cécile (mosaïque de son église à Kome, 822) sont entièrement rouges ' .

Les Patriciens et les sénateurs avaient une chaussure par- ticulière que prenait tout individu admis dans leurs rangs'; Isidore en parle ainsi : « Patricios calceos liomulus reperit « quattuor corrigiarum assutaque luna. His soli Patricii " utebantur. Luna autem in eis non sideris formam, sed «' iiotam centenarii numeri significabat, quod initio patricii « senatores centum fuerint. » Plus bas, le même auteur ajoute : » Mullei similes sunt cothurnorum solo alto, supe- 0 riore autem parte cum osseis sunt vel eeneis malleolis, ad " quos lora deligabantur. Dicti autem sunt a colore rubro, 0 qualis est mulli piscis. » Calcei patricii et mulkn doivent être confondus ensemble si l'on en croit Festus : « Mulleos 0 genus calceorum aiunt esse, quibus reges Albanorum primi (' deinde Patricii usi sunt. M. Cato originem libro septimo : " Qui magistratum curulem cepisset, calceos mulleos alluci- " natos (uncinatos ?], ceteri péronés. Item Titinius in satira : « Jam cum muleis te ostendisti, quos tibiatis in calceos. •> Les antiques statues patriciennes, dont le vêtement est assez

* Dict. (lésant.., [>. 94. » Calceis feniineis albis et teiiuibus inductus. » Apllék, Méfam. 1. mi. Une Juiioii étrusque eu bronze porte des souliers 'acés pardevant, avec des courroies entourant la jambe comme celles du cal- ceiis palriclus. Mus. Corlonmse, yjl. 5, in-t'ol. Rome, 1750.

* 'I Apertain cuiiani vidit lAsinius) post Cœsaris mortem ; mutavit calceos; pater conscriptus repente factus est. i. Cicékon, f'/tilip., xiii, 13.

LES SANDALES ET LES BAS. 4H0

relevé pour que roi» puisse embrasser reusenible de leur chaussure, porteut une sorte de bottine close, eu matière souple, peau chamoisée sans doute, dessinant les formes. Deux rubans, souvent très-lai\aes, pnrtent de la semelle vers la naissance des orteils et viennent se lier sur le cou-de- pied ; une autre courroie, également double, assujettit le haut du calcpus à la jambe qu'elle entoure jusqu'au milieu, elle s'arrête en nœuds à liouts ])endants. César. Auguste et Caligula (n" JOO et du Louvi-e) sont ainsi figurés. La statue équestre de Marc-Aurèle, les diptyques consulaires de Stilicon (400), Boëce (487), Anastase (517), Magnus (518), ofirent des corrigiœ pcdulcH cr(jisées en sautoir; celles de Boëce rappellent l'aspect des monuments sassanides. Les courroies forment un réseau sur la chaussure du consul Ani- cius Faustus Basilius (541); au contraire une seule ban- delette divise longitudinalement les souliers de INIarc-Aurèle en pontife et d'un sénateur. L'image du consul Flavius Félix (428) montre les quatre courroies d'Isidore nettement carac- térisées ; deux partent de la pointe de la semelle, les autres sont disposées en étrier. Un jeune patricien, revêtu de la prétexte et la bulle au cou, m'a paru être dans le même cas ' . Aucun doute ne peut exister sur la couleur et la matière du calceus patricius; il était rouge vif, suivant une ancienne inscription de Caïus Marins ; en peau éoarlate préparée à l'alun, suivant ^Martial :

Coccina non lœstirn cingit aluta pedem *.

' V. An(. expl , iv, 28 ; suppl., iiï, 81; ihid., 3 ; iil, 8 et 5. Goiii, Thés. vet. dipt., I, 1,4, 5, 11. Les Jrls sompt., t. I, pi. 2 et 1.

* " De MAJVVBIEI-S CIMBRinS ET TEVTOKICEIS AEDKM HONORI VICTOR FE-

ciT VESTE TRivMPHAri cALCEis pvNiciEis » ap. Ferrari, Dc Rc vesl., anal., p. 106. - II, 29.

490 LES SAN IJ A LES ET LES BAS.

Les corrifjiœ crurales étaient de cuir noir :

Nam ut quisque insauus ni^ris médium inipediit crus Pellibus, et latum demisit peclore clavum.

Un vers de Ju vénal prouvera tout à l'heure que les corri- (jiœ pedides n'avaient pas une autre couleur. Néanmoins, après qu'Aurélien eut réservé la chaussure rouge à la dignité impériale, les consuls adoptèrent les soidiers dorés '.

Dion Cassius rapporte que Jules César usait parfois d'une chaussure rouge et élevée, à l'instar des rois d'Albe, dont il prétendait tirer son origine -. Une figure étrusque, publiée par Montfaucon, réunit, à mon sens, les divers caractères du calceus albain de César, des péronés curides de Caton et des midlei de Titinius. Cette figure présente un calceamentum à semelle épaisse, montant presque jusqu'au genou, avec des courroies disposées à la patricienne ^

Elusieurs auteurs confirment l'assertion d'Isidore relative- ment à la liina :

Lunata nusquam pellis et nuscfuam topça

dit Martial ; « quam enim non expédiât in algore, et ar- « dore rigere nudipedem, quam in calceo uncipedem » s'é-

' HouACE, lib. 1, sat. vi, 27. Cassiodoke, Varia, lib. vl, 1 : « Calceis aureis cgredere. » Forni. Cons..

Quid si taie decus recitasses in aure Senatus, Stravissent plantis aurea fila luis.

FoRTUNAT, lib. 111,20, 9. 5 « 'V'j/-/-,À^ xai Ipu0p//pdw. » Jlist. rom., 43. ^ Ant. expl ., i!i, ^9.

LES SANDALES ET LES liAS. V.)\

crie l'énergique Tertullien. Stace nous appieud i[nv rcnfance même avait droit à cet ornement :

Sic le clare puer gt'iiil'.iin sihi curiu seiisit Priinaque patriciu clansit vestigia lima '.

Mais une difficulté reste à éclaircir; il s'agit maintenant de déterminer la place exacte du croissant que les artistes s'abstinrent de sculpter, probablement à cause de sa nature délicate et fragile. Lu (jallica de Bonanni porte un mallcoliis battant sur le cou-de-pied; les souliers consulaires de F. Fé- lix et.de F. Taurus Clementinus (51 5) sont agrafés par devant, à la hauteur des chevilles, avec une fibule hémisphérique; enfin, le vers de Martial:

Non extrema sedet liuiaia ligula planta -,

qu'on lise extrema ou externa , me semble résoudre la question, car les ligulse ou oreilles, qui couvrent les chevilles se réunissent toujours sur le cou-de-pied. Une plaisante re- partie d'Hérode Atticus à Braduas fait encore mieux com- prendre la position qu'occupait la luna^ Braduas portait sur sa chaussure la marque de sa haute naissance, laquelle mar- que consistait en un ènKKfvpiov èlec^dvzivov jxwozidta (littérale- ment couvre-cheville d'ivoire en forme de croissant) : Tu as ta noblesse sur l'articulation du pied, lui dit le rhéteur \

' Ex>igr., 1, 50.— De Pallia, 5.—Sili\v,x, 2, 27. Zo.naki:, Jnu., dit que les chaussures patriciennes différaient des autres, tt.ts eTraXAayîi tcov 'tfxâvTwv xai TW Tu:rw tou ypau.aaTo;.

* Ant. expl., !ll, 35. Goui, loc. cit. l, pi. d.—Epiyr., ii, 29.

■'Philostrate, Vit. Sophist-, 1. ii, 1, 18.

49^2 LES SANDALES ET LES BAS.

Le croissant était donc disposé de manière à ce que ses cor- nes, engagées dans les corrigiœ pédales noires,

Ap[)Osilara nigrœ luiiam subtexit alut*,

présentassent un écartement suffisant pour dissimuler les malléoles. Le croissant elli[)tique d'ivoire, trouvé dans les Catacombes et publié par M. Rich, a tous les caractères de la lana patricienne ' .

Le soccus^ soccultis ou soccelliis était une pantoufle sans <iordons, couvrant le pied tout entier : « Socci cujus diminu- « tione soccelli a})pellati inde quod soccum habeant, in quo « pars plantaî iniciatur... nam socci non ligantur, sed tan- « tuni intromittuntur. » L'expression soccis indutus, géné- ralement employée par les anciens auteurs, rend très-bien l'idée d'un pied enveloppé du soccus ^ Cette chaussure, por- tée en Grèce par les deux sexes, n'était guère admise à Rome qu'au théâtre et chez les femmes, qui l'enrichissaient d'or ou môme de perles \ Le soccus était particulièrement affecté à la comédie, en opposition au cothurne des acteurs tragiques ; il rentrait alors dans le genre dit talaris parce qu'il renfermait le talon. Montfaucon et M. Rich en donnent deux spécimens; j'en trouve un autre dans le Muséum Cortonense. Ce dernier, qui appartient à des histrions étrusques, ressemble à une bottine munie de languettes, rabattues par devant et par

' Jdvknai., sat. vu, 19-2. Dict. des nut., 379.

* Isidore, loc. cit. " Pallium quo amictus, soocos quibus indutus çsset.» CicÉROK, De Orat., m, 32.

^ « Alius soccis obauratis... femina'n mcntiebatur. » Apulée, Métam. xr. " Caïus... super caetera muliebria, socculos induebat e margaritis. ).Pli^e, Hist. nat., xxxvir, 6. La mosaïque de Ravenne représente Théodora avec f\es socciiJi aitrali. V. encore Teutcllien, De idolatria.

LES SANDALKS K'V LES BAS, 49.]

derrière '. Les socci ccrniii (de fimambiile), faits comme des chaussons, n'avaient pas de semelle ; ceux des particuli(M-s, usités dans la vie extérieure,

Adsido, accurrunt servi, soccos detraluint,

étaient parfois garnis de petits clous aigus ".

Les anciens appelaient sandaliiim, (javâdliov^ aâvâakov^ une sorte de pantoufle que les Romaines empruntèrent aux dames grecques; Isidore la désigne sous le nom de soccus snbtalaris^ ce qui prouve qu'elle manquait de quartier, mais elle avait une empeigne finement tailladée ffenestrata) brillaient l'or, la pourpre et les broderies

HavoàXia te twv XaTiToa/iOÔiv

'Ecp diT ypuca zixZz £7T£(jtiv avôefxa '.

Les spécimens désignés par M. Rich et la sandale de l'im- pératrice Théophanie (Musée de Cluny, Dyptique, n" 387, X^ siècle) sont conformes aux textes précités et très-analogues à la babouche des dames de Constantinople, qui en diffère seulement par l'absence de découpures. Les écrivains comme

' Hune socci caepere pedem grandt-sque cothurni.

Horace, Ars poet. 80. « Talaies calcei socci sunt qui iude nominati vi- dentur, quod ea figura sint ut contingant talum. » Orig., loc. cil. Ant- expl , I, ISl.—Dict. des ani., 590.— Mus. cort. pi. 18 et 19.

*■' « Cernui socci sunt sine solo lingulati, quos nos foliatos vocainus " Orig., loc. cit. Térence, Heaut. i, 1, 72. <> Clavati quasi callivati eo quod minutis clavis, id est acutis, sola calcis vinciantur. ^^ Orig. loc. cit.— Clé- ment d'Alexandrie, PcVdag. 1. II, c. xi.

^ « Subtalares, quod sub talc sunt quasi subcalares. » Orig., loc. cit. Céphisodore, Troph., ap. Onomast., loc. cit. KaTct/pucov {nzôZr^^oL Eua TTopcpupoùv »?-ra x£VTr,TOv. EpictÈte, Enchirid.— Li.cien, Philopseudes.

49 i LES SANDALES ET LES BAS.

les artistes font de la sandale une chaussure particulière au beau sexe; tantôt Omphrile caresse Hercule à coups de san- dale, tantôt une élégante agite cette même sandale au bout de son pied mignon '. Les dames grecques et romaines atta- chaient un si haut prix à leurs précieuses sandales qu'elles avaient des esclaves pour les porter, scwdaligprulœ, et des boîtes enrichies d'or, imy^pixjova aavèoCj.oQ-riy.ac!^ pour les ren- fermer '.

C'est ici le lieu de parler du calceolm répandus attribué par Cicéron à la junon de Lanuvi'iim ■'. J'ai fait voir l'existence d'un calceamenlum à pointe recourbée en Egypte, en Assyrie et en Asie mineure ; on peut le rencontrer sur d'antiques vases grecs ou italo-grecs; mais, en Europe, il appartient surtout aux Etrusques, race essentiellement asiatique. Gori a publié quelques spécimens de calceolus répandus ; ils sont lacés sur le cou-de-pied et leur quartier relativement peu élevé les classe entre le cal cens et la sandale \ Julius Pollux, à l'article 2a:v^à).£ov, parle des aavâdhx Tvpp-nviy-o!.^ qu'il nomme plus loin Tvpprtvovpyn (ouvrage étrusque), sandales dont la

' Dict. des nnt. p, 553. Lucien, De scr'th Jiist. 10; Dial. des Dieux, 13, 2.

Utinam tibi commitigari videam sandalio caput.

Térkxce, Eunncli., v, S, 4.

Démet sandalio innixa digitis prioiibus.

ToRPiLics, ap. NoiNios Marckllus.

- Placte, Triniim., i, 2. Ménandrk, Misog., ap. Onomasl. loc. cit. Un calendrier romain, publié par Montfaucon, qui le fait remonter au IV« siè- cle, représente le mois de janvier sous la figure d'un homme richement vêtu et chaussé de sandales. Ant. expL, siippl., i, 5. Je cite cette gravure sous toutes réserves.

^ K Cum pelle caprina, cum hasta, cum scutulo, cum calceolis répandis- » Cicéron, De nat. Deor., i, 29.

* GoRi, Mus. Elnisc. pi. 3 et 47. Jiino Lanuvina sur un denier romain, ap. VisroNTi, 3Ins. !>. C/ein , t n, pi. A, vu, 12

LES SANDALES ET LES BAS. 49a

semelle mesurait quatre doigts en largeur et dont les cuiii- roies étaient dorées (îp.avTeo- iizlxp'jaoi) ; ajoutant que Phidias clîaussa Minerve de (yrrliénicnncs et que Saplio ti-aite de mau- vais travail lydien leurs courroies variées :

ITotxîXod [xo(aOX-/i(j Auoiov xooio'v Ipyov.

Il serait assez difficile d'admettre que ces sandales tyrrhé- niennes pussent diiFérer beaucoup du calceolus répandus étrusque; néanmoins je ne me dissimule pas que la Minerve de Phidias, en souliers chinois, renverserait singulièrement les idées reçues jusqu'à ce jour.

III. Chaussure garantissant à la fois le pied et la jambe. Cothurnus. L'expression zcQopoo- fut d'abord appliquée par les Grecs à toute chaussure qui montait jusqu'au mollet. Hérodote, rapportant que l'athénien Alcméon remplit ses cothurnes d'or dans le trésor de Crésus, désigne certaine- ment par v.èQopvoi une espèce de botte.s molles et élastiques * ; mais à l'ordinaire, les anciens entendaient ce mot dans le sens d'un haut brodequin collant à la jambe et lacé par de- vant. On voit le cothurne sur les monuments assyriens et Ovide témoigne de son origine asiatique :

Lydius apta pedum vincla cotluirniis nral.

Les célèbres terres cnites peintes du Musée Campana, ca- taloguées, sous le nom de tombeau lydien, présentent des spécimens précieux de la chaussure mentionnée par le poëte latin. La femme, au type oriental, couchée près de son mari,

' « KoOdpvouç Toùç £upicx£ HupuTcxTOUi; EovTa:; uToor,i7a[/.£vo(;. » Chaussé des cothurnes les plus larges qu'il rencontra, vi, 125. Le reste du passage con- firme mon interprétation.

lOG LES SANDALES ET LES BAS.

porte un cuthiiriie à pointe recourbée, dont la tige monte jusqu'au milieu de la jambe en n'en couvrant que la partie postérieure, l'antérieure se trouvant garantie par une lan- guette arrondie au sommet. L'échancrure qui part delà nais- sance des orteils, en s'élargissant progressivement, se ferme au moyen d'une courroie lacée sur le cou-de-pied et venant s'ar- rêter dans un œillet, après avoir contourné trois ou quatre fois le bas du mollet. Cette chaussure, commune aux deux sexes, apparaît tantôt rouge, tantôt noire ; la courroie est jaune ou blanche, la languette jaune^ et le galon qui borde l'échancrure, blanc '.

Un cothurne splendide était attribué par les Grecs et les Romains à Diane, à Mercure, à la déesse Roma, et plus spécialement à Bacchus ^ La tragédie qui prit naissance aux fêtes de ce Dieu chaussa ses acteurs du cothurne '. Selon PoUux et Isidore, le cothurne s'adaptait indifféremment aux

' La frise peinte qui décorait l'intérieur de la chambre sépulchrale, m'a permis de compléter les détails cachés sous la robe de la statue et d'attribuer la chaussure aux deux sexes.

Et Tyrrhena pedum circumdat vincula plantis.

Virgile, Eneid , viii, 458.

Clément d'Alexakduie, Pcedag. ii. xi, mentionne aussi le cothurne tyrrhénien. La chaussure rouge de César et les Calcei patricii en dérivaient certainement.

* Antoine se montra dans Alexandrie costumé en Bacchus n thyrsum te- nens cothurnisque succinctus.« V. Patkrcclds, ii, 82

^ Virgile. Ed., viii 10.— Ovide, Pont., iv, 16, 29.— Jdvénal, sat. vu, 72. M. Rich conclut de ce vers de Juvénal ivi, 633) :

Fingimus hsec, altum satira sumente cothurnum et d'une figure d'acteur, chaussé de fulmenta (villa Albani), que les co- thurnes tragiques avaient d'épaisses semelles de liège pour grandir l'individu qui les portait [Dict. des ant., p. 200). Isidore laisse entendre que ces se- melles étaient en saule : « Quos quidam (cothurnos tragÈedorum) calones etiani appollynt eo quod ex salice fiebant. »

LES SANltALhS i,T LES IJAS. -197

deux pieds ; de lu vient peut-être que le tenue col/uirnus est souvent employé au singulier. Les cothurnes, chargés de cinq cents livres de plomb, que l'hercule Athanatus portait sur la scène, devaient être en cuir très-fort ; il y en avait aussi de pourpre :

Puiiiceo stabis sinus evincta cotliuriio. Et même de laine :

Sume laiieos colhunios, semper relluos calceos.

Ces derniers n'étaient pas d'une grande solidité '. Le co- thurne est figuré sur les monuments avec des revers plus ou moins riches ; il est tantôt lacé, tantôt boutonné, tantôt main- tenu par des courroies diversement agencées; il appar- tient aux chasseurs, aux héros, aux militaires. Les Romains, néanmoins, ne l'acceptaient pas comme leur, car Cicéron s'élève contre l'insolence de Tuditanus qui paraissait en pu- blic «cum palla et cothurnis '\ »

Les péronés étaient une chaussure de peau non tannée :

Vestigia nuda sinistii Instituere pedis; crudus legit altéra pero.

' Pline, Hint. nul., vu, 19. Virgilk, Buc.ol., vif, 32 Querolus, com. faussement attr. à Plante. « Sed taie est ut in dextro et lœvo conveniat pede » Orig., loc. cit. Les Grecs appelaient le cothurne Théramène, à cause de l'ambiguïté politique (TroXtTct'av à(/'^oO£p'.(7L/.ov) de ce personnage. Onom., loc. cit.

* V. Jnt. expL, i, 151 (Bacchus) ; m, 2 (Priisias) ; iv, 2 (Télamon et il Marcus Nœvius ; etc.— Rich, loc. cil. Philip., m, 6.

TOME VI :J6

i98 LES SANDALES ET LES BAS.

Avec le [)oil tourné en dedans :

Nil vetihun fecisse volet, quem non [siidel allô Per f^laciem peione le^i, qui summovct Euros Pellibus invei'sis.

Ces vers nous apprennent en outre que le pcro couvrait les jambes '. Suivant Isidore, les péronés, « rustica calcia- menta » avaient une semelle garnie de clous [clavati péronés); ils chaussaient les laboureurs, les bergers, les chasseurs et généralement tous les individus qui menaient la rude exis- tence des champs. Les monuments ligiu'ent ce cakeamentum, tantôt comme une botte molle, fermée, montant plus ou moins haut, tantôt comme une espèce de cothurne lacé '.

Calliraaque et avec lui PoUux appellent èvâpoij.îâer^ , pluriel d'èvJ^ofjiîç , une chaussure particulière à Diane. Un grand nombre de figures de la déesse portent une sorte de cothurne, qui couvre tout le pied eu laissant les orteils à nu. Ce co- thurne, très-convenable pour la course, ne peut être autre chose cpi'un endromis. Il n'a pas de nom en latin, mais il est difficile à méconnaître dans la description minutieuse que fait Sidoine Apollinaire du calceanientum de la déesse Roma :

Ferpetuo slat piaula solo, sedfascia primos Sislitur ad digilos ; retinacula bina cothurnis

' Virgile, Eneid., vu, 089. .Jcvémai., sal. xiv, 185. '^ Niivem si poscat sibi peionatiis aiatur

PEiiSE, V. 102. V. .Jutcxpl., i. 187 (Diane); m, 177 (chasseur). Dlcl. des ant-, p. 474. L. Perret, Les Calac. t. iv, pi. 17, 5, et t. v, pi. 40, 132 (bon pasteur). (;tc. Quant aux « peiones effœminati » de TertuUien, ils sont une allusion de l'écrivain aux Ixangucs iin[)oitées à Rome par les orientaux, chaussures qu'il désigne certainemcn! sous le nom de péronés, dans un autre de ses ouvrages [De Pallio, 5i.

us SANDM.LS ET LKS BAS. 4<.)<)

Millil iii advorsum viuclo de fornicc pollcx, Quoi sUingaii! oiopidas et conciiii't'ulibiis aiisis Viiicluî iiin pandas texaal [Miv crura calcnas '.

Ucudroinis, tiui cliiiusse Diane et plusieurs autres statues antiques, appai'ait fréquemment sur les ])as-reliefs de la co- lonne de 'riiéodose '■. ]\larc Aurèle (n" ^0 du Louvi-e) porte aussi Ycmlrontis.

*

cil. DE LINAS.

\La suite au prochain numéro.)

' In Delum, 237 ; In Dianam, 16. Carni. ii, Jd Anlh., -400. La plante du pied pose sur une semelle droite, mais l'empeigne s'anète à la naissance des orteils ; le pouce renvoie d'un côté à l'autre deux courroies fixées au sommet du cothurne et qui, api'ès avoir traversé des œillets correspondants, se croisent sur la jambe en chaînes repliées Endromis, lat. signifie man- teau grossier. ,

■' Ant. expl. iir, 157 (Etrusque) ; iv.l (Pyrrhus); i, 87 (Diane); etc., etc. Dict. des ant., p. 245. Imp. Orient., loc. cit.

HISTOIRE DE S. JACQUES LE MAJEUR et du Pèlerinage de Compostelle-

(■K\Ql IKMK AUTICLI':

CHAPITRE VI.

SORT DC TOMBEAU DE SAIMT JACQUES PENDANT LES HUIT l'IlEMIEUS SIÈCLES.

Les fidèles purent visiter pendant les deux premiers siècles le tombeau de saint Jacques. La persécution, cpii fit ailleurs tant de martyrs, cpai'gna la Galice pendant cette longue pé- riode. ]\Iais plus tard elle s'étendit dans ce pays comme un torrent dévastateur et immola les pacifiques disciples de la foi nouvelle. Au glaive des tyrans succéda l'invasion des Barbares, peut-être encore plus fatale. Les autels et les temples du Très-Haut furent renversés, les asiles de la prière profanés. Le tombeau de saint Jacques lui-même fut livré au pillage et disparut sous des ruines. Une forêt inculte occupa bientôt ces lieux vénérés, et le peuple, ne pouvant

* Voir le numéiu de juillet, p. 378.

rÈLEiUNAGE DE CO.Ml'OSTELLE. 501

plus discerner l'emplacement du tombeau, ne conserva que le souvenir de la forme arcliitecturale qui avait frappé ses sens.

La conversion, en 587, de Récarède 1'' dit \g Cat/ioliffue^ roi des Visigoths d'Espagne, consola la religion sans tarir la source de tons ses malheurs. Les fidèles profitèrent des bien- faits de la paix pour aller honorer saint Jacques, sinon sur son tombeau dont la trace était presque aussi effacée dans les esprits que sur le sol, du moins à Iria-Flavia, la tra- dition du débarquement des reliques n'était pas oblitérée; telle était à cette époque la dévotion de l'Espagne pour le grand apôtre, qu'on vénérait jusqu'aux lieux on ses restes sacrés n'avaient fait que passer. La coutume des pèlerinages à L'ia-Flavia se maintint longtemps, même après la dé- couverte du tombeau de l'Apôtre. J'en trouve la preuve dans certains auteurs, en particulier dans Ambroise Mora- les, historiographe de Philippe II. Selon cet écrivain, saint Jacques avait habité quelque temps cette cité, y avait célébré la sainte Messe et s'était désaltéré à une fontaine, dont l'excellence et la fraîcheur étaient un attrait de plus pour les pèlerins. Deux souvenirs, l'un de la vie et des actes du saint, l'autre du passage de ses reliques, attiraient donc en ce lieu un grand concours de peuple. Morales ajoute que dans le voisinage de la même ville , les pèlerins visitaient avec respect un rocher que le saint avait entr'ouvert, en le frap- pant de son bâton, pour s'y créer un asile contre les pour- suites des gentils; on le gravissait à genoux et en récitant quelques prières. Un autre rocher, sur lequel avait dormi l'Apôtre, était encore signalé à l'attention et à la vénération des fidèles.

Le roi Récarède fut un des pèlerins d'Iria-Flavia ; [)ar re- connaissance pour le grand Apôtre, à (pii l'Espagne était re-

5{l2 rÈLERlA'AGE DE COMPOSTELLE.

devable des premières lueurs de la foi, il le proclama l'u- nique patron de l'Espagne^ patron unico de Espana. Quelques auteurs, il est vrai, prétendent que le patronage de saint Jacques ne date que de la bataille de Clavijo, qui eut lieu en 845, et du vœu de Kamire I" ; mais leur contradiction est sans fondement; car Alphonse le Chaste, prédécesseur de Ramire, avoue que de son temps l'apôtre saint Jacques était reconnu comme patron de l'Espagne.

Iria-Flavia ne fit pas cependant oublier entièrement le tombeau du saint. Dans un concile national d'Espagne, de l'an 676, furent tracées les limites des diocèses de ce pays, on lit à propos de celui d'Osma : « Osma a pour limites « Fusta et Alarzon par le chemin gui conduit à Saint-Jacques. » Or, Osma, qui appartient aujourd'hui à la province de Soria, occupe presque le milieu de la carte entre Perpignan et Santiago et se trouve par conséquent à une distance énorme de cette dernière ville. Cet obstacle n'effrayait pas cepen- dant les pèlerins. Le chemin qu'ils suivaient pour se rendre au tombeau du saint était si fréquenté, qu'on lui donna le nom du saint lui-même. On l'appela aussi plus tard le Chemin français, à cavise de l'affluence des pèlerins de notre nation qui le sillonnaient en toute saison.

Cependant, un événement de la plus haute importance ve- nait de s'accomplir en Espagne. L'islamisme pénétrait en vainqueur dans cette riche contrée. Eodrigue (Rodericus) ve- nait de monter sur le trône des Gotlis. Il n'y porta que des vices. Il enleva Cava, la fille du comte Julien, gouverneur de la ville de Ceuta, la seule qui restât aux Goths sur la côte d'A- frique. Julien, au désespoir, oublie ce qu'il doit à sa patrie et ne songe qu'à venger son lioinieur paternel, indignement ou- tragé. 11 propose à Mousa, lieutenant en Afrique du calife A'abd, de l'aider ;i faire la riUKjuête de rEspagnc. Le traité

I'ÈLEKINAGL: de COMrOSTLLt.E. oU.'{

est conclu ; vingt-cinq mille Sarrasins, sous le counuiindement (le Tarik, abordent le 28 avril 71 1 sur la côte d'Algcsiras. Le lieu Tarik établit son camp, c'est-à-dire sur le mont Calpé, a gardé les traces de son nom : c'est aujourd'hui Gibraltar, mot formé par la corruption de Djehol-Tarik, mon- tagne de Tarik. Les Goths, amollis par les douceurs d'une longue paix, sont battus près de Xérès. Leur roi Kodrigue disparaît dans la mêlée. A cette nouvelle, Mousa passe lui- même le détroit. En quinze mois toute l'Espagne est subju- guée de Gibraltar à Gihon, sur les bords de la baie de Bis- caye, et s'incline devant l'étendard du prophète. Le royaume des Wisigoths disparaît, après une durée de près de trois siècles.

Les nouveaux maîtres apportèrent avec eux de nouvelles mœurs, de nouvelles lois et un nouveau culte. Le catholi- cisme se réfugia avec Pelage dans les montagnes des Astu- ries. Pelage, élu roi, fixa à Oviédo le siège de ce chétif em- pire qui devait lutter pendant sept siècles pour l'indépen- dance et la religion nationales. Soumise à la terrible épreuve de l'invasion Sarrasine, l'Espagne sut eu triompher par ses armes, et sa foi toujours pure lui a mérité le plus beau des titres pour un peuple, celui de catholique. L'Espagne a été pendant des siècles la splendeur de l'Europe.

Aussitôt que les Maures virent ces chrétiens prendre la forme d'un Etat, ils députèrent à Pelage un de leurs géné- raux, nommé Aliaman. Le musulman se présenta devant Pelage, l'épée dans une main, l'or dans l'autre. Pelage le reçut dans la fameuse grotte de Covadonga , près de San- tillane, qu'on regardait comme consacrée à la Mère de Dieu. Pelage refuse les offres qu'on lui fait ; une armée assiège la grotte; mais le roc, frappé de mille traits, les renvoie mim- culeusement contre les infidèles; les chrétiens hasardent une

504 l'KLl'KlNAGfci DE COMl'OSTELLE.

sortie, tuent Aliaman, font un grand carnage de leurs en- nemis et dispersent ceux qu'ils ne peuvent atteindre. Cette victoire fut regardée comme un prodige. Dans le Marianum Breviarimn , imprimé en Espagne et approuvé par Eome,* il en est fait mention, au 25 juillet, sous ce titre : Commemor. B. V. de Covadongâ.

La Galice fut un peu protégée par sa position contre les impiétés des musulmans. Iria-Flavia devint même un lieu de refuge pour beaucoup d'évêques fugitifs, qui choisissaient de préférence ce séjour, non-seulement à cause de la sûreté qu'il leur offrait, mais aussi dans le but d'y honorer saint Jacques : propter honorein S. Jacobi. Il est donc permis de croire que l'invasion à peu près complète de l'Espagne par les Sarrasins n'interrompit point en Galice, ni peut-être ail- leurs, le culte du grand Apôtre. Il plut au Seigneur de con- soler les pieux sujets des descendants de Pelage par un pro- dige, dont l'objet fut la glorification du Tout-Puissant et de saint Jacques, et le fruit immédiat et durable un redouble- blement de dévotion pour cet Apôtre dans toute la chré- tienté.

L ABBE TARDIAC.

[La suite au prochain numéro.

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MONUMENTS CHRÉTIENS PRIMITIFS à Marseille.

SEPTIKME ARTICLE .

SARCOPHAGE N" 7 : JÉSUS DOCTEUR.

Le sarcophage u" 7 a souffert des mutilations assez no- tables. Il n'est même plus entier dans l'ensemble de sa composition : une figure et la face latérale de gauche manquent au tableau.

La longueur du bas-relief intégral devait être de : 1,62; sa hauteur est de : 0,48.

A l'époque Millin signala dans son Voyage le sarco- phage qui nous occupe, il y remarqua k un couvercle dont le « bord formait une espèce de frise, sur laquelle il y avait « douze agneaux, symbole des douze Apôtres'. » Je suppose

* Voir le numéro de mai 1862, p. 225.

* Vot/age dans le Midi de la France, t. m, 177.

TOME VI. Octobre 1862, 37.

riOO MOiSUiMli.NTS CIIURTIENS PRIMITIFS ,

que ce couvercle n'était autre qu'une partie de l'Hutel déjà décrit par nous au premier article de ce travail archéologique. Le marbre coupé en deux servait, en effet, défrise à un double tombeau avant que, sur nos observations, le directeur ac- tuel du Musée ne l'ait réuni et disposé sur des bases, pour rappeler l'autel primitif de Saint-Victor.

De tous les tombeaux conservés dans notre Musée marseil- lais, celui-ci seul a été tiré des carrières de Cassis (Bouches- du-Rhône); les autres, d'un marbre blanc, nous ont été ap- portés de Carrare (Italie).

L'artiste chrétien a exécuté son œuvre avec un intérêt réel : le plan, les poses, les détails de la staluaire ont de quoi contenter une saine critique.

Jésus occupe le centre du sujet; trois personnages se tiennent debout à sa droite et trois autres à sa gauche.

Le Sauveur, assis sur un siège de forme élégamment ou- vragée, apparaît sous une arcade surbaissée que soutiennent deux pilastres d'ordre corinthien : c'est un adolescent ai- mable, doux et sérieux; une chevelure longue, bouclée, orne sa tête et retombe avec grâce sur ses épaules; l'auréole cir- culaire unie et non croisée illumine cette tête auguste ; ses mains soutiennent le volume divin, roulé; ses pieds portent une chaussure sans ornement; en tunique et largement drapé dans son manteau, Jésus siège noblement en qualité de doc- teur pour révéler aux siens sa morale et ses mystères.

Les Apôtres, qui l'admirent et l'écoutent en lui adressant des questions, assistent debout, par respect, à cet enseigne- ment céleste. Chacun d'eux tient en main le saint volume en rouleau, ce précieux Evangile qu'ils publieront un jour après le Sauveur. Vêtus comme leur maître, ils n'ont de dif- fèrent que la chaussure, remplacée chez eux par des sandales ornées. Une niche plate et carrée les encadre . ces niches

A MAKSlilLLi:. 507

sont séparées les unes des autres par des briuiclies de vigne en guirlandes.

Evidemment l'artiste a représenté sut ce sarcophage le su- jet si souvent reproduit dans l'Iconographie chrétienne, JÉSUS docteur; sujet éminenuiient goûté par nos pères et combiné par un art pieux avec une riche variété. Nous en avons longuement parlé en décrivant un de nos principaux' sarcophages ' .

L'Apôtre le plus à gauche présente dans sa tenue une particularité qui aura frappé l'attention de nos honorables lecteurs : l'index de sa main droite est appliqué contre sa bouche, comme pour l'empêcher de s'ouvrir. On a déjà remarquer ce signe spécial de pose dans un précédent sarco- phage ^

A notre avis, le mouvement de l'index est symbolique; il indique dans nos trois personnages qui l'emploient l'admira- tion du silence. C'est ainsi qu'on a exprimé dans l'antiquité l'attitude d'un homme qui a des raisons pour se taire ou qui s'impose le silence par un sentiment de vénération pour la personne qui parle ' .

' Revue de l'.irt chrétien, juillet 1859 sarcophage n" 2.

^ Revue de l'Art chrétien^ mai 1859 sarcophage 1.

'" Ovide avait dit quelque part : « Premit vocera, digitoque silentia sua- det. » Saint Jean Dainascène parle ainsi de l'hérétique Nestorius : « Pudeat Nestorius ac manum ori iniponat. » Brev. Rom., légende delà fête .d« Saint- Joachim.

Nous devons mentionner cependant, dans les deux personnages qui figurent au tombeau n" 1, une nuance d'expression qui pourrait manquer de similitude et serait susceptible par même d'une interprétation différente. En eflet, les deux Apôtres sur ce tombeau paraissent avoir imprimé à leurs doigts un autre mouvement : ce serait le nez et non la bouche qu'ils toucheraient ou presse- raient de leur main. Dans ce dernier sens et conformément à ce que fait ob- server Aringhi dans sa Roma suhterranea , à l'occasion de saint Pierre et du prophète Jonas |torn. ii, 399, 598, 61.3, 623. etc.), il y auiait un emblème

oOS MONIMEMS Clir.liTIl.NS l'RiMITirS

Sur la face latérale de droite, au lieu de ces écailles tail- lées et symétriquemeut rangées, dans quelques sarcophages, le monogramme du Christ a été sculpté dans sa compositiou entière, c'est-à-dire, ï alpha. Vomv(]a, le christos. réunis et insérés dnns un cercle..

Ce saint monogramme, appelé improprement par quelques- uns pru Christo. varie beaucoup dans sa forme sur les sarco- phages des premiers siècles. Nous l'avons ici complet et re- présentant à la fois le nom divin et humain du Sauveur, com- biné avec l'étendard du salut. C'est le monogramme cruci- forme dans son dernier développement. La croix est latine ; elle touche au disque qui l'entoure par le sommet et la base; les croisillons qui la traversent sont plus étendus que la par- tie supérieure de la haste, mais isolés du disque : à cette partie s'attache et s'arrondit une sorte de crochet, variante de la panse qui compose la lettre grecque rho.

Avec la forme régulière de la croix latine le chi ordinaire a perdu ilans notre monogramme sa disposition naturelle de croix de Saint- André ou de croix en sautoir : il est devenu une croix à fut vertical et à traverses horizontales : ainsi, au lieu de six branches, le cJii et le rho entrelacés n'en ont plus que quatre.

Ce dessin du monogramme cruciforme avec crochet, re-

do tristesse : « IMœrentis ar^Bi symbolum. » Resterait à comprendre l'ac- tualité de cette expression de chagrin pour notre sujet n" 1, tout est triom- phant, puisqu'il indique la mission donnée par Jésus Christ à ses Apôtres.

Pour compléter cette note, ajoutons un texte que le même Aringhi emprunte à saint Epiphanc. « Ce Père parlant de certains hérétiques qui affectaient une " pareille attitud»,- dans leurs prières : Vocantur, inquit, trascodrugitiie ob ■' hanc causam : trascus apud ipsos pertica appellatur druggus.vero nasus.et " ob eo quod imponunt digitum suum indicem in nasum dum orant, tristitiae « nimirum et uUronea; gratia, ab aliquibus trascodrugitœ appellati sunt... Hccrcl.. -IS.

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A MAUSEILI.E. oO'.l

paruît sur plusieurs inonuments primitifs. Nous le voyons en particulier sur les sarcophages qui représentent la mission évangélique oîi l'apôtre saint Paul reçoit une longue croix latine des mains de Jésus-Christ. A Saint-Trophinie d'Arles, dans le bas-relief d'un autel, le même dessin se montre sur la tête du Sauveur. Nous retrouvons le rho à crochet, sur l'un des monuments de Saint-Victor qui nous restent à dé- crire, au centre d'une décoration à jour aussi gracieuse de style que féconde en symbolisme.

Notre sarcophage n'étant pas antérieur à la conversion de Constantin, il n'y a pas lieu pour nous d'entrer, à notre tour, dans la discussion dont continue à être l'objet l'ori- gine du chrisme ou monogramme du Fils de Dieu.

La science archéologique n'a pas dit son dernier mot sur cette difficile question : maintenons donc toute réserve, en face du texte de l'historien Eusèbe ', jusqu'à ce que d'autres découvertes nous mettent à même de voir finir nos incerti- tudes".

L.-T. DA8SY.

' Ali s'ijft i\v. la visiciii df Constantin, cvt histoiien ilécrit ;iinsi le mono- gramme : « Etat eniin littera P in ipso meilio X cuiiose sculptiblliter inscripta " qua- totum Chiisti noinen peispicue sigiiificavit » De vila Constavlini, lib. I, cap. 22. Si ce monogramme avait été connu, Constantin aurait-il pris la peine de le dépeindre aux artistes qu'il iasse!ubla, et Eusèbe auiait il eu besoin, pour sa part, de It; désigner avec tant de détails, comme s'il s'était î^gi d'une chose nouvelle.

- Le chevalier de Rossi, qui a si profondément étudié tous les marbres con- nus de l'antiquité chrétienne, dans son magnifique ouvi'age donl le premier volume vient de païaître sous ce titre : Inscriptiones clirisliame iirhis liaiiice septlmo sœcido anliquiorcs , pages 24, 28, 29, incline fortement à croire le saint monogramme antérieur à la conversion de Constantin.

NOUVELLES KEMARQUP:^

SUR LA DÉCOUVERTE

DU COEUR DU ROI CHARLES V dans la Cathédrale de Rouen.

En mai 1862.

Le 16 septembre 1580, le roi Charles V mourait au châ- teau de Beaulté-sur -Marne ' , à quelques pas de ce bois de Vincennes ^ le plus saint de ses prédécesseurs rendait, au siècle précédent, une justice demeurée célèbre. Le pieux roi, qui savait par avance l'heure de sa mort, avait réglé coura- geusement jusqu'aux moindres détails de ses funérailles. Suivant son désir, et conformément à un usage fort usité alors pour les grands de la terre, sa dépouille mortelle fut partagée entre trois églises différentes.

' Le P. Daniel, Abrégé de l'Histoire de France^ t. vu, p. 88.

* Le Président Hénaut-t, Abrégé chronologique de l'Hist. de France, p. 333, édit. du 17^9. La Marne s'unit à la Seine près de Charenton et touche au bois do Vincennes.

DÉcouviiRTK ne C(ii':ru iiu r.oi ciiaiu.es v. Ml

Ses entrailles, la moins nol»le partie de lui-même, l'niciit portées àl'ubbaye de iManbiiisson, près Pontoise, reposait déjà sa mère, Bonne de Boliême, l'épouse du roi Jean '. Son corps fut inhumé à Saint-Denis, dans la thnpcllc des Charles (pii porta son nom et ([U'il avait probablement élevée par suite de ce culte qu'il professait i»our la mort. 11 s'y assit au milieu de ses fidèles serviteurs qui l'avaient précédé dans la tombe, Duguesclin, Barbtizan et Bureau de la Rivière. Il les voulut rangés autour de son cercueil, comme il les avait vus assis autour de son trône, et, le premier de nos rois, il ai)[)rit à ses successeurs ([u'il ne mettait pas de différence

Entre porlei' lescoplie et le bien sotileuir.

Enfin, dans les premiers jours d'octobre, son cœur fut a})- porté à Rouen, et, le 10 du même mois, l'archevêque Messire Guillaume de l'Estranges, après une cérémonie solennelle^, le descendit dans le caveau que le monarque s'était préparé de- puis treize années. Car ce roi, si sage dans les affaires de la vie, ne l'avait pas été moins })our les choses de la mort. Sa- chant combien les désirs des mourants, même ceux des rois, sont souvent peu réalisés après la vie, et comme il est rare de rencontrer de fidèles exécuteurs testamentaires, il avait voulu lui-même préparer l'édifice de sa dernière demeure. C'était du reste une coutume assez fréquente au Moyen-Age, et même dans l'antiquité, que de désigner soi-même le lieu de sa sépulture, de faire creuser son sarcophage, de graver sa dalle tumulaire et jusqu'à son inscription suprême.

' Le Graisi) ï) Adssy, /)es Scjnt/tiirc.f intliona/es, p. '>i94. - Les PP. BuuMOY, LoNGUKVAi,, I/ial. de lEylisc gallicane, liv. xi,i, t. xvm, p. 273, édit. do 18-27.

5i2 DÉCOUVEKTE

Charles V ne s'était pas contenté de faire creuser dans la partie haute du chœur de notre cathédrale, juste en face du trône pontifical d'aujourd'hui ', le caveau devait reposer la plus noble partie de lui-même, il avait voulu prévoir jus- qu'au monument destiné à recouvrir le lieu de son repos. Il avait commandé à un habile sculpteur flamand, non-seule- ment un cénotaphe de marbre noir orné sur toutes ses faces et décoré de statuettes allégoriques, mais une statue d'al- bâtre et de marbre blanc" qui devait le représenter couché sur le dos et portant dans ses mains son cœur qu'il offrait à la ville de Rouen et à la province de Normandie. Aussi, dès -1368, douze ans avant sa mort, nous le voyons donner à Hennequin, i/maginier de Liège, un à-compte de 200 francs d'or sur \ ,000 que doit coûter ce monument en pleine con- fection, tandis qu'il verse à Jehan Périer, maître des œuvres de l'église de Rouen, 100 fr. d'argent à-compte sur 200 « pour cause de certaine œuvre de maçonnerie de pierre qu'il a faite pour lui en ladite église ^ »

Cette œuvre de maçonnerie que le roi ne désigne pas, c'est le caveau que son cœur s'est préparé pour lui-même, chacun le comprend.

' La Chaire primitive de nos archevêques étail un siège de marbre placé derrière l'autel, au fond de l'abside et élevé de 8 degrés. Lebrun des Mauettes. Voyages lUurg. en France, p. 275. Il en 4tait de même à Lyon, à Vienne, dans les anciennes églises de France et dans tout l'Orient. Id., ibid. p. 11, 16, 39, 45 et 479.

'^ Il ne m'a pas été possible de savoir si la statue royale de Rouen était de marbre ou d'albâtre. Le compte de 1368 semble indiquer qu'elle était en albâtre ; tous les auteurs des deux derniers siècles parlent de marbre blanc.

MOKTFACCON, DlJCAREL, LeBRL'N DES MaRETTES, FaUIN, PoMMERAYE, Ctc.

' A. Lepkevost, Archives de la Normandie, t. ii, p. 336.— Deville, Les Tombeaux de la Cathédrale de Rouen, p. 175-176.

[M GOKUli mi IlOI CHAULES V. !)!'{

Bienfaiteur du cliapitre' et de l'église'-, des collèges'' et d(î l'Plôtel-Dieu '' , le sage roi avait laissé de magnifiques fonda- tions qui, pendant quatre siècles, conservèrent sa mémoire, et perpétuèrent la prière pour le repos de son âme. Par un acte de sa volonté souveraine, un autel royal s'était élevé dans le sanctuaire môme de Notre-Dame, et chaque jour le saint Sacrifice s'y offrait pour le prince, tandis que les cloches son- naient % que des cierges brûlaient et que l'encens fumait

' Charles V écrivit à Grégoire XI, pape d'Avignon, poui- le prier d'accorder à l'église métropolitaine de Rouen dans laquelle il a élu sa sépulture, des grâces et des privilèges qui puissent la distinguer des autres églises ; en con- séquence le Pape accorda au chapitre et au clergé de cette église une bulle d'exemption que ce prince confirma ensuite par ses lettres paienles. Farin, Hist. de la ville de Rouen, t. m, p. 32, édit. de Ddsocili.kt, 1731.

^ Dans les lettres de fondation de Charles V, on remarque une donation au maître de l'œuvre de N.-D pour nettoyer quaire fois par an à Noël, à Pâques, à la Pentecôte el à l'Assomption, des images d'albâtre de la Sainte Vierge et de saint Michel placées dans la nef de l'église et le dais (tabernacu- lum) qui surmonte la tête de la Vierge. Il esl probable que le roi avait donné ces images auxquelles il s'intéressait tant.

* Le collège des Clémentins, rue de l'Hôpital, fondé en 1349 par le pape Clément VI était composé de douze prêtres, deux diacres et deux sous-diacres. Le roi leur donne pour la messe quotidienne une rente annuelle de 100 livres parisis, payable aux deux termes de Pâques et de Saint-Michel, à partager entr'eux par portions égales.

* (( Charles V, roi de France, dil Lebiiun des Mauettes, donna des biens considérables à cette maison (l'ancien Hôtel-Dieu, situé alors près de la Cathé- drale, dans la rue qui porte encore le nom de la Madeleine). Aussi en recon- naissance, tous les jours, vers six heuies du soir aussitôt que l'Office de Compiles esl achevé, l'officiant dit à haute voix: » Ames dévotes priez Dieu pour Charles V, roi de France, et pour nos autres bienfaiteurs : » et une re- ligieuse vaidire la même chose dans les siiUes des malades. «'^loiAo'^, Voijages liturg . en France^ p. 385.

^ Dans sa charte de donation, le roi Charles avait demandé qu'auç messes et aux vigiles qu'il fondai!, on sonnât la fameuse cloche appelée Rigaull, du nom de l'archevêque qui l'avait donnée.

514 nÉCOUVKRTE

Mutoiir de son image auguste et vénérée ' .

Cet état de choses dura jusqu'au XVIII*' siècle ^ et l'on a de la peine à s'expliquer comment des chanoines qui jouis- saient encore des biens légués par le roi, qui étaient déposi- taires de ses dernières volontés, qui eux-mêmes proclamaient chaque jour ses immenses bienfaits, « wimensis benefidis ; » comment, dis-je, ils ont pu décider l'enlèvement du mau- solée.

' Voici en quels termes touchants le pieux roi demande les suffrages de l'église de Rouen et fonde au milieu d'elle comme un foyer permanent de prières. « Ardenti mortis desiderio affectamus ut in ecclesia Ro homagensi ad quam singularem ac specialem devotionem gerimus et habemus, cum ipsa velut lucerna super montem posita tanquam major et metropolis ac primitiva pie- cipuaque tocius ducatus nostri Normannie chirius elucescat, due misse sub- missa voce misse régis KaroJi nuncupande quamdiu vitam in humanis egeri- mus , unam videlicet de nancto spiritti reliqua de dicta virgine gloriosa immédiate et absque uUo intervallo post illam de sancto spiritu finitum inci- pienda ; nobis vero sublatis c medio pro defunclis in Choro dicte ecclesie super altare, regiinn etiam altare nuncupandum, juxta majus ipsius ecclesie altare a sinistra parte constructum et erectum statim finitis et completis in eadem ecclesia matutinis, de cetero singulis diebus accensis et continue ardentibus in dictis missis duobus cereis, quolibet duarum librarum cere, et in levatione eorporis XPl in eis facienda duabus torchiis, qualibet sex librarum ponderis, celebrentur. » Lettres de fondation du roi Charles V. aux archives départe- mentales de la Seine -Inférieure, fonds du chapitre, Liasse n" 4 bis. Déjà dès 1197, le pape Innocent ITI avait dit que l'église de Rouen comptait des rois pour nourriciers, et Richard-Cœur- de-Lion, célébrait ainsi l'église de Rouen, en 1198- « Venerabilis lotomagensis ecclesia quas inter universas terrarum nostrarum pluiimà celebritate dignoscitnr » Charfa Rick Reg. nng. pro exe. apud Pommeraye, Concilia Rot. eccle., p. 191. C'est pourquoi l'ar- chevêque Gautier de Coutances pouvait éciire de son église qu'elle avait des rois pour nourriciers ; » Rotomagensis ecclesiœ mamillis rcgum allectata?. « Charta Walt,, arch. rot. pro exe. ibid. p. 190.

* Lkbui'im des Mauettes, Voyages liturg. en France, p. 361. Lecoq DE ViLLERAY, .-ihrégé de l'Hist. eccles. civil et relig. de Rouen, p. 150 et 151.

I

m; I okiir I)[i Rdi ciiAnij;.-: V. rii.'i

C'est pourtant ce qui fut résolu en plein chii}>iti'e, de 1722 à 1725, quand on décida la grande œuvre de la transiornia- tion du sanctuaire et de l'autel, travail (pii reçut un com- mencement d'exécution en 1750.

Le 50 juin de cette année, on démolit les trois tombeaux des princes anglais et anglo-normands qui enrichissaient le sanctuaire. Les images de Richard-Cœur-de-Lionet de Henri- le-Jeune furent ensevelies sous le rendilai dont on exhaussa le sanctuaire régénéré. Il est probable qu'il en fut de même de la table et de l'inscription funéraire de Jean de Lancastre, duc de Bedford, régent du royaume sous Henri VI. Les au- teurs anglais nous ont conservé le dessin et le contexte de ce mémorial peu flatteur pour notre patrie ' .

Mais si l'on crut pouvoir se mettre à l'aise et agir sans cérémonie à l'égard de princes étrangers et d'une dynastie depuis longtemps éteinte, on ne se trouva pas aussi autorisé à l'égard d'un roi de France, en face d'un fils de Hugues- Capet, dont la dynastie occupait encore le trône avec une gloire et une puissance incontestées.

Pour se mettre en règle et à l'abri de tout reproche, le Chapitre de Rouen jugea prudent d'en référer au roi Louis XV alors régnant. Dans une lettre écrite en 1755, les chanoines exposèrent au prince leurs projets d'amélioration pour le chœur et l'autel; puis ils ajoutèrent qu'ils se trou- vaient arrêtés par la présence d'un ancien tombeau royal dont ils exagérèrent à dessein la détérioration. Ils dépei- gnirent le mausolée comme un amas de ruines, indigne du sanctuaire et de la majesté royale, et ils proposèrent au jeune

' Sawdford, Hist. yen. des rois d'Angleterre, p. 314. Devii.le, Les Tombeaux de la cathédrale de Rouen, pi. \. DrcAUKL, Antiquités anglo- normandes, p. 26, pi. X, fig. 11.

5I(> DÉCOUVERTE

monarque de remplacer par un monument plus frais et plus convenable ce fâcheux et regrettable anachronisme.

Le roi fit attendre deux ans sa réponse, mais enfin, le 12 février 1737, il fit écrire aux chanoines, par M. deChau- velin, garde des sceaux, la lettre suivante datée du palais de Versailles :

« Sur les représentations. Messieurs;, que vous avez faites et dont j'ai rendu compte au roi, qu'il n'y a plus d'un an- cien tombeau construit dans votre église auprès du sanctuaire et qui renfernioit le cœur du roi Charles cinq, que des restes informes et en ruine auxquels vous souhaiteriez substituer un monument plus convenable et plus décent: Sa Majesté veut bien vous permettre de démolir cet ancien tombeau, à condition que vous ferez mettre dans la même place, comme vous l'off^rez, une tombe de marbre noir avec une inscription en lettres d'or, à la perpétuelle mémoire du roi Charles cinq. »

Cette lettre fut communiquée au Chapitre le 22 février. Aussitôt qu'ils se sentirent autorisés, les chanoines ne per- dirent pas un instant dans la poursuite de l'œuvre si désirée de la régénération du chœur et du sanctuaire. Dès le 25 fé- vrier ils se mirent en besogne et voici le procès-verbal qu'ils nous ont laissé de cette mémorable journée :

« En conséquence de l'ordonnance de vendredy dernier (22 février), cejourd'huy sur les quatre heures après midy. Messieurs de la Bellonière, Leclercq et de Marcouville, com- missaires nommés pour veiller sur les ouvrages qui se font dans le chœur de cette église, en présence de M. le doyen et plusieurs Messieurs, ont fait démolir et détruire le tombeau de Charles cinq, roi de France, dont a été dressé par le secré- taire du Chapitre, par ordre de Messieurs^, le suivant pro- cès-verbal :

MU ciii'UH DU luii ciiAiiLt:? V. :,I7

<• Let()iiibe:iii de Charles cinq étoit de forme carrée, })or- taiit trois pieds de haut sur qiuitre pieds de large et sept de longueur, surmonté d'une grande table de marbre noir sur laquelle étoit représentée en marbre blanc et de gi-andeur naturelle, la figure de Charles cinq, tenant de sa main dioite un cœur de même matière. Les pourtours du tombeau avec son socle cannelé étoient d'ardoises et mutilés eu plusieurs endroits.

« Au pied du tombeau qui finissoit dans la ligne des deux colonnes qui terminent les stalles, s'est trouvé un puits de vingt-six pieds de profondeur, prenant six pieds d'eau très- claire.

« A la teste du tombeau, en fouillant environ deux pieds, il s'est trouvé une pierre d'environ vingt-cinq pouces sur la longueur et un pied et demi sur la largeur, qui couvre la su- perficie d'un petit caveau d'environ quinze pouces en carré (sic) et un pied de profondeur, au fond duquel est le cœur de Charles V, soutenu par une petite grille de fer faite en forme d'étoile,

« Sur la superficie de ce petit caveau, sous la première pierre, s'est trouvée une plaque de plomb sans inscription, posée sur une grille de fer qui sert de couvercle au cœur du roy.

'< Ce cœur est renfermé dans une boette d'étain en forme de cœur, qui s'est trouvée ouverte en plusieurs endroits, et sur le champ on a fait refermer et sceller à mortier ledit caveau.

" La table de marbre noir dont il est parlé cy-dessus a été destinée pour, conformément aux ordres du roy, du douze fé- vrier dernier, servir de tombe sur laquelle on gravera une inscription en lettres d'(ir.

« La figure de marbre blanc représentant Charles V a été

oiS DEC UU VF.'; TE

posée dîiiis lii première arcade de la chapelle de la Sainte- Vierge, derrière le cJiœur à droite {sic) en entrant ' . »

C'est une chose triste assurément que de voir un Chapitre priver ainsi une église séculaire de ses plus beaux et de se& plus curieux ornements. Qu'y a-t-il xlonc de stable ici-bas, puisqu'il des i)ériodes données l'amour de la nouveauté s'em- ])are aussi du clergé, corps essentiellement conservateur et dépositaire des éléments les plus immuables de la société, du clergé, dont les dogmes et la morale sont invariables, dont la discipline et la liturgie changent si peu qu'aujourd'hui en- core il s'accommode parfaitement de l'architecture des XP, XIP et XIIP siècles. En admettant que les iconoclastes et que le poids du temps aient outragé le royal tombeau, n'é- tait-il pas plus convenable et plus digne de le restaurer avec ses propres bienfaits, plutôt que de le faire disparaître pour toujours ?

Pour s'expliquer cette conduite si incompréhensible du Chapitre de Rouen, il faut se rappeler quel vent de réforme soufflait dans les esprits du dernier siècle à propos des insti- tutions et des monuments du Moyen-Age. L'esprit du temps ne voulait pas plus des tombeaux à fleur de sol que des jubés, des fresques, des verrières, des retables de bois ou d'albâtre, des balustrades et des autels de pierre. On ne goûtait guère que le grec et le romain, et l'architecture chrétienne était stigmatisée de l'épithète de gothique qui a enfin cessé d'être une injure.

Les chanoines, toutefois, ne se dissinmlèrent pas totale- ment la valeur du monument auquel ils touchaient. Comp- tant quelque peu sur les amateurs d'antiquités que renfer-

* Registre 'des Délibérations capitnlaiics) roininençavf le 1 janvier 1734 et finissant le 15 jm/lel 174 l. Iiif. mss. aux aicliivi'S du cliaiDilre.

UU email in ROI C.IIAIILKS V. 511)

nuiit déjà la vieille et intelligente cité rouennaise, ils char- gèrent «< les coniniissaircs jiour laulcl de vendre au plus grand avantage du Chapitre les tables d'ardoises qui étoient autour du tombeau ' . »

Quant à la statue elle-même, ce document historique que Montfiiucon avait figuré dès 1729, parmi les Mornniwm de la monarchie franroise ", elle fut placée, comme nous l'avons dit, dans la chapelle de la Sainte-Vierge, déjà riche du tom- beau des Brezé et des d'Amboise, et qui devint ainsi le Saint- Denis de la Normandie. C'est que le bénédictin Duplessis a vu la royale image en 1740 ^ ; que l'anglais Ducarel l'a ad- mirée eu 1752% et que le rouennais Lecoq de Villeray la signalait à ses concitoyens en 1759 ^ C'est enfin que la Kévolution l'a brisée en 1795, en même temps qu'elle exhu- mait des catacombes de Saint Denis le corps du sage roi et toute la dynastie de Hugues Capet*^.

Il est vraisemblable que cette statue fut déposée, non sur un cénotaphe qui avait été démoli et aliéné, mais sur la grande table de marbre noir qui la supportait depuis quatre siècles.

Un moment cette table avait été réservée pour fermer le caveau et recevoir l'inscription proposée par le Chapitre et acceptée par le roi. Mais l'inscription fut gravée sur une

' Délibération du vondredy 6 mars 1737.

"■* M()i\Ti"A[( o^', Les mon. de la Monarchie frunçoisc, t. m, p. 65, pi. xii, fig. .'^.

^ Ddplkssis, Description géographique et historique de ta Haute-Nor- mandie, t. H, p. 27-28.

* DiXAUEL, Antiquités anglo-normandes, p 2G-27, traduction de Léchaudé- d'Anisy Caea, 1823.

* Lecoq v>v. Yilluuw , Abrégé de l'/Jist. écries, civile et relig. de Rouen. p. 150-151.

** Cu.\TKAi!BRiAi\D, Génie du christianisme, t. ni, note x, p. 321-349, et surtout 335, édit. 1829.

520 DÉCdl' VERTE

plaque Je marbre blanc, de forme circulaire et d'un dia- mètre de 80 centimètres. On donna deux louis au sculpteur de l'œuvre dont le nom est resté inconnu. Il est probable que les lettres furent dorées selon l'engagement qu'on avait pris.

Quant à l'inscription elle-même, elle fut composée par l'abbé Terrisse, chanoine et archidiacre ' , le personnage le plus classique et le plus lettré de la compagnie ^ . Nous la re- produisons ici telle qu'elle nous a été conservée par Ducarel qui, après l'avoir copiée à Rouen en 1752, l'a publiée à Londres en 1767.

D. 0. M.

ET

AETERNAE MEMORIAE

îîAPIENTISSIMI FRINCIPIS

CAROL[ V.

GALLIARVM REGIS,

NORMANNIAE ANTEA DVCIS,

QVI HANC ECCLESIAM

AMORE SINGVLARI COMPVLSVS

BENEFlCnSQVE IMMENSIS PROSECVTVS

EAMDEM AVGVSTISSIMI CORUIS SVI

RELIQVIT HEREDEM,

VBl IN OMNIVM ANIMIS VIVERE

NVNQVAM DESINET.

OBUT ANNO SALVTIS HVMANAE

MCGCLXXX.

' « Monsieur l'archidiacre Terrisse a été piié de faire des inscriptions que le chapitre veut qu'on mette sur les tombeaux des princes qui ont été enterrés dans le sanctuaire de cette église (Henri le jeune, Richard Cœur-de-Lioa et le duc de Bedtordj et celle que l'on mettera (sic) sur la table de marbre qui sera posée au niveau du pavé du chœur, à la place du tombeau qui y est au- jourd'hui élevé, en cas qu'on obtienne la permission de l'abaisser. » Délib. capitul. du 14 décembre 1736, exirait du Registre de 1734 à 1744.

' Sur l'abbé Terrisse, voir la notice que nous avons donnée dans nos Eglises de l'arrond de Dieppe, t. i«'', p. 233-36.

DU CœUR nu HUl CUAULLS V. .cil

Ce marbre tut entouré (l'iuie ])aiule de cuivit! .sortie des ateliers de Thomas Mette, maître fondeur, à Rouen. Le marché passé à cet effet dit que c'était « pour encadrei- hi tombe carrément comme elle est maintenant. » Nous croyons au contraire que la bande était circulaire, présentant un épatement à chacun des points cardinaux. Sur la pointe orientale on avait gravé la couronne de France. Ce cadre métallique destiné à relever l'inscription lui devint funeste.

La première Képublique friande de métaux et qui ne fit pas grâce aux balustrades de cuivre de la Métropole, pour les- quelles la cité tout entière avait intercédé, n'épargna pas même ce lambeau de cuivre. L'encadrement une fois enlevé, le marbre partit avec lui, tandis que, s'il eut été seul, la Répu- blique lui eut pardonné, comme elle épargna dans le même sanctuaire les épitaphes de Henri-le-Jeune, de Richard Cœur- de-Lion et du duc de Bedford ' .

Depuis tantôt soixante-dix ans, rien ne parlait plus du cœur de Charles V, dans la cathédrale de Rouen. La Messe quotidienne ne se célébrait plus, l'anniversaire du 10 oc- tobre était tombé avec les fondations, le Chapitre n'encen- sait plus la royale image qui, depuis longtemps déjà exilée du sanctuaire, avait complètement disparu de la chapelle de la Sainte- Vierge. Dans le chœur de Notre Dame, il ne restait plus devant le grand aigle et en face du trône pontifical qu'une légère cavité remplie d'un plâtre inégal et gênante pour les pieds des chantres et du célébrant. Ce creux circu- laire indiquait seul le lieu avait existé l'inscription de Charles V.

' ' La République a besoin de fei- et de plomb el elle n'a pas besoin de marbre. » disaient les membres du distric' de Dieppe aux trésoriers de Der- chigny qui leur appor aieni le maître-autel de leur église. Les Eglises de l'ar- rondissement de Dieppe, t. ii, p. 158.

522 DÉCOUVERTE

Ce vide respecté pendant un demi-siècle, nous semblait tout à la fois une indication et un appel. Depuis longtemps des amis de nos monuments et de notre histoire gémissaient de l'abandon dans lequel était tombée la mémoire de Charles- le-Sage. Depuis environ un an, M. l'abbé Colas, M. Barthé- lémy et moi, nous avions résolu d'y mettre un terme. Avec le concours des administrations civile et ecclésiastique, nous songions à faire cesser cette viduité de notre cathédrale. Une nouvelle inscription sur marbre, projetée et préparée par nous, allait enfin réparer un trop long oubli. Nous ne songions guères qu'à reproduire celle que le Chapitre avait gravée en 1757.

Toutefois, avant de placer cette épitaphe, dont le contexte exagéré par la légitime reconnaissance du XVIIP siècle, n'avait plus sa raison d'être au XIX^, nous avons eu la com- mune pensée de nous assurer si la cathédrale possédait en- core la relique royale que nous songions à honorer.

A deux différentes reprises, en effet, la cathédrale avait été au pouvoir de ses ennemis. A ces deux époques malheu- reuses, des mains avides avaient fouillé son sol sacré pour piller les tombeaux qu'il renferme et retirer de ses sépultures le plomb, le fer, le cuivre et l'argent qu'elles pouvaient ren- fermer. C'est ainsi que les réformés de 1562 avaient déterré le cœur du cardinal d'Estouteville pour s'emparer des deux plats d'argent qui le contenaient. Qui eut osé, après cela, assurer que pareille violation n'avait point été infligée au cœur de Charles V ? Le cœur d'un roi a toujours de quoi tenter les passions ignorantes et cupides.

Qu'on ne dise pas que nos histoires de Rouen auraient gardé trace d'une semblable visite. Nous répondrons à cela qu'aucun historien de Rouen du dernier siècle n'avait men- tionné la visite furtive et accidentelle faite au cœur de

in; i:u:uu du roi ciiaiilks v. 5i23

Charles V,le 123 février 1757. Cette vérificatioinnystérieiisc avait même échappé à M. Deville qui, en 1S55, publia un livre spécial sur les tombeaux de notre cathédrale. Ce n'est qu'en 1851 seulement et dans un ouvrage aussi peu lu que peu digne de l'être, que ^I. Fallue, ce regrettable historien de notre j!Iétropole,a publié le procès-verbal que nous avons reproduit ' , procès-verbal qui pèche peut-être pîir quelques détails, mais qui n'en est pas moins d'un grand intérêt ré- trospectif. Nous l'avouons ingénument, aucun de nous n'a- vait lu le livre de M. Fallue, et par même aucun ne con- naissait le document de 1757, dont la première communica- tion nous arriva par M. Deville, qui l'avait trouvé dans les archives et qui voulut bien nous le communiquer le lende- main même de notre découverte et en réponse à la bonne nouvelle qu'il en avait reçue. 'l'uv.ur:

Du reste, nous le disons hautement, quand bien môme nous aurions connu cette première vérification, postérieure à 'lo62, nous n'en eussions pas moins résolu et exécuté la nôtre : car, enfin, 1795 avait passé par là. Or, à cette ter- rible époque, les tombeaux avaient été partout fouillés par mesure administrative, pour rechercher des métaux utiles, hélas ! à la défense de la patrie, seule excuse de tant de pro- fanations ^ 1

Mgr de Bonnechose, archevêque de Rouen, à qui il avait été fait part du double projet que nous avions conçu sous le

' Fallue, Histoire jjolitique et religieuse de l'Église de Rouen, t. iv, p. 339-40.

* On peut citer notamment une circulaire du citoyen Bouchotte, ministre de la guerre, datée du 12 prairial an II un acte de l'administration des Domaines du 25 frimaire an il, et des ai'rêtés des 13 et 17 seplembre 1793, ordon- nant « d'enlever des souterrains et des caveaux destinés aux sépultures, 1''. fer et le plomb que l'orgueil et l'aristocratie y avaient accumulés. »

a24 DÉCOUVERTK

))on plaisir tic son agrément présumé, nous accorda son en- tière approbation. Il n'y mit d'autre réserve que le désir bien légitime, chez un prélat aussi éclairé, de pouvoir contempler à son tour le résultat de nos recherches, s'il était heureux. Cette condition était pour nous un encouragement et une récompense.

Monseigneur eut la bonté d'adjoindre aux trois 'personnes déjà nommées M. l'abbé Robert, chanoine, si bien connu par ses travaux d'architecture religieuse, et à cause de cela ré- cemment nommé intendant de l'œuvre de Notre-Dame.

Toutes les mesures étant prises pour ne gêner en rien le service de la Métropole, la recherche fut commencée le lundi 26 mai, vers trois heures de l'après-midi. La fouille a duré trois heures environ, et elle a été, comme chacun sait, cou- ronnée d'un plein succès. A six heures un quart nous décou- vrions le caveau royal possédant encore la précieuse relique que lui avait confié le XIV® siècle. Ce caveau, placé à 75 centimètres du pavage actuel, était formé avec deux pierres superposées, solidement noyées dans un bain de dur et épais mortier. Chose singulière, les deux pierres présen- taient des trèfles incrustés du Xlir" siècle, ce qui prouve qu'on avait employé des débris mêmes de la cathédrale.

Le caveau que ces pierres recouvraient depuis bientôt cinq siècles, avait 56 centimètres de profondeur, 64 de lon- gueur sur 47 de largeur.

Deux grils de fer, placés à quelques centimètres de l'en- trée et du fond du caveau, supportaient deux plaques de plomb de 48 centimètres en carré. La première des deux plaques, placée sur le gril supérieur, était destinée à arrêter l'humidité et la chute des matériaux. Elle a été trouvée re- couverte de sable mélangé d'eau d'interposition. La seconde plaque avait reçu le cœur du roi et elle l'offrait encore, ré-

DU c(h:uu Dr noi (;harlp:s v. 5i25

<liiit en poussière, nuiis recomiaissable par la lornie qii'allec- tait ce vénérable débris.

Nous donnons iei, d'après M. l')arthéleniy, la eoujx' du royal ea\-eau tel qu'il était cpuind la fermeture était c'Ui- plète.

Le viscère royal avait été déposé ici enfermé dans une boite d'étain ou plutôt d'alliage, épaisse de o à i millimètres, et affectant la forme d'un cœur humain. Cette boîte, fabri- quée de deux morceaux soudés ensemble, avait été en ma- jeure partie rongée par l'oxyde. Toute la poi-tion adhérente à la feuille de plomb n'offrait plus qu'un résidu noir, cendre et métallique. La partie supérieure, au contraire, s'était bu^n conservée et elle montrait, d'un côté surtout, tout le bril- lant du métal primitif.

526 DÉCOUVERTE

Nous reproduisons ici l'aspect que nous présenta le cftveau du cœur après l'enlèvement de la première plaque de plomb.

La poussière étalée sous la plaque de ploml) était aussi de denx sortes : sur les bords, le dépôt était noir et métallique ; au milieu, la couleur du débris était rougeâtre et ressemblait h du tan de corroyeur. Cette teinte tannée et l'agrégatiou des parcelles feraient croire à un embaumement, à moins qu'elle ne soit l'efiet de la décomposition du viscère royal '.

' Dans le désir de coinplé tu' nos renseignements sur tout ce qui concerne cette importante découverte, nous avons cru pouvoir détacher quelques par- celles de ces précieux débris, afin de les soumeitre à une analyse chimique ; nous désirions ainsi être renseignés sur les arts, l'induslrie et les coutumes du XIV'' siècle ; dans cette intention, nous nous sommes adressé à notre ami M. Girardin . chimiste habile, dont la scienc(> el le dévouemeni nous sont

T)[J CffilTR mi ROI CHAULES V. 527

La relique étant ainsi reconnue, elle a été aussitôt dessi- née par M. Barthélémy, puis elle a été religieusement dépo- sée dans la sacristie du Chapitre par les soins de ^I. l'abbé

connus depuis longtemps. Voici la réponse qu'a bien voulu nous transmettre réminent doyen de la faculté des sciences de Lille :

« Mon cher confrère et ami,

" Vous m'avez envoyé, pour les analyser, trois objets d'un haut intérêt, à savoir ;

« Un morceau de plomb provenant de la plaque qui supportait le cœur de Charles V,à la cathédrale de Rouen ;

I' 2" Un morceau de plaque métallique qui enveloppait le cœur de Charles V ;

« Une poussière rousse provenant du cœur du même roi.

« Voici les résultais de mon examen :

<! Le morceau de plomb, assez épais, est recouvert d'une croûte terreuse d'un blanc rosé dans la partie supérieure. Cette croûte consiste en carbonate de plomb mêlé d'un peu de peroxide de fer ei de sable.

n Le métal débarrassé de cette enveloppe due à son oxidation, a tous les ca- ractères physiques et chimique du plomb. C'est, en effet, du plomb presque pur ; je n'y ai trouvé qu'une trace d'étain et de fer.

« La plaque métallique qui enveloppait le cœur est formée par un métal plus dur que le plomb, dont l'extérieur est presque partout recouvert d'une matière noirâtre, grenue, friable. Les surfaces non oxidées ou sulfurées sont d'un blanc grisâtre, d'apparence métallique. Le métal non attaqué par l'alté- ration peut être entamé avec le couteau ; sa tranche fraîche est très-brillante et offre la couleur de l'étain.

« D'après mon analyse, cette plaque est de l'étain contenant un peu de cuivre et une trace de plomb. Il n'y a pas trace d'argent. La matière noirâtre et grenue qui la recouvre est du sulfure d'étain avec un peu de sulfure de cuivre.

« 3" Quant à la poussière rousse qui provient du cœur de Charles V, voic-i les caractères qu'elle m'a fournis.

« Cette poudre brune, entremêlée de points blancs, n'a aucune odeur bien appréciable. Chauffée sur une lame de platine, elle noircit, s'enflamme, brûle avec une flamme fuligineuse dont l'odeur est aromatique et rappelle celle du baume. Elle s'incinère difficilement, laiase une cendre grise, alcaline, qui fait effervescence avec l'acide chlorhydrique dans lequel elle se dissout p'resquc

528 ' DÉCOUVERTE

Robert, intendant de l'œuvre de Notre-Dame. Elle y a été conservée sous clef jusqu'au 6 juin suivant, et pendant dix jours elle y a reçu la visite de plusieurs personnes notables de la cité, spécialement de M. Namuroy, secrétaire général de la Seine-Inférieure, faisant fonction de préfet, en l'ab- sence de M. le baron Le Roy, en tournée de révision.

Mgr l'archevêque que les feuilles publitpies avaient in- formé de la découverte, pendant le cours de sa visite -pasto- rale, s'empressa, à son retour à Rouen, de venir contempler le royal dépôt confié à sa cathédrale, et dont la possession jetait sur elle un nouvel éclat. Le mercredi 29, à une heure après midi, Monseigneur visita avec un grand intérêt le ca-

totalemeut .en la colorant fortement en jaune. La solution acide lenferme beaucoup de fer et de phosphates,

« Cette poudre calcinée dans un tube de verre se comporte comme une matière organique très-azotée; elle noircit, dégage d'abondantes vapeurs hui- leuses empyreumatiques et du gaz qui ramènent fortement au bleu le papier rouge de tournesol.

» L'eau distillée tiède se colore légèrement en jaune brun par son contact avec cette matière; elle se trouble ensuite faiblement par l'ébullition, par l'a- cide azotique, par le chloride du mercure ; elle précipite fortement par l'acé- tate triplombique. Elle laisse par l'évaporation une matière noirâtre que la chaleur charbonne. Il y a des traces de chlorures et de sulfates dans la cendre.

« L'alcool rectifié bouillant enlève à cette poudre une matière résineuse balsamique qui rougit par l'acide sulfurique concentré. L'alcool est coloré en jaune et précipita abondamment en blanc par l'eau.

Il L'éther mis en contact avec le résidu lui enlève une matière organique qui, par l'évaporation spontanée, prend une belle couleur violette ; cette ma tière a une odeur suave II n'y a pas trace de matière grasse.

)i II résulte donc de ces essais que la poussière rousse renferme, outre des substanses lésineuses balsamiques qui ont servi à l'embaumement, une ma- tière animale riche en fer et en phosphates ; ce qui démontre bien que cette poussière est le restant du cœur de Charles V.

« Croyez, mon cher abbé, à tous les sentiments affectueux de votre tout dévoué. GiRAUPiN.

m t(iKUR DU uoi l'iiAr.Lts V. 5r>*.)

veau construit par une main royale et placé clnupie jour, sous ses yeux, en face de sa chaire pontificale ; puis, dans la sacristie, il contempla avec une émotion véritable et conte- nue ce qui restait du cœur d'un des meilleurs rois qui aient gouverné la France.

Dès ce moment il fut résolu qu'une enveloppe nouvelle se- rait préparée pour recevoir le précieux dépôt confié à la garde de l'église de Kouen, et que, dans le plus bref délai, il serait rendu à son premier asile.

Muni des instructions de Sa Grandeur, M. Barthélémy fit exécuter par M. Bécaille, habile i)lombier de Rouen, un cœur en étain et une boîte en plomb destinée à conserver la. relique royale le plus longtemps possible.

Toutes choses étant prêtes. Monseigneur réunit de nou- veau à la cathédrale, le vendredi G juin, les quatre témoins et agents de la découverte, puis il procéda à l'enveloppement et à la déposition du cœur.

Pour témoigner du vif intérêt qu'il portait à cet acte de haute conservation, Monseigneur voulut lui-même présider à toutes les phases de l'opération. En sa présence, les restes du cœur et les débris de la boite du XIV siècle fiu'ent soi- gneusement déposés dans le nouveau cœur d'étain, qui fut immédiatement soudé par le plombier. Alors Monseigneur enveloppa cette précieuse boîte avec un ruban violet large de trois centimètres, et il forma avec lui une croix sur chaque face, puis il scella les bouts du cordon avec un sceau de cire rouge deux fois répété. Ce premier étui étant ainsi scellé, il fut placé dans une boîte en plomb toute remplie de charbon de bois finement broyé.

Sur cette seconde caisse, de forme carrée, on lit, gravée en belles lettres romaines, l'inscription suivante :

o30 DÉCOUVERTE DU CIEUR hU «01 CHARLES V.

COR

CARGLI V

FRANCORVM REGIS

RECOGA'ITVM

ANN. DNI. MDCCCLXII.

Le ro3^al et vénérable dépôt, étant ainsi soigneusement re- fermé, a été respectueusement déposé, en présence de Mon- seigneur, dans le caveau qu'il occupait depuis 1380. Les grilles de fer et les plaques de plomb étant également remises en leur place primitive, le caveau a été muré de rechef par les maçons de la cathédrale.

Prochainement, une inscription gravée sur marbre blanc, composée à nouveau et avec une certitude rajeunie de cinq siècles, prendra place dans le chœur de Notre-Dame, et elle indiquera au respect de tous, le lieu repose le cœur du plus sage des rois de France.

Regrettons que le défaut de ressources ne permette pas de faire revivre sur son mausolée l'image d'un prince qui fut le maître de Duguesclin et le fondateur de la Bibliothèque im- périale, qui en Normandie se montra le protecteur de l'E- glise et le bienfaiteur de l' Hôtel-Dieu de Rouen ', qui encou- ragea les découvertes des navigateurs normands et qui vint lui-même à Dieppe récompenser Jehan le Roannois, le pionnier de laGuinée% et qui entin, monté sur le premier trône de l'Europe, n'oublia jamais qu'il avait été duc de Normandie.

l'abbé COCHET.

' Lebrun des Mauettes, Voyages liturgiques de France, p. 385. * ViLLANï DE Bem.efond, Relation des castes d'Afrique appelées Guinée, p. 410.

LES SANDALES ET LES BAS

'IliOlSIKMK AIMICJ.I':

CHAPITRE III

CHAUSSOllKS IMPÉRIALES, A UOMK ET A BYZAMCE.

L'étude consciencieuse des monuments figurés prouve que la seule différence admissible entre les chaussures patri- ciennes ou même vulgaires et la chaussure du maître su- prênie, l'Empereur, résidait plutôt dans la couleur et l'orne- mentation que dans la forme générale. Toutefois, certaines désignations spéciales n'étant employées par les écrivains qu'au sujet des calceamenta imperialia, j'ai cru devoir con- sacrer à ces derniers un chapitre séparé.

Nous avons vu Caligula paraître en public avec des socculi de perles. Héiiogabale portait sur sa chaussure des pierres précieuses et même des intailles, qu'Alexandre Sévère sup- prima lors de son avènement au trône'. Aurélien, en inter- disant les souliers rouges aux hommes, semble avoir réservé

* Voir le numéro de septembre, p. 468. ' Lampuide, Heliog., 23: Alex. Sev., 4.

532 I.KS SA.MIALES ET \.ES i!AS.

cette couleur pour l'usage exclusif de la dignité souveraine. Carin, à l'exemple d'Héliogabale, «liabuit gemmas in calceis ; » enfiii Dioclétien rendit obligatoire la présence des joyaux sur le costume impérial'. Mais si l'on excepte le fils de Julia Soémias, nul, peut-être, ne poussa aussi loin que Gallien le luxe des vêtements, et c'est dans son histoire qu'il faut cher- cher la première mention de deux chaussures, affectées après lui aux monarques de l'Occident et de l'Orient, le cajnpagus et la zancha.

I. Campcujus. Après -avoir énuméré la chlamyde de ])()urpre, les riches ii1)ules, la. tunique rouge et or, le bau- drier orné de }>ierreries, qui formaient la parure de Gallien, Tj-ebellius Pollio ajoute : « Caligas gemmatas annexuit, « quum campagos reticulos appellaret. » D'autre part, Ju- lius Capitolinus dit à propos de Maximin le jeune, « Calcea- " mentum ejus, id est, campagum regium... posuerunt... 0 quum de longis atque ineptis hominibus diceretur, caliga " Maximinî-. » De ces deux textes il résulte évidemment que le campagus était une sorte de calige attachée avec des courroies, disposée en réseau sur la jand)e et le pied nus, au lieu d'être contournée en cercles parallèles : Hoffmann ne le comprend pas autrement ^

Je n'ai rencontré qu'un spécimen antique bien caractérisé du campagus; il appartient à un chef scythe, figuré sur la colonne de Théodose, et diffère peu de.la chaussure des High-

' Voi'iscrs, 17. « Ornameiita geiiiniarum vcstibus calceaniontisqtic « (Dioclctianus) indidit ; iiam piius iiiiperii insigne in chlamydo ])Ui-piirca « tantum eiat. » Einiioi'K, ix, 16.

'^ GalUenuspat., 16. {'^it. 3Iaxim.,28.

' " Fuerunt autem et campagi ex génère soleai'um, non intégra solidaque « pelle crura operientes, sed fasciis mullis l'etieiilafiin inijik'xis gerente.s. n (Etym. Y.r/.u.-xi^, flexiirn .) Lçx. unh\, CAMr.VGis.

LES SANDALES ET LES 1!AK. i}Mi

latui-.'r.s : m;ii.s on ne peut guère se liera rexactitiide des grav^ures de Bauduri, et le personnage que je cite prête beau- coup à la critique quant à lii forme exacte des pal ides. Il faut donc chercher ailleurs pour savoir si le raiiipaf/us était une solea ou un calccus. Le consid Basilius porte des souliers compris sous un réseau, et l'empereur Lothaire un cothurne enveloppé par les mailles d'un filet d'or; un Nicé})hore lioto- niateet aussi le moiuirque byzantin, tissé au centre du suaire de Bamberg, laissent soupçonner une chaussure analogue que les vers suivants de Corippus décrivent incontestablement :

Pui pureo surce résonant fulgente cothaino ; Ci'iiraque piiuiceis indnxit regia vinclis, Parthica Ciivipano dederant quae tergoia fiicu, Qui £olet edomilos victor calcare tyrannos, Uomanus priuceps et barbara colla doQiaro : Sanguiiieis pra:;lala rosis laudata rubore, Lcctaqp.e pro sacris tactu moUissiraa plantis : Augustis solis hoc cullu competil uti, Sub quorum est pedibus legum cruor, omne profecto Mysteriutu certa rerum ratione probatur '.

Or, à mon sens, le poète établit ici une distinction tran- chée entre les deux parties de ce calceamentum réservé aux seuls Augustes; eu dessous, un cothurne de pourpre, en des- sus, des courroies de cuir persan teint en Campanie : les

' Imp. Orient., ii, pi. 4. Ant. expl., m, l. Les )4rts sompt. i, pi. 11. WiLLEMirj, pi. 40. Mél. d'arch., ii, 32. (La miniature- byzantine de la bibl. iinp. et l'étoffe trouvée dans le cercueil de Gunther (XI*-' siècle) ne pré- sentent malheureusement qu'un échappé de la jambe des personnages ; leur chaussure rouge est ornée de bandelettes et de perles; au talon et à la pointe du pied apparaît une fleur polylobée. De Laud. Jvsfini /un, u, 104

334 LES SANDALES ET LES BAS.

courroies tiennent, à n'en pas douter, au campagus; quel nom recevait le cothurne dans le langage ordinaire? Udo. Martial appelle iiinsi une chaussure en laine ou en poil de chèvre; Ulpien range les odones parmi les calceamenta,-\â Donation de Constantin attribue aux clercs de l'Église romaine les san- dales blanches sénatoriales avec les odones {ùv:oâihiia.x(x moi (jav§akia Xeuxà ^id chviosv) ; saint Epiphane traite les càovia. de braies (opxat); enfin \Onio F, par deux fois, fait chausser au Pape les odhones avant le campagus^ et cette place leur est nettement assignée par Théodulfe :

Lineacrusque pedesque tegaut talaiia, ut apte, Qui super addatur, campagus ipse decens *.

Les rapports de Vudo avec le campagus préciseront la na- ture du dernier; en effet, r?/f/o, désigné comme calceamentum par un jurisconsulte, ne pouvait être à cause de cela inclus sous une enveloppe superposée : donc le campagus primitif n'était qu'une semelle ou une sandale très-découverte atta- chée au moyen de cordons. Le lecteur me pardonnera cette excursion prématurée hors du domaine laïque; sans l'aide des textes ecclésiastiques, la question demeurerait probablement insoluble^.

' Epitj., XIV, 140. « Alla causa est odonum quia usum calceamentorum (( prsestant. Diy., 34, 2, 25. La distinction est établie entre les odones et les bas ou les chaussons. Du Cange, Gloss., cdo. Contra Catharos. Mus. liai. H, p. 64. Parœn. ad Episc.,\, m, 458.

^ On trouvera la preuve de ce que j'avance dans le Ménologe de Basile II, (nis. du Vatican, X.<^ ou XI'' siècle, publié à Urbin, in-fol., 1737.) Les figures gravées, t. I, p. 7, 47, 51, 114, 115 et li)9, présentent des cavipagi dont le pedw?e est une sandale très-découverte ou plutôt une carhatine. Divers per- sonnages, t. u, p. 79 et 208, sont chaussés de ca???^a^t complètement réticulés le pied n'est garanti que par une simple semelle. Partout les udones sont nettement indiqués ; ils s'arrêtent en bourrelet à mi-jambe.

LES SANDALES ET LES lîAS. o3o

Une miniature du manuscrit 510 de la bibliothèque impé- riale (IX" siècle), deux peintures byzantines du XP siècle au Louvre, représentent divers personnages dont les jambes et les pieds disparaissent sous des bandages blancs, analogues aux appareils chirurgicaux pour la réduction des fractures. Ces chaussures bizarres ne sont autre chose que des odoues et des campacji ou xyrides ' .

Zancha. Dans une lettre conservéepar Trebellius Pollio, Gallien compte au nombre des présents qu'il envoie à Claude le Gothique « Zanchas de nostris Parthicis, paria tria. » Une loi des fils de Théodose prononce l'exil contre tout indi- vidu qui se permettrait à Rome l'usage des braies et des tzangues^. L'historien Procope mentionne parmi les insignes accordés aux satrapes héréditaires d'Arménie, une chaussure rouge, montant jusqu'au genou, que l'Empereur et le roi de Perse avaient seuls le droit de porter^. Enfin Codin, après avoir dit que les souliers impériaux {ùnoâ-riiioczoc) étaient dépo- sés dans le vestiaire, signale une autre espèce de chaussure nommée Tçayyta, chargée, sur les flancs de la tige et du quartier, d'aigles brodées en or, avec des perles et des pierres précieuses. L'Empereur mettait les tzangues quand il

' Les Arts sompt., t. i , pi. 31 : Saint Léonce et saint Georges, pi. 57, 59.— La fig. de Zacharie (Bibl. imp. 61, X*= siècle) est chaussée de campagi et d'odones bruns. Les campagi se nommaient en grec çupîSeç, sans doute parce que leurs courroies rappelaient la feuille étroite et allongée du glaïeul, xau-irâjcta et i^uyaéaota. Suidas.

- Claud. 17. Jrc. et Jlon., Cod. Theod., xiv, 10, 2. « Usum tzanga- « rum adque bracharum intra urbem venerabilem nemini liceat usurpare. »

' « TTCoSvî;ji.aTa [J-s/pt le; '(ôvu '^oivixoo ypwrj(,aTo;, a ot) fiaGiXsa fxovov 'Po)(j.aioj xat Ilspawv uTrooîÎGÔai Os^aiç. » De ^dif. Justin., m, 1. LuiTPRANi) donne à cette chaussure le nom de caliges : « Rubricatarum pel- « liumcaligis, ut isthic (c. p.) imperatorum moris est uterctur. » Antapod., m, 35.)

530 IJiS SANDALES KT LES BAS.

assistait aux processions et aux litanies; l'ouvrier qui con- fectionnait ces bottes ne s'appelait pas xî^uyydpioç, mais bien ryy.yyài ' . Je ne suis pas assez versé dans les langues sémiti- ques pour suivre Hoffmann sur le terrain des étymologies et prétendre quetçayyta dérive de l'arabe tzaçjath^ mais j'ai l'in-. time conviction qu'un mot, la sifflante ç est redoublée par l'antéposition d'un - ou d'un à (certains écrivent cJçayyta), ne peut être grec et qu'il a été emprunté à l'un de ces idiomes orientaux si abondants en consonnes. Aux faits que je viens d'exposer, si l'on veut bien adjoindre ma citation antérieure des tzangiœs persiqiies du roi des Lazes, on conclura de l'ensemble, sans liésiter, que les tzangues, chaussures person- nelles aux souverains de Byzance, étaient de hautes bottes rouges, en maroquin ou cuir de Kussie brodé avec l'art mer- veilleux, encore aujourd'hui déployé par les Asiatiques dans ces sortes d'ouvrages.

Une médaille de Licinius (308-523) le représente en cos- tume impérial, chaussé de tzangues molles, formant enton- noir. Basile II (975-1025) est peint sur un psautier de la bibliothèque impériale avec des tzangues couvertes de perles et montant jusqu'aux genoux. Un autre manuscrit byzantin de la même collection (XP siècle) montre les figures de Salo-

' L'empereur Nicéphore était n aj^cioniis calceamentis calceatus n quand il donna audience aux ambassadeurs d'Othon. Ll'itprawd, Ley. c. p., 3. De Off. c. p., V, 14. « "l'^yovxa |x. irXayuov xolzol tàç y.\ir^aci.i; xoù stti TÔiv xapawv, « àatoù; oik )\.(0o)v /.ai jj.apy^-'-p'-'^^- ^- encore la Chronique de PhraivtzÈs, ut; 18, il est dit que le cadavre de l'Empercui- fût reconnu à sa chaussure particulière sur laquelle étaient des aigles brodées en or ; la CTtronoijraphie de Theoph AIMES, p. 263 «'Ex twv àX-/iOiv(7)v vip T(^7YYto)v l^Mioçi'Cz-o » Les Latins nomment les tzangues impériales ocreœ ou calkjCB : " Ocreis, ut mos -1 est in illo imperio insignitus purpureis. . Augustus appellatus est. » Gujl- <i LAUMK Dic TY(i, 1. 15, C. 23. (C Callgis rubcis secundum moiem indutus. »

ALI5É1UC.

LES SANUALKS ET LliS 15AS. 537

mou et de plusieurs rois avec des Izanf/iœs pourpres ou écar- lates, mais déuuées d'ornemeuts. Ou aperçoit des tzanfjucs^ brodées aux chevilles, sous le paludamentum de Justinien (mosaïque de Ravenue). Enfin, ce qui prouve surabondam- ment l'origine orientale des tzaïKjucs^ l'image de saint Jacques le Persan, Ilspatç, au musée du Louvre (XP siècle), en porte de blanches, tout à fait semblables aux péronés latins. Or,- TertuUiennommejrje/wies les chaussures luxueuses des Parthes et des Mèdes, et certaines bottes sont encore appelées zancœ dans quelques textes latins du moyen-âge ' .

Aux grands dignitaires de l'empire d'Orient incombait aussi une chaussure distinct! ve. Les souliers {ùv:oâr^^ixzx) du Despote étaient bicolores (âicoléoc)^ pourpre foncé (o|cws)et blanc, avec des aigles en perles sur les côtés et le quartier; l'empeigne présentait l'aspect d'une mosaïque. Les souliers du Sébastocrator, bleu-céleste (■nepdvsx). portaient aux mêmes places des aigles tissées ou brodées en or sur un fond écarlate; ceux du César, du Panhypersébaste et du Protovestiaire, sans ornements, étaient bleu-céleste, jaune citron et de cou- leur verte". Tout haut personnage, déchu de son rang ou

Malliot, Rech. sur les costumes, t. i, pi. 49, 4, d'apiès Khell. Les tzangnes du Licinius ne diffèrent pas des bottes scythes figurées sur le vase de Koul-Oba. D'Agincodrt, Peint., pi. 47, 5. Les Arts sompt. t. 1, pi. 44,45,58. De Hah. mul. « Similiter acceisivit sutores calceamentorum, « precepit illis ut magnas zanchas ex lihcorum pellibus operarent. " Vit. S. Maximiani, ap. MuRATOur, t. ii, p 105. Le préfet de Rome, en diverses circonstances, chevauchait à côté du Pape « calceatus zanca una aurea, id est una caliga, altéra rubea. » 3Ius. Ital., t, ir, p. 170, Ordo, xn. Contelo- liio, De Prœf. urbis, ap. Sallengre, t. i, p. 517, pi., p. 519.

-CoDiK, m, 6 : « 'Eyovra aîToùc [jLapyaptTapctvou; £/. TrXayt'cov xat Itti

Tcov xapïwv viToi ETiàvo) Twv u7roÔ7]L;.a-ttov Toiv y.ov^T/J.oyj . » iD., ibid. 17 :

« 'AîToùç aDÇtij.a-zc.ivQuç Itç àî'pa /.ôxxivov. » L'interprète latin rend ce passage

par « Aquilas fimbriatas desinentes in umbonem coccineum. » J'ai pensé qu'il

TO.ME vx. 39.

538 LES SANDALES ET LES BAS.

tombé en défaveur, échangeait sa chaussure éclatante contre des lu'odequins noirs; j'en ai trouvé maints exemples dans Pachymère.

Je serai bref relativement aux chaussures d'impératrices, difficiles à apprécier sur les monuments à cause de l'ampleur des robes. Les souliers de Théodora (Ravenne) sont dorés, avec une empeigne très-découverte et un quartier bas; ceux d'une sainte Hélène (IX^ siècle), arrondis à l'extrémité et de couleur rouge, se distinguent par une bande longitudinale fclavus) ornée de pierreries. Le calceamentiim d'Eudoxie, en- richi de perles, ue diifère en rien de la chaussure de son mari Romain Diogène (1068) également cachée sous une tu- nique talaire ' .

CH. DE LINAS.

{La suite au prochain numéro.)

valait mieux traduire ainsi : « Aquilas auro textas in campo coccineo. n La mentiion, faite par Nicéphore Grégoras (iv, 1) des souliers du Sébastocrator, « OTi £V Toïç xuavoïç TreotÀoi; xa\ /puffoucfrElç «Ùtw £v-/]p^ad^ovTO àsTOi. », porte à croiie que les aigles étaient brodées et non tissées. ('Evapaô^co, j'adapte, arrange, ajuste.) Codin, loc. cit., 23 et iv, A et 5. Dans leurs souliers, le Despote, le Sébastocrator et le César avaient des xocXt^oîi, caligœ ; ce vête- ment sera expliqué plus loin.

* Mss.510 Bibl. imp.; Arts sompt. i, pi. 32, Gom , Thés ., vei. dipt. , ni, 1.

HISTOIRE DE S. JACQUES LE MAJEUR et du Pèlerinage de Compostelle-

SIXIKMK AUTICLK

CHAPITRE VU

INVENTION DES RELIQUES DE SAINT JACQUES.

C'était en 812. Le pape saint Léon III gouvernait l'E- glise, Charlemagne régnait en Occident, pendant qu'un autre roi, Alphonse II, édifiait son peuple dans le petit royaume de Léon et des Asturies. L'Eglise et l'histoire ont surnommé ce dernier le Chaste^ et le Ciel a voulu récompenser ses ver- tus par une faveur miraculeuse, casta placent superis * . C'est sous le règne de ce prince, que Dieu daigna révéler le tom- beau de saint Jacques : quelques personnes de distinction avertirent Théodomir, évêque d'Iria-Flavia, qu'au-dessus de ia forêt qui cachait depuis longtemps le tombeau de l'Apôtre,

* Voir le numéio de septembre, p. 500.

' Albii Tibclu Elegiarum. lib. 11, eleg. i, v. 13, edit. Lemaire.

540 l'Èl-LULNAGIi LiK COAU'OSTELLE .

elles avaient aperçu imitammeiit plusieurs lumières et en- tendu des concerts angéliques. Le vénérable prélat se trans- porte sur les lieux et distingue les mêmes phénomènes; il s'approche et découvre au milieu des ronces le tombeau de saint Jacques sous une arcade de marbre. La joie inonde son âme, il court, il va tout racouter à Alphonse le Chaste; le roi partage son allégresse et vient constater par lui-même le grand événement ; il bâtit une église sur le tombeau du saint et transporte à Libre-Don , avec l'autorisation du Pape , la résidence des évêques d'Iria-Flavia.

Le tombeau était resté intact sous son toit d'épines, et les reliques qu'il contenait n'avaient été ni outragées, ni muti- lées ; Théodomir y trouva le corps entier du saint avec la tête à part. Le bâton de voyage du saint était à côté du corps. Ce bâton ou boui'don se voit encore aujourd'hui, à quelques pas du tombeau. 11 est enfermé dans un étui de métal, ouvert à la base, afin que les fidèles puissent le toucher. En 1 8o0, on m'a montré , dans la fameuse cathédrale de Saint- Janvier, à Naples, le bâton de saint Pierre. La sainte Eglise aime à honorer tout ce qui a appartenu à ses fonda- teurs. Un bâton était toute leur fortune. Ces sublimes in- sensés comptaient sur l'appui de Dieu pour soumettre les peuples à leur houlette pastorale.

La sainte Eglise romaine ne fête que deux i?iventions, celle de la sainte Croix, au 5 mai, qui eut lieu en 326, et celle de saint Etienne, protomartyr, au 5 août, qui eut lieu en 415. Beaucoup moins ancienne que ces deux inventions authentiques, celle de l'Apôtre protomartyr ne se présente pas à nous avec le même caractère de certitude, puisqu'elle n'entre point dans le cycle liturgique; mais elle est revêtue de toutes les conditions qui font accepter un fait historique : elle a en effet pour garant la sincérité et les vertus d'un roi

l'ÈLEHlNAGli DE COMTOSTELLE. oil

et {l'un évoque, à qui hi postérité n'a décerné que des louanges; l'autorité d'un Pape, aussi prudent qu'il était saint, et celle d'autres papes qui afFi-ancliirent l'église de Libre -Don de la suprématie de toute autre église, en la pla- çant sous la juridiction iunnédiate du Saint-Siège, par une raison unique, toujours répétée dans les mômes termes, c'est qu'elle est eu possession du corps de l'apôtre saint Jacques : " Porqiœ cl glorioso cuerpo de! apostol Santiago dcscansa en ellaj » enfin, la tradition universelle, constante de l'Es- pagne et de l'univers clirétien, confirmée par la dévotion de toutes les classes de la société et parle Ciel lui-même qui se prononce au moyen des prodiges, discutée et prouvée par les historiens les plus graves, en particulier par l'auteur der///.s- toire de CompostcHe , si souvent citée dans Florez.

Une autre preuve non moins démonstrative se déduit du théâtre même de l'événement et du changement de nom qui en fut la conséquence. Libre-Don, surnonnné d'abord Lioi- Saint^Liigar-Santo, s'appelle encore aujourd'hui le Champ-de- rÉloile; une ville naquit autour du tombeau et emprunta à ce champ le nom qu'elle porte encore.

Les érudits ont beaucoup discuté sur l'étymologie de Com- postelle. On trouve dans Florez ' l'exposé des opinions qui ont été agitées sur cette question. La première a tellement torturé les mots pour en extraire une étymologie un peu vraisemblable, que j'ose à peine la rapporter. Les défen- seurs de cette opinion, s'appuyant sur Hardouin et Lsaac Vossius, veulent faire croire que les mots latins Jacobus apos- tolus ont été transformés successivement en Jacobo apos- tolo^ ou Mac apostol^ ou Giacomo Postolo^ ou Jacomo apostolo, dont on aurait formé par contraction le terme de Com-

' Espana Sayrada, tuino xiv, p. 09, 74.

54â PÈLERINAGE DE COMPOSTELLE.

postellc. Pourquoi ont -ils oublié que la langue du Cid a toujours appelé saint Jacques Santiago et jamais Giacomo^ ni Jacomo, ni Jiac? Le nom de l'Apôtre n'a donc pu engen- drer celui de Compostelle.

La seconde opinion force le sens d'un mot ])our justifier l'étymologie qu'elle a inventée. Elle fait dériver Compostelle de Compote Stella, qu'on est obligé de traduire : étoile de bon augure; mais l'adjectif latin compos ne peut se plier à cette signification.

La troisième opinion, qui est la i)lus naturelle et la plus commune, est aussi la plus favorable à notre cause. Avec les deux mots Campus stellœ, Champ de VEtoile, elle compose sans eiFort et sans altération notable le nom de Compostelle , Champ de V Étoile ' . Une étoile avait conduit les Mages au berceau du Messie ; une autre étoile a plané sur le tombeau d'un Apôtre pour le révéler au monde chrétien. Il n'est pas étrange qu'à une époque la langue latine était encore par- lée par le peuple dans l'Europe chrétienne, on ait réuni les noms latins de l'étoile miraculeuse et du champ qu'elle avait éclairé, pour en faire uif nom unique qui devait perpétuer le souvenir de l'événement. Quand même la tradition serait muette sur cette question; quand même l'histoire^ qui enre- gistre les faits d'un ordre surnaturel, quand ils tombent sous les sens, aurait oublié de mentionner celui-ci, le nom seul de Compostelle serait un argument difficile à combattre.

Ce nom a fait oublier les précédents et a prévalu exclusi- vement à partir du XIP siècle. Les Français disent indiffé- remment Compostelle ou Saint-Jacques de Compostelle; mais les Espagnols, qui ont longtemps possédé l'Amérique et qui

* Lucis evangelicœ , sub vélum sacrorum. emhlematum , reconditcn; hoc est céleste panthéon, sive cœlum novum infesta et fjesta sanctorum. Per R. P, Heniicum Engclgrave, S- J. Antverpiaî, 1658, t. ii, p. 51.

riCLKHINAGE DE COMToSTELLE. 543

ont profité (le leur domination pour imposer h plusieurs villes du Nouveau-JMonde le nom de Saint-Jacques de Compostelle , dans le but d'y propager le culte du grand Apôtre, distin- guent par l'addition du ntim de la province la ville de Comyo- stelle ou de Santiago qu'ils veulent désigner. Celle qui nous occupe est ordinairement a[)pelée par eux Santiago de Galicia.

La chrétienté apprit avec allégresse ce qui venait de se passer au fond de l'Espagne ; la relation de Théodomir cou- rut dans les villes et les villages et excita un enthousiasme qui n'a été surpassé que par celui des Croisades. Le Ciel, conséquent avec lui-même, encouragea par des guérisons mi- raculeuses l'ardeur qui porta les populations vers le tombeau du saint. Le monument avait à peine secoué le linceul de broussailles qui le couvrait, qu'il avait déjà repris un air de vie et de magnificence.

Un prodige, dont toute l'Europe retentit, mit le comble à l'enthousiasme universel ; le peuple, toujours ami du mer- veilleux, ne put contenir plus longtemps l'impérieux besoin d'émotions qui l'attirait à Compostelle.

Nous devons le récit de ce prodige au célèbre Jean Tur- pin, archevêque de Reims, compagnon de voyage de Cîharle- magne en Espagne et auteur de la vie de ce prince et de celle de Roland. Il nous suffit de traduire : « Charles avait « épuisé ses forces aux guerres si longues et si pénibles « qu'il avait entreprendre; il soupirait après le repos. 11 « aperçoit tout à coup dans le ciel un chemin d'étoiles cora- « mençant à la merde Frise, courant entre le pays des Teu- n tons, l'Italie et la Gaule, et suivant en ligne droite l'A- « quitaine, à travers la Gascogne, le pays Basque [Basdam)^ « la Navarre et l'Espagne jusqu'à la Galice. Le phénomène « se renouvelant chaque nuit, Charles en médite la signifi- « cation. Préoccupé^ ^gité, il voit en songe un héros d'une

l'ELERINAGE DE COJirOSTELLE.

beauté extraordinaire : Que dis-tu, mon fils? demande le héros. Qui êtes-vous ? répond Charles. Je suis Jacques l'apôtre, disciple du Christ, fils de Zébédée^ frère de Jean l'Evangéliste; j'ai été martyrisé par Hérode; mon corps repose en Galice, les Sarrasins oppriment les chrétiens; tu es le plus brave et le plus puissant des sou- verains; va, délivre la Galice des mains de ces Moabites. Le chemin d'étoiles que tu as vu briller dans le ciel, si- gnifie qu'avec la nombreuse armée qui, sous tes ordres, terrassera cette perfide race de païens et rendra sûre la route qui conduit à mon église et à mon tombeau, tu dois aller en Galice; donne cet exemple à tous les peuples qui viendront auprès de mon tombeau solliciter le par- don de leurs fautes et chanter les louanges du Très-Haut. Pars sans retard, je serai ton protecteur dans le danger; j'obtiendrai pour toi, à cause de tes travaux, une cou- ronne dans les cieux, et ton nom sera célèbre jusqu'à la fin des âges.

« Ainsi parla l'Apôtre. Charles crut h la promesse qui lui était faite, rassembla ses armées et partit pour aller com- battre les Sarrasins. Il leur enleva Pampelune, visita le tombeau de saint Jacques, poursuivit sa course jusqu'à Iria-Flavia et jusqu'aux bords de la mer, il planta sa lance, rendant grâces à Dieu et à son Apôtre. A son re- tour, il bâtit à Paris l'église de Saint-Jacques, entre la Seine et le Mont des Martyrs . ' » Je trouve dans ce passage l'origine d'une appellation qui prouve combien cette légende s'accrédita parmi le peuple; les astronomes appellent Voie Lactée {via Lactea) une im- mense zone lumineuse, blanchâtre comme du lait, irrégulière,

' .JonANNKS TuRPiWDS, (le. Vifa Caroli, Magni et Rolnndi. Francofurti ap^ Ma'num, 1566, cap ii, nr, v.

l'iaEiiiNAGE ni:; (.OMi'OSTi:i.Li:. 5i5

qui coupe l'écliptique vers les deux solstices, et dont l'appa- rition dans une nuit sereine pronostique le beau temps. Se- lon la mythologie, cette espèce de ceinture céleste reçut son nom d'une goutte de lait que Junon répandit lorsqu'elle re- poussa Hercule, que Jupiter avait approché d'elle pour lui donner l'immortalité. Mais les mythologues et les savants réunis n'ont pu faire accepter aux pauvres (Vespril ce nom païen. Saint Jacques a détrôné la reine des dieux, et le bril- lant météore dans lequel il apparut à Charlemagne pour lui désigner l'endroit de l'Ibérie reposaient ses reliques, a été et est encore appelé par le vulgaire chemin de Sainl- Jacqiws.

L'histoire profane, à part l'ouvrage de Turpin, parle peu du voyage de Charlemagne en Galice; mais l'art chrétien, complément de l'histoire, en a reproduit les détails et les heureux résultats dans un magnifique vitrail de la cathédrale de Chartres.

J'ai dit que Vlnve^itioii des reliques de saint Jacques eut lieu l'an 812. Charlemagne, qui mourut en 814, est donc un des premiers monarques et des premiers fidèles qui soient allés prier en Galice depuis cet événement providen- tiel'. Il appartenait à un prince si chrétien, si magnanime, d'ouvrir la liste des rois-pèlen'ns et d'inaugurer, avant de terminer sa laborieuse carrière, cette sainte coutume des pè-

' Les Bordelais se trompent quand ils affirment sans preuve que saint Mommolin arrivait de Compostelle quand il mourut, dans leur ville, au mo- nastère de Sainte-Croix. Ce saint abbé, dont l'église du même nom conserve les reliques, mourut au VII« ou au plus tard au VIII" siècle. Il ne put donc vénérer un tombeau qui n'était pas encore découvert et dont on connaissait à peine l'existence dans les Gaules. Ayant partagé l'erreur commune dans mon petit livre sur saint Mommolin, j'avoue aujourd'hui sans détour que je me suis trompé, et je reconnais que le prétendu pèlerinage du pieux Bénédictin n'est qu'une fiction dénuée de tout fondement.

o4G rÈI.EiilNAGE DE COMPOSTELLE.

leriiiages qui devait bientôt entrer si profondément dans les mœurs sociales. Un bréviaire allemand, cité par dom Gué- ranger, confirme l'expédition du grand roi en Galice et sa dévotion envers saint Jacques : « Guasconiam, Hispîiniam « atque Galœciam ab idolatris expugnavit, ac sepulcrum « sancti Jacobi hodienio lionoi'i restituit ' . » Il ne faut donc pas s'étonner que ce prince, honoré comme Bienheureux par de nombreuses églises, ait été inhumé à Aix-la-Chapelle avec l'escarcelle, un des attributs des pèlerins.

Tous les échos du monde chrétien retentirent des mer- veilles qui s'opéraient en Galice par la main de Dieu et l'in- tercession de saint Jacques. Les pèlerins, de retour dans leur pays, racontaient leurs impressions et popularisaient par leur enthousiasme le culte du fils de Zébédée. Les églises ambitionnèrent quelque parcelle de ses reliques ; quelques- unes en obtinrent: Toulouse, Arras, Liège, Venise, Pistoie. J'en ai vénéré un fragment dans l'incomparable cathédrale de Burgos. La tête de saint Jacques a eu le môme sort que celle de saint Jean-Baptiste ; elle s'est multipliée sous la plume de quelques écrivains irréfléchis qui ont pris la partie pour le tout, ou qui ont confondu saint Jacques le Majeur avec saint Jacques le Mineur. Le célèbre Allemand Hurter a écrit sur cette question quelques lignes qui ne sont pas ir- réprochables'.

J.-B. TARDIAC.

[La suite au inochaln ninnéru)

' Année liturgique. Le temps du Noël, partie, p. 500.

- Tableau des institutions et des mœurs de l'Eglise au moyen âge, otc, par Frédéric Hurter ; traduit de l'allemand par Jean Cohen, Paris, 1843, t. 3, p. 337.

TOMBEAU DE WALERAM III

DUC DE LIMBOURG,

à l église de Rolduc, près d' Aix-la-Chapelle.

L'église de l'abbaye de llolduc possède le tombeau de Waleram III, duc de Limbourg, qui est enterré au milieu de la grande nef de l'église, devant le chœur. La statue en pied, en pierre de taille, sculptée en 1689, représente Wa- leram couvert de son armure, casque en tête, les deux mains en croix sur la poitrine.

L'ancien tombeau qui fut renversé par les iconoclastes était en pierre de sable et reposait sur des colonnettes. Le sculpteur qui, en Î689, renouvela le monument, soit qu'un bon modèle lui ait manqué, soit qu'il ait suivi son goût par- ticulier, a revêtu le vaillant guerrier limbourgeois d'une armure qui date d'un temps bien postérieur à son siècle.

Ce tombeau est un précieux souvenir des anciens ducs de Limbourg ; c'est le seul de cette dimension qui rappelle à la postérité, dans le duché actuel, cette vaillante race de guer- riers qui prirent une part active aux guerres des croisades.

518 TOMBEAU DE WALERAM III.

Waleram mourut entre le 25 mai et le 2 juillet de l'année 1226. Son monument, qui est couvert d'un treillage en

Tombeau de Walcram III.

cuivre jaune^ est entouré de l'inscription suivante qui est incrustée en caractères de cuivre :

ISTE FUIT TALIS VIRTUTIBUS, IMPERIALIS MAJESTAS SIMILEM NESCIVIT IIABERE l'ER ORBEM LlMBORGlI DTIX, ARCHOS ARLO.V COilES IN LUCELIMBORG WALRAMUS DlCTfJS, DU.X HENRICUS PATER EJUS.

Obilt 1226.

A. SCHAEPKENS.

BIBLIOGRAPHIE

TRAITÉ DE LA RÉPARATION DES ÉGLISES ; principes d'archéologie pratique, par Raymond Boiideaux. Paris, Juhry, 1862, in-Q^ de 400pa(jes, avec 90 figures intercalées dans le texte '.

Cet ouvrage est la seconde édition d'un livre paru en 1832 sons le litre un peu long de : Principes d'arc/iéologie pratique appliqués à l'entretien, la décoration et l' ameublement c^^tistique des églises. C'est un excellent Manuel qui devrait être cnire les mains de tous les architectes et de tous les ecclésiastiques. Plus que jamais on restaure les églises, et plus que jamais aussi, le vandalisme est à Tordre du jour. On ne se borne pas à altérer l'architecture des mo- numents par des additions malencontreuses, on détruit sous pré- texte de restaurer. Certains architectes encouragent cette manie de reconstruction au nom même de l'archéologie. On rêve pour les églises une complète unité de style ; et on démolit, dans un monu- ment roman, les adjonctions des époques ogivales pour les rem- placer trop souvent par de mauvais pastiches. Les hommes de goût ont beau protester : les architectes officiels sont omnipotents et ne prennent aucun souci de l'opinion publique. L'ouvrage de M. R. Bordeaux est de nature à éclairer le clergé sur les funestes conseils qu'on lui donne pour de faux embellissements et des ré- parations destructives.

' L'édition in-S", de 7 fr., et l'édition in-lb de 4 fr., sont en vente, à Pa- ris, chez Aubry, rue Dauphine, 6-, Deiache, rue du Bouloy, 7 ; Durand, rue des Grès, 7 ; Dumoulin, quai des Grands-Augustins, 13, et à Bruxelles, chez Decq.

530 ' UUiLlOtillAl'llIE

Est-ce a dire que nuus considérons loules les opinions de l'au- teur comme incontestables? Assurément, non. Dans les apprécia- tions qui dépendent du goût, il doit y avoir quelques divergences, même entre ceux qui se trouvent d'accord sur les points principaux. Nous en trouvons nne preuve dans la note de la page 336, M, Bordeaux s'exprime en ces termes :

M J'ai vu avec regret la Revue de iArt chrétien publier sans au- cune observation ni restriction les ligues suivantes signées de M. Scliayes, écrivain parfois trop partisan des églises remises à neuf et du gothique en fonte de fer : « En débarrassant la belle et « colossale statue de la sainte Vierge, sculptée en 1457, des ori- « peaux en soie et dentelles dont, depuis la domination espagnole, « une dévotion peu éclairée a coutume d'afïubler toutes les images « de la Mère du Sauveur, le respectable curé-doyen de Saiut- « Pierre Louvain) a fait preuve de bon goût, et, bravant, non « sans de vives réclamations, un préjugé populaire, il a donné un u exemple que devraient s'empresser de suivre tous ses confrères. » [Revue de l'Art chrétien, t. i, p. 312.) C'est sans doute un abus de parer ainsi toutes les statues de la Vierge, mais avant de suivre le conseil trop radical de M. Schayes, les ecclésiastiques qui seraient tentés de suivre l'exemple donné à Louvain feront bien de lire une courte mais savante note sur les vêtements d'étoffe donnés à certaines statues de la sainte Vierge, note M. Charles Desmoulins a traité cette question d'une façon péremptoire. »

J'ai lu Tintéressante Notice de M. Desmoulins; elle prouve sim- plement que l'usage de vêtir les vierges est d'origine méridionale et qu'elle pénétra en France vers le commencement du XV« siècle. Quelle que soit l'antiquité de cet abus, je ne l'en trouve pas moins déplorable, au point de vue de l'art. Tout n'est pas à louer dans le Moyen Age, ni surtout à imiter. Je comprends qu'un curé respecte d'anciennes traditions, par mesure de prudence et pour ne pas froisser les préjugés de ses paroissiens; mais je Tapprouverai, s'il peut parvenir à modifier l'opinion populaire et à supprimer sans danger pour la piété les toilettes mondaines des statues. Je ne re- gretterai nullement de ne plus voir dans les églises d'Espagne et d'Italie, saint Joseph en manteau de brigand, avec un feutre ga- lonné sur la tôle, saint Michel en costume de chasse, saint Jacques en habit de paladin, la Vierge en robe de bal.

l!lltLIU(;itAl'lllK. 5;>l

J'ajouterai que quand bien même je n'aurais pas partagé l'o- pinion de M. Scbayes, je n'en aurais pas moins publié son ar- ticle sans observation ni restriction. Plus d'une fois dans le cours de la Revue, j'ai déclaré que je voulais laisser à cbaque collaboraleur la responsabilité toute entière de ses appréciations. Le système des notes de la direction me paraît avoir de très-graves inconvénients, et je n'y aurai jamais recours.

M. R. Bordeaux me permettra de lui signaler une petite inexac- titude relative à une autre citation do la Revue de l'Art Chrétien. A la fin du cbapilre VP, il se plaint de ce que plusieurs des idées qu'il a développées ont été résumées dans un article reproduit par la Revue de l'Art Chrétien, sans que la véritable source de ces em- prunts ait été indiquée. 11 ajoute : « La Revue de l'Art Chrétien dé- clare, au reste, avoir emprunté cet article à V Univers qui lui-même en fait honneur à la Revue de la Bretagne et de la Vendée. » C'est de ce dernier recueil que nous avons extrait directement cet article de chronique et non point de VCnivers que nous n'avons pas même nommé. L'article commence ainsi (tome IV, page 109) : «Nous em- pruntons à la Revue de la Bretagne et de la Vendée un article très-re- marquable de M. Paul de Gourcy sur la restauration des églises. » Il nous semble que M. R. Bordeaux devait interpeller uniquement M. Paul de Gourcy et la Revue de Bretagne, et que la Revue de l'Art Chrétien, simple reproductrice et citant sa source, ne devait pas apparaître en première ligne dans cette réclamation dont nous re- connaissons d'ailleurs toute la justice.

M. R. Bordeaux a eu l'excellente idée de faire exécuter deux ti- rages, l'un in-8°, au prix de 7 fr.,et l'autre in-18, qui ne coûte que 4 fr., en faveur du clergé rural. Nous recommandons très-vivement cette excellente publication, qui n'a point d'analogue; elle est des- tinée à rendre d'immenses services à l'archéologie pratique.

J. GORBLET.

MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ DES ANTIQUAIRES DE LONDRES, tomes XXXV et xxxvi.

MINIATURES. Une miniature du XIII^ siècle reproduit un su- jet assez fréquent au moyen-âge, « la Roue de la vie humaine. » M. Jones la décrit et l'explique. Au centre Jésus-Ghrist dit : Cunctu

htrl blBLlOGRAlMllE.

simul cerna: iot U7n 7Ydionc guberno : Knx. qniûre anglos, les quatre âges de lu vie : l'enfance, infantia, s'appuie sur une main essayant à se lever et tendant l'autre pour qu'on lui aide : la jeunesse, inventus, est un roi couronné, assis, le sceptre en main; la vieil- leese regarde en arrière et s'appuie sur un bâton, senectus ; enfin, la décrépitude^ decrepitus, gît couchée et soutfreteuse, h peine enveloppée dans un manteau trop étroit.

Du Gluist, moyeu de cette roue humaine, partent des rais ou rayons qui aboutissent chacun à un médaillon entouré de sa légende.

En bas, une mère tient son enfant sur ses genoux, devant un feu pétillant, chauffe dans un pot à trois pieds le repas léger du nouveau-né : Mitis sum et humilis : lacté vivo puro.

La petite fille a grandi et est devenue coquette; elle soigne sa chevelure et se regarde au miroir : Nunquam ero labilis, etatem mensuro.

Un enfant pèse : les plateaux de sa balance sont égaux : Uito decens seculi speculo probatur. Tl y a entre cesdeux dernières légendes une inversion facile à rectifier.

Le jeune homme ne songe qu'au plaisir de la vie: il part à che- val pour la chasse, le faucon au poing: Non ymago speculi: sed uita letatur.

La roue a tourné : au haut, c'est le roi assis qui juge et gou- verne : Rex sum, rego seculum : mundus meus totus.

La roue commence à redescendre ; le vieillard se retourne pour voir le long chemin qu'il a parcouru; il est coitfé d'un capuchon, parce que déjà sa tête est dégarnie, et il lui faut un bâton pour soutenir ses forces afiaiblies : Sunio michi baculum : morti fere notus.

Le grand-père s'appuie sur l'épaule de son petit-fils qui s'impa- tiente de tant de retard et tire le vieillard par son bâton pour le faire marcher plus vite : Dacrepitati deditus : mors erit michi esse.

Malade, le vieillard dort dans un lit ; sa femme lui apporte une potion : Jnfirmitati deditus : incipio déesse.

Mort, il est porté à l'église, quatre cierges brûlent aux coins de sa bière, et un prêtre lui récite les dernières prières : Putavi quod viverem : uita me decepit.

Encore un tour et la roue aura rapproché la tombe du berceau Uersus sum in cinerem: uita me decepit.

iiilii,iuGi;Ai'iliK, «,";.■{

sÉPULTUiiE. M. Wylic s'occupe des usages funèbres, et cite des croix troav(;es dans des lombes^ dr. genre de celles (léconverlcs par i\l. l'abbé Cochet.

CORI'ORATION DES ARCHERS. Saint Sébastien fut, à cause de son martyre par les ilècbes, le patron de la corporation des archers h Bruges, à Pnris*, i\ Amiens '^ etc. Voici une in?cri[iliondel6aO qui mentionne le don de 3,600 llorins fait par Menri, duc de Glocester, frère de Cliarles 11, lorsqu'il prit rang parai les archers de Saint- Sébastien de Bruges:

HENRIGVS GLOCESTRIjE DUX CAROLI II ANGLI^ REGIS FRATER HAG XVIII IVLIJ. M.DC.LYI NATVS ANNOS XVI ME S. SEBASTIANI SODALITIO PR^MIVM FIXIT.

ARCHITECTURE. M.Parker continue ses excursions dans l'ouest de laFi-ance et explore Gençay, Angoulême, Bordeaux et Saint-Émi- liou. Savantes et substantielles études sur une terre qui ne paraît mdlement étrangère à l'archéologue anglais.

SIGILLOGRAPHIE. ïrès-beau sceau ogival de la fin du XIIl^ siècle. Le sujet est la Sainte-Trinité. Le Père assis sur un trône, PATER, pieds chaussés, le nimbe crucifère en tête, tient la croix meurt son Fils, FiLivs, dont les pieds croisés ne sont percés que d'un seul clou. Son chef est couronné d'épines et entouré d'un nimbe uni; l'Esprit-Saint, S. SPS, vole vers lui sous la forme d'une colombe. Le fond est un ciel brillent les astres ; en exergue: t S' 8API- TULl. SANCTE. TRINITATIS. D'BRECHIN.

ORFÈVRERIE. M. Morgaii signale un calice émaillé du XV® siècle ; sur chacune des six faces du pied est gravé le monogramme de Jésus, IHS. On lit sur la coupe, on gothique carrée: Calicem sa- lutaris accipiam et nomen Domini invocabo.

Dom Martène, dans son Voyage littéraire, t. m, p. 234, donne le dessin du calice de saint Ludger. qui vivait au VHP siècle ; le pied porte : t HIC CALIX SANGUINIS DNI NPI IHU XPI et le bord de la coupe : t AGITUR HAEC SUMMUS PER POCLA TRIUMPHUS.

EPiGRAFHiE. M. Parker parcourt l'Aquitaine en archéologue et

Société de sphragistique , t. m, p. 345.

* Mém. de la Soc. des Jnt. de Picardie, année 18.56, p. ].39.

TOMK YI, 40.

554 blBLIOGlUPllIE.

décrit les églises de Langon, de Bazas, d'Uzcslo, d'Agcnelde Moissac. Il {oublie un fac-siuiilc de celle inscription du cloître de Moissac, dont les quatre dernières lignes, gravées d'initiales, sont encore pour lui, comme pour les plus savants, une véritable énigme.

ANNO. AB. INCARNA

TIONE. jETERNI

PRINCIPIS, MILLESIMO

CENTEHJIO. FACTViM

EST. CLAVSTRViM. ISTVD

TEMPORE.

DOMNI.

ANSQVITILH.

ABBATIS.

AMEN. V. V. V. M. \). M. R. R. R. F. F. F.

Je lui cmpiuiilc également celle antre inscription en veis qui fixe hi date de la dédicace de l'église de Moissac :

IDIBVS. OGTONIS. DOMVS. ISTA. DICATA. KOVEMBRIS.

GAVDET. PONTIFICKS. IIOS. CONVENISSE. CELEBRES.

AVXIVS (AUCH). OSTINDVM. LACTORA (LEGTOURE). DEDIT. RAIMVNDVM.

GONVENA (CGMMINGES). WILELMVAI. UIREXIT. AGINNA (AGEN). WILELMVM.

IVSSIT. ET. ERAGLIVM. N (nON) DEESSE. BEORUA (BIGORRE). BENIGNVM.

ellorevs (oléron). stephanvm. concessit. et. advra (aire).petrvm. te.dvranne. sw. nrmqve. tolosa (toulouse). patronvm.

RESPVITVR. FVLCO. SIMONIS. DANS. IVRA. GADVRCO (gAUORS).

MYRIADES. LVSTRIS. APPONENS. TRES. DVODENIS (1063).

VIRGINEVM. PARTV. DARAT. ORBl. TVNG. VENERANDVM.

RANG. TIBI. XPE. DS. REX. INSTITVIT. CLODOVEVS.

AVXIT. MVNIFICVS. POST. IIVNG. D0NI3. LVDOVIGVS.

X. BARBIER DE MONTAULT.

UIliLIOGRAPHIE. 555

MÉTHODE ÉLÉMENTAIRE DE L'ACCOMPAGNEMENT DU PLAIN- CHANT sur l'orgue transpositeur, par M. l'abbé Ph. Moiun et M. Em. Amiot. Ouvrage nouveau approuvé par Mgr l'Evêque de Dijon, et spécia- lement destiné à MM. les curés, vicaires. Instituteurs. Troisième édition augmentée des tableaux des accords reproduits en notation alphabétique, et d'un Appendice ou moyen mécanique pour trouver facilement les accords sur le clavier. Prix net : ^ fr. 50 \franeo).

11 ost inutile de faire •l'éloge d'un ouvrage de ce genre, qui, en moins de iWux ans, est arrivé à sa troisième édition. Il suftil de rappeler en peu de mots les tiires qui lui ont valu un si rapide succès. Trois cliiti'rcs suffisent pour représenter sous les notes tous les accords parfaits (et d'autres encore); trois remarques suf- fisent pour les faire jouer à première vue sur le clavier ; trois règles suffisent pour en enseigner l'emploi. Sous le rapport de la variété, aucune méthode élémentaire n'otfre autant de ressources. Quant cl l'orthodoxie des principes, les auteurs peuvent sur ce point détier la critique la plus sévère et la plus éclairée. On se procure cet ouvi'age en s'adressant directement aux auteurs, à Saint- Loup de-lci- S aile, par Verdun-sur-le- Douhs [Saône-et-Loire).

HISTOIRE DE MONTMIRAIL-EN-BRIE,par 31. l'abbé Boiiel, chanoine titidaire de la. cathédrale de Chûlons-sur-Marne . Montmirail ,1862 , Brodard, in-12 de 431 pages.

Nous avons rendu compte dans cette Revue (t. m, p. 140) de l'excellente Histoire du bienheureux Jean, seigneur de Montmirail, par M. l'abbé Boitel. L'ouvrage que nous annonçons en est la suite et comprend les faits qui se sont accomplis à Monlmirail-en-Brie, depuis l'an 1351 jusqu'à nos jours. Le savant chanoine do Cbàlons a consacré dix années de recherches et de travaux à la composition de cette nouvelle œuvre l'on retrouve toutes les qualités qui ont assuré le succès de V Histoire du bienheureux Jean.

J. CORbLET.

CHRONIQUE

L'aicliéologie provinciale vient de faire nne perte regrettable eu la personne de M. E. de Marsy, procureui' impérial à Compiègne, décédé à l'âge de 48 ans. Il avait publié un grand nombre de bro- ebp.res sur l'histoire, la biographie, les mœurs et la nuaiisuialique de Picardie. Nous citerons eutr'autres les publications suivantes : Notice sur quelques anciens coins monétaires d'Abbeville. Sigillo- graphie du Ponthieu. Notice sur Antoine Le Comte, jurisconsulte noyonnais. Note sur un miracle arivé en 1531, à Saint-Vulfran d'Abbeville. Notice sur quelques procès faits à des cadavres. No- tice biographique sur M . de Cayrol, etc. 11 préparait depuis longtemps une Histoire de la ville de Doullens et une seconde édition des Mon- naies des Evêques des fous, œuvre de M, le docteur RigoUot. Nous espérons que ces ouvrages ne resteront pas inachevés et qu'ils seront publiés un jour par le fils de M. de Marsy, qui a hérité des goûts et des aptitudes de son père.

Le Journal des Beaux-Arts (d'Anvers) signale et flétrit un sin- gulier procédé en usage à Audenarde pour ouvrir les triptyques. Il y a dans cette ville, à Notre-Dame de Pomèle, un excellent triptyque signé Joan. Snellinck f. 1608. Ce peintre, qui naquit à Malines en 1^44 et mourut en 1638, était un vigoureux coloriste de la trempe d'Otto Vœnius, mais de forme plus gothique; son triptyque repré- sente, au milieu, la Création; à gauche, Adam et Eve dans le pa- radis ; à droite, Adam et Eve chassés. C'est d'une peinture solide, brillante, et traitée en grandeur naturelle. A tous égards ce tableau mérite des soins particuliers. Or, voici le soin qu'on en a. Comme

CIIROMUL'K. 001

les volets du triptyciue sont toujoui's fermés, que celui-ci est placé à environ trois mètres au dessus du sol, que les charnières des volets du triptyque sont délabrées, il arrive que ces volets ferment mal et que, le poids les entraînant, ils adhèrent très-forlcmient à la battée intérieure de l'encadrement <lu triptyque. Poui' ouvrii- ces volets, à la demande des curieux, ou emploie nn moyen orii^inal que nous recommandons à tontes les personnes qui voudraient détruire rapi- dement un tableau. On prend une perche dont on introduit un bout entre les volets, puis onfaituu violentetrort ; alors ceux-ci s'ouvrent (ce qui ne réussit pas toujours). En cas de insistance, on pousse le bâton plus avant et on redouble la dose d'efforts. Les volets ouverts, on peut suivre sur le grand panneau du milieu les dégâts résultant de ce sauvage procédé. En effet, la peinture est enlevée, froissée et écaillée sur une bande correspondant à l'ouverture des volets. Il est probable que le panneau lui-même est fendu. 11 serait si simple de placer deux cordes qui, dans tous les cas, coûteraient moins que l'instrument du supplice auquel le tableau de Snellinck est pé- riodiquement condamné !

Quatre de nos coliaboiaieurs figurent dans la liste des lauréats de l'Académie des inscriptions et des belles-lettres, pour le concours des antiquités nationales : ce sont M'"'= Félicie d'Ayzac (2'^ médaille pour son Histoire de l'Abbaye de Saint- Denis), M. Deschamps de Pas (mention très-honorable pour son Histoire si gillaire de Saint-Omer), M. de Barthélémy (mention honorable pour son Histoire du diocèse de Châlons-sur-Marne) et M. Salmon (mention pour son Histoire de saint Firmin).

La comniission du Musée Napqléoii (d'Amiens) vient de publier les comptes de la loterie que le gouvernement lui avait concédée pour Tachèvement du monument élevé en vertu de la loi du 20 avril 1854 sur un terrain domanial. Déjà une [)remiôro loterie avait rap- porté près de 51 0,000 fr.; la seconde, qui n'a pas été moins heureuse et qui ne s'élevait qu'à 800,000 billets, a {uoduit un bénéfice de 483,543 fr. 72. Si on ajoute par la pensée à ces deux sommes les intérêts qu'elles ont produits postérieurement aux comptes-rendus, on aura ainsi une appréciation exacte des travaux considérables

558 CllUOMQlJE.

que le Musée Napoléon devait entraîner. La commission que S. Ex. M. le Ministre de l'inlérieur a instituée aura bientôt la satisfaction d'avoir achevé un Musée qui, sous le rapport monumental, n'aura point de rival dans les autres villes de province.

Notre collaLorateur M. l'abbé Ijarbier de Montault vient d'être nommé chevalier de l'ordre du Saint-Sépulcre. C'est une nouvelle et bien légitime récompense des services qu'il a rendus à l'Archéo- logie et à l'Art cbrélieu. Revenu de Rome depuis peu de iem])s, M. Barbier de Montaull prépaie divers travaux sur l'Iconographie chrétienne de l'ilulie ; plusieurs d'entr'eux sont destinés à notre Revue.

Nous trouvons dans le dernier volume des Bulletins de la Société des sciences, belles-letti^es et arts du département du Var, une intéressante Notice de M. V. Brun, sur la sculpture navale et la chronologie des maîtres sculpteurs du port de Toulon. C'est à l'ori- gine même de la navigation que remonte la sculpture appliquée aux bâtiments de mer. Un vaisseau de Ptolémée Philadelphe était décoré de nombreuses statues; celui de Caligula était enrichi de pierrreries. Les Vénitiens et les Génois transportaient sur leurs vaisseaux, dès le XV« siècle, le luxe de leurs palais. C'est à Toulon, le plus ancien port de Fiance, que furent exécutées chez nous les premières décorations navales; elles durent à Puget un goût plus pur et une meilleure distribution. M. Brun apprécie les œuvres des autres sculpteurs du port de Toulon, Girardon, Levray, Turreau, Veyrier, Rombaud, Toro, Gibert, Lauge,F. Brun, etc. La peinture a rempli un rùle moins important dans la décoration des vaisseaux modernes ; elle n'apparaît plus guère qu'à la poupe et dans la chambre de l'amiral. Les Le Brun, les de la Roze et les Vanloo ont laissé à Toulon le souvenir de leurs oeuvres maritimes. Ces ap- plications de l'art oui été délaissées par la marine, et il ne faut guère espérer les voir revivre. Les navires cuirassés et blindés ne songeront jamais à historier leur éperon.

La Société d'Archéologie fondée à Nantes depuis une douzaine d'années a otïèrt son musée au déparlement de la Loirc-lnférieuro.

ciiiiOMuijt;. 559

Celle oUVc ayant é\é acccpléc par le conseil généi-al, le musée a pris le 'litre de Musée départemental d'archéologie ; il sera entretenu aux frais du département. Celle circonstance doit êtie notée, at- tendu que les autres collections qui existent dans les villes de pro-» vince sont ordinairement des propriétés municipales et dépar- tementales.

Le Musée royal d'antiquités de Belgique vient d'acquérir deux pierres tombales du XIV" siècle qui se trouvaient autrefois dans le chœur de l'église de l'abbaye de Villers, non loin des mausolées de Henri II, et de Jean III, ducs de Brabant Ces pierres, incrustées de marbre blanc, portent l'une et l'autre l'effigie d'un chevalier bra- bançon, étendu sous une chapelle gotliique, les pieds appuyés sur un lion. Peu de monuments donnent une idée plus exacle de l'ar- chitecture et des costumes militaires de l'époque. Il résulte de Tin- scription d'une de ces pierres qu'elle recouvrait les restes de sire Raes de Greis, chevalier, seigneur de Bierc, porte-étendard du duc de Brabant, etc., mort en 1318.

Une découverte assez importante pour Thistoire d'Anvers vient d'être faite par M. Mertens, bibliothécaire de celte ville. Sous l'emplacement de l'ancienne église de Sainte-Walburge, M. Mertens a trouvé la crypte dans laquelle sainte Walburge a résidé lors de son séjour à Anvers, au VIP siècle. L'invasion des Normands eut lieu dans le siècle suivant ; et ces barbares détruisirent de fond en comble la chapelle dont ou voit encore quelques vestiges. Seule, la crypte a échappé à leur fureur. Elle est encore très-bien con- servée et n'a rien perdu de son cachet original.

Les grands travaux qu'on exécute ti Rouen ont amené la dé- couverte de diverses antiquités qui vont eniichir le musée de la ville. Une importante trouvaille a été faite dans l'enceinte de l'Hôtel de la Pomme de Pin : c'est un collier d'or du XVi« siècle, ou plutôt un bijou que l'on portait au cou, comme les décorations du Saint- Esprit et de la Toison-d'Or. La Normandie en donne la description suivante : « C'est une cassolette de forme rectangulaire, présentant en relief sur la face principale, la rencontre de Jésus et de Madc-

oGO CHliOMOUE.

leine. Le CUuist est séparé, par un arbre, de la Pécheresse qui tient dans ses mains la cassette pleine du parfum destiné par elle à être versé aux pieds du Sauveur. Au revers, une plaque d'émail *noir, enjolivée d'arabesques, se s^onlève pour former cachette, et les côtés de la pelite scène sont limités par des consoles allongées viennent se joindre les deux extrémités d'un même chaînon. »

Le 9 septembre, on a inauguré à AUonville (Seine-Inférieure), un monument coramémoratif élevé à la mémoire de Pierre Blain d'Esnambac. célèbre navigateur normand, fondateur de la puis- sance française aux Antilles et zélé protecteur des missionnaires dans ces contrées. L'inscription du monument a été composée par M. l'abbé Cochet et approuvée par la société des Antiquaires de Normandie.

La Revue s'est occupée, à diverses reprises, des significations symboliques que les auteurs religieux du moyen-âge ont données aux pierres pn-cieuses. 11 n'est pas sans intérêt de mettre en regard de ces appréciations les qualités que l'antiquité prêtait k ces mêmes pierres précieuses. D'après les préjugés populaires des Anciens (et quelques-uns ont survécu pendant le moyen-âge) le diamant se ternissait quand il touchait à la main d'un traître ; l'émeraude se brisait au doigt d'une femme adultère; le rubis calmait la colère; la topaze consolait; l'agate rendait joyeux ; le jaspe guérissait des maladies de langueur ;raméthistepréservaitde l'ivresse; l'hyacinthe chassait l'insomnie; le saphir rendait impossible l'action du venin des reptiles; la calcédoine faisait réussir dans les entreprises difficiles; la turquoise ôtait aux chutes leur danger ; la cornaline égayait ; l'opale^ à l'aide de certaines incantations, permettait de devenir invisible; elles perles enfin, gouttes d'eau tombées du ciel, disait-on, et durcies en touchant la terre, inspiraient l'amour. Cléopâtre, d'après un savant anglais, n'aurait fait dissoudre dans du vinaigre la plus précieuse de ses perles que pour inspirera Antoine la passion insensée qui lui coûta l'empire du monde, la vie et l'honneur.

J. GORBLET.

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LES SANDALES ET LES BAS

QHATKIKME ARTirr.E *.

CHAPITRE IV.

corp d'œii, kapidk stii les chaussures du moyeîj âge.

J'ai, dans un précédent cliapitre, indiqué la forme des chaussures usitées chez les peuples l)arbares, cantonnés dans l'Europe orientale, avant leur établissement définitif sur le sol romain. Certains d'entre eux ont été omis, à savoir les tribus germaniques qui, devenues maîtresses delà Gaule, en- fantèrent cette reine de la civilisation, cette élégante arbitre du goût et de la mode qu'on appelle la France. L'omission a été faite à dessein, d'abord parce que l'immense majorité des vainqueurs copia la cordonnerie des vaincus, comme ceux- ci, en semblable occurrence, avaient copié l'Asie et la Grèce; ensuite, parce que les Francs, ayant fondé la plus dnrable de toutes les dominations nouvelles qui se snbstituèrent à l'Em- pire d'Occident, eurent sur les autres envahisseurs une in-

* Voir le numéro d'octobie, p. 531.

lOiMiv VI. Novcmbif ISfiO. 41.

562 LES SANDALES ET LES I!AS.

fliience incontestée. D'aillenrs, sans exagération d'amour- propre national, la France au Moyen- Age peut être considérée comme un centre autour duquel rayonnèrent tous les éléments (le la société moderne.

Sidoine Apollinaire (V® siècle) décrit ainsi la chaussure des compagnons du jeune prince {rpgius juvenis) burgunde, Sigismer : « Quorum pedes primi, perone setoso, talosadus- « que vinciebantur. Genua, crura, surœque sine tegmine'.» Le défaut de monuments ligures empêche de savoir si nos ancêtres conservèrent longtemps ces bottines velues qui ou- trepassaient à peine la cheville, en laissant à nu le reste de la jambe. Il est vraisemblable que l'usage en demeura parmi les classes inférieures; mais, lorsqu'en 508, Clovis eut reçu de l'empereur Anastase le titre et les insignes de Consul ^, les grands, toujours disposés à suivre l'exemple du maître, durent se laisser peu à peu entraîner vers les magnificences du costume romain. Les guerriers, semi-romains, semi-bar- bares, sculptés en porphyre rouge, sur la place Saint-Marc, à Venise, portent des calceoli fenestrati très -découverts, attachés avec des courroies croisées dans le genre des an- ciennes chaussures patriciennes. M. Pottier ne veut pas as- signer à ces bas-reliefs une date postérieure au VI® siècle ', et ils appartiennent, sans aucun doute, à la période comprise entre l'invasion germanique et larenaissance carolingienne. Le VIIP-IX® siècle fournit les premiers renseignements exacts que nous possédions sur les calceamenta franco-gaulois. Eginhard rapporte que Charlemagne « vestitu patrio id est Francico <i utebatur »; qu'il couvrait ses jambes de tibialia serrés avec

' Lib. IV, ep. 20.

- Grkgoiue de Tours, Hisl. Franc, ii, 38.

* Momim. Franc, incd., pi. 3 et p. 2,

Li:S dANliALES ET LES BAS. 5G3

des bandelettes, et que sa cliaiissure adhérait fortement aux pieds. Les mosaïques du Triclinium de Léon III, à Saint- Jean de l^atrai), prouvent la vérité de cette assertion. Bien que l'historien précité mentionne plus bas la répugnance éprouvée par l'empereur à l'égard des vêtements étran- gers, réi)ugnance telle, que les pressantes instances des papes Adrien et Léon le décidèrent seules à prendre à Kome la longue tunique, la chlaniyde et les « calcei Ro- « mano more formati, » il n'en n'est pas moins certain qu'une sorte de campa f/ us était sa chaussure ordinaire. Or, excepté les jours de fête, Charlemagne s'habillant comme la masse de ses sujets ', il faut en conclure qu'au IX^ siècle, le modèle des chaussures franques primitives était déjà ou- blié. Les souliers, élégamment ajustés avec des courroies croi- sées sur les tibialia, sont bien loin du pero scfosus et des jambes nues dont parle Sidoine Apollinaire^.

L'usage du campagus persista sous les successeurs de Charlemagne. Un poète contemporain narrant les circon- stances qui accompagnèrent le baj^tême d'Herold, roi de Da- nemarck, cérémonie faite devant Louis-le-Débonnaire et sa

' .( ...Et tibialia ; tum fasciolis crura ot pedes calceamentis constringebat... Aliis autem diebus habitas ojus paruni a communi et plebeio abhorrebat. « B. Car. 31., Vita, 23. C. Raspotm, de Basil, et Pair. Later., c. xr, lit tihiaria ctan fasciolis. V. N Alkmawni, de Later. pariet, rest., pi. 1, 4,6. Konie, 1756, in-4<'.

^ Le Moine de Saint-Gall est là-dessus parfaitement explicite. « Erat an- tiquorum ornatus vel paratura Francorum, calceamenta forinsecus aurata, corrigiis tricubitalibus insignita, fasciolae crurales vermiculatœ, et subtus eas tibialia ac coxalia linea, cjuamvis e.x eodem colore, tamen opère pretiosissinio variata. » De Geslis Caroli M., lib. i, cap. 36. Ce texte a, je le pense, in- duit en erreur tous les peintres archéologues qui n'avaient pas eu recours aux écrits de l'évêque de Clermont ; et voilà comment Herbe, avec tant d'aulres, a pu confondre la chaussure des Francs de Clovis avec celle des Francs de Chailrmagne,

564 LKS SANDALES ET LES BAS.

cour (826), revêt le néophyte de clmussures à couiToies do- rées et de gants blancs ' . Plnsieurs miuiatiires représentent l'emperenr Lothaire, Charles-le-Chaiive, et lenrs officiers avec le campagus, soit fermé, soit laissant les orteils à nn. On le rencontre encore aux TX° et X^ siècles sur divers monu- ments ; au XP, sur les peintures de Saint-Savin et sur la tapisserie de Baveux il sillonne les jambes des princes saxons et normands; au XIP, sur quekpies manuscrits''. 11 disparait alors pour se confiner dans les montagnes de l'E- cosse où il est resté jusqu'aujourd'hui la chaussure nationale des highlamlers ^.

Le cothurne lacé fut aussi adopté par les Francs; la Bible de Charles-le-Chauve en fournit deux spécimens : l'un at- teint le genou, l'autre, arrêté à la' naissance du mollet, est orné d'un supplément de bandelettes croisées qui rappellent le campagiis \

Bon nombre de peintures, exécutées du IX® siècle au XIV% offrent des individus chaussés d'une sorte de bottine ipero) recouvrant plus ou moins la jambe. Tantôt retenues par des jarretières, tantôt flottant sur les chevilles, ces bottines

' Peistiinguntque pedes aurea plectra suos. Aurea per dorsum resplendent tegmina latum Ornantuique manus tegmine candidulo.

EiiMOLDUS NiGEi.LBs, Carm. 3S2.

^ Bibl. jmp. n" 256, anc. f. 1, ; Ecang., Musée desSouv. ; Bihle de Charles- le-Chauve ; WiLLEMiN, pi. 6 et 17 ; Ecang. desaint Emmeran de Ralisbonne, ap. EcKHAiiT, Comm. de rehits Franciœ orient.^ t. ii, pi. à la p. 56-4, IX« s. WiLLEMiN, pi. 26. Les Arts sompt., t. i,pl.-12. Bibl. de Cambrai, 364, s. Ibid., n' 487, XII^ s.

' Les chaussures attachées à la jambe avec des cordons ci'oisés (cothurne, esclavage), étaient encore portées par les dames il y a trente ans. Ce retour de mode datait de la fin du XVIIP siècle.

'P. L.\f:uoi\, nisloirc de la chaussure, pp. 27 et 28, fig.

Li:S SANItALES ET LES RAS. Mil)

en niiitièrc souple oiit l'aspect d'un bas ou d'une chaussette; le Dictionnaire de Jean de Garlande, écrit pendant la seconde moitié du Xl"^ siècle, nous en apprend le nom. » Tybialia di- « cuntur gallice estivaiis. Crépite (crépita ferina et mo- « naclialis), gallice boles à creperon. » Et ailleurs : « Equi- " til)ialia dicuntur cslivax, ab equus^ «, um^ quia adequantur " tibie ' . I) 11 ne peut régner d'équivoque sur la signification constante des mots estivaux et botes au Moyen-Age; les sta- tuts de l'hôpital Saint- Julien, en Angleterre, donnés par Mi- chel, abbé de Saint-Alban {XIV siècle), attribuent aux lé- preux de larges estivaux ou bottes : il en est de même pour les prêtres et religieux attachés à la maison : mais, à l'article qui concerne ces derniers, la valeur du terme œstivalia est nettement définie. « Calceamenta pedum siint caligœ et a3Sti- (' valia, sint sotulares erecti, cum tribus, vel quatuor nodulis « circa tibias, quibus uti consueverunt. Sotulares vero bas- " SOS cum uno nodulo et laqueatos omnino interdicimus et " damnamus-. » Les peintures de Saint-Savin(XP siècle], et

* Le texte porte « crépitas fevrineas. » « Vel diciiur hiec crépita a crepo, quia crepat, id est sonat in incessu. » Ap. H. Géraud, Paris soiis Philippe- le-Bel, App., p. 587 et 591. Quelques uns font dériver estivaux (Ital., stivale botte, stivaletto bottine) du latin œstivalis, d'autres du roman esttiyer (renfermer) ; pourquoi ce mot ne viendrait-il pas aussi bien à'equitibialia !

* Ap. M.MTUiJîD Paris, Àdd. ad Fitas ahh. S. Alhani, p. 162, 164, 168. « Eslivalibu.s etiam largis seu bolis altis pro calccamentis utantur. » Cap. yen. S. f'ictoris Massil., 1312, ap. Du Cange.

'Que ferai-je s'ils me toUent mes botes

Qui sont si grands que es pies me sabotent,

A chacun pas cuit les perdie en ienclostre,

Grand peor ai que nés perdre en la boe.,.. dit un moine du XIIÏ^ siècle. (Roman de Guillaume au Court nez.) C.îisa- Riis d'Heisterbach [Hist. meni., lib. vil, c. 39.)"nomme indifféremment les souliers de moine hoti ou cotJivrni. Ap. Méivagk, Dict. étym. de la langue franc., Botte.

566 LES SANDALES ET LES BAS.

les figures des mois, empruntées à un manuscrit français du XIIP siècle, présentent une série de paysans chaussés dVs- iivaux serrés autour de la jambe, et entièrement conformes aux prescriptions que Ton vient de lire'. Les tibialia du IX® siècle ne dépassent guère la naissance du mollet, non plus que ceux des XP et XII' ; il s'en trouve au qui montent jusqu'au genou; les XIIP et XIV^ en ont de longs et de courts. Leurs couleurs étaient le blanc, le noir, le vert, le rouge et le jaune '; leur matière le cordouan ou la basane '' . Les estivaux., durant la période ci-dessus, furent communs à toutes les classes de la société; la seule diiFérence entre le riche et le pauvre résidait dans la finesse du cuir et l'élégance du travail. Ces bottines commodes s'adaptaient aux costumes propres à chaque circonstance et à chaque saison ; on en fai- sait de fourrées, d'autres remplaçaient nos pantoufles noc- turnes \

La fin du XIV* siècle vit naître une nouvelle mode à^ esti- vaux fendus ou à tige tailladée [incisi]; on en porta jusqu'au XVP siècle conjointement avec les estivaux fermés. Ce der-

' Peint, de Saint-Savin, pi. 12. Les Arts som.pt., t. i, pi. 93 et 94.

* V. EcKART, loc. cit.; Moi\tfaccon, 3Ion. de la mon. franc., t. i, pi. 27 ; Les Arts sompt., t. i, pi. 23, 26, 27, 43, 50, 66, 67, 71, 78, 88, 89, 109 ; 123 (Italie); 147, 148 (Belgique); Le Moyen Age, etc., Miniat,des ms., pi. F, Dd, J ; Id., cost. des ducs de Bavière ; Id., Corpor. des métiers, fol. iv, v (vitrail.)

* « Hic quoque (Guarinus abbas) sotulaies corrigiatos, pro ocreis de cote quam vulgus bazan appellat, commutavit. n Matthiec Pauis, VitX abh. S. Albanl. Garin vivait au XII' siècle.

* Uns estivaus forrés d'ermine

Chauça li rois.

Roman de Percevul.

«Pour la façon d'avoir fourré de gris rouge une paire de bottes de cuir fauve à relever de nuit. » « Haultes bottines à relever. » Comptes de ta maison d'Orléans, XIV« siècle, ap. Hist. de ta chauss., p. 33, 60, 61.

LES S.\^DALES ET LES bAri. o07

nier nom, toiitctuis, ne semble plus leur avoir été attribué eu France après le règne de Charles V; dès lors, bolle^ boUine^ restent seuls en usage dans la langue ' .

Quoique, notannnent à })iu'tir du XIV^ siècle, on eût chaussé des estivaux à haute tige dont l'extrémité supérieui'e maintenue par une jarretière, se rabattait on se relevait à volonté de façon à couvrir les genoux^, la véritable botte équestre, formée i)ar la réunion intime des tibialia et des cnimlia ne semble pas antérieure au XV® siècle. On l'appela longtemps huése, lieuse^ houseau, traduction romane du latin ocreœ^ c rural ia'\- la terme botte ne fut exclusivement appli- qué qu'assez tard aux chaussures employées pour monter à cheval. Le plus ancien modèle de bottes éperonnées, que j'aie rencontré, se trouve dans le manuscrit de Renaud de Mon- tauban (règne de Charles VII) ; ou en voit également dans le Livre des Marques de Rouie (1466j et les Tournois du roi René. Ces bottes en cuir souple pouvaient au besoin envelopper la cuisse du cavalier; elles furent l'origine des bottes molles à entonnoir, chaussure favorite des raffinés sous Louis XIII.

' (I Q,uicunrjue incisos sotulares, quos vulgus estivallos vocamus portavurit.» Staf. Ord. Cartus., part. 2, cap. 1 , {^ 1- (1368). Hisf. de la chaiiss., p. 61, 67, 76, 78. Le Moyen Age, etc., Vie privée, fol. xl, v. Les Arts sompt., t. I, pi. 152, ^54 ; t. ii, pi 23, 30, 34, 35, 36 ipaysans), 50, 51, 52, 53 (nobles ou officiers), 113, 123, etc., etc. Willemin, pi. 127, (1314; estivaux bouclés ou lacés par devant du haut en bas).

'' V. Hist. de la C/uiuss.,\:,. 48, 57, 58; 62, 63 (Angleterre; ; 64, 68 ^Italie).

' Les mois huésc, lieuse, house, houzemi [osa] paraissent aussi avoir été em- ployés durant lout le Moyen Age pour désigner les estivaux à hautes tiges. Après avoir assassiné l'empereur Alexis, «Marcuflex (Murzuphle) chaussa les hueses (tzangues) vermoilles, par laie et le conseils des autres Grecs. » Vil- LEHARUOiN, Coiiq. de Constantinople, 116. Il a élé surabondamment démontré ailleurs que les termes tatins, ocrex, péronés, odones, caligx, txangce répondent à l'idée que nous nous faisons des estivaux. » Monacho uti orario in monasterio, vel tzangas habere non liceat. » Conc. Aurel., 1, 20 |511), etc.

568 LES SA MD A LES ET LE. s BAS.

La botte à tige raide (botte forte ou de postillon), type primor- dial de nos bottes à l'éciiyère, ne date que de Louis XIV ' .

Les paysans et les classes inférieures, au IX* siècle, usaient de hauts tibiaJia, laissant à découvert les orteils maintenus par des courroies horizontal-es ; je n'en connais pas d'exemples après la seconde race".

Dans son Capitulaire de 817, Louis-le-Débonnaire prescrit aux Eeligieux « subtalares per noctem in œstate diuis, in « hieme vero soccos. » Plusieurs textes démontrent que la chaussure monacale et certainement rustique, appellée soccus au IX^ siècle, était une galoche en feutre à semelle de bois, peut-être même un sabot ; elle tenait du soca<s romain en ce syns qu'elle n'avait pas de cordons et emboitait complètement le pied pour le préserver du froid •'. Les subtalares (sub talo) au contraire étaient en cuir, à large empeigne, vraies sandales faciles à introduire''. En effet, les souliers du IX® siècle,

* ï. I, p. 73, Bibl. de l'Ars. Willemîis', pi. 167. Les Arts sompt., t. II, pi. 7'2. Les Alleninida euieut, vers la lin du XV" siècle, des bottes à retrcussis tailladés. V. Hist- de la Chauss., p. 76. ,V. Ibid., bottes à revers (1596), p. 81 ; bottes à entonnoir, p. 83 et sqq.; bottes fortes, p. 91.

* Bibl. imp. 6862, anc. f. lat. ; Arts sompt. , i, pi. 25. Hist. de la Chaus. p. 29. ^ Cap. Monach., 22. Filtra ad soccos faciendum xii. » Coiut. Jnsegisi,

sœc. IV Bened., pars, 1, p. 639. « Soccos filtrinos duos. » Adalhard, Stat. Corb., lib. i, c. 3. « In monasterio vero etiamsi prolixius egressus est ad culturam, lignea tantum sola, quce vulgo soccos monasteria vocant Gallicana continuato potitus est usu. » Vita S. Liipicini ahh. Jurensis, n" 2. Saiat Pierre Damien [Fita S. Rudolphi, c. m) établit au XI'' siècle une différence tranchée entre le calceus et le soccus ; « Quamlibet gravis bruma ligesceret, simplicibus soccis muniebat pedes, cum tamen frater ejus solis calceis contentus csset. »

'* » Subtalares non niniis stricti sint, sed competentur ampli... desuper vero alti sufficienter. n Lih. ord. S .-Victoris Paris., c. 18, ap. Du Cange. Il est évident que les termes subtalares, sotulares., appliqués d'abord aux. chaussures ouvertes par opposition aux socci, . désignèrent plus tard toute espèce de souliers.

LES SAM)ALr.S ET LKS liAS. i')(i\)

échancrés en pointe sur le cou-de-pied, ont des quartiers ar- ]'etés à la cheville. Au X^ siècle et au XP, on porta des sou- liers montants, soit fermés, soit ouverts et maintenus avec des lacets ou des boucles ' . Il y eut aussi des demi-souliers, pantoufles qui ne couvraient que l'avant-pied -. Jean de Garlande nomme les souliers sotulares ; Jean de Gênes fait venir sodilar de solea^ je partage plus volontiers l'opinion qui voit dans subtalariH la forme première du terme dont nous avons obtenu solers, puis enfin souliers •\ Aux XII*^ et XIIP siècles, les solers ou soiders (je néglige le reste des or- thograplies anciennes de ce mot) se montrèrent, tantôt très- couverts avec des cordons noués sur le cou-de-pied, tantôt fortement échancrés et maintenus par des brides; d'.autres étaient munis d'une double languette comme les socci des histrions étrusques; chez d'autres, l'empeigne circulaire- ment découpée laissait voir les chausses ; d'autres enfin, la- téralement fendus, se laçaient comme nos brodequins de dames \ Ces formes diverses, plus on moins. altérées par le caprice des cordonniers, ont persisté jusqu'à nos jours ; néanmoins, grâce à un revirement subit de la mode, les chaus- sures, dont la pointe s'était démesurément allongée durant les XIV^ et Xy^ siècles, passèrent d'un extrême à l'autre ; elles se raccourcirent tout à coup pour devenir rondes ou carrées. Le type nouveau, aussi disgracieux que l'exagération qu'il remplaçait (on en vit qui atteignaient O^'oS" de large),

* y^rts sompt., 1. 1, pi. 17, 42 ; Willemin, pi. 44 ; ms. 698 Bibl. de Saint- Omer. J. de Garlande, loc. cit., p. 587.

^ (I Talibus est, ut ita dicam, dimidiis utebalur subtalaribus ut superior ars pedum videretur tectà. » Vita S. Gudulce, n' 2. ^ Loc. cit., p, 587. CatJiolicon.

* V. WiLLEMiN, pi. 88, 92, 94, 101, etc. Hist.de la Chauss., p. 45 e 46 D'Agiwcodrt, Peint-, pi. 66 (Italie). Sandales de Comminges, fig. B., etc.

370 LES SAi\i>ALES KT LES 15AS.

domina pendant la première moitié du XVP siècle. 11 parait originaire d'Allemagne ainsi que les souliers à crevées qui durèrent jusqu'à Henri lY. Les souliers dits camus, qui don- naient à l'homme bien portant l'apparence d'un goutteux, ne survécurent guère à François II ; Charles IX revint aux chaus- sures effilées, dites en bec de cane, dont Henri III écrasa la pointe. Le XVIP siècle adopta un moment les carrures exces- sives, mais en dissimula le ridicule sous une profusion de nœuds et de dentelles' . On se tromperait toutefois en croyant que les chaussures monstrueuses envahirent complètement les peuples de l'Europe occidentale. Du XIV® siècle au XVIP,' bon nombre de gens surent garder un juste milieu et ren- fermèrent leurs pieds dans des étuis proportionnés aux dimensions de ces membres.

Il convient maintenant d'appliquer aux modes ci-dessus énumérées les différents noms qu'elles reçurent au Moyen- Age. Jean de Garlande mentionne les « sotulares ad laqueos « cum liripipiis et ad plusculas {boucle, bouglettes). » Nul besoin d'appuyer sur les souliers lacés et à boucles, nous les avons conservés ; autre chose est des souliers cum liripipiis ou liripipiati. Je pense qu'il faut entendre par ces expres- sions une chaussure ornée de galons, cousus sur l'empeigne et bordant aussi le tour du col. Les miniatures du IX® au XIIP siècle inclus en offrent de fréquents exemples ^ . Les

* V. Hist. de la chauss., p. 68, 69, 72, 73, 77, 78, 80, 81, 85. Ibid. 77, 81, 85, 87. Glill. P.auadiw, 31ém. de l'Iiisl. de Lyon, lib. m, c. 5; » L'on fit d'autres souliers qu'on nommait becs de cane^ ayans un bec devant de quatre à cinq doigts de longueur. »

•i Loc. cit., p 587. tt Ne calceos vel sotulares portent laquatos. » Stat. Guidonis ep. Traj., (1310), Batavia sac, p. 174. " Sotulares ad laqueos n Lib. nig. Cap. Paris., (1325). " Sotulares laqueati i. Stat. Cist., (1439) ap. Mautèwe, t. IV, col. 1600. « Sotularibus ad bouclelas argenteas. » Conc. Paris., 2, (1346). « Sotulares non habeant laqueatos nunquam liri-

LES SANDALES ET Li;S liAS. 571

souliers consutilii devaient être piqués, brodés ou soutachés ; les escolletez [excolaii^ scotati), dont l'empeigne avait une large incision en forme de collier, remontent au XIP-XIIP siècle; d'abord à l'usage des grands, ils passèrent ensuite aux classes bourgeoises. Les souliers à courroies [corrigiati) servaient pour l'équitation ; enfin les monuments contiennent quelques exemples de solulares rigali (rayés) et .scaca/ï (échi- quetés) '. Au temps d'Edouard III (XIV® siècle), on porta des souliers en cuir repoussé ; le ^lusée des Antiquités de Londres en possède un original très-remarquable, quoique l'un des côtés de l'empeigne soit à peu près détruit : elle est couverte de personnages et d'animaux parmi lesquels on re- connaît l'histoire de la Licorne, et aussi d'inscriptions nom- breuses, entre autres, Ainor vincit omnia avec la célèbre devise : Honny soit qui mal y pense. La même collection renferme encore un soulier analogue, orné de guirlandes et de dessins fort élégants, plus une semelle en cuir gaulFré, le fer a imprimé de capricieuses arabesques. Ces derniers ob- jets sont contemporains du premier. Les souliers trenchiés, eshichiés, tailladés {fenestrati, incisi) et à crevées {scissi, cnm

piatos. )) Charta Card. S. Stephani leg. apost. pro reform. Univ. Paris. (1215). - V. Arts sompt., t. i, pi. 17, 19, 41, 42, 50, 63, 64, 66, 79, 80, 95 : Ms. 698 Bibl. de Saint-Oiner etc., etc.

Souliers a latz, aussi houzeaulx.

Roman de la Rose.

K Sotulares consutitii. n Cane. Lalcr., 16 (1215) : Stat. BcnedicU, ep. Mass. (1230): Conc. Tarrac. (1282) : Conc. Saut., I, (1298). » Consuti laqueis. » Syn. Rothom. (1299). « Sotulares excolati... scotati. » Stat. ms. S. Vict. Mass (1531), ap. Dr Catjge : Conc. Tarrac, (1591), ap. Conc. Hispan., t. iv, p. 615.— « Sotulares corrigiati. » Stat. Cltiniac (1467) : Stat. Cisterc, (1437), ap. Martelé, t. iv, col. 1590. Jrts sompt., t. i, pi. 79, 80 (ms. 1194, Bibl. imp.)- Le Jlojjcn Age, etc., Vie privée des châteaux, de, fol. xij, r. (ms. 7266, Bibl. imp.), etc., elc.

572 LES SANDALES ET LES BAS.

scissuris) appartiennent à une très-haute antiquité, ainsi que je l'ai démontre ailleurs ; le jMiisée de Londres en a trois charmants spécimens que l'on peut attribuer au XIIP-XIV° siècle et un quatrième plus riche, incontestablement du XIV°» Celui-ci fait comprendi-e la plaisanterie de Chaucer {The Milleres ^a/e), lorsqu'il dépeint un élégant clerc de pa- roisse ayant les fenêtres de Saint-Paul découpées sur ses souliers :

Willi Poules windowes corven ou bis sboos.

Toutes ces chaussures, malheureusement incomplètes et délabrées, sont eu cuir artistemeut travaillé' .

l^QA chaussures à la poulaine [cakei roslrati, cum polams) exigent une étude spéciale. L'usage des souliers à pointe aiguë et recourbée, importé d'Orient en Italie par les Etrusques, persévéra dans cette dernière contrée jusqu'a- près la chute de l'Empire '. Mentionnés par les auteurs by- zantins sans interruption notable % les rosira calceorum ren-

* « Sotulares feiiestrali. » Slat. Ca]). gen. Ord. Cisierc. (1529) ap Mau- TÈKE, t. IV, col. 16-12. H Sotulares incisi. i. Stat- S. Vict., (1531) : Conc. Tolct , (1582). « Calcei scissi. » Conc. Reinense, (1583). « Cum scissuris. » Conc. Tarrac. (1591). RoAcii Smith., Catal. of the 3Ius. London ant. pi. XII, XIII, 1, 2, 3, 4; p. 12(5, 628, 127, 629. Stat. ms. de l'Ordre de la Cour, d'épines, c. 10, ap. Du Cakge. Une ancienne peinture du XIV« siècle, qui décorait jadis les murs de la chapelle Saint-Etienne au vieux palais de Westminster, offrait plusieurs spécimens de chaussures fenestrées très élégantes. Rock, The Chitrch, etc. t ii, p. 240. fig.

* (1 Rostratis tabulatisque calceis ut legiiia iucedere. « De Discip. sc/iol., c. 2, attr. à BoECE (VI^ siècle).

^ L'empereur Maurice (VI"^ siècle) nomme cespointes ptoôwvia : « ']"à utto- S'/l[j.aTa aÙTÔJv ToTÔixà X'^ccgutoc, Bi/a. pojÔtoviwv, àîrXwç IppatxaÉva utto Ouwv aciwv, xai p.v) ttÎvô'ov. » (Slrutég.., lib. xii, p. 303.) Léon lePhilosophe (X' s.) les appelle oçsîai (Inst. railit., c. vi, Ji 26.) et Anne Commème (XII» siècle) TTêotXwv Tvpoî^Xao'.Ta. [Alexicul., lib. iv, p. 140.)

LES SANDALES ET LKS BAS. o73

trèrent par la voie des Arabes d'Espagne dans rF.iiropc occi- dentale ; Guibert de Nogeut, irrité contre les toilettes disso- lues des jeunes filles de son époque, le fait entendre assez clairement. Quant à la date de ce retour, elle est fixée par Adalbéron de Laon au commencement du XI^ siècle ' . Ordéric Vital attribue à Foulques-le-Rechin, comte d'Anjou, la ré- surrection des chaussures pointues; le passage est trop cu- rieux pour n'être pas transcrit littéralement ici : « Ipse (Fulco) nimirum, quia pedes habebat déformes, instituit sibi fieri longos et in summitate acutissimos subtolares ; ita ut operiret pedes, et eorum celaret tubera, quas vulgo vocantur uniones. Insolitus inde mos in occiduum orbem processit, levibusque et novitatum amatoribus veliementer placuit. Unde sutores in calceamentis quasi caudas scorpionum, quas Yulgo pigacias appellant, faciunt. Idque calceamenti genus pêne cuncti divites et egeni nimium expetunt. Nam antea omni tempore rotundi subtolares ad formam pedum ageban- tur, eisque summi et médiocres, clerici et laici competenter utebantur. At modo seculares perversis moribus competens scema superbe cupiunt : et quod olim liouorabiles viri tur- pissimum indicaverunt, et omnino quasi stercus refutave- runt, hoc moderni quasi mel dulce œstimant, et veluti spé- ciale decus ampiectantes g•estant^ » Beaucoup moins afiir-

' « Vestium qualitates in tantum sunt ab illa vcteii fiugalitate dissimiles, ut dilatatio inanicarum, tunicaiTim angustia, calceoium de Corduba lostra tortitia. » De Vita sua, lib. i, c. 11 (XI« siècle).

Cœpit summa pedum cum tortis tendei e rostris. Carm. ad Roherl.um reg., 106.

S. PiEiiUK Damiew (XI« siècle) décrit ainsi la chaussure d'un Clerc dé- bauché qu'il avait connu dans sa jeunesse : « Calceus postrema ad aquilini rostri speciem non falleret. » [Opusc. XLll, c. 7.)

- Hist. eccl., lib. viii (1089:.

574- LES SAXDAl.ES ET LES BAS.

matif que Guillaume de Malmesbuiy, qui place au XI^ siècle l'invention des calcei acummali ' , l'historien normand se contente de les présenter comme une mode ancienne, juste- ment méprisée et remise en vigueur par le caprice intéressé du prince angevin. Les pointes en queue de scorpion ou pi- gaches continuèrent pendant le XIP siècle à prolonger les chaussures ; le poète Jean de Hauteville en affuble les pieds d'une compagne de Vénus : voici sa description qui ne manque pas d'intérêt.

Soleee substringitur arcu Calceus obliqiio, pedis instar faclus, ut ipsos Exprimet aiticulos, cujus deductior ante Pinnula procedit, pauloque reflexior exit. Et fugit in longuni, tractumqiie inclinât acumen *.

A.U XIII ^ siècle les Papes et les Conciles durent interdire au clergé l'usage des sotulares rosfrati^ que le XIV" exagéra jusqu'au plus complet ridicule. « Davantage » dit Guillaume Paradin « portoient les hommes des souliers ayans une longue « pointe devant, de demi pied de longueur : les plus riches « et apparens en portoient d'un pied, et les princes de deux « pieds, qui estoit chose la plus absurde et ridicule que l'on « eut sceu voir. » Pour soutenir des machines aussi extra- vagantes on fut obligé de les rembourrer de foin, d'employer la baleine ou de les attacher aux chausses avec des chaînettes

* « Tune iisiis calceoium cum acuininatis aculeis inventus. 'i De Gesl. Angl., lib. iv, c. 1 (Guillaume le Roux).

"' Architrenius , lib. ii, c. 3.

^ « Prohibemus sotulares lostratos ne habeant. » Gallon, Légat d'Inno- cent III (v. 1209). " Nec portent sotulares rostratos. » Conc. Tarrac. (1282).

LKS SAiNDALKS l'/l' M-S liAS. 573

de métal; de plus on lesonia de brodtM'ies et d'éniiiiix ' . Malgré les défenses renouvelées par l'autorité ecclésiastique et les sages ordonnances de nos rois, les souliers à la poidaine, ce nom date du XIV^ siècle, n'en persistèrent pas moins durant le cours du XV^^. On en voyait encore du temps de Rabelais ; le c. 21 du Concile i)rovincial de Sens (1528) formule l'interdiction suivante : « Ne clerici lunatis seu cornutis ac

' Mém. de l'IIisl. de Lyon, lib. m, o. 5. « Prohibcmus etiam ut clerici

proesertim bcneficiati caligis cathenatis publiée utantur. » Stat. Eccl.

Cadurc, etc. (add. du XIV" siècle) ap. Martèwe, t. iv, col. 728.— V. Arts sompt., t. 1. pi. 121, 147, 148, 149: Le Moyen Age, etc., Miniut., pi. 7, 17 his : Hisl. de la Chauss., p. 47, 48, 49, 50, 53, 55. .. Pour faire et forgier une paire de coûtes et poulains tous poinçonnez de feuillaiges verrez et esmaillez de ses armes (du Dauphin). " Comptes royaux, 1352. » Pour Ixxj paires de chausses semelées, biodées, desquelles sont Ixviij paires à longues poulaines de balaine pour le Roy N. S. » Ap. Labordk, Notice des émaux du Louvre, p. 4G4.

' " Sotulares habebant, in quibus rostra longissima in parte anteriori ad modum unius cornu in longum : alii in obliquum, ut grifFones habent rétro et naturaliter pro unguibus, gerunt; ipsi communiter deportabant, quae quidem

rostra pouleanas gallice nominabant, et quia res erat valde turpis , ideo

Dominus rex Francise Carolus fecit per prsecones Parisiis proclaniari publiée, ne aliquis quicumque esset qui auderet talia deportare : et etiam quod neque artifices sub magna' pmna de cœtero taies calceos, sed et neque ocreas sic punctatas, lacère prassumerent, nec vendere quicunque : nam simili modo dominus papa Urbanus quintus in Romana Curia inhibuerat valde stricte. » Contin. de Naingis, an. 1365. « Ne clerici utantur sotularibus de polena. « Conc. Andeg., c. 13 (1365). « NuUus familisris episcopi soiulares déférât cum polanis. » Conc. Vabr., 48 (1368). « Neque gérant sotulares aut ocreas ad poulentiam. » Stat. Eccl. Nannel. (1389), ap. Martèke, t. iv, col. 984. « Nec poterit aliquis ipsorum poulenam in sotularibus dé- ferre. 1) Ordin. Caroll V (1365). » Idem quod nuUus vir vel mulier audeat portare in suis estivalibus, sotularibus vel botinis punctas dictas de Poiayna.n Litt. Caroll V, pro Montispessulanis (1367). Ces ordonnances furent renou- velées sous Charles VI. Méwagk pense que poulaine vient de Polanus. Folonus (Polonais) ; en eifet, les peuples Slaves ont encore les chaussures pointues dans leur costume national. {Dict. éti/m.. Pon.AiNE.)

o70 LES SANDALES ET LES lUS.

iiimis fenestratis calceis iitautur. » Martial d'Auvergne (fin du XV siècle) disserte agréablement sur les poulaines de son époque : « Il y ha six ou liuict varlets cordoanniers qui se « sont plainctz en la cour de ceanz : de ce quil faut niain- « tenant mettre, aux poinctes des souUiers qu'on faict, trop « de bourre. Disans quilz sont trop grevés, et qu'ilz ne 'I pourroyent fournir des compaignons, ni continuer ceste « charge, silz nen avoient plus grand gaige quilz navoyent « accoustumé, attendu que le cuyr est cher et que les dictes " poullaines sont plus fortes à faire quilz ne souloyent. Si tt ha la cour faict faire information Et tout vu et consi- « déré. . . que les dicts compaignons feront les dictes pollaines « grosses et menues à l'appétit des compaignons ' , » La mode des poulaines avait gagné l'Italie, l'Allemagne et l'Angleterre ; entre les spécimens de chaussures conservés au Musée de Londres, ou distingue une pointe de soulier contemporaine de Richard II. Elle est en cuir gauffré, très- aigue, fortement recourbée et mesure neuf pouces anglais de long ; l'intérieur est encore garni de la mousse qui le rem- bourrait^.

Le catalogue des archives du baron de Joursanvault men- tionne aux Comptes du duc d'Orléans des patins et des pen- thofles. Rabelais nous apprend que les semelles des pantoufles

' Arrelz d'.lmours, 42, p. 359, Lyon, 1546. Une ordonnance d'E- douard IV (1462), défend à tout gentilhomme anglais de porter des bottes dont la poinle excéderait deux pouces. Moïsstuelet dit que les princes portaient à leurs souliers des poulaines d'un quart d'aune de long et même plus. V. Ilist. delà Chaus., p. 52, 53, 66, 67, 69 ; Les Arts sompt., t. ii, pi. 1, 3, 24, 25, 31, (Allemagne).; 32 (id.) ; 45, 46, (Flandre) ; 58, (Suisse) ; 108, (Allemagne, XVI« siècle). V. encore, Conc. Avenion.. (1457) ; Co7ic. Senon., (1460) ; Conc. Liman., (1582) : ap. Du Caisge.

' Cat. of the Mus., etc., p. 128, n" 632. V. encore, [hid:, pi. xiii, fig. 2 et pi. XIV, fig 1.

REVUE DE LART CHRÉTIEN.

de j.;nsî j']

1. Sole a crucifère d'après un marûre 31:^1 que .

^ '- arLalina du pape Honoriusl .d'après la mosaïque de l'i'Ac.ie. m vià nompntana

i et4. Caudales conservées dans l'Eglise de r.3inT-.^l3rhn-des-/'\o-nls

LES SANDALES ET LES 1)AS. 577

étaient en liège et il chausse ses religieuses de TliéleMiie de « soliers, escai'i)ins et paiitouphles de velours cramoisy « rouge, ou violet, descbiquetées à barbe d'escrevisse. » Les escarpins, du bas latin scapmus (semelle), ou de l'italien scarpa (soulier), se nommaient également esca/fins^ csraji- g lions., cschapins :

Tolo dolente, hors de la chambre esi, Désafublée, chauciée en eschapins.

M. Lacroix avance que l'escarpin était dans l'origine une sorte de chaussure de cuir; on ne peut douter que ce ne fut une chaussure d'intérieur : :•

Isent des lis, les eschapins chaucent.

Il ne faudrait pas confondre les patins avec les galoches ; dans un compte de la duchesse d'Orléans figurent ensemble « une paire de patins et les boucles de trois paires de ga- loiches. » Les galoches étaient un soulier à semelle de bois; les patins, en bois et en fer, exhaussés sur des appendices, sans empeigne et maintenus par une simple bride, garantissaient de la boue une autre chaussure plus délicate '. Les hauts talons doivent vraisemblablement leur origine aux patins qui, sous diverses formes, persistent encore aujourd'hui dans les contrées humides de l'Europe.

L'ampleur des robes permet rarement de reconnaître la coupe exacte des chaussures de femme. Au IX*^ siècle, les

' Hist. de la chaus., p. 64, 66 et 74. Gargantua, c. 56. Willemin, pi. 162. Le Moyen Age, etc., Miniat., ms. do Boccace, Bibl. de l'Ar- senal. — «Nec etiam in ecclesia vel claustro porta bunt (canonici) patinossive soccos ferratos strepitum magnum facientes. » Stat. ms. Eccl. .4quens. 1295. fl Pierre Boivin acheta du bois convenable à faire patins et galoches. » Letl. de remis., 1417, ap. Do Cangk.

TOME VI 12

578 LES SA.NDALES ET LES BAS.

dames aussi bien que les hommes portaient des calcei liripi- piati ; une figure de sainte Radegonde (XI® siècle) a des san- dales bleues, ouvertes jusqu'aux orteils, avec bi'ide sur le cou-de-pied ; au contraire, la chaussure écarlate d'une reine, peinte à la même époque, est entièrement close. Les XII% XIIP et XIV®, siècles montrent une parfaite analogie entre les chaussures des deux sexes; cette analogie s'étendait alors jusqu'aux estivaux. Les distinctions bien tranchées re- montent à peine au XV® siècle ' .

Les artisans qui confectionnaient les chaussures neuves se nommaient au Moyen-Age alutarii, cordubanarii, cordonarii^ ronlocmiers, cordouaniers ; ils travaillaient le cordowan ou cordouan {cordebisus, aluta)^ peau de chèvre préparée à l'alun. Ces peaux, que fournissait l'Espagne, principalement Cor- doue, étaient de diverses couleurs, mais le plus fréquem- ment blanches on rouges ^ Les cordonniers parisiens for-

' Arts sompt., t. i, pi. 17, 61, 52, 66, 79, 80, 89, 111, 147 {estivaux. XIV« siècle); t. ii, pi. 31, 32, 52, 53, 56, 66, 74, etc., etc Willemin, pi. 25, 60, 62, 64, 89, etc. Peint- de S. Savin. , pi. 19. Etc., etc.

* « Alutarii sunt qui faciunt calciamenta de alluta,... qui conservant sibi formipedias {formes), equitibialia [estivaux) et spatulas {escîices). »J. de Gar- LAWDE, loc. cit., p. 590, 591. V. Coudebisus, ap. Du Cakce.

Iste tuo dictas de nomine Corduba pelles, Hic niveas, aller protrahit inde rubras.

Théoddlfe, Carm., lib. i, p. 138. « Melega civitas, ubi sit copia de cordewan vermeil. » Roger de Hoteden, In Ricardo i, p. 715. Ces peaux constituaient une marchandise très-chère: « Quia ab urbe deportari ad cœteros soient pretiosi corii species. » Ap. Do Cawge, loc. cit Les cordonniers s'appelaient aussi cerdones et sueor, sueur, de sîitor. M. P. Lacroix 'loc. cit. p. 39j avance que jusqu'à Philippe-le- Bel, on ne se servit guère en Fr;ince que de cuir et de bois pour confection- ner les chaussures, mais qu'après ce prince les riches étoffes furent employées pour les classes élevées. Lorsque Geoffroy Plantagenet reçut à Rouen l'ordre de Chevalerie, avant son mariage avec la fille du roi d'Angleterre

LES SANDALES ET LES BAS. 57<)

niaient une corpoi^ition et uviiient leurs statuts au Xlll'" siècle ; on y lit qu'ils pouvaient faire des souliers de basane (matière de qualité inférieure) en certaines conditions, sans toutefois mélanger celle-ci dans leurs ouvrages avec le cor- douan, si ce n'est pour les contreforts. Il leur était aussi in- terdit d'employer le cordouan tanné et de coudre le vieux cuir avec le neuf; enfui, ils fabriquaient spécialement les solers (calcei) et \e&hueses (tibialia). Des statuts et règlements furent peu à peu accordés par les rois de France aux cordon- niers des autres villes et toutes ces corporations eurent leur bannière et leurs armoiries. Au XVIP siècle, les statuts et règlements de la communauté des maîtres cordonniers-sueurs de Pans, ayant été revus et augmentés, furent confirmés par Louis XIII (1014). En 1645, Henri-Michel Buch, dit le bon Henri, institua la communauté des Frères-Cordonniers des SS. Crépin et Crépinien, qui acquit toute l'importance d'un Ordre religieux, reconnu et autorisé. Son premier protecteur fut Gaston J. B. de Reiity, issu d'une des plus nobles familles de l'Artois ; ses statuts reçurent l'approbation successive des archevêques de Paris, Hardouin dePéréfixe (1664) et Fran- çois deGondi (1695) '.

(1127), il portait incoatestabli;ment une chaussure en tissu d'or : « Caligis holosericis calceatur, pedes ejus sotularibus in superficie leunculos aureos ha- bentibus muniuntur. » {.Teaw de Marmodtier.s, iib. i.) Les souliers peints de Philippe et Jean, frères et fils de saint Louis (Willkmin, pi. 92j sont de même matière, et les monuments peuvent en fournir bien d'autres exemples antérieurs au XIV« siècle.

' Le Livre des métiers, tit. 84, p. 227 et suiv. On fabriquait aussi des cordouans en Provence et en Flandre ; ces derniers furent momentanément prohibés parce qu'ils « estoient partie courroyez en tan. » Hist. de la Chauss. p. 36. En 1345 on corroyait le cordouan à Paris : V. l'art, xx de l'or- donnance de Philippe de Valois, relative aux tanneurs, etc. V. Hist. des Cordonniers, à la suite VHist. de la Chauss.; nomb. grav. et pièces justif.

5H0 LES SANDALES ET LES UAS.

On trouve, dans le Livre des Métiers , les statuts de la corpoi'iition des çavetonniers owchavetonniers de petits solers. Ces artisans, qu'il faut se garder de confondre avec les save- tiers, payaient, pour droit de métier, la même somme que les cordonniers (16 sols parisis) dont ils pouvaient exercer l'é- tat (I se ilz avoient de quoi. » Leur spécialité était de faire <i de petits solers de bazane. » Comme les cordonniers, ils avaient défense de mettre de la basane à un soulier de cor- douan, mais il leur était permis de mettre du cordouan à un ouvrage en basane. Les droits annuels qu'ils payaient au Souverain étaient aussi de beaucoup inférieurs à la somme imposée aux véritables cordonniers ' .

La corporation des savetiers {pictacmrii , corvesarii , courvoisiers, cavaliers, sueurs de viel) existait à Paris au Xlir siècle; on voit alors, dans leur fort bref règlement, qu'ils cousaient et raccommodaient les chaussures. Les statuts de i 659 sont beaucoup plus explicites et rappellent les or- donnances rendues en faveur du métier depuis Charles VIL Les savetiers peuvent faire des souliers neufs pour leur fa- mille (1SÎ6); ils ont le droit exclusif de travailler le Adeux cuir (1598 et 1618); nul autre qu'eux ne doit s'intituler bobelineur et confectionneur des souliers dits bobelins; enfin l'article 45 oblige les maîtres cordonniers à employer le cuir mis en suif pour leurs semelles, avec défense d'user «de cuir « maigre en doublure ni autres ouvrages s'ils n'en sont re- « quis et avoués et non autrement. » Le cuir maigre était donc exclusivement réservé aux savetiers, dont les corpora- tions, établies dans les diiférentes villes du royaume, pos- sédaient aussi bannières et armoiries '.

Tit. 85, p 231 et suiv.

- » Pictaciarii viles sunt qui consuunt voteres sotularcs, rcnovando pictacia (benielle intérieure) et intercutia (cuir placé entre les deux semelles) et soleas

LLS SANIIAI.ES KT LtS liA.S. TiSl

CHAPITRE V.

CllAlSSI.UKS MÏCUGIQIKS JJAKS l'aîNTIQUITK KT fUKZ f.KS IMIK^IIKIIS CIIUKTIEIVS.

Les prêtres juifs aviiieiit toujours les pieds nus lorscpi'ils paraissaient dans le temple. Le ïalmud se sert des paroles que Dieu adressa à Moïse sur le mont Horeb, pour expliquer cette circonstance ; d'autres, au contraire, prétendent que la Loi n'interdit pas les souliers, mais que, le chapitre 28 de l'Exode restant muet à leur é'i;ard, les ministres de la relio;ion devaient s'en abstenir pendant l'exercice des fonctions sa- cerdotales ' .

Le paganisme ne suivit aucune règle fixe à l'endroit des chaussures liturgiques. Les pieds du pontife officiant se montraient nus ou couverts, selon la divinité vénérée et le lieu était bâti son sanctuaire. Une formule de Pythagore prescrit de sacrifier et d'adorer pieds nus; Didon s'approche de l'autel :

Unum exuta pedem vinclis in veste recincta.

Les Vestales et certains prêtres d'Hercule étaient dé- chaussés; lud ne pouvait aborder le temple de Diane, en Crète, sans quitter ses souliers; Prudence assure que les sénateurs en faisaient autant devant le char de Cybèle :

(semelle) et impedias (empeigne) Pictaciavii dicuntur savetiers. » J. de

Garlande, loc. cit., p. 590. Le Livre des met., tit. 86, p. 23.3. Hist. des Cordon., Pièces justif. et Armor. hesmbobelins étaient sans doute des souliers en vieux cuir.

* Bradn, De Fest. sac. Hcehr., lib. i, p. 46. « Quia sacerdotes .sempcr discalceati incedunt super pavimentum. » Id., ihid., p. 154. Gemara liabyl., c. IX. Les Rabbins, à la synagogue, sont toujours chaussés.

582 LES SANDALES ET LES BAS.

Niidare phintas ante cari)entum scio Proceres togatos, Matris Ideœ sacris.

Enfin, les monuments présentent divers exemples de sacrificateurs nudipedea ' .

La chaussure sacerdotale se montre aussi fréquemment que la nudité des pieds. Les prêtres de l'Egypte et de la Phénicie portaient des calceamenta en matières végétales, telles que le papyrus et le lin ; il était interdit aux Flamines romains d'en avoir qui eussent été confectionnés avec la peau d'un animal mort naturellement ; Athénée mentionne les souliers laconiens blancs d'un pontife d'Hercule, et Appien attribue le phœcasùim aux prêtres d'Alexandrie. Quant aux mé- dailles et aux marbres antiques, les sacrificateurs chaussés y apparaissent à chaque instant ^.

' Jambliqik, De rit. Pyth., Symb. m. Eneid., iv, 518 Forte revertebar festis Vestalibus, illac

Qua nova Roniano nunc via juncta foro est, Hue pede mationam vidi descendere nudo. Ovr^E, Fast., vi. 395. « Virgines simul ex sacerdotio V<'St;e, nudo pede fugientia sacra comitantur. » Fi.oros, r, 13,

Pes nudus, tonsœque comse, castumque cubile. SiLius Italicus, De Bello Pan., ni, 28- SoLI^', c. 17. Péristéph, In Roman , 154. Dd Chodl, De la Relig. des anc. Romains, p. 152, 164, 235, 237. etc.

- Hérodote, ii. HÉRODitw, v, 13. Apolke, Meta., viii, ne dit pas en quoi étaient faits les souliers jaunes des prêtres de la déesse de Syrie. « Sane flaminicœ non licebat, neque calceos, neque soleas morticinas habere. Morticinae autem dicuntur, quee de pecudibus sua sponte mortuis fiebant. » Servius, Li jEneid., iv, 518. « Et ne Philologia ipsius Phronesis careret ornatibus, ejus pectori, quo verius comeretur apponit, calceos prseterea ex papyro textili subligavit : ne quid ejus membra pollueret morticinium. » Martiaîmcs Capeli.a, De Nupt. Philol., lib. ii. Deipnos., v, 14. De Bello civ., V. Do Choul, loc. cit., p 77, 217, 278, 279. Feurari, i, 10. V encore Athicnke, lib. vu.

LES SANDALES ET LES lîAS. r)83

Les disciples de la Loi nouvelle, inclinés devant l:i parole de Dieu écrite dans la Loi ancienne, ne virent jamais (pTun symbole dans le cérémonial liturgique de cette dernière; s'ils lui empruntèrent le nom de cpielques habits saci'és, ce i'ut à la condition expresse d'en modifier ostensiblement la foi-me. Vis-à-vis (les Gentils, dont ils repoussaient à la fois les doc- trines perverses et le culte extérieur, les chrétiens a})p()r- tèrent encore ])lus de réserve ; ils proscrivirent avec énergie tout vêtement qui pouvait rappeler ceux des pontifes païens'. Placé entre deux liturgies également antipathi(pies, quel parti le christianisme naissant prit-il à l'égard de la chaussure? La question a été vivement controversée , des autorités respectables ont soutenu le pour et le contre; néan- moins, à l'aide des textes et des monuments figurés, la diffi- culté n'est pas impossible à résoudre.

Saint Matthieu et aussi saint Luc font dire à Jésus-Christ confiant aux Apôtres la mission d'enseigner les peuples : « Vous n'aurez pas de chaussures. » Saint Marc, à l'inverse, met ces paroles dans la bouche du divin Maître : « Vous se- rez chaussés de sandales. » La contradiction est en apparence flagrante; elle l'est moins après une étude attentive. En effet, saint Matthieu écrit : « Vous ne posséderez {[my^xmr.aOz) ni besace, ni deux tuniques^ ni chaussures » ; et saint Luc, dont le grec est relativement plus pur : « Vous ne porterez ni bourse, ni besace, ni chaussures (p-Vi oaorà^sTe oxkldvziov, irhxs r.-npxv iirize vnoâriiJ.xTc/.). Or, à mon sens, les termes zr/i<7-/j(7(3e, êaazd'c^ere s'appliquent ici, non à un vêtement inhérent à la personne, mais à un fardeau dont elle serait chargée. Cela est si vrai que saint j\Iatthieu emploie le verbe Bajc-âÇM (je porte im fardeau^ j'emporte), pour exprimer l'acte d'humilité

* V. Marangowi, Délie rose gentil., c xxxni.

584 LES SANDALES ET LES BAS.

de saint Jean-Baptiste à l'égard du Sauveur : « Cujus nun suni dignus calceamenta portare {yT.od-hiJ.y.ia Qy.a-ddy.i). » Si donc saint Matthieu et saint Luc n'ont formulé qu'une défense, relative aux chaussures comprises dans un bagage quel- conque, ils ne désavouent en rien Sidiit Marc qui a pres- crit les sandales aux pieds. D'ailleurs, les quatre Évan- gélistes s'accordant pour donner des chaussures à Jésus- Christ, il serait invraisemblable que l'PIumble par excellence eût interdit à ses disciples un objet dont il faisait lui môme usage ; de plus saint Luc, rédacteur des Actes des Apôtres, met des sandales aux pieds de saint Pierre, prisonnier d'Hé- rode. Supposer, qu'à trois années de distance, le compagnon de saint Paul se soit contredit ainsi, serait une énormité. Une objection grave pourrait sortir d'un autre passage de saint Luc. Après la Cène, le Sauveur dit aux Apôtres : « Quando misi vos sine sacculo et pera et calceamentis. » Mais comme il ajoute : « Numquid aliquid defuit vobis ? » on a le droit de croire que la cliaussure était comprise parmi les choses nécessaires qui ne manquèrent jamais aux envoyés du Fils de Dieu * .

Saint Augustin penche vers la chaussure apostolique; André Du Saussay a écrit longuement en sa faveur. Saint Bonaventure, répondant à un docteur incoinui qui attribuait un calceamentum au Christ et aux Apôtres, s'appuye sur saint Jean Chrysostôme, et notamment sur saint Jérôme, pour nier l'exactitude du fait. Mais, comme dans son opuscule, la discussion roule toute entière sur le sens réel des termes calceus (chaussure enveloppant l'intégrité du pied) et solecij

Saint Matthieu, m, 11 ; x, 9 et 10. Saint Marc, i, 7 ; vi, 8 et 9.

Saint Lcc, iji, 16 ; x, 4. Saint Jean, i, 27. Jet. jipost., xii, 8.

D'après les idées généralement admises; saint Luc écrivit son Evangile de 53 à 56 et rédigea les Actes des Apôtres vers 59.

LES SANIIALES ET LUS lîAS. fiS"»

sandalium (cluuissuro laissant la partie siij)ériciire du pied découverte), le docteur Sérapliique finit par admettre les sandales apostoliques dont, au reste, les anciennes peintures et sculptures lui confirment am[)lement l'existence'. J'ai sans doute eu tort, <et je le confesse humblement ici, d'avoir voulu résoudre grannnatîcalement une question qui préoccupa tant d'illustres écrivains ; peut-être aurais-je mieux fait de dire simplement que saint Matthieu et saint Lucont rendu la pensée symbolique du Maître, relative au détachement des biens terrestres, tandis que saint Marc a reproduit littérale- ment la parole divine. Cette dernière solution n'a pas échappé à saint Bonaventure, car, après avoir cité les trois textes évangéliques, il ajoute : « Quid aiitem Domiai hœc verba mandata non tantum spiritualiter, sed etiam ad litteram fuerint observata, patet ex autoiitatibus prœdictis ". »

Les chaussures apostoliques étant reconnues en principe, reste à établir leur genre. Interrogeons sur ce point les pre- miers âges du christianisme, alors que chacun s'efforçait d'imiter les apôtres à l'extérieur comme à l'intérieur.

Parmi les chrétiens de la primitive Eglise, les uns suivirent à la lettre les évangiles de saint Matthieu et de saint Luc ; les autres s'en rapportèrent à saint JMarc et aux Actes. Au IP siècle, Lucien, le Voltaire de son temps, bafoue le chré- tien Chleuocharme, couvert d'un manteau usé, la tête et les

' De Consensu Evangelist. Panoplia episc.^ 1. vu, c. 2 et 3. De San- daliis aposlol., Opusc. Saint-Jérôme, Episl. 18, ad Eusloch., « Et Moyses et Jésus in Nave midis in sanctam terram pedibus jubentur incedere. , Et discipuli sine calceamentorum onere, et vinculis pcUium ad piBedicatlonem novi evangelii destinantur.' Et milites vestimuntis Jesu forte divisis, caligas non habebant quas toUerent. Nec enim poterat habere Dominus quod prohi- huerat seivis. » lu., Epist. 91, ad Ageruc. « Apostoli toto oibe pcicgrini non caligas habuere in pedibus. »

- Opusc. cit.

586 LES SANDALES ET LES BAS.

pieds mis (dvjnôâerotj)', an IIP, Tertullien se prononce contre le calceus et recommande la luidité des pieds. Clément d'Alexandrie, postérienr à Tertullien de quelques années, est encore plus explicite. Après avoir concédé aux femmes les souliers blancs, et en voyage, les souliers graissés, l'au- teur du Pédagogue pousse les homnïes en général à l'absten- tion de toute chaussure (dwiioâ-nGioc), h moins qu'ils ne soient à l'armée; selon lui, avoir les pieds nus {yvij.vola x^-naBai lola Tiodh) est favorable à la santé, quand la nécessité n'ordonne pas le contraire; si l'on n'est pas en route et qu'il y ait im- possibilité d'agir autrement, il recommande l'usage de chaussures ouvertes ou légères ifâlocv-aia 'h (^oLiY^aaioia) , du genre de celles que les Athéniens nommaient y.oviT:odaa (pieds poudreux), riq)pelant à ce propos les paroles de saint Jean- Baptiste qui se déclare indigne de délier les cordons de la chaussure du Messie '. Au IV siècle, saint Jérôme cite Platon pour conclure à la nudité absolue des pieds -, et ail- leurs, interprétant mystiquement le verset 15 du chapitre VI de l'épître aux Ephésiens, il ajoute : « Si quis non est Jésus nave, nec apostolus, calciet pedes suos in prœparatione Evangelii pacis. Si quis autem apostolus est, et inter duode- cim numerari potest, nequaquam tollatin via calceamentum suum, nec ad scorpiones et colubros declinandum calcanenm tegat ^ » Juvencus suit la leçon de saint Marc :

Non gerainas vestes sed planlis tegmina bina.

' Philopalria, 21. De Pallio, c. 5 : « Si quis calceatus inducitur, mun- dissimum opus est, aiit pedes nudi magis, certe viriles magis quam in calceis.» Pœdag., lib. ii, c. 11.

Et Plato prœcepit duas corporis summitates non esse velandas ; nec assuefieri debeie mollitieiei capitis et pedum. Cum hœc enim habueiint firmi- tatem, ca'tera robustiora sunt. » Comm. hiMalth., x, 10.

' " Kc(i u7;ooT,aâ[a.cVûi toÙ; 7:oSaç sv Éxoiixacîa tou svay^eXlou tt); et-

LES SANDALES ET LES BAS. 587

Stiiiit Augustin, qui lui-in(jin(3 })ortait une clnnissure mo- deste, concilie ainsi les textes évangéliciues : << Sic et cal- ceamenta cum dicit Matthœus in via non portanda, curani proliibet,, qua ideo cogitantur ne desint. Proinde Marcus dicendo eos sandaliis vel soleis, aliquid hoc calceanientum mysticaî significationis liabere adniouet, ut pes neque tectus sit neque nudus ad terrani, id est nec occultetur evange- lium, nec terrenis innitatur'. » Au VP siècle, saint Ful- gence, évoque de Ruspe, marchait souvent pieds nus, mais parfois aussi, conformément à la pensée de S. Augustin, il se servait de chaussures ouvertes ^. Saint Bonaventure cite les exemples de deux prédicateurs de la Foi dans les Gaules ; l'un, saint Martial, voyageait nu-pieds à l'imitation du Christ et de saint Pierre, l'autre, saint Front, usait de sandales *.

Une simple lecture de ce qui précède, démontre claire- ment que, sauf peut-être le sentiment absolu de saint Jérôme, aucun texte ancien ne conteste formellement au Christ, aux Apôtres et aux chrétiens primordiaux l'usage d'une chaus-

pv^'vYiç. Et calceati pedes in praeparatione evangelii pacis. » Comment., 1. m, In Ephes. Les artistes chrétiens se sont appuyés sur cette explication mystique du verset de saint Paul pour représenter le Christ et les Apôtres sans aucune espèce de chaussure.

* De Hist. evang . , lib. ii, In 3Inf.th., x. etc., v. 14. «i Vestis ejus et calceamenta ex moderato et competenti habitu erant, nec nitida nimium, nec abjecta plurimum, » Possidius, S- Augiist- Vita. c. xxii, 25. De Conc. evangelisL , lib. ii, c. xxx, 75.

^ <i Ut nec ipsa calceamenta suscipiens clericoium, fréquenter nudis pedibus ambulabat. Sic studio humilitatis ambitionem vestium fugiebat, ut nec ipsa calceamenta suscipiens clericoruin, aut caligis in tempore hyemis, autcaligulis in tempore aestatis simpliciter uterotur. » ^. Fulg. T'ita, c. 18, n"^ 19 et 38.

^ De Sandal. Apost Sanctus Domini Martialis pergens ad priedicanduni

nec calceam. nta propriis induebat pedibus nudis incedens pedibus,

imitator Christi etB. Pétri apostolorum principis, consanguinei sui. » « Bea- tus Fronto castra et urbes, in vicina loca calceatus tantum sandaliis peia- grans gentium catcrvis divini Verbi semina ero'gabat »

588 LES SANDALES ET LES BAS.

sure qui, hiissant la partie supérieure du pied à découvert, en garantissait néanmoins la plante. Cette chaussure, nette- ment énoncée d'ailleurs, et dont saint Jean-Baptiste se dé- clare indigne de délier les cordons, était le calceamcntuin grossier des pauvres et des artisans, la solea ou une sorte de carbat iiia en cuir travaillé à laquelle, par analogie, saint Marc et saint Luc donnent le nom de (jxvâdhov, mot traduit une fois en latin par sandalium, et une autre par l'expression caractéristique caliga (chaussure à courroies ' .}

Les plus vieux monuments chrétiens offrent de fréquentes images du Christ, des Apôtres et de leurs disciples chaussés de la solea. Je mentionnerai comme exemples, les mosaïques de Sainte-Agathe-Majeure, à E,avenne(400 environ), de Saint- Cosme et Saint-Damien, à Rome (550) et de Saint-Vital, aussi à Ravennne (o47 environ) : le Christ, triomphant dans les cieux, y est représenté avec la solea aux pieds ^. La tra- dition des soleœ apostoliques ne se perdit jamais au Moyen- Age; six grandes figures d'apôtres, brodées sur le magnifique antipendium (XIIP siècle) que j'ai dessiné dans la cathédrale d'Anagni, portent la solea. Les mêmes personnages, compris parmi les sujets placés au-dessous, ont indifféremment les pieds nus ou munis d'une semelle à courroies.

a ' 'VtcoûcScUsvou!; cjavoâXio:. Calceatos sandaliis. » S. Marc, vi, 9. « ITepiCox^ai xcù u7:oûr|(jai -ot cavotxXia cou. Praecingere et calcea caligas tuas. » Jet. Apost., XII, 8. >. Sandalia autem sunt calceamenta desuper corium non habentia. « Papias, Vocub., (XI« siècle).

- CiAMPiNi, Vet. monim., l. i, pi. 46 ; t. Ji, pi. 16 et 19 ; iUd.. pi. 28, Mos. de Saint-Laurent, à Rome, (578). V. encore : Pkubet, Les Cata- combes, t. iii, pi. 46, (Ille siècle) ; ibid., pi. 58 (Vie siècle) : Rostan, Mon icon. de l'église de Saint-Maximin, (Var), in-l'ol., Chàlons-sur-Saône, 1862. Sarcophages, fig. 4 à 13 (IV'' siècle) : Aringiii, Roma subt. nov., t. i, p. 277 à 331, 427, 623 ; t. ii, p. 137, 161, 163, 255, 273, 329, (IIIo au Vg siècle) : Bdokarotti, Osserv. sopra aie. framm. di vetro, pi. \mi, 1 ; xvi, 2, xvU, 1, (premiers siècles) : Arts sompt., pi. 5, 8 et 9 (Ville siècle) : etc., etc.

LES SAM>AhES ET LES BAS. oSO

Aux ministres d'un culte, établi par le Christ et ses dis- ciples, incomba nécessairement pour chaussure liturgique, celle que les Maîtres avaient afFectionnée. Ia^ diacre saint Lau- rent, peint vers le IV® siècle, au fond d'une chambre sépul- crale du cimetière de Saint-Jules (Rome), a des solcœ. Je donne ici un spécimen de solca crucifère {i\ la pi. jîg. \) qui remonte à une très haute antiquité ; ce fragment de marbre^ trouvé dans la Sabine, faisait partie, au XVIP siècle, de la collection du cardinal Brancaccio ' . La véritable sandale, pantoufle fortement échancrée, retenue sur le cou-de-pied au moyen d'une bride, chausse, au IV® siècle, saint ]\raximin recevant du Christ la mission évangélique. Au VF siècle, la sandale, attachée avec des courroies multiples, prend la phy- sionomie des carbatinœ rustiques, justifiant ainsi le nom de ca??îpa^îM qu'on lui donnait alors. L'évêque Maximianus et son clergé, figurés sur la mosaïque de Saint-Vital, à Ra- venne, portent la carbatina àii pauvre qui^ légèrement modi- fiée, resta, longtemps encore, la chaussure ordinaire des Papes. Le campagus d'Honorius I {v. la pi. fig. 2), restitué par Rocca d'après la mosaïqne de Sainte-Agnès (VIF siècle), fait suffisamment apprécier la forme et l'usage de ce calcea- mentiim. Divers monuments, contemporains ou postérieurs, offrent des images de Souverains-Pontifes chaussés de la même façon ^.

cri. DE LIN AS.

\La suite au lyrochain numéro.

* Aringhi, loc. cit., t. II, p. 355. Cctto peinture était déjà fort détériorée il y a deux cents ans. Magri, Hierol., p. 59, fig.

- RosTAN, loc. cit , fig. 7 <i Cum ergo incidisset psachnion beati viri excubitor, et corrigiam campagiorum ejus, statim tradidit euni sacellarius pratfecto urbis. » Ilist. de exil. S. Mart. PP. (^50). jRer. arch., t. vu, pi, 145. Etc., etc.

GRANDES DÉCOUVERTES HISTORIQUES

RELATIVES

à saijit Jean-Baptiste et aux Evangéllstes.

Les merveilleuses découvertes que je v^ais signaler, con- cernant saint Jean-Baptiste et les quatre Evangélistes, doivent modifier considérablement les idées qu'on s'était faites sur ces saints personnages. C'est toute une révolution historique qui vient de s'accomplir, sans trop se faire annon- cer, — tout comme la révolution de Grèce.

Depuis l'origine du Christianisme jusqu'au 29 octobre 1862, ou avait toujours cru que saint Jean-Baptiste et saint Jean l'Evangéliste étaient deux personnages bien dis- tincts. Erreur, profonde erreur! Le Précurseur etl'Apôti'e ne sont qu'une seule et même individualité. Le fait est consigné au Moniteur du. 29 octobre, à la page 1515. Il est vrai que ce n'est pas dans la partie officielle, mais dans un article de Variétés signé par M. Paul Dalloz, écrivain très-connu et très-apprécié dans la critique d'art, mais qui n'avait pas en- core abordé le terrain de la haute érudition.

GRANDKS lUiCOliVERTlCS llISTOllIUUES. 591

]^a vérité reste toujours digne d'amoiir et de respect,, n'iiii- })orte à quelle place et sous quelle latitude (slle se révèle; M. Dalloz, par conséquent, ([uoique n'écrivant (|u'iï la deuxième page du Journal officiel de l'Empire, n'en a pas moins droit d'exiger que nous lui prêtions une oreille atten- tive.

11 n'a pas fait un travail cv /nvfcsso sur la matière; il glisse ses découvertes dans un article artistique sur les Saints-Évangiles^ édités par l'Imprimerie impériale, pour figurer à l'Exposition de Londres. L'auteur semble même ne pas s'apercevoir de tout l'imprévu de ses révélations; car il n'est pas plus impressionné que s'il annonçait un fait tout ordinaire. Ali! qu'on a bien eu raison de dire que les plus grandes découvertes sont faites par ceux qui ne les cherchent pas !

Comme il s'agit d'innovations historiques qui doivent bou- leverser toutes les idées reçues, fsxire remaniei' les bases de renseignement chrétien et infliger un erratum à tous les catéchismes, nous nous garderons bien de recourir à ces pâles analyses qu'on peut toujours soupçonner d'infidélité. Nous citerons tout entier un texte chaque mot peut avoir sa valeur. Il n'y a, au reste, que vingt-quatre lignes; mais quelles lignes ! Nous demanderons seulement la permission de respirer entre chaque paragraphe, pour méditer sur les conséquences historiques, religieuses, morales et artistiques, qui découlent de chaque découverte.

I.

M. Dalloz, en appréciant le mérite des quatre grandes figures d'Evangélistes, dont M. Lehman a orné la nouvelle édition des Évangiles^ s'exprime en ces termes, au sujet de sa peinture de l'évangéliste saint Jean :

59'2 GRANDES DÉCOUVERTES HLSTORIOUES

« Quant à son saint Jean, sa figure nerveuse et féminine » rappelle celle de Jésus-Christ. Le Précurseur n'a-t-il pas a été pris pour le Messie lui-même ? Nous avons aussi trouvé « quelque ressemblance an saint Jean de M. Lehman avec " celui re[)résenté par une miniature du Livre d'Heures du « roi Henri IV. On sent que cette douce physionomie peut, « à l'occasion, se contracter de colère et lancer aux Phari- « siens le terrible anathème : Race de vipères ! »

Il n'y a pas ici d'obscurités ni d'ambages; c'est aussi clair que le jour. Jean l'Evangéliste a été le Précurseur de son divin Maître ; c'est le Précurseur Jean-Baptiste qui a écrit l'Evangile et l'Apocalypse ; c'est Jean l'Evangéliste qui prê- chait dans le désert de Judée et qui, voyant des Pharisiens impénitents venir solliciter le baptême dans le Jourdain, s'écria : « Race de vipères, qui vous a appris à fuir la colère (S. dont vous êtes menacés ? » Bref, ces deux saints n'en font qu'un seul, qu'on devrait bien désormais appeler : VApôlre saint Jean-Baptiste VÊvajigéliste.

Il existe des critiques méticuleux qui accordent une im- portance excessive aux questions de chronologie. Ceux-là pourront objecter que le saint Jean qui a baptisé Notre-Sei- gneur, a été décapité avant la passion du Fils de l'homme, et que le saint Jean qui a écrit un évangile^, a continué de vivre longtemps après la résurrection du Sauveur, puisqu'il n'est mort que vers l'an 104 de l'ère nouvelle. Je conviens que c'est une objection qui, au premier abord, a quelque chose de spécieux : mais c'est ici le cas, plus que jamais, de se rappeler qu'en bonne logique il ne faut jamais rejeter un fait évidemment prouvé d'ailleurs, quand bien même on ne pourrait pas en expliquer quelques circonstances restées obscures.

Je me suis parfois demandé comment il se fait que l'évan-

sua SAINT JKAN-n.VPTISTK KT LKS ÉV.wr.ÉLISTIi.S. oO.'J

géliste saint Jean soit le seul apôtre dont on ne connaisse point (le relifpies. Cela s'explique à merveille, maintenant que l'on a constaté l'identité de rËvangéliste avec le Pré- curseur. N'ayant eu qu'un seul corps pendant sa vie, il ne pouvait pas en laisser deux après sa mort. Les reliques de saint Jean-Baptiste sont celles de saint Jean l'Evangéliste. Aussi l'église d'Amiens peut, à juste titre, se glorifier d'un double bonheur, puisqu'elle possède le chef vénéré de celui qui a baptisé Notre-Seigueur, et qui a écrit l'Apocalypse dans la solitude de Pathraos !

Les sculpteurs et les peintres, s'inspirant de l'article du Moniteur, sauront désormais qu'ils peuvent représenter de trois manières différentes l'apôtre saint Jean-Baptiste-l'Évan- géliste, fils de Zacliarie et frère de saint Jacques-le-Majeur. Ils devront lui donner une figure nerveuse, quand il dit aux Pharisiens : Race de vipères...; une figure féminine, quand il n'interpelle pas de la sorte les pécheurs endurcis; enfin, ils pourront fondre ces deux caractères tant soit peu opposés, connue l'a fait la miniature du Livre d'Heures d'Henri IV, et donner au Précurseur une physionomie à la fois douce et rude, calme et agitée, indulgente et sévère, nerveuse et fé- minine, quand ils voudront inontrer que saint Jean ne dit

pas : Race de vipères mais qu'il pourra bien le dire à

V occasion.

N'oublions pas de remarquer un détail important. On sait que les Juifs prirent d'abord saint Jean-Baptiste pour le Messie. On a dit, pour expliquer leur erreur passagère, qu'ils avaient être profondément frappés par la vie mortifiée, la pureté de doctrine et la mission mystérieuse du divin Pré- curseur^ et que, dans l'état des esprits d'alors, il n'y avait qu'un pas à franchir entre l'admiration et l'adoration. M. Dalloz rétablit la vérité sur ce point. Ce n'est pas une

TOMK VI. 43.

594 GRANDES DÉCOUVERTES HISTORIQUES

considération morale, mais une ressemblance physique qui a produit ce quiproquo momentané.

(Ici, je ne puis m'empêcher d'ouvrir une parenthèse^ pour faire remarquer combien les artistes du Moyen- Age ont été peu intelligents. Ils auraient exprimer cette ressemblance qu'avait le Précurseur avec celui qu'on a appelé le plus beau des enfants des hommes : ils n'y ont pas songé. Les clôtures de la cathédrale d'Amiens ont répété dix fois les traits de la victime d'Hérode avec une âpreté qui ne rappelle nullement la figure diiBon-Pasteiir. Je ne voudrais pas affirmer que la physionomie de ces statues ne soit pas nerveuse ; mais à coup sûr elle n'est pas féminine).

L'explication qu'a donnée M. Dalloz sur le motif qui a induit les Juifs en erreur, pourra encore soulever les scrupules des gens qui sont entichés de chronologie ; ils diront que lorsque les Pharisiens allaient trouver saint Jean dans le désert, ils ne pouvaient point être séduits par la ressemblance qu'il avait avec Jésus, puisque les Juifs ne connaissaient guère alors la figure du véritable Messie, qui vivait dans la plus profonde obscurité, et ne s'était point encore révélé par une vie pu- blique. Je ne me charge point assurément de répondre à toutes ces arguties de détail, mais je ne m'en incline pas moins de- vant l'affirmation du Moniteur^ en me disant qu'après tout il y a bien peu de systèmes historiques sur lesquels ne planent pas quelques nuages.

Des savants ont démontré que le premier évoque de Paris et TAréopagite n'étaient qu'un seul Denis; d'autres ont af- firmé que le pape saint Clet n'était autre que saint Anaclet. Il y en a même qui ont condensé trois existences présumées en une seule individualité réelle, et qui ont prouvé que Marie- Magdeleine, Marie, sœur <le Lazare, et Marie, la pécheresse de Naïui, n'étaient qu'une seule et môme Marie.

SUR SAINT JEAIN-IiAl'TISTK ET LES ÉVANGÉMSTES. ^dt)

]j'écrivain du Moniictir, marchant .sur la trace de ces éiu- ditS;, continue à restituer à l'unité les saints qu'on avait eu le tort de dédoubler. C'est la théorie de l'unité qui, du do- maine de la politique, va passer dans les régions de l'his- toire. 11 est probable qu'on ne s'arrêtera pas là. Pourquoi n'appliquerait- on pas ce système de réduction aux deux Tar- quin, aux deux Scipion^ aux deux Catoii, aux deux Pline, aux deux Sénèque, et même aux trois Hérode, aux trois Ciovis, aux trois Childéric? Pourquoi pas aussi aux deux saints Jacques de l'Evangile. N'est-il pas possible que ce soit un seul Apôtre, qu'on aurait appelé mineur^ dans sa jeunesse, et majeur^ quand il aura eu atteint sa majorité?

Ce n'est là, il est vrai, qu'une simple hypothèse que nous ne nous arrêterons pas à développer; nous avons hâte de rentrer dans le domaine des faits bien constatés, en écoutant les nouvelles révélations que M. Dalloz va nous faire sur le farouche saint Matthieu et sur Y Apôtre saint Marc.

IL

« Cette tête rude et sereine, dit M. Dalloz, c'est bien « saint Matthieu, tel que nous l'enseigne l'Histoire, le fa- « rouche publicain devenu l'Apôtre de la loi de charité. »

Les plus petits détails biographiques sont à recueillir quand il s'agit des hommes célèbres, et, à plus forte raison, de ceux que l'Eglise a placés sur ses autels. Il est curieux surtout d'avoir des renseignements intimes sur leur caractère. Nous apprenons ici que celui de saint Mathieu était farouche. C'est un détail intéressant qu'il faut ajouter au peu que nous con- naissions déjà de cet Apôtre.

On sait que les Romains donnaient le nom de publicain au fonctioiniaire chargé de recueillir les impôts ; c'était une es-

.596 GRANDES DÉCOUVERTES HISTORIQUES

pèce de percepteur des contributions directes et indirectes. A cette époque le mécanisme administratif n'était pas aussi avancé que de nos jours, un publicain avait besoin de dépenser autant d'adresse que de paroles persuasives, pour déterminer les Juifs à verser leur argent dans la caisse des dominateurs étrangers. Matthieu, dont le caractère farouche devait l'entraîner à la solitude, a donc été bien mal inspiré de choisir une pareille profession, qui devait le mettre en contact perpétuel avec la société. Mais, hélas ! on ne se con- naît jamais bien soi-même, et le publicain de Capharnaiim ne se doutait sûrement pas qu'il était avec un caractère farouche.

En se convertissant, Matthieu dut nécessairement modifier son naturel. C'est sans doute pour exprimer cette transforma- tion que M. Lehman lui donne une tête rude et sereine : rude, pour rappeler que le publicain était farouche ; sereme, pour montrer que l'Apôtre n'est plus farouche. Comme la peinture est habile à fondre les contrastes et comme elle sait faire re- vivre le passé et rayonner l'avenir à travers le présent !

M. Dalloz, par un excès de modestie, ne s'attribue pas le mérite d'un renseignement qui lui est pourtant tout person- nel ; il le met sur le compte de VHistoire. Nous soupçonnons que l'Histoire^, assez peu causeuse sur saint Matthieu, n'avait révélé à personne jusqu'ici cette appréciation de caractère. Puisqu'elle a confié cette nouvelle au rédacteur du i¥om7ei/;-, il faut en conclure qu'elle a pour lui des faveurs toutes spéciales et qu'elle lui réserve des communications confi- dentielles, refusées à tout autre qu'à lui.

m.

Ecoutons maintenant ce que l'Histoire nous apprend de saint Luc, par V entremise de son secrétaire intime :

SUR SAINT JEAN-IiAI'TlSTE 1':T LES liVANGÉLISTES. T)!)?

« Saint Luc tient le pinceau et peint la Vierge Marie. « M- Lehman s'est souvenu que le prédicateur des Gaules « et de l'Italie, ces deux patries de l'art, est réputé pour « avoir su la peinture. »

On savait ipie saint Luc avait été le compagnon de voyage de saint Paul; miiis on ignorait dans ([uels lieux, après la mort du grand Apôtre, il avait prêché rÉvangile. 11 parait que c'est dans les Gaules, qui étaient alors une des deux pa- tries de l'art. Voilà, certes, un fleuron de plus ajouté à la couronne de l'Eglise gallicane, grâce àla mémoire de M. Dalloz qui a remonté plus haut que les traditions de toutes les églises de France ' .

M. Dalloz nous dit en passant que les Gardes et l'Italie sont les deux patries de l'Art. J'avoue que je croyais à l'Art un plus grand nombre de patries adoptives. J'éprouve d'ailleurs un peu d'hésitation sur la manière dont il faut interprêter ces deux actes de naissance. S'agit-il du berceau de l'art dans l'antiquité? Mais, le Parthénon d'Athènes et les statues de Phidias vont se formaliser, en s'entendant préférer les dol- mens et les menhirs des forets celtiques. S'agit-il du Moyen Age? les cathédrales de Cologne, d'Ulm et de Bamberg,

' Saint Epiphane a dit {adv. her. 51) que saint Luc avait prêché dans la Dalmatie, la Gaule, l'Italie et la Macédoine. Il a confondu les Galates avec les Gaulois que les Grecs nommaient également yaÀaxal. La Galatie, province de l'Asie -Mineure, oùsnint Paulfondaune église,était souvent désignée sous le nom de Gaule grecque L'erreur géographique de saint Epiphane a été repro- duite dans plusieurs Encyclopédies. Aussi nous ne ferons pas un grave re- proche à M. Dalloz d'avoir acceplé sans contrôle l'assertion de quelques Bio- graphies universelles. Saint Paul, dans sa deuxième Epître à Timothée, dit que son disciple Crescent a prêché in Gcdatiam. Saint Epiphane a pensé qu'il s'agissait des Gaules el non de la Galatie. Ici la question peut être débattue, car l'église de Vienne, en Dauphiné, réclame saint Crescent pour son fondateur.

598 GRANDES DÉCOUVERTES HISTORIQUES

se voyant oubliées, vont chercher noise aux basiliques ita- liennes. S'agit-il de temps plus modernes? les ombres de Mu- rillo, de Velasquez, d'Albert Durer, de Van-Dick,deE,ubens et de Rembrandt vont tressaillir de dépit; et l'Allemagne, la Hollande, la Belgique et l'Espagne seront peu flattées d'ap- prendre que l'art n'est qu'un étranger qui s'est borné à faire dans leurs contrées quelques petits voyages d'agrément.

IV.

Nous arrivons à l'évangéliste saint Marc, que saint Jé- rôme, mal informé sans doute, s'est borné à désigner sous le nom de disciple de saint Pierre.

« Le saint Marc, dit M. Dalloz, a bien l'aspect sauvage de l'Apôtre qui prit pour symbole le lion, se comparant à lui: Vox clamautis in deserto. »

Jusqu'ici on n'avait compté que douze Apôtres. Voici le collège apostolique enrichi d'un nouveau membre ; saint Marc est le treizième.

M. Dalloz avait supprimé l'un des deux saints Jean ; il nous offre en échange un Apôtre de plus : nous n'avons pas à nous plaindre.

Cette découverte est d'une importance extrême, mais j'au- rais presque autant aimé qu'elle n'eût pas été faite. Désor- mais je serai obligé de mettre une réserve à mon admiration, quand je considérerai les portails de nos cathédrales, les Apôtres sont invariablement fixés au nombre de douze. Par une fatalité inouïe, saint ^larc a toujours été oublié. Ne pour- rait-on pas réparer cette déplorable omission? Le Gouver- nement ne pourrait-il pas allouer les fonds nécessaires pour corriger cette défectueuse iconographie, et ajouter une trei- zième niche à toutes nos galeries incomjdètes?

SUR SAINT JEAN-BAPTISTE ET LES ÉVANGÉLISTES. !S9'J

Je siivais bien ([uc les artistes du Moyen Age avaient donné le lion pour attribut à saint Marc, parce que cet évan- géliste(je devrais dire cet Apôtre) ouvre son récit en parlant de saint Jean-Ba])tiste, qu'il appelle : La voix de celui qui a crié dans le désert, pour préparer les sentiers du Seigneur. Mais j'ignorais complètement qu'il se fût appliqué à lui-même cette comparaison prophétique d'Isaïe,et surtout qu'il eût, pour ainsi parler, blasonné sa renommée future, en prenant pour symbole le roi des déserts. Je me demande quand et comment il a pu faire ce choix ? S'est-il fait peindre par saint Luc, en lui recommandant de l'accoster d'un lion ? A-t-il voulu montrer par qu'il était aussi sauvage que les ani- maux des forets? Dans quel Musée conserve-t-on ce portrait authentique? En vérité, la joie que j'éprouve en apprenant tant de choses nouvelles, de la bouche- de M. Dalloz, est quelque peu troublée par le regret de ne pas avoir de plus amples détails.

Il en est un pourtant que je suis bien satisfait d'avoir re- cueilli, c'est que saint Marc avait un aspect sauvage. Déci- dément, les Evangélistes avaient une mine peu agréable ! En laissant de côté saint Luc, dont on ue nous donne pas le si- gnalement, je serais assez em.barrassé pour accorder une pré- férence quelconque à la figure de l'un des trois autres. La tête rude du farouche saint Mathieu ne m'est pas plus sympa- thique que V aspect sauvage de saint Marc, et je ne saurais me décider en faveur de saint Jean, parce que j'aurais tou- jours à craindre que sa physionomie ne se contractât de colère pour lancer le terrible anathhne : Race de vipères!

V.

Les érudits peuvent se classer en deux catégories : ceux qui font des notes et ceux qui n'en font pas. Les premiers

600 GRANISHS DÉCOUVERTES HISTORIQUES

abusent souvent du droit de renvoyer leurs lecteurs à des ouvrages qu'il leur serait difficile de consulter. Ces prudents écrivains n'osent faire un seul pas sans s'étayer sur une foule de citations grecques, latines et françaises. S'ils avancent que Dieu a créé le ciel et la terre, ils indiquent vite en note : Voyez la Genèse, chapitre i, verset I, ou, ce qui est de meilleur genre : Cf.Ge?}es., cap. i, /. î, ap. Bibl. vulgat. ex edit. Sixti V et démentis V7//, Ro7nœ, 1592, inf, f 3, r". S'ils se hasardent à dire que le vainqueur d'Austeriitz et deMarengo a été un grand guerrier, ils renvoient le lecteur aux Mémoires de Bourrienne, de Montholon, de Constant, de Montiguy, de Las Cases, etc., dont ils indiquent l'édition^ le volume, le livre, le chapitre et la page, et même à quel- ques manuscrits conservés à la Bibliothèque impériale ou aux archives de l'Empire. Il y a d'autres historiens, au contraire, qui n'offrent au lecteur que la garantie de leur parole, as- sumant pour leur compte la responsabilité de leurs assertions. Ils ont l'air de dire au lecteur : Croyez-moi ou ne me lisez pas. C'est ainsi qu'en a agi M. Thiers dans son Histoire du Consulat et de l'Empire.

M . Dalloz me semble appartenir à cette dernière école sous ce rapport seulement, bien entendu. Pas une note, pas une seule désignation de sources. Ceux qui n'aiment pas les notes se déclareront satisfaits. Mais comme il s'agit de faits entièrement nouveaux, qui bouleversent toutes les vieilles données historiques, j'aurais assez aimé à voir indi- qués les documents inédits qui ont servir de base à ces systèmes novateurs. M. Dalloz ne l'a pas fait ; c'est le seul reproche que je me crois en droit de lui adresser. Il a évi- demment en sa possession des renseignements manuscrits des premiers siècles, qui sont restés inconnus à tous les histo- riens. Pourquoi ne pas les faire connaître? En les réservant

SUR SAINT JEAlN-UAlTISTE liT LKS ÉVANGÉLISTES. 601

pour lui seul, il s'expose à ce que ses doctrines historiques ne reçoivent pus la sanction de la po[)ularité. Elles resteront le privilège d'un très-petit nombre d'adeptes, et il y aura en- core dans l'avenir une foule d'esprits routiniers qui s'oLstine- neront à croire qu'il y a eu deux saints Jean, que le Précur- seur ne ressemblait pas physiquement à son divin Maître, que saint Matthieu n'était pas autrement farouche, et que saint Marc n'a jamais été Apôtre.

Pour moi, ma conviction est bien arrêtée; j'accepte aveu- glément le cours d'histoire sainte de M. Dalloz, qui, en vingt lignes, m'a appris plus de choses que n'auraient pu le faire vingt in-folios des siècles passés. Aussi je renonce volontiers à la lecture de ces poudreux ouvrages qui se traînent toujours dans l'ornière des opinions reçues, et, persuadé que la science ecclésiastique a besoin d'être un peu sécularisée, je consa- crerai désormais mes veilles à la lecture des Variétés du Moniteur. J'espère avoir toujours la bonne fortune d'y ren- contrer des aperçus historiques qu'il me serait impossible de trouver ailleurs.

J. CORBLET.

SAINTE CÉCILE glorifiée par les Arts,

Le culte de cette vierge martyre remonte aux premiers siècles (lu Christianisme, comme le prouve l'insertion immé- moriale de son nom vénéré au Canon de la blesse, document liturgique de la plus haute antiquité : il figure également dans les premiers ^lartyrologes parvenus jusqu'à nous, entre autres dans celui d'Adon, archevêque de Vienne, au IX« siècle.

Une église fut érigée à Rome sur l'emplacement de la maison elle avait souffert le martyre, au III** siècle, sous le règne de l'empereur Alexandre Sévère. Cette basilique, rebâtie depuis , est devenue un des plus illustres sanc- tuaires de la Ville éternelle, et conserve les restes précieux de sa patronne vénérée.

Le Sacramentaire du pape saint Léon-le-Grand (V® siècle) avait ordonné, en l'honneur de Cécile, une formule de prière très-remarquable.

La France ne fit pas attendre ses pieux hommages ; car notre Missel gallican,, antérieur à Charlemagne, contient^ à la louange de cette même Sainte, un très-bel office, publié par Mabillon.

L'Espagne ne demeura pas en arrière, et les livres de sa

SAINTE ClîClLl!;. (J03

liturgie mozarabe, écrits au VI" ou VII® siècle, consacrèrent non moins éloquemment la mémoire île l'héroïne chrétienne.

Le poète Fortunat, évêque de Poitiers (mort en 599), la nomme parmi les vierges honorées de son temps^ et la pro- clame un des ornements de la Cour céleste.

Ses actes, résumés par le Bréviaire romain (22 novembre), nous la montrent vraiment prédestinée au concert des Anges dans le ciel. Dès sa plus tendre enfance, cette jeune Romaine, issue d'une famille patricienne, mais dédaignant les avan- tages de la naissance, avait voué à Dieu son cœur et sa vir- ginité. Ses parents, imbus des préjugés du paganisme, con- trarièrent son pieux dessein, et lui firent épouser Valérien^ noble Romain, rempli, comme eux, de pensées toutes mon- daines. Le jour des noces, tandis que des voix mélodieuses et d'agréables instruments chantaient les douceurs de l'hymen et les triomphes de l'amour profane, Cécile, recueillie en soi- même, adressait à Dieu un hymne intérieur de louange et de supplication : Et cantantibvs organù, illa in corde suo soli Domino decantahat. Ces termes textuels d'une suave légende donnèrent lieu, sans doute, d'attribuer à sainte Cécile le pa- tronage de l'harmonie et de rattacher à sa mémoire l'inven- tion de l'orgue, symbole par excellence de la musique reli- gieuse.

Dieu exauça les prières de son humble servante, et en- voya un Ange pour préserver de toute atteinte cette chaste épouse de Jésus-Christ, qui appartenait au ciel avant d'être fiancée à Valérien.

Ce jeune païen, son frère Tiburce, et d'autres infidèles en grand nombre durent leur conversion à ce mariage, miraculeusement transformé en apostolat.

Les Pères de l'Eglise ont à l'envi célébré les glorieux mé- rites de la sainte martyre. Son panégyrique figure égale-

604 SAINTE CÉCILE

ment parmi les ouvrages des docteurs du Moyen-Age, tels que Guillaume d'Auvergne, évoque de Paris, Albert-le- Grand, et autres théologiens.

Les prédicateurs français du XVIP siècle suivirent ces beaux modèles, et traitèrent le même sujet; nous pouvons nommer, entre tous, le Père Sénault. de l'Oratoire : ce bril- lant panégyriste de la courageuse vierge romaine s'élève à une grande hauteur de pensées et d'images, quand il vient, à parler de l'art distingué que cet auge terrestre aimait à cultiver.

De nos jours, un pieux et savant écrivain, dom Guéranger, fondateur de la nouvelle Congrégation des Bénédictins de France, a publié une remarquable Vie de sainte Cécile. Dans ce travail plein d'érudition, il explique parfaitement comment la chrétienté a proclamé sainte Cécile la reine de r harmonie.

L'art que Cécile aimait, et qu'elle a sanctifié par ses vertus sublimes, ne s'est point montré ingrat envers sa mémoire.

Au XVI' siècle, dom Maur Chiaula, bénédictin de Palerme, mit en musique un drame sacré, moitié latin et moitié ita- lien, de Théophile Folenge, religieux du même ordre; sainte Cécile était le sujet de cet oratorio, qui fut exécuté dans une église de Palerme, à l'instar des mystères du Moyen-Age ' .

Le siècle suivant goûta les belles hymnes latines que notre grand lyrique Santeuil^, l'Horace chrétien de la France, avait composées pour l'office de cette même vierge -martyre.

Le protestantisme anglais, bien qu'hostile au culte des saints, a respecté le nom de Cécile ; et la solennité du 22 no- vembre a trouvé grâce devant l'hérésie, du moins comme fête civile et artistique. On la voit inscrite au calendrier de l'église

' ZiEGELBAi'Jtu, niai. lui. 0. s. B. pars secunda, p. 346.

GLORIFIÉE PAR LES ARTS. 005

anglicane, (le munie que snr celui de Rome. Voltaire va nons expliquer, à sa manière, cette bizarrerie frappante : « Les rois « d'Angleterre, qui ont conservédans leur île Ijeauconpdeleurs it anciens usages, perdus dans le continent, ont lenr poète « eu titre d'office; il est obligé de faire tous les nus, une ode « à la, louange de sainte Cécile, qui jouait si merveilleuse- « ment du clavecin ou du psaltérion, qu'im Ange descendit « du ciel pour l'écouter de plus près ' . »

Vers la fin du XVII" siècle, le célèbre Dryden, un de ces poètes en titre iVoffice, eut à payer le tribut annuel, et s'en acquitta d'une façon remarquable. Ses deux odes de circon- stance sur le pouvoir de la musique sont réputées le chef- d'œuvre de la littérature anglaise dans le genre lyrique ; un beau désordre y règne,- tout y respire l'enthousiasme et le feu sacré. Elles ont été plusieurs fois mises en musique, no- tamment en 1755, par l'illustre allemand Georges-Frédéric Haendel, le maestro adoptif de nos voisins d'Outre-Mauche, dont le ciel épais n'a produit jusqu'ici aucun compositeur passable.

Après Dryden nous pourrions citer Congrève, Addisson, Pope et d'autres, qui remplirent avec honneur la même tâche. Ce thème poétique exerça, pendant plusieurs siècles, le ta- lent des versificateurs britanniques; nulle part, peut-être, sainte Cécile n'a obtenu de plus magnifiques éloges que sous les brumes de la froide et positive Albion.

La peinture et la sculpture ont pris soin, comme l'éloquence et la poésie, de célébrer l'auguste patronne de la musique. Une indication sommaire des principales œuvres inspirées par cette Heur de nos légendes chrétiennes ne sera peut-être pas sans intérêt.

' Dict. j)JnIo.<t. au mot poètes.

C06 SAINTE CÉCILE

Les Catacombes d'abord renferment deux images bien vé- nérables, dans la partie la mieux connue de ces vastes sou- terrains, où le corps de l'illustre vierge fut primitivement inhumé. Ces peintures, contemporaines de son martyre, re- montent par conséquent au IIP siècle : l'une est un frag- ment de mosaïque provenant du cimetière de Saint-Calixte, qui s'étendait sous la voie Appienne : elle représente Cécile et son fiancé Yalérien, vêtus et drapés à la Romaine, la tête rayonnante du nimbe des bienheureux, et tenant à la main la couronne du martyre. L'autre image a été découverte, de- puis quelques années seulement, sur un pan de muraille du cimetière de Saint-Cyriaque inexploré jusqu'alors : cette figure, d'un grand et beau type, nous montre une femme richement parée, avec l'inscription authentique : Sanda Cœcilia ; ses attributs symboliques sont les mêmes que dans la précédente. Ces deux peintures ont été reproduites, avec leurs vraies couleurs, dans le splendide ouvrage de M. Louis Perret sur les Catacombes (t. i, pi. 75, et t. m, pi. 39). On voit par ce fac-similé qu'elles furent exécutées rapidement, seule manière dont les artistes chrétiens pussent travailler en ces temps de persécution, ils décoraient à la hâte les tombeaux cachés des saints Martyrs.

Lorsqu'au IX^ siècle (vers 821) le pape Pascal P'' tira de sa sépulture primitive le corps intact de Cécile, pour le trans- férer dans la basilique érigée en son honneur sur le lieu même de son supplice, il fit orner l'abside de mosaïques par- venues jusqu'à nous. Le docte archéologue Ciampini en donne la description accompagnée de planches [Vetera mo- nimentay t. Il, p. 116, col. 2 et p. lo8 : une de ces cu- rieuses gravures (p. 160) nous remet sous les yeux Cécile et Valérien; l'un et l'autre ont la tête entourée du nimbe, et tiennent en main la couronne des élus ; la vierge romaine est

GLORIFIEE ÏAR LES ARTS. G07

vetiie en mariée ; sa physionomie respire une douce séré ni té.

Cette église, déjà fort ancienne, acquit une nouvelle splen- deur sous les auspices de Pascal I^^ Ce même i)()ntiie la gra- tifia d'objets précieux, entre autres d'un magnificpu; orne- ment de couleur pourpre et or, d'habiles mains avaient retracé quelques épisodes de la légende ' .

Ce sanctuaire privilégié, restauré à différentes re[)rises, s'enrichit successivement de chefs-d'œuvre, parmi lesquels on distingue les tableaux le Guide a traduit les prin- cipales circonstances de la vie et de la passion de Cécile ; mais le plus beau morceau, est sans contredit, une statue sculptée par Etienne Maderne, à la fin du XVP siècle, re- présentant la sainte martyre couchée sur le côté, posture modeste qu'elle-même prit en expirant, et qu'elle avait gar- dée dans le sépulcre le pape Pascal la retrouva, comme au jour de sa mort.

Vers 1450, le pieux fra Giovanni di Fiesole, dit VAngelico, plaçait sainte Cécile dans le tableau du Couronnement de la Vierge et des Miracles de saint Jérôme, destiné au couvent des Dominicains de Fiesole, ce peintre était moine profès; on l'admire maintenant au Musée du Louvre.

Au XVIe siècle, Jacques de Puntormo peignit à fresque une sainte Cécile, tenant des roses à la main, au-dessus de la porte d'un bâtiment de Fiesole, le Poggio^ alors occupé par une confrérie artistique et pieuse, érigée sous l'invoca- tion de cette Sainte .

Au commencement du môme siècle, le divin Raphaël fit un merveilleux tableau de sainte Cécile pour l'église Saint- Jean du Mont-de-Bologne. Dans cette ravissante composition,

' Anastask, de VU 2)ontif., t. i, p- 268.

608 SAINTE CÉCILE

lii mélodieuse vierge, aux pieds de laquelle gisent épars les emblèmes de la musique protaue, abaisse son psaltériou an- tique, et, le regard fixé vers les cieux, écoute les harmonies plus parfaites que des Anges exécutent au-dessus de sa tête. A ses côtés sont groupés saint Paid, saint Jean l'Evangéliste, saint Augustin et sainte Madeleine, auditeurs attentifs et recueillis du concert céleste.

Ce chef-d'œuvre incomparable, que Vasari appelle u?ia tavola divina e non pinta (un tableau divin plutôt que peint de main d'hommei, était sur bois. A la fin du siècle dernier, on l'apporta à Paris, pour le mettre sur toile et pour le res- taurer, par un procédé ingénieux que les Italiens ne connais- saient pas alors. Cette opération ayant bien réussi, on l'ex- posa en 1802, au Louvre, le public vint l'admirer. Nous le possédions par droit de conquête ; mais il fallut, an grand regret des connaisseurs, le rendre aux Bolonais, après les événements de 1815, qui nous ont obligés à restituer à l'Italie et à l'Allemagne plusieurs joyaux du même prix.

Une autre église de Bologne, dédiée sous le titre de Sainte- Cécile, avait été peinte à fresque, aux XV° et XVP siècles, par Francia et ses élèves; l'histoire de la patronne leur avait fourni le sujet de cette œuvre magistrale.

Le Dominiquin, une des gloires de l'école bolonaise, au XVir siècle, embellit de cinq fresques la chapelle de Sainte- Cécile, dans l'église de Saint-Louis des Français, à Eome : ces pages se déroule la légende, subsistent, quoique alté- rées par différentes restaurations ; une d'elles représente la noble et charitable Romaine, distribuant ses biens aux pauvres; une autre retrace les douloureuses circonstances de sa mort ; la dernière nous la montre, non plus au milieu des tourments, mais déjà dans le ciel, associée au chœur des bienheureux et jouant du violon, tandis que ses compagnes

GLORIFKE PAU LES ARTS. G09

émues eiitoiment les louanges de Dieu. Le mC'me sanctuaire garda longtemps une copie de la sainte Cécile de Raphaël, faite par Le Guide.

Outre ces peintures murales, Le l)(jnruiiquiu consacra spécialement deux tableaux sur toile à la sainte musicienne. Le premier montrait Cécile assise devant un orgue dont ses doigts parcouraient le clavier, tandis qu'un chœur d'Anges groupés au-dessus d'elle se joignait à ses accords. Dans le second, la bienheureuse joue de la basse de viole, en chan- tant les paroles traditionnelles du psaume 118 : Fiat cor memn immaculatum ut non confiindar ! Sa figure respire une tendre piété ; un Ange, messager du Très-Haut, lui sert de pupitre, en lui tenant le livre noté. Par cette allégorie, le peintre a voulu exprimer combien les vœux et les prières de Cécile étaient agréables au Seigneur, et combien ses purs accents délectaient même les Esprits célestes. Louis XIV fit acheter pour sa galerie ce dernier ouvrage, qui se voit au Musée actuel du Louvre.

Un contemporain du Dominiquin, et de la même école. Le Guerchin, nous a laissé une autre sainte Cécile touchant l'orgue ou le clavecin : elle appartient également à la collec- tion du Louvre.

Les Carraches reproduisirent à fresque la légende en- tière, dans le cloître deSaint-Michel-du-Bois, à Bologne ; l'un de ces tableaux, imité de Kaphaël, idéalisait la sainte musi- cienne, ravie en extase, à l'audition miraculeuse des mélo- dies ineffables, et jetant à terre son instrument, par humilité. Il paraît que ces peintures précieuses sont maintenant expo- sées aux intempéries de l'air et dans un état déplorable '.

Le digne élève des Carraches, Guido Reni, a peint Cécile

' Du Pays, Itinéraire de l Italie, p. 412.

TOME VI. 44

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s'appuyant sur lui clavier d'orgue, et tenant une palme, double symbole de son talent et de son martyre. Cette pro- duction de la première et meilleure manière du Guide, ap- partient au p.'dais ducal de Lucques.

Cantarini, disciple du Guide, peignit, à l'instar de son maître, une sainte Cécile touchant l'orgue, et, à côté d'elle, un Ange attentif : le Musée royal de Munich garde ce tableau estimé .

On cite encore deux saintes Cécile de Carlo Dolci, peintre florentin du XVIP siècle, échues, l'une à la galerie du pa- lais de l'Hermitage de Saint-Pétersbourg, l'autre au Musée royal de Dresde.

Déjà, avant le Dominiquin, le Guerchin et le Guide, on avait du Parmesan une sainte Cécile, jouant aussi de l'orgue, suivant la tradition admise. *

Rubens la peignit de môme dans un tableau indiqué comme appartenant à la galerie du château royal de Postdam. Il traita plusieurs fois cette figure d'après d'autres données; par exemple, il en orna la voûte de l'église des Jésuites d'Anvers, incendiée en 1718.

Van-Dick, imitateur en cela du Dominiquin, la représente jouant du violoncelle, et accompagnée par un chœur d'Anges qui plane au-dessus de sa tête.

Ces exemples, et d'autres dont j'omets la nomenclature, démontrent que les écoles de Flandre et d'Allemagne ne res- tèrent pas en arrière de celles d'Italie, pour varier un thème plein de charme. Les gravures sur bois d'Outre-Rhin, l'a- vaient aussi popularisé, au XVP siècle, par des images très- répandues alors ; entre ces produits naïfs et parfois gracieux de l'ancieime xilographie germanique, je citerai la fameuse chronique de Nuremberg, imprimée dans cette ville en 1493. Une des deux mille estampes, mêlées au texte latin de cet

GLORIFIÉE PAR LES ARTS. (ill

énorme in-tblio, curieux prototype de nos livres illustrés, offre un luiste de sainte Cécile modelé à l'antique.

Notons, en passant, les stalles historiées de la cathédrale d'Ulm, (|ui exhibent, dans la variété d(^ leurs sculptures, l'iniage de la sainte martyre.

L'école espagnole du XVIP siècle nous offre une sainte Cécile de Zurbaran, Cette toile a fait momentanément i)artie d'une collection que le roi Lous-PhUippe avait formée au Louvre, et qui a été vendue en détail après la catastrophe de 1818.

Nous arrivons enfin à des œuvres françaises.

Avant les grandes compositions apparaissent les minia- tures du Moyen-Age ou de la Renaissance. Le XV siècle nous a légué, en ce genre, un véritable bijou, à savoir, le riche Missel de Jean Ju vénal des Ursins, que j\[. Ambroise Firmin Didot, le savant typographe-bibliophile, vient d'ac- quérir et de céder sans bénéfice à la ville de Paris. Il en a retracé les beautés dans une bonne Notice, se trouve l'in- dication suivante : « On ne saurait rien voir de plus gra- « cieux ni de plus touchant que la miniature qui nous repré- « sente sainte Cécile dans sa chambre nuptiale, disant à son « jeune époux Valérien qu'un Ange la protégeait, et que « depuis longtemps elle était fiancée au divin Maître. Au " moment elle le convertit, un Ange descend sur eux, et " les unit en posant sur leurs têtes les couronnes du mar- « tyre. »

Du XV siècle nous passons au XVIP, et des petites mi- niatures à la peinture magistrale. Le Musée de ]\Iontpellier possède une belle sainte Cécile attribuée à la jeunesse du Poussin. Son ami, Jacques Stella, en fit une autre pour les Jésuites du collège de Lyon. Puis, le gracieux Mignard vint imiter avec bonheur d'illustres devanciers ; cette composition.

612 SAINTE CÉCILE

primitivement destinée au château de Versailles, a pris place au Musée du Louatc. La Sainte est coiffée d'un turban ; elle est assise, lève les yeux au ciel, et chante en s' accom- pagnant de la harpe : un Ange debout et appuyé sur son genou, tient un livre de musique ouvert; à gauche, on voit une basse de viole, posée contre une table recouverte d'un tapis; à droite, gisent épars plusieurs autres instruments. Dans cette brillante page, Mignard s'est souvenu à la fois de Raphaël et du Dominicpiin; mais^ tout en leur empruntant, il a su imprimer son cachet individuel aux idées que l'un et l'autre lui avaient fournies.

Pour couronner cette glorieuse série de monuments iconographiques, Paul Delaroche exposa, au salon de 1837, une nouvelle sainte (décile , qui a été bien gravée par M. Forster.

Le suffrage public, ratifiant les éloges unanimes de la presse, rangea cette délicieuse composition parmi les meil- leures productions d'un génie habituellement heureux et sympathique. C'était son premier essai de peinture reli- gieuse ; mais il prouva que son talent flexible pouvait s'éle- ver tout d'abord aux plus hautes conceptions d'un genre nouveau cependant pour lui. D'ailleurs, en restant soi-même dans le libre usage des thèmes classiques et dans le rajeunis- sement spontané de la figure traditionnelle, le peintre favori du dix-neuvième siècle s'était approprié habilement les in- spirations tombées dans le domaine commun de l'art. Les maîtres ont toujours aimé ce suave et fécond sujet d'étude ; probablement, P. Delaroche ne sera pas le dernier de ceux qu'aura inspirés cette personnification touchante de l'hé- roïsme chrétien dans la femme régénérée, ce mélange sur- humain de force et de douleur, ce type accompli de l'âme pure, cette poésie intime d'un cœur transporté au-dessus

GLORIFIÉE PAR LES ARTS". (il 3

(les affections terrestres sur les ailes de lu loi et de l'amour divin.

La sculpture moderne a voulu payer également son tribut d'hommage; M. Foyatier exposa, au salon de 1815, une statue de sainte Cécile, qui, nous devons le dire, fut sévère- ment critiquée...

L'ancienne peinture sur verre avait souvent revêtu de ses plus riches coideurs les actes de l'illustre martyre : les fe- nêtres historiées de nos vieilles basiliques conservent des ■fragments précieux de sa légende, popidaire au Moyen- Age; témoin la métropole de Bourges, les imagiers du treizième siècle l'ont fidèlement retracée.

La splendide église d'Alby porte le titre de Sainte- Cécile, dont le culte y demeure vivace et fervent, après tant de siècles et de révolutions. Outre les témoignages quotidiens de la confiance des populations, cet admirable vaisseau voit, chaque année, le 22 novembre, les virtuoses du Languedoc accourir de quinze ou vingt lieues à la ronde pour fêter di- gnement, sous ses voûtes antiques, leur chère et vénérée patronne.

Ces souvenirs, et d'autres que des recherches plus éten- dues nous révéleraient sans doute, démontrent bien l'ancien- neté de la dévotion à sainte Cécile, perle choisie dans le riche écrin des légendes romaines. En adoptant le même patronage, les nouvelles sociétés chorales de France ont suivi une louable impulsion du passé.

L'harmonie, à laquelle le paganisme avait donné pour pro- tecteurs le dieu Apolton et la muse Euterpe, de mythologique mémoire, a retrouvé dans Cécile une sainte titulaire. Mais quelle difîërence profonde entre ces deux ordres d'idées ! D'un côté, l'empire des passions, le culte des sens, le charme frivole d'une audition souvent dangereuse ;derautre.

614- SAINTE CÉCILl': GLORIFIÉE l'AR LES ARTS.

la vertu et la pureté personnifiées. Les vibrations éthérées de la lyre chrétienne ont-elles jamais troublé la paix ou l'inno- cence du cœur? Tel est l'incontestable avantage des chants sacrés sur les modulations profanes : cette supériorité mo- rale du sentiment religieux faisait dire à un éminent com- positeur, Lully : « Je donnerais volontiers mes airs d'o- péras les plus estimés pour la mélopée anticpie et simple des préfaces du Missel romain. » L'Eglise a divinisé en quelque sorte la musique et les autres arts, en les appliquant aux louanges du vrai Dieu; sainte 'Cécile, substituée sur nos autels aux déités mensongères du Parnasse, exprime admira- blement cette heureuse transformation. Puisse-t-elle donc inspirer et bénir ceux qui l'invoquent comme leur reine! Puissent leurs accents rester toujours dignes d'une si haute protection et d'une origine céleste! Car, ainsi que l'a dit Chateaubriand : << Le chant nous vient des Anges, et la « source des concerts est dans le ciel. Le Christianisme « a inventé l'orgue et donné des soupirs à l'airain même. 11 « a sauvé la musique en des siècles barbares. »

A. DUPIIE, Bibliothécaire de la ville de Blois.

P. S. Si les limites restreinles de cet article nous l'avaient permis, nous aurions pu parler de quelques autres tal^leaux figure la patronne de la Musique. Nous nous jjornerons, en terminant, à mentionner le Marti/re de saillie Cécile, [lar Jules Romain, dans les thermes du palais Valérien, à Rome; un tal)le;iu de Jean SchefFer, au musée de Vienne, en Autriche; sainte Cécile louchant de l'oryue, par Lucas de Leyde ; sainte Cécile plongée dans une chaudière d'huile bouillante, par Circiniaco, à Sainl-Etienne-le- Rond, à Rome; sainte Ceri/e, par Vanius, cti'.

LA MORT DE SAINT JOSEPH Tableau attribué à Raphaël.

On s'occupe beaucoup (l;i!is le monde artistique d'un nui- gnifique tableau représentant la mort de saint Joseph, qu'on attribue à Raphaël ( V. la gra vivre qui est en tête de cette livraison) .

Cette toile ne mesure que 47 centimètres de largeur sur 45 de hauteur. Elle est longtemps restée ignorée, parce qu'elle a été transmise, de génération en génération, dans une même famille de Eome. M. l'abbé Nicolle, secrétaire de Son Eminence le Cardinal di Pietro, vient de mettre ce tableau en vente au prix de huit millions. Dans une Notice explica- tive qu'il a publiée, il laisse déborder son enthousiasme pour ce chef-d'œuvre qu'il dit être tout entier de la main de Raphaël, supérieur à la Transfiguration et à tout ce que le génie humain a produit de plus inspiré.

Saint Joseph, couché sur son lit d'agonie, va rendre son âme à Dieu. Ses yeux sont fixés sur le ciel il va trouver la récompense de ses vertus. A sa droite, le Sauveur lui soulève la tête pour recueillir son dernier soupir et semble lui révéler les secrets de l'éternité. De -l'autre côté, on voit Marie oppressée d'une profonde douleur que tempèrent pour- tant la résignation et la foi.

Les critiques et les artistes qui partagent l'opinion de M. l'abbé Nicolle, invoquent une tradition qui affirme que Raphaël a exécuté cette œuvre, pendant sa dernière maladie, pour se préparer à la mort du juste. Ils y reconnaissent son dessin et sa couleur.

616 UN TABLEAU ATTRIBUÉ A RAPHAËL.

Le Journal des Beaux-Arts est loin de souscrire à cet avis : « Ce tableau, nous dit-il, de beaucoup postérieur à l'époque de Raphaël, procède de l'école française et ressemble à un Lesueur déteint. Ni le style, ni les caractères, ni le dessin, ni la couleur ne sont de Raphaël, ni même ne rappellent de loin Raphaël. »

Un de nos amis, dans les Annales de Saint-Joseph, apprécie ce tableau de la manière suivante : « Un raccourcis des plus savants caractérise le sujet principal dont la tête et le torse peints en pleine lumière, sont vraiment forts beaux; les traits de la Vierge sont nobles et dignes en tous points d'un personnage aussi sublime ; mais, en compensation, le Christ est lourd et même, convenons-en, un peu vulgaire. Il nous a été donné, pendant nos voyages, d'étudier beaucoup de vrais Raphaëls et aucune des trois manières du maître ne nous a rien offert qui, de près ou de loin, ressemblât au tableau de M. Nicolle. »

M. Ch. Pelloquet, dans un article du Monde illustré, trouve dans la Vierge un souvenir confus d'André del Sarto, mais il reconnaît le style éclectique de l'école bolonaise dans l'en- semble de la composition.

Un artiste belge, M. Picqué, croit reconnaître dans cette toile une esquisse faite pour une fresque de Carlo Maratti qui aurait été gravée, en contre partie, par Rob.-Van. Au- denaerde.

Quelle que soit la divergence des opinions sur l'auteur de ce tableau, ce n'en est pas moins une œuvre éminemment remarquable, respire une grande élévation de pensées et un grand fini d'exécution. 11 est donc vivement à désirerque l'administration du Louvre puisse acquérir ce chef-d'œuvre et que, d'un autre côté, M. l'abbé Nicolle abaisse ses préten- tions à un chiffre abordable. j. o.

à

REVUE DE L'ART CHRETIEN

5,6, Sandales attribuées an B Eqinon , eveqiae de Vérone + BC2

7,8,9, lO.Sanaales ecclésiasiiriues prises surb'ois maiiusm^s d-uX!': silcle

11. Sandale d Arno-ult 1" Arrhevêque de Trêves + 1183.

12. Sandale de Philippe de Dreux eveque de Beauvais + 1217 .( d'après son lombeau

13. Sandale Je-A/illia-m deWanefle^e /eveque deWinclieskr.U^? -i486.

LES SANDALES ET LES BAS

(.INQUIEME ARTICLE

CHAPITRE VI.

s A W D A L E s E P I S C O P A L E S .

Forme, matière et couleur. Suivant toute probabilité, rorigine d'une chaussure, exclusivement affectée aux céré- monies du culte, remonte au pape saint Etienne I (255-257), qui interdit au clergé l'usage des vêtements sacerdotaux hors de l'enceinte sacrée ' . La première chaussure épiscopale fut incontestablement la solea [fig. l), semelle attachée au moyen de deux courroies latérales, croisées sur le cou-de- pied, lesquelles, après avoir contourné le bas de la jambe, venaient se réunir à un appendice en métal ou en cuir (06- strayuluin), placé entre le gros orteil et le doigt voisin. Le pape Pelage II est ainsi représenté sur le grand arc de

* Voir le numéro de novembre, p. 561.

* « Hic constituit sacerdotes et levitas ut vestes sacratas in usa quotidiano non uti, nisi in ecclesia tantum. » Anastase, 5. Slephamis, 24.

TOMK V Décembre 1862. 45.

618 LES SANDALES ET LES BAS.

Saint-Laurent extra-miiros (578), et les restes d'une statue de saint Hippolyte, évêque et martyr (IIP siècle), font com- prendre qu'elle portait la même chaussure ' .

De la solea^ qui laissait les orteils complètement dénudés, à lucarbatina, la transition ne fut pas difficile. Cette dernière, agreste et populaire, qui ne garantissait que la plante et les bords extérieurs du pied, rentrait, comme la solea, dans l'esprit apostolique. On ignore le moment précis les car- hatinx s'introduisirent dans le costume épiscopal ; mais le nom de campagus qu'elles reçurent d'abord, appartenant déjà à un cal cecunent 11771 impérial de forme analogue, il serait invraisemblable de leur assigner une date antérieure au TV® siècle, lorsque, sortie des catacombes, l'Eglise prit place aux côtés du souverain temporel. D'ailleurs, le terme cam- paguSy spécifiant un vêtement ecclésiastique, ne parait pas avant le YP siècle et, seulement au YIP, on le rencontre ap- pliqué à la chaussure pontificale , bien que tout porte à reculer cette application jusqu'à une époque plus éloi- gnée^.

L'assertion d'un écrivain du VIP siècle et un passage d'Anastase tendraient à faire du campagus un objet exclu- sivement réservé au Pape. Les vers de Théodulfe, cités au chapitre III, et surtout les monuments, dont je m'occuperai tout à l'heure, prouvant que les Evêques portaient le cam- pagus aussi bien que le Souverain-Pontife, les termes absolus de VHypomnesticon ne peuvent toucher qu'à un minime dé-

CiAMPiNi, \Ul. mon., t. II, pi. 28. Anastase, éd. Migne, t. i, p. 1295. Cette statue, provenant des fouilles opérées à Saint-Laurent exlra-muros en 1551, a été déposée au Vatican.

. * S. Grégoire, lib. vin, ép. 27. De Exllio S. Martini PP., v. au chap. préc.

LES SANDALES fcT LES BAS. Gtî)

tail croriiemeiit OU de couleur'. Après le VHP siècle, cain- pagusj, synonyme de sandaliumy dispanùt du vocabulaire liturgique; Amalaire (81:2), Anastase (809) et Durand, qui l'emploient comme une locution vieillie, en altèrent l'ortho- graphe véritable, et, si plus tard, le mot conserve son sens primitif dans quelques Bulles émanées du Saint-Siège, l'ex- ception confirme la règle".

Sauf le calceamentum de Maximianus, à St-VitaldeRavenne (VP siècle), ca/ceame/z/wm. très-analogue à la chaussure actuelle du montagnard des Abruzzes, tous les campagi figurés sur les mosaïques se ressemblent entre eux, qu'ils appartiennent à des Papes on à des Evoques. Ils consistent en une semelle munie d'un quartier, de flancs bas et d'une courte empeigne, soit taillée carrément, soit découpée en cœur ; des courroies croisées ou une bride transversale les attachent au p ied [fi g. 2). La sandale antique gardée à Saint-Martin des Monts (Rome), qu'elle provienne ou non du pape saint Martin (649- 654), constitue un campagus remontant à une époque très- reculée {fig. 4j. Je pense avecRocca que cette chaussure avait

' ft Particula sancti orarii, id est fascialis [S. Martini 1) quée «ibi ab eo di- missa, et unus ex campagis ejus, id est caligis, quos nullus alius inter homines portât, nisi sanctus Papa Roraanus. » Uyi)omn.,dc Anast. apocris., ap. Coll. Anast. Bibl., éd. Sihmond, 1620, p. 259. » Accedens enim Maurianus subdiaconus, orarium de ejus collo abstulit, et iinte pedes ejus projecit et compages ipsius abscidit. ■> Awastase, Sleph. m, 272. (Dégrad. de Con- stantin.)

- « Congruum est ut nosmetipsos absolvamus de sandaliis, sive ut alio no- mine campohis, qui supersunt in pedibus. » De Eccl. off., lib. ii, c. 18. Parmi les Ordo que Mabillon ne considère pas comme postérieurs au Villes., le n" I, se tait quant aux chaussures ; le n" v dit « odhones et campagos et le n" VIII, (Qûomodo episcopus ordinetur) « et induit euin dalmatica, pianota et cmnpobus » Mus. liai., t. ii, p. 6, 1, 64,88, « Dalmaticœ, campagc- rura, etc.... usum tilîi concedimus. » Privil. d'Urbain II à Hugues, abbé de Cluny (1088), ap. Dd Cange. Durakd écrit compagus.

620 LES SANDALES ET LES BAS.

autrefois des cordons et un quartier que le temps, si ce n'est la main des hommes, a fait disparaître '.

Les Annales de l'Eglise Gallicane mentionnent de bonne heure une chaussure épiscopale appelée subtalaris. On lit dans les Actes des Evoques du Mans que saint Innocent (545), saint Iladoin (655), saint Béraire (670), Gauziolène (770) laissèrent par testament et en usufruit fprecariaj à divers abbés « ad opus episcopi cambutta I et subtalares IL » Le legs du dernier était même fort riche : « cambuttam I opti- « mam et subtalares II bene ornatos. » Toutefois, le premier liturgiste, qui applique la dénomination sandalitim à la chaus- sure ecclésiastique, est Bède (VHP siècle). Cet auteur entend par sandale ou solea, un vêtement laissant la partie supé- rieure du pied découverte, et il l'attribue aux prêtres en gé- néral". Amalaire spécifie la sandale épiscopale et la montre assez conforme aux campagi de notre planche ffig. 2 et A). On y voit, en sus de la semelle, une empeigne et un quartier non adhérents l'un à l'autre ; une languette prolonge l'em- peigne sur le cou-de-pied ; la chaussure entière est doublée de peau blanche, fortement cousue à la partie externe autour de l'entrée du pied ; des courroies servent à l'atta- cher ^. Walafrid Strabon (842) se borne à ranger au nombre

Revue arcJi., t vu, pi. 145. V. Cl^mpini, loc. cit., })1. 29, Honoiius I et Symmaque (S -Agnès, 626| ; pi. 31, Jean IV, Théodore I, saint Venance et saint Domnio, évoques (Oiat. de S. -Venance, 641); pi. 37, Giégoire IV et saint Mai'c pape (S. -Marc, 774). Tkes. pont, antiq., t. il, p. 379, pi.

- Mabillow, Ànalecta, p. 246, 269, 273, 286. « Induunt quoque sacer- dotes pedes sandaliis. » De Sept. ord. Proinde Marcus dicendo calceari eos sandaliis vel soleis, aliquid hoc calceamentum mysticae significationis habere admonet, ut pes nec tectus sit neque nudus ad terram, id est nec occultetur evangelium, nec tenenis commodis innitatui'. » In Marcmn, c. vi, lib. ii ; Op. \, p. 58.

' « Lingua de albo corio quœ subtus calcaneum est.... Lingua quae inde

LES SANDALES ET LES DAS. 621

(les ponli/iralia les sainlnles, que lllmbaii Maur (817), à l'exemple de Bcde, nomme soleœ sacerdotis, eu rapportaut leur origine au texte de saint j\[arc. La Messe de Ratold (986)- les mentionne, tandis que le Sacramentaire de saint Grégoire, la Messe d'Illyricus et le Pontifical de saint Pru- dence (8i0) sont muets à leur égard ' . Le fîiux Alcuni (après 1000) développe les idées de Klniban Maur : « Sandaliœ di- cuntur solea3. Est autem genus calceamenti quo induiintur ministri ecclesiœ, subterius quidem solea muniens pedes a terra, snperius vero nil operimenti liabens : patet, quo jussi sintApostoli a Domino indui. » Ives de Chartres (1097) et Hugues de Saint- Victor (1120), moins absolus, accordent une empeigne tailladée à la sandale, dont Rupert de Tuit (1111) fait un ornement réservé aux évêques, « sandalia pon- tificis*. » Honorius d'Autun (1150), au livre I, chapitre 210 du Gemma animœ, reproduit sensiblement le texte d'Ama- laire ; mais, chapitre 209, après avoir dit que sandalium dérivait de sandyœ (plante à fl-eurs écarlates) ou de sandaraca (rouge orangé), couleur avec laquelle on teignait cette chaus-

surgit el est separata a corio sandalioium Lingua superior... At intiinsecus

de albo corio circumdala sunt sandalia Superior pars sandaliorun» per

quam pes intrat, multis filis consuta est, ut ne dissolvanlur duo coria.... Lingua quse super pedem est.... Corrigias supererogatas sandaliis. » De EccL off., lib. 11, c. 25.

' De Reb. eccl., c. 24. « Induunt quoque sacerdotes pedes sandaliis sive soleis, quod genus calceamenti evangelica auctoritate eis concessum est ut Marci evangelium testatur. » De Inslit. clerlc, lib. i, c.22. S. Grkgoike, Op. compL, t. III. u Deinde ministcr det sandalia (^episcopo). » De Ant. eccl. rit., t. i, p. 541 et Ihid.., Ord. iv et vi.

- De Div. off., c. Quid sign. vest. « Habent autem ad terram soleam integram, ne pes tangat ad terram : supra vero constat ex corio quibusdam locis pertuso. » Sermo de sign. induvi. saccrrf., ap. Hittoup, p. 417, C. V. Sandalia... intégra sunt inferius... et desuper sunl forata. » Spec. eccl., c. 6 et De Sacram., c. 54. De Div. off., lib. l, c. 24.

622 LES SANDALES ET LES BAS.

sure, raiiteiir iiientioniie aussi la tradition apostolique et les ouvertures pratiquées daus l'empeigne ' . Sicard de Cré- mone (H 95) ajoute aux donuées précédentes que la sandale pouvait avoir quatre languettes, ou tout au moins deu:s:, ser- vant de ligulœ aux courroies d'attache : Innocent III (1198) définit l'empeigne « corium fenestratum -. » Durand (1290) ne modifie en rien les idées de ses devanciers quant à la forme des sandales. Saint Charles Borromée rapporte que l'empeigne était jadis fenestrée, preuve qu'au XVP siècle cet usage n'existait plus depuis longtemps ^

Jean Diacre (870) qui décrit une figure de saint Grégoire- le-Grand, peinte au temps de ce Pape (590-604) dans la cha- pelle de Saint-André près l'église Saint-Grégoire, à Kome, en néglige la chaussure : Rocca s'étonne d'un tel silence et le traite d'oubli ''. L'omission me parait peu regrettable, car, selon toute probabilité, si l'écrivain avait parlé des chaussures de son personnage, il se serait borné à une simple mention comme il l'a fait au sujet des caligœ de Gordien, père de saint Grégoire et nous n'en saurions pas beaucoup davan- tage.

Amalaire enseigne que les sandales liturgiques étaient en cuir noir, qu'une bande étroite, travail du cordonnier, par- tait de la languette supérieure pour aboutir à la pointe du

' " Sandalia a sandica herba vel a sandaraco dicuntur quo dopingi ferun- twr... Est aiitein genus calceamenti incisi, quo partini pes tegitur, partim nudus cernitur. »

* « Habens lingiias quatuor, vcl ad minus duas bgandas, unam supra pedem, alteram a calcaueo surgontem. » MHrale, Cod. Vatic. 4975, p. 20. Myst. fliis., bb. 1, c. 48.

■^ Rat. div. ojf., bb. m, c. 8. « Qure fenestrata etiam superne obm fuisse non sine myst(M-ii ratione. » Acta Eccl. MedioL, De Snpp. Mis., 3.

'* .?. Gregorii Vila, bb. iv, c. 84. TItcs. ponl ant., t ii, p. 374.

à

LES SANIJALKS ET LES 13AS. 023

pied et, (jiic de ehaque coté de cette l)ande s'échappaient des galons tiaiisversaux, llonoriiis d'Autiin éoit que rempeigue des sandales, faite avec la peau d'un animal niurt, était nuire, après avoir plus haut donné à entendre qu'elle était rouge orangé. Sicard de Crémone admet des sandales en cuir, soit noir, soit rouge, doublées de peau blanche, piquées, galon- nées et ornées de pierreries '. Durand ne parle également que du cuir comme matière des sandales; mais outre le rouge et le noir, l'évoque de Mende reconnait qu'elles étaient aussi parfois d'autres couleurs. Saint Charles garde le silence sur ces questions de détail. Bonanni avoue que les sandales du Souverain Pontife et des Evoques sont depuis longtemps closes à l'instar de nos souliers, qu'elles ne sont plus en peau, mais en soie teinte d'une couleur correspondante à celle de la fête du jour et que la seule différence, établie entre les chaussures papales et épiscopales, réside dans une croix d'or brodée sur les premières ". Cette croix, à tort ou à raison, l'épiscopat français tout entier l'arbore aujourd'hui. Le même auteur, traitant des mules que porte le Saint Père en habit ordinaire, dit qu'elles sont en étoffe rouge, sans oser fran- chir le XVP siècle pour trouver l'origine de l'adoption de cette couleur. Des titres bien plus anciens existent cepen-

' " Extiinsccus vero nigrum apparct Linea opère sutoiis facta, pio-

cedens alingua sandalii usque ad finem ojus... Linese procedentos ex utiaque parte. « De Eccl. off., loc. cit. « Fiunt autcm sandalia ex pellibus ani- malium mortuorum. » Gemma an., lib. i, c, 210 et 209. « Intus album, foris nigrum vel ruljeum, muUis filis et lineis contextum, gemmis ornatum. » Mitral.e, loc. cit.

'-' « (ciuandoque diversis coloribus variatum. " Ration., loc. cit. La Gerar. eccl., c. 71, p. 296.— Du Saussay [Van. episc, lib. vui, c. 10, m. attribue cette clôture de l'empeigne aux caprices des cordonniers plutôt qu'à la volonté des évoques ; on verra tout, à l'heure que le caprice, si caprice il y a, remonte assez loin.

624 LES SANDALES ET LES BAS.

dant : Georges Metochita rapporte que Michel Cérulaire, patriarche de Constaiitinople (XP siècle), usurpa les chaus- sures rouges {èpv9poocc(^£iç) qui appartenaient uniquement au Souverain Pontife, assertion confirmée par Balsamon (XIP siècle). Margunio (XYI^ siècle) y v.oit même le motif qui sépara Michel de l'église romaine * .

Quoique l'examen des monuments prouve mainte fois que les prescriptions liturgiques, relatives à la confection des san- dales, n'ont pas toujours été observées à la rigueur, il dé- montre aussi, qu'en cédant aux exigences du climat ou à des considérations particulières, les Evêques ont veillé à ce que leur chaussure ne s'écartât jamais en certains points de la tradition apostolique. Les sandales fcampagi) de Maxi- mianus, à Ravenne, sont entièrement noires et sans orne- ments ; celles d'Honorius I et. de Symmaque (Sainte-Agnès) sont noires avec une croix blanche : Jean IV, Théodore I, saint Venance et saint Domnio, évêques (Oratoire de Saint- Venance), Honorius I ou saint Grégoire (Sainte-Martine du Forum, 678), Jean VII (Saint-Pierre du Vatican, 706) por- tent des chaussures à croix noire. Ces sandales sont blanches à croix rouge sur la copie du portrait de Léon III, peinte dans un manuscrit du Vatican d'après la mosaïque disparue de Sainte-Suzanne (797) . Il n'y a pas à tenir compte des calcei

' « Et infra rochettum utitur (Papa) seniper toga et alba, et caligis rubris cum sandaliis ainea cruce ornatis. » Sacr. CcBrein., lib. m, c. 4 ; 1582 (1573). Orat. hist-, i. o "Ouxs yàp tw xrjç êaGiXeiaç Xojpw xarot to tou àyiou Kojvcrtaxivou vo[j.i^o(^.£vov ôéaTuicij-a xaTacTS'^eTat, ouSs xoxxoêacpsai tte- 8(Xoii; xotTa TO tuttcoÔev OîaTpii^s-oct. » Médit, de Pair, priv., p. 451, De Patriarch. C. P. « Atà to ty.cîpscOai àutov exSaXeiv Ta xoxxoêacpîî TrsûiXa, xa\ xojXud[/.£vov utco Toîi ïlaTia ttjç PoifATiÇ, ôiç àuTOU ij.dvou k/m-zoc, Içoutriav lYxaXXo)7rti^£ij9at toutoiç, xai [jtr, toïc à'XXot^ xôiv naxpiap-/(ov ÉçEÏvai touto TToTsiv. » De Process. S. Spir. Dial.

LES SANDALKS ET LES BAS. 625

crucifères de Félix III ou IV (Saint-Cosme et Saint-Dumien), la figure ayant été restaurée du temps de Grégoire XIII (XVP siècle), mais les quartiers des campagi de saint Domnio sont relevés par un fleuron et la languette des sandales de Pasclial I (Sainte-Cécile, 820) offre une découpure semblable, dont le dessin reparait sur l'empeigne '. Le campagus^ at- tribué au pape saint Martin ffig. A) est en peau l)leue, couvert d'applications soie et or, disposées de manière à figurer unX. Quelques-uns y reconnaissent une croix, pourquoi ne pas y voir l'initiale de Xpiarcç, ou mieux une fantaisie d'artisan. Reginald de Durliam parle ainsi des sandales que saint Cuthberht (687) avait aux pieds lorsqu'on exhuma cet évêque en 4104 : « In pedibus calciamenta pontificalia gerit quÊe vulgus vocare sandalia consuevit. Quse, ex regione su- periori multis foraminibus minimis patere videntur quorum operamina artificiosa ex industria taliter comprobantur ^. »

' RoccA, loc. cit., p. 375 et 376. Ciampini, loc. cit., pi. 42, 16, 31 et 52. Les minutieuses recherches de Rocca (loc. cit.) lui ont permis de constater la présence fréquente de la croix sur les anciennes chaussures pa- pales ; il en conclut que cet usage remonte fort loin et que son oubli tient à la négligence des mosaïstes. A Sainte-Marie du Transtévère (1143), saint Pierre, saint Calixte, saint Jules, saint Corneille et Innocent II sont repré- sentés, l'avant dernier seul porte des sandales crucifères Les stalues d'Ur- bain VI (1389), Martin V (1431;, Eugène IV (1447), Nicolas V, Calixte III, Pie II, Paul II, Sixte IV, Innocent VIII (XV» siècle). Pie IIL Léon X, Paul III et IV, Pie V, Grégoire XIII et Sixte V (XVI^ siècle) ont des croix sur leur chaussure. Les effigies de Sixte III (Saint-Laurent), Paschal I (Sain te -Cécile et Sainte-Praxède), Grégoire IV (Saint-Marc), Honorius III et IV (Sainte-Bibiane, 1250, Ara-Caîli, 1287), Boniface IX (Saint-Paul hors des murs, 1440) manquent de cet ornement.

^ De ^/(hnir. S. CiUhberti. p. 88. Ces sandales ne purent être chaussées au saint qu'en 698, lorsqu'on éleva son corps. " Omnia autem vestimenta et

calceamenta.... attrita non erant et ficones novi, quibus calceatus est, in

basilica nostra inter reliquias pro lestimoniis usque hodie habcntur. » Vita S. Cuthherli, Akonyme, ap. Bèdk, Op. hisl. min.

G26 LES SANDALES ET LES BAS.

Les sandales du B. Eginou, évêque de Vérone (802), étudiées par Gerbert dans l'abbaye de Reichnaw ffig. 5 et 6), ont l'aspect de chaussons sans semelle caractérisée ; elles sont faites d'une seule pièce de cuir souple, rouge vif ; leur quar- tier est relativement élevé; une languette flingua siiperiorj^ taillée en fer-de-lance et issaut d'une base rectangulaire, avance sur le cou-de-pied; deux courroies fligaturœ), ména- gées dans les flancs à une faible distance de la languette, venaient se croiser de manière à passer à travers deux oreilles (ansœ, ligulssj correspondantes, ouvertes sur le bord supérieur du quartier. Une élégante piqûre contourne le passage du pied fsuperior pars sandaliorum per quam pes in- trat, multis filis consuta est). L'empeigne, suivant les for- mules liturgiques, est ornée d'un galon vertical d'où s'é- chappent, vers le haut, deux branches courbées en S, vers le bas, deux prolongements latéraux étalés en croix sur la pointe du pied ' , On serait tenté de croire à première vue que cette disposition cruciforme, usitée jusqu'au XIV® siècle inclus ", avait pour but réel de représenter l'instrument du salut ; les Evoques modernes ont sûrement pensé ainsi en brodant la croix sur leurs sandales, à moins qu'ils n'aient voulu s'arroger une prérogative papale. Mais, outre que les liturgistes, décrivant l'ornementation des chaussures episco- pales, disent tous « lineae procedentes ex utraque parte», sans compléter leur phrase par les mots « in formam crucis » , employés textuellement ou sous entendus dans une interpréta- tion symbolique, les calceamenla striés de bandelettes se ren-

' lier Alcman , p. i?'), pi i\-. Vêtus lit. A/em., tom i, p 252 et pi. IX.

* On la rencontio cncoïc au XV*" siècle sur les tombeaux de quelques Papes .

LES SANDALES ET LES BAS. C27

contrent également aux pieds de quelques images royales. Or, lorsque, sous le règne de Constantin, l'épiscopat fut devenu une véritable magistratui'e, les dignitaires ecclésiastiques du- rent inconstablement adopter, au moins en partie, les in- signes de leur rang civil. Chez les Komains, nobles et plé- béiens se reconnaissant particulièrement aux chaussures, je ne puis voir dans les galons cruciformes des anciennes san- dales liturgiques autre chose qu'un souvenir des quatre courroies, marques distinctives du calceus patricius '.

Deux saints évêques, peints sur un manuscrit du IX® s., portent des chaussures noires. Au X" siècle, je rencontre une figure de saint Germain ayant des sandales bleues, ornées d'une iinca blanche et aussi un évoque chaussé de calcei violets. Une miniature du même temps offre un très-curieux spécimen de sandales épiscopales : l'empeigne, de couleur pourpre, semble entièrement close ; un filet de perles la con- tourne ; au-dessus, un système de courroies disposées en lo- sange rappelle les reticuli du campagus. Les sandales d'un saint Dunstan, également du siècle, présentent les lineœ cruciformes indiquées par Amalaire ^. Au XI" siècle, quel- ques effigies de saint Omer en habits pontificaux sont chaus- sées de bottines noires et pointues, dépassant la cheville ; un galon d'or borde l'entrée du pied et se prolonge jusqu'au centre de l'empeigne il détermine un Y, Tantôt [fîg. 8)

' Peut-être ces galons lappelaient-ilslcs courroies de la solea primitive ou du camjMgïis im\-)éria\. Un liturgiste moderne de l'Allemagne semble approu- ver la dernière opinion : « Erat nutem campagus genus calceamenti, quod regibus et imperatoribus Treb. PoUio in Gallienis et Capitolinus in Maximo juniore adscribunt. Ejusmodi autem calceos primum solos usurpasse epi- scopos... verisimile est » Kuazer, De Jpost. necnon anf. Eccl . occid. lit., p. 322, ÎJ 1S5. Augsbourg, 1786, in-S".

'^ Arts sompt., t. i, ])1. 23, 33, 43. Wjij.kmin, pi. 27 (989). 3Is. du British-Mus. , ap. Rock, loc. cit

628 Li:S SANDALES ET LES BAS.

un filet blanc, accosté de deux perles, sort de l'angle formé par cet Y et va jusqu'à l'extrémité du soulier ; sur d'autres, toute l'ornementation est blanche. Les sandales de saint Réol {fîfj. 9) sont fauves, couvertes de perles et d'enroule- ments blancs; elles ont une légère fente à la partie antérieure de la tige : celles de saint Vindicien [fig. 10) sont noires et décorées de la même façon. Les chaussures de saint Amand et de saint Momelin sont dorées et relevées de broderies blanches dans le goût des précédentes. L'or, appliqué sur les chaussures épiscopales, n'étonnera pas si l'on veut bien se rappeler que depuis Aurélien les calcei patricii furent dorés. Deux figures, également copiées sur le manuscrit de Valen- ciennes auquel j'emprunte mes quatre dernières citations, ont des bottines noires : saint Aldebert, comme saint Réol, porte des lineœ cruciformes en perles ; Saint Jean, évoque ou abbé, les a en galon rouge. Au reste, les lineœ opère sutoris factœ sont nettement caractérisées sur toutes les sandales ci -dessus, mais la lingua j manque. Une uutre image de saint Orner {fig. 7) est chaussée de carbatinœ dorées, analogues à celles de Maximinianus, sauf les courroies que l'on ne peut voir ' .

•Les miniatures du XII^ siècle montrent encore quelques sandales noires; un saint Grégoire en a de blanches à lineœ cruciformes. L'évêque Frémaut (1183) est représenté sur la mosaïque du Musée d'Arras, chaussé de sandales rouges à lineœ cruciformes blanches. Lors de l'exhumation du pape Adrien IV, mort en llo9, on trouva ses pieds revêtus « san- daliis corii Turcici (maroquin rouge) ad flores margaritis or-

' Vita S. Audom., ms. 698 à Saint-Omer. Vita S. Jmandi, nis. 460 à Valencienncs. S. Audom. l'ita, ms. app. à Mgr de La Tour d'Auvergne, archevêque de Bourges. Ce volume est l'ancien Codex nrgenteus de la cathé- drale de Saint-Omer. ..

LES SANDALES ET LES BAS. 029

luitis, sine cruce ' . » Par malheur, si les documents 'jue je viens d'exposer renseignent sur la matière et rornementatioii des sandales, ils en taisent à peu près la forme rigoureuse que les vêtements talaires ne permettent jamais aux ])eintres d'indiquer complètement. Une découverte assez récente va combler la lacune. Les sandales funèbres de l'archevêque Arnould I {1185), extraites de sa tombe à la cathédrale de Trêves [fig. 11), sont en fine peau rouge doublée de blanc ; l'extérieur est couvert d'élégants rinceaux brodés à l'aiguille; le quartier^ coupé droit, est encadré par une ligne de petites roses, comprise entre deux filets, ligne qui en outre tend à l'isoler de l'empeigne. Quelques cabochons clairsemés appa- raissent çà et au milieu des enroulements ; l'unique linea qui partage longitudinalement l'empeigne en comporte quatre. Cette empeigne est profondement entaillée de façon à déter- miner quatre ligulœ, plus une lingua superior^ en tout cinq appendices formant oreilles pour passer les cordons ( corium fenestratum). Les parties pleines sont forées en écumoire d'une multitude de petits trous qui traversent aussi la dou- blure ; la semelle, très mince, est en cuir blanc ^.

' V. la fig. de S. Germain, chaussé de sandales noires à un seul filet lon- gitudinal rouge, accosté de perles semblables; ms. 192, bibl. imp., Jrts sompt., t 1, pi. 65. Le Moyen Age, Miniat.. pi. c. Id., ibid., pi. xv, fig. de S. Grégoire en sandales noires unies. Dionigi, Sacr. Vat. bas. crypt. mon., p. 124. V. encore d'Agiisjcourt, t. v, pi. 69, Pascal II chaussé de hauts brodequins galonnés en croix ; pi. 66, saint Apollonius, évêque de Brescia, avec des sandales échiquetées.

'^ V. Bock, Geschichte, elc, lief. iv, p. 14, pi. 1. Ces sandales offrent une très grande analogie de coupe avec les chaussures impériales du Xll« s. conservées à Vienne et dont il sera parlé dans le chapitre suivant. On remar- quera en outre les faramina minima^ signalés plus haut à l'occasion des san- dales de saint Cuthberht. Ces trous étaient-ils destinés à empêcher le pied de s'échauffer î Répondaient-ils à la prescription « ut pes nec tectus sit neque nudus ad terram » ? Peut-être remplissaient-ils ce double but.

03U LES SANDALES ET LES BAS.

Si l'usage des sandales de peau brodée est fort ancien, le premier exemple de chaussures liturgiques en soie ne re- monte qu'au XIIP siècle ; c'est l'Angleterre qui le fournit. On lit dans un inventaire de la cathédrale de Salisbury (1222) : « Duo paria sandaliorum, unum de serico indico (soie bleue), qnod sunt episcopi Gosselini, et aliud de viridi cendell brusdato (cendal vert brodé) quod fuit episcopi Herberti ' . » Un tel luxe alla toujours en croissant durant la période qui nous occupe. L'effigie tumulaire en émail de Philippe de Dx'eux, évêque de Beauvais (1217), était chaussée de san- dales rouges richement brodées en or, avec une linea en argent {flg. 12); Geoffroy de Loudon légua à son église du Mans (1255) « sandalia et sotulares rubri serici, auri pre- ciosorumque lapidum varietate distincta. » L'inventaire de Saint-Paul de Londres (1295) mentionne « sandalia cum ca- ligis de rubeo sameto diasperato, breudata cum imaginibus regum in rotellis simplicibus. Item, sandalia Henrici de Wengham episcopi cum flosculis de perlis indici coloris et leopardis de perlis albis ^. » La sandale {fi g. 5), conservée à Saint-Martin-des-Monts (Rome), est en soie bleue tournant au vert : un entrelacs courant, encadré de deux baguettes, forme la linea ; d'autres entrelacs quadrilobés relèvent l'empeigne et le quartier ^ Le modèle pantoufle de cette

* Rock, Thechurch, etc.t ii, p. 238.

- Le Monit. des urch., t. 43, pi. 505, d'après Gaigiiières. Mabillon, Analec , p. 335. Dugdalk, Ilist. of S. Paul' s, p. 315. On lit à la même

page : » Sandalia de rubeo sameto cum caligis bioudatis sotulares sunt

breudatse ad modum crucis. « Voilà donc la croi.v installée sur les sandales des évêques anglais au XIII<^ siècle.

V. RoccA, loc. cit., p. 379, pi. Cette sandale accompagne une mitre pa- reille d'étoffe, couleur et Iravail ; toutes deux sont attribuées au pape saint Silvestre I. J'ai trop soigneusement étudié la mitre pour n'êti-e pas convaincu qu'elle da'.c du XIIP siècle, et la sandale tomberait de droil dans mon appré-

LES SANDALES ET LIOS lîAS. 031

clmiissure l'emporta définitivement au XII 1'' siècle sur les types anciens, et il a persévéré jusqu'à nos jours. La sandale de saint Louis d'Anjou montre une cou])e identique ; une sandale grise, galonnée d'or et semée de perles, que je rencontre dans le Psautier de saint Louis, n'en difFère pas essentiellement, quoique moins éloignée des patrons du XP siècle. La sandale de saint Edme (fig. JB), décrite au cha- pitre I, oiFre un curieux exemple des sandales brodequins, encore usitées deux cents ans plus tard en Angleterre. Les Imeœ cruciformes se voient sur quelques chaussures épisco- pales duXIIP siècle, mais les sandales unies sont bien moins rares ; les verrières de Bourges et de Tours fourmillent d'é- veques en calcei monochromes, blancs, rouges, bleus, violets, noirs et fréquemment jaunes (or) ' .

J'ai à ma disposition peu de renseignements sur les chaus- sures épiscopales du XIV^ siècle, mais tout m'induit à penser qu'elles ne différèrent pas de celles du XlIP. L'effigie tu- mulaire coloriée de l'évêque Giffard (1 501) à Worcester, porte des sandales rouges, ornées d'une croix en pierreries. Les sandales funèbres de Boniface VIII (1505) étaient « nigri coloris, acuta et cuspidata more Gothico, sine cruce et serico nigro ad flores parvos auro intextos, longitudinis palmi unius et quarti unius. » Le même Pape est sculpté sur sa tombe,

dation, à supposer que l'entrelacs quadrilobé ne parlât pas suffisanniient à l'œil des archéologues.

' Bibl. de l'Ars.; Moyen Age etc., Miniat., pi. 12. Tombe en bronze d'Evrard du Fouilloy (1223) à la cathédrale d'Amiens; Wjli.emin, pi. 90. Evêque peint à S. Géréon de Cologne ; Bock, loc. cit., pi. x. Ces sandales sont blanches, galonnées d'or. On voit au croisillon sud de la cathédrale de Reims une statue d'archevêque chaussée de sandales à lineœ cruciformes, cou- vertes de joyaux ; Gailhab.\ui), VArch. du V' au XVII" siècle, pi. 14. Martin et Cahieu, Vitraux de Bourges, pi. 12, 13, 17 et 18. Mauchakd, et BouHAPSÉ, Verrières de Tours.

632 LES SANDALES ET LES BAS.

avec des campagi antiques, fleuroniiés au bout. Enfin, les chaussures de Burgliard, archevêque de Magdebourg (1525), ont des galons cruciformes, et celles d'Urbain VI (1389), une linea resplendissante de broderies et de joyaux.

L'épiscopat aux XV^ et XVP siècles, semble avoir adopté des sandales en tissus plus ou moins riches et s'être abstenu d'y placer aucun signe caractérisque. La bottine de William Patten de Waneflete, évêque de Winchester (1447-1486), conservée au collège de Sainte-Marie-Magdeleine à Oxford, est en velours cramoisi, frisé d'or, doublé de chevreau blanc très mince ; une broderie de fleurs en or et de feuilles mi- parties jaune et vert décore l'ensemble du vêtement [fig. 15). Toutefois les statues tombales d'Innocent VII (1448"), Ni- colas V (1455), Paul II (1471) et Alexandre VI (1505) ont des lineœ cruciformes sur leurs sandales ; les lineœ de Paul II sont môme chargées en cœur d'une croisette de pierreries ^.

L'usage d'assortir les sandales au reste des po?itificalia me semble dater du XIIP siècle; l'ornement complet, or à fleurs- de-lys rouges, bordé d'argent, qui revêtait la figure pré- citée de Philippe de Dreux, correspond exactement avec sa chaussure.

En résumant les faits que je viens d'exposer, on trouve : qu'au VHP siècle déjà les sandales n'étaient plus entière-

« Rock, loc. oit , p. 242, Diowigi, loc. cit., p. 129 et pi. 49. Bock, loc. cit., p. 16. Le tombeau d'Urbain VI est gravé ap. Dionigi, pi. 56.

- Rock, loc. cit., p, 250, fig. Diomgi, loc. cit. , pi. 57, 53, 54, 47. L'opinion formulée ici relativement à l'ornementation des chaussures épisco- pales aux XV« et XVI"^ siècles, ne doit pas être acceptée d'une manière trop absolue. J'ai dii l'adopter moi-même, faute de monuments originaux, en face de monuments sculptés ou peints sur lesquels on ne distingue aucune trace de croix ou de linex. Y . la Danse des morts de Bâle ; Arts sompt. , t. ii, pi. 58; la châsse de sainte Ursule à Bruges et un bon nombre de tableaux dq temps.

LES SANDALES ET LKS RAS. G33

ment conformes iuix règles prescrites par les liturgistes , que ces règles, observées en partie jusqu'à la fin du XII® siècle, étaient totalement tombées en désuétude au XIV®, ne laissant d'autre trace que les lineœ, apparentes jusqu'au XVP.

Maintenant les évoques portent des sandales en soie unie, satin ou gros de Naples, blanc, rouge^, vert, violet, selon la couleur affectée à l'office du jour. Ces sandales en forme d'escarpins, sont munies de deux pattes {Hgulœ), réunies sur le cou-de-pied à l'aide de cordons ou de boucles ; une croi- sette brodée d'or en décore généralement l'empeigne.

CH. DE LINAS.

[La suite au prochain volume.

lOME vr. 46

HISTOIRE DE S. JACQUES LE MAJEUR ei du Pèlerinage de Compostelle-

SEPTIEME ARTICLE

CHAPITRE VIII.

BATAILLE DE C L A V IJ O

Les successeurs de Pelage avaient dilaté pas à pas les li- mites du royaume chrétien en Espagne. L'un d'eux cepen- dant, Finfâme Mauregat, un usurpateur, humilia l'Espagne devant le Croissant. Afin de faire appuyer par les Maures son pouvoir illégitime, il souscrivit honteusement un impôt annuel de i 00 jeunes filles des plus belles, qui devaient être choisies par moitié dans les rangs de la noblesse et parmi le peuple :

Vectigal trucibus pendere flebile

Urgetur domiuis imperiosiùs ;

Centenasque lupis sponte rapacibus

Lectas sistere virgines *.

* Voir le numéro d'octobre, p. 538.

* Proprium Sanctorum Hispanorum , 23 maii, hymn ad Matutinum. C'est près de la Corogne qu'abordaient les galères sur lesquelles on embar- quait les jeunes chrétiennes. Ce lieu, que ne baigne plus l'Océan, s'appelle encore aujourd'hui le lieu des galères.

PÈLERINAGE DE COMPOSTELLE. 635

Ce traité ignominieux pour l'Espagne, pour la religion et pour l'humanité, avait été effacé, il est vrai, par Alphonse le Chaslc h la bataille de Lutos;mais Abdérame II (Al)derra- maniis), second calife Onmiiade de Cordoiie, voulut le remettre en vigueur; il fit réclamer au prince chrétien les enfanta de tribut. C'était en 845. Ramire P"" (Ranimirus), successeur d'Alphonse le Chaste, occupait alors le trône de Léon. Nature fière, magnanime, héroïque, il repousse avec indignation la requête des députés du calife; mais il sait à quoi l'expose son refus; il rassemble une armée, ne laissant dans les champs que les bras impropres au dur métier des armes, et convoque autour de sa personne les évoques, les abbés et les religieux, afin qu'ils intercèdent auprès du Dieu Sabaoth pour l'Es- pagne opprimée.

Abdérame, de son côté, Abdérame le Victorieux n'écoute que les impétueuses inspirations de son orgueil et de sa co- lère, et promet au prophète de châtier par l'extermination du nom chrétien un refus que personne jusqu'alors n'avait osé risquer. Il fait appel à tous les enfants du Coran, une armée innombrable accourt de l'Yémen, de l'Atlas et de la Mau- ritanie, et vient se réunir à celle de la Péninsule.

Quelques jours après, deux peuples, deux religions étaient en présence dans une plaine qui s'étend entre Naxara (au- jourd'hui Najera dans le pays de Rioja^ province de Logrono) et A/6e//a (aujourd'hui Alvelda dans le même pays). La ba~ taille s'engage avec acharnement et se prolonge jusqu'à la nuit ; enfin le nombre l'emporte; Ranire se replie avec ses troupes fatiguées et se réfugie sur une montagne voisine du pays de Rioja, nommée Clarijo, « in proximum collem, cui « Clavijio nomen est... Clavigium, Rivogia montem '. » La

Ibid.

63G rÈLERINAGE Dr, C.OMrOSTELLE.

honte (le lu défaite, l'incertitude de ses conséquences, les pertes qu'on avait à regretter, firent verser des larmes amères, mais tournèrent aussi tous les cœurs vers Dieu. Après de longues heures de prières et de gémissements, Ramire succombe à la fatigue et au sommeil. Une vision bienheureuse vient charmer son repos. Un guerrier magnifique lui appa- raît. « Qui es-tu, dit Kamire? Je suis, dit le guerrier, « Jacques l'apôtre, à qui le Seigneur a confié la garde de <• l'Espagne. Ne crains pas, demain je serai avec toi, et sous « mon commandement, tu remporteras sur les Sarrasins une « victoire immortelle. Beaucoup des tiens tomberont, ce se- «1 ront des martyrs. Ne doute pas de "mes paroles et de mes « promesses; en voici la garantie : toi et les Sarrasins, <- vous me verrez constamment sur un cheval blanc ; ma main « sera armée d'un grand étendard de la même couleur ' . »> Ramire s'éveille avec un nouveau courage et s'empresse de faire part de sa vision aux prélats et aux chefs de l'armée. Les consciences se purifient par le repentir et la confession, et l'on puise dans la sainte communion une confiance sans bornes et une force invincible.

Le lendemain, les soldats de l'évangile s'élancent du Cla- vijo comme des lions sur les infidèles. Ils vont au combat comme à une fête. La montagne retentit de leurs cris mille fois répétés, Santiago! Santiago! Selon sa promesse, l'apôtre guerrier leur apparaît, monté sur un destrier d'une blancheur éclatante, un étendard couleur de neige dans une main, un glaive étincelant dans l'autre. Il marche à la tête des Espa- gnols, son regard lance la foudre, sa main terrasse les Maures, son cheval les foule aux pieds. Soixante-dix mille Sarrasins tond)ent sous les coups des chrétiens; leur calife, échappé au

' I j i 'y' ana saffrada, t. xix, p. 331, 33"2.

pKi,iiuiNA(;i!: Di: gomiostei.i.f.. (i.'IT

carnage, regagne presque seul lu ville de Cordoue et va ca- cher sa honte au fond de son palais.

Cette bataille de Clavijo^ que certains auteurs appellent à tort bataille de Logrono, du nom de la ville près de laquelle elle fut livrée; que d'autres plus inexcusables encore, en particulier L. A. Sédillot, dans son Histoire si excentrique des Arabes^ ont négligé de mentionner, eut pour résultats l'abaissement des Maures jusqu'alors trop redoutés, l'abolition du honteux tribut qui pesait sur les chrétiens, l'extension du royaume de Léon par la soumission de Calahorra et sur- tout un accroissement de confiance dans la protection de saint Jacques. C'est de ce jour mémorable que date le cri de guerre de la nation espagnole : Santiago! Santiago! ou bien : Santiago! Cietra Espana '/ Ce cri belliqueux troubla plus d'une fois le voluptueux sommeil des califes et poursui- vit l'islamisme au désert, après l'avoir chassé de l'Espagne. Il est gravé dans l'histoire, d'où il ne peut s'effacer, et l'Es- pagne, qui lui doit son salut, ne l'oubliera jamais.

L'armée victorieuse entonna l'hymne de la délivrance, et des feux allumés sur les sommets des montagnes annoncèrent à la Castille que Léon était libre et vengé. Un autel fut dressé sur le champ de bataille de Clavijo avec les lances, les boucliers et les autres armes abandonnées par les infidèles ; noble trophée qui attesta longtemps la gloire de ce grand triomphe. Mais les vainqueurs ne s'attribuèrent pas le mé- rite de cette journée; saint Jacques en fut proclamé le héros et fut surnommé dès lors Mafamoros^ tue-Mores. Notre langue s'est*emparée de cette expression qu'elle a dénaturée, puis-

' Saint Jacques ! Saint .Jacques !.... Sainl Jacques, protégez l'Espagne qu \'u\c au combat 1

638 PÈLEIUNAGE 1)E COMPOSTELLE.

qu'elle ne lui fait signifier abusivement qu'un faux brave, un matamore ' .

Ramire était, aux yeux de ses contemporains, le Charles- Martel du IX^ siècle. Mais loin de se prévaloir d'une vic- toire qu'il devait à une intervention surnaturelle beaucoup plus qu'à ses armes, il prouva par ses actes qu'il n'était point ingrat envers le puissant patron de l'Espagne. Il conféra à l'église de Saint-Jacques-de-Compostelle plusieurs privilèges et lui constitua certains droits, en particulier ceux-ci :

Pour chaque arpent de terre labourable qui serait enlevée aux Sarrasins, il était prescrit d'oilrir annuellement à l'église de Compostelle,pour la nourriture des chanoines, une mesure du meilleur froment et une mesure de vin. Il voulut aussi que sur les dépouilles des Sarrasins dans les futures expédi- tions, les chrétiens réservassent pour le glorieux patron de l'Espagne une portion égale à la portion d'un soldat. Ces do- nations, quoique éventuelles de leur nature, ne pouvaient manquer de devenir positives par l'ardeur martiale qui em- brasait le cœur des Espagnols après le triomphe de Clavijo. Le roi, qui en comprenait l'importance, les confirma par un serment solennel, qui devait lier aussi ses successeurs. Sa femme Urraca, son fils Ordonius, son frère Garcia firent le même serment. Les archevêques, évêques et abbés réunis firent acte d'acceptation et menacèrent de malédictions et d'excommunication quiconque n'observerait pas religieuse- ment les volontés du prince.

Ramire signa de sa main ces privilèges en 872. Depuis cette époque jusqu'à l'an 1492, se consomna l'œuvre d'affranchissement sous les murs de Grenade, que d'arpents furent conquis sur les infidèles, et que de redevances durent être envoyées au chapitre de Corapostelle, et par le chapitre

' Une ville du Texas, en Amérique, s'appelle Malamoros.

rÈLEUlNACii; JiK COAiroSTELLE. 639

aux pauvres du Seigneur! Mais qui se souvient aujourd'hui de la pieuse libéralité deRamire? La révolution a soufflé sur les institutions les plus saintes par leur antiquité et leur na- ture; elle a promené en Espagne comme chez nous son niveau égalitaire, et l'Espagne n'a conservé du passé que sa foi; mais les œuvres dont la foi avait semé et fécondé le royaume catholique, ont disparu et n'ont pas été remplacées. Le cha- pitre chargé de la garde du tombeau de l'apôtre, du patron de l'Espagne, recevait, avons-nous dit, en échange de ses prières, un tribut annuel prélevé sur les terres enlevées aux Musul- mans; Mahomet était devenu tribulaire de saint Jacques. Rien n'a été respecté, ni la pensée sainte qui avait inspiré la fondation, ni la fondation elle-même; le célèbre chapitre de Compostelle, qui comptait dans ses rangs tant de digni- taires et plusieurs cardinaux, ce chapitre que la dévotion des rois pour saint Jacques avait enrichi, au profit des malheu- reux, de tant de privilèges; ce chapitre a été dépouillé de toutes ses prérogatives, et assimilé aux chapitres des autres cathédrales. Quelques milliers de réaux forment aujourd'hui la modeste et unique ressource des chanoines de l'une des basiliques les plus importantes et les plus renommées de l'univers.

Avant et depuis l'évangile, l'histoire mentionne diverses apparitions du genre de celle que nous avons rapportée. Quand Dieu ne daigne pas défendre lui-même sa cause, il la confie à ses anges ou à ses saints, et ses ennemis sont con- fondus. Un ange, aux armes d'or^ apparaît sur un coursier superbe à Héliodore entré dans le temple de Jérusalem pour en piller le trésor; le cheval se précipite sur le pi'ofanateur et le foule aux pieds, pendant que deux autres anges le fla- gellent chacun de son côté et le frappent sans relâche. Deux apôtres, saint Jean et saint Philippe, montés sur des

640 rÈLKUINAGE DE COMl'OSTELLE.

chevaux blancs, apparaissent à Tliéoclose et lui assurent la victoire contre le tyran Eugène. Vers l'an 805, dans le siècle de Kaniire, l'empereur Nicépliore T"" attribua le recou- vrement du Péloponèse et la déroute des Abariens à l'appa- rition et au concours de saint André pendant le combat, et pour ce motif il érigea en métropole le siège épiscopal de Patras, ville illustre parle niartyre de cet apôtre. En 1539, les Milanais ayant battu les Impériaux, rendirent grâces de leur victoire à saint Ambroise, cpi'ils prétendirent avoir aperçu pendant le combat, armé d'un fouet qu'il levait sur leurs ennemis. Delà l'usage parmi les peintres de représenter saint Ambroise avec un fouet à la main. Au commence ment du XVF siècle, saint Casimir, patron de la Pologne, apparaît dans les airs aux Lithuaniens effrayés du nombre bien supérieur de leurs ennemis et leur fait remporter une victoire éclatante ' .

Mais de toutes ces apparitions historiques ou tradition- nelles, de toutes ces légendes nationales, aucune n'a été aussi favorisée que celle qui lie le nom de Ramire P'' à celui de saint Jacques; la liturgie espagnole en célèbre le souvenir, le 23 mai, par une fête particulière sous ce nom : Fête de V ap- parition de saint Jacques apôtre et patron des Espagnes. Cette légende a inspiré les chants sacrés et les vers de plusieurs poètes ; elle a eu l'appui de l'art par la peinture et la sculpture, de la piété par l'imagerie religieuse. Saint Jacques surui^ che- val blanC;, portant d'une main un étendard blanc timbré d'une croix rouge, et de l'autre un glaive dont il frappe les Mores tremblants à ses pieds, c'est un sujet que tout le monde connaît et que la majesté du lieu saint n'a pas re- poussé. Je l'ai contemplé, sous forme de sculpture, au-dessus du tombeau de l'apôtre à Compostelle et dans l'église Saint-

' Sixième leçon de l'office de aaint Casimir [4 mars) dans le Bréviaire romain.

l'ÈLElUNAGL D"; CO.Ml'OSTELLK. C41

Jacques, à Bilbao '. Comme peinture, il est un des ornements de la cathédrale de Séville.Le saint Jacques Mata-Mores ([u'on admire dans cette église, est une des' toiles les plus remar- quables d'un peintre andaloux, du licencié Juan de las Roe- las, que l'on connaît, parmi les artistes espagnols, sous le nom de l'abbé Roelas {el clérigo Roélas), mort en 1625. La France subordonnant son goût à la légende, n'a pas plus dédai- gné le cheval de bataille de saint Jacques que la monture paci- fique de saint IMartiii et les humbles animaux de la grotte de Bethléem. Un tableau de la chapelle Saint- Jacques dans l'église Saint-Michel, à Bordeaux, représente le sujet dont nous parlons.

L'immortel Rubens a traité ce sujet. Son œuvre pleine de feu, de noblesse et de majesté, a été reproduite en sculpture par le ciseau de Corn. Galle. Citons encore le tableau de Mathieu Kager, gravée par Wolfang Kilian.

Les médailles que j'ai apportées de Compostelle ne re- présentent l'apôtre que dans cette attitude militaire ^ Au

' Une des rues de Bilbao porte le nom de Saint-Jacques, calle de Santiago.

Bordeaux a conservé à l'une de ses rues le nom anglais de Saint- James , qui date de l'an 1152, époque le mot Saint-James commença à être substi- tué à celui de Saint Jacques. C'est le seul vestige, à Bordeaux, de la domina- tion anglaise dans l'Aquitaine.

La ville de la Réole, résidence privilégiée de Richard Cœur-de-Lion, avait autrefois l'hôpital el la rue Saint-James. L'église principale de Bergerac porte encore aujourd'hui le nom de Saint-Jûmes, comme le palais royal de Londres.

Dans quelques villes de France, on trouve des rues désignées sous le nom français de Saint- Jacques, par exemple, à Paris, Amiens, Abbeville, Orléans, Le Puy, etc.

En ancien provençal, le nom de Jacques se traduisait par Gaumes. Telle est, selon nous, l'étymologle d'un nom assez répandu aujourd'hui dans toutes les parties de la France.

' Quand on représente simplement saint Jacques avec une épée, cet attribut lappelle non une bataille, mais l'instrument de supplice du Saint.

G 12

PELERINAGE DE COMPOSTELLE.

Au reste, la gravure suivante fixera le lecteur sur ce point d'iconographie très-commun, mais trop peu compris jusqu'ici :

Bataille de Clavijo.en 845-

Chaque année, Ovicdo, Astorga, Léon, Compostelle célè- brent par de splendides processions le souvenir d'une victoire si importante au double point de vue de la religion et de la po- litique. Une place d'honneur dans ces cérémonies est réservée àuncertainnombrede jeunes filles; leur présence rappelle ù la ibis la servitude imposée jadis par les Mores et l'heureuse

PÈLERINAGE UE CUAU'OsTliLLI'.. (W.)

délivrance du pays. L'exhibition des étendards et autres objets enlevés aux Mores dans cette l)ataille et conservés jusqu'aujourd'hui, démontre, à dix siècles d'intervalle, la sanglante défaite par laquelle Dieu et saint Jacques châtièrent ces farouches ennemis de la chrétienté. La famille des marquis de Yillalobos, à Astorga, compte parmi ses ascendants le guerrier qui enleva aux Mores un de ces curieux étendards; celle des Mirandas, dans les Asturies, orne son blason de cinq demi-corps de filles, en souvenir des cinq jeunes filles qu'un de ses ancêtres arracha des mains des Sarrasins dans la même bataille.

L'histoire, la liturgie, la poésie, les beaux-arts et la tradi- tion sont d'accord sur le prodige de l'apparition de saint Jacques et la victoire qui en fut la précieuse conséquence. En présence de tant de preuves, comment qualifier le doute émis sur l'authenticité de ce prodige par Pierre de Marca dans son Histoire de Béani ' ? Cet auteur admet cependant d'autres apparitions bien moins démontrées que celle de saint Jacques.

Les auteurs espagnols Luc de Tuy, Gil Gonzalez, Zamoray Coria, saint Thomas de Villeneuve, Garibai, Fr. Antonio Remesar, etc., rapportent une foule d'apparitions de saint Jacques, soit en Espagne, soit en Italie, soit en Afrique, soit en Amérique. Les chrétiens du Nouveau-Monde ont professé dès le commencement une grande dévotion pour le patron de toutes les Espagnes,- ils ont donné son nom à plusieurs villes. Pour un certain nombre de cités, ils ont créé des appel- lations assez bizarres en rapprochant le nom de saint Jacques de sa qualité de cavalier; car le nom de Santiago-de-los-Ca- balleros est commun à plusieurs villes de l'Amérique. C'est

' Histoire de Béarn, par Pieuue de Marca. Paris, 1640, p. 217.

644 PiaERINAGE J>E COMPOSTELLE.

une allusion manifeste aux apparitious de saint Jacques, surnommé quelquefois le soldat et le cavalier^ à cause du cheval blanc qu'il montait dans diverses rencontres des Es- pagnols contre leurs ennemis. Selon quelques écrivains, on peut compter jusqu'à 5,800 victoires remportées par les Es- pagnols depuis Pelage jusqu'à nos jours, grâce à la puissante protection de saint Jacques.

J.-B. PARDI AC.

[La suite à un procliairi mtnu'ro)

PRÉCIS DE L'HISTOIRE DE L'ART CHRETIEN

en France & en Belgique'

TliKlZlEME AU'IICLK

CHAPITRE V

XII SIECLE.

Article ii. Sculpture.

Le XIP siècle fut pour les beaux-arts une époque de tran- sition et de progrès continus. Il fut témoin de la dernière lutte entre l'influence des souvenirs romains et les aspirations de l'esprit créateur qui ne de \^ait obtenir qu'au siècle suivant un triomphe définitif. Tandis que l'arcliitecture rompait avec les traditions antiques et que l'ogive sortait du plein-cintre comme une fleur de son bouton, les arts accessoires qui of- fraient aux monuments religieux le tribut de leur hommage et de leur décoration, subissaient une révolution analogue.

' Voii' le numéro d'août, p. '402,

646 l'RÉCls DE LÎIISTOIRE DB l'aRT CHRÉTIEN.

Sculpture sur pierre. A partir du XIP siècle, les re- présentations (les figures humaines tinrent une large place dans l'architecture. Il n'en était pas ainsi dans l'antiquité. La Grèce s'était presque toujours bornée aux ornements vé- gétaux dans la décoration de ses temples. Le Parthénon, le temple d'Egine et celui de Thésée sont à peu près les seuls apparaisse la figure humaine. Chez les Romains, ce n'est que sur les tombeaux et les arcs de triomphe que la statuaire s'allie à l'architecture.

Les scènes historiques et symboliques exilées des chapi- teaux, dans beaucoup de provinces, s'étalent avec plus d'am- pleur sur les larges surfaces des portails. On peut reprocher aux statues de cette époque l'allongement démesuré du buste.

i Portail de Notre-Dame de Poitiers-

la roideur des membres, l'ignorance de l'anatomie, la deshar- monie des proportions, l'incorrection de certains détails, mais on doit apprécier l'expression calme et recueillie des phy- sionomies, où domine un profond sentiment religieux ffg. i

KN l'HANCK ET LN liKI.GKjl T.. (JAl

et 2). Les cheveux sont traités avec soin ; les yeux sont toujours saillants et fendus et les sourcils très-iirqués.

2. Même église

Ce qui frappe surtout l'attention, c'est ce type conven- tionnel de grandeur démesurée qui imprime aux personnages un caractère surhumain. Pendant cette période hiératique, les artistes, comme autrefois Eschyle, quand on l'engageait à refaire l'hymne d'Apollon, se disaient qu'il était des tradi- tions sacrées dont on ne pouvait s'écarter sans une dange- reuse témérité. C'est là, sans doute, un des motifs de cette absence de vie qui caractérise ces statues au visage immo- bile, allongées sous les voussures et ressemblant à des pha- langes de morts qui attendraient le réveil du j ugement der- nier. On ne peut point l'attribuer uniquement à l'impéritie des artistes; ils ont su, quand ils le voulaient, en symboli-

G-48 inÉGlS DE L'ilTSTOIRK I>E l'aRT CHRÉTIEN

sant les vices, donner une ternl)le énergie aux créations de leur ciseau.

A Texceptiuii du Christ, de la Yierge, des Apôtres et des Anges, tous les personnages sont revêtus du costume de l'é- poque, heureux anachronisme qui nous fournit de précieux renseignements sur les variations de la mode qui fut de tout temps, si nous eu croyons un vieil auteur, mi-partie femme et mi-partie caméléon, c'est-à-dire changeance par un bout et transmutation par l'autre. La tunique des hommes s'allonge et elle est recouverte en partie par un manteau à plis serrés. Les femmes sont vêtues d'une simple robe étroite qui descend jusqu'à la cheville ; leur tête est nue ou couverte d'un voile en forme de guimpe.

C'est alors seulement qu'on essaya de reproduire la res- semblance des physionomies. Des portails offrent parfois les traits des rois, des princes, des évêques, des abbés qui fu- rent les fondateurs ou les bienfaiteurs de l'église. Nous de- vons ajouter toutefois que bien des méprises ont eu lieu dans ces sortes d'appréciations : plus d'une fois on a baptisé du nom de Philippe I*^' un Salomon siégeant sur un trône capé- tien, et on a cru trop vite reconnaître les traits de Louis-le- Gros dans un David qui usurpait imprudemment le manteau de nos rois et le sceptre fleurdelysé.

On remarque un sensible progrès dans l'exécution des bas- reliefs. Les sujets qu'on reproduit le plus souvent, avec une complète identité dans l'exécution des principaux types, sont : Jésus bénissant, entouré des symboles évangélistiques, la Nativité, le Massacre des Innocents, la Résurrection de Lazarre, l'Annonciation^ le Pèsement des âmes, le Jugement général, l'Enfer.

Nous avons dit que les chapiteaux s'enveloppaient de dé- corations végétales, et surtout de plantes aroïdes avec leurs

EN FRANCK ET KN nKLGIOlE. 049

baies qu'on a souvent confondues avec la pomme de pin. Afais dans certaines provinces, et surtout dans le Midi, on continua à sculpter des scènes symboliques et des animaux fantas- tiques. C'est contre ces représentations que s'insursieait sé- vèrement saint Bernard, en disant : « A quoi servent dans les cloîtres ces monstruosités ridicules, ces admirables difformi- tés ? Que font ici ces singes immondes, ces lions farouches, ces centaures, ces moitiés d'hommes, ces tigres tachetés, ces soldats combattant, ces chasseurs donnant du cor? Vous pouvez voir plusieurs corps réunis sur une seide tête ou plu- sieurs têtes sur un seul corps ; un quadrupède à queue de serpent à côté d'un serpent à tète de quadrupède; un monstre cheval par devant et chèvre par derrière; un animal à cornes traînant la croupe d'un cheval ; enfin de toutes parts une va- riété de formes si étonnante qu'il est plus attrayant de lire les marbres que les livres. » Il est heureux que les anathemes de saint Bernard soient restés sans effet ; si sa doctrine exclusive avait triomphé , nous aurions été privés de ces belles pages de sculpture, plus attrayantes en effet que bien des livres^ revivent les croyances et les traditions des siècles écoulés. A ce témoignage isolé de l'abbé deClairvaux qui semble ne voir dans ces compositions que les caprices d'une imagination en délire, on peut opposer les apprécia- tions unanimes que nous ont données saint iMeliton, saint Epiphane, saint Ambroise, saint Eucher, saint Hildefonse, saint Bonaventure et bien d'autres Pères de l'Eglise, dont les artistes n'ont fait que traduire les allusions mystiques, empruntées à la zoologie plus ou moins fabuleuse qui avait cours à cette époque.

Au XIF siècle,* oii l'amour des sciences naturelles fut ac- tivé parles grandes expéditions d'outre-mer et les traductions des œuvres complètes d'Aristote, tout est symbole pour la

TOME VI 47

GoO TRÉCIS DE l'histoire DE l'aRT CHRÉTIEN

science comme pour l'art. Ne connaissant qu'à demi les croyances populaires de cette époque et les traditions légen- daires que les prédicateurs expliquaient dans un but exclu- sivement moralisateur, nous ne comprenons pas toujours ces représentations allégoriques des vices et des vertus ; mais nous devons humblement reconnaître que jadis les plus illet- trés lisaient couramment ces pages de pierre dont nous sommes si fiers de pouvoir parfois épeler quelques lettres.

A côté des légendes et des symboles^ l'histoire sacrée avait sa place, conmie on peut le voir à Saint-Trophime d'Arles, l'attitude expressive des physionomies s'allie avec une inspi- ration vraiment chrétienne. La vie des saints était quel- quefois aussi mise à contribution. Le chapiteau dont nous donnons ici le dessin [jig . 5) rappellerait, suivant M. LéoDroyn ,

3. Saint M; rtin de Soscas (Gironde).

la puissance miraculeuse que saint Martin exerçait sur les animaux.

EN FRANCK F,T KN BELGIQUE. Ori I

Sculpture sur bois. Les stalles primitives n'étaient que des espèces d'enfoncements plancliéïés les prêtres se te- naient debout au IX" siècle : la longueur des offices fit ad- mettre des potences (rcclinatoriaj il était permis de s'ap- puyer. Vers le XI" siècle, on adapta aux stalles des banquettes mobiles qu'on appela miséricordes parce qu'elles étaient un effet de l'indulgente compassiou qu'on avait eu pour la fa- tigue des ecclésiastiques. Au XIP siècle, elles devinrent d'un usage plus général et furent disposées le long du chœur, au lieu d'être reléguées, comme anciennement, derrière l'autel. Le seul exemple connu de stalles romanes se trouve dans l'église de Ratzburg, en Allemagne.

Les portes d'églises ne sont pas encore sculptées. Leur or- nementation consiste en lignes symétriques de clous à grosse tête et en pentures dont l'extrémité s'épanouit en ara- besques. La porte Sainte-Anne, à Notre-Dame de Paris, pa- raît être de la fin du XIP siècle. C'est un des plus riches exemples de cette splendide ornementation en fer forgé dont les rinceaux s'enroulent avec tant de souplesse qu'ils sem- blent vouloir rivaliser avec les chefs-d'œuvre de la ta- pisserie.

Autels. L'autel du Moyen Age a deux formes : c'est une table ou un tombeau ; le premier est un souvenir de la table de la cène, Jésus-Christ institua l'Eucharistie ; le second rappelle les tombeaux des martyrs sur lesquels le sa- cerdoce des catacombes offrit d'abord le saint Sacrifice. Les autels-tables sont presque tous antérieurs au XIII" siècle. A partir de cette époque, la forme de sarcophage a toujours prévalu dans l'Eglise latine. Les autels cubiques des Xle et XIP siècles ont des ouvertures carrées sur la face principale pour recevoir des reliques. Ils sont parfois enrichis de mo- saïques, de peintures, de sculptures, de pierres incrustées et

652 ruÉGis DK l'histoire de l'aut chrétien

d'inscriptions. Un des plus curieux autels romans que nous connaissions est celui de l'église Saint-Germer ffig. 4\ C'est

une table rectangulaire , reposant sur neuf colonnes écourtées dont les piédestaux sont à angles saillants ; un boudin sert de base aux fûts. Les feuilles de chapiteaux se lancéolent 4- ou se roulent en volute. Les tailloirs,

ceux du moins qui n'ont pas subi de dégradation, sont enve- loppés d'une plate-bande perforée. A l'extrémité du cordon de chaque arcade, se dessine une petite feuille ou un arc en relief.

Les cathédrales et les abbayes étaient munies d'autels d'une riche exécution ; mais dans les églises paroissiales ils ne consistaient souvent qu'en un simple massif de maçon- nerie régulière supportant une table de pierre.

Il y a des autels du XIP s. à la cathédrale de Marseille, à Chatillon-sur-Marne, à Sainte-Marguerite, près de Dieppe, à Pontorson (Manche), etc.

Fonts et Bénitiers. Les fonts baptismaux du XII" siècle ont les mêmes formes qu'au siècle précédent. Ce sont des cuves cylindriques cantonnées ou non de colonnettes, des cuves carrées décorées d'arcatures ffig. 5), des fonts pédi- cules, c'est-à-dire des bassins supportés par un fût, et enfin- des coupes hémisphériques soutenues par des cariatides. Cette dernière forme ne se rencontre guère qu'en Bretagne. Un trou était pratiqué au fond de la cuve pour l'écoulement de l'eau baptismale.

La Picardie est riche en fonts romans. On en voit à Com- piègne, à Espaubourg, à Saint-Just (Oise), à Montdidier, à Airainc (Somme), etc. Ceux de la cathédrale d'Amiens, en pierre de liais, ont la forme d'une table allongée, supportée

EN FRANCE ET ExN BELGIQUE. 0,^3

par cinq petits pilastres; quatre figures de prophètes sont sculptés aux angles ; les noms de Zacharie et de Joël sont seuls restés visibles.

S- Fonts dcSiiinle-Marie de Chigiiac (Doidognc)

Il y avait autrefois, devant la porte et à l'extérieur des églises, des fontaines les fidèles, dans une intention sym- bolique, se lavaieni le visage et les mains. Telle est l'origine desbénitiers du Moyen- Age qui, sous le rapport de la forme, ne dif- fèrent de certainsfonts baptismaux que par leur petite dimension. Jusqu'au XIP siècle ce furent de petites cuves supportées par une colonnette ou un petit pilier ffig. 6) ; ils étaient ordinairement placés en dehors de l'église, sous le porche. Plus tard, on leur substitua des réservoirs appliqués contre un mur intérieur de l'église ou sur une colonne, et surmontés d'un dais.

6. —Bénitier de St-Avenltn (Haute-Garonne).

054 PRÉCIS DE LUISTOIRE ]JE l'aUT CHRÉTIEN

Les bénitiers portatifs avaient en général la forme d'un l)etit seau muni d'une anse ; on en faisait en ivoire, en cuivre, en argent. Un habile sculpteur de Lyon, M. Viollet, a exécuté récemment un bénitier roman dont nous donnons ici le dessin (^^. 7). Il s'est inspiré dans cette composition du bénitier de la cathédrale de Milan et de plusieurs vases analogues sculptés ou dessinés dans divers monuments des XP et Xir siècles. C'est un excellent modèle 7. que nous recommandons aux églises

qui auraient besoin d'un mobilier roman.

Sépultures. La décoration des tombeaux quadrilatères des Xr et XIP siècles accuse sou- vent l'influence du style byzantin. Ils reposent sur de courtes colonnes cylindriques ou sur un soubasse- ment en pierre ffig. 8) ; leur cou- vercle plat ou de forme prisma- tique est plus souvent uni que cou- vert de sculptures ; leur décoration la plus habituelle consiste en une simple croix gravée. Ils commen- cent à être décorés de la statue couchée du défunt.

C'est vers la fin du XIP siècle que s'introduisit l'usage des dalles gravées qui servaient tout à la fois à paver les églises et à recouvrir la dépouille des morts. Elles repré- sentent l'effigie du défunt, des inscriptions funéraires, des arabesques, des écussons, des détails d'architecture, etc.

.1. CORBLET.

Tombeau de la reine Adélaïde. (.Saint-Jean-au-Bois).

CHRONIQUE

M. Jules Solou vient de publier une spirituelle et courageuse brochure intitulée : Du Vandalisme àAuch. L'auteur nous permettra de lui signaler une erreur qui, si elle n'était pas rectifiée, pourrait faire soupçonner de vandalisme le conservateur actuel de la Biblio- thèque d'Amiens, dont le zèle bibliographique est aussi apprécié que la science archéologique, par tous ceux qui le connaissent. M. J. Solon dit en parlant de la bibliothèque de la ville d'Aucb, transférée récemment dans l'ancienne église des Carmélites : a II est fort heureux que les larges dimensions de la nef aient permis d'y placer les rayons de la bibliothèque et que le bibliothécaire n'ait pas suivi l'exemple de celui d'Amiens, qui, il y a quelques an- nées^ trouvant que les manuscrits in-folio que renfermait la biblio- thèque ne pouvaient pas entrer dans les rayons, crut que le meilleur parti était de les réduire, en les rognant, à la hauteur nécessaire.» M. J. Solon a puisé ce renseignement erroné de tout point dans l'ouvrage que M. le comte de Montalembert a publié en 1839, sur le Vandalisme et le catholicisme dans l'art. Dans sa lettre à M. Victor Hugo, datée de 1833, et insérée dans ce volume, l'honorable .pair de France s'exprime en ces termes: « On a nommé, il y a quelques années, à Amiens, un bibliothécaire dont toute la vie précédente avait été complètement étrangère à ce genre d'études et qui trou- vant que les manuscrits in-folio que renfermait sa bibliothèque ne pouvaient pas entrer dans les rayons des casiers, crut que le meil- leur parti était de les réduire, en les rognant, à la hauteur néces- saire. » Cette accusation ne pourrait être appliquée qu'à M. Dela- haye qui a été chargé de la conservation de la bibliothèque de 1826 à 1846; mais elle n'est point fondée. Il existe à la biblio- thèque d'Amiens un imprimé qui a été déplorablement rogné par un relieur, mais aucun manuscrit n'a subi les injures dont on parle.

056 CHRONIQUE.

M. J. Ganiior, dans son Catalogue des manuscrits publié en 1843, rend un hommage légitime à M. Le Prince, ancien négociant, qui consacra gratuitement ses loisirs à la reliure de plus de 500 vo- lumes. « Nous ne savons, dit-il, sur quelle preuve on s'est fondé, mais, nous, qui avons examiné tous ces volumes un par un, feuil- let par feuillet, nous pouvons assurer qu'ils ont été reliés avec une attention qui allait jusqu'au scrupule; que toutes les feuilles de vé- lin, môme les plus insignifiantes et les plus inutiles, ont été cou- servées aux recueils dont elles faisaient partie. » Sans mettre en doute la bonne foi de MM. de Montalembert et J. Selon, nous avons cru devoir mentionner une erreur, préjudiciable à la bonne renommée littéraire de la ville d'Amiens, erreur qui pourrait s'ac- créditer et prendre à la longue une place incontestée à côté des actes authentiques qui sont enregistrés dans le Martyrologe de l'Art.

La Direction des Musées impériaux vient de faire restaurer les quarante et quelques tableaux qui décoraient le chœur de Notre- Dame de Paris. Tous ces tableaux, dus aux plus illustres maîtres de l'école française des XVIIe et XVIIl*^ siècles, seront placés dans la galerie destinée à cette école et qui occupe le premier étage du nouveau Louvre, depuis le pavillon MoUien jusqu'au pavillon Daru.

^M. Fr. C. Louandre, ancien bibliothécaire-archiviste d'Abbeville, est décédé le 21 novembre à l'âge de 76 ans. Il s'était spécialement occupé de l'histoire du Ponthieu, avec autant de zèle que de suc- cès; il a publié entr'autres ouvrages : Biographie d'Abbeville et de ses environs, IS^O, in-S". Histoire d'Abbeville et du comté de Pon- thieu, 1844, 2"= édition, 2 vol. in-8°. Notice historique sur VHôtel- Dieu d'Abbeville. Diverses notices insérées dans les Bulletins des comités historiques et dans les Mémoires de la Société d'émula- tion d'Abbeville. Cet estimable savant a eu la joie de voir son fils suivre, comme lui, la laborieuse carrière de l'érudition et con- quérir une légitime renommée que le temps ne pourra qu'accroître.

J. CORBLET.

TABLE DES ARTICLES

DANS LE TOME SIXIÈME DE LA REVUE DE L'ART CHRETIEN

Sarcophages du inusée de Marseille, par le R. P. Dassy ... 5, 225, 5u5

DesLanternes.parM. Schaepkens. 22

Les Catacombes considérées comme type des basiliques chrétiennes, par M. l'abbé Aubeu 24

Du Réalisme et des Symboles dans l'art clirétien. par M. le comte GrimouauddeSt-Laurent. .33, G3

Peintures de M. Flandrin h Saint- Germain-des-Prés 45

Sarcophage-autel de l'église Saint- Zénon à Vérone, par M. .\ntonio Bertoldi 57

Quatre Sceaux de la province de Limbourg, par M. Schaepkens. 77

Le Lion et le Bœuf sculptés au por- tail des églises, par M. l'abbé

J. CORBLET 82

Le Temps deNoël(cantiques-litur- gie-coutumes) , par M. Pardiac. 100

Lettre sur quelques sculptures de lion, par M, Dusevel .... 113

D'un Argument des premiers siècles de notre ère contre le dogme de la résurrection, par M. Le Blant. 118

Note sur des Marmiles en broiize conservées dans quel(|ues collée - lions archéologiques, par M. rabl)é Cochet 127

Symbolisme du Cantique des canti- ques, par M. l'abbé Aurer . .

132

Une égUse cathédrale du V-' siècle et son baptistère : Saint-Élienne de Mêlas (Ardèche), par M. le V'«^ de Saint-Anuéol 169

Les Catacombes de Rome au point de vue de la controverse . . . 189

De l'origine de l'ogive, par M. l'abbé

J. CORBLET 202

Histoire de saint Jacques le Majeur et du pèlerinage de Composlelle. par M. l'abbé Pardiac, 213, 250, 306 378, 500, 539, 631.

Anciens dessins de Chandeliers, par M. Arnaud Schaepkens. ... 223

Nouvelles parlicularitéssur la sculp- ture chrétienne du moyen-ûge, par M. l'abbé Cochet .... 238

L'église de Nogent-les-Vierges,note additionnelle, par M. Élie Petit. 272

Monument funéraire du chanoine Ruyschen, à Saint-Servais de Maëstricht, par M. Schaepkens. 281

«158

TABLE DKS AUTICLES.

La prière de Marie et le bon Pas- teur, élude sur un sarcophage d'Arles, par M. le C'= Grimouard DE Saint- Laurent 283

Zoologie mystique M^e F. d'Ayzac

l'Agneau , par

300

Les Sandales et les Bas, par M. de LlNAS . . . 337, 468, 531, 561, 617

Des Voûtes en bois et de leur répa- ration, par M. Raym. Bordeaux. 354

Zoologie mystique : l'Antilope, par M-^o F. d'Atzac ...... 871

Tableau sculpté de l'église de Familleureux (Hainaut), par M. Lejeune 393

L'Architecture du XII© siècle en France et en Belgique, par M. l'abbé J. CORHLET 402

Recherches critiques sur Jean Bellegambe et sur son œuvre, par MM. A. Asselin et l'abbé C. Dehaisne 428,454

Ivoire sculpté du trésor de l'église de Tongres, par M. Schaepkens. 449

Nouvelles Remarques sur la décou- verte du coiur do Charles V, dans la cathédrale de Rouen , par M. l'abbé Cochet 510

Tombeau de Waleram III, duc de Liinitourg, à l'éghse de Rolduc, par M. Arnaud Schaepkens. . 547

Grandes Découvertes historiques re- latives à saint Jean-Baptiste et aux Évangélistes, par M. J. Cor- blet 590

Sainte Cécile glorifiée par les arts , par M. DuPRÉ 602

La Mort de saint Joseph, tableau attribué à Raphaël 615

La sculpture chrétienne au Xlla siècle, par M. J. Corblet . . .

645

Comptes-rendus bibhographiques , par MM. l'abbé J. Corblet, Charles de Linas et l'abbé Barbier de Montault, 49, 109, 158, 278, 330, 446, 549

Chronique, par M. J. Corblet, 165, 335, 556 et 655

TABLE DES DESSINS

Agneau (!') sur le roc, fond do verre des Catacombes, 301 ; recevant les caresses du Bon-Pasteur, 301.

Anneaux et boucles en bronze trouvés dans des sépultures chrétiennes, 241, 242, 243.

Antilope embarrassée dans un fourré, miniature, 373 ; saisie par le ve- neur infernal, 376.

Arcade ternée, 416 ibid.

mitrée ,

Arceaux intersectés formant des ogives, 209.

Autel de Saint-Germer, 652 ; de Saint-Zénon à Vérone (planche) , 57 ; détails des bas-reliefs, 60,61.

Bannière à lanterne, 23.

Baptistère de Mêlas (planche 2), 169.

Base romane, 420.

BÉNITIER portatif exécuté par M. Viollet, .654.

Bon-Pasteur (le) des Catacombes, 302.

^PoucLIER de nuit, 23.

Carbatina du pape Houorius III (pl.), 577.

Caveau était renfermé le cœur de Charles V, à la cathédrale de Rouen, 525, 526.

Cercueil d'un religieux, de l'abbaye de Sainte-Geneviève de Paris, 240.

Chandelier trouvé aux Loges, prés Fécamps, 1.30;— de répo(iue romane, 223 ; de l'époque ogivale, 224.

Chapelets trouvés dans des sépultures chrétiennes, 244, 245^

Chapiteaux du siècle, 180, romans, 414, 415, 420, 650.

Chasse de saint Firmin, à la cathédrale d'Anùens, 163.

Cloître de Nivelles (Belgique), 425.

Colonne du XII<= siècle, 413.

Coquilles —et bourdon des pèlerins de Saint-Jacques, 383 ; trouvées dans des tombeaux, 248, 249, 250.

Crypte de l'église d'Issoire, 408.

Cul-de-lampe roman, 416.

Dais et consoles du Xlle siècle^ 418.

Église (1'), statuette d'un reliquaire do l'époque romane, 451.

Église de Royat, 407 ; de Notre- Dame de Poitiers, 422; de Saint- Quentin, à Tournai, 423 ; de Saint- Denis, portail, 50; intérieur, 51; caveaux funéraires , 54 ; de Saint- Étiennede Mêlas (planche 1), 169 ; des saints Apôtres, à Athènes, plan, 333 ; vue de l'intérieur, 334.

Entraits et poinçons de voûtes, 361, 362.

Fanal de Fénioux (Charente-Inférieure),

427.

mo

TAlîLE DES DESSINS.

Fenêtres du Xlle siècle, 411.

Fonts liaptisinaux tle CliigiiaCj 6.53.

Inscriptions clirétii'unes du Parlliéiion , 331, 332, 333.

Ivoire sculpté de l'église de Tongres (planche), 449; détails de cette sculp- ture, 453.

Jacques le Majeur (saint) à la bataille de Clavijo, 643.

Lanterne— romane. 22 ; ogivale, 23.

Lion sculpté au porche de SL-Vulfran d'Abbeville (plancbeK 113.

Marmite en bronze, trouvée à Saiiit- Pierre-lès-Elbeuf, 127 ; aux Loges, près Fécamps, 130.

médaille de saint Benoit, 245.

MODILLONS du XII'î siècle, 409.

Monument funéraire du chanoine Ruys- chen, h Saint-Servais de Maëstricht (planche), 281.

Mort (la) de saint Joseph, tableau attri- bué à Raphaël (planche), 561.

Notre-Dame del Pilar et saint Jac- ques le Majeur, 319; —de Miséricorde, tableau sculpté de l'église de Fauiil- leureux en Hainaut (planche), 393.

Ogive romane, 405.

Ornements du style romano-ogival,417

Parthénon, façade occidentale, 331.

Pierre tombale d'un fondeur de mé- taux (XlVe siècle), 131.

Porte d'église au XIU siècle, 410.

Poutre décorée et peinte, 370.

Rose de N.-D. de Noyoïi, 412.

Sandales de saint Edme, de Com- niinges, de saint Pierre de Luxem- bourg (planche). 337 ; conservées dans l'église de Saint-Martin-des-Monts (planche), 577.

Sarcophages du Musée de Marseille (planches), 1,225,505.

Sceaux— do Maëstricht, 78, 79, 80;— de Bihsen, 81.

Sculpture du portail de N.-D. de Poi- tiers, 646, 647.

Sépulture d'Étaples, lio.

SoLEA crucifère, d'après un marbré an- tique (planche), 577.

Synagogue (la), statuette d'un reli- quaire du XIP^ siècle, 451.

Tombeau— arqué, 664 ; deWaleram III, à l'église de Rolduc, 547;— de la reine Adélaïde, 651.

Tour— de Sainte-Croix de Liège 412; de N.-D. de Noyon, iùid.

Vases chrétiens trouvés à Bouteilles, 111

Voussures du XIP siècle, 4io.

VOUTES en bois du moyen-âge, 364, 365, 366, 367, 368, 369.

Voyage des saintes Marie Jacobô et Salomé, sculpture antérieure au IX" s. 265.

Ces 147 dessins (dont 14 planches lithographiées ou gravées, tirées hors texte), ont été exécutés par MM. Barthélémy, R. Bordeaux, Agi. Bouvenne, Ern. Breton, A. Deschamps de Pas, Ddthoit, L. Dbouyn, Ebocodut, Aie. Giraud, Laugier, Th. Lejeune, De Saint-Andéol, A. Schaepkens, Violet et West-Wood.

TABLE ANALYTIQUL:

DES MATIERES

CONTEMJKS DANS LE TOME SIXIEME DE LA RLVUE DE l'aRT CIIUÉTIE.N '

A

Abdaye tl'Anchin, 132; —de Luxoiiil, 335 ; de Sailli-Denis, 19 ; (h Saint-Viclor, à Marseille, G, 'J ; de Sery, 112.

Abbayes, leurs cuisines, 426.

Abbeville , sculpture du portail de Saint-Vuiïran, 87,113.

Abdérame le Victorieux, C35.

Abraham ligure sur un chapiteau, 181.

Adam et Eve figurés sur un inonuiiient du IXe siècle, 67.

ÂGES de la vie (les quatre) figurés dans une niinialure, 552.

Agneau (1') —, ses significations mysti- ques, 9, 10, 300 ; recevant les ca- resses du Bon-Pasteur, 304, 305,

AiLLY-suR-NoYE, tombeau de Jean Haut- bourdin, 116.

AiMON, abbé de Saint-Pierre-sur-Dive, une de ses lettres, 403.

Albe d'Auguste, ville détruite, 170.

Aldegonde (ste),ses sandales conservées à Maubeuge,339.

Allemagne (1') n'est point la patrie ori- ginaire de l'ogive, 208.

AMIENS; bas-reliefs de sa catliédrale re- présentant la légende de saint Jacques le Majeur, 325. V. Cathédrale, Châsse, Ganiier, Muée.

Anachronisîies qui doivent être per- mis dans l'art, 44, 69;— de costume, 648.

Anasyris, 472. 476, 477.

Angelico (Fra), 6;07.

Anges, leur n'i)réseiitation, 43, 70.

Angleterre {!') n'est point la patrie de l'ogive, 207.

Anne (sainte), 461.

Anneaux en broiizo trouvés dans des sépultures chrétiennes, 240.

Antilope il'), ses significations mysti- ques. 371.

Apôtres figurés sur un sarcoiihage, 11, 506 ; leur ciiaiissure, 583.

Appareil du style latin, 175, 186 , du XIL' siècle, 108.

Apparitions de divers saints dans des batailles, 639.

Aquitaine, ses églises romanes, 407.

Arares (les) ont-ils inventé l'ogive?205.

Arbre de Jessé peint dans une cliapelle de Gaiid, 167.

Arcades, leurs diverses formes au Xlle siècle, 115.

Arceaux intersectés,209.

Archers, leur corporation, 553.

Architectes officiels, leurs réparations destructives, 549.

Architecture du Ve siècle, 173 ; du Xll» siècle, ses principaux carac- tères, 404 ; ses principales œuvres en France et en Belgique, 421; ogivale, son origine, 202. V. Art chrétien. Ca- thédrale, Église, Voûte, etc.

Arles, étude sur un de ses sarcophages, 283 ; note sur un autre tombeau, 12; son portail de .Saint-Trophime, 80.

Arnould, archevêque de Trêves, ses sandales, 629.

* Nous n'avons pas inséré dans cette table les noms des auteurs d'articles et de dessins ; ils sont imprimés d'une manière assez saillante dans les deux tables pré- cédentes pour que nous ayons cru cette répétition inutile j. coriu.et.

662

TABLE ANALYTIQUE.

Arras, indication de qaelciuos anciens tableaux qui y sont conservés, 464, 628

j^R'f (1') __, son but, 33 ; ne doit pas se borner à copier la nature, 34,39; peut allier le réel au figuré dans une même composition, 44; n'aurait que deux, patries, d'après le Moniteur ^ 597.

Art chrétien ; sa mission, 40; son langage symbolique, 41 ; son l)ut et ses conditions, 63, 74; des premiers siècles, 5, 18, 26, 225, 505; du Xlle siècle, 402, 645. Voyez Architecture, Catacombes, Peinture, Sculpture, Tom- beaux, etc.

Assyriens, leurs chaussures, 471.

Athènes, ses monuments antiques, 330 ; ses églises, 333.

AUBER (M. l'abbé), sa Table du Bulletin monumental, 111.

AUDENARDE, comment on y ouvre un triptyque, 556.

Augustin (saint) défend le dogme de la résurrection des corps, 120 ; son opinion sur la chaussure des apôtres, 587.

AuTEL-SARcoPHAGE de l'égUse Saint- Zénon, à Vérone, 57, 336.

Autels du Xlle siècle, 651.

Auvergne, caractères spéciaux de ses églises au Xlle siècle, 419.

Ayzac (Me F. d'). Compte rendu de son Histoire de l'abbaye de Saint- Denis en France, 49 ; son opinion sur la si- gnirication mystique du lion, 92, et du bœuf, 96.

Axe des églises incliné dès le Xe siècle, 31.

Bandelettes, 417.

Bannière portée par un enfant de chœur, 23.

Baptême de Notre Seigneur, comment on doit le représenter, 05, 68, 75.

Baptistère de Saint-Jean, à Poi- tiers, 31 de Mêlas, 183.

Bar (Fr. de), son Histoire de l'abbaye d'Anchin, 432, 455.

Barbier de Montault (M), nommé che- valier de l'ordre du Saint-Sépulcre, 558.

Barque figurant dans les armoiries de l'église de Lisbonne, 265.

Basiliques chrétiennes (les) ont les catacombes pour type architectu- ral, 24.

Bas-reliefs de l'église deFamilleu- reux (Haiuaul) 396 ; du XIP siècle, 648.

Bataille de Clavijo, 637.

Bathilke (sainte), ses souliers conservés à Chelles, 342.

BATON de Foulon, attribut de saint Jac- ques le Mineur, 261.

BÉATRix de Bourbon, 272.

Belgique, caractères spéciaux de ses églises au XII^ siècle, 418. V. Maes- tricht.

Bellegambe , peintre douaisien , re- cherches sur sa vie et son œuvre, 428, 454.

BÉNITIERS romans, 653 ; portatifs, 654.

Bernard (saint), son Commentaire sur le Cantique des cantiques, 149 ; ses opinions artistiques, 649.

Bestiaires du moyen-àge, 92,373.

BÉTHUNE, monnaies et jetons qu'on y a frappés, 278.

BiLSEN, sceau de cette ville, 81.

Blain d'Esnambac, monument élevé à sa mémoire, 560.

Bock (l'abbé Franz), traduction de son ouvrage intitulé : les Trésors sacrés de Cologne, 280.

Bœuf , ses significations mystiques. 96 , 98 ; sculpté au portail des égUses, 82.

Bœufs des tours de la cathédrale de Laon, 85, 97, 117.

Boisserée (M.), son opinion sur l'origine de l'ogive 203.

Boitel (M. l'abbé), son Histoire de Mont- mirail, 555.

Bon Pasteur (le) figuré sur des sarco- phages, 287, 295, 302, 304.

Bordeaux (M. R.), compte-rendu de son Trailéde la réparation des églises,l48.

TAULE ANALYTIOUE.

663

Bordeaux, ilinôrairc do Bordoaux ;\ Compostello, 215.

BossuET, son inlerpr6lalioii ilu Canlique des cantiques, M8.

Boucles du XlVe siècle, 5G7 ; - trou- vées dans des sépultures chrélii'nn(>s, 240.

Bouclier muni d'une l:uilorne,23.

BouRDiN (Miciicl), œuvres de ce sculp- teur, 276.

BouRPON de saint Jacques, 383, 381.

Bourges, détails d'une verrière de sa catliédrale, 138.

Bourgogne, caractères spéciaux de ses églises au Xlle siècle, 420.

Bretagne, caractères spéciaux de ses églises au Xlle siècle, 419.

Breton (M. E.), compte-rendu de son ouvrage sur Athènes, 331.

Bucn (Hicliel) institue la confrérie des frères cordonniers, 579.

Bûche de Noël (la) expliquée par Mar- chetti, 105.

Calceamenta, 469, 470, 472, 473, 538, 582, 618, 619, 626.

Calceoli, souliers de femme, 487.

Calceus, chaussure composée d'une se- melle, d'une empeigne et d'un quar- tier, 343, 344, 350, 469, 486, 627.

Calice boit un lion, 88; du XVe siècle, 553.

Caliga, chaussure militaire des Romains, 484, 622.

Campnyus, cliaussure impériale , 532, 563, 618, 619, 620, 627, 632.

Canard, attribut de saint Jacques le Majeur, 381.

Cantarini, 610.

Cantique des cantiques, étude sur la signification de ses allégories, 132.

Cantiques de Noël, 100.

Caractères généraux du style ro- mano-ogival, 404.

Carhatiiia, chaussure rustique, 480 , 618.

Carraches (les) 609.

Cartulaire de Saint-Maximin. 447.

Catacombes—, leurs peintures, G8, 2J4, 301, 301, 600 ; ont élé le type des premières églises chrétiennes, 24-, leurs inscriptions au pnint de vue tliéologi(iue, 188.

Cathédrale —d'Amiens, G52 ; d'An- c6ne,87;— d'Arras, 405 ;— deBamberg, 117; —de Dax, 86; deLaon, 85, 97, 117; —de Lisbomic, 265; do Mêlas, sa description, 169 ; de Noyon, 406, 412, 421 ; de Paris, 651, 656; —de Poitiers, 422 ; de Rouen, 511; de Strasbourg, 168.

Cathédrales du Xlle siècle, 424.

Cauderec-lès- Elbeuf , marmite en bronze trouvée dans son territoire, 127 ;— son ancienne Confrérie de Saint- Michel, 539.

Caumont (M. doj, son opinion sur les origines de l'architecture ogivale, 210.

Caveau funéraire de Charles V à Rouen, 525.

Çavetonniers, différents des savetiers, 580.

CÉCILE (sainte), œuvres de poésie, d'é- loquence, de musique, de peinture et de sculpture composées en son hon- neur, 602.

Cercueil, voyez Sarcophage.

Cerfs symboliques, 8, 9, 10.

Chaldéens, leurs chaussures, 472.

Chandeliers de l'époque romane, 223 ; de l'époque ogivale, 224 ; d'époque indéterminée, 130.

Chapelets trouvés dans des cercueils chrétiens du moyen-âge, 243.

Chapelle castrale de Familleureux, (Hainault), 395.

Chapelles sépulci'ales, 426.

Chapiteaux du V^ siècle, 177, 180 ; romano-ogivals, 114, 648, 650.

Chapitre de Notre-Dame de Rouen, 5ic.

Charlemagne guidé en Espagne par saint Jacques le Majeur. 543.

Charles V, son cu'ur découvert dans la cathédrale de Rouen, 511.

Chasse représentée sur un monument du IXe siècle, 60.

Chasse de saint Firmin, à Notre-Dame d'Amiens, 162.

mi

TABLE ANALYTIQUE.

Chaussures des morts, 254 ; an- ciennes, conservées en France, 339;— des anciens, 468 ; impériales. 531 ; du moyen-âge, 561 ; liturgiques, 581, 617. V. sandales.

Chèvre (la), sa signiOcalion mystique, 305.

Chiaula (D. Maur), son Oratorio de sainte Cécile, 601.

Chignac, fonts romans de son église, 653.

Chorea, 106.

Christianisme (le) prêché au premier siècle dans les Gaules, 161, 263. 308, 597.

Chronique de Nuremberg, 610.

CÎTEAUX, son écolo architecturale, 425.

Clavijo, sa célèbro bataille, C34.

Clergé (le) n'a plus le domaine exclusif de l'art au Xlle siècle, 404.

Cloître de Nivelles, 425.

Clôtures de chœur, leur origine, 400.

Cluny, son école architecturale, 425.

Cochet (l'abbé), analyse de sa Sote sur une sépulture chrétienne d'Etoples , 110.

Cœur de Charles V trouvé à N.-D. de Rouen, 526 ; son analyse chimique, 527.

COGUiN (Ch.). abbé d'Anchin, 430.

Collier d'or du XVI'^ siècle, 559.

Colonnes romano-ogivales, 113.

Comminges, sandales conservées dans son église, 349.

Communion des saints, dogme exprimé dans diverses inscriptions des cata- combes, 195.

Compostelle, histoire de son pèleri- nage, 215, 314, 541, 539, 634.

Conception immaculée de Marie, ta- bleau relatif à ce dogme, 458, 463.

Concile in Trullo, ses prescriptions ico- nographiques, 303.

Confrérie de Saint-Michel à Caudebec, 239.

Congrégation des cordonniers, 579.

Console du XlJe siècle, 418.

Constitutions apostoliques, leur date et leur valeur, 29.

Construction (ia) des églises au moyen- âge était une œuvre de foi, 403.

Contreforts du Xll» siècle, 408.

Coq de saint Pierre, 15.

Coquille, attribut de saint Jacques le Majeur, 381.

Coquilles découvertes dans des cer- cueils du n)oyen-âge, 247.

Cordonniers, leur corporation, 578.

Corniches romano-ogivales, 409.

Corrigiœ, courroies de chaussures, 471, 480, 481, 489, 490.

Cothurne, chaussure garantissant le pied et la jambe, 495, 564.

Couleurs des sandales épiscopales, 623.

Cousseau (Mgr;, son ophiion sur les lions qui décorent les portails des églises, en ItaUe, 89.

Crèches de la fête de Noël, 106, 108.

Crepida, chaussure grecque, 472, 481.

Crescent (saint), 308,597.

Crescentien (saint), ses reliques, 57.

Croix d'Ascension, 301 ; de saint Benoît, 245 ; des sandales épisco- pales, 623, 626 ; latine des siècles primitifs, 12, 18 ; trouvées dans des tombeaux, 553.

Crosnier (M. l'abbé), son opinion sur la signification des lions sculptés, 90.

Crucifiement du Sauveur, 449.

Crypte de saint Denis, 55 ; de sainte AValburge, à Anvers, 559.

Cryptes du Xlle siècle, 408.

Culte de la sainte Vierge et des images exprimé dans les fresques des pre- miers siècles, 200,

Cuthbert (saint), ses sandales, 625.

I>

Dais duXII^ siècle, 418.

Dalloz (M.) , ses bévues historiques, 591.

Dancoisne (M.), compte-rendu de sa Numismatique béthunoise, 278,

Daniel dans la fosse aux lions, 294.

Darsy (M.), sa. Notice historique sur l'ab- baye de Scnj, 112.

TAULE ANALYTKJIJE.

G65

Delvuoche (Paulj, t)l2.

DÉMON figuré par le lioit, yi ; par un vciiour, :i~6.

Deschami's de Pas (M.), conipto rendu de sou Histoire sigiUuue de la ville d<: Sainf-Omer, IIG.

Desrosiers (M.), sou ouvrage surSaint- Désirô, 418.

Diahathrum, chaussure dos Grecs, 482.

DOLCi (Carlo), 610.

DOMINIQUIN (le), 608.

Douai, ses aiiciens peintres, 440.

Dragon écrasé par un liou, 90.

Dryden, ses odes à sainle Cécile, 605.

Durand (Guillaume), ses reuseignemenls sur la décoration des portails, 83, 84.

DusEVEL (M.) publie une nouvelle édi- tion de l'Histoire du trésor do Saint- Pie/ re de Corbie, 56.

K

Ecriture-Sainte (1') est la véritable source des idées symboliques, iil.

Edme (saint), ses sandales, 631.

Edmond (saint), ses sandales, 361.

Eginon (le B.), ses sandales, 626.

Église (1') figurée à côté de Jésus crucifié, 450; personnifiée par une Oranle, 288 ; et par la chaste Su- zanne, 289.

Église de Saint- Vulfran d'Abbeville, 87, 113 ; d'Alby,613; des Saints- Apôtres, à Athènes, 333; de Com- niinges, 349 ; de Courcy, 86 ; de FamiUeureux, 396 ; de Saint Mar- tial et de Saint-Michel, à Limoges, 8 > ;

de Saint-Servais, à Maëstriclit, 282 ;

de Mêlas, 169 ; —de Mortagne-sur- Sèvres, 82, 84 ; de Moreaux, 85 ; de Nogent-les-Vierges , 272 ; de Notre-Dame de la Mer, 264 , de Saint-Porchaire, à Poitiers, 86 ; de Rolduc, 347 ; de Saint-Martin des Monts, à Rome, 630 ; de Saint- Pierre, à Roye, 423 ;— de Royat, 407;— de Saint-Denis, 49 ; de Saint-Désiré, 448 ; de Saint-Leu d'Esserent, 422 ;

de Tongres, 449; de Saint-Quen-

tin, :ï Totunai, 4J3 ; —de Sainl-Zé- non, à Vérone, 57,336;— de Sescas, G.5o. V. Art c/uétilu, CalItédraU', Portail, Voûte, etc.

Eglises priniilives, construites en bois, 204;— circulaires, 4o7;— fortiliées, ibid.; du IV« siècle, 30, 32 : du

_ XII..- siècle, 424.

Égyptiens, leurs chaussures, 474.

Endromis , chaussure particulière à Diane, 498.

Enseignes de pèlerinages, 279.

Entraits ou poutres apparentes des voûtes, 358; ne doivent pas être supprimés, 359 ; ligures et décrits, 361.

Éperons trouvés dans un tombeau chré- tien, 110.

Épitaphe de Ciiarles V, 520; de Waleram, 548.

Épitaphes comminatoires contre les vio- lations de sépulture, 123, 125.

Escarpins, chaussure d'intérieur, 577.

Espagne (1') évangélisée par saint Paul et saint Jacques le Majeur, 309, 314: envahie par l'islamisme, 502 ; remporte la victoire sur les Maures, 634. V. Cumposielle, Galice, Iria, Pierre.

Estivaux, espèce de bottes, 565, 566, 578.

Étaples, sépulture chrétienne du moyen- âge qu'on y a découverte, 110.

Étymologie de Compostel/e, 541 ; de Padron, 387 ; de Tulle. 112.

Eucharistie (1') représentée dans les Catacombes sous diverses allégories, 192, 313.

Évangéliaire du Xe siècle, 452.

Évangélistes sculptés sur un monu- ment du IXs siècle, 59 .

Évêques, leurs sandales, 617.

Exemples de style romano-ogival , 421.

Exorcistes, existence de leur ordre mentionnée dans les Catacombes, 190.

Paillon (l'abbé) interprète les sujets

de divers sarcophages, 11,16, 19. Fa.milleureux (Hainaut). V. Église.

48

666

TABLE ANALYTIQUE.

Fanaux de cimetières, 426.

Fasciœ, 469, 485.

Fenêtres romano-ogivales, 411.

FÉNioux, son fanal de cimetière, 426.

Fergusson (M.), son Histoire du tulle, 112.

Ferjies des voûtes en bois, 359.

FÊTE de l'Apparition de saint Jacques le

Majeur, 640. FiER-A-BRAs de Vertaing. épisode de sa

vie, 396. FiRMiN (saint), sa vie et son culte, 189. Flandrin (M.), ses peintures h fresque à

Saint-Germain des Prés, 44. Fonts baptismaux du Xlle siècle, 652. Fortifications d'églises, 407. Foulques le Réchin, comte d'Anjou,

ressuscite la mode des souliers poin- tus, 573. Fra angelico, sa fresque du baptême de

Notre-Seigneur Jésus-Christ, 69. Francia, 608. Francs-maçons ; on leur a attribué

l'invention du système ogival, 208. Frauenlob, ses poèmes mystiques, 146. Fulmentum, chaussure antique, 482.

G

Galice (la), physionomie de cette con- trée, 220 ; son culte envers saint Jac- ques, 540. V. Compostelle, Espagne.

Ga/lica, chaussure d'origine gauloise, 483, 491.

Garnier (M.), bibliothécaire d'Amiens, 055.

Géographie des styles d'architecture au Xlle siècle, 418.

GiRARDiN (M.) analyse la poussière pro- venant du cœur de Charles V, 528.

GOTns (les) ont eu une certaine com- préhension des conditions de l'art, 205;— leurs chaussures, 477.

GozE (M.), son Histoire des i-ues d'Amiens, 111.

Grecs, leurs chaussures, 478.

Grésy (M.), son opinion sur les souliers de sainte Bathilde, 344, 346.

GuÉRANGER (dom), sa Vie de sainte Cé- cile, 604.

Guerchin (le), 609. Gui-Barôzai, ses cantiques, 102. Guide (le), ses peintures de la vie de sainte Cécile, 607, 610.

H

HÉRÉTIQUES des premiers siècles qui ont nié le dogme de la résurrection des corps, 121.

Hermogène,— sa légende, 323 ; figuré sur divers monuments, 325.

Horloge astronomique, 277.

Huns, leurs chaussures, 477.

Iconographie des anges, 70 ; des apôtres, 506 ; des quatre Ages de la vie, 552; du bœuf, 83 ; du Cantique des cantiques, 138 ; de rimmaculée-Conception, 458, 163; des Évangélistes, 59 ; de saint Jac- ques le Majeur, 325, 381, 640 ; de saint Jacques le Mineur, 261 ; du Jourdain, 67; de saint Jean-Bap- tiste, 68; du lion, 83, 88, 90 ; de la Bienheureuse Vierge Marie, 200, 296, 458 ; de Notre-Seigneur Jésus- Christ, 59. 63, 2.32, 449, 506 ; des Orantes, 287 ; de saint Pierre et de saint Paul, 291 ; du Purgatoire, 59, 60. V. Symbolisme.

Imitation (1') de la nature, prise trop à la lettre, n'est jamais vraie dans l'art, 37, 39.

Inscription— d'une châsse du Xlie siècle, 164 ;— d'un timbre monastique, 168 ; delà croix de saint Benoît, 245;— d'un tableau sculpté du XVe siècle, 399 ; relative aux archers de Bruges, 553. Voyez Êpitaphe.

Inscriptions des Catacombes ; argu- ments qu'elles fournissent à la contro- verse Ihéologique. 190 ; chrétiennes du Parthénon, 331 ; relatives à la résurrection des corps, 123 ; de l'église de Vérone, 58, 61 ; de celle de Moissac, 554.

TAULK ANALYTIQUE.

(107

Inventions ilc relifiucs l'èlivs iiar l'Ej^liso

univorsolle, 540 Irid Flavia, villo espagnole, 31G, 379,

386, 501. IssoiHE, crypte de son église, 488. IvomEsculplé de l'églisede Tongres,449.

Jacobée, origine du nom de cette plante, 385.

jAcyuEs LE Majeuh (S.), lii.stoire de cet apôtre, de son culte et du pèlerinage de Conipostelle, 213, 25G, 306, 378, 500, 539, 634.

Jacques le Mineur (saint), 257.

Jean Baptiste (saint), confondu avec saint Jean l'Évan géiiste, 592 ; —son ico- nographie, 68.

Jean (saint) l'évangtMlste, imberbe ou barbu, 59.

Jean de Luxembourg, roi de Bohème, 273.

Jésus-Christ, comment il doit être représenté, 63 docteur, sujet d'un sarcophage, 505 ; enfant, glorifié, sujet d'un autre sarcophage, 232 ; expirant sur la croix, 58, 449 ; fi- guré par l'agneau, 301 ; et par le lion, 91, 115; —représenté imberbe, IH ; scènes de sa vie peintes à St.-Germain des Prés, 47 ; sculpté sur un sarcophage, 9.

Joseph (saint) , sa mort représentée dans un tableau attribué ;\Raphaël,615.

Josias, son martyre, 327 ; figuré sur divers monuments, 328.

Jourdain (le), comment on représente ce fleuve, 67.

Juifs, leurs chaussures, 469.

Justice rendue inter Leones, 86, 90,

Laon, bonifs sculptés iId sa cathédrale, 85, 97, 117.

LÉGENDE de Cliarlemagne et de saint Jac(iues le M., 544 ;— dllerinogénes, 323, de Clavijo, 635 : de Maya, 379 ; de N.-D. de Miséricordi-, •S.,1; de N.-D. del l'ilar, 318.

Légendes du moyen-âge, 97.

Lehman (M.), ses figures d'évangélislcs dans une nouvelle édition des Saints Évangiles, 591.

Lenohmand (M.), son opinion sur l'o- rigine orientale de l'ogive. 206.

Liège, tours de Sainte-Croix, 412.

ii>/w/œ ou pattes de sandales,G22, 626, 633.

Limbes, leur représentation au IX^ siècle, 59, 60.

Lineœ, 627, 628, 631, 632.

Lingua OU languette des sandales, 626. 628, 629.

Lion sculpté au portail des églises, 82; figuré dans des monuments de l'antiquité et du moyen-âge, 86, 113; ses significations historiques et symboliques, 80, 114, 117 ; —attribut de saint Marc, 599.

Liturgie du temps de Noël, 104; espagnole, 320 ; glorifiant sainte Cé- cile, 602 ; relative aux sandales épiscopales, 624.

Louandre (M.), sa mort, 656.

Louis d'Anjou (saint), ses sandales con- servées ;\ Saint-Maximin, 3:.2. Luc (saint), explication de son at- tribut, 97 ; a-t-il été peintre? 108. 283 ; a-t-il prêché dans les Gaules? 597. LuciLE (sainte), ses reliques, 57. Luna, ornement des chaussures antiques,

490 Lune personnifiée, 4.50. 453. LupiciN (saint), ses reliques, 57. LuxEUiL, costume et tonsure des moines de cette abbaye, 335.

Laitre-Sous-Amance (Meurthe) , son

portail, 86. Lambert (saint), figuré sur un sceau, 80. Lanternes romanes et ogivales, 22.

ni

Madeleine (.<ainle). son apostolat dans les Gaules, 263.

668

TABLE ANALYTIQUE.

Ma DONEsha))iil(}estle toilettes iiiondaiiies, 550.

Maestuicht, sceaux conservés dans ses archives, '78 ; monument funéraire de Saint-Servals, 282.

Manuscrits de la bilj). d'Amiens, 655.

Maratti (Carlo), 616.

Marc (saint) pris pour un apùtre, 598 : explication de son attribut, 95, 599.

Marie apparaissant à saint Jacques le Majeur, 318 ; figurée sur un sceau, 79 ; peinte à la lin du pre- mier siècle, 200 : portant l'Enfant- Jésus, 284 ; dans l'attitude de la prière, 286; liirurée par une Oranto, 296. Voyez Conception.

Marie Jacobé et Marie Salomé, leur voyage en barque, sculpté au Ville siè- cle, 265.

Marion (M.), son explication des bœufs sculptés de Laon, 97.

Marmites en bronze de quelques col- lections archéologiques, 127.

Marseille, sarcophages de son Musée, 5, 225, 505,

Marst (M. de), sa mort, 556.

Martin (s.) représenté sur un chapiteau, 650.

Matamoros. surnom de saint Jacques. 637.

Mathieu (saint), qualifié de farouche par un écrivain du Moniteur, 595.

Maure (sainte) et sainte Brigide, 274.

Maya, sa légende, 379.

MÈDES, leurs chaussures, 476.

Mêlas, ancienne résidence épiscopale, 171; description de sa cathédrale, 173.

Menuiserie du moyen âge et de la re- naissance, 364.

MÈRE aux de Béthune, 279;— de Toui, 335.

Michel-Ange cesse d'être vrai à force d'être exact, 38.

Michelet (M.), sa nébuleuse explication de l'ogive, 211.

Midi de la France, caractères spéciaux de ses églises, 420.

MiGNARD, 612.

Millin, défectuosités de ses planches,

227, et de ses interprétations, 234. Miniatures, 551, 611.

Missel de Jean Juvénal des Ursins. 611.

MoDiLLONS romano-ogivals, 409.

Moissac, sculptures de son portail, 86 ; inscriptions de son église, 554.

Mommolin (S.), erreur rectifiée, 545.

Monogramme cruciforme, 508.

Montalembert (M. de), erreur qu'il a commise, 665.

Montani (Mgr), %G?' Mémoires historiques sur la Vierge miraculeuse de Sainte- Marie-Majeure, 169.

Moîîtdidier , tombeau de Raoul de Crespy, 116.

MONTMORiLLON,sachapelledesmorts,427.

Monument funéraire du XV!»" siècle, 281.

MoREAUx (Vienne), bas-reliefs de son église, 85.

MORELOT (M.), sa 'Notice sur la musique au XFe siècle, 56.

MORIN, sa Méthode élémentaire de l'ac- compagnement du plnin-chant, 555.

MORT (la), sous forme d'un squelette, 465.

MoRTAGNE-suR-SÈvRES (Vendée) , bas- relief de son église, 82, 84. 98.

MOYSE, ses traits donnés à Saint-Pierre, 191.

Musée Napoléon d'Amiens, 557 ; d'Arles, 12. 283,295 ;— d'Arras, 628 ;— de Bruxelles. 23, 450 ;— de Douai, 458, 464 ; de Londres, 489 ; de Mar- seille, 5, 225, 505; de Melun, 168; de Nantes, 129, 558 ; de Saint- Jean de Latran, à Rome, 295 ; de Rouen, 128, 559 ; d'York, 131;— du Louvre, 656.

Musique religieuse, sa supériorité, 614.

Myrrophores (les six), 267.

Mystères joués dans les églises, 107.

IW

Nantes, V. Musée. Navires sculptés et peints, 558. NiCAiSE (saint), 465. NicoLLE (M. l'abbé) met en vente un tableau qu'il attribue à Raphaël, 615. Nimbe donné à un objet inanimé. 303. Nivelles, son cloître monastique, 425. Noces des orientaux, 142.

TABLK AXAL\riQUE.

UGl)

NOEL, ct'lrliralioii de cclU' Irli', au

moyen-figCj 105, lOG ; ;i Roiiu',

107. NOELS (lu moyen â|^o, 100 ; des

deux derniers siècles, 101 ; des pays

étrangers, 103.

NOGENT-LES-VlEUGES, SOU église, 272.

Nord de la France, caractères spéciaux, de ses églLses au Xlle siècle, 418.

Normandie, caractères spéciaux de son architecture rontano - ogivale , 419. V. Rouen, Sépultures, VoiUes en bois.

Notre-Dame de Miséricorde, sa lé- gende, 397 ; figurée dans un lias- relief, 398 ; del pilar, 319. Voyez Cathédrale, Marie.

NoYON, Voyez Cathédrale.

O

0 de l'avent, 104.

Obsèques des rois de France, 52.

Obstrigillum, espèce de soulier, 487,

617. Océan (1') figuré sous les traits de Nep- tune, 452. Ocrea, 469.

Odones, espèce de sandale, 534. Ogive, étude sur son origine, 202 ;

elle n'apparaît point partout ù, la

même époque, 405. Orante, ce qu'exprimait cette figure,

231, 287, 293. Ornements de la période roniano-ogi-

vale, 417. Ours, figuré sur un monument du

IX" siècle, 60.

Padron, étymologie de ce nom de ville, 387.

Paix (baiser de), 327.

Pantoufles domestiques, 353.

Paris, V. Cathédrale, Musée, Saint-Ger- main des Près.

Parthénon, ses inscriptions chrétiennes, 331.

l'AUTMES, leurs chau.ssures. 476. Passion (la) du Sauveur a-t-elle été figurée dans les monuments primi- lifs? 17 ;— ligurée par le l)œuf,9G, 98. Patriciens, leurs chaussures, 488. Pattes des hases, 113. Paul (saint), son voyageen Espagne, 308. Paulin (saint), son distique sur deux

croix émaillées, 13. Peignes de saint Jacques, 251, 382. Peinture (la) religieuse est-elle en dé- cadence? 45. Peintures de Jean Bellegamhe,455. des Catacombes, 606 -, des voûtes en bois, 360, 370 ; murales de Saint-Germain-des-Prés, 47. V. Cécile. PÈLERINAGE de CompostcUe, 215, 501,

de Familleureux, 400. PÈLERINES percées de deux trous cir- culaires, 248, 2.50. PÈLERINS, leurs noms au moyen-âge,

221 ; leurs enseignes, 279. PÈRES de l'Église, leur interprétation du

Cantique des canti(iues, 134. Péronés, espèce de cothurne, 469, 490,

497, 537. Perses, leurs chaussures, 475. Phéniciens, leurs chaussures, 473. Philippe de Dreux, évêque de Beau-

vais, ses sandales. 630. Picardie (la), berceau de l'ogive, 212 ; caractères de son architecture, au Xlle siècle, 419 ; ses fonts romans, 652. Pieds de quelques statues antiques,

leur dimension, 347. Pierre (saint) représenté sons les traits de Moyse, 190 ; a-t-il prêché en Espagne? 300;— son coq, 115. Pierre (saint) et saint Paul, sculptés sur un sarcophage, 8, 11, 14, 15, 20, 291. Pierre (saint) , archevêque de Braga,

218. Pierre de Luxembourg (le B ), ses san- dales conservées à Avignon, 353. Pierre tombale d'un fondeur de métaux, 131 ; du XIV« siècle, .559. Pierres précieuses, qualités que leur prêtait l'antiquité, .560.

f)70

TABLE ANALYTIQUE.

Pù^adius OU pointes de souliers, 574.

Piques ensevelies dans des fosses mor- tuaires, 239.

Plan d'une cathédrale au y^ siècle, 179;— des églises romano-ogivales,405.

Poésies des Hébreux. UO ; com- posées en l'honneur de sainte Cécile, 604.

Poisson (M. l'abbé), sa lettre au direc- teur de la Revue, 82.

Poisson de saint Pierre, 383 de saint Christophe, iHd.

Poitiers, v. Cathédrale, Église, Portail.

Pontificalia, 632.

PoncHES romano-ogivals, 411.

PouTAiL des églises d'Italie, 87 ; de N.-D. deToitiers,646. 647;— deLaitie, 86. Y. Lion.

Portes romano-ogivales, 409 ; d'église, 651.

Poulaine des souliers, 572.

Poussin (le), 72, 611.

PouY (M.). Compte-rendu de ses Recher- ches historiques sur l' imprimerie à Amiens, 55.

PuAUx (M.), ses opinions protestantes réfutées par l'archéologie, 199.

Puntormo (J. de), 607.

Purgatoire, allusions à ce dogme dans les inscriptions des Catacombes, 193 ;— sa représentation au IXe siècle, 59, 60.

R

Ramirb, vainqueur des Maures, 635.

Raphaël, son baptême de Notre-Sei- gneur, 70 ; son tableau de sainte Cécile, 607; autre tableau qu'on vient de lui attribuer, 614.

RÉALISME (du) dans l'art, 36, 37, 63, 76.

RELIQUAIRE du musée de Bruxelles,450.

Reliques— conservées à Chelles, 345;— de saint Jacques le Majeur, 378, 539 ; de l'église Saint-Zénon, à Vérone, 336 ; de saint Vincent, 265 ; des saintes Marie, 266 ; des Saints pla- cés sous l'autel, 226; fêle de leurin- vention, 540.

Réol (saint), ses sandales, 628.

Représentation funéraire, 52.

Restauration des voûtes en bois, 358.

Résurrection des corps ; ce dogme attaqué aux premiers siècles de notre ère. 118.

Résurrection (la) du Sauveur est sym- bolisée par le lion, 96.

Retable d'Anchin, recherches sur l'au- teur de cette œuvre, 428, 457.

Rhin (bords du), caractères particuliers de leurs églises au Xlle siècle, 420.

RoLDUc, son tombeau de Waleram, 547.

Romains, leurs chaussures, 478.

Rome célèbre avec pompe la fête deNoël, 107. V. Catacombes, Église, Musée.

Roses romano-ogivales. 411.

RosTAN(M.) publie lecartulaire munici- pal de Saint-Maximin, 447.

Roue de la vie humaine, 551.

Rouen, on y découvre le cœur de Char- les V, 522, et diverses antiquités, 559. V. Cathédrale, Musée.

RoYAT, son église fortifiée, 407.

RoYE, portail de son église, 423.

RUBENS, 610, 641.

Rues qui portent le nom de saint-Jacques, 641.

RuiscHEN, son monument funéraire, 281.

S

Sabliers des voûtes en bois, 355, 369.

Saint-Aventin, bénitier de son église, 6.53.

Saint-Denis, voyez Abbaye.

Saint-Germain-des-Prés, ses pein- tures murales par M. Flandrin, 46.

Saint-Germer, autel roman de son église, 652.

Saint-Leu, son église, 422.

Saint-Maximin, ses sarcophages chré- tiens, 10, 11, 15 ; sandales du Xllle siècle conservées dans son église, 352.

Salmon (M. Ch.), compte-rendu de son Histoire de saint Firmin, 158.

SalOiMON, voyez Cantique des cantiques.

SALViATijSon Baptême de N.-S. J.-C.,l%.

TAltLE ANALYTKjUE.

G71

Sandales de saint Ediiiond, .'i Sens, 311 flo sainl Louis-d'Anjou, à Saint-Maxiniiu, ;55-2 du 15. l'i(>rrede Luxembourg, conservées à Avignon, 353 ; de sainte Aldegoiuh;, 3ay ;

de Coinniiuges, 349; —trouvées dans des sépultures bénédictines, 253;

forme, couleur et matière des san- dales, 4(j«, 5;50. r)()l, 017. V. Chaussure.

Sandalium, pantoulle d'origine grecque, 493, 619, 620, Cr'l.

Saragosse. protégée par Notre-Dame

del pilar, 321. Sarcophages d'Arles, 12, 286, 295,

de Marseille, 5. 225, 505; d'un religieux de Sainte- Geneviève de Paris; deSaint-Maximin, 10; —de Vérone, 57, 336.

Savetiers, leur corporation, 580.

Scabillum, chaussure antique, 483.

Sceaux de la province de Lirabourg, 77— deSaint-Omer, 446; —de cha- pitre, 553.

ScHNAASE (M.), son opinion sur le bélier écrasé par un lion, 91.

Scu/ponea, chaussure romaine, 480.

Sculpture assyrienne, 47i du Xlle siècle, 414. 645 ; du XVe siècle, 399 ; du XVIe siècle, 282 ; des voûtes en bois, 363 ; des navires, 558.

Scythes, leurs chaussures, 477.

SÉPULTURE chrétienne du moyen-âge, 238, 654. V. Sarcophages, Tombeaux.

Serpents symboliques, 21.

Servais (saint), figuré sur un sceau, 76, 80.

Soccuti, 531.

Socciis, pantouQe sans cordons, 492.

Solea, semelle attachée avec des cour- roies, 340, 469, 474, 479, 617.

Soleil personnifié, 450, 453.

Sotulares rostrati ou souliers à la pou- laine, 574.

Souliers, voyez Chaussures.

Spencer (M.), son ouvrage sur les ca- tacombes romaines, 189.

Stalles, 651.

Statues de Charles V, 519 du Xlle siècle, 646 ; antiques, 3 17.

Style romano-tigival, ses caractères, 404, IIK.

Subtahiris, chaussure épiscopale, 568, (i2().

SUGEii, sa conduite par raïqjurl auv (euvres du passé, 4o2.

Suzanne, iJersonnifianl l'Église, 289,

Si/cchas, (\si)èce de crépide, 482.

Symbolisme de l'art. :J3, 649 , de l'art (iirétiiMi , lu , 40, 6;j ; de l'agneau. IJOO ; —de l'antilope, 371; du bœuf. '.6 ; du Canliiiue des cantiques, 132 ; du lion, 88, 93, 113; du limaçon, 21 , du serpent, 21 ; du temple de Sa- lomon, 25. V. Iconographie.

Synagogue (la), représentée à coté du Calvaire, 4ri0.

Tableaux, avis pour leur bonne con- servation, 165; —de Jean Bellegandje, 442 ; représentant sainte Cécile, 607; de N.-D. de Paris, 656. Voyez Peinture, Raphaël, Rétable, etc.

Tibialia, espèce de bottes, 469, 562, 566. 568.

Temple (le) de Salomon n'offrait rien qui ne fût symbolique, 25.

Terre (la) symbolisée, 452.

Testament (l'ancien et le nouveau) mis en parallèle dans les vitraux, 94.

Théologie (la) peut trouver des argu- ments dans les inscriptions des cata- combes, 188.

Timbre d'horloge du XV« siècle, 168.

Tombeau de saint Jacques le Majeur, 500, 539 ; de Charles V, 517.

Tombeaux décorés de lions, 88, 115 ; des églises de Montdidier et d'Ailly- sur-Noye, 116; de la cathédrale de Rouen, 515 ; du XII^ siècle, 654.

TONGRES, ivoires sculptés conservés dans son église, 449.

Tournai, son église de St-Quentin, 423.

Tours romano-ogivales, 412.

Traditions légendaires du moyen Age, 93. Voyez Légendes.

672

TABLE ANALYTIQUE.

Tkansition du pleiii-cintrc ;\ l'ogive,

404. Transsepts circulaires, 406. Tryptique de la cathédrale d'Arras,

464; —ouvert k l'aide, d'un bâton,

556. Voyez Retnô/e. Tronc des églises, leur origine, lOG. Tulle (le), origine de ce mot, 112. Type uniforme de la statuaire romane,

647.

TzANGUES, chaussure impériale, 535

478.

U

Uiio, espèce de sandale, 534.

V

Violateurs des tombes anathématisés, 112.

Voie lactée, pourquoi est-elle appelée chemin de Saint-Jacques, 554,

Voltaire, son nom inscrit à la cathé- drale de Strasbourg, 168.

Voussures romano-ogivales, 410.

Voûtes— d'arête considérées comme une des causes de l'adoption de l'ogive, 207, 210, 212 ; en pierre, leur forme au Xlle siècle, 416 ; en bois, de l'époque ogivale, à Rouen, Caen, etc., 355; de leur réparation, 357; en Normandie, 361, 362.

ViOLLET (M.), son bénitier roman, 654.

ycv

Vandalisme (actes de), 6, 358, 402, 515, 55.

Van-Dick. 610.

Vases funéraires, m, 247.

Veau, voyez Bœuf.

Vérone, voyez Sarcophage.

Verres peints des catacombes, 291, 297, 300.

Verrières de Nogent-les-Vierges, 274.

ViLLARS DE HONNECOURT a dcssiné des études de lion dans son album, 88.

Vincent (saint), son corps porté mira- culeusement à Lisbonne, 265.

Walburce (sainte), découverte de sa

crypte, 559. Waleram III, son tombeau, 547. Wauters (M.), sa découverte relative à,

l'auteur du rétable d'Anchin, 429.

Zancha, chaussure impériale, 535, Zoologie mystique, 300, 371. Voyez

Agneau, Antilope, Bœuf, Lion, etc. ZURBARAN, 611.

ARRAS. Typographie Rousseau-Lcioy.

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