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TRAVAUX & MÉMOIRES

DE

LINIVEUSITE DE LILLE

TOME VIII. :\lK.MoiiiE N" 24. Henri CHAMARD. Joachim du Bellay

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LILLE

AU SIÈGE DE L'UNIVERSITÉ, RUE JEAN-BART

1900

Le. Conseil de l'Université de Lille a ordonné l'impression de ce mémoire le ly janvier iQoo.

L'impression a été achevée, chez Le Bigot Frères, le 20 mars igoo .

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JOACIIIM DU BI^LLAY

i522-i56o

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HENRI ClIAMAUD

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TRAVAUX ET MÉMOIRES DE L'UNIVERSITÉ DE LILM'; Tome VIII. Mémoire 24.

LILLE

AU SIÈGE DE L'UNIVEllSITÉ, RUE JEAN HAUT

1900

^

JOACHIM DU BELLAY

1522 - 1560

AVANT-PROPOS

Cette étude est le fruit de huit ans de travail. Depuis le i^i" décembre 1891, il ne s'est passé presque point de jours sans que je m'en occupe : je lui ai consacré le meilleui' de mon temps.

J'ai prétendu faire avant tout une étude littéraire, et, dans ce dessein, pour bien mettre en lumière les divers aspects du talent poétique, si souple et si varié, de mon auteur, je n'ai pas craint de prodiguer les citations. Mais, convaincu que les œuvres littéraires perdent toujours à n'être pas exac- tement replacées dans leur milieu, j'ai fait à l'histoire une part très large. Je n'ai négligé aucune occasion d'éclairer l'œuvre de du Bellay par l'histoire littéraire de son époque. Semblablement, je n'ai pas cru qu'on pût comprendre à fond les poèmes qu'il fit à Rome, si l'on ne connaissait l'état politique et moral de la cité des papes entre i55o et i50o.

Univ. de Lille. Tome VIII. A. i.

JOACHIM OL BELLAY

Enfin, j'ai tàehr d'apporter le plus de précision possible aux questions de chronologie, toujours si délicates et dune si grande importance.

Malgré son étendue, cette étude reste encore incomplète. Je n'ai parlé ni de la langue ni de la ij'thmique de du Bellay. II m'a paru tout à lait inutile de revenir sur le premier sujet, après les deux volumes de M. Mai'ty-Laveaux sur la Langue de la Pléiade. Quant au second, j'avais songé dabord k lui réserver un chapitre. Mais pour étudier avec intérêt du Bellay versificateur, il fallait multiplier les rappro- chements avec ses devanciers et ses contemporains : cela m'eût entraîné bien loin. J'ai donc mieux aimé n'eu rien dire que de n en dire pas assez, et laisser le sujet entier pour le reprendre tout au long dans un ouvrage que je projette sur la Rythmique de la Pléiade.

Au terme de ce long travail, c'est un devoir très doux pour moi de remercier tous ceux qui m'ont aidé à le rendre moins défectueux. Je souhaite qu'on retrouve ici la trace des savantes et lumineuses leçons de mon ancien maître à l'École Normale, M. Brunetière. Je dois beaucoup à M. Petit de Julie ville, qui m'encouragea le premier k entreprendre cette étude, et dont les bons conseils m'ont guidé mainte fois au cours de mes recherches. J'adi'esse un hommage très recon- naissant k la mémoire de M. Marty-Lavcaux, le consciencieux éditeur de la Pléiade Françoise, et j'ai grand regret qu'il n'ait pu voir achevée une oeuvre à laquelle il s'intéressait, et que la sienne seule avait rendue possible. D'autres savants encore, dont quelques-uns sont mes amis, ont, sur des points divers, facilité ma tâche par d'utiles indications : M. Camille Ballu, le dernier biographe de Joachim : M. Pierre de Nolhac,

5É*'

AVANT-PROPOS

III

dont on sait la ferveur pour les poètes de la Pléiade ; M. Desdevises du Dezert, professeur à ri'niversité de Cler- mont-Ferrand ; M. Edouard Droz, professeur à l'Université de Besançon ; M. Ernest Langlois, professeur à l'Université de Lille ; M. Gustave Fougères, maître de conféi'ences en Sorbonne ; M. Victor Giraud, professeur à l'Université de Fribourg. Que tous reçoivent ici l'expression de ma sincère gratitude. Me permettra-t-on de nommer aussi celle dont lu collaboration me fut toujours si précieuse, la compagne intel- ligente et dévouée à qui sont dédiées ces pages ?

I

Lille, l'j novembre 1899.

Il JOACHIM DL BELLAY

Enfin, j'ai lâché d'apporter le plus de précision possible aux questions de chronologie, toujours si délicates et d'une si grande importance.

Malgré son étendue, cette étude reste encore incomplète. Je nai parlé ni de la langue ni de la rythmique de du Bellay. Il m'a paru tout à lait inutile de revenir sur le premier sujet, après les deux volumes de M. Mai-ty-Laveaux sur la Langue de la Pléiade. Quant au second, j'avais songé d'abord à lui réserver un chapitre. Mais pour étudier avec intérêt du Bellay versificateur, il fallait multiplier les rappro- chements avec ses devanciers et ses contemporains : cela m'eût entraîné bien loin. J'ai donc mieux aimé n'en rien dire que de n en dire pas assez, et laisser le sujet entier pour le reprendre tout au long dans un ouvrage que je projette sur la Rythmique de la Pléiade.

Au terme de ce long travail, c'est un devoir très doux pour moi de remercier tous ceux qui m'ont aidé à le rendre moins défectueux. Je souhaite qu'on retrouve ici la trace des savantes et lumineuses leçons de mon ancien maître à l'Ecole Normale, M. Brunetière. Je dois beaucoup à M. Petit de Julie ville, qui m'encouragea le premier à entreprendre cette étude, et dont les bons conseils m'ont guidé mainte fois au cours de mes recherches. J'adi^esse un hommage très recon- naissant à la mémoire de M. Marty-Laveaux, le consciencieux éditeur de la Pléiade Françoise, et j'ai grand regret qu'il n'ait pu voir achevée une œuvre à laquelle il s'intéressait, et que la sienne seule avait rendue possible. D'autres savants encore, dont quelques-uns sont mes amis, ont, sur des points divers, facilité ma tâche par d'utiles indications : M. Camille Ballu, le dernier biographe de Joachim ; M. Pierre de Nolhac,

AVANT-PUOIMJS III

dont on sail la rei'veur pour les poètes de la IMéiade ; M. Desdevises du De/erl, professeur à rUniversilé de Cler- mont-Ferrand ; M. Edouard Droz, professeur à i'Uiuversité de Besançon ; M. Eruesl Langlois, professeur à T Université de Lille ; M. Gustave Fougères, maître de conférences en Sorbonne ; M. Victor Giraud, professeur à rUniversité de Fribourg. Que tous reçoivent ici l'expression de ma sincère gratitude. Me permettra- t-on de nommer aussi celle dont la collaboration me fut toujours si précieuse, la compagne intel- ligente et dévouée à qui sont dédiées ces pages ?

Lille, 17 novembre 1899.

4

BIBLIOGRAPHIE

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Ampère (J.-J.). Portraits de Rome à différents âges, publ. dans la Revue des Deux- Mondes, juin i835 ; réimpr. dans La Grèce, Rome et Dante. Paris, Didier, 1869, in-8».

Baillet. Jugemens des savans sur les principaux ouvrages des auteurs (i685). Edit. de La Monnoye, Paris, 1722, 7 vol. in-4'.

IV, 412-414.

Ballu (Camille). Notice sur Joachim du Bellay, dans l'édit. des Œuvres choisies de Joachim du Bellay, par L. Séché. Paris, 1894, in-4''. Biographie, p. xli-cxi; Bibliographie, p. 251-268.

Begker (Henri). Un humaniste au xvi« siècle. Loys Le Roy (Ludo- vicus Regius) de Coutances. Thèse. Paris, Lecène et Oudin, 1896,

1 Dans cette liste ne figurent que les ouvrages éditions et travaux qui, de près ou de loin, intéressent Joachim du Bellay. Quant aux autres, ils seront mentionnés en note dans le cours même de cette|étude.

VI JOACHIM DU BELLAY

Becq dk Fouquifres. Œuvres choifties: de .Toachim du Bellay. Paris, Charpentier, i8;6, in-12.

BiNET (Claude). Discours de la vie de Pierre de Ronsard.

Il en existe trois rédactions, qui présentent entre elles de notables divergences : celle de i586, publ. à part, Paris, G. Buon, in-4' de 128 p. ; celle de i58;, dans la i"^^ édit. poslh. des œuvres de Ronsard, Paris, G. Buon, in-12, t. IX, p. 107. (Bibl. Nat. Rés. pY^. i'2); celle de 1597, dans l'édit. de Ronsard ptibl. par la V^*" de G. Buon. t. IX, p. 109. (Bibl. Nat. Rés. Y=. 1893-1895). Ce dernier texte, qui constitue le texte clas- sique de Binet, se retrouve dans l'édit. de Ronsard de 1623, in-P*, p. 1637. (Bibl. Nat. Y*. 17). Il est reproduit, à l'orthographe près, dans les Archives curieuses de Vhistnire de France, de Ciraber et Danjou, i" série, t. X (i836), p. 359-4^5, et, partielle- ment, dans l'édit. des Poésies choisies de P. de Ronsard, par Becq de Fouquières, Paris, Charpentier, 1873 et 1880, in-12 Je cite Binet, suivant les cas, d'après les édit. de i58fi, 1087 et 1097. Cf. Rev. d'hist. litt. de la France, 1899, p. 44-

Blanchemaln (Prosper). i" Edition des Œuvres de Ronsard. Bibl. elzév , 8 vol. in-i6, 1857-1^67.

Quand je ne cite pas Ronsard d'après les originaux, je renvoie à cette édition de préférence à celle de Marty-Laveaux, parce que. reproduisant l'édit. collective de 1060, elle donne, sinon le texte primitif de Ronsard, du moins un texte contemporain de J. du Bellay.

2" Poètes et Amoureuses. Portraits littéraires du xvr siècle. Paris,

Willem, 1877, 2 vol. formant pagination continue.

BoNNEFOx (Paul). Pierre de Paschal, historiographe du roi (i522- 1565). Paris, Techener, t883. in-4''.

BouRciEZ (Edouard). Les mœurs polies et la littérature de cour sous Henri II. Thèse. Paris, Hachette, 1886, in-8°.

Brunet. I Manuel du Libraire, a*" édit., 6 vol., 1860-1860. Art. Rellaj- (Joachim du), t. I, col. 749-701.

Supplément, 2 vol., 1878-1880. Art. Rellaj- {Joachim du),

I. I, col. 100-102.

BII$l,10r.HAI'HIl>: VII

Brunetière. i" Cours inédit sur le xvi" siècle , professé à l'École Normale Supérieure, 188G-1887.

L'évolution des genres dans l'histoire de la littcnitiire, l. 1,

I" leçon. Paris, Hachette, 1890.

3* Discours prononcé à l'inauguration de la statue de ,/. du

Bellay à Ancenis, le 2 septembre iSg4 > reproduit dans les Débats roses du 3 septembre.

4* Manuel de l'histoire de la littérature française. Paris, Delà-

grave, 1898.

Brunot (Ferdinand). i" La doctrine de Malherbe d'après son com- mentaire sur Desportes. Thèse. Paris, Masson, 1891, in- 8*.

2" La première édition lyonnaise du Discours de du Bellay sur

le fait des quatre États du royaume (i56y), article publ. dans la Reç. de philol. franc, et prov., l. VIII, 1894, p. 89.

La langue au xvi" siècle, chap. xii du " Seizième Siècle » , dans

la grande Histoire de la littérature française. Paris, A. Colin,

1897.

Chasles (Philarète). Etudes sur le \vi^ siècle en France. Edit. de 1876. Paris, Charpentier, in-12.

Clément (David). Bibliothèque curieuse historique et critique. Gœttingen, 1750-1753, 4 vol. III, 63.

Clément (Louis). De Adriani Turnebi regii professoris prae- fationibus et poematis. Thèse. Paris, Picard, 1899, in-8'*.

2" Henri Estienne et son œuvre française (étude d'histoire

littéraire et de philologie). Thèse. Paris, Picard, 1898, in- 8".

Je n'ai connu ces deux ouvrages qu'après l'entier achèvement de mon travail.

CoLLETET (Guillaume). i" Éloges des hommes illustres... composez en latin par Scevole de Sainte-Marthe et mis en français par G. Colletet. Paris, 1644. P. i36-i39.

L'Art Poétique. Paris, i658.

VllI JOACHIM DU BELLAY

CoLLETET (Guillaume). Vie de Joachim du Bellay.

Les Vies des poètes français, autographe et copie, ont été brûlées en 187 1, dans l'incendie de la Bibl. du Louvre. Mais le ms. Durand de Lançon, à la Bibl. Nat. (Nouv. acq. fr. So^S). contient une copie anonyme de 1^7 de ces vies. La notice sur J. du Bellay se trouve aux f*' 46 - 67 v°. J'ai fait moi-même une transcription intégrale de cette copie souvent fautive, surtout dans les citations latines.

Grépet (Eugène). Les Poètes Français. Paris, Gide, 1861, t. Il : De Ronsard à Boileau. P. 55, notice sur J. du Bellay, signée G.-L.

Crosnier (Alexis). Les « Regrets » de Joachim du Bellay. Conférence faite à l'Université catholique d'Angers, le aS février 1894, et publ. dans la Rev. des Fac. cath. de l'Ouest, juin 1894.

Darmesteter et Hatzfeld. Le seizième siècle en France. Edit. de 1887. Paris, Delagrave, in-12.

Dejob (Charles). Marc-Antoine Muret. Thèse. Paris, Thorin,

1881, in-8°.

Dupré-Lasale (Emile). Michel de LHospital avant son élévation au poste de chancelier de France. V"^ partie (i5o5-i558). Paris, Thorin, 1875, in-80 ; ^^ partie (i555-i56o). Paris, Fontemoing, 1899, in-8 .

J'ai connu trop tard pour en profiter la deuxième partie de cet ouvrage, beaucoup plus importante que la première en ce qui louche du Bellay.

Du Verdier. Bibliothèque française (i584). Edit. Rigoley de Juvigny, Paris, 1772-1773, 4 vol. in-4°- IL 534-543.

Egger. L'Hellénisme en France. Paris, Didier, 1869, 2 vol. in-8% t. I, notamment 8' leçon.

Faguet. i' L'humanisme français au xvi* siècle, leçon d'ouverture

publ. dans la Revue Bleue, 17 janvier 1891. Seizième siècle. Études littéraires. Paris, Lecène et Oudin, 1894,

in-12.

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La Croix du Maine. Ribliothèque françoise (i584). Édit, Rigoley de

Juvigny, Paris, 1772, 2 vol. in-4°. H, 1-2. Lafargue. Joachim du Rellay, poète angevin du xvi'' siècle.

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Lenient. I' La satire en France ou la littérature militante au xvp siècle. Édit. de 187;. Paris, Hachette, 2 vol. in-12. I, 120 et U, 2i5.

X JOACHIM DU BELLAY

Lexient. La poésie patriotique en France dans les temps modernes. Édit. de 1894. Paris, Hachette, 2 vol. in-12. I, chap. v.

LiDFORSs (W. Edouard). Observations sur l'usage syntaxique de Ronsard et de ses contemporains. Avec une (sic) appendice conte- nant la Défense et illustration de la langue françoise, de loachim du Bellay. Lund, i865, in -8".

LioTARD. Etude sur Joachimdu Bellay. Nîmes, Clavel-Ballivet, i863, in-8'' de 24 p.

LisEux (Isidore). Édit. des Jeux Rustiques et des Regrets, reprod. de l'édit. orig:. (i558), Paris, i8-5 et 1876, in-32.

Marchand (abbé Gh.). De Graecarum litterarum studio apud Ande- gavos in xvi" seculo. Thèse. Angers et Paris, 1889, in-8°.

Marty-Laveaux (Charles). La Pléiade Françoise, 20 vol. in-8''. Paris, Lemerre, 1866-1898.

Les œuvres de J. du Bellay ont paru les premières de toutes, 2 vol. avec notice biographique, 1866-1867. Il faut y joindre un supplément assez considérable, au t. II de V Appendice (1898), p. 384-4o"3. Cette édition ne contient que les œxxvvc^ françaises du poète : les œuvres latines n'ont pas été réimprimées.

Masson (Papire). Elogia. Édit. Balesdens, Paris, i638, 2 vol. (Bibl, Nat. Rés. G. 2612) .

L'éloge de J. Dorât est de i588.

Ménage i" Anti-Baillet (1688). Édit. de La Monnoye, Paris, i^So, in-4°. Chap. xxxv, xlv, lxxi, cix et cxlv, p. 65, 93, 146, 229 et 439-

Menagiana. 3'^ édit.. donnée par La Monnoye, Paris, i'i5, 4 vol. in-12. - III, 268 et 38i ; IV, 4.

L'édit. orig. (Paris, i6()3, i vol. in-12) ne contient rien sur J. du Bellay, non plus que la 2^ édit. (1694).

M0NNIER (Eugène). La fontaine comme morative de Joachim, du Bellay à ériger à Ancenis (Loire-Inférieure). Paris, Lemerre, 1888.

Hiru.rOGHAF'HIE XI

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NoLHAc (Pierre de). i" Lettres de Joachim du Bellay, publ. pour la première fois d'après les originaux. Paris, Charavay, i883.

M. de Nolhac a retrouvé depuis deux lettres inédites de J. du Bellay, qu'il a publiées dans la Itev. dldst. litt. de la France, 1894, p. 49? et 1899, p. 36o.

La bibliothèque de Fulvio Orsini. (Bibl. de l'Éc. des H'°^ Et.,

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Documents nouveau.x sur la Pléiade : Ronsard, du Bellaj-, ar-

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Pasquier (Etienne). Les Recherches de la France. Edit. Laurent Sonnius, Paris, 1611, in-4° (la dern. édit. publ. du vivant de l'auteur), liv. VI, chap. vu : De la grande flotte de poètes que produisit le règne du roy Henry deuxiesme, et de la nouvelle forme de poésie par eu.x introduite.

Dans l'édit. de 1723, le liv. VI devient le liv. VII.

2" Lettres, dans l'édit. des Œuvres comp/éies^ Amsterdam (Trévoux),

1723, 2 vol. in-f".

XII JOACHIM DU BELLAY

Pater (Walter). The Renaissance. Stiidies in art and poetry. Londres, Macmillan, 1S89, in-8*. P. 162-185 : Joachim du Bellay (article de 1872).

Pavie (Mctor). Œuvres choisies de Joachim du Bellay, avec portrait de David d'Angers et notice de Sainte-Beuve. Angers, 184 1, in-8".

Pellissier. De sexti decimi saeculi in Francia artibus poeticis. Thèse. Paris, Vieweg, 1882, in-8»,

Ronsard et la Pléiade, chap. iv du «' Seizième Siècle », dans la grande Histoire de la littérature française. Paris, A. Colin, 1897.

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Les poésies latines de J. du Bellay s'y trouvent en partie, l, 390-487.

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Cette étude est suivie des lettres de J. du Bellay, publ. d'après le manuscrit de Montpellier (Bibl. de l'Éc. de Méd., H. 24).

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Saint-Marc Girardin. Tableau de la littérature française au xvie siècle. Édit. de 1862. Paris, Didier, in-12.

XIV JOACHIM DU BELLAY

Sainte-Beuve. i' Tableau de la poésie française au xvi^ siècle (1828). Édit. de 1893. Paris, Charpentier, in-12.

2" Notice sur Joachlm du Bellay, publ. dans la Revue des Deux-

Mondes, i5 octobre 1840 ; reprod. en tète de Tédit. des Œuvres choisies de J. du Bellay, par V. Pavie, Angers, 1841, in-S" ; réiinpr. à la suite du Tableau, p. 327, édit. de 1893.

3* Joachlm du Bellay, trois articles publ. dans le Journal des

Savants, avril, juin, août 1867, à propos de l'édit. Marty - Laveaux ; réimpr. dans les Nouveaux Lundis, t. XIII, Paris, G. Lévy, 1870, in-T2.

Sainte -Marthe ( Scévole de). Galloruni doctrlna lllustrium

Elogla.

11 en existe trois édit. publ. par Sainte-Marthe lui-même à Poitiers, 1098 (in-S% i liv.), 1602 (in-4'', 2 liv.), 1606 (in-12, 4 liv.). La 3^ édit. présente des variantes par rapport aux deux autres. Pour J. du Bellay, cf. 1Ô98, p. 39-41, et 1606, p. 60-61. Les Éloges de Sainte-Marthe ont été traduits en français par CoUetet (i644).

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La poésie bretonne-angevine, introduction à son édition des

Œuvres choisies de Joachlm du Bellay. Paris, 1894, in-40 (édit. du Monument).

3" Revue des Provinces de V Ouest, ann. 1894 et 1895, principale-

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BlllLlOGUAlMllE XV

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Mélanges tirés d'une grande bibliothèque. Paris, Moulard, 1780.

VII, 103-174.

N.-B. Je cite J. du Bellay : pour la Deffence, d'après l'édit. Person : pour les Regrets et les Jeux Rustiques, d'après l'édit. Liseux ; pour les Lettres, d'après l'édit. P. de Noihac ; et pour les autres œuvres, d'après l'édit. Marty-Laveaux. Dans les références, les chiffres romains indiquent le tome, les chiffres arabes la page : toutefois, dans les chap. m et iv de la 1" partie (analyse de la Deffence), le chiffre romain indique le livre, le chiffre arabe le cliapitre. J'ai respecté partout dans les citations l'orthographe des auteurs, me bornant seulement à distinguer le j de ïi et le V de Vu.

INTRODUCTION

Le 2 septembre 1894, la petite ville cVAncenis érigea solen- nellement une statue au poète Joachim du Bellay. Ce fut une fête des plus brillantes, discrète pourtant et point tapageuse, comme il convenait à ce doux chanteur, une fête qui sut garder, dans son caractère officiel, quelque chose d'intime et de bien local. Un inspecteur des Beaux-Arts, conteur joyeux et délicat poète, parlait au nom du Gouvernement '. L'Aca- démie Française s'était fait représenter par le plus achevé de nos sonnettistes " et par le plus éminent de nos critiques '. Nombre de lettrés étaient venus d'un peu partout dans ce coin de province saluer Tauteur de la Deffence et des Regrets.

Depuis cinq ans, au bord de la Loire, fièrement campé sur son piédestal de granit blanc, du Bellay, dans l'attitude un peu sévère dune rêverie douloureuse, contemple les eaux de "son fleuve gaulois, qui coulent mélancoliques à ses pieds, et là-bas, tout en face, sur l'autre rive, les coteaux de Lire, son bourg natal, jadis se dressa le manoir paternel. Grâce à l'énergie d'un Breton, homme de lettres distingué, qui s'est fait l'apôtre de son culte *, du Bellay l'Angevin, le poète aux

' M Armand Silvestre.

- M. José-Maria de Heredia.

' M. Ferdinand Brunelière.

* M Léon Séché d'Ancenis, historien et poète, directeur de la Revue des Provinces de L'Ouest, président de l'Association Bretonne-Angevine, qu'il a fondée sous le patronage de Joachim du Bellay.

Univ. de Lille. Tomk VlU A. I.

2 JOACHIM DU BELLAY

ardeurs généreuses, aux nobles ambitions, épris ditiéal , amoureux de renommée, a fini par obtenir de ses compa- triotes, après trois siècles d'attente, le témoignage dadmiration que rêvent tous les jaloux de gloire : un sculpteur de talent, ravi trop tôt à l'Art par une mort tragique', a lixé ses traits dans le bronze. Trouvera-l on qu'il soit téméraire de lui rendre maintenant une autre espèce d'hommage ? Je voudrais, dans une étude d'ensemble aussi véridique que possible , retracer l'histoire de sa vie et de ses œuvres. Ce fervent des Muses a droit aux honneurs d'une monographie.

Un intérêt particulier s'attache à sa personne. C'est une des ligures les ])lus originales en même temps qu'un des poètes les plus personnels du xvi*^ siècle. Nature sensible, d'une sensibilité très délicate et presque maladive, il avait un gi'and fonds de tendresse : c'était une âme aimante, câline, portée d'elle-même à s'épancher, d'un commei'ce agréable et facile, très ouverte, très sincère, très constante en amitié. Mais, d'une grande mobilité d'humeur, comme tous les gens très sensibles, il subissait les impressions les plus diverses, allait vite d'un extrême à l'autre, passait en peu de temps de l'enthousiasme au découragement. Il était susceptible, impatient, irritable, pronq)t à s'aigrir. Et dès lors, il devenait incisif et moi'dant : car il uv;iit beaucoup d'esprit, et ilu meilleur. Avec cela, de la lierté, de l'assurance, j-e n'oserais dire de la morgue, mais un certain contentement de soi-même qui sentait son gentilhomme, un air de grand seigneur très conscient de ce qu'il vaut. De toutes ces (pialités et de

' .Vdolplu' Lcol'anli.

INTRODUCTION 3

tous ces défauts s'est formé un poète singulier, inégal sans doute, mais bien personnel. Il s'est fait de son art une haute conception. Il n'a pas cru la poésie inférieure aux vanités mensongères qui séduisent le commun des hommes : il l'a proclamée divine. 11 a pensé qu'elle était autre chose (ju'un futile passe-temps. Il a voulu l'élever au-dessus de l'éphémère et du frivole : il a voulu qu'elle traduisît son rêve de beauté. Tour à tour il a redit dans ses vers les pures jouissances d'un amour idéal, son désir passionné de gloire, les ruines imposantes d'un passé qui fut grand, les voix rustiques de la nature. Aux heures son esprit était en verve, il a tracé, des spectacles qu'il avait sous les yeux, des peintures humoristiques, d'une vérité presque brutale, d'une satire aiguë et pénétrante, d'une ironie parfois bien amère. Aux heures plus fréquentes des tristesses, il a pleuré les longues mélan- colies de son àme, ses rêves déçus, ses espoirs trompés, les dures souffrances de l'exil sur une terre étrangère, ses regrets de la patrie absente, des amis lointains, du foyer délaissé, là-bas, au doux pays natal'. Il a fait de ses chants un écho de son cœur ; il a laissé jaillir du fond de lui-même une source de poésie réelle, intime, vraiment vécue.

L'intérêt qui s'attache à du Bellay comme homme et comme poète se double de ce qu'il s'est trouvé mêlé à l'une des questions les plus importantes, à la plus importante peut-être, de notre histoire littéraire : l'introduction des modèles antiques dans notre poésie et la fondation du classicisme. Il appar- tenait à cette noble phalange d'écrivains qui voulurent pour la France une gloire littéraire égale à celle de l'Italie, qui se donnèrent la mission de défendre la langue maternelle contre les attaques de ses détracteurs, d'illustrer la poésie nationale, si pauvre encore, en la mettant à l'école de l'Anti- quité. Il fit partie de cette Pléiade qui conçut et créa chez nous la grande poésie. Dans ce groupe fameux, il tint le

4 JOACHIM DU BELLAY

second rang, mais à peu de distance du premier, A Tlieure de la bataille, ce lut lui qui donna le signal et qui frappa les premiers coups. Il lança le manifeste qui formulait pour le public les fières prétentions de la jeune Brigade, ses visées esthétiques, tout son credo littéraire. Lorsque les rimeurs de la vieille école , surpris dans leur quiétude , atteints dans leur prestige, essayèrent de riposter, tandis que Ronsard observait un silence dédaigneux, c'est encore lui qui prit la plume pour glorifier l'œuvre commencée et la défendre contre l'attaque des adversaires '. Des premiers, il voulut mettre en pratique les théories, joindre l'exemple aux préceptes : il contribua pour sa part, et largement, à naturaliser les genres nouveaux : il composa des sonnets avec Pontus de Tyard, des odes avec Ronsard. Enfin, aloi-s qu'il n'était plus tout à fait en comnmnion d'idées avec ses amis, alors qu'il avait renoncé pour son compte aux belles ambitions du début, il ne cessa pas de s'intéresser à leurs tentatives ; il suivit d'un œil com- plaisant leurs efforts et leurs progrès ; il les regarda volontiers marcher dans la voie qu'il avait ouverte et que, par impuissance ou lassitude, lui-même avait abandonnée. Ainsi, l'histoire de du Bellay tient à Thistoire de la Pléiade, au point d'eu être plus d'une fois inséparable.

Mais ce qui fait l'intérêt de cette étude en fait aussi la dilliculté. C'est une tâche délicate et peut-être impossible de vouloir exacte- ment démêler ce qui, dans cette commune entreprise, revient en propre à du Bellay. Tous ont contribué plus ou moins, par un échange de vues, à former la somme des idées qui constitue leur

' La seconde préface de VOlive

INTRODUCTION 5

doctrine en matière de poésie, et la Doffence, pour être signée de son nom, n'est pas son œuvre à lui tout seul : c'est l'ellort collectif des élèves de Dorât au (Collège de Goqueret. Dès lors, on voit l'écueil : si Ton ne peut comprendre du Bellay sans la Pléiade, s'il faut à chaque instant éclairer son œuvre par celle de ses amis, n'est-il pas à craindre que le cadre n'empiète sur la peinture ? Il ne faut pourtant pas qu'une monog-raphie sur Joachim du Bellay dégénère en une étude générale de la Pléiade.

D'autre part, si le premier mérite de notre personnage, si son plus beau titre de gloire est d'avoir été, dans la meilleure partie de son œuvre, un poète personnel, qui s'est mis tout entier dans ses vers, qui leur a confié les mille sentiments de son àme mobile, quel intérêt n'aurions-nous pas, pour le bien saisir, à connaître avec précision les détails de son existence ! Combien il serait précieux pour nous de pénétrer sa vie intime, d'évoquer la vision lumineuse de ces années d'enfance et de jeunesse, si capitales pour la formation du caractère, de res- susciter, pour ainsi dire, dans leur aspect multiple, les journées de son âge inùr, occupées aux études, aux plaisirs, aux affaires I Malheureusement bien des points restent obscurs dans cette vie si tourmentée. J'ai tâché de percer le nuage qui recouvre son jeune âge : mes recherches mont appris peu de chose. Sur son séjour à Rome, il plane encore, j'en ai peur, plus d'un mystère ; et si quelques lettres de lui nous laissent entrevoir les causes de sa disgrâce et les ennuis de ses derniers jours, on voudrait cependant sur ces questions une lumière plus complète. Ainsi, quoi que j'aie pu faire, cette biographie présentera bien des lacunes. Elles sont d'autant plus regrettables que, chez du Bellay, l'œuvre tient à la vie par des liens étroits, et que la connaissance de l'une est nécessaire à la compréhension de l'autre : ici, le poète et l'homme ne font qu'un.

JOACHIM DU BELLAY

Cette considération nous impose une autre méthode que celle qui préside en général aux monographies littéraires. La division traditionnelle, qui consiste à passer successivement en revue la vie et Tceuvre d'un écrivain, ne peut être de mise dans la présente étude : elle aurait le tort grave de séparer ce qui doit marcher de pair.

Le voyage que du Bellay fît à Rome en i553 partage en deux son existence, et de même sa carrière poétique.

Au début, du Bellay, tout entier sous l'inQuence des leçons de Dorât et des idées échangées avec ses amis de collège, fait les plus beaux projets pour la réforme de la poésie. Il a Tambition d'être un novateur. 11 donne aux théories une grande im})ortance. Mais, comme il sait peu de chose de la vie et qu'il n'a prescjue rien à dire par lui-même, il est réduit le plus souvent à s'inspirer des autres : il emprunte, il imite, il traduit. C'est avant tout un poète livresque.

Mais son parent le cardinal du Bellay l'emmène à Rome. Ce poète livresque échappe aux doctrines d'école, à l'action de ses amis. Le voilà tout d'un coup en contact avec la vie, et ce contact est douloureux. Il souffre, il s'abîme en lui-même, il pleure au fond de Tàme. Adieu les théories et les projets d'antan ! Les amertumes de la réalité lui font oublier les rêves caressés naguère. Il écrit pour lui seul et pour quelques intimes : il retrace simplement ses souffi-ances et, lorsqu'il se croit le moins novateur, devient le plus original. C'est vraiment alors un poète personnel.

Poète livresque et poète personnel, telles sont les deux phases du talent de Joachim du Bellay. Le voyage de Rome

INTRODUCTION 7

marque la séparalion. Dès lors, ce travail coinpi-cuclra deux parties :

i" de la naissance au voyage de Komc ;

2" du voyage de Rome à la mort.

Dans chacune de ces parties, je ferai concorder autant que possible, et dans la mesure la clarté n'en souflrira pas, l'histoire de la vie et l'étude des œuvres. Jaurais pleinement réussi dans ma tâche d'historien, si, parvenu au terme de ce livre, le lecteur emportait de mon poète une image vivante et conforme à la vérité.

Iv,

\

PREMIÈRE PARTIE

DE LA NAISSANCE AU VOYAGE DE ROME

1S22 - 1553

CHAPITRE

ENFANCE ET JEUNESSE

PREMIÈRES SOUFFRANCES PREMIÈRES ÉTUDES'

1522- 1547

I. L'Anjou et la Loire.

II. La famille du Bellay. La branche cadette : les quatre frères du Bellay. La branche aînée : les ascendants du poète.

III. Naissance de Joachim. Premières années : commerce avec

la nature Premières souffrances : malheurs domesti- ques. — Désœuvrement intellectuel. Rêves de gloire.

IV. Séjour à Poitiers. Poitiers au XVI*" siècle Études

juridiques et littéraires. Premiers essais poétiques. Influence de Muret. Influence de Salmon Macrin. Influence de Peletier. V. Rencontre de Ronsard. Départ pour Paris.

Un chroniqueur angevin du xvi" siècle. Paschal Robin du Fauz, célébrant V excellence et Vantiquité de son pays natal, dit

' Indications Bibliographiques.

Pour la vie de Joachim du Bellay, les principales sources à consulter sont les suivantes:

D'une façon générale, les Œuvres françaises et latines du poète, et plus particulièrement : la Complainte du Désespéré, 1;»2 (édit. Marty- Laveaux, II, 1) : les Poemata. irwS (Paris, F. Morel, in-4) les Regrets

12 .lOACHIM DU BELLAY

qu'au premier abord l'histoire de l'Anjou, cette petite province qu" enserrent de tous côtés Bretons, Manceaux, Ghartrains, Ven- domois, Tourangeaux et Poitevins, pourrait sembler à la plupart des lecteurs sans grand intérêt; puis il ajoute, dans son lan- gage naïf et pittoresque : (( Toutesfois quand ils voudroient s'arrester à revoir les bonnes et riches villes, le grand nombre des grandes rivières, les anciennes et sacrées églises, les opu- lentes abbayes, les doctes ordres des convents, les antiques baronnies, chastellenies, et presque innumerables seigneuries de noblesse, en partie érigées en comtez, marquisats, principautez, et autres grades signalez : avec les officiers royaux anciens et modernes de l'une et l'autre robbe, les ports, passages, ponts, arches, tours, forteresses, chasteaux, maisons illustres et nobles séjours des gentils -hommes et seigneurs reluisans en vertus par ce beau pays, comme luisantes estoilles par l'estendue du ciel : ensemble le traficq' avec l'estranger, la commodité des voictures, l'excellence des bons vins blancs et clairets, les pes- ions (édit. I. Liseux, 1876); les Lettres, l^m (étlit. P. de Nolhac, 1883); enfin et surtout, YElégie latine à Jean de Morel, publiée seulement en lo69, à la suite des Xenia, maifi qui date de la lin de 1539. Cette élégie, dit Sainte- Beuve, est son « testament ». Marty-Laveaux en a reproduit les passages essentiels dans l'Appendice de son Du Bellay, p. xxxui.

Les pièces latines et françaises que les amis du poète ont consacrées à sa gloire et qui forment son Tombeau, lofiO. (V. les édit. originales).

La Vie de Ronsard, par Binet.

Les Eloges de Sainte -Marthe.

Les ouvrages de Golletet, Baillet, Ménage, Niceron et Goujeï, mentionnés à la Bibliographie.

Le Dictionnaire de Morkri (20' édit., 1759), art. Bellay et Chabot.

La Notice de Sainte-Beuve, écrite en 1840 pour l'édit. V. Pavie et réimprimée à la suife du Tableau de la poésie française au xvi" siècle.

Le Mémoire de Revillout, 18(17.

La Notice de 1\L\rty-La veaux, en tète de son édition.

Le Dictionnaire de Maine-et-Loire de C. Port, 1878, art. Duhellay, Lire, Turmelière.

La plaquette de L. Séché sur Joachim du Bellay, 1880.

La Notice de C. Ballu, qui précède l'Édition du Monument, 1894. C'est le dernier travail publié sur la vie du poète, le moins incomplet et le mieux informé.

ENFANCK ET JEUNESSE 13

chéries, les forests, les chasses à toutes bestes et oyseaux, la l'oisou de toutes sortes de grains, les perrieres de tulleaux, ardoises, marbres, et autres pierres blanches, grises, noires, et d'autres couleurs : les couslaux et vallées, les plaines, bourgades, villages et paroisses, les bénéfices et . domaines ecclésiastiques, royaux , nobles , roturiers et populaires : et finalement un incroyable nombre d'habitans de tous estats, et un million d'autres singulières particularitez d'Anjou : je ne doute point qu'ils n'admirassent la grandeur et excellence de ceste belle patrie '. »

Cette belle patrie est en elïct une des plus douces contrées de France. L'air y est pur, le climat tempéré : point de froids rigoureux, point de chaleurs extrêmes. Le sol y produit toute sorte de biens. C'est un épanouissement de vie large et gaie, de richesse plantureuse. L'abondance de toutes choses « dans la suavité de lair et du sol " » a t'ait à cet heureux pays une antique réputation de mollesse et de facilité '.

Le grand charme de l'Anjou, comme aussi de la ïouraine. c'est son fleuve, cette Loire aux eaux claires qui le traverse de part en part. Elle coule sur son lit de sables, d'un cours nonchalant, semée d'iles verdoyantes, entre deux rives her- beuses qui s'allongent en courbes flexibles , indéfiniment. D'Angers à rSantes, à perte de vue, s'étend une vaste suc-

' Brief discours ffentil et proufitable sur l'excellence et antiquité du pays d'Anjou... par le sieur Du/au- Robin, Gentil-homme Angevin, p. 4. Paris, 1l)82. (Bibl. Nat. Lki. 116). Rapprocher un curieux chapitre d'un autre chro- niqueur angevin, Jehan de Bourdigné, Clironiques d'Anjou et du Maine (Angers, 1529), V" part., chap. iv : « En quelle contrée de Gaulle est le pays d'Anjou situé. Et de la fertilité d'icellur, et quelles fore stz et fleuves plus renommés y sont ». Réimpression du G" de Quatrebarbes, Angers, Cosnier et Lachèse, 1842, 2 tom. en 1 vol. in-8', p. 20. (Bibl. Nat. Lk:i. 114).

- Sainte-Beuve, Notice sur J. du Bellay, p. 353, n. 1.

^ Andegavi molles, dit une expression devenue proverbiale qu'on vou- drait faire remonter jusqu'à César. Faciles Andegavi, dit une autre locution que rappelle fièrement J. de Bourdigné, l'attribuant à Philippe de Longoil, « orateur françoys, homme de grant littérature » (l"' part., chap. v, p. 25).

14 JOACHIM DL BELLAY

cession de champs, de prés, de bois, de jardins et de vigno- bles. Au bord du fleuve, poussent des saules, des trembles, des peupliers. De vertes collines, de distance en distance, servent de cadre à cette jolie vallée, et, vivant témoignage que l'homme se complaît au sein de cette riante nature, les villes et les bourgs s'élèvent dans toutes les directions, avec un air d'ai- sance et de gaieté : lorsqu'on descend la Loire, partout, sur les deux rives, on ne voit que moulins à vent, tourelles de châteaux et flèches d'églises. Ce n'est pas que ces paysages ollrent une très grande variété. Sous la douce lumière d'un ciel bleuté que sillonnent de légei's nuages, ils se déroulent, tranquilles et sereins, dans leur grâce un peu monotone. Il s'en exhale pourtant une poésie délicieuse : cette quiétude parle au cœur et le séduit '.

A'oilà le pays qui donna naissance à Joachim du Bellay, les horizons paisibles et lumineux qu'il contempla dès ses tendres années.

II

Il était issu d'une antique famille de l'Anjou -, qui pré- tendait remonter au temps d'Hugues Capet '\ Les du Bellay tiraient leur origine et leur nom d'un petit fief situé près d'Allonnes-sous-Montsoreau *. Longtemps obscure, cette famille n'avait commencé de se faire un peu connaître que vers le

' Cf. laltrayanle description que iail du paj s d'Anjou qu'il connaît si bien et chérit si fort M. Léon Séché, dans son Introduction aux Œuvres choisies de Joachim du Uellay, p. xvii sqq.

- Sur loriginc de cette famille qu'on a souvent confondue^ bien à tort, avec une autre famille également angevine, les Bellay de Montreuil, v. Cél. Port, DicUonn. de i\Iaine-et-Loirp, art. bubellay, t. II, p. 00, et Ballu, Notice surJ. du Bellay, p. xli sqq.

« .Jam intle a (Lapeti Régis tenq)()ribus, qui aute sexcentos aiinos reruni iii Gallia potitus est, BcUaiorum gens et genei'e illuslris et reruni gestarum magnitudine uobilis eniluit ». Saiule-Marlhe, ELogia (l.j"J8), p. 12.

' Commune du canton de Saumur (Maine-et-Loire).

ENFANCE JEUNESSE 15

xiuo siècle avec Hugues 111 du Bellay , chcvalici' , seij^neur des Brosses d'AUonncs. Elle s'était signalée au xv^ siècle dans les guerres contre les Anglais. Ses armes étaient d'argent à la bande J'a.setêe de gueules, accDiupagiiée de six fleurs de Ij'S d'azur mises en orle, Irais en ehef et trois en jiointe.

Au milieu du xvi® siècle, elle était à coup sûr une des plus illustres parmi la noblesse de France. Cette illustration, elle la devait à quatre frères de la branche de Langey ', qui s'étaient fait un nom glorieux dans la politique et dans l'Eglise, dans les armes et dans les lettres.

L'aîné, Guillaume, grand capitaine et fin diplomate, avait joué sous François F^ un rôle des plus brillants. Je n'ai pas à rappeler les services qu'il rendit au souverain, ses missions en Espagne, en Italie, en Angleterre, en Allemagne, ses exploits militaires, surtout sa défense du Piémont, dont il était gouverneur, contre les Impériaux. <( Cet honnne-là ma fait plus de mal que tous les Français », disait de lui Charles-Quint.

Le second, Jean, évêque et cardinal, avait ' constamment secondé les efforts de son frère. La situation éminente qu'il occupait dans l'Eglise, en lui permettant d'entamer et de poursuivre, sous des dehors religieux, des négociations subtiles et délicates, lui donnait sur la marche des affaires une iniluence considérable. 11 tient d'ailleurs dans la vie de Joachim une place trop importante pour qu'il n'y ait pas lieu, quand l'heure en sera venue, de s'étendre sur son compte.

Martin, le troisième, avait suivi Guillaume dans la carrière des armes. Il avait pris une part active à toutes les guerres

' C'est une branche cadette : ces quatre IVères Guillaume, Jean, Martin et René étaient les enfants de Louis du Bellay, seigneur de Langey, troi- sième lils de Jean IV du Bellay. Le poète au contraire appartenait à la branche aînée, descendant d'Eustache du Bellay, seigneur de Gizeux, lils aine de Jean IV. V. le tableau généalogique de la famille du Bellay, dans ledit. Séché.

16 JOACHJ.M DU BELLAY

de l'époque et s'était vaillamment comporté sur les champs de bataille de Flandre et d Italie.

Le dernier, René, moins en vue peut-être, avait montré, comme administrateur du diocèse du Mans, de l'ares qualités morales, un grand zèle pour le ])ien des pauvres. Esprit ouvert, il avait le goût des sciences physiques, s'occupait d'agriculture et d'horticulture, faisait dans son domaine de Touvoye du jardinage et de l'élevage : ce qui ne l'empêchait pas de porter aux lettres un égal intérêt et d'avoir pour se- crétaire un poète de son diocèse, Jacques Peletier du Mans.

C'est dailleurs un trait commun à tous ces du Bellay d'avoir eu le respect et l'amour des choses de l'esprit. Ces hommes d'action étaient, à leur manière, des intellectuels ' . Très pénétrés du mouvement de la Renaissance, ils avaient le culte des lettres, se faisaient les protecteurs des artistes et des savants, et même se mêlaient d'écrire : le cardinal a composé des poésies latines, Guillaume et Martin ont laissé des mémoires.

Ce n'est pas à la branche de Langey que Joachim appar- tenait, mais à la branche aînée, dont l'histoire est moins connue '. 11 avait pour aïeul Eustache du Bellay, seigneur de Gizeux en Touraine, premier écuyer tranchant et conseiller du roi Charles YIII, lequel Eustache épousa Catherine de Beau- mont '. Son père, Jean du Bellay, seigneur de Gonnord *, a laissé quelques traces. En 1489, il faisait la guerre en Breta-

' « Pari aniiuoiiiiii coiilcntione rem luaxiiue omnium laudabilcm perfe- cerunt, quam ne velle quidem ulli Gallorum anlea in menlem venerat, ut armorum gloriani cum litcrarum dignitate copularent ». Sainte-Marthe, ^oc. cit. Sur ce point, v. Ilauréau, Hist. litt. du Maine, 111, 73-161.

- La généalogie de la famille du Bellay se trouve contenue dans sept manuscrits de la Bibl. Nat. (fr. 20.2^2, 20.229, 20.2.34. 20.241, 20.252, 20.263, 20.292). Je les ai consultés. Les renstigncmcnts qu'ils fournissent sur la famille immédiate de notre poète sont malheureusement incomplets, ob- scurs, et souvent contradictoires.

^ Ballu, p. xLui.

^ Commune du canton de Thouaicé iMainc-el Loire).

ENFANCK JEUNESSE 17

gne contre les Anglais, à la liHc (runc coin|(agiii(' de ([tiaianl(! lances, lorsque le roi le lionima gouverneur de Hresl '. Le 12 octobre i5o4, d'après Moréi-i -, il épousa llenée Cliahol, qui descendait d'une ancienne maison de Poitou, et f[ui piîut- être était sa cousine '. Renée était la seule llUe et l'unique héi'itière de messire Christophe Chabot, seigneur de la Tur- melière et de Lire : c'est ainsi qu'eu i5ui ' ces deux fiels passèrent dans la maison du Bellay '. Du mariage de Jean du Bellay et de Renée Chabot, naquirent trois enfants : une fille et deux fils ''. La fille, Catherine, dont j'ignore la date de naissance, épousa Christophe du Breil, seigneur de la Mau- voysinière '. Le fils aine fut René du Bellay, le cadet fut notre poète ".

' D. Lobineau, Histoire de Bretagne, Paris, 1707, liv. XXI, ann. 1489 (l. I, p. 799) : « Quoiqu'il y eust uncommandaul à Brest, appelle Henri de Moues- lai, le Roi ne laissa pas d'y en envoler un second, qui l'ut Messire Jean du Bellai, avec sa Compagnie de ([uarante Lances ». Cf. Ms. Ir. 20.265, 1" 40 r'.

Aux preuves de l'anu. 1468 (t. Il, p. 1303), je trouve mentionné, parmi les gens à cheval de l'arrière-ban composant l'armée d'Ancenis, sous les ordres du marquis de Pont-à-Moussou, un u M"^ du Bellay » qui commande à « vi hommes d'armes et xxu archers ».

- Dictionnaire, III, 424, art. Chabot.

3 Ms. fr. 20.263, 1" 40 r«.

' L. Séché, Joachirn du Bellay, p. 12. Cette date de 1321 est celle de la transmission des liefs (vraisemblablement à la luort de Christophe Chabot), et non pas, comme le croit M. Séché îp. 20), la date du mariage de Jean du Bellay et de llenée Chabot Autrement on ne s'expliquerait pas la tutelle de Joaciiim par son IVère aine.

^ Sur ces deux hefs, v. Gél. Port, art. Lire (11,523) et Turnielière (111,041).

Ces deux liefs avaient été réunis l'un à l'autre : la Turmelière était deve- nue le château seigneurial de la paroisse de Lire.

^ Dans l'épitre dédicatoire au Roy (Charles IX) qui précède son édition des œuvres complètes du poète (20 nov. 1308), Aubert donne à Joachim deux frères qui dans leur jeunesse auraient été capitaines de chevau-légers (Marty-Laveaux, Appendice de la Notice, p. xxxix). Je n'ai trouvé trace nulle part de ces deux frères.

' On trouve dans les Vers Lyriques de du Bellay (1349) une ode au sei- gneur Christo/le du Breil : de porter tes misères et la calumnie (Marly- Lavcaux, I, 202). Nul épanchement dans cette ode morale, rien qui dénote l'intimité Joachim n'a jamais parlé de sa sœur. C'est elle, à la mort du poète, qui devait héi-itcr de tous les biens de la branche.

** Besly, dans son Histoire des comtes de Poictou et ducs de Guyenne, Paris, 1047, in-f", p. 82, veut qu'il ait été bâtard. Ménage a réfuté cet étrange assertion {Anti-Baitlet, édit. de 1730, chaj). xxxv et xlv, p. 05 et 93. Menu- giana, édit. de 1715, t. III, p. 381).

Univ. de Lille. Tome VIU. A. 2.

18 JOACHI.M DU BELLAY

III

C'est au château de la Turmelière, non loin de Lire ', (|ue Joachini vit le jour. Cette humble bouryade, qu'un sonnet des Regrets a rendue immortelle, est située aux confins de l'Anjou. Le petit village, si cher à son cœur, s'élève sur un coteau qui domine la Loire, et du manoir (( basty par ses aveux » le poète put souvent contempler la belle vallée oii coule le fleuve, ces eaux si calmes, limite naturelle de sa terre auiçevine, et par delà, sur l'autre bord, la terre vassale des barons dAncenis, c[ui relevait de la Bretagne ^

L'année de sa naissance est restée indécise. Tous ses bio- graphes se partagent entre 1624 6t iSaô. Sur le socle de la statue d'Ancenis on a gravé i5u4. M. Gélestin Port est le seul qui propose i523. Pour ma })art, je n'hésite pas à pen- ser que la vraie date est i52'2. Un aveu formel du poète, (juc confirment et son épitaphe, faite en i5Go par son ami

' Commune du oanlon de Cliainploccaux (Maine-et-Loire).

- Dans ee.s derniers temps, on a voulu l'aire du poète angevin un demi Breton. On allèj^iie qu il avait du sang breton dans les veines, puisque sa qiiadrisaïeule, Jeanne Sauvain, était lille de Pierre d'Aneenis ; que les sei- gneurs de Lire partageaient avec les barons d'Ancenis le droit de péage et de pontouage sur la Loire ; que Lire, qui était de l'Anjou pour le temjjorel. était de la Bretagne pour le sjjirituel. et que J. du Bellay, sur les registres de l'Kglise de Paris, est porté comme clerc du diocèse de Nantes, clcriciis j\'anneteasis Dioecesis. Une chose est certaine, c'est que du Bellay dans ses vers a souvent parlé d'Angers et de PAnjou, jamais il n'a rien dit d'Aneenis et de la Bretagne. M. Séché, dans sa plaquette (p. o sqq.), nous en donne la raisoji : entre l'Anjou et la Bretagne, il y a toujours eu rivalité, pour ne pas liire hostilité. Mais M. Séché ne me semble pas très conséquent avec lui- nu"me, lorsqu'il parle, dans son Introduction sur la poésie bretonne-angevine (p. xxv), des « relations fréquentes et de bon voisinage qui s'établirent île bonne heure entre les deux rives ». La vérité, c'est que l("s deux provinces étaient séparées par aUO mètres de Loire, que 1 absence de pont rendait les communications assez dilliciles, et que les haines féodales ne contribuaient pas à les rapprocher. Au surplus, il n'y aurait pas lieu d insister sur une si mince (juestion, si ces jalousies de clocher ne s'étaient réveillées naguère entre Angevins et Bretons, lors de l'érection de la statue d'Ancenis, et n'avaient failli compromettre un moment le succès de l'entreprise.

ENFANCE ET JEUNESSE 10

Pierre de l'aselial, et le témoignage toujours considéi-al)!!- de rhistorien de Tiiou, me [)ai'iut autrement décisil' sur ee point que l'assertion de Sainte-Marthe, répétée depuis Collet(ïl |)ai- tous les biographes et par tous les critiques '.

Sans insister outre mesure, il est cependant [)ermis, avec M. Ballu, de signaler au passage la tardive naissance d(î du

' Quelques explications sont ici nécessaires. En réalité, l'opinion tradi- tionnelle sur la naissance de du Bellay peut invoquer deux arguments : ce passage des Regrets (s. 26) :

Tu me croiras (Ronsard) bien que tu sois plus sage, Et quelque peu encor (ce croy-je) plus aagé.

Ronsard étant le H sept. Iij24, on en conclut que du Bcllaj- naquit à la fin de 152i ou dans le couranL de 1523 ; le témoignage de Sainte- Marthe : « Sut anniim aetatis quintum et tricesimum dleni claiisit)>. {Elogia, l.o9S, p. 40). Les vers des Regrets ne me semblent prouver qu'une chose, l'incertitude de du Bellay concernant la naissance de son ami : il le croit plus âgé que lui, mais il n'en est pas sur. Quant à Sainte-Marthe, il écrit ',M ou 38 ans après la mort du poète, ses souvenirs peuvent manquer de précision ; et d'ailleurs, on relève dans ses Eloges plus d'une erreur : c'est à lui par exemple que l'on doit cette légende invraisemblable qui nous montre du liellay en passe de devenir archevêque de Bordeaux Il est aisé d'éta- l)lir que Joachim a naître eu l.)22. Dans une épigramme à son ami Gordes iPoemata, f" l't r"), qui date au plus tard de l'JoT, il déplore en ces termes sa précoce vieillesse :

Jam mea Cygnaeis sparguntur tempora plumis,

Inticit et flavas cana senecta comas. Sic nobis périt ante diem decus oiune juventae.

Et Jaciunt septem lustra peracta senein.

Ainsi donc en 15.37 il avait trente-cinq ans accomplis, ce qui reporte sa naissance à l'année 1322. « La nécessité du vers l'enqjorte ici sur l'exacte chronologie », s'écrie Sainte-Beuve, et M. Ballu : « C'est pure licence poéti- tique n. Mais i^ourquoi donc? Ce sont gratuites allirmations. Quelle rai- son empêche de prendre à la lettre les paroles du poète? Je les crois i>our ma part d'autant plus véridiques qu'elles sont pleinement conlirmées : par l'épitaphe que lui lit, quelques jours après sa mort, son grand ami Pierre de Paschal : vixit annos x.kxvh, lit-on à la lin de cette épitaphe (Marty Laveaux, Appendice de la Pléiade, 11, 383) : du Bellay étant mort le !«■■ janvier 1.3G0, que l'on comptait alors 1339, c'est dire qu'il est l'an 1322 ; 2' par ce qu'écrit de Tliou dans son Histoire (lib. XXVI, ann. 1360) : (( Annum agens xxxvii decessit » J'ajoute que dans son Oraison l'unè- i)re de R.onsard (1386), Jacques Yeillard de Chartres nous dit encore : « Com- militones habuitloach. Bellaiuni, Pont. Thyarrhacum aelale quidein provec- liores » (f" 13 V). Voilà donc quatre témoignages antérieurs à celui de Sainte-Marthe et dont l'importance n'est pas contestable.

20 JOACaiM DU BELLAY

Bellay. Son père et sa mère avaient dix-huit ans de ménage lorsqu'il vint au monde : ils n'étaient plus tout jeunes, et reniant, semble-t-il, sen ressentit. II naquit soulïreteux. « Jay le corps maladif >), a-t-il dit de lui-même '. Le fait est qu'il avait une santé déplorable : presque toute sa vie, nous le verrons malade. De chez lui, dès Torigine. un grand fonds de mélancolie, qu'accrut encore, au cours de sa rêveuse en- fance dans le vieux manoir de ses pères ■, un commerce journalier avec la nature. L'antique château féodal, aux airs sombres de forteresse, se dressait au milieu de la campagne. C'est qu'il grandit. J'imagine que sa jeune àme, délicate et sensible, dut subir fortement le charme de cette vivante soli- tude. Plus d'une fois sans doute, de ses fenêtres et de ses tours, il regarda ce vaste et lointain horizon qui décrit un arc de cercle de trente lieues d'étendue ; ses yeux se posèrent sur le riant paysage qui déroulait ses beautés enchanteresses. Plus d'une fois, il écouta le chant des oiseaux dans les arbres, le bruit plaintif du vent à travers les peupliers de la Loire, le murmure argentin de la fontaine qui coule encore au bas de la colline. Sensations délicieuses, qui pénétrèrent profondément son cœur d'enfant ! Plusieurs de nos vieux poètes, on en a fait la remarque, ont eu très vif le sentiment de la nature : c'est qu'ils ont grandi tout près d'elle. Ronsard, qui l'a si bien chantée, a vécu son jeune âge en pleine cam- pagne, au château de la Poissonnière. Il demeure toujours quelque chose des impressions reçues au matin de la vie. Partout du Bellay gardera devant ses yeux les fraîches visions

' Regrets, s. :i'J.

- Du vieux château de la Turmelièrc, incendié pendant les guerres de Yendée en 1703, il reste encore aujourd'hui des ruines imposantes : trois tours ébréchées que relie entre elles une courtine aux mâchicoulis recou- verts de lierre. Le lecteur jiourra se reporter aux descriptions qu'en ont données M.Léon Séché {La poésie bretonne-angevine, p. ^x-xxi) et M. Armand Silveslrc (Revue des Provinces de l'Ouest, sept. 1804, p. 114 et 118). V. aussi l'eau- forte de Pierre Vidal, eu tète de la platiuette de L. Séché.

ENFANCE ET JEUNESSE 21

de sa jeunesse ; elles le suivront jusque sur les bonis du Tibre et feront de lui, lors([uil les traduira dans la langue des vers, le plus mélancolique des poètes de terroir.

Dès ses premières années, il connut la soudrance. Sur ce point nous avons ses aveux. Dans une touchante Elégie qu'il adressait, quelques semaines avant sa mort, à celui qu'il nommait « son Pylade », Jean de Morel *, il nous a lui- même ouvert son cœur et, faisant un amer retour sur le passé, nous a redit les sombres tristesses de son enfance. Il est seulement fâcheux qu'il ait été trop discret. Le peu qu'il nous découvre excite plutôt qu'il ne satisfait notre curiosité. Ses confidences sont trop brèves pour nous permettre de reconstituer comme nous voudrions cette enfance abandonnée et solitaire.

De très bonne heure il perdit ses parents. Sans doute il était trop jeune pour en avoir gardé quelque souvenir: toujours est-il que dans ses poésies françaises il n'en parla jamais. Resté orphelin à l'âge l'on a tant besoin des caresses d'un père, des baisers dune mère, qu'allait-il devenir ? 11 reçut les soins de son frère aîné ".

René du Rellay. seigneur de Gonnord, était certainement plus vieux que .loachim d'un assez grand nombre d'années, puisqu'il lui servit de tuteur. La seule chose qu'on sache de lui, c'est qu'il fut en i55i gouverneur de Metz '. Il avait épousé Magdeleine de Malestroit, seconde fdle de Guillaume de Malestroit, seigneur de Houdon '\ De cette union naquit un fils, Claude du Bellay, dont Joachim, à la mort de son frère en i552. devait être à son tour le tuteur.

' ELegia ad lanum Morelliirn Ebrediin. Pyladem siiiim, à la suite des Xenia (Paris, F. Morel, lo69, in-i"). - Élégie à Morel :

Vix puero mihi namque parens ereptus uterque Fraterno miseruni deserit arbitrio. •' Ms. fr. 20.265, 44 v». * Ms. fr. 20.222, f" 76 r", et 20,265, f" 74 v».

22 JOACHIM DU BELLAY

Que f\it la vie de l'orphelin sons la direction de ce frère aîné ? Je ne sais trop, mais il n'apparaît pas que le pauvre enfant ait eu beaucoup à se louer de sa sollicitude, lîené du Bellay semble s'être acquitté l)ien légèrement de ses devoirs de frère et de tuteur. Telle était la fatalité qui sacharnait sur Joachim qu'après avoir perdu tout jeune son père et sa mère, il lui fallait encore trouver l'indifï'érence chez celui-là même dont la chaude tendresse aurait pu seule adoucir ses chagrins, en compensant les affections qui lui manquaient. Navrante destinée ! M. Faguet a noté justement que du Bellay n'eut pas . comme Ronsard avant ses malheurs . (( toute une période d'enfance heureuse, d'adolescence enivrée et de l)ril- lante jeunesse ^ ». Il a souffert pendant tout son jeune âge. Comment ces souffrances n'auraient-elles pas augmenté sa mé- lancolie naturelle ?

Le grand repi'oche que Joachim a fait à son frère, c'est d'avoir négligé son instruction. (( J'ay passé l'aage de mon enfance et la meilleure part de mon adolescence assez inutile- ment », disait-il en i55o dans la seconde préface de V Olive (1, 71), et, précisant davantage sa pensée dans la Complainte du Désespéré (i552), il s'écriait :

Qu'ay-je depuis mon enfance

Sinon toute injuste offence

Senty de mes plus prochains ?

Qui ma jeunesse passée

Aux ténèbres ont laissée

Dont ores mes yeux sont plains. (II, 4).

Cette coupable négligence lui tenait au cœur. Il y revient encore, non sans amertume, dans son Elégie à Morel : a Sous la tutelle de mon frère, ma première jeunesse fut perdue, (ju'il convenait nourrir de la culture des lettres. Elle fut

' Seizième siècle, p. '2d0.

KNFANCIi t:r JIÎUNESSIC J^.'î

pei'due, coiiimo eti un vorl jardin une tendi-c llcui- que nulle onde n'arrose, (ju»' nulle main ne cultive ' ».

Sun tuteur avn-ail j)u l'envoyer faiiuî ses éludes à ITui- versité il' Angers. Elle était alors luu^ des preniièi-e.s du royaume, si l'on s'en rapporte à J. de Bourdigné (i~y2i)) : a Klle obtient bruit de estre l'une des universités de France la mieulx privilégiée, et non sans cause, veu le merveilleux (>t louable laict d'estude que l'on y exerce. (]ar en oultre les collèges et escolles de grannnayre, i)oéterie et orateurerie qui tant en langue grecque que latine ordinairement y lleu- rissent, y a ou corps de l'université cinq faeultez, dont la première est théologie, la deuxiesme médecine, la tiei'ce et la quarte sont les faeultez des droictz canon et civil, et la cin- quiesme est celle des ars. Kt pour régenter en toutes lesdictes faeultez en chacune d'icelles sont notables et scientifiques docteui's régens ». Soit au Collège d'Anjou, soit à la Faculté des Arts, Joachim eût appris les lettres latines et sans doute aussi les éléments de la langue grecque ', comme devait le faire quelques années plus tard son compatriote Jean Bodin d'Angers. Je ne vois pas que René du Bellay ait pris soin de donner à son pupille cette culture littéraire ".

Ainsi l'enfant grandit, au château de la Turmelière, dans un complet désceuvrement intellectuel. Et pourtant il sentait le besoin de s'instruire. Il avait l'esprit vif, éveillé. Son commerce intime avec la nature l'avait prédisposé dès long-

' Elégie à Morel :

Sub quo prima périt nobis inculta juventa,

Quaiii dcciiit studiis excoluisse bonis. Ilta niilii periit viridi ceu ilosculus liorto,

Quem nulla unda rigat, nec manus ulla colil. - Chroniques d'Anjou, 1" i)art., cliap. iv, p. 22.

' Sur ce point, v. la ttièse de M. l'abbé Gh. Marctiand, De Graecanim litterarum studio apud Andegavos in xvi» seculo, 1889.

* En tout cas, it n'existe aucune trace du passage de J. du Beltay à l'Uni- versité d'Angers. Je dois ce renseignement à M. l'abbé Gh. Urseau. chanoine honoraire d'Angers, correspondant du Ministère de l'instruction l*ubli(|uc, que je suis heureux de remercier de son obligeance.

24 JOACHIM DU BELLAY

temps aux émotions poétiques. Une inclination presque irré- sistible l'entraînait vers la Muse :

Elle a, dès mon enfance,

Tousjours g-uidé le cours de mon plaisir,

disait-il plus tard dans la dédicace des Regrets ' . C'est alors sans doute qu'il lut pour la première fois les poètes français, en attendant qu'une éducation plus approfondie et plus métho- dique rinitiât aux chefs-d'œuvre de l'antiquité grecque et latine -.

Mais en l'absence d'études sérieuses, des rêves hantaient l'imagination de cet adolescent songeur et désœuvré. Dans la retraite de son manoir, les bruits du dehors Aenaient troubler ses pensers solitaires. Il entendait parler du vaillant capitaine qui là-bas, en Italie, après tant de missions si fameuses, cou- ronnait sa carrière de héros en organisant avec une science consommée la défense du Piémont. Il entendait parler de l'habile cardinal qui soutenait à Rome, avec une si féconde diplomatie, les intérêts politiques et religieux du roi de France. Une fierté le prenait à se dire qu'il était de leur race, ([u'il

' Cf. ce qu'il disait en l.iiJO dans la seconde prélace de l'Olive : « Par je ne sçay quelle naturelle inclination, j'ay tousjours aimé les bonnes lettres : singulièrement nostre poésie francoise, pour m"estre plus familière, qui vivoy' entre ignorans des langues estrangeres » (I, 71)

- Tous les biographes de du Bellay sans exception, s'appuyanl sur VEléffie à Morel, rapportent à son adolescence une maladie des plus graves, qui l'aurait cloué deux ans sur un lit de douleur, et pendant laquelle il n'aurait eu d'autre consolation que de lire les poètes grecs et latins. C'est là, je crois, une erreur de date. ICn effet : En lijiJO, Ronsard, dans une ode (Hlanche- niain, II, 210). a célébré la convalescence de du lîellay. qui relevait dune maladie dont il avait failli mourir ; du Bellay lui-même a parlé de cette maladie vers la même époque : ce qui rend la première très douteuse. 2' Cette lecture des poètes grecs et latins contredirait tout ce que du Bellay nous a conté de son adolescence inculte et négligée. 3" On ne compren- drait pas ce vers : Tiun cocpi Aonio cognitus esse choro (c'est alors que je me fis connaître dans le chœur des poètesj, puisqu'il ne se révéla poète qu'en i;)49. Cette phrase ne peut s'entendre évidemment que des recueils publiés alors par du Bellay. Bour toutes ces raisons, je pense qu'il faut reporter à cette date la maladie dont il s'agit.

ENFANCE ET JEUNESSE 25

portait le même nom. Mais il sonlail aussi tonte la distance de leur î^randeur à sa petitesse. Cinubien sa l)ranche était obscure! II n'était, lui. (piun simple j^enlilliomme eampaiçnard '. Plein dun respect ému pour ces parents illustres, il les con- templait dans Téclat de leur gloire, les vénérait couinie on vénère des Dieux :

Hos ego praecipue, geulis duo luuiina nostrae, Suspexi fratres, utque Deos colui.

Quoi d'étonnant dès lors qu'il ait formé le vo'u de marcher sur leurs traces, de suivre pieusement ces grands exemples domestiques! Tout dabord, il rêva, sous l'égide de Langey, de se pousser à la Cour et de faire son chemin dans les armes. Les trophées de Miltiade l'empêchaient de dormir-. La mort de Langey, survenue le <> janvier i543, ruina ces beaux projets. Mais le cardinal restait, environné de son double lustre poétic|ue et religieux '. A défaut d'épée, on pou- vait être d'Eglise, et la faveur de ce puissant prélat était de nature à mener loin ses protégés. Du Bellay le comprit. Il savait que l'étude du droit pouvait le conduire à l'état ecclé- sia.stique. Soit qu'il déférât aux conseils du cardinal ' (jui

' Si ne suis-je Seigneur, Prince, Marquis, ou Conlc. (Regrets, s. li) - Elégie à Morel :

JNon animus deerat studiis gravioribus aplus,

Quique aulam posset militianique sequi. Et niihi robur erat, nec prorsus inutilis arniis

Dcxlera, dum viridis noslra juventa fuit. Nam quae aniraos facerent, exempla domeslica nohis

(Ut reliquos taceam) Langius ipse dabat. . . Haec niihi Milliadis poterant velut esse trophaea, Hi slimuli, liaec aninio niaxiaia cura nieo. ■' Elégie à Morel :

Ille etiam menteni stimulis urgebat honestis

Pierii Janus gloria prima cliori : Purpurei Janus princepsque decusque Senatus,

Quem .lanum ut geminum inaxiiiia Roma colit. ' Il importe de marquer exactement sa parenté avec le cardinal. Les quatre frères du Bellay étaient les cousins germains de son père. Joachim

26 JOACHIM DU BELLAY

désirait se l'attachei" comme la sii[)posé Sainte-Beuve soit qu'il agît de sa propre initiative. Joachim, ayant dépassé la vingtaine, se résolut à prendre la route de la Faculté : il obtint de son frère de partir pour Poitiers.

IV

Poitiers n'était pas alors la ville morte qu'elle est aujour- dliui. C'était « un centre littéraire très important, comme il n'y en avait que ti'ois ou quatre en province ' », et qui jouait dans l'ouest de la France à peu près le même rôle que Lyon au sud-est. Toulouse au midi. Son Université, fondée en i43i, attirait de très loin un concours énorme d'écoliers. se pressaient des jeunes gens désireux d'allier à la science du droit le culte des lettres. C'est ainsi qu'aux environs de i555, nous trouvons à Poitiers une vraie colonie de poètes : Antoine de Baif, Jacques Taliureau, Jean de la Péruse, Charles Tou- tain, Scévole de Sainte-Marthe, Yauquelin de la Fresnaye. Ces gentils esprits, plus passionnés pour les Muses que pour la chicane, coulaient (( une douce existence de rimeurs non- chalants, le long des rives du Clain et sur le mont Joubert ^ », et l'un deux plus tard, évoquant ces souvenirs de jeunesse, s'écriait :

n'était donc pas, comme on le répète à peu près partout, le neveu du cardi- nal au sens oit nous prenons ce mot : il était simplement son neveu à la mode de Bretagne. Mais l'erreur, si c'en est une, vient de loin : elle est déjà commise en 1530 par Ronsard, qui. dans une ode à Joachim du Bellay, par- lant des éloges donnés par Salnion Âlacrin au cardinal, écrit : Macrin a sacré la mémoire De Voncle, et j'honnore la gloire Du neveu, qui s'iionnore mieus.

(Blanchemain, II, 2\'6). * Faguet, Seizième siècle, p. i'.K).

- A. -P. Leniercier, Etude littéraire et morale sur les poésies de Jean Vauquelin de ta Fresnaye, thèse, Nancy, Sordoillet, 1887, in-8", p. 19. Cf. Pr. Blanchemain. Poètes et Amoureuses . Portraits littérfiires du xvi" siècle. Paris, Willem, 1877, t. II, p. 279.

ENKANCE ET JEUNESSE 2,1

En ce temps, o quel Iumii- ! sans Iiaiiic et s:iiis oiivic Nous passions dans Poitiers l'avril de noslrc \ ic : Au lieu de denieslei* de nos droits les dehals. Muses, pipez de vous, nous suivions vos ehals '.

La vie qu'on menait à Poitiers ne devait pas èti-c sensible- ment dillerente quelque dix ans plus tôt, loi's<iu'y dél)ar(pia du Bellay.

Selon toute vraisemi3lanee, c'est vers i545 qu'il faut placer son arrivée '. En venant à Poitiers, Joacliim ne tombait pas tout à fait en pays inconnu : il retrouvait des souvenirs de famille. Sa mère, Renée Chabot, était, nous le savons, d'origine poitevine. Deux mend)res de la nuiison du Bellay, jadis, avaient été, l'un abbé, l'autre diacre de N.-l). de Poitiers '.

D'autant plus zélé pour l'étude que son instruction avait été plus négligée, le jeune Angevin suivit avec ardeur les cours de l'Université. Qui voudra savoir ce qu'étaient ces cours lira dans les Epistres morales et faniiUèi-es de Jean Bouchet (i545) sa naïve et curieuse Epistre à Messieurs les Escoliers de V Université de Poictiers, eontenant louange des sciences et restât de scolaidié \ Sans nul doute, il eut tout d'abord à suppléer aux lacunes de son instruction première. S'il n'avait déjà (iueU[ue teinture du latin, c'est à Poitiers qu'il l'apprit : sans cela connnent eût-il fait son droit? Mais il était jeune, enthousiaste, actif au travail, très désireux de l'éparer le temps perdu, d'intelligence souple et prompte. Il vivait dans un milieu littéraire. C'était assez pour acquérir

' Vauquelinde la Fresnayc, Art Poétique, liv II, v. 10G7 sqq. EcHt. G. Pellissier, p. 122.

■' C'est la date que donnent M. Fapuet et M. Pellissier.

^ L'abbé s'appelait René, le diacre Martin. C'était deux frères de son gi'and'père Eustache du Bellay.

* C'est la 13" des Epistres momies, f" 31. (Bibl. Nat. Rés. Y«. j") )•

28 JOACHIM DU BELLAY

vite une culture très passable. D'ailleurs, en i546, il lit la rencontre de Muret, latiniste de vingt ans, qui, venu à Poi- tiers afin de poursuivre ses études de droit, enseignait les lettres au Collège Sainte-Marthe, expliquant à ses élèves YAmphitrj'on de Plaute '. 11 se lia certainement avec lui. Peut-être n'est-il pas téméraire de supposer que c'est à son contact qu'il se perfectionna dans la connaissance de la langue latine. D'autres amis encore contribuèrent à lui l'cndre le séjour de Poitiers profitable, sans parler de ses maîtres et des relations qu'il put se créer dans la société mondaine. (( Là, dit M. Faguet % il connut Aubert, qui fut l'éditeur de ses œuvres, les Sainte - Marthe , Jean de la Péruse, Bergier de Montembeuf, Tiraqueau le jurisconsulte \ très probablement les Dames des Roches ' ». Il se peut qu'il ait entrevu le procureur Jean Bouchet, « traverseur des vqyes périlleuses )), rhétoriqueur infatigable qui trouva moyen, en consacrant une heure par jour à la poésie, d'aligner jusqu'à cent mille vers. En tout cas, il conserva du vieux rimeur un assez mauvais souvenir pour le railler plus tard amèrement dans une phrase de la Deffence '.

Quel fruit du Bellay retira-t-il de ses études de droit ? Allait-il devenir, comme le prétend Colletet, (f un grand juris- consulte '■ » ? On })eut en douter. Mais une chose est certaine.

^ Dcjob, Marc-Antoine Muret, p. 9. Muret (1326-li)S.")). plus jeune que du Bellay de (pialre ans, mais beaucoup plus avancé <jue lui dans ses études, avait déjà donné sa tragédie latine de Jules César. Ce précoce humaniste était dès i'.'M) un docte professeur.

- Seizième siècle, p. 2.90.

•' Les œuvres de J. du Bellay contiennent un sonnet » à Monsieur Tyra- (jueau, conseiller en Parlement » (II, 136).

' Je respecte le texte de M. Faguet. Mais les dames des Roches étant mortes de la peste en 1;)87, la mère âgée de 57 ans, il est plus que probable qu'en 1345 la lille n'était pas née.

' Liv. Il, chap. 11. Edil. Person, p. 150.

*" « Par la force de son esprit et par ses veilles assidues, dit Colletet, il devint un grand jurisconsulte, et tel que, s'il eût suivi celte noble profes- sion, je ne fais point de doute qu'il n'eût tenu un rang fort honorable parmi

ENFANCK ET JEUNESSE 29

c'est (luil soccupa de lettres pour le moins autant que de droit. (( A Poitiers, mes parents m'avaient envoyé pour cultiver mon esprit, jallais {jarlois écouter les cours de droit civil, mais bien rarement, et moins pour y api)rendre quehiuc chose que pour contenter mes parents qui m'avaient voué à cette étude ». Qui parle ainsi? Muret'. Mais cet aveu, du Bellay u'eùt-il pu le faire ? A mesure que son esprit se cul- tivait, son goût pour la poésie s'était développé. Non content de lire les poètes, il songeait à les imiter, à se faire poète lui aussi. C'est à cette époque qu'on doit rapporter ses premiers essais. Trop timide encore pour rien innover, il se bornait à suivre la route commune, emboîtant le pas derrière Marot comme tous les autres -. J'incline fortement à croire que c'est vers ce temps-là qu'il composa cette Epitaphe de Clément Marot dont la forme et le tour rappellent tout à fait les épigrammes de la vieille école :

Si de celuy le tumbeau veux scavoir. Qui de Maro avoit plus que le nom, Il te convient tous les lieux aller voir Ou France a mis le but de son renom. Qu'en terre soit, je te respons que non, A.U moins de luy c'est la moindre partie.

les plus grands jurisconsultes de son siècle ; mais le ciel, qui le réservoit à une étude plus agréable et moins épineuse, puisqu'il le destinoit à l'étude des belles-lettres et au doux exercice des Muses, lui donna de l'aver- sion pour ce qu'il savoit et de l'amour pour ce qu'il ne savoit pas encore si parfaitement ». Copie mscr., î'>48v''.

* Préface des Sentences grecques. Cité par Dejob, p. 3.

- Sur ce point, nous avons le témoignage foimel de Claude Binet, dans son Discours sur la vie de Ronsard : « Environ 1 an Ib49, Joachim du Bellay, esprit noble et bien naj-, et qui avoit quelques bons commencemens en la Poésie Françoise, estant retourné de Poictiers. de l'estude des loix. auquel il avoit esté dédié, changea beaucoup son stil, qui sentait encor Je ne sçaj- quoy de rance, et du vieux temps, par la hantise de Ronsard et de Baïf. « (Texte de lo86, p. 12j.

30 JOACHl.M DU BELLAY

L'ame est au lieu dou elle etoit sortie,

Et de ses vers, qui ont domté la mort,

Les Seurs luy ont sépulture bâtie

Jusques au ciel. Ainsi, la mort x"v mord '. (I, 207).

En même temps, il se plaisait à faire assaut de poésie avec ses amis. Sainte-Marthe raconte à ce propos un petit incident qui n'est pas sans intérêt. Il y avait alors à Poitiers un jeune étudiant métromane, nommé Pierre Fauveau, dont Sainte-Marthe nous dit quil imitait avec beaucoup d'adresse, prudentissime, les tragédies de Sénèque. Un jour, un concours s'établit entre du Bellay, Muret et Fauveau : tous trois de- vaient composer sur le même sujet une épigramme amoureuse. On prit pour juge un poète de Loudun, alors en grand renom : Salmon Macrin attribua la palme à Fauveau '.

C'est la première fois que nous rencontrons ce poète qui devait compter parmi les meilleurs amis de Joachim du Bellay. Jean Salmon, dit Macrin (i49o-i55-) ', natif de Loudun, sur les confins de l'Anjou, de la Touraine et du Poitou, disciple de Jacques Lefèvre d'Etaples, en relations avec tous les huma- nistes de l'époque *, était en i546, dans le monde des lettres, un personnage considérable. Il avait débuté dès i5i5 dans la poésie latine % et tel était l'éclat de son talent que le roi François I*^' l'avait nommé son valet de chambre au même titre que Marot. En iô'2S, il avait épousé Guillonne Boursault,

' Devise de Marot .

- Sainte-Martlif, Elogia (liiilS). art. Petius Fuh'iiis, p. 42-43. Cf. Dreux du Radier, Bibi. Iiist. et crit. du Poitou. Paris, 17j4, o vol., t. II, p.228sqq.

^ Sur ce poète aujourd'hui peu connu, le lecteur pourra consulter un assez bon article de J. Boulmier : « Salmon Macrin, l'Horace français ». {Bulletin du Bibliophile, nov.-déc. 1871 /.

'• Guillaume Budé dans une lettre à Jean Lascaris, du 11 mai i;j:il, disait de lui : i2aAjj.wvto;. àvr,û •JTrspàvaÔo; /.al 7rocr,Tr,; k'vSoïoç.

' Voir la liste de ses ouvrages dans Brunet, t. III, col. 1284-l:i8;j. On trouvera des extraits de ses poésies dans les Deliciae Poetarum Gallorum, t. H. p. 403-073.

ENFANCE ET JEUNESSE 31

une jeune lille «le son pays, qu'il ainiuil teudi-einent, cl (luil ehantail en doux vers iuiités de Catulle et d'IIoraee. sous le nom de Gélonis, la Soui-iaute (yiXo).:). Mais ce ([ui rapprocha surtout de lui .loachiui. c'est (pi'il ctail depuis longtemps le protégé des lï-ères du licllay. dont il redisait la gloire, et qui, poètes eux-mêmes, traitaieut ce poète, leur panégyriste, sur le pied d'une certaine intimité. Justement, Salmon Maerin venait de présenter au public, à la suite d'un recueil de ses Odes, les poésies latines du cardinal '. Jl le faisait, disait- il, à son insu. Qu'il agît en efï'et de lui-même ou qu'il eût l'aveu secret du cardinal, une telle publication prouvait assez l'excellence de leurs rapports. On comprend que du Bellay, très prévenu pour cet ami de sa famille, soit allé vers lui volontiers, et que de soient nées de sincères et cordiales relations. Maerin encouragea les débuts du jeune honnne. La Musagnœomachie (i55o) ne laisse aucun doute sur ce poiut :

Le docte lue tant vanté. Qui la mort de l'Ignorance Parmi Loudun a chanté,

' Salmonii Macrini liiliodunensis Odarum UbrL III ad Feliiirn Castella- num ; lo. Bellaii cardLnaUs anipUssinii poemata aliquot elegantissiina. Paris, Robert Eslienne, lo46. in-8". Maerin disait dans son épitre liminaire : (I Literatoruni honiinuin nalioni gratum nie facturuni putavi, si lo. Bellaii (Jartlinalis aniplissinii poemata, hoc est Elegeias aliquot, E[)igramniata et Odas nugis nieis subjungerein. . .. Nam cum ea ad amicos variis leniporijjus missa sludiose accuratcque colleoissem, et claris viris iisdenique doclissi- mis Icoenda intérim dedissem, pcrmulti ex liis eleganliam, sublimitatem, gravitatem poematum demirati, saepe inecuiu conquesti sunt indignissi- mum esse, nec omnino ferendum, si forte in tenebris ea perpetuo jacerenl, HCC unquani in hominum nianus venirent. n Rappelant ensuite que les car- dinaux Rcmbo et Sadolet n'avaient pas cru déroger en publiant leurs poésies, il espérait que le cardinal du Bellay ne se fâcherait pas de cette publication subreptice, et comptait pour le iléfendre sur Pierre du Chastel, évèque de Màcon, auquel il la dédiait : « Sperabam inde futurum ut, si Gardinalis Bellaius audacia mea forsan otlendcretur, quod se insciente alque inconsulto haec opuscula cilidissem, unus. mihi praesto esse posses, cujus authoritate ac palrocinio me ipse defenderem. n (1^1)1 Nat. Rés. pY^. 1071).

32 JOAGHIM DU BELLAY

Voire par toute la France,

Me veut donner asseurance

De lâcher par l'univers

Les traiz de mes petis vers. (I, 147).

L'exhorta-t-il, comme on l'a prétendu ', à nécrire quen sa langue maternelle ? C'est possible. Ce poète latiniste, par regret peut-être d'avoir tant sacrifié aux Muses de Rome, n'avait-il pas, s'il en faut croire du Verdier % composé des épigrammes françaises qu'un libraire de Poitiers, vers i58o, gardait encore en manuscrit ? Mais si du Bellay ne reçut pas de Macrin ce patriotique conseil, il le reçut à coup sur de Jacques Peletier du Mans.

Est-ce à Poitiers que la rencontre eut lieu ? Sans pouvoir rien certifier, je crois pourtant la chose infiniment probable. La date, en effet, d'une précision rigoureuse, permet dilïici- lement une autre hypothèse. Dans la seconde préface de VOlive, du Bellay nous dit en termes très nets : (( A la persuasion de Jaques Peletier, je choisi le Sonnet et lOde, deux poëmes de ce temps {c'est depuis quatre ans) encore peu usitez entre les nostres » (I, 7a). Cette préface étant de io5o, c'est donc exactement en 1046 qu'il faut placer le fait dont il s'agit. Or, cette année-là, nous venons de le voir, du Bellay pour- suivait ses études à Poitiers. Quoi qu'il en soit, ils se lièrent d'autant plus vite que Peletier venait d'être, pendant cinq ans (i54o-i545), secrétaire de l'évèque du Mans, René du Bellay. Le rapport des âges (Peletier avait vingt-neuf ans, du Bellay vingt-quatre) et leur goût commun pour la poésie achevèrent de fonder leur amitié. L'influence exercée par le poète man- ceau sur l'étudiant angevin fut décisive au i)oint de vue de

' lîallu, p. L.

- Du Verdier, BLbl. franc., art. Jean Salmon : « Et si a fait des Épi- grammes François, bien troussés à l'imitation des Grecs, que j'ai a'u écrits à la main au pouvoir d'un libraire de Poitiers » (II, 314J.

ENFANCE ET JEUNESSE 33

sa carrière. Aussi rue permcttra-t-ou d'eutrei* ici dans quelques développements. 11 importe d'autant plus d'insister que Peletier, obscur aujourd'hui, pour ne pas dire tout à fait oublié, n'a pas dans nos histoires littéi'aires la place à la([uell(; il a droit ' .

Cet esprit aventureux et hardi, qu'Etienne Pasquier saluait avec raison comme un précurseur de la jeune école ', est le véritable initiateur de Joachini du Bellay aux idées de réforme poétique. Il venait de publier une traduction de l'Art Poétique d'Horace ', et la dédicace qu'il en faisait « à tresvertueux et noble homme Cretode Pcrol, Ecuier, Seneschal du Maine », n'était pas autre chose qu'une vibrante apologie de la langue nationale. Cherchant pourquoi les écrivains de son époque n'approchaient pas dans leur style de la (( copieuse véhémence et gracieuse propriété qu'on voit luire es auteurs anciens », Peletier en trouvait surtout l'explication dans le mépris l'on tenait la langue maternelle *. Il déplorait une si coupable erreur. Sans doute, disait-il, on ne saurait rendre trop d'hom- mage à (( ces deux tant célèbres et honnorables langues Latine

' Sur Jacq. Peletier du Mans, consulter outre Niceron (t. XXI) et Goujet (t. XII) les notices de Glinchaïup (bullelin du Bibliophile, juill. et oct. 1847), d'Hauréau (Hist. lltt. du Maine, IV, 168), d'Héricaull {Poètes français de Crépet, 1, 6!2), de Dessaix (réimpr. de la Savoie, Chambéry, 18ij6), de Pages (réiinpr. de la Savoie, Moutiers, 1897).

- Il Jacques Pelletier, qui conuuença d'habiller nostre Poésie à la nou- velle guise avecq'un très heureux succès » (Rech. de la France, VI, 7). « Jacques Pelletier, grand Poète, Arithméticien, et bon Médecin, que je puis presque il ire avoir esté le premier qui mit nos Poètes François hors de page » {Lettre à Ranius, III, 4).

' L'Art Poétique d'Horace, traduit en vers François par Jacques Peletier du Mans, recongnu par l'auteur depuis la première impression. Moins et meilleur. Paris, Michel de Vascosau, 1IJ45. (Bibl. Nat. Rcs. pY^^. 612). Celte édition en suppose une première, que La Croix du Maine (I, 4:J6) place en lj44. Je n'ai pu trouver nulle part l'édition originale.

' « La principalle raison et plus apparente, a mon jugement, qui nous ote le mérite de vrai honneur, est le mépris et contennement de notre lan- gue native, laquelle nous laissons arrière pour entretenir la langue Greque et la langue Latine, consumans tout noire temps en Pexercice d'icelles ».

Univ. de Lille. To.mk A' 111 A. ',i.

34 JOACHIM DU BELLAY

et Greque, ausquellcs sans controverse, et sing'ulierement a la Greque, nous devons toute la congnoissance des disciplines, et la meilleure part des choses mémorables du temps passé. )) Même on i)ouvait soutenir qu'il était impossible de « propre- ment i)ai-ler, ni correctement écrire notre langue sans aquisition de toutes deux », ou pour le moins de la latine '. Mais lliom- mage devait-il aller jusqu'à loubli complet de l'idiome (( domes- tique » ? Les Romains n'avaient pas sacrifié le latin au grec : Cicéron se faisait une gloire d'exposer dans sa langue la phi- losophie grecque, et Jules César rêvait d'étendre la langue romaine jusqu'aux frontières de l'empire romain. Et les Ita- liens? avaient-ils au latin sacrifié le toscan? Pas davantage. « J'ai mesmement pour mes auteurs, disait Peletier, Pétrarque et Bocace, deux hommes jadis de grande érudition et savoir, lesquelz ont voulu faire témoignage de leur doctrine en écri- vant en leur Touscan. Autant en est des souverains poètes Dante, Sannazar, aussi Italiens. » C'était la marque dune grande supériorité d'esprit de s'appliquer, comme ils avaient fait, aux langues étrangères en même temps qu'à la langue natio- nale. Mais se consacrer exclusivement aux langues étrangères, n'était-ce pas une folie, puisqu'on était condamné d'avance à rester au-dessous des modèles ^ ? Peletier rendait justice à ceux qui s'efforçaient, comme naguère Jean Lemaire de Belges, de travailler aux progrès de notre langue. Grâce à l'intelligente et libérale protection du roi François h", elle couimençait, disait-il, à se développer ; un avenir brillant s'ouvrait devant elle. Et Peletier terminait par cette consolante prédiction :

' « C'est cliosc toute receue et certaine, qu'lioraiiie ne sauroit rien écrire qui lui peut demeurer a lionneur, et venir en comniendation vers la posté- rité sans l'aide et appui des livres Grecz et Latins. »

- « Quant a ceux qui totalement se vouent et adonnent a une langue j)eregrine (j'enlens peregrine pour le resj)ect de la domestique) il me semble qu'il ne leur est possible d'atteindre a celle naïve perfection des anciens non plus qu'a l'art d'exprimer Nature, (luelque ressemblance qu'il i pré- tende. »

ENFANCE ET JEUNESSE 35

(( A voir lu Heur ou ell" est Je présent, il faut ci-oire [tour tout seur que si ou procède tousjours si bien, nous la voir- rons de bi'iei' en bonue maturité, de sorte quelle suppeditera la langue Italienne et Es[)agnole, d'autant que les François en religion et bonnes meurs surpassent les autres nations. »

J'ai cru devoir analyser assez longuement cette curieuse préface. Qu'on pèse les idées et les expressions : la Deffence est déjà tout entière, ou peu s'en faut. Il n'est donc pas douteux que Joachim ait puisé dans le commerce de Peletier la plupart des opinions (^u'il allait trois ans plus tard for- muler si fièrement dans son manifeste. Du Bellay dut se rendre d'autant plus volontiers aux raisons de son ami (|uc ses études avaient été plus incomplètes, et qu'il sentait par expérience combien, avec une instruction si tardive, l'usage de sa langue vulgaire était chose plus aisée que la pratique des langues anciennes.

Mais il y a plus. Peletier était à la veille de publier ses Œuvres Poétiques ', et ce recueil allait révéler chez son auteur de curieuses aspirations. 11 suffit d"y jeter un coup d'œil pour voir à quel point, en i547, Peletier était déjà loin de l'école marotique et tendait vers une poésie nouvelle. Si le Blason du Cuew\ si les Epigramnies et VEpitre à Mellin de Saint- Gelays dénotaient encore un disciple de Marot, le reste était d'un éclaireur de la Pléiade : des traductions de l'antique et de l'italien, douze sonnets empruntés à Pétrarque, et précédés eux-mêmes d'un sonnet l'autem* poussait à limitation du chantre de Laure (f" 55 r"), une ode « à un poète qui n'escri- voit qu'en latin » (f° 82 v^), un certain nombre de vers lyri-

' Elles parurent l'année suivante sous ce titre : Les Œuvres Fiëtigues de Lacques Peletier du Mans. Moins et meilleur. Paris, Michel de Vasco- san et Gilles Corrozet, lo47. (Bibl. Nat. liés. Y=. 18o3). Privilège daté de Paris, 1" sept. 1547. On y trouve une Épitaphe de Gaillanme de Lan^ey (ï" 90 vj ; la traduction du I" liv. des Géorgiqaes est dédiée au cardinal du Bellay (f- 36 v").

3G JOACHIM DU BELLAY

qiies, déjà s'annonçaient quelques-uns des thèmes que devait traiter la Pléiade \ attestaient les instincts novateurs de Peletier. On s'explique donc qu'il ait pu. Tannée précédente, conseiller à du Bellay le culte du sonnet et de l'ode, et l'on ne s'étonnera pas de trouver à la fin des Œuvres Poétiques de lôfyj (fo io3 vo) un élogieux dizain de /. Dubello)' à la ville du Mans ^ Joacliim payait ainsi sa dette de reconnaissance. Mais en découvrant à l'étudiant de Poitiers ces nouveaux horizons poétiques, Peletier dut lui dire aussi qu'étant secré- taire de René du Bellay, il avait, en i54'3, dans la ville du Mans, fait la connaissance dun jeune gentilhomme venu poui' recevoir la tonsure des mains de l'évèque ' : que ce gentil- homme, qui rêvait de poésie et de gloire, lui avait montré plusieurs odes de sa façon, taillées sur le patron d'Horace, et l'avait mis au courant des vastes projets d'avenir qu'il formait tout au fond de son âme ; enfin, qu'il était resté son ami depuis lors et qu'il échangeait des odes avec lui \ Ce gentil- homme, c'était Ronsard. Ainsi Peletier préparait de loin le futur cénacle. Par le plus singulier des hasards, c'était lui qui rapprochait peu à peu les deux chefs de la prochaine

' La Description des quatre saisons de l'année (f" lii r°) annonce de loin V Hymne des quatre saisons de Ronsard. Le Chant du Désespéré (f' 74 r") sera repris deux fois par du Bellay {Chant du Désespéré, 1, 196. Com- plainte du Désespéré, II, 1). A noter surtout (f" 7:2 r") un sentiment de la nature qu'on ne rencontre guère dans Marot et les Marotiques. Bonav. des Périers excepté, mais qui n'est pas rare dans la nouvelle école.

- Marly-Lavcaux, Appendice de la Pléiade, II, 392. Cf. Mnsagnœoma- chie (I, 143) :

Peletier laborieux

En tes poétiques œuvres.

' Pour cette question, le lecteur voudra bien se reporter à l'article que j'ai j)ublié sur « l'invention de l'Ode » dans la /iep. d'hist. lilt. de la France, V6 janv. 1899, p. :il.

' Les Œuvres Foctiques de loi7 contiennent une ode « au seigneur P. de Ronsart, Vinvitant aux champs » (f» 72 r'), et plus loin, une « Ode de Pierre de Ronsart à Lacques Peletier, Des beautez qu'il voudrait en s'Amie » (f' 79 v°), suiA'ie d'une c< Response par Peletier, Des beautez et accomplisse- mens d'un Amant » (f" 81 r ).

ENFANCE ET JKUNESSE 37

Pléiade, encore ignorants l'un de l'autie. C'est assez poui- sa gloire qu'il ait ouvert aux idées nouvelles l'esprit curieux de Joacliini. En l'initiant à ces idées par ses causeries, par ses conseils, il avait fait œuvre féconde. Désormais, du Bellay pouvait rencontrer Ronsard : il était apte à le comprendre.

On connaît Ihistoire de cette mémorable rencontre. Ron- sard regagnait Paris, revenant sans doute d'un voyage en Gascogne ', lorsque, dans une hôtellerie, sin* la route de Poitiers, il se trouva tout à coup face à face avec du Bellay \ Binet, à qui Ton doit le récit de cette rencontre ', la place en 1549. La date qu'il donne est inadmissible *, puisque la Deffence fut composée, comme nous le verrons, tout au début de IÔ49- ^^ ^^"* Ifiisser à du Bellay le temps raisonnable d'avoir un peu complété ses études auparavant. Il faut lui permettre aussi d'avoir écrit ï Olive, qui vit le jour en même temps que la Deffence. Il est donc nécessaire d'avancer la rencontre de l'hôtellerie au moins d'une année. Pour ma part, j'adopterais volontiers comme date la fin de i547 '.

' Le Bocage de Ronsard lliioU) contient une ode « à son retour de Gas- congne, votant de loin Paris » ((" 157 V). Blanchemain, JI, 456.

- Cette scène de riiôtellerie fait le sujet d'un joli poème de M. Belles- sort, que l'Académie Française a couronné dans sa séance du il nov. 189;). On le trouvera dans la Revue des Deux-Mondes du 1" mai 189o.

^ Ce récit ne ligure que dans la troisième rédaction du texte de Binet (1597). Dans les deux premières, on a simplement les quelques lignes que j'ai citées ci-dessus dans une note, p. 29.

' Je dois trop à Binet pour me montrer ingrat. Laissons parler Sainte- Beuve : « Cl. Binet, quoique ami et disciple de Ronsard, paraît assez inexactement informé des premières années de ce poète, et les dates qu'il donne me semblent souvent suspectes. » {Vie de Ronsard, à la suite du Tableau. .., p. 291, n. 1).

' La pièce du Bocage ci-dessus indiquée si, comme je le crois, elle se rapporte au Aoyage en question peut nous fournir un argument. Ronsard y salue Paris qu'il habite, dit-il, depuis cinq ans :

38 .TOACHIM DU BELLAY

Les deux voyageurs ne tardèrent pas à lier connaissance. Bien des raisons les rapprochaient. Ils étaient un peu parents *. Ronsard devait beaucoup aux du Bellay: jadis (t54i-i542), il avait suivi en Piémont Guillaume de Langey : plus tard (t543), l'évêque du Mans lui avait conféré la tonsure. Leur commune amitié pour Peletier et leur égale passion pour la poésie ^ les jetèrent dans les bras l'un de l'autre. Que se passa-t-il dans cette entrevue ? Il est facile de le deviner. Du Bellay raconta sa triste enfance, son esprit laissé sans culture, ses rêves évanouis de gloire militaire, ses études arides et desséchantes à l'école de droit de Poitiers, ses premiers pas vers la Muse, cette rencontre bénie de Peletier. qui faisait luire à ses yeux la pure et brillante image dune poésie ressuscitée. Ronsard, s'épanchant à son tour en confidences, redit quelle avait été sa vie jusqu'à ce jour. De noble famille, il pouvait prétendre aux plus hautes destinées. Son père lavait poussé de bonne heure à la Cour. 11 avait connu toute une adolescence heureuse et fêtée, cher aux dames, cher aux princes. Il ambitionnait la carrière diplomatique, lorsque les premières atteintes d'une surdité précoce l'avaient contraint, hélas ! de renoncer aux espoirs si chèrement caressés. D'abord, il en avait souffert; mais bientôt, il avait trouvé dans les livres une consolation : il les avait toujours aimés. Son père avait bien a'ouIu ([u'il reprît ses études, faites jadis un peu trop hâtivement. Un gentilhomme de ses amis,

C'est toy qui as de science, a^ec art, Endoctriné mon jeune âge ignorant. Et qui chez toy, par cinq ans demeurant. L'as allaiclé du laict qui de toy part. C'est en liîiS que Ronsard, revenu de Piémont, s'étaljlil à Paris, ce qui iixe son voyage à 1!)47.

' Sans doute par les seigneurs de Glatigny, ancienne famille du Bas- Vendômois. (Ballu, p. 268, n. 1).

^ Une si belle science,

Qui commença l'allience De corps et d'à me entre nous, (lisait Ronsard en laiiO. dans une ode à du Bellav. Blanchcmain, II, lit).

ENFANCE ET JEUNESSE 31)

qui fréquentait comme lui récurie du Roi, le s(;ij>neur Paul, l'avait initié à la poésie latine, qu'il cultivait lui-même par distraction. C'est au seigneur Paul qu'il devait d'avoir goûté pour la première l'ois dans le texte les chefs-d'œuvre de Virgile et d'Horace. Il avait même essayé d'imiter Horace dans la langue du modèle. Mais il s'était vite aperçu qu'il faisait fausse route, et qu'il valait mieux être le premier en France que le dernier à Rome. Alors il avait conçu le pi'ojet de faire revivre Horace en français, et d'enrichir la poésie nationale de l'ode qui lui manquait. Mais il jugeait ses tentatives trop imparfaites, trop éloignées de la pure beauté de son auteur, pour mériter l'impression. Il avait encore besoin de s'instruire. Son père était mort en 1544- niais une destinée heureuse avait voulu qu'il trouvât \m second père en M. de Baïf, dont il avait été jadis le secrétaire, lorsqu'il se rendait en Allemagne à la diète de Spire. M. de Baif avait un fils, Jean- Antoine, qu'il avait pris soin de faire élever par les plus doctes précepteurs. En i544i il avait installé dans sa maison des Fossés-Saint- Victor un savant limousin, Jean Dorât, qui complétait l'édu- cation du jeune Antoine, et, comme il se sentait pour son ancien secrétaire une tendresse toute paternelle, il l'avait admis à profiter, en même temps que son fils, des leçons du savant. Ces leçons avaient été comme une révélation. Quel homme rare que ce Dorât ! Quelle connaissance approfondie de l'Antiquité ! Surtout, quelle science du grec ! M. de Baïf venait de mourir (1547) ' . Dorât avait été nommé principal du Collège de Goqueret, et ses deux élèves l'avaient suivi dans sa nouvelle demeure. C'est qu'ils vivaient dans la retraite et le silence, d'une vie intérieure, très active, très studieuse, tout entière

* M. Pinvert, dans sa thèse latine, De Lazari Bayfii vita ac latlnls ope- rihiis et de ejus amicis (Paris, Fontemoing, 1898, in 8'), P- 3i. place cette mort en 1350, mais sans donner, selon moi, de son opinion des raisons vraiment décisives. Je m'en tiens donc à la date traditionnelle.

40 .TOACHIM DU BELLAY

consacrée aux Muses. Antoine de Baïf, plus avancé que lui dans les lang-ues anciennes, venait à son aide dans l'étude du grec; lui, par contre, enseignait à Baïf les règles de la poésie française. Et tous deux, sous l'habile direction de Dorât, rivalisaient d'ardeiu* et d'enthousiasme, employant tous leurs jours au travail, se couchant tard, se levant tôt. Car ils avaient conçu la noble ambition de réveiller la poésie fran- çaise jusque faible et languissante, d'illustrer leur mémoire par des œuvres maîtresses, de laisser après eux un renom immortel \ Mais puisque du Bellay, lui aussi, soucieux de gloire, épris d'idéal, se sentait attiré vers la Muse, que ne venait-il partager leurs études, s'associer à leurs travaux, se préparer comme eux aux luttes héroïques d'où devait sortir le triomphe ?

Proposition séduisante ! Du Bellay, sans doute, lit un retour rapide sur le passé. Certes, il n'avait point perdu son temps à Poitiers ; il y avait commencé ses études : il avait réparé bien des lacunes de sa jeunesse : il devait beaucoup à Muret, à Macrin, à Peletier. Que de choses pourtant lui restaient à apprendre ! Les paroles de Ronsard lui faisaient entrevoir tout un avenir d'études sereines, de féconds labeurs, de jouissances délicieuses, Rome à mieux saisir, la Grèce à connaître, l'Italie à découvrir, la Gloire, enfin, couronnant son front de poète... La tentation était trop forte. Incapable de résister, du Bellay suivit Ronsard à Paris ", pour s'enfermer au Collège de Coqueret.

* Pour de phis amples détails, v. Binet, VOraison Junèbre de Ronsard par du Perron, les notices de Marty-Lavcaux sur Dorât, Baïf et Ronsard, le cliap. I de Freniy (L'Académie des derniers Valois], et mon article sur « l'invention de l'Ode » (liev. d'hist. litt. de la France, 15 janv. 1899. p 21).

- Un mot très concis de Sainte-Marthe, dans son Éloge de P. Fauveau (Joacldino Bellaio Farisiis ad legiim siiidia recens illuc profecto,' laisserait supposer que du lifliay avait passé par Paris avant d'aller à Poitiers. Je n'ai rien trouvé (|ui me jn-nuelte d'éclainir la f|uestion di' ce i)remier séjour à Paris.

V

charthh fi

LE COLLÈGE DE COQLEKET

1547- 1549

I. Le Collège de Coqueret. II Jean Dorât, principal de Coqueret. Un collège au XVI siècle. La Brigade et la Pléiade.

III. Éducation de la Pléiade. L'éducation par les livres.

Dorât professeur. Sa méthode : le latin enseigné par le grec. Sa valeur comme philologue.

IV. La culture grecque. Caractère surtout poétique. Les

classiques et les alexandrins. Défauts et mérites de

Dorât helléniste. Du Bellay, le moins grec des poètes

de la Pléiade.

V. La culture latine. Latins anciens. Latins modernes.

VI. La culture italienne. Valeur esthétique des œuvres

italiennes. Vive impression produite sur la Pléiade. VII. La culture française. Rabelais. Romans français. Roman de la Rose. Poésie des XIV- et XV'' siècles. Rhétoriqueurs. Jean Lemaire de Belges. Clément Marot. Les Marotiques et Saint-Gelays. Les Lyon- nais : Antoine Héroët et Maurice Scève. VIII. L'éducation par la nature. Excursions dans la banlieue de Paris. Le voyage d'Arcueil en 1549. Une partie de plaisir chez Brinon. IX. L'éducation par les arts Influence de Denisot. Rela- tions avec les artistes. Les arts plastiques. La musique et la poésie. X. Publication de 1' « Art Poétique » de Th. Sibilet (1548).

Impression qu'en ressentent les élèves de Dorât. Origine de la « DefEence ». La collaboration du groupe au manifeste. Pourquoi ce fut du Bellay qui le signa.

Publication de la « Deffence et illustration de la langue françoyse » (1549).

42 JOACHIM DU BELLAY

C'était un obscur collège, le plus obscur peut-être de tous ceux c{ui peuplaient la montagne Sainte-Geneviève, que ce Collège de Coqueret '. oii du Bellay venait, avec Ronsard et Baïf, se mettre à l'école de Dorât. Il avait été fondé vers le milieu du xv* siècle par Nicolas Coquerel ou Coqueret, bachelier en théologie, prévôt et chanoine de Notre-Dame d'Amiens. Ce prêtre, natif de Montreuil-sur-Mer, avait loué la basse-cour de l'ancien Hôtel de Bourgogne ^ pour y tenir de petites éeoles ' et, (( par subtilité », nous dit du Breul, de locataire s'était rendu propriétaire. Puis il avait revendu son

' Sur le CoHèu-o de Coqueret, cf. du Breul, Théâtre des Antiqiiitez de Paris (1612), liv. II, p. 732; Sauvai, Histoire et recherches des antiquités de la i'ille de Faris (1724), t. II, p. 379; Félibion, Histoire de la ville de Paris (I12i>), t. II, p. 761 ; I^iganiol de la Force, Description de Paris (1742), t. V, p. 213; Crevier, Histoire de VUniversité de Paris (1761), t III, p. 341 ; Laverdy. Compte rendu aux Chambres assemblées, concernant la réunion des Boursiers. . . le 12 nov. 1763, p. NO ; Jaillot, Recherches sur la ville de Paris (1772-17751, t. IV, 2' part., p. 3<S. Ces divers hisloi-iens se répètent à peu près dans les mêmes termes, et tous copient le P. du Breul. Le der- nier, .laillot, a vainement essayé de pousser plus loin son enquête : « Il y a, dit il, une si grande obscurité répandue sur l'origine de ce prétendu Col- lège, qu'il ne m'a pas été possible de la dissiper; il s'est passé d'ailleurs tant d'années sans y voir ni principal ni boursiers, qu'il n'est pas étonnant ([ue nos liistoriens ou n'en aient pas parlé ou n'en aient dit que très peu de chose. )) Les papiers du Collège de Coqueret ne sont point venus aux Archives, comme ceux de la plupart des collèges parisiens. Les quelques indications que donnent les Registres de l'Université de Faris (Biblioth. de la Sorbonne) ont été précieusement utilisées par .1. Quiclierat, dans son Histoire de Sainte-Barbe (1860), t. 1. Cf. encore Ch. Jourdain, Index Chronologicus (1862), p. 290, n. 2.

- La basse-cour de l'IIôtel de Bourgogne était bordée par la rue Char- tière, la rue du Mont St-Hilairc et la rue du Chaudron (auj. impasse Char- lière, rue de Lanneau et rue d'Ecosse). Le Collège de Coqueret était sur la paroisse St-Hilaire. Dans le voisinage se trouvaient les Collèges du Piessis, de Marmoutiers, de Reims, de Toul, de Karembert. (Cf. le plan dressé par Ad. Berty, en tê'e du I" vol. de Quicherat). Au xvm'^ siècle, il restait encore du C(jllège de Coqueret un petit bâtiment, dans la rue Chartière. Il n'en reste plus rien aujourd'hui.

•' Entendez une sorte de pensionnat dont les élèves suivaient les cours de l'Université. (Quicherat, op. cit., l. 17).

LE COLLÈGK DK COQUr.nET 43

collège à maître Simon Dnoast, le(|uel avait ou roinnie héri- tier et successeur Robert Dugast, son neveu, celui-là niènie qui devait en i556 doter par un acte de fondation le Collège Sainte-Barbe. Ce dernier, une des figui-es de principal les plus curieuses de cette époque, avait signalé son administra- tion par un excès de rigueur qu'inspirait une rapacité sans exemple. L'avarissime har[)ic de Coqueret, comme l'appelle un acte du temps, avarissiiua harpj'ia, s'était attiré la réputation la plus détestable. Sans cesse il avait maille à partir avec ses l'égents, qu'il traitait de la pire i'açon, jelant l'un en prison pour lui avoir mangé un pain d'un sou, exigeant d'un autre un pot de vin illicite et lui confisquant son mobilier, frustrant un troisième de la paye convenue et lui défendant même le réfectoire ' ! Les choses étaient allées si loin en 1529 que la Faculté des Arts, à la requête des régents, avait suspendu Robert Dugast de ses fonctions de principal, ne lui laissant d'autre titre que celui de propriétaire de son collège ; elle l'avait déclaré déchu de tous les privilèges académiques, comme violateur des statuts de l'Université, et, le jugeant réfractaire, elle avait chargé les censeurs des Nations d'aller faire la visite de Coqueret pour y rétablir l'ordre.

Néanmoins, ce mauvais coucheur n'était pas, semble-t-il, le premier venu. Curé de Saint-Hilaire, chapelain du Ghàtelet, chanoine de Saint-Marcel, il fut longtemps doyen de la Faculté de Décret et professa le droit ecclésiastique aux écoles de la rue Jean-de-Beauvais. Très dur aux régents, il aimait sincèrement les études, et l'on peut croire qu'il eut à cœur la prospérité du Collège de Coqueret '. Il faut bien

' Pour les détails, v. Quicherat, op. cit.. t. I, p. 297 sqq.

- « Spectatus vir M. R. Dugast divi Hilarii Curatusnecnon vulgatissimae Domus Coqueret Moderator. vigilantissimus Decrelorum Doctor ». lit-on dans une pièce de 1524, que cite du Boulay, Hist. Univ. Paris., VI. 160.— Du Boulay n'a parlé nulte part spécialement du Collège de Coqueret.

44 JOACHIM DU BELLAY

reconnaître toutefois que si ce collège eut jamais quelque éclat, il en reste aujourd'hui peu dindices. A peine saisit-on. dans les ténèbres mystérieuses de son passé, deux ou trois faits précis qui permettent de supposer que réellement on y travaillait. Nous savons qu'au début du xvr- siècle, un Espagnol de Valence, Jean de Gelaya, plus tard professeur à Sainte-Barbe, y enseignait la philosophie '. Vers la même époque (i5o4), un certain Denys Lefèvre, régent de gram- maire, y expliquait, paraît-il, avec un tel succès les auteurs grecs et latins, que les envoyés vénitiens, alors à Paris, étant venus l'entendre, dirent tout haut qu'avec un pareil homme la France était à la hauteur de l'Italie et de la Grèce ". Denys Lefèvre lisait à ses disciples VInsfifufion Oratoire de Quintilien, le traité de Philelphc sur l'Education des Enfants, Lucain, la Rhétorique de Cicéron. Il leur interprétait aussi la grammaire grecque de Théodore Gaza. C'était peut-être la première fois, suivant du Boulay, qu'on expliquait du grec dans l'Académie de Paris '. Singulière destinée qui voulait que la langue grecque trouvât son premier asile dans ce même collège où, près de cinquante ans plus tard. Dorât allait révéler à ses élèves les beautés d'Homère, de Pindare et d'Eschvle !

' Quicherat, op. cit., I, li;».

- « Habeat Roma suuiii Ciceronein, suuni Livium, suiim Virgilium. Docta Graecia suum Hoinerum suuinque Demosthenem. Habet oppido Fabrum suum Parisiensis Universitas. » Du Boulay, VI, 028. art. Dionysins Faber.

^ « Illc, praeter publicani Granimatices explanationem. Theodorum Gazam interi)i'ctatus est : quae prima lerc fuit Atticac linguae in Academiam Parisicnscm introductio. » Rebitté, dans sa thèse sur G. Budé (p. o1-d2), confond à tort ce Denys Lefèvre avec le célèbre humaniste Jacques Lefèvre d'Elaples.

LE COLLÈGE UE COQUERET 45

II

Dans quelles eirconstances rérudit limousin dcvinl-il prin- cipal de Coqueret ? C'est ce qu'il esl dillicile de préciser. Une hypothèse toutefois est vraisemblable : Dorât, privé de res- sources par la mort de liazare de Haif (1547), clic/ Icifuel il vivait comme précepteur particulier, dut chercher ;i tirer de son savoir tout le parti possible. Le moyen le plus sur était encore de professer publiquement. On peut admettre, avec Quicherat ', qu'il s'entendit avec Robert Dugast, principal sus- pendu de Coqueret, mais resté propriétaire du collège, pour prendre la direction générale des études : il laissait à Dugast la besogne administrative et financière ". Ainsi déchargé de la partie fastidieuse de ses fonctions, il put s'abandonner à son rêve d'humaniste '.

Les collèges de cette époque ne ressemblaient pas tout à fait à ceux de nos jours '*. Les élèves y étaient moins nom- breux, ce qui permettait entre eux et le maître des relations plus cordiales et plus intimes. Il serait téméi'aire à coup sûr de prétendre reconstituer exactement la vie que menaient, sous la direction de leur principal, Ronsard, du Bellay, Baïf, les camarades qui partageaient leur existence. Il faudrait pour cela d'autres données que les allusions plus ou moins vagues qu'on relève de ci de dans leurs vers aux années labo- rieuses de leur jeunesse. On peut assurer toutefois que cette

» Op. cit., I, 302.

- C'est sans doute à la faveur de cette convention que Dugast, supplan- tant Dorât, finit par redevenir principal de son collège : « Ann. 1551, die 3 octobris, Robertus du Guast,qui praefuit postea collegio Sanctae Barbarae, primarius eoUegii Coquerctici nuncupatur. » (Jourdain, Index Chronologi- eus, p. 290, n. 2). Il fut de nouveau suspendu le 12 avril 1352.

•' M. Robiquet, dans sa thèse latine sur Dorât (p. 8), fixe au mois de décembre 1547 sa nomination comme principal, mais sans indiquer à quelle source il a puisé le renseignement.

* Le lecteur pourra lire dans Quicherat (t. I, chap. ix et x, p. 73-92) le tableau d'un collège au xvi' siècle.

46 JOACHIM DC BELLAY

vie à Goqueret avait quelque chose dune vie de fairdlle. La présence continuelle d'un maître qu'on vénérait pour son savoir et qu'on aimait pour sa bonté, le commerce incessant qu'on avait avec lui, l'échange amical des sentiments et des pensées facilitaient la discipline.

En dehors des élèves qui vivaient à demeure au collège, il y avait ceux de l'extérieur qui suivaient les cours à titre d'auditeurs bénévoles. Car Dorât, non content d'enseigner en privé, semble avoir pratiqué dès ce temps-là les grandes leçons publiques. C'est sans doute ce qu'il faut entendre par cette académie que le docte humaniste avait, selon Binet, établie au Collège de Coqueret '. A certaines heures il réunissait autour de sa chaire tous les étudiants, jeunes ou vieux, qu'animait la passion de s'instruire. Ainsi s explique qu'il ait compté dans son auditoire des savants comme Muret, des seigneurs comme Carnavalet, des évèques comme Lancelot Caries.

Que Dorât ait vu se presser à ses leçons une afïluence considérable, c'est une chose qui n'est pas douteuse. Dans une ode qu'il lui dédie en i55o, Ronsard lui rend cet hommage :

Tant dames ne courent pas

Apres Alcée la bas,

Alors qu'horrible il acorde

Les guerres desus sa chorde.

Comme ta douce merveille

Emmoncelle par milliers

Un grand peuple d'écoliers

Que tu tires par l'oreille '.

* « Ronsard ayant sçeu que Dorât alloit establir une académie au col- lège de Cocquerel. duquel on luy avoit l)aillé le gouvernement. . . .) C'est le texte de 151)7 i p. 122). En lo8G, on lit simplement : « lionsard asant sçeu que Dorât alloit demeurer au collège de Cocqueret, dont on l'avoit fait princi- pal... » (p. 10). De même en lo87.

2 Je cite le texte de l'édit. orig. de 1550, liv. I, od.- Il, P 23 r". (Bilil. Nat. Rés. \'. 4700;. Blancht-maiii, II, 100.

LE COLLÈGE DE COQUEREP 47

Mais ce qui nous intéresse ici tout pai-liculièremenl, c'est le petit groupe d'élèves qui vivaient au collège du matin au soir, ([ui [)eut-èlie y couchaient, y prenaient leurs repas, (jui rece- vaient à toute lieure les léchons privées de Dorât, ([ui l'uirut les intimes des poètes de la Pléiade, ([uand ils étaient encore à leurs débuts. Leurs noms, presque tous oubliés aujourd'hui, sont consignés dans une pièce de Ronsard, ([ui [)arut seule- ment en i552, mais qui remonte à i54<j, /es Bacchanales '. Le moins obscur de beaucoup est Nicolas Dcnisot, sur lequel nous aurons à revenir". Bertrand Bergier de Montembeuf, un Poitevin que signalaient son esprit plaisant et sa belle humeur, se lit entre tous une originalité par les écarts d'une fantaisie échevelée. Après des essais dans la pastorale, c'est lui qui s'avisa d'introduire dans la poésie les dilhjTainbcs, les vers bedonniqiies et les /laclii-oiootis, œuvres étranges tout s'unissait, semble-t-il, pour déconcerter : la bizarrerie de l'in- spiration, le désordre des idées, l'absolue liberté du rythme,

' Blancheinain, VI, 338. - V. plus loin, même chap., § ix, p. 80.

' Il est souvent question de Bertrand Bergier chez les poètes de la Pléiade. Du Bellay lui dédie : dans ses Vers Lyriques de 1349, l'ode Ti, Du premier jour de fan (I, 190) ; 2" dans ses Poésies de 133^, une Ode pastorale, en tète de laquelle il le qualilie de « poète bedonniquebouHonnique » (11,37): 3" en 1338, une pièce des Jeux Rustiques (II, 363) : 4" en lo39. une épigramme des Xenia, Montibos poeta dUhjrambicus (f" 13 r "). lionsard lui consacre une Ode en 1330, la 13" du livre I (f" 27 r"). Il fait de lui ce beau portrait :

Plein de vertu, pur de tout vice,

Non brûlant après l'avarice

Qui tout atirc dans son poin ;

Chenu de meurs, jeune de force.

Ami d'épreuve, <iui s'elïoi-ce

Secourir les siens au besoin.

(Blancheniain, II, 116). Baïf lui adresse une ode au liv. III des Passetems (IV, 348). L'ode de Baïf et la 3= pièce de du Bellay caractérisent assez nettement la manière de ce poète, dont il ne reste aujourd'hui qu'un spécimen, imprimé dans les œuvres de Bonsard, les Dilhjrautbes recitez à la pompe de bouc de Jodelle (Blanchemain, VI, 377. Marty Laveaux, Appendice de la Pléiade, I, 48). - Sur Bertrand Bergier, v. Dreux du Badier, Bibl. hist. et crit. du Poitou, II, 101. L'auteur s'appuie sur du Bellay, mais il se trompe en voyant dans ses vers des intentions satiriques.

48 JOAGHIM DV BELLAY

raccumulation des néologismes et des mots composés, la recherche exagérée de Iharmouie imitative. Un troisième, Guy Pacate '. qui se poussa dans les fonctions ecclésiastiques et devint i)rieur de Sougé, se distinguait surtout dans la poésie latine. Quant aux autres, Abel de la Hm'teloire % René d'Urvoy ', Claude de Lignery ', Pierre des Mireurs % Ange Capel % et cet obscur Lalan dont on ignore jusqu'au prénom, qui s'en souvient ? Voilà pourtant les compagnons auxquels Ronsard et du Bellay dédièrent quelques-unes de leurs pre- mières odes : voilà ceux qui composèrent, avec eux et Baïf, la Brigade primitive. Plus tard, lorsque Ronsard et du Bellay, bientôt suivis de Baïf, eurent fait leur trouée et que le succès couronna leurs cllbrts, on dédaigna quelque peu ces camarades de la première heure. De nouveaux venus étaient entrés dans le cénacle, Etienne Jodelle, Rémy Belleau. d'autres encore. Le nom de Brigade apparut Jjien humble et bien terne. Ronsard chercha mieux pour (|ualilîcr ceux qui s'étaient tirés du pair.

' La Cruix du Muiai- lui consacre un article (I, 302) : « 11 ctoit si bien versé, dit- il, en plusieurs arts et bonnes disciplines, et surtout en la Poésie Latine, qu'il a été admiré de son temps pour ses doctes compositions, et (irincipalement de Ronsard, Prince des Poètes François, son plus grand ami. » En IodO, llonsard lui dédie la 7" ode du livre IV, 117 v \ (Blanche- main, II, 253).

- En looO, llonsard lui dédie l'oik- li du li^•. II. [" Sj V. iBlanuliemain, II, lijOj Plus tard, il ladresse à Dorât.

' En loi9, du Bellay lui dédie son ode 3, Les louanges d'Amour (1, 180). En 1550, Ronsard lui dédie l'ode 17 du livre 1\ , 1" 133 v '. (Blanchemain, II, 433).

* En ['m2, Ronsard, publiant à la suite de ses Amours (Bibl. d'Orléans, D. 1505) le V' livre de ses Odes, dédie à Lignery la 10' de ces Odes, p. 203. (Blanchemain, II, 335).

■'' Pierre des Mireurs (Petrus Miraiius), médecin, a collaboré par des vers latins au Tombeau de Marguerite de Navarre (1551) . 11 avait pour devise : Ignoti nulla cupide. V. sa lettre à Morel, à propos des Folastries de Ronsard (1553j, publ. par M. de Nolliac, Ilei>. d'hist. litt. de la France, 1899, p. 350-300.

'' Ange Capel, sieur du Luat, a traduit divers ouvrages de Séuèque et de Tacite. Cf. La Croix du Maine (1, 23) et du Verdier (I, 79).

LE COLLÈGE DE COQL'EKEÏ 49

Il évoqua ses souvenirs, se rappela tout à coup Alcxandi'ic, découvrit la Pléiade \

III

Quelle éducation les poètes de la Pléiade ont-ils reçue au Collège de Coqueret ? Dans quel sens Doiat, leur maître, a-t-il dirigé leur intelligence ? Ces questions générales se posent à propos de du Bellay d'une manière impcM-icuse. Ce n'est pas seulement parce que les leçons de Dorât, en for- mant son esprit, ont inllué sur son œuvre de poète, mais encore parce que Joachini sest l'ait dans la Deffencc le porte- parole du groupe tout entier, et que les idées de ce mani- feste sont avant tout l'expression de la culture intellectuelle dont Coqueret fut le théâtre. Faire un tableau complet, exact de ces études est une tâche des moins faciles. Les données de Binet et des autres biographes de l'époque ne four- nissent qu'une lumière insuliisante. Force est donc, pour résoudre le problème, d'employer une méthode plus directe,

' Ce terme de Pléiade est bien de Ronsard : « Il me souvient, écril-il en to64, d'avoir autrefois accomparé sept ijoëles de mon temps à la splendeur des sept estoilles de la Pléiade, eonime autrefois on a voit l'ait des sept excel- lens poètes Grecs qui florissoient presque d'un mesme temps. ))(Blanelieniain, VII, 147). Cf. ce que dit Binet dans sa Vie de Ronsard (texte de lo97, p. 163i. Peut-on marquer à quelle é])oque lionsard imagina la Pléiade ? Approxi- mativement. Le terme de brigade, (\\ii se lit deux fois dans les Bacclianal.es de 1349 (VI, 359 et 372), est encore en usage en lo52, lors de la fête du bouc de Jodelle (cf. Honsard, VI, 382 et VII, 111) D'autre part, en 1336, dans VELégie à Chretophle de Choiseul, abbé de Mureaiix, que Ronsard mit en tète de l'Anacréon de R. Belleau, voici comment il salue l'entrée de Belleau dans le groupe :

...Belleau. qui vins en la briirade Des bons, pour accomplir la septième Pléiade.

(Blanchemain, VI, 202). C'est donc entre 1332 et 1336 que la Pléiade s est substituée à la Brigade. Il faut renoncer à l'idée courante qui nous montre la Pléiade constituée dès i;i49. Le groupe primitif se compose uniquement de Dorât, du Bellay, Ron- sard et Haïf. Néanmoins, dans l'exposé qui va suivre, j'emploierai souvent le mot de Pléiade pour désigner d'une façon générale l'école nouvelle.

Univ. de Liite. Tome VIII. A. 4

oO JOACHIM DU BELLAV

mais aussi plus délicate : il faudra s'adresser aux poètes eux-mêmes, chercher à travers leurs premiers recueils la trace immédiate des leçons du maître.

Ce maître, on sait quel vivant souvenir, fait à la fois de reconnaissance et d'admiration, il a laissé dans Tàme de tous ceux (|ui furent ses élèves, et le nombre en fut i^rand de i547 *^ IÔ88 ' ! Binct voit en lui (( la source qui a abbreuvé tous nos Poètes des caués Pieriennes ' », et Belleforest s'écrie sur le ton lyrique : (( Entre tant d'hommes excellents qui sont sortis de la ville de Limoj^es, je ne peux taire ny omettre cet Homère (lauloys et Piudare Grec-Latin. Jean Dorât, le plus rare et subtil esprit poëtic de nostre siècle pour ce qu'il est comme un fanal posé à la veûe de ceux qui taschent de visiter l'oracle plus secret des Muses, et (jue je ne sçay si nostre siècle en verra im send>lable, puisque avant luy dès les anciens siècles on n'en sçache qui Payent devancé en stile ny érudition ' ». Povu' être moins liai'dis peut-être en métaphores, les hommages que lui rend la Pléiade ne sont ni moins émus ni moins sincères. Dès i.")5o. Ronsard, dans une t)de, lui renvoie tout Phonneur de sa gloire naissante :

Si j'ai tlu l)ruit, il n est mien ; Je le confesse estre tien,

' . Docui inullos Gnioce atque Latine

l'raïuica ri exlenia de rcj^ionc procul, (lil il (le lui iiième (Poematia, IliSli : Epigr. lib. I, p .S). - Texte de loi)", p. 121.

■' (Josmograpfne universelle, tiJT.o, t. I, eol.-'^l.'î. Citons encore ee t('inoii;na<!:e de (.1. Gaueliet :

.Je ne veux pus. Daurat, (tloul la jjIuuu' dorée

Sera île nos suivants à Jamais honorée).

Me mettre au.x cliamps sans toy : toy qui de docte uuiin

Latin. Grec et François, as trassé le chemin

A tant de bons esprits, qui Conl voir par la France

Le (Viii( l (pTils ont porté de ta docte semence.

Le plaisir des clianips, Paris, ['68'.i. Liv. 1, i». (j.

LE COLLÈGE DE GOQUERET 51

Dt)ul la st'ienco hautaine Tout altéré me Ireuva, Et bien jennc m'abreuva De l'une et l'autre Ibntaine '.

Ce même sentiment d'afTeetueuse gratitude, si [jrol'ond iliez Ronsard, on le retrouve ehez liaïC et du Bellay ". Peu de maîtres eurent à ce point le c(eur de leurs élèves.

Quelle était, en matière d'enseignement, la méthode de Dorât ? Une phrase de Binet nous l'indique : « Et n'est à omettre en cet endroit, écrit-il à propos de Ronsard, que Dorât par un artifice nouveau luy apprenoit la langue Latine par la Grecque ' ». On voudrait des détails plus précis, mais Binet sur certains points est d'un laconisme désolant. Que faut-il entendre par cet (t artifice nouveau » ? Ceci, je crois : Dorât, faisant du grec le principe et la base de son enseignement, ne perdait aucune occasion de faire avec le latin d'utiles et féconds rapprochements. Même avant io4", Ronsard, du Bellay, Baïf avaient du latin celte connaissance élémentaire que pos- sédaient alors tous les écoliers ; mais il leur manquait la culture supérieure. Quant au grec, si Baïf, fds d'un helléniste, élevé dès son jeune âge par des hellénistes, Ange Vergèce et Jacques Toussaint, le savait, pour ainsi dire de naissance, il n'en était pas de même de ses deux amis : Ronsard lavait commencé seulement en i544i dans la maison des Fossés-Saint- Victor, lors([u il fréquentait chez Lazare de Baïf. et du Bellay, suivant toute ap})arence, n'en savait pas le pz^emier mot lors- qu'il débarqua de Poitiers. C'est donc, semble-t-il, de ce côté

^ Edit. orig., liv. I, ode 14, f" ii6 r". (Blancheuiaiu, II. 4ii)) V. encore dans Ronsard dautres hommages à Dorât, I, V.%: II, 108; 111, 373: IV. 32; V, 19U et 213.

- Je ne puis songer à citer tous les textes, ^'oici du moins les références essentielles : du Bellay. Musagn. (I, 146), Poemala (i' " 10 a et 31 vj, Xenia (fo 12 r). _ Bail', 1. fi : 11, KiO; IV, 418.

» Texte de IjStl, p. 10.

52 JOACHIM DU BELLAY

que Dorât dut surtout porter ses efforts. Mais il trouva dans l'enseignement de la langue grecque un point d'appui solide pour asseoir une culture latine supérieure et inculquer à ses élèves, d'une manière plus intelligente, plus rationnelle, les secrets de l'idiome si bien manié par Gicéron et par Virgile, Que valait il comme philologue ? Si l'on en croit Scali- ger '. il (Hait avec Cujas le plus judicieux critique da siècle, le plus habile à corriger et rétablir le texte des auteurs. Sainte-Marthe n'est pas moins élogieux : a Et summa erudi- tione et acerrima conjectura praestans optimi quoque critici laudem (juotidie mereljutur " ». Xous sommes, il est vrai, mal à Taise pour vérifier si ces éloges sont mérités : Dorât n'a pas laissé, comme Tnrnèbe, Lambin ou Miu^et, de travaux critiques, qui nous permettent d'apprécier ses qualités de philo- logue. Son humanisme fut tout oral. Mais il n'est pas douteux qu'ayant affaire à des novices en grec, s'entend il n'ait donné à la partie grammaticale une place importante. Je verrais volontiers les traces d'une leçon de Dorât dans cette page de la Deffence du Bellay s ingénie à distinguer le mot i'jOfxoç de ses synonymes gi'ecs '. Au surplus, c'est moins par sa science philologique que par son goût littéraire qu'il a formé les poètes de la Pléiade. A ce titre, il est responsable du sens dans lequel il a dirigé leurs études et des modèles qu'il a proposés à leur admiration. Laissons donc le savant et vovons le lettré.

IV

Quoiqu'il ait fait encore plus de vers latins que de vers grecs, Dorât fut surtout un helléniste. Il possédait le grec à fond,

* l'rifita Scalif^erana, p. 2.0, édit. d'Amsterdam, 1740. - ELogia (lo9Si, nri. loannes Aiirattis, p. <S"-88. ' Édit. Porson, p. i'M. ,

LE COLLÈGK DE COQUEHKT li'.\

nous (lit un de ses biographes, l*apii'e Musson : h Laiideiii ipse sibi peperit ex cogaitione linj,''uae gi'aecae, quain o/jliine novefdt ' ». Il nourrissait pour les génies de la Clrèce une admiration sans réserve, el nalurellemenl il lit partaofcr son enthousiasme à ses jeunes disciples.

Ce n'est pas trop hasarder, je crois, cpie de prétendre qu'il leur révéla l'antiquité grecque à peu près tout entière. Avec cette ferveur des humanistes de la Renaissance qui ne veulent rien sacrifier, il ne leur épargna même pas Tzetzès '. Sa curiosité, comme celle de ses élèves, était insatiable '. Ce n'est pas à dire pourtant qu'il se soit arrêté sur tout égale- ment. Qu'il ait suivi ses goûts personnels ou qu'il ait deviné les secrètes préférences de ceux qu'il enseignait, il fit aux poètes la part plus large qu'aux prosateurs. Parmi ceux-ci, c'est Platon de beaucoup que la Pléiade connaît le mieux, et Platon n'est-il pas un poète ? Elle a lu ces poèmes admirables qu'on appelle le Phèdre et le Banquet * ; elle s'est laissé séduire à la théorie des Idées ' : elle a puisé dans Y Ion cette

' Pap. Masson, ELogia, II, 288. Gandar, dans sa thèse sur Ronsard, apporte quelques restrictions à l'éloge : a Personne n'a plus fait que Daurat pour répandre la connaissance et le goût de la poésie grecque ; mais rien ne prouve qu'il eût autant de goùl que de zèle, ni cette connaissance exacte de la langue qui distingue Budé parmi ses maîtres et Turnèbe parmi ses rivaux » (p. SI).

- Deffence, p 136.

3 « Ronsardus, doctore usus in Graecis et in Latinis literis Aurato, ex aureis divini illiiis hominis fonlibus tantiim hausit quantum si non ad satie- tatem, sallern ad saturilatem nitientissirno cnivis homini paierai satisfacere. Nec enini in antiquis Graecoruni aut Latinorum nionumentis quid laiii abdi- tum et reconditum latet, quod ille non perquisierit, nullus solertioris ali- cujus interpretis Graeci locus, nuUa i)aulo venustior extat fabella, (juain ille non annotarit et expresserit. » Georg. Crittonil Laudatio funebrin habila in exsequiis Pétri Ronsardl apud Hecodianos, p. .j. Paris, i.'iSlj.

' Souvenirs du Phèdre : du Bellay, Olive, s. iii et 113. Souvenirs du fianquel : Ronsard, IV, 320 321 (théorie d'Aristophane) et IV, 373 (théorie de Diotinie). Cette dernière pièce fait partie des Meslanges de i'6'6'6, f" 8 r». (Bibl. Nat. Rés. pY'. 123).

' Deffence, p. 93 et 100. La théorie de la réminiscence est résumée par Ronsard dans une ode à Denis Lambin, édit. de IodO, liv. 111, ode 7, f" 81 r». (Blanchemain, II, 208).

54 JOACHI.M DU BELLAY

conception si haute et si belle que la poésie n'est pas un art humain, mais un don céleste, une divine inspiration qui, par les anneaux d'une chaîne mystérieuse, ravit les hommes à Dieu '. C'est au commerce de Platon, ce pur artiste, qu'elle doit en partie la tendance esthétique qui domine son œuvre tout entière. Après Platon, c'est Plutarque qui semble avoir été son prosateur de prédilection. La Deffence contient mainte anecdote qui vient en droite ligne des Vies parallèles ou des Œuvres morales ". En dehors de là, je relève bien dans la Deffence de vagues allusions aux harangues de Thucydide, à la Poétique d'Aristote, aux discours de Démosthène, aux dialogues de Lucien : ce n'est pas assez pour conclure que la Pléiade les a beaucoup pratiqués.

Quant aux poètes, Dorât les a fait lire ou les a lus lui- même à ses élèves avec une passion manifeste. Épiques et lyriques, tragiques et comiques, jusqu'aux auteurs d'élégies et d'idylles, tous, depuis Homère jusqu'à Tliéocrite, ont été par lui déchiffrés, expliqués, commentés. Il donnait sur le texte tous les éclaircissements, et ses élèves après lui s'efforçaient à le traduire tantôt eu latin, tantôt en français '\ Ils se pré- paraient par ces exercices à limitation plus indépendante qu'ils devaient un joui' poser en principe.

Quels qu'aient été ses mérites dans cette initiation de la jeune Pléiade à l'antiquité grecque, on peut faire à Dorât

' Ronsard, Ode à Michel de L'Hospital (il. 8^-85). Celle ode fui publiée pour la première fois en loi')2, dans le V' livre des Odes, p. 170, à la suilc des Amours (Bibl. d'C^rléans, D. loO;;). L' Ion avait élé traduil en français par Riciiard Le Blane (1;)4()) : dans une curieuse épitre liminaire, le traduc- teur soutient après Platon que « poésie est un don de Dieu ;>. Sur ce point, V. A. Lefranc, Rev. d'hist. lilt. de la France, 1896, p. 37-39.

- Deffence, p. 33, 70, 77. 80, 104, 123, l.')3, 1.36.

' Lazare de Baïf, dédiant à François I" sa traduction en vers français de VHécube d'Euripide, lui raconte qu'il eut l'idée de ce travail en voyant une traduction latine littérale que « ses en/ans » (Baïf et Ronsard) avaient faite de celle tragédie d'après les commentaires de leur précepteur Dorai. Ce texte curieux et peu connu est cité par Fremy, L'Académie des derniers Valois, p. 13-16.

LE COT.LEGF, DE COQUERF.T lilî

deux reproches assez graves, et cela sullit pour qu'où ail le droit de suspecter sou goùl el sa ci'iti([ue. Il eut d'abord le tort d'attirer spécialeuieut ses élèves vers les parties les plus ardues de la poésie greeijue. (^)ue leur lit-il de préférence ? C'est Aristophane ' , c'est Eschyle \ c'est Piiidare. Ictus auteurs diniciles à coup sur, et qu'on n'entend point sans de rudes ellbrts. Pindare surtout, encore ignoré, Piiulare, dont il n'existait qu'un texte douteux et mal étal)li ', voilà son dieu ! Moins timoré (|u'Horace, il osa l'imiter, façonuaul en latin des odes pindariques "* ! (^uoi d'étonnant après cela que son meilleur disciple en ait fait de françaises ! Si la IMéiade, à force de pâlir sur des textes obscurs, a trop souvent jugé de la valeur des œuvres par la peine qu'elle s'était donnée pour les posséder, c'est à Dorât qu'il faut s'en prendre '. Mais il y a plus. Pour ai'dus qu'ils soient. Aristophane, Eschyle et Pindare sont du moins tles classiques, et l'on ne risque pas de puiser dans leurs œuvres le mauvais gont des productions de décadence. Mais que faut-il penser, lorsqu'on voit Dorât mettre au rang des classiques les alexandrins ? Passe encore pour Théocrite : celui-là vraiment était un poète. Mais Dorât ne sut pas se borner aux Idylles. Dans son culte aveugle pour la Grèce entière, il découvrit à ses élèves ApoUonios et Gallimaque, Aratos et Méandre, et jusqu'à cet énigmatique Lycophron, qu'il aimait sans doute

' Un des premiers essais de Ronsard fut une traduction du Plutiis d'Aristophane qui fut jouée au théâtre du Collège de Coqueret. il en reste un fragment, retrouvé dans les papiers du poète après sa mort (Blanche- main, VII, 281).

- On connaît l'anecdote de Binet sur une lecture du Prométhée.

' Sur ce point, v. Gandar. op. cit., p. !S0.

* Sainte-Marthe, art. loanncs Aiiratus : ((Neque solum in lyricis Horatium aemulabatur. sed etiam ad Pindari numéros Latinas Odas inusitata i^cnustate effingebat. n

Faguet, Seizième siècle, p. 207-208.

36 JOACHIM DU BELLAY

en raison même de son obscurité \ Tous étaient Grecs : c'était assez pour mériter le même hommage. Dans ces con- ditions, doit-on trouver étrange que la Pléiade n'ait jamais bien su distinguer d'Athènes Alexandrie * ?

Par ce manque de critique dans le choix des modèles, Dorât a faussé le goût de ses élèves. Son influence explique certains écarts qui ne laissent pas au premier abord de nous étonner. On n'est point peu surpi'is par exemple de rencon- trer dans la Deffence la moitié d'un chapitre ' consacrée à célébrer lantique noblesse de Vanagramme et de V acrostiche. Eh quoi ! la jeune école traitait d' (( épisseries » les ballades et les rondeaux, chers aux vieux rimeurs, et c'était pour conseiller aux poètes de l'avenir des tours de force de cette espèce ! La belle idée ! Cette idée. Dorât la tenait des anciens. Il savait de Tzetzès que Lycophron s'était rendu moins célèbre par ses vers que par ses anagrammes ; il avait appris d'Artémidore que les anagrammes donnaient la clef des songes. Et quant aux acrostiches, autre invention grecque, ils se recommandaient d'Eusèbe et de Saint- Augustin, de Gicéron et de Priscien. N'était-ce pas des titres de noblesse " ?

' C'est une chose curieuse d'entendre un contemporain qui sij^ne 1, M. P. [Ican Martin Parisien?] dans sa Brève exposition de quelques passages du premier livre des Odes de Pierre de Ronsard, 1550, louer Dorât, a homme de sinjjfulier jugement et de parfaite érudition », d'avoir « démellé les plus desesi)ercs passages de l'obscur Lycophron, que nul de nostre âge n'aA'oit cncores osé dénouer )). F" 150 r", à la iin des Odes de Ronsard.

- Voir un mémorable exemple de celte confusion dans l'Ode à Michel de L'Hospitnl, loo2. (Blanchemain, lî, 89). Ronsard, retraçant l'histoire de la Poésie, la divise en trois âges : les poètes divins, les pcètes humains, les poètes romains. Les poètes humains comprennent, dans un pêle-mêle bizarre, les grands classiques et les alexandi-ins.

' Liv. II, chap. 8, p. 13(5.

* Dorât s'était fait un vrai renom par ses anagrammes (Hobiquet, op. cit., cap. IV, p. 85 : Aurali anagrammala) . Il n'est pas vrai pourtant qu'il les ait inventés. Comme le dit du Bellay, c'était une chose fort vulgaire en notre langue. Mais il les fortifia de l'autorité de Lj'cophron et des nombreux modèles qu'il en donna. Son meilleur est celui qu'il lit pour Ronsard, en

LE COLLKOI-: I)K COQirKin'.T "(7

Ne soyons pourtant pas ti'oj) sévères. Si ce IrUvr iiiaii(|iia de g"OÙt, il ne manqua pas d'enthousiasme. Il srnlail vive- ment, il admirait avec chaleur : jjour tout dire, il avait la i'oi. Lorsqu'il interprétait ses Grecs aimés, son visas>e, d'ordi- naire assez déplaisant et quckpie peu rustique, se ti-ansligu- rait ; les paroles coulaient de sa i)()uclie, l'aciles cl vibrantes ; il devenait éloquent '. 11 taisait passcsr dans l'âme d(î ceux qui l'écoutaient l'ardeur passionnée (jui brûlait la sienne ; ses élèves, charmés et ravis, demem-aient suspendus à ses lèvres ". On conçoit sans peine raclioii sin^-ulière qu'il dut exercer sur des jeunes gens enthousiastes, eux aussi, très curieux des belles clioses. très avides de s'instruire, (l'est une vérité banale aujourd'hui (pie la Pléiade au moins au

transposant IlîTpo; 'Po)vr7apoo; en —ii>; 6 TsoTravopo;. Déjà (Charles Fonlainc avait tiré sa devise de son nom par anagramme (fiante le françoU). De même lelian Bouctiet {Ha bien touché). Nicolas Denisot se faisait appeler Conte d'Atsinois. Ni du Bellay n i llons;M'd n'ont beaucoup versé dans ce travers : c'est déjà trop pourtant qu'ils aient fait et cela (circonstance af><ïravante) sur la lin de leur vie l'un l'anaj^ramme du président Minard (Antoniuf; Minarius = Natus rima Minois), l'autre celui d'Hélène de Surgcres, le [lilel] des généreux. Mais Baif, plus alexandrin (jue ses deux amis, a volontiers pratiqué l'anagramme (I, 314; IV, 262, 3^." J, 437) comme aussi l'acrosticlie (I, 319; IV, 22S et 409). Sur ces deux jeux d'esprit, v. les Bigarrures de Tabou- rot des Accords, chap. ix et xv (édit. de Rouen, 1640). Dans son Art Poétique (1597), Pierre de Laudun d Aigaliers leur donne encore une importance excessive. Mais Vauquelin de la Frcsuaye, dans le sien (KÎO^J), les juge à leur valeur :

Je ne veux toutesfois qu'un bon esprit se liclie A faire un Anagramme, à faire une Acrostiche D'un travail obstiné : ce sont fruicts abortifs Dont la semence vient des jtovres iippienlifs.

Liv. I, v. 379 sqq. ' Pap. Masson, II, 288 : « Ilomeruni, Pindarum, Lycoplironem, et caetera Graeciac lumina interpretabatur, magna industria et faciLLlale dicendi, larnetsi vullu subrustico et insuavi erat ».

-' Jacques Veillard de Chartres dépeint ainsi l'impression produite sur Ronsard par l'éloquence de Dorât : « Ut jani tum Graecarum artium deside- rio flagrabat 1 Ut pendebat ab ore doctoris, cum hic Delius Auratus Aeschy- lum, Pindarum, Musacum, Hesiodum, hostes antea et barbaro->, primum Galliae donabat, quos ille tum sic avide arripuit, quasi diulnrnam sitim explere cupiens ! » Pétri Ronsardi Pottae Gallici laudatio Junebris, f" 14 r^ Paris, l.'iSO, in-4". (Bibl. Nat. Lu-'T, 17.840).

38 .lOACHIM DU BELLAY

début s'est sentie bien plut(H attirée vers la Grèce que vers Kome. Elle a délaissé pour un temps la tradition latine. Elle n'a pu résister à l'éblouissenient que lui causait la sou- daine révélation des génies de l'Hellade. A leur pur contact, elle a vu rayonner devant ses yeux un monde supérieur de poésie et de beauté. Séduite et confiante, elle a rêvé d'y pénétrer, pour y ravir l'art idéal et le rapporter au reste des hommes. Mais ce rêve, aussi grandiose que téméraire, c'est l'âme de Dorât (jui la rentlu possible.

Si j'ai tant insisté sur le caractère de cette culture, c'est pour marquer ce qui sépare ici du Bellay de ses amis. Je ne crois pas qu'il l'ait subie au même degré que Baïf ou Ronsard. Nous savons tout ce (pii manquait à son instruc- tion première . A Poitiers . il n'avait réparé ces lacunes (ju'en ])artie. Lorsqu'il vint s'enfermer à Goqueret, il y avait trois ans déjà que Ronsard et Baïf faisaient du grec sous la direction de Dorât : ils avaient donc une forte avance. Si zélé (pi'on le suppose pour se mettre au pair, et malgré ce ([u'on sait du i)rodigieux surmenage intellectuel que ne redoutaienl pas les écoliers du xvi^ siècle *, il me semble impossible ([ue du Bellay ait pu devenir, en si peu de temps, un sérieux helléniste. S'il admira Pindare, ce dut être de con- fiance et sur le dire de ses amis. Par lui-même, était il de taille à l'entendre ? Il y gagna du moins de s'épargner cer- taines <M'reurs les autres tombèrent. Xon <pie je veuille incriminer les (Irecs et les rendre responsables des méprises (le Hoiisanl ou des ridicules de Ba'if. Mais on ne peut nier (jue rinsullisance de sa culture grecque, en le préservant de l'alexandrinisHU', n'ait été pour du Bellay plutôt heureuse, et (pi'elle n'ait dans \nie certaine mesure sauvegardé son origi- nalité. (]e poète naturel et facile eut l'admiration des Grecs

' L'éducation de Panla<jrutl n'est pas un pur roman, nu'ou se rappelle les études d'Henri de Mesmes à l'aris, [)uis à Toulouse.

LE COLLÈGE DE COQUERET o9

sans en avoir le |)réjui^(''. Son i-oùt nCul pas à soud'rii- d'un excès (riiellénisnu;. 11 l'ut le seul à disting'nei' Homère de Lycophron '. A l'école de Dorât, ce n'est déjà pas un si mince mérite.

Y

En même temps (|u'il révélait à ses élèves les génies de la Grèce, Dorât prit soin de compléter et de parfaire leur connaissance des lettres latines.

encore les poètes obtinrent la préférence, Horace sur- tout, celui des Latins que la Pléiade a le mieux connu, le mieux senti, le plus aimé '. Virgile vient ensuite, le doux Virgile, si Grec par tant d'endroits, et dont elle a goûté l'iiilinie perfection. Ronsard, on le sait, l'apprit entièrement par cceur ■, et lorsque du Bellay se mêla de traduire, il alla droit à Y Enéide '. Les élégiaques, Catulle, Properce, Tibulle, Ovide, ont été beaucoup lus des élèves de Dorât '. moins imités toutefois qu'on ne serait tenté de le croire : évidemment Pétrarque leur a fait tort. La Pléiade a de même pratiqué Lucrèce ", Martial ' et Stace ', sans doute aussi Lucain et Juvénal, quoique.

' Deffence, p. 94-93.

- Les imitations d'Horace ou les simples réminiscences sont innombra- bles dans les premiers écrits de la Pléiade.

' Binet, texte de 1397, p. 1i!l.

* Il semble que les Géorglques aient été notamment de la part de la Pléiade à ses débuts l'objet d'un culte fervent. Voici, dans les premières œuvres, quelques-unes des imitations les plus typiques : Deffence, p. 1.33, application à la P'rance du fameux éloge de l'Italie (G. II, 136). Cf. une autre imitation du même passage dans V Hymne de France (1349) de Ronsard (V, 283).— Du Bellay, dans son Chant triiunphal sur le voyage de Boulongne (I, 232-233), imite le début du liv. 111 des Géorgiqiies. On relève dans les Odes de Ronsard quelques souvenirs du poème latin : ainsi 11, 119 = G. II, 323. Plus tard, dans son Orphée (III, 423), il traduira toute une partie de l'épisode d'Aristée (G. IV, 43o).

'' Deffence, p. 114. Ronsard, I, 123.

" Deffence, p. 73 et 93.

' Deffence, p. 113 et 123.

» Du Bellay, II, 50.

60 .lOACHIM l)t' BELLAY

dans ses premières œuvres, je ne relève de ces deux écrivains aucun souvenir précis '.

Mais Dorât ne se borna pas aux poètes : orateurs, histo- riens et critiques Toccupèrent également. Il entendait ne laisser rien ignorer à ses disciples. Dans ses savantes leçons, cela va sans dire, il lit à Gicéron une place d'honneur ". Mais Salluste et Tite-Live ne semblent point en avoir souffert \ Il n'est pas juscpi'à Pline l'Ancien, (( personnaige de grand' renommée », comme l'appelle la Deffence (p. 49)' 'I^^^ Dorât n'ait l'ait connaîti-e à ses élèves, en raison, j'imagine, de son caractère encyclopédicjue '' . Et je me tais du biographe de Virgile, le grammairien Claude Donat \

Surtout, il n'eut garde d'oublier les auteurs d'ouvrages tecliniqnes étaient enseignées Jcs règles de l'éloquence et de la poésie. C'était peu d'iidinirer l'art antique dans ses ])r()dui-li()ns diverses : il fallait en surprendre les secrets. pouvait-on les mieux saisir qu'à travers ces ouvrages, dont l'objet précisément était de les mettre en lumière par une critique intelligente et judicieuse, l'analyse détaillée des beautés littéraires, l'exposé méthodique des règles qui se dégageaient des cliel's-d'dMn re eux-mêmes ? Les traités de rhétorique de

' Toutefois, (( celé Grèce menleresse » (Deffence, p. 10^) rappelle le Graecia inendax de Juvénal.

- Rien que dans la Deffence, on trouve des souvenirs du Pro Miirena (p. Sai, du Pro Archia (p. 123i, du De Finibus (p. 80 et 95), des Tiisciilunes (\>. 123), ûv^ Académiques (p. i:56i, du De Divinutione (p. 137), des Lettres d (Juintus (p. 110 cl IVO), sans parler des ouvrages de rhéloriquc.

' Deffence, p. 120-121. .\ noter des souvenirs île Sallusle, p. 47, 54, 50. De Tacite, point de trace.

" Une pensée de Pline l'Ancien semble avoir surtout frappé du Bellay : c'est à savoir que la Nature est pour l'homme une marâtre plutôt qu'une mère (llist. IVat , VIT, 1) : on la retrouve jusqu'à cinq fois dans son œuvre (Deffence, p. 49; Otive, s. 103; Ode au Card. du Bellay (II, 27); Antiq. de Home, s. 9; Hegrels, s. 45) Elle est encore dans Baïf, Vie des C/jams (11,30). Cf. d'aulres souvenirs de Pline l'Ancien dans Ronsard, Amours de Cas- sandre, s. 138(1,79).

'" Deffence, p. 123 el li4; 2" préf. de l'Olive (I, 76).

LK COLLÈGE 1>E COQUERET (il

Cicéron, YArt Poéliquc d'IIoraci'. Vln.s/itution Oratoire de Quinlilien, autant de sources Ion pouvait puiser la i)uro doctrine classique. 11 en découlait toute une théorie de l'art d'écrire, ccUc-là même qu'avaient appliquée les grands maîtres de l'Antiquité. Quoi d'étonnant ([ue Dorai ait appelé l'atten- tion de ses élèves sur des ouvra<^es de celle importance, qu'il en ait fait avec eux une étude minutieuse ? Il sullit de lire la Deffence pour voir tout ce que la Pléiade doit à Cicéron ' , Horace " et Quintilien '. Principes généraux et préceptes pai'ticuliers, presque tout vient de là. C'est à (hiin- tilien, nous le verrons bientôt, qu'elle empruntera toute la partie fondamentale de sa doctrine, sa théorie de l'imitation. Les humanistes italiens et français, dont la Pléiade, ton- jours guidée par Dorât, poursuivit l'étude, lui furent ici d'un grand secours. Depuis que Pétrai'que et lîoccace en avaient donné le signal, nombre d'écrivains s'étaient enflammés d' (( un amour rétrospectif de l'Antiquité '* ». L'humanisme, parti d'Italie, avait peu à peu gagné le reste de l'Europe. Tout d'abord, on n'avait pas eu d'autre souci que de bien connaître et de bien comprendre les œuvres antiques dans leur fond et dans leur forme, dans leurs idées et dans leur art. Mais bientôt l'admiration qu'excitaient ces chefs-d'o'uvre avait fait naître dans les esprits un désir violent de les imiter. On avait entrepris de copier les modèles dans la langue même des modèles. Les uns s'ingéniaient à n'user dans leur prose que d'expressions employées par Cicéron ; les autres bâtissaient leurs poèmes des hémistiches de Virgile et d'Horace, Et c'est

' Souvenirs du Bruius. p 7.^ et 104; du De Oratore, p. lUt). 134, 144; de VOrator, p. 100, 107, 122, 134, 144.

- Souvenirs de VArt Poétique, p. 66, 74, lOi, 107, MO, 112, 113, 114, 126, 127, 148, 151, 152.

' Souvenirs de ïlnstiiution Oratoire, p. 70, 71, 72,75, 109, 111. 112, 116, 144.

'' Faguei. L'humanisme français au xvT siècle. {Revue Bleue, 17 jan- vier 1891).

(i2 JOACHIM DC BELLAY

ainsi qu'était éclose, un peu partout en Europe, une littéra- ture néo-latine qui |)rétendait renouer la tradition brisée par les Barbares et faire revivre le pur idiome dos vieux Romains.

Cette moderne latinité, la Pléiade s'en nourrit non moins que de l'ancienne. Non-seulement elle étudia les humanistes italiens et français dont les travaux philologiques pouvaient léelairer dans la connaissance de l'Antiquité ', mais encore elle pratiqua la plupart des écrivains, prosateurs ou poètes, (jui s'élaicnt donné pour idéal de ressusciter lart antique dans sa l'orme jtarfaitc. KUc n'ignora ni les Cicéroniens, comme Longueil ou Bend)o -. ni ceux qui, comme Erasme, les avaient condjaHiis '. Elle n'ignora pas davantage les poètes d'Italie \ de Hollande et de France ', cpii dépensaient tout leur talent à contrefaire la grâce d'Horace, l'enjouement de Catulle ou Tesprit d'Ovide '.

Ce <{u"il faut bien noter, c'est que la Pléiade n'a pas eu moins d'admiration pour ces néo-latins (pie pour ceux qu'ils n'ont fait que plagier. Elle a mis tout le monde sur un pied d'égalité. Les préceptes de Vida n'ont pas moins de valeur,

' Il serait hasardeux de vouloir être ici troj) précis. Il est clair pourtant qu'elle en connut beaucoup, à commencer par Guill. Budé, le plus illustre de tous.

- Deffence, p. lriS-i;i',t.

' Deffence, p. 91 : « Que pensent tloncq' faire ces reblanchisseurs de murailles... songeant {comme a dict quelqu'un) des Pères conscriptz, des (Consul/,, des Tribuns, des Comices, et toute l'antique Rome », etc. Ce quelqu'un est llrasme. dans son Ciceronianus (édit. de Leyde, 1703, t. 1, col. 1017), dont du Hellay traduit ici tout un passage.

' l'ontanus, Manille, Sannazar, Vida, Fracastor, etc.

Jean Second.

'■ Salnion Vlacrin, Klienne Dolel, Tliéodore de Uèze, etc.

' C'est Ronsard surtout qui pratiqua les poêles latins modernes, princi- palement MaruUeelJ Second. 11 imita le premier dans ses Amours (t. I, p. 103, 104, 100, \li, 17.3. hSO, 108. 1W9. iOÙ, 2()i, i()7. 2\-2} et dans ses Hymnes II. V, p. 13, 138, 148, i35. ^40;. V. aussi son E/jUaphe de MarnUe (\II, ^38). Quant au voluptueu.x auteur des Baisers, il lui doit quelques-unes de ses plus Jolies odeleltes (t. Il, p. 141, I i.ï, 100, 410). V. 1 éloge de J. Second i)ar Ronsard (11, 340 341).

LK C.OLLKdK 1»K COQUERET (13

iiux yeux de du Hcllay. ([ne les conseils (1(imm(''s (1;iiis VEpUrc aux Pisons '. S'agit-il de lixci- dcA niodMcs au futur cliautrc d'idylles ? Les égloguos nuu'ines de Sannazar ligui'ent à côté des églogues rustiques de Théocrile et de A'irgile \ Dans l'art délicat des (( coulans et uiignars heiulécasyllabes », Catulle a pour rivaux Poutaii et .Ican Second '.

Si cette admiration n"(''tait guère judicieuse, clic eut du moins cette heureuse conséquence qu'elle détourna les poètes de la Pléiade d'engager la lutte avec tous ces Latins dans la langue même qu'ils avaient parlée. Ils se rendirent compte qu'ils venaient trop tard, ([uc tout était fait dans cette voie, cpi'à moins de se traîner dans les chemins battus, il fallait tendre ailleurs leurs eflbrts. C'était folie de vouloir siu'passer des gens qui maniaient si bien le latin. On ])ouvait prétendre peut-être à les égaler, mais à la condition de tenter 1 aventure dans sa langue maternelle.

Voilà la culture latine que la Pléiade a reçue de Dorât. Elle n'a manqué ni d'étendue ni de variété. Joachim la subit bien plus fortement que la grecque. De tous les disciples du maître, c'est lui qui en fut le plus pénétré. Ronsard et Bail" étaient surtout des grecs : il fut latin. Si son oeuvre aujourd'hui, comparée à la leur, nous apparaît moins étrangère, moins éloignée en quelque sorte de la tradition nationale, n'en aurions- nous pas dans ce t'ait la [)riuci{)ale explication ?

VI

La Pléiade a toujours regardé la littérature italienne comme une troisième littérature classique. Il est donc juste, après

Deffence, p. 139. - Deffence, p. 117. ^ Deffence, p. 118.

04 JOACHIM DU BELLAY

avoir retrace son éducation antique, d'indiquer ce que fut sa culture italienne, ici Dorât est hors de cause, et ses élèves se sont formés eux-mêmes, sous l'action des circonstances et du milieu. l)e})uis un demi-siècle, ïitaHanisnw avait peu à peu envahi la France. Ce n'était pas encore, comme sous les derniers Valois, un (léau national : mais c'était déjà cependant une menace pour tout ce qui était français, et cette mode tenait à la C^our trop de place pour ne pas rayonner de sur le royaume '.

Bail", (ils d'une Vénitienne, avait du sang' italien dans les veines, et l'on peut croire que son père n'épargna rien pour l'initier de façon complète aux arts de l'Italie. Ronsard avait vécu toute une année à la cour de Piémont, auprès de Langey: il avait respiré l'air de la péninsule. Du Bellay, moins heureux, semble n'avoir rien su des lettres italiennes avant son entrée au Collège de Cocjueret : (( Je m'adonnay, lit-on dans la seconde préface de l'Olive, à l'immitation des anciens Latins, et des poètes Italiens, dont J'c)' entendu ce que m'en a peu apprendre la communication familière de mes amis » (I, 72). Plus tard il se rattra|)a : son long séjour à Rome lui permit de pénétrer plus avant dans les secrets de la langue. Mais, dès i549, nous le verrons, grâce aux leçons qu'il avait reçues de ses camarades, il en savait assez })()ur comprendre et traduire au besoin en français Pétrarque et l'Arioste.

Pétrarque et l'Arioste, voilà certes les deux poètes italiens que la Pléiade a le ))lus admirés, ceux dont les noms repa- raissent fréquemment dans ses écrits, couverts de louanges à l'égal des anciens ■. Mais elle en a lu d'autres, Boccace, Politicn, Sannazar, Bembo, la plupart des poètes pétrarquistes du XVI® siècle ; elle est remontée jusqu'au vieux Dante Ali-

' Sur ce point, v. Bourcic/., Les rnœurs polies et la lilléralare de cour sous Henri II, liv. III, chap. i. p. 267.

^ Voyez iiolaiiiiiiciit le piissaji-c fie la Deff'tnce sur l'Arioste. j). 120.

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ghieri, « le triste Florentin " » ; elle est descendue jusqu'aux contemporains tout à fait immédiats, comme cet Alamanni, qui vivait à la cour du roi Très-Ciircticn ■. Elle a donc embrassé le chami) complet de la poésie italienne. Mais l'important ici, c'est moins de savoir l'étendue de ses lectures que l'impression quelle en a gardée.

Ce fut celle de la plus vive admiration. Une chose la frappa, la puissante valeur esthétique des œuvres italiennes. Depuis deux cent cinquante ans, s'était développée de l'autre côté des Alpes une littérature très remarquable, le sens de la beauté s'exprimait par lart le plus pur. Dante l'avait créée dans sa Divine Comédie, faisant du toscan la vraie langue nationale ; il s'était mis tout entier dans son poème , avec ses ardeurs généreuses et ses colères implacables, peintre énergique d'une rude époque ; mais j^ar sa raideur scolastique, par son abus des allégories et des symboles, par ce qu'il y avait de tourmenté dans son inspiration, il tenait encore trop à l'ancienne barbarie pour avoir réalisé pleinement l'œuvre d'art idéale, toute lumineuse de beauté sereine. Pétrarque et Boccace étaient venus ensuite, qui l'avaient accomplie, cette œuvre d'art, en se mettant à l'école de l'Antiquité. La finesse de leur sens esthétique leur avait révélé le charme éternel des livres anciens : ils avaient saisi le rapport logique et direct qui, dans ces créations merveilleuses, unit indissolublement l'idée vraie et la forme belle, et prenant les anciens pour modèles et pour guides , ils avaient à leur tour laissé des œuvres se traduisait d'une manière souveraine toute la puissance de leur personnalité , leur passion de la gloire , leur

' L'expression est de du Bellay, dans un sonnet qui eontient un souvenir du chant III de VEnJer (II, :i86). Dante est cité parmi les grands auteurs italiens dans VUde à Madame Marguerite, D'escrire en sa Langue (1, 241;. Cf. les vers de Baïf placés en tète d'une édition du traité De vuLgari eloquio (Paris, 1577; et cités par Nisard, t. I, p. 149-130.

- Deffence, p. 132.

Lniv. de Lille. Tome VIU. A. '6.

()6 JÛACHIM UU BliLLAY

amour de la beauté sous toutes ses formes, beauté de la nature, beauté de lart et de la poésie, beauté de la femme, en un mot, un esprit tout nouveau, tout différent du Moyen Age. Il est vrai que cette renaissance de l'Antiquité , dont ils étaient les promoteurs, avait failli compromettre un instant le déve- loppement naturel de la littérature italienne. L'humanisme du xv« siècle avait rêvé d'asseoir le latin triomphant sur les ruines de la langue nationale. Mais sa tentative avait avorté: la langue toscane, d'abord vaincue, avait fini par avoir gain de cause dans ce duel dun siècle avec la langue latine. Les excès mêmes du cicéronianisme avaient rendu possible sa vic- toire, et c'était le chef des cicéroniens d'Italie, 13enibo, qui avait pris à cœur de faire revivre la langue de Pétrarque. Dès lors, on avait cueilli les fruits de ce long connnerce avec les an- ciens : tandis ([ue l'idiome maternel devenait l'objet d'un culte fervent, toute une littérature d'une richesse incroyable et d'une infinie variété s'épanouissait dans l'Italie du xvi^ siècle : le lyrisme, la satire, la pastorale, le théâtre, l'épopée, sans compter les formes diverses de la prose, tous ces genres renouvelés des anciens brillaient d'un vif éclat. C'était comme une résurrection splendide de l'Antiquité, mais d'une Antiquité devenue nationale. Le spectacle qu'ofirait l'Italie, toute radieuse d'une littérature qui réalisait un rêve divin d'art et de beauté, était bien fait pour ravir d'admiration les jeunes enthousiastes du Collège de Coqueret et les navrer d'envie , surtout lors- qu'ils comparaient à tant de ti'ésors l'indigence littéraire de leur pays natal.

VII

La Pléiade, oi\ le sait, a fait peu de cas de ses devan- ciers. Mais, pour aificher un pareil dédain, qu'a-t-elle connu d'eux ? En quoi consista sa culture française ?

LK GOLLKGK DE COgUEHKT ()/

J'insisterai peu sur les [)rosatoui's. Lu Plriadi' en a lu sans doute plus qu'elle n'en mentionne ' . 11 en est un du moins auquel elle doit beaucoup : c'est Rabelais. Je sais bien que Ronsard ne l'aimait guère % mais du Bellay ne parlagcail pas sur ce point les préventions de son ami. La Dejfence salue comme un précurseur « celuy qui l'ait renaître Aristo- phane et faint si bien le nez de Lucian ' » (p. 109), et son auteur n'a jamais négligé l'occasion de rendre hommage à celui qu'il appelle (( l'utiledoux Rabelais » et (( le bon Rabe- lais * ». 11 se peut que Ronsard, très féru de Pindare, ait goûté médiocrement Gargantua et Pantagruel : peut-être aussi, comme on l'a prétendu, son antipathie littéraire venait-elle d'une première piqûre d'amour-propre \ Du Rellay, qui n'avait pas les mêmes raisons, et qui d'ailleurs aimait à rire, savourait ce roman prodigieux le sel attique se mêle sans cesse à la gauloiserie la plus épicée. Mais Rabelais, à ses yeux, était autre chose qu'un simple rieur. N'était-ce pas lui qui le pre-

* Rabelais mis à part, je ne vois guère à relever clans la Deffence que VOrateiir /rançoj-n d'Etienne Doiet (p. 96), le traité de Louis Meigret sur l'orthographe (p. 1.33), et ï Institution du Prince de Guillaume Budé (p. 100). Peut-être faut-il y joindre Commynes : voyez dans Ronsard (Vil, 218) la très curieuse EpUaphe de Coinrnynes, qui parut dans le Bocai^e de liiyi, f" 15 v".

- Son Epitaphe de Rabelais (VII, 2.1',]}, qui fait également partie du Bocage, {" lU v, est aussi fausse que grossière. Cf. les deux courtes épi- taphes de Baïf dans ses Passetenis (IV, 280 et 373).

' Aole du Quintil : « Rabelais, (jue tu ne daignes nommer expressément, si non par le nom d'Aristophane ».

' V. les œuvres de du Bellay, I, 145 et II, .3o, 230, 410. A relever surtout ce passage :

Bien que ma muse petite

Ce doulx-ulile n'immite.

Qui si doctement escrit.

Ayant premier en la France

Contre la sage ignorance

Faict renaistre Democrit. . . (Il, 3o).

'" Rien n'est moins svir pourtant. V. Marty-Laveaux, iVo^ice sur Ronsard,

p. XIX.

68 JOACHIM DU BELLAY

iiiier chez nous s'était moqué de l'ignorance ? Dans cette restauration des lettres antiques dont s'honorait la France, navait-il pas été lun des ouvriers de la première heure? Est-ce que son œuvre, cette étrange et bizarre création, n'attestait pas une connaissance approfondie de l'Antiquité ? Chaque page de son livre ne révélait-elle pas un fervent de la Grèce et de Rome ? Enfin, n'avait-il pas travaillé de toutes ses forces à l'illustration de sa langue maternelle en l'enrichissant par tous les moyens ' ? Pour ces motifs, du Bellay le tenait en singulière vénération, souscrivant volontiers à l'opinion des honunes de son époque qui plaçaient ce contem' au nombre des poètes ".

Poète, il l'était davantage, à coup sûr, que tous les rimeurs qui pi'étendaient à ce titre et qui le méritaient si peu. Ce qu'on appelait la poésie française semblait à la Pléiade bien peu de chose auprès de la poésie antique et de la poésie italienne. Ni Ronsard ni du Bellay ni Baïf ne se sentaient pour elle beaucoup de goût. A vrai dire, ils ignoraient la poésie du Moyen Age ; mais l'eussent-ils connue qu'elle les eût sans nul doute laissés froids. Tout au plus pouvaient-ils, à travers de modernes traductions, se faire une vague idée des vieux ron)ans français (Lancelot, Tristan. Gaiwain), et Ton sait de quel ton l'auteur de la Dejfencc traite « ceulx qui ne s'em- ployent (ju'à orner et amplifier notz Romans, et en font des livres certainement en beau et Ihiide langaige, mais beaucoup plus propre à bien entretenir Damoizelles qu'à doctement écrire » (p. 120). Les romans étaient chose trop frivole pour celle studieuse jeunesse '. Ils voyaient pourtant grâce à

' Sur ce point, v. Marlj'-Laveaux, Appendice de la Pléiade, I. 37.

- Marol. Kpître ol (édit. P. Jannel, I, 2iO). Pasciuicr, Recli. de la France, \1, ij.

' Rai)|)rochc'r du passage de la Deffcnce un curieux sonnet de Baïf à Jacq. Gohorry (IV, 23t|, et la non moins curieuse préface de Jodelle à ['IliNtoire Palladienne de Cl. Colel {Appendire de la Pléiade, II, 40G). Du

LE COLLÈGE DE COQUERET 69

l'Arioste qu'il y avait toute uue matière é[)i([ue '. en même temps qu'ils y trouvaient une mine abondante en vieux mots expressifs que, dans l'intérêt de notre langue, il ne fallait point laisser perdre '.

La Pléiade lait coninieucer la poésie française au Roman de la Rose : c'est dire qu'elle ne remonte pas beaucoup au- delà du xiv<= siècle. Encore l'a-t-elle lu, selon toute apparence, dans le texte rajeuni de Marot. On sait l'énorme influence qu'exerça, pendant deux siècles et demi, sur toute la littéra- ture cette œuvre singulière, la galanterie, la science, la morale, la satire, l'allégorie, se mêlent de façon si bizarre. Cette œuvre, que la Deffenee a respectée « comme une pre- mière imaige de la Langue Francoyse, vénérable pour son antiquité » (p. 102), l'action s'en est fait sentir plus qu'on ne croit sur la Pléiade. Est-il besoin de rappeler le sonnet de Baïf à Charles IX ' ? Ronsard, aux années de jeunesse, en faisait couramment sa lecture * ; Bel-Accueil et Faux-Danger dansaient la carole, dans le verger d'amour, avec le poète épris de Cassandre ' ; et si, dans plusieurs de ses œuvres,

Bellay ne montrera pas toujours ce dédain des romans. En 1552, dans une ode à des Essars, il louera hautement Amadis. V. plus loin, chap. x, § vi.

' Deffenee. p. 120. Ronsard, III, 23.

- Deffenee. p. 129. Du Bellay, I, 337. Ronsard, III. 36.

^ Au livre II des Passetems (IV, 311). V. encore Poënies (II, lUl) : Baïf, célébrant la vertu d'Amour, donne au Roman de la Rose une place d'honneur entre les élégies des Latins et les chants de Pétrarque. Ron- sard aussi, dans son Ode à Peletier (1347), met le Roman de la Rose sur le même rang que Pétrarque (II, 403).

^ Binet, texte de 1397, p. 121 : « Il ne laissoit toutefois d'avoir tousjours en main quelque Poète François, qu'il lisoit avec jugement, et principale- ment (comme luy-mesme m'a maintefois raconté), un Jean le Maire de Belges, un Romant de la Rose et les œuvres de Clément Marot ». Les textes de 1386 et 1387 ajoutent Coquillart les œuvres de Coquillart et de Clément Marot »). Cf. Fa guet, Seizième siècle, p. 209 : « II ne faut pas oublier qu'à titre de poème érudit et qu'à titre de poème philosophique, le Roman de la Rose n'a pas du laisser de plaire à Ronsard, qui a été toujours un poète érudit et souvent un poète philosophe, n

' Amours de 1552, p. 73 (Blanchemain, I, 93). Cf. Bourciez. op. cit., p. 223 sqq.

70 JOACHIM DU BELLAY

nous relevons chez du Bellay certaine tendance à l'allégorie, ne serait-ce point qu'il a subi comme les autres le charme du vieux roman * ?

Kn dehors du Roman de la Rose, quel intérêt pouvait oH'rir à la Pléiade la poésie des xiv et xv« siècles ? Les mystères et les farces, créations populaires sans valeur artistique, n'étaient pas faits pour la séduire ; et pouvait-elle bien goûter en le supposant connu d'elle ce lyrisme didac- tique et bourgeois, qui mêlait à l'expression des sentiments personnels des préoccupations d'enseignement et d'édification ; qui, lorsqu'il renonçait aux problèmes de métaphysique amoureuse et galante, ressassait des questions de politique et d'histoire, des lieux communs de religion et de morale ; qui contraignait l'inspiration en l'emprisonnant dans le moule étroit des poèmes fixes, ballades, chants royaux, rondeaux, lais, virelais ? ^'illon lui-même, d'une si franche originalité. Villon n'était pas son auteur : il sentait vivement, il peignait fortement, mais il était trop peuple. Il fallait à la Pléiade des poètes moins vulgaires.

Estima-t-elle davantage cette école d'écrivains qui, sous le nom de rhétoriqueurs ^ avaient illustré la seconde moitié du xve siècle et le premier quart du xvi^ ? Eux du moins avaient fait de la science le principe de leur art ' : ils avaient eu très vif le culte de l'antiquité latine et s'étaient inspirés des fictions mythologiques ; ils avaient tâché d'enrichir la langue en ornant leur prose et leurs vers d'une foule de termes

' Ct'lte influence est surtout sensible dans ses œuvres de début ; mais je la retrouve même plus tard, ainsi dans la Métamorphose dune Rose (II, 398).

- Georges Chastcllain, Pierre Micliault. Olivier de la Marelie, Jean Moli- nel, Jean Meschinol, Guillaume Crétin, André de la Vigne, Jean Marot, Oclavicn de Saint-Gelays, etc.

^ Jean Marot nous apprend qu'aux yeux de la reine Anne de Bretagne, le poète, c'est « l'homme savant, recommandable seulement par la doctrine yssant de son savoir. » G. Plôtz, Étude sur J. du Bellay, p. 11.

LK COLLÈGE DE COQUERET 71

nouveaux iMii[)i'nutés au latin ; ils avaient voulu, par d'habiles combinaisons de rytlnues et de riuies, l'aire de la poésie une musique naturelle. Mais c'était une idée dangereuse : en ajou- tant à la versification déjà très compliquée de leurs prédé- cesseurs de nouvelles entraves par la création de formes à la fois très rigides et très radinées, par la l'echerche des factures savantes, des rythmes laborieux et des rimes ultra-riches, ils réduisaient la poésie à n'être plus qu'un jeu de patience, pour ne pas dire un tour de force, dont Tunique mérite consistait dans la difficulté vaincue. C'était se tromper sur l'objet de l'art que lui donner pour idéal le rare au lieu du beau. La Pléiade le sentait, et son ambition rêvait autre chose que des couronnes gagnées dans les pii)'s du nord de la France *.

Un de ces rhétoriqueurs pourtant trouvait grâce devant elle. Jean Lemaire de Belges. Aussi bien s'était-il distingué des autres par un réel talent ■. Il avait défendu sa langue maternelle contre les Italiens qui la jugeaient « barbare », et s'était efTorcc d'établir qu'elle pouvait marcher de pair avec la langue toscane '. Cette langue maternelle, il l'avait illustrée par des œuvres que ne recommandait pas seulement l'étendue de l'érudition, mais encore cex'taines qualités précises, supé- rieures à celles de ses maîtres, les Molinet et les Crétin, et vraiment originales : un sens plus délicat des charmes de la femme et de l'amour qu'elle fait naître ', une plus vive perception des beautés de la nature ', une intelligence plus

1 Deffence, p. 112-113.

- V. les Œuvres de Jean Lemaire de Belges, publ. par .1. Stechcr, Lou- vain, 18!S2- IS'Jl, 4 vol. in-8", et la thcso de Fr. Thibaut, Marguerite d'Autri- che et Jehan Lemaire de Belges, Paris, Leroux, 1888, in-8".

^ Illustrations de Gaule (I, 10-11) et Concorde des deux langages (III, 98).

* Illustrations de Gaule, liv. I, chap. 24-26 et 30-33.

' On trouve déjà chez J. Lemaire un sentiment tout antique de la nature : v. notamment III, 10, 12, 28-ii9, 104-105, 129-130.

/2 JOACHIM DU BELLAY

pénétrante du paganisme mythologique et moral '. Il avait eu plus net le sentiment des mérites de la forme et de ce qu'ajoute aux clioses la manière dont on les dit ' : il avait eu le goût des expressions imagées , des épithètes descriptives , des périodes musicales, des rythmes harmonieux '. En un mot, il avait eu par endroits dans son œuvre l'intuition de l'art vrai. C'était assez pour que la Pléiade ne lui fût pas sévère. « Bien diray je que Jan le Maire de Belges me semble avoir premier illustré et les Gaules et la Langue Francoyse : luy donnant beaucoup de motz et manières de parler poétiques, qui ont bien servy mesmes aux plus excellens de noslrc tens ' )). Du Bellay, qui parle ainsi, s'appuie très sérieusement sur ce (( diligent rechercheur de l'Antiquité », comme il l'ap- pelle, pour faire remonter à Bardus V, roi des Gaules, l'inven- tion des vers rimes et la première institution des bardes \ Quant à Ronsard, nous savons par Binet qu'il lisait Jean Lemaire à l'égal du Roman de la Rose '', et nul n'ignore ce que dut la Franciade aux Illustrations de Gaule et singula- ritez de Troj'e '. Le vieux rhétoriqueur flamand avait frayé la voie aux futurs novateurs du Collège de Coqueret.

' Epistrcs de l'amant verd; Description du temple de Vénus; Contes de Cupide et d'Atropos.

- Sur co point, v. Thibaut, op. cit., j). 2',i9 sqq.

■' Réforme de la coupe féminine; introduction de la lerza rima; restau- ration d(; l'alexandrin ; création de mètres nouveaux {Chansons de Namur et XXIV couplets de lavalitude et convalescence de la Rojne).

'' Deffence, p. 103. Cf. Pasquicr, Bech. de la France, VI, 5 : « Le pre- mier qui il bonnes enseignes donna vogue à uostre Poésie, fut Maistre Jean le Maire de Belges, au(|uel nous sommes inliniment redevables, non seulement pour son livre de llllustration des Gaules, mais aussi pour avoir grandement enrieliy nostre langue d'une infinité de beaux traicts, tant en Prose «jue Poésie, dont les mieux eserivans de nostre temps se sont sçeu quelquefois fort bien aider. »

' Deffence, p. 13j. Tout ce passage de la Deffence est emprunté des Illustrations, liv. I, eliap. 10 (I, 70).

'' Pasquicr nous apprend que llonsard doit à J. Lemaire « les plus riches traicts de ceste belle Hymne qu'il lit sur la mort de la Uoyne de Navarre » {i'6'61).

' La légende de Francus est exposée par J. Lemaire dans VEpistre du Roy à Hector de Troye, \'6ll (III, 82-83), et surtout dans le liv. des Illus- trations. 1513 (H, 267-283 et 300-322).

LE COLLÈGE DE COQUERËT 73

Clément Marot, dans la pensée de la Pléiade, marquait un recul sur Joan Lemaire de Belges. Tandis que Lemaire, en effet, orientait la poésie dans le sens de l'art pur, Marot l'avait ramenée au simple naturel. Beaucoup moins savant que son devancier, il avait cru ([uc l'esprit et la q-ràce suffi- saient à faire un pocte. (^uel démenti les Italiens et les anciens donnaient à cette croyance ! La Pléiade avait lu bien souvent VAclolescence Clémentine ; mais depuis qu'elle se nourrissait de Pétrarque et de Pindare, elle ne parta^i^eait plus l'admiration universelle pour le gentil rimeur. Ses pre- miers recueils laissent deviner ses vrais sentiments. Sans doute, elle se garde bien de heurter de front l'opinion publique, elle rend à Marot d'olliciels hommages : mais on perce à jour ses pensées secrètes. Ronsard, dans la préface des Odes, appelle Marot (( seulle lumière en ses ans de la vulgaire poésie ' », mais sept pages plus loin il refait sa pièce sur la victoire de Cerisoles, et carrément nous dit pour- quoi ■. Du Bellay dans la Deffence n'agit pas autrement. Il nomme plusieurs fois Marot avec respect '. Bien plus, dans les poésies publiées avec la Deffence *, il insère en manière de conclusion l'antique épitaphe quil avait composée à Poitiers pour maître Clément. Mais lisons de plus près la Deffence : que d'allusions à peine voilées au vieux poète ! que de phrases paraît l'intention satirique ' ! Ici, du Bellay s'en prend à ces traducteurs qui « trahissent ceux qu'ilz entrepren- nent exposer », qui (( seduysent les lecteurs ignorans, leur

' Blanchemain, 11, 10.

- Édit. orig., loaO, f" 7 v". Blancliemain, II, !J3.

^ Deffence, p, 73, 118, 143.

' UOlive et quelques, autres œuvres poëticques. . . par I. D. B. A. Paris, Arnoul l'Angelicr. i;j49, in-8".

'" Dans un article «sur une page obscure de la Deffence » {Rev. d'hist. litt. de la France, lii avril 1897, p. 239), j'ai cité tout au long les passages l'on peut, selon moi, saisir des allusions plus ou moins directes à Clément Marot. Je prie le lecteur de s'y rei)orttr.

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montrant le blanc pour le noyr », et qui, « pour acquérir le nom de scavans, traduysent à credict les Langues, dont jamais ilz n'ont entendu les premiers elementz, comme l'Hébraïque et la Greque » (p. 67). Là, il félicite ironique- ment ceux à qui Marot plaît (( pour ce qu'il est facile et ne s'éloingne point de la commune manière de parler » (p. loi). Ailleurs, il critique un poète en qui (( default ce qui est le commencement de bien écrire, le scavoir )) (p, io4), et dont la gloire aurait augmenté de moitié s'il eût de moitié diminué son livre. Ailleurs encore, il malmène (( ceux qui sans doctrine, à tout le moins non autre que médiocre, ont acquis grand bruyt en nostre vulgaire » (p. 109), mais que les savants, meilleurs juges que la foule, (( ne mettront en autre ranc, que de ceux qui parlent bien francoys, et qui ont bon esprit, mais bien peu d'artifice » (p. iio). Qui donc est visé dans tous ces passages ? Clément Marot, autant et plus que ses disciples, Marot, le poète naturel qui manqua de savoir, l'écrivain trop facile qui méconnut l'érudition. C'est que pour la Pléiade, dont on sait l'idéal esthétique, ce fin rimeur n'avait pas eu les dons précieux qui marquent vraiment un élu des Muses. Échappé de la rhétorique, il n'avait abouti qu'au simple l^adinage : ce n'était pas assez. Sans doute il avait subi l'induence de la Cour, d'une cour des plus bril- lantes, très éprise de politesse et de grâce mondaine : et son talent s'était assoupli '. Formé, mûri par elle, il avait redit avec distinction tous ces événements plus ou moins menus dont se compose la vie des cours, et qui sont la matière de la poésie ofiicielle. Il avait excellé surtout à tra- duire des sentiments fugitifs, sinon 1res profonds, du moins bien sincères, parlant de lui-même et des autres avec cette finesse, cette bonhomie, cette mesure qui sont toujours d'un

' La court du Roy. ma maistrcssc (rescolle. (Épîtrc 43 Édit. P. Jannet, I, ^20).

LE COLLÈGE DE COQUERET 7o

si grand charme. Une clarté parfaite, qui contrastait étran- gement avec l'obscurité de ses prédécesseurs, un art sans pareil dire les choses avec une aisance légère, un esprit aimable, enjoué, niordant même par intervalles : voilà ce qu'on trouvait dans ses meilleurs ouvrages. Mais ne pouvait- on rêver une forme de poésie plus sublime ? Etait-ce même de la poésie ? N'était-ce point [)lutôt une prose rimée ? Car enfin, de quelle imagination Marot avait-il fait preuve ? De quelle science dans les conceptions ? Avait-il eu jamais cette vigueur de sentiment si puissante sur les âmes, et sans laquelle on ne peut les conquérir ? Avait-il jamais soupçonné la pure beauté de Tart ? Tous ces dons lui manquaient. L'insuflisance de sa culture littéraire l'avait condamné à n'être toute sa vie que le premier des poètes de cour. Il n'avait pu s'élever jusqu'aux sommets. Pour lui, toujours la poésie était restée le plus charmant des jeux, le plus exquis des passe-temps, rien de plus. Ce poète naturel n'avait pas été véri- tablement un poète artiste.

Pas davantage artistes, et à coup sûr moins naturels, tous ces plats rimeurs (du Bellay disait rimailleurs et rimasseurs) qui se disputaient la faveur publique, ces Jean Le Blond, ces François Sagon, ces Charles Fontaine, ces François Habert, ces Michel d'Amboise, ces Jean Bouchet, dont la sottise n'avait d'égale que l'ignorance '. Rivaux de Marot de son vivant ou depuis sa mort, ils prétendaient à le remplacer et n'avaient ni son esprit ni sa grâce. La vieille rhétorique agonisait en eux. Leurs titres superbes et leurs belles devises ne masquaient pas l'effroyable indigence de leur talent, et la Pléiade voyait avec dégoût, avec colère, toutes ces produc- tions insipides dont ils inondaient la Cour et la France.

Est-ce à dire pourtant que les jeunes écoliers de Coque ret

' Deffence, p. 149- IbO.

76 JOACHIM DU BELLAY

condamnaient en bloc et sans rémission tous les poètes français qui vivaient de leur temps ? et parmi ceux dont ils lisaient les ouvrages, ne s'en trouvait-il point qu'ils jugeaient un peu meilleurs que les autres, pour être en quelque sorte un peu moins distonts de leur idéal ? Binet nous a transmis l'opinion de Ronsard : « Les premiers Poètes quil a estimé avoir commencé à bien escrire ont esté Maurice Sceve, Hugues Salel, Anthoine Heroet, Melin de Saint-Gelais, Jacques Pelletier et Guillaume des Autelz ' )).Illes avouait pour des précurseurs. Inutile de revenir sur Jacques Peletier du Mans : j'ai déjà dit son influence sur la Pléiade et les raisons qu'avait Ronsard de saluer en lui (( l'un des plus excelens poètes de cet Age ' ». Hugues Salel * avait publié l'an i539 un recueil de Pocsics très médiocres, et ce n'était pas un titre au respect de la Pléiade : mais depuis il s'était grandement relevé. Gomme il savait le grec, ayant reçu jadis les leçons de Budé, il avait entrepris de traduire ï Iliade ' . Noble dessein que ne pouvaient oublier les élèves de Dorât ! C'était quelque chose d'avoir fait connaître Homère à la France, et l'on comprend la gratitude de la Pléiade '. Quant à Guil-

' Textes de lr)87 et 1597. En 158U, la liste se réduit à Maurice Scève, Hugues Salel et Jacques Peletier.

- V. ci dessus, chap. i, § iv.

3 Pré f. des Odes (II, 10).

' Sur Hugues Salel, consulter Goujet, t. XH. p. 1-14: les notices de Courbet, en tête des Gayelez, des Soiispirs et des Amours de Magny ; la thèse de Favrc. Olivier de Magny, p. 38, n. 2 La plaquette du D' Cli. (^almeilles (Les poêles Quenjnois au xvi" siècle: Hugues Salel. Tours, Housrey, 189!(, in-8" de 2.9 p.) a paru trop tard pour que j'en aie connais- sance.

' Les dix premiers chants parurent en 15io. Les liv. XI et XII ne furent pui>liés fju'en \'.y.Vt, après la mort île Salel, par les soins d'Oliv. de Magny. La trailuction lut achevée plus tard par Amadis Jamyn

'■ Du Bellay, Musa gnœomachie (1550), str. 19:

Salel, que la Fiance avoue L'autre gloire de Querci. (I, 145).

Ronsard a fait VÉpilaphe de H. Salel (Bocage de 1554, f" 13 r". Blan- chemain, VII, 267). 11 loue ce poète

Qui tles premiers tira nostre langue (Tenfance. Ce dernier témoignage est caractéristique.

LE COLLÈGI': DE COQUERET 77

laume des Autelz, il ne s'était encore signale (|ue par sa polémique avec Louis Meigret sur la réforme de l'ortho- j^raphe : je ne puis supposer que Ronsard ait vu dans son Moj's de Majy l'œuvre d'un précurseur'.

Saint-Gelays, Héroët, Maurice Scève, avaient des titres plus sérieux : (( La Poésie Françoise [étoit] avant nous foible et languissante, (je excepte tousjours lleroet, Seeve, et Saint Gelais)... )), écrit Ronsard dans la préface des Odea ^

Mellin de Saint-Gelays, qui devait un jour l'aire à Ronsard l'affront que l'on sait, avait sur Marot, aux yeux de la Pléiade, la supériorité d'une éducation beaucoup plus soignée. Et de fait, il avait pour le temps une culture universelle '. 11 possédait les langues anciennes, savait tourner les vers latins, paraphrasait aimablement Catulle et Properce, Martial et Cllaudien. Surtout, il était versé dans les choses d'Italie : depuis son passage aux universités de Bologne et de Padoue, il avait pris le goût des poètes italiens, qu'il imitait et traduisait, et, s'il faut en croire du Bellay, c'est par lui que le sonnet était devenu français *. Certes, la Pléiade lui savait gré d'avoir enrichi notre poésie d'une forme d'art si précieuse; mais elle s'étonnait qu'avec une culture comme la sienne, Saint-Gelays n'eût pas donné davantage. Ne pouvait-il pré- tendre à plus qu'à ces pièces légères son talent se complaisait ? N'avait-il de plus haute ambition que d'amuser les dames et les seigneurs ? L'humble rêve vraiment ! La

* Le Mojs de May de Gnilelme Deshaultelz de Monicenis en Bourgoigne, pet. in-8", goth., s. I. n. d. (Lyon, Ollivicr Arnoullet, 15'i4 ?j.

- Blanchemain, II, 11. Cf. Olive, s. 62, l" tercet. Il peut sembler étrange que ni du Bellay ni Ronsard n'aient mentionné Bonav. des Périers. 11 est juste de reconnaître que ce poète annonce ciuelquefois la Pléiade par une sensibilité pleine de mélancolie et par un réel souci du rythme et de la fac- ture. V. Chenevière, Bonaventure des Périers. Sa vie, ses poésies. Thèse. Paris, Pion et Nourrit, 188:3, in-8°.

' V. le témoignage du Quintil Horatian, édit. Person, p. ^08.

* 2' préf. de VOiive (13o0): a Etant le Sonnet d'Italien devenu François, comme je eroy, jjar Mellin de Sainct Gelais » (I, 72j.

78 JOACHIM DU BELLAY

Pléiade au fond trouvait bien mesquine cette poésie de cour, si pauvre d'idées et de sentiments, ces petits sujets traités d'une petite manière, ces simples binettes sans inspiration ni sincérité. Saint-Gelays assurément y mettait un esprit sans pareil : qui pouvait avoir plus de finesse enjouée, plus de grâce légère ? Mais la Pléiade se demandait si la poésie n'avait d'autre but que la constante recherche de ces jolies mignardises, et si Phébus n'avait donné la lyre aux hommes que pour composer des cartels de tournois ou tracer des quatrains sur des livres d'heures '.

Antoine Héroët, lui, s'était fait de son art une plus noble idée. S'il vivait à la Cour, sa Muse au moins n'y vivait pas : elle habitait, sereine et grave, les hauteurs éthérées méditait Platon. S'inspirant des sublimes conceptions de l'auteur du Banquet, elle avait chanté la Parfaicte Anvye : elle avait l'edit les délices du pur Amour, les jouissances ineffables éprouvées par deux âmes unies dans la vertu et s'élevant d'un même essor vers la divine Beauté. Par la noblesse des sentiments et des pensées, le petit ouvrage d'Héroët surpassait bien des longs poèmes. La Pléiade en goûtait et la matière et la facture. Toutefois, si quelque chose lui semblait pécher dans la Parfaicte Amye, c'était moins le fond même qu'une sobriété peut-être excessive dans la forme, une certaine indigence d'ornements poétiques, qui faisait de l'auteur moins un poète qu'un philosophe ^

Quant à Maurice Scève, la Pléiade ne pouvait manquer de le tenir en très haute estime. Antiquaire , érudit , peintre , musicien et poète, nul comme lui n'avait le sens de l'art. Il avait retrouvé le tombeau de Laure, et depuis s'était fait le

' Cf. l'excellenl chapitre de M. Bourciez : « Le poëte courtisan : Melin de Saint-Gelais ». Liv. III, Chap. ii, p. 300.

- Deffence, p. lOi : « L'autre, outre sa ryme, qui n'est par tout bien riche, est tant dénué de tous ces délices et ornementz poétiques, qu'il mérite plus le nom de Phylosophe que de Poëte. » Cf. p. 73 et 101.

LIi COLLÈGL DE COQUEUKT 70

grand prêtre du culte de Pétrarque. Dans une œuvre d'artiste, savamment travaillée, riche en mots expressifs, en figures hardies, en images éclatantes, il avait chanté son mystique amour pour Délie, un amoui- pur, comme celui d'Héroët, exempt de toute souillure charnelle, plus sombre pourtant et plus tourmenté '. Gel amour, les doctrines de Platon se fondaient avec les rêves de Pétrarque, n'avait rien de terrestre, et même il était à ce point éthéré. qu'on pouvait prendre Délie pour un symbole de Vidée. Jamais encore la poésie française n'avait monté si haut, la Pléiade le sentait: mais pour(|uoi Scève avait-il enveloppé ses conceptions dune si grande obscurité que les doctes eux-mêmes avaient peine à l'entendre ' ? Malgré leurs défauts, Héroët et Scève apparaissaient à la Pléiade comme des esprits d'une autre valeur que la foule des disciples de Marot. Ils avaient mis tous leurs efforts à rehausser la poésie: ils avaient tâché qu'elle fût autre chose qu'un futile agrément, qu'elle s'élevât, au-dessus de l'expression des senti- ments, à l'expression des idées pures, qu'elle devînt capable de porter la pensée dans ce qu'elle a de plus sublime; ils avaient voulu l'arracher au vulgaire, l'isoler dans un monde idéal, ouvert aux seuls initiés. La Pléiade leur savait gré de ces eflbrts. En lisant le passage Maurice Scève exalte la vie solitaire,

* Ce qui distingue Héroët de Maurice Scève et des Pélrarquistes, c'est qu'à ses yeux le pur amour est exempt de soufTrance. Voyez le 3' liv. de la Par/aicte Amje, édit de l.oi3, p. 58. (Bibl. Nat. Rés. Y'. 1613).

- Deffence, p. 105 : d Quelque autre voulant trop s'eloingner du vulgaire, est tumbé en obscurité aussi dilïicile à eclersir en ses ecriz aux plus scavans, comme aux plus ignares. » A partir de 1550, du Bellay n a plus que des éloges pour Scève. Cf. s. 105 de l'Olive et str. 19 de la Musa- gnœomachie :

Sceve, dont la gloire noiie En la Saône qui te lotie, Docte aux doctes eclerci. (I, lia).

Cf. aussi le sonnet qu'il lui dédia lors de son passage à Lyon, en 1553 {II, 143).

80 JOACHI.M DL BELLAY

Loing du sot Peuple au vil gaing intentif ',

les élèves de Dorât se rappelaient le vers tanieux dHorace :

Odi profanum vulgus et areeo.

Vérité lumineuse ! Oui, sans doute, si la poésie française était restée si basse, c'est qu'elle navait pas su s'allranchir des caprices et des goûts de la foule, dédaigner le vulgaire ignorant et grossier. Plus hardis que les autres, Héroët et Scève avaient montré la voie : mais ne pouvait-on aller plus loin qu'eux? Ils s'étaient bornés à chanter l'amour : l'amour était-il donc toute la poésie? Le domaine des Muses n'était-il pas plus vaste? N'embrassait-il pas tout ce qui concerne l'homme et la nature? Les Grecs et les Latins, les Italiens eux-mêmes, ne l'avaient-ils pas cultivé, ce riche domaine, dans toute son étendue? Ne pouvait on, à leur exemple, Aouloir pour la patrie française une poésie artistique, supérieure à celle dont on s'était contenté jusqu'alors, et qui traduisît enfin, sous les formes les plus diverses, le rêve éternel de l'idéale Beauté?

VIII

Dans les pages qui précèdent, j'ai tenté d'embrasser l'en- semble des études que du Bellay, en compagnie de ses amis, avait faites au Collège de Goqueret. Mais Terreur serait grande de croire que la Pléiade n'y a reçu que la culture intellec- tuelle. A cette éducation par les livres il en faut joindre une autre par la nature et par les arts.

Du Bellay avait vécu ses années d'enfance au sein de la nature; Ronsard de même, et tous les deux auraient pu dire ce que le second écrivait plus tard dans son Hj'inne de l'Au- tomne : ^

' Délie, dizain 414 (édit. N. Sclieuring, Lyon, 1862).

LE COLLÈGE DE COQUERET 8l

Je n'avois pas quinze ans que les monts el les bois

Et les eaux nie plaisoient plus que la cour des Rois,

Et les noires l'orests espaisses de ramées,

Et du bec des oiseaux les roches entamées ;

Une valée, un antre en horreiu" obscurci,

Un désert ellroyable estoit tout mon souci,

A tin de voir au soir les Nymphe» et les Fées

Danser dessous la lune en cotte par les prées '.

Ce commerce avec la nature ne cessa pas lorsqu'ils furent enfermés dans les murs sombres du vieux collèi^e de la mon- tagne Sainte-Geneviève. On a trop tendance à s'imaginer les poètes de la Pléiade sous la ligure austère de pédants renfro- gnés. Cette jeunesse si studieuse était aussi très folâtre, très amie des parties de plaisir et des rires sonores. De temps en temps, Dorât emmenait ses élèves en excursion dans la banlieue. Ce que raconte Binet " des longues promenades de Ronsard aux environs de Paris n'est pas vrai seulement de son âge mùr. Dès l'époque de Coqueret, pour se délasser de ses rudes labeurs, il s'en allait avec son maître et ses anus à Gentilly, Arcueil, Vanves, Meudon, Saint-Cloud, tantôt sur les bords de la Bièvre, tantôt sur les rives de la Seine ; on goûtait tous ensemble la fraîcheur des ombrages et des eaux ; on s'aban- donnait sur l'herbe verte aux molles délices de la rêverie et du sommeil : on relisait en la savourant mieux quelque page rustique d'un poète aimé ; parfois même, on écoutait la voix de la Muse et ses inspirations toujours si heureuses dans la soli- tude '. Qui dira tout ce que dut la Pléiade à ces féconds repos dans le calme recueillement de la nature ?

' Blanchemain, V, 189.

- Édit. de 1386, p. 31. Édit. de Ijy7, p. 176-177.

^ Cf. à ce sujet deux pièces curieuses de Bail': 1' la NLnIe BLare, au liv. IX des Poèmes (II, 438j ; 2' à Henry Eslienne, au liv. I\' des Passetenis

(IV, 417).

U?iiv. de Lille. Tome ^'1II. A. i>.

82 JOACHIM DU BELLAY

Ronsard nous a laissé, sous le titre de Bacchanales ', le récit d'une excursion que lit en i549 au village d'Arcueil la jeune Brigade *. Ce jour-là. vrai jour de fête, on sest levé de grand matin. Dès avant l'aurore, le collège est on mouve- ment : en guise d'aubade, on joue du chalumeau, on sonne de la guitare, on chante, on danse, on rit. La petite troupe se met en marche, les uns montés sur des ânes, les autres à pied. On emporte une quantité respectable de victuailles andouilles, jambons, pâtés, boudins, saucissons, cervelas, pains d'épice, sans compter les bouteilles : car ces écoliers sont de forts mangeurs et de torts buveurs. Dorât les conduit, et tous s'en vont joyeux. Xaturellement, du Bellay, Ronsard et Baïf sont ensemlde. l'rvoy porte au bout d'une gaule un flacon de vin blanc orné de lierre, qui lui pendille jusqu'au flanc, et que Pacate par derrière vient soutirer. Denisot, comte d'Alsinois, trotte à l'écart, songeur et parlant à voix basse, sur un âne sans licou dont il flatte les oreilles. Pour une l'ois, Latan daigne faire le fou. Les autres suivent, Hurteloire, Bergier, Lignei'y, Gapel. Seul, des Mireurs est soucieux : toujours prudent, il se demande si pareille débauche est bien bonne à la santé. On est parti dès le point du jour, afin d'avoir moins chaud. La rosée emperle les champs, et la Brigade aspire avec ivresse l'humide fraîcheur qui monte des prairies : elle voit les herbages fumer aux premiers rayons du soleil. Peu à peu la chaleur augmente : les voya-

' Blancheniain, VI, 358.

- Il ne faut pas confondre ce voyage d'Arcueil avec un autre plus connu qu'y lit la Pléiade, trois ans plus tard, après la représentation de la Cléopâtre de Jodelle. Du Bellay, qui fut du premier, ne semble pas avoir été du second. En revanche, Belleau, qui fut du second, n'était pas du premier. La confu- sion qui s'est établie, bien à tort, entre les deux voyages, remonte à Claude Garnier, lannotateur de Konsard, qui rapporte à la même année les Bacchanales (VI, 358) et les Dithyrambes (VI, 377), et son erreur vient Sans doute de ce que les Bacchanales n'ont été publiées qu'en 1552, avec les Amours et le V* livre des Odes, l'année même de la Cléopâtre et du second voyage d'Arcueil. V. Marty-Laveaux, Notice sur Jodelle, p. xix-xx.

LE COLLÈGE DE COQUERET 83

i>'eurs mettent sur leurs tôtes des mouchoirs et des i'euillag'es : quelques-uns se déchaussent. L'ardeur du soleil ne les empêche pourtant point de se livrer à mille ébats. Ces jj^raves écoliers s'amusent à courir après les papillons ; ils essaient de les attraper à petits coups de chapeau ; Ronsard tombe sur le ventre en les poursuivant ; Bergier, plus heureux, en tue un sur la place : précieuse dépouille qu'il consacre aux Satyres dans une dédicace gravée sur un saule. L'eau vive d'vm ruisseau permet à la bande de se rafraîchir. Enfin, on découvre la vallée d'Arcueil et son vieil aqueduc, et la Brigade salue avec respect l'antique village fondé par Hercule '. C'est le terme de l'excursion. Très affamée, la troupe se met à table : est-il besoin de dire qu'elle fait honneur au repas ? Comme une fête n'est pas complète sans poésie. Dorât se lève, et sa voix dor improvise, dans le silence recueilli de ses élèves, une ode latine à la fontaine d'Arcueil '. Ainsi s'écoule gaiement la journée, et quand \ esper enibrunit les cieux, la troupe regagne Paris, non sans quelque tristesse au cœur.

Quelquefois, Dorât menait ses élèves chez un seigneur de ses amis, qu'il avait sans doute connu chez Lazare de Baïf et qu'il savait passionné pour les lettres. Jean Brinon, sieur de Villennes et de Medan, possédait sur les bords de la Seine une superbe maison de campagne, savants et poètes étaient sûrs de trouver une lios[)italité chaleureuse et princière '. T'n naturaliste de cette époque , Pierre Belon , nous a raconté quelque part * un voyage que fit ainsi chez Brinon en i55i

' Le noiu d'Arcueil était alors Hercueil. Une tradition lui donnait Her- cule pour fondateur.

- Les œuvres de Dorât (Poernatia, 158G : Odar. lib. 1 : part, u, p. 194) contiennent une ode sous ce titre : Ad fontem ArcuUi sii>e Herculei pagi in agro Parisino.

•* Le nom de Jean Brinon revient à chaque instant dans les vers de Dorât, de Ronsard, de Baïf. Du Bellay lui consacre un sonnet (II, 1IJ8) et quatre épitaphes latines {Foeniata, f"' 48 V-iO r").

' Histoire de la nature des ojseaux. Paris, Gilles Corrozet, VMi'S, in-f°. Liv. IV, chap. xxvi, p. m.

84 .lOACHIM DU BELLAY

l'érudit limousin, accompagne'' (( dune trouppe des plus doctes el excellents poètes de ce temps ». Il ne nomme que Denisot ; mais il y a tout lieu de croire que du Bellay faisait partie de l'excursion. Je cite les paroles du vieil écrivain :

(( Au temps d'esté, plusieurs poètes de nostre nation s'es- lants alliez ensemble, en faveur de monsieur 1. Briuon, con- seiller du Roy, près de Poyssi sur la rivière de Seine, l'ac- compag-nerent voir ses Muses Medan et A illaines. Iceluy s'estant mis en devoir de les recevoir humainement, les festoya comme il appartenoit. Donc estants parveuuz là, eurent bonne issue en toutes choses : car errants plusieurs jours par les confins, trouvèrent maints a})pareils récréatifs de diverses manières de passetemjjs : comme à faire la chasse à plusieurs espèces d'animaux.... Ores cheminants par taillis, tendants aux oy sillons, en prenoyent de moult rares : tantost se trouvants par les i'orests, avoyent plaisir de voir beaucoup d'espèces d'arbres avec leurs fruicts : autresfois cueilloyent diverses herbes sur les montaignes et entre les vallées. Et trouvants iniinis arguments nouveaux, y firent Sonnets, Odes, et Epigrammes (irecs. Latins et l<'i'ançoys en la louange de celuy qui les y avoit conduicts et de ses nymphes. Et ayants consacré les fontaines . avec grandes cérémonies . rapportèrent toutes les reliques de h'ui- enqueste. Dorât, l'un de la compagnie, poëte cloquent, voyant ([ue la lim])he de Medan convertist ses larmes en ]>ierre. et voulant en perpétuer la mémoire, imprima tels mots sur un tableau :

l.\ \ ILI.AMDKM KONTK.M

Nyuq)lia prius \ illanis eram : Pan arsil, anuuiteui Duni fiigio : absoi'ptam terra rogata rapit.

Slat superùm pro Pane favor : de Xaïde lympha, De lympha (iunl viscera noslra lapis.

Mais eiu'or pour plus uiagnilier la grandeur de ce miracle

LE COLLÈGE DE GOQUERF.T 85

naturel, en a escril un opuscule iulitulc Vilidiiis. (|u\)m peut voir avec ses œuvres ' )).

Ce naïf récit n'a pas besoin de connucntaire. On comprend désormais ])ourquoi la nature tient tant de place dans les écrits de lu Pléiade.

IX

Les étudiants du Collège de Coquerel n'étaient pas moins sensibles aux arts qu'à la nature. Ils avaient parmi eux un artiste, dont l'action s'exerça sur leur goût esthétique. Nicolas Deuisot ", qui suivait connue eux les cours de Dorât, était leur aîné de plusieurs années '. Gomment se fait-il qu'à trente ans passés il vînt s'asseoir encore sur les bancs d'un collège, avec des condisciples I)ien plus jeunes que lui ? Sans doute il pensait, et très sagement, qu'on apprend à tout âge et qu'on ne peut que profiter quand on a pour maître un Dorât. Quoi qu'il en soit, ce studieux écolier était déjà célèbre. En i539, il avait été collaborateur d'Androuet du Cerceau dans la carte du Maine. En i54;">. il avait publié son premier volume de poésies, un recueil de Noëls, en attendant qu'il donnât ses Cantiques (i553). Surtout, il s'était fait un nom dans la peinture *. Ronsard et du Bellay ont vanté à l'envi

' Recueil de 1586, Poemat. lib. III, p. 173-184. Cf. Ronsard, le Hoiis (VI, 181) : la pièce a paru dans les Meslanges de l.ioii. f" 2. v". (Bibl. Nal Rés. pY*. 123).

- Sur Nicolas Denisol, consulter outre La Croix du Maine (II, loi) et du Vei-dier (111, 113) la notice de Rathery I Bulletin du Bibliophile, 18.j0. p. 43o), celle d'ilauréau (Hist. litt. du Maine, 111, 177). et celle de M. Gabriel Marcel, le conte d'Alsinoys géographe (Revue de Géographie, sept. 1S94, p. 193).

■' Nicolas Deuisot, natif du Mans, comme Jacques Peletier, vécut de lol;J à 1550. II passait du Bellay de sept ans, Ronsard de neuf, Baïf de dix-sept.

* La Croix du Maine (II, 151) parle ainsi de son compatriote : « Il a été estimé fort bon Poêle et Orateur tant en latin qu'en françois, et surtout très excellent à la peinture, principalement pour le crayon. Car auparavant qu'elle fût en si grand usage entre les F'rançois, comme elle est dujour- d'hui, it étoit estimé le premier de son temps, pour un qui n'en faisoit pas profession autrement que par plaisir. »

86 JOACHIM DU BELLAY

son double talent de poète et de peintre, et tous les deux ont fornuilé le même regret : quel dommage que Denisot ne fût pas aussi musicien ! S'il eût eu ce don, que lui manquait-il pour être parfait ' ? Un tel regret atteste au moins la très haute idée qu'ils avaient des arts.

Nous savons par Binet à quel point Ronsard les aimait : (( La Peinture et la Sculpture, comme aussi la Musique, luy estoient à singulier plaisir^ ». Nous n'aurions pas ce témoi- gnage que les œuvres de Ronsard y suppléeraient amplement :

Tandis qu'en l'air je souillerai ma vie,

Sonner Phebus j'aurai tousjours envie, Et ses compaignes aussi, Pour leur rendre un grand merci

De m'avoir fait poêle de nature,

Idolâtrant la musique et peinture.

Voilà ce qu'on lit dans Y Ode à son Luc, et cette ode est peut-être la première qu'il ait faite ''. Si tels étaient déjà ses goûts aux environs de i543, on devine aisément tout ce que put, pour compléter et parfaire son éducation esthétique, Tin- lluence d'un homme tel que Denisot. Elle acheva de l'initier aux secrets de l'art que lui, Denisot, entendait si bien. Les Odes de i55o présentent une curieuse description (( des pein- tures contenues dedans un tableau '* ». Du Bellay ne subit pas moins fortement cette influence, si l'on en juge par le nombre des comparaisons et des images qu'il emprunte dans ses vers aux arts plastiques '. A défaut d'autres preuves, on

' On rapprochera le sonnet de du Bellay (II, 142-143) de l'ode de Ron- sard (11, 339-340). Cf. aussi Belleau (11, 453-435).

= Texte de 1597, p. 177.

' Du moins une note de Ronsard dans l'édit. de 1560 le laisse supposer: « Celle ode est la première que l'auteur ait jamais composée ». UOde à son Luc fait partie du Bocage de 1350, f" 138 v°. (Blanchemain, II, 394).

* Édit. orig., liv. II, ode 28, f 72 v». (Blanchemain, II, 410).

Voyez, par exemple, Olive, s. 19 et 74. Cf. I, 152, 187, 232, 258, 270, etc.

LE COLLKGK DK COQUERKT 87

pourrait encore invoquer les bonnes relations des poètes de la Pléiade avec les artistes du temps. Ils admiraient sincère- ment le peintre François Glouet ' et l'architecte Pierre Lescot % et si de mesquines jalousies personnelles empêchèrent Ronsard de rendre justice à Philibert Delorme, du Bellay, plus équi- table, sut apprécier à leur valeur les beautés du château d'Anet \

On ne sera point surpris qu'aux arts plastiques ils aient encore préféré la nmsique. La musique est la sœur de la poésie : peu d'hommes ont eu comme eux le sentiment de cette parenté. Honsard appelait les musiciens et les poètes (( enfans sacrez des Muses », proclamant « que sans la musique la poésie estoit presque sans grâce, comme la musique, sans la mélodie des vers, inanimée et sans vie * ». h' Ode à son Luc, en même temps qu'un vif éloge de la peinture, contient sur la musique ces vers si pleins de charme :

Que dirons-nous de la musique sainte ? Si quelque amante en a l'oreille attainte. Lente en lermes goutte à goutte Fondra sa douce ame toute, Tant la douceur d'une armonie éveille D'un cueur ardant l'amitié qui someille, Au vif lui représentant Son tout par ce qu'elle entent.

La Nature, de tout mère, Prevoiant que nostre vie Sans plaisir seroit amere. D'inventer elle eut envie

' Cîouet, dit Janet, peintre du roi, célèbre par ses portraits (1510-1580). V. du Bellay, I. iïo et II. 177 ; Ronsard, I, 102 et 132; Baif, I, 376. - Du Bellay, Regrets, s. 157 et 158; Ronsard, VI, 188. ' Regrets, s. 159; A Madame Diane de Poictiers (II, 102 et 109). * Binet, texte de 1597, p. 177.

88 JOACHIM DU BELLAY

La musique, et Tinventant Alla ses fils contentant Par le son, qui loin nous g-ette L'ennui de lame sujette, Pour l'ennui mesrae douter : Ce que l'emeraude fine Xi l'or tiré de sa mine Nont la puissance d'outer \

Rarement on a mieux célébré le pouvoir évocateur et con- solateur de la musique, et qui voudra savoir tout ce que Ronsard lui reconnaissait d'influence morale n'aura qu'à lire la préface si curieuse qu'il adressait en i5;;2 au roi Charles IX ^

C'est pour avoir eu jusqu'au fond de l'àme l'instinct musical que la Pléiade s'est montrée si soucieuse du bon débit des vers. Si du Bellay consacre à ce sujet tout un chapitre de la Deffence \ est-ce donc seulement pour rappeler quelques préceptes de Cicéron ? X"on : c'est qu'il a senti lui-môme tout ce que gagne la poésie à être déclamée « d'un son distinct, non confuz, viril, non efféminé », avec une voix qui s'accommode aux passions exprimées dans les vers. Et Ronsard sur ce point ne pense pas autrement "*.

De vient aussi l'importance que la Pléiade attache aux questions d'harmonie et de nombre '. De l'intime alliance qu'elle rêve entre la musique et la poésie % et qui conduira

' Texte de iooO. Blanchemain, II, 3110.

- Blanchemain, VII, 337.

' Liv. II, chap. 10, p. 143 : De bien prononcer les vers.

V préf. de la Franciade (III, 12-13).

Deffence, p. 77, 129, 131, 134, 143. Ronsard, III, 20, 31, 33; VII, 320, 326, 3i!7, 328, 329, 330, 332.

'■ V. notamment Ronsard : « La Poésie sans les instrumens, ou sans la fjrace d'une seule ou plusieurs voix, n'est nullement aggreable, non plus que les instrumens sans estrc animez de la mélodie d'une plaisante voix. » (VII, 320). Il dit encore : a Les vers sapphiques ne sont, ny ne furent, ny ne seront jamais agréables, s ils ne sont chantez de voix vive, ou pour le moins accordez aux instrumens, qui sont In vie et l'ame de la poésie. » (II, 376).

LE COLLÈGF DE COQUERET 80

Ronsard à iiotci' lui-iiiriiu' des airs pour ses ArnoiiT's de Cassandre \ Baif à fonder, de concert avec le musicien Thibault de Gourville, une Académie de Poésie et de Musique, en vue de faire revivre la poésie lyrique chantée, telle que l'avaient cultivée les anciens ^

Ce g'oût des arts, que nous trouvons si vif chez les élèves de Dorât et qui leur fait admirer le beau sous ses formes les plus diverses , prouve à quel point ils ont subi l'em- preinte de leur époque. Par là, non moins que par leur zèle à l'étude et leur amour de l'érudition, ils ont été vrai- ment, dans toute la force du terme, des hommes de la Renaissance.

X

Cette éducation par la nature et par les arts, dont on n'a pas tenu toujours assez de compte, eut pour effet de remédier, dans une certaine mesure, aux fâcheuses conséquences d'une instruction par trop livresque. Elle permit aux élèves de Dorât de mieux comprendre l'exquise valeur des œuvres anciennes. Elle ailina leur sens esthétique et le rendit plus délicat. Elle fit des artistes de ceux qui auraient pu n'être que des pédants. En un mot, elle acheva de pénétrer tout leur être d'un vivant idéal de beauté.

Pleins de cet idéal, ils poursuivaient leurs études en silence sous la haute direction de leur maître, et déjà, par instants, ils s'essayaient à traduire leurs aspirations dans la langue des vers : Ronsard façonnait des odes sur le moule de Pindare et soupirait des sonnets à Cassandre ; du Bellay, sur les pas de Pétrarque, chantait son Olive et puisait dans Horace des sujets

' Gandar, op. cit., p. 87.

- Sur ce point, v. Becq de Fouquières, Notice siw BaiJ, en tête de soa édit. des Poésies choisies de /Jai/ (Paris, Cliarpentier, 1874), p. xvi sri(|., et l'ouvrage déjà cité de Freray, chap. ii.

90 JOACHIM DU BELLAY

de lyrisme : et tous deux à l'envi s'ingéniaient à réaliser, par de secrètes ébauches, le rêve d'une poésie nouvelle, artis- tenient modelée sur les chefs d'œuvre de l'Antiquité et de l'Italie, lorsqu'un événement le mot n'est pas trop tort vint soudain les troubler dans leur calme retraite du Collège de Goqueret. Vers le milieu de i54B. parut VArt Poétique de Thomas Sibilet '.

L'ouvrage était anonyme. L'auteur, avocat au Parlement de Paris, écrivait h pour l'instruction des jeunes studieus et encor peu avancez en la poésie l'rançoise ». C'était la première fois en France qu'on s'avisait d'un art poétique. Jusqu'alors on n'avait toujours vu dans la poésie qu'une province de la rhétorique ", et voici qu'un inconnu tout à coup la proclamait un art indépendant et libre, vivant de sa vie propre, ayant ses lois particulières et sa technique spéciale. 11 faisait peu de cas des rimeurs de son temps , leur reprochait de n'avoir pas ime assez haute idée de l'art, et, dès la première page, il disait hardiment son désir « de voir, ou moins d'escrivains en ryme, ou plus de poètes françois ». 11 ajoutait en s'adres- sant à son lecteur : (( Je ne me suy peu garder d'escrire : a tin que ces gentilz rymeurs par la congnoissance de l'art, qu'ilz pourront prendre de mon escriture, se gardent d'escrire, s'en congnoissans bien loin reculez : ou s'ilz continuent d'escrire, qu'ilz le facent avecques l'art. »

On devine avec quelle émotion les « jeunes studieux » du Collège de Coqueret entreprirent la lecture d'un ouvrage qui dès l'entrée posait en principe la nécessité de l'art dans la

' Art l'iiétique François pour l'instruction des leunes studieus. et encor peu auancez en la Piiésie Françoise. Paris, Gilles Corrozet, lo48. Privilège (lu 2,) Juin l.i'jS. Kpilre au Lecteur du 21 juin 1548. (Bibl. Nat. Rés. Y'.

\-n:i).

- Sur les arts de rhétorique des .xv" et wi' siècles, consulter la thèse latine de Langlois, De artibus rhetoricae rhythmicae . . . . Paris, Bouillon. 1890, in 8».

LE C()I,I>KGE DK COQUKRET 01

poésie. Lorsqu'ils l'eurenl achevée, riinpressioii (luellc leur laissa fut celle d'un vif dépit mêlé d'une sourde colère.

Le nouvel Art Poétique n'était guère, à tout prendre, que la mise en préceptes des doctrines de Marot et de ses énmles : (( Lira le novice des Muses Françoises, disait Sibilet, Marot, Saingelais. Salel, lleroet, Scéve, et telz autres hons espris, qui tous les jours se donnent et évertuent a l'exal- tation de ceste françoise poésie, pour ayder et roborer de leur invention et industrie son encor indjecille jugement : et autrement les suivre pas a pas comme l'enfant la nourrice, par tout ou il vouldra cheminer par dedans le pré de Poésie ' ». C'est à ces poètes, à Marot surtout, que Sibilet empruntait ses exemples; c'est eux ([u'il appelait (( les bons et classiques auteurs ». Sans doute, à côté de ces modèles, il faisait une place aux plus « nobles » poètes grecs et latins : (( A vray dire, ceuz sont les Gynes, des ailes desquelz se tirent les plumes dont on escrit proprement. » Il réclamait de son novice la connaissance des langues anciennes : d Je désire pour la perfection de toy, Poète futur, en toy parfaitte con- gnoissauce des langues Gréque et Latine : car elles sont les deus forges d'où nous tirons les pièces meilleures de notre hai'nois ". » Mais ni Ronsard ni du Bellay ne trouvaient suffisante cette part faite à l'Antiquité. Ge n'était pas assez pour eux que de l'admettre à titre égal avec Marot et son école dans la formation du poète futur. Leur ferveur d'huma- nistes protestait contre une pareille assimilation. Les églo- gues de Marot valaient-elles les idylles de Théocrite et de Virgile ' ? N'était-ce pas une dérision de comparer les chan- sons de Saint-Gelavs aux odes de Pindare et d'Horace * ?

' Liv. I, chap. 3. - Liv . II, chap. 9. ^ Liv. II, chap. 8. ' Liv H, chap. G.

92 JOACBIM DU BELLAY

Et le Roman de la Rose lui-même, quel que fût son mérite, pouvait-il^ j)rétendre à marcher de pair avec \' Iliade et V Enéide ' ?

Mais ce ([iii n'irritait pas moins les élèves de Dorât que ce parti pris de mettre toujours sur le même pied la poésie marotique el la poésie ancienne, c'était de retrouver sous la plume d'un autre plusieurs des idées qui leur étaient chères et dont ils espéraient bien donner un joui' une expression personnelle. Sibilet voyait dans la poésie un art sacré dont l'origine était toute religieuse : car elle venait, comme la vertu, (( de ce profond abyme céleste ou est la divinité ». Après Platon, il répétait que ceux-là seuls étaient poètes qu'avait touchés le feu divin, l'étincelle de l'inspiration : « Le Poète de vi'aye merque ne chante ses vers et carmes autre- ment que excité de la vigueur de son esprit, et inspiré de quelque divine afllation ' ». Et Sibilet partait de pour condamner sans rémission ce terme de rimeur, qu'avait adopté (( le rude et ignare populaire », comme il l'appelait dédaigneusement : au terme en faveur il substituait celui de poète, un si beau mot, qu'il ne fallait pas rougir de devoir aux anciens ' ! Il ne ménageait guère la vieille rhétorique : il parlait du rondeau, du lai, du virelai, comme de genres près de mourir ou déjà morts ^. et. s'il tenait encore pour la rime équivoque ', en revanche il reléguait à la fin de son livre, dans un dernier chapitre % les rimes bizarres de jadis, rimes kyrielles, concaténées, annexées, etc., les déclarant « de la vieille mode )) et désormais sans usage « entre cens qui ont

' Liv. IF, chap. 14.

- Liv. I, chap. \.

■' Liv. I, cliap. 2. *

* Liv. H, chap et i:5. '•• Liv. I, chap. 7.

* Liv. Il, chap. Kj.

LE COLLÈGE DE CUQUERET 1)3

le inouclu" ' >>. l-',nli;i. il coiisfillail ;i son novice do cul- tiver les nouveaux i^enres. ceux-là mêmes que Ronsard et du Bellay rêvaient d'installer en souverains ineontestés dans notre poésie : il était partisan du sonnet ' : l'ode, à ses yeux, ne méritait pas moins (regards (|ue le canticpie cl la chanson ' ; il n'était pas jusqu'à l'épopée ([ue. sous le nom de (( f>rand œuvre », il ne recommandât au poète futur '.

Mettons-nous un instant à la place des élèves de Dorât. Dans le nouvel Art Poëtù/ue, ils ne trouvaient pas seule- ment défendues des opinions (juils réprouvaient, exaltés des poètes dont ils faisaient assez bon marché ; mais encore ils trouvaient formulées par avance, et souvent d'une manière insullisante et défectueuse, des idées qn'ils avaient à cœur : de sorte qu'ils en voulaient à son auteur de ce <]u'il y avait dans sa doctrine et de contraire et de conforme à leur propre doctrine. Ils ne lui pardonnaient pas plus ses nou- veautés que ses routines. Ils en concevaient de l'irritation ; et c'est qu'il faut chercher la première origine de la Deffence et it/ustration de la lanffiie françoyse '.

' C'est le naris emunctae (ritorace.

- Liv. II, cliap. 2.

•' Liv. IF, cliap. H.

' Liv. Il, chap. 14.

' M. Roy le premier a bien vu que la Deffence est a une réfutation et un toniplément autant qu'un livre original ». {Rev. d'hist. litt. de la France, 1895, p. 237, et 1897, p. 420 . « Si du Bellay, dit-il. critique ou complète le traité de son devancier, c'est moins encore [)ar suite d'un dissentiment littéraire, que sous le coup de cette impatience naturelle à un critique qui voit ses propres idées, des idées qui lui sont chères, à demi devinées par d'autres, et mal traitées, mal développées ou réduites en sèches formules. De fait une bonne partie de la Deffence et Illustration était déjà indiquée et esquissée dans VArt Poétique. » Ce point de Aue de M. lloy est delà plus rigoureuse exactitude. Une édition annotée de la Deffence pourrait seule relever toutes les e.\])rcssioas que son auteur a copiées dans Sibilet : L'ignorance de nos majeurs iD. .itj—P. I. 21. la pièce du harnois (D. 63=P. 11.9), imiter à pied levé (D 73'=P. II, (5), la toile de Pénélope (D. 136=P. I. oi, etc. Le titre même du manifeste est déjà dans Sibilet : « V illustration et augmen- tation de notre langue françoise » (I, 4|. Chose curieuse : le vers que blâme du Bellay ID. 142) comme mal coupé, Sinon que tu en montres un plus seur, est le dernier vers du Sonnet à L'Emieux qui précède VArt Poétique. J'aurai l'occasion d'indiquer plus loin (chap. iv) les points essentiels sur lesquels du Bellay critique ou complète Sibilet.

94 JOACHIM DU BELLAY

h'Art Poétique était k peine paru qu'ils songèrent à la riposte. Si Ton voulait avoir la gloire de restaurer la poésie, il était grand temps de sortir de l'ombre. L'heui'e était venue de prendre position, d'indiquer nettement au public le rôle auquel on prétendait, de condenser dans un symbole l'ensemble des croyances littéraires qu'on érigeait en dogmes pour l'avenir. La Deffence fut cette profession de foi. (î'est une œuvre de collaboration, prit part le groupe tout entier : elle résuma les théories nées des études communes et des communes discussions. Bien hardi qui voudrait préciser l'apport de chacun. '

Pourtant cette œuvre, se reflétaient les idées de tous, deux seulement pouvaient l'écrire : Ronsard et du Bellay. Baïf était trop jeune, et quant à Dorât, il était plus professeur qu'écrivain. C'est du Bellay qui rédigea le manifeste. Mais pour([uoi lui plutôt que Ronsard ?

J'en vois plusieurs raisons. D'abord, dernier venu dans le groupe, il avait sans doute à cœur de réparer le temps perdu, de se montrer l'égal des autres, sinon par la science, au moins p;ir l'ardeur de ses convictions. De plus, Ronsard était timide, ami du calme et du repos. On l'a dit justement : (( 11 était peu fait pour la lutte, et particulièi^ement pour la lutte littéraire. Comme presque tous ceux ([ui ont de l'éloquence, il manquait d'esprit ^ ». Du Bellay, lui, n'en manquait pas. Il était volon- tiers batailleur : ce fier gentilhomme, que le destin avait seul empêché d'être soldat, n'était pas gêné de manier la plume ainsi qu'une épée. Et puis, il n'avait pas ces scrupules litté- raires qui pesaient lourdement sur Honsard, le retenant des mois entiers sur un ouvrage qu'il jugeait toujours imparfait. Il était aussi pressé de produire et de publier que son camarade était hésitant et circonspect, par défiance de lui-même et par

^ Sur ce point, v. les réflexions de Plôlz. p. 3-4. - I^'aguet, Seizième siècle, p. 205.

LE COLLÈGE DE COQUERET 9;»

souci de la perfection'. Eutiii, et c'est un point ([uon un pas noté, pour que le manifeste eiit l'accueil du public, il n'était pas indid'crent qu'il fût signé d'un nom illustre. Celui de Ronsard était loin de l'être ; mais on sait quel éclat avait l'ejailli sur les du lîellay. Peu de noms étaient à ce point lameux. Et qu'on ne dise pas : la Dejjence était anonyme. Les initiales mystérieuses de l'en-tête, I. D. B. A. -, se laissaient aisément deviner. On n'avait qu'à tourner la page : huit vers grecs de Dorât révélaient le nom de l'auteur, dont la patrio- tique entreprise était comparée aux actions patriotiques de ses glorieux parents '. La même raison qui fit dédier l'ouvrage au cardinal du Bellay, alors tout-puissant à Rome, en lit confier la rédaction à son neveu. Gomment un livre brillait un tel nom aurait-il pu passer inaperçu ?

Ronsard d'ailleurs fut le premier à pousser du Bellay de l'avant. Dans un Discours à Louis des Masures (i56o), évo- quant l'ombre de son ami, mort depuis quelques mois, il mettait dans sa bouche ces paroles :

Ronsard, que sans tache denvie J'aimay quand je vivois comme ma propre vie. Qui premier me poussas et me formas la vois A célébrer V honneur du langage François "

Ce témoignage serait suspect, s'il n'était contirmé par du Bellay lui-même : « Voulant satisfaire à l'instante requeste de mes plus familiers amis, je mosay bien avanturer de mettre en lumière mes petites poésies : après toutesfois les avoir communiquées à ceux que je pensoy" bien estre clervoyans en

' Je me suis expliqué sur ce point clans mon article sur « l'invention de l'Ode n. Rev. d'hist. litt. de la France^ 15 janv. 1899, p. 47.

- loachim Du Bellay Angevin.

' Sainte-Beuve a donné de cette épigrauime une jolie traduction ilSoii- veaux Lundis, XIII, 282).

' Blanehemain, VII, 62.

9(j JOACHIM DU BELLAY

telles clioses. singulieremenl à Pierre de Ronsard, qui m'y donna plus grande hardiesse que tous les autres » (1, 72). Du Bellay justement avait dans ses papiers des sonnets pétrar- quistes et des odes horatiennes qu'il songeait à publier quel- que jour, avec une épltre au lecteur pour justilier leur « nou- veauté ». L'apparition de 1'^/'/ Poétique le força de hâter ses projets et le décida bien certainement à transformer Tépître en manifeste '. Pressé par ses amis et surtout par Ronsard, il lit un recueil de ses productions, y mit promptement la dernière main, et bâcla la Dejf'enee, avec la pensée, ])eut-être sincère, de la reprendre un jour plus à loisir ou de la voir reprise par son docte rival '. Lorsqu'il fut prêt, il se mit en devoir de livrer au public et ses poésies et son manifeste. Il obtint un privilège le 20 mars i548 (n. s. i549), et vers Pâques i549 parut, avec l'Olive et les Vers Ij'riques, la Dejj'ence et illus- tration de la langue françoj'se '\

* 2' préf. de VOlive : « Je eraignoj '. . . . que telle nouveauté de poésie pour le commencement scroit trouvée fort étrange et rude. Au moyen de quoy, voulant prévenir celé mauvaise o|)inion, et quasi comme applanir le chemin à ceux qui excitez par mon petit labeur voudroient enrichir nostre vulgaire de ligures et locutions cslrangeres : je mis en lumière ma Deffence et Illustration de la langue Françoise : ne pensant toutefois au commencement faire plus grand œuA le t[u'une epistre, et petit adverlisse- ment au lecteur » (I. 73).

-' Ceci résulte de deux passages de la Deffence : 1" « J'ay bien aouIu... tellement qucllenuiit ébaucher [le portrait du poëte] : esj)erant que par moy, ou i»ar une plus ilocte main, il pouia recevoir sa perfection » (p. 99); « llecoy «louques ce petit ouvraige. comme un desseing et protraict de quelque grand et laborieux édifice, que j'entreprendray (possible) de con- duyre, croissant mon loysir et mon scavoir » (p. 104).

NOTE

suit 1..V UATE K.VAGTE DE LA « DEFFENCE » .

La Dejfence et Jilu.stration de la Lawjue Francoyse. Par I. D. B. A. Paris, Arnoul l'Angelier, id^î), pet. in-8". Le privi- lège est le même pour la Dejfence et VOlive : la plupart du temps les dcu.v ouvrages sont reliés enseuible. Cette publication soulève un problème délicat, qu'on n'a j)as résolu jusqu'à ce jour

LK COLLÈGE DIO COQL'RIIKT 97

et dont l;i solution est de toute iiui)ortancc : la Dejfence est-elle de io49 "" ^^ ^'^So ? Le privilège est bien du 20 mars i548, qu'il faut lire i549 (o- s ) ; mais la dédicaee. du i."j tôviicr lô^t), doit-elle se lire d'après l'aneien ou le nouv^eau style ? est-elle antérieure d'a/t mois ou postérieure de onze mois au privilège ? On connaît les variations de Sainte-Heuve sur ce point : depuis lui, les critiques n'ont pu tomber d'accord.

On peut établir que la Deffence a paru certainement en iS^g. Tout d'abord, s'il est vrai que, jusqu'à l'ordonnance de i5G"3, l'année officielle commença à Pâques, il n'est pas moins vrai que cette manière de compter n'était pas admise unanimement, et que dans bien des cas ou taisait partir l'année du !"■ janvier. Aux preuves données par Plolz (p. 0-;), on peut ajouter celle- ci : des Lettres et Mémoires Estât de Ribier il résulte qu'à cette époque (io49) ^^ employait indifféremment les deux styles : le roi lui-même datait tantôt d'une manière, tantôt d'une autre. Toutefois le nouveau style semble avoir dominé. Du Bellay, pour sa part, comptait à la romaine, ainsi que l'attestent plusieurs de ses poèmes (I, 190, 278, 283 ; II, 54 et 56).

Sans j>arler de cette raison générale, des arguments parti- culiers établissent avec une précision rigoureuse que la Deffence et l'Olive sont antérieures au Recueil de Poésie, qui parut à la fin de i549

Dans la dédicace du Recueil de Poésie à iMadame Margue- rite, datée du 2'3 octobre i549, du Bellay rappelle qu'il a « depuis peu de temps mis en lumière quelques peliz ouvraiges poétiques, pour satistaire à l'instante prière d'aucuns siens amis » ( I, 219). 11 ne peut être évidemment question que de l'Olive et des Vers lyriques. C'est d'ailleurs ce qui ressort clairement de la comparaison de ce passage avec deux autres passages qu'on peut lire dans la i'''^ et la 2*^ préface de l'Olive (1, 68 ; I, ji).

2' Dans l'Ode a Mellin de Sainct Gelais, qui fait partie de ce même Recueil de Poésie, on lit ceci :

Mes vers, qui souloient resonner

De Venus les ardentes larmes.... (I, 238).

C'est encore une allusion à l'Olive.

3" La dédicace de la Deffence au cardinal du Bellay nous le dépeint comme jouant à Rome un rôle considérable. C'était

Univ. de Lille. Tome VIII A. 7.

98 JOACHIM DU BELLAY

vrai en février i549 (Ribier, II, 191), mais non plus en février i55o, le cardinal étant tombé en disgrâce au mois d'avril i549 (Ribier, II, 206).

4" L'iphig-ene d'Euripide traduite par Sibilet (dédicace du i" septembre io49 5 privilège du i3 novembre i549) ^st précédée d'une épître « aus Lecteurs » qui contient une réponse à la Deffence, comme on verra plus loin (chap. v).

De tous ces témoignages concordants il résulte que la dédi- cace de la Dejfence (10 février i549) doit être lue d'après le nouveau style, familier à du Bellay, qu'elle a précédé d'un mois le privilège daté, suivant le style de la chancellerie, du 20 mars 1Ô48, et que la Deffence enfin a paraître aux environs de Pâques i549, Q^i tombait cette année-là le 21 avril.

CHAPITRE III

LA « DEFFE^GE DE LA LANGUE FRAiNCOYSE »

1549

I. L'antinomie de la « DefEence ». Comment on peut la

résoudre. Une ambition patriotique : le désir d'égaler

l'Italie. Composition défectueuse de l'ouvrage.

II. La partie apologétique de la « Deffence ». Développement

de l'humanisme : dangers courus par le français.

III. Précurseurs de du Bellay dans la défense de cette langue.

Rôle des poètes : Jacques Peletier. Charles de Sainte- Marthe, Charles Fontaine, François Habert. Utilité d'une nouvelle intervention.

IV. Du Bellay défenseur du français. Théorie de l'origine des

langues. Arguments en faveur du français : sa pau- vreté actuelle, sa richesse possible. Attaque contre les Latineurs. Nécessité d'écrire en français.

1

La Deffence et illustration de la langue françojse est une œuvre complexe, inspirée à la fois par le sentiment le plus patriotique' et l'esprit le moins national; cest une apologie

' Cette intention patriotique n'est pas douteuse. Du Bellay dit lui même de son livre : « C'est la DelFence et Illustration de nostre langue Francoyse. A l'entreprise de laquele rien ne m'a iuduyt, que l'aiTection naturelle envers ma Patrie » (p. 40-47). Cf. p. 99 : u Pour le devoir en quoy je suys obligé à la Patrie ».

100 JOACHIM DU BELLAY

de la langue vulgaire contre ceux qui la dédaignent et lui préfèrent les langues anciennes, et c'est une critique de nos vieux poètes dont le faible talent n'a pas su l'illustrer; c'est un plaidoyer pour le français contre les humanistes trop épris d'Antiquité, mais c'est aussi un plaidoyer pour l'humanisme contre les Français trop épris de Moyen Age.

De là, tout au fond de l'ouvrage, une sorte de contra- diction, qui ne peut se résoudre que si l'on ne perd pas de vue cette idée essentielle : la Pléiade , fascinée par l'Italie., hypnotisée par ses chefs-d'œuvre, a voulu faire en France ce qui s'était fait avec tant de succès dans la péninsule. Les Italiens du xyi*^ siècle montraient avec orgueil au reste de l'Europe une littérature de premier ordre, toute pénétrée de l'idée du beau, toute splendide du sens de l'art. Pourquoi la France n'aurait-elle pas essayé, par les mêmes moyens, d'at- teindre au même prestige? Tel est le vrai point de départ des ambitions de la Pléiade.

L'orgueil national, voilà son mobile. Elle a très vive cette conviction que la France n'est inférieure à l'Italie ni dans les armes ni dans les lois ni dans les mœurs. C'est trop peu dire : elle décerne à sa patrie, non sans fierté jalouse, une supériorité politique et morale sur laquelle du Bellay s'étend avec complaisance : « Aussi diray-je bien.... que la France, soit en repos ou en guerre, est de long intervale à préférer à l'Italie, serve maintenant, et mercenaire de ceux aux quelz elle souloit commander » (p. i5.)). Et passant en revue tous les avantages de la terre natale, il ajoute : « Je suis content que ces félicitez nous soient communes avecques autres nations, principalement l'Italie : mais quand à la pieté , religion , inté- grité de meurs, magnanimité de couraiges, et toutes ces vertuz l'ares et antiques (qui est la vraye et solide louange), la France a tousjours obtenu sans controverse le premier lieu » (p. i56). La Pléiade n'a pas voulu que la France, supé-

LA « DEFFENCE LE LA LANGUE FRANÇOYSE )) 101

riciire sur tant de points à l'Italie, lui restât inférieure dans les lettres. Elle a donc entrepris de combler cette lacune en fondant la grandeur littéraire de la France. Elle a ressenti comme une humiliation d'amour-propre à mesurer la différence qui séparait intellectuellement les deux nations. « Certes, s'écrie du Bellay, j'ay grand' honte quand je voy' le peu d'estime que font les Italiens de nostre poésie, en comparaison de la leur, et ne le treuve beaucoup étrange, quand je consi- dère que Aoluntiers ceulx qui écrivent en la langue Toscane sont tous personnaiges de grand" érudition ' ». Dans sa douleur patriotique, la Pléiade a résolu d'etl'acer jusqu'aux derniers vestiges de cette inégalité littéraire. Sa tentative est née tout entière du très ardent désir de rivaliser avec les Italiens et, si possible, de les surpasser. Son principe direc- teur fut un principe d'émulation ".

Pour atteindre à cet idéal, le moyen le plus simple, évi- demment, celui qui se présentait tout dabord à l'esprit, c'était de procéder comme les Italiens, de refaire ce qu'eux- mêmes avaient fait. Or, cherchant d'où venait à leur poésie sa valeur esthétique, la Pléiade croyait en trouver deux raisons : le culte de la langue nationale et le culte de l'Anti-

1 2' préf. de V Olive (I. 74).

- Cf. ces vers signilicalifs de Ronsard, dans une Elégie à Casstindre, qui fait partie du Bocage de 1554 {(" 20 Vi :

.... Je me paissois d'espoir De faire un jour à la Tuscane voir Que nostre France autant qu'elle est iieureuse A souspirer une plainte amoureuse, Et, pour monstrer qu'on la peut surpasser, J'avois desjà commencé de trasser Mainte elegie à la façon antique. Mainte belle ode, et mainte bucolique. Car, à vraj" dire, encore mon esprit N'est satisfait de ceus qui ont escrit En nostre langue, et leur Muse mérite Ou (lu tout rien, ou faveur bien petite.

(Blanchemain, I, 125).

102 JOACHIM DU BELLAY

quité. Dans le spectacle grandiose qu'offraient à ses yeux éblouis les lettres italiennes, deux choses la frappaient : d'une part la langue toscane avait triomphé de la langue latine, d'autre part la poésie italienne s'était illustrée par l'imitation des genres antiques. Il n'en fallait pas davantage pour qu elle crût légitime de conclure que le seul moyen de faire de la France, intellectuellement, l'égale de l'Italie, c'était d'associer le culte des anciens à l'amour de la langue maternelle, et pour qu'elle rêvât de fonder sui" l'imitation des littératures antiques une nouvelle littérature nationale.

Une réserve cependant est nécessaire. Dans l'assimilation quelle établissait, la Pléiade oubliait une chose : c'est que nous ne sommes pas fils des Latins au même degré que les Italiens. Ces derniers, en effet, sont les descendants directs des Romains, et lorsque Pétrarque et Boccace. lorsqu'après eux les cinqcentistes concevaient la littérature comme un retour à l'Antiquité, c'est en somme une tradition qu'ils renouaient : ils pouvaient croire de bonne foi qu'ils reprenaient l'œuvre des ancêtres un moment interrompue ; cette renais- sance de l'Antiquité avait quelque chose de patriotique et de national. La même renaissance transportée chez nous n'avait plus tout à fait le même caractère : car, si nous sommes aussi par bien des points des tils de Rome, toutefois, au sang latin qui coule dans nos veines se mêle, en assez forte proportion, et du sang gaulois et du sang tudesque.

Le manifeste de la Pléiade repose sur deux idées : i" il faut cultiver le français; 2" il faut imiter les anciens. De là, ces deux termes du titre : Dejfence et Illustration. De là, cette division de l'ouvrage en deux livres. Mais la compo- sition n'est pas à beaucoup près aussi rigoureuse qu'on pour- rait le s\ii)poser d'après ce qui précède. Même au xvi^ siècle, r()n compose en général très faiblement, il existe peu d'ouvrages qui soient aussi désordonnés. La i'aute en est sans

LA (( DEFFFNCK DE LA LANGL'F, FRANÇOYSE )> 103

doute à la jeiinesse de l'écrivain, à son inexpérience du métier littéraire, à son ardeur de combattant, à son désir de frapper fort et vite, peut-être aussi, dans une certaine mesure, à la collaboration de ses camarades. Certaines idées sont tour à tour émises, laissées, reprises, sans qu'on voie bien pour- quoi: d'autres sont loin d'avoir le développement qu'exigerait leur importance: enfin, les obscurités, les illou^ismes et les contradictions sont la preuve évidente que l'auteur écrivait au courant de la plume, sans réflexion et sans méthode '. Force est donc, pour analyser la Dejfence, de reconstituer en quel- que sorte le travail latent qu'accomplit la pensée de l'auteur, et d'apporter dans l'exposé de ses doctrines un ordre qu'il n'y a pas mis.

11

La Deff'ence est d'abord une apologie de la langue fran- çaise. Du Bellay voit dans la langue une part du patrimoine national : (( La mesme loy naturelle, qui commande à chacun défendre le lieu de sa naissance, nous oblige aussi de garder la dignité de notre langue » (p. i53). Et patriotiquement, il la défend contre ses adversaires. Mais une question se pose : pour avoir besoin d'être ainsi défendue, après plusieurs siècles d'existence, son droit à vivre était donc contesté ?

11 l'était. Sans parler des obstacles qu'opposaient à son développement comme langue littéraire ces deuxjpuissances, l'Ecole et l'Eglise ^ l'idiome maternel était de[)uis un demi-

'JQuelques exemples précis de cette composition défectueuse : la défense de la langue, à peine entamée (I, 2), est brusquement interrompue (I, ri), et puis reprise dans un chajiitre (I, 9) qui n'est que confusion La critique des poètes français rst faite en deux fois (II. 2 et 11). I,a théorie de l'imitation est de même, contre toute raison, coupée en deux (I, (S et II, 3). Les préceptes de détail, au lieu d'être ramassés, sont épars çà et : ainsi, pour la ryth- mique, il faut aller chercher en quatre endroits le peu qu'en dit l'auteur (11. 4, 7, 8, 9).

- Sur ce point, v. l'exposé de M. Brunot, dans son chapitre sur « la langue au xvi* siècle », p. 644 sqq.

104 JOACHIM DU BELLAY

siècle fortement menacé par les progrès croissants de Ihuma- nisine. 11 s'était produit chez nous le même fait que dans l'Italie du xv^ siècle. Philologues et lettrés, dans leur fana- tisme pour les langues anciennes, avaient délaissé la langue vulgaire, qu'ils taxaient d'impuissance radicale, et, sous pré- texte que le français était incapable de porter la pensée, c'est on latin qu'on écrivait tous les ouvrages de philosophie et de religion, de critique et de science, d'érudition et de gram- maire. On connaît l'opinion de Budé sur ce point et le rêve qu'il formait d'un latin éternel, susceptible de s'enrichir pour correspondre au changement indéfini des mœurs et des idées'. Encore, si l'ambition des humanistes se fût bornée à perpé- tuer le latin comme langue scientifique, il n'y eût eu que demi-mal. C'est luic question de savoir, en effet, si, la science étant universelle, il n'y aurait pas intérêt pour elle à s'exprimer dans une langue universelle, et l'on peut soutenir, sans être paradoxal, que le latin, à condition qu'il puisse se transformer suivant les besoins de la science, est encore la meilleure des langues universelles '. Mais l'humanisme poussait plus loin ses préten- tions, et, non content de faire du latin la langue des savants, il voulait l'installer à la place du français comme langue arti clique, lui réserver, avec les œuvres de science, les ouvrages d'imagination et de sentiment, dont le premier mérite est d'être individuels. A la faveur de ces idées, le latin s'était emparé de la prose d'art aussi bien que des vers. Le cicéronianisme est trop connu pour qu'il soit nécessaire d'y insister ; mais ce qu'on sait iinniis, c'est que de i5oo à i549 s'était développée chez nous toute une poésie néo-latine qui faisait à la Muse nationale une laide concurrence. Une foule de poètes, par de doctes plagiats, s'ingéniaient à marcher sur

' Rphitlé, thèse sur Budé, p. 192-103.

- V. l;i-dessus les su5î54cstives réflexions de M. l'aguct, dans sou artiele sur (( l'Alexandrinisnie )) (Revue des Deux-Mondes, 1" mai IXili, p. i:jl-132).

LA « DEFFENCE DE LA LANGUE FRANÇOYSE )) lUo

les pas de Virgile et d'Horace, de Catulle et d'Ovide '. L un d'entre eux, Salnioii Macriii, s'adressant à ses rivaux les plus illustres, Germain Brice, Jean Dampierre, Nicolas Bourbon, Etienne Dolet et Jean ^ oulté, les louait hautement d'avoir fait de la France, naguère encore barbare et sans culture, l'égale de la Grèce et de Home :

' Un simple tableau des principaux recueils de vers parus de lij2ij à liiW pourra donner quelque idée de l'importance de ce mouvement : 1527. Paillas, de l'ierreRosset. lo28. Carminum libelliis, de Salmon Macrin. 1530. Odae aliquot, d'Olivier Conrad.

Carminum libri IV, de Salmon Macrin.

Aediloquium ceii Disticha, de GeolFroj- Tory. lo31. Epistolae gratulatoriae IV, de Germain Brice.

Lyricoriim libri II, de Salmon Macrin.

1533. Niigarnm libri V///, de Nicolas Bourbon.

1534. Cliristus, de Pierre Rosset.

1536. Bombarda, de Barth. Latomus. Epigrammatum libellas, d'Hubert de Soissons. Poemata, de Ben. Theocrenus. Epigramm,atiim. libri II, de Jean Voulté.

1537. Hjninorum libri VI, de Salmon Macrin. Odariim libri VI, du même. Epigrammatum libri IV et Xenia, de Jean Voulte

1538. Xiigae {2'' édit.), de Nicolas Bourbon. Carminum libri IV, d'Etienne Dolet.

Psalnii VII et Paeaniim libri IV, de Salmon Macrin. Ludorum libri, d'Hubert de Soissons. Inscriptionum libri II, Xeniorum libellus, de Jean Voulte. Hendecasyllaboriim libri IV, du même.

1539. Francisci Valesii Gallorum régis fata, d'Etienne Dolet. Genethliacum Claiidii Doleti, du même.

1540. Rapina seu raporum encomiiim, de Claude Bigothier. Niigae {'.V édil. ), de Nicolas Bourbon. Hymnorum selectorum libri III, de Salmon Macrin.

1541. Pandora, de Jean Olivier.

1542. Pandora (2' édil), du même.

1543. Cliristus (2^ édit.), de Pierre Rosset. 1540 Odarum libri III, de Salmon Macrin.

Poem.ata, du cardinal Jean du Bellay.

1548. Poemata, de Théodore de Bèze.

1549. Epitome vitae D X. I. C... Varia item poematia. ., de Salmon

Macrin . 11 faut joindre à cette liste toutes les poésies déjà composées, mais non publiées encore, par Aneau, Buctianan, Dampierre, Dorât, L'Hospital, Muret, Turnèbe, etc.

106 JOACHIM DU BRLLAY

Yestra nanique opéra et labore factura, Insigni simul eruditione, Haec ut natio Gallicana, nulJo Anfe humaniter instiluta cuUu, Et qiiae barhara diceretiir olirn, Jam agrestera exuat expolita morem, Ipsam jam Atthida, Graeciamque totam, Doctos provocet ac Rémi nepotes, Nec sese Italia putet minorera *.

Ce témoignage est significatif. Si Macrin rendait à des poètes latins un pareil hommage, c'est donc qu'à ses yeux les poètes français étaient non avenus.

Ainsi le français, considéré comme langue poétique, courait d'assez graves dangers pour que la Pléiade eût raison de prendre sa défense, et du Bellay n'avait pas tort de penser et de dire qu'on emploierait plus utilement à cultiver sa propre langue tout le talent qu'on dépensait à faire des pastiches de TAntiquité.

III

Je ne prétends nullement d'ailleurs qu'il fut le premier à s'en aviser, et je ne songe pas à réclamer pour l'auteur de la Dejfence un mérite qui revient à d'autres. L'opinion est fondée, suivant laquelle du Bellay n'a fait que réunir en faisceau, dans un style éclatant et vigoureux, des arguments et des idées qui, depuis longtemps déjà, hantaient bien des esprits " : j'y souscris pleinement pour ma part. En ce qui touche notamment la défense de la langue nationale, c'est un point désormais établi qu'elle avait commencé bien avant la Pléiade.

' Ad^Poctas Gallicos. p. 37 lîu recueil publié sous ce titre : Hymnorum libri VI, ad lo. Bellaium, cardinalem amplissimiim. Paris, Robert Estienne, 1o37, in-8°.

2 Em. Roy, Rev. d'hist. Utt. de la France, 189:5, p 233 sqq.

LA (( DEFFENCE DE LA LANOCE FRANÇOYSE )) 107

M. Brunot, dans son chapitre sur la langue au xvi® siècle, a relracé cette lutte du français contre le latin et raconté sa résistance à Thutnanisme '. Qu'on uie permette d'ajouter que l'effort des poètes seconda dignement celui des savants et des granniiairiens, et que, pour avoir été moins considérable, leur action en faveur du français ne saui-ait être négligée.

On sait déjà la part que prit au mouvement Jacques Peletier du Mans, et j'ai montré plus haut que la dédicace de sa traduc- tion de l'Art Poétique d'Horace (io45) n'était pas autre chose qu'une apologie de la langue vulgaire. D'autres poètes avaient précédé Peletier. Sans remonter jusqu'aux rhétoriqueurs, comme Jean Lemaire de Belges et Jean Bouchet de Poitiers % tous les deux très zélés partisans du français, le culte de l'idiome maternel était le premier article de foi des poètes de lécole de Marot C'était un amour qu'ils tenaient du maître. En i54o, Charles de Sainte-Marthe, présentant au (( lecteur françois » le livre de Dolet sur la manière de bien traduire d'une langue en autre, écrivait ce dizain :

Pourquoy es tu daultruy admirateur, Vilipendant le tien propre langaige ? Est ce (François) que tu n'as instructeur, Qui d'iceluy te remonstre l'usaige ? Maintenant as à ce grand advantaige, Si vers ta Langue as quelque affection : Dolet t'y donne une introduction Si bonne en tout, qu'il n'y a que redire : Car il t'enseigne noble invention) D'escrire bien, bien tourner, et bien dire ^

' P. 640-71S.

- Boucliet parlageait l'opinion de Lemaire que la langue française « estoit ^ente, propice, suffisante assez et du tout élégante pour exprimer en bonne foy tout ce que l'on scauroit excogiter. » Ouvré. Notice sur Jean Bouchet. p. 20. Poitiers, 1838, in-8". (Bibl. Nat. L":2T. 2;i'ii).

^ Ce dizain, qui se trouve à la lin du traité de Dolet (Lyon, lo40), figure aussi dans La Poésie Françoise de Charles de Sainte-Marthe, natif de Ion-

108 JOACHIM DU BELLAY

Six ans après, Charles Fontaine, qui prenait poui* devise l'anagramme de son nom, hante le françois, se faisait un mérite de n'écrire qu'en sa langue :

A QVELQVES SIENS AMYS

Vous VOUS esbahissez comment

J'escry tant en langue Françoyse :

Ce n'est faulte de jugement,

Que j'ay petit, dont ce me poise :

Mais un seul mot sans bruit et noise

Renverse toutes raisons vostres :

C'est qu'une langue si courtoise

Est nostre, et si fait fruit aux nostres '.

Lannco même de la Defjence. François Habert, le (( bann)' (le Ij'esse », si malmené par du Bellay -, se rencontre avec lui dans un même amour de la langue natale. Voici ce que je lis dans son épître à Jean Brinon, seigneur de Villennes, pour lui dédier le Temple de Chasteté :

Si des Autheurs d'estrange nation Aux successeurs sont admiration, N'est il besoing que le françois language Aux successeurs tienne le lieu et guage D'antiquité ? ne fault il secourir Xostre language, et le faire tlorir

tevrauU en Poictou, divisée en trois livres... Lyon, Le Prince, Io40, in-8«, [). 78. (Bibl. Nal Rés. pY^ 193). Cf. ce passage de la dédicace à la duthesse d'Etanipcs : (( Je ne veux déprimer l'excercice de la mienne lan- gue vulgaire, veu que plusieurs de trop plus célèbre nom que le mien, s'y sont esbatu : et mesmementque, selon ma vacation, ne puis, pour le pré- sent, plus louable sacrifice à ma nation, que d'illustrer sa langue selon mon rudde esprit » (p. .'{).

^ Liv. II des Epigrarnmes publiées à la suite de la Fontaine d'Amour, Paris, Jeanne de Marnef, lo4tJ. in-16. (Bibl. Nat. - Rcs. V'. IC.Oil). Le volume n'est pas paginé. Celte épigranime est reproduite p. 116 des Ruisseaux de Fontaine (l.-iiiij). Dans les Odes, Enigmes et Efjlgramtnefi (loiJT), on trouve encore d'autres pièces en faveur du français, p. (i^ et 78.

- Dejfence, p. loO.

LA (( UEFFENCK DE LA LANGUE KHANÇOYSE )) lUl)

Autant ou plus (|ue (Irec, Latin, Hcbrieu,

Que publiez nous voyons en tout lieu ?

En cest advis se tient ma fantasie,

Auctorisant françoyse Poésie,

Donts les esclats sortent de maints Autheurs,

Qui sont tresbons et sages inventeurs *.

Les vers sont bien médiocres, mais la pensée est louable. Ces divers témoig-nages. d'autres encore sans doute qu'on pourrait découvrir, sont la preuve que beaucoup de poètes se faisaient un devoir de défendre la langue nationale : sur ce point-là, du moins, marotiques et novateurs étaient d'accord, 11 est donc sans conteste qu'en plaidant pour l'usage du français, du Bellay ne faisait pas œuvre nouvelle. Il est certain qu'il reprenait un combat livré par vingt autres. La question est de savoir s'il avait tort de le reprendi^e. Pour moi. je crois que non. Si l'on veut rélléchir que la lutte engagée entre le français et le latin se prolongea longtemps encore, que même après la Pléiade, et peut-être par la faute de la Pléiade, infidèle à ses principes, on continua de versifier dans la langue de Virgile et d'Horace, qu'en plein xvii^ siècle Boileau trouvait encore des poètes latins à railler \ on reconnaîtra qu'en i549 la victoire était loin d'être gagnée, et qu'un secours comme celui de la Pléiade était d'autant plus précieux qu'elle avait avec l'humanisme des attaches plus étroites. Je n'en veux donc pas à du Bellay d'avoir entrepris une fois de plus la défense de sa langue maternelle ; je regrette seulement qu'il s'y soit montré si médiocre.

' Le Temple de Chasteté .. par Françoys Hubert d'Yssoiildun en Berry. Paris, Michel Fezandat, 1349. (Bibi. Nat. - Rés. Y=. 1692). Cf. à la lin du volume VExhortation sur l'art poétique, à Robert Corbin.

^ Fragment d'un dialogue contre les modernes qui font des vers latins.

110 JOACHIM UU BELLAY

IV

Cette partie du manifeste est de beaucoup la moins heu- reuse. Du Bellay n'est pas un linguiste, on s'en aperçoit en lisant son œuvre. Ses intentions sont généreuses, mais sa science est en défaut, son argumentation laisse à désirer. Il raisonne faiblement, aflîrmant plus qu'il ne démontre, et circonstance aggravante il n'a pas le moindre souci de mettre de l'ordre dans ses déductions. Essayons de nous reconnaître à travers cette incohérence.

Son point de départ est une théorie de l'origine des langues (I, i). Il a lu chez Rabelais : « C'est abus de dire que nous ayons langage naturel : les langages sont par insti- tutions arbitraires et convenances des peuples ; les voix, comme disent les dialecticiens, ne signifient naturellement, mais à plaisir '. )) Il reprend cette idée et soutient à son tour que les langues ne sont pas, comme les plantes et les arbres, des produits naturels, mais des créations du vouloir humain : qu'ayant toutes une même origine, à savoir la fan- taisie des hommes, elles ont toutes à leur naissance une même valeur ; que si certaines enfin sont plus riches que les autres, elles doivent cette richesse, non pas à leur félicité native, mais à l'industrie de leurs créateurs, mais à la culture que leur ont donnée ceux qui les parlaient et les écrivaient *. On reproche à cette théorie son

' Rabelais, III, 19.

- « Les langues ne sont nées d elles mesnaes en façon (iherbes. racines, et arbres : les unes inlirnies, et ilelj.les en leurs esjjeces : les autres saines, et robustes, et plus aptes à porter le faiz des conceptions liuniaines : mais toute leur vertu est née au monde du vouloir et arbitre des mortelz Cela (ce me semble^ est une grande rayson, pourquoy on ne doit ainsi louer une langue, et blâmer l'autre : veu qu'elles viennent toutes d'une mcsme source et origine : c'est la fantasie des hommes : et ont été formées d'un mesme jugement, à une mesme lin : c'est pour signllier entre nous les conceptions

LA « DKFFENCE DE LA LANOCK FKANÇOYSE )) 111

excessil" rationalisme ' : elle contient cependant une part de vérité. Que les langues à leur origine soient des produits de la nature, il est dillicile de le contester, et du Bellay se trompe en soutenant le contraire ; mais a-t-il si grand tort de penser que la volonté de rhonime exerce une action sur leur développement ? Comme le dit M. Brunetière, « les mots sont quelque chose de plus que les signes des idées, et une langue n'est pas seulement une algèbre ou un orga- nisme : elle est aussi une œuvre dart " ». Tant qu'une langue n'est qu'un commerce, un simple moyen de communi- cation entre les hommes, elle se développe naturellement en vertu de ses lois intérieures. Mais dès qu'elle est une œuvre d'art et que les mots ont pris une valeur esthétique, elle devient un instrument entre les mains des écrivains, et s'ils ont peu d'action sur son vocabulaire, du moins en ont-ils une considérable siu' sa syntaxe, qu'ils pétrissent et translbr- ment au gré de leur génie. Ainsi s'explique qu'à chaque révolution dans les idées corresponde dans la langue une révolution parallèle : la langue de Voltaire n'est pas celle de Bossuet, et celle de Chateaubriand n'est pas celle de Voltaire. Cette action des écrivains sur la langue est, comme on sait, un des principes les plus constants de la Pléiade, et du Bellay garde l'honneur, en dépit d'une erreur mani- feste sur l'origine des langues, de l'avoir hardiment formulée. C'est en partant de qu'il va combattre (( l'étrange opinion d'aucuns scavans, qui pensent que nostre vulgaire

et intelligences de l'esprit. Il est vray que par succession de tens les unes, pour avoir été plus curieusement reiglées, sont devenues plus riches que les autres : mais cela ne se doit attribuer à la félicité desdites langues, ains au seul artifice et industrie des hommes » (p. 50). Cf. I, 10: a J'ay dict au eommeneeraent de cet œuvre, etlc dy cncores, que toutes langues sont d'une mesme valeur, et des mortelz à une mesme fin d'un mesme jugement formées » (p. 81).

' Sainte-Beuve, Nouveaux Lundis, XIII, 301.

- Manuel de l'histoire de la littérature française, p. 65.

112 JOACHIM DU BELLAY

soit incapable de toutes bonnes lettres et érudition » (p. 5i).

Cette apologétique peut en somme se ramener à quelques idées essentielles :

Le français n'est pas une lang'ue barba f-e {l, 2). On ne saurait y contredire, mais ce n'est rien prouver que d'in- voquer, comme du Bellay, cet argument : dans nos mœurs et dans nos lois, nous ne sommes pas plus barbares que les Grecs et les Romains. C'est raisonner par à côté.

•2° Si le français n'est pas une langue barbare, c'est une langue pauvre en comparaison des langues anciennes (I, 3). Mais à qui la faute ? Cela vient-il dun défaut de nature ? Nullement : (( on le doit attribuer à l'ignorance de notz majeurs, qui ayans (comme dict quelqu'un, parlant des anciens Romains) en plus grande recommandation le bien faire que le bien dire, et mieux aymans laisser à leur postérité les exemples de vertu que les préceptes, se sont privez de la gloyre de leurs bien faitz, et nous du fruict de l'immitation d'iceux : et par mesme moyen nous ont laissé nostre langue si pauvre et nue, qu'elle a besoing des ornementz, et (s'il fault ainsi parler) des plumes d'autruy ' » (p. 56). Cette indigence n'est d'ailleurs pas aussi grande que beaucoup l'estiment (I, 4)- « ^^ ^^i voudi'a de bien près y regarder, trouvera que nostre langue francoyse n'est si pauvre, qu'elle ne puysse rendre fidèlement ce qu'elle emprunte des autres, si infertile , qu'elle ne puysse produyre de soy quelque fruict de bonne invention, au moyen de l'industi'ie et diligence des cultiveurs dicelle, si quelques uns se treuvent tant amys de

' Cl'. II, 2 : « J'ay bien voulu, (lecteur studieux de la langue francoyse) demeurer longuement en cete partie, qui te semblera (peut estre) contraire à ce que j'ay promis : veu que je ne prise assez haultemcnt ceux qui tien- nent le premier lieu en nostre vulgaire, qui avoy' entrepris de le louer et delFendre. Toutesfois je croy que tu ne le trouveras point étrange, si tu considères que je ne le puys mieux défendre, qu'atribuaut la pauvreté d'iceluy, non à son propre et naturel, mais à la négligence de ceux qui en ont pris le gouvernement » (p. 108).

LA « DEFFENCE DE LA LANGUE FRANÇOYSE )) 113

leur païz et d'eux mesnies, quilz s'y veillent employer » (p. (3o). L'argument est spécieux et quelque peu contradic- toire : du Bellay dit en commençant que le français, « tel qu'il est maintenant », n'est pas aussi pauvre qu'on croit : opinion raisonnable et sensée, qu'on pouvait d'autant mieux soutenir qu'elle était juste en soi, la langue nélanl pas, tant s'en faut, avant i549, nécessiteuse et misérable, sans ressources pour traduire les sentiments et les idées '. Mais bientôt du Bellay nous dévoile sa pensée véritable : à la faveur d'une équivoque, il transporte à l'avenir ce qu'on croyait qu'il disait du présent. Le français n'est pas pauvre, à ses yeux, en ce sens qu'il est susceptible d'enrichissement. Il est capable de poésie, d'éloquence, d'histoire, de philosophie et de science (I, 4 ' ^> lo )• Entendez qu'il est capable de s'y élever un jour, son indigence étant actuelle, nullement origi- nelle : (( Nostre langue n'iia point eu à sa naissance les Dieux et les Astres si ennemis, quelle ne puisse un Jour parvenir au poinct d'excellence et de perfection, aussi bien que les autres » (p. (3i). Gela revient à dire que, si elle est loin encore d'être parfaite, notre langue est du moins perfec- tible.

Rien ne s'oppose à son perfectionnement (I, 9). La nature, en ed'et, a toujours mêmes forces, et les esprits modernes ne sont pas inférieurs aux anciens : la découverte de l'imprimerie, les merveilles de l'artillerie, d'autres inven- tions non moins admirables, sont une preuve de leur vigueur. Pourquoi la langue serait-elle incapable de progrès ? (( Il ne fault point icy alléguer l'excellence de l'antiquité : et comme Homère se plaignoit que de son tens les cors estoient trop petiz, dire que les espris modernes ne sont à comparer aux anciens. L'architecture, l'art du navigaige, et autres inventions

' Sur ce point, v. Plôlz, op. cit., p. i)3 sqq.

Unif. de Lille. To.me VllI A. 8.

H4 JOACHIM DU BELLAY

antiques certainement sont admirables : non toutesfois, si on rciJfarde à la nécessité mère des ars, du tout si grandes, ([uon doyve estimer les cieux et la natm^e y avoir dépendu toute leur vertu, vigueur et industrie. Je ne produiray pour temoings de ce que je dy l'imprimerie, seur des Muses, et dixiesme d'elles : et caste non moins admirable, que pernicieuse foudre d'artillerie : avecques tant d'autres non antiques inven- tions, qui montrent véritablement, que par le long cours des siècles, les espris des hommes ne sont point si abatardiz, (ju on voudroit bien dire. Je dy seulement, qu'il n'est pas impossible, que nostre langue puisse recevoir quelquesfois cest ornement et artifice aussi curieux, qu'il est aux Grecz et Romains )) (p. 'J^^-'j'j)- J ai cité tout entière cette page remar- quable : on n'est pas yjeu surpris de trouver ainsi sous la plume de du Bellay, plus d'un siècle avant la querelle des anciens et des modernes, les idées de Fontenelle et de Perrault ; l'auteur de la Deffence a déjà soupçonné ce que valent, appli([ués aux questions littéraires, ces deux principes célèbres, la peruianence des forces de la nature et le progrès des sciences humaines ' ; ce fervent des anciens, ce fondateur du classicisme, apparaît ici le premier dés modernes ^

Remarquons en passant que , dans cette apologie de la langue nationale, du Bellay n'attribue au franc.ais aucune qualité positive, si ce n'est une douceur naturelle, égale à celle des langues antiques '. Car on ne saurait compter pour

' Le picinicr se relrouvc dans Ronsard, Vil, 3;{6 et III, 39.

- Kt ce n'est pas le seul endroit l'on éprouve cette impression. Sans [)arUr d'un passai^e du cliap. 9 sur le pouvoir de succéder aux anciens dans les Icltris connue dans les sciences (p. 78), le chap. 10 contient plus d'une idée nouvelle et hardie pour l'époque, cette idée notamment que létude des lanj>ues anciennes, se consume notre jeunesse, est le principal ob- stacle aux proj'rès de la philosophie et des sciences (p. 83).

' « Quand au son, et je ne scay quelle naturelle douceur (comme ilz disent) qui est en leurs lanj^ues.je ne voy point que nous layons moindre, au jugement des plus délicates oreilles » (p. 77).

LA (( DEFFENCE DE LA. LANGUE FRANÇOYSE )) 115

un éloge ce mérite qu'il lui fait d'être aussi « irrégulière » que le latiu et le grec (p. ^5), encore moins cet étrange compliment qu'elle présenterait les mêmes dillicultés que «ces langues mortes, si l'on ne pouvait plus l'apprendre que d'après les œuvres écrites (p. 94).

Ainsi, notre langue est vantée moins pour les qualités qu'elle possède que pour les espérances qu'elle donne. Puis- qu'elle est perfectible, on peut raisonnablement espérer qu'elle ne manquera pas de se perfectionner, et l'on aurait tort de rien conclure contre elle de la lenteur de ses progrès '. Un arbre est d'autant plus robuste et vivaee qu'il a mis plus de temps à pousser ses racines : de même notre langue est assurée de garder longtemps la perfection qu'elle aura con- quise avec tant de peine.

D'ailleurs, les langues antiques elles-mêmes ont-elles atteint du premier coup à cette perfection (I, 3) ? Non, sans doute : elles n'ont pas toujours eu l'excellence qu'on leur voit chez les bons écrivains, et ceux-ci ne se seraient pas donné tant de mal pour les cultiver, s'ils les avaient jugées impuissantes à (( produyre plus grand fruict )) (p. 67). C'est un exemple à méditer. Qu'ont fait les vieux Romains à l'égard de leur langue ? Ils se sont montrés bons agriculteurs : « Hz l'ont pi'emierement transmuée d'un lieu sauvaige en un domestique : puis afiin que plus tost et mieux elle peust fructifier, coupant à l'entour les inutiles rameaux, l'ont pour échange d'iceux restaurée de rameaux francz et domestiques, magistralement tirez de la langue greque, les quelz soudainement se sont si bien entez, et faiz semblables à leur tronc, que désormais n'apparoissent plus adoptifz, mais naturelz - » (p. 58). De la

' (( Quelque opiniâtre répliquera encores : Ta langue tarde trop à rece- voir ceste perfection. Et je dy que ce retardement ne prouve point qu'elle ne puisse la recevoir » (p 78).

- Du Bellay compare volontiers les langues à des plantes qu'il faut cultiver (p. o7, 69, 79). Cette image lui tient lieu d'argument.

116 JOACHIM DU BELLAY

sorte elle a poussé des (leurs et des fruits. S'il faut tant de labeur et d'industrie pour parfaire une langue, (( nous devons nous émerveiller si nostre vulgaire n'est si riche comme il pourra bien estre, et de la prendre occasion de le mépriser comme chose vile, et de petit prix? » (p. 58). Et du Bellay, dans un bel élan de j^atriotisme , prévoit le temps où, la France ayant grandi, la langue française, amplifiée et fortifiée, sera l'égale des langues anciennes : (( Le tens viendra (peut estre) et je l'espère moyennant la bonne destinée francoyse, que ce noble et puyssant royaume obtiendra à son tour les resnes de la monarchie, et ([ue nostre langue.... qui commence encor' à jeter ses racines, sortira de terre, et s'elevera en telle hauteur et grosseur, qu'elle se poura égaler aux mesmes Grecz et Romains, produysant comme eux des Homeres, Demosthenes, Virgiles et Cicerons, aussi bien que la France a quelquesfois pi'oduit des Pericles. Nicies, Alcibiades, Themistocles, Césars et Scipions » (p. 59).

L'avenir est donc plein de promesses, et notre langue est appelée aux destinées les plus brillantes. Mais à quelle con- dition ? A cette condition qu'on ne la tiendra plus pour négligeable et qu'on cessera de la sacrifier aux langues anciennes, à cette condition que tous les savants daigneront désormais la |)arler et l'écrire : (( J'ose bien asseurer, que si les scavans hommes de nostre nation la daignoint autant estimer que les Romains faisoint la leur, elle pouroit quel- quesfois et bien tost se mettre au ranc des plus fameuses )) (p. (j6). Et de là, les violentes invectives que lance du Bellay contre ceux qui s'obstinent à n'écrire qu'en latin, pour le plus grand dommage de leur langue maternelle. Il emploie deux chai)itres à combattre une erreur si coupable (I, II ; II, 12). 11 s'en prend aux ellorts laborieux et toujours inutiles des cicéroniens et des inrgilieiis. Il établit contre eux « (ju'il est impossible d'égaler les anciens en leurs langues »

LA « DEFFENCE DE LA LANGUE FRANCO YSE •)) 117

(p. 89), et raille avec vigueur ceux qui veulent ainsi faire du neuf avec du vieux : (( Que pensent doncq' faire ces reblan- chisseurs de murailles, qui jour et nuyt se rompent la teste à immiter, que dy-je immiter ? mais transcrire un Virgile et un Ciceron ? bâtissant leurs poëmes des hemystyches de l'un, et jurant en leurs proses aux motz et sentences de Tautre ?... Pensent ilz donques, je ne dy égaler, mais aprocher seulement de ces aucteurs, eu leurs langues ? recuillant de cet orateur et de ce poëte ores un nom, ores un verbe, ores un vers, et ores une sentence : comme si en la façon, qu'on rebatist un vieil édifice, ils s'attendoint rendre par ces pierres ramassées à la ruynée fabrique de ces langues sa première grandeur et excellence » (p. 90-92). On ne refait pas un édifice avec ses débris : c'est folie égale de prétendre ressusciter une langue ancienne. La science des mots, même la plus vaste, n'en livre pas tous les secrets, et l'on reste au-dessous des auteurs qu'on a pris pour modèles : « Ne pensez donques, immitateurs, troupeau servil, parvenir au point de leur excel- lence : veu qu'à grand'peine avez vous appris leurs motz, et voyla le meilleur de vostre aage passé » (p. 94)-

Du Bellay revient sur les mêmes idées dans le dernier chapitre de son ouvrage. Exhortation aux F?'ancq}'s d'écrire en leur langue (p. i53), et, reprenant un mot d'Horace, il déclare que s'appliquer à composer des œuvres grecques ou latines, c'est porter du bois à la forêt. On n'acquiert de gloire vraie et durable que dans la langue de sa patrie, et le meilleur moyen d'imiter les anciens, c'est de faire ce qu'ils ont fait : employer l'idiome maternel. S'ils eussent écrit en grec, Gicéron et Virgile auraient-ils égalé Démosthène et Homère? L'exemple des Italiens confirme ici celui des Romains. Pétrarque et Boccace ont beaucoup usé du latin : mais c'est à leurs œuvres toscanes qu'ils doivent leur renommée. Bembo lui-même, le chef reconnu des cicéroniens, s'est converti

H 8 JOACHIM DU BELLAY

spontanément à l'italien, illustrant par sa langue et son nom '. Enfin, pour emprunter aussi quelques exemples domes- tiques, « tous les scavans hommes de France n'ont point méprisé leur vulgaire » (p. log). Rabelais n'a-t-il pas fait renaître en sa langue tout l'esprit d'Aristophane et de Lucien? Guillaume Budé n'a-t-il pas écrit Y Institution du Prince ? et Lazare de Baïf n'a-t-il pas traduit vers pour vers l'Electre de Sophocle' ? Aux Français de marcher sur leurs traces, bien convaincus de cette vérité, « qu'il vavilt mieux estre un Achille entre les siens, quun Diomede, voyre bien souvent un Ther- site, entre les autres » (p. i6i).

Cette homérique comparaison termine la défense de la langue. On y voudrait plus de logique, une précision plus rigoureuse, une connaissance moins superficielle des mérites du français , de sa nature et de ses lois. Ce qui sauve un peu toutes ces faiblesses, c'est la pensée patriotique, le très sincère amour de l'auteur pour sa langue, son désir de la voir triompher, ^lassion ardente, violente, qui l'emporte, le soulève, lui dicte des accents d'une belle éloquence.

' Dcffeïicc, p, 158-la9. On retrouvera les mêmes idées dans une ode du Recueil de Poésie (1549), adressée à Madame Marguerite : D'escrire en sa langue (I, 240). V. plus loin, chap. viii, § iv.

- Deffence, p. Io9-160,

CHAPITRE IV

L « ILLUSTKATIOA DE LA LANGLE FliANÇOYSE »

1549

I. La partie théorique de la « Deffence ». Un nouvel art d'écrire : l'imitation des anciens et des Italiens posée en principe. Les moyens d'illustrer la langue. Insuffi- sance de la traduction. Nécessité de l'assimilation. Théorie de l'imitation empi-untée à Quintilien. Fonda- tion du classicisBùe. II. Une nouvelle conception de la poésie. Rupture avec l'école de Marot Proscription des vieilles formes rhé- toricales. Les nouveaux genres, petits et grands. Le sonnet, l'ode, l'épopée.

III. Les préceptes relatifs à la forme. A. Langue : les néolo-

gismes et les archaïsmes. B. Style : les tours et les figures. C Rythmique : le métré et la rime.

IV. Introduction de l'art dans la poésie. Élaboration de

l'œuvre d'art. Définition du vrai poète. Mépris du vulgaire. Sainteté de la poésie.

1

La Dejfence est surtout une poétique. Mais en même temps qu'un système particulier de poésie, elle formule très nettement une théorie générale de l'art d'écrire. Il ne faut pas s'y tromper : c'est bien la littérature tout entière qu il s'agit de fonder sur un principe nouveau. Quel principe ?

120 JOACHIM DU BELLAY

L'imitation de lAntiquité. Du Bellay le déclare de la manière la plus formelle : c'est en se mettant à l'école de la Grèce et de Kome qu'on pourra seulement illustrer notre langue, restée jusqu'à ce jour si débile et si pauvre : « Toutes per- sonnes de bon esprit entendront assez, que cela que j'ay dict pour la deflence de nostre langue, n'est pour decouraiger aucun de la greque et latine : car tant s'en fault que je soye de cete opinion, que je confesse et soutiens celuj' ne pouvoir faire œuvre excellent en son vulgaire, qui soit igno- rant de ces deux langues, ou qui nentende la latine pour le moins » (p. 89). Et quelques pages plus loin, il précise encore sa pensée : (( Je ne te puis mieux persuader d'y écrire [en notre langue], qu'en te montrant le moyen de l'enrichir et illustrer, qui est Vimmitation des Grecz et Romains ' « (p. 108). A cette imitation de l'Antiquité, la Pléiade ajoute par reconnaissance l'imitation de l'Italie. Les Italiens, en effet, ces disciples éminents des anciens, ont su faire œuvre d'art en marchant sur leurs tiaces, et leur litté- rature est un prolongement des deux littératures antiques : lorsqu'on est à ce point original, on mérite de servir de modèle \

Imitation de l'Antiquité classique et de l'Italie moderne voilà donc le principe de la nouvelle école. Mais comment entendre cette imitation ?

Un premier moyen se présente, c'est de traduire. Du Bellay le récuse. (( Utile et nécessaire » quand il s'agit de philoso- phie et de science, pour donner à la langue les vocables

' Celte pensée est plusieurs fois reproduite. P. 71 : «Se compose donq' celuy qui voudra enrichir sa langue, à l'imniitation des meilleurs aucteurs grecz et latins. » P. 100: « Sans l'immitation des Grecz et Romains nous ne pouvons donner à nostre langue l'excellence et lumière des autres plus fameuses. »

- Les modèles italiens sont cités constamment à côté des modèles antiques (p. 62, 65, 80, 109, 116, 117, 120, 132, l.jl, 158). Les Espagnols ne sont nommés que deux fois (p. 62 et 109).

l' « ILLUSTRATION I)K LA LANGUE FHANÇOYSE )) 121

philosophiques et scientifiques qui lui MKuu[uent ' (I, lo), hi traduction n'est pas un moyen d'illustration sullisant lorsqu'il s'ag'it (l'éloquence et de poésie (I, 5). Elle peut aider à V invention, en permettant à l'orateur comme au poète ifi^norant des langues étrangères de puiser des idées à la source si riche des anciens, qui les j)i"emiers ont eu (( l'intelligence pai'l'aile des sciences » (p. ()3). Pour Vé/ociilion, c'est bien différent : on peut à la rigueur transporter les idées, mais non pas l'expression qu'elles revêtent, « partie certes la plus diilicile, et sans la quelle tontes autres choses restent comme inutiles, et semblables à un glayve encores couvert de sa gayne » (p. 04). Ce qui fait le mérite de l'éloculion ne s'apprend point des ti'aducteurs : il est impossible, en ellet, de rendre les beautés d'un texte avec la même grâce dont l'auteur a usé : (( Chacune langue a je ne scay quoy propre seulement à elle, dont si vous efforcez exprimer le naïf en une autre langue, observant la loy de traduyre, qui est n'espacier point hors des limites de l'aucteur, vostre diction sera contrainte, froide et de mauvaise grâce » (p. (35). Vous qui lisez en leur langue Homère et Démosthène, Cicéron et Virgile, laissez l'original pour la traduction ! (( Il vous semblera passer de l'ardente montaigne d'^îlthne sur le froid sommet de Caucase » (p. <35). Et ce qui est vrai des langues anciennes ne l'est pas moins des autres langues. Qu'on suppose Homère et Virgile renais- sants : malgré tout leur génie, pourraient-ils arriver à traduire le toscan d'un Pétrarque? Ainsi, conclut du Bellay, a l'office et diligence des traducteurs, autrement fort utile pour instruyre les ingnorans des langues étrangères en la congnoissance des choses, n'est suffisante pour donner à la nostre ceste perfection.

* Remarquer toutefois l'importante restriction de l'auteur : « Encores seroy' je bien dopinion <{ue le scavant translateur list plus tost l'oflice de paraphraste que de traducteur, s'efforceant donner à toutes les sciences, qu'il voudra traiter, l'ornement et lumière de sa langue » ( p. 80).

122 JOACHLM nu BELLAY

et comme font les peintres à leurs tableaux, ceste dernière main que nous desirons » (p. 66).

La conclusion est des plus nettes ; mais, comme s'il n'avait pas tout dit. du Bellay revient à la charge et consacre encore un chapitre à blâmer les traducteurs de poètes (I, 6). Tradut- tore traditore : ce proverbe italien, il le prend à son compte et soutient qu'à l'égard des poètes, traduire, c'est trahir. Gom- ment faire revivre a ceste divinité d'invention qu'ilz ont plus que les autres », et qui marque leur excellence? Tous ces dons si rares, si précieux, a grandeur de style, magnificence de motz, gravité de sentences, audace et variété de tigures », enfin ce je ne sais quoi dont est fait le génie ' du poète, un traducteur ne peut pas plus les reproduire qu'un peintre sur sa toile Fâme d'un personnage. Translater les poètes est impie : et du Bellay de s'écrier, dans un beau mouvement de religieuse indignation contre un tel sacrilège : « O Apolon ! ô Muses! prophaner ainsi les sacrées reliques de l'Antiquité! - )) (p. 68).

D'où lui vient cet accès de colère, et pourquoi proscrit-il la traduction avec tant de rigueur ? Est-ce donc seulement pour garantir l'originalité de l'écrivain et réserver ses droits à l'invention ? Je le voudrais ; mais j'ai grand 'peur que ce soit surtout pour faire échec aux Marotiques. La « version » était fort en honneur dans l'école de Marot. Depuis que le maître avait dit qu'elle pouvait donner une grande (( décoration » à la langue ', depuis qu'il avait traduit lui-

' « Ne sçay quel esprit, qui est en leurs ecriz, que les Latins appelleroinl Genias » (p. 68).

- A noter la curieuse restriction qui tempère un peu cette intransio^eance : « Ce que je dy ne s'adroisse pas à ceux (|ui par le commandement des princes et grands seigneurs traduysent les plus fameux poètes grecz et latins: j)Ource que l'obéissance qu'on doit à telz personnaiges, ne reçoit aucune excuse en cest endroit » ( p. G8). Du Bellay se rappelait que François I" avait poussé plus que personne à la traduction. Cf. Deffence, p. 00-01.

' V. l'épître de Marot au Roi, touchant la Métamorphose d'Ovide. Édit. P. Januet, 111, 154.

l' (( ILLUSTRATION l)K LA LANGUK KKANÇO VSK )) li'{

nièinc une égloguc do A'irt;ile, deux livi'es des Métamor- phoses d'Ovide, le poème de Musée sur Héro et Léandre, et jusqu'à six sonnets de Pétrarque, ses disciples et ses émules, les Mellin de Saint-Gelays. les Michel d'Amboise, les Barthélémy Aueau, les Mliarlcs Fontaine, les Frant^-ois Habert, d'autres encore, s'étaient jetés à corps perdu dans la traduction, et Th. Sibilet ([ui, dans son Ai'l Poétique, consacrait à l'épopée quelques lignes insignifiantes, s'étendait longuement sur le genre en fas^eur ' : « La Version ou Traduc- tion, disait-il, est aujourd'huy le pôéme plus fréquent et niieus receu des estimés poètes et des doctes lecteurs, a cause que chacun d'eus estime grand (cuvre et de grand pris, rendre la pure et argentine invention des poètes dorée et enrichie de notre langue. » Et célébrant les mérites du traducteur, il ajoutait : (( Yrayemcnt celuy et son œuvre méri- tent grande louenge, qui a peu proprement et naïvement exprimer en son langage, ce qu'un autre avoit miens escrit au sien, après l'avoir bien conceu en sori esperit. Et luy est deue la mesme gloire qu'emporte celuy qui par son labeur et longue peine tire des entrailles de la terre le thresor caché, pour le faire connnun à l'usage de tous les hommes. Glorieus donc est le labeur de tant de gens de bien qui tous les jours s'y emploient. » Qu'on relise maintenant le chapitre de la Deffence contre les traducteurs de poètes : on com- prendra l'indignation de du Bellay.

Si la traduction est insuffisante pour élever notre langue au niveau des anciennes, comment donc pourrons-nous l'illus- trer ? Demandons aux Romains leur secret (1, 7). Par quels moyens ont-ils enrichi, jusqu'à l'égaler à la grecque, une langue primitiAement si chétivc ? Ils ont imité « les meilleurs aucteurs grecz, se transformant en eux, les dévorant, et,

' Liv. II, chap. 14.

124 .lOACHIM DU BELLAY

après les avoir bien digérez, les convertissant en sang et nouri- ture » (p. 69). Disons le mot : ils ont pratiqué Vassimila- tion. Gicéron s'est si bien pénétré des modèles helléniques qu'il a fait siennes l'abondance de Platon, la véhémence de Démosthène et la douceur d'isoerate ; et Virgile n'est devenu le premier poète de Rome ([ue pour s'être nourri d'Homère, d'Hésiode et de Théocrite. Suivons leur exemple. Nous avons deux modèles au lieu d'un, la Grèce et Rome : à nous de savoir en tirer profit.

G'est ici que se place la théorie de l'imitation, que du Bellay, par une faute inconcevable de composition, fractionne en deux chapitres, très distants l'un de l'autre (I, 8 ; H, 3). Hàtons-nous de le dire : cette théoi-ie n'a rien de personnel : du Bellay la copie tout entière dans Quintilien \ et la chose est piquante de surprendre cet ennemi des traductions en flagrant délit de traduction pure. Au surplus, rien ici ne saurait égaler l'éloquence d'un simple rapprochement de textes.

La théorie qui nous occupe se ramène aux points suivants :

L'imitation est le principe de l'art. Du Bellay : « n n'y a point de doute que la plus grand' part de l'ar- tifice ne soit contenue en l'immitation ; et tout ainsi que ce feul le plus louable aux anciens de bien inventer, aussi est ce le plus utile de bien immiter, mesmes à ceux dont la langue n'est encor' bien copieuse et riche » (p. 71-72). (Quintilien : « Non dubitari potest, quin artis pars magna contineatur imitatione : nani, ut invenire primum fuit est- que praecipuum, sic ea, quae bene inventa sunt, utile sequi ».

20 L'imitation est difficile. Du Bellay : (( Mais entende celuy qui vouth"a immiter, que ce n'est chose facile de bien suyvre les verluz d'un bon aucteur, et quasi comme se trans-

' Inst. Orat., X, :i.

l' « ILLUSTRATION DF. LA LANT.UK FKAiNÇOYSK )) 1^0

l'oi'iiier en luy, voii que la Nature niesiiie aux choses, qui paraissent tressemblables, n*a sceu tant faire, (|uc par quelque notte et différence elles ne ])uissent estre discernées )) (p. 72). Quintilien : a Tantani dillicultatem habet siinilitudo, ut ne ipsa quidem natura in hoc ita evaluerit, ut non res quae simillimae quaeque pares maxime videantur, utique discrimine aliquo discernantur. »

3" limitation doit porter- moins sur les mots que sur les choses. Du Bellay : « Je dy cecy, pource qu'il y en a beaucoup en toutes langues, qui sans pénétrer aux plus cachées et intérieures parties de Taucteur qu'ilz se sont pro- posé, s'adaptent seulement au premier regard, et s'amusant à la beauté des motz, perdent la force des choses » (p. ^2). Quintilien : « Hoc autem his accidit qui, non introspectis penitus virlutibus, ad primum se velut adspectum orationis aptarunt. ... Imitatio autein (nam saepius idem dicam) non sit tantum in verbis. »

L'imitation doit être Judicieuse, et quiconque la pratique doit savoir choisir ses modèles et choisir dans ses modèles mêmes. Du Bellay : Je ne veux pas (Lecteur) que sans

élection et jugement tu te prennes au premier venu Regarde

nostre immitateur premièrement ceux qu'il voudra immiter, et ce qu'en eux il poura, et qui se doit immiter.... Avant toutes choses, fault qu'il ait ce jugement de cognoitre ses forces, et tenter combien ses épaules peuvent porter » (p. 108- 112). Quintilien : (( Exactissimo judicio circa hanc partein studiorum examinanda sunt omnia : primum, quos imitemur ; tum in ipsis, quos elegerimus, quid sit ad quod nos eliicien- dum comparemus. ... Ergo primum est, ut quod iraitaturus est quisque intellegat et, quare bonum sit, sciât ; tum in susci- piendo onere consulat suas vires. ))

A la lumière de ces citations, on voit ce qui reste à du Bellay d'idées originales. Faut-il le blâmer d'avoir copié de

[2(J JOACHIM DU BELLAY

si près Quintilien ? Je lui ferais plutôt le reproche de ne ravoir pas copié jusqu'au bout, en négligeant l'importante restriction que le rhéteur latin apporte à sa doctrine : c'est que l'imitation par elle-même est insuflisante. et qu'elle ne doit pas entraver l'invention personnelle : « Ante omnia imitalio per se ipsa non suilîcit », etc. Pour avoir dédaigné celte réserve nécessaire, sa théorie est dangereuse et compromet gravement l'indépendance de l'éci'ivain : la distance est si courte qui sépare l'imitation de l'esclavage !

Malgré tout ce qu'elle a d'indécis et de vague, cette ihéoiie tle l'imitation fait époque dans notre histoire littéraire : c'est la première fois, en effet, que l'on formule en France une doctrine qui, tempérée, précisée, complétée, deviendra la pure doctrine classique. La Fontaine et Ghénier reprendront avec quel bonheur ! - pour les élargir et les vivifier, les idées chères à du Bellay. L'auteur de la Deffence, tout obsédé du souvenir de ses lectures, l'esprit encombré de choses confuses et mal digérées, n'a pas su définir d'une manière nette et vraiment personnelle l'exacte nature de l'imitation. Il n'en reste pas moins qu'en posant pour principe de la litté- rature nouvelle l'imitation de l'Antiquité, il a fondé le clas- sicisuie. Il est déjà dans la Dejfence, ce mot de La Bruyère : (( On ne sauroit en écrivant rencontrer le parfait, et, s'il se peut, surpasser les anciens ([ue par leur imitation '. »

II

Cette théorie générale de l'art d'écrire, du Bellay l'ap- plique spécialement à la poésie. Laissant de coté Vorateur, dont s'est occupé Dolet (I, i^), il s'en tient au pocfe, dont il va tracer, non pas un portrait idéal, à la mode de Platon,

' Des Ouvrages de l'Esprit, § 15.

l' « ILLUSTHATIOX I)K LA LANGL'E FRANÇOYSE » \ 11

mais un plan d'éducation pralif/iie (II, i). Beaucoup sans doute le reprendront d'avoir (( osé le premier des Francoys intro- duire cpiasi comme une nouvelle poésie » (p. loo). Mais ce reproche n'est pas fait pour l'arrêter : « J'ay tousjours estimé, dit-il, nostre poésie francoysc estre capable de quelque plus liault et meilleur style, que ccluy dont nous sommes si lon- guement contentez » (p. loi). Cette fière déclaration consomme sa rupture avec le passé.

Je n'ai pas à chercher pour l'instant si cette rupture fut en fait aussi complète et radicale que du Bellay le croyait et le voulait, et si la Pléiade n'hérita rien, en dépit qu'elle en eût, de (Uément Marot et de son école. Je rapporte simple- ment les intentions et les pensées de mon auteur, et je remarque ({ue cette proscription des poètes antérieurs est une conséquence logique du principe nouveau qu'il avait formulé. Dans sa théorie de l'imitation, il marquait avec soin qu'on doit se garder d'imiter dans la môme langue : « Gomme ce n'est point chose vicieuse, mais grandement louable, emprunter d'une langue étrangère les sentences et les motz, et les appro- prier à la sienne : aussi est ce chose grandement à reprendre, voyre odieuse à tout lecteur de libérale nature, voir en une mesme langue une telle immitation, comme celle d'aucuns scavans mesmes, qui s'estiment estre des meilleurs, quand plus ilz ressemblent un Heroet ou un Marot. Je t'amonneste donques (o toy, qui desires l'accroissement de ta langue, et veux exceller en icelle) de non immiter à pié levé, comme nagiieres a dict quelquun *, les plus fameux aucteurs d'icelle, ainsi que font ordinairement la plus part de notz poètes francoys, chose certes autant vicieuse, comme de nul prolict à nostre vulgaire : veu que ce n'est autre chose grande libéralité !> si non luy donner ce qui estoit à luy » (p. 72-^3).

* Sibilet, liv. II, chap. G : « Que tu imites à pied levé Saingelais es [odes] francoises. »

128 JOACHIiM DL" BKLLAY

Dans cette page, du Bellay ne reprenait pas seulement une expression de Sibilet, c'est surtout une de ses idées qu'il attaquait : a Lira le novice des Muses Françoises Marot, Saingelais, Salel, Heroet, Scéve, et telz autres bons espris, qui tous les jours se donnent et évertuent a l'exaltation de ceste françoise poésie \ » Se traîner constamment dans l'or- nière à la suite de Marot et des autres, sans jamais rien tenter de nouveau, voilà précisément ce que réprouvait l'au- teur de la Dejffence. C'est à cela que notre poésie devait d'être restée si médiocre : car il était impossible, avec des auteurs nationaux, de pratiquer cette assimilation qui pouvait seule la rajeunir et la féconder : « Quand à moy, si j'etoy' enquis de ce que me semble de notz meilleurs poètes fran- coys. ... je repondroy' quilz ont bien écrit, qu'ilz ont illustré nostre langue, que la France leur est obligée, mais aussi diroy-je bien, qu'on pouroit trouver en notre langue (si quelque scavant homme y vouloit mettre la main) une forme de poésie beaucoup plus exquise, la quele il faudroit chercher en ces vieux Grecz et Latins, non point es aucteurs francoys, pource qu'e/i ceux cj- on ne scaw^oit prendre que bien peu, comme la peau el la couleur : en ceux la on peut prendre la chair, les oz-, les nerj'z et le sang » (p. loG-io;;). On i^econnaît la métaphore.

Le principe de l'imitation des anciens a pour conséquence immédiate l'abandon des vieux genres poétiques, se cora- [)laisaiciit les rimcurs d'antan : (( Ly donques et rely premiè- rement (ô poëte futur), fueillette de main nocturne et jour- nelle les exenq»laires grecz et latins : puis nie laisse toutes ces vieilles poésies francoyses aux Jeuz Floraux de Thoulouze et au puy de llouan : comme Rondeaux, Ballades, Vyrelaiz, Chantz Hoyaulx. Chansons, et autres telles episseries, qui

' Liv. 1, chap. 3.

l' « ILLUSTKATION DE LA LANGUE FRANÇOYSE » 129

corrunipent le goust de nostre langue, et ne servent si non à porter lemoingnaige de noslre ignorance » (p, ii2-ii3). Episseries! le mot est dédaigneux et, dans sa rigueur, quelque peu injuste * ; mais il lait disparaître d'un seul coup, du champ de la poésie, des formes auxquelles Sibilet croyait encore devoir consacrer cinq chapitres de son ouvrage ".

Les vieux genres proscrits, par quoi va-t-on les remplacer? Par des genres nouveaux, que fournira l'Antiquité (II, 4)- Mais ici cependant une distinction est nécessaire. La Pléiade ne pouvait prétendre à renouveler tous les genres antiques, pour cette simple raison que d'autres avant elle avaient commencé le renouvellement. Marot tout le premier était entré dans cette voie en composant des épigramhies, des élégies, des épîtres, des satires, des églogues, et Sibilet, constatant la vogue de tous ces poèmes, en avait donné les règles précises '\ Allait- on, sous prétexte qu'ils avaient la faveur de Marot et de tous ses disciples, les exclure à l'instar des vieilles formes rhétoricales ? Le respect absolu qu'on professait pour les anciens ne permettait pas une pareille mutilation : l'Antiquité s'imposait tout entière. Du Bellay conseille au poète futur de pratiquer ces divers genres, mais à condition de les trans- poser, en les rapprochant de l'Antiquité plus que n'ont fait les Marotiques. On devra cultiver Vépigramme, non pas l'insipide et banal dizain d'un tas de faiseurs de contes, mais le trait d'esprit piquant à la Martial ; Yélégie, pourvu qu'elle soupire dans un style coulant, à la manière d'Ovide, de ïibulle et de Properce ; Yépître, si, quittant les sujets familiers, elle traduit désoi'mais des pensées graves ; la satire, à condition qu'elle ne soit plus le coq-à-Vdne

' Tahureau n'est pas i)lus respectueux, lorsqu'il parle des « triolets, virelais, rondeaux, ballades et autre telle espèce de vieille quinquaille roùillée». {Dialogues, édit. Conscience, p. Vi).

- Liv. II, cliap. 3, 4, 5, 0, 13.

^ Liv. II, chap. 1, 7, 8, 9.

Univ. de Lille. Tome VIU. A. y.

130 .lOACHlM DU Bf:!-LAY

et quelle scii prenne, comme chez Horace, aux vices du temps sans nommer les personnes ; Véglogiie enfin, mais l'églogue dont on trouve des modèles chez Théocrite, Virgile et Sannazar. Même ainsi rehaussés, pourtant, ces genres poétiques restent de petits genres, et ce uest pas que devra porter leilort de celui qui voudra vraiment illustrer sa langue.

Au-dessus d'eux, du Bellay place les gi'ands genres, et, comme on la dit, il est très classique davoir établi cette hiérarchie \ Les grands genres, c'est naturellement la poésie dramatique, la poésie lyrique et la poésie épique. Le culte de l'Italie y l'ait joindre le sonnet. Laissons le théâtre, du Bellay ne donnant qu'en passant le conseil de remplacer à l'avenir les moralités et les farces par des tragédies et des comédies ^ Trois formes surtout à ses yeux sont dignes de tenter le génie du poète : le sonnet, l'ode et l'épopée.

Ce qu'il dit de ces genres est d'une insuffisance notoire. Cinq lignes à peine sur le sonnet, pour marquer ses rapports avec l'ode ' : ingénieuse réplique à Sibilet, qui faisait du sonnet une façon d'épigramme " . Cette fois encore, du Bellay cède au besoin de relever en dignité une forme dont l'école de Marot n'avait pas senti toute la valeur. Certes, il n'a pas tort d'en faire tant de cas, et bien qu'il n'ait pas vu qu'il y avait peut-être quelque inconséquence à proscrire la ballade et le rondeau, poèmes fixes, pour leur substituer le sonnet, autre poème fixe, je conçois qu'il ait été séduit par la beauté de cette forme si puremfjnt harmonieuse. Mais pourquoi s'en est-il expliqué avec tant de sécheresse ?

' Faguet. Seizième siècle, p. 217-219.

- Deffence. p. 118.

•' Deffence, p. IIG : « Sonne nioy ces beaux Sonnets, non moins docte que plaisante invention italienne, conforme de nom à l'Ode, el diflerente d'elle seulenienl pource que le Sonnet a certains veis reiglez et limitez : et l'Ode peut courir par toutes manières de vers librement.»

' Art Poétique, liv. II, chap. 2 : « Le Sonnet suit lEpigramme de bien près, et de matière, et de mesure. »

l' « ILLUSTRATION DE LA LANGUE l'HANÇOYSE )) l3l

Sa conception de Tode est reprise d'Horace :

Musa dedil lîdibus divos puerosquc deorum,

Et pugilem victorein et cquum certamine priinuiu,

Et juvenuni curas, et libéra vina ret'erre '.

(( Te fourniront de matière les louanges des dieux et des hommes vertueux, le discours iatal des choses mondaines, la solicitude des jeunes hommes, comme l'amour, les vins libres, et toute bonne chère » (p. ii4)- Sujets héroïques et mytholo- giques, sujets philosophiques et moraux, sujets erotiques et bachiques, tel est le domaine de l'ode : pas un instant du Bellay ne songe à se demander si le lyrisme nest point avant tout l'expression poétique de sentiments personnels. Et cette ode qu'il conçoit tout antique, il la veut aussi très relevée de forme, écrite en beau style, éclatante de figures et d'images : (( Sur toutes choses, prens garde que ce genre de poëme soit eloingné du vulgaire, enrichy et illustré de motz propres et epithetes non oysifz, orné de graves sen- tences, et varié de toutes manières de couleurs et ornementz poétiques » (p. ii5). Il ne l'imagine pas sans imitations ou réminiscences de Pindare et d'Horace : (( Qu'il n'y ait vers, ou n'aparoisse quelque vestige de rare et antique érudition » (p. ii4). Dans la haute idée qu'il s'en fait, il n'admet pas qu'on la ravale, comme Sibilet ", et qu'on aille citer pour des modèles d'odes de vulgaires chansons de Saint-Gelays '.

Quant à l'épopée, « le long poëme françoys », dont Sibilet

* Epist. ad Pisones, 83-85. - Liv. II, chap. 6.

* Des trois pièces raillées par du Bellay (p. 115), deux {Laisses la verde couleur et O combien est heureuse) sont des chansons de Saint-Gelays, précisément données par Sibilet comme modèles de chants lyriques. Quant à la troisième (Amour avecques Psychés], c'est une pièce de Pcrnette du Guillet. Du Bellay avait pu les lire toutes trois dans un recueil publié par Jean de Tournes (Lyon, 1545, l.:47, 1548) : Deploration de Venus sur la mort du bel Adonis. Avec plusieurs chansons nouvelles. V. liev . d'hist. litl. de- là France, 1896, p. 97.

132 JOACHIM DU BELLAY

ne dit qu'un mot pour constater la pénurie nous sommes (( d oeuvres grans et héroïques * », du Bellay l'honore de tout un chapitre (II, 5). et nous avons le point de départ de cette idée fixe qui régnera chez nous trois cents ans : c'est que l'épopée est le poème par excellence, et que sans épopée une littérature est toujours inférieure. Pour du Bellay, le poète épique est celui qui fera vraiment hausser la tète à notre pauvre langage et lui permettra de s'égaler a d'un brave sourcil )) aux « superbes » langues grecque et latine. Mais combien dillicile est son œuvre ! et quels dons il lui faut réunir pour en venir à bout ! Ce n'est pas assez d'avoir reçu du ciel u une excellente félicité de nature )), d'être instruit à fond des arts et des sciences, versé dans la culture des bons auteurs anciens : il faut qu'il sache la vie humaine et qu'il ait encore favora- bles toutes les conditions matérielles : qu'il soit d'un rang moyen, ni trop liant ni trop bas, pour ignorer également et les soucis du « régime public » et le tracas des « affaires domestiques » ; qu'il jouisse du repos, de la tranquillité d'esprit ; que la protection des rois et des princes le mette à cou^ ert de tous les besoins : car c'est une œuvre labo- rieuse (ju'il entreprend, (( et quasi de la vie d'un homme )) ! Du BeHay [)arle bien, et non sans émotion, de la gloire innnortelle réservée au poète qui dotera la France d'une épopée ; mais il ne lui dit pas les moyens d'y atteindre. S'in- spirer d'Homère, de ^'irgile et d'Arioste, et puiser son sujet dans vm de nos locaux vieux romans, tels que Lancelot ou Tristan : voilà tous les conseils qu'il lui donne. \u l'impor- tance de la matière, on conviendra que c'est peu.

La nouvelle poésie étant ainsi constituée dans son fond par un ensemble de petits genres et de grands genres, il faut la parer, à l'exemple des anciens, de tous les ornements de la langue, du style et du mètre.

1 Liv. II, chap. 14.

L' (( ILLUSTRATION Dli LA LANGUE l'HANÇOYSE » 133

C'est ici la partie la plus faible de cet art poétique. Après ses attaques contre les rimeurs de la vieille école, on était en droit d'attendre du réformateur un certain nombre de préceptes mûrement réfléchis, clairement formulés, tout ensem- ble précis et pratiques. Mais la logique et la méthode ne sont pas, on le sait, les qualités maîtresses de la Deffence. Rien ne montre mieux combien, en 1049, les idées de la Pléiade étaient encore sur bien des points vagues et incom- plètes, que les lacunes du manifeste touchant cette question, cependant capitale, de la forme en poésie. De ces idées mieux définies, plus consistantes, se forma par la suite un système, une doctrine véritable, qui s'exprime assez bien dans les œuvres théoriques de Ronsard. Je n'ai pas à retracer tout entière la poétique de la Pléiade, mais à montrer lesquelles de ces idées se trouvent déjà dans la Deffence. Je le ferai suivant Tordre logique, en groupant sous trois chefs les pré- ceptes épars relatifs à la forme.

A. LANGUE (II, 6).

Du Rellay ne dit pas nettement ce que dira Ronsard : (( Plus nous aurons de mots en nostre langue, plus elle sera parfaicte'. » Mais au fond c'est sa pensée. Par quels moyens conseille-t-il de l'enrichir ? Il n'est question dans la Deffence ni des dialectes ni du provignement. Tout compte fait, les procédés d'enrichissement sont au nombre de deux, et tous les deux viennent d'Horace : i" inventer des mots nouveaux : 1" rajeunir des mots anciens.

a) Les Néologisrnes. Du Bellay, reprenant la théorie fameuse d'Horace sur les créations de mots '\ recommande

1 Art Poétique (loGo). Blancliemain, Vil, 333. - Epist. ad Pisones, 48-o3.

134 JOACHIM DU BELLAY

au poète « d'inventer, adopter et composer à l'immitation des Gréez quelques niotz franeoys, comme Ciceron se vante d'avoir fail en sa langue » (p. laS). Les anciens, plus riches que nous sans comparaison, nous ont eux-mêmes donné l'exemple, en usant fréquemment (( de motz non acoutumés es choses non acoutumées ». Dans une langue aussi pauvre que la nôtre, le poète futur sera souvent gêné pour traiter bien des choses qui n'ont pas encore été traitées, s'il n'obtient pas les mêmes droits : pourquoi lui serait-il défendu d'user de quelques mots nouveaux, lorsque la nécessité l'y contraint ? (p. 126- 127). On a mainte fois jugé dangereux ces emprunts de vocables à des langues étrangères. Sans discourir de ce qu'ils ont de légitime, remarquons en passant que sur ce point du Bellay s'est montré plus circonspect qu'on ne le croit généralement, et qu'il a soin de tempérer la hardiesse de son conseil par une sage restriction : « Ne crains donques, poëte futur, d'innover quelques termes, en un long poëme principa- lement, avecques modestie toutes/ois, analogie, et Jugement de V oreille^ » (p. 127). En ce qui touche particulièrement les noms propres, du Bellay veut qu'(m les accommode à son vul- gaire, entendez qu'on les francise : les transcrire tels quels du latin ou du grec, ce serait (( appliquer une pièce de velours verd à une robe de velours rouge » (p. 128). On dira donc Hercule et Thésée, non Hercules et Theseus. Mais la chose n'est pas toujours possible : il est des noms qu'on ne peut franciser (Mars, Vénus, Jupiter). Ici encore, c'est affaire de jugement et d'harmonie : (t Tu doibz user en cela de juge- ment et discrétion.... Je renvoyé tout au jugement de ton

* Sibilet, qui parle aussi de cette question, enjoint de même au futur poète « qu'il soit rare et avisé en la novation des nios », et. s'il est contraint d'en emprunter, « qu'il le face tant modestement et avec tel jugement, que l'aspreté du mot nouveau n'égratijjne et ride les aureilles rondes. » Liv. I, chap. 4.

l' (( ILLUSTRATION DE LA LANCUK FHANÇOYSE )) 135

oreille ' » (p. 128-129). Cette réserve faite, l'auteur ajoute encore : (( Quand au reste, use de luotz purement francoys ». 11 n'était pas de ceux qui voulaient en français parler grec et latin.

b) Les Archaïsmes. Horace avait dit : Multa renascentur qiiae jain cecidere ^ Du Bellay conseille de puiser dans nos vieux romans et nos vieux poètes, pour les faire revivre, quelques-uns de ces mois « ([ue nous avons perduz par notre négligence » : par exemple ajourner (faire jour), anuiter (faire nuit), assener (frapper), isnel (léger). Enchâssés dans les vers, ces mots d'autrefois auront l'éclat de pierres pré- cieuses. Il faut cependant que l'usage en soit modéré ' (p. 129-130).

B. STYLE (II, 9).

L'idée chère à la Pléiade, on le sait, c'est la création d'un style poétique, qui sépare nettement les vers de la prose. Ronsard le dira de façon formelle : « Le style prosaïque est ennemy capital de l'éloquence poétique * ». Cette préoccupa- tion conduit l'auteur de la Deffence à formuler un certain nombre de préceptes sur le style qui convient à la poésie. Il faut distinguer ici les tours et les figures.

a) Les Tours. Entre autres tours, le poète devra s'atta- cher aux manières de parler que voici :

I" User de l'infinitif pour le nom : l'aller, le chanter, le vivre, le mourir.

' Cf. Ronsard, Art Poétique, VII, 320 et 33n.

- Epist. ad Pisones, 70.

3 « Ne doute point ([ue le modéré usaige de telz vocables ne donne grande majesté tant au vers comme à la prose » (p. 130). Du Bellay revient sur cette question des archaïsmes dans l'épître-préface à Morel qui précède son recueil de loo2. Il sappUuuUt d'avoir usé de cerve (biche), gal- lées (galères), endementiers (cependant), carro/anf (dansant), « et autres, dit- il, dont l'antiquité me semble donner quelque majesté au vers, principale- ment en ung long poème, poiirveii toutcsfois que Vusay ' n'en soit imno- deré » (I. 337).

^ préf. de la Franciade. Blanchemain, III, l(î.

136 JOACHIM DU BELLAY

2" Employer l'adjectif substantivé : le liquide des eaux, le vide de l'air, le frais des ombres, Vépais des forêts, Venroué des cymbales.

3'' Construire avec l'infinitif des verbes et participes qui de leur nature n'admettent pas une telle construction : trem- blant de mourir, pour craignant de mourir ; volant d'y aller, pour se hâtant d'y aller.

User de l'adjectif pour l'adverbe : ils combattent ob- stinés, pour obstinément ; il vole léger, pour légèrement.

Se garder d'omettre les articles. Ronsard ajoutera : les pronoms personnels *. On sait combien cette double omis- sion est fréquente chez Marot.

b) Les Figures. La vertu de Télocution, suivant du Bellay, gît « aux methaphores , alegories, comparaisons, similitudes, énergies, et tant d'autres figures et ornemens, sans les quelz tout oraison et poème sont nudz, manques et débiles » (p. 64). Gela revient à dire qu'il faut orner le style des vers de toutes les figures, pour qu'il soit le plus brillant, le plus éclatant, le plus imagé possible. Ainsi le poète usera souvent de l'antonomase : il dira le Père foudroyant, pour Jupiter; le Dieu deux fois né, pour Bacchus ; la Vierge chasseresse, pour Diane. 11 enq)loiera des épithètes caracté- ristiques : la flamme dévorante, les soucis mordants . Il aura recours aux comparaisons les plus variées. La connaissance des métiers lui sera sur te point fort utile : « Encores te veux-je advertir de hanter quelquesfois. non seulement les scavans, mais aussi toutes sortes d'ouvriei-s et gens méca- niques, comme mariniers, fondeurs, peintres, engraveurs, et autres, scavoir leurs inventions, les noms des matières, des outilz, et les termes usitez en leurs ars et mé- tiers, pour tyrer de la ces belles comparaisons et vives

' Art Poétique. Blancheniain, VII, 329.

L' (( ILLUSTRATION 1)K LA LANGUE FHANÇOVSE )) 137

descriptions de toutes choses ' )) (p. i47). C'est ainsi que les termes techniques entreront dans la langue poétique et seront pour eUe un nouveau moyen d'enrichissement.

C. RYTHMIQUE (11, -, S, 1»).

Du liellay fait de Vharinonic la loi souveraine des vers : (( Regarde principalcmeid (ju'cn ton vers n'y ait rien dur, hyulque, ou redundant. Que les périodes soient bien joinclz, numereux, bien remplissans l'oreille » (p. i43). Il n'a pas tort. Mais en dehors de ce précepte très général, je ne vois rien de bien nouveau dans la Deffence^ concernant les questions de rythmique. Les préceptes de détail sont à peu près insignifiants .

à) Le Mèlvc. La variété des mètres est infinie : « Quand aux espèces de vers.... elles sont aussi diverses que la fantasie des hommes et que la mesme nature )) (p. i38- iSq). Cette variété des mètres est un des éléments de la poésie lyrique : « L'Ode peut courir par toutes manières de vers libre- ment, voyre en inventer à plaisir » (p. 117). Touchant les vers considérés isolément, la Deffence est muette. Chose singulière : il n'est pas même question de l'alexandrin, qui ne devienth'a que plus tard, vers i5.55, le mètre favori de la Pléiade. Le vers décasyllabe reste toujours le vers héroïque, et du Bellay se borne à demander qu'on en marque mieux la césure -. Le seul point à noter, c'est le conseil aussi bizarre qu'obscur d'acclimater chez nous l'hendécasyllabe : (( Adopte moy aussi en la famille francoyse ces coulans et mignars hendecasyllables, à l'exemple d'un Gatule, d'un Pontan, et d'un Secund : ce que tu pouras faire, si non en quaniité, pour le moins en nombre

' Cf. Ronsard. VII, 321 ; III, 20 et M.

Il estime défectueuse la coupe de ce vers, qui est précisément un vers de Sibilet : Si non que tu \ en montres un plus seur (p. 142).

138 JOACaiM DU BELLAY

de sj'llahes » (p. ii8). C'est d'ailleurs un conseil qui resta lettre morte '.

b) La Rime. Je ne suivrai pas du Bellay dans ses ex- plications plus ou moins embrouillées sur le sens du mot l'ime (\( rj-lhine ») * ; encore moins dans ce qu'il dit de l'in- vention des vers rimes, due, selon Jean Lemaire de Belges, à Bardus V, roi des Gaules (p. i35). Sans se prononcer abso- lument contre les vers blancs ■', du Bellay voit dans la rime une nécessité dont on peut difficilement s'afFranchir : elle est pour nous ce quêtait pour les anciens la quantité. Ses pré- ceptes sur la rime sont au nombre de trois :

1" Il faut que la rime soit riche sans être contrainte. Du Bellay n'admet pas qu'aux dépens du sens ou de la rai- son, on fasse rimer ensemble éminent et imminent, miséricor- dieusemeni et mélodieusement . Il proscrit la rime équivoque, si chère aux vieux rhétoriqueurs. Il proscrit de même la rime du simple et du composé (baisser., abaisser). C'est juste- ment le contre-pied des prescriptions de Sibilet *.

2" Il faut se contenter de la rime pour l'oreille et sans

' V. Plôtz, op. cit., p. 40.

- Sur ce point, cf. du Bellay, II, 8, et Sibilet, I, 2.

^ Sibilet, parlant des vers sans rimes (liv. 11, chap. 15), remarque que Bonav. des Pcriers est chez nous le seul poète qui les ait hasardés (tra- duction de la 1" Satire d'Horace en octosyll. non rimes). Avant des Périers, Pétrarque en avait fait, mais en sextines : « Si tu veus faire des vers non rymez, dit-il, et t'aider de l'exemple de Pétrarque, fay les en Sestines comme luy. Car l'authorité de Bonaventure des Périers seroit basse pour faire trouver hors Sosline bons ces vers, qui sans ryme demeurent autant froys. comme un corps sans sanj^ et sans ame. » Du Bellaj', s'autorisant de Pétrarque et d'Alamanni, croit qu'on pourrait à la rigueur faire des vers non rimes, pourvu qu'ils fussent « bien charnuz et nerveux, afin de compenser par ce moyen le default de la rj'thme » (p. 1,32). Les essais de la Pléiade en ce genre sont d'ailleurs presque nuls : un sonnet de du Bellay {Olive, s. 114). une ode de Ronsard (Blanchemain, II, 212).

* Liv. l, chap. 7: o Geste espèce de ryme en équivoque... comme elle est la plus diiricile, aussy est elle moins usitée : et ne laisse pourtant a estre la plus élégante )>. « Avise toy cependant que tu peus rymer bien et deuement le simple contre le composé, combien que aucuns vœillent soutenir le contraire, mais sans apparence de raison ».

L' « ILLUSTRATION DE LA LANGUK FRANÇOYSE ^) ['AU

scrupule accouplei' , par exemple , inailre et prêtre , Atlicnes et fontaines, connaître et naître.

Il faut se garder de faii-e i-imer des mois longs et des mots bi'ei's, comme passe et trace, maître et mettre.

Quant à l'alternance des rimes masculines et Icmiuines, observée par Marot dans ses Psaumes, et qui sera plus tard un des principes de la Pléiade, du Bellay l'approuve, mais sans en faire un dogme : « 11 y en a qui fort supersticieu- seraent entremeslent les vers masculins avecques les féminins, comme on peut voir aux Psalmes traduictz par Marot. Ce qu'il a observé (comme je croy') afin que plus facilement on les peust chanter, sans varier la musique, pour la diversité des meseures, cjui se trouverroint à la fin des vers. Je treuve cete diligence fort bonne, pourveu que tu n'en faces point de religion, jusques à contreindre ta diction, pour observer telles choses ' )) (p. 142-143). Cette dernière phrase nous montre un poète qui n'entend pas sacrifier à des règles tyranniques sa liberté d'inspiration.

IV

Quelc|ue incomplets que soient les préceptes contenus dans la Deffence, pourtant il s'en dégage cette inqoression nette : c'est qu'un élément nouveau, Y art. s'introduit dans la poésie. Qu'est-ce en somme que la Deffence ? Un hymne à l'art. Nul n'est poète sans art. Non que du Bellay supprin)e la nature. Dans la question souvent discutée des rapports de

' Cf. son avis au Lecteur, en tôle des Vers Lyriques i)iil)liés avec la Deffence : a Je n'ay (Lecteur) entremellé foi't supersticieusement les vers masculins avecques les féminins, comme on use en ces vaudeviles et chan- sons qui se chantent d'un mesme chant, par tous les coupletz, craignant de contreindre et geliinner ma diction pour l'observation de telles choses. Toutesfois. allin que tu ne i)onses que j'ayc dédaigné ceste diligence, tu trouveras quelques Odes, dont les vers sont disposez avecques telle reli- gion » (I, 175).

liO JOACHI.M UU BELLAY

lart et de la nature, il estime, avec Gicéron et Quintilicn, « le naturel faire plus sans la doctrine que la doctrine sans le naturel ». (p. 109). Mais il le proclame très haut : (( le naturel nest suffisant à cehij' qui en poésie veult faire œuvre digne de Vimmortalité » (p. 108). Il lui faut encore le secours de l'art : (( Qu'on ne m'allègue point aussi que les poètes naissent', car cela s'entend de ceste ardeur et allégresse desprit, qui naturellement excite les poëtes, et sans la quele toute doctrine leur seroit manque et inutile. Cer- tainement ce seroit chose trop facile, et pourtant contemptible, se faire éternel par renommée, si la félicité de nature, donnée mesmes aux plus indoctes, étoit suffisante pour faire chose digne de l'immortalité. Qui veut voler par les mains et bouches des hommes, doit longuement demeurer en sa chambre : et qui désire vivre en la mémoire de la postérité, doit comme mort en soy mesmes suer et trembler maintes- fois : et autant que notz poètes courtizans boyvent, mangent et dorment à leur oyse, endurer de faim, de soif et de lon- gues vigiles. Ce sont les esles dont les ecriz des hommes volent au ciel » (p. iio-iii). Cette page est fort belle : jamais encore on n'avait dit avec de tels accents le devoir laborieux qui s'impose au poète, le mépris de la tâche trop facile, la sainte religion de l'art.

En quoi consiste cet 'art ? Dans la (( cogitation » et dans r (( émendation » (II, ri). Il faut tout d'abord méditer son œuvre. Sur ce point, on ne peut établir d'autre règle que le (( plaisir » et la (( disposition )) de chacun : lorsqu'ils com- posent, les uns recherchent les forêts, les ruisseaux et les prés ; les autres préfèrent le secret des chambres, les doctes cabinets d'études, les mystéx'ieuses bibliothèques. Ce qu'il faut avant tout, c'est la solitude , le silence ami des Muses.

' Allusion à l'adage : Fiant oratores, poetae nascnntnr, invoqué par Sibilet, liv. 1, chap. 3.

L' (( ILLUSTRATION DE LA LANGUE FRANÇOYSE )) 141

le recueillement qui favorise Tinspiration, cette (( fureur divine » sans laquelle nul ne doit espérer faire chose qui dure. Mais l'œuvre éclose, rémendation doit intervenir pour la corriger : « lollice d'elle est ajouter, oter, ou muer à loysir ce que cete première impétuosité et ardeur d'écrire n'avoit permis de faire » (p. 14G). 11 faut façonner longuement ses écrits, les lécher, comme l'ours ses petits, sans pour- tant lonjber dans l'excès et pousser ce scrupule jusqu'à la superstition '. 11 est bon enfin d'avoir un ami savant, dévoué, fidèle -, qui puisse connaître vos fautes, vous les signaler en toute franchise, sans crainte de blesser votre amour-propre, qui joue en un mot vis-à-vis de vous le rôle salutaire d'un censeur.

C'est par l'application de tous les préceptes ci-dessus énon- cés que se formera le (( poète futur », non plus ce rimeur pour qui la poésie n'est qu'une distraction et qu'un passe- temps, qui ne veut qu'amuser son public sans exciter en lui d'impressions profondes, et dont tout l'idéal est de plaire aux seigneurs de la Cour, aux gentilshommes, aux damoi- selles \ mais un écrivain qui fait de son art presque un sacerdoce, et qui, unissant le génie et la science, le naturel et la doctrine, veut agir fortement sur les autres et se rendre maître de leurs àraes. Du Bellay trace ainsi le portrait du poète de l'avenir : (( Saiches, Lecteur, que celuy sera véritable- ment le poêle, que je cherche en nosti'e langue, qui me fera indigner, apayser ejouyr, douloir, aymer, hayr, admirer, étonner, bref, qui tiendra la bride de mes alFections, me

' Cf. 2' préf. de l'Olive {I, 73).

- Du Bellay ajoute : « voire trois ou quatre ». 11 y a comme un écho de ce qui devait se passer, j'imagine, au Collège de Coqueret.

3 Cf. Muret, préface de Jiwenilia (1552), p. 9 : « Qui se vernaculo nostro sermone poetas perhiberi volebant, perdiu ea scripsere quae deleclare modo ociosas mulierculas, non ctiam eruditorum hominum studia tener? possent. ))

142 JOACBIM DU BELLAY

tournant ça et la à son plaisir. Yoyla la vraye pierre de touche, ou il fault que tu épreuves tous poëmes et en toutes langues » (p. i5i). « Admirable définition, dit M. Petit de JuUeville, et, après tout, la seule vraie. Car les cadres et les genres sont changeants et passagers ; les procédés de ver- sification varient à rinfini ; on définit le riineur par les règles quil observe. Mais on ne définit le poète que par le charme qu'il exerce et par rémolion qu'il excite *. »

La Dcffence devrait se terminer sur celte belle pensée. Pourquoi faut-il que du Bellay, dans son horreur pour le vulgaire, ait limité de parti pris la libre fantaisie du poète en lui faisant une loi de rompre avec la foule ? « Seulement veux -je admonnester celuy qui aspire à une gloyre non vul- gaire, s'eloingner de ces ineptes admirateurs, fuyr ce peuple ignorant, peuple ennemy de tout rare et antique scavoir : se contenter de peu de lecteurs à fexemple de celuy, qui pour tous auditeurs ne demandoit que Platon, et d'Horace, qui veult ses œuvres estre leuz de trois ou quatre seulement, entre les quelz est Auguste - » (p. i5i-i52). Certes, une telle déclaration ne surprend pas de la part d"un poète qui s'écriait :

Rien ne me plaist, fors ce qui peut déplaire

Au jugement du rude populaire ^

* Ghap. I s\ir la llonaissance , p. 19, clans le Seizième siècle de la grande Histoire de la littérature française .

- Rapprocher de ce passage ce que disait du Bellay la même année, à la lin de la 1" prêt", de l'Olive : « Je ne eerche point les applaudissemens populaires. Il nie suflit pour tous lecteurs avoir un S. Gelays, un Heroët, un de Ronsart, un Caries, un Sceve, un Douju, un Salel, un iMartin, et si quelques autres sont encor' à mettre en ce ranc. A ceulx la s'addressent mes petiz ouvraiges » (I, 69>. Les poètes de la Pléiade ont maintes fois renouvelé ces déclarations s'afliche le mépris du vulgaire. Je citerai simplement dans le nombre ce passage de Ronsard (1564) : « Si vous esti- mez que je sois désireux de la faveur du vulgaire, vous vous trompez beaucoup; car le plus grand desplaisir que je soaurois avoir en ce monde, c'est d'estre estimé ou recherché du peuple. » (Blanchemain, Vil, 143).

' De L'immortalité des poêles, au seigneur Bouju (I, 205).

l' « ILLUSTRATION nE LA LANGUE FRANÇOYSE » 143

Mais combien elle est regrettable ! et coin nie elle gâte les meilleures intentions du réformateur ! C'était bien la peine, vraiment, cVallranchii' la poésie du caprice des gens de cour, pour en faire l'apanage exclusif des savants, de lui donner comme domaine l'universel, pour la restreindre tout aussitôt à l'usage d'une élite ! Au surplus, on a si souvent redit les dangers de cette aristocratique conception, qu'il est inutile de marquer une fois de plus tout ce que perd la })oésie à se séparer ainsi de la foule.

Je ne voudrais pas finir sur une critique. J'aime mieux rappeler pour conclure ce qui fait le mérite souverain de la Deffence et son incontestable valeur. Le petit opuscule de i54g est un plaidoyer magnifique, chaleureux, enthousiaste, qui célèbre excellemment la beauté, la dignité, disons le mot, la sainteté de la poésie. C'était la première fois chez nous que quelqu'un avait le cœur si pénétré de sa grandeur auguste, parlait avec cette éloquence de son pouvoir sacré, de sa divine mission. En vain a-t-il voulu que les Muses restassent étran- gères à la foule : par la vertu puissamment séductrice de sa parole, l'auteur de la Deffence les a ramenées sur la teri^e ; il les a rendues familières aux Français qui les avaient mécon- nues tant de siècles ; il a si bien scellé leur union avec eux que jamais plus, depuis cette époque, les chastes déesses ne sont remontées dans le ciel.

\

CHAPITRE V

L'ATTAQUE DE LA « DEFFENCE »

ET

LA DÉFENSE DE LA « DEFFENCE »

1549-1550

I. La guerre contre l'ignorance. Résistance des disciples de

Marot. La préface de Iphigène » de Sibilet il349j. II. Guillaume des Autelz et sa « Réplique aux furieuses défenses de Louis Meigret » (1350'.

III. Le « Quintil Horatian » de Barthélémy Aneau (1330).

IV. Défense de la « Deffence » : la seconde préface de l'a Olive »

(1330). V. Deux poèmes polémiques : la « Musagnœomachie » et 1 Ode â Ronsard « Contre les envieux poètes » (1330).

I

« Ce l'ut une belle j^uerre, que Ion entreprit lors contre l'ignorance. » C'est en ces ternies qu'Etienne Pasquier ^ parle de la révolution accomplie dans les lettres par la DeJJ'ence.

Une guerre ? Oui : le mot n'est i)as trop lort. Du Bellay

liée h. de la France, VI, 7.

l'attaque de la (( DEKKliNCE )) 145

lui-même avait sonné la charge dans les dernières lignes de son manifeste : « La donques, Francoys, marchez couraigeu- sement vers cete superbe c-ilé romaine : et des serves dépouilles d'elle (connue vous avez lait plus d'une fois) ornez voz temples et autelz. Ne craignez plus ces oyes cryardes, ce fier Manlie et ce traitre Gamile, qui, soubz umbre de boniuî foy, vous surprenne tous nudz contans la rançon du (^apitoie. Donnez en cete Grèce menteresse, et y semez encor un coup la fameuse nation des Gallogrecz. Pillez moy sans con- science les sacrez thesors de ce temple delphique, ainsi que vous avez fait autrefoys : et ne craignez plus ce muet Apollon, ses faulx oracles, ny ses (lesches rebouchées. Vous souvienne de votre ancienne Marseille, secondes Athènes, et de votre Hercule Gallique, tirant les peuples après luy par leurs oreilles avecques une chesne attachée à sa langue » (p. i6i- 162). Cette éloquente exhortation, hérissée d'expressions mili- taires, avait l'énergie d'un appel aux armes. Sus aux anciens ! clamait du Bellay, jetant le cri de guerre. Mais dans Tar- deur farouche de sa marche en avant, il passait sur le corps de tous ceux qu'il trouvait devant lui, se dressant à chaque pas et lui barrant la route, et l'on ne pouvait espé- rer que ces gens-là se laisseraient écraser et piétiner sans opposer la moindre résistance.

L'apparition de la Dejfence produisit chez les disciples de Marot un mouvement de stujjeur et de colère, et l'on songea tout aussitôt à la riposte. L'œuvre était trop violente, trop remplie d'allusions personnelles, d'attaques à peine déguisées, d'intentions nettement batailleuses, pour ne pas provoquer de fortes protestations et de véhémentes répliques. Et de là, une querelle littéraire des plus vives, comparable en son genre à celle des anciens et des modernes, ou bien encore à celle des classiques et des romantiques. Moins heureuse que les autres, cette querelle n'a pas trouvé son historien.

Univ. de Lille. Tome VI 11 A. 10.

146 JOACHIM DU BELLAY

Je souhaite qu'elle le trouve quelque jour. A qui voudra tenter ce sujet peu connu, rien ne fera défaut, ni l'intérêt de la matière, ni l'abondance des documents.

Pour moi, je me bornerai simplement à retracer le rôle que joua dans l'afl'aire Joacliim du Bellay. J'examinerai plu- sieurs des pamphlets qui furent lancés contre la Deffence , et je dirai comment il répondit aux critiques quon faisait de son livre. Même ainsi limitée, la question est encore assez vaste.

La première riposte, à ma connaissance, vint de Sibilet. C'était justice : le théoricien de VArt Poétique avait trop souvent été pris à partie par le novateur de la Deffence pour ne pas répliquer. Bien qu'il ne fût désigné nulle part d'une manière explicite, il ne pouvait pas se méprendre sur le sens véritable du manifeste et sur la portée des idées nouvelles : c'était lui qu'on visait en maint endi'oit du livre. Il n'attendit qu'une occasion. Justement, au mois de novembre 1549, il publiait une traduction de Y Iphigénie d'Euripide *. On sait le mal qu'avait dit du Bellay des traductions, et surtout des traductions de poètes. L'heure était venue de le réfuter, ou tout au moins de lui rendre attaque pour attaque. Dans une épître aua Lecteurs, qui précédait sa traduction, il le prenait d'abord sur le ton cavalier : « Cette mienne mignardise a l'aven- ture déplaira a la délicatesse de la délicatesse de quelques hardis repreneurs: mais si jesay que la friandise vous en plaise, ce me sera plaisir de leur déplaire en vous plaisant. » Puis il parlait de son ouvrage, et, dans une conclusion finement agressive, il chantait une fois de plus les louanges de Marot, contestait à du Bellay ses idées sur la « version », laissait entendre qu'il

' L'iphigene d'Euripide Poète Tragiq : tourné de Grec en François par

l'Auteur de VArt Poétique Paris, Gilles Corrozct, 1549. Privilège du

13 nov. laW. Dédicace à Jean Brinon, signée T. S. et datée de Paris, 1" sept. I;j49. L'épilrc ans Lecteurs suit cette dédicace. (Bibl. Nat. Rés. yb. 832;.

l'attaque DR LA (( DKFFENCE )) 147

savait à quoi s'en tenii* sur sou degré d"origirialité, raillait surtout sa conception aristocratique de la poésie et cette prétention de ne vouloir écrire que pour une élite : (( Fina- blement si je n'ay tant purement, doucement, naïvement, élé- gamment, richement et mignonnement tourné l'Iphigene d'Euripide, que Marot a l'ait le Léandre du poète Musée : aussy ne suy-je, ne pense-je êttre Marot. Si la langue Fran- çoise n'est illustrée par la version dés poëmes, on ne s'en doit attacher a nioy qui n'en suy illustrateur ne gagé ne re- nommé. Si je fay moins pour nioy en traduisant anciens auteurs qu'en cérchant inventions nouvelles, je ne suy toute- fois tant a reprendre que celuy qui se vante d'avoir trouvé, ce qu'il ha mot a mot traduit dés autres. Si cette version n'est suflisante pour immortaliser mon nom, aussi ne l'y vœil- je mettre en tittre. Si je ne suy leu et loué des Poètes de la première douzaine, aussi n'ay-je pas écrit a cette intention : car j'écry ans Muses et a moy : et si quéqu'un par fortune prend plaisir a mes passetems, je ne suy pas tant ennuyeus ' de son aise, que je lui vœilhe défendre la communication de mes ébbas, pour lés réserver a une affectée demye douzaine dés estimés princes de nottre langue, et par ce moyen cércher leur applaudissement. ))

II

La préface de Vlphigène n'était qu'une courte et brillante

sortie contre la Deffence. Guillaume des Autelz % poète de

Lyon, cousin de Pontus de Tyard, entra dans le fort du

débat. Il était alors en pleine polémique avec Louis Meigret,

le rèformatem* de l'orthographe ; mais il faisait aussi des vers

' Sic. Peut-être faut-il lire envieus. Sur Guill. des Autelz, consulter Goujet, t. XII, p. 343-333.

148 JOACHIM DU BELLAY

et venait de donner son Repos de plus grand travail '. Il éprouva le besoin dexposer son opinion sui' ce sujet si con- testé de la poésie, et, dans sa Réplique aux furieuses défenses de Louis Meigret -, au mois daoût i55o, il inséra quelques pages, qui sont une réponse très remarquable au manifeste de la Pléiade.

Des Autelz se réjouit de voir l'effort des novateurs poi'ter si haut la poésie que désormais (( nous approchons bien près du sommet de la montaigne » ; mais il estime pour sa part qu'ils manquent de justice envers leurs devanciers, et que ce dédain brutal du passé n'est pas exempt d'ingratitude : (( Encores me desplait il. que ceux qui pensent avoir con- questé l'empire de l'encyclopédie des Muses, se connoissent trop, ou (pour mieux dire) ne se connoissent pas assez : car comme je loue (laissez moy ainsi parler) leur erudite hardiesse, d'avoir plus osé que noz majeurs : aussi ne puis je prendre en gré leur mesconnoissance, que je ne die ingratitude, envers ces bons pères, de les vouloir ainsi descrier comme la taulse monnoye » (p. 58).

Avec raison, des Autelz va droit à la théorie de l'imita- tion comme au centre de la doctrine, et il n'a pas de peine à montrer que limitation, telle que l'entend du Bellay, ne diffère pas essentiellement de la traduction ([uil ])roscril : (( En premier lieu je ne suis pas de lavis de ceux, qui ne pensent point que le François puisse faire chose digne de l'immortalité de son invention, sans l'imitation d'autrui : si c'est imiter desrober un sonnet tout entier d'Arioste, ou de Pétrarque, ou une ode d'Horace, ou ilz n'ont point de pro-

' Lyon, Jiiiii (le Tourm s el Guill. Gazeau, l^liU. (13ibl. Xal. Rés. Y'. 1406).

- Lyon, Jean de Tournes et Guill. Gazeau, LioO. Epître dédicatoire du iJO août l.DoO. La Bibl. Nat ne [)ossède pas l'édition de l.ioO indiquée par Brunet [Supplément, t. I, col. 371), mais seulement celle de l.Jal (Kés. Y'. IGT'J). C'est d'après cette dernière que je cite.

l'attaque de la !( DEFFRNCE )) 149

prieté, mais connue misérables cmphylcolaires rocoiuioissoiit tout teuir avecques redevance des seigneurs direct/, et ne différent en rien des translateurs qu'ilz méprisent tant, sinon en ce qu'ilz laissent ou chani-enl ce quil leur plait : quelque immodeste plus librement diroit ce qu'ilz ne peuvent traduire. Mais je pense qu'il y lia bien à dire, à considérer en quoy gist l'artifice et la grâce d'un bon auteur, pour s'ellbrcer de l'ensuivre par semblable chemin : et à luy desrober du tout son invention, ses mots et ses sentences » (p. 08-59). Partant de là, des Autelz conseille au poète de se dégager de l'imitation non moins que de la traduction, et d'oser être original, en s'afTranchissant des anciens et des Italiens : « Qui l'empescliera de faire sortir de la France chose que ny l'arro- gante Grèce, ny la curieuse Romme, ny la studieuse Italie n'avoient encores veu ? De qui ont esté imitateus les Grecs ? » Les Latins à leur tour n'ont-ils pas créé la satire ? Et quant aux Italiens , n'ont-ils pas dédaigné les inventions étrangères pour être eux-mêmes inventeurs ? k Donc, puis que nous admirons les Sonnets, les Chans, les Triomphes de Pé- trarque, ou nous ne pouvons dire qu'il ayt spécialement imité aucun auteur Grec ny Latin : pourquoy desperons nous d'en faire autant ou plus ? » (p. 59-Go).

Toute cette critique, il faut le reconnaître, est pénétrante et judicieuse, et des Autelz a bien saisi le côté faible et vul- nérable de la nouvelle doctrine.

Il n'est pas moins heureux dans sa défense des anciens genres contre celui qui les traitait cVépisseries : « Au reste, encores ne tiens je si peu de conte de noz anciens François, que je mesprise tant leurs propres inventions que ceux qui les appellent espisseries, qui ne servent d'autre chose que de porter témoignage de nostre ignorance \ Pourquoy est plus à

' Ce sont les propres termes dont se sert du Bellay, Deffence. p. 113.

loO JOACHIM DU BELLAY

mesj)i'iser lelaboree Ballade Françoise que la superstitieuse Sextine Italiene ? » Est-ce à cause du refrain ? Mais le refrain se trouve aussi chez les anciens. Est-ce pour sa difficulté ? La belle raison vraiment ! « Tant s'en faut que pour sa difficulté, je l'estime incapable des ornemens poétiques, que je n'en forclus pas le Chant royal, beaucoup plus difficile et ingénieux .... Et quant ce ne seroit qu'un exercice pour nous préparer à plus grans œuvres, pource ne devrions nous vitupérer l'Eglantine Tholosane : ou Ion ne défend pas de proposer d'autres poèmes » (p. 6i). Des Autelz se fait ainsi l'avocat des Jeux Floraux, si malmenés par du Bellay. Il plaide la cause du lai comme il avait plaidé celle de la ballade. 11 justifie la moralité, ce poème mépi'isé « des doctes gens », mais si cher à nos pères, « qui en leurs jeux n'ont voulu suivre la vanité gregoise des comédies et tragédies )>. Il va jusqu'à louer les vers batelés et couronnés, (( en quoy nostre langue ha je ne say quelle naïve grâce, inconnue aux autres » (p. 62-66).

Ce défenseur des anciens genres ne se montre pas d'ailleurs hostile aux nouveaux. Il n'entend pas qu'on re- jette l'ode. Il veut seulement la justice pour tout le monde. Les chansons de Saint-Gelays, quelque nom qu'on leur donne, ne méritent pas le dédain que du Bellay professe à leur égard : (( Et ne me sauroit on oster de la fantasie que Lah'-cz la verde couleur et Amour avecques Psiches, quelque nom que leur donnent ceux qui veulent bailler des titres aux œuvres d'autrui, sont vrayment œuvres poétiques, bien ornées de figures convenantes à leur subjet. » Au reste, pourvu qu'on accorde à Bonav. des Périers l'honneur de l'invention, il reconnaîtra sans difficulté que personne n'a plus fait pour l'ode que Ronsard, et que son volume d'Odes ' est « digne d'estre immortellement

' Les Odes de Ronsard avaient paru tout au début de looO.

l'aTTAQUK 1)K la « DKFFENCE » 151

Icu et loué )) ([). (32-G3). Cet hoinma^e à l{ousar(l ucmpêchc pas des Autelz de terminer son exposé par un autre hommage à Marot, dont il vante la facilité, le naturel et la grâce, et qu'il proclame inimitable (p. 71).

Ce qui frappe dans ces pages, ce n'est pas seulement l'in- telligence dont fait preuve des Autelz, la sûreté de son juge- ment et la finesse de sa critique ; c'est encore cette modéra- tion dans la forme, qui révèle un esprit pondéré, conciliant, ennemi de toute exagération. En combattant son adversaire, il a su garder la juste mesure qui devrait présider à toute discussion. C'est toujours un mérite peu commun, mais ici d'autant plus remarquable que l'auteur était un jeune homme de vingt ans *.

m

Barthélémy Aneau n'avait pas montré cette modération, quelques mois plus tôt, lorsqu'il publiait sous le voile de l'anonyme son Quintil Horatian, mais en s'arrangeant de façon à faire croire que Charles Fontaine en était l'auteur. J'ai déjà tâché d'établir, ailleurs que dans ce livre ' , que l'œuvre était bien

' Il était vers 1321).

- Rev. d'hlst. Utt. de la France, l;i janv. 1898, j). 5i : article sur « la date et l'auteur du Quintil Horatian)). Je résume ici brièvement les raisons que j'ai fait valoir : i" Cli. Fontaine, dans une lettre à Jean de Morel, désavoue formellement la paternité du Quintil^ qu'il met au compte du principal du Collège de la Trinité [Bar th. Aneau] ; 2" le Quintil rejette l'élégie, et Fontaine a fait beaucoup d'élégies;— 3'' Fontaine, en 1515, n'a vraisembla- blement pu faire entre 1525 et 1530 une traduction en vers français de l'Art Poétique d'Horace, dont parle l'auteur du Quintil comme ayant été faite « il y a plus de vingt ans » ; le contenu du Quintil dénote un régent de collège très érudit et très versé dans la grammaire, la rhétorique et la dialectique ; 5" l'auteur du Quintil se donne pour un jurisconsulte : Aneau l'était, mais non Fontaine ; 6" on retrouve dans le Quintil la même langue pédantesque, le même abus de mots savants, tirés du latin et du grec, qu'offrent tous les écrits d'Aneau; 7" on y retrouve aussi des idées analogues, et jusqu'à des phrases semblables. Quant à la date du Quintil, qui se place logiquement entre la 1" et la 2' édit. de VOlive, puisqu'il suit pas à pas la 1'= et ne connaît pas la 2%— on peut la déduire de la lettre même de Fontaine à Morel.

152 JOACHIM DU BELLAY

(l'Aiieau, nullement de Fontaine, comme on Ta cru longtemps, et j'ai (lit les raisons qui me faisaient penser qu'elle avait paraître à la fin de février ou dans les premiers jours de mars i55o. tous les pamphlets lancés contre la Deffence^ ce fut de beaucoup le plus important : je l'ai donc réservé pour la fin.

Dans un passaj^e de la Dejfence, du Bellay, s'adressant aux rimeurs de son temps, leur souhaitait (( la lyme de quelque sca^ant homme, aussi peu adulateur qu'étoit ce Quintilie, dont parle Horace en son Art Poétique ' » (p. i4^)- Grand ami de Marot, fervent admirateur de la vieille poésie, dont il continuait les noëls, le théâtre, et jusqu'aux bestiaires % Barth. Aneau résolut de jouer envers l'écrivain révolution- naire ce rùle bienfaisant de censeur A^éridique : et de son Qiiintil Horatian \ A l'en croire, il n'a fait que noter cer- tains points qui lui semblaient (( dignes de correction amiable et modeste, sans aucune villanie, injure et calumnie, ne simple ne figurée » (p. 187). Quand on voit le ton qu'il a pris, on se demande ce qu'eût été l'ouvrage, si le critique n'eût pas usé de retenue. Il est vrai que du Bellay tout le premier avait quelquefois passé les bornes, et qu'il s'était permis, à l'égard des plats rimeurs de l'époque, des per- sonnalités un peu bien vives. Mais Aneau ne lui cède rien sur ce point. Qu'on en juge : « O combien, s'écrie du Bellay, je désire voir sécher ces Printens, châtier ces Pe- tites jeunesses, rabbattre ces Coups d'essaj^, tarir ces Fontai- nes, bref abolir tous ces beaux tiltres assez sufiisans pour

' Epist. ad Pisones, 438-444.

- Chant Natal, contenant sept Noelz, ung Chant Pastonral, et ung Chant lloyal, avec un;/ Mystère de la Nativité, par personnages. . fl.o39). Lyon Marchant. Satyre Françoise. . . sonhz Allégories et Enigmes, par personnages mysticqiies. . . (1541). Décades de la description, forme, et vertu naturelle des animaulx, tant raisonnables que brutz (1.Ï49).

^ Le Quintil Horatian se trouve à la suite de la Deffence, édit.Person.

l'attaqii: de l.\ « DKiFKNCii; » 1;)3

dégoûter lout lecteur scavaiit il'eu lire davanlai^e. Je ne souhaite moins, ([uc ces D('i)oiitvcnz, ces humbles Esj)cr(ins, ces Banniz. de h'essc, ces Esclaves, ces Tfaver.seurs soient renvoyés à la Table ronde, et ces belles petites devises aux Gentilzhommes et Damoyselles, d'où on les a empruntées. Que diray phis ? Je supplie à Phebus Apollon, que la France, après avoir été si longuement stérile, grosse de luy enl'ante bien tost un poëte, dont le lue ])ien résonnant lace taire ces enrouées cornemuses, non autrement que les grenoilles, quand on jette une pierre en leur maraiz » (p. i49-i;")o). (( Envieux souhait, réplique le QuintiL par lequel tu desires les œuvres d'autruy estre aneantiz, qui ne sont moins dignes de durée que les tiens, et te mocques de leurs tiltres. qui sont modestes, et non ambitieux comme le tien, et ne degoustans pas les lec- teurs (comme tu dis) mais plustost les invitans. Car autant et plus gracieux est Printemps et Fontaine comme Olive : le Prin- temps portant aussi belles fleurs, que ton Olive beaux fruictz : la Fontaine aussi purement coulante et claire, que l'huile de ton Olive est crasseux et faisant obscure lumière.... » etc. (p. 2IO - 21 1). On le voit : le Quintil descend vite aux inju- res. On sent dans cette riposte je ne sais quoi de rageur qui réconcilie avec du Bellay.

Ce n'est pas le seul défaut de l'ouvrage. 11 est encore écrit dans un style lourdement pédantesque. L'auteur dirigeait à Lyon le Collège de la Trinité : le régent perce à chaque page dans ce factum. Ce professeur de rhétorique traite du Bellay comme un écolier. Avec une science toujours doctorale et souvent indigeste, il lui fait son procès impitoyablement. Il note à tous les pas les fautes d'orthographe et les fautes de français; il signale les impropriétés, les incorrections, les néoiogismes ; il souligne les figures mal venues, les allégo- ries vicieuses, les périplirases affectées, les métaphores incohé- rentes ; il relève enfin les manques de logique et prouve à

lo4 .lOACHLM DU BELLAY

son adversaire qu'il ne sait pas raisonner. Et je ne dis pas qu'il ait toujours tort. 11 est certain, par exemple, que du Bellay raisonne à faux, en concluant que notre langue n'est pas barbare de ce que nos mœurs et nos lois ne le sont point : et le QaintiL est dans le vrai, de l'accuser d'inconsé- quence : Tu extra vagues, lui dit-il justement, « en la civilité des mœurs, loix, équité, et magnanimité des courages fran- çoys, et commémoration de leurs gestes : desquelles choses n'est icy question : et ne font rien à la langue eslre dicte barbare ou non barbare » (p. iqS). Il n'a pas tort non plus de déclarer la Deffence mal composée, (( les chapitres et pro- pos ne dependans l'un de l'autre, mais ainsi mis comme ilz venoyent de la pensée en la plume, et de la plume au papier : tellement que tout l'œuvre est sans propos et certaine con- sistence, sans thème proposé et certain, sans ordre méthodi- que, sans œconomie, sans but final advisé, sans continuelle poursuyte et sans conséquence, tant en l'œuvre universel, qu'en chacune partie et chapitre d'iceluy, et argumens des cha- pitres » (p. 193). Pour être hargneux et pédant, Aneau ne manque ni de bon sens ni de finesse, et l'on s'en aperçoit surtout lorsqu'on passe de cette criti([ue de la forme à la critique des idées. >

Il a très bien vu le point faible du retentissant manifeste, la contradiction intérieure qui s'y trouve dès le principe entre la langue nationale qu'on veut défendre et l'imitation de l'Antiquité qu'on propose pour l'illustrer. Il a très bien vu que c'est un singulier moyen de faire l'apologie d'une langue, que d'accuser d'abord sa pauvreté pour la déclarer riche en espérance. C'est fort beau, dit-il à du Bellay, de blâmer éloquemment (( ces ambicieux admirateurs des langues grecque et latine », mais il ne faut pas faire comme eux en disant tout le mal possible de la sienne : (( Tu es de ceux la, car tu ne faitz autre chose par tout l'œuvre, mesme

l'aTTAQIE r)F, LA (( DKFFKNCIÎ )) ['M')

avi second livre, <[ue nous induire à grcciser et latiniser en françoys, vitupérant tousjours noslre lornu^ de poi-sie, eoninu' vile et populaire, attril)uaiit à iceux toutes les vertus et louanges de bien dire et bien eserire, et {)ar eomparaison d'iceux monstres la pauvreté de nostre langue, sans y remé- dier nullement et sans Tenriehir d'un seul mot, d'une seule vertu, ne bref de rien, sinon (pie de promesse et d'espoir, disant qu'elle pourra estre, qu'elle viendra, qu'elle sera, etc. Mais quoy ? quand et comment ? Est ce la défense et illus- tration, ou plus tost olïense et denigration ? Car en tout ton livre n'y a un seul chapitre, non pas ime seule sentence, monslrant quelque vertu, lustre, ornement ou louange de nostre langue françoyse, combien qu'elle n'en soit dégarnie non plus que les autres, à qui le sçait bien congnoistre * » (p. 194-195). Cette réfutation est inattaciuable. Si le Qiiintil n'en sait pas plus que du Bellay sur l'origine et la nature de notre langue, il a du moins cet avantage d'avoir compris que, dans son état actuel, elle avait un prestige suflisant, et qu'il y avait quelque inconséquence à l'en dépouiller,

Avec de pareils sentiments, le Qiiintil ne pouvait accepter la théorie du novateur sur l'imitation. Il la repousse en ctlet. en enfermant son adversaire dans un dilemme qui tend à lui prouver que l'imitation est impraticable, si elle porte sur les mots, contradictoire à ses principes et d'ailleurs impossible sans traduction, si elle porte sur les choses (p. 201). Sans doute, il ne rejette pas l'étude de l'Antiquité : la plupart des

' Aneau revient plusieurs fois sur celle idée : « Tu seinltles celuy c[ui ccrclu' son asne et est monté dessus: el en faisant semblanl de illustrer la langue françoyse, lu l'obscurcis, et enrichis les autres pour l'apauvrir. luj' ostant ce que est à elle, au moins par portion, de communauté » (p. 194) « Il appert manifestement que soubz couleur et promesse de la défendre, tu la despoilles et destruytz, en tant qu'en toy est, sans l'enrichir d'une seule syllabe, qui soit à elle propre, et convenante, eu tout ton cruvre » (|>. It)7i.— Il se sentait sur un terrain solide.

lisét^af

156

JOACHIMDL BELLAY

; I

poètes français de son tem])s il le reconnaît, « sont exercez es langues ». Mais il soutien qu'on peut se passer de l'An- tiquité pour être un bon pcte : « Sans lesquelles langues n'ont pas laissé aucuns d'estr tresbons poètes, el par adven- ture |)lus naïfz, que les Gmaniseurs, Latiniseurs et Italia- niseurs en Francoys : les(jelz à bon droict on appelle Peregrineurs » ('p. 202). Auienient dit, la connaissance de l'Antiquité n'est pas nécessa'o aux poètes et risque plutôt de gâter leur naturel. Quant l'Italie, il la rejette absolu- ment. S'il ne veut pas quoi (( écorche » le latin, encore moins veut-il qu'on c contnnine l'italien en francoys » (p. 200). Avant Henri Esliane, il se plaint déjà de la (( corruption italique» qui evabit la France'. Il accuse les Italiens de a singerie » '. ^ n'a pour Pétrarque lui-même qu'une admiration assez tiède p. 212).

Toute innovation est donc -ondamnée : la poésie n'a rien de mieux à faire que de coiinuer indéfiniment l'œuvre des auteurs nationaux dans les 1 nés traditionnelles. Le Quintil prend la défense des vieux éàvains français, que du Bellay taxait d'ignorance et qu'il rem.it responsables de la pauvreté de notre langue : « Noz majers certes n'ont esté ne simples, n'ignorans, ny des choses, 11 des parolles. Guillaume de Lamns, Jean de Meung. Guilliirae Alexis, le bon moine de l'Yre, Messire Nicole Oreme, .Nain Chartier, Villon. Meschinot et plusieurs autres n'ont poit moins bien escrit. ne de moindres et pires choses, en . langue de leur temps propre et entière non peregrine, et ])ar lors de bon aloy et bonne mise, que nous à présent en la nostre )) (p. 194). U prend de même la défense des vieills formes poétiques, depuis la ballade jusqu'au coq-à-l'âne : ( Ces nobles poèmes sont pro-

1 « Le nom de Patrie est obliquemit entré et venu en France nouvelle- ment avec les autres corruptions Ital|iies » (p. 192).

- « Les Italiens, tes dieux en sing^de » (p. 20i). « La singerie de la passion Italiane » (p. 203).

L'aTTAQIE VI-

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près et peculiers à la laiit' propre, et antique inventi*»n. qui fait leur ménb- esprit, et d'autant sont plus Loin d'attester notre . cence et rii hesso J«- lies esprilz fran«.-o>- . j^aires o (p. ao'j-j«>5» !'• ('•(|uivo(|ue est la ,

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156 JOACHIM DU BELLAY

poètes français de son temps, il le reconnaît, « sont exercez es langues )). Mais il soutient qu'on peut se passer de l'An- tiquité pour être un bon poète : u Sans lescpielles langues n'ont pas laissé aucuns d'estre tresbons poètes, et par adven- ture plus naïfz, que les Grœcaniseurs, Latiniseurs et Italia- niseurs en B'rancoys : lesquelz à bon droict on appelle Peregrineurs » ('p. 202). Autrement dit, la connaissance de l'Antiquité n'est pas nécessaii'e aux poètes et risque plutôt de gâter leur naturel. Quant à l'Italie, il la rejette absolu- ment. S'il ne veut pas qu'on (( écorclie » le latin, encore moins veut-il qu'on (( contremine l'italien en françoys » (p. 200). Avant Henri Estienne, il se plaint déjà de la (( corruption italique » qui envahit la France ' . Il accuse les Italiens de « singerie » ". Il n'a pour Pétrarque lui-même qu'une admiration assez tiède (p. 212).

Toute innovation est donc condamnée : la poésie n'a rien de mieux à faii'e que de continuer indéfiniment l'œuvre des auteurs nationaux dans les formes traditionnelles. Le Qiiintil prend la défense des vieux écrivains français, que du Bellay taxait d'ignorance et qu'il rendait responsables de la pauvreté de notre langue : (( Noz majeurs certes nont esté ne simples, n'ignorans, ny des' choses, ny des paroUes. Guillaume de Lauris, Jean de Mcung, Guillaume Alexis, le bon moine de l'Yre, Messire Nicole Oreme, Alain Chartier, Villon. Meschinot et plusieurs autres n'ont point moins bien escrit, ne de moindres et pires choses, en la langue de leur temps propre et entière non peregrine, et pour lors de bon aloy et bonne mise, que nous à présent en la nostre » (p. 194)- H prend de même la défense des vieilles formes poétiques, depuis la ballade jusqu'au coq-à-l'àne : « Ces nobles poëmes sont pro-

' « Le nom de Patrie esl oI)liquement enlrc et venu en France nouvelle- ment avec les autres corruptions Italiques » (p. 192).

- « Les Italiens, les dieux en singerie » (p. 20i). « La singerie de la passion Ilaiiaae » (p. 203).

L'ATTAQUli DE LA (( DEFFKNCE )) 157

près et peculiers à la langue Irançoyse, et de la sienne, et propre, et antique invention. » C'est précisément leur dilliculté qui fait leur mérite : ((Hz ne sortent jamais de pauvre esprit, et d'autant sont plus beaux que de diilicile facture. » Loin d'attester notre ignorance, (( ilz tesmoignent la magnili- cence et richesse de nostre langue, et la noblesse et félicité des espritz françoys, en cela excedans toutes les poésies vul- gaires )) (p. 202-2o3). Bien entendu, pour le Quintil, la rime équivoque est (( la pbis exquise sorte de ryme que nous ayons » (p. 209). Dans son culte très vif pour la vieille poésie, Aneau s'en tient aux opinions de Sibilet, qu'il con- naît et qu'il loue (p. 200). C'est trop dire : il est plus exclusif que lui, moins ouvert et moins large. Sibilet, à cer- tains égards, était tourné vers Tavenir : Aneau, lui, ne voit que le passé : c'est le suprême héritier, le partisan irréduc- tible des rhétoriqueurs.

Les geni'es nouveaux le trouvent hostile. II s'attache à démontrer qu'ils ne sont pas aussi nouveaux que du Bellay veut bien le dire : c( Les noms [sont] changez et déguisez, au demourant la chose [est! mesme ou pire » (p. 200). II s'en prend surtout aux deux inventions que du Bellay van- tail si fort, le sonnet et l'ode (il ne dit rien de l'épopée). 11 laisse entendre qu'adopter le sonnet, c'est remplacer les genres fixes existants par un autre genre fixe, non moins compliqué, non moins difficile, et qui n'est, à tout prendre, ô la belle invention ! qu'un liuitain suivi d'un sizain (p. 206). L'ode est encore plus maltraitée. Ce mot (( peregrin », écorché du grec, est une création récente de « ceux qui en changeant les noms cuydent deguyser les choses ». Mais la chose existe depuis longtemps sous le nom bien français de chanson. El si l'ode n'est rien que la chanson, pourquoi tenir en tel dédain les chansons de Saint-Gelays, (( des choses si bien faictes » ? (p. 2o3-2o4 ; p. 207-208).

158 JOACBIM DU BELLAY

Au total, le Qiiintil se prononce contre la poésie éruclite et savante qui s'éloigne du vulgaire. Il repousse cette con- ception aristocratique de la poésie, à laquelle il oppose la manière de Marot : (( Toy au contraire commandes d'estran- ger la poésie, disant que n'escris sinon aux doctes » (p. 2o4). Il n"a ])as tout à fait tort. Mais sa conception, à lui, reste également insullîsante. Lorsqu'il ne fait pas de la poésie un tour de force comme les rhétoriqueurs, il en fait, comme les Marotiques, un jeu desprit. Du mot fameux d'Horace, ut pictura poesis, (juc d'ailleurs il comprend à faux il déduit une contîlusion inattendue : (( La poésie est comme la peincture. Or la peincture est pour plaire et res- Jouir, non pour contrister ' » (p. 2o5). C'est la réduire de parti pris aux mesquines proportions d'un passe-temps agréable ; cest lui fermer les. grandes sources d'inspiration. Combien est plus large et combien plus belle la conception {\\n fail de la poésie un art divin, et du poète le chantre de toutes les émotions humaines !

IV

('es vives attaques contre la Deffence ne surprirent pas du Bellay : il les avait prévues. En se faisant l'apôtre d'une poésie nouvelle, il ne se dissimulait point qu'une telle nou- veauté « pour le commencement seroit trouvée fort étrange et rude », et qu'il mettrait en colère les « rhétoriqueurs fran- çoys )) -. Peut-être cependant n"avait-il pas prévu que la colère

^ Cf. cet autre passage : « Tu nous renvoyés à ces pitoyables élégies (helas) pour, alors que demandons à rire, nous faire plourer » (p. 203).

- « Or ay je depuis expérimenté ce qu'au paravant favoy assez preveu, c'est que d'un tel œuvre je ne rapportcroy jamais favorable jugement de noz retlioricjueurs Fran(,'o.\s. tant pour les raisons assez nouvelles et para- doxes introduites par moy en nostre vulgaire, que pour avoir (ce semble) hurté un peu trop rudement à la porte de noz ineptes rimasseurs » (I, 73).

LA IJÉFKNSK l)K LA (( DEFFKNCK )' 159

irait si loin. Toujours cst-il (ju'il jugea nécessaire de répondre à son tour aux pamphlets lancés contre son ouvrage. A la fin de i55o, publiant une seconde édition de VOlice ', il fit précéder sa publication dune longue préface, qui con- stitue comme une défense de la DeJJ'ence.

Ce qui frappe surtout dans cette préface apologétique, c'est la fierté dédaigneuse qu'il affecte à l'égard de ses adver- saires. On dirait vraiment qu'il ne les avait point provoqués ! A l'adresse de Sibilet il écrit : (( Ne t'esbahis donques si je ne respons à ceulx qui m'ont appelle hardy repreneur : car mon intention ne feut onques d'auctorizer mes petiz (euvres par la reprehension de telz gallans ^ » (1, 'j'd-'j^). C'est traiter l'auteur de VArt Poétique avec un mépris que rien ne justifie. Pour être gentilhomme et de noble origine, ou nest pas tenu d'avoir tant de morgue.

Dans sa préface, du Bellay répond en bloc aux factums dirigés contre lui ; mais beaucoup de ses phrases ont une portée précise et s'appliquent spécialement à l'un ou à l'autre de ses adversaires. La courte et sèche riposte de Thomas Sibilet l'avait piqué au vif. Il lui rend la monnaie de sa pièce, en reprenant à dessein plusieurs de ses expressions : « Quelques uns se plaignent de quoy je blâme les traduc- tions poétiques en nostre langue, dont ilz ne sont (disent- ilz) illustrateurs ny gaigez ri}' renommez. Aussi ne suis-je. Mais s'ilz n'allèguent aultre raison, je n'y feray point de response. Encores moins à ce qu'ilz disent, que j'ay réservé la lecture de mes ecriz à une affectée deniy-douzaine des plus renommez poêles de nostre langue. Car je n'avoy' entrepris

' Le privilège est du 3 octobre.

- Dans mon article sur le Quintil, p. iJG. j'ai cru que cette phrase visait Barth. Aiieau. Je ne connaissais pas alors la préface de ïlphiyène. Je corrige mon erreur, en faisant remarquer toutefois que les autres arguments invo- qués en faveur de la date de looO gardent toute leur force.

IGO JOACHIM DU BELLAY

(le faire un catalogue de tous les aultres, mesmes de eeulx qui ne m'etoient conneuz, ny à leurs noms, ny à leurs (fiuvres. Ceux dont je ne cherche point les applaudis semé ns ont occasion de gronder. Aussi me plaisent leurs aboj^s, car je n'en crain' gueres les morsures » (I, ;j5).

D'autres phrases semblent bien se rapporter au Quintil. Jai cité ce passage du Bellay visait sans les nommer quelques-uns des rimeurs de l'époque et tournait en dérision les titres prétentieux de leurs écrits de cour, ainsi que leurs sottes devises. Le Quintil à ce propos l'accusait d'être envieux. Du Jiellay s'en défend en mettant ses attaques sur le compte d'une doideur patriotique : « Si j'ay particularizé quelques ecriz, sans toutefois toucher aux noms de leurs aucteurs, la juste douleur m'y a contrainct, voyant nostre langue, quand à sa nayfve propriété si copieuse et belle, estre soui.lée de tant de barbares poésies, qui par je ne sçay quel nostre inallu'ur plaisent communément plus aux oreilles françoises, que les eeritz d'antique et solide érudition » (1, j^)- ^^ Quintil (p. 2ii) avait amèrement raillé le sonnet final de la Dejfcnce d à l'ambicieux et avare ennemy des bonnes lettres », l'auteur dès le premier pas se promettait l'immortalité :

Quand à l'honneur, j'espère estre immortel.

Il lui reprochait, non sans raison, tant de vanité. Du Bellay se justifie comme il peut du reproche, en appelant les an- ciens au secours : « Si en mes poésies je me loué quelques fois, ce n'est sans limitation des anciens : et en cela je ne pense avoir encor' esté si excessif, que jaye pour illustrer le mien, oU'ensé l'honneur de personne » (I, >5 -76). Mais je vois surtout une réponse directe au Quintil dans ce passage du Bellay, faisant allusion à l'anonymat gardé par l'auteur, flétrissait sa critique acerbe et dénigrante. Aneau, je l'ai dit, avait prétendu faire œuvre de (( correc-

LA DÉFENSE 1>E LA <( DEFFE.NCE » IHl

tion amiable et modeste, sans aucune villanic, injure et calumnic )). Ou sait comme il avait pi'ati(|ué sa méthode. Du Bellay lui répond : (( Cculx qui avecques raison me voudront faire ce bien de me reprendre, je nietlray peine d en faire mon prolil. Car je ne suis du nombre de ceulx. qui aynuMit myeux delfcndrc leurs faulles, que les corriger. Mais si quelques ungs directement ou indirec- tement (comme on dict) me vouloient taxer, non point avecques la raison et modestie accoutumée en toutes honnestes conti'oversies de lettres, mais seulement avecques une petite manière dirrision et contournement de nez, je les adverty", qu'ilz n'attendent aulcune response de moy : car je ne veux pas faire tant d'honneur à telles bestes mas- quées, que je les estime seulement dignes de ma cholere. Si quelques uns vouloient renouveler la farce de Marot et de Sagon, je ne suis pour les en empescher : mais il fault qu'ilz cherchent aultre badin pour jouer ce rôle avecques eux » (p. 77-78). Du Bellay pose ici le fondement d'une critique toute nouvelle, qui dépouille l'àpreté satirique, pour être raisonnable, mesurée et polie, qui cesse en un mot d'être personnelle pour devenir purement littéraire ' : et l'on appré- ciera sans doute la valeur d'une telle conception, si l'on se rappelle ce que fut la critique de la Renaissance. Mais pour- quoi du Bellay n"a-t-il pas le premier appliqué son principe ? et pourquoi cette préface de V Olive contient elle encore à l'adi'esse des adversaires tant de mots injurieux et d'épithètes malsonnantes " ?

Le point capital de cette préface, c'est un retour de du Bellay sur sa théorie de l'imitation. Vraisemblablement, la

' Cf. Regrels, s. 67.

- Noz ineptes rimasseurs ; V importun croassement des corbeaux ; de telz gallans ; telz poètes barbares; leurs ineptes œa\>res ; des rnùjnons de telle farine ; noz petiz rime.urs ; etc.

Univ. de Lille. Tome VIll. A. ]1.

162 .lOACHIM DU BELLAY

critique judicieuse et sensée de Guillaume des Autelz lavait contraint à réfléchir, et de ces réflexions sortit une théorie plus précise et plus nette bien moins servile aussi que celle de la Deffence, la théorie de Yinnutrition, suivant le mot ingénieux de M. Faguet '. Elle consiste pour l'écrivain à ne pas imiter dans le Jjut dimiter, comme le marquait la Dejfence, mais à laisser couler de lui, sans y songer, sans le vouloir, les pensées et les sentiments qu'il a puisés, par un ancien commerce, dans la lecture des bons auteurs, et dont il s'est depuis longtemps tout imprégné : (( Si par la lecture des bons livres, je me suis imprimé quelques traictz en la fantaisie, qui ajjres, venant à exposer mes petites conceptions, selon les occasions qui m'en sont données, me coulent beau- coup plus facUement en la plume, qu'llz ne me reviennent en la mémoire, doibt-on pour ceste raison les appeller pièces rapportées ? )) (I, 76). Du Bellay formulait cette fois la véri- table doctrine de l'imitation littéraire.

Je ne veux pas quitter la prélace de l'Olive sans indiquer en finissant avec quelle hauteur du Bellay sait parler du métier d'écrivain et de la dignité du poète. A ses yeux, l'exercice des lettres ne déroge pas à l'état de noblesse : tenir la plume vaut autant c[ue tenir l'épée (l, 71). Il faut voir de (|uel ton il répond aux censeurs charitables qui veulent le détourner de la poésie comme d'une chose frivole : « Quand à ceux qui blasment en moy cet étude poétique, comme totalement inutile, s'ilz veulent combatre contre la poésie, elle a des armes pour se deffendre : s'ilz plaignent l'erapeschement de ma promotion, je les remercie de leur bonne volunté. Ceux (pii ayment le jeu, les banquetz et aultres menuz plaisirs, qu'ilz y passent et le jour et la nuict, si bon leur semble. Quand à moy, n'ayant aultre passetemps de plus grand plaisir,

' iieizième siècle, p. 2\i.

LA DÉFENSE DE LA (( DEFFE.NCE )) 163

je donneray voulunlicrs quelques heures ù la poésie » (1, 78). Et ce qui n'est pas moins remarquable que cette bravade lancée à l'opinion , cest lindépcndance qu'il revendique pour sa petite muse : « Je te pi'ie don(iucs. amy lecteur, me faire ce bien de penser, (jue ma petite muse, telle qu'elle est, n'est toutefois esclave ou mercenaire, comme d'ung- tas de rymeurs à gaiges : elle est serve tant seulement de mon plaisir n (I, ^8). Voilà de tîei's accents, et qu'on chercherait en vain chez un disciple de Marot ' !

11 est juste de rattacher à la préface de l'Olive^ deux poèmes qui parurent avec elle, et qui, par leur caractère polémique, se rapportent à cette querelle : la Musagnœoma- chie et l'ode à Ronsard Contre les envieux poètes '. Tous deux présentent de curieuses analog^ies : même ordre d'idées, même type de strophe ', même usage de l'allégorie et des fictions mythologiques .

La Musagnœomachie, ou la Guerre des Muses et de rignorance, est une œuvre étrange, dont la première idée semble bien être venue à l'auteur du petit poème héroï- comique, la Batrachomjyomachie *. En l'olfrant au public, du

' Epilogue (ie la querelle : du Bellay se réconcilia sincèrement avec Sibilet, auquel il dédia le s. 122 des lleyrels, et dont il loua Vlpluyénie (II, f)ij et 8j). Dl- même avec Guill. des Autelz, qu'il vit à Lyon, lors de son pas- sage pour gagner l'Italie (11, 14i). Quant à l'auteur du Quinlil, il eut beau par la suite saluer en du Bellay lun des « bons poètes de présent ))[Méta- rnorpfiose d'Ovide, l.ioB) : ,je ne vois pas ([u'il ait reçu de lui le moindre signe dattenlion.

- Marty-Laveaux, I, 13'.1 et 1G2.

^ Strophe de douze vers heptasyllabes du type ababbccddede.

' Str. 3 :

Homère premier sonna

Et les raz et les grenouilles. (I, 140).

1G4 .lO.VCHl.M DU BELLAY

Bellay le prévient de ce qu'il a voulu foire : (( Mon inten- tion n'estoit alors d'écrire une hystoire, mais une poésie » (1. j9). Sans être une histoire, la Musagnœomachie a quel- que chose dun pamplilet, et c'est le seul intérêt de ce médiocre badinage.

Au fond d'un antre ténébreux, que le Silence emmure et d'où le Léthé prend sa source, le Sommeil tient l'ig-norance embrassée. La Terre en courroux l'a jadis vomie contre le Ciel avec les Géants. Ce monslre surpasse en horreur les monstres les plus hideux de la fable : il a les lèvres du lion, les oreilles de l'àne, les pattes de l'ours, le nmseau de la lau[)e.,.. Autour de lui, toute une armée s'agite : la Fraude, le Faux-Conseil, la Discorde suivie d'Ambition et d'Orgueil, l'Envie, la Cruauté, la Malice, l'Av^arice, les Plai- sirs éphémères, l'Oisiveté, nourrice des Désirs impudiques, les longs Regrets et la Mort de lame. Tout ce début est plein de mauvais goût, et si je l'analyse, c'est pour faire voir combien du Bellay, dans ses premiers ouvrages, a de peine encore à se dégager de certains procédés chers à la vieille école : ce novateur intransigeant prodigue lallégorie à légal d'un rhétoriijueur.

Mais cela n'est que l'accessoire : nous arrivons au principal. L'Ignorance a vu s'élancer contre elle toute une troupe d'en- nemis. Pour lui donner la chasse, se sont levés soudain, à l'exemple de François I^i, les rois, les princes, tous les grands personnages de la Cour, et puis la vaillante et noble phalange des écrivains chéris des Muses :

Le grand visage des cicux. Quand le char de la nuit erre, Ne rit avecques tant d'yeux A la face de la terre : Et l'Inde riche n'enserre Tant de perles et thesors,

LA DKFENSi: UE LA U IJLFrKNCF. )) 16o

Que la France dans son corps

Cache dent'ans poétiques :

Qui en sonnez et canti(iues.

Qui eu ti'a^i((ues sangloz

Font revivre les antiques,

Au seing de la mort enclos. (1, i^^-i^-^)-

Et ces doctes auteurs, « (/ui font revivre les antiques ». du Bellay dit leurs noms ' : c'est Caries, Héroët, Saint-Gelays, (( les trois favoris des Grâces », Yutiledoux Rabelais. Boujn, Scève, Salel, Jacques Peletier et Jean Martin, Maclou de la Haye et Salmon Macrin, beaucoup d'autres encore, qui s'avancent, guidés pai- l'étoile du grand Baïf, sous la savante conduite de Dorât aux vers dor et du n Pindare François », A tous ceux-là du Bellay lance le cri de guerre :

Sus donq, divine cohorte,

Qu'on ouvre la double porte

Du mont qui se fend en deux,

Afin que la guerre sorte

Dessus le Monstre hideux. (I, i4o-i4<J).

Je ne suivrai pas le poète dans le récit de ce combat, auquel il a soudé tant bien que mal une gigantomachie. Quelques vers à la tin marquent l'orgueil de la victoire :

diront mile cantiques

Les jeunes, qui ont choisi

Le thesor presque moisi

De la vieille Poésie. (I, i52).

Ces vainqueurs de l'Ignorance, ces jeunes restaurateurs de l'antique Poésie, on les connaît: c'est la Brigade, dont l'appa- rition triomphale a fait rentrer dans le néant les derniers

' Peut être l'idée première de eettc énumération vient-elle il'un passajre les Cominentarit Lingiiae Latinae d'Etienne Dolet, que cite Christic mienne Dolet, trad. C. Stryienski, 1886, p. 245).

166 JOACHIM DU BELLAY

suppôts de l'ancienne école, quitte à onvi'ir ses rangs aux survivants les plus illustres.

Je dirai peu de chose de l'ode à Ronsard Contre les envieux poHes. Tout d'al)ord, Joachiin y retrace le rôle de Ronsard et le sien pi'opre dans la nouvelle poésie : à son ami la gloire de Vofle, à lui-même celle du sonnet. 11 part de pour attaquer leurs conununs envieux. Son portrait de l'Envie, qui se consume au fond de son pâle manoir, (( plâ- tré de sang vert et noir », et qui crache le venin des , cou- leuvres, est dans le goût de son portrait de l'Ignorance. Pareils à des chiens enragés, les envieux grondent après les neuf Sœurs : Apollon, ce soleil, les fait fondre « comme la neige » : tel jadis il triompha de Marsyas. L'antithèse une fois posée, le poète la développe en une série d'images incohérentes, en opposant les ruisseaux fangeux formés par le Styx aux fleuves courants sortis du Parnasse, la noirceur des Corbeaux à la blancheur des Cygnes, le babil des Pics aux chansons des Muses. Ces oripeaux mythologiques ne doivent pas nous faire perdre de vue l'intention polémique de la pièce : elle ai)paraît dans cette strophe du Rellay peint la noire gent des corbeaux envieux, qui

Troublent d'un son eclattant

Les nouveaux Cignes, qui ores

Par la France vont chantant. (I, t6").

CHAPITRE VI

L ' « OLIVE »

1549-1550

I. Les deux éditions de 1 ' « Olive ». La part que du Bellay a prise à l'introduction du sonnet en France. Pontus de Tyard et du Bellay. II. L'imitation de Pétrarque et des Italiens.

III. M"' Viole et du Bellay : le roman d'amour dans 1' « Olive ».

IV. Les deux thèmes de 1 ' « Olive » : beauté de la dame, amour

du poète.

V. Les variations sur les deux thèmes. La nature. La mythologie Les figures de rhétorique. La préciosité.

VI. L'idéalisme platonicien et l'inspiration religieuse. Les

« XIII Sonnetz de l'honneste Amour » ilSSS). VII, La réaction contre le pétrarquisme. L'« Antérotique » (1549). La pièce « A une Dame » (1553). La valeur et l'influence de 1' « Olive ».

Joachim du Bellay débuta dans la poésie dès i549 par un recueil de sonnets suivi d'un recueil d'odes Ainsi, son premier ouvrage poétique apparaissait comme une application du prin- cipe qu'il venait de poser : la double imitation de l'Italie et de l'Antiquité.

16S JOACHIM DU BELLAY

11 avait dit dans la Deffence : « Sonne nioy ces beaux Sonnets, non moins docte que plaisante invention italienne » (p. ii6). Et, joignant l'exemple au précepte, il donnait sous le nom di Olive une suite de cinquante sonnets, inspirés de Pétrarque '. Ce n'était qu'un essai : lauteur, qui craignait qu une telle nouveauté ne fût trouvée « étrange et rude », voulait, comme on dit, tàter son public ^ L'œuvre ayant réussi, du Bellay, l'année suivante, l'augmenta dans des pro- portions très considérables, et Y Olwc au complet, comptant cette fois cent quinze sonnets, parut à la lin de i55o '\ Aucune différence sérieuse ne distinguant les deux éditions, j'étudierai Y Olive dans son ensemble.

I^' Olive a beaucoup fait pour acclimater le sonnet en

France :

Par moy les Grâces divines

Ont faict sonner assez bien

Sur les rives Angevines

Le Sonnet Italien,

s'écriait du Bellay, parlant de son premier recueil (I, 164). Mais quelle est au juste la part qu'il a prise à l'introduction de ce genre nouveau ?

Sainte-Beuve donne au chantre d'Olive l'honneur de nous avoir enrichis du sonnet :

Du Bellay le premier l'apporta de Florence,

' L'Olive et quelques autres œuvres poëticques. Le contenu de ce livre : Cinquante Sonnetz à la louange de l'Olive. L'Anterotique de la vieille et de la ieune Amye. Vers Lyriques. Par /. D. B. A. Caelo Musa beat. Paris, Arnoul l'Aiio^dier, l;)49, in-8". Même privilège que pour la Deffence : 2U mars 1548 (n. s. IdW). Les 50 sonnets qui composent cette 1" édition sont les suivants : 1-22, 24-31, 33-39, 41-4^^, 4o, 47-49, ol, 32, 54, 35, 57 et 59.

- « Prolestant, si je congnois que ces fragmentz te plaisent, te laire liicn- tost présent de l'œuvre entier. » Préf. de la l"' édition (I, 6S-69).

^ L'Olive augmentée depuis la première édition. La Musagnœomachic et aullres œuvres poétiques. Paris, Gilles Corrozit et Arnoul l'Angelier, 1530, in-8\ Privilège du 3 oct. 1550.

L ' (( OLIVE » 169

Sous cette l'orme al)solue. l'opinion est inexacte. Si Ton en croit (lu Bellay lui-niènie (1, 712), c'est à Mellin de Saint- Gelays que cet honneur revient '. En même temps ([ue lui. Clément Marot en faisait quelques-uns : on en peut lire une dizaine dans ses o'uvres, dont six sont traduits de Pétrar([ue '. Et l'exemple donné par ces deux poètes rencontrait des imitateurs. Sans parler de Marguerite de Navarre ' et de Maur rice Scève ', Jacques Peletier, dans ses Œiwj'es Poétiques (i547) insérait quinze sonnets, sur lesquels douze étaient empruntés à Pétrarque ^ Un très obscur docteur es droits, Yasquin Philieul de Carpentras, entreprenait la complète traduction du poète Uorentin, et publiait en i548 le premier livre de Laure d'Avignon, soit 196 sonnets de Pétrarque rendus par autant de sonnets français ^ Enfin, la même année, Thomas Sibilet, qui faisait précéder son Art Poétique d'un sonnet (( à l'Envieux », constatait en ces termes la vogue du nouveau genre : « Tant y a que le sonnet aujourd'huy est fort usité, et bien receu pour sa nouveauté et sa grâce ^ » Ainsi, cette

* A la vérité, son petit recueil de lo47 (Saingelais. Œuvres de luy tant en composition que translation) ne contient qu'un sonnet, qui remonte peut-être à 1.^3G (édil. Blancliemain. I, 78). Mais très certainement il en avait comijosé d'autres. On sait qu'il avait pour principe de produire sans imprimer.

' Édit. P. Jannet, 1, 116 ; 111, o9, 62, 76 (Épigr. 144, to2, 187) ; 111, 148-lol. ' Les Chansons spirituelles de Marguerite se terminent par un sonnet (édit. F. Frank. 111, 163).

* Les Marguerites de la Marguerite des Princesses et la Sujte des Mar- guerites s'ouvrent par deux sonnets signés M. SG, cjui sont, à n'en [)as douter, de Maurice Scève.

^ Édit. orig., f" 2 r", 36 v», ii!) ro-3'J r°.

" Laure d'Avignon. . . par Vaisquin Philieul de Carpentras. Paris, Jacques Gazeau, 1348. (Arsenal. B. L. 4429). Les 196 sonnets cjui comiioscnt ce premier livre sont en vers décasyllabes, à l'exception des s. 71 et 100, qui sont en vers alexandrins. 11 comprend en outre 24 chants (canzones). La traduction complète des œuvres vulgaires de Pétrarque par Vasquin Philieul parut en l.ooj, divisée en quatre livres. Avignon, Ijartliélemy Bonhomme, in-8". (Bibl. Xat. liés. Y^". 1134).

' Liv. 11, chap. 2.

170 JOACHIM nu BELLAY

forme de poésie, cultivée par la jeune école au point d'être un de ses caractères distinctifs, fut bien réellement introduite par l'ancienne, et Ion ne peut sans injustice réclamer pour l'au- teur de l'Olive une innovation dont tout l'honneur revient à l'école de Marot.

Seulement. Marot et ses amis n'avaient fait que cueillir des Heurs : du Bellay, plus artiste, tressa une couronne. C'est lui qui le premier s'avisa d'une suite de sonnets, se ratta- chant tous à la même idée, roulant sur un sujet unique. Voilà proprement son mérite dans \ Olive, et c'est sans doute ce qu'entend Pasquier, lorsqu'il salue en du Bellay « celuy qui premier aporta l'usage des sonnets * ».

11 est vrai que ce mérite, on a voulu le reporter sur Pontus de Tyard ^ On allègue que Ronsard, dans son Elégie à Jean de la Péruse, après avoir loué le poète de V Olive, rend à Pontus ce témoignage :

Long- temps davanf. d'un ton plus haut que luy, Tyard chanta son amoureux ennuy *.

Mais on oublie que Ronsard, qui parlait de la sorte en i584- pour flatter lévêque de Ghalon, avait précisément dit tout le contraire en i55'3, dans le texte primitif de cette même élégie :

Apres Tiard, amoureus comme lui, D'un autre vers souspira son ennui *.

' liech. de la France. VI, 7.

- Aljel Jeandet, Pontus de Tyard, seigneur de Bissy, depuis évéque de Chalon, Paris, .\ubry, 1860, p. 189-191. ' Blanchemain, YI, 44.

' L'Eléf/ie à I. de la Péruse se trouve à la p. 177 du Cinqieme des Odes de P. de Ronsard.... Paris, V^e M. de Laporle, 1553. in-8". Privilège du 6 sept. Ifiiii. (lîibl Nat. liés. Y'. 4770). Etienne Pasquier, qui semble n'avoir eonnu (|ue le dernier texte de Ronsard (VI, 7; VI, 11), relève judieieu- scnient Tinexaclitude eoniniise : « Il s'abuze, et je m'en croy, pour l'avoir veu et observé. » Mais il se trompe à son tour en ajoutant : » L'Olive eouroit i)ar la France deux ans, voire trois, avant les Erreurs .\nioureuses de Tiart. »

L ' « oLivi-; » 171

Cette élraiiye paliuoilie. ([ui l'ait peu triionneur à Ilonsard, ne prouve rien contre du lîellay. Le simple rapproche- ment des dates parle assez eu faveur du poète angevin. La première édition de Y Olive parut vers Pâques i549 ; le pre- mier livre des Erreurs Amoureuses ne vit la lumière qu'au mois de novembre ', après une demi-année. Je sais bien que Pontus s'est avisé d'un artifice assez subtil pour faire croire à son antériorité : à la lin de Tépître A sa Dame qui pré- cède son premier livre de sonnets ", il a mis la date de î548. Mais qu'on prenne garde : cette date ne se trouve pas dans l'édition princeps de i549 ' mais seulement dans la troisième, l'édition complète de i555 ', parue alors que du Bellay était en Italie. Plus tard encore, en lô^S, publiant toutes ses œuvres, il eut l'art d'insinuer que la poésie française lui devait autant qu'à Ronsard et du Bellay, qu'il avait avant eux haussé le style des vers, que ses premiers essais remon- taient à trente ans '. S'il disait vrai, les plus anciennes pièces des Erreurs amoureuses seraient de i543. Pour ma part,

* Le privilège est du 13 sept. 1.J49 ; l'achevé d'imprimer est du o nov.

2 Œuvres de Pontus de Tyard, édit. Marty-Laveaux, p. 10.

' Je l'ai vérifié par moi-même, sur l'exemplaire de l'Arsenal, B.L. 92!)0 (Réserve)

' Bibl. Xat. Rés. Y'. 1677.

^ (( J'ay fait recueillir mes vieilles et nouvelles Poésies en un, . . . vous suppliant de prendre garde, par le 111 de ceste longue continualion com- mencée il y a trente ans, combien entre nous a esté la mutation du stile poétique estrange, et grand et louable le progrez et avancement qu'a fait nostre langage François depuis ce temps. Je commençay fort jeune d'aimer et d'honorer la beauté et les (grâces, et de mesme aage fuz eschauffé de l'ardeur d'Apollon. Toutesfois n"ayant aucun devant moy, qui en François eust publié Poëmes respondans à Televation de mes passionnées conceptions, je ne fuz aidé que de la force de la beauté qui me commandoit, pour com- plaire à laquelle je mis peine d'embellir et hausser le stile de mes vers, plus que n'estoit celuy des rimeurs qui m'avoient précédé : comme aussi mes affections passionnées pour un objet très-excellent dévoient estre plus hautes et plus belles Mais au mesme teiips que je fiz prendre Vair à mes Poc'sies, sortirent en lumière les œuvres de Ronsard Vandomois et du Bellay Angevin, lesquels le Parnasse François receut, comme fils aisnez des Muses, et les favorisa du plus riche partage. » Edit. Marty-Laveaux, p. 1-2.

172 JOACHl.M DU BELLAY

je le soupçonne d'avoir arrondi le chiU're, et je crois sentir dans ses confidences un secret dépit contre Ronsard et du J3ellay qui l'avaient non - seulement prévenu, mais encore éclipsé. Au surplus, pour n'èlre pas injuste envers Pontus de Tyard, je dirai, si l'on veut, qu'il conçut en môme temps que Joachiin celte idée dune suite de sonnets traduisant ses pensées amoureuses '. Tous deux, suivaient un mouvement : Saint-Gelays, Marot, Peletier avaient ouvert la voie : il était natui'el qu'on poussât plus loin qu'eux, qu'on fît succéder les sonnets enchaînés aux sonnets détachés, d'autant plus que Pétrarque en offrait le modèle. Joacliim et Pontus travaillè- rent parallèlement, à linsu l'un de l'autre, je le veux bien : mais je réclame pour mon auteur le bénéfice de la priorité dans la publication. J'ajoute qu'on ne saurait lui refuser non plus celui de la supériorité poétique. Sans être excellents, les sonnets de du Bellay sont bien nteilleurs que ceux de Pontus de Tyard, et, si la valeur d'une œuvre décide de son influence, il n'est ([iie juste de conclure que V Olive a plus fait pour acclimater le sonnet en France que les Erreurs Amoureuses -. Saluons donc en du Bellay le père du sonnet français, non (ju'il l'ait introduit le premier, mais parce que le premier, suivant un mot spirituel, (( il obtint pour lui des lettres de grande naturalisation ^ ».

Remarquons toutefois que les Erreurs Amoureuses n'olFrent pas comme l'Olive un« i)ure succession de sonnets, mais (ju'il s'y mêle aussi des clian- sons, des épigrammes, des rimes tierces et des sextines.

- Turquety, dans son Étude sur J. du Bellay {Bulletin du Bibliophile, nov. I86i, p. 1138-1142), revendique jalousement pour Joacliim contre Pontus l'honneur d'avoir le premier fait fleurir le sonnet. Toutes vérilications faites, sa démonsiration est de la plus rigoureuse exactitude.

•'' A. P, Lemercier, Vauquelin de la Fresnaje, p. 144. Celte partie de mon travail était rédigée, quand j'ai connu l'opuscule de Pllânzel. Je constate avec surprise que la question relative à Pontus de Tyard est à peine abordée (p. 13-14). Pour le dire en passant, cet opuscule contient de graves erreurs clironologiques qu'il était facile d'éviter en consultant d'un peu plus près les notes de l'édit. Marty-Laveaux. C'est ainsi que l'auteur (!>. 18) place dans

L ' « OLIVE » ITii

II

Chez Pétrar(|ue et les lUiliens, le sonnet était consacré presque exclusivement à la peinture des sentiments amoureux. C'est avec ce caractère quil passa dans notre poésie : « La matière facécieuse, écrit Sibilet, est répugnante a la gravité du sonnet, qui reçoit plus proprement affections et passions grèves, mesmes chés le prince des Poètes Italiens, duquel l'archétype des sonnetz a esté tiré '. » Plus tard, du Bellay conçut le sonnet hiunoristique et satirique, . et ce fut à coup sûr une de ses créations les plus originales ". Mais en 1049, il n'y voyait comme tout le monde qu'une forme rythmique merveilleuse i)our exprimer les émotions tristes ou graves, et surtout les douceurs et les peines de lamour. Tout au plus tendait-il à lui donner pour conclusion quelque trait gracieux ou saillant, à la manière de Tépigramme ' : innovation inté- ressante, qui devait le conduire dans la suite à finir ses sonnets par une pointe.

le Recueil de Poésie de l.')i9 les Sonnets à la Royne de Navarre qui, com- posés peut-être (?) vers cette époque, n'ont paru qu'en 1561. C'est ainsi encore qu'il donne comme publiés en lao2 les Amours, qui n'ont été composés cju'en la'JO et publiés qu'en lo69. C'est là- dessus cju'il se fonde et sur une date erronée du séjour à Rome (lijol-loijo) pour soutenir (p. 21-22) que du Bellay fut certainement le premier, non Ronsard, qui lit des sonnets en alexandrins. * Liv. II, chap. 2. - Cf. Vauquelin de la Fresnaye :

Ce fut toy, Du-Bellay, qui des premiers en France D'Italie attiras les Sonefs amoureux : Depuis y séjournant^ d'un goust plus savoureux. Le premier tu les as mis hors de leur enfance.

Édit. Julien Travers, t. II, p. 702. ^ 2' préf. de VOlive : « Quelques ungs vojans que je linissoy', ou m'efïor- çoy' de finir mes Sonnetz par ceste grâce, qu'entre les aultres langues s'est faict propre l'Epigramme françois, diligence qu'on peult facilement recon- gnoistre aux œuvres de Cassola Italien, disent iiour ceste raison, que je l'aj^ imraité, Jjien que de ce temps la il ne me feust congneu seulement de nom, ou Apollon jamais ne me soit en ayde » (1, 76).

174 JOACBIM DU BELLAY

{.'Olive est un recueil de sonuets pétrarquistes. Il n'entre pas dans mon sujet d'analyser le pétrai-quisme et d'en retracer l'histoire '. Je nai pas à redire ici ce que fut l'amour de Pétrarque pour Laure de Noves et de quelle âme il la chanta dans son Canzoniere : comment, dans l'ilalie du xyi^ siècle, toute une école de poètes, à la suite de Bembo, s'inspira de Pétrarque, se fit une loi de l'imiter religieusement, essaya de lui dérober son génie en lui prenant ses idées et son art, ses expressions et ses tournures, et jusqu'à ses défauts ; comment enfin le pétrarquisme s'introduisit en France par l'école lyonnaise, en se mêlant très fortement de platonisme dans l'œuvre d'Héroët et de Maurice Scève ■. Je dois remar- quer pourtant que l'admiration de Joachim du Bellay ne s'adressa pas seulement au grand poète que fut Pétrarque, mais encore, et d'une manière égale, à toute la foule de ses imitateurs ; il confondit dans le même culte les disciples et le maître ; il ne vit pas l'écart immense qui séparait de son ardente passion leur amour factice et conventionnel. Cette remarque est nécessaire, si l'on veut mesurer l'exacte valeur de V Olive.

Bien loin de s'en cacher, du Bellay s'est fait un titre de gloire d'imiter Pétrarque et les Pétrarquistes : « Vrayment je confesse avoir imité Pétrarque, et non luy seulement, mais aussi l'Arioste et d'autres modernes Italiens, pource qu'en l'argument que je traicte je n'en ay point trouvé de meilleurs : et si les anciens Romains pour lenrichissement de leur langue n'ont fait le semblable en l'imitation des Grecz, je suis content n'avoir point d'excuse » (I, Gq). Il faut marquer très nettement le caractère de cette imitation.

1 Sur ce point, v. la thèse de M. Piéri.

- Pour ce point, quelque peu négligé par M. Piéri, v. Bourciez, op. cit., liv. 1, cliap. IV.

L ' (( OLIVE » 175

Du Bellay doit beaucoup à Pétrarque '. On peut dire qu'il l'imite à chaque page, mais sous des formes très diverses ^ Souvent il emprunte à Pétrarque l'idée générale d'un sonnet, qu'il développe pour son compte, d'une manière plus ou moins indépendante de son modèle '. Quelquefois, il emprunte sim- plement un procédé de rhétorique pour mettre en relici' la pensée : tel, un développement par antithèses ^ ou par excla- mations ', ou bien encore par énumération ''. Très souvent aussi, les emprunts sont plus directs, et l'imitation n'est guère qu'une traduction. Il arrive que du Bellay traduise un sonnet mot à mot ', ou qu'il en fasse une paraphrase très rapprochée ^ D'autres fois, d'un sonnet il ne traduit qu'une partie : tantôt, deux quatrains et un tercet ' : tantôt deux qua- trains seulement'"; tantôt un simple quatrain "; tantôt un vers isolé :

Je ne croy point que de douleur on meure. (O. ij(j). ...Aé credo cliiioni di dolor inora. (S. aSo).

Seul et pensif par la déserte plaine... (O. 84)-

Solo e pensoso i pin deserti campi. . . (S. 28).

Si longue foy peult mériter merci... (O. 88).

S' onesto ainor pu ineritar mercede. . . (S. 288).

' Mes renvois à Pétrarque se réfèrent à lédition Giov. Mestica, Florence, Barbera, 1896. Sur cette édition, v. un art. de M. de Nolhac, Revue critique, 1896, t. I, p. 233.

-' Dans les notes suivantes, O. désigne ïOlive, S. et C. les Sonnets et les Canzones de Pétrarque.

3 O. 2 = C. 23, str. o ; (3. 'j = S. 3 ; O. 11 = S. 156 ; O. 36 = G. 18, str. 1 ; O. 77 = S. 129 ; O. 98 = C. 19 ; O. 103 = S. 19û ; O. 113 = S. 126. '^ * O. 26 = S. 104.

3 O. oa = S. 128

« O. 57 et 76 = S. 113 ; O. 96 = S. 271.

' O. 93 = S. 193 ; O. 94 = S. 134.

» O. 27 = S. 187 ; O. 31 = S. 9 ; O. 65 = S. 178.

« O. 69 = S. 192 ; O. 89 = S. 269. O. 63 = S. 2 : O. 67 = S. 120. " O. 33 = S. 47 ; O. 68 = S. 6 ; O. 70 = S. 19 ; O. 8.^ = S. 148.

176 .lOACIII.M DU BKLLAY

Enfin, il emprunte à Pétrarque des jeux d'esprit \ des images % des alliances de mots, des épithètes, des détails de style, qu'on ne pourrait relever que dans une édition annotée de VOIire.

Il doit presque autant à l'Arioste, si l'on considère que sur 3i sonnets amoureux composés par ce poète, il s'en est approprié jusqu'à huit par voie d'imitation, et souvent de traduction pure '. Plusieurs sonnets de VOlive présentent même à la lois des souvenirs de l'Arioste et de Pétrarque ".

Je m'attendais à retrouver aussi chez du Bellay quelques souvenirs de 13embo : mais mon attente a été trompée. On saisit bien entre les deux poètes de vagues rapports d'idées : je n'ai pu constater aucune traduction directe, aucune imita- tion précise.

Il va sans dire que du Bellay, comme il s'en vante lui- même, s'est parfois inspiré des poètes pétrarquistes de son temps '. Mais comment aujourd'hui parvenir à fixer ces emprunts, parmi tant de recueils dont la plupart sont introu- vables '^ ? Ce qui précède sufiit, je crois, à montrer que la

1 11 joue sur Olive cl Volivler connue Pétrarque sur Laure cl le laurier.

- Ainsi, le diamant, (). 3."J = S. iS.) ; le cerf blessé, O. 70 = S. 174.

^ O. ;j (tercets) = Mal si compensa fahi lasso) un brève sguardo ; 7 = Madonna sete bella, e hella tanto ; 8 = Com' esser piio che degnamente lodi; 10 = La rete fii di queste Jila d'oro ; 11 = Cldiiso era il Sol da un tenebroso vélo ; 18 ■= Altri lodarà il viso, altri Le chiorne ; 30 = Bén che l martir sia periglioso e grave ; 33 = O avvenluroso carcere soave. Le liirne di M. Lodo- vico Ariosto Venise, 1546. (lîibl. Nat. Y''. ")8[)2).

* C'est le cas, par exemple, pour les s. 3, 11, 33. Dans le s. 33, le 2' qua- train vient de Pétrarque, le l^' quatrain et les tercets de l'Arioste. Du Bellay prati(|ue la contarninatio.

' Ainsi Pasquier, dans une lettre à Tabourol {Lettres, VIII, 12), nous apprend que le s. l'J de VOlive, en vers rapportés, « est desrobé d'un Italien, et rendu fort lidellenient en nostre langue ». Suivant La Monnoye, cet Ita- lien est Martelli (Œuvres de Saini-Gelays, édit. elzév., t. 1, p. 301).

" Un savant jurisconsulte Ij'onnais, André de Rossant, avait composé sur ÏOlive, d'après La Croix du Maine (I, 20), « de très-amples commen- taires.... contenant tant de matières diverses que, s'ils éloicnt imprimés, ils passeroient la grosseur d'un juste volume ». En dépit du fatras certain,

L ' (( OLIVE » 177

part (rimitation est trt's grande tlans VOlive. En présence de cette imitation volontaire, préméditée, Systématicpie, imc ([ues- tion vient aux lèvres : qu'y a-t-il de réel et de \ rai dans l'amour du poète pour Olive ?

III

\5nQ ancienne tradition prétend que du Bellay, sous le nom d'Olive, aurait chanté par anagramme une jeune fille de grande maison. M"'^ Viole. Marcassus dit tenir le fait de M. Garnier, « excellent poëte de ce temps » '. Golletet, sans citer ses garants, déclare le savoir de bonne source % et Ménage raconte qu'il a su cette particularité de M. Guiet, « qui l'avoit apprise d'un ami de du Bellay » ^ Biographes et critiques sont d'accord pour admettre que Ml'' Viole était nièce ou parente de Guillaume Mole, qui devint évêque de Paris (déc. 1.563), après la démission d'Eustache du Bellay. L'accord cesse, lorsqu'il s'agit de déterminer quel était son lieu d'origine. Ménage et Goujet font d'elle une Angevine, tandis que Golletet atfirme hautement qu'elle était Parisienne. Sainte-Beuve se range à l'avis de Golletet *, et M. Ballu cer- tifie qu'on ne trouve en Anjou aucune famille du nom de Viole \

Pour moi, faut-il le dire? je ne suis pas bien sûr qu'Olive

la perte de ce coiuuientaire est profondément regrettable André de Rossant indiquait sans doute, comme Muret et Belleau pour les Amours de Ronsartl, l'origine insoupçonnée de maint sonnet de VOLive.

' Commentaire sur la 3' Eclogiie de Ronsard. Blancliemain, t IV, p. G2, n. 1.

- Copie mscr., f" 49 .

3 Anti-Baillct, chap. cix. Édit. de 1730, p. 229-230.

* Notice sur J. du Bellay, p. 339.

'" Ballu, p. ux, n. 1.

Univ. de Lille To.me YIII A. 12.

178 .lOACHlM nu BELLAY

ail jamais existé. Certain passage de du Bellay lui-même m'inspire un doute à ce sujet :

Si est-ce pourtant que je puis Me vanter qu'en France je suis Des premiers qui ont ozé dire Leurs amours sur la Thusque lyre.

Et mon Olive (soit ce nom

U Olive véritable, ou non)

Se penlt vanter d'avoir première

Salué la doulce lumière '. (11, 329).

Je remarque d'ailleurs qu'après avoir dédié la première édi- tion de V Olive (( à sa Dame » (I, (3;^), il supprima cette dédicace pour offrir la seconde à Madame Marguerite (I, 70), et je nu; demande si l'on fait pareil afïront à quelqu'un que l'on aime.

Toujours est-il que son roman d'amour avec Olive se réduit à fort peu de chose. Pétrarque avait rencontré Laure, dans ime église d'Avignon, le G avril i32^, à l'ollice du ven- dredi saint. G'ei^t à la messe de minuit, le jour de Noël, que du Bellay a fait la rencontre d'Olive (s. 5). Amour l'a frappé d'une llèche : (( le coup au cœur par les yeux descendit ». Et depuis, le poète se consume pour elle. Il nourrit en son àme un amour sans espoir. Car Olive est inexorable, et, quoi- qu'il parle de la douceur de ses baisers (s. 33, 44)' J6 ne vois pas qu'il ait jamais reçu d'elle autre chose qu'un (( voile blanc » traduisez un mouchoir brodé d'une branche d'olivier (s. 72). Cet amour, ce semble, aurait mal fini : un rival détruisit le bonheur du poète, du moins si j'en juge par deux sonnets violents contre la Jalousie (s. 99, 100). Peut-être

' Cf. Baïf :

Jîcllay cliaiita, soit ou feinte ou naïve,

Sa prime ardeur sous le doux nom d'Olive.

Édit. Marty-Laveaux, I, 8.

L ' (( OLIVE » 179

Olive s'était elle laissé séduire par la f(M'tuue : une iMii)réca- tion du poète contre l'or permettrait de le supposer (s. loi, 102) '. L'inconstance de sa maîtresse n'empêcha pas du Bellay de bien prier pour elle, au cours d'une maladie dont elle fut atteinte (s. io3, io4). Les sonnets de la fin paraissent indi- quer que lamant évincé chercha dans la i-eligion un récon- fort à sa douleur (s. 107-113). Voilà tout ce qu'on peut dégager de V Olive, en fait d'impressions réelles : on convien- dra que c'est peu. N'attachons donc pas d'importance à ces données insulïisantes, et sans vouloir à tout prix décider si Mlle Viole a vécu, ne voyons en Olive que ce qu'elle a vrai- ment été pour le poète,, une amante idéale, une Muse inspi- ratrice, un prétexte à beaux vers.

IV

Le travail de M. Piéri sur le Pétrarquisme au xvi^ siècle me dispense d'une longue étude de V Olive. Je ne dirai que l'essentieL

Deux idées, deux thèmes, si l'on veut, résument tout l'ouvrage, et les cent quinze sonnets n'en sont qu'un continuel développement : beauté de la dame, amour du poète.

Olive, comme toutes les idoles de son genre, réunit en elle toutes les beautés physiques et toutes les perfections morales. Le jour qu'elle naquit, l'univers était « plein de bonheur » : la mer était tranquille et les cieux éclatants : et la nature en fête se pencha sur elle pour la parer avec amour de ses dons les plus rares : elle lit son teint de la blancheur des lys, ses cheveux d'or, ses deux lèvi'es de roses ; elle mit dans ses yeux la splendeur du soleil (s. 2). Et main- tenant qu'Olive réalise dans son entière plénitude la beauté

' A noter que le s. IU:J est une traduction d'Horace, Garni.. III, xvi.

ISd .lUACHl.M DU BELLAY

de la feinnie, quel charme exquis sexhale de tout son être ! Son visage (( angélique et serein » emprunte ses couleurs à la « vermeUle aurore )). Sa « fine et blonde )) chevelure se déroule (( ondoyante » sur un « cou de porphyre et de marbre ». Dans sa bouche (( soupire une haleine » aussi suave que les « parfums de 1" Arabie », et, loi'squ'elle sourit, ses (( lèvres de corail » uiontrent « deux rangs de perles cristallines ». Elle a des « yeux étincelants », des <( sourcils bien arqués )), un « front de neige », un « sein d'albâtre », une (( main polie, blanche comme l'ivoire ' » :

Bref, ce que d'elle on peult ou voir ou croyre, Tout est divin, céleste, incomparable. (S. ").

Du Hellay refait jusqu'à sept fois le portrait d'ensemble d'Olive ". Puis il chante ses beautés en détail. Croirait-on qu'il consacre un sonnet (s. i5) à célébrer son pied, ce (( pied d'argent », pareil à celui de Thétis, et qu'enrichissent « cinq pierres d'orient » ?

Ce n'est pas tout. Olive a du talent : elle est instruite et cultivée, u Elle" danse, elle balle, elle chante » : quand sa voix se marie au son des instruments, (( elle enchante tous les soucis ». Elle parle à ravir ; elle pense (( hautement )), et traduit ses pensées en des écrits d'un style « doux et grave ». Connue tous les attraits du corps, elle a tous les dons de l'esprit '. Et ceux-ci l'emportent de beaucoup sur ceux-là, comme étant plus durables et plus sûrs. Il faut citer ce beau sonnet, un des mieux venus du recueil, du Bellay pro- clame la beauté morale supérieure à la beauté physique * :

' Olive, i)a.ssim.

- S. 2, 7, 02, 65,71, 74, 91.

■' S. 18, 32, 65, 69, 74, 78, 80.

* Peut-être s'est-il souvenu d'un joli passage d'Ovide, Trist. III, vu, 33 sqq. Élégie à Périlla. Cf. un autre passage d'Ovide, Cosni. 43, heureu- sement traduit par ilu Bellay, I, 4iJG.

L ' « OLIVE » 181

Tout ce qu'icy la Nalure environne, Plus test il naist, moins longuciueiiL il dure : Le gay printemps s'enrichist de verdure, Mais peu flcurist riionneui- de sa couronne.

L'ire du ciel facilement étonne

Les fruicts d'esté, qui craignent la froidure :

Contre l'hiver ont l'ecorce plus dure

Les fruicts tardifs, ornement de l'autonne.

De ton printemps les fleurettes seichées Seront un jour de leur tige arrachées, Xon la vertu, resj)rit et la raison.

A ces doulx fruicts en toy meurs devant l'aage.

Ne faict l'esté, ny l'autonne dommage.

Ny la rigueur de la froide saison. (S. 32).

Olive est donc de tout point accomplie : comment la con- templation de tant de trésors laisserait-elle le poète insensible?

Alors de moy une doulce rapine

Se faict en moy : je me pers, il me semble

Que le penser et le vouloir on m'emble

Avec le cœur, du fond de la poitrine '. (S. 94)-

Un amour profond est dans son âme, brusquement, au premier contact avec la beauté, une passion violente, fatale, irrésistible, qui s'est emparée de lui tout entier, attei- gnant dès l'abord à l'extrême, désormais immuable '\ La flèche meurtrière a blessé le poète à jamais. Captif d'Olive, jamais il n'essaiei'a de secouer sa chaîne. Il est « le roc de foy non variable » que rien ne saurait entamer. On verrait plutôt fondre le diamant que son cœur changer envers sa maîtresse (s. 35). Et d'un ton grave, il multiplie les promesses de dévouement sans mesure, les serments d'éternelle fidélité '.

» Cf. s. 38.

■' S. 0, 63.

3 S. 13, 29, 39, oO, Tti.

182 JOACHIM DU BELLAY

Cet amour si constant est aussi douloureux. Il cause au poète de vives soufl'rances : il exerce en lui de profonds ravages : c'est une fièvre qui le raine, une llarame qui le dévore '. Mais ces ravages physiques ne sont rien en compa- raison des tourments moraux quil endure. Car son amour est incompris : Olive ne daigne pas y répondre. Les protes- tations les plus enflammées n'arrivent pas à la fléchir. Elle a tout Torgueil de la femme aimée qui s'est fait une loi de la fierté farouche, et que nul serment ne saurait toucher ". Le poète analyse longuement ses tortures. 11 le fait quelquefois de façon discrète et légère, comme dans ce sonnet, que je cite pour sa grâce :

Qui a peu voir la matinale rose D'une liqueur céleste emmiellée, Quand sa rougeur de blanc entremeslée Sur le naïf de sa branche repose :

11 aura veu incliner toute chose A sa faveur : le pié ne la foulée, La mainencor' ne l'a point violée, Et le troupeau aprocher d'elle n'ose :

Mais si elle est de sa tige arrachée,

De son beau teint la frescheur desséchée

Pert la faveur des hommes et des Dieux.

Helas ! on veult la mienne dévorer,

Et je ne puis, que de loing, l'adorer

Par humbles vers (sans fruit) ingénieux \ (S. 97).

Ce n'est ({uun soupir mélancoli(iue. Mais la plupart du temps, le poète a moins de réserve : il se répand en plaintes " ;

> S. 44, 51. 2 S. 23, 37, 53, 01.

' Esl-il besoin de rappeler (jue ces jolis vers sur la rose sont un souvenir de Catulle. Carm. LXII, 46 sqq.? * S. 27, 46, 55, 84, 90.

L ' (( OLIVE » 183

il adresse des prières su|)pliaiiles à la IjcUc insensible ' : il verse des torrents de larmes '^ ; il appelle la iiiorl coiuine une délivraiu'(,* ' :

. . . Puis ([ue le yniv me nuist Plus que la mort, o mort, veilles donq" ores Glorre mes yeulx d'une éternelle nuit. (S. 47).

Qu'on se rassure pourtant. 11 ue se tuera [)oint. (]et amour dont il souffre, c'est un amour qu'il aime : pour rien au monde, il n'en voudrait guérir. Il est si bon de subir un joug comme celui d'Olive, et la prison a tant de charmes, quand c'est pour des liens si doux qu'on a perdu sa liberté * ! Bien des bonheurs attendent le ])oète esclave : un regard de sa dame fait pour lui le printemps (s. 3i) ; un sourire de sa jjouche l'élève au paradis (s. 81). Dans ces conditions, pourrait-il n'être pas heureux de sa servitude ? Conmie d'au- tres ont l'orgueil de la victoire, il a, lui, l'orgueil de la défaite :

Avoir esté par vous vaincu et pris,

C'est mon laurier, mon triomphe, et mon prix. (S. 34).

V

Ces deux thèmes fondamentaux beauté de la dame, amour du poète qui reviennent à chaque page, toujours les mêmes, ne sont pas exempts de monotonie. Tout cela serait supportable, si l'auteur avait su prendre notre esprit par la finesse de l'analyse psychologique, toucher notre cœur par la i)einture vivante d'émotions véritables. A défaut d'une

' S. 4. 36. 02, 67.

- S. 25, 48. 12.

» S. 47, 66.

* S. 22, 30, 33, 34, 08, 80, 133.

184 JOACHIM DL- BELLAY

science si subtile, pour varier son sujet, il fait appel à toutes les ressources de l'imagination, à tous les artiliccs du style. La nature est ici d'un précieux secours, et le poète en tire de très heureux effets. Je ne dis rien de cette poésie (( pictuj'ale » qui donne en parure à la bien-ainiée tout ce que la nature a de plus rare et de plus beau : j'en fais pour ma part assez bon marché. Lor, l'arg'ent, le cinabre, l'albâtre, le porphyre, le marbre, le cristal, l'ivoire, le corail, les perles, les lys, les œillets et les roses, tiennent trop de place dans V Olive , et l'auteur, qui siiispire de Pétrarque ', a le grand tort d'exagérer limitation de son modèle. Mais il y a mieux que cela : le poète a déjà l'art d'associer la nature aux divers sentiments de son àme : il sait nous décrire avec force ce douloureux contraste si fréquent entre la nature en fête et l'honmie en deuil (s. 4^) ! il sait oppo- ser au cœur d'Olive, rebelle à l'amour, lamour universel des choses dans l'ivresse du printemps (s. 89") ; il sait, en une heure de sombre désesjjoir, faire entendre un appel pathé- tique, pour qufî la nature ait pitié de lui, puisque sa dame est sans pitié - (s. 54). Dans l'œuvre entière de du Bellay, on trouverait, je crois, peu de sonnets d'un sentiment plus délicat que celui-ci :

Seul et pensif par la déserte plaine Resvant au bien qui me faict doloreux, Les longs baisers des collombs amoureux Par leur plaisir firent croître ma peine.

Heureux oiseaux, que vostre vie est pleine De grand'doulccur ! ô baisers savoureux ! O moy deux fois et trois fois malheureux, Qui n'ay plaisir que d'espérance vaine !

' Canzoniere, s. 101, 124, 184.

- Dans la note purement pittoresque, v. le s. 83, « la ])r('mière ries belles matineuses », dit M. Faguct (p. 29S).

L ' (( ULIVE » 185

Voyant cncor' sur les bords de mon fleuve

Du sep lascif les lonj^s cnibrassenients,

De ujes vieulx niaulx je fy' nouvelle épreuve.

Suis-je donc veuf de mes sacrez rameaux ?

O vigne heureuse ! heureux enlacements !

O bord heureux ! ô bien heureux ormeaux ' ! (S. 84).

La mythologie ne l'a pas, à beaucoup près, aussi bien inspiré que la nature. Pétrarque en avait usé très rarement. C'était sagesse. Mais on ne pouvait pas attendre d'un élève de Dorât la même discrétion. Les fictions mythologiques gâtent la plupart des sonnets de V Olive. Les Naïades de la Loire, les amours de Vénus et de Mars, les songes de la porte d'ivoire, la légende d'Endymion et de Diane, de Tithon et d'Aurore, la nymphe Écho, la rose teinte du sang d'Adonis, le supplice d'Encélade sous l'Etna , de Prométhée sur le Caucase, la descente d'Orphée aux enfers , le chant des Sirènes, Actéon dévoré par ses chiens, Zéphire et Flore, les Harpyes, Jupiter pénétrant en pluie d'or dans la tour d'airain de Danaé, la chute d'Icare, etc.. paraissent tour à tour dans les vers du poète, quelquefois sous la forme de simples et rapides allusions, mais pour y faire presque toujours un effet déplorable '\ Il est même des cas le souvenir fabuleux a tout juste la clarté d'une énigme : ainsi dans le s. 90, du Bellay résume la légende d'Esculape, et pourquoi ? Pour en tirer cette conclusion : nouvel Esculape, je suis la victime de celle que j'ai ravie à l'enfer et que j'ai faite compagne des dieux !

Prodigue d'ornements poétiques, du Bellay met à contri-

1 Cf. Ovide, Amor. Il, xvi, 41-42 :

Ulnius amal viteni, vilis non deserit ulniiim Separor a domina cur ego saepe mea ?

2 S. 3, 9, 14, 10, 24, 45, 51, 59, 80, 82, 86, 87, 99, 102, 115.

186 .loAcm.M Di: bellay

bution d'autres choses encore que la mythologie. Qui voudra voir comme il mêle aux passions amoureuses les abstractions philosophiques, lira le s. 64 '. Les arts aussi paient au poète leur quote part ^ \ai chasse et la guerre lui donnent des images " : les beautés d'Olive sont (( les haims, les appaz, l'amorse. les traicts, les rez )) qui l'ont captivé (s. 65) ; quant à sa loi d'amant, c'est une forteresse qui n'a pas besoin

De fosse creuse ou de tour bien murée. (S. 39).

La navigation, dans V Olive, joue de même un rôle impor- tant * : plusieurs fois le poète se compare au marin en détresse dont le navire est ballotté sur la mer orageuse, et qui n'est sauvé du naufrage que par la soudaine apparition d'une étoile bienfaisante (s. 11 et 40- Cette étoile, c'est Olive. Car du Bellay, qui fait grand usage de l'astrologie, ne laisse échapper aucune occasion de transformer les yeux d'Olive en deux astres resplendissants '. Des yeux qui sont des astres ! On sttjt si ce goût a duré longtemps ".

l*ar ce (jui précède, on peut voir du Bellay puise ses comparaisons et ses méfapJioj'cs. Les principales figures de rhétorique se donnent à leur suite rendez-vous dans l'Olive. Cueillons-en quel([ues-unes au hasard :

' Allusion aux llit-orics du limée.

■' S. 19, 74.

3 S. 6i). 82. 85. S. 34, 39, ofi.

■' S. H, 41, 80, 98.

5 S, 2, il. 12. 17, 21, 27. 31, 41, ;i8, 71, 91, 98.

" Vieilleville se plaint déjà, vers 1530, de ce mauvais goùl : a II ne sullit pas aux poètes de tirer, pour les beautés, leurs eonii)araisous des choses terrestres, comme de lys, roses, œillets et toutes aultres Heurs, semblable- ment du eoral, albastre. yvoire, perles et aultres pierres de prix ; mais les vont crocheter jusques aux cieux, attaquant le soleil et ses rayons, l'arfren- tine rondeur de la lune, reslincelleiiienl des cstoilles ». Mémoires, 111, 7. Cité par Bourciez, p. 404.

L ' (( OLIVE )) 187

Des allégoriei< : le cœur du poète, qu Amour avait fait occuper par l'Espérance « et sa bande blanche », est investi par la (Crainte (( à la noire séquelle », qui le foudroie « du canon de rigueur » (s. 56).

Des périphrases : Homère est (( celui

Par qui Achille est cncor' aujourdhuy

Contre les Grecz pour s'ainye obstiné. » (S. uo).

Les roses sont dites (( les fleurs du sang- amcjureux nées »

(s. 45)'.

Des hyperboles; : Phébus tout honteux cache ses cheveux quand il voit ceux d'Olive (s. i^). La Loire se grossit des ruisseaux de larmes du poète (s. 90).

Des antithèses : (( Pasle, dessoubz l'arbre pasle étendu » (s. 45). « L'heureux object qui m'a faict malheureux » (s. (3i). (( Sus, chaulx soupirs, allez à ce froid cœur » (s. 67). a De mon amer la tant doulce racine » (s. 77). Plusieurs fois, l'antithèse, au lieu d'être restreinte aux bornes d'un seul vers, s'étend au sonnet tout entier ■. C'est alors, d'un bout à Tautre, comme un cliquetis d'idées et de mots.

On peut aller très loin dans cette voie. L'abus des figures, surtout de l'antithèse, conduit vite au raffinement. La subti- lité du langage, la recherche de l'expression, le goût des traits brillants, plus ingénieux que naturels, se rencontrent presque à toutes les pages de V Olive. 11 n'est pas jusqu'aux jeux de mots, si fâcheux déjà chez Pétrarque, que du Bellay n'ait cultivés avec un plaisir évident. L'identification d'Olive avec l'olivier finit par être une obsession : le poète y revient jusqu'à dix-sept fois ' !

' Cf. les périphrases pour di'si<>ner le soir et le matin (s. 21), le printemps et l'hiver (s. 31).

•' S. 26, 28, 47, 93, MO.

3 S. 1, 4, 45. 49, 61. 62. V>\), 72, 76, 77, 8;i, 93, 98, 103, 104, 105, llo.

188 JOACHLM DU BELLAY

Ce que j'ai cite de l'Olive est plutôt à son avantage. Le lecteur aurait du recueil une idée inexacte et fausse, s'il croyait qu'on y trouve beaucoup de sonnets pareils à ceux quïl a lus plus haut. Pour être juste, il faut donner un échantillon du mauvais goût qui s'}' rencontre. Ecoutez ce sonnet :

Je ne croy point, veu le dueil que je meine Pour Tapre ardeur d'une flamme subtile. Que mon œil feust en larmes si fertile, Si n'eusse au chef d'eau vive une fonteine.

Larmes ne sont, qu'avecq' si large vene Hors de mes yeux maintenant je distile : Tout pleur seroit à finir inutile Mon dueil, qui n'est qu'au meillieu de sa i)cine.

L'humeur vitale en soy toute réduite Devant mon feu craintive prent la fuyte Par le sentier qui meine droict aux yeux.

C'est cete ardeur, dont mon ame ravie

Fuyra bien tost la lumière des cieux,

Tirant à soy et ma peine et ma vie. (S. 25).

Admirez, je vous prie, cet œil fertile en larmes, cette fon- taine d'eau vive logée dans la tête, cette humeur vitale du poète qui fuit craintive devant son feu, cette àme qui tire à soi sa peine et sa vie ! Madelon et Cathos, Armande et Bélise, se fussent pâmées d'aise à la lecture de ces jolies choses. Qui donc a dit que la préciosité datait du grand siècle ?

VI

La perle de V Olive, c'est le beau sonnet sur Vidée. M. Bourciez ' a montré tout ce qui le sépare du gracieux

' Op. cit., liv. I, cliap. iv, p. 107 sqq.

L ' « OLIVE ') 189

rondeau de Marot sur rainour au bon vieux temps. C'est bien, en effet, une nouvelle conception de Tamoui' qui s'ex- prime en ces vers admirables. Le culte du poète pour Olive, pour la lenniie en qui sint-arne toute beauté, est vraiment autre chose qu'une passion terrestî'e : c'est un amour tout idéal, mystérieux inspirateur des plus nobles pensers, des plus sublimes vertus, par les degrés duquel l'âme s'élève jusqu'à la contemplation du bien suprême. Emprisonnée ici- bas, elle aspire à sortir du séjour ténébreux, à briser tous les liens qui l'attachent à la terre, pour s'envoler d'un coup d'aile vers un monde éclatant de lumière, et pour g-oùter, dans son éternelle essence, le pur amour au sein de la beauté divine. Ce rêve tout céleste, le poète le soupire vaguement en plusieurs endroits de son œuvre ' ; l'expres- sion définitive s'en trouve dans le sonnet ii'i :

Si nostre vie est moins qu'une journée En l'éternel, si l'an qui faict le tour Chasse noz jours sans espoir de retour, Si périssable est toute chose née.

Que songes-tu, mon ame emprisonnée ? Pourquoy te plaist l'obscur de nostre jour, Si pour voler en un plus cler séjour. Tu as au dos l'aele bien empanée '?

La est le bien que tout esprit désire, La, le repos ou tout le monde aspire, La est l'amour, la, le plaisir encore.

La, 6 mon ame, au plus hault ciel guidée,

Tu y pourras recongnoistre ITdée

De la beauté, qu'en ce monde j'adore.

Dans cette idée de la beauté, rayonnant au plus haut du ciel, archétype indestructible de la femme aimée ici-bas, qui

» S. 4G, uS. 03, 112.

190 JOACHIM DU BELLAY

n'a reconnu Tespi'it de Platon ? La théorie platonicienne de Tamour revit ici tout entière. Héritier d'Héroët et de Seève, du Bellay la formule à nouveau, mais avec plus d'éclat que ses deux précurseurs, sa pensée étant plus condensée, et par d'autant plus nette et forte.

On a souvent fait ressortir l'idéalisme platonicien contenu dans V Olive ; mais ce qu'on n'a pas dit, c'est qu'il s'allie aux doa^mes chrétiens. Le s. 112 assimile le Prévoyant, qui choisit les âmes les plus belles pour s'en faire une escorte à travers l'empyrée, au cours de son voyage dans le clos des Idées, au Juste qui choisit ses élus. (( les réanime en leur première vie », et les rend presque égaux à son Fils '. Les sonnets qui précèdent ' sont vraiment pénétrés du souflle religieux. Le cas est assez rare chez les poètes paganisants du xvF siècle pour mériter qu'on le signale. Je sais bien que c'était l'habi- tude, chez les Pétrarquistes Italiens, après avoir chanté leurs amours, de confesser en quelques sonnets leurs erreurs et leur repentir '. Pétrarque avait donné l'exemple "* : tous ses disciples l'avaient suivi. Mais si du Bellay n'a fait ces sonnets que par esprit d'imitation et pour obéir à la mode, il faut avouer qu'il s'est surpassé : car on y sent plus d'émotion que dans la plupart de ses vers d'amour. Ses élévations reli- gieuses, ses amers regrets des larmes versées pour un objet profane, ses élans vers Dieu pour implorer le pardon qui efface et la grâce qui console, ne manquent ni de grandeur ni de poésie '". Les sonnets repentants de V Olive ne sont pas indignes de Pétrarque.

' Il est étrani^e que du Bellay applique à Dieu le Père l'épithète de Juste qu'on applique toujours au Fils.

- S. 107-111.

3 Ginguené, llist. lilt. d'Italie. IX, 39i-395.

* Canzoniere, s. 31;'), 316, 317.

'" A titre de euriosité, le lecteur rapprochera du sonnet 111 de V Olive, sur le vendredi saint, le rondeau 31 de Marot (édit. P. Jannet, H, 144).

L ' (( OLIVE » 191

Du Bellay, dans VOlice, avait t'ait de l'amour une religion. Deux ans plus tard, il reprit cette idée en l'épurant encore, et, toujours inspiré par le platonisme, il composa les XIII Sonnetz de Vhonneste Amour *. Dans le premier de ces sonnets, il indiquait la pensée directrice de son (ruvre : Amour l'avait sacré prèti'e de son honneuh, pour cluinter les hymnes de sa g-loire. Notez ce mot honneuu, en lettres capitales : il résume à lui seul le sujet. C'est de l'amour honnête que l'auteur va traiter, de l'amour éthéré, de l'amour idéal. Ces treize sonnets ne sont qu'une suite du sonnet ii'i de Y Olive. Ce qui domine en tous, c'est l'idée platonicienne que l'amour spirituel est supérieur à l'amour corporel, comme la beauté de l'esprit est supérieure à la beauté du corps. Refaisant le portrait de sa dame au moyen des images (( picturales )) si fréquentes dans l'Olive, ce n'est pas ces attraits, lui dit-il.

C'est cet esprit, rare présent des cieux, Dont la beauté de cent grâces pourveiïe Perce mon anie, et mon cœur, et mes yeux. (S. 2).

Il n'est parlé que des beautés de la dame. Quant aux soullrances de l'amant, il n'en est plus question. Le pétrar- quisme a disparu : c'est le triomphe du platonisme le plus subtil "' :

Rien de mortel ma langue plus ne sonne,

s'écrie du Bellay (s. 10), et, dans tous ses sonnets, il redit le chaste et pur désir de la Beauté céleste, idéale et parfaite '.

' Marty-Laveaux, II, 60-66. Ces sonnets ont paru dans le recueil de iVy.yl, dont je parlerai plus loin (chap. \).

- J'ai déjà dit (p. 79, n. 1) que pour les vrais Platoniciens, le pur amour est exempt de souffrance. V. au 3' liv. de la Parfaicte Amye d'IIéroet (édit. de loi'i, p. 08) une curieuse satire du pélrarquisme.

^ V. notamment les s. 4, 7, 10.

192 JOAÇHIM DU BELLAY

Il le redit en général de la manière la plus entortillée, la plus alambiquée, la plus quintessenciée '. Quiconque aura le courage d'affronter jusqu'au bout la lecture de ces treize sonnets, ne seï-a pas d'un autre avis que nous. D'où peut venir, chez un auteur le plus souvent facile et clair, cette recherche du prétentieux et de l'obscur ? De l'influence de Pontus de Tyard.

Pontus avait publié, quelques mois après la première édition de YOliçe, en i549, ses Erreurs Amoureuses. Puis en i55i, il en avait donné la Continuation, en môme temps qu'une traduction du traité de Léon Hébrieu sur l'Amour ^ On sait en quel galimatias, sous prétexte d'échapper au vul- gaire, il avait exprimé ses conceptions platoniciennes. Du lîcllay se sentit dépassé. Dans un désir d'émulation, il vou- lut montrer qu'il était capable de faire aussi bien '. De les Sonnetz de Vhonneste Amour. On n'y saurait nier une imitation de Pontus de Tyard. Quelques exemples sudiront.

Mon cœur, disait du Bellay dans le s. 4'

Boit à longs traicts Vaigre-doulce poj'zon, Qui tous mes sens heureusement enchante.

Je lis chez Pontus de Tyard :

C'est donq d'Amour la poison aigre-douce \

Au s. 12, du Bellay s'exprime en ces termes :

La docte main, dont Minerve eust appris, Main, dont l'y voire en cinq perles s'allonge...

' Les s. \, 4, 5, 9, 11, sont même à peu près inintelligibles.

- Sur cet ouvrage, v. Bourciez, op. cit., p. 120-121.

' Son admiration pour l*. de Tyard est attestée par ce passage de l'épitre- préface de 1552 : « Quand aux œuvres de mon invention, je ne les estimoi' dignes de se montrer au jour, pour comparoistre devant ces divins espris ïholozains, A7asfO/uiots, et autres... » (1, 338). Pontus de Tyard était île Bissy-sur-Fley, en Maçonnais.

* Liv. Il, s. 2, p. 08.

L ' (( OLIVE » 193

Ce qui rappelle étrangement ce quatrain de Tontus :

En ta prison (bien-heureux gan) conserve La docte main, la main blanche et polie : Main, qui pourroit endoctriner Talie. Voire venger Aracné de Minerve \

Les Sonnetz de l'honneste Anioar se terminent (s. i3) par cette dédicace à sa dame :

J'appen ce çœu à Viminortalité,

Devant les pieds de vostre image saincte.

L'année précédente (i55i), Tyard avait précisément commencé sa Continuation des Erreurs Amoureuses par une dédicace du même genre :

J'appen, et voiie en toute humilité

Ce, que je puis de l'immortalité.

Aux sacrez piedz de cette sainte image '\

J'ajoute que des expressions comme celles-ci : Je peins au tableau de Mémoire votre beauté, la céleste Androgyne de nos cœurs, l'alambic de vos perfections, l'esprit de la flamme des deux, les mains du Moteur souverain, la sphère de ma vie, le centre oii tend le rond de m.es esprits, etc., sont tout à fait dans le goût de Pontus de Tyard.

Tout cela, certes, est très médiocre, et si j'ai cru devoir y insister, c'est qu'il est curieux de voir du Bellay se préci- piter à la suite de Pontus de Tyard, s'efforcer, au risque de gâter ses dons naturels, de reproduire sa manière amphigou- rique et prétentieuse, et cela, par horreur du vulgaire, pour

* Liv. II, s. 31, p. 94.

- P. 7 de l'édit. Marty-Laveaux. Le s. 2 de du Bellay n'est qu'une réduction du Chant à son Leut inséré par Pontus p. 34 de sa Continuation (Marty-Laveaux, p. 1^6-127). Ce vers du s. 12 : Le tout-divin de vostre Pasithée, est une allusion à P. de Tyard, dont Pasithée était la dame.

Univ. de Lille. Tome VllI. A. 13.

194 JOACHJM DU BELLAY

rendre la |joésie inaccessible au commun des mortels. Rien ne montre mieux combien Joachim. empêtré dans les théories d'école, était à court de sentiments vrais : ne sachant que dire par lui-même, sans idées personnelles nettement arrê- tées, il subissait les influences les plus contraires à son g-énic, jusqu'au jour où, fatigué de ce rôle d'emprunt, il jeta le mast[ue et se mit à bafouer l'objet de son premier culte.

VII

h'Oliçe, les Erreurs Amoureuses, très goûtées du public savant, avaient déterminé tout un courant de poésie pétrar- quistc. Après Joachim et Pontus, Ronsard avait chanté Cassaudre, Baif avait chanté Méline (i552). Et voici qu'une légion de poètes, emboîtant le pas à leur tour, célébrait à l'envi des maîtresses imaginaires qui se présentaient invaria- blement comme des types achevés de beauté, des modèles accomplis de vertu. La Sainte de Guillaume des Autelz, la Castianire d'Olivier de Magny, l'Admirée de Jacques Tahureau, la Diane d'Etienne Jodelle, la Glaire de Louis le Gai'on, l'Olympe de Jacques Grévin, l'Amalthée de Claude de Buttet, combien d'autres encore ! étaient à tour de rôle la femme unique (pii réunit en elle toutes les perfections. C'était par la France une marée montante de sonnets, un débordement inouï de pétrarquisme '.

Du liellay ne tarda pas à comprendre le danger. Il était honnue de goût ; et d'ailleurs il y avait en lui, comme en Ronsard, comme en Baïf, sinon un fonds gaulois, du moins je uc sais quoi de sensuel qui s'accommodait mal de toute ujièvrcrie. Pas plus (pien aniowc il n'avait horreur des réalités, il n'avait en littérature le dédain du mot [)ropre et parfois

' Cf. t^iôri, op. cit., j). 2i}î scjcj.

L ' « OLIVE )) 195

un peu cru. Dès i549, ^^ publiait contre une duègne, dont il avait à se plaindre, luie diatribe très violente, que n"exi)liqne peut-être pas seul le désir d'imiter Horace ou Properee '. En tout cas, sincère ou non, YAntcrotique de la vieille et de la Jeune amie ~ était un singulier pendant aux cinquante sonnets de YOlive^ et l'on pouvait s'iUonner de ti-onver sous la plume dun disciple de Pétranj^ue des propos dignes plutôt d'un Marot ou dun Régnier. Il nest donc pas bien surprenant que du Bellay, dont l'humeur fut toujours très mobile, ait fini par se dégoûter du pétrarquisme intempérant qui sévissait autour de lui. Reniant son passé, le panégyriste des amours idéales écrivit a à une Dame », en i553. une amusante et spirituelle palinodie, qui compte parmi ses meilleures pièces \ Rien de plus piquant que cette satire de Y Olive par l'au- teur de Y Olive. Du Bellay débute par une profession de foi très nettement anti-pétrarquiste :

J'ay oublié l'art de Petrarquizer '.

Je veulx d'Amour franchement deviser.

Sans vous flatter, et sans me deguizer :

Geulx qui font tant de plaintes, X'ont pas le quart d'une vraye amitié, Et n'ont pas tant de peine la moitié. Gomme leurs yeux, pour vous faire pitié.

Jettent de larmes feintes.

Puis il se moque avec esprit de tous les défauts de l'école, en passant en revue le programme du parfait pétrai^quiste.

* Horace, Epod. vui et xii ; Properee, Eleg. IV, \ , Lena Acanthis.

- Marty-Laveaux, I, 169-174.

•'' Celle pièce a paru pour la première fois dans la seconde éiUtiou du ReciieU de Poésie, Paris, Cavellat, l,ï53, p. 68-77. Du Bellay l'a reprise et retouchée, pour la faire entrer dans les Jeux Rustiques (15o8j, sous ce titre nouveau : Contre Les Pétrarquistes. Marty-Laveaux, II. 33}-338.

' Brantôme s'est fait le plagiaire impudent de cette pièce dans un sonnet à Talard. cdit. Lalanne, X, 432.

196 JOACHIM DU BELLAY

C'est d'abord les fades langueurs, l'artifice des flammes dévo- rantes et des larmes intarissables :

Ce n'est que feu de leurs froides chaleurs, Ce n'est qu'horreur de leurs feintes douleurs, Ce n'est encor' de leurs souspirs et pleurs.

Que vents, pluye, et orages : Et bref, ce n'est à ouir leurs chansons,

De leurs amours, que flammes et glaçons, Flesches, liens, et mille autres façons

De semblables oultrages.

Ce sont ensuite les métaphores monotones et banales, tirées de la nature :

De voz beautez. ce n'est que tout fin or, Perles, crystal, marbre, et ivoyre encor, Et tout l'honneur de l'Indique thresor,

Fleurs, lis, œillets, et roses : De voz doulceurs ce n'est que sucre et miel. De voz rigueurs n'est qu'aloës et fiel, De voz esprits, c'est tout ce que le ciel

Tient de grâces encloses.

Ce sont encore les descriptions de la nature associée au désespoir des amoureux :

Il n'y a roc, qui n'entende leur voix : Leurs piteux cris ont faict cent mille fois Pleurer les monts, les plaines, et les bois,

Les antres et fonteines : Bref, il n'y a ny solitaires lieux, Ny lieux hantez, voyre mesmes les cieux, Qui çà et ne monstrent à leurs yeux

Limage de leurs peines.

Puis c'est l'emploi douteux des vieilles fables mythologiques, cette bizarre introduction de Tantale et de Prométhée, de

L ' « OLIVE » 197

l*rotée et (Vllercule dans les choses daniour. C'est enfin le jargon philosophique, toute la métaphysique idéaliste, tout le platonisme effréné, que du Bellay lui-même avait tant pratiqué :

Quelque autre encor' la terre dédaignant Va du tiers ciel les secrets enseignant, Et de l'Amour, il se va baignant,

Tire une quinte essence : Mais quant à moy, cpii plus terrestre suis, Et n'ayme rien, que ce qu'aymer je puis. Le plus subtil, qu'en amour je poursuis,

S'appelle jouissance.

Le dernier mot est quelque peu brutal. Mais cette fois nous avons la vraie pensée du poète. Revenant aux idées de Marot, il rappelle que (( noz lions ayeulx » ne concevaient pas l'amour autrement, et que, pour en parler, ils n'avaient nul besoin de Pétrarque. Puis, s'adressant à sa dame, il lui conseille de profiter de sa jeunesse :

Et qu'ainsi soit, quand les hyvers nuisans Auront seiche la fleur de voz beaux ans. Ridé ce marbre, esteinct ces feuz luisans,

Quand vous voirez encore Ces cheveux d'or en argent se changer. De ce beau sein l'yvoire s'allonger. Ces lis fanir, et de vous s'estranger

Ce beau teinct de l'Aurore,

Qui pensez vous, qui vous aille chercher, Qui vous adore, ou qui daigne toucher Ce corps divin, que vous tenez tant cher ?

Vostre beauté passée Ressemblera un jardin à noz yeux Riant naguère aux hommes et aux Dieux, Ores faschant de son regard les cieux,

Et l'humaine pensée.

198 JOACHIM DU BELLAY

N'attendez doiiq' que la grand' faux du Temps Moissonne ainsi la fleur de voz primtemps, Qui rend les Dieux et les hommes contents :

Les ans, qui peu séjournent, Ne laissent rien, que regrets et souspirs, Et empennez de noz meilleurs désirs, Avecques eux emportent noz plaisirs,

Qui jamais ne retournent.

Tout ce passage est fort joli ; mais que nous voilà donc loin de Pétrarque ! Aux chastes rêves du chantre de Laure s'est substituée la facile et voluptueuse morale de l'amant de Lydie : l'épicurisme a détrôné l'idéalisme.

J'allais oublier la (lèche du Parthe. A la fin de sa pièce, (( par un dernier trait de satire s'expi'ime mieux que partout ailleurs son dédain * », du Bellay déclare que, si l'on y tient, il pétrarquisera tant qu'on voudra, la chose est aisée :

Si toutefois Pétrarque vous plaist mieux. Je reprendray mon chant mélodieux. Et voleray jusqu'au séjour des Dieux

D'une ade mieux guidée : dans le sein de leurs divinitez Je choisiray cent mille nouveautez, Dont je peindray voz plus grandes beautez

Sur la plus belle Idée.

(^uon relise maintenant le sonnet ii3 de V Olive : on poiuM'a mesurer combien fui profond le revirement. La pièce de i5.53 est la cinglante parodie du sonnet de i55o '.

' Fajîuct, Seizième siècle, p. 303.

- On rapprochera de la satire contre les Pétrarquislos, outre un passage d'IIéroët ci-dessus mentionné (p. 191, n. 2), une pièce de Saint-Gelays A «ne mal contente {édit Blanciiemain, I, 196), qui se rencontre aussi dans les œuvres de Marot (édit. F. Jannet, II, liS), ainsi qu'une chanson de Jodelle (édit. Marty-Laveaux, II, 49).

L ' (( OLIVK n 199

Qu'importe, après cela, que du Bellay, par une de ces con- tradictions dont on trouve tant d'exemples dans son œuvre, ait t'ait, sur la fin de sa vie, un retour vers le pétrarquisme, et qu'il ait de nouveau, dans le style de VOlwe, conqDOsé des Amours '? L'essentiel, c'est qu'il ait, en présence du fléau grandissant, dénoncé le péril, essayé de le conjurer, sauvé par son intervention le naturel et le bon goût.

Le discrédit jeté par du Bellay lui-même sur la poésie pétrarquiste ne doit pas, cependant, nous rendre injustes pour \ Olive. Certes, l'œuvre est faible et ne répond guère, il faut l'avouer, aux magnifiques ambitions de la Deffence. Elle est tendue, pénible, obscure en maint endroit : elle sent l'huile. Elle a surtout ce défaut capital de manquer de sincérité. Pétrarque avait traduit en vers émus un amour véritable, qui l'avait conquis tout entier et dont il avait longuement souft'ert. L'amour du chantre d'Olive n'est point de ces fortes passions qui remuent jusqu'au fond de l'être : c'est une fiction de l'esprit, non une réalité du cœur. <( J'ai fait en ma vie, disait Th. Gautier, quelques vers amoureux, ou du moins qui avaient la prétention d'être tels. Je viens d'en relire une partie. Le sentiment de l'amour moderne y manque absolument. Il n'y est parlé que de l'or ou de l'ébène des cheveux, de la finesse miraculeuse de la peau, de la rondeur du bras, de la petitesse des pieds et de la forme délicate de la main. C est un éclat sans chaleur et une sonorité sans vibration '. » Combien ces paroles seraient plus vraies encore, appliquées aux sonnets amoureux du poète angevin ! C'est leur plus grand défaut de n'être pas vécus. Du Bellay sans

' Marty-Laveaux, II, 120-134. Les Amours, qui se composent de 29 son- nets, n'ont paru que bien après la mort de du Bellay, par les soins d'Aubert, en 1569. H résulte du s. 9 qu'ils ont été composés dans le courant de 1jù9. Rien d'ailleurs qui les distingue essentiellement <Je Y Olive.

- Th. Gautier, Mlle de Maiipin, ix. Cité par Piéri, p. 262.

200 JOACHIM DU BELLAY

doute le sentait lui-même, lorsqu'il disait plus tard à son ami Magny :

Croy moy, Magny, et je le sçay

Pource que j'en ay faict l'essay,

Mal volontiers chante la bouche

De l'amour qui au cueur ne touche. (II, 32 j).

Mais ce jugement une fois porté sur l'exacte valeur de YOlwe, on ne saurait méconnaître son influence dans l'his- toire générale de la poésie française. Une conception toute nouvelle de la beauté de la femme et de la sainteté de l'amour, voilà le plus clair bienfait que nous devions au pétrarquisme : et cette conception, inconnue de Marot, qui faisait de l'amour un plaisir et de la femme son instrument si du Bellay ne fut pas le premier à l'avoir, il l'eut du moins un des premiers. C'est trop peu dire : il fut le pre- mier à la formuler avec précision et noblesse. Sainte-Beuve * a noté qu'on entend déjà dans V Olive comme un accent pré- curseur de cette haute et pure poésie qui ne s'est pleine- ment révélée que trois cents ans plus tard dans les Médita- tions : (( On y ressaisit, écrit-il, un écho distinct et non dou- teux, qui va de Pétrarque à Lamartine '\ » Des tercets du sonnet sur Vidée :

La est le bien que tout esprit désire, La, le repos ou tout le monde aspire, La est l'amour, la, le plaisir encore.

La, ô mon ame, au plus hault ciel guidée.

Tu y pourras recongnoistre l'Idée

De la beauté, qu'en ce monde j "adore.

' On plutôt M. Reinliold Dezeimeris, un savant lettré de Bordeaux, qui fut plus d'une fois utile à Sainte-Beuve. V. Correspondance de Sainte-Beuve, édit. C. Lévy, 1878, t. I, p. 227, n. 2.

- Nouveaux Lundis, XIII, 325.

L ' (( OLIVE » 2.01

il rapproche la strophe sublime de V Isolement :

Là, je m'enivrerais à la source j'aspire ; Là, je retrouverais et l'espoir et l'amour. Et ce bien idéal que toute àme désire, Et qui n'a pas de nom au terrestre séjour ' !

Ce n'est pas un mince honneur pour du Bellay d'avoir ainsi donné les premières notes d'un thème qui devait résonner dans toute sa beauté sur la lyre harmonieuse de Lamartine.

* Premières Méditations Poétiques, I.

CHAPITRE VII

LES « VERS LYRIQUES »

1549

1. Les odes de 1549. Le rôle de du Bellay dans l'invention

de l'ode. II. Les odes philosophiques et morales.

III. Les odes descriptives et mythologiques.

IV. Les odes intimes et personnelles.

V. Valeur des odes. Du Bellay rebelle au pindarisme.

La première édition de Y Olive (i549) était accompagnée, sons le nom de Vers Lyriques, d'un recueil de treize odes \ Après linflnence italienne, c'était la part de l'influence anti- que. Le disciple de Pétrarque se transformait en un disciple

1 Marly-Laveaux. I, 175-206.

Li:s (( vilUs lyriques » 203

d'Horace et réalisait pour son (•oin{)lc ce pn'ccpte de la Dejfence : « Chante nioy ces Odes, incongnues encor' de la Muse trancoyse, d'un lue bien accordé au son de la lyre greque et i-oniaine )) (p. ii4)-

Du lîellay a contribué par ses Vers L)'ri(/ues à l'intro- duction de l'ode en France, comme par son Olive à celle du sonnet. Mais ici toutefois son rôle est moins saillant. J'ai dcVjà tenté de le définir ', en montrant que Ronsard était vrai- ment, comme il l'a toujours prétendu, le premier inventeur de l'ode, dans le sens très précis, très spécial, la Pléiade entend ce mot ; qu'il s'était ouvert de son invention à Pele- tier, dans une rencontre au Mans, en i543 ; que Peletier à son tour, en i546, l'avait transmise à du Bellay ; que, si Peletier et du Bellay, l'un en 154", loutre en i549, avaient devancé dans la publication le véritable initiateur, cela tenait uniquement à l'excès de prudence de Ronsard, à des scru- pules d'artiste, que du Bellay jugeait exagérés, mais qu'il n'avait pu réussir à vaincre, ce qui même avait amené entre les deux amis une brouille passagère, dont Binet avait, à mon sens, dénatui^é complètement et l'origine et la portée. Si du Bellay mai-cha de l'avant, c'est que Ronsard, toujours timide et circonspect, n'osa pas se lancer du premier coup dans la mêlée. J'ajoute qu'il est heureux pour notre poète qu'il ait ainsi pris les devants. Publiées en i549, aloi'S qu'il n'existait rien de ce genre que les essais de Peletier, ses odes pouvaient encore briller de quelque éclat. Elles auraient paru bien ternes et bien pâles, un an plus tard, après la traînée fulgurante laissée dans le ciel poétique par le passage du Vendômois.

' Rev. d'hist. Utt. de la France, lij janv. 1899, p. 21 : « L'invention de l'Ode et le dilTérend de Ronsard et de du Bellay ».

204 JOACHIM DU BELLAY

n

Les treize odes de i549 répondent assez bien à la con- ception du genre telle que l'exprime la Deffence : c'est une application honnête et consciencieuse, encore que partielle, du programme qu'elle formule '. On peut les diviser en trois groupes : les odes philosophiques et morales, les odes descrip- tives et mythologiques, les odes intimes et personnelles. Mais cette division n'est pas tellement tranchée que certaines odes ne puissent à la rigueur se rattacher à deux groupes à la fois.

Rien ne montre mieux combien est grande chez du Bellay l'indigence des idées, que les odes roulant sur des thèmes philosophiques et moraux. Incapable de penser par lui-même, le poète est réduit à copier les pensées des anciens.

Il veut traiter Des misères et fojHunes humaines (I, 178). Comment s'y prendra-t-il ? D'une façon très simple. Une idée générale : nous mourons tous. Développement : les uns sont tués à la guerre ; les autres s'empoisonnent ; d'autres se noient ; d'autres se poignardent : d'autres meurent en nais- sant. Ornements poétiques : le fouet de Bellone, les mains de la Parque, Mercure psychopompe, la barque de Gharon, le tribunal de Minos. Et voilà six strophes sur douze de remplies ! Mais le reste ? Encore plus simple. Ecoutez :

Le chemin est large et facile Pour descendre en l'obscur séjour. Pluton tient de son domicile La porte ouverte nuyt et jour.

' V. ci-dessus, cliap. iv, § 11, p. 131.

LES « VERS LYUIQUES )) 205

La gist l'œuvre, la gist la peine, Ses pas de l'Orque retirer, A letroit sentier qui nous nieine Ou tout mortel doit aspirer.

Le nombre est petit de ceux ores. Qui sont les bien aymez des Dieux, Et ceux que la vertu encores Ardente a élevez aux cieux.

C'est du Virgile, et traduit mot à mot :

F'acilis descensus Averno ; Noctes atque dies patet atri janua Ditis ; Sed revocare gradum superasque evadere ad auras, Hoc opus, hic labor est. Pauci quos aequus amavit Jupiter, aut ardens evexit ad aetliera virtus. Dis geniti, potuere '.

Voilà ce que du Bellay appelle « convertir les anciens en sang et nourriture )). C'était bien la peine d'être si sévère pour les traducteurs ! Ajoutons maintenant la double légende des deux tonneaux de Jupiter et de la boîte de Pandore, un souvenir d'Homère renforcé d'un souvenir d'Hésiode '^ : le tour est joué '.

Du Bellay dédie à Ronsard une ode De l'inconstance des choses (I, i83). C'est un sujet de rhétorique, et qu'il traite en rhétoricien. 11 pose d'abord l'idée :

Nul, tant qu'il ne meure, Heureux ne demeure :

1 VirgUe, En. VI, 126-131.

^ Homère, II. XXIV, 527 sqq. Hésiode, Œuvr. et Jours, 94 sqq.

3 J'engage, le lecteur à rapprocher de cette pièce le même sujet traité par Ronsard, Sur les misères des hommes (Blancliemain, II, 132). Cette ode se trouve à la suite de la i" édit. des Amours, 1553, p. 263. (Bibl. Nat. Rés. pY. 125). L'avantage de Ronsard est éclatant.

206 JOACHIM DU BELLAY

car il est soumis au sort inconstant. Puis, l'idée posée, il la développe. Cette inconstance, il nous la montre partout dans la nature et dans l'histoire. La imit fait place au jour, et l'hiver au printemps. Les âges se succèdent comme les jours et les saisons. La fuite du temps, les ruines qu'il entasse, les changements survenus à la surface du globe, les chutes de cités, les révolutions de royaumes et d'empires, tout atteste cette inconstance. Conclusion : le poète s'adresse à Ronsard : puisque le ciel est si variable en ses faveurs, lui dit-il en substance, tu as bien fait de renoncer aux ennuis de la Cour, ])ar ambition d'un nom immortel :

Laisse aux courtizants Les souciz cuyzans : Ne soys curieux Des biens aquei'ir, Ou de t'enquerir Du secret des Dieux '.

L'ode à Christophe du Breil, De porter les misères et la calumnie (1, 'lo'i), est comme une fusion des deux précédentes. L'auteur, ([ui décidément est à court diilées, reprend ce qu'il a dit, et presque dans les mêmes termes, sur les divers genres de mort et sur l'inconstance du destin -, Mais il ajoute un autre point : (( Rien, que vertu, ne domte la Fortune )), 11 répète le nil adrnirari d'Horace :

O lùenheureux ([ui de rien ne s'étonne !

Bienheureux qui ne craint pas la colère du ciel et reste

' Encore ici rapprocher une ode de Ronsard à Anthoine Cliasteigner (édit. orig., irioO. f" 97 v. Blanchemain, II, ii'S).

- \ noter p. 20i{ Irois ver.s sur la mort [D'un éi^nl pie..,) qui sont une pure traduction d'Horace (Carm. I, iv, 13 i. Pallida Mors. .].

LKS (( VERS LYRIQUES )) 2.^)1

inaccessible aux rumeurs du dehors 1 Sur cet houime-là, la fortune n"a pas de prise, la calomnie est impuissante. Le ciel permet souvent que les pervers imisent aux bons : ce n'est jamais que pour un temps, et la justice finit toujours par triompher.

A quoi bon insister sur tous ces lieux communs? Le déve- loppement en est fastidieux. Non qu'ils soient par eux-mêmes incompatibles avec le lyrisme : mais ils n'offrent d'intérêt que si l'auteur les associe à des émotions personnelles, que s'il sait les rajeunir en se les appropriant. Tel n'est point le cas : chez du Bellay, ces lieux communs sont un remplissage banal. Nul accent personnel : il est trop clair que le poète, désirant faire une ode et n'ayant rien à dire, n'a vu qu'un thème à traiter.

L'inspiration est plus heureuse dans l'ode qui célèbre Les louanges d'Amour (I, i8o). Cette jolie pièce, que berce le rythme gracieux de YAvril de lielleau, semble un écho du beau discours d'Agathon dans le Banquet '. C'est un hommage au dieu d'amour, que l'auteur envisage au point de vue philosophique comme principe de toutes choses. Amour est le dieu tout-puissant dont sceptre victorieux subjugue le ciel, la mer et la terre ; c'est lui qui maintient l'harmonie des éléments ; c'est lui qui va donnant aux villes les lois, la police et la paix ; c'est lui qui fait pousser les arbres, les plantes et les fleurs ; c'est lui qui perpétue les espèces animales ; c'est lui qui fait de la vierge une femme :

Par ce petit Dieu puissant

Délaissant Le doulx gyron de la mère,

' Du Bellay semble aussi s'être souvenu d'Ovide, qui fait de Vénus un éloge analogue {Fast. IV, 91 sqq.).

r^

t>- JOACHIM DU BELLAY

0

La vierge i'emine se treuve,

Et fait preuve De la flamiue doulcearaere.

Amour est tout bon et beau.

Son llambeau N'enilaïunie les vicieux : Juste est, et de simple foy.

C'est pourquoy 11 est tout nu et sans yeux.

Et du lîellay termine par un acte d'adoration à cet auteur de toute vie, qui donne aux rois leurs victoires, aux poètes leurs lauriers, aux dames leurs beautés '. Dans cet hymne à l'Amour, il a mis quelque chose qui manque à beaucoup de ses odes, une grâce légère et délicate.

m

Horace a le secret d'enfermer une idée morale dans une odelette descriptive, et d'associer aux réflexions philosophiques un frais tableau de la nature, un paysage aux tons variés, que traversent d'un pas rapide les vivantes divinités de l'an- tique mythologie. C'est le cadre quil préfère pour donner les conseils de son épicurisme, et pour redire en jolis vers la fuite du temps, l'incertitude du lendemain et la nécessité de jouir du présent ^ Ce type de l'ode horatienne a beaucoup frappé la Pléiade, qui s'est attachée avec une prédilection évidente à le reproduire. 11 n'est donc pas étonnant d'en retrouver plusieurs copies chez du Bellay.

' Rapprocher de celle ode Ronsard, le Trophée d'Amour (Blanchemain, IV, 131) et Baif, les Muses (Marly-Laveaux, II, 77-79).

- V. notainmenl Carm. I, iv ; I, i.\ : II, m ; IV, vu ; IV, xii ; Epod. xui.

LES (( VERS LYRIQUES ))

209

Co mot de copies n'a rien d'excessif : lautcur s'inspire de son modèle jusqu'au plagiat. Ainsi l'ode à Dorât, Du retour du printens (I, 194), n'est qu'un impudent amalgame de deux odes d'Horace, l'ode à Sestius et l'ode à Torquatus ', agrémenté d'emprunts à d'autres odes. Qu'on en juge :

Or'esl tens que Ion se couronne ) De l'iirbre à Venus consacré, j

Ou que sa leste on environne )

Des fleurs qui viennent de leur gré. -'

Qu'on donne au vent aussi

Cest importun soucy.

Qui tant nous fait la guerre :

Que Ion voyse sautant,

Que Ion voyse hnrtant

D'un pié libre la terre.

V'oicy, déjà l'Eté qui tonne

Chasse le peu durable Ver,

L'Eté le fructueux Autonne,

L'Autonne le frilleux Hyver ; Mais les lunes volaiges Ces célestes dommaiges Reparent, et nous hommes. Quand descendons aux lieux De noz ancestres vieux, Urabre et poudre nous sommes. |

Pourquoy doncq' avons-nous envie Du soing qui les cœurs ronge et tend Le terme bref de notre vie |

Long espoir nous délient. /

Ce que les Destinées Nous donnent de journées. Estimons que c'est gaing. Que scais-lu si les Dieux Ottroyronl à tes yeux De voir un lendemain ?

Nunc decel aul viridi nitidum caput nnpedire myrto,

A ut flore terrae quem ferunt soiutae.

(I, IV, y- 10).

iSunc pede libei'o Pulsauda tellus.

(1, XXXVII, 1-i).

Ver proterit aestas Interitura, simul Poniifer autumnus fruges efl'udei'it, et n\ox

Bruma recurrit iners. Damna tamen celeres reparant coelestia lunae :

Nos, ubi decidimus Quo pius Aeneas, quo dives TuUus et Ancus, Pulvis et umbra siimiis.

(IV, VII, 0-1(5).

V'itac sunima bievis spem nos vetat inchoare loiigam.

(I, IV, lo).

Quem fors dierum cumque dabil, iucro Appone.

(I, IX, li-l,ï).

Quis scit an adjiciant hodiernae ciastina suinmae Tempora Di superi "?

(IV, VII, i7-lS).

J'en dirai presque autant de l'ode à Bergier, Du premier Jour de l'an (I, 190), imitée en partie de l'ode à Thaliarque '. Ce n'est plus un tableau du printemps, c'est une description de l'hiver que l'auteur nous présente, mais pour aboutir aux mêmes pensées : chassons le souci qui dévore, ne songeons à demain dont seuls les Dieux disposent, aimons, buvons,

' Garni. I, iv et IV, vu. - Carm. I, ix.

Univ. de Lille.

Tome VIII A. 14.

210 JOACHIM DU BELLAY

vivons. Horace est partout dedans. Néanmoins, la conclu- sion est d'une facture assez personnelle :

Je te souhaite pour t'ebatre Durant ceste morte saison, Un plaisir, voyre trois ou quatre, Que donne l'amye maison :

Bon vin en ton celier,

Beau feu, nuyt sans soucy,

Un amy familier.

Et belle amye aussi,

Qui de son lue, qui de sa voix Endorme souvent tes ennuiz. Qui de son babil quelquesfois Te face moins durer les nuitz,

Au lict follastre autant

Que ces chèvres lascives.

Lors qu" elles vont broutant

Sur les herbeuses rives.

Cette moi'ale épicurienne, qui consiste à noyer ses soucis dans le vin, se retrouve encore à la lin de l'ode au seigneur Rabestan, Du Jour des Bacchanales ' (I, 192). Mais ici les descriptions de la nature ont fait place aux fictions de la mythologie. Toujours aidé d'Horace % du Bellay consacre à Bacchus un véritable dithyrambe \ 11 nous dépeint le dieu s'avançant, le front ceint de lierre, sur un char traîné par

' Les deux derniers vers de la pièce :

Quelquesfois il faut faire Le fol pour son amy, sont une Iraduction d'IIoraee, Garni. II, vu, lin :

. . . Receplo Dulcc iiiilii furere est aniico. - Cann. Il, xix.

' Comparer la pièce de Ronsard, Chant de folie à Bacchus {Bocage de lo.iO, { 147 r". Blanchcniain, IL 470).

LES (( VERS LYRIQUES )) 211

des tigres, taudis que de joyeux Satyres soutiennent avec peine Silène cliancelaut sur un âne tardif. Puis il chante ses victoires sur Orphée, sur Lycur^^ue, sur Penthée, sur Uhœtos. Tout ce déploiement de uiytliologie n'est pas exeni[)t de pé- dantisme : au moins, vu le sujet, peut-il se justifier.

Mais il nen va pas toujours de même, et la mytholog-ie, qui gâte la plupart des sonnets de VOliçe, ne produit [)as meilleur ellet dans quelques-uns des Vers Lyriques. On ne voit pas pourquoi, s'adressant A une dame cruelle et inexo- rable (I, 200), le poète éprouve le besoin, pour lléchir ses rigueurs, d'invoquer la légende de Diane et dActéon, le larcin de Prométhée, le supplice d'Encélade sous l'Etna. lnsupporta])le et fastidieuse dans cette élégie d'amour, la mythologie est impertinente dans l'ode A deux dainoyzelles (1, 18G). Je comprends qu'il égale leurs attraits à la beauté des Charités et des Nymphes, la douceur de leui- voix à la « harpe » d'Orphée. Mais je ne comprends pas <]u'il leur raconte les bonnes fortunes de Jupiter, les galantes aventures d'Europe, de Léda, de Danaé, d'Alcmène, de Callisto, d'io, pour les menacer du sort de ces femmes, si leur cœur est rebelle à l'amour :

Fuyez doncq' les façons cruelles Que Beauté couve soubz ses esles : Faites à l'Ainour humbles vœutz Qu'à Jupiter ne vous otroye. Pour croistre bienheureuse proye !) Le nombre des célestes feux.

Singulière façon de pousser au mariage ! . . . Et je ne dis rien des deux strophes finales !

Le meilleur emploi qu'ait fait du Bellay des fictions mytho- logiques, c'est lorsqu'il chante Les louanges d' An/ou (1. 175). Dans ses vers, je retrouve cette conception de la nature peu-

^12 JOACHIM DU BELLAY

plée de dieux, qui l'ait le charme souverain de certains fragments de Ronsard. L'auteur s'adresse au dieu de Loire et le prie de jeter ses regards protecteurs sur le beau pays

angevin,

A qui le Ciel feut donneur De toute grâce et bonheur.

Celte terre bénie, Cérès, Bacchus l'ont jadis visitée. Les Faunes habitent ses forêts. Les Nymphes s'ébattent sur les bords de son lleuve. Les gentilles Hamadryades, et Priape, et Paies, et Flore, et le pasteur de l'Amphryse, y font volon- tiers leur demeure. Un mérite s'ajoute encore à ce vivant naturalisme : c'est l'amour du coin de province, le culte du pays natal, un accent de terroir inconnu jusqu'alors :

Quand à moy, tant que ma lyre Voudra les chansons élire Que je luy commanderay, Mon Anjou je chanteray.

Et le poète fait le vœu de reposer un jour, près de quelque fontaine, non loin du lleuve paternel. Dans la fin de cette ode, qui contient comme en germe le sonnet du petit Lire, je sens percer enfin cette source du vrai lyrisme, l'émotion personnelle.

IV

Elle est rare dans le recueil de i549. Trois odes cepen- dant en sont plus ou moins pénétrées.

Dans son Chant du Désespéré (I, 196), le poète a tenté un thème vraiment lyrique ', le désespoir d'une àme qui souffre,

' J'ai «léjà (lit que les Œuvres Poétiques de Peletier (1547) contenaient, elles aussi, un Chant du Désespéré {f" 74 r").

LES (( VERS LYRIQUES » 213

qui ne trouve pas de consolations dans la nature, et (jui ne voit de reuiède à ses maux que dans la mort. Malheu- reusement, ridée reste vague : le poète ne dit pas la cause de cette souffrance, et les sentiments qu'il exprime sont gâtés la plupart du temps par l'exagération et par le mauvais goût. Du Bellay sera plus touchant trois ans plus tard, lorsqu'il écrira, sous l'empire de la douleur, sa Complainte du Désespéré.

L'ode Au seigneur Pierre de Ronsard (1, 198) est une pièce intime qui dénote l'amitié véi'itable et la sincère admi- ration qu'éprouvait du Bellay pour le chef de la Pléiade. Ronsard l'ayant comblé de louanges dans quelque ode encore inédite \ du Bellay confus répond par avance :

Amy, vole plus hautement. Et en lieu si humble n'amuse. Qu'à me louer, ta docte Muse.

A son tour il fait de Ronsard l'éloge le plus enthousiaste et lui prophétise, quelque sujet qu'il chante, un renom immortel. Ce qui me frappe dans cette ode, c'est la modestie de l'auteur en face de son ami, modestie peut-être excessive, mais que je crois réelle : du Bellay s'est toujours effacé devant le grand Ronsard, comme un élève devant son maître.

Contraste étrange : cet humble dévot de Ronsard montre l'orgueil le plus superbe dans son ode à Bouju ', De l'immor- talité des poètes (I, 120.1). Cette ode, qui clôt les Vers Lyriques, est le chef-d'œuvre du recueil. Le poète entonne fièrement son exeg'i monumentum. Peut-être dira-t-on que c'est bien tôt chanter victoire, et qu'il est présomptueux, pour ne rien dire

' II s'agit sans nul doute de lune des odes suivantes du recueil de 15î50 : liv. I, ode 9 ; liv. I, ode 16 ; liv. III, ode 14. (Blanchemain, II, 98, 117, 214).

- Jacques Bouju (lalo-1577), Angevin, maître des requêtes de la reine, poète latin et français, ami de Ronsard et de du Bellay. Sur Bouju, consulter La Croix du Maine, I, 394 ; Scév. de Sainte Marthe, Elo g ia (160G), p. 116-118, lacobus Biigius; et surtout rinlcressante notice d'Em. DupréLasale, Paris, Techener, 18S3.

214 JOACHIM DU BELLAY

de plus, de se décerner dès les premiers pas l'immortalité. D'accord : mais il faut reconnaître que le sujet l'a cette l'ois bien inspiré, qu'il a traduit en très beaux vers son ardent amour de la gloire, et qu'en se souvenant d'Horace ', il a su rester lui-même :

Cetuy quiert par divers dangers L'honneur du fer victorieux : Cetuy la par flotz étrangers Le soing de lor laborieux.

Lun aux clameurs du palais s'étudie,

L'autre le vent de la faveur mandie :

Mais moy, que les Grâces chérissent, Je hay' les biens que l'on adore. Je hay* les honneurs qui périssent, Et le soing qui les cœurs dévore :

Rien ne me plaist, fors ce qui peut déplaire

Au jugement du rude populaire.

Les idées chères à la Pléiade, le prix inestimable de l'art et riiorrcur du vulgaire ignorant et grossier, s'expriment en ces vers avec une rare énergie. Le poète hardiment se fait com- pagnon des Dieux et couronne son front de laurier. Il entre vivant dans l'éternité :

Je ne craindray, sortant de ce beau jour. L'epesse nuyt du ténébreux séjour.

De mourir ne suys en emoy

Selon la loy du sort humain.

Car la meilleure part de moy

Ne craint point la fatale main : Craingne la Mort, la Fortune, et l'Envie, A (jui les Dieux n'ont donné qu'une vie.

' Carm. I, i; II, xx ; III, xxx.

LES U VERS LYRIQUES » 215

Arrière tout funèbre chant, Arrière tout marbre et peinture, Mes cendres ne vont point chei'chunt Les vains honneurs de sépulture :

Pour n'estre errant cent ans à l'environ

Des tristes bords de l'avare Acheron. Mon nom du vil Peuple incongnu N'ira soubz terre inhonorc : Les Seurs du mont deux fois cornu M'ont de scpulchre décoré,

Qui ne craint point les Aquilons puissans,

Ny le long cours des Siècles renaissans.

Voilà de fiers accents, et que la lyre française n'avait encore jamais rendus ! Quel Marotique avait trouvé, pour redire son rêve de gloire, des vers d'un sentiment si haut, d'un souJlle si égal, dune facture si correcte et si ferme ?

V

J'ai cru devoir m'étendre un peu sur le premier recueil lyrique de du Bellay. Certes, à le prendre dans son ensemble, il est plutôt médiocre. L'imitation y tient trop de place, et même la traduction : procédé littéraire déplorable, mais surtout dans un genre qui réclame du poète la plus grande somme possible de personnalité. Néanmoins, il serait excessif de prétendre que du Bellay s'est mépris de tout point sur l'essence du lyrisme. L'émotion personnelle, on a pu s'en convaincre, n'est pas absente de ses odes : une fois au moins, elle a fait jaillir de son âme de très beaux vers, d'une grande noblesse de pensées. Mais évidemment c'est l'exception. Presque toujours, du Bellay, qui sait tourner des strophes agréables et faciles, manque de puissance et de force.

216 JOACHIM DU BELLAY

Il s'est tenu clans les sujets moyens. Ses odes n'ont rien de pindarique. Rien plus latin que grec, du Bellay préférait Horace à Pindare, et, s'il admirait le lyrique tliébain, il n'était nullement soucieux de le suivre :

Si je voulois suyvre Pindare,

Qui en mille discours s'égare

Devant que venir à son poinct.

Obscur je brouillerois ceste Ode

De cent propos : mais telle mode

De louange ne me plaict point. Il me plaict de chanter ta gloire

D"un vers, lequel se face croire

Par sa seule simplicité :

Sans me distiller la cervelle

Nuict et jour, pour rendre nouvelle

Je ne sçay quelle antiquité : Tirant d'une longue fable Un loz qui n'est véritable, Pour farder l'honneur de ceux Qui, peincts de telles louanges. Comme de plumes estranges, N'ont rien de louable en eux '.

Ces vers d'une ode au prince de Melphe nous livrent sa pensée touchant le pindarisme. Son goût très sur et bien français s'accommodait mal de ces complications, comme il répugnait dans le fond aux mièvreries du pétrarquisme. L'eût- il voulu d'ailleurs, son génie trop grêle et trop court n'aurait jamais pu concevoir l'ode à Michel de L'Hospital.

Je ne songe aucunement à lui en faire un reproche ; mais je ne voudrais pas non plus qu'on en fil un reproche à Ronsard. On a souvent redit les erreurs ce poète est

' Ode au Prince de Melphe (II, S9).

LES (( VERS LYRIQUES )) 217

tombe par la faute du pindarisiuo : on oublie peut-être un peu trop ce qu'il lui doit d'heureux '. Je cherehe en vain chez du Bellay cette g^randeur d'inspiration ([ui me frappe chez son rival, ces élans vii«()ureux et cette ampleur de souffle qui mettent Ronsard hors de pair. Je sais bien qu'il n'a pas connu le désastre des chutes profondes, et c'est quelque chose sans doute. Mais il n'a pas connu non plus le secret merveilleux de monter parfois dans l'air libre, d'une aile largement éployée, et de planer sur les sommets.

' Sur ce point, v. la thèse de Gandar, p. 101-105.

CHAPITRE VIII

LE « RECUEIL DE POESIE »

1549

I. Entrée d'Henri II â Paris (16 juin 1549). La « Prospho-

nématique ». II. Du Bellay se présente à Madame Marguerite Origine du (( Recueil de Poésie ». Du Bellay courtisan.

III. - Le (( Chant triumphal sur le voyage de Boulongne » et les

odes officielles.

IV. Les odes littéraires.

V. - Le (( Dialogue d'un Amoureux et d'Echo ».

La Deffence, V Olive et les Vers Lyriques avaient paru vers Pâques i549. Deux mois plus tard, le i6 juin, Henri II faisait son entrée solennelle à Paris. Cet événement fut pour la Pléiade roccasion toute naturelle de se mettre en avant, et, par la part qu'elle prit à ces fêtes historiques, de s'imposer à l'attention du roi de France et de sa Cour '. « Les Parisiens,

' Maurice Scève avait de nièine, Tannée précédente, avec Claude de Taille- mont, ordonné l'entrée d'Henri II à Lyon.

LK « RECUEII, DR POESIE )) 219

dit Vieilleville, poui" n'estrc vous ingrats envers leur prince souverain, (iront merveilles de le bien recevoir ; car il n'y avoit place, canton, carrefour ny carroy, qui ne fust gai-ny, ou dun théâtre, ou d'un arc triomphant, ou d'une pyramide, ou d'un obélisque, ou d'un colosse de nos anciens roys, ou dun pegme : tous élaboui'cz de très-excellents et très-ingenicux artifices, For et l'azur n'estoient nullement épargnez, decoi*ez au reste de festons et trophées, illustrez quant et quant des très-doctes vers grecs et latins de ce poëte royal d' Aurai, et des odes françaises et chants royaulx du divin Ronsard '. »

A'ieilleville fait erreur quand il parle d'odes et de chants royaux : les arcs de triomphe élevés dans Paris n'offraient aux yeux que des devises grecques et latines et des ([uatrains français ". Mais la Pléiade était peut-être aussi pour quelque chose dans cet étalage de décorations allégoriques et mytholo- giques qui partout se dressaient au milieu des places et des carrefours. Peut-être elle en avait fourni l'idée en même temps que les inscriptions. Je croirais volontiers qu'elle ne fut pas étrangère à cet arc triomphal de la porte Saint-Denis, l'on voyait un Hercule Gaulois, tirant par quatre chaînes, qui sortaient de sa bouche et s'attachaient à leurs oreilles, quatre personnages symboliques, le Clergé, la Noblesse, le Conseil et le Peuple ^

Quoi qu'il en soit, elle jugea que, dans une fête aussi mémorable, il était du devoir des poètes de faire entendre la voix des Muses. Tandis que Ronsard publiait V Avant-Entrée du Roy Tres-Chrestien à Paris \ du Bellay lit paraître sa

1 Mémoires de Vieilleville, liv. 111. cliap. 20. Collection Petitot, XXVI, 304.

- V. la relation de l'entrée d'Henri II à Paris, dans Félibien, Histoire de la ville de Paris, t. V, p. 301-378 (preuves et pièces justilicatives).

' Cf. Deffence. p. 162, (in.

* Paris, Gilles Corrozet, 1549, in-i», 132 vers. L'ouvrage reparut dans le Bocage de 1330, f" 136 r°. Plus tard, il trouva place dans les Poëmes (Blanche- main, VI, 297).

220 JOACHIM DU BELLAY

Prosphonémalique \ C'était un salut de bienvenue" au sou- verain qu'on recevait avec tant de pompe et d'éclat. L'œuvre est médiocre, comme il arrive si souvent pour les poèmes olïiciels. On se prend à sourire, lorsqu'on voit du Bellay se mettre en frais d'imagination pour nous dépeindre le passage du roi dans la campagne de Paris : à la vue d'Henri II, Gérés se couronne de beaux épis dorés, Bacchus orne sa tête de pampres et de fleurs, Nymphes et Demi-dieux se retirent sur les hauteurs pour contempler ce lîls des Dieux tout à leur aise, les oiseaux à l'envi le saluent de leurs chants, les animaux domestiques et champêtres fixent sur lui des regards étonnés : bref, la nature entière est ravie en extase. Pourtant, quelques détails sont bien réels et suffisent à montrer que du Bellay s'est inspiré, dans une certaine mesure, du spectacle qu'il avait sous les yeux :

Qui a peu veoir les mousches ménagères

Sur le printemps de leurs manoirs saillir.

Faire un grand bruit, et s'en voler légères.

Puis çà et l'honneur des champs cueillir :

Celuy a veu les miliers, qui se rendent

Dessus les murs et portes, qui t'attendent. (1, 223-224).

L'anonyme écrivain d'une antique relation de l'entrée d'Henri 11 à Paris est ici d'accord avec le poète : « Les spectateurs estoient en si grande multitude aux portes et fcnestres des maisons, tant d'un costé que d'aultre, niesmes sur les tuilles et

* Phosphoneumatique (sic) au Roy Trescretien Henry II, le iour de son entrée à Paris HJ de luin 1549. Paris. Michel Vascosan, 1549, in-8". L'ouvrage reparut dans le Recueil de Poésie de 1549 (Marly-Laveaux, I, 222).

- « Ce tillrc est pris du grec, et signilic autant que salutation. Dionys. Halicarnass. a fait un traicté des Prospiionematiqucs, parlant des saluta- tions qu'on fait aux Roy» et grands seigneurs aux entrées de leurs villes et I)r()viuccs. Il no fault trouver estrange la nouveauté du ternie, veu que les Latins ont pris des Grecs les noms de leurs i)ri)ësmcs, et que nostre langue depuis peu de temps a desja receu ode, epilhalaine, panégyrique et autres. » (Jean Proust. Brievc exposition).

LK. (( REGUKIL UH l'OKSlE )) 221

tout au long- des rues, que aussitost seroicnt noinhrécs" les estoilles du eiel et les grains de sable de la nier, que l'on eust pu compter ce peuple ' )). Plus loin, du Bellay parle du canon qui taisait par le ciel comme un nouveau tonnerre , capable de troubler Jupiter même dans son Olympe. Nous savons en effet qu'à la porte Saint-Denis le roi « l'ut haulte- ment salué de trois cents cinquante pièces d'artillerye , tant grosse que menue : laquelle iîst un si merveilleux tonnerre, qu'il n'est en la puissance des hommes de le représenter^ ». Ailleurs encore, s'il nous peint Seine et ses trois îllles, Marne, Oise, Yonne, sortant des eaux, les tresses dénouées, pour chanter en l'honneur du monarque, ne serait-ce point qu'il s'inspire de certaine décoration , devant laquelle , suivant la chronique, « assez bon espace de temps arresta Sa Majesté avec toute sa suitte » ? Un grand arc de triomphe représentait la Gaule, tenant en ses mains des fleurs et des fruits, symbole de sa richesse. Sur les côtés intérieurs de cet arc, se voyaient deux carrés de peinture : l'un d'eux figurait le fleuve de Seine, couronné de laurier, à demi couché sur des roseaux aquatiques, portant d'une main un aviron, pour montrer qu'il est navigable, et de l'autre s'accoudant sur une hydrie, d'où s'échappait en abondance une eau limpide, source d'une grande rivière se jouaient des nymphes ; le col de l'urne était g-arni de blés et de raisins; au-dessous on lisait l'inscription : feux SEQVANAE VBERTAS. L'autre carré représentait une peinture du même genre, la rivière de Marne, avec cette devise : grata MATRONAE AMOENiTAS '. N'est-ce pas que du Bellay aurait puisé l'idée de ces louanges de Seine qu'il a mises dans la bouche de la Nymphe de Marne * ?

* Félibien. loc. cit., p. 365.

2 Félibien, ibidem.

3 Félibien, loc. cit., p. 369. ^ Marty-Laveaux, 1, iÈlj.

222 JOACHLM DU BELLAY

II

Le 18 juin, doux jours après le roi, la l'cine Catherine de Médicis lit à son tour son entrée dans Paris. Les princesses racconi})agnaienL notamment Madame Marguerite, sœur du roi. Pendant un mois entier, les souverains logèrent aux Tournelles.

Cest alors que du Bellay, ([ui sortait du Collège de Coqueret et qui cherchait des protecteurs, pi-it In hardiesse, counne il le dit lui-même, de se présenter à Madame Marguerite. Il noTis a raconté l'accueil qu'il reçut d'elle : « Il vous pleut de vostre bénigne grâce me recevoir avecques tel visage, que je congneu mes petitz labeurs vous avoir esté agréables '. » Ce lui lut un ])onheur. Prompt à s'abattre, il se plaignait de n'avoir pas tiré de ses premières œuvres, la Deffence et VOlive, le profit qu'il en attendait, et déjà, de dépit, accusant l'infélicitc du siècle , hostile aux « bons esprits », et le nombre des concurrents, (( indocte nmltitude », il songeait à rentrer sous sa tente, à renoncer à tout jamais à la carrière poétique. Le bienveillant accueil de la princesse lui lit reprendre espoir. Elle lui j)rodigua les encouragements, lui parla de ses œuvres en femme qui les avait lues et qui savait les apprécier, l'engagea vivement à poursuivre dans cette voie si glorieuse. Il n'en fallait pas davantage pour remonter notre poète ^

Ce fut lOriginc de la grande amitié de l'écrivain pour la princesse , ou pour mieux dire, du culte ardent, fidèle, et presque religieux, qu'il lui voua daus son cœur. Et ce fut aussi l'origine de son troisièiue ouvrage, le Recueil de Poésie.

' Épîlro dédicatoiro <lii lU-viicil de Poésie (I, 220).

- « Cela, Madanio, a depuis si vivement incité mon couraig^e, que mettant en arrière ma première <lcliberation, je me suis remis aux ciioses que j'ay pensé vous pouvoir donner iiucl(]ue plaisir» (I, 220).

LE (( RECUEIL DE POESIE )) 223

Encourage par Marguerite, du liellay se remit aux vers avec plus d'eutrain que jamais. 11 élabora des odes nouvelles en s'inspirant des circonstances. A quelques mois de là, dans le courant d'octobre, il présentait son manuscrit* à la princesse: Marguerite l'agréait, commandait à l'auteur de le mettre en lumière, et cela sous son noni\ Le Recueil de Poésie vit ainsi le jour à la fin de i549 '. Est-il besoin de dire que du Bellay le dédiait à sa protectrice ? Mais en se proclamant heureux d'avoir pu (( rencontrer la faveur de son jugement )), il laissait entendre qu'il espérait aussi gagner, par son uioyen. « celui du Roy et de la Royne )). Habilement, une pièce liminaire à sa Lj're complétait la pensée du poète :

Va doncques maintenant, ma Lyre :

Ma Princesse te veult ouir.

Il fault sa table docte eslire.

quelque amy voudra bien lire

Tes chansons, pour la resjouir.

Ta voix encores basse et tendre

Apren à hausser des ici.

Et fay tes chordes si bien tendre

Que mon grand Roy te puisse entendre,

Et sa royale epouze aussi. (I, 221).

Voilà donc du Bellay devenu poète courtisan ! Dans la

' « Vous ayant doncques ces derniers Jours fait présent de ce petit livre, non seulement vous l'avez eu aggreable. . . . mais encor' vous a pieu me commander de le mettre en lumière, et soubs vostre nom » (I, 220). Cette épitre dédicatoire est datée de Paris, 23 oct. 1549.

- Recueil de Poésie présenté à tresillustre Princesse Madame Marguerite, Seur Unique du Roy, et mis en lumière par le commandement de madicte Dame. Par I. D. B. A. Paris, Guiil. Cavellat, 1549, in-8". Privilège du 5 nov. 1549. L'ouvrage est accompagné d'un commentaire de « lan Proust Angevin », Brieve exposition de quelques passaiges poétiques les plus difficiles contenuz en cet œuvre. V. Marty-LaA-eaux, I, 494. Ce Jean Proust, dont on ne sait rien de plus (cl". La Croix du Plaine, I, 578), était un ami du poète, qui lui a dédié la 2' ode de ses Vers Lyriques : Des misères et fortunes humaines (I, 178).

224 JOACHIM DU BELLAY

Deffence. il s'était pourtant assez moqué de ceux qui n'écri- vaient que pour les gentilshommes et pour les damoiselles, et qui mettaient leur ambition à briguer les faveurs de la Cour. Et l'occasion se présentant, il faisait comme eux : il reniait ses principes, il recherchait avec ardeur ce dont il avait dit tant de mal, il prostituait sa Muse chez les princes. L'austère critique qui n'était pas loin de penser en i549 ^^^ la Cour était le g-rand obstacle aux progrès de la poésie, allait écrire en i55o que la Cour était la « seule escoUe ou voluntiers on apprent à bien et proprement parler ' ». Dans l'espace de quelques mois, une conversion s'était accomplie dans les idées de Joachim, et pour l'opérer, il avait suffi d'une parole de Madame Marguerite.

m

Le Recueil de Poésie ^ s'ouvrait par la Prosphonématique, déjà parue au mois de juin. La pièce était suivie d'un Chant trinniphal sur le ooj^ag-e de Boulongne (I, 228). Au milieu (lu mois d'août, Henri II était parti pour reprendre Boulogne aux Anglais, qui s'en étaient emparés en i544- Après quelques succès, une forte tempête ayant détruit son camp, il avait lever le siège (( avec ung indicible regret ' » d'avoir échoué dans son entreprise. Tel était le voyage que du Bellay chan- tait comme un triomphe. Des imprécations contre les Anglais, des llatteries aux puissants de la Cour, l'hyperbole à jet continu, quelques images gracieuses mêlées à maint souvenir mythologique, et, brochant sur le tout, des vers entiers traduits

' 2* préf. de YOUve (1, 74).

- Marly-Laveaux, I, ^19-267.

^ Mémoires «le Vieilievillc, liv. 111, cliai). 21 sijq.

LE « RECUEIL DR POÉSIE » 2io

d'Horace et de Yirgilu ' : voilà ce (|U(>ii Irouvail dans ce poème de circonstance, aussi vide d'inspiration (juc dépourvu de véritc.

Puis, le Recueil de Poésie conlcuail. couunc 1 OZ/tr, des Vers Lyriques : soit seize odes, dont la moitié consistait en éloges olliciels ". Du Bellay célébrait tour à lour la Heine et Madame Marguerite, les cardinaux de (iuisc, de (]hàlillon et du Bellay, François I'^'' et Henri II, le seigneur du Bois- Dauphin et la comtesse de Tonnerre. On ne m'en voudra pas de glisser à la hâte sur cette partie de l'ouvrage. Elle n'ajoute rien à la gloire de l'auteur. Rien ne montre aussi clairement que ces odes laborieuses comme il était peu fait pour ce genre de poésie. Le malheureux se met l'esprit à la torture pour savoir qu'inventer et que dire. 11 veut chanter la Reine : matière infertile et petite. Il est réduit, faute de mieux , à louer sa fécondité '. C'est tout? Non : il loue encore l'exem- plaire tendresse du royal ménage O le lin courtisan 1 II est couturaier de ces trouvailles : il vante la vertu « chenue )) d'un cardinal de vingt-cinq ans ou bien l'éclatant mérite d'un très obscur maître d'hôtel. Lorsqu'il est trop dans l'embarras, la mji,hologie vient à son secours. Atlas, Hercule, Thésée, Tiphys, Jason, l'aident à chanter le cardinal de Chàtillon et le connétable de Montmorency. Les femmes illustres de la légende et de l'histoire, Penthésilée, Sémiramis. Camille, Mar- phise, Bradamante, Corinne, Sappho, Gornélie, guerrières et lettrées, accourent à sa voix pour publier les louanges de la comtesse de Tonnerre. Ces fastidieux panégyriques ont l'impar-

* P. 229-230 (la mort pour la patrie, la vertu qui rend immortel) = Horace Carm. III, ii, 1;M6 et 21-24 : IV, vin, 29-32. P. 232-233 île temple de Victoire) = Virgile, Géor^. III, début.

- Ces odes ollicielles sont exactement les otles I, 2, 3, 6, 7, 11, 13 et 16. A signaler dans l'ode 6 (p. 243) des souvenirs d'Horace (Carm. IV, ix, I3-2<S).

' Ronsard d'ailleurs en fait autant (Blanchemain, II, 177 et V, 74).

Univ. de Lille. Tome VIll. A. 13.

226 JOACHIM DU BELLAY

donnable défaut de manquer de sincérité. Tout au plus pourrait-on mettre à part l'ode à Madame Marg-uerite. les sentiments de l'humljle poète revêtent une horreur religieuse (jui nest pas sans émotion.

IV

J'arrive aux odes ([lù sont davantage d'ordre littéraire. Une d'entre elles, adressée A Mercure (I, 261), n'est qu'une traduction d'Horace '. et traduction combien prolixe ! Deux autres, Contre les cwaritieu.x (I, 25o) et De l'innocence, et de n'attenter contre la magesté divine (I, 255), sont des lieux comnmils de morale, du Bellay pille encore sans vergogne son poète lavori ". Nous avons déjà vu quel système il applique, lorsqu'il traite un sujet de ce genre. Ses nouvelles odes ne se distinguent pas des anciennes, à cela près qu'elles sont peut- être encore un peu moins personnelles. Décidément, pour un lyrique, du Bellay traduit trop.

Trois autres odes célèbrent les louanges de trois poètes, dont le prestige était alors considérable : Saint-Gelays, Caries, Héroët '.

Mellin de Saint-Gelays avait pris à la Cour la place de Marot. Il était le poète en vogue, très goûté des seigneurs et des dames, très cher au prince. Ingénieux et spirituel, il plaisait par ses petits vers, épigrammes et sonnets, cartels et mascarades, étrennes et chansons, qu'il se gardait bien

' Carm. JII, xi, Ad Mercurium.

Ode 8 ■-= Carm. III, xxiv, 1-16 : III. i, \l-32. Ode lU = Cann. IIJ, xxiii, 1-8 ; 1, XXII, 1-4 : III, m, 1-8 ; III, 11, 31-32 ; 1, m, 2o-U) ; III, iv, 09-80.

•' Dans la Musagnœornacliie (1550), du Bellaj' réunit encore leurs trois noms :

Carie', Heroët. Saint Gelais,

Les trois favoriz des (îraces. (I, 14o).

LK (( RKCUEIL DK l'OKSIE )) '^27

d'ailleurs »rim|»i'iiii(M' '. Du lirllay l'avait alla([iu' iiaj>uèi'(', eu une phrase de la Dejfence -, alors que, dans sou zèle de néo- phyte, il avait toutes les audaces. Mais depuis il s'était ravisé. Maintenant qu'il voulait se pousser à la (]our et qu'il espérait pouvoir réussir, grâce à Madame Marguerite, il voyait les choses d'un autre œil. 11 avait réfléchi qu'il était dangereux de se mettre à dos un rival si puissant, et (juil était |ilus politique de conquéi'ir ses bonnes grâces. De les Heurs dont il le couvre (1, 238) :

Mellin, que cherist et honnore La court du Roy, plein de bon heur : Mellin, que France avoue encore Des Muses le premier honneur..*.

Le sujet de l'ode c[u'il lui dédie est insignifiant. Poète de Vénus, lui dit-il en substance, je voulais chanter Mars et les combats : mais Phébus m'a représenté que c'était pour ma lyre une œuvre trop laborieuse, (^ue ceux-là donc l'entre- prennent,

Qui la bonne fortune sentent, Et l'heur de la royale main.

Moi, je redirai le vin et l'amour. C'est une invitation au poète en faveur à traiter la matière à laquelle il renonce pour lui-même. En des vers très flatteurs, il lui reproche amicalement de ne rien publier et de condanmer à l'oubli les précieux labeurs de sa Muse :

' En fait, il avait publié l'an 15i7 une mince plaquette de vers (Saingelals . Œuvres de luy tant en composition que translation, ou allusion aux Auteurs Grecs et Latins. Lyon. Pierre de Tours, in-S" de 79 p.) dont on ne connaît aujourd'hui que l'unique exemplaire qui lit partie de la bibliothèque du baron James de Rothschild, et que Blanchemain a reproduit au t. I de son édition de Saint-Geiays C'est le seul ouvrage que Mellin ait jamais fait imprimer.

' Deffence, p. 115.

228 .lOACHI.M DU BELLAY

(^oiume la Saonc doulce et lenlc Dedans son sein non fluctueux, Goule beaucoup moins violente, Que le fort Rhosne impétueux : Mellin, tes vers emmielez, Qui aussi doulx que ton nom coulent, Au nectar des Muses meslez, L'honneur de tous les autres foulent.

Celuy (jui n'a eu favorable La Muse lente à son secours, D'un artifice misérable Enfante les siens durs et lours. Pourquoy doncques si longue nuit Yeulx tu sur tes labeurs estendre, Opprimant la voix de ton bruit, Qui malgré toy se fait entendre?

Ces éloges sont-ils sincères? Je ne sais tro}> : mais il est clair que c'est pour eux que le poète a fait son ode.

Lancebit (Parles ', gentilhomme bordelais, devait à ses talents mondains autant qu'à sa science le crédit qu'il avait à la Cour '. 11 (Hait aumônier d'Henri II, qui l'avait envoyé, Lan 1547, en mission près du pape, et qui s'apprêtait à le nommer évéque de Riez (i55o). Il se piquait de poésie ' et possédait le grec à fond. C'est sans doute aux leçons de Dorât

' Sur Laiicelot (Parles, cotisuller Koiisanl, Hymne des Daiinons (Blaii- clu-iiiaiii, \,\ii] ; Magnj', (iayetez, cdil Coiirlx't, p. 80-K2; Dorât, Poematia [V.W)), parL II, p. 1.")4 ; Micliel de L'ilospital, Carmina, cdit. Dufey de rYoïme. p. 71. Kll, 1S2 ; La Croix du Maine, II, 22 ; du Verdier. II, 570; et surtout la notice de (^ollelet, publiée et coniinentéc par Tamizey de Larroque, Collection Méridionale, t. IV, Paris, 1873.

- « On ha veu le protliouotaire Carie, de Bourdeaux, desi)uys evesque de liiès, svavant et «•rand persoiinaj^e, avoyr emporté la resputation en son jeune temps d'csire le meilleur danceur de gaillarde qui fusl en la Court. » (Brantôme, édit. Lalannc, III, 134).

' Epistre contenant le procès criminel laid a lenconlre de la royne Anne Bon liant d'Angleterre, par Caries, auniosnier de Monsienr le Dinilpkin. Lyon. l!)i.'), pet. iii-8". (Bi-unet, t. I. eol. 1a79). Caries avait fait aussi les bla- sons du (lenou, de lEspril et de l'Honneur dans les Blasons dn corps féminin .

LK « RECL'KIL l)K l'OËSIK » 220

que du Bellay Itivail coinm : car nous savons qu'il les suivait. Sans parler dune veision du roman triléliodore '. il avait enti-epris de traduire ï Odyssée. Du Bellay, qui le sentait moins hostile que Saint-Gelays aux jeunes écrivains, en raison même de ses études, comptait beauc-ouj) sur son appui. Dans l'ode qu'il lui consacre (1, 25^). il lui conseille d'abandonner momentanément sa traduction de ï Odyssée pour chanter les exploits du roi, le triomphe de la France et la ruine des Anglais. Qui pourrait, mieux que Caries et sa docte Muse, venir à bout d'un tel sujet?

Antoine Héroët, l'auteur de la Parfnicte Aiiiye, n'était pas encore évêque de Digne ■. Mais ancien protégé de Marguerite de Navarre et parent du chancelier François Olivier, il jouis- sait d'un prestige que rehaussait encore son talent de poète. Du Bellay, qui le regardait comme un précurseur, rend un sincère hommage (I, 259) à celui qui, s'élevant au-dessus du prosaïsme marotique, avait su traduire en beaux vers les nobles aspirations de Platon et les chastes plaisirs de lidéal amour :

Heroët aux vers héroïques, (Sul)je<^'t vrayment digne du ciel) Qui en doulceur passent le miel, En gravité les fronts stoïques :

Ta Muse, des Grâces amie, La mienne à te louer semond. Qui sur le hault du double mont As érigé l'Académie.

Si l'on doibt croire à Pythagore. Qui les corps fait reanimer. On peut. Heroët, estimer En tov celuv revivre encore.

' Celte version, anlérieui-e ;i celle d'Amyot, est conservée en manuscrit à la Bibl. Nat., fonds français, n" 2143.

- Il le devint en 1552 (GalUa ClirLstiana, t. 111, col. 1132, C).

230 JOACHIM DU BELLAY

A qui jadis dedans la bouche Les abeilles alloint formant Le miel, lors qu'il estoit dormant, Encor' enfant, dedans sa couche.

Jai iii'ardé pour la fin deux odes qui sont, de l'avis général, les meilleures du recueil. Dans une ode à Madame Margue- rite, D'escrire en sa langue (I, 240), du Bellay reprend les idées de la Deffence. au point de mettre en vers quelques- unes des phrases du fameux manifeste. C'est folie de vouloir imiter les anciens en leur langue : autant vaut porter de l'eau à la mer. du bois à la forêt '. Qui pourrait jamais égaler Homère et Pindare, Virgile et Horace ?

Princesse, je ne veulx point suyvre Dune telle mer les dangers, Aimant mieulx entre les miens vivre, Que nKJurir chez les estrangers.

Mieulx vault que les siens on précède, Le nom d'Achille poursuyvant, Que d'astre ailleurs un Diomede, Voire un Thersite bien souvent.

(hicl siècle esteindra ta mémoire, O Boccace ! et quelz durs hyvers Pourront jamais seicher la gloire, Pétrarque, de les lauriers verds ?

(^)ui verra la vostre muette, Dante, et Bcmbe à l'esprit haultain 1 Qui i'era lairc la musette Du pasteur Neapolitain ' ?

Comme dans la Deffence, du Bellay termine en disant la

' A remarquer dans ee début deux souvenirs d'Horaee : Carm. IV, 11. 1-t ; Sat. f, X, 3I-3.T. - Sannazar.

LE (( RECUEIL DE F^OËSIE )) 231

gloire de ceux qui n'ont pas craint d'illustrer leur langue maternelle '.

L'autre ode a pour sujet Les conditions du vray poëte (1, aSa). Du Bellay l'adresse à Bouju, maître des requêtes de la reine. C'est une heureuse paraphrase de l'ode célèbre d'Horace, Qiieni tu, Melpomene. semel '. Celui que la Muse a sacré ne suit ni la faveur des grands ni la voix (( conten- tieuse » du palais ; il ne connaît ni l'ambition, ni l'avarice, ni l'envie ; il est ami de l'amour, ennemi de la volupté ; il fuit la ville et le vulgaire, pour vivre au sein de la nature ' :

Les superbes collisées,

Les palaiz ambitieux,

Et les maisons lant prisées

Ne retiennent point ses yeux :

Mais bien les fontaines vives. Mères des petits ruisseaux, Autour de leurs verdes rives Encourtinez d'arbrisseaux :

Dont la frescheur qui contente Les beufz venans du labeur. De la Canicule ardente Ne sentit onques la peur.

Il tarde le coui's des ondes, 11 donne oreilles aux bois, Et les cavernes j^rofomles Fait rechanter soubs sa voix :

' Rapprocher de cette ode le dernier chapitre de la Deffence, p. 153-iril. - Carm. IV, m.

^ Sainte-Beuve {Nouveaux Lundis, XIII. "i'il) rapproche de cette ode l'élégie de Chénier :

O Muses, accourez, solitaires divines....

Edit. Becq de Fouquières, p. 155.

232 JOACHIM DU BELLAY

Voix que ne feront point taire Les siècles s'entresuivans : Voix, qui les hommes peult faire A eulx mesmes survivans.

C'est im beau portrait de l'élu des Muses, et l'on ne peut que l'admirer : mais n'est-ce pas une ironie de le rencontrer dans \\n recueil fait pour la Cour ? Était-il bien séant au poète de parler avec ce dédain de la faveur des grands dans un ouvrage qu'il écrivait pour l'obtenir ?

V

Le Recueil de Poésie se terminait par ime pièce d'un genre assez bizarre, le Dialogue cl un Amoureux et d'Echo (I. 273). On y ])ouvail lire de ces jolies choses :

()ui est raiillicMir d(^ ces maulx avenuz ?

Venus. (iOiiinienI eii soûl tous mes sens devenuz ?

Nuds. ()n'(^slois-i(' avant qu'enti-er en ce passaige ?

Saige. Et maintenant ([ue sens-je en mon couraige ?

Raige. Qu'(^sl-ce ([u'aimer. et s'en ])hiindre souvent?

Vent. One suis-je doncj' lors <pie mon cœur en fend ?

Enfant. Oui est \\\ lin de ]ii'ison si <)l)scure ?

Cure. Dy moy, cpielle est celle poui- (|ui j'endure ?

Dure. SiMil-cMc Iticii la (htuh'ui' (|ui me poingt ?

Point.

LF, (( KFCUKIL UK POKSIK » 2.Xi

Pasquier ot Tabourot ' sont d'accord pour voii' dans ce jeu desprit le plus ancien écho IVançais. Mais du Bellay s'est inspiré très certainement d'un écho latin du poète hollandais Jean Second (diah)i;ue d'un passant et d'I^cho), dont j'extrais ces fragments :

VIATOR.

Die, oro, poterit quid inipotenti Seros ponere limites amori ?

ECHO.

Mori.

VIATOR.

. . . Aut mox abjicienda prima vita est ?

ECHO.

Ita est.

VIATOR.

. . . Adeone amaruni amare est ?

ECHO.

Mare est -.

La pièce de Joachim est sans valeur avicune, et je n'en aurais point parlé, s'il n'était picjuant de voir l'adversaire des rimes équivoques et l'apôtre de la grande poésie se complaire à ces bagatelles, tout comme un simple Maro- tique.

' Pasquier, Rech. de la France. VI, 13. et Lettres. VIII, 12. Tabourot, Bigarrures, cliap IG.

- loannis Secundi Hagiensis opéra, lunic primiim in lucem édita. Utrecht, 1541, pet. in-8\ Volume non paginé. (Bibl. >iat. Y»^. 9470).

CHAPITRE IX

NOUVELLES SOUFFRANCES

1549-1552

I. Maladie de J. du Bellay.

II. Consolations que lui procurent les lettres et la poésie. La seconde édition de 1' (( Olive » : l'ode (( A Salmon Macrin sur la mort de sa Gélonis » (1550). Le « Tom- beau de Marguerite de Valois , Royne de Navarre » (1550-1551). Jeanne d'Albret et du Bellay : les u Son- nets à. la Royne de Navarre ».

III. Soucis et tracas domestiques.

I

Le 'Surmenage intellectuel qut^ du Bellay, dans sa folle ardeur de jeunesse, n'avait point redouté pour lui-même, de si fortes (Hudes poursuivies sans relâche dans l'espace de quelques mois, la production fiévreuse, et coup sur coup, de plusieurs ouviages importants, n'avaient pas été sans elTet sur sa santé toujours cliétive et délicate. Une grave maladie, à la suite de laquelle il ressentit les premières atteintes de

NUUVKl,M!:s SOUFFRANCES 2'35

la sui'ditt', fui la c-()us6(|ii(nif(> de tous ces excès '. Il l'aillit en mourir : un mal allroux, (|ui le privait de toutes forces, le tourmenta durant deux ans, le cloua, nous dit-il, sur un lit de douleur ■. Nous saisissons un vague écho de ses souf- IVances dans une ode du Rocueil de Poésie, rAi'anlretoai- en France de Monseigneur lîeverendiss. Cardinal du Bel/a)- :

Alors que les lièvres cruelles

Mes oz vont ronger de si près,

Qu'ilz n'ont quasi plus de mouëlles ,

Ja-desja me montroit la Parque

De Charon la fatale bartfue. (I, 249).

Des fièvres intermittentes le minaient. Assez mal en i549 pour inquiéter sérieusement tous ses amis, il allait mieux eu i55o, et Uonsard, dans une ode à Meigret, célébrait sa conva- lescence ' :

, Les dieus n'ont remis en arrière

L'humble soupir de ma prière, Et Pluton, qui na point apris Se fleschir pour dueil qu'homme meine, N'a pas mis le mien à mépris, Rapellant la Parque inhumaine Qui ja nostre ami tenoit pris.

' Pieri-e de Paschal le dit expressément, dans son épitaphe du poète : Qui ciwi in incommodnm valetiidinem nimio literariim studio Jamdiu incidisset. ex eaque multos jam annos surdaster et tandem surdus factus esset... (Marty-Laveaux, Appendice de la Pléiade, II, 38o).

- Elégie à Morel :

Continue excipiunt morbi, saevique dolores,

Queis prope Lelliaeas vidimus, umbra, domos Hoc soliluni eripuit robur, binosqae par annos Yexavit misero detinuitque toro. ^ Édit. orig.. liv. III, ode lo. f" 90 1°. (Blanchemain, II, 21G). L'ode a pour titre : De la convalescence d'un sien ami. De même en looo. C'est seulement en 1560, après la mort de son ami, que Ronsard a nommé du Bellay.

236 JOACHIM DU BELLAY

Mortes sont les fièvres cruelles

Qui rongeoint ses chères mouëlles ;

Son œil est maintenant pareil

Aus lleurs que trop les pluies baignent,

Envieuses Je leur vermeil,

Lesquelles après se repaignent

Aus raions du nouveau souleil.

Sus, Mégret, qu'on chante, qu'on sonne Cest heur que la santé lui donne. Qu'on chasse ennuis, soucis et pleurs. Qu'on semé la place de roses, Doeillés, de lis, de toutes fleurs Qui se monstrants au ciel descloses Le font mirer en leurs couleurs.

Toutefois. Ronsard s'était trop pressé. Le malheureux était bien loin d'être guéri. La santé ne devait jamais lui revenir complètement, et c'est tout au plus s'il allait connaître des moments de relâche dans le mal qui le consumait. Dès i55i, autant (ju'on peut préciser en pareille matière, il était repris de ses fièvres, et dans sa Complainte du Drftesperé ', il faisait de lui-inènie ce portrait lamentable :

.Mes oz, mes nerfz, et mes veines, Tesmoins secrez de mes peines. Et mile souciz cuyzans, Avancent de ma vieillesse Le triste hyver, (pii me blesse Devant l'esté de mes ans.

Comme l'autonne saccage Les verdz chpveux du boccage A son triste advenement.

' L'œuvre fait p.nrlic irnii iccueil île I;m2, cloiil le iJi-ivilèg-e est <lu 1" févr. 1551 (n. s. 1552).

NOUVELLKS SOUFFRANCES 2'{7

Ainsi peu à peu s'cllacr

Le ci'esjjc honiicui' de ma l'ace

VeulVe de son orncnienl.

(Quelle M«'d('(' ancienne

Vnv sa voix magicienne

M'a chansfé si pi'oni])temenl ?

Fichant daignilles cruelles

Mes entrailles, el moelles

Serves de l'enchantement ? (II, 5).

Il n'avait pas trente ans, et la maladie luvait à ce point vieilli !

Il

Au cours de ses souffrances, le pauvi-e Joacliim troviva dans les Muses une consolation. La lectur<^ des auteurs de l'Antiquité, le culte de la poésie, lurent le remède à ses maux. « Qu'aurais-je bien pu l'aii-e, éci'it-il tristement, moi qui n'avais aucun repos, aucun plaisir, moi ([ui m'appar- tenais à peine * ? h

Il donnait à l'étude, aux vers surtout, les instants de répit que lui laissait la maladie : c'est alors ([uil se fit connaître « dans le cliœur Aonien ». Le mal dont il était atteint ne l'empêchait pas de travailler avec ardeur au Recueil de Poësie '. L'amélioration toute l'elative ([ui se produisit en

' Elégie à Morel :

Ilic milii Musa luit ciisus solaïueii acerbi, Sola fuit nostris Musa luedela nialis. ïuui prinuini Latios legi Graiosque poetas, Tuni coepi Aonio cognitus esse clioro. Quid facereui, cui nulla quies. cui nulla voluptas, Qui non ipse niilii pêne relictus erani ? - (1 Sans que maladie ou autre empescliemenl ait peu retirer mon esprit de ceste non jamais assez louée eutrejjrise. . . . » (l, 2,2.0).

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238

JOACHIM DU BELLAY

iô5o dans sa Simté lui permit do prendre pari au combat qui se livrait autour de la Deffence. Il lança la seconde édition de l'Olive, et pour remercier Madame Marguerite de l'accueil si gracieux ([u'il avait reçu d'elle, il lui dédia ce nouveau livre (I. 70). 11 déposséda sans scrupule la dame de ses pensées, sa maîtresse idéale, des sonnets amoureux qui chantaient sa beauté, afin den faire hommage à la princesse \

La seconde édition de V Olive, à laquelle la préface et la Musagnœomachie donnaient un caractère niar(|ué de polé- mi({ue, odrait quelques odes nouvelles ', dont une au moins mérite de retenir quelques moments notre attention : il s'agit de la pièce -4 Salin on Macrin sur la mort de sa Gélonis (I, i53).

Salmon Macrin, le poète latiniste (|ui jadis, à Poitiers, s'était montré si bienveillant pour Joacliim. alors à ses débuts \ venait de perdre sa femme. Gélonis était morte d'une pul- nionie, le 14 juin i55o, à l'âge de quarante ans. Macrin, qui lavait toujours chérie tendrement, voulut lui faire un tombeau digne d'elle. Suivant l'usage du tem])s. il implora de ses amis le concours de leur Muse pour ]>leurer la défunte. Dans une ode très louangeuse qu'il adi'essait à du Bellay, il lui disait naïvement que le chantre d'Olive était le seul capable de rendre à jamais immortels les mérites de Gélonis :

Félix Olivae carminibus tuae. An vate felix illa suo magis.

Lam'am secutura hinc Petrarchae. Quintiliam. Xemesin. Corinnam ?

' Les sonnets de YOlive, à la rigueur, pouvaient lui convenir : « Pour divise elle portoit, dit Brantôme, un rameau (Vollive entortillé de deux serpens entrelassez l'un en l'autre aveq' les mots : Reriim sapientia cuatos. n Édit. Lalaune, VIII, 128.

- Marty-Laveaux. I, 153-168.

^ V. ci-dessus, cliap. i, § iv, p. 30-32.

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NOUVELLES SOUFFRANCES 239

Conjungeretur his utinani mea Olim Gelonis ! niortua sit licet. Triste nique decedens Macrinuin Liquei'it heu. saturumque vitae.

Sic illa vixit cum unaninii viro. Laude ut perenni digna sit evelii : At sol us argutis valeres

Tu facere id, Joachirne, ryt/unis '.

Le moyeu de repousser uue })rièi^e qui supplie eu termes si flatteui's ? Du Bellay s'en sentait d'autant moins le courage qu'il avait pour .Maerin une aÛection véritable. Il s'exécuta immétliatemenl '.

Son élégie sur la îtioii de Gélonis ' vaut mieux ([ue les pièces ollicielles ([ui sont d'usage en pareil cas. « Certaines strophes, »lil M. Marty-Laveaux, sont d'une grâce et d'une mélancolie exquises *. n Ce n'est pas à dire que l'auteur s'atlranchisse encore de tout souvenir érudit : presque au début on trouve, et de l'açon assez inattendue, un résiuné

' Du Bellay, naturellement, n'a pas manqué de mettre en lète de la ^^ édit. de VOlive une pièce qui lui faisait tant d'honneur. ^Bibl. Nat. Rés. Y*. 1735). Mais elle avait déjà paru dans les IVaeniae de S. Maerin (Naeniarum libri ni de Gelonide borsala itxore charissima. Paris. Vas«"osan. 1550, in-S"), p. 40. On la trouvera dans les Deliciae Poetaritni Galloriirn, t. II. p. 563.

- C'est ce (|ui ressort d'une pièce à Dorât {\aeniae, p. 7^), Maerin se plaint que, malgré ses prières, l'érudit n'ait rien composé sur la mort de

Gélonis :

Tu lugubre negas dulci de conjuge carmen,

(Jiiam vati rapuil mors violenta soni ? Ilaiid ila fecerunt Bellaïiis alqiie Beraldas,

Poscenti numéros proniptus uterque dédit. Laudibus et caelo vexere Gelonida miris, Ac stellam stellis inseruere novam. Ajoutons que Dorât s'excusa par une pièce latine (p. 97), et qu il dédom- magea Maerin par une belle ode « ad numéros Odes Pindari Olympiacae llll d (p. 109). On trouve p. \'22 la pièce de Fr. Beraud, dont il est question ci-dessus.

' Elle a paru d'abord dans les Naeniae, p. 128. * IS'otice sur J . du Bellaj, p. xv.

1 .

238 JOACHIM DU BEF.LAY

lôoo dans sa santé lui poi-init (le prciulre part au combat qui se livrait autour <lo la Beifence. Il lança la seconde édition île ï Olive, et pour leniercier Madame Marguerite de raccueil si gracieux (|uil avait l'eçu d'elle, il lui dédia ce nouveau livre (I, 70). Il déposséda sans scrupule la dame de ses pensées, sa maîtresse idéale, des sonnets amoureux qui chantaient sa beauté, afin d'en faire hommage à la princesse '.

La seconde édition de V Olive, à laquelle la préface et la Miisag'uœoinackie donnaient un caractère niar(j[ué de polé- mi(|ue, ollrail <[uol([ues odes nouvelles ", dont une au moins mérite de retenir quelques moments noire attention : il s'agit de la pièce A Salmon Maerin sur la morl de sa Gélonis (I, i53).

Salmon Maerin, le poète latiniste (|ui jadis, à Poitiers, s'était moulré si hienveillaul pour .loaehim. alors à ses débuts ', venail ilc perdre sa l'emiue. Gélonis était morte d'une pul- monie, le i4 jiiin i55o, à l'âge de quai-ante ans. Maerin, qui l'avait toujours chérie ttmdrement. voulut lui l'aire un tombeau digne d'elle. Suivant l'usage du temps, il implora de ses amis le concours de leur Muse poui- ])leurer la (h'I'unte. Dans une ode très loiuingeuse qu'il adressait à du Bellay, il lui disait naïvement que le chantre d'Olive était le seul capable de i-endre à jamais immortels les mérites de Gélonis :

Félix Olivae carminibns Inae. An vate l'elix illa suo magis.

Laui'am seculura liinc Petrarchae. Quintiliam, Nemesin, Corinnam ?

' Les sonnets de l'Olive, à la rigueur, pouvaient lui convenir : a Pour divise elle portoil, dit Bj-antômc, un rameau d'oLlive entortillé de deux serpens enlrelassez l'un en l'autre aveq' les mots : lieriim snplentia ciintos. » Édit. Lalanne, VIII, 128.

- Marty-Laveaux, I, 153-168.

^ V. ci-dessus, chap. i, § iv, p. 30-32.

NOUVELLES SOUFFRANCES 239

Conjungeretur his utinain iiu^a Olim Gelonis ! niortua sit licol, ïristenique decedens Macrinimi Liquerit heu. saturuinquc vitae.

Sic illa vixit ciiin unaiiiini viro. Laudc lit perenni digna sit evolii : At solus argutis valeres

Tu facere id, Joachinie, rytluniii '.

Le moyen de repousser une prière qui supplie eu ternies si flatteurs ? Du Bellay s'en sentait d'autant moins le courage qu'il avait pour Macrin une aftection véritable. Il s'exécuta iinniédiatement '.

Son élégie sur la moti de Gélonis ' vaut mieux ([ue les pièces ollicielles <pii sont d'usage en pareil cas. « Certaines strophes, dit M. Marty-Laveaux, sont dune grâce et dune mélancolie exquises *. » Ce n'est pas à dire que l'auteur s'affranchisse encore de tout souvenir érudit : presque au début on trouve, et de façon assez inattendue, un résumé

' Du Bellay, nalurellement, n'a pas manqué de mettre en tète de la 2' édit. de VOlive une pièce qui lui faisait tant d'honneur. (Bibl. Nat. Rés. Y^ 173a). Mais elle avait déjà paru dans les Naem'ae de S. Macrin [Naeniariim llbri III de Gelonide Borsala iixore charissiina. Paris, Vascosan, 1550, in-S"), p. 40. On la trouvera dans les Deliciae Poetarum Galloriim, t. II, p. 363. - C'est ce qui ressort d'une pièce à Dorât [Aaeniae, p. 72), Macrin se plaint que, malgré ses prières, l'érudit n'ait rien composé sur la mort de Gélonis :

Tu lugubre negas dulci de conjuge carmen,

Quam vati rapuil mors violenta seni ? Haud ita feceriint Bellaïus atque Beraldus,

Poscenti numéros promptus uterque dédit. Laudibus et caelo vexere Gelonida miris, Ac stellam stellis inseruere novam. Ajoutons que Dorât s'excusa par une pièce latine (p. 97), et qu il dédom- magea Macrin par une belle ode u ad numéros Odes Pindari Olympiacae IIII » (p. 109). On trouve p. 122 la pièce de Fr. Beraud, dont il est question ci-dessus.

' Elle a paru d'aboi'd dans les Naeniae, p. 128. ^ Notice sur J . du Bellay, p. xv.

24U .lOACUIM DU BELLAY

des Triomphes de Pétrarque, et dans le cours de l'ode, on pourrait signaler plus d'une réminiscence d'Horace. Néanmoins la pensée est sincère et l'accent assez ])ersonnel. Voici des vers dont la simplicité discrète contraste avec le style allecté de Y Olive :

La constance immuable

De ta douce moitié,

Sa chasteté louable.

Son ardente amitié.

O Macriii I n"onl eu force Contre la fiere loy. Qui a l'aict le divorce De ta l'emme et de toy.

La mort blesme d'envie, En la venant saisir, A troublé de ta vie Le plus heureux plaisir.

Malgré ses vertus, Gclonis est morte : la plainte de Macrin ne saurait « soulever » son tombeau, la rappeler à la luiiiière. C'est le destin :

Il l'aull (jue chacun passe En l'éternelle nuit : La Mort qui nous menasse. Comme l'ombi-e nous suit.

Mais (|u'il prt>nue courage : un .)•'"•' viendra, (ju'il ira retrou- A'er sa compagne sous les myrtes verts des Champs-Elysées :

Adoiic ira Ion àme Sa moitié retrouver, Pour ta première llàme Encores éprouver.

NOUVELF.ES SOUFI'RANCKS 241

L'Amour, tu donc»' peine, T'ouvrira le pourpris. Ou la Mort {^uido et meiiie Les amoureux espris.

La, sous le saiiu't ombrat^e Des rjyrtes verdoyants S'appaisera l'orage De tes yeux larmoyaus.

Dans sa note païenne, cette conclusion a du cliarme. C'est d'ailleurs le mérite de cette ode d'être «l'une touche lés'ère et délicate. Elle en possède un autre : ([uiconque la lira sera surpris d'y découvrir comme un avant-dessein de la Consolation à du Périer sur la mort de sa fille : par les idées, par les images, du Bellay devance Malherbe.

Notre poète lui moins heui-eux, lorsqu'il prit part au tombeau de la reine de Navarre. La (( Marguerite des Princesses », la l'enniie intelligente et bonne <[ui avait tenu tant de place sous le règne de François I«r, le très subtil auteur des poésies mystiques et de ÏHeplaméron, s'était éteinte, quelque peu délaissée, le ui décembre i549- Trois sœurs de la cour d'Angleterre, Anne, Marguerite et Jeanne Seymour, filles du protecteur Edouard Seymour et nièces d'une des femmes d'Henri VIII. princesses distinguées, qui avaient reçu de leur précepteur. Nicolas Denisot '. une Ibrte culture classique, consacrèrent à sa gloire une centaine de distiques d'une élégante latinité ■. Leur ouvrage parut au

' De io4o à 1549, d'après M. Gabriel Marcel, Revue de Géographie, sept. J8!)4, p. 195.

-' De Thon, lib VI, ami. 1549 (édil. de Londres, 1733, l. I, p. :i09), dit à pro|>os de Marguerite : a Décima Musa, et quarta Ciiaris a studiosis omnibus, aut una IX Musarum, et triuin Cliaritura instar appellari nieruit : versibusque passim editis, et nummis percussis, his elogiis ornata est : praecipue vero

Uiiiv. de Lille. Tome Y 111. A. l(j.

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242

JOACHIM DU BELLAY

milieu (lo i55o ' : il (''lait suivi dun rcrtain nombre de pièces grecques et latines, parmi lesquelles une très curieuse épître (le Charles de Sainte-Marthe. Cet ancien ami de Marot s'éton- nait, s'indignait que la France restât muette, alors que trois jeunes Anglaises chantaient en si beaux vers les vertus de la reine île Navarre. Voilà bientôt six mois qu'elle nest plus, disait-il en substance, et pas un poète français ne s'est levé pour pleurer morte celh; qu'on loua si souvent vivante. Macrin et Bourbon se taisent «'l. comme eux. Saint-Gelays, Héroët, Salel. lîoiiju. l'elelier. Ronsard et du Bellay :

Omnes inuli hodie : recens(|U(^ sci'ipltji- llonsai'dus, célébrât suos aniores, Heroas([ue vehit suos ad astra, Ausus J*indarico sonare versu : lîonsardus meus ille, quem Minerva Sacrax il sibi : cui suada Pitho Dextro Mercurio irrigavit ora. ()ni (nolit velit invidus) poetas luter, conspicuus locuni tenebit : Musas ([ui usipicadeo sacras amavit. Musae ([ucm HS<|ucadco sacratae amarunt. llli ul carmina gallice cancnli Non (lallae modo, set simui Lalinac, Allicac([ue simul lyrani miuistrenl.

a III sororibus An^lis, Anna, IMaii;arila et lana Scinioriis, non minus ob splendoroni j-rnoris, quant ingenii cicgantiam et exiniiani erudilioneni cuni rara uioruni i)rol)ilate eonjunctam aeterna conimcndatione dignis, eelebrata est edilo liecalondisUelio ...» Les sœurs Seyinour ont été chantées par Dorai (HendecasyLlahurn in très sorores Semoria/uis, liv. I des Odes du recueil de liWG) et par Ronsard {Odes, II, 308).

' Annoe. Margarilae, lanae, sororuin virginuni, heroïdiini Anglarurn, in morteni divae Mnrgaritae Valesiae, Navarroruni reginae, hecatodis- lichon. Accessit Pétri Mirarii ad easdcm i>irgines epistola : nna cuni doc- lorum aliqnot virorum carminibvs. I^aris. 1550, pet. in-8°. (Bibl. Nat. Rés. pY'. Ii37). En tèle. épître latine de N. Denisot aux sœurs Seyniour, datée de Paris, I" mai KioO.

iNOUVELLES SOUFFRANCES 243

Ipsc al lM;u'i;ai'i(l('iii tatcl, \wc ullos Dduiictae ti-iWiiil [)oela honores. Beliaius quoque, qui Italo Pet ranime Artem siistulit atqae dignitateni.

Ni la vertu ni la vt'rité, conlinuait Sainte-Marthe, ne peuvent admettre ce silence. Les poètes français ne rougiront-ils pas de voir accompli par trois jeunes tilles un devoii- (piils ont déserté ?

(^uid ais ? pudore maguo

Non perlunderis, o Poêla (jalle ? Cujus ollicium iacit puella, ()uando tu oflîcium lacis puellae ?

L'appel lancé par Sainte-Marlhe ne resta pas inentendu. L'occasion était liop helle, tout en faisant assaut de poésie, de faire aussi sa cour au roi I Tous ceux qui se pif[uai(Mit de lettres, Denisot (^l des Essars, Dorât, s<^s trois disciples de cœui', du Bellay, Uousard el Baïf, Jean de Morel et sa femme Antoinette de Loynes. Piei-re des Mii-eui's et Jean- Pierre de Mesmes, de plus obscurs encore, comme Bouguier et Tagault, tous se mirent à l'œuvre, et de cette multiple collaboration sortit en i55i le Tombeau de Marguerite de Valois, Royne de Xavarre '. Ou commença par reproduire de toutes les façons les cent distiques des sœurs Seymoui- : Dorât les mit en j^rec, Jean-Piei-re de Mesmes - en italien,

' Le Tombeau de Marguerite de Valois, liorae de Navarre, laid pre- mièrement en Disticques Latins par les trois Sœurs, Princesses en Ansfle- terre. Depuis tradnictz en Grec, Italien el François par plusieurs des excellent: Poêles de la France. Avecques plusieurs Odes, Hymnes, Can- tiques, Epitaphes, sur le mesme subiect. Paris, lool, pel in-S'. ;I3it)l. Xat. Rés. Y'. 1633).

- Sur Jean-Pierre de Mesiucs, consulter La Croix du Maine. I, 573 : du Vcrdier, II, 469 ; et surtout la notice de Colletet, publiée par Tamizey de Larroque, Paris, Picard, 1878.

Il

242 JOACHIM DU BELLAY

luiiiou (1<> i55o ' : il riait suivi »run certain nombre de pièces grecques et latines, parmi lesquelles une très curieuse épître de Chai'les de Sainte-Marthe. Cet ancien ami de Marot s'éton- nait, s'indiii^nait que la France i-estât muette, alors que trois jeunes Anji^laises chantaient en si beaux vers les vertus de la reine de Navarre. Voilà bientôt six mois qu'elle n'est plus, disait-il en substance, et pas un poète français ne s'est levé poui' pleurer morte celle qu'on loua si souvent vivante. Macrin et Bourbon se taisent cl. comme eux. Saint-Gelays. Héroët, Salel. lîouju. Pclctier. Ronsard et du Bellay :

Omnes nmli hodii' : recensque scriplor Honsardus, célébrât suos amores, Hcroasque vehit suos ad astra, Ausus Pindarico sonare versu : Honsardus meus illc, quem Minerva Sacravit sibi : cui suada Pitho Dextro Mcrcurio ii-i-igavit oin. Oui (nolil velil invidus) poêlas Tnter, cons])icuus locum tenebit : Musas (|ui us(]ueadeo sacras amavit. Miisac (|U('in us(|uradc() >acratac aniai'unt, llli til caruiina gallicc cancnli .\on (iallac modo, set simul Latinae, Atticaei[ue sinml lyram ministrent.

a III sororibus Anglis, Anna. Maruarila et laiia Seiiiioriis, non minus ob splendoreni {j-eneris, quani ingenii cleganliam et exiniiani eruditionem cuni rara uiorum probitate c-onjunctain aeterna conimcndatione dij-nis, eelebrata est edito liecatondisticho ...» Les sœurs Seymour ont été chantées par Dorât l Hendecasyllabuni in très sorores Semorianas, liv. I des Odes du recueil de 1;J86) et par Ronsard {Odes, II, 308).

' Annae. Margarilac, lanae, sororurn virginiim, heroïdiim Anglaruin, in mortem divae Margaritae Vaiesiae, yavarrortiin reginae, hecatodis- tichon. Accessit Pétri Mirarii ad easdcm virgines epistola : una cuni doc- toruni nliquot virorum carminibvs. Paris. 1530, pet. in-S". (Bibl. Nat. Rés. pY'. 1237). En tète éi)Urc latine de N. Denisot aux sœurs Seymour, datée (le Paris, 1" mai lîioO.

NOUVELLES SOUFFRANCES 243

1[)S»' al Mari;ari(lciM lacet, ir*c ullos Dcruiiclae lril)uit porta honores. Bellàius f/uo(jiu', (/ni Italo Petranliac Artern siistulil atc/ne dignilalein.

Ni la vertu ni la vt-rité, conlimiail Sainte-Marthe, ne peuvent admettre ce sih^nee. Les poètes français ne rougii'out-ils pas de voir acconij)Ii par trois jeunes fiUes un dcvoii- <[u"ils ont déserté ?

(^uid ais ? pU(h)re niagno

Non perlunderis, o Poeta Galle ? Gujus olliciuni faeit puella, (^uando tu oUiciuni lacis puellae ?

L"a[)pel lancé par Sainte-Marthe ne resta pas inentendu. L'occasion était ti'op helle, tout en faisant assaut de poésie, de faire aussi sa cour au roi 1 Tous ceux qui se piquaient (le hêtres, Denisot et des Essars, Dorât, s<'s trois disciples de cœur, du Bellay, Ronsard el Bail', Jean de Morel et sa femme Antoinette de Loynes, Pierre des Mireurs et Jean- Pierre de Mesmes, de plus obscurs encore, comme Bouguier et Tagault, tous se mirent à l'œuvre, et de cette nuiltiple collaboration sortit en i55i le Tombeau de Marg'iierite de Valois, Ro)'ne de Xavan-e '. On commença i)ai' reproduire de toutes les façons les ceni distiques des sœurs Seymour : Dorât les mit en grec, Jean-Pierre de Mesmes - <>n italien.

' Le Tombeau de Marguerite de Valoin, Royiie de Navarre, /aicl pre- mièrement en Disticques Latins par les trois Sœurs, Princesses en Antfte- terre. Depuis tradniclz en Grec, Italien et François par plusieurs des excellenlz Poêles de la France. Avecr/ues plusieurs Odes, Hymnes, Can- tiques, Epitaphes, sur le mesmc subiect. Paris, looi, pet ia-8'. (Bibl. Nat. Kés. Y'. 1633).

- Sui' Jean-Pierre de Mesiue.s, consulter La Croix du Maine. I, 573 ; du Vcrdier, II, 469 ; et surtout la notice de Colletet, publiée par Tamizey de Larroque, Paris, Picard, 1878.

244 JOACHIM DL BELLAY

du Bellay cl Haïl', Antoinette de Loynes - et le « Conte d'Alsinois », à ((ui mieux mieux, en firent des quatrains français. Puis les élèves de Dorât, d'une ode latine eoni- posée par le nuiître % tirèrent cluuvui une version française *. Enfin, les disciples, volant de leurs propres ailes, s'aban- donnèrent à leur inspiration. Ronsard, poète d'un souffle puissant, enrichit le recueil d'un hymne triomphal et d'une ode pastorale '. Baïf. i)lus bref, se contenta d'une épitaphe ''. Quant à du Bellay, (jui n'avait ni la sécheresse de Baïf ni rabondancc de llonsard, il écrivit, dans la note moyenne. Les (leu.x M<ir^ue?^itcs {\\. ^O- Pour répondre au reproche de Charles de Sainle-Marthe, il y disait :

Si des premiers je n'ay pas Orné le Royal trespas, Aussi ma Muse est trop basse Pour une première place : Et qui sçait si les derniers Se feront ])oint les premiers ?

Ces (lei-niers vers étaient ((ue](|ue j»cu présomptueux. La pièce des deux Marguerites ne vaut ni plus ni moins que toutes celles du recueil : elle (>st médiocre. Toutefois du Bellay s'y montrait fort habile, puisqu'en célébrant la sœur d<' François le^ il trouvait moyen de louer aussi la sœur d'Henri II. C'était d'un bon courtisan.

Du Bellay, 11, ;il3. - Baïf, V, 225.

- V, La Croix du Maine, 1, 55, et la note de La Monnoyc.

' Celte ode (Qualis quadrigis raptus ab igneis) ligure dans le recueil de 1586, Odar. lib. I, p. 187.

' Du Bellay, I, 160. Ronsard, 11, 312 Baïf, II, 365. La pièce de Joacliini avait déjà paru dans les Naeniae de S. Macrin, p. 133, et dans la édit. de Y Olive.

* Ronsard, II, 313 et IV, 115. « Baïf, II, :i63.

NOUVELLKS SOUFFRANCKS 245

Vers la fin «lo la pièce, un Irès disci'ot éloj^e de la fille de Marguerite. Jeanne d'Albret. indiquait les sentiments du poète à rég;ard de la jeune princesse. Jeanne, mariée à vingt ans (i548) avec Antoine de Bourbon, était alors, par sa grâce et par son es[)rit. le plus bel orneiiieiil de la Cour d'Henri II. Elle savait les langues, cultivait les sciences, s'exerçait à la poésie \ C'est à cette époque (ju'il faut placei* son commerce de sonnets avec l'auteur de V Olive '. Le rafiinement, la préciosité, l'excès de Ilatterie surtout, gâtent presque tous ces sonnets, ceux du poète comme ceux de la reine. Le poète loue dans la reine l'absence de lîerté . qui la rend acces- sible aux humbles, et la grandeur de ses vertus intellec- tuelles et morales ; la reine loue dans le poète l'excel- lence de son génie et ce don précieux qu'il a d'immortaliser ceux qu'il chante. Et le tout se termine par des sonnets à Caries, oii du Bellay prie son ami de l'inspirer, pour mieux célébrer la reine, proteste de n'avoir rien dit qui soit contre la vérité, fait enfin sonner haut le bonheur qu'il ressent de ce commerce poétique.

III

C'est par des œuvres tle ce genre que du Bellaj'^ tâchait d'oublier ses soufii'ances. et les lettres lui procuraient un réconfort d'autant plus précieux qu'aux douleurs de la maladie

* V. les Mémoires et Poésies de Jeanne d'Albret, publ. par le baron de Ruble. Paris, Km. Paul, Huard et Guilleniin, 1S93, in-8°.

- Marly-Laveaux, I, 295-302. Ces sonnets n'ont pas été publiés en 1549, dans le Recueil de J^oësie, comme le dit Pflânzel (p. IS et 45), mais seulement en 1581, après la mort de du Bellay. Toutefois, ils doivent dater des environs de 1550. Ce qui permet de le penser, c'est que plusieurs de ces sonnets comme c'est le ras pour l'Olive, ont encore la forme italienne, non la foruie française : je veux dire que les tercets sont sur deux rimes, et non sur trois.

246 JOACHIM UU BELLAY

s'ajoutaient maintenant bien des soucis, bien des tracas d'une autre espèce. Il s'était toujours senti peu de goût pour les affaires donoestiques. C'est peut-être à lui qu'il songeait, lorsqu'il disait dans la Deffence qu(\ jiour entreprendre un poème épique, il i'allait être « non troublé d'afaires domes- ti(jues. iu;ds en icpo/ cl ti'aiiquilitt' d'cspi-it ») (p. 119). En tout cas. la pi'élace de VOlicc contenait cet aveu non équi- voque : « ... Me ti'ouvant chargé d'alfaires domestiques, dont le soin^- est assez suffisant pour dégoûter un homme beaucoup plus studieux que mo)' )> (I. -i). Ses . embarras s'accrurent, lorsqu'en lôôa. à la mort de son frère. René du Bellay, gouverneur de Metz. Joacbim se vit confier la tutelle de son jeune neveu. Claude du Bellay, seigr^eur de Gonnord '. Il était alors âgé de trente ans : les rêves de la poésie le sédui- saient bien auti'ement cpie les charges d'une tutelle. Mais son frère m mourant avait l'ait appel à son dévouement : bien à i-cgi-cl. il acc«>j)la donc le (( fardeau » de l'enfant remis à sa garde '. De là. des ennuis sans nombre ' : il hii

' Du IJellay s'est étendu sur ce point dans son Elégie à Morel : Fraterno interilu, nobis cuni firmior aetas

Jani foret, accessit tuin nova cura milii. Pupilli nova cura fuit subeunda nepotis, Queni lidei frater li(|uerat ipse meae. lîrgo onus invitus subeo puerique, doniusque

Accisae, et variis litibus impiicitae, Ouani, velut lonio deprensus navita ponto,

Naufrafïa cui puppis sola relicla fuit, Il polui, rcxi caecis ignarus in undis,

Nec pelago assuetus, nec satis arte valcns. Hic tauien ingeniuni quodcunque lidenique prol)avi, Suceul)uit tuuiidis nec mea puppis aquis. On lit dans la notice de Golletet : « Quelques-uns m'ont dit f|u'il fut encore tuteur des enfans de sa sœur mariée au baron de Lyre, maison du bas Anjou, mais je ne sais s'ils ne confondent point cette seconde tutelle avec la première, comme il est assez vraisemblable, puisque notre auteur n'en parle point, et qu'il ne désigne expressément que celle du lils de son frère. » Copie mscr., f"» 46 V-il r".

^ On en saisit la trace dans l'épître-préface à Morel (1352), qui contient mainte allusion à ces alfaires domestiques (I, 33."i-.'î36).

NOUVELLKS SOUFFRANCES 247

fallut d'abord (Mitreprendrc un voyage dans le Maine et l'Anjou '. voyage pénible au cours duquel, pouf se déridei'. il faisait des vers :

Pourtant, Macrin. ne te fasche

Si la bride ung peu je lasclie

An soing- qui l'espril nie rompt :

Et se pour t'aider à rire,

J'ay entrepris de t'escrire.

Pour nie dérider le front. (II. 35).

C'était un voyage d'affaires. Renc- du Bellay, semble-t-il, avait laissé derrière lui une situation des plus embrouillées. Force procès étaient pendants, et la maison était au boi-d de sa ruine. L'infortuné tuteur connut bien des déboires et garda mauvais souvenir de ses démêlés avec la justice. Son horreur de Thémis se manifeste en maint endroit. Il y fait allusion dans sa Complainte du Désespérée (i552) :

Si la maison mal entière

De cent procez héritière.

Telle qu'on la peut nommer

La gallere desarmée.

Qui sans guide et mal ramée

Vogue par la haulte mer... (11,4)-

Il dit encore dans une pièce liminaire à Jacques Gohorry (i553) : Je chanterai ta gloire quelque jour.

Si le soing De l'orage. Et la rage Des procès Pleins d'excès

* Ma muse qui se pourmeine

l'ar Anjou et par le Meine A faict ce discours plaisant.

Discours sur la louange de la vertu.... à Salmon Macrin, Xzr^'l. (II, 41).

248 JOACHIM DU BELLAY

Ne m'engoufre Dans le gouphre De fureur. Dont l'horreur Véhémente Me tourmente * .

Sur cette mer pleine décueils. pour reprendre sa métaphore, du Bellay, malgré son inexpérience, navigua sans faire naufrage : à force d'adresse et de conscience, il sauva sa nef des Ilots déchaînés. Entendez qu'il débrouilla la situation au mieux des intérêts de son pupille. Mais ce neveu, pour l('(|uel il avait tant fait, ne (h'vait pas en profiter : il nioui'ut en juillet i55'3 '. Joacliim du Bellay, sieur de Lire, devint par sa iiiorl seigneur de Gonnord '.

Souffi'ances physiques. soufTrances morales, rien n avait inaii([uc. durant Irois anni'cs. à notre auteur. De telles émo- tions ne sont point sau'- iidluence sur rinsi)iration poétique. Xous en verrons le ((tntre-cou]) dans les œuvres île i552.

' Cette pièce se trouve en tète du A'= livre d'Aniiidis de Gaule, traduit par J. (lotiorry, 1533. Elle n'a pas été recueillie par M. Marty-Laveaux. On rapprochera des deux passages que jai cités les quatrains d'un sonnet (1. i3.j) publié seulement en i:iGl, mais qui semble bien dater de cette époque. Cf aussi les tercets d'un sonnet à Pasclial (II, lil).

- Ms. fr. 20.265, f"74 v».

' C'est un fait que Ménage, Niceron et Goujet ont contesté, mais à tort. Le registre eapitulaire de Notre Dame nomme du Bellay Dominus de Gonnor (Marty-Laveaux. Appendice de la Pléiade, II, 386). Cf. P. de Nolhac, Lettres de J. du liellay. p. 41 et 8(i, notes.

vX

CHAPITRE X

LES « J RADl CTIONS » ET LES « INVENTIONS »

DE

1552

I Caractère du recueil de 1552. L'épltre-préface à Morel. II. Les traductions de du Bellay.

III. —- Les œuvres de l'invention de l'auteur. La a Complainte

du Désespéré ».

IV. Les pièces religieuses.

V. Les pièces philosophiques. VI. Les pièces littéraires. VU. L' « Adieu aux Muses ». Le voyage de Rome fait de J. du Bellay, poète livresque, un poète personnel.

I

Dans le courant de i552. du Bellay publia un recueil mi-parti de traductions et de poésies originales '. Ce nouveau

' Le qnatriesme livre de l'Enéide de Vergile, traduict en vers francoys. La complaincte de Didon à Etiée, prinse d'Ovide. Autres œuvres de l'inven- tion du translateur. Par l. D. B. A. Paris, Vincent Certenas fsiej, 1532, in-8'\ Privilège du 1" févr. lool (n. s. 1332). En têtt du volume, se trouvent divers compliments poétiques adressés à du Bellay : l" un Sonnet de lan

2o0 JOACHIM DU BELLAY

recueil pi-ésenlail un caractère assez (lifTérent de ceux (|u"il avait donnés jusqu'alors. Éclos au milieu de tous les malheurs qui s'abattaient sur le poète, il portait sa marque d'origine. On y surprenait un amer sentiment de désespérance. L'au- teur, arrête dans son rêve idéal par les brusques rappels de la r('alilé . se prenait à doutci- de lui-inèmc. Il avait con- science de baisser : ingénument, il en laisait l'aveu. Décou- ragé, malade, atteint de lassitude et d'épuisement, il n'avait plus dans son génie cette belle confiance d'autrefois. Lâche à créer, il traduisait. Et pourtant, à le prendre dans son ensemble, son nouvel ouvrage avait quelque chose de moins lwres(jue peut-être que ses œuvres antérieures : les souvenirs d'érudition s'y montraient moins nombreux. Le poète s'épan- chait davantage : par d(Mi\ ou trois l'ois tout au moins, il était bien lui-même : sous le coup de la souffrance, des accents s'échappaient de son àme endolorie, des accents per- sonnels et sincères, ([u'on n'avait entendus si profonds ni dans les Vers fjj'/iqucs ni dans le Recueil de Poésie. On sentait ([ue la vie avait passé par là.

L'élat d'àme (|ui a donné naissance à cette œuvre s'exprime tout entier dans l'épîti'e-préface adressée par l'auteur à son ami Jean i\e Morel. Le début est à citer : (( Je n'avoy jamais expérimenté la doulceur des bonnes lettres (cher amy Morel) si non depuis (pie la forlune m'a voulu préparer tant de calamité/., tpie je ne seray jamais las de remercier celuy qui m';i donné la grâce de les pouvoir suppoi'ter jusques icy. Je

de Morel Ambrunois, à qui l'ouvrage esl déilii- ; 2' une Ode de Damoiz. M. D. L. Haye [Marie de La Haye] sur les œuvres poétiques de I. du Bellay et P. de Ronsard ; un sonnet de Th. Seb. [Thomas Sibiicl] ; 4" une épigrnmiue latine Ejnsdcm ad lo. Bellaïnin ; 'S° des hendtcasyl- labes lalins de llobert de La Haye, Rob. Ilajus de I. Bellaïo et P. Ronsardo. Dans le cours du volume, on trouve encore un sonnet de Baïf (Marty- Laveaux, V, 231). Toutes ces pièces encomiastiques ollrent peu d'intérêt : on y voit cependant que, dans l'opinion des contemporains, du Bellay mar- chait l'égal de Konsard. (Bibl. Nat. Rés. pY'. 1400).

LES « TRADUCTIONS » ET LES « INVENTIONS )) 231

ne (lii'ay. par (|ii('ll(' diversité de inalhours s'csl joucc Ar moy cesto cruelle arbitre des choses humaines : coiauie celuy qui n'ignore telles complainctes estre aussi usitées, comme les occasions en sont ordinaires. Je diray seuh^uent <|ue pariny tant de malhmirs (conti'e les([uelz je ne sens ma raizon si forte ([u'elle menst peu armer de sullisanlc patience) le non moins honneste. <pie plaisant exercice poëlicpie ma donne- lanl de consolation, cfue je ne puis encores me repcMitir d"y avoir perdu une partie de mes jeunes ans o (I, 333-334). Après ce bel hommage au pouvoir consolateur des lettres, du Bellay déclarait ([u'il lu' portait aucune envie à la félicité des gens désœuvrés et frivoles. Assurément, la poésie était peu lucra- tive : c'était un cliamp (( inl'ertil et peu lidele à son laboureui*. auquel le plus souvent il ne rapporte cpie i-onses et espines » (334). Il avait continué néanmoins à la cultiver : d"al)ord . pour « l'honnc^ste contentement de son espi'it )). et par désir de témoigner à la postérité <[u'il n'avait point vécu dune vi<> oisive; et puis aussi, dans l'espoir d'être encore agréable aux princes, et sui'tout à Madame Marguerite. Toutefois, il avait conscienc(> ([U(^ « ce doulx labeur, jadis seid enchantement de ses ennuys ». se (( refroidissait » en lui cha((ue jour. Il en venait maintenant à traduire : « Ne sentant plus, disait-il. la première ardeur (h* cet Rnthusiasme. <[ui me faisoit librement courir par la carrière de mes inventions, je me suis converty à retracer les pas des anciens, exercice de plus ennuyeux labeur, que dalegresse d'esprit » (335). Mais, comme il ne voulait pas abandonner complètement le plaisir ({ui, « durant ses infor- tunes », favait toujours (( pourveu de si souverain remède », il donnait encore à la langue quelques poèmes, « les derniers fruicts de son jardin non du tout si savoureux que les premiers, mais (peult estre) de meilleure garde » (335).

Voilà l'état d'àme, pleinement douloureux, d'où sortit le recueil des traductions et des inventions.

2^2 JOACHIM DU BELLAY

II

Les traductions publiées en i552 comprenaient : le quatrième livre de l'Enéide de Virgile, dont lit choix du Hella\ . parce ([uil n'est œuvre en aucune langue, dit-il. (( ou les liassions amoureuses soyent plus vivement depeinctes, <[u"en la personne de Didon » (336) ; 20 la septième héroïde d'Ovide, Guniplainte de Didon à Enée, ([ui, tout en continuant le (( propos )) de Virgile, permet d'opposer « la divine magesté de l'ung de ces aucteurs à l'ingénieuse facilité de l'autre )) (33") ; une épigramme d'Ausone Su/- la statue de Didon, qui leur sert de contre-partie : « Il me sembloit inique de l'enouveler l'injure qu'elle a receu par Vergile, sans luy reparer son honneur par ce qu'autres ont escrit à sa louange » (338). On peut y jtdndre un fragment du cin- (piième livre de YEnéide, la Mort de Palinure. qui parut en i553, (hms la seconde édition du Recueil de Poésie, et le sixième livre tout entier, qui ne fut publié qu'en i56o '.

Par ces traductions, notre auteur allait droit contre les principes qu'il avait lui-même formulés autrefois "^ : mais cela n'était pas [)()ur le gêner beaucoup. Il justifie sa volte-face avec une désinvolture incroyable : ((Je n'ay pas oublié ce qu'autrefois j'ay dict des translations poétiques : mais je ne suis si jalouzement amoureux de mes premières appréhensions, (|u(' j ave honte de les changer quelquefois, à l'exemple de tant d'excellens aucteurs. dont l'auctorité nous doit oster ceste

' K[)itre à Mord (I, 336) : « Et si je congnoy que ce mien labeur soit iigrëahlc aux lecteurs, je metlray peine (si mes affaires m'en donnent le loysir) de leur faire bien tosL voir le sixiesme de ce mesnie aucteur. » Cf. I, 43."j et 11. 8(j. La traduction, projetée et peut être couimeneée dès 1532, était finie en liiiiS, puisqu'on eu retrouve des frafi:ments dans la traduction du Sijmpose de Platon par Louis Le Roy (I, 443, 461, 467).

- Deffence, liv. I, chap. 5 et 6.

LKS (( TRADUCTIONS » ET LES (( INVENTIONS » 253

o])iniasliT ()|)iiii(>ii de vouloii- lousjours pcrsistoi" on ses advis. principaleiurnl en matière de lettres. Quand à moy. je ne suis pas Sloïque jusques » (336-33^). On le voil : du Bellay pensait par avaiiee. à légal de liai-lliéleiny :

L"honini(> a])sui'de est celui (|ui ne clian^'e jamais.

Sa méthode de traduction n'est jjoini celle ((ui nous plail aujovird'hui : l'exactitude rigoureuse et pi'es(|ue littérale . il la i-ejette. Il n'admet pas qu'on cherche à rendre « période pour perïod<>. epithete pour epithete, nom propre pour nom propre ». Son système est tout autre : « Il me semble, dit-il, veu la contraincte de la ryme. et la dillerence de la pro- priété et structure d'une langue à l'autre, que le transla- teur n'a point mal t'aict son devoir, qui sans coi-rompre le sens de son aucteur, ce qu'il n'a peu rendre d'assez bonne grâce en ung endroict, s'efforce de le recompenser en l'autre » (336). C'est le système des équivalents, la méthode des com- pensations.

Conséquence naturelle : ses ti-aductions ' laissent beaucoup) à désirer. Donnant à peu près le sens général, elles sont dans le détail singulièrement infidèles et restent imi)uissantes à rendre la physionomie particulière de l'original. Du Bellay procède librement : il transpose, il supprime, et surtout il ajoute. L'emploi du vers décasyllabe, tro[) facile et trop lâche, l'entraîne à délayer. La traduction n'est bien souvent qu'une paraphrase. 11 ne faut pas à du Bellay moins de 12G8 vers pour rendre les 705 vers du livre IV de Y Enéide : les 901 hexamètres du livre VI se dissolvent à leur tour en i5o4 décasyllabes. Je remarque en passant que les discours sont mieux traduits que les narrations, et je crois constater un certain progrès à la longue : comme version, le livre \l est supérieur sensiblement au livre IV.

' Marly-Laveaux, I, 340-43n.

254 JOACHIM DU BELLAY

J'estime superllu dinsislcr sur une question aussi secon- daire : ce n'est point par ([ue vaul «lu Bellay. Comme le (lit l'abbé Goujet '. « ee <[u'il a ti-aduit de Virgile ne lui lait i;uère d'honneur... Contemporain de Louis des Masures, non-seulenicnl il ne li* surpassa point, on ne ptmt pas même dire qu'il l'ait égalé " ». Mais ce qu'il laut bien remarquer, c'est qu'en se mettant à traduire, du Bellay revenait aux idées de Marot. Il reprenait la tradition de son école '\ Ce n'est ])as la dernière t'ois (jue nous le verrons retourner ainsi en arrière '.

III

Les Œuvres de iinventioti de l'Aiitheur se composaient de treize pièces d'inspiration assez diverse '. Je ne reviendrai ni sui- Les deux Marguerites ''. ni sur les XIII Sonnetz de l'hon- nesle Amour ' . Je ne dirai rien non plus de deux ]^ièces de circonstance, deux Estreiies adressées à HobcrI de La Haye et Marie de La Haye ' (II, 54 t't 56).

' Bibl. franr., V, 72-73.

- Louis (les Masures, de Tournai, qui tlevail publier eette même année lo!)2 les quatre premiers livres de l'Enéide de Virgile (Lyon, Jean de Tournes, in-4"l, avait dC\\i\ fait paraître les deux j)reniiers en loi7 (Paris, Chr. Wecliel, in-4' ). Du Hellay loue hautement sa « lidele et diligente traduction » (I, 33(3). 11 a d'ailleurs toujours lait grand cas de Louis des Masures. Cf. Regrets, s. 148, et Xenia, ï' 12. r', Ludovicus Masurius. Cf. aussi Ilousard, V, 331.

■' V. ci-dessus, ehap. iv. § i, p. \22-l2'.i.

' En 13:jlS, du Hellay traduisit encore plusieurs passages des po(îtes grecs et latins citi's aux Comme nlaireft du Sj-mpose de Platon jiar Louis Le Roy (Marty-Laveaux, I, t'ir2-4()S). V. dans Marty-Lavcaux (L ;iÙ()) le flatteur jugement de Le Roy lui-même sur cette traduction.

' Marty-Laveaux, 11, 1(36. Aubert, diMuemhrant le recueil de i.ïi2, a fait entrer les Œuvres de l'invention de l'Autheur dans les Divers Poèmes (lo68).

'^ V. ci-dessus, chai), ix, § ii. p. 244.

V. ci-dessus, cliai). vi, vj vi, p. 191-194.

*" Voici du moins Torigine de ces deux pièces. Robert de La Haye, con- seiderau Parlement de Paris et maître des requêtes de la reine de Navarre, grand ami de Sibilel (v. dédicace de Vlpldgène à J. Brinon), poète latin,

LES (( TRADUCTIONS )) ET LES <( INVENTIONS )) 255

Le poème le plus loiuhaul du recueil, sinon le MUMlleur. est celui par lequel il sOiivre, la Complainte du Désespéré (II, i). Du Bellay l'a écril dans une heure de trislcsse, et l'on y retrouve les inipi'essions mélancoliques de son âme éprouvée par la vie. Le poêle, allolé de douleur, lait entendre un tliant lamentable et soupii-e (( Tennuy. qui le cœur lui poingt )) :

Ainsi que la fleur cuillie

Ou par la bize assaillie

Pert le vermeil de son teinct.

En la fleur du plus doulx aage,

De mon palissant visage

La vive couleur sesteinct.

Une languissante nuë

Me sille desja lavëue,

Et me souvient en mourant

Des doulces rives de Loyre.

Qui les chansons de ma gloyre

Alloit jadis murmurant.

Ce (( poète mourant » évoque la saison où. tout jeune encore, il allait suivant les pas de Pétrarque. Il pleurait d'amour, l'insensé ! C'est d'un plus juste émoi qu'il pleure maintenant. Que de maux ont fondu sur lui ! Le sort contraix'e, des amitiés

avait adressé de très élogieux hendécasyllabes à Ronsard et du Bellay, Rob.Hdjus de l.Bellaio et P.Ronsardo. Du Bellay répondit par VEstrene en question et plaça les vers de K. de La Haje en tète de son recueil. Ronsard répondit à son tour, dans les Amours de 1552 (Bibl. d'Orléans, D. 1505), par des Contr^Estrenes, qui devinrent par la suite la ode du livre V (Blanche- main, II, 332). La pièce est à rapprocher de celle de du Bellay. Sur R. de La HayCjV. encore Regrets, s. 2S et 1:21, et surtout le bel Hymne de Santé que du Hellay lui adresse (IL 79). C'est à lui que R.onsard a dédié sa 19"^ Élégie iBlanchemain, IV, 291j. Quant à Marie de La Haye, sœur de Robert, « damoiscUe très-docte », dit La Croix du Maine ill. 89), elle avait fait une ode Sur les œuvres poétiques de I.du Bellay et P. de Ronsard. D'où VEstrene de du Bellay. Cf. Poemata, ï" :J9 r", Ad Maviani Hajam.

236 JOACHIM DU HKLLAY

lallacieuses. cent procès k souU'iiir. les suites cuisantes des passions, mille touruieiils de toute espèce : que lui a-t-il man- qué ! N'a-t-il pas mérité qu'on le nonnne « l'esclave de tout malheur » ? Enl'aul. il a souffert : ses proches a ont laissé sa jeunesse aux ténèbres ».

Et depuis que 1 âge IVîrmc

A touché le premier terme

De mes ans plus vigoreux.

Las. helas. quelle journée.

Feut onq" si mal fortunée

Que mes jours les plus heureux ?

Tant de soucis ont blanchi ses cheveux . flétri son cœur : il est vieux avant l'âge. Il est atteint de sui'dité. Triste toujours, toujours chagi'in, il ne connaît plus de repos : le doux sommeil réparateur ne vient pas visiter sa couche ; ou si parfois il s'assoupil. des songes alfreux hantent sa pensée. Son lournient renaît avec Taube et le suit en tous lieux. jus([u"au sein de la nature. C'est partout pour son cœur la même angoisse poignante, la même solitude, la même déso- lation. Et, plein d'un sombre désespoir, le poète maudit la lumière :

Mauldicte d()n(|" la lumière,

Qui m'esclaira la première,

Puys ([ue le ciel rigoreux

Assujetit ma naissance

A l'indomtable puissance

D'ung astre si mallieui'eux.

Pourquoi donc souffre-t-il à ce point, si! est pur de tout crime ? Est-ce le prix de son innocence ? Meurtri dans sa chair, meurtri dans son ànie, il envie le bonheur de ceux (jui sont morts avant de naître :

LES « TRADUCTIONS » ET LKS (( INVENTIONS » 257

Heureuse la ci-eature Qui a l'ait sa sépulture Dans le ventre maternel ! Heureux celuy. dont la vie En sortant s'est veu ravie Par un sommeil éternel !

Il n'a senty sur sa teste L'inévitable tempeste. Dont nous sommes agitez. Mais asseuré du naul'raige De bien loing sur le rivaige A veu les llotz irritez.

Des idées de suicide traversent son esprit :

Sus, mon ame, tourne arrière. Et borne icy la carrière De tes ingrates douleurs : Il est temps de faire espreuve. Si après la mort on treuve La fin de tant de malheurs.

Et du Bellay termine en souhaitant à ceux que sa misère apitoiera de ne jamais connaître les mêmes infortunes et les mêmes souffrances.

Malgré bien des longueurs, dont ne peut rendre compte une brève analyse, malgré du mauvais goût et l'emploi trop fré- quent des souvenirs mythologicjues. la Complainte du Déses- péré me parait supérieure aux sonnets de V Olive ainsi qu'à la plupart des Odes, parce qu'on y trouve ce qui manque ailleurs, une émotion sincère et véritable.

IV

UH)'mne Chrestien (II. i5) est comme une conti-e-partie de la complainte précédente. Après le cri de désespoir, c'est un acte de contrition :

Univ. de Lille. Tome VIII A. 17,

258 JOACHIM Dr BELLAY

O Seigneur Dieu, mon rarapart. ma fience, Rainpare moy du fort de pacience Contre i'elfort du corps injurieux. Qui veult forcer l'esprit victorieux. L'ardeur du mal. dont ma chair est attainte, Me faict gémir dune éternelle plainte. Moins pour l'ennuy de ne pouvoir guérir. Que pour le mal de ne pouvoir mourir. Certes, Seigneur, je sens bien que ma faulte Me rend coupable à ta majesté haulte : Mais si de toy vers toy je n'ay secours. Ailleurs en vain je cherche mon recours. Gai* ta main seule invinciblement forte Peult des enfers briser l'avare porte, Et me tirer aux rayons du beau jour. Qui luyt au ciel, ton éternel séjour.

La prière continue sur ce ton attendri de ferveur religieuse, et ([uand il la termine . le poète supplie le Seigneur d'avoir pitié de sa faiblesse, de rompre les liens du mal qui le tourmente ou de délivrer son esprit de sa prison de cliair. Cet hymne, qui rappelle les sonnets chrétiens de V Olive, a presque partout laccent personnel *. Mais à ce mérite, il en joint un autre : une idée toute nouvelle y surgit, c'est que la poésie sacrée n'est pas moins belle que l'autre. Arrière désormais la Muse profane !

Arrière les vains sons. Les vains soupirs, et les vaines chansons ! Arrière amour, et les songes antiques, Mlahoui'cz par les mains poétiques !

Ce n'est pkis ck' ['Iliade ou de VOd)^ssée que rêve du

' Cf. un autre Hymne Chreslien (I, 323), de date incertaine, mais que l'emploi de l'alexandrin j)ermet de supposer postérieur au premier.

LKS (( TRADUCTIONS )) ET LKS « I.WKNTIONS » 259

Bellay : c'est d'une Israëliade. el lui-iiu'uie ;i grands traits retrace l'histoire du peuple de Dieu.

Cette idée reparaît, plus précise et plus nette, dans La Ljyre Chrestienne (II, 3o), qui n'est pas autre chose ([u'une protestation contre le paganisme littéraire :

Si les vieux Grecz et les Romains Des faux Dieux ont chanté la gloire, Seron' nous plus qu'eulx inhumains. Taisant du vray Dieu la mémoire ? D'Helicon la fable notoire Ne nous enseig-ne à le vanter : De l'onde vive il nous faull bojre. Qui seule inspire à bien chanter.

L'ancienne idolâtrie nous fait trouver peu mélodieux les sons de la lyre chrétienne. Les mensonges de la fable nous empê- chent d'être sensibles à la sainte voix de la vérité. Nous délaissons l'utile pour l'agréable. Pourquoi ne pas les asso- cier, en introduisant dans les chants chrétiens ce qui fait l'agrément des antiques fictions ?

Si nous voulons emmieller Noz chansons de fleurs poétiques. Qui nous gardera de mesler Telles doulceurs en noz cantiques?

Saloraon, pour orner le temple de Dieu, mendiait bien l'or

étranger.

Nous donques, faisons tout ainsi : Et comme bien rusez gendarmes, Des Grecz et des Romains aussi Prenons les bouclers et guyzarmes : L'ennemy baillera les armes, Dont luy mesme' sera batu. Telle fraude au faict des alarmes Mérite le nom de vertu.

260 JOACBIM DU BELLAY

Ainsi, nous prendrons aux anciens leurs moyens, et, forts de cet emprunt, nous laisserons la louange mensongère des dieux et des grands pour celle du vrai Dieu '.

La Monomacliie de Daçid et de Goliath (II, 20) est une application de cette nouvelle poétique ^ S'inspirant du récit de la Bible ^ que tantôt il allonge et tantôt il abrège, du Bellay raconte la lutte ilu jeune pâtre hébreu contre le géant philistin. Ce combat est pour lui comme une démonstration de cette idée morale exprimée au début : la faiblesse intelli- gente et guidée de raison est supérieure à la force brutale. Mais qui n'a reconnu dans cette idée les vers fameux d'Horace :

Vis consili expers mole ruit sua ; Vim temperatam Di quoque provehunt In majus '*.

C'est ainsi que l'auteur concilie son principe d'esthétique religieuse avec son amour de l'Antiquité. Du sujet qu'il avait choisi, il espérait tirer plus de gloire et d'honneur

Que des vieux sons d'une fable moizie.

L'œuvre prise en elle-même n'a rien de très remarquable % mais la tentative reste intéressante. N'est-il pas curieux, en

' Guillaume (luiroull. daus son l'rnmier livre des narrations fabuleuses, avec ces discours de la vérité et histoires d'icelles. . ., 1" ii5 r", (Lyon, Robert Granjoii, loo8). adresse une Congratulation à loachini du Bellaj-, poète fran- coys, sur le discours de sa Lyre Chreslienne, dans laquelle il le compare à David. (Bibl. Nal. Rés. J. 3173).

-' Ce poème est en germe dans l'Hymne Chrestien (II. 18) : Lors je diray ce grand pasteur Hebrieu. .

' Rois, I, xvn.

' Carm. III, iv. 65-67.

* C'est l'opinion de Collelet, qui dit assez pittoresquement, à propos de Pierre de Bracli : « Son poëine de la Monomaehie de David et de Goliath femporle, à mon avis, de si loin sur eelluy-là mesme du fameux Joachim du Bellay, que le mont Cenis l'emporte en hauteur sur nostre butte de Montmartre. » Cité par A. de Rocliambeau, La famille de Ronsart, p. 2,22.

LES « TRADUCTIONS » ET LES « INVENTIONS » 26!

effet, que ce disciple de Doiut. ce paganisant de la Renaissance, ait un instant renie les Dieux du vieil Olympe et conçu la première cbauclie dune poétique chrétienne ' ?

Dans le recueil de i55'2. deux pièces sont d'ordre philoso- phique et moral : Y Ode au Reverendiss. Cardinal du Bellay (II, 26) et le Discours à Salmon Macrin ^ sur la louange de la vertu et sur les divers erreurs des hommes (II, 36). Toutes les deux sont un éloge de la vertu : mais lune est traitée dans le ton sérieux, et l'autre dans le ton plaisant.

L'ode au cardinal du Bellay n'a rien qui la distingue des autres pièces philosophiques que nous avons déjà trou- vées dans les deux recueils précédents. C'est un lieu com- mun sans grand intérêt, L'honmie est plus chétif que le reste des animaux ^ : mais il leur est supérieur par la rai- son, qui lui permet de discerner le bien du mal et de (( hausser la bride » aux passions déréglées. Le souverain bien n'est ni dans la faveur, ni dans la gloire, ni dans le pouvoir, ni dans le génie, ni dans la richesse, ni dans les honneurs, ni dans la beauté, ni dans la naissance : il est dans la vertu. Sur ce mot. le poète introduit l'éloge du cardinal et de son frère, le grand Langey.

Le discours à Salmon Maicrin me parait plus intéressant.

' Dans 1 epitre-préface à Morel (I, ^38), du Bellay nous dit qu'il a l'inten- tion, « aiin de ne mesler les choses sacrées avecques les prophanes », d'éditer ses poèmes « en meilleur ordre que devant, les comprenant chacun selon son argument sou' les titres de Lyre Chrestienne et Lyre Prophane ». 11 n'a pas donné suite à ce projet. Mais cette intention prouve au moins l'impor- tance qu'il attachait en lo52 à ses poésies religieuses.

- Du Bellay dédie encore à S. Macrin un sonnet sans importance (II, 39).

' Réminiscence de Pline l'Ancien, Hist. Nat., VII, 1.

262 JOACHIM DU BELLAY

Tout en se défendant d'imitei* Rabelais, du Bellay procède un peu dans son genre, par une série d'énumérations desti- nées à produire un effet comique. Le thème est le suivant : le bonheur est dans la vertu, qui peut seule nous hausser par degrés jusqu'aux cieux. Sur cette idée, l'auteur ordonne trois développements symétriques :

i" L'homme vertueux est riche, il est noble, il est illustre, il est roi : il est roi de son cœui'.

Et de son cœur estre maistre. C'est plus grand' chose que d'estre De tout le monde vainqueur.

Que me sert la philosophie, la poésie, les sciences,

les arts, les voyages, les combats, le service des princes

sans la vertu ?

3" C'est chose belle, c'est chose heureuse de faire ceci, de faire cela (du Bellay passe en revue les diverses erreurs des hommes). Mais

Quel estât doy' je donq' suyvre, Pour vertueusement vivre ?

Conclusion : le bonheur est en nous, dans la vertu :

Celuy en vain se travaille. Soit en terre, ou soit ([u'il aille Ou court l'avare marchant. Qui fasché de sa présence. Pour trouver la suflisence, Hors de soy la va cherchant.

C'est principalement dans la tj'oisième partie (|ue l'auteur a semé les traits satiriques : quelques-uns. dirigés contre les chasseurs, les médecins et les alchimistes, ne manquent point de portée. L'esprit de du Bellay, humoristique et malicieux, se fait jour dans ces vers. On a comme un avant-goût de certaines pièces des Jeux Rustiques.

I.ES (( TKAIHICTIONS )) KT LKS (( INVKNTIONS » 26.3

VI

Deux odes littéraires, l'une à Bertrand Bergier de Mon- tembeuf, l'autre à Nicolas Herberay des Essars , complètent les inventions de i552.

Bertrand Bergier est cet ami rencontié jadis à Poitiers, et plus tard retrouvé par Joachim au Collège de Coqueret. En lui dédiant une Ode pastorale ' (11, 5'j). du Bellay pré- tend illustrer celui qu'il appelle assez plaisamment un poète (( bedonniquebouffonnique », entendez champêtre et bouftbn \ En des strophes d'une grâce bien rustique, il recommande aux bergers du Poitou les chants divins de ce (( Berger » qui fait revivre en lui Théocrite et Virgile :

Heureux Berger désormais. Tu seras pour tout jamais L'honneur des champs et des prées, L'honneur des petiz ruisseaux, Des bois et des arbrisseaux, Et des fontaines sacrées :

Pour sonner si bien tes vers Sur les chalumeaux divers Dont la doulceur esprouvée Aux oreilles de bon goust. Coule plus doulx que le moust De la première cuvée.

L'amour se nourrist de pleurs. Et les abeilles de fleurs :

' L'édit. de 1552 porte simplement pour titre : « Ode pastorale à ung sien amy ». Mais en lisant la pièce, les contenijjorains n'ont pu se méprendre sur le nom de cet ami.

- Le bedon était un tambourin (Becq de Fouquières, p. 134, n. 1).

264 JOACHIM DU BELLAY

Les prez ayment la rozée, Phœbus ayme les neuf Sœurs, Et nous aynion' les doulceurs Dont ta muse est arrousée.

Herberay des Essars s'était acquis un grand renom pour avoir traduit (i54o-i548) les huit premiers livres d'Amadis de Gaule ' . On sait la vogue qu'obtint ce roman à la Cour de France : (( Jamais livre, écrit Etienne Pasquier, ne fut embrassé avecq' tant de faveur que cestuy. l'espace de vingt ans ou environ '. )) Du Bellay qui, dans la Deffencc, tenait les romans en si piètre estime, avait en i552 tout à fait changé d'opinion. Son Ode au seigneur des Essars (II. 4^) est un très curieux témoignage du revirement accompli dans ses idées. Du Bellay, par cette ode que Pasquier proclame (( la plus belle de toutes les siennes ' », se révèle à nous comme un admirateur du roman espagnol, sensible aux charmes de l'intrigue, non moins sensible aux mérites d'expression du traducteur ". Un long récit des amours de Vénus et de Mars l'amène à louer des Essars,

Qui nous monstre le dieu Mars Joint avec' la Gyprienne : Chantant sous plaisant discours Les armes et les amours ....

' Sur Amadis de Gaule, consulter Eug. Baret, De VAmadis de Gaule et de son influence sur les mœurs et la littérature au xvi* et au xvii* siècle, llièse de 18a3, 2' édit., Finnin-Didot, 1873, in-8» ; Saint-Marc Girardin, Cours de litlér. dramat., t. III, leç. xxxix ; Bourciez, op. cit., liv. I, chap. m, p. 60.

- Rech. de la France, VI, 5. La Noue dit à son tour des Amadis : « Sous le règne du roy Henri II, ils ont eu leur principale vogue ; et croy que si quelqu'un les eust voulu alors blasnu-r, on lay eust craché au visage, d'autant qu'ils servoient de pédagogues, de jouet et d'entretien à beaucoup de personnes. » Disc, polit, et milit., VI. Cité par Baret, p. 169.

' Rech. de la France, VI, .'i.

* Cf. un souvenir tV Amadis dans le s. \\2. des Regrets.

LES « TRADUCTIONS » ET LES « INVENTIONS » 265

La fiction séduisante qui redit les prouesses d'Araadis et les beautés d'Oriane est donc à ses yeux comme une transpo- sition de la fable antique. Mais il y voit encore une pein- ture allégorique (( de la Françoise grandeur », en même temps qu'un manuel de chevalerie :

ce gentil artizan

Nous montre au vif quoi doit estre

Le prince, le courtizan.

Le sei'viteur, et le maistre :

Combien d'ung foi't bataillant

Peut le courage vaillant :

Quel est ou fheur. ou malheur

D'une entreprize amoureuse.

Et la clianse malheureuse

D'ung injuste querelleur.

Du Bellay s'étend longuement sur le style aisé, coulant et fluide d'Herberay des Essars : vainement on s'eflbrcerait. dit- il, (( après ce doulx écrivain », d'égaler (( le sucre de son parler », et si jamais notre langage. « par estrangers cour- tizans », venait à se corrompre, c'est chez lui qu'on retrou- verait « la purité de sa doulce gravité » '. Par là. des Essars, tout comme un poète, figure au premier rang des ennemis de l'ignorance : et c'est l'occasion pour du Bellay de faire une sortie contre ces « pourceaux d'Epicure ».

Qui en despit de Mercure

Grongnent aux doctes escriz.

Le nombre est grand de ceux qui s'en prennent aux élus des Muses :

' Cf. Tahiireau ; « Je nommeraj- toutesfois [le seigneur des Essars] avecques révérence et honneur, tant pour un coulant langage, liaison de propos, que pour une douceur et fluidité de paroUes dont il a usé outre tous ceux qui se sont meslez devant luy d'écrire en nostre vulgaire, et encores aujourd'huy s'en trouve-il peu de ceux t[ui écrivent en pareilles choses, qui approchent de la grâce et naifve beauté de son stile. » Dialogues, édil. Conscience, p. 28.

2fifi JOACHI.M DU BELLAY

L'ung plaint la c-ontag'ion De la jeunesse abuzée : L'autre, la religion Par noms payens deguizée. Cetui-cy fort élégant Va ung songer allegant : Cetuy-la trop rigoreux Approuve l'edict d'Auguste. Et le bannissement juste De l'Artizan amoureux '.

Non contents d'attaquer les poètes, ils s'en prennent encore aux grands seigneurs, aux damoiselles. à tous les lecteurs d'Amadis :

Puis ces graves enseigneurs

D'une efifrontée assurance

Se prennent aux grands seigneurs.

Les accusant d'ignorance :

Mesmes leurs cler-voyans yeux

Se monstrent tant curieux.

Que d'abaisser leur edictz

Jusqu'aux simples damoizelles,

Et aux cabinetz de celles

Qui lizent nostre Amadis.

Qu'on se raj)j)elle maintenant la phrase dédaigneuse de la Deffence sur les romans « en beau et fluide langaige, mais beaucouj) plus propre à bien entretenir Damoizelles qu'à doctement écrire » (p. 120) : on mesurera le chemin fait en trois ans par du Bellay. La volte-face était complète : surpren- dra-t-elle de la part d'un poète que nous avons vu si sou- cieux de se pousser en Cour ^ ?

' Ovide, auteur des Amours et de 1*^4^ d'aimer.

- On pourra rapproctier de l'ode, à des Essars une ode inédite A laques Gohorry Parisien sur la poursuite d' Amadis, cjui parut en tête du X' livre

LES (( TRADUCTIONS » ET LES d INVENTIONS )) 267

VII

Un Adieu aux Muses (I. 4^'^)- P'i^ ^^^ latin de Buchanan '. servait crépilogue au recueil de i552. S'inspirant lii)ren»ent de la première Élégie ^ du célèbre humaniste écossais, du Bellay déplorait cet ingrat métier de poète, l'on ne connaît jamais que labeur sans répit, pauvreté sans remède. Il s'écriait :

Adieu, ma Lyre; adieu les sons

De tes inutiles chansons :

Adieu la source, qui recrée

De Phebus la tourbe sacrée.

J'ay trop perdu mes jeunes ans

En voz exercices plaisans :

J'ay trop à voz jeuz asservie

La meilleure part de ma vie.

Tout imités qu'ils sont, ces vers traduisaient sans doute une pensée sincère : car pourquoi du Bellay se fùt-il arrêté sur le texte de Buchanan. s'il n'y avait trouvé comme un écho fidèle de ses sentiments propices ? Il donnait au public « les derniers fruicts de son jardin ». et. convaincu qu'il déclinait, sentant son style « refroidy et altéré de sa première forme » ', instruit par l'expérience que les vers ne rapportaient rien, il disait adieu à la poésie.

Pourtant, quelques cris arrachés par la souffrance, quelques

d'Amadis de Gaule, Paris, Vincent Sertenas, 1553, in-f". La pièce est d'ailleurs aussi médiocre que longue. Elle offre celte particularité d'être écrite tout entière en vers de trois syllabes à rimes plaies et régulièrement alternées.

' Sur IJuchanan (loOG-ioS:!), consulter la thèse de Vauthier, De Buchanani vita e< scr/p<ts, Toulouse, Chauvin, 1886, in-8°.

- Elle a pour titre : Quam misera sit conditio docentiiini litteras hiima- niores Liitetiae. (Bibl. Xat. Y'. 9598).

* Épître-préface à Morel il, 338).

'2&8 JOACHIM DU BELLAY

accents partis du cœur avaient montré que chez ce poète savant, qui jusque-là n'avait vécu que dans les livres et par les livres, la source de poésie, bien loin d'être tarie encore, était prête au contraire à jaillir avec force, pour peu qu'il se présentât une occasion favorable. Il suffisait, pour qu'il en fût ainsi, d'un changement dans son existence, d'un cours nouveau dans ses idées. Le voyage à Rome fut cette occasion. A quitter sa patrie, à fuir Paris, qu'il hal)itait depuis cinq ans, du Bellay ne gagna pas seulement do pouvoir se soustraire à l'action immédiate de ses amis d'écolo, à l'influence dangereuse dos théories systématiques : il y trouva cet avantage d'étendre son horizon et d'élargir le champ de ses idées. Au delà du Collège, au delà de la Cour, il découvrit un nouveau monde, un pays différent du sien, des mœurs étranges, une vie tout à fait inconnue. Et son cœur en fut ébranlé, non moins que son esprit. Car. on pénétrant dans ce nouveau monde, il n'y trouva point ce ({u'il y rêvait. Tristesses sur tristesses, amer- tumes sur amertumes, désenchantements sur désenchante- monts, voilà ce que lui réservait ce long séjour en Italie. 11 on souffrit jus([u'à l'angoisse. Pourtant, ne le plaignons pas trop. Cette rude épreuve lui fut salutaire : les souffrances de son àmo. transformant son génie, le mûrirent, l'attendrirent, parachevèrent son développement. Le contact douloureux de la vie fut une fois de plus bienfaisant et fécond : et c'est ainsi que du Bellay, dont l'étude avait fait un poète livresque, pour avoir eu le cœur meurtri par les réalités brutales, devint un poète vraiment personnel.

SECONDE PARTIE

DU VOYAGE DE ROME A LA MORT

15SS - 1S60

CIIAPiTUE I

DEPAirr POUR L'ITALIE

LE CARDINAL JEAN DU BELLAY 1553

I. Le cardinal Jean du Bellay. Le politique. L'intellectuel. II. Rapports du poète et du cardinal avant 1353.

III. État d'esprit de Joachim. Ses pensées d'avenir. Ses rêves

d'humaniste.

IV. Départ pour l'Italie. Saint-Symphorien-de-Lay. Lyon.

Arrivée à Rome (juin 1553).

Ce voyage en Italie, si désiré de Joachim. et qui devait avoir tant d'influence sur ses idées et son talent, il le fit à la suite de son parent, le cardinal Jean du Bellay. L'heure est venue de faire plus ample connaissance avec cet habile et savant prélat, qui tient une si grande place dans la vie de notre poète *.

' Le cardinal du Bellaj' n'a pas encore été l'objet de la monographie à laquelle il a droit. Sa vie, écrite par Louis Trincant de Loudun, n'a pas vu l'impression (Dom Liron, Biblioth. Chartraine, p. I59j. On pourra consulter

272 JOAGHIM DU BELLAY

Frère de Guillaume de Langey, le valeureux capitaine de François I«'", Jean du Bellay, tout d'abord simple évêque de Bayonne (iSaG). s'était distingué de bonne heure par sa finesse diplomatique. Ambassadeur en Angleterre, il avait su gagner les bonnes grâces d'Henri VIII et le détacher de Charles-Quint au profit de la France, en servant les desseins du monarque, qui voulait répudier Catherine d'Aragon. Il avait obtenu que la Sorbonne. en cette grave question, se prononçât, malgi'é Noël Béda, dans le sens du divorce, et. s'il n'avait pu réussir à convaincre le Consistoire, sur qui pesait l'influence impériale, ce n'était pas faute d'avoir dépensé beaucoup d'éloquence en faveur d'Henri VIII. Le 21 mai i535, le pape Paul III l'avait promu cardinal, et le nouvel élu s'employait à miner dans l'esprit du pontife l'au- torité de l'empereur. L'année suivante, lorsque François I^r partait défendre la Provence envahie par Charles-Quint, c'est à du BeHay (ju il avait confié le gouvernement de sa capitale et de l'Ile-de-France. Et depuis, dix ans durant, le prélat n'avait cessé d'être un des meilleurs conseillers, un des plus dévoués auxiliaires du roi son maître. En môme temps, il trônait au premier rang parmi les dignitaii'es ecclésiastiques : en i532, il avait changé son siège de Bayonne pour celui de Paris, auquel il avait ajouté tour à tour l'abbaye de Saint-Maur (i532), l'évêché de Limoges (i54i). l'archevêché de Bordeaux (i544)» enfin l'évêché du Mans (i546), devenu vacant par la mort de son frère, René du Bellay. Les revenus de tous ces bénéfices lui permettaient une vie large, un grand train de maison.

la notice d'Ilauréau, Hist. litt. du Maine, t. III ; la plaquette du Marquis de la Joriquiùrc, Le Cardinal du liellay (Ak-nçon, Renaut-I3e Broise, 18S7) ; rouvraf^i' (l'IIeulliard. Rabelais. Ses voyages en Italie. Son exil à Metz (Paris lil)r. de lArl, 1891). Un grand noinl)re de ses lettres sont conservées à la Bilil. Nat. Beaucoup se trouvent dans Ribier, Lettres et Mémoires d'Estat (Paris. 1077, 2. vol. in-l").

DÉFAUT POUR l'iTALIF. 27^^

Ce sulilii cl cU'liô [xililinuc iiavail pas moins (|U(^ le goût des affaires raiiioiii' des choses de res[)i'il. La Renaissance avail marqué sur lui protbndénienl. Il était ouvcn'l aux idées nouvelles, au point d'être suspect, comuu' la i-eine de Navarre, de sympathie pour la Réforme '. La cause des études l'avait trouvé toujours ierveut. 11 avait uni ses efforts à ceux de Guillaume liudé pour décider François l*^"" à créer les lecteurs royaux (i53o), et plus dune ibis par la suite, ou l'avait vu intervenir auprès des trésoriers du roi, pour taire payer leurs gages aux savants professeurs ^ 11 protégeait tous les lettrés, Etienne Dolet, Salmon Macrin, Michel de L'Hospital. Rabelais surtout était de sa part l'objet d'une estime spéciale et d'une réelle allection. 11 avait fait de lui son médecin et son secré- taire, et par trois fois il l'avait emmené dans ses missions en Italie '. Le prélat goûtait fort la science de l'humaniste et la variété de ses entretiens : maître François était pour lui un homme de tous les instants (omnium liorarum hominem). A Rome, en i534, ils avaient entrepris tous deux l'étude des vieux monuments et de concert faisaient des fouilles *. Le cardinal savait à l'occasion secourir le malheur. 11 recueillit dans son palais le poète Louis des Masui'es qui, réduit à fuii' la France on ne sait ti-op pour quel motif à la mort de François \^^. avait erré jusqu'en Sicile avant de débarquer à Rome. 11 le garda quatorze mois '. Non content d'être ainsi le Mécène des érudits et des lettrés, ce très intelligent prélat, que

* « Je ne suis pas troj) papiste », dit-il lui-même dans une lettre (M'' de la Jonquière, p. 9/.

- V. la lettre caractéristique que lui adressent J. Toussaint et F. Yatable (Paris, mai 133ij ?). Citée par A. LeCranc. Hist. du Coll. de France, p. 129-130.

* V. l'ouvrage d'Heulhard.

* Heulhard, p. 34.

5 Heulhard, p. i!68-269. Le fait est raconté par Louis des Masures dans une pièce à Joachim du Bellay, Œuvres Poëliques, Lyon, Jean de Tournes et Guill. Gazeau, 1557, iu-4°, p. 15. (Bibl. Nat. Rés. Y^ 366).

Univ. de Lille. Tome YIII. A. 18.

i~i .lOACHIM DU BELLAY

ne rebutait aucune partie du savoir humain '. prenait plaisir lui-même à cultiver les Muses : il avait composé des poésies latines d'une jolie facture, que Macrin se chai*gea de révéler au public à la suite d'un recueil de ses Odes * (i546).

Tel était l'homme auprès duquel Joacliim allait passer quatre années de sa vie. et qu'il allait avoir comme patron poui' le reste de ses jours.

II

L'admiration du porte pour le cardinal datait de son adole.scence :

Ille etiam mentem stimulis urgebat lionestis Pierii Janus gloria prima chori '.

De bonne heure il avait rêvé de s'attacher à sa fortune, et c'est peut-être sur son avis Sainte-Beuve le suppose (|ii"il avait tout d'abord étudié le droit à Poitiers.

A la mort de François I^r (i.")47). le cardinal perdit un peu de son crédit. Le nouveau roi. tout entier aux Guises, à iMontmorency. se déliait des anciens serviteurs de son père. Il nomma bien Jean du Bellay de son Conseil d'État, mais il n'eut rien de plus pressé que de l'écarter des affaires

' Si du moins l'on en juge par sa bibliothèque. Le Biilletindu Bibliophile, janv.-févr. 1894, p. 38 scjq. . a publié daté du 2. juill. 1360 (( l'inventaire des livres trouvés en un bahut, appartenant au feu Reverendissime cardinal M. du Bellay ». A côté d'un assez grand nombre d'ouvrages de tiiéologie et de religion, se rencontrent des ouvrages darcliilecture, de médecine, d'érudition, de littérature et de piiilosopiiie. Je relève notamment les Observations de Nizolius sur Cicéron, un ouvrage de Guill. Postel sur la grammaire comparée, la Dialectique de Ramus. les Commentaires de César, Euclide, un poème de Scaliger. les Géorgiques de Virgile, la Chronique d'Eusèbe, les œuvres de Jean Second, deux grammaires hébraïques, divers ouvrages de Xénophon, d'Aristole. de Plutartjuc et de Lucien, etc.

- V. ci-dessus 1" part., ciiap. i. § is , p. ;{|.

' Élégie à Morel.

DÉPART POUR l'iTALIK 275

en lexpédianl à Rome (juillcM i547), sur le hi'uil qui coui'uil de la mort procliaine de Paul 111. Ci-tail une disgrâce déguisée. Du Bellay profita de son séjour là-has pour y détendre au mieux les intérèls du roi de France. Mais lors- que malade de la gouUe. épuisé par la fièvre (mai i548), il demanda son rappel, pour aller respirer « l'ayr de la doulce terre du Mayne ». il ne put l'obtenir \ Vainement il écrivait au cardinal de Guise (a janvier i549) une lettre désespérée * : on lui taisait entendre, en le couvrant de Heurs, que sa présence à Rome était indispensable, et comme preuve de confiance, on le chargeait de nouvelles négociations. Le i5 février i549. i^ recevait pleins pouvoirs d'Henri II pour traiter avec Gênes, qui sollicitait aide et protection contre l'empereur. Le roi se reposait du succès de l'affaire « sur le bon sens, vertu, dextérité, fidélité, grande expérience et diligence de son amé et féal cousin le Gard, du Bellay » '. Singulière coïncidence : ce même jour exactement, le poète Joachim dédiait au cardinal le manifeste de la Deffence et louait en phrases pompeuses celui qui donnait tout son temps (( au service de son prince, au profit de la patrie et à l'accroissement de son immortelle renommée * ». et qui soute- nait presque seul, au sein du Sacré-Collège, u le pesant faiz des affaires françoyses ».

Deux mois plus tard, le cardinal tombait en disgrâce (avril 1549). pour s'être montré trop fViible vis-à-vis du pape dans la question des induits '. Bientôt, Henri II mécontent envoyait à Rome pour le remplacer le cardinal de Ferrare \

* Heulliard, p. 2Gi. - Heulliard, p. 2«1.

* Ribier, II, 191. Pour le rôle important joué par le cardinal à Rome en 1549, cf. encore p. 171, 189, 192, 196.

* Deffence, p. 43.

= Ribier, 11, 206. Lettre du secrétaire d'État Duthier au chancelier Fran- çois Olivier (13 avril 1349). Cf. Mis de la Jonquière, p. 33-34. « Ribier, II, 22U.

•216 JOACBI.M DU BELLAY

Dans une lettre au roi du a'i août i549, du Bellay se défendit de son mieux d'avoir mal soutenu les intérêts français, et conta son chagrin de se voir. « après plus de trente ans de service ». soupçonné d'inlidélité '. Tentative superflue : désor- mais à l'écart des affaires, le prélat regagna la France (septembre i549).

C'est alors que Joacliim. qui traA'aillait à son Recueil de Poësie, eut l'idée de chanter V Avantretour en France de Monseig-iiew Reverendiss. Cardinal du Rellay (I, 246). Il s'écriait d'un ton joyeux :

Tu viendras donq' finablement, Heureux Prélat, et à ta suite Retourneront semblablement L'esprit, la vertu, la conduite. Qui te suivent ou que tu voises, Veillant aux affaires françoises.

Puis, après avoir l'ail son éloge et celui de Langey, « ce grand Langé inimitable ». il dépeignait la France heureuse de le revoir telle Pénélope ravie de retrouver Ulysse :

La France, qui bien apei'çoit Combien vault un esprit si saige, Apres longs Iravuulx te reçoit Avecques un joyeux visaige : Si fait ton Roy, bien heureux Prince, D'avoir tel homme en sa province.

Haste toy donq'. et n'attens pas Que la grand' épaule chenue Des Alpes déçoive tes pas.

' « Il ne me pouvoil advenir plus grand malheur, qu'après plus de trente ans de service, tant de fciis et en tant de divers endroits exploité, je vinse sur mes derniers jours en soupçon frinlidclité envers mon Maistre. » Ribier, 11, "2W.

DÉPART l'OUH L'ITALIK 277

Paris, joyeux de ta venue. Ja de loing venir te regarde : Mon dieu, que l'arriver nie tarde !

Cette impatience était l)ien naturelle : le poète comptait sur le cardinal pour juger les essais de sa Muse :

Prélat, te plaise temps élire Pour mes vers écouter ou lire.

Mais surtout, il comptait sur lui pour lui servir de protecteur et de Mécène. Il l'avouait ingénument :

Moy jeune et encores peu fier Laissant la maison paternelle. Au ciel je m'oseray fier, Dessoubs la faveur de ton aile : Aile, dont la plume dorée De tout le monde est adorée.

Il se donnait au cardinal, et même, dans la naïveté de ses épanchements, il lui confiait le rêve qu'il avait fait souvent de l'accompagner sur les bords du Tibre :

O la grand' ardeur que j'avois D'appaiser ma soif en cest' onde. Qui veid à son bord quelque fois Les dépouilles de tout le monde, Et la grand' cité, qui encore Ainsi qu'un demi-dieu t'adore ! Je bruloy' tous les jours après,...

C'était s'inviter d'avance pour un prochain voyage.

L'attente du poète fut trompée : le cardinal ne parvint pas jusqu'à la Cour. Une dépêche était venue de M. d'Urfé, l'ambassadeur de France à Rome, qui mandait la fin immi- nente du pape et se plaignait que deux cardinaux français seulement, ceux d'Armagnac et de Meudon, fussent présents

278 JOACHIM DU BELLAY

(•j novembre) '. Paul III mourut trois jours après. Dès le 17 novembre, le roi faisait partir en toute hâte ses cardinaux, et dans le nombre du Bellay, cpie l'on dut rencontrer sur la route. Ils arrivèrent à Rome le la décembre, juste à temps pour entrer au conclave *. Le 7 février t55o. Jules III était élu. Du Bellay, dans cette élection, avait obtenu huit suffrages.

11 ne reprit le chemin de la France qu'au début de juillet. De retour à Paris, il alla se refaire dans son abbaye de Saint- Maur. Il en avait besoin : les fatigues, la maladie avaient gravement altéré ses forces. Mais Saint-Maur était un lieu de délices, un asile de repos et de paix : on trouvait là, dit Rabelais, « paradis de salubrité, aménité, sérénité, commo- dité, délices, et tous honestes plaisirs de agriculture, et vie rusticque ' ». Le cardinal avait fait élever par Philibert Delorme, à la place de l'abbatiale, un joli palais italien. A l'entour, de magnifiques jardins offraient aux yeux des marbres rap- portés de Rome ; on y voyait même, ornement singulier, une antique statue de Priape *. Dans ce riche domaine, il se plaisait à recevoir les gens d'esprit dont il aimait les entre- tiens, Rabelais, Macrin, L'HospitaL : c'était sa cour à lui. Nul doute que Joachim n'y soit aussi venu, qu'il n'y ait lu ses poésies, cette ode notamment qui redit la çei^tu du prélat *.

C'est que l'ancien ministre en disgrâce vécut trois ans, dans le silence et la retraite, stins regret du passé, sans souci de l'avenir. II se tenait loin des affaires, quelque peu négligé par le roi, ((ui hii gardait rancune. Un jour pourtant.

» Ribier, II, 232. 2 Ribier, II, 2.56-257.

^ Rabelais, dédicace du Quart-Livre, 1552. Edit. Marty-Laveaux, II, 251.

* Uiiprè-Lasale, Michel de UHospital avant son élévation au poste de chan- celier de France (i5o5-j558 ), p. lOCt-lOT. Paris, Thorin, 1875. Sa inl-Maur re- vient souvent dans les poésies de L'IIospital. V.édit. Dufey de l'Yonne, t. III, p. 7, 62, 141.

Celle de 1552 (II, 2(5).

DÉPART POUR LITALIK 279

Henri II eut besoin, pour n^i^ocier avec Jules III, d'un homme expert, dévoué, qui connût bien lu Cour de Rome et sût pénétrer les secrets de la politique italienne. Il songea de nouveau à « son amé et féal cousin ». Un rapprochement s'ensuivit : le roi chargea le cardinal d'une mission auprès du pape. Ce jour-là, Joachim dut être au comble de ses vœux : car son puissant parent consentait à se l'attacher et l'emmenait en Italie.

III

En si grand honneur que du Bellay tint la poésie, il ne la jugeait pourtant pas capable de sulïire à la vie d'un homme. Il le disait, dans la seconde préface de VOlwe. avec sa franchise habituelle : (( J'ayme la poésie, . . . mais je n'y suis tant affecté, que facilement je ne m'en retire, si la for- tune me veult présenter quelque chose, ou aveccpies plus grand fruict je puisse occuper mon esprit ' » (I. 78). Il fallait vivre, et pas plus autrefois qu'aujourd'hui, l'on ne vivait de l'art des vers. D'ailleurs, il avait toujours eu le goût des hauts emplois. S'il voyait dans la poésie le plus sacré des passe-temps, son ambition rêvait d'occupations actives. Jeune homme, il eût voulu être d'épée ; mais le destin ne l'avait pas permis :

' Il le pensait encore neuf ans plus tard. Dans son Élégie à Morel, après avoir dit que la poésie est sa seule richesse {siint divitiae carmina sola meae), il ajoute qu'il n'est pas assez fou pour la faire passer avant la médecine, le droit, la religion, la politique, le métier militaire :

Nec vero usque adeo nobis mentem abstulit omnem

Delius, haec démens ut potiora putem. Paeonias artes, sanctique volumina Juris,

Quodque salus animae est, haec potiora puto. Sunt potiora milii, quae comnioda publica curant.

Quaeque hostem patriis finibus ejiciunt. Artibus his debentur opes, debentur honores.

Hoc quisquis sapiet, Jane, sequelur iter.

280 JOACHIM DC BELLAY

Si me lata meis voluissent vivere votis, Nec coUum indigno supposuisse jugo.

Non aninms deerat studiis gravioribus aptus. Quique aulain posset militiamque sequi ^ .

En 1549. il avait essayé de se pousser en Cour, avec l'aide de Madame Marguerite. Il accepta donc de grand cœur auprès du cardinal une situation qu'il avait ardemment recherchée et dont il espérait beaucoup.

Jo sais bien que plus tard, à l'heure cruelle des désillu- sions, il prétendit être innocent de toute pensée ambitieuse et protesta n'avoir agi que par devoir :

L'honneste servitude, mon devoir me lie, M'a fait passer les monts de France en Italie ^

Etait-il bien sincère ? ou se donnait-il le change à lui-même ? La vérité, c'est qu'au départ il exultait et qu'il aurait suivi son maître au bout du monde \ Il entrevoyait ce voyage à Rome comme le commencement de la fortune rêvée. Son cœur s'ouvrait à l'espérance : il allait donc enfin connaître, avec la vie fastueuse, les charges importantes qui menaient aux honneurs ! Et puis, une auti'e pensée le comblait de joie, cette pensée de l'humaniste qui va faire un pèlerinage au pays des vieilles légendes et des classiques souvenirs. Voir Rome ! quelle jouissance pour un élève de Dorât ! Dans l'ardeur de son enthousiasme, il se sentait comme une flamme nouvelle, un désir infini de tout savoir, de tout comprendre :

' Élégie à Morel. Regrets, s. 27. ^ Élégie à Morel :

Millitur interea Romam Bellaïus illi",

Quo duce Laurent! s vidimus arva soli. Necduin lotus erat dcpulsus corpore languor,

Alpil)us et (luris ille sequendus eral. Sed milii ))er Scytliieas rupes et iiih<)s])il;i saxa, lUuni duui seqiierer, molle luissct iter.

DKI'ART POl U l'iTALIK 281

Je me feray sçavant en la philosophie, En la mathématique, et médicine aussi : Je me feray légiste, et d'un plus hault soucy Apprendray les secrets de la théologie :

Du Ivit et du pinceau j'ébatteray ma vie, De l'escrime et du bal. Je discourois ainsi. Et me vantois en moy d'apprendre tout cecy. Quand je changeay la France au séjour d'Italie '.

Sans nul doute, au départ, une pensée de gratitude s'éleva du cœur du poète pour celui qui lui rendait possible ce rêve de science universelle. Ainsi Rabelais jadis, dans une effusion de reconnaissance, remerciait le cardinal de lui avoir fait contempler l'antique capitale du monde : Qiiod maxime mihi fuit optatum jam inde ex qiid in literis poUtiorihus aliquem sensiim habui. ut Italiam peragrare Roniamque orbis caput invisere posseni, id tu niirifica quadam benignitaie praestitisti ' .'

IV

C'est au mois d'avril i55'3 que le cardinal se mit en chemin '. Le poète partit à sa suite, après avoir fait ses

' Regrets, s. .32.

- Dédicace de la T opo graphia antiquae Romae Ae ^iarWani . Lyon, Séb. Gryphe, 1534. Rabelais, édit. Marty-Laveaux, III, 332.

' Tous les biographes du poète ont fait erreur sur la date précise de son voyage en Italie, qu'ils placent en 1350 (Goujet, Sainte-Beuve, Ballu), 1551 (Revillout, Pellissier) ou 1552 (Marty-Laveaux, de Xolhac, Faguet). Le doute n'est pas possible. Joachini est resté à Rome près de quatre ans et demi [Regrets, s. 174). Il y était encore au mois d'aoîit 1557 (v. plus loin, chap. vi, § n). D'ailleurs, il dit formellement qu'il a suivi le cardinal iquo duce ; se- qnendus) : or le cardinal ne se mit en route qu'après la mort de Rabe- lais (9 avril 1553, d'après Heulhard, p. 338 et 341). On remarquera que cet espace de temps (1553-1557) correspond exactement h l'espace i)endant lequel du Bellaj'n'a rien publié. Le dernier ouvrage qu'il ait fait paraitreest la 2' édi- tion du Recueil de l^oësie dont l'achevé d'imprimer est du 8 mars 1352 (n. s. 1533).

282 JOACHIM DL" BELLAY

adieux à uno maîtresse peut-être imaginaire '. A l'en croire, ce voyage commença sous de mauvais auspices :

. . . Sur le sueil de l'huis, d'un sinistre présage, Je me l)lessay le ])ied sortant de ma maison '.

Du v()ya>;(' lui-uicme. nous savons peu de chose. On fit une halte entre Roanne et Lyon, à Saint-Sympliorien-de-Lay. C'est que. le 9 janvier i543. au pied du mont Tarare, avait succombé d'épuisement le grand Langey, parti de Piémont en litière, malgré la goutte qui le tenaillait, pour donner au roi d'importants avis \ L'esprit hanté dans son sommeil par ce funèbre souvenir, du Bellay dormit mal. Comme il se retour- nait (( sur l'hosteliere plume », il crut voir apparaîti-e à ses yeux le héros qu'il admirait tant. 11 en eut un sursaut et s'éveilla. (( tressuant » defTroi *. C'est peut-être à Saint- Symphorien ({iiil traça la concise épitaphe de Langey :

Hic situs est Langeus. Ultra nil quaere. viator : Nil majus dici. nil potuit hrevius '\

Puis on parvint à Lyon. Je ne redirai pas après tant d'autres ' ce ([u'était au xvi^ siècle cette cité fameuse, « le second o-il de France ». dit J. Lemaire de Belges ', les

' Du regret de l'autheur tia partir de France (1. 327). Ce sonnet est imité du premier sonnet de Pétrarque.

- Regrets, s. 25.

^ Rabelais, qui l'accompagnait à ce dernier voyage, a raconté cette agonie qui l'avait fortement frappé (Hv. III, chap. 2!, et liv. IV, chap. 27). Cf. Heulhard, p. 168-170.

* D'un songe qu'il feit passant d S.Saphorin et Sur ce mesme propos (1,328).

•' Poeinata, {■' iiO v">.

•* Sainte-Beuve, art. sur Louise Labé (1845), dans les Portraits Contempo- rains, t. V, p. 3 ; Christic, Etienne Dolet (1880), trad. C. Stryicnski, p. 159; Chenevière, Bonav . des Périers (188a), p. 43 ; Bourciez, Les mœurs polies... (188()), p. 123 ; Thibaut, Marguerite d'Autriche et Jehan Lemaire de Belges (1888), p. 143; Brunot, De Philiberti Bugnonii vita.... (1801), p. 0; Buisson, Sébastien Castellion (1892), t. I, p. 14.

Illustrations, liv. I, chap. 13. Édit. Slechcr, t. 1, p. 86.

DÉPART POl'R L'iTAI.ir: 283

lettres et les arts n'étaient pas en moins grand honneur que l'industrie et le commerce. C'était la patrie de Maurice Scève, un précurseur de la Pléiade. Joachim le vit au passage et lui dédia ce beau sonnet :

Gentil esprit, ornement de la France, Qui d'Apollon sainctement inspiré T'es le premier du peuple retiré, Loing du chemin tracé par l'ignorance,

Sçeve divin, dont l'heureuse naissance N'a moins encor son Rosne décoré, Que du Thuscan le fleuve est honnoré Du tronc qui prent à son bord accroissance,

Reçoy le vœu. qu'un dévot Angevin

Enamouré de ton esprit divin.

Laissant la France, à ta grandeur dédie :

Ainsi tousjours le Rosne impétueux,

Ainsi la Sône au sein non fluctueux.

Sonne tousjours et Sçeve, et sa Délie. (II, i43)-

Il vit aussi Pontus de Tyard et son cousin Guillaume des Autelz. et leur adi*essa de même un fraternel salut (II, i44)- Des Autelz avait jadis écrit contre la Deffence ' : mais la réconciliation fut d'autant plus facile que l'adversaire s'était rallié depuis aux principes de la nouvelle école. Pour témoigner de ses bons sentiments, des Autelz composa deux pièces ^ où, célébrant la rencontre qu'il avait faite de du Bellay, il chantait

* V. ci-dessus. Impartie, chap. v, § ii, p. 147-151.

^ Une ode, ou plutôt une « façon lyrique » en cinquains : A I. du Belay rencontré à Lyon, en son chemin de Homme. 2' Un sonnet : A loachim du Belay, trouvé à Lyon lors qu'il alloit à Homme. Ces deux pièces li^u- rent dans V Amoureux Repos de Guillaume des Autelz, Gentilhomm.e Chnrro- lois, Lyon, Jean Temporal, loo3, in-8'. L'ouvrage contient deux privilèges, l'un daté de Paris, 27 mai loo3, l'autre de Lyon, 12 juin loo3. L'achevé d'im- primer est du lii juin de la même année. (Bibl. Nat. liés. Y'. 14(fô).

284 JOACHIM DU BELLAY

ses louanges et souhaitait au voyageur toute sorte de prospé- rités. Il invoquait pour lui la déesse de Cypre :

Donc, par prière flateuze. Impctre le chemin doux A la Muse doucereuze. La Muse noble amoureuse, Bellay, bel Astre entre nous.

Que la froydeur blanchissante Des nions, qui clierchent les cieux, Ne soit rudement nuysante A cette lampe, veillante Au service des bons dieux.

Ces souhaits n'étaient pas superflus. Il semble bien, en eflet, qu'au passage des Alpes, le |)auvrr Joachim tut repris do ses fièvres, et quun moment il eut gi'and'peur de ne jamais voir Rome. Il fit des vœux païens à la Fièvre, à la Santé, (( nourrice des hommes ». Même malade, il restait humaniste. Il lut guéi-i par la Saignée, qu'il remercia dans un sonnet débordant de reconnaissance *.

Le voyage s'acheva sans incident. Le cardinal était passé par Genève et la Suisse. Il descendit en Italie par Côme, Brescia et Ferrare '. Le 7 juin, il était à Fano '. Dans le courant du même mois, il faisait son entrée à Rome.

* Elégie à Morel :

Neciluiii lotus erat dcpulsus corpore languor,

Alpihus et duris ille sequendus erat.

Cf. sonnets, I. 329-332. Toutefois le sonnet A son Luth n'appartient pas à eette

époque : il est traduit d'une épigramme latine de Saint Gelays, certainement

postérieure. V. Œuvres de Mellin de Saint-Gelays, édit. elzév., t. II, p. 255.

- Heulliard, p. 341 .

^ Ce jour-là, il éerit au connétat)le pour conseiller au roi la conquête de la Corse (Ribier, II, 467).

CHAIMTRK II

LES « ANTIQUITEZ DE ROME

I. L'humanisme et les ruines de Rome. Promenades de du Bellay dans Rome. Son poème « Romae descriptio » .

II. Les « Antiquité/, de Rome » : les idées principales de l'ou- vrage. III. Valeur du recueil : c'est une œuvre de transition. Le « Songe ». Une note nouvelle en poésie : le sentiment des ruines.

Lorsqu'on a vécu de longs jours dans le commerce des anciens, qu'on s'est nourri de leurs ouvrages et qu'on s'est fait par la pensée une âme antique, le rêve le plus doux que l'on puisse former, c'est de voir le sol qu'ont foulé leurs pas, les lieux vénérables et saints s'est déroulée leur his- toire, les souvenirs qu'ils ont laissés de leur passage. Au pays qui fut leur pays, devant les choses qu'ils contemplèrent et qui furent les muets témoins de leurs actes, en présence des monuments qu'érigea leur génie, on les comprend mieux tout entiers, on sent revivre un peu d'eux-mêmes. Les dis- cours et les lettres de Cicéron, les narrations de Tite-Live et de Tacite, les poèmes de Virgile et d'Horace, de Properce

28(J JOACHIM DU BELLAY

cA ilOvide, nous donnent quelque idée de la Rome antique : mais combien cette idée se précise, quand nous voyons Rome elle-même et ce qui reste de son passé ! Ainsi s'explique r attraction qu'a toujours exercée sur les humanistes la vieille capitale, et le respect qu'ils n'ont cessé d'avoir pour ses débris. Le sagace historien à qui nous devons le tableau de la culture en Italie à l'époque de la Renaissance, a consacré très justement tout un chapitre de son ouvrage à a Rome, la ville aux ruines célèbres » '. Le culte des ruines romaines est dans les esprits en même temps que l'humanisme. Pétrarque est le premier qui ait aimé le sol de Rome et senti fortement la majesté de ses reliques. Il avait trente-deux ans lorsqu'il les contempla pour la première l'ois : l'impres- sion qu'il en reçut fut saisissante, ineffaçable *. Que de fois il monta depuis, avec son ami Giovanni Golonna, sur les voûtes des Thermes de Dioclétien, évoquant le passé de l'histoire dans le silence mystique, pendant que leurs yeux se posaient sur les restes épars de la ville éternelle ! Il connut ainsi, le premier des modernes, la méditation senti- mentale devant les ruines. On relève des émotions du même genre dans les écrits du Pogge. Dans une page éloquente, il nous a raconté l'impression douloureuse que lit sur un de ses amis et sur lui Rome désolée, vue du Gapitole ^ Non content de sentir en artiste, il voulut décrire en savant, et, tempérant l'imagination par la science, il appuya l'étude des ruines sur celle des auteurs et des inscriptions \ Après

< Jacob Burckharilt, 3' part, ohap. 2. Trad. Schmitt, t. I, p. 218.

- 1*. de Nolhae, Pétrarque et l'Humanisme, p. 19. Thèse. Paris, Bouillon, 1892, in-S".

^ Cette page est citée par J. P. Gliarpentier, Histoire de la Renaissance des Lettres en Europe au xv' siècle, t. I, p. 206. Paris, Maire-Nyon, 1843. Charpentier en rapproclie la lettre de Chateaubriand à Fontanes sur la cam- pagne romaine.

* Ruinarum urbis Romae descriptio, vers 1430, d'après Burckhardt, t. I, p. 221.

LES (( ANTIQUITKZ DK HOMK )) iSl

Pétrarque, après le Pogge. Ijcaucuup d'iiunianistes, dcrudits. d'antiquaires, eurent le même culte et la même piété pour les débris augustes de la reine du monde.

Il était naturel que du Bellay, dès son arrivée à Rome, subît à son tour cette fascination. L'àme imprégnée, comme il l'avait, de souvenirs classiques, il dut sentir un vif émoi, lorsqu'il se vit enfin dans la vieille cité dont il avait jadis évoqué mainte fois la vision imaginaire, aux leçons de Dorât, là-bas, dans le sombre Collège de Goqueret. On aime à se le figurer, dès les premiers temps de son séjour à Rome, explo- rant, tantôt seul, tantôt avec Bailleul '. tous les coins de la ville, sarrétant à chaque pas devant les choses nouvelles qui frappaient ses regards, demeui-ant de longues heures à contempler l'éminence du Gapitole. la colonne Trajane ou l'arc de Constantin.

Une pièce de son œuvre résume assez bien les multiples sensations que son cœur dut épi^ouver. C'est une pièce latine : par ferveur d'humaniste, du Bellay n'a pas cru qu'on pût dignement parler de la ville éternelle dans une autre langue que la langue du lieu. Son poème Roinae descriptio -. très admiré de Sainte-Beuve % est une curieuse peinture de Rome vue dans son ensemble *. Voici d'abord le Tibre aux eaux jaunâtres et la vieille enceinte romaine qui court à travers la campagne. La ville moderne ne la remplit plus. En maint endroit, la muraille tombe en ruines ; mais elle a gardé son air d'autre-

* Une éuigramme des Poemata (f" 22 v" : Ad Lodoicum Baillolium) nous apprend que Bailleul connaissait à fond les monuments de Rome (nulli nota magis veterum moniimenta Qairitum] et qu'il avait servi de guide à du Bellay (quae nos luslravimus unu). Joachim lui dédie encore le s. 30 des Regrets .

Poemata, i" 3 v .

' Nouveaux Lundis. XIII, 342.

* Je ne saurais trop remercier mon ancien collègue, M. Fougères, du pré- cieux concours qu'il m'a prêté dans l'éclaircissement de cette pièce, dont la composition est très défectueuse et les détails parfois très obscurs.

288 JOACHIM DU BELLAY

fois, impérieux et monaçant. Un vaste amas de constructions domine la cité des papes : Saint-Pierre encore iuaciievé, qui s'annonce déjà la merveille de lltalie.

Quo nullum Ausonia pulclirius extat opus,

l'immense Vatican, déroulant ses galeries, que termine l'élé- gant Belvédère. Puis, c'est une vision de créneaux aériens, la masse imposante du tombeau d'Adrien, des ponts aux arches surélevées, des palais, des églises, le Panthéon d' Agrippa, la lonttiine de l'Aqua Virgo. Après les monu- ments, le spectacle des mœurs. Les arts cliers à Pallas, le jeu des armes, les courses de chevaux, les rumeurs de la politique, tout a sa place a Rome : la fortune y règne en maîtresse, et Vénus elle-même y compte plus de dévots qu'ailleurs : n'est-elle pas la mère des Romains ? Dans cette ville tapageuse, résonnent confusément les appels, les clameurs, les sifflets, les joyeux lazzi, les rires bruyants, la musique des chansons et des danses, la femme déploie avec art les séductions et les appâts : le front ceint de bandeaux ornés de pierreries . les joues rouges de fard . des colliers d'or autour d'un cou de lait, des brillants à leurs doigts de neige, des perles en pendants d'oreilles, les cheveux frisés en accroche-cœur, vêtues de vêtements de pourpre aux franges d'or et de longues robes flottantes qui tombent jus- qu'aux pieds , les Romaines ont le secret des savantes démarches, des savantes œillades, des savants jeux de main. Et voici maintenant les nobles créations de l'art, les chefs-d'œuvre de la sculpture, les statues de marbre et de bronze ([ui ont reçu le don de vie : Laocoon et ses deux fils, l'Apollon du Belvédère et la Vénus tle Cnide, Rome guerrière '. la Louve allaitant les jumeaux Romulus et

' Visconti, Musée Fio-Clernentino, trad. franc., Milan, Giegler, 1818, t. II, pi. 15.

LES a ANTIQUITEZ DE ROME )) ^89

Réilius, le Tireur d'épine. l'Hercule en bronze <loré du Capi- tole, Marc-AuW'le à cheval, les bustes des Césars, le Tibre et le Nil. Cléopàtre mourante \ le groupe de Mars et Vénus, les Colosses de Monte Cavallo. le Satyre et lEnlant, Adonis blessé, combien d'aulres encoi'e ! VA pour (inir, le poète évoque à nos yeux le spectacle mélancolique des (( pou- dreuses )) antiquités. La pyramide de Cestius. la l)rcche formidable du Colisée, la muette désolation des caveac désertes, les murs couverts de ronces et les temples enfouis sont le point de départ d'unc^ rêverie douloui-euse sur la chute de toute grandeur, la fragilité de toute puissance. Pour ne point l'affaiblir par une traduction, je cite dans le texte ce développement qui n'est j)as sans beauté :

Aspice ut lias mohns. quondamque niinanlia Divis

Moenia luxurians lierba situsque tegant. Hic ubi praeruptis nulantia culmina saxis

Descemlunt coelo, maxima Roma fuit. Nunc juvat exesas passim spectare columnas.

Et passim veterum tenipla sepidta Deùm, Nunc Martis campum. Thermas, Circumque. Forumque,

Nunc septem Colhns, et monumenta vin'im. Hac se victores Capitolia ad alta ferebant.

Hic gemini fasces, Consulis imperium. Hic Rostris locus. hic niagnus regnare solebat

TuUius, hic plebis maxima turba fuit. Heu tantum inq)erium terrisque undisque superbum

Et ferro et (lamma corruit in cineres. Quacque fuit quondam sumrais Urbs aemula Divis,

Barbarico potuit subdere colla jugo. Orbis praeda fuit, totum quae exhauserat orbem.

Quaeque Urbis fuerant. nunc habet Orbis opes.

' Avec tous ses contemporains, du Bellay prend pour Cléopâtre l'Ariane couchée du Vatican. Il a vu l'aspic légendaire dans ce qui n'est qu'un brace- let. Cf. Visconti, t. II, pi. 44.

Univ. de Lille. To.mk VIII. A. 49.

290 JOACHIM DU BELLAY

Caetera tempus edax longis tegit obruUi seclis,

Ipsaque nunc tumulus mortua Roma sui est.

Disce liinc, humanis qiiae sit fîducia rébus : Hic tanti cursus tam brevis imperiiV

A ce peu de durée des œuvres matérielles, l'auteur oppose la durée infinie des œuvres de l'esprit. La grande Rome est morte : mais les écrits de ses poètes vivent toujom's. Les plus beaux monuments périssent : la poésie est immortelle et rend immortel ce qu'elle a touché. Dans cette méditation historico-philosophique, digne de Pétrai-que ou du Pogge. il est aisé de reconnaître la pensée première et comme le germe des Antiqiiitez de Rome '.

11

Les Antiqiiitez de Rome sont un petit recueil de trente- deux sonnets, que suit un Songe ou Vision en quinze sonnets '. Il n'y faut point chercher un tableau méthodique et précis qui fasse revivre à nos yeux chacun des vestiges de Rome, Du Bellay ne s'attache qu'à l'impression d'ensemble^ nullement aux détails. Ce qu'il nous présente de Rome, c'est « une générale description de sa grandeur et comme une déploration de sa ruine » . Le fond même de l'ouvrage,

' Rapprocher de ce passage un autre développement que du Bellay met dans la bouche du Tibre (l'oemala, f" 7 v") :

111e ego sum Tybris toto notissimus orbe. . .

- Elle est condensée tout entière dans le s. o des Antiquitez.

' Le premier livre des Antiquitez de Rome, contenant une générale de- scription de sa grandeur et comme une déploration de sa ruine, par loach. du Bellay Ang. Plus un Songe ou Vision sur le mesme subiect, du mesme autheur. Paris, Fcdcric Morel, loocS, in-4». Privilège daté de Fontainebleau, 3 mars l;w7 (n. s. i'SSHj. Marty-Laveaux, II, :iG3-288. L'auteur de la Reine des Fées, lidmund Spcnscr, a traduit en anglais les Antiquitez et le Songe (The Ruines of Rome ; The Visions of Bellay). Édit. R. .Morris, Londres, Macmillan, 1«86, in-8% p. 526 et 538.

LES (( ANTIQUITKZ DE ROME )) :291

c'est le navi'aut contraste entrer sa puissance passée et son actuelle déchéance.

Plusieurs idées sont l'amilières à l'esprit du poète et l'eviennent dans ses soiniets avec des expressions diverses. C'est d'abord la f^randeur colossaU' de la Home d'autrelbis ':

Rome lut tout le monde, et tout le monde est Rome,

s'écrie-t-il dans un vers cornélien (s. 26). Il la compare à l'antique Gybèle, la déesse féconde, (^ui s'avançait triom- phante et superbe :

Telle que dans son char la Berecynthienne Couronnée de tours, et joyeuse d'avoir Enfanté tant de Dieux, telle se faisoit voir En ses jours plus heureux ceste ville ancienne :

Ceste ville, qui fut plus que la Phrygienne Foisonnante en enfans, et de qui le pouvoir Fut le pouvoir du monde, et ne se peult revoir Pareille à sa grandeur, grandeur sinon la sienne.

Rome seule pouvoit à Rome ressembler, Rome seule pouvoit Rome faire trembler : Aussi n'avoit permis l'ordonnance fatale,

Qu'autre pouvoir humain, tant fust audacieux,

Se vantast d'égaler celle ([ui (il égale

Sa puissance à la terre, et son courage aux cieux, (S. 6).

Comment tant de grandeur a-t-elle pu crouler? C'est qu'une loi fatale s'oppose à tout excès dans la puissance ou la for- tune. Quand on monte trop haut, on devient la victime de la Némésis vengeresse. Rome a renouvelé contre le ciel la tentative des Géants, et les Dieux jaloux l'ont punie * :

» S G, 8, 26. - S. 4, 11, ii.

292 JOAGHIM DU BELLAY

Telz que Ion vid jadis les enfans de la Terre Plantez dessus les monts pour escheller les cieux. Combatti'e main à main la puissance des Dieux. Et Juppitei' contre eux. qui ses foudres desserre :

Puis tout soudainement renversez du tonnerre Tumber deçà delà ces squadrons furieux. La Terre gémissante, et le Ciel glorieux D'avoir à son honneur achevé ceste guerre :

Tel encor' on a veu par dessus les humains Le front audacieux des sept costaux Romains Lever contre le ciel son orgueilleuse face :

Et telz ores on void ces champs deshonnorez

Regretter leur ruine, et les Dieux asseurez

Ne craindre plus hault si effroyable audace. (S. 12).

Sous sa mythique formule , cette raison philosophique ne suffit pas à rendre compte d'une chute aussi lamentable. Il y faut encore une cause humaine : Rome est tombée par les guerres civiles '. Tant que ses fils ont vécu dans l'union, elle est restée puissante et forte. Du jour la discorde est entrée dans ses murs, elle était marquée pour la décadence. Frappée dans sa vigueur, elle commença de décroître et fina- lement subit les outrages des peuples qu'elle avait vaincus :

Comme on passe en esté le torrent sans danger, Qui souloit en hyver estre roy de la plaine, Et ravir par les champs d'une fuite hautaine L'espoir du laboureur et l'esjjoir du bergei* :

Comme on void les couards animaux oultrager Le courageux lyon gisant dessus l'arène, Ensanglanter leurs dents, et dune audace vaine Provoquer l'ennemy qui ne se peult venger :

' S. 10. 22. 23, 24, 31.

LES « ANTIQLITEZ DE ROME )) 293

Et comme devant Troyo on vid des Grecz encor Braver les moins vaillans autour du corps d'Hector : Ainsi ceulx qui jadis souloient, à teste basse,

Du triomphe Romain la gloire accompagner.

Sur ces poudreux tumbeaux exercent leur audace,

Et osent les vaincuz les vainqueurs desdaigner. (S. i4)-

Et maintenant, Rome n'est plus qu'un monceau de ruines ' : de vieux palais et de vieux murs, des arcs triomphaux rongés par le temps, des temples à moitié détruits, des colonnes décapitées, des pierres gisant sur le sol, voilà tout ce qui reste d'elle : mais ces débris sont imposants, et Rome n'est pas tellement abattue, ([u'au milieu de ses ruines elle ne garde un air de sauvage grandeur, qui force l'admiration des hommes * :

Ny la fureur de la flamme enragée, Ny le tranchant du fer victorieux, Ny le degast du soldat furieux, Qui tant de fois (Rome) t'a saccagée,

Ny coup sur coup ta fortune changée,

Ny le ronger des siècles envieux,

Ny le despit des hommes et des Dieux,

Ny contre toy ta puissance rangée,

Ny l'esbranler des vents impétueux, Ny le débord de ce Dieu tortueux. Qui tant de fois t'a couvert de son onde,

Ont tellement ton orgueil abbaissé.

Que la grandeur du rien, qu'ilz t'ont laissé,

Ne fasse encor' émerveiller le monde. (S. i3).

La contemplation de ces ruines est douloureusement

' S. 3, o, 7, 23, 29. -' S. 13, 27, 28.

294 JOACHIM DU BELLAY

suggestive et A'C'oiulo. Elle est pour le poète une source constante de graves réflexions, et lait de lui parfois une manière d'historien ])liilosophe * : les révolutions politiques, les phases de la monarchie, l'histoire de Rome et de ses divers gouvernements, l'inéluctable loi qui veut que le déclin succède à la grandeur et que tout finisse au néant, devien- nent tour à tour des sujets de méditation. Dans une de ces rêveries, du Bellay se demande ce que pensent les vieux Romains, si leurs ombres échappées des enfers reviennent (pielquefois errer sur les débris de la cité déchue. Il y a de beaux vers dans cette évocation :

Pâlies Esprits, et vous Umbres poudreuses. Qui jouissant de la clarté du jour Fistes sortir cest orgueilleux séjour. Dont nous voyons les reliques cendreuses :

Dictes, Esprits (ainsi les ténébreuses Rives de Styx non passable au retour. . Vous enlaçant d'un trois fois triple toui\ N'enferment point voz images umbreuses)

Dictes moy donc (car quelqu'une de vous Possible encor se cache icy dessous) Ne sentez vous augmenter vostre peine.

Quand quelquefois de ces costaux Romains

S^ous contemplez l'ouvi'age de voz mains

N'estre plus rien (pi'une poudreuse plaine*? (S. i5).

' S. 16, 18,20,21, 30.

' n Le retentissement sourd et prolongé du dernier vers produit le même efTct que certains vers lugubres de Dante, n Ampère. La Grèce, Rome et Dante, édit. de 1859, p. 1.57.

Ll-:S « ANTIQUITKZ DE ROMK » 295

III

Les Antiqiiilez de Rome sont uno œuvre de transition. On saisit là. chez du Bellay, le passage de sa j)remière à sa seconde manière, et la forme même des sonnets, cette alternance du décasyllabe et de l'alexandrin, en est un curieux indice ^ Ce serait une erreur de croire qu'il ait renoncé tout d'un coup à ses habitudes livresques et qu'il soit devenu pleinement personnel. La part de l'imitation est encore ici assez considérable. Le s. 'j est traduit mot à mot d'un sonnet italien de Baldassare Castiglione % le s. 3, d'une épigramme latine de Janus Vitalis ^ Le s. i8 sur Rome, pri- mitivement asile de pasteurs, maintenant au pouvoir d'un pasteur, n'est qu'une amplification de ce distique de Buchanan :

IN ROMAM.

Non ego Romulea miror quod pastor in Urbe Sceptra gerat : pastor conditor Urbis erat *.

C'est encore de Buchanan qu'est emprunté le s. 8 '. Une

^ Si l'on en croit Pasquier {Rech.de la France, Yl, 8), Baïfestle premier qui, clans ses Amours de Francine Hdod), ait risqué des sonnets en vers alexan- drins. Pasquier confond sans doute avec les Am.ours de Méline (1552). l'on tr')uve en effet cinq sonnets en vers alexandrins mêlés à 36 autres en vers décasyllabes, haa Antiqn'tez ci \e Songe nous montrent du Bellay essayant pour son compte d'acclimater la nouvelle facture en la faisant marcher de pair avec l'ancienne.

^ Sur ce point, v. l'art, de M. Morel-P'atio, Histoire d'un sonnet, dans la Rei>. d'hist. litt. de la France, 189i, p. 07.

^ Deliciae Poctarum Italorum, part. II, p. 1433. Cf. Marty-Laveaux, II, b.')4.

* Edit. Th. Guarinus, Basileae-Rauracorum [Bàle], 1368, in-S", p. 44. (Bibl. Nat. Yc. 9600).

^ Même édit., p. 44 :

Roma armis terras, ratibusque subegeral undas, Atque iidem fines orbis et urbis erant. . . .

296 JOACHI.M DU BRLLAY

pièce peu connue de Lazzaro Buonamici ' a peut-être laissé des traces à travers les Antiquitez. Enfin, du Bellay s'est copié lui-même, en transposant de latin en français dans le s. 4 son Tiimulus Romae veteris ^

Ce besoin d'imiter, de penser par autrui, non ])ar soi, n'est pas le seul défaut que garde du Bellay de son ancienne manière : il en garde encore par endroits le penchant à la rhétorique '\ l'obscurité prétentieuse '*, l'abus de la mytho- logie ', le goût des allégories et des symboles '^ . Cette ten- dance au symbolisme est surtout manifeste dans le Songe ou Vision, où, sur les pas de Pétrarque ' et de Dante *, mais avec moins de bonheur qu'eux, du Bellay fait appel au symbole pour l'endre ses pensées. Dans une série de sonnets, coulés en un moule uniforme ', il exprime figurément la grandeur et la chute de Rome : c'est tour à tom^ un palais construit sur une montagne et qu'un soudain tremblement jette à bas, une pyramide ([ue la foudre renverse, un arc de triomphe qui s'écroule, un chêne (jue des paysans abattent. une louçe allaitant deux bessons, que des chasseurs traquent et tuent, une nacelle chargée de richesses, qu'une mer ora-

' Deliciae Poetariim Italorum, part. 1, p. 47b :

Vos operum antiquae moles, coUesque superbi... Lazzaro Buonamici de Bassano (147!) 1352). successivement professeur à Bo- loffne. à Rome, à Padoue. V, Ginguené, Hist. litt d'Italie. VII. 207. Le « docte Bonamy » l'ut, comme on sait, un des premiers maîtres de Bail".

- Poemata, 4.-5 r".

' S. 2 : développement par énumération. S. 19: antithèses recherchées.

* Le s. 17 est une énigme.

■" Jason (s. 10) ; le Chaos (s. 19, 22) ; les Géants (s. 4. Il, 12, 17).

" S. 16 (la Monarchie) ; s. 21 (la nef de Rome).

' V. la 24' Canzone de Pétrarque (édit. G. Mestica. p. 447), traduite par Marot sous ce titre : Des visions de Pétrarque {édit. P. Jannet, IIL 146).

" Le s. 13 du Songe contient un souvenir de Dante. Ratliery (Influence de l'Italie. . ., 18b3, p. 108) retrouve en du Bellay » comme un reste affaibli du génie allégorique et de la grandeur triste du Dante ».

" Le s. 10 fait seul excei)tion.

LES (( ANTlQUITi:Z DR ROME » 297

geuse engloutit. uno cité bâtie sur le sable, que l'ourap^an du nord balaie, etc. Tous ces ol)jets a|)|)araissent en songe au poète endormi sui' les boiils du Tibi-c. C'est une vision apocalypti([ue, pittorescjue et brillanlc. mais d'un bi-illant trop artificiel.

J'aime mieux les images que présentent les Antiquitez\ L'auteur assez souvent en trouve de fort belles pour ptnndre les choses de façon saisissante. Rome en ruines, et pourtant vénérée entre toutes les villes, devient « un grand chesne asseiché », qui lève au ciel « su vieille teste morte », dont le pied n'est plus ferme, mais qui, (( plus qu'à demy panché »,

Monstrant ses bras tous nuds et sa racine tortc,

inq)ose au populaire par son tronc (( noùailleux » et se voit plus révéré que les jeunes arbres qui l'entourent (s. 28). L'empire romain a grandi, pai'eil à la semence qui devient à la longue un épi de blé jaunissant : puis les Barbares l'ont détruit, et n'ont laissé de lui

Que ces marques anti({ues, Que chacun va pillant : comme on voit le gieneur Cheminant pas à pas recueillir les reliques De ce qui va tumbant après le moissonneur. (S. 3o).

Voilà de beaux tableaux, d'une poésie à la fois simple et forte. Les comparaisons des Antiqiiitez ont ainsi presque toujours une richesse, une ampleur, une vérité, dont ni l'Olive ni les Odes ne nous avaient donné d'exemple. A changer d'horizon, le poète a gagné : son imagination s'est étendue et comme fécondée.

Mais n'est pas encore le mérite éminent de ce nouveau recueil. Il est dans l'émotion profonde et toute spéciale que du Bellay a ressentie devant les ruines de Rome. Comme le

' V. notamment les s. 14, 16, 20, 28. 30,

298 JOACHIM DU BELLAY*

dit M. Faguet, « il a bien compris que ce que doit nous inspirer le monument antique, sorte de sépulcre vidé, c'est la méditation sur les êtres semblables à nous, qui l'ont construit selon le modèle de leurs rêves . qui l'ont peuplé , animé, quitté, et dont il reste comme le signe, lui-même périssable, lui-même caduc, testament déchiré d'àmes mortes»'. Ce mélange singulier de réflexions philosophiques et d'évo- cations historiques, ([ui se fondent et se perdent en un sen- timent très vague et très doux d'indéfinissable mélancolie, c'est ce qu'on appelle le sentiment des ruines. Dans son dernier sonnet, du Bellay demande à ses vers s'ils osent espérer un destin immortel, et si « l'œuvre d'une lyre » peut prétendre à plus de durée que tant de monuments de por- phyre et de marbre, ({ui semblaient dressés pour l'éternité. Puis il ajoute :

Ne laisse pas toutefois de sonner.

Luth. qu'Apollon m'a bien daigné donner :

Car si le temps ta gloire ne desrobbe.

Vanter te peux, quelque bas que tu sois,

D'avoir chanté le premier des François,

T/antique honneur du peuple à longue robbe. (S. 32).

Il avait raison de parlei- ainsi. Le premier, en effet, il a ressenti fortement la niéhmcolie ])ai-ticulière que fait naître dans l'àme le spectacle émouvant des vestiges. Plus tard, Volney. Chateaubriand. M^i^' de Staël. Lamartine, donneront à leur tour du même sentiment des peintures différentes et souvent plus profondes. Il n'en reste pas moins que d'avoir fait sonner sur la lyre cette note nouvelle, voilà pour du Bellay l'un de ses beaux titres de gloire ^

' Seizième siècle, p. 310.

-' Jacques Grévin a fait aussi des sonnets sur Home, très inférieurs de ceux de Joachim, et d'ailleurs inspirés par l'esprit protestant. La haine

LES (( ANTIQUITEZ DE ROME )) î\)'i)

C'est au début de son séjour en Italie, selon toute vi-ai- semblance . que du Bellay dut conijutser « le premier livre des Antiqiiitez de Rome ». Il n'y eu eut pas de second. Pour- (juoi? Déjà sans doute l'ennui l'avait saisi : les tristesses de la réalité lui l'aisaienl oublier son rêve d'humaniste.

de la pap.auté n'y tient pas moins de place que le sentiment des ruines. On a dit justement de Grévin : « Le Vatican lui gâte le Capitole «. V. la thèse de M. Pinvert, p. 74-77.

CHAPITRE III

LA VIE DE HlACHni A ROME

1553-1557 I. LA VIE PUBLIQUE

I. Palais du cardinal à Rome. Son tz'ain de maison. Fonctions

de Joachim. II. Rome en 15S3. Situation religieuse. Situation politique. Jules III. Sa politique. Son caractère.

III Marcel II (1555).

IV. Paul IV. Le cardinal du Bellay doyen du Sacré-Collège. Sa disgrâce définitive. Caractère de Paul IV. La ré- forme de l'Église. La guerre contre l'Espagne. Rome en 1556. L'expédition du duc de Guise en Italie (1557).

Le cardinal du B(dlay avait hahitt' jatlis un beau palais sui- la place Sant'-Apostolo. la plu'- \aste de Rome après la place d'Agone '. C'est (piCn 1.149 il avait doinié. en l'hon- neur de la naissance du duc dOrléans ■. une iète magnifique

' Aujourd'Ilui place Navonc.

- Louis d'Orléans, second lils d'Henri II et de Catherine de Médicis, mort en bas âge.

LA VIK DE JOACHIM A ROMK 301

dont Rabelais nous a laissé la relation dans la Sciomachie '.

Lors(iu'il revint à Rome, après trois ans d'al^sence, il s'installa d'abord dans un palais de la cité Léonine, au bouri? Saint-Pierre *. Mais ce n'était qu'une demeure provi- soire. Il avait acheté les Thermes de Dioclétien, et relevant une partie des ruines, il y faisait aménap^er un vrai palais de prince et des jardins immenses, où, parmi la verdure des citronniers, des grenadiers, des cèdres, des cyprès, des lauriers et des myrtes, un peuple de statues, plus de cent trente pièces, pour la plupart antiques et d'un prix rare, jetaient l'éblouissant éclat de leur blancheur. Le cardinal avait pris à cœur de réunir dans ce paradis toutes les séductions de la nature, toutes les voluptés de l'art '.

Il possédait encore, « du côté de Saint-Laurent in Palisper- na )). une petite vigne qu'il devait laisser par testament à son valet de chambre. Charles Marault. (( pour en disposer selon son commandement » *.

Enfin, il faisait achever non loin du port d'Ostie un parc où, dit-il, « les plus fâcheuses ombres qui soient d'un bout à l'autre sont de lauriers , myrtes , rosiers marins avec chevreulz, fayzans et toutes sortes d'oyseaux . . . . chasses, voleries et peschcries » ''.

La situation du cardinal l'obligeait à un train de vie con-

' Heulhard, p. 283 sqq.

- Heulhard, p 341.

' V. dans Boissard, Antiquitates Romanae, Francfort, lo97-lo98, 2 vol. in- fo, t. I, p. 90, la description des florti Bellaiani, et t. II, 4= part., les plan- ches qui figurent les principales curiosités de ces jardins, pi. 119 134. (Bibl. Nat. Rés. J. 462-463). M. Clédat a retrouvé à Rome (Archivio di Stato, registres du notaire Savius ou Le Save, 31, le 2- de ioo6) l'inventaire de la collection d'antiques du cardinal du Bellay. Il a publié ce catalogue dans le Courrier de l'Art, ann. 1883, p. 99 et 206. On y voit figurer toutes sortes de statues, bustes ou torses, sujets historiques et mythologiques.

' Heulhard, p. 74.

'" Lettre au Connétable, janv. 1554. Cité par Heulhard, p. 341-342.

302 JOACHIM DU BKLLAY

sidérable. M. Healhard a publié ' l'état de sa maison en i549. Il était à coup sûr sensiblement le même en i553. On n'a pas idée du grand nombre de domestiques que nécessitait le service d'un prélat romain. Dans les palais du cardinal grouillait un personnel confus de pages, de varlets, d'estafiers, de laquais, de fauconniers, sommeliers, cuisiniers, verduriers, pourvoyeurs. tailleurs, portiers, boulangers, palefreniers, muletiers et char- retiers *, sans parler des chanteurs et des joueurs de luth et de cornet. Au-dessus de ces subalternes , il y avait l'argentier , le contrùleui", le médecin, roflicial, les aumôniers, les secré- taires. Il y avait aussi le corps des gentilshommes attachés phis ou moins directement à la suite du cardinal, et qui formaient sa cour dans les cérémonies publiques. Tout ce monde vivait aux frais du maître. Chaque jour, il fallait nourrir plus de cent personnes. Et ce n'était que le train ordinaire : mais il y avait encore à compter les petites et les grandes réceptions, les dîners officiels, les fêtes de tout genre données à tout propos, la coûteuse habitude des cadeaux : des cardinaux, des princes, des seigneurs, des frères ou des neveux de papes, avaient part aux largesses du prélat, (l'était une représentation continuelle, et du Bellay tenait plus que personne à représenter magnifiquement'.

Pour subvenir à tant de frais, il n'avait pas assez des gros revenus de ses bénéfices : toujours à court d'argent, il devait emprunter * et sans cesse négociait avec les banquiers

' P. 284.

- Entendez des cochers.

' Outre Heulhard, v. M'* de la Jonquière, op. cit., p. 53.

* Il est vrai qu'il n'était pas le seul, puisque le pape tout le premier était parfois contraint d'en faire autant. Ne l'avait-on pas vu dans sa récente guerre contre le duc de Panne, Octave Farnèse (1531) ? Plont;é dans l'em- barras par Henri 11, qui lui coupait les vivres, Jules III avait recourir à la bourse de l'empereur et des Romains. V la lettre de Porquevaux à Beau- regard, 7 cet. 1551. (llibier, II, 350).

LA VIE DE JOACHIM A KOME 303

italiens. Comme beaucoup de grands seigneurs, il payait mal et traînait à sa suite un tas de créanciers.

Dans ce milieu, quel était donc le rôle de Joachim ? Sur la nature de ses l'onctions, VElé<rie à Morel est assez imprécise :

Illic assiduus domini tlum jussa capesso,

Quarla redit messis, quarla recurrit hyems.

Les Regrets. Dieu merci, nous <mi apprennent davantage. Dans un sonnet à son ami Panjas, exilé comme lui sur les rives du Tibre, il nous dit ses occupations :

Panjas, veuls-tu sçavoir quels sont mes passetemps ? Je songe au lendemain, j*ay soing de la despense Qui se fait chacun jour, et si fault que je pense A rendre sans argent cent créditeurs contents :

Je vays, je viens, je cours, je ne perds point le temps. Je courtise un banquier, je prens argent d'avance, Quand j'ay despesché l'un, un autre recommence, Et ne fais pas le quart de ce que je prétends.

Qui me présente un compte, une lettre, un mémoire, Qui me dit que demain est jour de consistoire, Qui me rompt le cerveau de cent propos divers :

Qui se plainct, qui se deult, qui murmure, qui crie :

Aveques tout cela, dy (Panjas) je te prie.

Ne t'esbahis-tu point comment je fais des vers ' ?

Ainsi Joachim avait, dans la maison du cardinal, la situation d'un intendant : c'est à lui qu'incombait la charge très lourde

' Regrets, s. 15. Cf. s. 18 :

Si lu ne sçais (Morel) ce que je fais icy, Je ne fais pas l'amour, ny autre tel ouvrage : Je courtise mon maistre, et si fais d'avantage Ayant de sa maison le principal soucy.

304 JOACHTM DU BELLAY

et très délicate de la direction domestique et des opérations financières, mémoires à solder, emprunts à contracter, créan- ciers à satisfaire. Mission de confiance, sans doute, et qui prouve l'estime le cardinal tenait son neveu, mais aussi mission ennuyeuse, et qui n'était pas le fait d'un poète :

Je suis pour la Muse, on me fait mesnager,

disait-il tristement '. 11 s'acquittait pourtant de sa tâclie en conscience, y mettant tout son zèle, y dépensant tout son esprit ^ Mais il y avait des jours, malgré tout, l'humeur l'emportait, le poète perdait patience et s'abandonnait au dépit : il en venait à l'cgretter de n'être pas tout à fait sourd. Ah ! s'il l'était I

Le bruit de cent vallets. qui mes flânez environnent. Et qui soir et matin à mes oreilles tonnent. Le devoir de la court, et l'entretien commun. Dont il fault gouverner un fascheux importun . Ne me fascheroit point : un créditeur moleste (Ra((> de gens, Ronsard, à craindre plus que peste) Ne troublei'oit aussi l'aise de mon repos, Car. sourd, je n'entendrois ne luy ne ses propos '.

Les fonctions i\c Joachini ne se l)oi"naient j)as au simple rôle d'intendant. Je n'irai pas jus({u"à prétendre avec Golletet qu'il était au courant de tous les secrets politiques '. Les secrétaires d'ambassadeurs au xvF siècle ne connaissaient

' Regrets, s. 30.

- Regrets, s. 4G.

■■' Hymne de la Surdité (II, 404).

' « Comme ce grand prélat éloil assuré de l'afleetion et de la lidélité aussi bien que de la suHisance de J. du Bellay, ce fut sur toutes ces bonnes et rares qualités qu'il commença de lui communiquer ses affaires et de se re- poser sur lui du faix de son ambassade, de sorte qu'il l'admit dans le secret de toutes les grandes négociations dont il étoit chargé.» Copie mscr., 47 r».

LA VIK DK JOACHrM A ROME 305

pas taul do choses. Magny, qui l'élail. nous renseigne péremp- toirement :

Mon principal eslat, c'est d'estre secrétaire, Mais on me l'ait servir de mille autres mestiers, Dont celuy que je lais le plus mal volontiers Est cil qui me contraint d'endurer et me taire \

On ne traite pas de la sorte quelqu'un qui détient des secrets d'État. Du Bellay sans nul doute était logé à la même enseigne. En qualité de secrétaire, il pouvait rédiger pour son maître des billets de politesse mondaine : les dépêches diplomatiques ne pas- saient point par ses mains. Toutefois, s'il ignorait généralement le fond de la politique, il prenait part à la vie extérieure du cardinal. N'oublions pas qu'il était gentilhomme. A ce titre, il était désigné pour l'aire partie de son escorte et l'assister dans toutes les cérémonies ". Il nous a tracé d'une plume alerte un spirituel tableau de l'existence pompeuse et vide que menaient avec lui les gentilshommes de l'entourage du cardinal :

Suivre son Cardinal au Pape, au consistoii'O, En capelle, en visite, en congrégation. Et pour l'honneur d'un prince, ou d'une nation, De quelque amiiassadeur accompagner la gloire :

Estre en son rang de garde auprès de son seigneur, Et faire aux survenans l'accoustumé honneui', Parler du bruit qui court, l'aire de l'habile homme,

' Oliv. de Magiiy, Soiispirs, s. 13, édit. Courbet, Paris, Lemerre, 1874, in- ii. Cr la thèse de M. b'avre sur Maguy, p. 68.

- « Sur la domesticité du poète dans la maison du cardinal, m'écrit M. de >iolhac, je pense qu'il faut songer à un rôle de gentilhomme suivant, bien plus que de secrétaire, sans toutefois exclure complètement cette der- nière hypothèse. N'oublions pas que la cour de chaque cartlinal, et surtout d'un cardinal tel que Jean du Bellay, comptait d'assez nombreux gentils- hommes sans fonction précise, ad pompam. »

Univ. de Lille. Tome VIU. A. '20.

306 JOACHI.M DU BELLAY

Se pourmener en housse, aller voir d'huis en huis La Marthe ou la Victoire ', et s'engager aux Juifz : \'oilà, mes compagnons, les passetemps de Rome ^

A suivre ainsi pendant quatre ans son cardinal un peu partout, Joachim put voir bien des choses. Demandons-lui ce qu'il a vu. quels spectacles ont surtout attiré ses regards, et, guidés par lui, jetons un coup d'œil sur la vie publique de ce temps.

II

Kn i55'3, la capitale du catholicisme était depuis plusieurs années le théâtre d'un sérieux mouvement de réforme *. Le pontificat de Paul 111 avait marqué le début des grands efforts tentés pour arrêter les progrès de l'hérésie, raffermir la foi chancelante, restaurer la discipline, épurer les niœui's, corriger les abus. L"œuvre commencée se poursuivait régu- lièrement. Jules m venait de suspendre (avril i552) le con- cile de Trente ; mais la tâche essentielle était faite : le dogme était fixé. L'Inquisition, ressuscitée par Carafla, se montrait la gardienne inflexible et jalouse de l'orthodoxie la plus rigoureuse : Joachim put voir brûler des livres au Marché- des-Fleurs et des hérétiques devant Sainte-Marie-de-la-Minerve. De nouveaux ordres s'étaient fondés, les Capucins, les Théa- tins, les Jésuites. Ces derniers, institués depuis une dizaine d'années, se comptaient déjà par centaines. Leur puissance

^ Courtisanes de l'ôpoque.

- Regrets, s. 84. Lambin, qui suivit à Rome vers la même époque le cardinal de Tournon, se plaint à Muret de la vie qu'il mène : « Totius diei meliores horas in deducendo et reducendo cardinal! perdimus. » Cité par Dejol), Marc-Antoine Muret, p. IH,

' L. Kanke , Histoire de la Papauté pendant les xvi' et xvir siècles, trad. Ilaiber, 1848, t. I ; M. Pliiliiipson, La contre-révolution religieuse au XVI' siècle, 1884.

LA VIK UK JOACHIM A RO.VIK 307

avait grandi vite : rien qu'à Rome, ils avaient deux collèges. Du Bellay rencontra peut-être chez son maître le cardinal un homme à physionomie expressive, la liguie amaigrie par la pénitence, le iront large, les yeux petits et brillants, le nez aquilin, la bouche énergique, le teint olivâtre. C'était Ignace de Loyola qui, dans l'intérêt de la Compagnie, rendait visite aux cardinaux, aux ambassadeurs des rois et des princes, à tous les personnages de Rome « dont la position exigeait l'estime et dont l'autorité méritait qu'on leur fit la cour ' ». Il trouvait partout le meilleur accueil, et le pape lui était tout dévoué.

Du Bellay ne me semble pas avoir un instant soupçonné l'intensité du mouvement dont Rome était alors le centre. Soit qu'il fût trop près des événements pour en mesurer l'im- portance, soit que sou tour d'esprit humaniste et païen l'empêchât d'en sentir l'intérêt, je ne vois pas qu'il ait perçu bien nettement cette renaissance du catholicisme. C'est peut- être aussi que la politique lui voilait un peu trop la ques- tion religieuse .

Depuis Jules II, le rêve plus ou moins avoué de chacun des pontifes qui s'étaient succédé sur le siège de Saint-Pierre, avait été d'affranchir l'Italie, en chassant les barbares qui se la disputaient, et de constituer son indépendance sous la direc- tion de la Papauté. Mais les barbares étaient trop forts pour être expulsés de la péninsule. L'Italie était le champ clos se vidaient leurs duels sanglants. Depuis un demi-siècle, Espagnols et Français s'y livraient des combats formidables dont elle était l'enjeu. Impuissants à réaliser le rêve glorieux d'autrefois, soucieux de concilier hnir pouvoir spirituel et leurs intérêts temporels, dominés par le népotisme, les paj)es, comme tous les princes italiens, oscillaient constamment entre

* Orlandino (l'historien officiel des Jésuites), cité par Philippson, p. 67,

308 JOACHIM DU bi:llay

les deux rivaux, s'unissant tantôt aux Espagnols et tantôt aux Français, selon quils craignaient davantage les Français ou les Espagnols. L'intérêt du moment faisait les alliances et les défaisait.

Cette politique de l^ascule, sans consistance et sans grandeur, était celle de Jules III comme elle avait été celle de Paul III et de Clément YII. Elu pape en i55o, grâce à rinfluence française, il avait aussitôt oublié ses promesses et lâché le parti du l'oi pour celui de l'empereur *. De concert avec Charles- Quinl. il avait fait la guerre au duc de Parme, Octave Farnèse, notre allié (i55i). Puis, battu par Brissac, paralysé par Henri 11, qui défendait à ses sujets, sous les peines les plus graves, d'envoyer de l'argent à Rome, il s'était retiré de la lutte, et, par l'intermédiaire du cardinal de Tournon, avait signé, le iG avril i552, une trêve de deux ans avec le roi de France ^

Henri II, qui n'avait cessé d'être en guerre avec l'empe- reur ', craignait qu'à l'expiration de la trêve, le pape ne se déclarât en faveur de son adversaire. C'est ce qu'il fallait prévenir en négociant le renouvellement de cette trêve. A cet edet, il avait chargé le cardinal du Bellay d'une mission extraordinaire auprès de Jules III, pour qu'il appuyât de tout son crédit les efforts de l'ambassadeur, M. de Lansac *. Si quelqu'un était fait pour réussir auprès du pape, c'était bien du Bellav. Le secrétaire Raince éci'ivait de Jules III :

' D'Urfé au Connétable: « Je ne m'apperçois pas de ce qu'il a fait pour le Roy » (13 févr. lo.'iO). « Je ne me suis point apperçeu qu'il y ait rien pour le Roy que belles paroles et générales » (7 avril looU). Ribier, 11, :i04 el 'Hi.

' On en trouvera le texte dans Ribier, 11, 386.

' Principaux événements militaires : succès du maréchal de Brissac, gouverneur du Piémont, sur Fernand de Gonzague, gouverneur du Milanais ; opérations de la flotte franco-turque contre Naples et contre la Corse ; révolte de Sienne contre les Espagnols.

' Lettre du Roi à Lansac, G nov. 1553. Ribier, II, 474.

LA VIK DR .lOACHIM A ROME 300

« Il ayme Mgr le cai-diiial du BoUay et sont fort approclians Tung do l'autre de nature et condition : je dis ([uanl au S(^'avoii' et c[uant à l'expérience et pratic(|ue '. » Mais le pontife (Hait inconstant, versatile et léger : on ne pouvait pas faire fonds sur lui ". D'ailleurs, il était mal disposé pour les Français : « Monseigneui-. écrivait au connétable le cardinal du Bellay, je ne voy pas <[ue le Paj)e aime gueres le Ro3% mais bien craint-il l'Empereur, et sur tout ne voudroit que le Roy eust de voix en Chapitre : il a encores depuis nagueres rafréchy qu'il ne falloit aux François plus de force au Consistoire qu'ils ont, et qu'encore en ont-ils trop \ n Le prélat se voyait obligé de lui faire des remontrances, le blâmant de créer, dans une intention hostile à son maître, quatorze cardinaux d'un coup *. Dans ces conditions, négocier avec Jules III était une tâche des plus difficiles, et ce n'était pas trop, pour la mener à bien, du concours de deux diplo- mates comme Lansac et du Bellay '".

II est curieux de retrouver chez Joachim l'écho de tous ces faits. Depuis qu'il était devenu Romain, il avait souvent l'occasion d'entretenir l'ambassadeur. Louis de Saint-Gelays, , seigneur de Lansac, d'une illustre maison de Saintonge, s'était acquis dans les fonctions qu'il exerçait le renom d'habile

1 Heulhard, p. .316.

- Le Roi à Lansac, 6 nov. 1353 : « Monsieur de Lansac, à voir vosdépes- ches depuis la première jusques à la dernière, l'on n'y trouve, sinon actions et propos d'un homme inconstant, variable et léger, avec lequel l'on ne peut rien asseurer ny résoudre ; et par ce moien il n'y a Ministre auprès de luy qui ne soit bien empesché, et que l'on puisse aussi instruire pour né- gocier avec luy de chose qui importe plus que du jour au lendenaain, ou du matin au soir. » Ribier, II, 474.

^ Le card. du Bellay au Connétable, 22 déc. 15o3. Ribier, II, 481.

* Le card. du Bellay au Connétable, 26 déc. 1533. Ribier, II, 482.

^ Pendant les années 1553-1534, ils ont constamment agi de concert. Us recevaient de communes instructions. (Ribier, II, 468, 473, 474, 516, 323).

310

JOACHI.M DU BELLAY

orateur '. Joacliiiii l'iioiioi-a (ruiu* ode (I. 2-4). Il y chantait le pouvoir souverain de l'éloquence et vantait chez Lansac son talent de parole :

Celuy sagement esleut,

Qui voulut Pour son orateur t'eslire : Il avoit cogneu en toy

Et la foy. Et la force de bien dire.

A quoy poui*ray-je égaler

Ton parler, Fors à l'œuvre d'une abeille ? Si doux ne glissoit encor"

De Xestor La grand' douceur nompareille.

Naturellement, le poète s'aidait de la mythologie pour mieux louer Lansac. mais sans taire tort à l'histoire :

Le grand Jules est tesmoing

De quel soing, Pour le bien de ta province. D'un œil sans cesse veillant

Travaillant Tu fais service à ton prince.

Il terminait en souhaitant que Lansac, si bien doué par

' Il avait remplace d'Urfé. Il fut fait prisonnier de nuit par les gens du duc de Florence (aoùl l.ï.oi), comme il se rendait à Sienne pour « conforter le cueur des habitans et les tenir tousjoursen bonne union et dévotion envers le Roy ». Le cardinal d'Armaj^nac, qui s'exprime en ces termes, ajoute : « C'est ung personnage aussy aecorl et prudent, dextre à negotier et à faire la charge qu'il avoit, que le Roy en eusl s(,eu avoir par deçà. » Lettre au Coriiictable, IS août IJi.ïi. Cf. lettre au Roi. 12dce. 1555. (Tamizey de Larroque, Lettr. inéd. ducard. d'Armagnac, Paris, 1874, p. 51 et 85). Il fut rerais en liberté dans le courant de 1555. Monluc, Brantôme, de Thou, louent égale- ment Lansac.

LA VIF np: .lOACHIM A RO.MK 311

Mercure, scellât à jamais l'unit)!! du l'oi tic Franco et du Saint-Pèi*e :

Ce Dieu ta donné encor'

Le thresor De sa langue bien apprise. Te puisse-il toiisjours aider,

Et guider Chacune tienne entreprise :

El face le Philien '

Qu'un lien Eternellement enserre, D'une inviolable foy,

Nostre Roy Au grand successeur de Pieri*e.

Ces souhaits, il eut bientôt l'occasion de les formuler dei'cchef. L'année i553 touchait à sa fin, et les négociations étaient toujours pendantes. Qu'apporterait l'année nouvelle ? La reprise des hostilités, ou cette paix perpétuelle que le roi désirait co!iclure avec le pape, afin de lutter plus comiuodé- ment contre re!!ipereur ? C'était l'heure ou jamais de faire des vœux pour la paix. Cette pensée dicta au poète des étrennes latines et fi'ançaises % dans lesquelles il soupirait après la vierge Astrée et le retour de l'âge d'or. Il s'adressait --e^-^t^-Aa^ au cai'dinal, à Lansac, au Saint-Père lui-même. Il espérait que la nouvelle aiinée verrait la Paix, « fille de Dieu », redescendre pa!'mi les hommes et réconcilier d'un miituel accord le !'oi, le pape et l'empereur. Voici le sonnet qu'il dédiait au pape :

' Jupiter. Cf. Ronsarrl, ode 9 du livre V (Blanchemain, 11,335).

- Poemata : De pace inter principes Christianos ineunda (f° 9 r°) ; Ad laniim Card. Pellaiiim Cal. laniiar. if"22v").— Au Reverendiss. Card. du Bellay et au Seigneur de Lansac. . . Estrenes (I, 278). —Au Pape, le premier jour de Van (I, 283).

312 JOACHIM DU BELLAY

Soit clrsoi'inais sous tes clefs enserrée, Père Janus, la Thracienne horreur, Le fer, le sang, la flamme, et la fureur De trois cents fers pieds et mains enferrée.

Vive la vierge au vieux siècle adorée, De Jupiter Saturne soit vainqueur. Règne Pallas sur le Dieu belliqueur. Cède le fer à la saison dorée.

Le gouverneur du grand tropeau Romain De sang François, Espagnol, et Germain, Xe voye plus la campaigne arrousée.

En lieu de sang son nage plus heureux Voye couler par les champs planteureux Le laict, le miel, la manne, et la rosée. (L 283).

C'était rêve de poète. L'année était commencée, et Jules III était toujours insaisissable. Il parlait bien de rester neutre, mais il agissait de façon suspecte, négociant avec le duc de Florence, l'ennemi d'Henri II. Le roi, que sa conduite exaspérait, mandait à ses ambassadeurs (i554) : « Mon Cousin, et vous Monsieur de Lansac, quand jay bien pensé et considéré sur ce que vous deux ensemble, et en particulier, m'escrivez (lu Pape, et des propos qu'il vous tient, je ne sçay j'en suis logé : car d'un costé il vous dit les plus belles paroles du monde, quant à l'observation de sa neutralité, et de l'autre neantmoins, il fait les eflets tout contraires... » Il ajoutait d'ailleurs qu'il n'avait qu'à se louer de leurs bons offices : « Quoy qu'il en soit, vous ne vous sçauriez mieux, ny plus dextrement et prudemment conduire et gouverner que vous faites avec luy. » Ce qui le rassurait, c'est que le pape, n'étant pas riche, ne pouvait pas faire grand mal : « Toutefois, s'il avoit quelques moyens d'entreprendi'e et exécuter, je ne

LA VIE l)K .lOACIUM A ROMt 313

m'y voudrois nuUeinenl fier, el ne preudrois jamais ses paroles pour argent comptant '. »

Henri II n'avait rien à craindre. Si Jules III ne voulait pas s'engager avec lui trop à Ibud, il ne tenait pas davan- tage à s'inféoder à l'empereur. Sollicité par tous les deux, il se dérobait à l'un comme à l'autre, inconstant et mobile par système. Il avait horreur de la politique : vivre en repos, tel était l'idéal de ce pape indolent. Il s'était fait construire, sur la voie Plaminienne, en dehors de la porte du Peuple, une villa superbe, entourée de vastes jardins, d'où l'on décou- vrait Rome et les courbes du Tibre, et qui charmaient la vue par l'ensemble artistique des édicules, des arcs, des fon- taines, des statues, des colonnes, et la richesse des matériaux, albâtres, ophites, marbres et porphyres '\ Il vivait dans ce lieu de délices, indifférent aux affaires, en voluptueux épi- curien '*.

Il n'avait pas tenu ce que promettait son passé. Préfet de Rome sous Clément VII, il avait eu de l'héroïsme lors du sac de 1.527. Il s'était livré comme otage à la place du pontife, avait failli trouver la mort de la main des soldats impériaux, ivres de sang et de butin, et n'avait son salut qu'à la pitié du cardinal Pompeio Colonna '. Plus tard, pre-

< Ribier, II, 316.

- Muratori, Annali d'italia, ann. laori, t. X. part. II, p. ISH V tlnns Boissard. Antiq. Roman., t. I, p. 99-100, la description de la Vigne du nafie Jules, et t. IV, 6' part., les pi. liT-llO.

^ V. la vie de ce pape, écrite par son contemporain, le frère aiijiustin Oiiofrio Panvinio (1361). Il dit énergiqueraent de lui : u Nihil prorsus egit, quod valde menioratu esset dignuni, qui fruendo potius quam regendo Pontilicatu totus incumbebat. »

* Le fait, raconté tout au long par Paul Jove [Pompeii Colvmnae Cardi- nalis Vita}, est ainsi résumé par O. Panvinio : « Per idem fere teinjuis, quod omnino praetereundum non videtur, durante adliuc arcis Uomanae obsidione. aurum immaniter petentibus insolentissime Caesarianis militibus obsidem cum aliis nonnuUis pro Pontilice rei nummariae diflicultate impe- dito se dédit, magnumque adiit vitae periculum, quum bis in Florae cam-

W'A'iWm*^Y^Si^*i^

314

JOACHFM DU BELLAY

l

mier légat du pape au concile de Trente (i545), il s'était montré fort adroit dans la direction des débats. Son rôle au concile l'avait désigné pour le Saint-Siège. Mais à peine cou- ronné de la tiare, il avait trompé toutes les espérances. Son premier acte avait surpris et fait scandale. 11 avait revêtu de la pourpre un jeune homme de dix-sept ans, rencontré, disait-on, à Plaisance, et chéri d'une étrange affection. Inno- cent, — c'était son nom, de naissance inconnue et de réputation douteuse, n'avait, ce semble, d'autre mérite que de bien jouer avec un singe. Jules III l'avait imposé au Sacré- Collège, malgré la vive opposition du doyen, le cardinal Théatin, qui trouvait que c'était prostituer la dignité cardinalice que de la conférer à si vil personnage *. Depuis cette élection, des bruits fâcheux couraient à Rome sur le compte du pon- tife : Innocent passait pour un Ganymède, et les festins somp- tueux et les fêtes païennes que voyait la villa de la porte du Peuple, n'étaient pas pour les démentir *.

Notre poète était au courant de ces bruits ; il voyait par les rues ce jeune cardinal, aussi laid que vicieux, que le

pum, ad furcas omncs simul catenati latronuin more traherenlur, bisque sententiis de eorum siipplicio in corona militiim gravi et infesto concionis fremitii essct disputatum, e quo periculo quanquam tum omnes, coinmise- rante arljutaiiteque Poiiipeio Cardinale, incoluines evaserint, constat tamen eo facto, lihcrtatem alllicto Pontilîci fuisse maturatam. » Cf. Ciaco- nius. Historiae Pontificum Romanorum et SR.E. Cardinalium, Rome, 1677, t. III, col. 7't3, F. Ainsi s'explique le premier tercet du s. 105 des Regretu (édit. Liseux), que M. de Montaiglon n'avait pu édaircir.

' Pour le j)arti qu'ont tiré de ces fait les protestants, v. Bayle , art. Jules III. Mais les historiens catholiques ne se montrent pas moins sévères ide Thou, lib. VI, p. 215, et lil). XV, p. 517. t. I de l'édit. de Londres, 1733 ; Pallavicino, Hist. du conc. de Trente, XI, vu, 4, trad. franc., édit. Migne, t. II, p. 533-0.34 ; Raynaldus, Ann. Eccles., ann 1550, n" 50; Ciaconius, op. cit., t. m. col. 759 760).

- (). Panvinio : « Septua<^enarius fere senex, per totum Pontilicatum in- tempestive cominessando {sic) lascivicndoque, gravissimarum rerum nego- tiis, magno christianac Rcipub. malo, neglcctis, genio jucunde suaviterque induisit. » Cf. de Tiiou, lib. XV, j). 517. Les dépèches des ambassadeurs font allusion à la vie privée de Jules III (Ribier, II, 268 et 357).

I

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LA VIE m<: .lOACHIM A ROME

315

1*

peuple de Rome sui'uomiiiiut plaisaïuinoiil le cardinal Simia. Quoi d*étonnant que, dans un jour d'indignation contre des mœurs si dépravées, il ait décoché comme un trait vengeur le sonnet suivant ?

De voir mignon du Roy un courtisan honneste, Voir un pauvre cadet Tordre au col soustenir, Un petit compagnon aux estatz parvenir, Ce n'est chose (Morel) digne d'en faire feste.

Mais voir un estaflïer, un enfant, une beste, Un forfant, un poltron Cardinal devenir. Et pour avoir bien sceu un singe entretenir Un Ganymède avoir le rouge sur la teste :

S'estre veu par les mains dun soldat Espagnol Bien hault sur un eschelle avoir la corde au col Celuy, que par le nom de Sainct-Père Ion nomme :

Un bélistre en trois jours aux princes s'égaller, Et puis le voir de en trois jours dévaller ' : Ces miracles (Morel) ne se font point, qu'à Rome ^

Dans un autre sonnet \ il se permettait entre le pape et Jupiter un parallèle irrévérencieux, et qui nétait pas, tant s'en faut, à l'avantage du Jupiter terrestre.

Un tel pontife devait laisser peu de regrets. 11 mourut à 68 ans, le 23 mars i555. D'Avanson, arrivé récemment à Rome en qualité d'ambassadeur *, écrivait le 5 avril au connétable :

' .le ne saisis pas l'allusion de ces deux vers.

- Resrets, s. 10."), édit. Liseux. Je cite toujours les Regrets d'après celte édition, la plus complète de toutes. Sur ce point, v. Marty-Laveaux, Appen- dice de la Pléiade, II, 39i-399.

' Regrets, s. 106.

* M. Courbet (notice des Souspirs de Magny, p. xv) et M. Favre (thèse sur Magny, p. 53) placent vers la lin de 1553 la mission de d'Avanson en Italie. Cette date me semble arl)itraire. Il résulte de deux le'tres du cardinal d'Armagnac au Connétable, en date des 25 et 28 mars 1555 (édit. Tamizey de Larroque, p. 91, n. 1), que c'est à la lin de mars 1555 que d'Avanson rem- plaça comme ambassadeur Odet de Selve, qui lui-même avait remplacé Lansac (sept. 1554).

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314 JOACHIM DU BELLAY

mier légat du pape au concile de Trente (i545), il s'était montré fort adroit dans la direction des débats. Son rôle au concile l'avait désigné pour le Saint-Siège. Mais à peine cou- ronné de la tiare, il avait trompé toutes les espérances. Son premier acte avait surpris et fait scandale. 11 avait revêtu de la pourpre un jeune homme de dix-sept ans, rencontré, disait-on, à Plaisance, et chéri d'une étrange aftection. Inno- cent, — c'était son nom, de naissance inconnue et de réputation douteuse, n'avait, ce semble, d'autre mérite que de bien jouer avec un singe. Jules III l'avait imposé au Sacré- Collège, malgré la vive opposition du doyen, le cardinal Théatin, qui trouvait que c'était prostituer la dignité cardinalice que de la conférer à si vil personnage \ Depuis cette élection, des bruits fâcheux couraient à Rome sur le compte du pon- tife : Innocent passait pour un Ganymède, et les festins somp- tueux et les fêtes païennes que voyait la villa de la porte du Peuple, n'étaient pas pour les démentir ^

Notre poète était au courant de ces bruits ; il voyait par les rues ce jeune cardinal, aussi laid que vicieux, que le

pum, ad furcas omnes siiiiul catenati latronum more traherentur, bisque sentcntiis de eonim supftlicio in corona militiim gravi et infesto concionis fremitu e.ss»t (!isf)iitatiim, e quo jiericulo quanquam tuna oaines, coinmise- rante adjutanlcque Pompcio Cardinale, incoluines evascrinl, constat tamen eo facto, libcrtatem alllicto Pontilici fuisse maturatam. » Cf. Ciaco- nius. Historiae Pontificum Uomanornm et S. R. E. Cardinaliiim, Rome, 1677, t. III, col. 7'i3. F. Ainsi s'explique le premier tercet du s. 105 des Regretft (édit. Liseux), que M. de Montaiglon n'avait pu éclaircir.

' Pour le parti qu'ont tiré de ces fait les protestants, v. Bayle , art. Jules m. Mais les historiens catlioliques ne se montrent pas moins sévères ide TIm.u, lil). VI, p. 2i;>, et lib. XV, p. ol7. t. 1 de l'édit. de Londres, 1733 ; Fallavicino, Hist. du conc. de Trente, XI, vu, 4, trad. franc., édit. Migne, t. II, p. 533-iî3i ; Uaynaldus, Ann. Eecles., ann loaO, 50; Ciaconius. op. cit., t. III. col. 7.-)9 7(iO).

- (). Panvinio : » Septuaj^enarius fcre scnex, per totum Pontiiicatum in- tempestive commessando {sic) lasciviendoque, gravissimarum rerum nego- tiis, magno cliristianae Reipub. malo, neglectis, genio jucunde suaviterque induisit. » Cf. de Tliou, lib. XV, p. 517. Les dépèches des ambassadeurs font allusion à la vie privée de Jules III (Ribier, II, 268 et 337).

LA VIE DK JOACHIM A ROME 315

peuple de Rome sui-noiinnait plaistuimicut le cardinal Simia. Quoi d'étonnant que, dans un jour d'indignation contre des mœurs si dépravées, il ait décoché comme un trait vengeur le sonnet suivant ?

De voir mignon du Boy un courtisan honneste, Voir un pauvre cadet l'ordre au col soustenir, Un petit compagnon aux estatz parvenir. Ce n'est chose (Morel) digne d'en faire feste.

Mais voir un estafTier, un enfant, une beste, Un forfant, un poltron Cardinal devenir. Et pour avoir bien sceu un singe entretenir Un Ganymède avoir le rouge sur la teste :

S'estre veu par les mains d'un soldat Espagnol Bien hault sur un eschelle avoir la corde au col Celuy, que par le nom de Sainct-Père Ion nomme :

Un bélistre en trois jours aux princes s'égaller, Et puis le voir de en trois jours dévaller ' : Ces miracles (Morel) ne se font point, qu'à Rome '.

Dans un autre sonnet \ il se permettait entre le pape et Jupiter un parallèle irrévérencieux, et qui n'était pas, tant s'en faut, à l'avantage du Jupiter terrestre.

Un tel pontife devait laisser peu de regrets. 11 mourut à 68 ans, le 23 mars i555. D'Avanson, arrivé récemment à Rome en qualité d'ambassadeur *, écrivait le 5 avril au connétable ;

' .le ne saisis pas l'allusion de ces deux vers.

- Resrets, s. 10.i, édit. Liseux. Je cile toujours les Regrets d'après celte édition, la plus complète de toutes. Sur ce point, v. Marty-Laveaux. Appen- dice de la Pléiade, II, 394-399.

^ Regrets, s. 106.

* M. Courbet (notice des Soiispirs de Magny, p. xv) et M. Favre (thèse sur Magny, p. .53) placent vers la lin de loo3 la mission de d'Avanson en Italie. Cette date me semble arbitraire. Il résulte de deux le'lres du cardinal d'Armagnac au Connétable, en date des 25 et 28 mars 1335 (édit. Tamizey de Larroque, p. 91, n. 1), que c'est à la lin de mars 1.555 que d'Avanson rem- plaça comme ambassadeur Odet de Selve, qui lui-même avait remplacé Lansac (sept. 1554).

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.lOACHIM DU BELLAY

« Monseig:neur, vous aurez entendu la mort du Pape, qui a esté pleuré par ce peuple, tout ainsi qu'il est accoustumé de faire à Garesine-prenant '. » 11 avait fini singulièrement. Comme il était perclus de goutte, ses médecins lui prescri- virent un régime d'abstinence, dont il mourut "'. Du Bellay, habile à manier l'ironie, lit, en vers latins et français ^ une épitaphe satirique à ce pape trop friand de légumes *.

III

La mort de Jules 111 ouvrait le champ à toutes les intrigues. Sa succession était vacante, et, comme toujours, Impériaux et Français, luttant dinlluence, manœuvraient à Tenvi pour y faire nommer un pape qui lût dans leurs intérêts. Dès le mois d'avril i554, Henri II, en prévision de l'avenir, avait donné ses instructions au cardinal d'Armagnac, qui s'en allait à Rome '". Selon toute apparence, il les avait renouvelées à d'Avanson, qu'il avait dépêché vers le Tibre, en apprenant la maladie de Jules III ". Le conclave était déjà clos qu'il les renouvelait encore à Lansac, dans une lettre du 9 avril i555 '. Il aurait voulu voir élire son cousin le cardinal de Ferrarc.

' Ril)ier, 11,004.

- (). Panvinio : « .lulius medicoruni consilio, temere mulata victus ralione, febrc correptus, e vita excessit. » Cf. Ciaconius, t. III, col. 746, G.

' Poernata, f" 47 r% et liegrets, s. 104. Le sonnet n'est qu'une traduction de réj)iiïraMiiue latine.

' On rapprochera des sonnets de du lîiUay sur Jules III une pièce de Magny, Sur la Mort de 1. P. T. [lulius Papa Tertius], Odes, édit. Courbet, 1876, t. I, p 138.

Ribier, II, ol7.

'' Joachiin a célébré l'arrivée de d'Avanson dans une pièce latine : Ad laniirn Avansonium apnd siiinmam. Font, oratorem Regiiim, Tyberis (Poe- rnata, {" 6 r").

" Ribier, II, W.i. Lansac venait de recouvrer la liberté. De la sorte, Henri II eut à Rome deux ambassadeurs au lieu d'un.

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LA VIE DE .lOACHIM A ROME

;m7

A son défaut, si les cui'iliiiaux de 'roui'iioii, du Ucllay, d'Ar- niagnac, n'avaient pas plus de chances et qu'il l'allùt se replier sur un candidat étranger, il souhaitait l'élection ou du cardinal anglais Pôle ou du cardinal-doyen Théatin. Un pareil plan, pour réussir, exigeait de la i)arl des cardinaux français un accord (pii n'exislait pas : « Jusques icy, mandait le 5 avril d'Avanson au comiélable, je ne voy point plus d'union entre les nostres qu'il s'en est veu par le passé : sur quoy je vous laisse à penser quel fruict en doit advenir à l'honneur, içloirc et bien du service du Uoy '. »

Le conclave dura seulenienl ([uatre jours. Co fut assez pour que Joachiui c[ui, vraisemblablement, accompagnait son cardinal en cpialitc de conclaviste, fût édilié sui- ce ([ui s'y passait. Il était aux premières loges pour en faire la descrip- tion. Dans l'espace d'un sonnet, on a, dit Sainte-Heuve, « la réalité mouvante du spectacle, la brigue à huis clos, les bruits du dehors, les fausses nouvelles, les [)ai'is engagés pour et contre " )) :

Il fait bon voir (Paschal) un conclave serré. Et l'une chambre à l'autre également voisine D'antichambre servir, de salle, et de cuisine, En un petit recoing de dix pieds en carré :

Il fait bon voir autour le palais emmuré, Et briguer dedans ceste troppe divine, L'un par ambition, l'autre par bonne mine, Et par despit de l'un, estre l'autre adoré :

H fait bon voir dehors toute la ville en armes, Crier, le Pape est fait, donner de faulx alarmes, Siaccager un palais : mais plus que tout cela

1 llil>ii>r. II, ()0i.

- Nouveaux Lundis, XI!I, '.VAH.

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316 JOACHIM DU BELLAY

(( Monseigneur, vous aurez entendu la mort du Pape, qui a esté pleuré par ce peuple, tout ainsi qu'il est accoustumé de faire à Garesine-prenant '. » 11 avait fini singulièrement. Comme il était perclus de goutte, ses médecins lui prescri- virent un l'égime d'abstinence, dont il mourut ■. Du Bellay, habile à manier l'ironie, lit, en vers latins et français ^ une épitaphe satirique à ce pape trop friand de légumes *.

III

La mort de Jules III ouvrait le champ à toutes les intrigues. Sa succession était vacante, et, comme toujours, Impériaux et Français, luttant d'inlluence, manœuvraient à l'envi pour y faire nommer un pape qui fût dans leurs intérêts. Dès le mois d'avril ir)54. Henri II, en prévision de l'avenir, avait donné ses instructions au cardinal d'Armagnac, qui s'en allait à Rome '. Selon toute apparence, il les avait renouvelées à d'Avanson, qu'il avait dépêché vers le Tibre, en apprenant la maladie de Jules III ^ Le conclave était déjà clos qu'il les renouvelait encore à Lansac, dans une lettre du 9 avril i555 '. Il aurait voulu voir élire son cousin le cardinal de Ferrare.

' RibicT, II, oui.

- O. Panvinio : « .lulius mcdicorum consilio, temere mutata victus ratione, febre correptus, e vita excessit. » Cf. Giaconius,l. III, col. 746, C.

^ Poeniata, f" 47 r , t-l liegreLs, s. 104. Le sonnet n'est qu'une traduction de l'épigrannue latine.

' On rapprochera des sonnets de du Bellay sur Jules III une pièce de Majïny, Sur la Mort de I. P. T. |Iulius Papa Tertius], Odes, édit. Courbet, 1876, t. I, p 138.

•' Ribier, II, ol7.

" Joaciiiin a célébré l'arrivée de d'Avanson dans une pièce latine : Ad lanurn Avansoniuni ajnid summum Pont, oratorcni Regiuin, Tyberis (Poe- mata, f" 6 r").

" Rii)ier, II, (JO'i. Lansac venait de recouvrer la liberté. De la sorte, Henri II cul à Home deux ambassadeurs au lieu d'un.

LA VIE DE JOACHIM A ROME 317

A son défaut, si les cardinaux de Tournon, du Bellay, d'Ar- magnac, n'avaient pas plus de chances et qu'il fallût se replier sur un candidat étranger, il souhaitait l'élection ou du cardinal anglais Pôle ou du cardinal-doyen Théatin. Un pareil plan, pour réussir, exigeait de la pari des cardinaux français un accord qui n'existait pas : (( Jusques icy, mandait le 5 avril d'Avanson au connétable, je ne voy point plus d'union entre les nostres qu'il s'en est veu par le passé : sur quoy je vous laisse à penser quel fruict en doit advenir à l'honneur, gloire et bien du service du Hoy '. »

Le conclave dura seulement quatre jours. Ce fut assez pour que Joachini qui, vraisemblablement, accompagnait son cardinal en qualité de conclaviste, fût édifié sur ce qui s'y passait. Il était aux premières loges pour en faire la descrip- tion. Dans l'espace d'un sonnet, on a, dit Sainte-Beuve, « la réalité mouvante du spectacle, la brigue à huis clos, les bruits du dehors, les fausses nouvelles, les paris engagés pour et contre '^ )) :

Il fait bon voir (Paschal) un conclave serré. Et l'une chambre à l'autre également voisine D'antichambre servir, de salle, et de cuisine, En un petit recoing de dix pieds en carré :

Il fait bon voir autour le palais emmuré, Et briguer dedans ceste troppe divine, L'un par ambition, l'autre par bonne mine. Et par despit de l'un, estre l'autre adoré :

Il fait bon voir dehors toute la ville en armes, Crier, le Pape est fait, donner de faulx alarmes. Saccager un palais : mais plus que tout cela

' Ribier. II, 604.

- Nouveaux Lundis, XIII. 338.

318 JOACHIM DU BELLAY

Fait bon voir, qui de l'un, qui de l'autre se vante, Qui met pour cestui-cy, qui met pour cestui-là. Et pour moins d'un escu dix Cardinaux en vente '.

Le 9 avril, le cardinal de Sainte-Croix fut élu : il pi"it le nom de Marcel 11. C ctait un digne et saint prélat, dont le caractère était à la hauteur de l'intelligence *. Savant modeste, aimant les livres au point de laisser à sa mort 200 manuscrits grecs et ^00 manuscrits latins ', il joignait aux dons de l'esprit une rare sévérité de mœurs, un grand amour des pauvres, un zèle exemplaire pour la religion '. « il va plusieurs siècles, écrivait le cardinal du Bellay, que pape ne lut assis en ce siège, qui donnât meilleure odeur de son fait ■'. » Le jour même de son couronnement, le i)ontife manda près de lui l'ambassadeur de l'empereur ainsi que d'Avanson, et leur manifesta le désir qu'il avait de mettre en paix leurs souverains, en leur disant « qu'il estoit délibéré de s'y employer de toute sa puissance, et d'y faire ollice de vray Père commun, sans incliner à dextre. ny à senestre ''. » Mais surtout, il avait à cœur de réformer l'Église et de la ramener à la pureté primitive : « J ay esté ce jourd'huy, dit encore d'Avanson, adverty par un de ses plus familiers qu'il veut

' Regrets, s. ISI. Le meilleur commentaire de ce sonnet, c'est, dans les dépêches des aml)assadeurs, le récit des conclaves qui élurent Jules III, Marcel II, Paul IV et Pie IV. (Ribier, II, 232,604, 609, 832).

* Sur Marcel II, v. sa vie par O. Panvinio ; Raynaldus, Ann. Ecoles., ann. io35, 13 sqq. ; Ciaconius, op. cit., t. III, col. 801 sqq.

' P. de Nolhac, La bibliothèque de Fulvio Orsini, p. 248. Paris, Vieweg, 1887, in-8».

* De Tliou, cité par Raynaldus : « Vir rara eruditione, prudentia, sancti- tate vitae antiquis comparandus, et sub quo certa spes emendandae Eccie- siae affulscrat : relulj^ebat enim morum integritate, ita ut ipsius vita om- nium censura habcri possit. »

■' M" de la Jonquière, p. 43.

* D'Avanson au Roi, 13 avril io'60. llibier, II, G06.

LA VIE DE JOACHIM A HUME .'i 1 9

mettre bien tost en avant de grandes retormations sur l'Estat Ecclésiastique. La pluspart des gens espèrent qu'il fera quelque grand fruit : Dieu veuille par sa grâce qu'il soit ainsi '. »

11 n'en eut pas le temps. Le ly avril, il londjait malade. Monluc, le héros de Sienne, qu'il reçut le 29 en grand honneur, le trouva <( sur une chaire, près son lict, si mal qu'à peine pouvoit-il guières parler )). En sortant, il dit aux cardinaux qu'il rencontra chez d'Avanson « qu'ilz pouvoinct bien rentrer au conclave pour fere ung autre pape, car estuy-là ne seroit pas en vie lendemain au soir » ■. Marcel II mourut en etfet dans la nuit du 3o avril au i" mai, après 21 jours de pontiticat '. Il n'avait que 55 ans. Il laissa des regrets unanimes \ On le pleura comme un autre Marcellus. S'inspirant de ces sentiments, Joachini lui consacra cinq épi- grammes latines % dont la première est un éloge ému de ses vertus morales ; la cinquième est devenue le s. 109 des Regrets :

Gomme un, qui veult curer quelque Cloaque immunde, S'il n'a le nez armé d'une contresenteur, Estoufl'é bien souvent de la grand" puanteur Demeure ensevely dans l'ordure profonde :

Ainsi le bon Marcel ayant levé la bonde, Pour laisser escouler la fangeuse espesseur Des vices entassez, dont son prédécesseur Avoit six ans devant empoisonné le monde :

1 Ribier, II, 606.

- Liv. III des Commentaires, édit. A. de Ruble, t. II, p. 124-125.

' D'Avanson au Roi, 22 avril et 4 mai (Ribier, II, 6Q7 et 609). Le card. d'Armagnac au Connétable, 30 avril (Tamizey de Larroque, p. 70).

* O. Panvinio : « Luxerunt mortuum onines sine discrimine, inprimis virtutis et literarum studiosi. »

^ Poemata, i"^ il r*-48 r».

320 JOACHIM DU BELLAY

Se trouvant le pauvret de telle odeur surpris, Tomba mort au milieu de son œuvre entrepris, Xayant pas à demy ceste ordure purgée.

Mais quiconques rendra tel ouvrage parfait.

Se pourra bien vanter d'avoir beaucoup plus fait,

Que celuy (jui purgea les estables d'Augée.

IV

Pour la seconde fois, Joachim suivit son maître au con- clave. 11 j)ut voir de nouveau la série des intrigues engagées autour de la tiare par les deux puissances rivales, et qui se dénouèrent le 23 mai i555 jjar lélection de Garalfa, cardinal Théatin, sous le nom de Paul IV.

En cette circonstance, le cardinal du Bellay fut soupçonné d'avoir plus travaillé pour lui que pour le candidat du roi, le cardinal de Ferrare. DAvanson l'accuse nettement dans une lettre au connétable : (( Monseigneur, c'est chose asseurée que les Cardinaux de Ferrare, Farnése et du Bellay preten- doient tous trois au Papat, et qu'il n'y a aucune amitié entr'eux, chacun pratiquant pour soy les Cardinaux qu'il con- noist luy estre plus favorables '. » J.e fait est quil obtint lui-même un certain nombre de suffrages ; mais, s'il ne les rechercha pas, comme il s'en défendit auprès du roi en pro- testant de ses loyaux services ", il est permis de croire qu'il appuya volontiers une cleclion, qui laissait libre désormais le poste envié du décanat. En tout cas, le Théatin, à peine élu, lançait une bulle en vertu de laquelle le doyen serait toujours à l'avenir le plus ancien des cardinaux-évêques rési-

' D'Avanson au Gonnitable, 25 mai 1355. Ribier, II, 612. ^ M de la Jonquière, p. 43.

LA VIE DK JOACHIM A HOME 321

dant à Borne, et du Bellay lui succédait comme évêque d'Ostie et comme doyen du Sacré-Collège. Cet acte, qui dépouillait le vieux cardinal de Toui'non d'un privilège qui lui revenait, irrita contre du Bellay Henri II et la Cour de France, et j)répara sa prochaine disgrâce '. Pourtant, comme doyen, du Bellay pouvait i-endre encore de très précieux services. C'est ce qu'indiquait d'Avanson, dans une lettre au roi : (( Monseigneur du Bellay tient aujourd'huy le premier lieu après le pape, et puisqu'il est doyen et evesque d'Ostie et ayant la bonne volonté qu'il a à votre service, il pourra tous les jours ])eaucoup tant au consistoire qu'en tous autres lieux de congrégations : qui me l'ait espérer que ayant ung pape de bonne volonté à Votre Majesté et ung doyen votre naturel subject, du sçavoir et expérience de Monseigneur le Cardinal du Bellay, on ne peult attendre que bonne yssue des affaires que Votre Majesté aura en cour de Homme \ » Mais Henri II était devenu très défiant à l'égard du nou- veau doyen. Le cardinal avait d'ailleurs, tant à Bome qu'en France, de puissants ennemis qui travaillaient à le miner. S'il avait l'amitié de Paul IV ', il avait contre lui le neveu même du pape, le cardinal Carlo Caraffa. Ce dernier, à l'instigation du cardinal de Lorraine, prenait prétexte de sa liaison avec Carpi, un cardinal impérialiste, pour le rendre suspect au roi. Fondée ou non, l'insinuation eut plein succès : à partir de septembre i555, du Bellay n'eut plus part aux secrets politiques. Il eut beau réclamer : on lui laissa de parti pris ignorer toutes les affaires. C'était la complète disgrâce \

' M" de la Jonquière, p. 44-46.

^ D'Avanson au Roi, 24 mai loao. La lettre n'est pas dans Ribier. Elle est citée par Favre, thèse sur Magny, p. 437-438.

^ « Monseigneur le Cardinal du Bellay, qui est, à ce qu'on dit, des favoris du Pape ». écrit l'évêque de Lodéve au Roi (Sjanv. 1537). Ribier. II, 674.

* De Thou, lib. XVI : « Bellaium Gallici nominis studiosissimum summo

Univ. de Lille. To.me Vlll. A. il.

322 JOACHIM DU BELLAY

Joachim ne vit pas sans un serrement de cœur cette fin lamentable d'une carrière si glorieuse. Osait-il bien se plaindre, lui si humble et chétif, de la l'ortune adverse, lorsqu'elle se montrait si cruelle à son maître ? Il traduisit ses sentiments avec une émotion sincère dans le sonnet qui suit :

Si après quarante ans de fidèle service. Que celuy que je sers a fait en divers lieux, Emploiant, libéral, tout son plus et son mieux Aux affaires qui sont de plus digne exercice,

D'un hayneux estranger l'envieuse malice Exerce contre luy son courage odieux, Et sans avoir souci des hommes ny des dieux, Oppose à la vertu l'ignorance et le vice ' :

Me doy-je torm enter, moy qui suis moins que rien, Si par quelqu'un (peult estre) envieux de mon bien, Je ne trouve à mon gré la faveur opportune ?

Je me console donc, et en pareille mer,

Voyant mon cher Seigneur au danger d'abysmer,

11 me plaist de courir une mesme fortune ^

Depuis son arrivée à Home, c'était le troisième pape que Joachim voyait s'asseoir sur le trône de Saint-Pierre. Paul IV était un vieillard de 79 ans, rigide, austère, ardent, passionné,

odioj^prosequebalur cardinalis Lolharingus ; eoque insligante, cardinalis Carafa illum, quod arcta cuni Carpensi familiaritate viveret, apud regem Iraduxerat, ae suspeclum po&tremo rcddideral ; adeo ut regii procuratores ipsius opéra non amplius uterenlur, et omnia régis ncgotia Romae clam eo peragerenlur. » Edil. de Londres, 1733, t. I^ p. 543.

' Ce (( hayneux estranger », c'est évideniinent le cardinal Carlo Garall'a. Joachim dira plus tard, dans une lettre au cardinal: « Ce qui m'a faict ainsj' touclier les Carralles en quelque endroict [Regrets, s. 1U3, 111, 113] a esté l'indignité de quoy ils usoient en vostre endroict, dont je ne pouvois quel- quefois ne me passionner et en deschargeois ma cholère sur le papier. » Lettres, édit. P. de Nolhac, p. vJO.

- Regrets, s. 4'J.

LA VIK DE JOACHIM A ROME 323

colérique ', ([ui ne vivait ([ue pour deux choses : la réforme de rÉglise et la haine de l'Espagne.

Fondateur de l'ordre des Théatins, restaurateur du Saint- Ollice, il voulait rétablir dans l'I^^glise luie discipline inllexible. (( Nous promettons, déclarait-il dans sa bulle d'avènement, et nous faisons serment de mettre un soin scrupuleux à ce que la réforme de l'Eglise universelle et de la Cour de Rome soit exécutée. » Dès le premier jour il se mit à l'œuvre, insti- tuant à cet effet une vaste congrégation de cardinaux et de docteurs. Le 12G juillet i555, le cardinal du Bellay parlait ainsi au connétable des g'rands projets du nouveau pape : «... Sadite Sainteté fait de grands préparatifs pour remetre icy la forme de cette Eglise, et les dépendances d'icelle, en tel estât qu'elle puisse par bon exemple inviter toute la Ghres- tienté à bien faire, et si elle vit, ainsi qu'il y a apparence qu'elle fera, j'espère que son entreprise luy réussira : elle m'y fait déjà prendre un peu d'exercice, et semble qu'elle veuille faire comme ceux qui donnent la clef du vin aux plus yvrognes : aussi nous fait elle commencer de mettre la main à la reformation de l'universelle Eglise ^ »

Notre poète, témoin de ces premiers efforts, y trouva l'oc- casion d'une ode Sur le papat de Paille II II (11, 74)- ^^ débutait pompeusement par une triple comparaison, qui se déroulait en six strophes : connue après l'orage vient la bonace,... comme après la guerre vient la paix,... comme après l'hiver vient le printemps,... ainsi la sainte nef romaine, longtemps ballottée sur les flots contraires, se voit enfin hors de péril, guidée qu'elle est par un nocher prudent et ferme. Il en rendait grâces à Dieu :

1 George Diiruy, Le Cardinal Carlo Carafa ( i5ig-i56i). Étude sur Le pontificat de Paul IV. Thèse. Paris, Hachette, 1882, in-8». P. 18, n. 1; p. 22, n. 1 ; p. I80, n. 3.

- Ribier, II, 613. Cf. la vie de Paul IV par O. Panvinio, et surtout liaynal- dus, Ann. Eccles., ann. l.iaij, n'^ 22. et 23. Haynaldus cile les Acta Consis- torialia des 29 mai, o juin et 17 juill. 1533.

324 JOACHIM DU BELLAY

Grâces à toy, souverain Sire, Moteur du Ciel, fidèle espoux De ton espouse, éternel Père, Père bénin, paix, et lumière, Et guyde universel de tous,

Qui nous as donné de ta grâce Un sainct Pilote qui embrasse La Vérité : et qui. Seigneur, Jaloux de ta gloire et honneur, Entend tes secrets, et luyt comme Une claire lampe dans Ronnne, Et soubs l'heureux gouvernement Duquel, et sa bonté notoire, Le Monde chantera la gloire De ton Nom, éternellement.

Gestuy par exemple et doctrine

Remplira d'une Amour divine

Les chastes et nobles espi'its,

Et vainqueur ravira le prix

Aux ennemis de ton sainct Temple,

Demonstrant d'un égal exemple

Sa justice et dévotion,

Qui autre chose ne désire,

Que chasser loing de son empire

L'erreur, et la sedicion,

Que semé la bande hérétique Parmy le troppeau Catholique, Et sera ce divin Pasteur De réduire premier autheur Nos cœurs à la vraye lumière, Et à la saincte loy première Que nous a donné Jésus Christ. Et puis fera d'un cœur sans vice Un pur et dévot Sacrifice De luy et nous au Sainct Esprit.

LA VIE DK JOACniM A ROME 325

Les projets relig^ieux de Paul IV étaient fortement contra- riés par SCS ambitions politiques : en lui, le prince tempo- rel faisait tort au chef spirituel. Appartenant à une famille napolitaine de la vieille faction française, il avait été nourri dans l'horreur des tyrans espagnols. Il avait contre Gharles- Quint un ressentiment implacable. « II' détestait en lui : comme ancien sujet, le souverain auquel il reprochait des injustices envers sa personne et envers sa maison ; comme pape, l'em- pereur qui avait souffert le sac de Rome et laissé s'étendre le protestantisme en Allemagne ; comme Italien, le dominateur étranger dont le joug pesait sur sa patrie'. )) Il était ardem- ment secondé dans sa haine par son neveu, Carlo CarafTa, un ancien condottiere dont il avait fait un cardinal. Avec l'aide de ce ministre, il rêvait de reprendre et de mener à bien l'antique projet de Jules II, d'affranchir l'Italie, de l'arra- cher aux Espagnols, et provisoirement de s'appuyer pour réussir sur les Français.

L'histoire de cette ambition et de son lamentable échec n'est plus à faire depuis la belle étude de M. George Duruy. Je n'en redirai point les phases II me suflîra d'indiquer, parmi les faits saillants de ce pontificat, ceux dont on retrouve l'écho dans les œuvres de Joachim.

Le i5 décembre i555, les cardinaux de Lorraine et de Tournon, représentants du roi de France, signèrent à Saint- Pierre avec le pape un traité d'alliance offensive et défensive, qu'avait préparé d'Avanson par la convention du i4 octobre. Deux mois plus tard, un beau matin, le i5 février i556, le bruit se répandait à Rome qu'Henri II venait de conclure avec l'empereur, à Vaucelles, une trêve de cinq ans -. C'était

' Mignet, Charles-Quint, son abdication, son séjour et sa mort au mo- nastère de Yuste. Paris, Didier, 3' édit., 1857, p. 81.

- George Duruy, De pactis anno i556 apud Valcellasindutiis. Thèse. Paris, Hachette, 1883, in-8".

326 JOACHIM I)L' BELLW

un (ouj) (U- loiulre pour les Caralla, dont cette trêve inatten- due ruinait brusquement toutes les espérances. Du Bellay vit de près la stupeur causée par cette nouvelle. Le pape se plaignait d'avoir été trahi ; son entourage, ces bannis de Florence et de Xaples qui s'étaient réfugiés près de lui, com- posant sa cour habituelle, accusaient hautement Henri II de fouler aux pieds ses vrais intérêts et de faire preuve, en la circonstance, d'une coupable légèreté, pendant que les Impériaux jouissaient de cette déconvenue et parlaient de la trêve comme d'un triomphe de leur politique. Le poète, amusé, recueillait les propos qui couraient par la ville. Les deux sonnets suivants ont la valeur d'un l'eportage :

Nous ne sommes faschez que la trefve se face : ('ar bien que nous soyons de la France bien loing, Si est chascun de nous à soy-mesmes tesmoing, Combien la France doit de la guerre estre lasse.

JNIais nous sommes faschez que l'Espagnole audace. Qui plus que le François de repoz a besoing. Se vante avoir la guerre et la paix en son poing, Et que de respirer nous luy donnons espace.

Il nous fasche d'ouir noz pauvres alliez

Se plaindre à tous propoz ([u'on les ait oubliez,

Et qu'on donne au privé l'utilité commune.

Mais ce qui plus nous fasche, est que les estrangers Disent plus que jamais, que nous sommes légers. Et que nous ne sçavons cognoistre la Fortune :

Le Roy (disent icy ces baniz de Florence) Du sceptre d'Italie est frustré désormais, Et son heureuse main cet heur n'aura jamais De l'éprendre aux cheveux la fortune de France.

LA vu: IIK JOACHIM A ItO.MIÎ 327

Le Pape mal conlonl n'aura plus do liaucc En tous ces beaux desseings trop légèrement faictz, Et l'exemple Sienois l'endra par ceste paix Suspecte aux estrangers la Françoise alliance.

L'Empereur alïbibly ses forces reprendra, L'Empire héi'édilaire à ce coup il rendra, Et paisible à ce coup il rendra l'Angleterre.

Voilà que disent ceulx, qui discourent du Roy : Que leur respondrons-nous ? Vineus, mande le moy, ïoy, qui sçais discourir et de paix et de guerre '.

Personnellement , le poète ne pouvait qu'applaudir à la trêve de Vaucelles. Depuis qu'Henri II était sur le trône, la guerre n'avait pas cessé. Si glorieuse que fût la lutte, elle était épuisante, et la France en souffrait. Cette pensée patriotique inspira le Discours au Roy sur la trefve de Van M.D.LV (I, 3o2). Du Bellay s'y montre éloquent, et les beaux vers n'y manquent pas. Il loue le roi de sa sagesse : Vous pouviez, lui dit-il, poursuivre vos exploits ; vous avez préféré le bien public à des victoires :

Celuy vrayement, celuy est doublement vainqueur,

Vainqueur de son hayneux, et de son propre cueur,

Qui peult durant le cours de sa bonne fortune

Suyvre de la vertu la trace non commune.

Fascheuse de nature est toute adversité,

Mais trop plus dangereuse est la félicité.

Le cheval furieux, aiant le mords pour guide,

Tousjours en sa fureur ne desdaigne la bride :

Le navire agité des vents impétueux

Ne succumbe tousjours aux flots tempestueux :

Et le cours du torrent tombant de la montaigne

' Regrets, s. 12'5 et 124. V. encore les s. 125 et 126. et cf. le s. 125 des Souspirs de Magny.

328 JOACHIM DU BELLAY

S'allente quelquefois au plain de la campaigne. Mais veoir un jeune Roy heureusement vaillant, Contre un autre grand Roy pour rhonneu.r bataillant, Refréner sa fureur. Sire, c'est une chose, Qui d'un moindre que vous au pouvoir n'est enclose.

La gloire militaire est commune à beaucoup et dépend de bien des conditions : la valeur des soldats, les circonstances de temps et de lieu, les vivres, les armes, l'argent, et surtout le hasard, fréquemment en décident. Mais il ne dépend que de nous d'obtenir cette gloire que donne la bonté :

Donques autant de fois qu'en noz vers ou histoires

Noz nepveux reliront voz heureuses victoires,

Hz s'esmerveilleront. et de quelle vertu.

Et de quel heur encor' vous aurez combattu

Contre un tel ennemy. Mais autant de fois, Sire,

Que voz sujets viendront, je ne dis pas à lire,

Mais sentir la pitié dont vous avez usé.

Sans avoir, inhumain, de leur sang abusé.

Hz vous adoreront, et en chasque province

Serez tenu pour Dieu, et non pas pour un prince.

On vous tiendra pour Dieu, car qu'elle chose aux Dieux

Approche de plus près, qu'un Roy victorieux.

Un Roy sage, constant, fort, magnanime, et juste

Plus humain que Trajan, et plus heureux qu'Auguste ?

C'est vraiment le fait d'un roi très chrétien de se dompter ainsi lui-même :

Vous pouviez regaigner, voire en bien peu de temps, Ce que vostre ennemy depuis vingt ou trente ans Usurpe dessus vous : mais vostre bonté, Sire, Qui plus au bien public, qu'à sa grandeur aspire, Pour laisser reposer de leurs travaux passez Voz peuples et voisins de la guerre lassez,

LA VIIl DK .lOACHlM A KOMli ''M\)

Est venue arracher au milieu des alarmes,

Des mains de voz soldais, la fureur et les armes.

Car vous n'avez plustost apperceu l'Empereur

Incliner à la Paix, que soudain la fureur

S'est esteinte dans vous au plus fort de l'allaire :

Et content d'avoir peu domter vostre adversaire,

Avez domté vous mesme : et pour le commun bien

Vous estes souvenu d'estre Roy Treschrestien.

S'inspirant de l'idée chrétienne ', le poète insinuait qu'il serait glorieux pour le roi de rassembler sous sa bannière, pour aller attaquer l'Orient, toutes les forces de l'Europe.

Il s'agissait bien d'une croisade ! Pendant que Joachim écrivait son Discours, le neveu de Paul lY travaillait en France à la rupture de la trêve de Vaucelles et jetait les bases d'un nouveau traité d'alliance offensive et défensive entre Henri II et le Saint-Siège. Une partie de i556 se passa en préparatifs. A Rome, on était dans l'attente ; on vivait au milieu de cette fièvre inquiète qui précède les grands événe- ments : les moindres nouvelles faisaient sensation. Tout d'abord, un fait capital eut un long retentissement, l'abdica- tion de Gharles-Quint. Le vieux monarque, fatigué du pouvoir et las de la grandeur, allait s'enfermer au cloître de Yuste. C'était un étrange contraste, de voir cet empereur, vieilli sur les champs de bataille, qui se faisait ermite, à l'heure même le pontife octogénaire, vieilli dans la paix de l'Eglise, son- geait à se faire guerrier. Frappé de ce contraste, Joachim y vit le sujet d'un piquant parallèle :

Je n'ay jamais pensé que ceste voulte ronde Couvrist rien de constant : mais je veulx désormais,

' Cette conception chrétienne de la paix se retrouve dans Ronsard (Rlan- cliemain, III, 344-345 ; VI, 209-215 et 216-224) et dans Baïf (Marty-Laveaux, II, 223-229).

330 JOACHIM DU BELLAY

Je veulx (mon chor Morcl) croire plus que jamais, Que dessous ce grand Tout rien ferme ne se fonde.

Puisque celuy qui fut de la terre et de l'onde Le tonnerre et l'effroy, las de porter le faiz, Veult d'un cloistre borner la grandeur de ses faicts. Et pour servir à Dieu abandonner le monde.

Mais quoy ? que dirons-nous de cet autre vieillard, Lequel ayant passé son aage plus gaillard Au service de Dieu, ores César imite ?

Je ne sçay qui des deux est le moins abusé :

Mais je pense (Morel) qu'il est fort mal aisé.

Que l'un soit bon guerrier, ny l'autre bon hermite '.

Bientôt, on apprit que le duc de Parme, Octave Farnèse, notre ancien allié, passait à la cause espagnole, moyennant la restitution de Plaisance ^ C'était un fâcheux contretemps : car on comptait sur lui pour tenir en échec le duc de Florence, toujours hostile. C'était aussi un bel exemple d'in- gratitude : les Farnèse devaient tout à la France. Du Bellay donna libre cours à son indignation dans une pièce intitulée Les Furies contre les infracteurs de foy (I, 3i6). monologue déclamatoire l'ombre de Pierre-Louis Farnèse est censée parler, et, flétrissant la conduite de ses fils, répand sur eux ses malédictions '.

' liegrcts, s. 111. Le s. 110, tr.Tduction en vers rapportés d'une épi- wranime latine {Poemata, f" 24 r»), oppose le belliqueux Paul IV au pacifique Jules m. Du lîellaj' fait parler Cliarles Quint lui-même dans Les tragi- ques regrets de Clinrla V empereur (11, li't). 11 n'est \m\s prouvé que dans ce poème, d'ailleurs très médiocre, il ait voulu refaire vine pièce de Grévin sur le même sujet, ainsi que l'avance M. Pinvert, thèse sur Grévin, p. 205.

- Ribier, H. 6'»G-647 et 6;i6-6.^!^'.

^ Antérieurement, du Bellay avait célébré (II. 149 et lo5) la mort d'Horace Farnèse, duc de Castro, frère d'Octave, qui venait d'épouser Diane d'An- goulème, lille légitimée d'Henri II, et qui s'était fait tuer quelque temps après au siège d'Hcsdin (18 juill. 1533).

LA VIK l>K JOACHIM A ROME 331

Euiin, le j scpteiubri' i55G, le tardiiial Caralla, retour de France, rentrait de nuit à Rome : il amenait avec lui Mou- lue, Strozzi, Lansac, plus de 2000 liouinies, et rapportait en outre 35o.ooo écus et la promesse formelle d'Henri II (juune armée française allait descendre en Italie sous les ordres du duc de Guise '. II était temps : dès le i^r septembre, le duc d'Albe, lieutenant-général de Philippe II dans la péninsule et vice-roi de Naples, franchissant la frontière du territoire ecclésiastique, avait entamé les hostilités. Il s'avançait à marches forcées, prenant d'assaut les villes et les bourgs. Dans l'espace de quelques jours, toute la campagne de Rome était tombée en son pouvoir.

Alors, ce fut à Rome, plusieurs mois durant, un spectacle inaccoutumé. L'état de guerre avait changé du tout au tout la cité voluptueuse, jadis florissaient les plaisirs et les fêtes. La navrante métamorphose ! Du Bellay l'écrivait à son ami Dagaut :

Nous autres malheureux suivons la court Romaine, Où, comme de ton temps, nous n'oyons plus parler De rire, de saulter, de danser, et baller. Mais de sang, et de feu, et de guerre inhunjaine ■.

On ne rencontrait dans les rues que des soldats en armes ' : on n'entendait que le son des trompettes, et le bruit des tambours, et le grondement des canons, et les décharges d'artillerie qui tonnaient du château Saint-Ange. Le pape, solennel, passait des revues sur la place Saint-Pierre et bénis- sait les étendards, tandis qu'artisans et bourgeois, dans le

* G. Duruy, Le Cardinal Carlo Carafa, p. 181-182 - Regrets, s. 57.

* Dans une lettre au Roi (14 nov. loo6|, MM. «le Selve et de Lansac éva- luent le nombre des forces réunies à Rome à 9000 hommes de pied et 4 à 300 chevaux. Ribier, II, 664.

332 JOACHIM DU BELLAY

tumulte général, désertaient leurs occupations et fermaient leurs boutiques. Quel constraste avec autrefois !

Ne pense (Robertet) que ceste Rome cy Soit ceste Rome là, qui te souloit tant plaire. On n'y fait plus crédit, comme Ion souloit faire, On n'y fait plus l'amour, comme on souloit aussi.

La paix et le bon temps ne régnent plus icy, La musique et le bal sont contraints de s'y taire. L'air y est corrompu. Mars y est ordinaire, Ordinaire la faim, la peine, et le soucy.

L'artisan desbauché y ferme sa boutique,

L'ocieux advocat y laisse sa pratique.

Et le pauvre marchand y porte le bissac :

On ne voit que soldartz, et raorrions en teste, On noit que tabourins, et semblable tempeste, Et Rome tous les jours n'attend qu'un autre sac*.

Pour comble d'infortune, c'est de ses propres défenseurs que Rome avait à craindre un sac. Les soldats étrangers qui campaient dans ses murs la traitaient en ville conquise. Les Gascons volaient et violaient les femmes. Les Allemands luthériens soldés par Henri II affectaient de manger de la viande les jours consacres au jeune, et criblaient de coups pe poignard les images du Christ. Les Suisses se grisaient, et leur lourde gaieté se traduisait par des bastonnades, qu'ils faisaient pleuvoir sur les citoyens inoffensifs '\ Exaspéré, le peuple murmurait ; il s'en prenait au pape de toutes ses misères, il accusait son ambition, sa cruauté, son népotisme ; il blâmait l'incapacité des chefs, vaniteux, fanfarons et lâches; il se lamentait sur les périls de la situation, sur les maisons

' Regrets, s. 8.5. Cf. s. 110.

- G. Duruj', op. cit., p. 193-194, d'après Navagero, témoin oculaire.

LA VIE DE JOACHIM A HOME 333

détruites, sur les impôts trop lourds. La vie à Rome n'était plus tenable. Une fois de plus, du Bellay regrettait de n'être pas sourd :

Je n'orrois du Castel la fouldre et le tonnerre.

Je n'entendrois le bruit de tant de gens de guerre.

Et n'orrois dire mal de ce bon Père Sainct,

Dont ores sans raison toute Rome se plaingt,

Blasinant sa cruauté, et sa grand' convoitise,

Qui ne craint (disent-ilz) aux despends de l'Eglise

Enrichir ses nepveus, et troubler sans propos

De la Chrestienté le publique repos.

Je n'orrois point blasmer la mauvaise conduite

De ceux qui tout le jour traînent une grand" suite

De braves courtisans, et pleins de vanité

Voyant les ennemis autour de la cité.

Portent Mars en la bouche, et la crainte dans l'anie :

Je n'orrois tout cela, et n'orrois donner blasme

A ceux qui nuict et jour dans leur chambre enfermez

Ayant à gouverner tant de soldats armez,

Font aux plus patiens perdre la patience,

Tant superbes ilz sont, et chiches d'audience.

Je n'entendrois le cry du peuple lamentant

Qu'on voise sans propos ses maisons abbatant,

Qu'on le laisse au danger d'un sac époventable,

Et qu'on charge son doz d'un faiz insupportable ' .

Heureusement, après plusieurs mois passés dans les transes, on vit enfin venir le duc de Guise. C'était le salut espéré. Le duc avait franchi les Ali:)es dans les derniers jours de décembre. Il entra dans Rome le jour du carnaval, le 2 mars 155^, bientôt suivi de son armée. Parmi ces sol- dats venus de si loin , Joachim put voir Rémy Belleau,

» Hymne de la Surdilê (H, 404-40j).

334 JOACHIM DU BELLAY

escortant à la guerre son protecteur René d'Elbeuf '. Il accompagna de ses vœux les Français héroïques qui s'en allaient conquérir Naples * :

Quos cliara e patria avulsos et dulcibus arvis Saevus amor belli misit in Hesperiam,

Pergite Ibelices, fatisque vocantibus ite,

Quo vos ipsa vocat Gallica Parthenope.

Il n'éprouva cependant nulle envie de participer à l'expédition : Faustine le tenait par des liens trop doux ^ A quelque temps de là, il put pleurer la mort glorieuse, mais inutile, des soldats tombés pendant la campagne *. Le duc de Guise avait échoué devant Civitella (i5 mai) : l'invasion du royaume de Naples, à peine commencée, se terminait par un désastre. Lellbndrement était complet.

Du Hellay vit encore la division se mettre, à la suite de torts réciproques, entre Guise et les Caraffa ; le duc, mécon- tent de lui-même et des autres, se consumer dans l'inaction ; 3ooo Suisses, accourus au secours du pape, fuir en déroute ; le vice-roi camper aux portes mêmes de Home, et la ville une fois de plus en proie à des terreurs sans nom. Il apprit enfin le 23 août la débâcle de Saint-Quentin, et fut témoin de la stupeur que Rome entière en ressentit \ Henri II, écrasé chez lui, c'était le rappel immédiat du duc de Guise en France, le pape contraint de capituler et de faire sa paix avec le roi d'Espagne, et le renoncement fatal, définitif, au rêve caressé naguère.

' Marty-Laveaux, Notice sur Belleau, p. vu.

- Poemata, t" 38 v : Ad milites Gallos, cum ad bellum Neapolitanurn pro- ficiscerentur.

^ V. plus loin, chap. vi, § i.

' Poemata, iil v" : In Gallicam juvenlutem quae pro Paiilo IIII, Pont. m.ax. bello Parthenopaeo occiibuit.

" Poemata, 52 r" : In eos qui bello Quintiniano occubuerunt Lacrjmae.

LA VIK DK JOACHIM A HOME 335

Pendant les quatre années de son séjoui* à Rome, le spectacle de la politique, avec ses niulliples aspects et ses péripéties diverses, avait largement instruit du Bellay. Son œil perspicace avait entrevu tout ce ((ui se cacliait sous la pompe extérieure, les vanités, les ambitions, les convoitises, les jalousies et les intrigues. Ce côté de la vie romaine, petit, mesquin, tortueux, ne pouvait que déplaire à sa franchise naturelle, à ses généreux sentiments. Il en eut vite le dégoût. Nous aurons bientôt l'occasion de voir en quoi ce dégoût servit son talent, et comment cette indignation fouetta sa verve satirique. Mais nous serions mal préparés à bien comprendre les Regrets, si, après ce coup d'œil jeté sur la vie publique du poète, nous n'en jetions un autre sur sa vie privée.

CHAPITRE IV

LA VIE DE JOACHIM A ROME

1553-1557 IL LA VIE PRIVÉE

I. Passe-temps de Joachim, Ses ennuis, ses dégoûts. II. Ses consolations. Le monde savant à Rome. Annibal Caro Érudits et poètes : la poésie latine. Satisfac- tions d'amour propre, m. Les amis de Rome. Magny, Gordes, Panjas. IV. Les amis de France. Ronsard et Tahureau. V. Le culte des Muses : la poésie consolatrice. Origine des (( Poemata » et des « Regrets ».

I

Du Belliiy, si prorapt à nous dévoiler les dessous de la vie romaine et tous les laits divers dont il fut le témoin, se montre plus discret sur les incidents de sa vie privée. Nous l'avons suivi tour à tour dans ses deux emplois officiels, tantôt chargé de l'intendance et de la gestion financière dans le palais du cardinal, tantôt accompagnant son maître dans les cérémonies publiques avec les autres gentilshommes. Mais

LA VIE D1-: JOACHIM A HOMK 3.'^

quand il dépouillait ces lonctions oflicielles, lorsqu'il redeve- nait lui-même, aux heures de loisir et de libre détente, que faisait-il? que pensait-il? quelles étaient ses distractions et ses intimes sentiments? Sur ce point si curieux, nous aime- rions les confidences : celles (pic nous lait du Bellay ne nous satisfont qu'à demi. Nous sommes tentés de lui en vouloir de son excessive réserve.

A travers les Regrets, nous entrevoyons vaguement ({uel- ques-uns de ses passe-temps. Parfois, il s'en allait s'ébattre avec Charles Marault, le valet de chambre du cardinal, dans la vigne de Saint-Laurent '. D'autres fois, il se rendait dans la boutique du barbier Pierre et, pour se divertir, il se fai- sait conter

Des nouvelh^s du Pape, et du bruit de la ville ^

Ou bien encore, il s'amusait à plaisanter avec les secrétai- res, et surtout avec l'un d'entre eux, un certain Le Breton % dont il a tracé ce piquant portrait :

Le Breton est sçavant, et sçait fort bien escrire En François, et Thuscan, en Grec, et en Romain, Il est en son parler plaisant et fort humain. Il est bon compaignon. et dit le mot pour rire.

Il a bon jugement, et sçait fort bien eslire Le blanc d'avec le noir : il est bon escrivain. Et pour bien compasser une lettre à la main, Il y est excellent autant qu'on sçauroit dire :

* Regrets, s. 54. Cf. Heulhard, p. 74.

- Regrets, s. 59.

^ Je doute qu'il ait rien de commun avec Claude Breton, sieur de Viilan- dry, qui fut agent du roi de F'rance à Rome en 1554 (Ribier, II, 541, 543, 608 ; Lettr. inéd. du card. d'Armagnac, édit. Tamizey de Larroque, p. 55, 70, 89). En tout cas, il ne faut pas le confondre, comme le fait M. Courbet, avec Fran- çois Le Breton, écrivain de Goulances, dont parlent La Croix du Maine (I, 211) et du Verdier (1, 644).

Univ. de Lille. Tome VllI A. 22.

338 JOACHIM DU BELLAY

Mais il est paresseux, et craint tant son raestier, Que s'il devoit jeusncr, ce croy-je, un mois entier, Il ne travaillei-oil seulement un quart d'heure.

Brel", il est si poltron, pour bien le deviser,

Que depuis quatre mois, qu'en ma chambre il demeure,

Son urabre seulement me fait poltronniser '.

Plus tard, il eut à se plaindre de lui : Le Breton faisait en

cachette des copies des Regrets et les vendait secrètement à

des gentilshommes français ". Mais pour l'instant, du Bellay

goûtait fort sa bonne humeur et son esprit, et lui savait gré,

dans leurs ennuis communs, d'avoir toujours « le mot pour

rire » :

. , . Nous n'esprouvons icy

Que peine, que travail, que regret et soucy,

Et rien, que Le Breton, ne nous peult faire rire '.

Un si joyeux confrère avait le don précieux d'égayer ses tristesses. C'est qu'on effet, depuis longtemps, l'ennui, le soudure ennui s'était abattu sur notre poète. Une mélancolie profonde, incurable, avait pénétré dans son âme, et la nostalgie le tenait, le regret très amer de la patrie absente. Perdu sui- la terre d'exil, il soupirait en vers latins : « Je n'ai pas un cœur do rocher, ou qui ait la raideur inilexible du fer. Il faut être le fils d'une ligresse ou d'une ourse, pour n'être pas touché du doux amour do la patrie, et pour consentir tant de mois un lointain exil. L'exil ! qu'est-ce autre chose que l'abandon des cieux connus, de la patrie, du foyer domestique ? Trois fois, s'est accomplie l'annuelle révolution du rapide soleil, depuis qu'il m'a fallu entreprendre un si

' Regrets, s. 58. Cf. Magny, Souspirs, s. 132 :

Autant que Le Breton je ne voudroy qu'il sçeust. Mais l)ien qu'il eusl de luy la paresse et le vice.

^ Lettres de J. du Bellay, édit. P. de Nolhac, p. 43-44.

'■' Regrets, s. 'ôl.

LA VIK DE JOACaiM A ROME 339

long voyage : je me suis vu contraint de vivre en étranger sous des toits inconnus, gardant à peine le souvenir de mon Lire ; je me suis vu contraint d'apprendre d'autres usages et d'autres mœurs, de parler une langue insolite ! Mais, diras- tu, quoi de plus brillant ({ue la Cour de Rome, et quel lieu, dans tout l'univers, est plus beau ? Rome est la mère du monde : habiter ses murailles, c'est vivre sur son propre sol. Oui, sans doute, il m'est plus doux qu'à n'importe quel étranger, de vivre à Rome, moi qui possède un oncle qui tient tant de place au Sacré-Collège, tant de place aussi dans le chœur des Muses, un oncle dont la bonté honore mes talents et les encourage, et détourne loin de moi la pauvreté. Mais chaque fois qu'il me souvient d'avoir abandonné mes anciennes études, et mes anciens amis, et la chère maison jadis, instruit à mépriser les trésors de la Perse, je savais vivre heureux de peu, chaque fois se présente à moi l'image même de la patrie, et chaque fois je suis en proie à de nouveaux tourments '. »

Mais le regret de la patrie n'était pas le seul mal dont son cœur fût atteint. Le pauvre Joachim soutirait aussi de faire un métier qui n'était nullement de son goût. Il adorait la liberté : il lui fallait servir. 11 détestait l'hypocrisie, et sans cesse il lui fallait feindre. Il se sentait pour la Muse : c'est au c( ménage » qu'on l'employait ' ! Surtout, il souffrait, il souffrait violemment de ses rêves déçus, de ses espoirs trompés. Il s'imaginait, au départ de France, qu'il allait tout apprendre, et son illusion s'était envolée :

O beaux discours humains ! je suis venu si loing, Pour m'enrichir d'ennuy, de vieillesse, et de soing, Et perdre en voyageant le meilleur de mon aage ^

^ Poemata, 12 r" : Patriae desideriiim. - Regrets, s 39. ^ Regrets, s. 32.

340 JOACHIM DU BELLAY

Il croyait naïvement qu'il allait faire fortune, et de ses fidèles services il ne tirait nul avantage :

Et quel profit en ay-je ? ô belle récompense !

Je me suis consumé dune vaine despenee,

Et n'ay fait autre acquest que de mal et d'ennuy '.

Le cardinal, si bon fùt-il. ne payait pas son dévouement à sa juste valeur. Et Joachim se lamentait sur la cruauté de sa destinée. Il enviait le bonheur de Baif amoureux :

Moy cliétif, ce pendant, loing des yeux de mon Prince. Je vieillis malheureux en estrange province. Fuyant la pauvreté : mais las, ne fuyant pas

Les regrets, les ennuys, le travail, et la peine.

Le tardif repentir dune espérance vaine,

Et l'importun souci, qui me suit pas à pas *.

Il avait des accès de désespoir, se demandant avec angoisse

si son martyre aurait un terme :

La nef qui longuement a voyagé (Dillier) Dedans le sein du port à la fin on la serre : Et le bœuf, qui long temps a renversé la terre, Le bouvier à la fin luy oste le collier :

Le vieil cheval se voit à la fin deslier.

Pom' ne perdre l'haleine, ou quelque honte acquerre :

Et pour se reposer du travail de la guerre,

Se retire à la fin le vieillard chevalier.

' Regrets, s. 4a. Cf. s. 47 :

Ainsi (mon cher Vincus) jamais ne puisse-lu

Ksprouver les regrets qu'esprouve une vertu,

Qui se voit défrauder du loyer de sa peine.

Uu Bellay se plaint vaguement (s. 45 et 49) d'un étranger qui aurait recueilli

le fruit de ses services, d'un envieux qui laurait desservi. L'allusion reste

obscure.

= Regrets, s. 24. Cf. s. 42 :

La pauvreté me suit, le souci me dévore.

Tristes me sont les jours, et plus tristes les nuits :

O que je suis comblé de regrets et d ennuis I

LA VIE DE JOACHIM A ROME 341

Mais moy, qui jusquicy n'ay prouvé que la peine, La peine et le malheui" d'une espérance vaine, La douleur, le souci, les rcîgrels, les ennuis,

Je vieillis peu à peu sur l'onde Ausonienne,

Et si n'espère point, quelque bien ([ui m'advienne.

De sortir jamais hors des travaux je suis '.

Parfois , il lui prenait envie de quitter l'Italie , d'aller revoir la France : il confiait à Morel comme il était per- plexe, implorait ses conseils, le conjurait de lui répondre s'il devait partir ou rester ^ Finalement, il demeurait : le devoir, l'habitude, la crainte plus ou moins avouée de perdre entièrement « le loyer de sa peine ». disons le mot, l'espoir quand même, le retenaient près de son maître. Pen- dant quatre ans. mais surtout à partir de la troisième année, du Bellay s'ennuya, sur les rives du Tibre, d'un incommensurable ennui. Dans un si poignant état d'àme, quelles étaient ses consolations ?

II

Quand un écrivain de renom débarcpie à l'étranger, il ne tarde guère à lier connaissance avec les illustrations du pays. Il n'est pas certain, lorsque du Bellay vint à Rome, en i553. cpie sa récente gloire eût encore franchi les Alpes. Mais, outre que sa présence sur le sol même de l'Italie dut contribuer à la répandi^e. il est permis de croire qu'il fut tout le premier curieux d'entrer en relations avec les beaux esprits du temps, et qu'il rechercha l'amitié des érudits et des poètes que comptait alors le monde romain.

' Regrets, s. 3d. 2 Regrets, s. 33.

342 JOACHIM DU BELLAY

A Tépoque nous sommes, l'Italie commençait à déchoir, littérairement, de son antique splendeur. Son âge d'or finis- sait. Les grands écrivains du siècle étaient morts : Machiavel en 1527, Sannazar en i53o, l'Arioste en i533, Berni en i536, Guichardin en i54o, Berabo en 1047. ^'^ Trissin en i55o. Alamanni, toujours en exil à la Cour de France, était sur le point de s'éteindre. Dans ce déclin des lettres italiennes, le traducteur de Y Enéide. Annibal Caro *, passait pour un nouveau Pétrarque. On vantait la richesse, l'harmonie, l'élé- gance, la pureté de son style, sans se soucier assez si la justesse des sentiments égalait toujours chez lui la beauté de l'expression. C'est à Caro (jue du Bellay adi'essa tout d'abord ses hommages. Précisément, Caro venait de compo- ser * en l'honneur de la France et de la famille royale une canzone restée célèbre :

Venite à l'ombra de' grau gigli d'oro, Care Muse . . . '

L'œuvre faisait grand bruit et valut à l'auteur toute une polé- mique avec Castelvetro. Du Bellay, qui l'admirait fort, saisit cette occasion de remercier publiquement l'étranger qui chantait sa patrie et ses princes. 11 adressa donc à Caro une épigramme très louangeuse \ dont voici quelques vers :

Chara Deûm soboles, Phoebo charissime Care, Qucm Charitum edocuit, Pieridumque chorus :

Quas tibi pro mcritis persolvet Gallia grates ? Praemia quae referet, magne poeta, tibi ?

' Sur Annibal Caro (1507-1566), consulter Tirabosthi. Storia délia Lette- ralura Italiana (Modènc, 1791), l. VII, p. 1160 ; Gingucnr, Hist. litt. d'Italie, l. IX. p. :}09.

- Vers 1;);)3, suivant Tiraljoschi, p. IKJi.

•'' On la trouvera dans les Rime del Commendatore Annibal Caro, Venise, Aldo Manutio. 1372, p. 44-47. (Bibl. Xat. ¥<*. 752).

' PoemaUi, 17 v" : De laiidibus Galliae, ad Annibalem Carum.

LA VIE DE JOACHIM A ROME 343

Magna virùin, frugunujue pareus, Mavortiu tellus,

Gallia sic per te tollit ad astra caput, Ut currus, turrosquc suas, Phrygiosque leones

Huic facile cedat magna Deùm genitrix.

Nulla tamen tantis major de laudibus extat, Quam quod te vatem nacta sit illa svium.

Il fît plus encore, et je m'étonne d'être le |)r('mier à le remarquer. il traduisit en vers français la canzone italienne *. Telle fut lorig-ine, entre les deux poètes, d'une amitié (jui ne finit qu'avec la mort de Joachim *.

En dehors de Caro, du Bellay fréquenta la société des humanistes, qui se pressaient alors à Rome. Dans sa précieuse étude sur Fulvio Orsini ', M. de Nolhac a reconstitué ce qu'était ce milieu savant vers i555. On trouvait là, outre Fulvio Orsini ", collectionneur et bibliophile, Gulielmo Sirleto et Basilio Zanchi. ({u'un contemporain qualifie « reipublicae litterariae sidéra fiilgentissima » ; Scipione Tetti. commentateur d'Apollodore : Lorenzo Gambara . le futur auteur de la Colombiade ' : Lelio Capilupi. qui faisait des centons de Vir- gile : d'autres encore , aujourd'hui plus ou moins méconnus, Benedetto Egio , Giovanni Cesari , Gabriel Faerno , Latino

' Louange de la France et du Roy Treschrestien Henry II (I, 2.01). Cette pièce ne parut qu'en I06O, après la mort de du Bellaj'. - Dans les Xenia de 1339, f" 14 r", je lis cette étrenne à Caro : ANNIBAL CARVS. Viribus ingenii superet quod culmina Pindi,

Annilialis nomen convcnit Annibali. Ipsa etiam Cari vox est aptissima Caro,

Quod charus Phoebo sit Charitumque choro. ' La bibliothèque de Fulvio Orsini, p. 6 7. Paris, Vieweg, 1887, in-S", Bibl. de l'Éc. des H'«^ Et , 74'^ fascicule.

* De Thou parle ainsi d'Orsini : « Fulvius Ursinus patria l\omanus vir graece latineque doctissimus ac purioris antiquitatis indagalor diligentis- siraus. )) Edit. de Londres, 173'{, t. V, p. 847.

* Poème latin sur Christophe Colomb (Rome, 1381, in-S").

344 JOACHIM DU BELLAY

Latini, Antonio Possevino, etc. On pout y joindre Fausto Saheo, conservateur de la Bibliothèque Vaticane, qui dédiait nombre dY'pigrammes au roi de France, ainsi qu'aux cardi- naux français, notamment au cardinal du Bellay, qu'il remerciait de ses bienfaits, et dont il célébrait les vertus politiques et les talents littéraires '.

Dans ce groupe savant, la poésie latine était en grand honneur. Basilio Zanchi % de Bergame. qui composait à dix- sept ans un recueil d'épithètes poéti(jues \ passait à vingt pour un des poètes les plus distingués de Rome. Ce chanoine régulier de Lateran s'adonnait principalement à la poésie religieuse : son œuvre capitale est un poème sacré qui chante en beaux vers les dogmes chrétiens {De horto Sop/iiae, i54o). Mais il n'était pas moins heureux dans les sujets profanes, et mettait beaucoup d'élégance dans ses églogues, ses élégies, ses épigrammes *. Il avait pour émule et ami ^ Lorenzo Gambara *, de Brescia, qui devait plus tard offrir en holo- causte à la Muse chrétienne dix mille vers païens tout rem- plis des faux dieux, mais qui, pour l'instant, auteur d'idylles

' Epigrammatum Fausti Sahaei Brixiani ciistodis Bihliolhecae Vaticanae libri V, ad Henricum regem Galliae. Rome, lolJG. (Bibl. Nat. Rés. pYc. 987). Sur Faiisto Sabeo, v. le card. Querini, Spécimen Brixianae Literatarae (1739), t. 11, p. 167-192. (Bibl. Nat. K. 3780).

- Sur Basilio Zanchi, v. Tiraboschi, t. VII, p. 1382 ; Ginguené, continué par Salli, t. X, p. 290.

' Dictionarium poeticum et epitheta vetenim poetarum.

' Bas. Zanchii Poematum libri VII. Rome, Ant. Bladus, 1553, in-8°. (Bibl. Nat. Yc. 79o3). Une autre édit., publiée à Bâle en 1555, contient de plus trois livres de poésies latines de L. Gambara.

'" Cette amicale émulation est attestée par une lettre de Paolo Manuzio à Lorenzo Gambara, que cite Tiraboschi, p. 1383 : «... Vixistis una semper conjunctissimc aller altcri egregie charus, et fuit utcrqUe vcstrum ad poeti- cam facultatem natura propcnsus, ac mire factus, ut cum ncmo tam bonus poeta sit, (juin vobis primas in componcndis vcrsibus parles tribuat, quam confessioncm etiam ab invitis exprimit Poematum comparatio , iiter tamen utri praestet, nondum satis judicare quisquam possit. »

* Sur Lorenzo Gambara, v. Querini, t. II, p. 2(38 279 ; Tiraboschi, t. VII, p. 14(54.

LA VIF nr JOACHIM A ROME 345

champêtres et marines, s'attachait à marcher sur les pas de Théoci'ite et de Sannazar '. Du Bellay subit fortement l'influence de ces humanistes, dont tout l'esprit se dépensait à bien tourner les vers latins. S'il parla si souvent, une fois devenu Romain, la langue de Virgile et d'Horace, la cause en est sans aucun doute ([u'il voulut se mettre de pair avec les lettrés éminents dont il faisait sa société. Le désir de gagner leurs sufl'rages et l'ambition bien naturelle de ne pas leur paraître inférieur lui firent oublier les prescriptions patriotiques de la Deffence.

Différents témoignages nous attestent d'ailleurs les bonnes relations que Joachim entretenait avec les savants de ce groupe. Les Poemata contiennent d'iiyperboliques compliments à l'adresse de Zanchi et de Gambara ^ Deux sonnets des Regrets sont dédiés à Orsini ^ Nous savons par de Thou les rapports d'amitié qui unissaient notre poète à Lelio Gapilupi '*, Mais la preuve la plus curieuse que nous ayons de la place qu'il occupait dans ce milieu romain, c'est à coup sûr la dédicace qu'une bonne fortune a fait découvrir à M. de Nolhac '. Un jeune érudit de vingt ans. Antonio Possevino % de Mantoue, publiant à Rome les Centons virgiliens de son compatriote Lelio Gapilupi, s'avisa de placer cette publication sous les auspices de du Bellay, qui, sans connaître encore Gapilupi lui-même, admirait beaucoup ses écrits. Vu l'importance et

' Outre l'édit. de looii, voy. Laurentii Garnburae Brixiani Poemnln. Anvers, Chr. Plantin, HifiO, in-S". (Bibl. Nat. Y<^. 78do).

- F" 17 : Ad Basilium Zanchium. 18 V: Ad Laiirentium Ganiharam.

' S. 100 et 112. Du Bellay l'appelle Ursin, de son nom latin Ursiniis.

* De Thou, consignant la mort de Joacfiim, ajoute : « Joachinio comitem addemus tertio post euni die in patria. cura LXIl annos exegisset, mortuum Laelium Capilupum Mantuanum artissima cum eo necessitudine conjunc- tum : qui tanta felicilate Maronis conterranei sui versibus detorta signili- catione lusit. » Édit. de Londres, 1733, t. II. p. 72.

■' Op. cit., p. 7.

" Sur Antonio Possevino, v. Tiraboschi, t. Vil, p. 1060 ; Ginguené, t. VIII, p. 423.

346 JOACHIM [JU BELLAY

la rareté du témoignage, on me permettra de citer presque entière cette dédicace, dont M. de Nolhac n'a donné qu'un fragment ' :

lOACHIMO BELAIO

ANTONIVS POSSKVINVS MANTVANVS

S. P. D.

(( ... Tu enim is es. qui et summa virtute praeditus, et omnibus literarum studiis ornatissimus Laelii Capilupi scripta es adeo admiratus, ut cum ne illum quidem virum de facie cognosceres, mirifice tamen amares et colères, quod cum illius ingenio. tum tuae humanitati et animo ad studia pro- penso ti'ibuitur. Adeo in liumanis animis studia paria possunt. quae ([uo sunt lil)eraliora. eo magis liomines inter se quibus- dam vinc'ulis <l('vinciunt et obstringunt. Quibus rationibus adductus statui liunc librum ad te mittere, quod scirem apud neininem in loco moliore aut honestiore esse posse. Cum enim seniper otium et tempus in discendo contriveris, tum summo illi Cardinali es sanguine, in quo non facile judices utrum mores a disciplinis. an a moribus disciplinae illus- Irentur et ornentur. At raeum quidem consilium tibi proba- tuin iri confido. manusq. hoc te qua semper consuevisti liumanitate accepturum, quod certe ab animo tui observantis- simo proficiscitur, tibiq. defcrtur. lleiiquum est ut nos dili- gas. Vale. »

Pareil hommage; était flatteur pour du Bellay. Mais s'il trouvait, à fréquenter 1<* cercle des lettrés romains, des satis- factions d'amour-propre, y trouvait-il également les consolations (jue cherchait son cœur ? Pour guérir certaines blessures, il faut plus que la société des savants et des gens d'esprit, les doux épanchements des amitiés discrètes.

' I/i'dition fit" Possevino restant introuvable, je cite d'après la réimpres- sion de G. Castifrlione, Capiliipornm Carrnina, Rome, lii'JO, in-i», p. 155-157. (Bibl. Nat. Y^. 989).

LA VIE DK JOACHIM A ROMK 3't7

III

Que peut on désirer do bon heur et de bien Plus qu'un amy fidelle et qu'un autre soi niesmes ? Tous les honneurs mondains et les Indiques gemmes. Au pris d'un vrav amy j'estime moins que rien.

Ainsi parle Magny, devançant La Fontaine ' . Ces vers exquis, Joaehini eût pu les écrire : ils sont dignes de lui. Son cœur sensible et tendre était ouvert à l'amitié. C'est d'abord aux amis de Rome, à ceux (jui vivaient de sa vie, qui par- tageaient ses occupations et ses tristesses, qui souffraient comme lui de l'exil, qu'il confia ses chagrins et demanda du réconfort. Parmi ceux-là. nul ne fut un ami plus précieux qu'Olivier de Magny ■.

Une singulière conformité de destinée rapprocha ces deux hommes, déjà frères par la poésie. Magny commençait à se faii*e un nom entre les favoris des Muses, quand d'Avanson % qui se rendait à Rome, lui proposa de l'emmener en qualité de secrétaire. Le poète des Gayetez partit avec la même ardeur qu'autrefois du Rellay. Le bonheur de revoir des amis aux bords du Tibre était pour beaucoup dans cet enthousiasme :

Je m'en vois. Paschal, loing de toy

Avec l'Ambassadeur du Roy,

Mon Avanson, qu'il me fault suyvre,

En cette antique cité libre.

Que ceux que Cybelle enfanta.

Que ceux qu'une louve allaicta

Bastirent jadis sur le Tybre.

1 Sonspirs, édit. Courbet, 1874, s. 61.

2 Sur Oliv. de Magny (1529? 1561), v. un article de Turquely {Bulletin du Bibliophile, 1860, p. 16.37), et la Itièse de M. Favre (1885).

' Sur Jean de Saint-Marcel, seigneur d'Avanson, cf. Courbet, notice des Souspirs, p. X. sqq., et Favre, op. cit., p. 50 sqq.

348 JOACHIM DU BELLAY

je verray les raritez,

Et les belles antiquitez

De quoi cette ville shonnore :

Et je pourray veoir encore

Xostre cher Paageas si divin,

Et nostre Bellay Angevin

Qui plus que cela la décore '.

Une fois à Rome, Magny connut les mêmes déceptions et les mêmes déboires que du Bellay. Pas plus que lui, il ne lut satisfait de son métier de secrétaire ^, ni séduit par les mœurs romaines \ De ces malheurs communs, de ces communes souffrances, se fortifia leur amitié. Tous les deux s'épanchèrent dans le sein l'un de l'autre, et. s'encourageant mutuellement, déversèrent le trop-plein de leur cœur en des sonnets confi- dentiels : de les Reg'rets, de les Sonspirs *. Du Bellay disait à Magny quel besoin de soulagement lui faisait chanter ses ennuis, et rendait un touchant hommage aux mérites de son ami. en sollicitant pour lui d'Avanson '. Magny disait à du Bellay quel baume apportait à son mal leur communauté de fortune, et rendait à son comjjagnon ce témoignage délicat d'être un « parfait amy d'espreuve » \ Sur ce point, ils ne se devaient rien l'un à l'autre.

Auprès d'eux, il convient de grouper tous les amis qui

' Odes, écHt. Courbet, 1870, t. I, p. 114 : Sur son parlement de France, pour aller en Italye.

- Souspirs, s. i;$.

•'' Souspirs, s. 147.

' Les Regrets et les Soiisf)irs présentent souvent d'étranges rapports. Ainsi R. 1 = S. 176 ; R. 11-14 = S. oO : 11. 15 = S. 13 : R. 33 = S. 148 ; R. 38 = S. 34 : R. 53 = S. 67 ; R. 64 = S 48, 99, 141, 142 ; R. 85 = S. 138 ; R. 93 = S 160 ; R. lOi) = S. 118, 143, 147 ; R 116 = S. 7 ; R. 123-126 = S. 119, 125, 152. V. la eomparaison instituée entre les deux œuvres par M. Favre, p. 69 sqq.

s Regrets, s. 12 et 160. Cf. s. 67, 133, 164.

•■ Souspirs, s. 10 et 142. - Cf. s. 74, 84, 94, 99, 118, 133.

LA VIE DE .lOACHlM A ROME 349

recevaient leurs confidences , et dont les noms se lisent pi'esque toujours conjointement tlans les Regrets et les Souspii's : Bailleul*, Bizet % Boucher', Daguut \ Dilliers % Gilbert \ Gohorry ', Lestrange \ Marault \ Marseille '\ Vineus ". Il faut y joindre Antoine Caracciol , prince de Melphe, évêque de Troyes, qui vint à Rome en i555, pour solliciter de Paul IV, son parent, le chapeau de cardinal, sans pouvoir l'obtenir '^ Ce très savant prélat, habile à com-

' Sur Bailleul, v. ci-dessus, 2' part,, chap. ii, § i, p. 287, - Regrets, s. 64, 136, 143; Souspirs, s. ii3, 132; Odes de Magny, t. II, p. 138. ^ Regrets, s. 14; Souspirs, s. 140. Etienne Boucher, abbé de Saint-Ferme, au diocèse de Bazas, abbaye de l'ordre de Saint-Benoît. Il s'occupa longtemps des procès de Catherine de Médicis en Italie, et, en récompense de ces ser- vices, devint évèque de Quimper en lo60. V. Lettres de Catherine de Médicis. publiées par M. H. de la Perrière, t. I, p. 107. (Note de M. deNolhac, Lettres de J. du Bellay, p 44). Cf. Ribier, II, 356-358.

* Regrets, s. 57, 113, 115.

5 Regrets, s. 35, 50, 62, 77, 116, 129, 139 ; Souspirs, s. 40 ; Odes de Magny, t. II, p. 107.

'* Regrets, s. 106 ; Souspirs, s. 141, 160 ; Odes de Magny, t. II, p. 39. Pierre Gilbert, natif de Toulouse, conseiller au Parlement de Grenoble, poète latin, dont du Bellay a traduit deux poèmes, la Courtisanne repentie (II, 374) et la Contre-repentie (II, 378).

' Regrets, s. 72 ; Souspirs, s. 51, 82, 132, 133. Sur Jacques Gohorry, cf. La Croix du Maine, I, 411, et du Verdier, II, 280.

* Regrets, s. 63 ; Souspirs, s. 6. Charles de Lestrange, protonotaire du cardinal de Guise, abbé de la Celle, au diocèse de Poitiers, mort en 1565. Il faisait des vers pour une beauté qu'il appelait Chante. Cf. La Croix du Maine, I, 161 ; Tahureau, Mignardises, édit Blanchemain, p. 95.

' Regrets, s. 54 Charles Marault, valet de chambre du cardinal du Bellay.

'" Regrets, s. 134 ; Souspirs, s. 132. Sur le secrétaire Marseille, v. les lettres du cardinal d'Armagnac, édit. Tamizey de Larroque, p. 60, 61, 65, 71.

1' Regrets, s. 42, 43, 46, 47, 124, 132, 177. Tout ce qu'on sait de cet ami de du Bellay, c'est qu'il était d'Urbin (s. 132).

•- Il était lîls de Jean Caracciol (1480-1550), prince de Melphe, grand séné- chal du royaume de Naples et maréchal de France, dont Brantôme a conté la vie. Sur ce prélat, qui linit protestant, v. La Croix du Maine, I, 30, et les notes de La Monnoye et de Falconet. Son voyage à Rome est bien de 1555, non de 1557, coiume le disent ses biographes. Ceci résulte nettement d'une lettre ovi les cardinaux de Lorraine et de Tournon, alors à Rome, annoncent au roi de France (21 déc. 1555) une promotion de sept cardinaux faite par

3o0 JOACHIM DU BELLAV

poser en latin, en toscan, en français, fut parmi les meilleurs amis de du Bellay '. Le cercle intime se complétait par Gordes et Panjas. Gordcs avait certainement une place privi- léj^iée dans le cœur du poète, si l'on en juge par le nombre de pièces qu'il lui consacre * et par les termes d'affection ([uil lui prodigue ''. C'est à lui (pi'il dédia ses Amours de Faustine. Il faut dire, il est vrai, que Gordes aimait Faus- tine comme une sœur : Sic amas, propriam ut putes sororem,. Quant à Panjas *, il avait ce trait de commun avec du Bellay et Magny d'entre poète lui aussi, d'être attaché comme eux à la suite d'un grand personnage, peut-être le cardinal de Lorraine, cl, comme eux encore, de mourir d'ennui, si loin de

Paul IV : « . . .Quant à Monsieur de Sainte Croix, il n'y a eu moyen [qu'il devienne cardinal], pour ce que nostre saint Père ne l'aime pas; et s'il ne se rabille avec luy, nous ne voyons point apparence qu'il y puisse aucunement parvenir, ny semblablement de Monsieur de Troyes, qu'il ne veut écouter en aucune façon, de sorte que nous estimons qu'il sera contraint de s'en retour- ner en France, n Ribier, II, 623.

' Poemata, f* ^3 et 24 ; Regrets, s. 110 (v. A. de Montaiglon, Huit sonnets de 1. du Bellay, p. 12) ; Ode au Prince de Melphe (II, 88). Cette der- nière pièce, la plus importante de toutes, fut composée pendant un séjour du poète chez Caracciol, à Aiz-en-Olhe (près de Troyes), sans doute au retour d'Italie (?).

- Poemata, f" 2t r", 2G r% 3o v% 41 v" ; Regrets, s. 53, o7, 61, 73, 75, 89, 92, 144. Cf. Souspirs, s. 7, 139.

•' « Gordes, que Dubellay ajmc plus (jue ses yeux » (s. 75). « Te plus oculis meis amatum n {{" 33 v»). « (lordi, plus oculis amate nobis » (f" 41 v).

' Regrets, s. 15 ; Souspirs, s. 41, 45, 90, 133 ; Odes de Magny, t. I, p. 47, 58, 89 ; t. II. p. 122. Jean de Pardeillan, protonotaire de Panjas ou Pangeas, auteur de poésies latines et françaises, a chanté ses amours pour Colombe. Ses œuvres ne semblent pas avoir été publiées. On ne connaît de lui qu'un sonnet en tête dos Souspirs (p. 4). Panjas a passé de son temps pour un grand poète. iJans le liocage de 155i (f» 40 r"), Ronsard lui dédie une odelette, qui est deveime la 23' Elégie (Blanchemain, IV, 305). On lit dans les Mignar- dises (le Tahureau ([). 47) :

Je ne voudroy céder à mon Ronsard.

Haïf, Panjas, Bellay, Tiard, Jodelle

N'esmailleroient d'une plume si belle

Du Paphien le doux evolé dard. Cf. encore p. 38 et 86. La Poësie de Loys le Garon (1554) fournit le même témoignage (f" 47 V).

LA VIE DK JOACHIM A ROMK 3511

la Franco. Un sonnet des Regrets, adressé, ce semble, à Ronsard, nous peint ces trois poètes, c£ue le hasard a rapprochés, se lamentant sur leur exil :

Cependant que Magny suit son graml Avanson, Panjas son Cardinal, et moy le mien encore. Et que l'espoir flateur, qui noz beaux ans dévore, Appaste noz désirs d'un friand hamesson,

Tu courtises les Roys, et d'un plus heureux son Chantant l'heur de Henry, qui son siècle décore, Tu t'honores toy mesme, et celuy qui honore L'honneur que tu luy fais par ta docte chanson.

Las, et nous ce pendant nous consumons nostre aage

Sur le bord incogneu d'un estrange rivage,

le malheur nous fait ces tristes vers chanter :

Comme on voit quelquefois, quand la mort les appelle, Arrengez liane à flanc parmy l'herbe nouvelle, Bien loing sur un estang trois cygnes lamenter '.

IV

Après l'intimité de ces camarades d'exil, du Bellay n'eut pas de plus douce consolation que les rapports qu'il entre- tenait avec ses vieux amis de France. Son cœur ne les oubliait pas. Le souvenir de leur tendresse, à tout moment, revenait hanter sa pensée, toujours plus poignant et plus vif :

Je me pourmène seul sur la rive Latine, La France regretant, et regretant encor Mes antiques amis, mon plus riche trésor ^

' Regrets, s. 16. V. le commentaire de Sainte-Beuve, qui rapproche ce sonnet dun passaoe de Chateaubriand {Nouveaux Lundis. XIII. 335-337). - Regrets, s. 19.

3o2. JOACHIM DU BELLAY

Il correspondait avec eux, prenant plaisir à recevoir de leurs nouvelles, plaisir à leur donner des siennes. Ce commerce allectueux était une part de sa vie.

Il suivait avec émotion les progrès que faisait la gloire de Ronsard. Il applaudissait à la distinction accordée à son grand ami par l'Académie des Jeux Floraux de Toulouse, qui, jugeant Téglantine un trop petit honneur pour un poète comme Ronsard, lui fiiisait don, sans qu'il eût concouru, d'une Pallas d'argent massif (i554)'. H célébrait la nouveauté des Hymnes récemment parus (i555) ^ Il exhortait le chantre de Gassandre à laisser enfin les amours pour la poésie héroïque \ et stimulait son amour-propre à commencer cette Franciade, toujours promise et toujours différée ". Il le félicitait d'enti'cr vivant dans l'immortalité '. Il confiait à celui qu'il appelait (( la moitié d(! son âme » ses mélancolies et ses désespoirs *. Il lui disait les écueils de la mer romaine et les navrants spectacles (ju'il avait sous les yeux '. Il s'ouvrait à lui de tous ses tracas en de longues épîtres se mêlait un sentiment d'admiration et de tendresse % et, sans être envieux du sort de Ronsard, qui vivait en France heureux et tranquille, il opposait pourtant à ce bonheur ses propres infortunes et celles de ses amis :

' On sait que Ronsard, habile courtisan, l'offrit au roi. V. Marty-Laveaux, Notice sur Ronsard, p. xxxvi-xxxvii. Du Bellay n'a pas consacré moins de six pièces latines à chanter cet événement {Poemata, f" 26 \"-28 t°).

Regrets, s. 60. C'est une lidèle analyse du premier recueil d'Hymnes de Ronsard, puhl. chez André Wechel, 1553, in-4". (Bibl. Nat. Rés Y^ 489).

^ Poemata, 20 r" : Ad P. Ronsardum ut relictis Amoribus Heroica scribat.

* Regrets, s. :J2 et 23.

■• Regrets, s. 20.

« Regrets, s. «, 10, 16, 19.

' Regrets, s. 26 et 98.

"* Poemata, f" 10 : Ad P. Ronsardum lyrae GalUcae principem, épître qu il a lui-même traduite en alexandrins (11, 118) ; Hymne de la Surdité (II, 399).

l.A VIK DE JOACHIM A ROME 353

Nous chetils ce pendant, tius(iuels le ciel l'ail guei're, Fuyons la pauvreté et par mer et par tene : Mais l'importun souci qui nous suit pas à pas, Et par terre et par mer, nous ne le fuyons pas.

Et t'aisanl un amer retour sur le passé lointain, il soupirait, la mort dans l'àme :

Heureux, quand les douceurs de ma terre Angevine M'allaictoicnt au gyron de la Muse divine ! (Il, 119).

Il aurait eu besoin, dans sa détresse, que Ronsard le récon- fortât, le soutint de son amitié, lui fit l'aumône d'un peu de sympathie. Mais le grand chef de la Pléiade, tout à ses travaux, tout à ses honneurs, paraissait oublier son ancien compagnon de lutte. Joachim en souffrait, sans vouloii* se l'avouer à lui-même. Il s'en plaignait discrètement dans un aimable badinage :

Musae, deliciae mei sudalis,

Qui me plus oculis suis araabat,

Quem plus ipse oculis meis amabam,

Aut si quicquam oculis mage est amaudum :

Quid causae esse putem, repente quod sic

Totus exciderim meo sodali,

Ut cui tôt modo miserim libellos,

Is ne versiculum quidem remittat ?

Sic nostri memor est bonus sodalis,

Qui me plus oculis suis amabat,

Quem plus ipse oculis meis amabam,

Aut si quicquam oculis mage est amandum ?

Et doucement il menaçait son vieil ami de lui adresser des ianibes au lieu d ' hendécasyllabes, s'il persistait dans son silence '. Je ne vois pas que Ronsard ait été bien sensible

^ Poemata, 23 : Ad P. Ronsardum. Univ. de Lille. Tomk Vlll. A. 'là.

354 JOACHIM DU BELLAY

aux réclamations du pauvre exilé. Dans toute son œuvre, je ne trouve que deux pièces qu'il ait écrites à du Bellay absent : une ode du Bocage de i554 ', un sonnet des Amours de Marie *.

Baïf était avec Ronsard un vivant souvenir des veilles laborieuses du Collège de Coqueret. Aux Amours de Francine, pour lesquels Bâïi" réclamait la faveur du chantre d'Olive (i555) ", du Bellay répondait par de llatteurs compliments *. Voulant donner signe de vie à ses meilleurs amis de France, il leur adressait tour à tour quelque sonnet de ses Regrets. Chacun d'eux en recevait, Belleau ', Bouju \ Denisot ', La Haye*, Peletier % Saint-Gelays '", Sibilet ", surtout Paschal ** et Morel'\ Mais ce qui montre bien le culte profond et fidèle dont il honorait ses amis, c'est la façon dont il pleura la moi't de l'un d'entre eux. Jacques Tahureau du Mans '\ jeune poète qui marchait à la suite de Ronsard, avait fait parvenir

' Bocage, 39 r*. C'est aujourd'hui l'ode 23 du livre II (Blanchemain, II, 170).

- Amours, s. ii du second livre (Blanchemain, I, 151).

3 Édit. .\Iarly-Laveaux, 1, 118-119.

' Poemata, f' 19 V : In Francinam I. A. Baijii ; De Melina et Francina ejusdem Baifii. Cf. Regrets, s. 24.

S. 71.

« S. 90.

' S. 21.

« S. 28.

» S. 78. S. 101. <' S. 122. '- S. 2, (36, 81, 102. Sur Pasclial, v. plus loin, chap. vin, § ii.

'' S. 18, 33. 34, 36, 39, 8S, lOo, 111.— SurMorel, v. plus loin, chap. vi, § ni. ** Sur ce poète, v. II. Chardon, La vie de Tahureau, Paris, Picard, 188o, in-8\ Les poésies de Tahureau ont paru i)Our la première fois à Poitiers, 1554, in-8*, avec un privilège daté d'Escouan, 7 mars 1.547 ( n. s. 1548). On a conclu de que ces poésies étaient antérieures à la Pléiade, et l'on a fait de Tahureau un précurseur. Un examen minutieux établit que ces poésies, à part peut-être quelques épigrunimes, qui sentent l'ancienne école, sont très certainement postérieures à 1550 : beaucoup sont adressées à des poètes de la Pléiade et font allusion à des ouvrages publiés par eux ; le ton géné- ral de ces poésies est d'un disciple de du Bellay et de Ronsard. Tahureau n'est donc pas, comme le dit .M. Chardon, à lavant-garde de la Pléiade, mais à la suite.

LA VIE DE .lOACHI.M A HOME 'io'o

à l'exilé romain une ode très émue où, drploraiit lîi longue abseuce de Joachim, il disait les regrets de sou Anjou natal et le deuil de la France entière :

Mais maintenant pour ton absence. Ta terre est veuve du bonheui' Qui la tenoit en ta présence, Orgueilleuse de ton honneur. Et non ton Anjou seulement. Mais toute la France se treuve, Pour te perdre si longuement, Presque de toutes Muses ve4ive,

Vien resjouyr de ta venue Ta France, qui pleine d'émoy, Tousjours en dueil entretenue. Ha languy pour l'amour de toy. Vien voir tes plus cliers compagnons, Vien, mon Bellay, ne les refuse, Puis qu'ils sont des plus chers mignons Du premier rolle de la Muse ' !

Du Bellay fut extrêmement touché de ce souvenir et de cet appel : ainsi, de tous ses amis de là-bas, Tahureau était le seul qui s'aperçût de son absence et le pressât de revenir, le seul qui trouvât dans la circonstance des mots vraiment partis du cœur ! Aussi, lorsqu'il apprit à peu de temps de (i555) la mort prématux'ée de ce jeune poète, qui donnait de si belles espérances, il en eut un profond chagrin, et son cœur, à son tour, parla dans ce sonnet :

N'estant de mes ennuis la fortune assouvie, A fin que je devinsse à moy mesme odieux, M'osta de mes. amis celuy que j'aymois mieux. Et sans qui je n'avois de vivre nulle envie.

* Miifnardises de Tahureau, édit. Blanchemain, Genève, Gav, 1868, i). 100- 103.

356 JOACHIM DU BELLAY

Donc l'éternelle nuict a ta clarté ravie, Et je ne t'ay suivy parray ces obscurs lieux ? Toy, qui m'as plus aymé que ta vie et tes yeux, Toy. que j'ay plus aymé que mes yeux et ma vie.

Hélas, cher compaignon, que ne puis-je estre encor

Le frère de Pollux. toy celui de Castor,

Puis que nostre amitié fut plus que fraternelle ?

Reçoy donques ces pleurs pour gage de ma foy. Et ces vers qui rendront, si je ne me deçoy, De si rare amitié la mémoire éternelle '.

Le culte des amis fut pour du Bellay, dans ses épreuves, une hem-euse consolation. Il en eut une autre : le culte des Muses. Accablé de soucis, consumé de regrets, il .se réfugia dans la poésie, comme auprès d'une amie doucement mater- nelle, qui réconforte et qui soulage. Il lui dit ses chagrins, lui dévoila naïvement sa pauvre âme meurtrie, en fit la confidente de ses secrètes pensées. La bienfaisante magicienne eut le don d'alléger ses souffrances et. comme il dit lui- même, d' « enchanter ses ennuis » . Il a célébré dans plusieurs sonnets * ce pouvoir souverain de la Muse, mais nulle part avec plus de bonheur que dans la dédicace de ses Regrets à d'Avanson :

La Muse ainsi me fait sur ce rivage, je languis banny de ma maison. Passer l'ennuy de la triste saison, Seule compagne à mon si long voyage.

' Regrets, s. 41. Bien que le sonnet soit sans suscription, M. Chardon estime (p. 71-72) qu'il se rapporte à Tahureau. Je ne vois pas à quel autre il pourrait mieux convenir.

- Regrets, s. 11-14.

LA VIK DE JOACHIM A ROME » 357

La Muse seule au milieu des alaruies Est asseurée, et ne pallist de peur : La Muse seule au milieu du labeur Flatte la peine, et desseiche les larmes.

D'elle je tiens le repos et la vie, D'elle j'apprens à n'estre ambitieux ; D'elle je tiens les saincts présens des Dieux, Et le raespris de fortune et d'envie.

Pour ce me plaist la doulce poésie. Et le doulx traict par ([ui je fus blessé : Dès le berceau la Muse m'a laissé Cest aiguillon dedans la fantaisie.

Touchant hommage à la divine inspiratrice qui faisait jaillir de son cœur, ainsi qu'une source de mystérieux apai- sement, tous ses meilleurs vers latins et français, les Poemata et les Resrrets !

CHAPITRE V

LES « REGRETS «

I. Les « Poemata ». Pourquoi du Bellay écrit en latin.

Valeur de ses œuvres latines.

II. Les « Regrets ». Époque de composition. Caractère nouveau du recueil : la poésie intime et personnelle.

III . La partie élégiaque des « Regrets » . Les « Tristes » d'Ovide.

Les douleurs de l'exil. L'amour du foyer et du sol natal.

IV. La partie satirique des « Regrets ». Les « Satires » de

l'Arioste. Comment du Bellay conçoit la satire. La peinture des mœurs romaines. La Rome des cardinaux. La Rome des courtisanes. V . Valeur des « Regrets » . L'alliance du lyrisme et de la satire. Un nouveau genre de sonnet. Le style naturel et facile.

Si Ton en croit Sainte-Marthe, c'est le cardinal du Bellay qui poussa Joacliim à composer dos vers latins '. J'ignore d'où Sainte-Marthe tenait ce détail : mais je le juge peu

* Elogia (1598). p. 40 : « Cum Romara profectus hortante lo. Bcllaio Car- dinale gcnlilc suc ad Latina se convertissct, certe res illi paulo minori (sic) felicilale successit : homini videlicet levioribus as.sueto. » Cette assertion est reproduite par Colletet, copie mscr., f" iJOv».

LES (( REGRETS )) 359

vraisemblable. Joachim navait pas besoin, pour s'exercer aux vers latins, des conseils de son oncle. C'est une idée qui devait venir naturellement à tout humaniste de la Renais- sance foulant le sol de l'Italie, et la société des lettrés romains, férus de poésie latine, et dont notre auteur briguait les suffrages, contribuait encore puissamment à l'engager dans cette voie. Parler latin à Rome ! mais c'était le tribut nécessaire que tout savant esprit devait à la cité romaine !

Hoc Latium poscit, Romanae haec débita linguae Est opéra, hue Genius compulit ipse loci '.

Et puis, les vers français n'étaient pas compris sur les bords du Tibre. Ce doux Angevin en exil à Rome comparait son sort à celui d'Ovide en exil au pays des Gètes, et, comme l'auteur des Amours en était réduit à parler barbare pour être entendu des barbares, l'ancien défenseur du français, « cloué sur l'Aventin ainsi qu'un Prométhée » , oubliait sur la rive étrangère sa langue maternelle, et. parmi les Latins, se faisait Latin ■. Il en vint même, l'infidèle, à trouver dans la Muse du Latium ces charmes clandestins et ces voluptés adultères qui font préférer la maîtresse à l'épouse légitime :

nia quidem bella est. sed magis ista placet '.

Ces poésies latines, composées d' élégies, d' épi g" ranimes, d'amours et de tombeaux *, ont été diversement appréciées. De Thou les estime inférieures aux Regrets et aux Jeux Rustiques '. Sainte-Marthe est du même avis, mais il ajoute

' Poemata, f 13 r°,

' Poemata, f" 3 r" : Cur intermissis Gallicis Latine scribat ; Regrets, s. 10.

' Poemata, f" 16 : Ad Lectorem..

* loactiimi Bellaii Andini Poematuin Ubri quatuor : quibus continentur Eleffiae. Varia Epigr. Aniores. Tumuli. Paris, Federic Morel. 1.158, in-i°. Privilège daté de Fontainebleau, 3 mars 1357 (n. s. 1558).

' Lib. XXyi. ann. 1500 : « In Latinis. quae itidem Romae fecit, minus felix fuit. » Édit. de Londres, 1733, t. II, p. 72.

3fi0 JOACHTM DU BELLAY

un correctif et se ralli(> à l'opinion de ceux qui jugent que, s'il est sans égal dans la poésie française, du Bellay dans la latine a peu de supérieurs *. Colletet. encore plus élogieux, déclare qu'au gré des connaisseurs, ces vers latins se sen- tent « du doux air du Tybre » que Tauteur respirait à Rome '. Il est certain qu'ils ont beaucoup de charme et qu'on y peut louer la finesse, l'élégance et la distinction. Telle épigramme n'est pas indigne de Catulle ou de Martial ' ; telle élégie pourrait être signée d'Ovide \ D'une façon géné- rale, je ne vois pas que du Bellay tourne moins bien le vers que son maître Dorât ou que son ami L'Hospital. PoiTr ces habiles, le latin n'avait pas de secrets.

Les Poemata sont une source précieuse pour la vie du poète : j'en ai déjà beaucoup tiré, j'aurai l'occasion d'y pui- ser encore. Il ne me paraît pas utile, néanmoins, d'en faire une étude d'ensemble : d'autant qu'un certain nombre de ces poèmes ont été reproduits par l'auteur en français, et que la rédaction française, presque toujours, a sur l'original latin l'avantage d'être plus riche, plus étoffée en quelque sorte, d'une expression aussi plus personnelle, conséquemment plus savoureuse \ Maint sonnet des Regretx. et non pas des

' Elogia (1598), p. 40 : a Quanquam et carmen de Veronide, et lusus de jmellae r.iptn, et arputa ciim primis epijïraïuniata suos merito laudatores invenere, quorum judicio ut vix ullum in carminé Gallieo parem, sic paucos habet lu Lalino superiores. » L'édit. de 1606 modifie paucos en paucissimos.

- Copie mscr.. "iO v°.

' In eum qui lihrum inscripserat Juvenilia (f° 18 v'i ; In titulum cujusdam libri (f» 49 r") : In Didonem dormientem (f" 21 r'; ; In nimium laudatorem if° 2H V") ; Cujusdam canis tumulus (f" 48 r°).

* In vitae quietioris commendationem ({" 9 v°) ; Patriae desiderium (f° 12 r") ; Veronis in fontem sui nominis (f» 13 v»).

* Voici relevés très exactement les passages des Poemata que l'auteur a repris en français : f* 10 v". Ad P. Ronsarduni lyrae Gallicae principeni, traduit tout au long en alexandrins (II, 118) : un distique de cette pièce, Heas ubi contemptus forlunae ... a fourni le début du s. 6 des Regrets \ 1" 12 r°. Patriae desiderium, coimuune origine des s. 30, 31 et 7 ; f' 17 r°,

LES (( REGRETS )) 3fil

moins beaux, comme le sonnel du petit Lire ', lut conçu tout d'abord dans la langue d'Horace, avant de trouver en fran- çais sa forme définitive.

Il

Les Regrets * sont le chef-d'œuvre de Joachim du Bellay. C'est un recueil de 191 sonnets % qu'il commença de composer dans la troisième année de son séjour à Rome *, mais qu'il

Ad Herricum II ... =R. |"jl ; f" :d4 r, Ad eundetn . . . = /J. 110 ; 28 v», Ad D. Margaritam ... = /?. 174 ; f" 'M v°, Ad lanum Auratum = R. 130; 41 r', liasia Faiistinae = Jeux Rust., Autre bajser (II, 347); f* 45 r», Romae veteris tumuliis —A. de /{. 4 ; f" 45 r", Leonis Strozzae = Sur la mort du seigneur Léon Strozzi (II, 155) ; f" 46 v°, EJusdem [Sylviae Mirandulae]^ Sur la mort de la seign. Syhna Mirandola (II, lr6) ; f" 47 r", lulii m Pont. Max. = R. 104 ; 48 r°, Eorumdem ~ R. 109 ; f " 48 r«, Ascanii San^uinii . . . = R. 103 ; f" 59 r°, EJusdem [Bonyveti] = Epitaphe du seigneur Bonivel (I, 206). Ces transpositions du latin en français étaient familières à notre poète, qui les pratiqua jusqu'à sa mort : nous verrons plus loin, chap. ix, qu'il lit en latin et français le Tombeau d' Henri II (1559). Il est intéressant de saisir sur le vif ce travail de transposition dans une lettre de du Bellay à Morel, récemment retrouvée par M. de Noihac et publiée par lui dans la Rev. d'hist. litt. de la France, 15 juill. 1899. p. 3G0 : « Mon- sieur et frère. N'ayant pour ceste heure la commodité de vous aller veoyr, pour une despesche qui me tient empesché il y a ja troys jours, je me suys advisé de vous saluer de ce petit mot et vous envoyer une coppie de la trans- formation de la nymphe Veronis en la fontaine de Veron, que je vous prye veoir et, si la trouvez digne de sortir dehors de nos mains, la faire mettre en estampe de nostre M' Simon, pour puys apprès en faire ung beau petit présent à Mons"^ de Nevers. que j'appelle Jacques Spifame, m'estant bien au vray informé si c'est ou Jehan ou Jacques ou quelque autre nom. » Il s'agit d'ime pièce des Poemata (f" 13 v) intitulée Veronis in fontem sui nominis, Ad lac. Spiffamium Episc. Nivernens . La version française de cette pièce n'a pas été recueillie par Aubert et semble perdue aujourd'hui.

'V. à ce propos les réflexions de Sainte-Beuve, Nouveaux Lundis, XIII, 343.

2 Les Regrets et autres œuvres poétiques de loach. du. Bellay Ang. Paris, Federic Morel, 1558, in-4o. Privilège daté de Paris, 17 janv. 1557 (n. s. 1558).

' Du moins dans l'édition princeps (Bibl. Nat. Rés. Y'. 410), reprod. par Liseux (1876). Les s. 105-112 manquent dans les éditions ordinaires. V.la plaquette d'Anatole de Montaiglon, Huit sonnets de loachim du Bellay, gentilhomme angevin. Paris. Guiraudet et Jouaust, mars 1849.

' Cela résulte des s. 10, 27, 28, .33, 36, 85, 9i.

362 JOACHIM DU BELLAY

n'acheva pas à Rome. Si les 12- premiers sonnets furent écrits là-bas, les sonnets 1 28-188 le furent en cours de route, pendant qu'il revenait en France ; le reste (s. iSg-igi) semble bien n'être éclos qu'après son retour à Paris. C'est donc entre i555 et i558 c[ue se place la composition des Regrets. Dès les premières strophes de sa dédicace, l'auteur a marqué le caractère nouveau de son recueil :

Si je n'ay plus la faveur de la Muse, Et si mes vers se trouvent imparfaits, Le lieu, le temps, l'aage je les ay faits, Et mes ennuis leur serviront d'excuse.

J'estois à Rome au milieu de la guerre. Sortant desjà de l'aage plus dispos, A mes travaulx cherchant quelque repos, Non pour louange ou pour faveur acquerre.

Ainsi voit-on celuy qui sur la plaine Picque le bœuf, ou travaille au rampart, Se resjouir. et d'un vers fait sans art S'esvertuer au travail de sa peine.

Il revient sur ce point avec plus d'insistance dans les sonnets qui servent à son livre de prélude (s. i-5). Le premier notamment définit avec précision la nouvelle manière du poète :

Je ne veulx point fouiller au sein de la nature, Je ne veulx point cherclier l'esprit de l'univers, Je ne veulx point sonder les abysmes couvers, Ny desseigner du ciel la belle architecture.

Je ne peins mes tableaux de si riche peinture, Et si haults arguments ne recherche à mes vers : Mais suivant de ce lieu les accidents divers. Soit de bien, soit de mal, j'escris à l'adventure.

LES « REGRETS )) 303

Je me plains à mes vers, si j'iiy quelque regret, Je me ris avec eulx, je leur dy mon secret. Comme estans de mon cœur les plus seurs secrétaires.

Aussi ne veulx-je tant les pij^ner et friser,

Et de plus braves noms ne les veulx desguiser.

Que de papiers journaulx, ou bien de commentaires.

Ainsi, c'est un journal intime, que l'auteur écrit pour lui- même. Un plus savant ira rêver sur le Parnasse ou se plonger dans l'Hippocrène : lui ne veut pas, pour polir et limer ses vers, se consumer l'esprit, frapper sur sa table ou ronger ses ongles : il veut simplement que ce qu'il compose

Soit une prose en ryme ou une ryme en prose. (S. u).

Adieu l'imitation des Grecs ! adieu l'antique et folle ambition d'être un Horace, un Pétrarque, un Ronsard ! adieu l'audace qui sied aux poètes aimés de Phébus ! Assagi désormais, il a de moins hautes visées :

Je me contenteray de simplement escrire

Ce que la passion seulement me fait dire,

Sans rechercher ailleurs plus graves arguments. (S. 4)-

C'était l'entier renoncement aux rêves d'autrefois, l'oubli

voulu des prescriptions de la Deffence, l'abandon de la poésie

savante : mais c'était aussi la découverte originale de la poésie personnelle et sincère.

J'escry naïvement tout ce qu'au cœur me touche,

s'écriait du Bellay (s. 21). A lui seul, ce vers est une poétique.

D'un bout à l'autre des Regrets, on sent jaillir du cœur les épanchements et les confidences. Tantôt le poète gémit ses tristesses et ses déceptions, la ruine de ses espérances et les chagrins de son exil. Tantôt il redit le dégoût que

^4 JOACHIM DU BELLAY

provoque en son àme le spectacle écœurant des hontes italiennes et la colère qui le saisit contre des mœurs si dépravées. Et c'est ainsi que tour à tour s'expriment dans ses vers la douloureuse mélancolie d'un élégiaque et la mor- dante causticité d'un satirique.

III

Éléj^iaque '. du Bellay le fut avec une profondeur d'accent remarquable : mais cette inspiration est toute renfermée dans une quarantaine de sonnets (s. 6-49)- II est vrai qu'ils sont de tout premier ordre.

On y saisit ([uolques souvenirs d'Ovide '. Il fallait s'y attendre : on ne pouvait raisonnablement espérer qu'un ancien élève de Dorât dépouillât l'humanisme au point d'oublier tout à fait l'auteur des Tristes et des Pontiques. Mais ces ([uelques réminiscences n'ôtent rien au mérite émi- nent du poète. Même lorsqu'il imite Ovide, il sait rester original, parce qu'il est toujours sincère. Qu'on lise la ir« élégie du IVe livre des Tristes, et qu'on relise ensuite la dédicace à d'Avanson : on sera convaincu de cette vérité.

En racontant la vie de Joachim à Rome, j'ai déjà dit com- ment il avait noté jour par jour ses ennuis, ses souffrances, les sombres amertumes de son âme désenchantée. Nulle part sa désolation ne s'est traduite en termes plus touchants que dans ce beau sonnet, l'exilé, meurtri par la réalité des choses, se rappelle en pleurant « ses premières émotions

' Sur du Bellay poète éléfiiaqne. v. la conférence de M. Alexis Crosnier, Les Regrets de Joachim du Hellaj, piihl dans la Rev. des Fac. cath de l'Ouest, juin 189i, p. 727.

- Ainsi R. 10 -= Trist. HI, xiv, 30, el IV, i, 89 ; A. 36 = Trist. V, x, 1 ; R. 40 = Trist. I, v. .^7; fl. 70 Trist. I, v, 19; fi, 130 = Pont. I, m, 33,

LES (( R KG RETS )) 36o

poétiques, le premier frisson du g«''nie qu'il portait en lui ' ».

Las, est maintenant ce mespris de Fortune ? est ce cœur vainqueur de toute adversité, Cest honneste désir de 1" immortalité. Et ceste honneste flamme au peuple non commune ?

sont ces doulx plaisirs, qu'au soir sous la nuicl brune Les Muses me donnoient, alors qu'en liberté Dessus le verd tapy d'un rivage escarté Je les raenois danser aux rayons de la Lune ?

Maintenant la Fortune est maistresse de moy, Et mon cœur qui souloit estre maistre de soy, Est serf de mille maulx et i-egrets qui m'ennuyeut.

De la postérité je n'ay plus de soucy ;

Ceste divine ardeur, je ne l'ay plus aussi.

Et les Muses de moy, comme estranges, s'enfuyent. (S. 6).

Des regrets, il en avait de toute sorte, et c'était autant de tortures. Il regrettait la Cour, et la faveur du prince, et le sourire de Marguerite, la docte et gracieuse patronne des poètes (s. 7 et 8). Il regrettait l'espoir flatteur et mensonger qui l'avait séduit dès l'abord, et 1" humeur vagabonde qui l'avait jeté dans les aventures, à la recherche de la fortune, bien loin de tout ce qu'il aimait (s. 25-3o). 11 regrettait l'indépendance qu'il avait échangée contre la servitude, le bonheur de vivre pour soi, content du peu que l'on possède :

G'estoit ores, c'estoit qu'à moy je de vois vivre. Sans vouloir estre plus, que cela que je suis. Et qu'heureux je devois de ce peu que je puis, Vivre content du bien de la plume et du livre.

Mais il n'a pieu aux Dieux me permettre de suivre Ma Jeune liberté, ny faire que depuis

' Faguet, Seizième siècle, p. 321.

366 JOACHIM DU BELLAY

Je vesquisse aussi franc de travaux et d'ennuis, Gomme d'ambition j'estois fi^anc et délivre.

Il ne leur a pas pieu qu'en ma vieille saison Je seeusse quel bien c'est de vivre en sa maison, De vivre entre les siens sans crainte et sans envie :

Il leur a pieu (hélas) qu'à ce bord estranger

Je veisse ma franchise en prison se changer.

Et la Heur de mes ans en l'hyver de ma vie. (S. 37).

Il regrettait l'humble foyer, l'on coule son âge « entre pareils à soy »,

Sans crainte, sans envie, et sans ambition,

libre des soins fâcheux, des serves affections et des désirs malsains (s. 38). Il regrettait surtout, d'un regret tendre et caressant, les doux horizons du pays natal, les bois, les champs, les vignes, les jardins et les prés traversés par la Loire,

Et le plaisant séjour de la terre Angevine. (S. 19).

Painii les dél>i'is do la Rome antique et les splendeurs de la cité des papes, il évoquait la vision du manoir paternel, debout là-bas au bord de son lleuve gaulois. Il avait le mal du pays, et son cœur angoissé se prenait d'un regret immense pour la patrie lointaine, ou plutôt pour ses deux patries, la grande et la petite :

La France, et mon Anjou dont le désir me poingt ! (S. 25).

C'est un l'ail remarquable entre tous que ce culte fervent pour le coin de province l'on a vu le jour. L'amour du sol natal se rencontre assez fréquemment chez les poètes du xvi« siècle, mais chez personne plus radical et plus profond que chez ce rêveur Angevin. Ronsard lui-même, lorsqu'il

LES (( REGUETS )) . 307

chante son Vendômois ', n'a pas do noti^s plus émues que du Bellay pleurant l'Anjou. On m'en voudi-ait, dans une étude sur du Bellay, de ne pas rappeler le sonnet immortel qui fleurit chaque anthologie. Citons-le donc, après tant d'autres, puisque aussi bien c'est une exquise volupté de redire les jolies choses :

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage, Ou comme cestuy qui conquit la toison, Et puis est retourné, plein d'usage et raison, Vivre entre ses parents le reste de son aage !

Quand revoiray-je, hélas, de mon petit village Fumer la cheminée, et en quelle saison Revoiray-je le clos de ma pauvre maison, Qui m'est une province, et beaucoup d'avantage ?

Plus me plaist le séjour qu'ont basty mes ayeux, Que des palais Romains le front audacieux. Plus que le marbre dur me plaist l'ardoise fine :

Plus mon Loyre Gaulois, que le Tybre Latin,

Plus mon petit Lyre, que le mont Palatin,

Et plus que l'air marin la doulceur Angevine '. (S. 3i).

» Blanchemain, II, 148, 154, 159, 246, 249, 259, 425, 432. ^ Et voici maintenant le premier jet, en vers latins :

Foelix, qui mores multorum vidit et urbes,

Sedibus et potuit consenuisse suis. Ortus quaeque sucs cupiunt, externa placentque

Pauca diu, repetunt et sua lustra ferae. Quando erit, ut notae lumantia culmina villae,

Et videam regni jugera parva mei ? Non septemgemini tangunt mea pectora Colles,

Nec retinct sensus Tybridis unda meos. Non mihi sunt cordi velerum nionumenta Quiritùm,

Nec statuac, nec me picta tabella juvat : Non mihi Laurentes Nymphae, sylvaeque virentes,

Nec inihi, quae quondam, (lorida rura placent. Poemala, 13 r».

368 JOACHIM DU BELLAY

L'avouerai-je pourtant ? Ulysse et Jason me gâtent ce sonnet. Ces souvenirs mythologiques sont la marque du temps, je le sais, et, si l'on y tient, je reconnaîtrai que l'œuvre n'aurait pas le cachet de l'époque, s'il ne s"y trouvait un peu d'humanisme. Je lui préfère néanmoins l'admirable sanglot que, dans sa détresse, (hi Bellay laisse échapper vers la France maternelle :

France, mère des arts, des armes, et des loix. Tu m'as nourry long temps du laict de ta mamelle : Ores, comme un aigneau cpii sa nourrice appelle, Je remplis de ton nom les antres et les bois.

Si tu m'as poui' enfant advoué quelquefois, Que ne me respons-tu maintenant, ô cruelle ? France, France, respons à ma triste querelle : Mais nul. sinon Echo, ne respond à ma voix.

Entre les loups cruels j'erre parmy la plaine, Je sens venir Ihyver, de qui la froide haleine D'une tremblante horreur fait hérisser ma peau.

Las, tes autres aigncaux n'ont faute de pasture. Us ne craignent le loup, le vent, ny la froidure : Si ne suis-je pourtant le pire du troppeau. (S. 9).

Puissance du sentiment et beauté des images, tout dans ce sonnet est en harmonie : jamais du Bellay ne fit preuve d'une plus poignante émotion, d'une éloquence plus tragique. Cet appel désespéré reste à mes yeux son vrai chef-d'oeuvre.

IV

Le contre-coup de ces souffrances fut un amer ressenti- ment contre l'objet qui les causait. Rome était la grande coupable, et du Bellay ne lui pardonnait pas les déceptions

LKS « HKGUETS )) 369

ot les chîiu^i'ins qu'il lui devait. Comme il avait l'esprit mordant, il disposait de la vengeance : la colère excita sa verve, et de l'élégiaque fit un satirique.

Une moitié des Reg'rets (s. So-ra^) est consacrée à la pein- ture des mœurs romaines, et cette pai'tie de l'ouvrage n'est assurément pas moins oinginale ([uc l'autre. Certes, du Bellay n'était pas le premier qui prît en uiain contre ces mœurs le fouet de la satire : d'autres avant lui s'en étaient armés. L'Arioste notamment, dans plusieurs pièces écrites en tercets sous la forme d'épîtres familières, s'était raillé des vices et des travers de la société de son temps, en particulier du clergé romain. Je ne refei'ai pas après M. Vianey ' la com- paraison entre les Satires de l'Arioste et les Regrets de du Bellay. C'est un point acquis désormais que, si le poète angevin a subi l'influence de son pi'édécesseur. c'est d'une façon toute générale : on saisit bien entre eux de vagues ressemblances, qui s'expliquent très simplement, si l'on réflé- chit qu'ils furent témoins à peu près des mêmes spectacles : on ne surprend chez du Bellay aucune imitation précise, aucun emprunt déterminé. M. Pflanzel. tout récemment, est revenu sur ce sujet ^ : à peine a-t-il pu relever un vers tra- duit du satirique de Ferrai'e par l'auteur des Regrets ' ! Du Bellay ne doit donc à la satire italienne que des traits généraux : même après avoir lu l'Arioste, il est resté bien personnel.

J'avais un instant supposé qu'il devait davantage aux

* Mathurin Régnier, p. 39-65. Thèse. Paris, Hachette, 1896, in-8». ^ Ueber die Sonette des Joachim du Bellay (1898), p. (>7.

^ ... Il giorno

Pieno di stelle, e a mezza nolte il sole.

Sat. ±.

La lune en plein midy, à minuict le soleil.

Regr. 150.

Univ. de Lille. Tome VIII A. 24.

370 JOACHIM DU BELLAY

pasquils '. Deux sonnets des Regrets (42 et r 08) , dont l'un reproduit assez librement un de ces pasquils % m'avaient fait présumer qu'il s'était inspiré maintes fois des épigrammes sarcastiques. que des mains inconnues placardaient, dans le mystère de la nuit, sur la statue mutilée de Pasquin. A-t-il mis à profit quelques-uns des libelles, aujourd'hui disparus, qu'il voyait affichés non loin de la place d'Agone ? Il se peut bien : mais ceux que nous avons encore n'offrent que des rapports lointains avec les sonnets de notre poète. Ainsi, selon toute apparence, la satire des Regrets est pleinement originale.

Gomment l'auteur l'a-t-il conçue ? Il s'est plaint quelque part de n'avoir pas ses coudées franches :

O combien est heureux, qui n'est contreint de feindre Ce que la vérité le contreint de penser, Et à qui le respect d'un qu'on nose offenser, Ne peult la liberté de sa plume contreindre !

Et déplorant la retenue (pi'il devait s'imposer à lui-même, il ajoutait :

Il n'est si grand' douleur, qu'une douleur muette ''.

Je ne vois cependant pas qu'il se soit gêné beaucoup. A juger de la hardiesse de certaines de ses peintures, je me demande ce qu'il se fût permis, s'il ne s'était contraint. La satire

* Pasquillorum tomi duo. Eleutheropoli [Bàle], MDXLIIII, in-S". (Arsenal. B. L. :mS. Kés.).

- Pasquillus de se ipso et origine sua. V. Anat. de Moiitaiglon, op. cit., p. 10.

^ S. 48. Cf. s. 42 : Plût à Dieu, s'écrie du Bellay, que je fusse ou Pasquin ou Marphore . . . Ma plume serait libre . . . Celui-là seul est roi, A qui mesme les Rois ne peuvent donner loy. Et qui peult d'un chacun à son plaisir escrire. Cf. encore Poernata, f" 21 v" : Satyram periciilosiss. esse gerius scribendi, ad Marinutn.

LES (( REGRETS )) 371

des Regrets se donne forte libertés, et même force licences. Elle n'a rien de la satire impersonnelle et générale du bon Horace * : elle attaque les personnes et les choses. Elle est malicieuse et piquante, et cela jusqu'à l'amertume ; mais elle est capable aussi d'enjouement et de gaieté. Du fiel, du sel, du miel : ainsi la juge, en vei'S latins, l'auteur lui-même, et la caractéristique est des plus heureuses :

Quem, Lector, tibi nunc damus libellum. Hic Jellisque simul, simulque melUs, Permixtumque salis refert saporem -.

Certes, du Bellay n'a point aimé l'Italie. Un de ses son- nets ' maudit Annibal, a le borgne de Libye », qui le premier, en ouvrant le chemin de la péninsule, a préparé la diffusion de tous les vices inhérents à l'àme italienne. C'est qu'en l'éprouvant de plus près, par un contact de chaque jour, il avait reconnu que cette àme était Inen inégale à l'idée qu'il s'en était faite à travers la lecture de Pétrarque et des anciens Latins. Et cette amère désillusion s' ajoutant à ses déboires personnels, il avait conçu contre l'Italie une haine vigoureuse , d'où procèdent les tableaux satiriques des Regrets.

Curieuse galerie que celle de ces tableaux ! On n'y saurait mieux pénétrer qu'en lisant le sonnet du Bellay met sous nos yeux comme une vue d'ensemble de la Rome du xvp siècle :

Si je monte au Palais, je n'y trouve qu'orgueil. Que vice desguisé, qu'une cérimonie,

* Toutefois, le s. 62 contient une curieuse définition de la satire hora- tienne. Les s. 50-36 développent une série d'idées morales tout à fait dans le golit d'Horace.

^ Ad Lectorem, en tête des Regrets. Cette épigramme est reproduite dans les Poemata, t" 18 v' : In librum Tristium, authoris opus gallicum.

' S. 9o.

372 JOACHIM DU BELLAY

Qu'un bruit de tabourins. qu'une estrange armonie, Et de rouges habits un superbe appareil :

Si je descens en banque, un amas et recueil De nouvelles je treuve. une usure infinie. De riches Florentins une troppe banie, Et de pauvres Sienois un lamentable dueil :

Si je vais plus avant, quelque part ou j'arrive, Je treuve de Vénus la grand' bande lascive Dressant de tous costez mil appas amoureux :

Si je passe plus oultre, et de la Rome neufve Entre en la vieille Rome, adonques je ne treuve Que de vieux monuments un grand monceau pierreux. (S. 80).

La Rome antique, nous en avons déjà foulé le sol ; nous avons contemplé ses ruines et médité sur ses débris \ Nous suivions le poète dans son pèlerinage à travers la plaine pou- dreuse où gisait le passé de Rome. Suivons-le maintenant dans ses promenades à travers la cité moderne.

Des trois villes,» encloses dans la même muraille, qu'il a tour à tour observées, il en est une qui tient très peu de place dans les Regrets, et c'est dommage : c'est la ville des banquiers. Du Bellay pourtant la connaissait bien : de par ses fonctions d'intendant, il avait eu plus d'une fois atïaire aux riches Florentins, aux Juifs usuriers, qui prêtaient à son cardinal l'argent dont il avait besoin ; plus d'une fois, il avait les (( courtiser » . pour tâcher d'obtenir la faveur d'un nouvel emprunt ou le délai d'une échéance. On eût aimé trouver W portrait de ces gens de finance sous la plume d'un homme ({ui les avait tant pratiqués. A défaut de cette peintui'e, ce qui revit dans les Regrets, c'est la Rome des cardinaux et la Rome des courtisanes.

' V. ci-dessus, 'l' pari., chap. 11, p. 283.

LF.S (( REGRKTS )) 373

On sait ce qu'était au xvi*' siôclc la Cour dos papes , et l'éclat mondain dont elle brillait. En quel(|ues traits précis, l'auteur des Regrets a noté le caractère céréinoni(;ux de cette Cour,

De ces rouges prélatz la pompeuse apparence. Leurs mules. leurs liahitz, leur longue révérence '.

Il a décrit aussi les distractions et les plaisirs que présentait la cité catholique, la folle ivresse du carnaval et des fêtes romaines, les jeux de toute espèce, les combats de taureaux, les courses aux flambeaux, les mascarades et les banquets ^ Mais sous ces dehors si brillants, se cachaient bien des vices. Et tout d'abord, l'hypocrisie régnait en maîtresse. Dissimuler, c'était à Rome le vrai moyen de parvenir. Du Bellay le savait : il avait vu ces intrigants qui se poussaient en Cour, à force de doucevir, de finesse et de ruse. Quelle ironie dans cette esquisse !

Marcher d'un grave pas, et d'un grave sourci, Et d'un grave soubriz à chacun faire feste. Balancer tous ses mots, respondre de la teste. Avec un Messer non, ou bien un Messer si :

Entremesler souvent un petit È cosi, Et d'un Son seroitor' ' contrefaire l'honneste : Et comme si Ion eust sa part en la conqueste. Discourir sur Florence, et sur Naples aussi :

Seigneuriser chacun d'un baisement de main, Et suivant la façon du courtisan Romain, Cacher sa pauvreté d'une brave apparence :

' S. 119.

3 S. 120, 121, 122.

' On imprime généralement « son Servitor' ». et M. Marty-Laveaux (t. II, p. 550, n. 33) voit « un mélange de français et d'italien ». M. Petit de JuUeville me fait observer que c'est plutôt la traduction de l'italien io sono servitor' (je suis serviteur). Becq de Fouquières a donc raison d'imprimer les deux mots en italiques (p. 227).

374 JOACHIM DU BELLAY

Voilà de ceste Court la plus grande vertu,

Dont souvent mal monté, mal sain, et mal vestu,

Sans barbe et sans argent on s'en retourne en France. (S. 86).

Et c'était aussi l'ambition, l'àpre désir de la faveur et du pouvoii-. Dans un admirable sonnet, l'on retrouve, dit M. Faguet '. (( quelque chose de la puissance pittoresque de Ju vénal ». du Bellay nous transporte au chevet du pape ma- lade : autour du vieillard se pressent ses courtisans ; ils sont là. pâles, inquiets, tremblants à chaque accès de toux, de xoir. avec la vie du moribond, s'évanouir leur fortune. Je ne sais rien, dans l'œuvre entière de Joachim. de plus saisis- sant que cette eau-forte :

Quand je voy ces Messieurs, desquelz l'auctorité Se voit ores icy commander en son rang. D'un front audacieux cheminer liane à flanc, Il me semble de voir quelque divinité.

Mais les voyant pallir lors que sa Saincteté Crache dans un bassin, et d'un visage blanc Cautement espier s'il y a point de sang, Puis d'un petit soubriz feindre une seureté :

O combien (di-je alors) la grandeur (jue je voy. Est misérable au pris de la grandeur d'un Roy ! Malheureux qui si cher achète tel honneur.

Vrayement le fer meurtrier, et le rocher aussi

Pendent l)ien sur le chef de ces Seigneurs icy.

Puis que d'un vieil fdet dépend tout leur bonheur -. (S. ii8).

' Seizième siècle, p. 305.

- « En dépil des faiblesses et des néj^ligences de l'expression, dit M. Le- nient, ce crachat, qui fait la joie ou la terreur de tant de gens, qui peut demain mettre en émoi le monde entier, est plus éloquent encore que le grain de sable égaré dans la vessie de Cromwell. » La Satire en France au XVI* siècle, t. I, p. \i'.i.

LES (( REGRETS » 375

Si l'on en croyait du Bellay, la Cour do Rome aurait été le siège des sept péchés capitaux '. Et môme certains vers de lui nous font entrevoir des crimes monstrueux perpétrés dans r ombre :

Heureux qui peult long^ temps sans danger de poison Jouir d'un chapeau rouge, ou des clefz de Sainct Pierre ! (S. 94).

Icy mille foi'faitz pullulent à l'oison,

Icy ne se punit l'homicide ou poison. (S. 127).

J'incline à croire que le satirique a quelque peu chargé sa peinture et que. dans son tableau de Rome, il a fait entrer plusieurs traits qui seraient plus exacts d'une époque antérieure. Il faut reconnaître pourtant que le clergé romain, même après le pontificat de Paul III, qui avait commencé la réforme, laissait beaucoup à désirer au point de vue moral. Il demeurait très inférieur au clergé français ^ Le cardinal de Lorraine, qui n'était cependant pas un modèle de vertu, parlait avec indignation de certains désordres hon- teux que Paul lY tolérait, lui si rigide, même parmi ses plus proches parents ^

II serait hasardeux d'insister longuement sur les sonnets

» S. 78, 79, 81, 82. 101-113, 127.

- « Vostre Eglise Gallicane est celle qui aujourd'huy est des plus grandes, plus entières et moins contaminées en ce qui touche la foy et les mœurs. » Le card. du Bellay au Roi, lettre datée de Rome, 14 sept. 1348. (Ribier, II, 164).

' Le card. de Lorraine à M. de Selve, 17 janv. 1338. (Ribier, II, 721-722), Cf. G. Duruy, Le Cardinal Carlo Carafa. p. 296 298. Du Bellay fait allusion à ces faits scandaleux dans le s. 103 des Regrets Bandcllo, moine domi- nicain, auteur de Nouvelles (Lucques, 1334), condamnait en ces termes les vices du clergé romain : « Tuttavia se mi fosse lecito il dire, io con rive- renza direi, che l'avarizia e l'ingordigia de' sacerdoti sia quella che in gran parte abbia dato grandissime foiiiento a queste diavolerie, e darà via mag- giore, se la Chiesa non mette mano alla emenda de' cherici e di tutti i cristiani » Cité par Ginguené, Hist. litt. d'Italie, VIII, 489.

376 JOACHIM DU BELLAY

tlu Bellay nous a décrit le monde des courtisanes '. Le sujet est scabreux, et l'auteur se complaît un peu trop ici à rivaliser avec l'Arétin. Pour peindre ce milieu comme il Ta peint, il est clair qu'il le connaissait mieux qu'il ne prétend. S'il était d'abord resté sage, il avait fini, lui aussi, par céder à la tentation '. et la chute était d'autant plus facile que les occasions de pécher, certes, ne manquaient point '. Les cour- tisanes à Rome se comptaient par milliers *. Depuis la fin du xv siècle, elles avaient envahi les quartiers les plus opulents de la ville : leurs élégantes ou somptueuses demeures se voyaient dans la via Giulia. sur la place Colonna. près du palais Carpi. autour des ambassades, et principalement de l'ambassade de France '. Elles se prome- naient par les rues, montées dans des carrosses, étalant aux yeux leurs riches parures et leur impudeur: ou bien encore, en habits d'hommes, elles paradaient à cheval, pompeusement ^

' S. 87-100. Un de ces sonnets, le s. 91, est traduit à peu près littérale- ment d'un sonnet de Berni sur les beautés de sa maîtresse. C'est d'ailleurs la seule traduction qu'on relève dans les Regrets. Il est curieux de remar- quer que Saint-Gelays avait déjà traduit le sonnet de Berni (édit. Blanche- main, I, 283).

- Voyez dans les Poemata (f° 49 r°, Grassini juvenis tumulus), la triste hisloire d'un jeune homme qui, resté longtemps chaste à Rome, iinit par succomber à l'amour.

'' E. Rodocanachi, Courtisanes et Bouffons. Étude de mœurs romaines au XVI* siècle Paris, Flammarion, 1894.

' En 14!X), sur une population de 100.000 habitants, il y avait à Rome 6800 courtisanes (Burckhardt, t. II, p. 148| . Au temps de Sixte-Quint, on en fit un dénombrement : on on trouva 17.000 (Rodocanachi, p. 21). Rodocanachi, p. 22. " S. 131 :

Celuy qui par la rue a veu publiquement La courtisanne en coche, ou qui pompeusement L'a peu voir à cheval en accoustrement d'homme Superbe se monstrer : celuy qui de plein jour Aux cardinaulx en cappe a veu faire l'amour. C'est celuy seul (Morel) qui peult juger de Rome. M. 'Vianey (p. 64) conteste la vérité du dernier trait. L'histoire nous apprend qu'on vit le trop fameux cardinal Monte, l'ancien protégé de Jules III, pro-

LES (( REGRETS » 377

Pour donner une idée du talent descriptif de mon poète dans cette partie de son œuvre, je citerai, encoi-e que la peinture en soit un peu vive, le sonnet qu'il consacre aux (( jeux )) des courtisanes :

En mille crespillons les cheveux se trizer, Se pincer les sourcilz, et d'une odeur choisie Parfumer hault et bas sa charnure moisie, Et de blanc et vermeil sa face desguiser :

Aller de nuict en masque, en masque deviser, Se feindre à tous propos estre d'amour saisie, Siffler toute la nuict par une jalousie. Et par martel de l'un, l'autre favoriser :

Baller. chanter, sonner, folastrer dans la couche, Avoir le plus souvent deux langues en la bouche. Des courtisannes sont les ordinaires jeux.

Mais quel besoing est- il que je te les enseigne ?

Si tu les veuls sçavoir (Gordes) et si tu veuls

En sçavoir plus encor', demande à la Chassaigne. (S. 92).

Dans les Regrets, du Bellay s'est mis tout entier. 11 nous a donné le meilleur de lui-même, tout son esprit et tout son cœur. C'est avec son esprit qu'il a raillé les mœurs romai- nes, avec son cœur ([u'il a pleuré son cher Anjou. On ne

mener dans son carrosse, durant tout le carnaval, Camilla di Pitiliano, et se gaudir très ostensiblement en sa compagnie. (Rodocanachi, p. 78). Je ne voudrais pas en trop dire : il est certain pourtant que du Bellay fut le témoin de maint fait scandaleux, ne serait-ce que celui-ci : le cardinal Caraffa retint le duc de Guise un mois entier à Rome (1357), « l'entretenant de toutes délices, festins, courtisannes, vierges et femmes mariées, dont ce gouffre d'abomination a accoustumé de fournir. » (Vieilleville. cité par Forneron, Les ducs de Guise et leur époque, Paris. Pion, 1877. t. I. p. 203 1.

378 JOACHIM DU BELLAY

saurait trop admirer la réunion chez le même homme de ces deux facultés qui très souvent s'excluent. Il les a possédées l'une et l'autre, et chacune éminemment. En lui se fait, pour la première fois peut-être dans notre littérature, l'alliance originale de la satire et du lyrisme. Il eut d'ailleurs le sen- timent très net de cette nouveauté, dont il crut devoir s'ex- cuser :

Mais tu diras que mal je nomme ces regretz, Veu que le plus souvent juse de mots pour rire. Et je dy que la mer ne bruit tousjours son ire, Et que tousjours Phœbus ne sagette les Grecz.

Si tu rencontre donc icy quelque risée. Ne baptise pourtant de plainte desguisée Les vers que je souspire au bord Ausonien.

La plainte que je fais (Dilliers) est véritable :

Si je ry. c'est ainsi qu'on se rid à la table :

Car je ry. comme on dit. d'un riz Sardonien'. (S. 77).

L'introduction de la satire dans le sonnet est un fait littéraire de première importance. Jusqu'alors, je l'ai dit ", la

' Cf. dédicace à d'Avanson :

Quelqu'un dira : De quoy servent ces plainctes' Comme de l'arbre on voit naistre le fruict, Ainsi les fruicts que la douleur produict, Sont les souspirs et les larmes non feinctes.

De quelque mal tin chacun se lamente, Mais les moiens de plaindre sont divers: J'ay, quant à moy, choisi celuy des vers Pour desaigrir l'ennuy qui me tormente.

Et c'est pourquoy d'une doulce satyre Entremeslant les espines aux fleurs, Pour ne fascher le monde de mes pleurs, .j'appresle icy le plus souvent à rire.

' V. ci-dessus, I" part., chap. vi, § 11, p, 17.3.

LES (( REGRETS )) 379

formo (lu sonnet, au ju^oniont Je nos poètes, n'avait point paru susceptible d'exprimer autre chose que des émotions graves, et surtout les passions de l'amour. Déjà, dans ses Antiquitez de Rome, du Bellay, tout en conservant au sonnet son caractère élégiaque, en avait agrandi le cadre, au point de lui confier la traduction des rêveries historico-pliilo- sophiques. Mais cette fois, la transformation était radicale : du Bellay innovait le sonnet satirique et. dans l'espace de quatorze vers, faisait tenir tout un portrait humoristique, tout un tableau de mœurs '. Ainsi, l'humble poème qui semblait limité dans son inspiration autant que dans sa forme, appa- raissait comme capable de s'élargir indéfiniment, de se plier tous les caprices de la pensée, de rendre au gré de l'artisan les choses plaisantes et les choses tristes , en un mot , d'embrasser le domaine entier de la poésie.

Et maintenant, faut-il parler du style des Regi^ets ? 11 a toutes les qualités, mais celle-ci surtout d'être extraordinai- rement naturel et facile. A lire ces sonnets d'un tour si vif, d'une langue si aisée et si souple, il semble, en vérité, qu'ils soient venus sans peine à l'esprit de l'auteur, et, pour tout dire, qu'ils aient coulé de source. Qu'on ne s'y trompe pas pourtant : ce naturel nous cache un art profond, et ne l'atteindrait pas qui veut. Du Bellay le laissait entendre avec un sourire ironique :

* Vauquelin de la Fresiiaye, dans son Art Poétique, observe tinenienl que du Bellay le premier aiguisa le sonnet, en le rendant capable de satire : Et du Bellay quitant cette amoureuse flame, Premier list le Sonnet sentir son epigrame : Capable le rendant, comme on void, de pouvoir Tout plaisant argument en ses vers recevoir.

Édit. G. Pellissier, p. 35 CoUetet dit aussi {Traité du Sonnet, 1G58, p. 32) : « Du Bellay fut le premier de tous nos poètes qui enrichit la lin du Sonnet de quelque pointe d'esprit. » Cf. Pflànzel, op. cit., p. 73-75 : il établit qu'en fait de pointe, Mellin de Saint-Gelays avait un peu frayé la voie à du Bellay.

380 JOACHIM DU BELLAY

Et peult estre que tel se pense bien habile, Qui trouvant de mes vers la ryme si facile, En vain travaillera, me voulant imiter. (S. 2).

Faire difficilement quelque chose de facile, c'est, dit-on, le secret du génie. Pour une fois, Joachim du Bellay s'est avisé de ce secret : il y a gagné de produire un chef-d'œuvre.

CHAPITRE VI

RETOUR EN FRANCE

1557-1558

I. La passion de Joachim pour Faustine (1557). II. Départ de Rome (août 1557). Itinéraire. Retour â Paris. Une pièce de Dorât.

III. La maison de Jean de Morel. Intimité de du Bellay et

de Morel.

IV. Les tracas domestiques du retour. Publication des

recueils composés en Italie (1558).

Du Bellay était depuis quatre ans aux bords du Tibre, et jusqu'alors il avait bravé fièrement le coup d'œil des beautés romaines, lorsqu'un jour, nous dit-il. Gupidon le frappa d'une flèche : il devint amoureux de Faustine *.

Qu'était-ce que cette femme, qui allait captiver les sens et

^ Poemata, 34 : Faustinam primam fuisse quant Romae adamaverit.

382 JOACHIM DL BELLAY

le cœur du poète durant les derniers mois de son séjour à Rome ? Était-ce la Faustine qu'un sonnet de Magny * place en bon rang parmi les courtisanes que fréquentaient ses compagnons ? N'était-ce pas plutôt quelque noble Romaine ? On peut tout supposer. Du Bellay nous tait son nom de famille : il la surnomme Columba "". surnom charmant \ dont il a soin de nous indiquer l'origine :

Tu tenero morsus figebas dente proterva, Alque coliimbatini basia longa dabas.

Ce que nous savons, c'est qu'elle était belle : elle avait les yeux et les cheveux noirs, un large front blanc comme neige, des joues rosées, des lèvres roses ". Telle était sa beauté qu'elle mil aux prises des cardinaux '.

Cette femme si séduisante, du Bellay l'aima vraiment, non plus de tête, comme il avait aimé Olive, mais avec son cœur et sa chaii'. d'une passion ardente, fougueuse, tourmentée. Soit qu'il ait été retenu par un sentiment de pudeur, soit qu'il ait jugé le français impuissant à traduire la violence de

' Souspirs, s. 82.

- l'oernata, t" 'M \<> : Cognomen Faustinae .

' Il le rend en français par le joli diminutif « Columbelle » (Jeux Rusti- ques, II, 34;i).

* Foemata, ï" 39 v"

Sive nigrantes oculos, comasque, Fronlis aut lalae niveum nitorem, Seu gênas spectes roseas, rosisque Picta labella.

=• Poemata, f^ 38

Non Sophiae studium doctes, non purpura Patres, Nec clypeus lexil fortia corda Ducum.

Inter se poluit sanctos committere Paires Faustina. usque adco forma superba fuit.

RKTOUR i-:n fhanck .'3X3

sa passion, c'est en laliu qu'il la clianta '. Lcsbio, Délie, Cyntliie, Corinne, hantaient d'ailleurs sa voluptueuse imagi- nation, et, suivant la fine remarque de M. Faguet % c'était en quelque sorte redevenir Catulle et réaliser pleinement un rêve d'humaniste, qu'aimer à Rome une Romaine, en vers latins, avec une àme toute latine.

Les biographes du poète se sont étendus à plaisir sur cet épisode de sa vie \ Du Bellay goûta quelque temps la suprême félicité ". « Toutefois son bonheur dura peu. Il avait si bien oublié que Faustine fût mariée, qu'il n'avait pas même songé à nous le dire ; mais tout à coup, quoiqu'un peu tard, survient un vilain époux, glacé par l'âge ; le cruel enlève Faustine du sein de sa mère, sans qu'elle ait rien mérité de tel, dit naïvement du Bellay, qui se repent de ne pas s'être trouvé pour voler au trépas, comme Corœbus quand Ajax entraine Cassandi'e % et déplore que ce maudit mari n'ait pas usé envers sa Faustine et lui du stratagème employé par Vulcain à l'égard de Mars et de Vénus ''. Privé d'une telle consolation, il erre, dévoré de jalousie, devant la porte de la maison Faustine est enfermée avec son vieil époux ' ;

' Poemata, f"* 34 r'^-42 r». Il n'est question de rien dans les Regrets : à peine saisit-on (s. 87) une vague allusion à quelque mystérieux amour qui le tiendrait enraciné.

- Seizième siècle, p. 320, et Revue des Deux-Mondes, 1" mai 1894, p. 137, article sur l'Alexandrinisme.

3 Sainte-Beuve, Notice sur J. du Bellay, p. 343-345; Marty-Laveaux, Notice, p. xxi-xxm ; Séché, Notice, p. 29-32 ; Faguet, Seizième siècle, p. 317-320; Ballu, Notice, p. lxx-lxxix. * Poemata, f" 35 r" :

Venit in amplexus terque quaterque meos. Cf. les lascives descriptions de la pièce Ad Polydorum, î" 39 v" : Quaeque non una tulimus beati Gaudia nocte. ^ Poemata, 38 r" : Quomodo rapta fuerit Faustina. ^ Poemata, f" 35 V ; De Vulcano et marito Faustinae. ' Poemata, f" 35 r" : Ad januam Faustinae.

384 JOACHIM nu bkllay

et pendant dix jours il se traîne, brûlant de fièvre, épuisé par la toux, et, il faut bien le dire, par un rhume de cerveau, et buvant au lieu de vin des tisanes adoucissantes '. »

Ce qui frappe dans cet amour, c'est son caractère païen. Le mari de Faustine. las de son rôle de Cerbère, l'avait, pour plus de sûreté, mise au couvent -. Veut-on savoir quelles pensées cela suscite en du Bellay ? C'était l'époque les Français traversaient Rome pour aller conquérir le royaume de Naples. L'expédition est sans attrait pour ce fier gentil- homme. 11 s'agit bien d" aller se battre et de venger l'antique égorgement des vêpres siciliennes ! Soldat de Vénus, il rêve d'une autre conquête : délivrer sa maîtresse captive au fond du cloître, voilà sa guerre à lui !

Ast ego qui Veneris miles. Martemque perosus Haud anirao tantura concipio facinus,

Solvere tentabo captivae vincla puellae,

Quae mihi longe ipsis charior est oculis.

Haec repetenda mihi tellus est vindice dextra.

Hoc bellum. haec virtus. haec mea Parthenope '\

11 y a plus : ce catholique, secrétaire d'un cardinal, ancien

* Poemata, f" 39 : Ad Polydoram de Faustina :

Me Huens hunior cerebro malignus, Febris atque ardens, et anhela tussis Jam decem lotis relinet diebus

Membra Irahcntem. Non mihi dulcis latices Lyaei, Sed sitim sedant medicata nostram Focula, atque imas pcnitus perurit Fiaiuma meduUas. Marly-Laveaux, Notice sur J. du Uellaj, p. xxii-xxiii. - Poemata, {" 34 v :

Nec salis hoc : Iradit formosam in vincla puellam, Et sacrae cogil claustra subirc domus.

' Poemata, {' 38 : Ad milites Galles, cum ad bellum Neapolitanum pro- Jiciscerentur .

RRTOUR EN FRANCE 385

chanoine de Paris ', na point le respect des couvents. Dans les nonnes il voit des vestales ; le saint amour qui les embrase, c'est le feu perpétuel de Vesta. Fassent les Dieux, s'écrie du Bellay, qu'à leur contact redouble la flamme de Faustine ! Ajouterai-je qu'il foi*me le vœu très profane de se voir enfermé avec elle ' ? Oh ! s'il pouvait imiter Jupiter, se métamorphosant jadis en la chaste Diane ! De jour, sous le couvert du voile virginal, comme il observerait les rites sévères du saint lieu ! comme il rendrait aux Dieux les devoirs consacrés ! Mais une fois la nuit tombée ... il rede- viendrait Jupiter :

Sic gratis vicibus, Vestae Venerisque sacerdos, Nocte parum castus, luce pudica forem.

Vénus est bonne aux amoureux. Du Bellay la priait, pour obtenir la délivrance de son amie : il vouait à la déesse des fleurs pourprées , des violettes . des roses , un couple de colombes *. La déesse attendrie rendit Faustine à ses caresses. C'est du moins ce qu'on peut conclure d'un petit poème enthousiaste, « le plus joli des poèmes latins de du Bellay », au dire de M. Faguet ^ :

Jani mihi mea reddita est Golumba. Vos tristes elegi valete longum- At vos molliculi venite versus, Dum cano reditum meae Golumbae, Quam plus ipse oculis meis amabam, Cujus basia, blandulumque murmur. Lusus, nequitiae proterviores. Et morsus poterant, micante rostro.

' V. plus loin, chap. x, § i.

- Poemata, 36 V : Cur Vestalibus innati sint velut quidam amoris igniculi.

^ Poemata, f" 36 r" : Optât se inchisnm cum Faustina. * Poemata, f" 40 r' : Votiim ad Venerem. ' Seizième siècle, p. 319.

Univ. de Lille. Tome VIll. A. 25.

386 JOACHIM DU BELLAY

Ipsum vincere passerem Catulli. Nam mellita fuit, venusta. bella, Pulchra. candidula, atque délicate, Nil mage ut queat esse delieatum, Mellitum magis, aut magis venustum.

At vos, hendecasyllabi fréquentes, Versus raollieuli venustulique, Adesle hue, precor : et quot estis oranes, Formosae Yeneri bonisque Divis Yotum solvite pro mca Golumba '.

A voir ce que ces vers contiennent de tendresse et de volupté '\ qui pourrait douter un instant de Taction exercée sur le cœur du poète par ce profond et très réel amour ?

II

Le doyen du Sacré-Collège eut-il vent de cette liaison ? Toujours est-il que c'est fort peu de temps après cette aven- ture qu'il renvoya son secrétaire, en le chargeant d'une mission de confiance ' sur laquelle nous reviendrons *. Du Bellay quitta Rome, suivant toute apparence, à la fin du mois d'août loS^ '. Le sonnet 128 des Regrets indique nette-

' Poemata, 40 : Voti solutio.

- V. encore la pièce Jiasia Faustinae, 41 r".

•■' Elégie à Morel :

Tum dciuuia in p.Ttriani (sic ras tune poscere visa est)

Diinissos Uoma nos remeare jubet, El sua coniniillit curanda négocia nobis,

Experlus nostrani scilicet aute lideni.

^ V. plus loin, ehap. x, §1.

'- Gerlainemenl, il était encore à Rome le 10 août 1557, puisqu'il fit en vers latins {Poemata, f" 50 r") l'épitaphe du cardinal Mignanelli, mort ce jour-là (Ciaconius, Uistoriae Pontijicum . . . , t. III, col. 777-778). Le début

RETOUR EN FRANCE 387

ment qu'il dut prendre la voie de mer *. C'est qu'à cette époque, en effet, le duc d'Albe n'était plus qu'à une quinzaine de milles de la grande cité ' : la campagne n'était pas sûre. J'incline à croire qu'après une navigation passablement hou- leuse, il débarqua dans quelque port, peut-être à Givita- Vecchia, pour reprendre la voie de terre à travers les États de l'Église. A partir de ce moment-là, nous avons son itinéraire : sept sonnets des Regi^ets (i32-i38) nous permettent de le suivre dans son voyage de retour. 11 y note avec précision, en même temps que ses étapes, les impressions qu'il a reçues en cours de route. Plusieurs de ces petits poèmes sont des modèles de description humoristique et pittoresque.

Si dans Ihospitalière cité d'Urbin, patrie de son ami Vineus, il trouva le meilleur accueil, dans les États du Pape il souffrit de faim et de soif :

C'est pitié, comme le peuple est inhumain,

Comme tout y est cher, et comme Ion y pinse. (S. i32).

» Ce fut bien pis au duché de Ferrare, un « enfer », nous

dit-il. Il passa par Venise, dont il a tracé un vivant tableau ',

de la i)ièce In eos qui bello Quintiniano occiibuerunt Lacrymae {Poeniata, {" 52 r") semble bien indiquer que son départ de Rome suivit de fort près la nouvelle du désastre de Saint-Quentin. Or, c'est le 2.3 août qu'on apprit à Home cette terrible délaite (G. Duruy, Le Cardinal Carlo Carafa, p. 230).

' Cf. Poemata, P .31 v" :

Sed (o spes hominum levés ! ) reversum Per tôt heu pelagi aestuantis undas . . . et o2 :

Per saxa et scopulos, ventosa per aequora vecti,

Dura pulchrae cainpos linquimus Hesperiae . . .

- G. Duruy, op. cit., p. 238.

' Il ne sera pas sans intérêt de rapprocher de ce tableau la description que fait Marot, dans son Epistre envoyée de Venise à Madame la Duchesse de Ferrare (Edit. Voizard, p. 132).

388 JOACHIM DU BELLAY

que termine un trait de satire à l'adresse des doges, (( ces vieux coquz », qui solennellement

vont espouser la mer, Dont ilz sont les maris, et le Turc l'adultère. (S. [33).

Puis il traversa les Grisous, ce qui lui parut un supplice digne des plus grands criminels (s. i34). De Coire à Genève, il eut le temps de bien examiner la Suisse. Il consigna dans un curieux sonnet le résultat de ses observations :

La terre y est fertile, amples les édifices, Les poelles bigarrez, et les chambres de bois, La police immuable, immuables les loix. Et le peuple ennemy de forfaitz et de vices.

Hz boivent nuict et jour en Bretons et Suysses, Hz sont gras et refaits, et mangent plus que trois : Voilà les compagnons et correcteurs des Roys, Que le bon Rabelais a surnommez Saulcisses.

Hz n'ont jamais changé leurs habitz et laçons, Hz hurlent comme chiens leurs barbares chansons, Hz comptent à leur mode, et de tout se font croire :

Hz ont force beaux lacz et force sources deau, Force prez, force bois. J'ay du reste (Belleau) Perdu le souvenir, tant ils me firent boire. (S. i35).

Genève, la cité protestante, lui déplut par son aspect maus- sade et par un rigorisme qu'il jugea hypocrite (s. i36). Enfin, il mit le pied dans Lyon. Quel soupir de soulagement ! « Ce beau Lyon », c'était la France ! La patrie de Maurice Scève le ravit, avec son peuple d'artisans, de marchands, de ban- quiers, d'armuriers, d'imprimeurs (s. i^j). De Lyon, il gagna Paris : comme tous les Français qui reviennent de loin, il

RETOUR EN FRANCK 389

en découvrit les merveilles : il en fut ('bloui '. Toiilclbis, ce qui ne put lui plaire,

Ce fut l'estonnement du badaud populaire,

La presse des chartiers, les procez, et les fanges. (S. i38).

En rentrant à Paris, du Bellay se faisait un bonheur de retrouver ses vieux amis, Ronsard. Morel, Dorât, La Haye, Paschal : il les voyait de loin tendant les bras vers lui, le cœur en fête ^ Il semble que Ronsard eût pu, dans cette circonstance, improviser quelques vers bien sentis en l'honneur du compagnon qui revenait parmi les siens après quatre ans d'exil. Il garda le silence. Dorât seul éleva la voix, et puisa dans son âme, pour chanter le retour de son ancien disciple, quelques accents sincères ^ :

Nunc vos errouem Bellaium admittite vestrum,

Sequanides nymphae Parisiique chori. Ille dabit numéros vestris, velut ante. choreis :

Illius ad solitos niembra movete modos. Non quia cum veteris Romae contendit honore,

Peligno certans versibus ingenio. Idcirco patria est oblitus carmina voce

Gantare, emeritus qualia cantat olor. Vos ea nunc etiam, mihi crédite, plectra juvabunt,

Quae tam juverunt, hoc modulante prius '. Nunc quoque Bellaii discentes carmina, Galli

Hune aliquid dicent addidicisse novi.

' Cf. un sonnet de Baïf (Martj^-Laveaux, I, 189).

' Regrets, s. 129.

^ Ad loachimum Bellamm, de ejns reditu ab Italia. Recueil de 1586, Poem. lib. I, p. 39.

* Je corrige ainsi le texte fautif de l'original : Quae tam juvabunt hoc tam modulante prius.

300 JOACHIM DU BELLAY

in

C'est à la fin de iSS^ que du Bellay redevint Parisien, Je pense qu'il logea dans une maison que possédait Morel au cloître Notre-Dame '. La place énorme qu'a tenue cet ami dans la vie de notre poète nous fait un devoir de lui consa- crer quelques minutes d'attention.

Jean de Morel % natif d'Embrun (i5ii-i58i). seigneur de Grigny et de Plessis-le-Gomte, maître d'hôtel du roi. maréchal des logis de Marguerite de France, duchesse de Berry, jouissait parmi les savants d'une grande réputation : hoino sermonis et moriim elegantia non minus qiiam doctrinae nomine spectahilia, écrit de lui Sainte-Marthe. Il avait été l'élève d'Erasme, dont il ferma les yeux à Bàle en i536. Après d'assez nombreux voyages, il s'était fixé à Paris. Il avait épousé la veuve de Lubin Dallier, avocat au Parlement, une femme supérieure, versée dans les langues anciennes et dans la poésie française, Antoinette de Loynes \ De ce mariage étaient issues trois filles, Camille, Lucrèce et Diane *, dont Morel avait confié l'éducation à Charles Utenhove, un très docte Gantois, d'origine patricienne, qui connaissait au moins sept langues \ Les trois sœurs devaient un jour faire honneur

' C'est du moins ce qu'on peut conclure d'une lettre de du Bellay à Morel, qui se termine ainsi : « De vostre maison au cloistre Nostre Dame » (édit. P. de Nolhae, p. 4r)). La même expression se rencontre à la fin de la lettre récemment retrouvée par M. de Noltiac, et dont j'ai cité le principal fragment dans une note ci-dessus, p. 3()1.

- Sur J. de Morel, consulter son Tombeau {loannis Morelli tumuliis. 1583), publié par les soins de sa fille Camille ; Sainte-Marthe, Elogia (l(j06). p. 1:ir>, et Poemata (1006). p. 227, loannis Morelli Epicedium ; Gny XUarâ, Dictionn. du Dauphiné. Grenoble, 1864, t. II, col. 1H6 ; Dupré-Lasale, Michel de L'Hospital, ISTo. p. 97, et Bulletin du Bibliophile. 1880, p. 375 ; P. de Nolhae, Rcv. d'hist. liit. de la France, 15 Juill. 1891), p. 3:)1.

^ Elle collabora notamment au Tombeau de Marguerite de Navarre (1551). V. La Croix du Maine, I, 55, et la note de La Monnoye.

' La Croix du Maine, I, 26, 99, 166, et II, 68: du Verdier, I, 283.

^ La Croix du Maine, I, 119 ; du Verdier, 1, 310 ; Colletet, notice inédite, mscr. Durand de Lançon, f" 489 r°. (Bibl. Nat. Nouv. Acq. Fr. 3073).

RETOUR EN FllANCE 391

à leui" maître, et déjà l'aînée s'annonçait comme un prodige. Elle était, nous dit du Bellay, le vivant portrait de son père :

Morello similis suo Camilla

Sic est, tam simile haud sit ovum ut ovo.

A dix ans, elle parlait le i^frec, écrivait l'hébreu, composait des vers latins et français \

Morel, qui par lui-même produisait peu % s'entourait vo- lontiers de beaux-esprits et de savants. Sa maison de la rue Pavée, près l'église Saint- André-des-Arcs, était le rendez-vous de tous les amis des lettres et comme le temple des Muses, tanqiiam sacra Mnsariim aedes, dit Sainte-Marthe, qui la fréquenta dans sa jeunesse. venaient Jean Mercier, le beau-fils de Morel, successeur de Yatable dans la chaire d'hébreu au Collège Royal ; Michel de L'Hospital \ qui lisait dans l'intimité ses élégantes poésies latines " ; Salraon Macrin, alors au faîte de la gloire ; Dorât, avec ses deux fidèles, Ronsard ' et Baif " ; Lancelot Caries, évéque de Riez ; Jérôme de la Rovère, évêque de Toulon ' ; beaucoup d'autres encore.

* Poemata. f" 32 : De Camilla lani Morelli F. L'éloge de du Bellay contient quelque exagération. Il n'en est pas moins vrai que Camille de Morel fut une des femmes les plus savantes de son époque. Ses œuvres, disséminées un peu partout, n'ont jamais été recueillies. On trouvera des spécimens de ses vers grecs, latins et français dans le Morelli tumnlns. (Bibl. Nat. Rés. mY'. 811).

- Ses œuvres, elles aussi, sont éparses. V. à ce sujet Dupré-Lasale, Balle- tin du Bibliophile, 1880, p. 373.

' La maison de L'Hospital était voisine de celle de Morel, sur la paroisse Saint-André-des-Arcs. Sa femme. Marie Morin, fut marraine de Lucrèce de Morel, le mercredi Ifi janA'ier 1,548. (Ilegist. de Saint-André-des-Arcs, cité par Dupré-Lasale, Michel de L'Hospital, p. 99, n. 1).

* V. la thèse latine de M. Schrœder, Quid de moribus, stiidiis et latine scribendi génère Michaelis Hospitalis ex ejusdem carminibus con- cliidi possit. Paris, llaciiette, 1899, in-8'.

5 Ronsard a souvent loué Morel (Blanchemain, 11, 93 ; 111, 412 ; IV, 80 ; V, 138 ; VI, 230).

" Marty-Laveaux, 11, 352.

' P. de Nolhac, Lettres de J. du Bellay, p. 28, n. 1.

392 JOACBIM DU BELLAY

Cette maison hospitalière, du Bellay la connaissait bien. Que de fois jadis, avant son départ, il y avait trouvé le plus cordial accueil * ! Que de fois, à Rome, il l'avait regrettée ' ! Il n'est pas douteux qu'après son retour il n'en ait été l'un des hôtes les plus assidus.

Jusqu'à sa mort, du Bellay nourrit pour Morel une afiec- tion toujours plus vive, et le gentilhomme d'Embrun devint, aux dépens de Ronsard, son véritable ami de cœur. Les lettres du poète en disent long sur le caractère tout à fait intime de cette amitié. Lorsqu'il parle à Morel, du Bellay le nomme son « frère ». Il lui demande anxieusement des nou- velles de sa santé, de celle de sa femme et de sa fille Camille, a nostre Camille » , comme il l'appelle \ En même temps, il le tient au courant de ses travaux, et le consulte comme on consulte un liomme de goût ". Il use de son entremise pour présenter ses œuvres aux grands dont il recherche la protection ^ Lorsqu'il est souffrant ou pressé de besogne, il le mande chez lui pour lui communiquer ce qu'il a d'important : « Vous sçavez, lui dit-il. qu'en tous mes petiz affaires j'ay tousjours recours à vous comme ad sacram anchorarn ". » Enfin, quelque temps avant de mourir, c'est à ce fidèle Pylade (Pyladem suiim) qu'il confia ses pensées dernières et les douloureux secrets de son cœur, dans cette plaintive élégie qui fut comme son testament.

' V. la dédicace à Morel du recueil de lao2, et surtout la lin de cette dédicace (II, 338). Cf. le sonnet A Monsieur de Morel (II, 139).

- Outre les sonnets des Heffrets dédiés à Morel, v Poemala, 'J v" : In vitae quietioris conimendationeni ad I. Morelluni.

•'' Lettres, p. 24.

* Lettres, p. 25-26 et 29-30.

* Lettres, p. 31, 35, 45. « Lettres, p. 32-33.

RETOUR EN FRANCE 393

IV

L'amitié de Morel fut d'autant plus précieuse à du Bellay que, pendant les deux ans qu'il vécut encore, il eut à subir mainte épreuve. Il s'imaginait bonnement avoir laissé tous les tracas à Rome. A peine fut-il de retour qu'il en trouva d'aussi pesants à son foyer. Que s'était-il passé durant son absence ? Et quels ennemis abritait son manoir solitaire ? Il ne le dit pas avec précision '. Mais un beau sonnet à Dorât, en réponse à sa pièce de bienvenue, nous le montre accablé de tourments au point de regretter l'Italie :

Et je pensois aussi ce que pensoit Ulysse, Quil n'estoit rien plus doulx que voir encor' un jour Fumer sa cheminée, et après long séjour Se retrouver au sein de sa terre nourrice '.

Je me resjouissois d'estre eschappé au vice, Aux Circes d'Italie, aux Sirènes d'amour, Et d'avoir rapporté en France à mon retour L'honneur que l'on s'acquiert d'un fidèle service.

Las. mais après l'ennuy de si longue saison. Mille souciz mordans je trouve en ma maison. Qui me rongent le cœur sans espoir d'allégence.

' Peut-être faut-il voir une vague allusion à ces faits très obscurs dans le sonnet liminaire des Regrets : Si quelque envieux te pince, dit l'auteur à son livre, souhaite-lui les maux que j'ai soufferts.

Et qu'on mange son bien pendant qu'il est absent.

* Ce début est repris de ces vers de Dorât, dans la pièce indiquée plus haut, § II, p. 389.

Tu quoque dulce puta, quod et ipse putabat Ulysses, Fumantes patriae posse videre focos . . .

etc.

30't .lOACHIM DU BELLAY

Adieu donques (Dorât) je suis encor'^ Romain,

Si Tare que les neuf sœurs te misrent en la main

Tu ne me preste icy. pour faire ma vangence '.

Des tracas domestiques et de nouveaux procès attendaient ce second Ulysse. Il n'en fut pas quitte de si tôt : les affaires étaient compliquées : au mois de juillet i559, le malheureux s'y débattait encore ■.

Toutefois, ces ennuis ne l'empêchèrent point de songer à sa renommée. Depuis quatre ans qu'il était hors de France, ou avait eu le temps de l'cublier. Il était impatient de reprendre sa place dans le chœur des poètes, à côté de Ronsard, en tête de la jeune école. Il se mit donc en mesure de donner au public les divers recueils qu'il avait composés à Rome. Il se hâta de prendi'e les privilèges nécessaires % et la même année 1558 vit paraître coup sur coup les Anti- qiiitez de Rome , les Poemata , les Regrets et les Jeux Rustiques.

' Regrets, s. 130. Ce sonnet est la réduction d'une pièce des Poemata, f ' 31 V : Ad lanum Auratnm. La pièce latine n'est guère plus précise que le sonnet. On y lit cependant :

Edunt mille proci : procos vocare

Si curas liceat, malasque lites,

Quae nostrum maie coreulum perurunt,

Quae nostras penitus vorant meduUas. Du Bellay, (jui compare son sort à celui d'Ulysse, ajoute mélanei)li(|uement

Saltem, si qua milii domi pudiea

Foret Pénélope, piusque natus,

Longaevus «^euitor. satraxque nutrix.

Qui lacti exeiperent, piisque fessum

Koverent manibus ! Nihil sed horum

llepertum mihi : ne vêtus quidem me

Agnovit domiaum canis.

■' Lettre au cardinal du Bellay (31 juillet i;5b9) : « Monseigneur, si mon

indisposition et les affaires, qui me tiennent par deçà pour la conservation

de ma maison, m'eussent permis de vous aller trouver... « Lettres, p. 41.

' Le 17 janvier i'.).)! (n. s. lo38) pour les Regrets et les Jeux Rustiques,

le 3 mars pour les Antiquitez de Rome et les Poemata.

CHAPITRE VII

LES « JEUX RUSTIQUES

I. Caractère des « Jeux Rustiques » . Division du recueil. L'inspiration élégiaque. Fâcheux retour au pétrar- quisme. Les deux « Baisers ». II. L'inspiration satirique.— Formes diverses qu'elle affecte.—

L'esprit de du Bellay. III. L'inspiration rustique. Les u Vœuz rustiques » de Nau- gerius. Valeur du recueil.

Les Jeux Rustiques sont le dernier recueil rapporté d'Italie par du Bellay '. L'auteur nous avertit lui-même qu'il l'a fait comme en se jouant, aux heures de loisir et de récréation. Il ne faut donc pas y chercher une œuvre savamment tra- vaillée : (( Geulx qui sont ou si sévères, que rien ne leur

* Divers Jeux rustiques et autres œuvres poétiques de loachiin du Bellay Angevin. Paris, Federic Morel, loj8, in-4''. Privilège daté de Paris, 17 janv. 1557 (n. s. 1538). L'édition originale se compose de 39 pièces, y compris la dédicace à Duthier (Marty-Laveaux, II, 289-406). Cinq autres pièces ont été jointes au recueil dans les éditions postérieures (Marty-Laveaux, 11, 406 419). Dans ce chapitre, je citerai d'ajirès l'édition I. Liseux (Paris. 1875, in-32), qui reproduit fidèlement l'édition originale.

39G JOACHIM DU BELLAY

plaist s'il n'est plein de doctrine et antique érudition, ou si délicatz. que leurs oreilles rejectent toutes choses, si elles ne sont élabourées en perfection, le tiltre du livre les admoneste de ne passer plus avant. » (Au Lecteur). Avec la spon- tanéité, le caractère le plus saillant de ce recueil, c'est son extrême variété. On y rencontre un peu de tout, comme si l'auteur avait voulu résumer dans cette œuvre ses divers talents poétiques. On peut cependant grouper sous trois chefs les pièces qui la constituent, suivant qu'on y retrouve l'in- spiration élégiaque , l'inspiration satirique ou l'inspiration rustique '.

Des pièces élégiaques, je dirai peu de chose : c'est la partie la moins nouvelle, partant la moins intéressante. Du Bellay se souvient qu'il a jadis écrit Y Olive : il fait un retour vers le pétrarquismc.

Chant de V Amour et du Primtemps (p. 3o), Chant de V Amour et de V Hjyver (p. 39), voilà des titres éloquents : l'imagination se plaît à rêver quelque hymne gracieux ou mélancolique. Mais le rêve est trompeur : le poète n'a rien tiré de cette alliance de la nature et de l'amour.

La nature l'a mieux inspiré dans la Métamorphose d'une rose (p. i53), en lui fournissant quelques fraîches images. Il s'agit d'une veuve dont le destin a fait une rose :

Je suis, comme j'estois, dodeur naïve et franche, Mes bras sont transformez en épineuse branche, Mes piedz en tige verd, et tout le demeurant De mon coi'ps est changé en rosier bien fleurant.

' Je laisse de côté le Combat d'Hercule et d'Acheloys (p. 2:i), médiocre paraphrase d'Ovide, Métam., IX, 1-10(J, et la navrante Épitaphe d'unjlam- beau (p. 107).

LES (( JEUX RUSTIQUES )) 397

Les grâces, dont le ciel in'avoit favorisée, Or' que rose je suis, me servent de rosée : Et l'honneur qui en moy a fleury si long temps, S'y garde encor' entier d'un éternel printemps.

La plus longue frescheur des roses est bornée Par le cours naturel d'une seule journée : Mais ceste gayeté qu'on voit en moy fleurir. Par l'injure du temps ne pourra dépérir.

Les poésies intitulées De sa peine et des heautez de sa dame ' (p. 4"). Élégie d'amour (p. 69), Chanson (p. jS), Élégie amoureuse (p. 117), ne sont le plus souvent que de subtiles discussions de galante casuistique. Je ne vois guère à déta- cher que le passage du Bellay, cherchant à expliquer la naissance de l'amour, formule la théorie du Je ne sais quoi (P- 71) :

J'ay plusieurs poincts, que je pourois induire A ce propos, si je voulois déduire Ce faict au long, et démonstrer comment L'amour s'engendre en nous premièrement, Quelle est sa fin, son essence, et nature, D'où vient souvent qu'on ayme à l'aventure Un incogneu, et ne sçait on pourquoy, Fors que Ion trouve en luy je ne sçay quoy, Qui à l'aymer par force nous incite, Gomme le fer, qui suyt la calamité.

Le reste est pur galimatias. Ce qui manque à ces poésies soi-disant amoureuses, c'est la sincérité. L'auteur exprime à quelque Iris en l'air, aussi peu réelle qu'(31ive. une passion qu'il ne sent point : il n'y a rien de vécu :

* A remarquer dans chaque strophe le développement quinaire des idées.

398 JOACHI.M DC BELLAY

Mal volun tiers chante la bouche De l'amour qui au cueur ne touche, comme il l'avoue lui-même à son ami Magny.

Ce dernier lui ayant dédié une ode Des grâces et perfec- tions de s'am/e *, du Bellay lui répondit par une ode du même genre Sur les perfections de sa dame (p. 5o). Sa pièce est évidemuient très supérieure à celle de Magny. Ce qui nVen plaît surtout, c'est que le poète entrouvre son àme et s'abandonne aux confidences. Du temps que j'étais amoureux, nous dit-il. je n" aimais que laniom*, je ne songeais qu'à lui, je ne savais chanter ({ue lui : je vivais dans un rêve.

Mais depuis que Tàge, et le soing, Me faisant regarder plus loing, M'osta ce voyle, et que les choses Véritables se sont décloses,

J'ay rougy de me voir déceu. Et depuis ma lyre n'a sceu Chanter l'amour, et rien ma Muse Rien tant que l'amour ne refuse.

Il se trompait : il était encore capable de bien chanter l'amour, mais à la condition de renoncer au pétrarquisme. Je n'en veux pour pi'euve que ces deux baisers respire la plus ardente volupté. Tous deux s'adressent à Faustine : c'est tout dire. Le premier (p. 78) la célèbre sous le doux nom de Coluinhelle :

Sus. ma petite Columbelle,

Ma petite belle rebelle,

Qu'on me paye ce qu'on me doit :

Qu'autant de baysers on me donne.

Que le poète de Véronne

A sa Lesbie en demandoit.

' Magny, Odes. édit. Courbet (1876), t. H, p. IH.

LES (( JKUX RUSTIQUES )) 399

Mais pourquoy te fay-je demande De si peu de baysers, friande, Si Catulle en demande peu ? Peu vrayment Catulle en désire, Et peu se peuvent-ilz bien dire, Puis que compter il les a peu.

De mille ileurs la belle Blore Les verdes rives ne colore, Cérès de mille espicz nouveaux Ne rend la campagne fertile, Et de mille raisins, et mille Bacchus n'emplist pas ses tonneaux.

Autant donc que de fleurs fleurissent, D'espicz et de raisins meurissent, Autant de baysers donne moy : Autant je t'en rendray sur l'heure, Afin qu'ingrat je ne demeure De tant de baysers envers toy.

Mais sçais-tu quelz baysers, mignonne ? Je ne veulx pas qu'on les me donne A la Françoise, et ne les veulx Tels que la Vierge chasseresse Venant de la chasse les laisse Prendre à son frère aux blonds cheveux :

Je les veulx à l'Italienne,

Et telz que l'Acidalienne

Les donne à Mars son amoureux :

Lors sera contente ma vie.

Et n'auray sur les Dieux envie,

Ny sur leur nectar savoureux.

Que de grâce câline en ces jolis vers, tout à fait dignes de Catulle * ! 1 Cf. Catulle, Cann. V et VII.

4(X) JOACHIM DU BELLAY

Je ne trouve pas moins exquis l'autre baiser * (p. 80) :

Quand ton col de couleur de rose . . . Mais je ne puis songer à tout citer.

On sait si la poésie du xvi^ siècle fut féconde en baisers : on en pourrait faire un volume. Ronsard, Baïf, Belleau, Magny, Tahureau, Grévin, en composèrent tour à tour ; c'était à (jui ferait revivre Catulle et Jean Second. Notre poète n'en a que deux sur la conscience : ils ont tant de saveur qu'il faut fermer les yeux sur ce qu'ils ont d'un peu lascif.

II

La satire tient une grande place dans le recueil des Jeux Rustiques, et cela sous toutes ses formes.

La satire littéraire est finement représentée par le spiri- tuel pamphlet Contre les Pétrarquistes (p. 61). La pièce avait déjà paru sous le titre A une Dame, en i553. Du Bellay l'a reprise et remaniée heureusement. Puisque j'en ai fait l'analyse ailleurs *, inutile d'y revenir. Peut-être s'étonnera-t-on de trouver cette pièce au milieu d'un recueil qui contient plu- sieurs poésies pétrar([uistes ; mais nous n'en sommes plus à compter les contradictions de Joachim.

A la satire morale il faut rattacher, outre une médiocre invective Contre une vieille ' (p. 112), du Bellay refait VAntérotique, trois pièces réalistes qui mettent sous nos yeux la vie des courtisanes à Rome. Deux d'entre elles, la Courtisanne repentie (p. 120) et la Contre-repentie (p. i25), sont traduites du latin de Pierre Gilbert, un poète de Tou- louse que du Bellay connut à Rome, mais dont les vers ne

' Il est repris dune pièce latine (Poeinata, il r" : Basia Faiistinae). * V. ci-dessus, 1" part., chap. vi, § vu, p. 195 sqq. ' Du Bellay s'inspire d'Ovide, Amor. I, viii.

LES « JliUX RUSTIQUES )) 'iUl

sont pas venus jiisquà nous '. Lu Iroisiènie, lii ViciUe Coiiv- lisanne (p. i3i), loiil en s'inspirant par endroits des Dialo- gues de l'Arétin, a vraiment la valeur d'une œuvre originale : c'est un tableau de nuieurs <[ui préeise et eonipIMe certaines peintures des liegi-ets. Dans ce curieux poème, nous rece- vons les eonlidences d'une ancienne courtisane qui, parvenue à la vieillesse, nous raconte en détail l'histoire de sa vie : sa chute première avec un sert' ; ses liaisons successives avec des gentilshommes, puis avec un prélat qui l'achète (( comme pucelle » . la l'ait instruire, lui donne maison et valets, satisfait à tous ses caprices, et quelle trompe par amour de la liberté ; son mariage avec un jeune homme qui la rudoie, la ruine et l'abandonne ; les métiers inavouables , conséquence de cet abandon ; l'àpre chasse à l'argent ; le repentir momentané qui la jette au couvent, pendant une semaine sainte ; la joie de vivre, qui l'en fait bientôt ressortir; ses folles débauches ; sa passion véritable pour u un jeune audacieux » qui ne la paie point de retour ; finalement, le déclin de ses chai'mes, les maladies, l'allreuse pauvreté, le travail mercenaire pour nourrir une tille en bas âge, les risées de la foule, les regrets et les larmes, en attendant la mort prochaine, La vie entière des courtisanes, avec leurs plaisirs et leurs jeux, leur manière de s'attifer, leur éducation artis- tique, et jusqu'à leur science de la magie, tout cela j)asse devant nous dans un récit vivant, mouvementé, d'une langue facile et riche et colorée ". La Vieille Coiivtisanne est une des œuvres les mieux écrites de du Bellay.

On trouve dans les Jeux Rustiques divers échantillons de

' A l'exception d'un seul sonnet qui répond au s. IGO des Soiispirs de Magny, édiU Courbet, p. V\i. Cf. ci-dessus, p. 34lt, n. G.

- M. Marty-Laveaux remarque avec raison qu'il n'est pas d'oeuvre du Bellay ait introduit avec plus de bonheur les termes étrangers dont il avait besoin pour nous donner une exacte peinture des mœurs romaines. [Langue de la Pléiade, I, 180).

Univ. de Lille. Tomr VIII \. 2(5.

402 JOACHIM DU BELLAY

satire plaisante et badine. La pièce A Bertran Bergier, poëte dithjyramhir/ue (p. io3), dans sa raillerie légère, est moins curieuse par les détails qu'elle contient sur l'œuvre singulière du camarade de Joachim. que par la profession de foi qu'on s'étonne d'y rencontrer. Hésiode, s'écrie notre auteur, Hésiode, ancien bouvier devenu poète soudain pour avoir Jm ù l'Hippocrène,

Montra que la seule nature

Sans art, sans travail, et sans cure.

Fait naistre le poëte, avant

Qu'il ayt songé d'estre sçavanl.

Et voilà du Bellay cjui plaide la cause de la nalure contre l'ai-t :

Aussi les vers du temps d'Orphée,

D'Homère, Hésiode, et Musée,

Ne venoient d'art, mais seulement

D'un franc naturel mouvemcnl.

Les bcrgiei's, avec leurs musettes, Gardans leurs brebis camnsettes, Premiers inventèrent les sons De ces poëliiiues cliansons.

Depuis geinant tel exercice Soidjs un misérable artifice, (^e qu'avoient de bon les premiers. Fui corrompu ])ar les derniers.

De vindrcnl ces Enéïdes.

El ces fascheus(>s Thébaïdes,

n'y a vers sur (pii ses doigls

On n'ayl rongé plus de cent fois.

l'oi'l bien: mais ([uc sonl devenus les principes de hi Deffence'l h'hj^ninc de la Surdité (p. i5(j) appartient au genre ber-

LES (( JEUX HL'STigUES )) 403

nesquo. C'est eu lisant les Italiens que du Bellay s'avisa (le eette œuvre : il voulut transporter chez nous les spirituels capitoli de Berni et de son école, (t Disant sérieusement des choses boulTonnes ou Iblàtreuient des choses graves... le poète bernesque plaisante pour plaisanter, uniquement docile aux caprices de sa verve joyeuse '. » Cet HjTnne de la Surdité, que l'auteur dédie à Ronsard, est un pur badinage, ou, si l'on veut, un paradoxe. Pourtant du Bellay se détend de toute idée paradoxale :

Je ne suis pas de ceux, qui d'un vers triompliant Déguisent une mouche en forme d'éléphant. Et qui de leurs cerveaux couchent à toute reste. Pour louer la folie, ou pour louer la peste *.

Mais c'est justement le piquant : du ton le {)lus sérieux, il va faire l'éloge d'une infirmité ([ui n'a. suivant lui. ipie des avantages :

Je diray qu'estre sourd (jui la différence

Sçait du bien et du nuil) nest mal qu'en apparence.

En effet, ceux ([ui sont nés sourds ne sont pas malheureux, puisque, ignorants du bien (jui leur manque, ils ne peuvent le regretter. Et quant à ceux qui le deviennent, ô combien leur sort est enviable ! Le sourd par accident se voit

Privé d'un peu de bien, et de beaucoup de mal.

S'il ne perçoit plus les (( doux sons )) ni les (( plaisants propos » , en revanche il n'a plus à souffrir

L'ennuy d'un faulx accord, une mauvaise voix,

' J'emprunte cette définition à M. Yianey, Mathurin Régnier, p. 34. M. Yianey, qui marque nettement (p. 60-61) le caractère particulier de l'Hymne de la Surdité, me semble un peu sévère pour du Bellay.

- Berni a fait un éloge de la peste, le Lasca un éloge de la folie.

404 JOACHIM Dr BELLAY

Un fascheux instrument, un bruit, une tempeste, Une cloelie, une forjïe, un l'ompement de teste, Le bruit d'une cbarrette. et la doulce chanson D un asne. ({ui se plaingt en effroyable son.

11 n'est plus exposé

à l'importun caquet D'un indocte prescheur, ou d'un fascheux parquet, Au babil d'une femme, au long prosne d'un prestre, Au gronder d'un vallet, aux injures d'un maistre, Au causer d'un boullon, aux broquars d'une court, Qui font cent l'ois le jour désirer d'estre sourd.

Et du Bellay poursuit son énumération des bienfaits de la surdité. Il trouve heureux Ronsard, qui lui doit ce <|u'il est, et regrette pour son compte de n'être plus aussi sourd qu'au- trefois : que de tracas lui seraient épargnés à Rome ! La conclusion est celle d'un hymne ^ :

Je te salue, ô saiucte et aime Surdité !

C'est encore des badinages, mais non plus du genre bernesque, que les deux Epitaphes du chien Peloton (p. 85) et du chat Belaiid (p. 89). Il faut lire d'un bout à l'autre ces deux jolies bluettes, si l'on veut avoir une idée de tout l'esprit de du Bellay, et de ce qu'il a de délicatesse et de grâce légère. C'est du meilleur Marot. Du Marol? Oui vraiment, et l'on ne voit pas sans surprise l'ancien héraut de la Deffence reprendre un(; ti'adition qu'il avait condamnée avec tant de superbe. Qu'on relise l'épigramme de Marot, De la chienne de la Roj'ne Eleonor^. ou la pièce de Sainl-delays, Epitaphe de la heh'tlc d'une damoiselle '\ et l'on verra si du Bellay, chan-

' Cf. la lin de la plupart des Hymnes de Ronsard. - Édit. P. Jannct, III. 87. ■' Édit. Blanchemain, I, ;)3.

LES « JKUX RUSTIQUES )) 40o

tant Peloton ou Belaud, l'ail autre choso que continuer, avec infiniment d'esprit, l'œuvre de ses prédécesseurs '.

Le elief-d'œuvre de cette partie du recueil, c'est évidenini<;nt YEpitaphe de Vabbé Bonnet (p. 97). Pourtant, ici encore, je ne puis m'empêcher de noter que Joachiui suit de bien près Marot, en s'essayant au g<;iire de l'épitaphe Innuoi-istique \ Est-il besoin de dire que cet abbé Bonnet, suivant toute apparence, n'a jamais existé ? Mais le poète en trace un portrait si précis, que l'imaginaire personnage prend à nos yeux la consistance d'un être réel et vivant :

Gy gist Bonnet, qui tout sçavoit. Bonnet, qui la prattique avoit De tous les secrets de nature. Dont il parloit à l'aventure, Car il eut si subtil esprit, Qu'onq' il n'en leut un seul escripl. Bonnet ne leut onq' en sa vie Un seul mot de philosophie. Et si en sçavoit. ce dit-on, Plus qu'Aristote. ny Platon. Bonnet fut un Docteur sans tiltre, Sans loy, paragraphe, et chapitre. Bonnet avoit leu tous autheurs, Fors poètes et orateurs :

' Pour tout concilier, disons que les deux écoles se rejoignent dans l'An- tiquité : l'Anthologie, Catulle, Ovide, Stace, Martial, consacrent de gracieux souvenirs à des animaux aimés. Après du Bellay, la Pléiade s'est plu- sieurs fois exercée dans le même genre. Cf. Ronsard, Epitaphe de Courte, chienne du Roy Charles IX; Epitaphe de la barbiche de Madame de Villeroy (Blanchemain, VII, 250 et 237) ; Baïf, Epitaphe d'un petit chien 'Marty- Laveaux, IV, 239) ; Belleau, Epitaphe du cliien Travail (Marty-Laveaux, II, 112) ; Magny, Epitaphe du chien Ploton [Odes, Courbet, II, 79). Celte dernière pièce offre les plus grands rapports avec celle de du Bellay. V. à ce sujet la thèse de M. Favre, p. 299-303.

- V. notamment dans Marot VEpitaphe de Jean Serre, excellent joueur de farces, édit. P. Jannet, II, 21o.

40fi JOACHIAf DL' BELLAY

D'histoires, ot raathématiqiK^s. Et telles sciences antiques, Ils s'en moccpioit : au demeurant De rien il nestoit ignorant.

Je ne cite (pie le début : le reste est dans le nièiue ton. Nulle part du Bellay n*a montré ])lus de verve. Ce n'est plus la raillerie sardonique des Regretfi : la satire ici n'a plus rien d'amer. Le poète se laisse aller, sans âpre arrière- pensée, à la fantaisie d'un badinage ([ui l'amuse autant pour 1(^ moins qu'il amusera son lecteur '.

III

Cette humeur facétieuse fait contraste avec la grande siuqdicité, j'allais dire la nudité, qui caractérise les pièces cliampètres. les dernières dont j'aie à parler, les plus neuves à coup sur. et d'où vient son titre au recueil. Poète rus- tique, du Bellay le fut avec distinction. « Il y était naturel- lement préparé par toute son enfance de petit campagnard . dans la molle et tlouce terre d'Anjou *. » Toutefois, et la chose est curieuse, ce n'est pas de lui-même qu'il est allé vers la campagne : il l'a retrouvée à travers des modèles. Il est vrai qu'il a su la sentir dans ces modèles mêmes, qu'il l'a peinte ensuite à sa façon, dune manièi'e toute charmante et, dans certains cas, voisine de la perfection.

' 11 faudrait rattacher à ces poésies satiriques les pièces postérieures à l'édition originale. l'Epitaphe du passereau de Madame Marguerite (II, 40(î), est sans valeur. Le Sonnet à Baïf (II, 419) sur les comparatifs et les super- latifs est trop connu pour insister. Quant à la Satyre de Maistre Pierre du f'uiffnet (II. 40S), elle se rapporte à la mémorable querelle de Ramus et de Galland : la (jnestion est traitée tout au long par Watldington, Ramus, sa vie, ses écrits et ses opinions, 18So, p. S9-97. cl par Lenient, La Satire en France au xvi' siècle, 1877. t. II. p. 2t9-:i23.

- Faguet, Seizième siècle, p. 312.

LES (( JEUX RUSTIQUES )) 407

Virgilo lui l'ut un inuidi^ oxcollont. Srduit d'abord pai- ce poème savoureux qui s'a]){)olle le Moretuni, il le (it passer en français (p. 4)- mais il eut soin, au lieu de le traduire, de le transposer librement, remplaçant le paysan Simylus par le paysan Marsault, et sa servante, l'africaine Scybale, par la limousine Gatou '.

Deux pièces empruntées à Bend:>o ^ . Complainte des Satyres aux Nymphes (p. 82) et Sur un chappelet de roses (p. 84) . nous permettraient ég'alement de constater , la seconde surtout, que du Bellay, lorsqu'il imite, sait con- server une certaine indépendance.

Mais j'ai hâte d'arriver aux Vœuz rustiques du latin de Naugerius (p. 10-21). Un noble Vénitien, André Navagero (i483-i529), qui se distingua comme ambassadeur de la Répu- blique auprès de Charles-Quint et de François I". s'était fait un nom, parmi les lettrés de la Renaissance, comme orateur et comme poète \ Il avait h^ goût si classique, que chaque année il brûlait un exemplaire de Martial en l'honneur de Catulle. Sous le nom de Naug-erivs. il avait publié des poé- sies latines, d'une grande pureté de diction \ Elles étaient dans toutes les mains, quand du Bellay fit le voyage d'Italie. Notre auteur les connut ; il en goûta la grâce et la simpli- cité ; puis l'idée lui vint de les reproduire. C'est ainsi que

' Goujet, Bibl. franc., V, 212 : « C'est peut-être ce que Joachim du Bellay a fait de meilleur en traduction. Il a rendu cette pièce avec une naïveté qui plaît encore. »

^ Ces deux pièces, intitulées Fauniis ad IVymphas et lolas ad Faunuin, se trouvent p. 7-8 du petit volume Pétri Bembi carminum libellus, Venise, loo2. (Bibl. Nat Y" . 7629). Elles ont pris place dans les Deliciae Poetariim Italorum, t. I, p. 346-347.

^ Sur Navagero^ consulter Niceron, t. XIII, p. 361, et t. XX, p. 68.

* On les lira dans la belle édition donnée par Comino (Padoue, 171 S) : Andreae Naugerii, patricii veneti, oratoris et poetae clarissimi opéra omnia. (Bibl. Nat. Z. 3879).

408 JOACHIM DU BELLAY

(les liisiis du poète vénitien il tira douze pièces, ou plutôt douze bagatelles, qui sont vraiment d(»s Jeux rustiques \

La valeur de ces pièces est assez inégale. La pi*emière A Gérés (p. lo), est une pure traduction : on en peut dire presque autant de la dernière, Estrene d'un tableau (p. 20). Mais dans les autres éclate une réelle oi'iginalité. Comment du Bellay lobtient-il ? Tout d'abord il francise les sujets. Il donne aux personnages des noms bien campagnards : Lycon, Grocalis, lolas, Damis, Hylax, Amyntas, Hyella, deviennent dans ses vers Robin, Jannette, Robinet, Thenot, Hurauld, Jacquet, Isabeau. Il situe la scène en Anjou (p, 14, 16, 18, 20), ce qui donne à ses poésies un goût prononcé de teri'oii-. Il est aussi, dans certains cas, plus di^amatique : tandis que c'est Naugerius qui parle pour Idmon, du Bellay s'efface pour laisser la pai'ole à son vanneur de blé : l'humble vanneur revit dans la prière qu'il jette aux vents. Au surplus, si l'on veut ]nvn saisir comment du Bellay, tout en traduisant, se iiiontn^ ci'éateui'. il importe de rapprocher l'imitation et le modèle. Je \o ferais, si Sainte-Beuve ^ ne l'avait déjà fait pour deux de ces pièces et les deux meilleures, la chanson du vanneiu" et l'offrande à Vénus, et s'il n'avait marqué par d'heureuses images les dons propres à du Bellay. Passons donc sur ce point, et disons une fois de plus les strophes chantantes du Vanneur de blé (p. 12) :

' M. Marly-Lavcaux ayant commis quelques erreurs (l. II, p. 555, n. 62), j'indique plus cxaclcment, d'après l'édit. de 17IS, les titres des pières imitées par du Bellay : Vota Cereri pro terme fruf^ihus fp. 185); Vota ad Auras (p. 186) ; 3" et Vota Thelesonis Cereri, Baccho et Pâli dene (p. 189) ;

5" Lyconis vota Pani deo (p. 187) ; Vota lolae Parti agresti deo (p. 186) : Vota Damidis ad Bacchum pro vite (p. 186); 8" Vota Veneri ut amantihus faveat (p 190) ; 9* Vota Niconoës ad Dianam (p. 190) :

10» De obitu Hylacis canis pastorii (p. 188) : 11" Thjrsidis vota Veneri (p. 187) ; 12" Imaginem sui Hjellae niittit (p. 207).

- Notice surJ. du Bellay, p. 350-352.

LES « JKUX RUSTIQUES » 409

A VOUS, troppc légère, Qui d'aile piissagère Par le monde volez, Et d'un sifflant murmure L'ombrageuse verdure Doulcement esbranlez,

J'offre ces violettes, Ces lis, et ces fleurettes, Et ces roses icy, Ces vermeillettes roses, Tout freschement écloses, Et ces œilletz aussi.

De vostre doulce halaine, Eventez ceste plaine. Eventez ce séjour : Ce pendant que j'ahanne, A mon blé, que je vanne A la chaleur du jour.

Le petit poème A Vénus (p. 19), tant admiré de Sainte- Beuve et de M. Faguet, est plus exquis encore. Je ne sais rien de plus charmant que ce début :

Ayant après long désir Pris de ma doulce ennemie Quelques arres du plaisir Que sa rigueur me dénie.

Je t'offre ces beaux œillets, Vénus, je t'offre ces roses. Dont les boutons vermeillets Imitent les lèvres closes,

Que j'ay baisé i)ar trois fois, Marchant tout beau dessoubs l'ombre De ce buisson, que tu vois : Et n'ay sceu passer ce nombre,

41(J JOACHIM DU BELLAY

Pour ce que la mère estoit Auprès de là. ce me semble, Laquelle nous aguettoit : De peur encores j'en tremble.

A cette même insjjiration amoureuse et rustique , qui mêle avec tant de bonheur le naturel de Théocrite et la grâce d'Anacréon , se rattache une Villanelle (p. 21). La pièce est unique en son genre dans l'œuvre de notre poète, et l'on peut le regretter, tant celle-ci vraiment a de charme ! Ici du Bellay ne doit plus rien à Naugerius : fond et forme, il a tiré tout de lui-même :

En ce moys délicieux, Qu'amour toute chose incite, Un chacun à ({ui mieulx mieulx La doulceur du temps imite, Mais une rigueur despite Me faict pleurer mon malheur. Belle et franche Marguerite. Pour vous j'ay ceste douleur.

Dedans vostre œil gracieux Toute doulceur est escritte. Mais la doulceui- de voz yeux En amertume est confite. Souvent la couleuvre habite Dessoubs une belle fleur. Belle et franche Marguerite, Poui" vous j'ay ceste douleur.

Oi- puis ((ue je deviens vieux, Et que rien ne me profite, Désespéré d'avoir mieulx, Je m'en iray rendre hermite.

LES « JEUX RUSTIQUES )) 411

Je m'en iray rendre hormite, Pour niioulx ploiiiTi' mou malheur. Belle et l'ranclie Margiiei-ite, Pour vous j'ay ceste douleur.

Mais si la laveur ties Dieux Au bois vous avoit couduittc, Où. despéré d'avoir uiieulx, Je m'en iray rendre hermitc, Peult estre que ma j)oui'suite Vous feroit changer couleur. Belle et Iranche Marguerite, Pour vous j'ay ceste douleur '.

Considérés dans leui* ensend)le. les Jeux Rustiques sont inférieurs aux Regrets. L'œuvre est inégale et mêlée : certains uiorceaux n'ont rien ([ui les distingue des poésies les plus médiocres de la pi-emière uianière. Mais des pièces comme le Moretuin, les Vœuz /'astiques, les Baisers, les Epitaphes, la Vieille Courtisanne, sont hors de pair et nous font voir avec quelle souplesse le talent de Joachiui savait se renouveler.

' Pour être complet sur les vœux rustiques, je dois ajouter qu'avant du Bellay, lionsard, s'inspirant de VAnlholoi^ie dans le Bocage de too4, avait déjà rimé des vœux (Blancheniain, VI, 410-411 ; Martj-Laveaux, VI, 3tj2-36;i). Après du Bellay, le vœu devint, pour ainsi dire, un genre littéraire. V. les Odes de Magny (Courbet, II, o9-63) et les Passetems de Baïf (Marty-Laveaux, IV, 233, 246, 289, 292, 293, 309. 335, 362, 364, 413, 414}.

CHAPITRE VIII

LE « POETE COURTISAN ' »

1559

I. La plaquette d' I. Quintil du Tronssay. Son caractère

d'authenticité. Problème qu'elle soulève. II. La « Nouvelle manière de faire son profit des lettres ». Pierre de Paschal.

III. Le « Poète Courtisan ». Analyse. Confirmation de la

« Defience ».

IV. Origine et portée du « Poète Courtisan ».— Saint-Gelays et

du Bellay. V. Valeur du « Poète Courtisan » : la première satire française.

En 1559, parut à Poitiers, on ne sait chez quel éditeur, une plaquette de huit feuillets in-S**, sous le titre suivant :

' Celte étude était achevée et même avait obtenu le visa de la Sorbonne, quand j'ai pris connaissance de la thèse latine de M. Clément sur Adrien Turncbe (Paris, Picard, 1899, in-S"). Si donc je me suis rencontré sur plu- sieurs points avec M. Clément (et pour ma i)art j'en suis heureux), la ren- contre est toute fortuite. Dans ces conditions, je n'ai pas cru devoir rien changer à mon texte. Je me suis contenté d'ajouter quelques notes. Pour être sincère jusqu'au bout, je dirai que c'est par M. Clément que jai su l'existence d'un travail qui m'avait échapi)é, l'opuscule de M. Bonnefon sur Pierre de Paschal, historiograpJie dii roi \i522- 1565). Paris, Techener, 1883, in-4" .

LE « POKTK COURTISAN » 413

La nouvelle manière de faire son profit des lettren : tradnitte de Latin en François par I. Qaintil du Tronssay en Poic- tou. Ensemble le Poëte Courtisan '. En i56o, rimpriineui* Federic Morel, publiant à Paris la Monomachie de David et de Goliath, ensemble plusieurs autres œuvres poétiques de loachim du Bellay Angevin ', l'cproduisait dans co recueil la plaquette de Poitiers. En 1569, Guillaume Aubert l'in- sérait à son tour dans son édition générale des écrits de notre poète, et depuis loi-s, les deux opuscules de i559 n'ont cessé de figurer parmi les œuvres de du Bellay.

On ne saurait mettre en doute qu'ils soient bien de lui. Le nom d'Aubert, ancien ami de Joachim, et précisément natif de Poitiers, nous est un sûr garant de leur authenticité : comment croire en effet qu'Auljert, qui devait à ce double titre savoir nettement à quoi s'en tenir sur la plaquette originale, eût fait entrer dans son édition ces deux opus- cules, si l'on avait pu suspecter un seul instant leur origine ? J'ajoute qu'il suffit de les lire pour avoir l'impression qu'ils ne sont pas d'une autre main que les Regrets : c'est la même finesse de raillerie, la même fermeté de langue. Parmi les écrivains du temps, je ne vois personne vraiment, non pas même Ronsard, à qui l'on puisse en faire honneur.

Mais une fois reconnue cette authenticité, d'autres ques- tions se posent : pourquoi du Bellay, qui a toujours publié ses œuvres à Paris, a-t-il publié celle-là à Poitiers ^ ? et

' Celte plaquette est rarissime. 11 en existe un exemplaire à la Bibl. Nat. (Rés. Y=. 1710). Éd. Fournier l'a reproduite (1863) dans les Variétés histori- ques et littéraires de la Bibliothèque elzévirienne, t. X, p. 131-130. Les deux pièces dont elle se compose se trouvent séparées dans l'édit. Marty-Laveaux (I, 468; II, 67).

^ ln-4'> de 50 ff . chiflFrés .

' M. Clément (p 57, n. 2) estime qu'on est en présence d'une supercherie et que la plaquette fut imprimée à Paris même, par Federic Moral. Celte hypothèse a toutes les chances d'être la vérité.

414 JOACHIM DU BELLAY

pourquoi s'est-il abrité derrière ce pseudonyme, 7. Qnintil du Tronssaj-, qui rappelle, sans doute à dessein, l'ancien factum de Barth. Aneau ' ? Problème délicat, et qui reste un des plus obscurs que présente son histoire.

II

La plaquette de Poitiers contient d'abord la Nouvelle manière de faire son profit des lettres (I, 468). C'est la tra- duction d'une épîti'e latine, dont l'auteur est nonnné par Aubert à la table des matières de son recueil : Monsieur Tornebus. Adrien Turnèbe avait publié son épître sous le vcjile (le l'anonj^me, lan io.^q - : la même année, du Bellay la mit en l'rançais.

L'épitre à Léoquerne ' est une mordante satire. Le moyen (le faii-e son profit de l'étude des lettres , dit Turnèbe en substance, c'est de suivre Mercure en même temps qu'Apollon: que sei'l d'être savant, si l'on ne sait pas se faire valoir, se pousser en Cour et piper les liommes? Pour cela, que l'aiil-il ? 11 iaut d'aboi-d avoir vu l'ilalie :

Car c'est de que xicnt la fine niaichandise. Qu'en bëant on admire, et cpie si hault on prise.

Remarquons au passage la chose est d'importance cette censure de l'italianisme : Turnèbe se montre dès i559 le

* Si dans ce rappel du nom de Quintil on peut voir une intention satirique, le reste est plus embarrassant : l'initiale /. désigne peut-être le prénom loachim ; quant au nom du Tronssaj, Je n'ai pu l'éclaircir.

- De nova captandae utilitatis e literis ratione epistola, ad Leoquernum. Parisiis. Apud vlduaniP. Attaignant, i53g. (Bibl. Nat. Y<;. 8716). L'épître de Turnt'be se trouve encore à la p. 47 du recueil de ses poésies publié par Th. Guarinus, Bâle, 1368 (Bibl. Nat. Yc. 9599), et dans les Deliciae Poetarum Galloruni. t. III, p. 1037.

' Léoquerne n'est autre que Léger du Chesne, un ami de Turnèbe et de notre poète (Clément, p. ii7, n. 1).

LE (( POETE COURTIPAN )) 415

préoui'sour d'I^MU'i Mslicnnc. D'Ilalir on l'iippoi'tei'ti le renom do « grand elerc » et de « saige-sravant » . C'est la première condition. j)()ur réussir près des Franc^-ais, de dépouiller son naturel, de se l'aire loul Italien

De gestes et d'habits, de jjort et de langage.

Il sera bon aussi de (( se faire advoiier de quelque cardinal », de quêter, en les louant eux-mêmes, les louanges des savants ou de ceux que la Cour décore de ce nom, surtout de gagner la faveur des dames (( qui ont bruit de sçavoir » :

c'est le chemin plus court ; Car si tu es un coup aux dames agréable, Tu seras tout soubdain aux plus grands admirable.

Cela ne suflit pas encore : il faudra quelquefois, pour les dames et les seigneurs,

soit en vers, soit en prose, Escrire finement quelque petite chose,

mais ne rien imprimer ; critiquer ce qu'impriment les autres, alîn de passer poui- un connaisseur ; si l'on publie soi-même, conserver l'anonyme, et ne revendiquer son œuvre que si le succès la couronne ; enfin, faire sonner très haut de grands ouvrages entrepris... qu'on se garde bien de jamais montrer.

Pour quelle raison du Bellay a-t-il traduit cette satire ? Est-ce tout simplement par admiration pour Turnèbe ' ? Est-ce à cause de l'attaque contre l'Italie, qui cadrait si bien avec ses rancunes ? Ou ne serait-ce pas plutôt à cause de certain portrait qui termine le morceau * ?

' L'admiration du poète pour Turnèbe est attestée par une pièce des Xenia, 12 : Adrianus Tornebiis Professer Regius. Cf. une autre pièce publiée dans le Turnebi tumulus (1o6d) et signalée par M. Clément, p. 77.

- M . Clément a démontré d'une façon irréfutable (p. 57-69) que ce n'est pas ce portrait seul, mais la pièce tout entière qui s'applique à Paschal.

416 .lOACHIM DU BELLAY

Quelque autre dit avoir enti-epris un ouvrage

Des plus illustres noms qu'on lise de nostre âge, .

Et ja douze ou quinze ans nous déçoit par cet art :

Mais il aceouiplira sa promesse plus tard

Que l'an du jugement. Toutefois par sa ruse

Des plus audjitieux l'espérance il abuse.

Car ceulx qui sont plus de la gloire envieux,

Le llattent à l'envy, et tachent curieux

De gaigner quehpie place en ce tant docte livre.

Qui ])eiit à tout jamais leur beau noui l'aire vivre... etc.

(I, 472-473). Qui donc est désigné {)ar ? Des témoignages contem- porains nous l'apprennent ' : il s'agit de Paschal, un lettré dont le uouj est oi)scui' aujourd'hui, mais qui brillait alors au |)remier rang. Pierre de Paschal (i522-i5G5), gentilhonnne du bas pays de Languedoc, avait gagné l'illustration à peu de Irais. Après avoir suivi à Rome le cardinal d'Armagnac, il était à Padoue en 1047, quand l'archidiacre Jean de Mauléon y l'ut assassiné. Chargé de dénoncer le crime au sénat de Venise, il trouva, jjarait-il. pour flétrir les ineur- Iriei-s, de tels accents qu'il conquit l'assemblée entière. Ce succès lui valut le renom d'oi-ateur. Il ambitionnait celui d'écrivain : il l'obtint rien qu'à fréquenter les poètes de la jeune école. Il s<; poussa si bien, grâce à leur amitié, qu'Henri II, sur la f<n des éloges enthousiastes qui vantaient son méi'ite, le ncunnui son historiographe : c'est ainsi que Paschal se vit servir annuellement une pension de 1200 livi'cs [)our \nie histoire d(! France <|u'il promettait toujours

' Seconde response de F. de la Jiaronie [l^lorenl Ctireslien] à Messire Pierre de Ronsard, VMi, lii v" (Bibl. Nat. liés. Y^ 1027) ; Pasquier, Lettres, I, 1t'>, à Ronsard, et IX, 9, à La Croix du Maine ; La Croix du Maine, Dis- cours au vicomte de Fauirny, II, lxxxviii, et Bibliothèque, II, 303 ; du Verdier, III, 309 ; Brantôme, édit. Lalanne, III, 283-28j. Cf. Marty- Laveaux, Notice sur Ronsard, p. ni-v, et P. Bonnefon, op. cit.

LR (( POi';iK COURTISAN )) 417

(^l ne donna jamais. Il avail |»i'()niis de nirnic aux poètes SOS amis, s'ils le (( (l'ompclaicnt » dans leurs vers, comme dit Pasc[uiei', d(^ les rendre innnorlels à son toiii' dans un ouvrage à la manièi'e de Paul Jove. Aussitôt chacun s'était empresse de célchrer sui- Ions les Ions le futur panégyriste ' : dans une ode enllannnée, Olivier de Mugiiy le mit en paral- lèle avec le grand Ronsai'd ".

Mais Pasehal se mocpiail du monde, et Paul Jove n'eut point d'émulé. Quand on connut la fourberie, ce tut une grande colère. Turnèhe, (( personnage aussi aigu et violent en satyres contre ceux qui le nieritoient, connne doux en mœurs et conversation avectpies les gens d'honneur et de lettres ' » , persifla le })remier un homme cpii touchait comme historio- graphe trois fois ce qu'il touchait lui-même comme professeur royal *. Ronsard, qui lui avait dédié le Bocage de i554 dans une ode des plus flatteuses ', ellaça son nom de ses œuvres à partir de i5<)0 ''. et lit en latin contre lui une pièce aujoui'd'hui perdiu\ ([ue Pasquier jugeait admirable et (pi'il traduisit en français '.

Jusqu'en i559, du Bellay n'eut avec Pasehal que les rap- ports les plus cordiaux : il l'aimait tendrement, et les Regrets nous montrent qu'après Ronsard et Morel, Pasehal fut celui

' Piisclial revient à cliaquc instaiil dans les écrits du xvi* siècle. V. à titre d'échantillon Ronsard (Blancheuiain. I, :i93 : II, 123; VII, 70) ; Baïf (Marty- Laveaux, I, 184) ; Tahureau, Premières Poésies (Blanchemain, p. 37) ; Magny, Odes (Courbet, I, Wi).

- Odes, I, 44 : A Pierre de Ronsard et Pierre de Pasehal.

' Pasquier, Lettres, IX, !>.

* Du Verdier, loc. cit.

^ Marty-Laveaux, VI, 339. Celte importante dédicace manque à l'édit. Blanchemain.

" Ainsi Ronsard avait adressé à Pasclial son épître autobiographique (1334) et son Hymne de la Mort (13r^3) : à ])artir de 1360, il dédia Tune à Rémy Belleau, l'autre à Louis des Masures. (Blanchemain, IV, 296. et V, 239).

' Pasquier, Lettres, I, 16. Nous n'avons pas plus la traduction de Pasquier que le texte de Ronsard.

Univ. de Lille. Tome VIII. A. 27.

418 JOACHIM DU BELLAY

de ses amis de France dont il soullrit le plus d'être privé ^ Lorsqu'il reconnut en Pasclial, suivant le mot de du Verdier, (( un pur abuseur du monde », du Bellay, toujours impatient, se fît vidonliers le porte-parole de ses camarades trompés, en Iradiiisant pour le public la satire ïurnèbe démasquait l'iiiipostciii-. Je remar({ue j)Murlant, sans bien me l'expliquer, qu'une réconciliation dut survenir bientôt après : sinon, comment peut-il se faire que du Bellay, dans sa dernière œuvre, ait consacré à Paschal la plus louang^euse étrenne % et qu'à la mort de _Joachim , ce soit Paschal cpii ait tracé son épitaphe, Paschal, a son vieil et véritable ami » ^ ?

111

Le Poêle Courtisan (II, 67) offre trop de rapports avec l'épitre à LéoqueiMie pour (ju'on ne voie pas dans cette épître comme un modèle inspirateur qui mit du Bellay sur la voie de sa spirituelle salire. Mais il Tant reconnaître que si l'ouvrage de Turnèbe lui révéla, pour ainsi dire, la forme qu'il fallait donner à son idée, Vidée du moins, du Bellay n'avait pas altcmlii pour lavoir. Dès le début, en i549, il s'en pi-ciiail à ces (( poêles courtizans, qui boy vent, mangent et doi'inent à leur oyse » \ tandis que les autres, ceux qui ont souci de la gloire, endurent la faim, la soif et les longues veilles. Aux médiocres rimeurs (pii souillaient notre langue, il

' Outre un sonnet (II, 141), v. Regrets, s. 2, 66, 81, 102, 129, 188.

^ Xenia, 11 : Petrus Paschalius Regius Historiographus .

' Petrus Paschalius et vêtus et verus amicus amico incomparabili dolens posait. (Marly-Laveaux, Appendice de la Pléiade, II, 38o). M. Clément (l). 76) ne croit pas à la réconciliation : il estime que Paschal, blessé au vif, mais ne voulant pas le paraître, jugea sage «le ne rien dire et dissimula son ressentiment. Faut-il admettre que du Bellaj' dissimulait de son côté dans l'étrenne des Xenia ?

* Deffence, p. 111.

LE « POËTii COURTISAN » 419

envoyait cette apostrophe : (( Je suis d'opinion, (jue vous retiriez au hagaige avccques les paiges et la([uais, ou bien (car j'ay pitié de vous) soubz les frais umbraiges, aux suuiptueux palaiz des grands seigneurs, et cours magnifiques des princes, entre les dames et damoizelles, ou votz beaux et mignons ecriz, non de i)lus longue durée que vostre vie, seront receuz, admirés, et adorés : non point aux doctes études, et riches byblyotheques des scavans '. » Un an après, il raillait encore ces poètes barbares « qui abusent de la pacience des princes et grands seigneurs , par la lecture de leurs ineptes œuvres » ". C'était les traits épars d'une esquisse : le poème de iSog est le tableau achevé.

Il est d'une rare vigueui-. Du Bellay ne nous donne point le portrait idéal du poète, selon Aristote, Horace ou Vida. Ce qu'il veut mettre sous nos yeux, c'est, dit-il, (c l'Apollon Courtisan » :

La court est mon autheur, mon exemple et ma guide.

Il va donc nous apprendre le moyen de devenir un poète de cour et nous dévoiler les secrets de cette science ingé- nieuse.

Par-dessus tout, il l'aut commencer jeune ; pour réussir en ce (( gentil mestier », il l'aul se dresser de bonne heure (( aux ruses et façons de la court » . Mais l'apprentissage n'a rien de pénible, et la marche à suivre est bien simple : il sutïit de garder intactes sa belle humeur et sa santé. Foin du travail, qui consume et qui mine !

Je ne veulx que long tenqjs à lestude il pallisse, Je ne veulx que resveur sur le livre il vieillisse. Feuilletant studieux tous les soirs et matins Les exemplaires Grecs, et les autheurs Latins.

* Deffenee, p. 148.

- préf. de l'Olive (I, 74).

420 JOACHIM DU BELLAY

Ces exercices-la loiit l'hommo peu habile, Le rendent catarreux, maladif, et débile, Solitaire, fâcheux, taciturne et songeard. Mais nostre courtisan (;st beaucoup plus gaillard. Poui' un vers allonger ses ongles il ne ronge, Il ne frapj)e sa lablc, il ne resve, il ne songe, Se ])rouillant le cerveau de pensemens divers, Pour tirer de sa teste un misérable vers, Qui ne rapporte, ingrat, qu'une longue risée Par loul ou l'ignorance est plus authorisée.

Un poète de cour n'a pas besoin de tant étudier : qu'il s'abandonne au simple naturel :

Je veulx en premier lieu, que sans suivre la trace (Gomme font ([uelques uns) d'un Pindare et Horace, Et sans vouloir, comme eux, voler si haultement, Ton simple naturel tu suives seulement. Ce procès tant mené, et (pii encore dure. Lequel des deux vault mieulx, ou l'arl, ou la nature. En matière de vei's. à la court est vuidé : Car il suffit icy que tu soyës guidé Par le seul naturel, sans art et sans doctrine, Fors cest art fjui ai)])rend à faire bonne mine.

Il va de soi qu'il cultivera les petits genres, sonnet, dizain, chanson, l'ondeau. ballade : qu'il fei-a de la (^our son unique niodMc.

Puis (]u'elle est (connue on dit) des bons espi'its la mère ;

qu'il écrii'a des poésies de circonstance, célébrant les victoires, i('s noces et les festins, les mascarades et les tournois : et cela dans un style aisé, facile, exempt d'effort, sans mots (( durs ou nouveaux », capables d'arrêter le lecteur :

Car le vers |)lus coulant est le vers plus parfaict.

Le poêle en faveur peut toujours craindre des rivaux : quelle

LK (( POKTE COURTISAN » 421

conduite tiendi'a-t-il envers eux ? C'est (|u'il faul de la prudence et de l'adresse. Si le rival ([ui se présente est ignorant, il sera politi([ue de se l'aii'e soi même son introduc- teur et de le promener comme une bête curieuse :

Car s'il est ignorant, tu sçauras bien choisir Lieu et temps à propos, pour en donner plaisir: Tu produiras pai' tout ceste beste, et, en sonnne, Aux despens d'un tel sot, tu seras gallaud homme.

S'il est (( homme sçavant », et partant dangereux, il est plus nécessaire encore de prendre les devants, de l'accabler de marques d'amitié, de faire très haut son éloge auprès des seigneurs et du roi. pour le ranger sous sa tutelle et (( le mener par le nez )) :

Ainsi tenant tousjours ce povre homme soubs bride, Tu te feras valoir, en luy servant de guide : Et combien cpie tu soys d'envie epoinçonné. Tu ne seras pour tel toutefois soubsonné.

Ce n'est pas tout. Le poète courtisan devra ne pas oublier (pie la table est l' « eschole » de la Cour, et que c'est tout un art de se tenir à table, qu'il faut « avoir tousjours le petit mot pour rire », tirer de sa mémoire des lieux communs,

Passer ce qu'on ne sçait, et se monstrer sçavant En ce que Ion a leu deux ou trois soirs devant ;

ne pas toujours deviser de lettres, mais avoir soin de varier ses propos selon les personnes et les circonstances, d'être souple en un mot, de se faire savant parmi les courtisans, courtisan parmi les savants. Entin. il sera très habile de produire peu : un petit poème de temps en temps, qu'on ne lâche qu* « à grand regret », c'est de la bonne politique :

Encores pourras tu faire courir le bruit,

Que si tu n'en avois commandement du Prince,

Tu ne l'exposerois aux yeux de ta province.

422 JOACHIM DU BELLAY

Le comble de l'adresse pour le poète courtisan serait même de ne rien produire du tout :

Et à la vei'ité, la ruse coustumiere,

Et la meilleure, c'est, rien ne mettre en lumière.

Observer ce ])rogramme est le meilleur moyen de s'avancer dans l'afl'ection des j^rands seigneurs, d'obtenir honneurs et fortune, d'éviter l'héritage ordinaire des Muses, à savoir cette pauvreté,

Laquelle est à ceux-là réservée en partage,

Qui dédaignant la court, fâcheux et malplaisans,

Pour allonger leur gloire, accourcissent leurs ans.

Le Poëte Courtisan, ainsi qu'il ressort de cette analyse, est tout à fait le contre-pied de la Deffence. Le manifeste de la Pléiade prescrivait le travail, l'étude des anciens, l'impé- l'ieuse nécessité d'ajoutci' l'art à la nature, l'intronisation des grands sujets et des grands genres, le style laborieux et sa- vant, l'indépendance morale de l'écrivain. Le poème de iSÔQ prescrit tout le contraire : mais comme il le prescrit sous la forme ironicpie , il confirme le manifeste. C'est ainsi qu'à dix ans d'intervalle, et ([uoique en plus d'une occasion il l'eût lui-même déserté, du Bellay l'eprenait en main le drapeau de la Pléiade, et le portait de nouveau contre des adversaires ([ui n'avaient pas désarmé.

IV

On l'a dit justement : le Poëte Courtisan est « une satire de combat » '. Mais cpii donc y est visé ?

C'est une opinion très accréditée que cette satire est con- temporaine^ de la Deffence, et (pielle attaque Mellin de Saint-

' Bourcicz, Les mœurs polies . . . , p. 30:!,

LE (( POKTK COURTISAN )) 423

Geluys '. En ce qui touche la date, l'erreur est manifeste. Si l'œuvre était vraiment contemporaine de la Dejfence , il est certain que son auteur l'eût publiée : celait son intérêt et celui de tous ses amis, et, dans la bataille engagée, l'arme était trop précieuse pour qu'on n'en fît aucun usage. Or, c'est un fait que le Poëte Courtisan n'a paru qu'eu 1.559. Je vais plus loin et dis qu'il ne fut pas écrit bien longtemps avant cette époque. // ne pouvait pas l'être : la forme exté- rieure de l'œuvre, l'emploi du vers alexandrin, l'alternance régulière des rimes, les rares qualités du stjle, la précision et la vigueur de la pensée, tout démontre à la fois que ce poème fut écrit certainement après le retour d'Italie.

Maintenant, est-ce bien contre Saint-Gelays que la satire est dirigée ? On ne peut contester que la plupart des traits s'appliquent à Mellin avec une étonnante justesse, et même qu'un passage semble le viser nettement :

Tel estait de son temps le premier estimé.

Duquel si on eust leu quelque ouvrage imprimé.

Il eust renouvelé, peut estre, la risée

De la montaigne enceinte : et sa Muse prisée

Si liault au paravant, eust perdu (comme on dit)

La réputation qu'on luy donne à crédit.

Mais le ton du passage indique clairement que c'est d'un mort qu'on parle. Et de fait, Saint-Gelays était mort au mois d'octobre i558 ^ Si donc le Poëte Courtisan est une satiiip de Saint-Gelays. c'est une vengeance posthume.

Mais peut-on certifier que ce soit une vengeance ? Je remarque en effet qu'à part une légère attaque, et encore

* Bourciez, op. cit., p. 307 : « La satire de du Bellay fut probablement écrite entre 1330 et 1552, au moment s'envenima la fameuse querelle entre Saint-Gelais et Ronsard. » Cf. Faguet, Seizième siècle, p. 308-309. L'émi- nent critique place la satire « l'année même de la Deffence ».

- Blînchemain, Notice sur Mellin de Saint-Gelays, p. 28.

424 JOACHIM DU BELLAY

indirecte, clans une phrase de la Deffence ', du Bellay n"a jamais donné ([ue des éloges à Saint-Gelays. J'ai déjà parlé * de Tode flatteuse qu'il lui dédiait, quelques mois après la Deffence. dans le Recueil de Poésie (i549), pour lui repro- cher amicalement sa paresse à produire. Il ne cessa depuis de le couvrir de fleurs et resta neutre, semble-t-il, dans la ({uerelle du vieux poète avec Ronsard '.

Dira-t-on que Mellin ne répondit jamais à toutes ces avances, et qu'on ne trouve dans ses œuvres aucune pièce qui soit dédiée à Joachim ? Il est vrai, et l'on peut en conclure (|ii"il n'aimait ^-uère son jeune rival. Mais si du Bellay, en h)iiant Saint-Gelays. n'ai^i'issait ([ue par politique et pour se concilier les grâces d'un lionime influent à la Cour, qui le forçait de chanter encore ce poète après sa mort ? Ne pouvait-il donc garder le silence ? Or. c'est à peine si Saint- Gelays était descendu <hius la tombe (i558), ([ue du Bellay lui consacrait une très louangeuse épitaphe *. C'était peu, à son gré : l'année^ suivante, publiant en latin le Tombeau d'Henri II '\ il y joignait \\w Tombeau de Saint- Gelaj's, et il en donnait la raison dans un court avis au lecteur (Lectori), dont je détache ces deux phrases : « Visum est tumulo Henrici Régis

' Deffence, p. ll.S.

- V. ci-dessus, 1" part., chap. vin, S^ iv, p. 226-228.

' Le difrérend de Saint-Gelays et de Ronsard surgit en IodO, après l'appa- rition (les Odes. Or, cette même année, non-seulemenl du Bellay saluait en Mellin l'introducteur du sonnet en France (I, 72), mais il s'écriait dans la Miisagnœomachie (I, lia) :

Carie', Heroët, Saint Gelais, Les trois favoriz des Grâces. V. aussi le s. 62 de V Olive. Les Regrets contiennent encore deux sonnets (101 et 178) adressés à Mellin.

' Poemata, 5!t v : Mellini Sangelasii tumiiliis :

Piérides, Pai)liiaequp siinul lugele puellae, Et si quod priscis numen Amoris erat... ■' Tumulus Ilenrici secundi Gallornni régis christianiss. per loach. Bel- laiurn. . Paris, Federic Morel, 1359, in-4°. (Bibl. Nat. Rés. mYc. 113).

LE « POKTE COURTISAN )) 425

fortissiiiii tmniiluiii addcre Mellini Sangelasii poetac mellitis- simi : seilicet ut Marti Mxisac, et optinio Principi optinms poeta JTini;orotur. Nequo voro ((lUMiquaiii a(M|uioi'is judicii, (pii literas tautuin atti^erit, hoc iiiipi-ohaturum arbitroi", cuiu sciai Ennium poetam votustissiinmu iii Scipionis illius Aphricani tuinulo, autliore Cicérone, fuisse coudituni. » La publication étant peu connue, je crois devoir y insister. Le Tombeau de Saint-Gelqys comprenait d'abord trois pièces latines, (pie je reproduis pour leur rareté :

I

TVMVLVS MELLIiNI SANGELASII

Sepultus, hospes, hic jacet Gelasius, Pater leporis, et joci, Gelasius, Simukpie g^rande seculi decus sui. Ab ore cui fluebat Atticum melos. Disertus idem, et elo(piens, prcjbus, pins, Ciere doctus aureae sonos chelys : Notare cautus ignei faceis poli : Juvaret ul bonos^ b(jnus paruin sibi. Quid amplius, mororve quid diutius ? Sepultus, hospes, hic jacet Gelasiur., Pater leporis, et joci, Gelasius, Simulque grande seculi decus sui.

II

MELLINI SANG. ETYMON K

Qui nomen tibi. culte Sangelasi, Mellini imposuit, Gelasiique, Mores ille tuos. tuos lepores Ipso tam bene nomine indicavit, Pictae ut nil melius queant tabellae.

' Cette pièce se retrouve dans les Xenia (15G9), 10 r».

426 JOACHIM DU BELLAY

Mellitos oculos vocat Gatullus, Tener. molliculus tuus Gatullus. Mellitos quoque saepe sic vocamus Dulces vei'siculos, venustulosque, Et quales tibi Musa dictitabat. At Flaccus Lyricae potens Gamoenae, Graocos dum sequitur disertiores, Ridenteni vocat auream Dionem.

III

IN EIVSD. CARMINA.

Olim inulta sibi, suisque Musis Lusit carmina Sangelasianus : Quorum pars tenebris jacet sepulta. Pars descripta manu hue et hue vagatur Per manus hominum venustiorum. Supprcsso titulo. Hune tamen poetam Gunctis Gallia praetulit poetis, Quorum carmina docta perleguntur Typis édita tôt laboriosis. Sic quod ipse sibi, et suis negabat Nomen versibus invidus poeta, Ultro scilicct id hcnigna fama Illi detulit, et quidem merenti. Quid, si quae latuere nocte longa Gum blattis, tinois({ue, muribusque, Dias luniinis excant in oras ?

Puis venait une courte épigramme de Saint-Gelays, six vers latins, les derniers (ju'il eût composés {Mellini ipsius cum animain cxhalaret). Gette épigramme était suivie irune autre en huit vers du Bellay, s' inspirant du sizain chanté par le « cygne mourant », niorihundiis olor , décernait à Mellin les pln> llaU(Mir> t'-loges {Bcllaii in eand. senten-

LE (( POÈTE COURTISAN » 427

tîani) '. Enfin, le recueil se IVnnail j)ar des hcndécasyllabes de notre poète {In riifum quendam ex gallico Mel. Sange- lasii), éléc^ante traduction d'un hadinage de Saint-Gelays {Du roiisseaii et de la rousse) ^ Ainsi, un an après la mort du vieux rimeur, du Bellay lui dressait un tombeau magnifique, et non content de célébrer en vers latins la grâce de ses poésies, il se faisait son interprète, et comme l'apôtre de sa gloire '\

On voit maintenant la difficulté. Je la résume ainsi : la satire du Poëte Courtisan, quon applique à Saint-Gelays, et f[ui semble en effet s'appliquer à lui trait pour trait, n'a vu le jour qu'après sa mort, et d'ailleurs contredit ce que nous savons des rapports de Joachim et de Mellin, prin- cipalement cet honniiage posthume qui s'appelle le Tombeau de Saint-Gelays. Dans ces conditions, comment expliquer le Poëte Courtisan ? Deux hypothèses se présentent : ou bien cette satire ne vise nullement Saint-Gelays, et alors elle fut écrite dans des circonstances qui nous échappent encore ; ou bien elle s'en prend à lui réellement, et alors, il fau- drait y voir une espèce de revanche, et comme la rançon, secrète et posthume, d'éloges hyperbolicpies et peu sincères.

Pour ma part, je croirais volontiers ceci. Lorsque Madame

* Il est curieux de constater que du Bellay, non content d'imiter en latin les derniers vers de Saint-Gelays, les a encore paraphrasés dans un sonnet (A son Luth, 1, 331). On trouvera la pièce de Saint-Gelays et les deux imi- tations de Joachim dans les oeuvres de Mellin, édit. elzév., II, 2oo-2of).

- Edit. elzév., I, 208-209. Voici ce que dit du Bellay au sujet de sa tra- duction, dans sa préface Lectori : « Addidimus. . . . et ejusdcm quoque Mellini Epigramma. quod ab eo ipso paulo antequam excederet, Gallicis versibus perquam lepide (ut omnia) conscriptura, quo magis venustissimi illius poetae ingenium Latino etiaru lectori perspectum esset, totidem hen- decasyllabis expressimus. » Le mot totidem n'est pas tout à fait juste : le français a 24 vers, le latin 23.

^ On ne peut mettre en doute l'authenticité du Tombeau de Saint Gelays : dès 1560, il est reproduit, comme étant de J. du Bellay, par son anù Léger du Chcsne [Leodegarius a Ouercu], dans son recueil Farrago poematum, f- 333ro-334 v», Paris, 1360. (Bibl. Nal. Rés. pY". iill).

428 JOACHIM DU BELLAY

Marguerite et son chancelier L'Hospital eurent plaidé près (l'Henri II, contre l'envieux Saint-Gelays, la cause de Ron- sard et de la jeune école, le roi ne put l'aire autrement que de se déclarer pour les nouveaux poètes '. Il les assura de sa protection. Toutefois, comme il était médiocrement intelli- gent, et, somme toute, « assez peu sensible à la poésie d'où quelle vînt » ". il garda au fond de son cœur une secrète préférence pour le spirituel courtisan qui savait si bien rédiger les devises de ses mascarades et les cartels de ses tournois. Il honora donc de sa l)ienveillancc les poètes chers à sa sœur, mais il ne les « avança » guère : Ronsard ' et du Bellay * se sont plaints tous les deux de n'avoir pas eu part à ses lar- gesses. Tous les deux, se heiirtant au crédit de Mellin, ju- gèrent de leur intérêt de vivre avec lui dans les meilleurs termes : et de les éloges qu'ils lui prodiguèrent. Lorsque Mellin mourut, i)ientôt suivi par Henri II, du Bellay fit au prince ainsi qu'à son poète de glorieuses funérailles. Mais un nouveau règne commençait. Il importait d'en assurer le béni'fice à ceux-là seuls qui, par leur science et leur génie,

' Sur ce point, v. Bourciez, op. cit., p. 207 sqq.

- Bourciez, op. cit., p. 208.

^ Ronsard écrit dans une pièce à Charles IX (lo7b) :

On doibt sçavoir que ce grand roy Henry M'a honoré, estimé et chery, Non advancé, bien qu'il en eust envie, (Car le malheur luy desroba la vie).

(Blanchemain. III, 316). Il sest plaint maintes fois do l'indifTérence d'Henri II, à laquelle il attribue tous les retards de la Franciade (II, 21-22. 40, 172, 273; III, ,377: VI, 287; YII, 1.38).

' Du Bellay écrit à Morel, le 3 oct. 1530 : « J'avois (et peult estrc non sans («casion) conccii quelque espérance de recevoir quelque bien et advance- uient du feu Roy plus par la faveur de madicte Dame [Marguerite] que pour aultre mérite qui fust en moy. Or Dieu a voulu que je sentisse ma part de ceste perte commune, m'ayant la fortune par le triste et inopiné accident de ceste douloureuse mort, retranché tout à unp coup, comme à beaucoup d'auUres, toutes mes espérances. » {Lettres., p. 37). Du Bellay n'avait donc janiiiis rien obtenu d'Henri II.

LE (( POKTK COURTISAN » 429

étaient vraiment dignes (Ihouncui', et d'écarter de la favenr royale tous les petits l'inieurs de cour. C'est aloi's que du Bellay, pour réserv(M' à la Pléiade les bonnes grâces du nou- veau roi, s'avisa d'une satire à l'adresse de ([uiconque j)i'é- tendrait recueillir l'héritage de Saint-Clelays sans avoir plus de titres que lui. Mais pour éviter le scandale d'une publi- cation avouée et les accusations d'envie qu'on lui jetterait à la tète, il la fit paraître à Poitiers, sous le voile d'un pseudonyme.

En émettant cette hypothèse, je n'ai pas la prétention d'avoir résolu l'énigme '. Même à défaut de solution satis- faisante, on )ue saura v;vé peut-être d'avoir établi qu'il existe un problème, que personne encore, à ma connaissance, n'avait indiqué ^

V

Pris en lui-même, abstraclion laite des circonstances et des motifs qui ont pu lui donner naissance, le Poëte Cour- tisan est une œuvre très remarquable. Le fond en est solide, la langue est nette et ferme, l'ironie maniée avec une réelle maîtrise.

Je ne sais s'il est bien nécessaire d'en chercher le point de départ, avec M. Vianey *. dans les capitoli des poètes bernesques. L'épître à Léoquerne avait déjà montré cet (( art de dire une chose poui* faire entendre exactement le con-

' 11 nous manque en eflel une donnée précieuse : la date exacte de la publication de la satire. A t elle paru sous Henri II ou sous François 11? La plaquette de Poitiers porte bien 1559, mais elle n'a ni privilège, ni achevé d'imprimer.

- Ceci n'est pas tout à fait juste, puisque M. Clément (p. 76) a les mêmes doutes que moi sur l'application de la satire du Poëte Courtisan à Mellin de Saint Gelays.

^ Mathurin Régnier, p. iiu et 61.

430 JOAGHI.M DU BELLAY

traire » ; et quand même il ne se fût pas inspiré de Turnèbe. du Bellay n'avait-il point assez d'esprit naturel pour tirer de son propre fond cette finesse d'ironie ? Quoi qu'il en soit, le Poëte Courtisan est vraiment la première en date des satires françaises. 11 dut IrappiM", et frappa en elfet : l'année même de sa publication, paraissait, anonyme, chez un libraire de Paris, une satire intitulée le Médecin Coiirtizan ', l'on relève d'évidentes imitations de la satire imprimée à Poitiers ^ Plus tard. Jean de la Taille écrivit, toujours dans le même oi'dre d'idées, son Courtisan retiré. Et puis, ce fut le tour de Vauquelin et de Régnier, qui s'illustrèrent, surtout le second, presque exclusivement par des satires. Un genre nouveau, latin d'origine ', avait enrichi notre poésie, un genre très particulier, qui. sous une forme familière, enseigne et raille tout à la fois. Ce genre-là. c'est du Bellay qui l'a cultivé d'abord : il k^w a dcjnné le premier modèle, et ce modèle n'est pas loin d'être un chef-d'œuvre.

' Le Médecin Coiirllzan, ou la nouvelle et plu^ courte manière de parve- nir à la vraye et solide médecine. A Messere Dorbuno. A Paris, pour Guil- laume Barbé, i55g. Celte rarissime plaquette a été re[)rodiiite par MM. A. (le Monlaiglon et .1. de Uotliseliild, dans Je Recueil de poésies fran- çaises des XV' et XVI' siècles, édit. olzcv., Paris, DalUs, 1875, t. X, p !)lj-109.

- Ce n'est pas une raison cependant pour atlriijuer, avec M. de Monlai- glon (p. 97), le Médecin Courtizan h du Bellay lui inêmc.

' Faut-il rappeler le mot de Quintilien : Salira quidem iota nostra est ?

CHAPITRE IX

DV BELLAY POÈTE COURTISAN

1558-1559

I. Du Bellay courtisan. La dernière partie des « Regrets » et le « Discours au Roy sur la Poésie » . Rôle du poète parmi les grands. II. Du Bellay et Henri II. Médiocrité des poésies de cir- constance. — Le sentiment patriotique chez du Bellay : r « Hymne au Roy sur la prinse de Callais ». III . Du Bellay et François II Les deux « Discours au Roy » . IV . Du Bellay et les grands de la Cour : Catherine de Médicis, Diane de Poitiers, Jeanne d'Albret, Marie Stuart, les Guises, Montmorency, etc. V. Du Bellay et Madame Marguerite.

La contradiction est piquante de voir Joachim du Bellay railler le poète courtisan et s'efforcer lui-même de mériter ce titre. Dès i549, encouragé par la sœur d'Henri II, Madame Marguerite, il avait essayé de se pousser en Cour, et, dans cet ambitieux dessein, il avait improvisé le Recueil de

432 JOACHIM DU BELLAV

Poésie '. Mais la faveur de Saint-Gelays, toujours puissant et redoutable, avait empêché son (( avancement » , et ne trouvant pas à la Cour la fortune qu'il espérait, il l'avait cherchée à hi suite de son parent le cardinal. Lorsqu'il fut revenu d'Italie, il s'empi-essa de rcMioiiveler sa tentative. Saint-Gelays toucliait à sa fin. Depuis longtemps, Ronsard travaillait à le remplacer dans les bonnes grâces du roi. Notre poète , qui s'était toujours montré si zélé pour l'illustration des lettres françaises, avait-il à ces bonnes grâces moins de droits que Uonsard ?

Le désir de s'imposer à l'attention (U* la Cour lui suggéra visiblement la dernière partie des Regrets, une cinquantaine de sonnets écrits dès son retour en France ^ Beaucoup de ces sonnets sont des lionnnages adressés par l'auteur aux puissants de la Cour dont la protection devait lui permettre d'obtenir ce (ju'il désirait. Mais si soucieux ([uil fût de (( s'avancer » dans la faveur des princes, du Bellay n'était pas lellenunil aveugle aux intrigues de ce milieu qu'il n'en vit point les mes({uineries et les petitesses. Du même trait satiri(jue dont il avait noté naguère les mœurs de Ronuî , il nota les mœurs de la Cour de France. Avec une ironie pro- fonde, il in(li(|ua. dans une série; de sonnets ', la vraie méthode poui" (( vi\r(' (Ml (]ourt ». s'y faire ])ris(M- et s'y maintenir. Personnellement, il était trop lier pour s'élever par de pareils moy<'ns. Il avait une juste conscience de sa dignité de poète et n'entendait j)as s'avilir. Rien ne montre mieux en quel respect il tenait son art, (|ii<' la laron superbe et dédaigneuse dont il renvoie aux courtisans le reproche de folie qu'ils lantaicnl aux poèliîs :

' V. ci-dessus, 1" i>art., cliap. viii, § ii, p. 2:J2-224.

î S. 139 191.

•' V. notîinimciil s. llîi», 140, 141, 142, 144, 14-i, 150.

DU BF.LLAY POÈTE COURTISAN i3.'J

Vous dictes (Courtisans) les Poètes sont louis, Et dictes vérité : mais aussi dire j'ose. Que telz que vous soicz, vous tenez quelque chose De ceste doulce hunieui' ((ui est commune à tous.

Mais celle-là (Messieui's) ({ui domine sui- vous, En autres actions diversement s'expose : Nous sommes louis en rime, et vous Testes en prose : C'est le seul dillcrent qu'est entre vous et nous.

Vray est que vous avez la Court plus l'avorable. Mais aussi n'avez vous un renom si durable : Vous avez plus d'honneurs, et nous moins de souci.

Si vous riez de nous, nous faisons la pareille :

Mais cela qui se dit s'en vole par l'oreille,

Et cela qui s'escript ne se perd pas ainsi. (S. i49)-

Verba volant, scripta nianent. Cette même pensée de l'éter- nité des écrits et de la gloire qu'ils procurent fait tout le fond du Discours au lloj- sur la Poésie '. S'inspiranl du Pro Archia, du Bellay développe cette idée, familière à la Renais- sance, que ce qui soutient Ihonnue, dans sa vie si brève et si rude, c'est le désir

D'allonger par vertu le cours de sa mémoire, Et gaigner par sa mort une immortelle gloire.

Mus par ce désir d'innnortalité, les rois et les princes élèvent de beaux monuments destinés à transmettre aux lointaines générations le souvenir de leurs exploits ; mais les plus sages, voulant une œuvre qui résiste aux injures du temps, préfèrent emprunter les mains

Et l'immortel labeur des doctes escrivains :

* Marty-Laveaux, I, 2ii3-216. Ce Discours n'a paru qu'en 1500, après la mort de du Bellay, mais il date de 1558 ou looU.

Univ. de Lille. Tome VIll. A. 28.

434 JOACHIM DU BELLAY

Par le moyen desquelz, plus vivans ilz sont ores, Que du temps qu'ilz vivoient, et leurs beaux faictz encores Plus récents que eeux-la, qu'on voit présentement : Tant (le force a l'histoire escrite doctement.

Parler ainsi de lliistorien. continue du Bellay, c'est aussi parler du poète : car tous les deux, par des moyens divers, prétendent au même but : immortaliser les héros. Donc, conclut-il en s'adressant à Henri II :

. . . Pour une gloire entière Bastir à vostre nom, dire j'oseray bien, Que le poëte il l'ault joindi'e à l'historien.

Qu'on ne s'y trompe pas : en proclamant de la sorte l'utilité du poète pour la renommée d'un prince, du Bellay demandait adroitement au roi de le traiter lui-même comme il traitait Paschal. .Mais s'il sollicitait, il ne s'abaissait point. Il était convaincu (|ii'uii homme sacré par les Muses a droit à l'atten- tion des grands, et ({u'il peut acceptei", le front haut, de ceux auxquels il décerne la gloire.

II

Dans son Elégie à Morel, du Bellay résume ainsi ses rapports avec la Cour :

Notus eram Henrico Régi Regisque Sorori,

Nec modo notus eram, sed quoque charus eram.

Francisco ignotus, sed non ignotus et hospes Seu Catharina tibi, seu Lotarene tibi.

J'ai déjà dit qu'il n'eut pas beaucoup à se louer d'Henri II : s'il est vrai que le roi lui témoigna quelque amitié, du moins cette amitié ne se traduisit pas par une protection efficace et solide. Henri II, prince d'esprit borné, « qui ne

DU BELLAY POÈTE COURTISAN 4.35

pensait point, parlait jxhi et ne lisait pas ' » , goûtait médio- crement la docte poésie d'un Ronsard ou d'un du Bellay : il aimait mieux le jeu de paume et les tournois. Mais il était le Roi ; il avait l'humeur débonnaire, l'abord facile ; il était valeureux et martial, comme un chevalier d'autrefois : il était fils enfin du grand François, dont la mémoire était si chère à tous les amis des lettres : c'était assez pour qu'on chantât sur tous les tons son héroïsme et ses vertus. Du Bellay ne s'en fit pas faute. Il serait fastidieux de relever tous les endroits se renouvelle ce panégyrique : un choix s'impose. Voici par exemple un sonnet, qui peut passer pour un modèle du genre :

Puis qu'Alexandre, et ce grand Empereur % Dont vos vertus ont mérité la gloire, Daignèrent bien des filles de Mémoire Favoriser la tant douce fureur :

Puis que de Mars l'audace et la terreur Ne sulliroient à vous rendre notoire. Si les beaux vers n'arrachoient la victoire Du plus profond de l'éternelle horreur :

Puis que le ciel d'un père vous fit naistre Qui. par les arts, de la mort s'est fait maistre, Je ne crains point qu'après Gesar ' donté,

Yostre faveur dédaigne de s'estendre

Sur ce qui peult à jamais faire entendre.

Que vous l'aurez cpielquefois surmonté. (I. 280).

On le voit : du Bellay ne se borne pas à louer le roi :

' Miolielet, Histoire de Frwce, t. XI, chap. m, p. 35, édit. Marpon et Flammarion.

- Auguste.

' Charles-Quint.

436 JOACIHM Di; BF.LLAV

il lui rappelle encore la mission des poètes et les devoirs qui lui ineoinl)ont envers les h('>rîiuts de sa gloire. C'est l'idée qui revient dans la plupart de ses poésies de cour. Dans un autre sonnet, le dernier des Regrets (s. 191), du Bellay développe cette pensée que (( rien n'est, après Dieu, si grand qu'un Roy de France ». Et il ajoute :

Puis iXonv que Dieu pcult tout, et ne se trouve lieu Lequel ne soit encloz sous le pouvoir de Dieu, Vous, de ([ui la grantleur de Dieu seul est enclose,

Élargissez encor sur nioy vostre pouvoir,

Sur nioy. qui ne suis rien : à fin de l'aire voir

Que de rien un grand Uoy peult l'aire quelque chose.

En dépit de l'hyperbole, la sollicitation ne manque pas d'esprit. Ailleurs encore, dans un sonnet de i559, du Bellay supplie Henri II , dont le pouvoir est « souverain )) , de prendre en i)itié les poètes, de les abriter contre le malheur :

Puis qu'un grand U(jy seul peult sullire à tous,

Syre, chassez la povrelé de nous.

Vous ferez [)lus ([ue les Dieux ny les Astres. (II, 463).

Les précédentes citations sullisent à montrer comment du Bellay, lorsqu'il s'adresse au roi, allie l'éloge et la re<jucte. Mais le rôle d'un poète courtisan ne consiste pas seulement à briguer des faveurs : pour les mériter, il lui faut encore célébrer les actes fameux dont il est le témoin. A cet égai'd. du Bellay n'a laissé dans l'ombre pour ainsi dire aucun fait iin[)orlant du règne d'Henri II. Il a chanté, soit en français, soit en latin, l'entrées du monarque à Paris, le voyage de Boulogne, le siège de Metz, la trêve de Vaucelles, le désastre de Saint-Quentin '. Il était depuis peu

* Prosphonematique (I. 222); Chant triumphal sur le voyage de Hou- longne (I, :i'2^); Traduction d'une ode latine de Ihiccanan (I, 440) ; Discours au Roy sur la Irefve de l'an M.D.LV (I, 302); In eos qui belLo Quinliniano occuhuerunt I.acrymae {Poeniata, f" i)2 r").

DU BELLAY POKTK COURTISAN 437

revenu d'Italie, lors({ue lo duc Fraurois de (iiiise, le 8 jan\ ifi- i558, s'empara de Calais, (|ui depuis plus de deux eeuls ans portait le joug de l'Angleterre. Ce fut un grand triomphe national , que redirent avec enthousiasme tous les poètes de l'époque. Du Bellay le elianta des premiers, en (U)uq)i)sant son H)~niiie au Roj' sur la prinsc de Callais '. Et |)uis eut liiui, le a4 avril, le mariage du Dauphin avec Marie Stuart, reine d'Ecosse : toujours pressé, notre poète avait célébré par avance le bonheur de cette union \ Plus tard, ce fut la paix de Cateau- Cambrésis et les fêtes qui la marquèrent ' : enfin, la mort tragique d'Henri II , qui plongea du Bellay dans la conster- nation et lui dicta, au sortir des cartels et des épithalames, les vers désolés d'un tombeau *.

Il faut le reconnaître : ces poésies de circonstance sont de très médiocre valeur. Ni VEntreprise du Rqy-Daulphin ni le Tumheau du Treschrestien Roy Henry II ne supportent au- jourd'hui la lecture : de ])areilles élucubrations sont tout juste à la hauteur de celles de Saint-Gelays '. Du Bellay réussit

Paris, Federic Morel, 1538, G flf. in-4". Marty-Laveaux. I, 310-316.— Le privilège étant du 17 janv. 1537 (n. s. 1358), du Bellay s'est mis à l'œuvre aussitôt connue la victoire. Cf. cinq pièces des Poemata, f°* 30 r"-31 r".

- Hoemata, f" 30 : In futuras niiptias Francisci Gall. Delphini, et Mariae Stiiartae Scotorum Reginae.

^ Entreprise du Roy-Daulphiii pour le tournoy sonbz le nom des ctievaliers advanteureux . A la Royne , et aux Dames. Par loach.du Bellay Ang. Paris, Federic Morel, 1339, 14 fî. in-4". Marty-Laveaux, II, 441-464.

^ Tumulus Henrici Secnndi GaUorum régis Christianiss. per loacti. Bel- laium. Idem gallice totidem versibus expressum per eumdem.... Paris, Federic Moi-el, 1539, 14 ff. in-4'i. Marty-Laveaux n'a reproduit que la partie française. II, 463-473.

5 II est curieux de constater que Vauqueiin de la Fresnaye voit dans VEntreprise du Roy-Daulphin le modèle accompli des cartels et des masca- rades {Art Poétique, édit. G. Pellissier, p. 146). Le Tombeau d'Henri II ne me paraît pas mériter tous les éloges de Goujet {Bibl franc.. VII, 143). Sur la manière dont le poète jugeait son œuvre, v. sa Lettre à Morel sur la mort du feu Roy (Marty-Laveaux. II, 472 473 ; P. de Nolliac, p. 33-37). II voulait faire simple^ nous dit-il en substance : il a surtout fait plat. Je parle de sa version française : le lalin est meilleur.

438 JOACHIM DU BELLAY

mieux lorsqu'il est porté par les faits et qu'il a, pour le soutenir, une pensée patriotique. C'est ainsi, par exemple, que YHymne au Rojy sur la prinse de Callais, composé, dit l'auteur, a parmy le bruit et publique allégresse du peuple », respire une mâle fierté. Le cœur du poète a vibré de joie, comme tout le royaume, à cette victoire glorieuse, inattendue, qui délogeait enfin l'Anglais, l'ennemi national, de son dernier refuge sur la terre de France ; et, pour traduire la commune allégresse, sa muse a trouvé quelques beaux accents :

Vous avez prins Callais, deux cens ans imprenable, Montrant qu'à la vertu rien n'est inexpugnable, Lors cpi'ellc est irritée, et que la passion Luy l'aict imiter l'ire et le cœur du lyon. (I, 3ii).

Je diray seulement que de ccste victoire

Il semble que le Ciel vous reservoit la gloire

Pour estrc celuy seul, qui devoit quelque fois

Sur Philippe vanger Philippe de Valloys.

Aussi ne failloit il qu'un moindre que vous, Sire,

Nous rendist un Callais duquel vous pouvez dire.

Que l'ayant regaingné, vous n'avez pas moins faict.

Que si vous eussiez mesme en bataille deffaict

Les forces de l'Anglois, qui du sceptre de France,

En perdant son Callais. a perdu l'espérance.

Icy je vous supply mettre devant voz yeulx,

Tous ces vieux Roys François, voz antiques ayeulx,

Ce grand Françoys sur tous, dont l'umbre vénérable

Entre les umbres tient lieu plus honnorable ' :

Quel ayse pensez vous qu'ont senty ces esprits,

Oyant bruire la-bas, que Callais estoit pris ? (I. 3i3).

Voilà des vers pleins de vigueur dans leur simplicité, des vers sincèrement émus, passe un souffle déloquence.

' Sic.

DU BELLAY POÈTK COURTISAN 439

III

Lorsque François II monta sur le trône, il avait quinze ans (iSSg). Ce n'était guère qu'un enfant, faible de corps, faible d'esprit. Il ignorait le chantre des Regrets : du moins, notre auteur le prétend, Francisco ignotus. Du Bellay cher- cha l'occasion de se faire connaître.

Précisément, un de ses amis les plus chers, Michel de L'Hospital, premier président de la Chambre des Comptes, et conseiller du roi en son privé Conseil, adressait au car- dinal de Lorraine une longue épitre latine, qu'il avait pré- sentée au jeune François II très peu de temps après son sacre ', et qui n'était pas autre chose qu'une instruction sur l'art de bien régner \ Du Bellay s'attela promptement à la tâche et mit l'épitre en vers français ". Son œuvre est assez bien avenue. Goujet écrit avec raison : « Cette traduction n'est presque qu'une version littérale : elle est exacte et fidèle, et ne manque point d'élégance pour le temps elle a été faite : si l'on n'y voit pas tout le goût, tout le génie

Ce sacre eut lieu le 18 septembre 1359.

- De sacra Fraiicisci II Galliarum régis initiatione, regnique ipsius admi- nistrandi providentia sermo. On trouvera cette instruction dans les poésies latines de L'Hospital. édit. Duféy de l'Yonne, t. 111 des Œuvres complètes, p. 333.

^ Discours au Roy contenant une brefve et salutaire instruction pour bien et heureusement régner. .. . (Marty-Laveaux, II, 477-489). Du Bellay, parlant de sa traduction, écrit à Morel : « J'ay traliy ou traduict beaucoup plus de la moitié de nostre besongne, mays en vers alexandrins, car les aultres ne me satisfont en si jjrave matière, et m'eust fallu user d'une inli- nité de périphrases, dont je me feusse beaucoup eslongné de la nayfveté de mon autheur, que je mesforce de représenter le plus au naturel qu'il m'est possible. » {Lettres, p. 29-30). Le Discours au Roy ne fut publié qu'après la mort de du Bellay; mais nous voyons, par une autre lettre à Morel, que le poète avait grand soin d'en faire distribuer des copies manuscrites à tous ses protecteurs [Lettres, p. 30-32). Il ménageait ses intérêts.

440 JOACHIM DU BFXLAY

de l'auteur original, on y retrouve toutes ses pensées expri- mées avec naïveté et simplicité '. »

A quelque temps do là, L'Hospilal ayant écrit pour son prince une seconde Instruction politique et morale, du Bellay c'était (( peu de jours avant son trespas » fit passer en français ce nouveau catéchisme, mais cette fois plus librement, en développant pour son compte les préceptes do son ami : ce fut VAniple discours an Roy sur le faict des quatre Estais du royaume de France '. Le texte de L'Hospital étant aujourd'hui perdu, on ne peut dire ce qui, dans ce Discours, revient en propre à l'interprète, et c'est dommage : car l'œuvre est boUe. noblement pensée, fermement écrite. L'auteur expose au roi le vaste ensemble de ses devoirs , et comme il lui faudra veiller à faire régner l'harmonie entre les quatre états qui soutiennent sa couronne, le Peuple, la Noblesse, la Justice et l'Église. Il s'étend avec émotion sur les maux dont souffre le peuple et sur les services (ju'il rend :

Sire, vous aurez donq' du pauvre peuple soing. Qui d'estre soulagé a le plus de besoing. . .

Sans luy rien ne soroit de plaisant et d'aimable.

Sans luy des Roys seroit la vie misérable,

Sans luy la terre more infertile seroit,

Et maraslro à ses fils, rien ne leur produiroit

Que ronces, et chardons, avec le gland sauvage,

Et l'eau pure seroit nostre plus doux bruvage. (II, 492)-

' Goujet rapproclic chnix autres traciuelions faites au xvii' siècle par Claude Joly, chanoine de l'Eglise de Paris, et par Charles Perrault. V. Bibl. franc , t. VII, p. lOiJ sqq.

- Le titre ajoute : Composé par I. du Bellay. Gentil-homme Angevin, peu de iours avant son trespas, à Vimitation d'un autre plus succinct, au para- vant faict en vers Latins par Messire Michel de L'Hospital. . . . (Marty- Laveaux, II, 489 511). Sur les diverses éditions de ce Discours, dont une, la j)lus correcte, parut à Lyon en loGT, par les soins de Philibert Buojnyon, V. dans la Rev. de philol. franc, et prov., t. VIII, 1894, p. 89, un article de M. Bruno t.

DU BELLAY POÈTE COUHTISAN 441

Il éniimère longuoment les bien laits de ra^riculture, cette nobl(^ chose, utile, iiidis])onsal)le à tous, et réclame avec éneracie un juste traitonient pour les travailleurs qui la font fleurir :

Ainsi de son labeur le ])eu[)le nous nourrit,

Et pour nous enrichir luy-mesme s'appauvrit.

Comme l'abeille donc(j' vous le traittorez. Sire,

No luy ostant du tout et le miel et la cire,

Mais pour l'entretenir tousjours en ce bon cœur,

Luy ferez quoique part du fi'uict de son labeur :

Vous souvenant qu'Homère en l'Iliade belle.

Le grand Agamemnon pasteur du peuple appelle ;

Et que le bon pasteur, qui aime son troupeau.

En doit prendre la laine, et luy laisser la peau. (11. 494)-

Pour alléger les charges qui pèsent sur le peuple, il demande le maintien de la paix, la refonte des impôts, de sévères économies dans les dépenses royales. Je ne suivrai pas du Bellay dans ses dévoloppoments sur la noblesse et la jus- tice, encore qu'on y pût cueillir de bons conseils et de beaux vers. Mais il faut s'arrêter un instant aux vues très hardies qu'il a sur l'Église. Il demande, bien entendu, la suppres- sion de l'hérésie : mais il demande aussi, et la chose est notable, une réforme ecclésiastique. Il no se fait pas d'illu- sion sur le clergé de son époque :

Du temps de la vertu que l'Eglise ancienne

Saincte ne dodaignoit la povreté Chrestienne.

Elle estoit le miroir de toute purité.

De toutes bonnes meurs, de toute humilité :

Maintenant au contraire, on voit qu'elle est l'exemple

Ou toute volupté protraicte se contemple.... (II, 5o3).

Il fait une vive peinture des prélats de son temps, dont le dernier des soins est de s'occuper du troupeau commis à leur garde :

442 JOACHIM DU BELLAY

Jadis les bons Prélats, qui du troupeau de Dieu Estoient les vrays pasteurs, residoient sur le lieu, Cosrnoissoient leurs brebis, en faisoient la reveuë. Et soigneux les gardoient, sans les perdre de veuë. Maintenant leur demeure est à la court des Roys, ils ont plus de train, de chevaux, et charrois, Que les plus grands Seigneurs, et leurs tables friandes Surmontent l'appareil des Persiques viandes. (II. 5o4).

Il réclame la résidence de tous ceux des prélats qu'une fonc- tion de conseiller n'attache pas auprès du prince ; il réclame aussi l'amélioration du sort des curés. Dans l'idéale monarchie que du Bellay propose à François II, il serait surprenant que les poètes et les artistes lussent oubliés. Il n'en est rien : eux aussi contribuent à la vie du royaume : le prince a des devoirs à remplir envers eux. Du Bellay rappelle à son roi tout ce qu'ont fait pour les études Charlemagne et François I»' : nobles exemples, qu'on ne sau- l'ait trop suivi'e :

Sire, il vous plaira doncq. imitant voz aveux, F'avoriser les arts, qui voz faicts glorieux Peuvent porpetuer mieux qu'en marbre, ou en cuyvre. Et qui vous peuvent faire à vous mesmes survivre. (II,5o9).

J'ai cru devoir insister quelque peu sur ce remarquable poème dont, je ne sais pourquoi, on ne parle jamais. C'est pourtant là, il me semble, quelque chose d'assez nouveau, un curieux spécimen de ces sermons en vers, (jui plairont tou- jours aux Français, ce peuple d'orateurs '. On admire ])eaucoup les Discours âo Ronsard, et certes on a raison. Mais je m'étonne que l'on n'ait pas rendu justice à du Bellay, en lui reconnaissant l'honneur d'avoir sur ce point devancé le chef

' Cf. Faguct, Seizième siècle, p. 2b4.

DU BELLAY POÈTF. COURTISAN 443

i\o la Pléiade. Lorsqu'on <i lu V Ample discours au Roy sur le faict de ses quatre Estais, on trouve moins orii^inales la Remonstrance au peuple de France et VInslilution pour l'adolescence du Roy Charles IX.

Vers la fin de sa longue harangue, du Bellay s'exprimait de la sorte :

Sire, bien que je sois, comme nouveau-venu,

De vostre Majesté encore peu cogneu.

Bien cogneu toutefois du feu Roy vostre père.

Et bien cogneu encor' de vostre tante, et mère,

Jay des premiers de ceux du mestier dont je suis.

Osé vous estrener de ce peu que je puis.

Peu, si vous regardez la valeur de la chose,

Et Testât de celuy, qui présenter vous l'ose :

Mais beaucoup, s'il vous plaist par vostre grand' bonté

Estimer mon présent selon ma volonté,

Puis qu'en le vous donnant, avecques la personne,

De ce qui est en moy le meilleur je vous donne.

Et que peult-on donner ny meilleur, ny plus beau.

Que ce qui peult un nom arracher du tumbeau ? (II. 5io).

Si l'on en croit Aubert, le jeune François II. en témoi- gnage de reconnaissance, coucha son docte conseiller sur la liste des pensions *. Mais le bienfait venait trop tard, et du Bellay n'eut pas le temps d'en jouir.

IV

Les rois devaient passer d'abord. Mais du Bellay n'a négligé aucun des puissants de la Cour. Il voulait s'assurer toutes les protections.

' Elégie sur le trespas de M. loachim du Bellay (1560) :

Puis nostre nouveau Roy luj- lit pour le guerdon

De sa divine Muse, un magnilique don,

Qu'il devoit chacun an sur son esi^argne prendre ....

444 ^ JOACHIM DU BELLAY

Tant que vécut son royal époux, la reine Catherine ne compta j2^uère. Elle-même tâchait à se (aire oublier. A court d'idées, les poètes de l'époque, après avoir redit la vertu de « Junon », n'avaient d'autre ressource que de louer sa fécon- dité. Du Bellay partagea l'embarras général et s'en tira de la même manière '.

La véritable reine était la favorite, Diane de Poitiers. Il ne faut donc point s'étonner que le poète l'ait chantée plus souvent que l'épouse légitime. On ne trouve pas dans ses œuvres moins de sept pièces dédiées à Madame de Valen- tinois \ Je regrette pour du Bellay (ju'il se soit montré si prodigue envers une femme (|ui l'était si peu. Sauf un sonnet, qui peint les beautés du château d'Anet % tous ces hommages, il faut l'avouer, sont indignes de son talent. L'auteur se donne bien du mal pour exprimer des sentiments dont le factice éclate. On sourit , quand il loue chez le roi la constance d'un amour Ibndé sur la vertu de Diane, chez Diane, la fidélité conjugale qu'atteste hautement son veuvage éternel (II. io5 et io8). Et lorsqu'on sait l'histoire, que penser d'assertions dans le genre de celle-ci :

La bienheureuse France

Jouissante du bien

De sa longue espérance.

Ne souhaite plus rien :

Voyant tous ses souhaits

En voz grâces parfaits. {II, 97).

Avec Jeanne d'Albret, reine de Navarre, du Bellay n'avait qu'à renouer les bonnes relations d'autrefois *. Étant à Rome,

' Marly-Lavcaux. I, ^3;) ; II. 288ft4:il. - Marly-Lavcaux, II, 9(j-l Ri, et /ie^Tc/s, s. 159.

^ Cf. Miciiolcl, Histoire de France, t. XI, cliai). m. p 3osqq. ; Guiffrey, Lettres inédites de Dianne de Poitiers, 1866, p. lxv sqq. ' V. ci- dessus, 1" part., chap. ix, § 11, p. 24a.

DU BELLAY POÈTE COURTISAN 445

il avait chanté dans une ode la naissance du petit duc de Beaumont, le futur Henri IV '. Une fois de retour, il ne pouvait manquer d'être bien accueilli. Un sonnet des Regrets (s. l'j'y) célèbre d'une manière hyperbolique « les escripts Navarrois o , ceux de la reine et de sa mère, la première Marguerite. Il y a plus : du Bellay ayant composé, sans doute à l'occasion d'une fête à la Cour, une chanson pour Mme la Maréchale de Saint-André, eut le plaisir de voir Jeanne d'Albret lui faire elle-même une réponse ". Gomme jadis, reine et poète échangeaient des vers.

A la Cour des Valois, Marie Stuart. dans la fraîcheur de son printemps, mettait l'éclat de son esprit et de sa grâce. Elle aimait les poètes, et les poètes allaient vers elle '. Du Bellay, qu'elle honorait d'une affection particulière, fut pris au charme et la salua de ce joli sonnet :

Ce n'est pas sans propoz qu'en vous le ciel a mis Tant de beautez d'esprit, et de beautez de face. Tant de royal honneur, et de royale grâce. Et que plus que cela vous est encor' promis.

Ce n'est pas sans propoz que les Destins amis. Pour rabaisser l'orgueil de l'Espagnole audace. Soit par droit d'alliance, ou soit par droit de race, Vous ont par leurs arrestz trois grans peuples soubmis.

Hz veulent que par vous la France et l'Angleterre Changent en longue paix l'héréditaire guerre, Qui a de père en fîlz si longuement duré :

* Marty-Laveaux, I, 284-294. Cette Ode ne parut qu'en 1561, mais elle dut être écrite au début de loo4 : on sait qu'Henri IV est le 14 déc. 1551}.

- Marty-Laveaux. Il, 116-117.

■■' (( Tant qu'elle a esté en France, elle se réservoit tousjours deux heures du jour pour estudier et lire : aussi il n'y avoit guières de sciences humaines qu'elle n'en discourût bien. Surtout elle aimoit la poésie et les poètes, mais sur tous M. de Ronsard, M. du Belay et M. de Maisontleur, qui ont faict de belles poésies et élégies pour elle. » Brantôme, édit. Lalanne, Vil, 406. Sur II. L'Huillier, seigneur de Maisonfleur, v. Ronsard, édit. Blancliemain, VI, 21.

446 JOACHIM DU BELLAY

Hz veulent que par vous la belle vierge Astrée

En ce siècle de fer reface encor' entrée,

Et qu'on revoye encor' le beau siècle doré '.

Par un lien naturel, Marie Stuart nous amène aux Guises. On sait le rôle énorme qu'ils jouaient à la Cour, le crédit dont ils disposaient. Comment du Bellay n'eùt-il pas tenté de se concilier leur faveur ? Il a loué maintes fois le duc François de Guise, l'héroïque vainqueur de Metz et de Calais ■. Mais il a surtout loué son frère, le cardinal Charles de Lorraine \ C'est que ce prélat de trente ans se posait volontiers en protecteur des Muses ; au château de Meudon, il s'entourait de poètes et d'artistes ; il prodiguait fastueuse- ment les récompenses et les pensions. Il faut voir, dans une lettre à Morel, avec quel soin jaloux du Bellay veillait à lui faire tenir ses œuvres manuscrites : (( Monsieur, depuis le partement d'Horace, je me suys ad visé qu'il seroit bon et presque nécessaire d'envoyer une coppie de la translation de l'épistre de Mons' de l'Hospital à Monseig"^ le Card°' de Lorraine, ne videatur sibi neglectus fuisse \ »

' Regrets, s. 17U. Ce sonnet se retrouve h la lin de la plaquette qui débute par VHymne au Roy sur la prinse de CaLlais (Marty-Laveaux, I, 316). V. d'autres éloges de Marie Stuart, 11, 4!)4, 4(i3, 507 ; et cf. les Foëmes de Ronsard (IMancheniain, VI, 9 27).

2 Marty-Laveaux, I, 282, 312, 441; II, o06; Poemata, f" 30 r»-3I r".

■> Marty-Laveaux, II, 477, 489, iJOa, 507, 509; Poemata, t" 33 r"; Regrets, s. 168. Il existe de ce sonnet une première rédaction en vers décasyllabes, négligée par Aubert, et que j'ai signalée naguère à M. Marty-Laveaux \Afipendice de la Pléiade, II, 393). Au.x pièces précédentes il convient d'ajouter une importante élégie latine, non réimprimée, qui se trouve à la suite du Turnulus llenrici Secuiidi il559), sous ce titre: Ad illustriss. prin- cipein Carolurn card. Lotharingum loacli. Rellaii elegia. (Bibl. Nat. Rés. mY"^. 113). C'est une demande de protection. Cf. Ronsard, Hymne de Charles, cardinal de Lorraine, 1559 (Blanchemain, V, 83). On y lit ces vers : El si tost qu'il te pleut prendre dedans ta main Du Rellay que la Muse a nourri dans son sein, Kl qui par ses chansons la grâce nous rameine... (p. 104).

* Lettres, p. 30-31.

DU BELLAY POÈTE COURTISAN 447

Tout en recherchant la l'avcui' des Guises, il ne négligea pas non plus leur l'ival d'iniluence, Montmorency. Il eut des éloges pour le connétable ' ; pour son fils François, le gendre du roi ^ ; pour son neveu . le cardinal de Chàtillon ^ ; pour sa nièce, l'abbesse de Caen '*.

Enfin, il lit des dédicaces ou des sonnets pour tous les personnages importants de la Cour dont il voulait avoir l'appui ou qu'il remerciait de leur protection : le garde des sceaux Jean Bertrand * ; François Olivier, l'ancien chancelier, rappelé par François II au pouvoir '' ; d'Avanson, l'ancien ambassadeur à Rome ' ; Duthier, conseiller du roi et secrétaire d'Etat * ; Poulin, baron de la Garde, amiral d'Henri II ' ; le toujours dévoué Michel de L'Hospital "'.

V

Mais jamais il ne ressentit plus de sincère admiration et de réel attachement que pour Madame Marguerite. Tous les écrivains de l'époque ont chanté à l'envi cette princesse aimable et bonne, vertueuse sans atlectation et savante sans pédantisme " : c'est que, suivant la belle expression de Ronsard,

Elle portoit une ame hostelliere des Muses '^

* Marty-Laveaux, I, 283.

^ Poemata, f" 28 r" : In nupiias I. Mommorantii et Dianae Herrici Gallo- rum Régis Jiliae .

=• Marty-Laveaux, I, 244; Regrets, s. 169.

^ Marty-Laveaux, U, 157-138.

'■ Regrets, s. 161.

° Regrets, s. 162; Marty-Laveaux, II, 507.

' Regrets, dédicace et s. 160, 164, 165.

" Regrets, s. 163; dédicace des Jeux Rustiques.

» Regrets, s. 166,

1" Regrets, s. 167; Marty-Laveaux, II, 135 et 140. " Cf. Bourciez, Les mœurs polies..., p. 150-152 et 190-193. '^ Blanchemain, YIl, 189.

448 JO.\CHIM DU BELLAY

Mais personne, à coup sûr, ne montra dans ses hymnes, avec plus de respect, plus de ferveur et de tendresse que du Bellay. Depuis le jour la sœur d'Henri II. avec un bien- veillant sourire, avait accepté ses « petitz labeurs » et l'avait engagé à poursuivre ', son culte pour elle n'avait cessé de grandir '. A Rome, un des tourments dont l'exilé soulfrait le plus, c'était la privation de cette Marguerite, source vénérée de son enthousiasme. Loin d'elle, il restait muet, dit-il,

. . . comme on voit la Prophète Ne sentant plus le Dieu, qui la tenoit sugette. Perdre soudainement la fureur et la voix ^

Aussi, lorsqu'il revint en France, quel soupir de bonheur ! quelle ivresse ! Il échappait donc à ce sombre enfer il avait langui (( quatre ans et davantage » * ! Il allait revoir sa divinité ! Dans l'ardeur de sa joie, il lui dédia dévote- ment toutes ses poésies latines :

llae til)i si placeant incultae. Diva, Camoenae, Crediderim summis me placuisse Deis \

Il suspendit à son autel une guirlande de sonnets ^ De ces Heurs idéales, se dégageait comme un parfum de pur amour et de mystique adoration. Marguerite était l'esprit de lumière, inspirateur des hauts pensers et des vertus sublimes ', un ange de b(jnté descendu sur la terre, et dont on n'appré- ciait toutes les perfections qu'après avoir fait l'expérience 'de la perversité des « grands dieux » de ce monde :

' V. ci-tlcssus, 1" pari., chap. viii, i^ ii, p. 222.

- Maity-Laveaux, 1, 70, 168, 219, 233, 23i, 237, 240, 234, 281,335; 11,41, 13d. ^ Regrets, s. 7.

* Regrets, s. 174; Poemata, 2S v".

'" Poemata, l" 2 v°. Cf. la pièce Ciir intermissis GalUcis Latine scribat, fo 3 v.

•^ Regrets, s. 174-lfXJ

' Regrets, s. 170 et 177.

DC BKLLAY l'OÈTK COURTISAN 449

Quand ceste belle Heur premièrement je vy, Qui nostre aage de fer de ses vertuz redore, Bien que sa grand'valeur je ne cogneusse encore. Si l'iis-je eu la voyant de merveille ravy.

Depuis ayant le cours de fortune suivy

le Tybre tortu de jaune se colore,

Et voyant ces grands dieux que Fignorance adore,

Ignorans, vicieux, et mescliaus à Tenvy :

Alors (Forgef) alors ceste erreur ancienne, Qui n'avoit bien cogneu ta Princesse et la mienne, La venant à revoir, se dessilla les yeux :

Alors je m'apperceu qu'ignorant son mérite, J'avois, sans la cognoistre, admiré Marguerite, Comme, sans les cognoistre, on admire les cieux \

Lorsqu'en i559, à Tàge de trente-six ans. Madame Marguerite épousa Philibert-Emmanuel, duc de Savoie, dans le concert d'acclamations qui sortit de la bouche des poètes, du Bellay se distingua par l'ardeur de son enthousiasme. Il écrivit pour la princesse un solennel Épithalame \ C'était un chant dialogué, dont les personnages étaient la Musique, le Poëte, Antoinette de Loynes. femme de Morel, et ses trois filles, Diane, Lucrèce et Camille, enfin Mercm-e. Il devait être récité, parait-il, au festin nuptial. M. de Nolhac a trouvé dans un manuscrit * quelques indications concernant 1' (( ordon- nance » de cet Epithalame, ordonnance qu'il attribue à du Bellay lui-même. Camille devait être habillée « en Ama-

* Secrétaire de Madame Marguerite. Cf. Lettres de J. du Bellay, p. 25.

- Regrets, s. 185.

^ Epithalame sur le mariage de tresillustre prince Philibert Emanuel, duc de Savoye, et tresillustre princesse Marguerite de France, sœur unique du Roy et duchesse de Berry. Par loach. du Bellay Angevin. Paris, Federic Morel, 1559, 14 11", in-4". Marty-Laveaux, II, 421-439.

' Bibl. Nat.. fonds français, 4600, f. 302.

Unii>. de Lille. Tome YIII. A. 29.

4oO JOACUIM DU BELLAY

zone (ju on liubit de Pallas, l'armet en teste, la Gorgonne en son bras gauche », Lucrèce a en gentildone romaine », et Diane « en Nymphe et Déesse, son arc et flesche au poing ». Quant au Poêle, il aurait été figuré par leur jeune frère Isaac, (( hal)illé en Orphée à l'antique, couronné de laurier, une harpe à la main » '. On sait quel tragique accident vint arrêter toutes les l'êtes, et connnent à minuit, le 9 juillet iSôg, sous les yeux de son frère mourant, Madame Marguerite épousa le duc de Savoie : lamentable cérémonie, qui tenait plus d'un enterrement que d'un mariage ■.

Trois mois plus tard, la bonne et regrettée duchesse prenait enfin la route de son nouveau pays. Du Bellay, que la maladie retenait depuis quelque temps à la chambre, eut le chagrin de ne pouvoir, avant son départ, lui (( faire la révérence » et lui (( baiser les mains » . Il chargea son ami Morel ^ de s'en acquitter à sa place et de présenter de sa part à Madame de Savoie, comme un cadeau d'adieu, le Tombeau d Henri II qu'il venait d'achever. En même temps, il lui confiait les douleurs de son àme, le désespoir qu'il éprouvait de ce départ s'ajoutant à la mort du roi. « Ce désastre, lui disait-il, av(;c le partement de madicte Dame, qui ce ([ue j'entends) est pour s'en aller bien tost es pays de Monseign^ le duc son mary, m'a tellement estonné et faict perdre le comr, que je suis délibéré de jamais plus ne i-etenter la l'ortune, m'ayant, nescio quo fato. esté jusques icy toujours si marastre et cruele, mais ahdere me in secessum

' Lettres de J. du Bellay, p. 'M), note.

- Mémoires de Vieilleville, liv. VU, chap. 28. Collection Petitot, XXVII, 417.

' Lettres, p. 3ij. Celle lettre, dalée du 3 octobre 15iJ9 et publiée par M. de Nolhae, d'après une copie manuserilc, diffère un peu, quant au texte, de la Lettre d un sien aniy, imprimée à la suite du Tombeau (Marty-Laveaux, II, 472), et qui n'est datée que du 5.

DL' BELLAY POÈTE COUKTISAN 451

nliquem, avec ceste brave devise ptmr toute consolation. Spes et fortuna valete. Et qui seroit si loi de ce vouloir doresna- vant travailler l'esprit pour faire quelque chose de bon, ayant perdu la laveur d'ung si bon prince, et la présence d'une telle princesse, qui de] mis la mort de ce grand Roy François, père et iustaurateur des bonnes lectres, estoit demourée l'unique suport et refuge de la vertu et de cculx qui en font profession ? Je ne puis continuer plus longuement ce propoz sans larmes, je dy les plus vray<'s larmes que je pleuray jamais *. » Un peu plus loin, il écrivait, le cœur saignant : (( Quand à moy {et hoc mihi apiid amicuin liceat), encores que jusques icy j'aye enduré des indignitez de la fortune aultant que pauvre gentilhomme en peult endurer, si est-ce que pour perte de biens, d'amis et de santé, et si quelque aultre chose nous est plus chère en ce monde, ^ je nay jamais esprouvé si grand ennuy que celuy que j'ay receu de la mort du feu Roy. et du prochain département de madicte Dame, qui étoit le seul appuy et columne de toutes mes espérances ^ » Puisqu'il ne pouvait accompagner sa bienfaitrice dans son voyage, il la suivrait du moins de ses prières et de ses vœux (( pour sa bonne prospérité et santé » . avec « cette humble allection, révérence, et dévotion » (juil lui devait. Et le malheureux ajoutait : (( Ce qui me reste de consolation, c'est une conscience de bonne, pure et sincère volunté envers Dieu et envers les hommes, avecques ung contentement, ou (s'il fault dire ainsy) ceste gloyre. qu'ayant en la profession j'ay esté poussé, plustot par nécessité que par élection, rencontré tant d'heur que de plaire à madicte Dame, je me puis vanter d'avoir esté agréal^le à la plus saige. vertueuse et humaine Princesse ({iii ait été de son temps ^ ))

1 Lettres, p. 37-38. - Lettres, p. 38-39. =* Lettres, p. 39-40.

452 JOACHI.M DU BELLAY

Si j'ai cité la plus grande partie de cette lettre, c'est qu'on y surprend sur le vif, dans leur saisissante amertume, les déceptions et les angoisses dont souH'rait l'ami de Morel. L'infortuné s'abandonnait, perdu, désemparé. Le départ de sa protectrice, ce n'était pas seuleinent la ruine de ses espérances et la destruction de son rêve : c'était aussi la fin brutale de son affection la plus sainte, le brisement de sa tendresse, un coup porté droit à son cœur. Et cela, dans un temps plus que jamais il eût eu besoin de consolation et de réconfort, accablé qu'il était par la douleur physique, par le chagrin d'une disgrâce, par toutes les épreuves que lui infligeait la vie.

CHAPITRE X

LES DERNIERS TEMPS

1559-1560

I. Les « Lettres » de J. du Bellay : leur intérêt documentaire.

La mission du poète â Paris. Du Bellay fut-il prêtre?

II. Ses démêlés avec l'évêque et sa famille. L'affaire des

« Regrets ». L'affaire des collations. Du Bellay et

le cardinal : les bénéfices ecclésiastiques de JoacMm.

III. La santé du poète. État physique : les progrés de la

surdité. État moral : la ruine des illusions.

IV. Consolations poétiques. Les dernières œuvres de du Bellay.

Les « Xenia ». V. Mort de J. du Bellay (1" janvier 1S60). Sa sépulture ; son épitaphe.

Lorsque le doyen du Sacré-Collège avait renvoyé Joachim en France, il était si content de ses loyaux services que, pour lui prouver sa satisfaction, il l'avait chargé de veiller là-bas à ses intérêts :

Et sua coinmittit curanda négocia nobis. Expertus nostram scilicet ante fidem.

Si nous n'avions que ce distique pour définir exactement la

454 JOACHIM DU BELLAY

nature de la mission que le poète avait i'e(^-ue du cardinal, nous serions fort embarrassés. Mais par bonheur, nous possé- dons des indications plus précises. En 1867. M. Revillout a retrouvé, dans un manuscrit de la bibliothèque de l'Ecole de Médecine de Montpellier, la copie d'un certain nombre de lettres écrites par du Bellay et par divers membres de sa famille, copie qu'avait exécutée un siècle auparavant le président Bouhier'. M. de Nolhac. à son tour, ayant découvert à la Nationale les autographes des mêmes lettres, en a donné une édition aussi correcte qu'élégante -. Si incomplète que soit cette correspondance ^ elle a beaucoup de prix, puisqu'en nous renseignant sur les fonctions dont était chargé le poète, elle nous livre le secret des ennuis de ses derniers temps.

Le cardinal du Bellay, nous l'avons vu \ disposait comme d'ailleurs à cette époque la plupart des prélats de France d'un grand nombre de bénéfices. 11 s'était fait donner plusieurs sièges épiscopaux, Paris, Limoges, Bordeaux, Le Mans, et tenait en commende beaucoup dabbayes et de prieurés, dont les revenus lui permettaient de mener à Home un grand train de vie. Un déci*et du concile de

' M. Revillout a tiré de ces lettres un substantiel mémoire intitulé : Les derniers mois du poëte Joachim du Bellay, qui ligure dans les Mémoires lus à la Sorbonne en iS6y, p. 375-408. Inipr. Impér., 1868. V. dans la Corres- pondance de Sainte-Beuve, édit. C. Lévy, 1878, t. il, p. 247. une lettre du célèbre critique à M. Revillout, à propos de son mémoire.

- Lettres de Joachim du Bellay publiées pour la première fois d'après les originaux. Paris, Charavay, 1883. Depuis son édition, M. de Nolhac a retrouvé deux nouvelles lettres de J. du Rellay, qu'il a publiées dans la Rev. d'hist. litt. de la France, 1894, p. 49, et 1899, p. 360. Espérons qu'il n'est pas au bout de ses bonnes fortunes.

^ Elle ne comprend que des lettres de la seconde moitié de 1559. Encore sommes-nous loin de les posséder toutes : c'est ainsi que nous n'avons plus une lettre de Joachim à l'évèque de Paris en date du 16 septembre (v Lettres, p. 75-76). Quant aux réponses du cardinal, (jui seraient si précieuses, elles manquent à la collection.

* V. ci-dessus, 2'" part., chap. i, § i, p. 272.

LES DERNIERS TEMPS 4o5

Trente ' ayant interdit ce cumul, si contraire à l'esprit de rÉgiise, il s'était vu dans l'obligation d "y renoncer. En i55o, il avait résisrné l'évèché de Paris à l'un de ses cousins, Eustache du Bellay, conseiller-clerc au Parlement '■. En i553, il s'était démis de l'archevèclié de Bordeaux en faveur de François de Mauny •'. Enfin, en i556, il avait cédé l'évèché du Mans à Charles d'Angennes *. Mais en se dépouillant de la sorte au profit de parents ou d'amis, il s'était cependant, par une ingénieuse tactique, réservé certains droits dans l'administration de ses anciens diocèses. Pour l'évèché de Paris notamment, il gardait en partie la collation des béné- fices et prélevait une part des revenus, si bien qu'Eustache du Bellay, l'évcque titulaire, n'avait guère en réalité que la situation d'un custodi-nos.

Pour surveiller des intéi'èts si compliqués et si précieux, le cardinal avait besoin de mandataires d'une absolue fidélité. Pendant quatre années, il avait pu voir Joachim à l'œuvre ; il connaissait par expérience son intelligence et son dévoue- ment. C'est sans doute ce qui lui fit choisir, pour cette mission délicate, l'intendant éprouvé de son palais de Rome. Ainsi notre poète, en France comme en Italie, eut d'abord à remplir des fonctions financières. Ses lettres en témoignent : nous le voyons en rapports avec Didato et Combraglia, deux banquiers italiens qui faisaient à Paris les affaires de son maître ; il s'occupe du paiement de ses dettes et du recou- vrement de ses créances : il lui envoie des lettres de change de douze cents écus. son (( ordinaire ^) de chaque mois '. Il

* 6= session, 13 janvier io47. De Reformatione, c. I. - Gallia Christiana, t. VII, col. iti2, û.

' Gallia Cliristiana, t. Il, col 849, A.

* Gallia Christiana, t. XIV, col. 414, D.

'" V toute la lettre du 7 octobre, p. 61. Une lettre d'Eustache du Bellay, p 85, conlirme nettement que l'évèché de Paris rapportait au cardinal 1200 écus par mois.

45fi JOACHIM DU BELLAY

s'acquitta de son office avec un zèle scrupuleux : (( Je ne veulx prescher mes mérites, écrivait-il au cardinal, mays s'il vous plaist de le réduyre à mémoyre, vous trouverez. Monseigneur, qu'en moins d'un an et demy vous avez disposé de plus de troys mil livres de rante ce pendant que je m'en suys meslé'. » Mais ne s'arrêtait pas la mission de du Bellay. La nature même de ses fonctions, en l'obligeant à surveiller tout ce qui était pour son maître une source de revenus, le mêlait forcément aux questions d'administration et le faisait participer, dans une certaine mesure, à la direction du diocèse de Paris. Il s'occupait avec l'évêque de l'attribution des prébendes et présentait au cardinal les requêtes des pos- tulants. Les solliciteurs allaient le trouver, soit pour demander un bénéfice vacant, soit pour obtenir, souvent à beaux deniers comptants, l'appui du doyen du Sacré-Collège dans des affaires pendantes en Cour de Rome. Ainsi M. d'Ivry (Philibert Delorme), abbé nommé de Saint-Serge d'Angers, venait le voir un matin, lui parlait (( plus particulièrement ». et lui promettait, si le cardinal lui faisait promptement expédier ses bulles, de « ne plaindre V cens escutz pour la dilligence du convoyeur ». La reine elle-même lui écrivait pour des prél)endes vacantes \ Enfin. et c'est un point foiM important, puisqu'un conflit devait un jour sortir de là, le cardinal avait chargé son intendant de conférer, en Vahsence de Vévêque de Paris, les prébendes que ce dernier conférait en temps ordinaire ^

' Lettres, p. ;j8. Cî. Élégie à Morel:

Hic quoi pertulerim noctesque diesque labores,

Munere dum fungor sedulus ipse meo, Teslis, qui obsequiuni nostruni menlcmque probavit, Paupcrtas Icslis noslraquc sempcr erit. = Pour les détails, v. Lettres, p. ;i6, îiO, 60, 63, 64.

^ C'est ce qui ressort clairement de plusieurs passages des Lettres : Lettre de Joachim au Cardinal, datée du l"' septembre : « Ce jourd'huy est vacqué une prébende de vostre eglize de Nostre Dame, que Mons' le thésau- rycr de Heauvoys a conférée au lilz de Mons' de Saveuse, encore que je luy

LES DEIINIERS TEMPS 4f)7

Il est d'ailleurs bien entendu qu'il s'agit simplement de celles des prébendes réservées aux laïques : notre auteur n'avait aucun droit à en conférer d'autres. Nulle part, les Lettres ne le montrent à nous investi de pouvoirs spirituels ; et c'est bien à tort, à mon sens, que l'on soulève ici la question de savoir si du Bellay fut prêtre ou non. Il était clerc ', comme tant d'autres en ce temps-là : mais rien ne prouve qu'il eiit reçu les ordres. En aucun endroit de ses œuvres, je n'y vois la moindre allusion. Au moment de partir pour Rome, il s'écriait :

J'apprendray les secrets de la théologie %

ce qui semble indiquer qu'il n'avait pas poussé très loin l'étude de la science divine. La Croix du Maine est le premier qui fasse de notre poète un archidiacre de Paris ^ Scévole de Sainte-Marthe, autant qu'on peut l'induire d'un texte sans clarté, réédite la même affirmation *. Mais ce n'est

eusse faict remonstrer de ne me faire ce tort qu'en l'absence de Mons^ de Paris je ne feisse la charge qu'il vous a pieu nie donner.... » {Lettres, p. o6-o7). 2' Lettre de Joachim à l'évèque de Paris, datée du .31 août : « Ce me seroit une grand' veroongne .... qu'en vostre absence ung aultre usurpast sur moy la charge qu'il a pieu à Monseigneur le Cardinal me don- ner. ... » Et plus loin : « Si vous trouvez bon, sans exprès commandement de mondit seigneur le Cardinal, de préférer des étrangers a moy .... je vous supplie. Monsieur, de le me faire entendre, a fin que je m'en descharge envers mondict seigneur le Cardinal et qu'il n'ayt occasion de penser qu'en vostre absence j'aye desdaigné de faire la charge qui iuy a pieu me donner. » {Rev. d'hist. litt. de la France. 189i, p. ^iO-ol).

' Clericus Xannetensis Dioecesis, disent les registres de l'Eglise de Paris : Lire, sa paroisse, relevait du diocèse de Nantes.

* Resrrets, s. 32.

* Bibl. franc., II. 1 : « Joachim du Bellay. Gentilhomme Angevin, sieur de Gonnor en Anjou, Arcliidiacre en l'Eglise de Notre-Dame de Paris »

' Elogia (loDS), p 40 : « In D. Virginis aede, in qxia sacerdotiiim praeci piiae dii^nitatis obtinebat, honorilîeo funeris apparatu sepultus est. » Dans ledit, de 1606, p. 61, le texte est ainsi modifie : « In B. Virginis, nbi sacer- dotium possidebat, sepultus. » (Traduction de CoUetet : « Il fut enterré dans l'Eglise de Nostre-Dame. il estait Archidiacre » ). Je note encore dans l'édit. de 1606 un passage qui n'est pas dans celle de lo98. Sainte-Marthe vient de parler des Antiquitez de Rome et des Regrets; il ajoute : « Hune tamen liberi et faccti ingenii fervorem remitlerc paulatim coeperat, gravio- raque deinceps et sacrato homine digniora meditari. » Il ressort de ces textes cjue Sainte-Marthe a cru à la prêtrise de du Bellay.

4o8 JOACHIM DU BKLLAY

qu'une légende, que Ménage a ruinée en compulsant les registres de TP^glise de Paris *. Il est vrai que, si du Bellay ne figure point sur les registres capitulaires comme archi- diacre, il y figure comme chanoine : c'est Ménage qui nous rapprend ^ Le 19 juin i555, il était alors à Rome, il obtint le canonicat laissé vacant par le décès de maître Jean Toussepain, et s'en démit un an après, le 12 juin i556, pour un motif cpie Ton ignore '\ Mais comme, à cette époque, il arrivait encore que l'on conférât de semblables charges à de simples laïques , on ne saurait conclure de ce canonicat que son possesseur était sûrement dans les ordres. Je sais bien qu'on allègue à l'appui de la thèse que du Bellay, lorsqu'il mourut, allait recevoir du cardinal l'archevêché de Bordeaux *, ce qui serait invraisemblable s'il n'eût eu la prêtrise. Mais Scévole est le seul, ou du moins le premier, qui parle de la chose % et Scévole est sujet à caution *, Si vraiment le cardinal avait désigné son neveu pour un archevêché, n'est-il pas sin-

' Anti-Baillet, ôdil. de 1730, chap. xlv, p. 93 : « J'ai cru autrefois sur le témoijjnage de La Croix du Maine, et sur celui de Jean le Clerc, qu'il avoit été Archidiacre de Paris. Mais j'ai vérifié sur les Registres de l'Eglise de Paris qu'il ne l'avoit point été. »

- Joachimus du Bellay, Clerlcus Nannetensis Dioecesis, fuit receptus ad Canonicatum et Praehendam, vacantes per obitum Magistri Johannis Tous- sepain, Canonici Parisiensis et Archidiaconi. Cité par Ménage, Anti-Baillet, chap. XXXV, p. (J5-G6. Nicerou explique assez bien, t. XVI, p. 392, com- ment a pu naître l'erreur concernant du Bellay archidiacre : « Cette luéprise peut venir de ce que Joachim du Bellay succéda dans le Canonicat de Paris à Jean Toussepain, qui étoit en même temps Chanoine et Archidiacre, et de ce qu'on a cru que ces deux dignitez étoient passées conjointement à lui ; ce qui n'est pas. »

•■' Anti-Baillet, chap. xlv, p. 93. Cf. Marty-Laveaux, Notice sur J. du Bellay, p. xxix.

* A la mort de François de Mauny (1558), le cardinal avait repris son titre d'archevêque de Bordeaux, via regressus.

■' Encore n'en parle t-il que dans Tédit. de lOOG, p. fil : « Cum Burdigalae Antistes ab illo suo Cardinale jam designaretur ...»

" Cél. Port, Dictionn. de Maine-et-Loire, art. Dubellaj, t. II, p. 67 : <<CVst pur rêve que de lui prêter, comme on le fait, le succession anticipée du cardinal Jean à rarclievcché de^Bordeaux. »

LES DEHMEIIS TEMPS 4o"J

gulier que nul contemporain n'ait mentionné dans ses éloges un fait si glorieux pour notre poète ? Donc, le doute est ici de rigueur. On a j)U démontrer, d'une façon presque certaine, que Ronsard était prêtre ' : on ne le peut pour du lîellay. « Rien ne m'assure, écrivait Sainte-Beuve \ que du Bellay ait jamais dit la messe. » S'il faut exprimer toute ma pensée, j'ai pour ma part l'intime conviction qu'il n'exerça jamais le sacerdoce.

Mais qu'il fût prêtre ou non, il avait un rôle assez impor- tant à l'évèché de Paris, et sa situation allait lui valoir, du fait même de sa famille, de bien cruels mécomptes.

II

Eustache du Bellay, l'évêque de Paris, était le cousin germain du poète '. Si conciliant qu'il fût de caractère, si respectueux des volontés du cardinal, il navait pu voir sans quelque dépit ce retour dun parent, dont il savait et jalousait les bons offices, et qu'il redoutait, maintenant surtout, comme un obstacle à son autorité. Ainsi que l'a dit M. Revillout, (( Joachim ne venait-il pas, sinon pour contrôler l'évêque de Paris, au moins pour partager avec lui la gestion d'atlaires dont Eustache avait été jusque-là chargé seul ? C'était donc une guerre de famille qui s'ouvrait, et l'objet du débat, c'était la faveur d'un parent puissant, dont les deux rivaux attendaient tout, et qu'ils étaient habitués à vénérer comme un dieu \ »

' Abbé L. Froger, Ronsard ecclésiastique, Mamers, 1882 ; P. Bonnefon, Ronsard ecclésiastique, dans la Rev. d'hist. tilt, de la France. 1895, p. 2i4. - Notice sur J. du Bellay, p.3oo, n. 1.

' V. le tableau généalogique de la famille du Bellay, dans IVdit. Séché. ' Revillout, p. 382.

460 JOACHIM DU BELLAY

Ce qui devait encore aviver le conflit, c'est que l'évêque subissait l'influence de son frère Jacques, baron de Thouarcé *, lequel était assez violent et détestait fort Joachim. Le poète, de son côté, n'était pas exempt de défauts. « Ses amis vantent, il est vrai, la bonté de son naturel, l'amabilité de son caractère, l'agrément de son commerce et la droiture de son àme ; ils le dépeignent à plaisir liumble, bénin, n'ofien- sant personne et constant à tenir sa parole ; mais, comme dit lun d'entre eux,

Il couvroit néanmoins, sous son courtois langage, Un magnanime cœur, tesmoing de son lignage *.

C'est dire qu'il ne tolérait pas facilement l'injure, et qu'il était fort chatouilleux sur le point d'honneur. Et comme nous savons par un autre aveu de ses amis qu'il était « prévoyant aux choses soup(;onneuses », on peut deviner qu'il était non- seulement ii'i'itable. mais encore méfiant dans les aflaires ^ » Dès lors, on coiiroil (juc la bonne entente n'ait pas été bien longue entre le poète et ses deux cousins.

Que se passa-t-il la première année ? Nous l'ignorons abso- lument. Mais en i559, les Lettres en font foi, leurs rapports étaient très tendus. Déjà, des dissensions avaient éclaté, sui- vies de mots amers, (h- |);u"<)h's (h- menaces *. Un jour, du Bellay reçut d'un ami. Jérôme de la Rovère, évêque de Toulon '\ une communication aussi fâcheuse qu'inattendue :

* Chef-lieu de canton de l'arrondissement d'Angers.

- Cf. Aubert, Elégie sur le trespas de M. loachim du Bellay. Cf. son Epistre au lioy (Marly-Laveaux, Appendice de la Aotice, p. xxxviii.) '■> Ucvillout, p. 382.

* Lettres, p. o3.

' Du Bellay l'avait connu chez Morel. Son amitié pour ce prélat est attestée par deux pièces (une épi^^ranime latine suivie d'un sonnet), qui se trouvent en tèlc de la phiquellc intitulée : Les deux Sermons funèbres es obsèques et enterrement du feu Roy Treschrestien Henry deuxième de ce nom, faicts et

prononcez par Messire lerome de la liovere, esleu Evesque de Thuton

Paris, Rob. Estienne. i:;;5!t, in-i". (Bibl. Nat. L!).3M04). Sur Jérôme de la Kovére, v. la note de M. de Nolliac, Lettres, p. 28.

LES DERNIERS TEMPS 4G1

c'était des lettres, envoyées de Ruine à Tévèque, le car- dinal témoignait contre son intendant la plus vive colère'. Une main mystérieuse avait fait parvenir les Regrets au doyen du Sacré-Collège, et le prélat, malgré son amour pour la poésie, avait été scandalisé.

Ce fut pour Joachim comme un coup de tonnerre. A l'instant il se vit perdu. 11 n'avait pas besoin de longtemps réllécliir pour deviner que l'envoi des Regrets avait être accom- pagné d'insinuations désobligeantes et de perfides commen- taires ^ Mais, comme il était gentilhomme et qu'il avait pour lui le témoignage de sa conscience, il ne voulut pas rester sous l'injure. Donc, le 3i juillet, il écrivit au cardinal une longue lettre apologétique ' où, tout en conservant la défé- rence et le respect qu'il devait à son protecteur, il n'abdi- quait rien de sa dignité. Il débutait en protestant contre les calomnies dont on l'avait noirci , et, rappelant discrètement les humbles services rendus, il suppliait le cardinal d'écouter sa défense. Il faisait appel à ses sentiments de justice comme à sa bonté naturelle, et, non sans adresse, lui remémorait ce que lui-même avait souffert : u Vous mesmes. Monseigneur, avez souvent esprouvé et esprouvez encore tous les jours les traicts de la calumnie, à vostre grand honneur et à la con- fusion de voz ennemys. » Il lui disait alors comment il avait écrit les Regrets. C'était de sa part une distraction, rien de plus. Étant à Rome, il passait quelquefois le temps à

* Lettres, p. 41-42, - Elégie à Morel :

Iratum insonti nostrae fecere camoenae, Iratuni maliru qui vel habere Jovem. Hei mihi Peligni crudelia fata Poetae,

Hic etiam fatis sunt renovata meis. Etieu sola mihi nocuit maie grata camoena,

Artilici nocet hic ars quoque sola suo. Sed non sola nocet : gravius nocet invida lingua, Quae nostri caput est, fons et origo mali.

^ Lettres, p. 41-52.

462 .TOACHIM DU BELLAY

composer des vers, qu'il lisait aux intimes, mais sans inten- tion de les publier. Par malheur, un d'entre eux, le secrétaire Le Breton, en faisait des copies clandestines, qu'il vendait aux gentilshommes français de passage dans cette ville. Il avait été stupéfait lui-même, à son retour en France, d'en trouver des copies imprimées tant à Lyon qu'à Paris, et , le mal étant sans remède , il avait publié le recueil de ses vers, sans même les revoir, « ne pensant qu'il y eust chose qui deust offencer personne ». Il se croyait d'autant plus à l'ubri de tout reproche qu'il avait agi sur l'ordre du roi , et que son œuvre avait obtenu les suffrages (( des plus notables et signalez personnaiges du Royaulme », du chancelier Olivier par exemple '. Il était donc très étonné qu'on eût tiré de des armes contre lui, pour le desservir près du cardinal. Jamais il n'avait voulu porter atteinte à l'honneur de son maître : au contraire, il l'avait défendu dans un sonnet qu'il joignait à sa lettre "". Jamais il n'avait songé à se plaindre de lui, mais seulement de la fortune, et des ingrats (|ui payaient si mal le prélat de ses faveurs. Si d'ailleurs on voulait prendre pour des plaintes quelques paroles de regret échappées à son cœur, il en faisait l'aveu loyal : il n'avait pu voir sans tristesse « recevoir tant de bien et d'honneur » beaucoup de gens (jui, moins proches parents et moins bons serviteurs, en étaient moins dignes que lui. Mais la continuation même de ses services prouvait assez « (juo telles plainctes ne procédoient de mauvoise voulonté ». Puis il se comparait à Job, ayant contre lui ses «cousins», mais Dieu pour lui. Dieu qui linalemenl a approuve la cause dudict Job et condenpne celle de ses cousins », (et par cette Une allusion, il laissait clairement entendre au

' V. r('i)Urc lalino d'Olivier à Morel, en lète des Poemata, f" 2 t". Cf. l'orijjinal publié par M. de NoUiac, Lettres, p. 63, ^ Le s. 49 des Regrets.

LES DERNIERS TEMPS 4G3

cardinal ([u'il n'ignorait {»as la source des calomnies dont il était victime). Enfin, il tenait à se justifier de ses attaques contre la Cour romaine. On le menac^-ait de l'Inquisition ; mais il n'avait pas peur, étant hoii (■allioli([ue. S'il avait quelque part raillé les Caralla, c'est (piils s'étaient conduits envers le cardinal d'une façon indigne, et qu'il n'avait pu refréner une légitime colère. (( Tout le reste, ajoutait-il, ne sont que risées et choses l'rivoles, dont personne (ce me semble) ne se doibt scandalizer s'il n'a les oreilles bien chatouilleuses. )) Il concluait, non sans fierté : a Voilà, Mon- seigneur, la grande mesclianceté que j'ay commise en vostrc endroit, vous suppliant très humblement au reste de prendre en bonne part ce qu'en une si juste deffencc que celle de mon honneur, j'ay respondu non à voz lectres. mais aux calumnies de ceulx qui m'ont déféré envers vous sans les avoir jamais, que je sache, oll'encées ny de faict ny de paroUe. Dieu le leur pardoint, car quant à moy toute la vengeance que j'en désire, c'est qu'il me donne la grâce de prendre ceste persécution en patience, et à eulx de recongnoistre le tort qu'ilz m'ont faict. »

Que répondit le cardinal à cette franche apologie ? Y lit-il même une réponse ? On peut en douter : car, un mois après, le 3i août, le pauvre du Bellay, qui n'avait rien reçu de Rome et qui perdait patience, revenait à la charge dans une seconde épitre *, plus courte et non moins fîère : « Monsei- gneur, je croy que vous aurez receu de ceste heure ce que je vous ay dernièrement escript pour ma justification, qui me gardera d'user de redictes, fors de ce mot seulement, c'est que si, en cela ny aultre chose, je sentois ma con- science coulpable en vostre endroict, il ne me fauldroit point d'aultre bourreau que moy mesnies. » Sans nommer ses ennemis, il désignait suflisamment ceux d'où venait le coup :

* Lettres, p. 32-55.

464 JOACHIM DU BELLAY

(( Les menasses précédentes et l'eUect qui s'en est ensuyvy incontinent apprès me font assez foy de ceulx à qui j'en suys tenu. S'ilz ont bien ou mal iaict. je m'en rapporte à leur propre conscience et à vous. Monseigneur, qui sçavez mieulx que personne de ce monde si je leur en ay donné occasion. » Et. après avoir de nouveau protesté de son innocence, il terminait par ces belles paroles : a Ce pendant je prendray patience le mieulx (|u il me sera possible, et avec les Stoïciens essayray à nu* persuader que l'homme n'est point malheu- l'cux pour la perte des choses externes, mays seulement pour avoyr commis ([uelque acte meschand. dont je sens nui con- science necte. Dieu mercy. »

Ces pensées stoïciennes, du liellay cherchait une conso- lation, je les retrouve dans son Elégie à Morel, écrite à peu près vers la même épocpie'. L'ami dévoué qu'était Morel n'avait pas manqué d'apporter au poète, dans la disgrâce qui le frap[)ait, le baume de son allection. Le poète ému lui disait : (( Tu soullrcs de me voir payé d'ingratitude ; tu compatis à nu'S revers ; tu pleures avec moi. Je te reconnais bien là. Mais ton amour te trompe, si tu m'estimes malheu- reux. Ceux-là sont malheureux, oui, ([ui sont envieux, cupides, impies, parjiu'es. Moi non pas. J'ai la conscience en paix, pure de toute faute. Quand la faute est d'autrui, comnu'ut serait-on malheureux ^ ? » Mais plus à l'aise avec Morel

' Neminem aliéna injuria iniserum esse. Ad laniirn Morelliim Ebred. Pyladem suiini. {'.i'.V2 vers).

- Quod milii pro lantis merilis lot damna rependal

Pocloris ingrati pcrlidiosa fides, Jane, doles, sortisque j)iiis niisereseis iniquae, Et nostris misées fUlibus ipse luos.

Agnoseo

Sed lua le pietas fallit, dulcissiiue Jane, Si niiserum, si me forte dolere putas.

lli polius misei'i

Sed sumus insonles, nec eulpam agnoseimus ullara, ; Nos ij,nlur iniseros dicere nemo potest.

lu nohis situ sunl, possunl (juae noslra voeari, Née quemquam miserum culpa aliéna facit.

LES DERNIERS TKMPS 4G3

qu'avec son auguste patron, du Bellay s'é;)ancluiit tout entier, vidait son cœur, mentirait à son <( Pylade » la blessure inté- rieure qui saignait sous ce stoïcisiu<\ Il lui confiait les plaintes désolées qu'il avait redites en lui-même ', en se voyant trahi par ceux <|ui lui juraient naguère amitié frater- nelle * ; le violent accès de misanthropie (ju'il avait éprouvé devant un tel manque de foi ' ; le souhait de mourir qu'avait formé son désespoir *. Il lui disait aussi ce qui, dans son malheur, le consolait, l'encourageait. Sans doute, la calomnie le privait d'un patron, mais non de sa gloire et de son honneur, les seuls biens vraiment personnels \ D'ailleurs, qui donc la calomnie épargnait-elle ? Le cardinal tout le premier n'avait-il pas subi ses outrages ? Calomnié lui-même, il serait juste et bon pour un serviteur calomnié \

Je passe sans insister sur la fin de l'élégie, du Bellay nous montre en ses ditîamateurs des gens ennemis de la

' V. tout le passage :

Ergo ego (nam tacilus niecum sic ipse loquebar) Hoc inerui infoelix sedulitate mea?...

- At non hoc prclium nuper sperare jubebat,

Tarn maie pro rébus qui mihi verba dédit, Qui sibi me, fallax, charum magis omnibus unum Jurabat, cliari fratris et esse loco.

* Credcre jam nulli, nulli jam fidere certum est.

Non, mihi si aslringat Juppiter ipse lidem. Sed saevi mihi dira plucet jam vita Timonis,

Atque odisse hominum jam libet omne genus.

* Haec mecum assiduis solitus jactare querelis,

Optabam vitae rumpere lila meae. Jane (fatebor enim) talem tune mente dolorem Goncepi, ut mirer non potuisse mori.

" nia quidem eripuit charum mihi forte patronum,

Hoc grave, sed mihi me non tamen eripuit : Non tamen eripuit famam nomenque decusque, Nec quicquid possim dicere jure meum.

® 111e adeo, nostra hic agitur quo judice causa,

Invidiam fortis pertulit ac domuit. Quo magis hic nobis aequusque bonusque favebit, Invidiae nostrum nec dabit ille caput.

Univ. de Lille. Tome Vlli. A. 30.

466 JOACHIM DU BELLAV

Muse, et ([ui n'ont de souci que leurs seuls intérêts, qui nihili diicunt omnia praeter opes. Je retiens seulement que partout dans cette élégie perce un sentiment de vénération pour le cardinal, et la plus entière confiance en sa justice et sa bonté.

Les graves ennuis créés au poète par la haineuse dénon- ciation de ses cousins n'étaient pas terminés encore, quuu autre incident surgissait, un âpre conflit, d'autant plus violent qu'il s" agissait d'une question d'administration diocésaine.

Au mois d'août iSog, Eustache du Bellay avait i[uitté Paris, pour va([U('r à ses affaires dans le Perche en même temps (jue pour changer d'air '. Il s'était mis en route avec son frère, pour aller à Glatigny, Tiron et Montigny. Au cours de son voyage, il avait, dans la terre de Glatigny. marié son neveu. René du Bellay, baron de la Lande, avec la fille aînée de Martin du Bellay, la propre nièce du cardinal, Marie, princesse d'Yvetot et dame de Langey ". Puis il avait (Mnmené le jeune cimple dans son douiaine seigneurial, à Gizeux en Anjou '.

Avant son départ de Paris, il avait (h'iégué. durant son absence, dans la charge de collateui-. .M. le trésorier de B(>auvais, ou, à son défaut. M. l'ollicial \ Joacliim. (|ui avait l'ordre de son maître de remplir cette charge « en l'absence

' Lettre d'Eustaclie au Cardinal, datée du 20 septembre : « Je vous supply, Monseigneur, ne Iroulver mauvays si je me sujs wng peu absenté de Paris, tant pour le maulvays aer qui y est, que pour mes aultres affaires. Je eroy que si j'estoj^s à Paris, je seroys malade pour la puantisse de la rivière. » {Lettres, p. 72).

- Martin du Bellay était mort le 9 mars loo9. Le mariage de sa lille avec le neveu de l'évèque augmentait le crédit des ennemis de Joachim auprès du cardinal. Marie du Bellay devait être en llinO l'unique héritière du prélat. Y. l'abbé Cli. Pointeau, L'héritage et les héritiers des du Bellay, Laxaï, 1883, in-8".

' Lettres, p. 70.

* lîev. d'hist. litt. de la France, 1894, p. :;0.

LLS di:rnieus temps 467

de M. de Paris » , el <jui, depuis l'hisloii-e des Regrets, gardait raneune à ses cousins, vit dans cette mesure une atteinte à ses droits. Il en conçut un vif dépit. Une prébende étant venue à vaquer, et le trésorier de Beauvais en ayant l'ait la collation au lils de M. de Saveuse, Joacliini, ([ui n'avait pas, malgré ses remontrances, obtenu ilu Irésoriei' qu'il reconnût ses droits à conférer', entra dans une grande colère. Devant le scelleur de M. de Paris, il s'emporta contre les vicaires de l'évèque ". Le scelleur avisa le baron de ïhouarcé, qui répondit à Joacliini par une lettie furibonde : (( Mon cousin, je receu à ce matin ung lectre du selleur de Monsi de Parys, la quelle je nay voulu monslrer à niondict s' de Parys, sçacliant bien qu'il ne se pouroyt conlenyr, luy voulant fayre telle injure que, en Faage il est el estre ce qu'il est, luy vouloyr bailler la loy, chouse que je m'asseure qu'il ne l'endurera d'homme du inonde que de Monseygneur le cardynal. Ledict seelleur m'a mandé que luy avés dict que vous révoqueryés les vycayi'es que Mons^ de Parys a créez, après que Monseigneur l«s a premyerement créez , chouse que je m'assure que ne sçaryez t'ayre. Et quant vous vouldrez meptre cela à exécution, je suys certain que Monseigneur le cardynal vous fera entendre que ce n'est en l'endroyt de Mons' de Parys doybvés entreprendre telle chouse. Si vous le faictes, j'en seré niary et vous ausy, et m'en asseure bien, et quant je debveroys passer les montaygnes, j'en par- leré a Monseygneur le cardynal, et croy qu'il ne vouldra fayi-e ceste lionnte à Mons"" de Parys '\ »

Cette lettre insolente, que Jacques du Bellay signait efû'onté- ment « vostre bon cousin et aniy w, était datée du 28 août. Joacliini. profondément blessé par tant d'impertinence, ne

' Lettres, p. o6-57.

- C'est-à-dire le trésorier et l'ollicial.

3 Lettres, p. 6S-G9.

468 JOACHIM DU BELLAY

répondit pas au baron. Mais dès le 3i, il s'adressait à l'évêque lui-niènie ' : « Monsieui-, J'ay ces jours passez reeeu une lettre de Monsieur du Bellay vostre frère, pleine de choleres et de menasses, ausquelles je ne fais response pour avoir jusques icy assez esprouvé Monsieur du Bellay si peu favorable en tout ce qui nie touche que je n'ay occasion espérer de luy, sinon toute rigueur, si Dieu par vostre moyen ne luy fait changer de voulunté en mon endroit. » Après ce début très net et très digne, pour que l'évêque fût exactement au courant de tout, il lui rapportait les propos qu'il avait tenus au scelleur, et que ce dernier avait travestis dans sa lettre au baron de Thouarcé. Il avait proposé, disait-il, un moyen de tout arranger en conciliant les instructions du cardinal avec les désirs de l'évêque : il s'engageait à conférer à ceux que le scelleur lui nommerait, pourvu qu'il conférât liii-inèine. Il espérait que les vicaires auraient égard à sa personne et n'empêcheraient pas « ung parent et serviteur de Monseigneur le Cardinal (iiii ne les avoit en rien offensez » d'accomplir sa mission. Sans doute, il avait ajouté que, s'ils en voulaient user autrement, il serait contraint lui aussi « d'user de la puissance que Monseigneur lui avoit donnée » , mais sans parler le moins du monde de « révocation ». Il terminait ainsi sa lettre : « Voyla, Monsieur, le grand crime de lèse majesté que Ton m'accuse d'avoir commis en vostre endroit et dont Monsieui" du Bellay me menasse de passer les mon- taignes pour en parler a mon dict seigneur le Cardinal. Mais il n'est ja besoing qu'il j)reigne ceste peine pour me mectre davantage en disgrâce, car je y suis assez (Dieu mercy et

mes bons amys) Pour conclusion, si vous trouvez bon^

sans exprès conuiiandement de mondit seigneur le Cardinal, de préférer des étrangers a moy, en une chose ou vous ne

' Rev. d'hist. litl. de la France, 1894, p. 50-51,

LES DERNIERS TEMPS 469

pouvez avoir aucun interest, veu que je ne veulx (comme j'ay cy devant dict) rien faire sinon ex prcscripto de vostre seelleur, je vous supplie. Monsieur, de le me l'aire entendre, a fin que je m'en descharge envers mondict seigneur le Car- dinal et fpi'il n'ayt occasion de penser qu'en vostre absence j'aye desdaigné de faire la cliarge qui luy a pieu me donner. »

Non content d'écrire à l'évêque, Joachim s'empressa de porter la question tievant le cardinal. Le lendemain le^ sep- tembre, il envoya donc au prélat la lettre de Jacques du Bellay, avec une copie de sa réponse à M, de Paris *. 11 y joignit un exposé de ses griefs, faisant bien ressortir que sa conduite en cette affaire avait été dictée par le souci constant de respecter les instructions du cardinal : (( Je vous supplye très humblement, mon seigneur, de ne m'estimer si ambitieux que je recherche tel souvenir si non aultant ({ue c'est pour vostre service, en quoy je ne céderay jamays à personne. Ce qui me donne plus d'ennuy, c'est l'injure que l'on me faict de me vouloyr oster sans révocation ny aultre exprès com- mendement de vous ce qu'il vous a pieu me donner. )) Et rappelant ses bons services, il concluait : « Je seray bien ayse que les aultres facent mieulx, mays je m'asseure bien qu'ils ne s'en sçauroient acquicter plus fidèlement ^ »

Il serait fort intéressant d'avoir les lettres que le cardinal dut échanger à cette occasion avec Eustache et Joachim. Par c[uels moyens essaya-t-il de rétablir l'accord entre eux? C'est ce que nous ignorons. Toujours est-il que le 29 septembre, l'évêque de Paris envoyait du Plessis à M. de Lire ' une lettre très importante au point de vue de leurs rapports. Le début en était rédigé sur un ton un peu haut, comme il convenait de la part d un homme qu'on avait blessé dans sa dignité :

' Lettres, p. 06. -' Lettres, p. 08. ' C'est par ce nom que les cousins du poète le désignent sans cesse.

470 JOACHIM DU BELLAY

« Monsieur mon cousin, j'ay roceu deux do voz loctres. l'une du dernier d'aoust. Taultre du wi^ de ce moys. Quant à la première m'escripvez des colères de mons"" du Bellay, à tous le moings que vous les baptizés telles, je ne vous y fays response. Si voxis pansez y gano^ner quelque chose . adressez vous à luy. Il a esté par le monde pour vous sçavoir res- pondre. Quant au second article de vostre dicte lectre. vous n'aurez aultre chose de moy sinon que fay les cheveulx gris. Je n'aprandrc de plus jeunes que moy. et qui n'entendent si bien mon estât et ce que je doibs. à me gouverner par leur oppinion. Quant celluy qui a toute puissance de me commander me aura baillé la loy. je luy obéyray et non à aultre V » Mais la fin de l'épître était plus conciliante : « Quant à vostre seconde lectre du xvi« de ce moys. par laquelle me mandés qu'avés communicqué à mon scelleur une lectre de monsei- gneur le Cardinal, puis me parlés des bénéfices Aacqués et prestz à vacquer. je suys d'un lieu duquel vous estes sorty, oii les gens ne se veullent avoir ])ar audace et auctho- rité, mais par amylié ne i-efusant jamays à faire plésir. Les vaccations advenuees dont m'escripvés. moy estant à Paris de retour, nous en ferons bien ensemble au contentement de monseigneui" le Cardinal et de a'ous et de moy. Ce sera au plustost que je pouray. acheminant mes affaires pour ceste effect chascung jour *. » Et l'évêrpie terminait en se recom- mandant à la « bonne grâce » de son parent, et signait avec intention : « Vostre meilleur cousin et amy a vous faire à jamays plésir. »

S'il y mettait cet esprit conciliant, c'est que dans l'inter- valle, le i6 septembre, on le voit par ce qui précède. son cousin Joachim lui avait écrit une lettre, aujourd'hui

' Lettres, p. 75-76. ' Lettres, p. 76-77.

LES DERMKRS TEMPS 471

perdue, dans lac[iielle, selon toute apparence, il sollicitait son appui pour un bénéfice vacant, et le prélat saisissait avec joie ce moyen de clore un conilit ([ui devait déplaire au cardinal.

En même temps cpie par du Bellay, la prébende de Notre-Dame était demandée par M. Nicquet, et l'évcque, pour ne pas avoir à choisir, l'avait mise par provision entre les mains d'un comiuendataire '. 11 pressait le cardinal de prononcer lui-même : (( Je vous supply, monseigneur, me nuinder à qui je la hailleray allin que ne l'ung ne l'aultre s'en prène à moy ■. »

Au mois de décembre, le cardinal n'avait encore rien décidé ^ C'est Eustache qui nous l'apprend, dans une lettre se dévoilent ses sentiments sur le compte du poète. Sans doute le cardinal avait écrit à l'évêque, afin de remettre un peu d'harmonie entre les cousins. Eustache lui répond : (( Monseigneur, quant à Mous' de Lyre, si j'ay pansé qu'il ayt esté cause de me mettre en vostre malle grâce, ce n'a esté sans démonstration que luy mesmes en a faict de la faire cognoistre : vous supplyant, Monseigneur, ne trouver maulvays si je ne me puys tant commander de faire bon visage à ceulx qui ne * veullent faire tel tort sans que j'aye jamays songé de le mériter. Mais pour cela il ne sçauroyt dire que j'aye prins l'esprit de vengence contre luy, et pour

* Lettre d'Eustache au Cardinal, datée du 10 novembre : « L'aultre [pré- bende], elle est en main seure, i)our en disposer ainsin qu'il vous plaira commander, soyt pour mons' de Nicquel qui m'en a escript à ceste fin du XVI' du passé, soj-t à mons>- de Ljraj qui la demande. » (Lettres, p. 78).

- Lettres, p. 79.

' Lettre d'Eustache au Cardinal, datée du 28 décembre : « Davantaige, Monseigneur, vous avez ceste tierce prébende de Paris, s'il ne vous plaist la bailler à l'ung des deulx de mess" de Lyray et Nicquet, dont j'attens vostre commandement pour n'estre en malle grâce ni de l'ung ni de l'aultre. » {Lettres, p. 82).

* Le texte porte ne, mais il faut lire me.

472 JOACHIM DU BELLAY

avoir employé ceulx quavés esleuz à votre service (comme Mons"" le Trésaurier de ïliou'). ce nest pas commettre voz affaires à mes varletz ' . » Rien ne prouve que Joachim eût traite de valets les vicaires de l'évèque. Mais celui-ci n'était peut-être pas fàclié datténuer ses torts à lui-même en exagé- rant ceux de son cousin. Il laissait clairement entendre que sa santé rendait Joachim incapable de s'acquitter de ses fonctions. Pourtant, il ajoutait avec un air de bienveillance : (( Quant aulx trois mille livres de bénéfices que luy avés donnés, ce n'est à moy. Monseigneur, de retrancher vos bienilaictz en son endroict, mais plustost je les vouldroys alonger, si j'avovs le moven et d'ellét et d'affection. Luv mesmes sera tesmoing combien et quantesfoys j'ai escript à Mons'' de Sainctc Croix ^ pour le prieuré de Bardenay près Bourdeaulx que luy avez donné, et y fays tout ce que je puys *. »

Ce passage a la valeur dun document : il nous montre que du Bellay, qui demandait une prébende à Notre-Dame de Paris, n'avait pourtant pas à se plaindre de la fortune, et qu'il était dans une honnête aisance. D'ailleurs, outre le piieuré de Bardenay près Bordeaux, nous savons qu'il avait encore une prébende en léglise Saint-Julien du Mans . Ainsi, sa vie était largement assurée, et, s'il avait connu la colère du cardinal au point d'encourir un instant sa disgrâce, du moins n'avait-il pas le droit de le taxer d'ingratitude : en

' Il s'ajfil du trésorier de Beauvais. V. Lettres, p. 56, n. 3.

* Lettres, p. 83.

^ L'abbé de Sainte-Croix, à Bordeaux, était alors Auo^er Hunaut de Lauta. qui occupa ces fonctions de 1553 à 1565 {Gallia Chrlstiana, t. II, col. 865, C).

* Lettres, p. 84.

* Le 16 juin 1360, fut conférée à Ronsard une prébende de l'église Saint- Julien du Mans, devenue vacante par suite du décès de Joachim du Bellay. M. l'abbé Froger, qui rapporte ce fait (Ronsard ecclésiastique, p. 21), ignore à quelle époque Joachim avait obtenu ce bénéfice, o dont il était redevable sans doute à son protecteur, Jean du Bellay ».

LES DERNIERS TEMPS 473

recevant de son patron ces trois mille livres de bénéfices, il avait obtenu (( le loyer de sa peine ».

III

Le récit précédent fait assez voir que. dans les l'àcheux démêlés du poète avec sa famille, tous les torts n'étaient pas du côté de Tévéque. Mais si, dans ses fonctions, du Bellay se montra susceptible, irritable, violent peut-être, en une certaine mesure la maladie peut lui servir d'excuse. Sa santé, je l'ai dit, n'avait jamais été brillante. Il était cliétif. Un mal cruel, nous l'avons vu ', l'avait cloué deux ans sur un lit de douleur ; et c'est alors qu'il avait ressenti les premières atteintes de la surdité ^ Comment a-t-on bien pu prétendre que cette surdité n'était qu'une affection imaginaire, inventée à plaisir pour imiter Ronsard ' ? Elle était, hélas ! trop réelle. Dès i552, il en souffrait assez pour s'écrier lugubrement :

Les flotz courroussez, cpii baignent Leurs rivages qui se plaignent. Ne sont plus sourds que je suis : Ny ce peuple qui habite. Ou le Nil se précipite Dedans la mer par sept huys.

* V. ci-dessus, 1" part., chap. ix, § i, p. 234-237.

- Sainte-Marthe, toujours mal informé, prétend qu'il avait rapporté cette surdité d'Italie : « Impediebat surdae auris vitiura, quod in Italica peregri- natione colleoerat ...» (Etogia, lo98, p. 40). Cette assertion est démentie par la Complainte du Désespéré .

' Jacques Veillard de Cliartres. Pétri Ronsardi laiidatio funebris [1586), f" 18 : « Ut natura cupide referiraus ea, quae niagnis auctoribus subeunt animos : Platonis intimi giJjbosam illius hunierùm latitudinem, Arislotelis discipuli haesitantiam ejus linguae. Alexandri familiares incurvas et leviter ad laevani inflexas ejus cervices imitari et effîngere studebant : eodem plane modo hic Bellaius prae amore P. Ronsardi pro surdastro multis pro- babat, et constanti omnium opinione surdaster obiit. » (Bibl. ISat. Ln-". 17.840).

474 JOACHIM DU BELLAY

Et tout cela, (jue Ion nomme Les bienheuretez de l'homme, Ne me scauroit esjouyr. Privé de l'aise, qu'aporte A la vie demy-morte Le doulx plaisir de l'ouyr '.

Pourtant, il s'était remis à la longue, ou du moins, si le uial n'avait pas disparu tout à fait, il avait diminué : en Italie, notre auteur entendait assez clair pour percevoir les mille bruits de Rome, et pour regretter plaisamment de n'être plus aussi sourd qu'autrefois -.

Lorsqu'il fut de retour en France, il ne tarda pas, sem- blc-l-il. à être repris de son affection. Et dès lors, il passa par des alternatives d'amélioration et d'empirement. Au début de 1559, il allait mieux et se voyait bientôt guéri. Le i*"" mars, il écrivait à son ami Charles Utenhove : « Jam tandem saxum et truncus esse desii, mi Garole ; factus suui enim ex surdo surdaster : speroque brevi, Deo juvante, melius me habitu- rum '. » Mais l'ail'aire des Regrets vint lui porter un coup fatal. Les calonmies de ses cousins et la disgrâce momentanée qui s'ensuivit n'eurent pas seulement pour etfet d'ébranler son moral : le physique aussi fut atteint. Le mal, presque vaincu, reparut plus violent, cette fois incurable :

Certe cum medicis luctatus tempore longo, Viribus amissis, qui prope victus erat,

Saevior hinc iterum morbus graviorque recurrit, Jamque ferox renuit ferre medentis opem *.

A partir de ce moment-là. la santé du malheureux ne cessa de décliner et sa surdilé de s'accroître. Quelquelbis il en

' Complainte du Désespéré (II, 6 et 9).

- Hymne de la Surdité (II, 404).

•'' Marly-Laveaux, Appendice de la Notice, p. xxxvii.

* Elégie â Morel.

LES DERNIRRS TEMPS */0

plaisantait, t'-crivant à ^lorel : « INIonsicur et fi'ère. à cestc heure congnoys-je véritablement que je suys sourd, pays que je demeure si longuement sans entendre ung seul mot de votz nouvelles ' » ; ou bien lançant « contre un Zoïle » cette épi- gramme :

Invide, quid nobis surdas sic objicis aureis ?

Qui maie non audit, non mihi surdus hic est '.

Au fond, il en soutirait et très cruellement. On sait (|uel désespoir il éprouva de ne pouvoir saluer, aA^ant son départ, Madame Marguerite (octobre loSg) . retenu qu'il était à la chambre par la terrible maladie ^ Si forte était sa surdité qu'il en était réduit à n'avoir plus de relations avec les autres que par écrit. Le 28 décembre, Eustache du Bellay, qui trouvait incommode cette manière de commerce, mandait au cardinal : « Et fault, Monseigneur, que je vous die que. davant mon partement de Paris, il estoyt du tout sourd, comme il est de ceste heure, sans quasi aulcune espérance de guérison. Scripto est agendum et loquendiim cuin illo. Et. au temps qui court, il est besoing avoir gens cler voyant et oyant mesmes pour le faict de la religion, et en Testât qu'il est, ce luy est chose impossible d'y vacquer *. » x\insi séparé du reste du monde, quoi d'étonnant que du Bellay fût devenu chagrin, maussade, aigre d'humeur ?

Il avait vieilli vite. A trente-cinq ans, à l'âge l'homme est dans toute sa force, il avait, lui, des cheveux blancs :

' Lettres, \\. 23.

- Ad Zoïlum. Cette épif^ramme se trouve au dernier feuillet du Tumu- lus Henrici Secundi.

' Lettres, p 39.

" Lettres, p. 83-84. Cf. YÉpitaphe de J. du Bellay par P. de Paschal : . . .Cum omnibus ipse ita se ohsurduisse videret ut oculis ipsi sibi audiendum et amicis et familiaribus manu loqnendum esset . . . (Marty-Laveaux, Appen- dice de la Pléiade, II, 385). Le poète a parlé lui-même de sa complète surdité dans plusieurs sonnets des Amours, composés, comme on sait, en 1559. (V. les s. 24-29, Marty-Laveaux, II, 132-134).

47G JOACHIM DU BELLAY

Jam mea Gygnaeis sparguntur tempoi'a plumis, Inficit et flavas cana senecta comas.

Sic nobis périt an te diem decus omne juventae, Et faciunt septein lustra peracta senem '.

Les tracas, les souflrances l'avaient usé rapidement, et sans doute aussi l'abus des plaisirs. Accablé d'ennuis et d'infir- mités, il mourait chaque jour davantage, victime précoce de la vie, aux illusions, aux espérances. Une sombre mélancolie avait pris possession de son àme. Celui qui s'était embarqué pour l'avenir, plein de confiance et tout radieux, en criant fièrement Caelo Musa beat ', n'avait plus sur les lèvres que cet adieu désenchanté : Spes et fortuna valete '. Je ne sais rien de plus navrant que le sonnet qu'il adressait, quelque temps avant de mourir, à Jacques Grévin *, un nouveau venu qui chantait ses amours ^ :

Comme celuy qui a de la Course poudreuse Ou de la Luyte huylée, ou du Disque eslancé. Ou du Geste plombé de cuir entrelacé Rapporté mainte palme en sa jeunesse heureuse,

Regarde, en regrettant sa force vigoureuse, Les jeunes s'exercer, et ja vieil et cassé Par un doux souvenir qu'il ha du temps passé, Resveille dans son cueur sa vertu généreuse :

* Poemata, 24 r" : Ad Gordium, ut laetus vivat.

* Horace, Carm. IV, viii, 29. C'est la devise de du Bellay dans ses pre- miers ouvrages.

' Lettres, p. 3S. Cf. ce que dit Paschal dans son Épitaphe : . . . Camq. veL hoc ipsurn ob incommodum hinnana haec omnia ut fragilia et caduca vehementer despiceret. . . (Martj'-La veaux, Appendice de la Pléiade, IF, :JP5).

* Sur .lacquos Gn'vin (lo38-1570), consulter la thèse de M. Pinvert.

^ L'Olimpe de Jaques Grevin de Clermont en Beauvaisis. Ensemble les autres œuvres poétiques dudict Auteur. Paris, Rob Estienne, 1560, in-8°. Le permis d'imprimer est du 23 nov. liJoO. Le sonnet de du Bellay se trouve en tète de VOlimpe, avec un sonnet de Belleau.

LES DERNIEHS TEMPS 477

Ainsi voyant (Grévin) prochain de ma vieillesse Au pied de ton Olinipe exercer ta jeunesse. Je souspire le temps que d'un pareil esmoy

Je chantay mon Olive, et resens en mon ame

Je ne scay quelle ardeur de ma première llâme

Qui me fait souhaiter destre tel comme toy. (II, 53o).

Triste retour sur le passé ! Qu'il était loin <léjà. ce temps du Bellay chantait la belle Olive ! Au contact douloureux de la vie. il avait vu s'évanouir ses rêves de jeunesse. Il était vieux. Et pour opérer ce ravage, dix ans avaient suHi !

IV

Dans ce lamentable déclin de tout son être, du Bellay n'avait pour le soutenir . avec la tendi^e sympathie de quelques amis dévoués . que les consolations très douces de la Muse. Plus que jamais, il cultivait la poésie : le Tombeau d'Henri II. les deux Discours au Roy. les vingt-neuf sonnets des Amours datent de cette époque. Le t2 décembre 1559. le président Minard ayant été tué d'un coup de pistolet comme il revenait du palais, du Bellay lit son tombeau, suivant une habitude qu'il aimait assez, et en latin et en français '. Il voulait terminer pour le i-^r janvier un recueil à'étrennes latines, pour la composition duquel il s'aidait de l'érudition de son ami Charles Utenhove.

' Le Tombeau de Minard (Marty-Laveaux, II, 47.^-476), composé de 26 vers latins et de 26 vers français, parut en 1361, dans la 2' édit. du Tumulus Henrici Secundi. G, Aubert dit dans son Elégie (1360) : Ainsi ces jours passez, il sauva par son art De l'oublieux tombeau le Président .Minard, Et du juste Minos il luy donna en change Le nom et le renom, l'honneiir et la louange.

478 JOACHIM DU BELLAY

C'est dans la maison de Morel ' quil avait rencontré ce docte personnage, que distinguait sa science des langues. Une intime amitié ne tarda pas à les unir. Entre autres témoi- gnages qu'on en pourrait donner -, il en est un, assez curieux et, si je ne me trompe, à peu près inconnu. C'est une pièce oii du Bellay, malade, ajant reçu des vers de son ami, lui conte le soulagement presque miraculeux qu'il en a retiré :

Aeger eram, morbusque meos l'oedaverat artus,

In l'acie pallor, corpore languor erat : Cum mihi Carolidae sunt reddila carmina vatis,

Cariiiina quae Clarii dixeris esse Dei. Morhus abit, totoque t'ugit de corpore languor,

Et vestit niveas purpura prima gênas. At rcdcat morbus. redeat pallorque fugatus,

Saepius Utenbovî (himinodo scripta legam '.

Encouragé par Utenliovc, qui sans doute avait eu l'idée, s'il n'avait fourni les premiers modèles, notre auteur avait entrepris dans une série dépigrammes en vers latins, bien entendu * de jouer sur les noms de ses contemporains les plus célèbres (illiisfriufii quornindom nominiim allusiones) , en y clicrcliant coiiiiiic un syml)()lc jn'opbètique de leur cai'actère ou de Icnc talent. 11 s'était mis à l'œuvre au début de i5rM) : mais cela n'allait pas tout seul, comme on le voit

' V. ci dessus, pari., clia]). vi. § m, p. ;W0.

- Dans une pièce des Xenia, 1" 14 v°, du Bellay vante les travaux d'Ulenhove sur les Dionysiaques de Nonnos. Quant à Cli. Utenhove, il a souvent célébré du Bellay. Voyez: 1" à la lin îles Poemata de notre auteur, fo'^ 60 v"-62 r", trois pièces, deux grecques, une latine ; 2' à la lin des Xenia, lo v", Vallusio de du Bellay; 3 surtout, à la suite de VEpitapliiuni in rnorteni Herrici Gallorum re^is christianissiini . . per Car. Utenhoviiun, Baris, llob. Esticnnc, liJGO. in-i°, les Epitaphes sur le trespas de loachirn du lieilay, dont il sera question dans le chapitre suivant.

' Cette pièce ne se trouve que dans les Xenia de Ch. Utenhove, p. 81 de l'édil. de 136S, publiée à Bàle chez Th. Guarinus. (Bibl. Nat. Y»-. 9600). ' ce. les Xenia de .Martial.

LES DEHNIERS TEMPS 479

par un billet qu'il adressait le i*^' mars à son savant inspi- rateur : «... Si lubet et vacat, velleni te paucis. Januluduui, ut seis, parturio illas meas, vel potius tuas allusioncs : sed vide ut ([uod coepisti perficias : nani nisi hic iiiilii obstetriccm praestes, vel Lucinain potius, eitius Elephanti parient. . . ' » Il était encore à la tâche à la (in de Tannée.

Bien que les Xenia n'aient paru que dix ans plus tard (1569) % c'est ici l'occasion d'en dire quelques mots. On peut définir ces petites pièces des badinages étymologiques.

' Marty Laveaux, Appendice de la Notice, p. xxxvii.

- loachimi Bellaii Andini poelae clurissimi Xenia, seii illustriuni qiioriin- dani nominum Alliisiones. Paris, Federio More], lot'.9, in-4". Privilège daté de Paris, 1" mai ly(î8. (Bibl. Nat. Y^. 12:J3). On est surpris que ce recueil ait été publié si tard après la mort de du Bellay. L'histoire exacte de cette tardive publication est curieuse à connaître. Dès loOO, Ch. Utenhove, qui tenait à son droit d'inventeur, avait donné, à la suite de VEpilapIduin in niortem Herrici Gailoruni régis, un certain nombre de ses propres Xenia. Dans une préface au lecteur, que je ne puis songer à reproduire, il ilisait que les Allusions de du Bellay allaient paraître au premier jour {Bellaii nuper admodum vita defuncti Allusiones primo qiwque die typis, ni J allô r, excudendas). et que, s'il prenait les devants, c'est que dans ce genre, tous deux s'étaient exercés de concert, mais de manière diilérente, ce n'était pas lui l'emprunteur. Il le prouvait en publiant la lettre du 1" mars, son ami lui-même lui rendait cette justice (qna me, vel ipso teste, id argumenti geniis ab eo minime miiluatum fuisse, non obscure perspicies). Les Xenia de du Bellay ne virent pas le jour, comme l'annonçait Utenhove. 11 se peut que Morel, détenteur des papiers du poète, ait renoncé à les faire paraître, en présence d'une publication qui d'avance leur nuisait. Toujours est- il que le 1" mai 1502, Utenhove demandait à Morel le manuscrit des Allusions de du Bellay dans une lettre conservée à Munich (Collection Camerarius, 33, fo 263), et dont je dois la communication à l'obligeance de M. de rs'olhac : « Janidudum vero Joach. Bellaii Allusionum libellum a te mihi mittendum dualms de causis expecto, Ael quod me pridie quam moreretur earum obstetriccm seu Lucinam potius delegerit, vel quia etiam in his, o-jtw; èo^iv r, cpjai; çiXoTï/.vbç, nonnuUa, ut ipse nosti, pro meis agnoscam. 'E[jLoi '(o\)v è7ri-ïp£7rT£ov èÇîTii^îiv kV.yova- Tac 7tt6r|y.o-jç çaaîv, ÈTtetôàv xr/.wa-iv, ôiaTrep àYàX[j.a<Tiv èvaTcvi^Etv Toï; ^p£q;£(Tiv àyafiivaç toC ■/.j.u.ry^;. Ego illum, ubi semel et iterum pellegero magnaque accessione locuplelavero, vel tibi vel cui tu voles, dicabo. . . Calend. maii 1562. o Comme on le voit par ce fragment, il paraissait surtout préoccupé de reprendre dans le manuscrit ce qui pouvait lui appar- tenir. En 1568, Utenhove publia de nouveau ses Xenia (Bàle, Th. Guarinus, in-8"), en y entremêlant quelques-unes des pièces de du IJellay sur les mêmes sujets. Eniin, en 1569, paraissait le volume des Allusions de notre auteur. 11 serait d'un mince intérêt de rapprocher les Xenia des deux poètes : Utenhove est en général plus condensé que du Bellay.

480 JOACHIM DL' BELLAY

Gomme Platon dans le Cratj'le et Gicéron dans les Verrines, c'est du Bellay qui se réclame de ces modèles \ notre auteur joue sur les noms propres, qu'il rapporte tant bien que mal à des orig^ines liébraïques, grecques, latines et ger- maniques. Quelques exemples montreront le système. En Catherine de Médicis , l'ingénieux étymologiste trouve le moyen de saluer la pure (xaôaoo;) vertu d'une princesse, (|ui procure le remède à nos maux unica quod nostris sis medicina malis ))). Michel de L'Hospital est l'hospice des Muses. Olivier de Magny, petit corps, grand esprit {inagniis ingenio), attire à lui les cœurs les moins sensibles, comme l'aimant (magnes) attire le fer. Jacques Amyot n'a-t-il pas bien mérité son nom, lui qui sut colorer Plutarque avec tant de bonheur et lui mettre du rouge a[jL[X'.ov) ? Gitons complètement au moins un de ces badinages. Voici celui sur Antoine Héroët . ce pur chanteur non des héros, mais bien du dieu Éros :

Non. tua sit quamvis Gallis Heroïca Musa, Heroïs nomen Musa tibi imposuit.

Tam bene quod nobis verum describis sGcoxa. Imposuit Gi'aio nomine nomen ipcjç ".

A quoi bon insister davantage sur ces jeux d'érudit ? Sainte- Beuve a raison : a Tout cela nous semble aujourd'hui assez puéril et bien tiré par les cheveux '\ »

Le I" janvier i5Go, du Bellay passait la soirée chez un de ses compatriotes, Glaude de Bize, clerc du diocèse d'An-

' V. sa préface loach. Bellaius candido lectovi.

- Xenia, 8 v°.

' Nouveaux Lundis, XIII, 3u2.

LKS DKRNIKHS TEMPS 481

gei's, eliautiH* on l'église Notrc-Daiiu! '. H y soupa joyouscMnciil. Au sortir de table, malgré l'heure avancée, il se mil au travail, composant des vers dans le silence de la nuil. Dans ce colloque avec les Muses, il fut frappe d'apoplexie \ C'est ainsi qu'il mourut, dans la maison du chantre ^ Il avait trente-sept ans '*.

Le mercredi 3 janvier, à la requête des parents et des amis du défunt, et notamment de (( noble damoiselle de Villeneuve, sœur du très révérend cardinal du Bellay ° », le chapitre de Notre-Dame, assemblé durant la grand'messe, décida que.

' Ballu, Notice sur J. du Bellay, p. en.

- Tous ces détails sont bien connus. Paschal dit dans son Épitaphe : Cal. Jan. hilare adrnudum coenalus,Jocosa quaedani scribens carrnina, dum amplius cranion cerebruni continere non posset, multa liuinoris in fauces stillante fluxione modico temporis intervaUo magno omnium suorum moerore sujjocatur. (Marty-Laveaux, Appendice de La Pléiade, II, 3Sa). Cf. diverses pièces du Tombeau de J. du Bellay, notamment celle de Claude d'Espence :

Dum vigil ad multam modulatur carrnina noctem... et celle de Robert de La Haye :

Hic dum mellifluos silente nocte

Versus sciiberet. et novem Sororum

Dulci coUoquio patrisque Piioebi

Intentus foveretur, ut solebat :

Extra se rapitur . . . Il est curieux de rapporter Tcxplication que donne de cette apoplexie un compatriote du poète, Jean Bodin, dans son Universue Naturae Theatrum, édit. de Lyon, J. Uoussin, lo9(J, p. 612 : « Cur Luna Soli opposita veiiemen- tius insaniunt furiosi ? Quia tune abundantibus humoribus cerebrum ad cranium usque intumescit, quod in Lunae coitu a cranio duobus digitis saepe distat : qui autem enceplialosi laborant, prae nimia cerebri copia in Lunae opjjositu suti'ocantur e cerebro : lune enim spiritus exultantes lortius erumpunt : ut Joachimo Bellaio poetae populari ineo contigit a coena redeunti. » (Bibl. Nat. R. 29.36dj.

' Registres capitulaires de Notre-Dame, cités par Marty-Laveaux, Appen- dice de la Pléiade, 11. 386 : . . . Dejuncti domini de Gonnor, in domo claus- trali domini Cantoris, liac nocte, proul liic relatum, decessi.

' Vixit annos xxxvii, dit Paschal. Cf. de Tliou, lib. XXVI, ann. 156U : (( Kal. Januar. ejusdem anni annum ugens xxxvii, ex subita nervorum resolulione Lutetiae decessit. » Edit. de Londres, 1733, t. II, p. 72.

'■> Louise du Bellay, femme de Charles d'Aunay, sieur de Villeneuve-la- Guyard. Il est question d'elle dans une lettre d'Eustache au Cardinal (Lettres, p. 85).

Univ. de Lille. Tome VIH A. 31.

482 JOACHIM DU BELLAY

par considération pour son illustre famille, contemplatione nominis et domus dicti defuncti, l'ancien intendant du prélat romain serait inhumé comme un chanoine, ad instar canonici defuncti, bien qu'il ne le fût plus depuis i556 '. L'inhumation eut lieu le lendemain après vêpres. Joachim du Bellay fut enterré à Notre-Dame, en la chapelle de Saint-Crépin et Saint- Ci'épinien, du côté droit du chœur, près de Louis du Bellay, chanoine et archidiacre de Paris '.

Il s'était fait lui-même cette épitaphe :

Clara progenie, et domo vetusta (Quod nomen libi sat iiiciiiu indicarit) Natus, contegor liac (viator) urna. Sum Bellaius, et poeta. Jam me Sat nosti. puto. Num bonus poeta, Hoc versus tibi sat mei indicarint. Hoc solum tibi sed queam (viator) De me dicere : me pium fuisse, Nec laesisse pios : plus si et ipse es, Mânes laedere tu meos caveto \

Ce n'est pas celle-là qu'on mit sur son tombeau. Le 5 janvier, Pierre de Paschal faisait placer au-dessus de ses restes une inscription qu'il avait composée lui-même, et qui retraçait pompeusement les mérites et la triste fin de son « incompa- rable )) ami *.

Au temps des rêves de jeunesse, le doux poète de Lire, celui qui sentait et rendait si bien le charme pénétrant de la

' Rej^istres capilulaircs. Cf. Ballu, p. cm.

- Rcffistres t-apitulaircs : juxla sepulliirani defuncti domini Archidiacani Parisiensis. Ménage, Anti-Ilaillet, diap. lxxi, p. I't(j-li7. Cf. Ballu. p civ.

^ Poemafa, 60 r».

* Marty-Laveaux, Appendice de la Pléiade, II, 38a. Voici la lin de l'cpitaphe : Petriis Pasclialius et vêtus et verus urnicus amico incomparabili dolena posuit. A'o/t. Jan. MDLX a Cliristo nato.

LES DKllNIKUS TEMPS 483

terre angevine, avait un jour l'ornié le vœu de reposer au bord de son fleuve gaulois :

O mon fleuve paternel, Quand le dormir éternel Fera tuniber à l'envers Geluy qui chante ces vers, Et que par les braz amys Mon cors bien près sera mis De quelque fontaine vive, Non gueres loing de ta rive. Au moins sur ma froyde cendre Fay quebjues larmes descendre. Et sonne mon Isruyt fameux A ton rivaige ecumeux '.

Mais il était écrit que, jusque dans la mort, tous ses rêves seraient déçus. Ce ne fut point aux bords de Loire qu'il eut sa tombe , bercé par le murAiure argentin des fontaines , au sein de la riante nature. Une basilique reçut sa dépouille, et c'est sous des voûtes austères, dans le silence auguste et la paix du saint lieu, qu'il dormit son dernier sommeil ^

Les louanges d'Anjou. Au Fleuve de Lojre (I, 178).

^ Joacbim eut pour héritière sa sœur Catherine, dame de la Mauvoysi- nière. Le fils aîné de Catherine, René du Breil, devint seigneur de Lire et de la Turmelière. (Ms. fr. 20.:i6o, f" 44 r"). Le tombeau du poète à Notre- Dame semble avoir disparu lors d'une restauration de la chai^elle de Saint- Grépin au mois d'aotit 1738. V. Ballu, p. civ.

CHAPITRE XI

DU BELLAY DLYANT L'OPINION

I. II.

III. -

Du Bellay jugé par lui-même. Sa vanité poétique.

Du Bellay jugé par ses contemporains. Hommages funèbres : le « tombeau » du poète (1560). L'édition de Morel et d'Aubert (1568-1369). Du Bellay l'égal de Ronsard.

Du Bellay jugé par la postérité. Un sonnet de Spenser (1391). Les travaux des savants : Sainte- Marthe. Colletet. Baillet, Ménage, Niceron, Goujet. Les « Annales Poétiques » (1778). Le « Tableau » de Sainte-Beuve (1828). Du Bellay au XIX' siècle. L'édition Marty-Laveaux (1866-1867). La statue d'Ancenis (1894). L'Association Bretonne- Angevine.

Kii .suivant du Bellay devant le tribunal de Topinion publique, je n'ai point la prétention de passer en revue tous les jugements (ju'on a pu porter sur le poète et sur son œuvre aux divers moments de l'histoire. Un semblable dénombrement , si j'avais osé le tenter , risquerait fort d'être incomplet. Jai voulu seulement, dans un tableau d'ensemble, mai<|uer les tiaits saillants, et, d'une façon géné- rale . indiquer ce (|u'est devenue , pendant trois siècles et

DU BELLAY DEVANT I.Ol'IMON 485

demi, la gloire littéraire de celui (jvii composa la Dojfcnce et les Regrets.

Gomment donc noire auteur a-l-il élé jugé ? Mais tout d'abord, comment s'est-il jugé lui-môme?

Ou ne peut exiger des poètes beaucoup de modestie. Au- tant (ju'irritable, la race est vaniteuse. Du Bellay, sur ce point, ne le cède à personne. Dès les premiers pas, il avait chanté son exegi fnonumentam ' . Il n'était d'ailleurs pas en peine de justifier sa vanité : « Si en mes poésies je me loué quelques fois, ce n'est sans l'imitation des anciens ". » Gomme il arrive assez souvent, c'est de sa première œuvre qu'il était le plus fier. Par-dessus tout, il se considérait comme le chantre de Y Olive :

Si est-ce pourtant que je puis Me vanter qu'en France je suis Des premiers qui ont ozé dire Leurs amours sur la Thusque lyre.

Et mon Olive (soit ce nom D'Olive véritable, ou non) Se peult vanter d'avoir première Salué la doulce lumière '.

Il a rappelé bien des fois ce beau titre d'illustration \ Il savait sa valeur. Il était parti pour la gloire :

Quand à l'Honneur, j'espère estre immortel,

s'écriait-il tout au début ". Il avait conscience de l'avoir atteinte :

» Ode à Bouju, De l'immortalité des poètes (I, :i05). V. ci-dossus, 1" part., chap. VII, § IV, p. 213-215.

- 2' préf. de VOlive (I. 7d). V. sur ce point les i-éflexions du bon abbé Goujet, XII, 134.

' Ode à Magny, Sur les perfections de sa dame (II, 329).

* Voyez I, 153, 159, 163, 164, 178 ; II, 3, 144, 248, 318, 530;— Poemata, f'^ 3 v" et 41 V" ; Xenia, f" 7 r".

■'' Sonnet A Vambicienx et avare ennemy des bonnes lettres, à la lin de la Deffence, p. 163.

486 JOACHIM DU BELLAY

Je diray donc sans peur d'estre repris De me vanter, qu'au mestier de la lyre Je ne suis pas le meilleur, ny le pire, De ceux qu'on nomme entre les bons esprits *.

Sans doute, il avait tort de le dire si haut. Avait-il tort de le penser ?

II

Dans sa notice sur du Bellay *. le docte Colletet a pris plaisir à relever les éloges qu'ont donnés au poète tous ses contemporains plus ou moins immédiats. La liste est longue de ces hommages, et cependant elle est bien loin d'être complète.

Déjà, de son vivant, notre auteur avait recueilli maint témoignage d'admiration. Lorsqu'il mourut, le deuil fut grand dans la république des lettres. 11 tombait le premier de la noble phalange qui, sous l'égide de Dorât, avait marché su- perbement à la conquête des anciens, et dont l'audace avait eu pour prix ce triomphe, la poésie ressuscitée. On eut la sensation qu'un vide s'était fait.

Ronsard ne put voir partir sans tristesse ce vaillant frère d'armes, cet ancien compagnon des luttes héroïques. On trouve un écho de ses vifs regrets dans l'élégie qu'il adressa, l'année même mourut du Bellay, au Tournésien Louis des Masures '. Encore sous le coup de cette mort soudaine, son

1 Amours àe 15o9, s. 6 (II. 123). Cf. Elégie à Mord :

Carmina sunt nobis facili nianaiitia vena,

Et nos turba legit, nos legit aula frequens.

Denique, quisquis amat Phoebum Phoebiquc Sorores, Me colit absentcm, me terit alque legit. ' Copie mscr., f"' .o2 ro-ij7 v". ^ Hlanchemain, VII, 49.

DU BELLAY DEVANT l'oPINION 487

esprit est hanté de lunèhres images : il a vu dans un rêve l'ombre de son ami :

L'autre jour en dormant (eonime une vaine idole. Qui deçà qui delà au gré du vent s'en-vole) M'apparut du Bellay, non pas tel qu'il estoit Quand son vers doucereux les Princes allaitoit, Et qu'il faisoit courir la France après sa lyre, Qui souspirant son nom le plaint et le désire ; Mais hâve et descharné . . .

L'ami d'autrefois n'est plus qu'un cadavre, et ce cadavre se met à parler :

Il me disoit : (( Ronsard, que sans tache d'envie J'aimay quand je vivois comme ma propre vie,

Puis qu'il a pieu à Dieu me prendi'e devant toy, Entens ceste leçon et la retiens de moy... »

Et de cette bouche d'ami, sort le plus beau credo religieux et moral. Quatre ans plus tard, dans une pièce du Bocage Royal, à Catherine de Médicis, Ronsard, dont la mémoire était toujoui's fidèle, insérait ces vers empreints d'émotion :

Je pleurois du Bellay, qui estoit de mon âge.

De mon art, de mes mœurs et de mon parentage,

Lequel, après avoir d'une si docte vois

Tant de fois rechanté les princes et les rois.

Est mort pauvre, chetif, sans nulle recompense,

Sinon d'un peu d'honneurs que luy garde la France '.

Rémy Belleau ne connaissait Inen du Bellay que depuis son retour d'Italie ; mais en deux ans, il avait eu le temps

' Blanchemain, III, .371. Cf. III, 3o3, au cardinal de Lorraine : Du Bellay, qui avoit monté dessus Parnase, Qui avoit espuisé toute l'eau de Pégase, Qui avoit dans mon antre avecques moy dancé, Ne fut, siècle de fer ! d'un seul bien advancé.

488 JOACHIiM DU BKLLAY

de l'apprécier. Il eut de sa mort un regret sincère. Dans une ode qu'il composa sur les Recherches d'Etienne Pasquier fiôôo) *, il déplorait les tristes destinées de la « Brigade » et disait de l'ami disparu :

Encores la playe est ouverte

De mon Du Bellay, dont la perte

Fait perdre aux Muses le renom.

La même année, il fit paraître un Chant pastoral sur la mort de loachim du Bellay Angevin ^ C'était un dialogue entre deux pasteurs, Tlioinet et Bellin (Baïf et Belleau), suivi d'une complainte, dans laquelle une Nymphe de la Seine pleurait le poète éteint avant l'âge :

Il est mort Du Bellay, Du Bellay que les Dieux Avoyent transmis du ciel pour cstre en ces bas lieux Le mignon d'Apollon, et des Muses la grâce, Et le plus rare honneur de son antique race ! Las ! il nous est ravi, n'ayant parfait le cours Qu'à demy seulement du plus beau de ses jours.

Par la bouche de Ronsard et de Belleau avaient parlé les condisciples et les amis d'école. Quelques savants, qui voyaient en du Bellay disparaître un humaniste, eurent à cœur de saluei' sa dépouille : Adrien Turnèbe, Claude d'Espence, Hélie André, Léger du Chcsne, Claude Roillet, réunirent en une plaquette quelques pièces latines qui disaient leurs regrets \

^ Gouvorncur, I, 183; Marty-Laveaiix, I, 117. Le I" livre des Reclœrches de la France parut en 1o60, à Paris, chez Vincent Sertenas, in-S". Privilège du 18 janvier loaO (n. s. Io60). L'ode de Belleau figure en tète.

- Paris, Rob. Estienne, 1560, 8 S. in-4". Plus tard, l'auteur a fait entrer ce chant dans sa liergerie, en le coupant en deux parties. (Gouverneur, II, 150-i:>r, et ;53!S-3H; Maity-Laveaux, I, 2n3-297 et II, 133-138) Le Chant pas- toral de HclU-au. rèinii)r. en loGG, a i)ris place à partir de lo68-lo69 (recueil d'Aubert) dans les diverses éditions du Tombeau de J . du Bellay.

' In loachimum Bellaium, Andinum poetam clarissimum doctorum viro- rurn carmina et tuniuU, Paris, Kederic Morel, lilliO, (i ff. in-4".

DU BELLAY DEVANT l'oHNION 489

Puis co fut le tour des intimes. Guillaume Aubert de Poitiers, avocat au Parlement de Paris, après avoir expi'imé sa douleur dans une lettre à Jean de Morel (le 3 janvier i56o), la mit en vers très longuement, trop longuement, dans une assez plate Elégie, qui n'a pour elle (jue la bonté de l'inten- tion '. En même temps, Charles Utenliove. rassemblant les hommages funéraires de ceux qui fréquentaient la maison de Morel. ])ublia les Epitaphes sur le trespas de loachim du Bellaj\ Angevin, Poëte Latin et François ^ Ce recueil repro- duit d'abord l'épitaphe que du Bellay s'était faite à lui-même; puis la traduction de cette épitaphe en hébreu par Jean Mercier, beau-fils de Morel, en grec par Utenhove. en français par Morel, Maniquet, Utenhove et Grévin ; ensuite, diverses pièces latines et françaises, des hendécasyllabes de Robert de La Haye, des distiques de Camille de Morel. un sonnet d'Antoinette de Loynes, une ode de Jacques Grévin, etc. ; et le tout se termine par l'épitaphe admirative (d. immortali s.) due à Pierre de Paschal.

C'était quelque chose sans doute que ce tribut d'éloges payé à la mémoire du poète qui venait de mourir. Mais il y avait mieux à faire : c'était d'assurer, par une édition aussi complète que possible, la conservation de ses œuvres. Détail curieux : l'idée vint du roi François II. c'est Aubert i{ui raffîrme. A son commandement. (( le Sieur de Morel amateur de toutes vertus. . . feit soigneusement recueillir non seulement ce que le Sieur du Bellay avoit faict imprimer durant sa vie. mais aussi ce qui n' avoit encores esté publié : et après en avoir communiqué avecques les plus affectionnez amis de l'Auteur.

Elégie sur le trespas de M. loachim du Bellay. . . Paris, Federic Morel, 1360, 3 ff. in-4°. Réirapr. en 1361.

- Elles viennent à la suite de ÏEpitaphium in mortem Herrici Gallorurn régis christianissimi. . . per Car. XJtenhovium. Paris, Rob. Estienne, 1360, in-4'. (Bibl. Nat Rés. niY' . 3:33).

490 JOACHIM DU BELLAY

ils adviserent ensemble ment, que... ce seroit chose digne de leur bonne affection envers le public, et de leur ancienne amitié envers le feu Sieur du Bellay, de faire mettre toutes ses œuvres en lumière, de façon qu'à l'advenir rien ne s'en peust facilement esgarer *. » Ce projet, toutefois, ne fut point réalisé sur le champ. L'année de la mort du poète et les années suivantes, des libraires de Paris, Charles l'Angelier, Federic Morel, pour répondre aux vœux du public, avaient imprimé ou réimprimé, soit en plaquettes, soit en recueils factices, beaucoup de ses ouvrages *. C'est seulement en 1569 que vit enfin le jour . chez Federic Morel , en un volume in-S» , l'édition des œuvres complètes, ou du moins des œuvres françaises ^ Elle était dédiée au roi Charles IX : Guillaume Aubert, auxiliaire de Jean de Morel dans sa tâche d'éditeur posthume, avait écrit la dédicace. Le recueil, qui s'ouvrait sous cet auguste patro- nage , se fermait solennellement par la série des pièces qui redisaient la gloii-e de du Bellay : suivant l'usage, Aubert les avait réunies pour en former le tombeau du poète.

Six autres éditions, inspirées de la précédente, parurent tour à tour \ attestant le renom du chanteur angevin et sa vogue persistante jusqu'à la fin du xvi*^ siècle : et le tombeau reparaissait toutes les fois, augmenté de pièces nouvelles '.

' Aubert, Epistre au Roy [Cliarles IX], datée de Paris, 20 nov. 1:568. Marty-La veaux, Appendice de la Notice, p. xxxix.

- Pour le détail de ces publications, v. Manuel du Libraire, t. I, col. 749- 7ol, et Supplémpnt. t. I, col. 100 102 : les notes de l'édit. Marty-Laveaux ; la Bibliographie de M. Ballu. édit, L. Séché, p. 251 sqq.

' Les œuvres françaises de loachim Du-BeUuj, Gentilhomme Angevin, et l'oëte excellent de ce temps... Paris, Federic Morel, 1569, in-8\ rUcueil de pièces séparées, iuii)riinées en 1568 et 1.569. Privilège du 30 avril 1567. Cette édition est décrite par Jules le Petit, bibliographie des principales éditions originales d'écrivains français du xv au xvui'' siècle, Paris, Quantin 1888. Les Xenia parurent également chez Morel, en 1569, dans un volume à part. Les Poemata ne furent pas réimprimés.

» Paris, 1573, 1574, 1584 ; Lyon, 1575 ; Rouen, 1592, 1597.

•' A signaler dans l'édit. de 1575 deux sonnets de Jacques de la Taille.

DU BELLAY DEVANT LOPI.MON 491

On ne peut lire sans respect, si médiocre qu'en soit la forme, les tcmoignag-es lUadiniration décernés au poêle \)Hi' ses contemporains. On y sent une foi sincère et quelque peu naïve dans l'éternité de son œuvre. L'impression que j'en ai gardée, c'est que les hommes du xv!"^ siècle ont mis constam- ment du Bellay au même niveau que Ronsard : les deux émules étaient à leurs yeux deux és^aux.

Cette égalité dans riiommage avait commencé de bonne heure, du vivant même de Joachim. Dès i552, Marie de La Haye, dans une ode Sur les œuvres poétiques de I. du Bellay et P. de Ronsard ', établissait le parallèle :

Le prix, Horace a tendu

Sa lyre, pour le penser prendre.

D'autres en vain est attendu :

Car à vous deux il se vient rendi^e.

L'ung reçoit par nostre orizon Le verd honneur de la couronne. Dont ja l'une et l'autre maison Du soleil, son chef environne.

A l'autre l'Olive promet Apres sa mort vie immortelle : Et vivant desja hors le met De l'obscure tumbe mortelle.

Vers le même temps. Hugues Salel, adressant un sonnet Aux seigneurs de Ronsard et du Bellay % leur demandait le secours de leur muse pour l'aider à chanter d'amour :

* Cette ode tigure en tête de l'ouvrage de du Bellay : Le quatriesme livre de l'Enéide de Vergile. . . . V. ci-dessus, 1" part, chap. x. § i, a. 1, p. iiO- 2o0. (Bibl. Nat. Rés. pYc. 1400.)

- Les Amours d'Olivier de Mngny.... Emsemble un recueil d'aucunes œuvres de Monsieur Salel, abbé de Saint Cheron, non encore veues. Paris, Estiennc Groulleau, lo53, f^ 82 v". (Bibl. Nat. Rés. Y^ 16(37).

492 JOACHIM DU BELLAY

O francs espritz savans énamourez, Si vous avez telz plaisirs savourez, Je vous suplie, acordez vostre lire,

Va de voz vers dignes d'estre adorez, Vostre Salel a présent secourez, Chantant pour luy ce qu'il ne pourroit dire.

En i553. Maclou de La Haye s'écriait à son tour dans son Chant de Paix ' :

Deux grandz espritz sur le Parnasse mont Je voy monter en la plus haulte place, Dont le désir du Laurier me semond De renforcer ma veine foible et basse ; En odes, l'un d'Horace suit la grâce % L'autre, en sonnetz, le subtil Florentin, Qui, pour m'avoir compagnon de leur grâce, N'ont en desdain mon doux luth argentin.

Et dès lors, les hommages du même genre se multiplient. C'est Tahureau (pii dit dans ses Premières Poésies (i554) ' :

De quoy le Loyr, de quoy s'enfle la Loyre, Sinon du bruyt desbordant en tous lieux De son Ronsard et du Bellay, sa gloire, Pour les porter d'icy haut aux cieux ?

C'est Pasquier qui écrit à Ronsard (i555) ^ en parlant des progrès de notre poésie : « Vous et le sieur du Bellay acez plus heureusement rencontrés que l'on n'avoit jamais espéré entre les nostres. » C'est Louis d<^s Masures qui versifie suljlilement cette épigramme {loo'j) :

' Les Giuvres de Maclou de La Haye, Piccard, valet de chambre du Roy. Paris, Esticime (h-oullcau, V^'i, f" 9 v°. (Arsenal. B.L. 0478. Rés.).

- .Sic Peut-être faut-il lire trace.

' Édit. Blanchemain, Genève, Gay, 1809, p. 51.

' Lettre 8 du livre I. édil. de 1723, t. Il, col. 11.

' Ludovici Masurii Nervii carmina, Lyon, Jean de Tournes et Guill. Gazeau, i:i;i7, in-i, p. ij4: Ad P Ronsardum et lo Rellainm poetos. (IMhl. ÎN'at. liés. Y-. 367).

nr BF.LI.AY DEVANT L'OPINION h\)'.i

Mirabar quid Phoebus equos tara mane récentes

Jungeret, et toto lucidus orbe foret. Formosam hic- spectat Clio. Gliusque sorores,

Et quos aeterno tollil lionore cliorus : Te magnum, Ronsarde, refors qui Pindaron, et te,

Bellai. eoetus gloria Pieriduui. Vos radiis oeulisque Deus. (juibus omuia, coelo

Dum videt, egregio purior ore nitet.

En i558, un gentilhomme ami des lettres, Forquevaulx, gouverneur de Narbonne, écrit à Morel : (( Quelque ignorance et rudesse qui en moy soit, je me délecte néantmoins de veoir et lire les bonnes choses, et je vous asseure, Monsieur, que j'ay merveilleux regret de n'avoir eu l'heur de veoir et cognoistre Monsieur de Ronsard et Monsieur du Bellay, puisqu'il estoit à Paris, pource qu'il me semble de n'avoir point demy veue en mes yeulx, n'ayant veu et cogneu les deux lumières de France, comme toutz les hommes de bon jugement les estiment \ »

Quand du Bellay fut mort, on continua de l'égaler à son ancien rival. Antoinette de Loynes eut le talent d'afiirmer sur sa tombe les droits qu'il avait à garder ce rang, et cela sans blesser Ronsard :

Si je ne puis pourtant exprimer par ma voix Ce qu'estimèrent tant les princes et les rois, Je diray pour le moins avec toute la France,

Que du Bellay estoit des poètes l'honneur :

Et si ne perdray pas de Ronsard la faveur.

Car je ne puis ne veux luy faire aucune offence *.

Charles Utenhove le redit après elle, sous une forme assez bizarre :

' Lettre du 8 mai 1558, citée par M. de Nolhac, Lettres de J. du Bellay, p. 14, n. 1.

- Epitaphes sur le trespas de I. du Bellay 1 1560).

494 JOACHIM DU BELLAY

1. BELLAII ET P. RONSARDI STNOTSIA

aniabilis . admirandus ^

BELLAivs ' RONSARDVs ^ ambo pares.

proinptior ingenio ' doctior ;

Ce qu'il laul lire :

BELLAIVS, RONSARDVS, amabilis, admirandus, Promptior ingenio, doetior. ambo pares *.

Bail', dans une églogue, fît parler ainsi le pasteur Toinet, (jui nrtait auti-e que lui-même :

Bien qu'entre les bergers j'ay bruit d'estre poëte, Si ne les eroy-je pas : car ma basse musette Ne sonne pas encor des chansons de tel art Comme le doux Bellay ou le grave Ronsard *.

Un Angevin, Jean le Masle, dans ses Récréations Poétiques, loua Dorât d'avoir produit de si savants disciples :

. . . Quand du double couppeau Tu ramenas des Muses le trouppeau, Ostant aux yeux de maints esprits de France Le noir bandeau de l'aveugle ignorance, Tesmoin Ronsard et du Bellay, qui ont Vivants porté le laurier sur le front '.

Et je pouri-ais citer bien d'autres témoignages, comme ceux de Montaigne \ de Scaliger ' et du cardinal du Perron ", qui

' Xenia d'Ulenhove, à la suite de VEpilaphium (1360).

■' Charles. Eclogue XVII. (Marty-Laveaux, III, 91).

' Cité par CoUclet, copie mscr., f" 34 v".

* Essais, iiv. il, chap. 17 : « Aux parties en quoy Ronsard et du Bellay excellent, je ne les trouve gueres esloignez de la perfection ancienne. »

5 Prima Scaligerana, édit. d'Amsterdam, 1740, in-8', p. 144-143 : « Ron- sardus niagnus Poêla Gallicus, ut Bellaïus utriusque linguae Latinae et Gallicae, qui (quod hactenus pauci) faoilitatem et dulcedinem Catulli asse- cutus est. »

'• Perroniana, édit. d'Amsterdam, 1740, in-8% p. 111 : « Du Bellay et Ron- sard sont les plus excellens poètes que nous ayons eus. »

DU BKLLAY DKVANT l'oPINION 495

nous montrent unis dans rudmiration des contcnipoi'ains les noms de Ronsard et de du Bellay.

C'était justice en somme, et l'on avait raison de tenir la balance égale entre les deux poètes. Il convient pourtant d'ajouter qu'on n'y mil [>as toujours la sérénité nécessaire. Un moment, la passion s'en mchi. Les ennemis d(> Ronsard, pour l'ennuyer et le vexer, se tirent un malin plaisir de lui jeter son rival à la tête. Les mérites de du Bellay devinrent un des arguments dont usèrent les calvinistes pour rabaisser leur adversaire. Jacques Grévin, l'auteur ])r()bable du Temple de Ronsard (i563), écrivait avec intention :

J'ay bien eu quelquefois la mesme fantaisie Que tout seul tu estois bon maistre en poésie ; Mais lors que j'eus cogneu que les poètes Grégeois Et Latins se laissoient fueilleter sous les doigts De ceux qui sont nourris en la langue françoise, Je pensay seulement que la Muse grégeoise T'avoit enflé le cœur, et que ce gentil art N'avoit esté forgé seulement pour Ronsard. Bellay m'en est tesmoing \

Et sous le pseudonyme de F. de la Baronie, Florent Chres- tien n'était pas moins amer :

Or je confesse bien qu'on a eu quelque estime,

Il y a quelque temps, de ta superbe rime :

Du Bellay toutesfois, du Bellay plus sçavant

Avoit ja estendu son los jusqu'au levant :

Et encores qu'on veist que sa plume féconde

Qui n'a point de pareil, surmontroit tout le monde,

Si est-ce qu'en après ton esprit eshonté

Nous pensoit faire voir qu'il estoit surmonté.

1 Blanchemain, VII, 88-89.

49G JOACHI.M DU BELLAY

Mais tu Tas lait en vain, encores que ta g-loire Ne fust ostée encor" du dos * de la mémoire. Pourquoy donc escris-tu que tu es le premier Qui as à nos François apporté ce mestier ^ ?

Quatre ans plus tard (1067) , dans YEpistre à Jaques Grevin qui précède le Second discours sur VAntimoine, Florent Ghrestien exaltait encore

L'excellent du Bellay, homme presque divin, Premier poëte en France ....

et Grévin lui-même, l'auteur de ce Discours, appelait Joachim « le prince des poètes », comme si Ronsard n'eût pas existé '. Ce parti pris aurait pu faire à du Bellay plus de mal que de bien. Heureusement, sa mémoire n'en souffrit pas ; et même à l'époque Ronsard, élevé sur l'autel, trônait ainsi qu'un dieu dans l'éclat de sa gloire, l'harmonieux chanteur des Regrets ne tomba jamais dans l'oubli.

III

A la lin du xvi^ siècle . du Bellay n'avait rien perdu de sa brillante renommée. Son nom avait franchi les bornes de la France. De l'autre côté du détroit, un grand poète,

' Sic. Colietel a lu clos.

- Seconde response de F. de la Baronie à Messire Pierre de Ronsard, Paris, lo03, f" 18 r". (Bibl. Nat. liés. Y«. 1027).

' Pinvert, Jacques Grévin, p. 335. Un autre protestant, disciple de Marol en poésie, mais juge souvent équitable des mérites de la Pléiade, Henri Eslienne, donnait le premier rang à du Bellay pour des motifs tout littéraires : a S'il me faloit faire le rôle de ceux-ci [que vous distes estre modestement hardis], il seroit le premier. » (Dialogues, édit. Ristelhuber, 188j, t. II, p. 1(J9). La Bibliothèque de la ville de Lyon conserve un volume des Poésies deJ. du Bellay (édit. de 1501) annoté par Henri Estienne et dont l'intérêt n'est pas moins précieux en ce qui touche le poète que le philo- logue lui-même. M. Clément en a tiré tout le parti possible dans sa remar- quai)le étude sur Henri Eslienne (Paris, Picard, 1898, in-8).

DU BKLLAY DKVANT l'OPINION 4!)7

Edinuncl SpeusiM-, l'autour de la Reine des Fées. Iraduisail en anglais les Antiqiiitez de Rome (1591). et couronnait sa traduction par ce très beau sonnet ' :

L'ENVOY.

Bellay, premier fleuron de libre poésie

Qu'ait produit la France, si féconde en no])les esprits,

Bien digne es-tu de l'innuortalité,

Toi qui jadis as travaillé, par tes doctes écrits,

A faire renaître de ses cendres la vieille Rome,

Et à donner une seconde vie à des ruines mortes !

Il doit survivre toute l'éternité,

Celui qui peut donner aux autres des jours éternels :

Aussi tes jours sont-ils sans fin, et ta gloire

Surpasse-t-elle tout ce qui a précédé.

Après toi, Bartas commence d'élever

Sa céleste Muse, pour adorer le Tout-Puissant.

Vivez, heureux esprits, Thonneur de votre nom,

Et remplissez le monde d'une renommée qui ne mourra jamais !

Mais le xvii® siècle allait s'ouvrir, et l'on sait s'il devait être dur aux poètes de la Pléiade. L'arrêt porté contre Ronsard par le réformateur Malherbe atteignit quelque peu du Bellay. Sans doute, on lut encore l'original auteur de tant de beaux sonnets, et même on l'imita : les poètes sati- riques, et Régnier notamment, ne se firent point faute de le piller à l'occasion '. Mais on cessa de le réimprimer. C'était un signe. Désormais, le goût pul)lic allait se porter ailleui-s, et l'œuvre de nos vieux poètes devenir l'apanage à peu près exclusif des érudits et des savants.

Ce courant scientifique et critique, si ces mots ne sont pas trop pompeux, avait connnencé dès les dernières années

' Pour le texte, v. l'édit. R. Morris, Londres, Macmillan, 188G, in-8», p. 531. - Vianey, Mathurin Régnier, p. 65.

Univ. de Lille. Tome VIII. A. 32.

498 JOACHIM DU BELLAY

du XVI' siècle , avec Scévole de Sainte-Marthe : car on ne peut compter vraiment les Bibliothèques françoises de La Croix du Maine et de du Verdier (i584) '• Sainte-Marthe, dont la longue existence avait vu bien des choses, entreprit vers la soixantaine de faire l'éloge des hommes qui s'étaient do son temps illustrés dans les lettres. Sa notice sur du Bellay, publiée en 1598, complétée en 1606, est loin de briller par l'exactitude et la précision. Il s'est trompé sur la date de la naissance du poète et sur l'origine de sa surdité ; il n'a rien dit que de vague sur ses fonctions ecclésiastiques ; il a cueilli je ne sais la ti'ès invraisemblable histoire de l'archevcché de Bordeaux. Beaucoup des erreurs qui, depuis trois siècles, se répètent sur du Bellay, sont imputables à Sainte-Marthe '.

Le hasard voulut que son héritier , dans ces doctes recherches, fût un homme très consciencieux, assurément, très zélé pour nos vieux auteurs, mais à peu près dénué de sens critique. Guillaume Golletet, après avoir mis en français les Eloges de Scévole (i644)) imagina de les refaire, en les allongeant et les complétant : telle fut l'origine de ces Vies de poètes, dont un fatal incendie devait détruire un jour le manuscrit autographe. Dans ses notices sur les poètes de la Pléiade, Golletet s'est presque toujours contenté de repro- duire les assertions de Sainte-Marthe et de Binet. dont le Discours sur la vie de Ronsard n'est pas non plus, on le sait, un modèle d'exactitude. Pourtant, en ce qui touche du Bellay, ce même Golletet a mis à profit V Elégie à Morel, si

* L'article de La Croix du Maine (II, 1-2) n'est qu'une sèche et d'ailleurs incomplète nomenclature des ouvrages de du Bellay; celui de du Verdier (II, 534-543), dans sa partie intéressante, un plagiat de VEpistre d'Aubert.

2 La phrase qui traîne dans tous les manuels que du Bellay fut sur- nommé VOvide français me semble bien venir aussi de cette appréciation de Sainte-Marthe : « Ovidianam illam ubertatom facilitateniqiie plane redo- let. )) Elogia (1598), p. 3'J.

DU BELLAY DEVANT L'oPINION 499

précieuse à bien des t'-gards. Enfin, il a clos sa biographie pai' la revue des opinions (pion avait émises avant lui sur le compte de l'auteur des Regrets.

Ce qu'il y a pour nous de plus intéressant dans sa notice sur du Bellay, c'est le début. Je le citerai : car c'est la preuve que du Bellay se maintint plus longtemps que Ron- sard dans l'affection et dans l'estime du xvn*^ siècle : « Cet auteur, écrit GoUetet, fut considéré comme l'un des plus grands ornemens de son siècle, et il fait encore les délices du nôtre. C'est une chose étrange que de toute cette fameuse pleyade d'excellens esprits qui parui-ent sous le règne du roi Henri second, je ne vois que celui-ci qui ait conservé sa réputation toute pure et toute entière ; car ceux-là même qui par un certain dégoût des bonnes choses, et par un excès de délicatesse, ne sauroient soutlrir les nobles hardiesses de Ronsard , témoignent que celles de du Bellay leur sont beau- coup plus supportables, et qu'il revient mieux à leur ' façon d'écrire et à celle de notre tems ; et en effet, quoique notre langue ait eu de différentes révolutions depuis cent ans entiers qu'il prit le soin de la cultiver, si est-ce que son stile clair et net, facile et majestueux, est une preuve indubitable de la beauté de son esprit, et de la connaissance parfaite qu'il avoit de tous les secrets de notre langue. Et je ne doute point aussi que si le ciel eût prolongé ses années, qu'il n'eût enfin rendu la ^ palme douteuse entre lui et le grand Ronsard, et qu'il n'eût même enfin remporté sur lui le titre glorieux de prince de nos poètes '. »

* La copie porte la.

- La copie porte sa.

^ Copie mscr., 46 r». Cf. ce que dit le même Colletet, Traité du Sonnet (1658), p. 45 : « Ses sonnets des Antiquitez de Rome et ses Regrets fiu-ent encore accompagnez d'un génie si heureux et si favorable, que jamais ouvrage de cette nature n'a mieux esté receu du public, ny plus estimé des doctes : jusques mesmes qu'il ne vieillit pas encore parmy nous. »

500 JOACBIM DU BELLAY

Baillet. (\ni publia quelque trente ans plus tard ses Jiigemens des Savans (i685), parla de du Bellay sans jamais peut-être avoir lu ses œuvres. Il répéta Sainte-Marthe et Colletet, en y joignant quelques phrases assez vagues de Scaliger, de Sorel, de Godeau, d'autres critiques (( de moindre trempe ». Au total, rien de personnel.

Le premier qui Jut vraiment soucieux d'apporter quelque précision dans l'histoire de Joachim. lut Ménage. 11 était angevin, et son intérêt de compatriote, non moins que son ardent désir de montrer Baillet en défaut, le poussa dans la voie des exactes recherches. Plusieurs passages de son Anti- Baillet (1688) éclaircirent et fixèrent d'une façon définitive quelques points obscurs ou douteux de la vie de notre poète : ainsi, le lieu de sa naissance, l'origine de sa terre de Lire, sa famille immédiate, ses dignités ecclésiastiques, l'emplace- ment de son tombeau. Par un zèle de vérité très louable pour l'épocjue, il s'avisa de consulter les documents et compulsa soigneusement les registres de l'Église de Paris. Plus probe (|ue Baillet, lui du moins parlait en connaissance de cause de

Du Bellay, ce pasteur d'éternelle mémoire, comme il l'appelle en une églogue '.

Bayle, qui dans son Dictionnaire (1697) consacrait un article à Dorât et un autre à Ronsard, oublia du Bellay. Le P. Niceron (lySi) el l'abbé Goujet (1748) n'ajoutèrent rien, historiquement, aux recherches de Ménage. Le premier décrivit avec soin, c'est une justice à lui rendre, l'édition des œuvres du poète publiée à Rouen en 1697 : en mentionnant les sonnets des Regrets, il faisait cette réflexion, qui a son

' Quatre ans après V Anti- Baillet, Claude Barbin fit paraître un Recueil des plus belles pièces des Poêles François, tant anciens que modernes, depuis Villon Jusqu'à M. de Benserade, l'aris, 1G92, ô vol. L'éditeur était Kontenelle. Les extraits de du lîellay (t. I, p. 131) sont faits avec goût, (Bibl. Nal. Y'. H.o47).

DU BELLAY DEVANT L'OIMNION oOl

prix : « Du Bellay avoil un talonl pirticulitM" pour cette sorte (le poésie. La plupart des sonnets que l'on a de lui, ont quelque chose de noble, et des grâces que le temps n'a point fait vieillir '. » Quant au second, avec son ordinaire conscience, il résuma ce qu'on savait de la vie du poète angevin, fit une l)rève analyse de ses principaux ouvrages, en y mêlant par-ci par-là quelques citations bien choisies et des jugements personnels, un peu timides, un peu étroits, mais en somme judicieux et sensés, en homme de goût qui a lu son auteur, et qui l'a lu non sans plaisir '.

Mais le xyin*^ siècle avait bien autre chose à faire que de s'occuper longuement de nos anciens poètes. Il fallait le P. Sanadon pour s'amuser à mettre en vers latins les épi- taphes du chien Peloton et du chat Belaud. L'éclat jeté par les auteurs du siècle de Louis XIV avait fait oublier leurs pères légitimes, ces fiers et vaillants ouvriers qui leur avaient rendu possible la production de leurs chefs-d'œuvre. Ces dédaignés ne retrouvèrent un peu de faveur auprès du public que vers la fin du siècle. En 1778, Sautreau de Marsy et Imbert, dans les Annales Poétiques ou Alnianach des Muses ', donnèrent 56 extraits des poésies de du Bellay, précédés d'un article tout à fait élogieux, qui nous montre que les auteurs avaient bien saisi la portée de la révolution tentée par la Pléiade. Après avoir dit que Marot joignait aux chaiMues de la naïveté toutes les grâces de l'esprit, ils ajou- taient : « Nous allons entendre un nouvel idiome ; notre langue a pris un caractère nouveau : le génie plus hardi des

* Mémoires de Niceron, XVI, 398.

- Il dit lui-même des Regrets : « C'est, selon moi, un de ses meilleurs ouvrages; c'est du moins un de ceux que j'ai pris plus de plaisir à lire. » (Blbl. franc., XII, 127). V. ses réflexions sur les Regrets (p. 131) et sur les Odes (p. 133).

3 Paris, Delalain, 1778, t. IV, p. 41-205.

502 JOACHIM DU BELLAY

Poètes va apprendre aux Muses Françoises à parler comme les Muses Grecques et Latines. La g-randeur des images, la hardiesse des métaphores, le grand secret des épithètes, sont connus. En un mot. juaquà présent, nous avons assisté, pour ainsi dire, aux concerts ries Grâces : nous allons entendre les accens de fa Poésie. C'est à Joachim du Bellay, puisqu'il est avant Ronsard, qu'appartient la gloire d'avoir com- mencé cette révolution '. » Ils accordaient à du Bellay plus que (( de la douceur, de la facilité, de l'abondance « : il avait, selon eux, « de la verve, de l'énergie, et l'expression vraiment poétique » . Son style, « nombreux, animé, » se recommandait par « cet heureux choix d'épithètes, qui flattent également l'oreille et l'esprit en ajoutant à l'harmonie et à la pensée ». Sévères pour YOlice, mais justes après tout, ils trouvaient ses autres sonnets (( plus variés, plus saillans, plus pleins d'idées et de tours » , vantaient ses odes, et déclaraient « intéressante » la lecture de la Deffence : « Il y parle de la Poésie en vrai poëte, disaient-ils, et ses principes en général sont ceux du goût ^ »

L'année suivante (1779), du Bellay renaissait comme poète latin erotique. Sous ce titre aimable, Anioenitates poeticae ", un joli volume offrait au public, en compagnie des Juvenilia (le Théodore de Bèze, de Marc- Antoine Muret et de Jean Second, les vers brûlants revivait Faustine et la passion qu'elle avait inspirée. Ces poèmes d'amour n'étaient pas pour déplaire aux voluptueux contemporains de Dorât et de Parny.

Pendant la tourmente révolutionnaire et l'époque troublée qui suivit, du Bellay, naturellement, subit une nouvelle

' Op. cit., p. 42.

- Op. cit., passim, p. 44-32. Les mêmes idées se retrouvent dans les Mélanges tirés d'une grande bibliothèque, Paris, Moutard, 1780, t. VU, p. 163-174.

^ Paris, Barbon, 1779, in-12.

DU BELLAY DEVANT l'oPINION o03

éclipse. Mais bientôt llieure allait soiinci' oi; nos anciens poètes, à la faveur du romantisme, allaient enfin sortir de l'ombre et briller, après trois cents ans, de tout l'éclat d'une seconde jeunesse.

On sait comment, au mois d'aoùl iHaG. l'Académie Fran- çaise proposa pour sujet du prix d'éloquence ini (( discours sur l'histoire de la langue et de la littérature françaises depuis le commencement du xvi*^ siècle jusqu'en 1610 » . Le sujet, certes, était vaste, et le temps bien restreint. L'année suivante, le prix fut partagé entre deux concurrents, Philarète Cliasles et Saint-Marc-Girardin. pour deux études également superficielles. L'un trouvait le moyen de parler de notre poète sans même nommer les Regrets, ou plutôt en les confondant avec les Antiqiiitez de Rome. L'autre ne voyait guère en lui que le disciple de Pétrarque.

Cependant, un jeune étudiant en médecine, qui voulait d'abord concourir, s'était mis au travail, en commençant par les poètes ; et séduit, fasciné par ces vieux écrivains, entraîné de lecture en lecture plus loin c[u'il ne comptait, il avait si bien marché de l'avant, dans la douceur de ce commerce, qu'il avait insensiblement fait le tour du xvi^' siècle. Prêt ti'op tard, il fit paraître dans le Globe, à partir du 7 juillet 1827, le résultat de ses études ; puis, en 1828, il réunit ses articles en volume. Le Tableau historique et critique de la poésie française et du théâtre français au xvi*^ siècle ' fut en littérature le début de Sainte-Beuve. D'ingénieux rapproche- ments avec le temps présent donnaient à cet ouvrage un intérêt d'actualité : « Surtout, disait l'auteur, je nai perdu aucune occasion de rattacher ces études du xvF siècle aux

1 Paris, Sautelet, 1828, 2 vol. in-S". Le second volume contenait simple- ment les Œuvres choisies de Pierre de Ronsard, avec notice, notes et com- mentaires.

504 JOACHIM DU BKLLAY

questions littéraires et poétiques qui s'agitent dans le nôtre '. » Dans ce Tableau, Joachim du Bellay occupait à lui seul une vingtaine de pages *. dont une moitié pour l'analyse et la critique de la ùeffence. Sainte-Beuve passait vite sur Y Olive, plus vite encore et c'est étrange sur les Regrets et les Antiquité:- de Rome, insistait davantage sur les Odes, les Jeux Rustiques et le Poëte Courtisan, et concluait que, jusqu'ici, peut-être ne Tavait-on pas suffisamment apprécié. Son jugement sur du Bellay tenait dans cette phrase : (( Novateur en poésie, il le fut avec autant de talent et plus de mesure qu'aucun de ses contemporains. »

C'est du Tableau de Sainte-Beuve que date le mouvement d'études en faveur du xvi^ siècle. Mais le plein effet de ce livre ne fut pas immédiat. Sans doute, par un sentiment de curiosité sympathique, on se remit à lire dans les ^âeilles éditions, désormais recherchées, les œuvres longtemps mécon- nues de nos anciens poètes : on n'osa pas encore en tenter des réimpressions. C'est seulement OQze ans après que ressus- cita, pour ainsi parler, l'ouvrage trois fois séculaire, l'éloquent manifeste qui avait marqué le début de toute une école et de toute une poésie : en iSSg. l'auteur, aujoui'dhui oublié, d'un Discours sur le bon usage de la langue française. Ackermann, publia d'après le texte original la Dejfence et illustration.

La trouée était faite. Deux ans plus tard, un Angevin, qui avait des attaches avec l'école romantique. Victor Pavie. entreprit en Thonneur de son glorieux compatriote ce que Sainte-Beuve lui-même en 1828 avait fait pour Ronsard. Son édition des Œuvres choisies de Joachim du Rellay (1841^, qu'oi'nait un dessin de David d'Angers et que précédait une notice de Sainte-Beuve, notice aussi fidèle (jue délicate et

' Préface de la 1" édition (juin 1828).

= Édit. ori^., p. iJo-SO: édit. Cliarpentior (1893), p. 45-62.

DU BELLAY DlîVANT l'oPINION 505

pénétrante, n'eut pas tout le succès qu'on pouvait espérer : (( cette publication tout angevine fui honorée de trente souscripteurs angevins ' ! »

Pourtant, à partir de ce moment-là, du Hellay commen(,a d'être un peu mieux connu. L'attention des savants se porta davantage sur son œuvre. En 1849, Anatole de Montaiglon enrichit l'écrin du poète d'un joyau du prix le plus rare : huit sonnets inédits des Regrets, qui gisaient ignorés dans un manuscrit de la Nationale -. Pendant les vingt années suivantes, les travaux se multiplièrent : la première édition du XVI^ siècle de Frédéric Godefroy (1809), une excellente notice signée C.-L. dans les Poètes français de Crépet (1861). lu spirituelle étude de Turquety dans le Bulletin du Bibliophile (i864), d'in- génieux aperçus de M. Lenient dans sa Littérature militante au XVI' siècle (1866) •', les savantes leçons d'Egger sur V Hellénisme en France (1869). je ne cite que l'essentiel, contribuèrent éminemment à mettre de plus en plus en relief l'originale figure du chanti*e d'Anjou.

Le public lui venait. Il est curieux de constater que, presque en même temps (i857-i858). et pour satisfaire à ses vœux, trois lettrés songeaient à la réimpression des œuvres du poète. Tandis qu'un ami de Sainte-Beuve, M. Reinhold Dezeimeris, projetait de refondre l'édition Pavie épuisée *, M. Joseph Boulmier, biographe de Dolet, pensait à publier Joachim du Bellay dans la Bibliothèque Elz-évirienne ^ M. Alfred Michiels, éditeur de Desportes, dans la Bibliothèque Gauloise ''.

* Cél. Port, Dictionn. de Maine-et-Loire ^ art. Dabellay, t. II, p. 60.

- Il faut dire, à la vérité, qu'ils venaient d'être signalés jiar Paulin Paris, dans les Manuscrits français de la Bibliothèque du Roi, t. VII, p. 107. Paris. Techener, 1848.

' C'est la date de la l" édition : l'ouvrace a reparu en 1877.

* Nous le savons par une lettre de Sainte-Beuve du 30 septembre 18dS. (Correspondance de Sainte-Beuve, édit. C. Lévy, 1878, t. I, p. 221).

'" Catalnirue de la Bibliothèque FAzévirienne de Pierre Jannet (18")7). p. 20. " Catalogue de la Bibliothèque Gauloise d'Adolphe Delahays (I80S), p. 9.

506 JOACHIM DU BELLAY

Aucune de ces trois éditions ne parut. Mais en 1866, un savant, qui devait rendre aux lettres françaises de si précieux services, M. Marty-La veaux, inaugura le monument de la Pléiade par la réimpression des œuvres de du Bellay. Cette belle et luxueuse édition, publiée chez Lemerre, et malheu- reusement tirée à trop petit nombre, donnait du poète, en reproduisant le recueil d'Aubert, un texte fidèle. Le premier volume permit à Sainte-Beuve, qui, comme on sait, revenait volontiers à ses jeunes amours, de plaider encore une fois la cause cpii lui était chère : trois articles, insérés au Journal des Savants (1867), exprimèrent son dernier mot sur le compte de du Bellay. Vei'S la fin de la même année, paraissait le second volume, enrichi des lettres de Joachim, que M. Revillout, par un heureux hasard, avait découvertes à Montpellier, et dont il venait de tirer lui-même le sujet d'un curieux mémoire.

Depuis M. Marty-Laveaux, on n'a donné de notre auteur aucune édition générale : mais en revanche, bon nombre d'éditions partielles ont vu le jour : en 18^5, une édition de la Dejfence, publiée à Bruxelles par M. Tell, d'après l'édition d'Antoine de Harsy (Lyon, iSyô) : en 1876 et 1876, les deux jolis volumes d'Isidore Liseux, reproduisant, d'après le texte original de i558, les Jeux Rustiques et les Regrets ; en 1876, l'édition des Œuvres choisies de M. Becq de Fou- quières ; en 1878, une édition nouvelle de la Deffence, due à M. Person, copie rigoureusement exacte de l'édition princeps donnée en i549 P^'' Arnoul l'Angelier ; en i883, les Lettres, publiées de nouveau par M. de Nolhac, cette lois sur des autographes conservés à la Nationale. Et si Ton ajoute à tous ces travaux les nombreuses anthologies, clas- siques ou mondaines, que fleurissent diversement des poésies de du Bellay, on conviendra que Joachim, dans ces derniers

DU BELLAY DEVANT l'oPINION 507

trente ans, n'a vraiment pas eu à se plaindre du zèle des éditeurs.

ITne autre gloire raltendait. Un lettré d'Ancenis. M. Léon Séehé. dont le culte pour du Bellay s'était affirmé déjà dans une petite plaquette parue en 1880, avait fait le serment d'élever une statue au chanteur du « petit Lire 0 . Il rencontra plus d'un obstacle. Mais, fidèle à sa devise, « Angevin pour aimer et Breton pour tenir », il ne se laissa démonter par rien. C'est à ce prix qu'on réussit, et M. Séché triompha.

Il voulut faire bien les choses. Donc, en 1898, il ouvrit d'abord une souscription. En même temps, il préparait une édition nouvelle des œuvres choisies du poète, qu'il publia l'année suivante, avec la collaboration de M. Camille Ballu. Pour fêter dignement son idole, il fit appel à tous les cise- leurs de l'vthmes de la capitale et de la province, deman- dant à chacun l'hommage d'un sonnet. Presque tous répon- dirent, heureux d'apporter leur couronne au monument du vieux poète'.

Le 7 juin 1894. un concert fut donné dans la salle de la Société de Géographie, avec le concours des chanteurs de Saint-Gervais et de plusieurs artistes de la Comédie-Française, de l'Odéon et du Vaude\ille. Ce jour-là. M. Chantavoine fit une conférence en vers ^ : on lut plusieurs des pièces s'exprimait l'admiration de nos modernes sonnettistes : on exécuta pour la première fois le sonnet du « petit Lire » mis en musique par un compositeur angevin. M. Jules Bordier \

De cet ensemble de sonnets, consacrés à la gloire de Joachim comme un nouveau tombeau, je veux au moins citer celui que sculpta d'un art si parfait M. de Heredia. La fraî-

' Tous ces sonnets-hommages ont été recueillis dans l'édit. L. Séclié, p. 225-249.

- Édit. L. Séché, p. 218-224.

' On trouvera celte composition à la fin de l'édit. L. Séché

O08 JOACHIM DU BELLAY

chcur de l'inspiration, la grâce des détails, l'impeccable pureté de la forme, font oublier facilement quelques libertés prises avec l'histoire :

Accoudée au balcon d'où l'on voit le chemin Qui va des bords de Loire aux rives d'Italie, Sous un pâle rameau d'olive son front plie : Lii violette en fleur se fanera demain.

La viole, que frôle encor sa frêle main.

Charme sa solitude et sa mélancolie.

Et son rêve s'envole à celui qui l'oublie

En foulant la poussière gît l'orgueil romain.

De celle qu'il nommait sa douceur angevine

Sur la corde vibrante erre l'âme divine.

Quand l'angoisse d'amour étreint son cœur troublé.

Et sa voix livre aux vents qui l'emportent loin d'elle

Et le caresseront peut-être, l'infidèle,

Cette chanson qu'il fit pour un vanneur de blé.

C'est M. de Heredia, le sonnettiste incomparable, en qui revit quelque chose de la Pléiade, que l'Académie Française chargea de la représenter aux fêtes d'Ancenis, le 2 septembre 1894. le joui- l'on inaugura la statue si vivante due au sculpteur Léofanti '. 11 était accompagné de M. Brunetière, que l'Académie avait délégué pour rendre hommage au fondateur de la cri- tique , et cjui prononça dans la circonstance un magistral discours. Deux ou trois mois auparavant . avait paru la fine et délicate étude de M. Faguet '\ Décidément, cette année-là, Joachim du Bellav avait tous les bonheurs.

' Pour le récit (lélaillt- ilo ces fêles, v. la Rev . des Prov . de l'Ouest, de sept. 1894, t. XIV. On y trouvera reproduits, avec les discours prononcés, tous les articles de presse dont ces fêtes furent l'occasion. Te dois signaler dans le nombre ceux de M. A. Le Braz {Débats du 20 aofit), p. 8, et de M. G. Deschamps {Temps du 2 sept.), p. 15.

- Seizième siècle. Paris, Lecène et Oudin, 1894, p. 289-32i,

DU BELLAY DEVANT l'oFINION 509

Depuis 1894, l'Association Bretonne-Arij^ovine, que préside M. Séché, a pris du Bellay pour patron ', et chaque année, le 20 mars, le jour de la Saiut-Joaohini. un banquet réunit les lidèles de la petite éylise '. Culte touchant, mais qui serait peut-être un peu étroit, si. en même temps qu'au chan- teur du terroir angevin, il ne s'adressait à l'un des poètes qui font le plus d'honneur à la vieille France !

' V. ses statuts clans la Rev. des Prov. de l'Ouest, t. XIV, p. 213. - Pour le compte-rendu de la première Saint-Joachim, v. la Hev. des Prov. de l'Ouest, t. XV, p. 192.

CONCLUSION

L'HOMME ET LE POÈTE

Et maintenant que nous avons vécu si longtemps avec du Bellay, quelle impression garderons-nous de sa personne ? quel jugement porterons-nous sur ses idées et sur son œuvre?

Un portrait ' nous le représente avec une figure mince, longue et fine, des yeux doux et tristes, un léger pli d'ironie aux lèvres. Et c'est bien ainsi qu'on se l'imagine, lorsqu'on connaît un peu sa vie et qu'on sort de lire son œuvre.

Il était, nous dit-il, tendre de sa nature ^ Son cœur avait besoin d'aimer. Et de fait, il aima beaucoup, mettant dans l'amitié je ne sais quoi de caressant, presque de féminin. Il fut aussi beaucoup aimé, ce qui fait son éloge. Peu d'hommes au xvi« siècle ont compté plus d'amis , et de plus sincères , et de plus dévoués. A Rome, Olivier de Magny, qui l'avait reconnu « parfait amy d'espreuve ». exprimait la pensée de tous, en écrivant ces jolis vers :

Si je dy, Du Bellay, que je t'ayme bien fort, Tu le crois si tu l'ois, et chacun le doit croire, Car ton sçavoir prisé, ton mérite et ta gloire Font que cil cpii ne t'ayme à soy mesme fait tort ^

* Cabinet des Estampes, N a 27 (pi. 5). Reproduit par M. de Nolhac, Lettres de J. du Bellay, p. 13. M. Boucliot estime que c'est un croquis d'après nature, fait par un élève de Jean Cousin.

- Regrets, s. 40.

' Souspirs, s. 142.

0l2 JOACHIM DU BELLAY

Personne assurément n'était pressé de se faire tort à soi-même. Quand il mourut, tous ses intimes eurent la sensation qu'on leur arrachait un peu de leur ànie *.

Un de ceux qui l'avaient approché de plus près et qui l'avaient le mieux connu, Guillaume Aubert, traçait de lui ce beau portrait :

Du Bellay envers tous se monstra droiturier, Preudhomme, craignant Dieu, sage, discret, entier, Non ingrat du plaisir, de conscience bonne, Profitant à chacun, et n'olTensant personne, Bening, libéral, hundîle, et doux à ses amis, Et constant à tenir ce qu'il avoit promis *.

L'hommage est des plus flatteurs , et même en supposant qu'Aubert ait un peu passé la mesure, son portrait dans l'ensemble doit être véridique : car il est confirmé par le témoignage des autres amis du poète '\

Un point sur lequel ils ont insisté dans leurs épitaphes el dans leurs tombeaux, c'est que du Bellay n'était pas méchant, et que ses vers étaient exempts de fiel :

' Lettre d'Aubert à Morel, 3 janvier 1560 : « Celle manière de regret que chascun a pour la perte d'un homme docte, est bien petite à la comparaison des mortelles angoisses que soufl'rent ceux, lesquels outre la plainte com- mune des lettres, endurent encores leurs passions privées pour avoir perdu un Jerme et constant amj-, que la bonté du naturel, l'amour de la vertu, l'affection des sciences, et le plaisir de la conversation leur avoyent conjoint, avec telle reseniblance de meurs, d'affections et d'esprits, qu'il n'estoit possible les séparer, sinon avecques mesme douleur que le corps se sépare de son ame. »

- Elégie sur le trespas de M. loachim du Bellay (1360). Cf. cet autre portrait du même Aubert dans VEpistrc au lioy (1568) : « Je puis asseurer du dcfuiict Sieur du Bellay, que ceux qui l'ont cognu, l'ont trouvé prompt et aigu en inventions, discret et modeste en paroles, subtil en ses discours, doux en sa conversation, prévoyant es choses soubsonneuses, ouvert en celles qui estoicnt asseurées, juste et entier en ses promesses, et au surplus tousjours garny d'un si bon nombre de considérations, qu'il estoil autant ditlicile aux mauvais de le tromper, comme aux bons chose facile de s'en ayder. » (Marty-Laveaux, Appendice tle la Notice, \}. xxxvm-xxxix).

* Cf. notamment P. de Paschal, dans son Épitaphe : . . . Viro singulari, bonitate atque modestia ottima et apectatiss . fide praedito . . . (Marty-Laveaux, Appendice de lu Pléiade, II, 385).

CONCLUSION 013

Nil ca l'cllis lialx'iit, iiocui niliil illa vciu'iii : Abstincl a saiibus candida Musa ui^ris . . .

écrit Charles Uteiihove ; et Camille de Morel lait dire à son père, en parlant du poète :

Non is niordaci distrinxit carminé quemquam, Illius haud quicquam carmina fellis habent.

Évidemment, ils ont eu peur que son talent de satirique ne lui fît tort auprès de la postérité, qu'on jugeât de son cœur par son esprit, et qu'on le crût haineux parce qu'il était mordant et caustique.

Haineux, non sans doute il ne l'était pas ; mais il était prompt à s'aigrir, et. lorsqu'il croyait avoir à se plaindre d'un manquement à son égard, il se piquait au vif et ne ménageait pas à qui l'avait blessé les railleries et les sar- casmes. Louis Le Roy l'éprouva durement, lui qui, poui" quelques médisances, s'attira de l'auteur des Regrets quelques virulentes répliques '. Du Bellay sur ce point avait ses idées faites : il n'attaquait pas le premier, mais il ripostait à l'attaque :

Laedere nec volui quenquam, nisi laeserit ille : Laedere qui laesit, fas reor esse mihi '.

Cela n'empêchait point d'ailleurs qu'il ne pardonnât à ses adversaires, lorsqu'il avait obtenu d'eux satisfaction, ou qu'il ne fit les premiers pas. quand il avait conscience d'avoir, dans la querelle, outrepassé les bornes. Il se réconcilia, et très sincèrement, avec Le Roy, qu'il avait traité dès l'abord de pédant et d'envieux. Cet irascible ignorait la rancune.

' Regrets, s. 65-70. Pour l'histoire de cette querelle, je renvoie le lecteur à la thèse de M. Becker, Lojs Le Roy {Ludovicus Regius) de Coutances, p. 18-2i. (Paris, Lecène et Oudin, 18913, in-8' ). L'affaire y est traitée complète- ment.

- ELésie à Mord.

Univ. de Lille. Tome VIII A. 33.

514 JOACHIM DU BELLAY

Ses impatiences et ses colères n'avaient pas seulement pour cause son humeur très impressionnable, son aptitude à ressentir très vivement, trop vivement même, pour tout dire en un mot, T excès de sa nervosité. Elles venaient aussi de son orgueil de gentilhomme : il était, je l'ai dit. chatouil- leux sur le point d'honneur. Du gentilhomme il avait tout : la noblesse de sentiments, une certaine abnégation, le goût très vif de 1" indépendance, la conscience de sa valeur, et jusqu'à la fierté quelque peu dédaigneuse :

Je ne sçay comme il fault entretenir son maistre, Comme il fault courtiser, et moins quel il fault estre Pour vivre entre les grands, comme on vit aujourd'huy.

Jhonuorc tout le monde, et ne fasche personne : Qui me donne un salut, quatre je luy en donne : Qui ne fait cas de moy, je ne fais cas de luy '.

Pourtant, telle était sa nature, ondoyante et diverse, bizar- rement contradictoire, qu'il n'était pas absolument ce qu'il disait et croyait être. On aurait de son caractère une idée trop avantageuse, si l'on s'en fiait uniquement à certains sonnets des Regrets ^ à certaines déclarations de Y Elégie à Morel ^ La réalité dément ce portrait par trop idéal, et nous savons par l'histoire de sa vie que le fier gentilhomme ne méprisa point autant qu'il s'en vante le service des grands seigneurs, les bienfaits de la Goui' et les faveurs de la fortune.

De ces contradictions, il fut le premier à souffrir : car il sentit la distance qui sépare l'idéal du réel, et s'il eut le chagrin des [pénibles épreuves et des fatales déceptions

' Regrets, s. 74.

^ Regrets, s. 39, 46, 74, 144, 182.

' V. tout le développement :

Sic vixi, coluique Deos homincsque iidemque ...

CONCLUSION 515

qu'apporte rexislciue. il l'ul aussi, non nii>ins [jrolund, le chagrin du rêve iiitérieur qui n«* se li'aduil pas en actes, et (les beaux principes de conduite morale qu'on est impuissant à mettre en pratique. De cette mélancolie, qui lui donne une place à part entre les hommes de son siècle. Dans le groupe de ses amis, graves parlbis, souvent joyeux, du Bellay apparaît comme un attristé. Spes et furtuna valete ! Cette parole de désespoir qui tombait de sa bouche trois mois avant sa mort, dut monter à ses lèvres en mainte circon- stance. La vie pour lui n'avait pas été douce : une eni'ance solitaire et sevrée d'affection ; une santé toujours chctive ; une maladie de deux ans ; lînalement . la surdité ; l'exil à Rome, bien loin de tout ce qu'il aimait ; au retour, de fâcheux démêlés de famille : des illusions évanouies et des rêves déçus : n'y avait-il pas de quoi porter à da mélan- colie une âme de poète délicate et sensible ?

Parlerai-je de ses croyances ? Politiquement, il avait adopté sur la tin de ses jours les vues de son ami Michel de L'Hospital. Il rêvait d'une monarchie les quatre étatu vivraient dans une harmonie constante et parfaite sous le gouvernement du prince, et qui se ferait une obligation d'aimer et de favoriser les lettres et les arts.

En religion, il était catholique et n'eut pas un instant l'idée de changer de credo :

Je ne doutay jamais des poincts de nostre foy,

s'écriait-il dans un sonnet ' ; et ses bons cousins de Paris l'ayant . à propos des Regrets . menacé de l'Inquisition , il écrivait au cardinal qu'il n en avait pas peur : « Je n'ay vescu jusques icy en telle ignorence que je n'entende les points de nostre foy , et prye Dieu qu'il ne me laisse pas tant vivre (jue de penser seullement (non qu'escrire) chose qui soit contre

Regrets, s. 43.

516 .lOACHIM DU BELLAY

son honneiu' et de son Eglise '. )) Comme Ronsard, il détestait les calvinistes. A son retour de Rome, il avait traversé Genève, qui lui parut aussi vicieuse qu'austère, et dont il fit un por- trait peu flatté ^ Un protestant lui ayant répondu par un sonnet, il l'accusait de mensonge, d'idolâtrie et d'athéisme, du Bellay répliqua par cinq autres sonnets non moins agressifs et non moins violents \ Mais, sil était résolument hostile à l'hérésie, il n'apparaît pas qu'il fût très ponctuel à mettre un rigoureux accord entre ses croyances et ses actes. Il pratiquait, comme tant d'autres à cette époque, ce catholicisme indulgent et facile, qui s'accommode sans scrupules des joies païennes de la vie et des plaisirs épicuriens \ Aussi les pièces d'inspira- tion religieuse sont-elles rares dans son œuvre '".

C'est qu'au fond il était avant tout humaniste. Il s'était fait une Ame antique. A force de vivre avec les anciens, il avait insensiblement épousé leurs idées, et presque leurs croyances. Il côtoyait le paganisme. C'est de qu'il faut Ijai'lir. <i l'on veut comprendre et juger son œuvre.

Du Hellay fut, avec Ronsard, l'apôtre de l'imitation des anciens, qu'il posa d'ahord en principe et pratiqua diligemment dans ses premiers éci-its. Par même, il est avec lui le fondateur du classicisme.

Je ne veux nullement discuter le principe et rouvrir un débat depuis longtemps fermé. C'est à mes yeux un fait

' Lettres, p. .JO.

* Regrets, s. 136.

=> Marly-Lavcaux, 11, 239-262.

* Cf. à ce sujet l'élrange préface de Liseux à son édition des Jeux Rus- tiques. Il salue du Bellay du nom de « catholique Ubéraln.

■• Olive, s. 107-111; un sonnet Du jour de JVoël (I, 284); deux Hymnes chrestiens (1, :32:; et 11, lo) ; la Monomachie de David et de Goliath. (Il, 20); la Lj^re chrestienne (11, 30).

CONCLUSION ol7

acquis que l'imitation des anciens, substituée par la Renais- sance, si l'on peut ainsi dire, au néant de l'âge antérieur, fut alors un réel bienfait ; et j'absous la Pléiade du reproche qu'on lui adresse quelquefois d'avoir ramené chez nous les Muses des sommets de l'Olympe. Mais ce que je tiens à noter, c'est que Joachim du Bellay, à l'origine si convaincu, nionli'a dans l'application du })rincipe de singulières fluctuations et d'étranges inconséquences. On ne saurait trop insister sur cette tendance à se contredire, qui demeure un des traits les plus curieux de sa physionomie. Il n'eut jamais souci de la logique dans les idées, et l'on peut signaler chez lui des variations intellectuelles, ([ui font pondant aux contradictions de sa vie morale. Admirateur déterminé des langues anciennes, il regrette le temps qu'on passe à les apprendre et l'obstacle qu'elles constituent aux progrès de la philosophie et des sciences. II proclame la poésie le plus divin des arts, et la sacrifie de gaieté de cœur aux grands emplois, plus honorifiques ou plus lucratifs. Il affecte superbement le mépris de la foule et le dédain des grands, et c'est lui qui fait cet aveu :

L'honneur nourrit les arts, et la Muse demande Le théâtre du peuple, et la faveur des Roys '.

Il tourne en dérision les faiseurs de romans, et loue Her- beray des Essars de nous avoir ouvert le riche trésor à'Amadis. Il marche d'abord avec dévotion sur les pas de Pétrarque, pour célébrer la chaste Olive : puis il chante la palinodie et bafoue les amours idéales. Il interdit formelle- ment la traduction d'auteurs anciens, et surtout de poètes ; et lui-même, il traduit deux chants de Y Enéide. Il proscrit à bon droit, comme une atteinte à la langue maternelle, le culte des vers latins : et ce culte qu'il rejetait, il y vient à son

' Regrets, s. 7. Cf. Poemata 13 v :

Carmina principil)iis gaudent, plausuque theatri, Quique placet.paucis, displicet ipse sibi.

318 JOACHIM DL" BFILLAY

tour, et pour ne phis le délaisser. Enfin, il préconise la poésie artificielle et savante, et personne dans la Pléiade n'a composé des poésies plus naturelles et plus faciles.

Du Bellay s'est donc souvent contredit. Mais pourquoi s'en ytlaindre. si bien lui prit d'être infidèle aux principes litté- raires qu'il avait tout d'abord posés ? Or, on ne saurait nier que la dernière, et la plus hardie à coup sûr, de ses contra- dictions n'ait été pour sa gloire singulièrement heureuse. S'il se fût traîné constamment dans l'imitation pédantesque des Italiens et des anciens, n'en doutons pas. malgré ï Olive, malgré les Odes, il serait aujourd'hui confondu dans la foule innombrable des auteurs qu'on dédaigne. Mais, après avoir quelque t(;raps pâli sur de savants plagiats, il sentit vague- ment qu'il se trompait de route, et que c'était une chimère d'être ancien en français. Dès lors, il fit deux parts : il fut ancien en vers latins, et en français resta lui-même.

Certes, on peut le blâmer de ce culte fervent pour la Muse latine, et se demander si l'exemple rétrograde donné par celui-là iiièine (|ui s'était fait le défenseur de la langue nationale, n'a pas été plus funeste qu'on ne croit au dévelop- pement de la poésie française. Mais pour être juste, on recon- naîti'a cju'à l'humaniste que du Bellay portait en soi. il fallait un dérivatif : il est heureux qu'il l'ait trouvé de ce côté.

Ses vers latins sont oubliés. Qui les lit aujourd'hui ? Pourtant, ils ont du charme, une grâce ingénieuse qui rappelle l'enjouement de Catulle et la facilité d'Ovide. Mais, sauf les Amour fi de FausUne. brûle encore l'étincelle, c'est une cendre morte que remuent seuls les érudits et les bibliophiles.

Sou o'uvre française est très inégale, et ses premières poésies sont bien inférieures aux dernières. Toutes néanmoins ont de l'intérêt, et c'est par leur ensemble que du Bellay, placé très haut dans l'opinion de ses contemporains, s'est imposé à l'attention de la postérité.

CONCLUSION 519

Poète amoureux, il n'a pas eu. dans l'expression de son amour, d'accents sincères, parce qu'il n'aimait pas vraiment. Aux élans du cd'ur se sont sui^stituées les mièvreries du pétrarquisme ; au langage de la passion, une phraséologie conventionnelle. Un des premiers pourtant, il a traduit le sentiment de religieuse adoration que fait naître dans l'âme la beauté de la femme, et bien rendu les mystiques aspi- rations d'un cœur épris d'idéal, qui place en T'êve dans un monde éternel l'accomplissement des désirs que le séjour terrestre est impuissant à satisfaire.

Poète lyrique, il a trop imité, surtout au début. S'il s'est abstenu de Pindare, et c'était sagesse, il a fré- quenté un peu trop Horace, et le poète lyrique ne devrait fréquenter que lui-même. Il a manqué de souffle et de vigueur, et ses odes, comparées à celles de Ronsard, ont quelque chose de grêle et de fluet. Une ou deux fois pourtant, le sujet l'a bien inspiré : c'est ainsi, par exemple, qu'il a redit en beaux accents les angoisses de la désespé- rance, le saint enthousiasme de la gloire, la grandem' de la poésie.

Poète antiquaire, il eut, le premier des modernes, le sen- timent des ruines. Il médita sur les vestiges de Rome : il évoqua de leurs tombeaux les « pâles esprits )) et les (( ombres poudreuses » , et traduisit ses émotions en quelques sonnets que traverse le frisson mystérieux du passé.

Poète rustique, il a su peindre la nature, et surtout la nature angevine, d'une touche délicate ; et ses tableaux cham- pêtres, très simples, très sobres, d'une grâce un peu nvn\ ont le charme particulier des choses d'où s'exhale un [)arfum de terroir .

Poète personnel par-dessus tout, et d'une façon intense, il s'est mis tout entier dans son œuvre, nous laissant voir jus- qu'au fond de lui-même. Et combien ce fond était riche ! On

320 JOACHIM DU BELLAY

l'a dit justement, dans une heureuse formule : « Son âme fut d'un élégiaque, son esprit d'un satirique *. » L'élégie, c'est-à-dire la face austère et sombre de la vie. les tris- tesses, les chagrins, les désespoirs, les soupirs et les larmes ; la satire, c'est-à-dire sa face plaisante et comique, et par- fois grotesquement ridicule, les gaietés, les moqueries, le rire sous toutes ses formes, depuis le simple badinage jus- qu'au sarcasme amer ; tout cela fut en du Bellay, s'unit en lui par une de ces alliances aussi rares qu'originales. Et tout cela s'est incarné dans les Regrets, ce livre étrange, peut-être unique en son espèce, les épanchements du cœur, les plaintes douloureuses, les rêveries mélancoliques, les longs appels à la patrie absente, les pleurs sur le foyer perdu, les fines peintures de moeurs, les descriptions humoristiques et les impressions de voyage, se rencontrent et s'associent dans un pêle-mêle piquant, inattendu, mais qui n'a rien d'incohérent, parce qu'une chose en fait l'unité : la veine continue de poésie intime. Qu'il chante, qu'il pleure, qu'il raille, c'est toujours du Bellay qui se révèle à nous, qui nous livre tous ses secrets, qui nous ouvre son âme entière. Véritable petit chef- d'œuvre d'analyse psychologique et d'observation morale, les Regrets sont chez nous le premier spécimen, et non le moins heureux, de la poésie vécue, sincèrement, largement personnelle.

La forme n'est pas indigne du fond. C'est un charme, en effet, que cette langue aisée, coulante, admirable de naturel, et qui répond si bien à ces « intimités » . Déjà, les contempo- rains (lu poète avaient été saisis de cet aspect particulier de son talent, et du Bellay s'excusait à Ronsard des éloges que lui valait un tel mérite :

» A. Le Braz, Débats du 20 août 1894.

CONCLUSION 521

Au reste, quoy que coulx, qui trop luo favorisent, Au pair de tes chansons les miennes aulliorisenl. Disant, comme tu sçais, pour me mettre en avant. Que l'un est plus facile, et l'autre plus sravant. Si ma facilité semble avoir quelque grâce, Si ne suis-je pourtant enflé de telle audace. De la contre-peser avec ta gravité, Qui sçait à la doulceur mesler l'utilité '.

Du Bellay se montrait modeste, et il avait raison : mais les contemporains n'avaient pas tort de louer sa « facilité » ■. C'était vraiment un don très rare pour l'époque. Quel contraste avec le style si laborieux des écrivains d'alors ! Ronsard lui-même n'a que par exception de ces vers « doux -coulants » dont Joachim a le secret.

Et qu'on ne croie pas que ce naturel soit dénué d'art. Car c'est un art, de parler une langue souple et riche. colorée, pittoresque, fortement savoureuse. Et c'est un art aussi, d'exprimer tout un état d'àme, de peindre tout un tableau de mœurs dans l'espace exigu d'un sonnet. (( Le sonnet, écrit un des maîtres du genre ', par la solide élégance de sa structure et par sa beauté mystique et mathématique, est sans contredit le phis parfait des poèmes à forme fixe. Elliptique et concis, d'une composition logiquement déduite,

' Hymne de la Surdité (II, 400).

- Les témoignages ne manquent point. Ilémy Belleau s'écrie dans son Chant pastoral :

Ainsi, Pasteurs, cueillez et recueillez encor' Le reste de l'orage et le riche thresor De ses vers doux-coulants, qui vivront d'âge en âge. Le capitaine Lasphrise écrit :

Je prise de Bellay la grand* facilité

Qui si sçavamment fliie en parfaite harmonie . . .

(Cité par CoUetet, copie mscr., 54 r"). Cf. Régnier, dans sa Satire IX contre Malherbe :

Des Portes n'est pas net, du Bellay trop facile. ^ M. de Heredia, dans son Discours du i septembre 1894.

o22 JOACHIM DU BELLAY

il exige du poète, dans le choix du peu de mots doit se concentrer l'idée, des rimes difficiles et précieuses, un goût très sûr. une singulière maîtrise. » Et qui donc s'est montré plus habile, dans le maniement de ce petit poème, que l'auteur des Regrets et des Antiquitez de Rome ? Après l'avoir créé, si l'on appelle créateur celui qui donne à quelque chose une vie définitive, il l'a graduellement élargi, le rendant capable d'exprimer non -seulement les passions amoureuses, mais la totalité des émotions humaines. Dans cette forme si restreinte, mais qu'il a faite artistement toute peinture et toute musique, il a fait tenir l'àme entière.

Voilà pourquoi de notre temps, auprès des poètes, auprès des critiques, auprès de tous ceux qui lisent des vers, Joachim du Bellay jouit d'une si grande faveur. On aime en lui le chantre naturel des sentiments intimes et l'artiste sonneur de sonnets. J'en sais plus d un ([ui le préfère même à Ronsard. Ce n'est pas à moi de blâmer ce goût, et les raisons ne manquent point, qu'on peut donner de cette préférence accordée au poète angevin : « Moins grand, plus faible et plus délicat que Ronsard, écrit M. Brunetière, il a quelque chose de plus pénétrant, et, je le dirai, quoique l'on ait bien abusé du mot, quelque chose de plus moderne. Peut-être a-t-il aussi plus d'élévation naturelle ; et la mélodie de sa plainte, pour être soutenue d'une orches- tration moins diverse et moins riche, n'en est que plus touchante '. »

Quant à moi. je croirais être injuste pour Ronsard, en l'immolant à mon auteur. Mais il m'en coiiterait aussi de lui sacrifier du Bellay. Et vitiila tu dignus et hic. Au surplus, à quoi bon les opposer l'un à l'autre, comme des frères

' Revue des Deux-Mondes, i" décembre 1892, p. 66S : article sur la réforme de Malherbe.

CONCLUSION 52;î

ennemis, eux qui se sont toujours si bien entendus, si bien entr'aimés ? Leur ardeur fui épaule et louis cllorls communs. Et la récompense est la même. Créaleui-s inspirés de la modei'ue poésie, ils Irùuenl fraternellement aux somniets radieux de lumière, et pour tous deux s'est accompli le souhait héroïque qu'ils formaient d'un cœur lier, au ni(»ment de se mettre en route : (( Espère le fruict de ton l;d)eur de l'incorruptible et non envieuse Postérité : c'est la Gloire, seule échelle par les degrez de la quele les mortelz d'un pié léger montent au Ciel, et se font compaignons des Dieux '. »

Deffence, p. 12ij.

INDEX

Accords (Tabouret des), v. Tabourot.

AcKERMANN (Paul),504.

AiGALiERS (Pierre de Laudun d), v.

Laudun. Alamanni (Luigi), Go, 138, 342. Albe (duc d'), lieutenant- général de

Philippe II et vice-roi de Naples,

331, 334, 387. Albret (Jeanne d"), v. Jeanne d'Albret. Alexis (Guillaume), 156. Allard (Guy), 390. Alsinois (comte d'j, v. Denisot. Amadis de Gaule, 69, 248, 264-266, 317. Amboise (Michel d), T6, 123, 133. Ampère (J.-J.), 294. Amtot (Jacques), 229, 480. Anacréon, 49, 410. Ancenis (Pierre d'), ancêtre de Joachim,

18. .\ndré (Héliej, 488. Aneau (Barthélémy), auteur du Quintil

Uoratian, 67, 77, 105, 123, 151-138,

160-161, 163,414. Angelier (.Arnoul et Charles 1'), v.

L'Angelier. Angennes (Charles d'), évèque du Mans,

433. Angoulème (Diane d'), v. Diane d'An-

GOULÊME.

Anne de Bretagne, reine de France,

70. Anthologie grecque, 403, 411. Antoine de Bourbon, roi de Navarre,

245. Apollodore, 343.

Apollonios de Rhodes, 55.

.\ragon (Catherine d'), v. Catherine

d'Aragon. Aratos, 55. Arétin (1'). 376, 401. Arioste (1'), 64, 69, 132, 148, 174, 176,

342, 369. Aristophane, 35, 67, 118. .\ristote, 54, 274, 405, 419, 473. .\rmagnac (cardinal d"), 277, 310, 315,

316, 317, 319, 349, 416. Artémidore, 56. AscAiGNE, Ganymède du cardinal Carlo

Caratia, 361. Aubert (Guillaume , 17, 28, 199, 254,-

361, 413, 414, 443, 446, 460, 477, 48S,

489-490, 498, 506, 312. Augustin (Saint), 36. AUNAY (Charles d'), sieur de Villeneuve-

la-Guyard, 481. Ausone, 232. Autelz (Guillaume des), 76-77, 147-131,

162, 163, 194, 283-284. AvANSON (Jean de Saint-Marcel, sei- gneur d'i, ambassadeur de France à

Rome, 313 321, 323, 347, 348, 351,

356, 447.

B

BaIf (Jean- Antoine de), 26, 29, 39-40, 42 96, 178, 194, 208, 243-244, 2:10, 293, 296, 329, 340, ,330, 354, 389, 391, 400, 405, 406, 411, 417, 488, 494.

Baïf (Lazare de), 39, 45, 31, 34, 83, 118, 163.

Baillet (Adrien), 12, 500.

m\

JOACHl.M DL" BKLLAY

BAiu.E("L(Louis),ami de Joachim, 287,319. Ballu (Camille), \'>, li, l(i, 19, 32, 38, 177, 281, 383,481, 482,483, 490, j07. Bandello, conteur italien, 375. Bakbin (Claude), imprimeur parisien,

:')00.

Baret (Eugène), 264.

Barome (F. de la), v. La Baronie,

Bartas (Salluste du), 497.

bayle, 314, :m.

Beaumont (Catherine de), aïeule pa- ternelle de Joachim, 16.

Beaumont (duc do), plus lard Henri IV. 4413.

Beauregard, V. Duthier.

Beauv.\is (trésorier de), v. Thoi (Nico- las de).

Becker (Henri), 513.

Becq de Fouquiéres, 89, 263, 373. 506.

Béda (Noël), 272.

Belges (Jean Lemaire de), v. Lemaire.

Bellay (famille du), 14-17.

Bellay (Catherine du), sœur de Joa- chim, 17, 2i6, 483.

Bellay (Claude du), seigneur de Gon- nord, neveu et pupille de Joachim, 21, 246-248.

Bellay (Eustache du), seigneur de Gi- zeux, aïeul paternel de Joachim,

15, 16, 27.

Bellay (Eustache du), évèquede Paris, 177, 454, 455, 456, 457,459-473,475, 481.

Bellay (Guillaume du), seigneur de Langey, frère aîné du cardinal, 15,

16, 24-25, 31, 35, .38, 64, 261, 272, 276, 282.

Bellay (Hugues III du), chevalier, seigneur des Brosses d'AUonnes (xm' siècle), 15.

BELLAYiJacques du), baron deThouarcé, frère de l'évèque de Paris, 460, 466- 47(J.

Bellay (Jean IV du), arrière-grand père lii' Joachim, lii.

Bellay (Jean du), cardinal-évéque, 6. 15. 16, 24-26. 31, 35. 95, 97-98, lO."), 225,261, 271-284, 300-335, 336-:i4l, 344 346, 349, 358, 375, :«6, 394, 4;)3- 473, 475, 481-482, ."Il 5.

Bellay (Jean du), seigneur de Gonnord,

père de Joachim, 16-17, 20, 21. Bellay (Joachim du), v. Table des Matières.

Bellay (Louis du), seigneur de Laogey, grand- oncle de Joachim, 15.

Bellay (Louis du), chanoine et archi- diacre de Paris, 482.

Bellay (Louise du), sœur du cardinal et femme de Charles d'Aunay, 481.

Bellay (Marie du), fille de Martin du Bellay et nièce du cardinal, 466.

Bellay (Martin du), frère cadet du car- dinal, 15-16, 466.

Bellay (Martin du), diacre de Notre- Dame de Poitiers. 27.

Bellay (Bené du), abbé de Notre-Dame de Poitiers, 27.

Bellay (René du), frère cadet du car- dinal, évèque du Mans, 15, 16, 32, 36, 38, 272.

Bellay (René du), seigneur de Gonnord, frère et tuteur de Joachim, 17, 21- 23, 26, 246-247.

Bellay (René du), baron de la Lande, fils de Jacques du Bellay et neveu de l'évéque de Paris, 466.

Belleau (Rémy), 48, 49, 82, 86, 177, 207, 333-334, 354, 338, 400, 405, 417, 476, 487-488, 521.

Belleforest, 50.

Bellessort (André). 37.

Belon (Pierre), 83-85,

Bembo, 31, 62, 64 66, 117-118, 174, 176, 2.30, 342, 407.

Beraud (Fr.), 239.

Bergier de Moxte.mbeuf (Bertrand), 28, 47-48, 82, 83, 209, 263-264, 402.

Berni, 342, 376, 403.

Bertrand (Jean), garde des sceaux, 447.

Berty (.VdolphC;, 42.

Besly, 17.

Bèze (Théodore de), 62, 105, 502.

BlDLE, 260.

BinoTHiKR (Claude), poète néo-latin, 105.

Bln ET (Claude), 12, 29, 37, 40, 46, 49. 50. 51 , 5:;, 59, 69, 72, 76, 81, 86, 87, 203, 498.

BizE (Claude de), clerc du diocèse d'.\ngors, chantre en l'église Notre- Dame d.' Paris, 480-481.

INDEX

527

BizET, ami de Joadiiin. 349. Blanchemain (Prospcr), i(j, 227, 4215. BoccACE, 34, 01, 64. G",m. 102, )17. 230. BoDiN (Jean), 23, 4SI.

BOILEAU, 109.

Bois-Dauphin (seif;neur du), 225. BoissAUD, antiquaire, lîOl, 313.

BONAMY, V. BUONAMICI.

Bo.NNEFON (Paul), 412, 41G, 4o9. BoNNivET, amiral de France. 301. BoRDiER (Jules), compositeur angevin,

507. Boucher (Etienne), ami de Joachim, 349. BoucHET (Jean), 27, 28, 57, 75, 107, 153. Bouchot, 511.

BouGUiER, poète français, 243. BouHiER (président), 454. Bouju (Jacques), 142, 105, 213, 231, 242,

354. 485. BouLAY (du), 43, 44. BouLMiER (Joseph), 30, 505. Bourbon (Antoine de), v. Antoine de

Bourbon. Bourbon (Nicolas), poète néo-latin, 105,

242. Bourciez (Edouard), 04. 09, 78, 174, 180,

188, 192, 204, 282, 422, 423, 428, 447. BouRDiGNÉ (Jean de), chroniqueur ange- vin. 13, 23. BouRSAULT (Guillonne). Gélonis, femme

de Salmon Macrin, 30-31, 238-241. Bragh I Pierre de), 200. Brantôme, 195, 228, 238, 310, 349, 410,

445. Breil (Christophe du), seigneur de la

Mauvoysinière, beau-frère de Joa- chim, 17, 200. Breil (René du), neveu de Joachim.

483. Breton (Claude), sieur de Villandry,

agent du roi de France à Rome, 337. Breton (le), v. Le Breton. Breul (P. du), antiquaire, 42. Brice (Germain), poète néo-latiu, 105. Brigade, nom primitif de la Pléiade, 48-

49. Brinon (Jean), sieur de Villennes et de

Medan, 83-85, 108, 140, 254. Brissac (maréchal de), gouverneur du

Piémont, 308.

Bhunet {Manuel du Libraire). [}0, 148,

490. BiiUNETiKHE ( Ferdinand). 1. 111, 508,522. Buunot (Ferdinand), 103, 107, 282, 440. BucHANAN (Georges), 105, 207, 295, 436. BuDÉ (Guillaume), 30, 44, 53, 02, 07, 70,

104, 118, 273. BuGNYON (Philibert), 440. Buisson, 282. BuoNAMici (Lazzaro), 2iHj. Buuckhardt (Jacob), 286, 370. BuTTET (Claude de), 194.

Caen (abbesse de), nièce du connétable

de Montmorency, 447. Callimaque, 55. Calmeilles (Charles), 76. Camilla di Pitiliano, courtisane ro- maine, 377. CAPEL(Ange), camarade de Joachim au

Collège de Coqueret, 48, 82. Capilupi (Lélio), poète néo-latin, 343,

345-340. Caracciol (Antoine), prince de Melphe,

évoque de Troyes, 210, 349-350. Caracciol (Jean), prince de Melphe,

maréchal de France, père du précé- dent, 349. Caraffa (les), 320-334, 375, 463. Caraffa. cardinal Théatin, plus tard

pap(^ sous le nom de Paul IV, 3U(3,

314, 317, 320. Caraffa (Carlo), cardinal, neveu du

précédent, 321, 322, 325, 329, 331,

.301. 375, 377. Carles (Lancelot), 40, 142, 165, 226, 228-

229, 245, 391, 424. Carnavalet, 46. Caro (Annibal), 342-343. Caron (Louis le), v. Le Caron. Carpi (cardinal), 321-322. Cassola, poète italien, 173. Castiglione (Baldassare), 295. Catherine d'Aragon, femme d'Henri

VIII, roi d'Angleterre, 272. Catherine de Médicis, reine de France,

2i->, 223. 225, 300, 349, 434, 444, 480,

487.

528

JOACHIM DU BELLAY

CATnoLinisME, 306-307, 318 310, 323-3:24,

411 -'1-42, 403. :i!;;-;;iG.

Catli.lk, 31, :iO, 02, 63, 77, 105, 137,

182, 300, 383, 398-400, 403. 407, 420,

494, 518. Celaya (Jean de), régent de philosophie

au Collège de Coqucret, 44. Cerceau lAndrouet du), 85. CÉSAR (Jules), 13, 34, 274. Cesari (Giovanni), 343. Chabot (Christophei, seigneur de la

Turmelicre et de Lire, aïeul maternel

de Joachim, 17. CuAiior (Renée), mère de Joachim, 17,

20, 2 L 27. CiiANTAVOiNE (Henri), 507. Chardon (Henri), 354, 356. Chahlemaune, 442 Charles VIII, roi de France, 16. Charles IX, roi de France, 17, 09, 88,

428. 490. Charles-Quint, 15. 272, 308-313, 32:)-

330. 407. 435. Charpentier (J.-P.I, 286. <1hartier (Alain), 156. Chasles (Philarèle), :'»it3. Chassaigne (la), courtisane romaine

377. Chastel (i'ierre du), évèque de Mâcon,

31. Chastellain (Georges!. 70.

ClIATEAUHRIANI), 2S6, 298, 31)1.

Chatillon (cardinal de), neveu du con-

nélablf de Montmorency. 225, 447. Cheneviére (Ad.), 77, 282. Chénier (André), 126, 231. Chesne (Léger du), 41 i, 427, 488.

V. Léoquerne. Chrestien (Florent), 416, 49.5-496. Christie (Copley), 165, 282. CiACONius, 314, 316, 318, 386. CiGÉRON, 34, 44, 52, 56, 60, 61, 88, 116,

117, 121, I2'i.. 134 140, 274,285, 425,

433, 480. CicÉRONiANisME, 61-62, 66, 104, 116-117. C.-L., auteur d'une notice sur Joachim

du Bellay, dans le Recueil de Crépet,

505. Clauuien, 77. Clédat, .301.

Clément VII, pape, 308, 3l3. Clé.me.nt (Louis). 412, 415. 418, 429, 496

(notes). Clinchamp, 33. Clouet (François), 87. Colet (Claude), 68. Colletet (Guillaume), 12, 19, 28, 177,

228, 243. 246, 260, 304, 358, 360, 379,

390, 457, 486. 494, 496. 498-499, 500,

521. CoLONNA (Giovanni), ami de Pétrarque,

286. CoLONNA (Pompeio), cardinal, 313-314. CoMBRAGLiA, banquier du cardinal du

Bellay, 455. CoMMYNEs (Philippe de), 67. Conrad (Olivier), poète néo-latin, KJo. Coquerel ou CoQUERET (Nicolas), fon- dateur du Collège de Coqueret, 42-43. CoQUERET (Collège dei, 39-40, 41-98,

principalement 42 49. Coquillart, 69. CosME DE Médicis. duc (le Florence, 310,

312, 33». Cour de France, 140-141, 164, 224-232,

264-266, 321, 418-422, 431-452. Cour de Rome. 323, 326, 331, 339, 373-

375, 463. Courbet (E.), 76, 315, 337, 347. Courtisanes romaines. 306, 375-377, 382,

400-401. CouRviLLE (Thibault del. musicien, 89. Cousin (Jean), 511. Crépet (Eugène), 505. Crétin (Guillaume), 70, 71. Crevier, 42. Critton (Georges), 53. Crosnier (abbé Ale.xis), 364. Cuignet (Pierre du), 406. CuJAS, 52.

D

Dagaut. ami de Joachim, 331, 349. Dallier (Lubin), avocat au Parlement,

premier mari d'Antoinette de Loy-

nes, 390. Dampierre (Jean), poète néo-lalin, 105. Dante. 34, 64-65. 230, 294, 296. David d'Angers. 504.

INDKX

529

Dejob (Charles), 2H, 29, iiOH.

Delahays (Adolpho). .'iOll.

Delohme (Philib(U't), 87, 27«. 4;iG.

De Mesmes, V. Mesmes.

Démosthène, 44, 54, 110, 117, 121, 124.

Denisot (Nicolas), comte d'Alsinois, 47, 57, 82, 84, 85-8H, 241-244, 354.

Denys d'Halicarnasse, 220.

Deschamps (Gaston), 508.

Des Essars (Herberay), v. Essars.

Des Masures (Louis), v. Masures.

Des Mireurs (Pierre), v. Mireurs.

Des Périers (Bonaventure), v. Périers.

Desportes (Philippe), .505, 521.

Dessaix, éditeur de Peletier, 33.

Dezeimeris (Reinhold), 200, 505.

Dune d'Angoulème, fille légitimée d'Henri II et femme d'Horace Far- nèse, 330.

Diane de Poitiers, duchesse de Valenti- nois, 87, 444.

DiDATo, banquier du cardinal du Bellay, 455.

DiLLiERS.ami de Joachim, 340, 349, 378.

DoLET (Etienne), 62, 67, 105. 107, 126, 165, 273, 505.

DoNAT (Claude), biographe de Virgile, 60.

DoRAT (Jean), 5, 6, 39-40. 42 96 (parti- culièrement 45-63), 105,165, 185, 209, 219, 228, 239, 242, 243-244, 261, 280, 287, 360, 361, 389, 391, 393-394, 486, 494, 500.

Dreux du Radier, v. Radier.

Du Bartas, v. Bartas.

Du Bellay, v. Bellay.

Du Boulay, v. Boulay.

Du Breil, v. Breil.

Du Breul (P.), V. Breul.

Du Chastel, v. Chastel.

Du Chesne (Léger), v. Chesne.

DUFAU-ROBIN, V. FaUZ,

Dugast (Robert), principal du Collège

de Coqueret, 43-45. Dugast (Simon), principal du Collège

de Coqueret, oncle du précédent, 43. Du Perron (cardinal), v. Perron. Dupré-Lasale, 213, 278, 390, 391. Du Radier (Dreux), v. Radier. DuRUY (George), 323, 325, 331, 332, 375,

387.

DuTHiKR (.Jean), seigneur ii(! Beaure- gard, conseiller du roi et secrétaire d'État. 27.5, 302, :!'.»5, /t47.

Du Verdiek, v. Verdiek.

E

Egger (Emile), 5{tô.

Egio (Benedetto), 343.

Elbeuf (René d'), protecteur de Rémy Belicau, 334.

Ennius, 425.

Épigure, 265.

Érasme. (^2. 390.

Eschyle, 44, 55, 57 .

Espexce (Claude d'), 481, 488.

Essars (Nicolas Herberay des), traduc- teur d'Amadis de Gaule, 69, 243, 263, 264-266, 517.

Estienne (Henri), 156, 415, 496.

EucLiDE, 274.

Euripide, 54, 146-147.

EusÈBE, 56, 274.

Faerno (Gabriel), 343.

F.AGUET (Emile), 22, 26, 27, 28, 55, 61,

69, 94, 104, 130, 162, 184, 193, 281,

298, 365, 374, 383, 385, 406. 409, 423,

442, 508. Falconet, 349. Farnèse (cardinal), 320, 330. Farnijse I Horace), duc de Castro, 3:30. Farnèse (Octave), duc de Parme, 302,

308, 330. Farnicse (Pierre Louis), duc de Parme

et de Plaisance, 330. Faustine, Romaine aimée de Joachim,

334-350, 361, 381-386, 398, 502, 518. Fauveau (Pierre), 30, 40. Fauz (Paschal Robin du), chroniqueur

angevin, 11-13. Favre (Jules), 76, 305, 315, 321, 347,

348, 405. Félibien, 42, 219, 221. Ferrare (cardinal de), 275, 316, 320. Florence (duc de), v. Cosme de Médicis. Fontaine (Charles), 57, 75, 108, 123, 151,

152, 153.

Univ. de Lille.

ToMB VIU A. 34.

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530

JOACHUl DU BELLAY

FOXTE-NMIF. 114, 3ÛÛ.

FoBâBT, secrétaire de Madame Margue- rite. 449.

bofi>'E£0>~, 377.

FoRQrrrACLX. 30±, 493.

FocâÈHES Gustave . iST.

FûrK>i£H Edouard), 413.

Fkacastor. poète néo-latin. 6±.

Frasçoe V. roi de France. 13. 30. 34, 54. l±t 164. ±S, 241. 572. 273. 274, 407. 4^, 438. 442, 451.

FiLLSçois II, roi-dauptiin. puis roi de France. 429, 434. 437, 439-443, 447, 489.

FHEsrr 1 Edouard), 40, 54, 89.

Fkessate lYanquelin de la>, v. Fres-

SATK.

FB06EB abbé L.l, 459, 472.

G

Gaixasd Pierre I. 406.

Gascbaba Lorenxo >. poète néo-latin,

343-345. Gasbah. o3, 35, 89. 217. Gakmeh (Oaudet, commentateur de

Ronsard, 82. Ga&xeeb iRobertI. 177. Gacchet Claude;, 30. GACTiEa iThé<^Mlei. 199. Gactais, r. Roi£A\s rBA>ÇAis. Gaza i Théodore i. 44. Gélone. nom poétique de Guillonne

Boursault, femme de Macrin, v.

BorRÎAtXT.

GiLBEBT Pierre), poète néo-latin, ami

de Joachim, 349. 400-401. Geîgcexé. 190. 296, 342, 344, 345, 375.

GODEAC, 3'J}.

GoDETBOT (Frédéric), 305-

GoHOR&T (Jacques , 68, 247. 248, 366.

349. GoszASCi; Femand de\ eouremeur du

Milanais. 3iJ8. GoBDKs, ami de Joachim. 19, SO. 377. GoujBT alibé>. 12, 33. 76, 147, 177, 248,

254, 281, 407, 437, 439-440, 4®, 300-

.50!. Ghétts Jacques). 194, 298-299, 330, 400,

476477, 4.89, 495, «6.

GcEHoci-T ^Guillaume^. poète français, 260.

GncHARDiN. 342.

GUTET. 177.

GriFFRET. 444.

GtTLLET (Remette du\ 131, 130.

GnsKS (lesi. 274, 446.

GciSE (Charles, cardinal de), puis car- dinal de Lorraine. 225. 275. 321, 322, 3£,349, 330. 375, 434, 439, 446. 487.

GcisK (François, duc de), 331, 333-334, 377. 437. 446.

H

Habebt (François/. 73. 108-109, 123, 132- 153.

Hakst (Antoine de), imprimeur lyon- nais, 506.

HACRiAC, 16. 33, ^, 272.

Hèbhœï: Léon . auteur de Dialoev^s sur l Amour. 192.

HkT.TF .A.>-DR£, t. .\>T)R£.

HixioDORE, 229.

Hfi.tfmsme, 33-34, 39-40, 44, 49, 51-52, 52 59, 91, 119-126. 146-147, 148-149, 154-136. 216-217. ^9, 318.

Hkkbi U. roi de France, 218-229, 245, 264. 274-279, 300, 302^ 308-313, 316- 318, 320-321. 3S-334, 344, 349, 351, 361, 375, 416, 42t-4^, 428, 429, 433- 434. 434-438. 444. 450-451. 460. 477, 499.

He-vri IY, roi de France, 445.

Hexri vni, roi d'Angleterre. 241. 272.

HERBERAT des EsSARS. V. ESSARS.

Heredia I Jose-Maria de), 1, 507-308, 521-

522. Hericaclt (Charles d'), 33. Heroét .A.ntoine , 76. 77, 78-SiJ, 91, 127,

12S, 142, 165, 174. 190. 191, 198,236.

229-230, 242, 424, 480. Hésiode, 57, 124, 3C6, 402. Heclhard (.\rthur). 272, 273. 275, 281,

282, 284, 301. 302, 309, 337. HoMÈRK. 44. 54, 57. 59, 76, 92, 113, 116.

117, 121. 132. 163, 187. 203, 229, 230,

^8. 402, 441. Horace, 31, 33, 36, 33, 59, 61, 62, 63, 80,

89, 91, 93, lœ, 107, 117, 130, 131. 133,

Il

LKDEX

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ISj. 138, 14i. 1*5, 151, 132, 138, 1T&, icG, iô, àJi à>v*lû, ±16, S5, *àS, ±30, 2i!, 240, â9j, âSô. ;)63 371, 419, 430, 4*6- 476. 4^1. iSfi, 51 y. HosprTAj. Michrl de 1 . v. L flosPiTAi-

HC3tk>"I=JCK, V. ClCEaOMAJTEMI, HeLLÉ-

HrsACT DE Li>^A 'Auger, ab!>r :=- Sainle-Croix, a Bordeaux, 47i-

HCBTBjOIKi A V. Li Hrï.TI-

u>ia£.

1

IexA(3 OB LoTOLà, 307. Imbkbt, 501-5(£.

]:«s<xx;cT icardinal Monte , piKiié^ de Jules m, 314-313, 37&^TT.

IâO<3U.TE- lâk

iTiLUASiâMi, 34-35, 63-43i5, iCOlÛl lâO. 14S-150, 136, 173-177. S*?. 3»i 371. 414-413.

±23. *fc, ^3, *i4. *

416, 457. if.», i.^ La. Fostmisl La. Faiss^n

173, 37^, 43J. 437. La. Ha TE Mackxi de .

Iro, 4îe. Lî. Hati Marie de . .-

dr La Eâve. S.', ^- La HaTï ' . :

sa, - .

La Hci

1>

La JOSQOÈKX

±75, 3Lè.

Li Va3C2E

—i-'-i^'» I>enis , il. ._ La. MoxsoTE, 176, ±44

r-- de , E2, ±73,

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Jauxot, 4±.

Jamttc ,.\mâdisj, *%.

Janîïet Pierre;, 305.

jEaXDBT Alwl), 170.

j£a>NE D .\lbket, reine de Xaraiie,

173. ±4-1,444-445. JoDELLS lËUennef, 4S, 49, 68, Sa, 194,

196,350. JoLT Clâude>, chanoine de TE^riise de

Paris, 440. JoNQCiÈaE t marquis de la>. t. La Jo>'-

QCIÈ&S.

JocBDAiN ^Charles-, 4±, 43.

JoTE i Paul», 313, 417.

Juifs II, pape, 307, 3^.

JcLES m. pape, ±7S, ±79, 3Û±, 3C*>-316,

31S, 330, 361. 37«. JcLLETUiE Petit de^, 14±, 373. JCTÈNAL, 39-60.

La Rabo.ms iF. de , pseudonyme de

Florent Ciirestien, 416, *â5-4bC La Brctè&s. Iât5. La Caoïx DV MaI-'JE, 33, 4S, SiS, 17\i, ±13,

LasâET G-

Pn^

La Nv;.. 5ie.±&k.

de , aiUCuSsdd-; ?"

3Û6-ol±. 316, -V

La PraCïE Jean de . ±b, ±s, i>jl

La RoTtaE Jer>>me de, evrque dr Toulon. 3^1, 46a

Laa&t>\îCE iTamixeT de*, t. Tajazcr.

LàâCA. (le , poète italien, 403.

lASt^BB (Jeans 30.

LasPfiKiSE (capitainei. 3±i.

La TtniF ^Jacques de), 4SU

La Tahix Je^n de., 43L»-

LaTA>', camarade de Ja- . " ^

de Coqueret, 4S, ï£L

LaTtM Ldtino . 34;>-^44.

LanxtsMS, ±S, à>-3±. 33-36. 39, 44, Si- Si 3&63. eWL 91. î^ilN. 119-l±6, !4>- 149, 154-156, ±31*, ±Si. ±3v-±3&. ±41- ±43. S±-±54, ±59^±tjl, ±67. ±!&-iA', ±â5-±*i, 31S, 343-346, d5!>-;iîl, ;SS3, 40fMd^ 47^480, 3Qâ. 517-ôlS.

%fè^^^>ik2s*

530

JOACHIM DU BKLF.AY

FONTENELLE, 114, oOU.

FoRGET, secrétaire de Madame Margue- rite, 449.

FoRNERON, 377.

FoRQUEVAULx, 30:i, 493. Fougères (Gustave), 281. FouRNiER (Edouard), 413. Fhacastor, poète néo-latin, <oi. F'rançois I", roi de France, 15, 30. 34,

54. 122, 164, 225, 241, 272, 273, 274,

407, 435, 4:}8, 442, 451. François II, roi-dauphin, puis roi de

France, 429, 434, 437, 439-443, 447,

489. Fremt (Edouard), 40, 54, 89. Fresnaye (Vauquelin de la), v. La Fres-

NATE.

Froger (abbé L.), 459, 472.

G

Galland (Pierre), 406.

Gambara (Lorenzo), poète néo-latin,

343-345. Ganuar, .53, 55, 89, 217. Garnier (Claude), commentateur de

Ronsard, 82. Garnier (Robert), 177. Gauchet (Claude), 50. Gautier (Théophile), 199. Gauvain, V. Romans français. Gaza (Théodore), 44. Géloms, nom poétique de Guillonne

Roursault, femme de Macrin, v.

BOURSAULT.

Gilbert (Pierre), poète néo-latin, ami

de .Joachim, 349, 400-401. Ginguené, 190, 296, 342, 344, 345, 375. Godeau, 500. GoDEKROT (Frédéric), 505. GoHORRT (Jacques), 68, 247, 248, 266,

349. GoNZAGUE (F^ernand de), gouverneur du

Milanais, 3(J8. GoBDEs, ami de Joachim, 19, 350, 377. Gourr (abbél. 12, 33, 76, 147, 177, 248,

254, 281, 407, 437, 439-440, 485, 500-

501. Grévin (Jacques), 194, 298-299, 330, 400,

476-477, 489, 495, 496.

GuÉRouLT (Guillaume), poète français, 260.

GUICHARDIN, 342.

GuiET, 177.

GUIFFREY, 444.

GuiLLET (Remette du), 131, 150.

Guises (les), 274, 446.

Guise (Charles, cardinal de), puis car- dinal de Lorraine, 225, 275, 321, 322, 325,349, 350, 375, 434, 439, 446, 487.

Guise (François, duc de), 331, 333-334, 377, 437, 446.

H

Habert (François), 75, 108-109, 123, 152- 153.

Harsy (Antoine de), imprimeur lyon- nais, 506.

Hauréau, 16, 33, 85, 272.

Hébrieu (Léon), auteur de Dialogues sur l'Amour, 192.

Hélie André, v. André.

Héliodore, 229.

Hellénisme, 33-34, 39-40, 44, 49, 51-52, 52 59, 91, 119-126, 146-147, 148-149, 154-156, 216-217, 259, 318.

Henri II, roi de France, 218-229, 245, 264, 274-279, 300, 302, 308-313, 316- 318, 320-321, 325-334, 344, 349, 351, 361, 375, 416, 424-425, 428, 429, 433- 434, 434-438, 444, 450-451, 460, 477, 499.

Henri IV, roi de France, 445.

Henri VIII, roi d'.\ngleterre, 241, 272.

Herberay des Essars, v. Essars.

Heredia (José-Maria de), 1, 507-508, 521- 522.

HÉRiCAULT (Charles d'), 33.

HÉROiiT (Antoine), 76, 77, 78-80, 91, 127, 128, 142, 165, 174, 190, 191, 198, 226, 229-230, 242, 424, 480. Hésiode, 57, 124, 205, 402. Heulhard (Arthur), 272, 273, 275, 281,

282, 284, 301, 302, 309, 337. Homère, 44. 54, 57, 59, 76, 92, 113, 116, 117, 121, 132, 163, 187, 205, 229,230, 258, 402, 441. Horace, 31, 33, 36, 3J, 59, 61, 62, 63, 80, 89, 91, 93, 105, 107, 117, 130, 131, 133,

INDEX

531

13j, i38, 14:i, lis, \6i, i;>2, 1j8, 17y, 195, 203, 2U6, 208-210, 210, 22j, 220, 230, 23!, 240, 200, 283, 363, 371, 419, 420, 420,470,491. 492, 319.

HospiTAL (Michel de l'j, v. L'Hospital.

Humanisme, v. Cicéronianisme, Hellé- nisme, Latinisme.

HuNAUT DK Lanta (Augcr), abbé de Sainte-Croix, à Bordeaux, 472.

HuHTKLOiRE (Abcl de la), v. La Hurte-

LOIRE.

Ignace de Loyola, 307.

Lmbert, 301-502.

Innocent (cardinal Monte), protégé de

Jules III, 314-315, 376-377. Isocrate, 124. Italianisme, 34-35, 63-66, 100-102, 120,

148-150, 156, 173-177, 296, 342, 371,

414-415.

Jaillot, 42.

Jamyn (Amadis), 76.

Jannet (Pierre), 305.

Jeandet (Abel), 170.

Jeanne d'Albret, reine de Navarre,

173, 24j, 444-443. JoDELLE (Etienne), 48, 49, 68, 82, 194,

198, 330. JoLY (Claude), chanoine de l'Église de

Paris, 440. Jonquière (marquis de la), v. La Jon-

QUIÈRE.

Jourdain (Charles), 42, 43.

JovE (Paul), 313, 417.

Jules II, pape, 307, 323.

Jules III, pape, 278, 279, 302, 306-316,

318, 330, 361, 376. Jullkville (Petit de), 142, 373. Jovénal, 59-60.

La Baronie (F. dej, pseudonyme de

Florent Chrestien, 416, 495-496. La Bruyère, 126. La Croix du Maine, 33, 48, 85, 176, 213,

223, 228, 243, 244, 255, 337, 349, 390, 416, 457, 458, 498.

La Fontaine, 12(5, 347.

La Fhesnaye (Vauquclin de), 26, 27, 37, 173, 379, 430, 437.

La Haye (Maclou de), poète français, 163, 492.

La Haye (Marie de), sœur de Robert de La Haye, 230, 254, 255, 491.

La Haye (Robert de), poète néo-latin, 230, 254-235, 354, 389, 481,489.

La Hurteloire (Abel de), camarade de Joachim au Collège de Coqueret, 48, 82.

La JoNQUiiiRi (marquis de), 272, 273, 275, 302, 318, 320, 321.

La Marche (Olivier de), 70.

Lamartine, 200-201, 298.

Lambin (Denis), 52^ 53, 306.

La Monnoye, 176, 244, 349, 390.

Lancelot, v. Romans français.

L'Angelier (Arnoul), imprimeur pari- sien, 506.

L'Angelier (Charles), imprimeur pari- sien, 490.

Langey (Guillaume de), v. Bellay (Guillaume du).

Langlois (Ernest), 90.

La Noue (François de), 264.

Lansac (Louis de Saint-Gelays, seigneur de), ambassadeur de France à Rome, 308-312, 316, 331.

La Péruse (Jean de), 26, 28, 170.

La Rovère (Jérôme de), évéque de Toulon, 391, 460.

Larroque (Tamizey de), v. Tamizey.

Lasca (le), poète italien, 403.

Lasgaris (Jean), 30.

Lasphrise (capitaine), 521.

La Taille (Jacques de), 490.

La Taille (Jean de), 430.

Latan, camarade de Joachim au Collège de Coqueret, 48, 82.

Latini (Latino), 343-344.

Latinisme, 28, 30-32, 33-36. 39, 44, 51- 32, 39 63, 66, 91, 99-118, 119-126, 148- 149, 134-156, 230, 233, 238-239, 241- 243, 252-254, 239 261, 267, 283-290, 295-296, 318, 343-346, 338-301, 383, 407-408, 478-480, 502, 317-518.

;)32

JOACHIM DU BELLAY

Latomus (Barth.), poète néo-latin, 10.').

Lauuun u'Aigaliers (Pierre de), 137.

Laure de Noves, 78, 169, 174, 178, 238.

Laverdt, 42.

La Vigne (André de), 70.

Le Blanc (Richard), traducteur de l'Ion

de Platon, 54. Le Blond (Jean), 75, 152-153. Le Braz (A.), 508, 520. Le Breton, secrétaire du cardinal du

Bellay, 337-338, 462. Le Breton (François), écrivain de Cou-

tances, 337. Le Caron (Louis), poète français, 194,

330. Le Clerc (.)ean), 458. LEFi':vRE (Denis), régent de grammaire

au Collège de Coqueret. 44. LEFi';vRE (Jacques) d'Étaples, 30, 44. Lefranc (Abel), 34. 273. Lemaire de Belges (Jean), 34, 69, 71-

72, 73, 107. 138, 282. Le Masle (Jean), poète français, 494. Lemercier (A. -P.), 26, 172. Lenient, 374, 406, 503. Léofanti (Adolphe), 2, 308. Léoquerne, pseudonyme de Léger du

Chesne, 414, 418, 429. Le Petit (Jules), 490. Le Roy (Louis), 252, 254, 513. Lescot (Pierre), 87. Lestrange (Charles de) ami de Joachim,

349. L'Hospital (Michel de), 105, 216, 228,

273, 278, 360, 391. 428, 439-440, 446,

447, 480, 513. L'HuiLLiER, seigneur de Maisontleur,

poète français. 445. LiGNERY (Claude de), camarade de Joa-

chim au Collège de Coqueret, 48, 82. Liron (D.). 271.

LisEU.x (Isidore), 315, 361,393, 306, 316. Lohineau (D.), 17. LoNGOiL (Philippe de), 13. Longueil (Christophe), 62. LoRME (Philibert de), v. Delorme. Lorraine (cardinal de) , v . Guise

(Charles de). LoRRis (Guillaume de), 156, V. Rose

(Roman de la).

LoYNES (.\ntoinette de), femme de Jean de Morel, 243-244, 390, 449, 489, 493. Loyola (Ignace de), 307. Luc.uN. 44, 59. Lucien, 54, 67, 118, 274. Lucrèce, 59. Ltcophron, 55, 56, 57, 59.

M

Machiavel, 342.

Macrin (Salmon), 26, 30-32, 40, 62,

105-106, 163, 238-241, 242, 244, 247,

261, 273, 274, 278, 391. Magny (Olivier de), 76, 194, 200, 228,

305, 316, 327, 338, 347-351, 382, 398,

400, 401, 405, 411, 417, 480, 485, 491,

311. Maisonfleur, v. L'Huillier. Malestroit (Guillaume de), seigneur de

Houdon, 21. Malestroit (Magdeleinede), belle-sœur

de Joachim, 21. Malherbe, 241, 497 321. Maniquet (Jean), 489. Manuzio (Paolo), 344. Marault (Charles), valet de chambre

du cardinal du Bellay, 301. 337, 349. Marcassus (Pierre de), commentateur

de Ronsard, 177. Marcel II, pape, 316-320. Marcel (Gabriel), 83, 241. Marchand (abbé Charles), 23. Marche (Olivier de la), v. La Marche. Marguerite de Valois, reine de Navarre,

sœur de François I", 48, 72, 169, 229,

241-243, 273, 390, 443. Margx;erite de Valois, duchesse de

Berry, sœur d'Henri II, 178, 222-

224, 223, 226, 227, 230, 2.38, 244, 251,

280, 361. 365, 390, 406, 427-428, 431,

434, 447-432, 475. Marliani. antiquaire, 281. Marot (Clément), 29-30, 35, 36, 68. 69,

73-75 77, 91, 107, 122-123, 127-128,

129, 136, 139, 146-147, 151, 152, 158,

161, 169, 170, 172, 189, 190, 195, 198,

200, 226, 242, 254, 296, 387, 404, 403,

496, 501-302. Marot (École de), Marotiques, 35, 36,

INDEX

533

T6. 79, 91, 107, 12:i-123, 127-128, 129,

1.S0, 152- 133, 138, lfi3, 169-I70, 213,

23:3. 254, 496. Mauot (Jean), pèn- do Cléini'iit, 7'). Marseille, secrétaire (iu canlinal du

Bellay, 349. Marsy (Sautrcau de). 301-302. Martelli, poète italien, 176. Marthe (la), courtisane romaine, 306. Martial, 39. 77. 129, 360, 40.3. 407, 478. Martin (Jean), poète français, 36, 142,

163. Martt-Laveaux (Charles), 12, 40, 67, 6S,

82, 239, 248, 281, .334, 332, 373, 3S3,

.3^4, 401. 408, 416, 440, 458. 481, 490,

50<!. Marulle, poète néo- latin, 62. Masle (Jean le), v. Le Masle. Masson (Papire), 52, 57. Masures (Louis des), 95, 254. 273, 417.

486, 492-493. Mauléon (Jean de), archidiacre, 416. Mauny (François de), archevêque de

Bordeaux, 455, 458. Mauvoysinière, V. Breil. Médicis, V. Catherine et Cos.me. Meigret (Louis), 67, 77, 147, 148, 235-

236. Melphe (prince de), v. Caracciol. Ménage, 12, 17, 177, 2'i8, 438, 482, 300. Mercier (Jean), beau-fils de Jean de

Morel, 391, 489. Meschinot (Jean), 70. Mesmes (Henri de), 58. Mesmes (Jean-Pierre de), 243. Mestica (Giovanni), éditeur de Pé- trarque, 173. Meudon (cardinal de), 277. Meung (Jean de), 156. V. Rose (Roman

de la). Michault (Pierre), 70. Mighfxet. 435, 444. MicHiELs (Alfred), 5(J3. Mignanelli (cardinal), 386. Mignet, 326.

MiNARD (président). 37, 477. Mirandola (Sylvia), 361. MiREURS (Pierre des), médecin et poète,

48, 82, 242, 243. MoLiNET (Jean), 70, 71.

Monestai (Henri de), ^ouverneu^ de Brest en 1489, 17.

MoNLUC (Biaise de), 310, 319, 331.

iMoNTAiGLON (Anatole de), 314, 330, 361, 370, 430, 303.

Montaigne, 494.

Monte (cardinal), v. Innocent.

Montembeuf (Bergier de), v. Bergier.

MoNT.MORENCY (.Anne de), connétabli' de France. 225. 274, 801, 308 309, 310, 315,317, 319, 320, 447.

.Montmorency (François de), tilsdu con- nétable, 447.

Morel (Camille de), tille ainée de J. de Morel, 390-392, 449-450. 489, 313.

Morel (Diane de), 3* fille de J. do Morel, 390, 449-450.

Morel (Federic), imprimeur parisien, 413. 490.

Morel (Isaac de), fils de .1, de Morel. 430.

Morel (Jean de), d'Embrun, seiiineur de Grigny et de Plessis-le-Comte, ami de Joachim, 12,21, 48, loi, 243, 230, 303, 315, .330, 341, 354, 361, 376, 389, 390-392, 393, 417, 428, 4.39, 446, 449, 450-432, 460, 462, 464-463, 475, 478, 479, 489-490, 493, 312.

Morel (Lucrèce de). 2' fille de J. de Morel, .390. .391, 449-430.

Morel- Fatio, 293.

Moréri, 12, 17.

MoRiN (Marie), femme de Michel de L'Hospilal, .391.

MUR.\T0RI. 313.

Muret (Marc-Antoine). 28, 29, 30, 40,

46, 52, 103, 141, 177, 306, 302. Musée. 57, 12.3, 147, 402.

N

Naugerius, v. Navagero. Navagero (André), Nau(ferius. poète néo-latin, 407-410.

NiCANDRE, 33.

NiCERON (P.). 12, 33, 248, 407, 458, 300-

501. Nicquet, 471.

NlSARD, 63.

NizoLius, 274.

534

JOACHJM DU BELLAY

NoLHAC (Pierre de), 48, 17o, 248, 281, 286, 3013, :M8, 343, 345-346, 349, 361, 390, 391. 449. 430. 454, 460, 462, 479, 493, 506,511.

NoNNOS, 478.

Noue (François de laj, v. La Noue.

o

Olive, maîtresse idéale de Joachim, 89, 167-201. .382. 397, 477, 485, 308, 317.

Olivier (François), chancelierde France, 229. 275. 447. 462.

Olivier (Jean), évoque d'Angers, poète néo-latin, 103.

Oresme (Nicolas), 156.

Orlandino, historien des .Jésuites, 307.

Orphée, 39. 402.

Orsini (Fulvio), 343, 345.

Ouvré, 107.

Ovide, 59, 62, 105. 122. 123, 129, 163, 180, 185, 207, 2;i2 266. 286, 359. 360, 364, 383. 396, 400, 403, 461, 498, 318.

Pagate (Guy), camarade de Joachim au

Collège de Coquerct, 48. 82. Pages, éditeur de Peletier, 33. F'allavici.no. 314. Panjas (Jean de Pardeillan, protonotaire

de), poète ami de Joachim, 303, 348,

3.30-331 . Panvinio (Onofrio), 313-314, 316, 318,

319, 323. Paris (Paulin). 3CKi. Paschal (Pierre de). 19. 235, 248. 317,

347, 354, 389, 412, 414-418, 434, 475,

476, 481, 482, 489, 512. Pasquier (Etienne). 33, 68. 72, 144. 170,

176. 233. 264, 295. 416, 417, 488. 492. Pasqlils, 370. Paul III, pape, 272, 273, 278, 306, 308,

375. Paul IV, pape, 318, .320.334, .349, 350,

373. V. Cahaffa, cardinal Théalin. Paul (seigneur), ami de Ronsard, 39. Pavie (Victor), 504-503. Peletier (Jacques), 16, 32-37, 38, 40, 76,

85. 107, 165, 169, 172, 203, 212, 242, .354.

Pellissier I Georges), 27, 281.

Périers (Bonav. des), 36, 77, 138, 130.

Perot (Cretofle), sénéchal du Maine, 33.

Perrault (Charles), 114, 440.

Perron (cardinal du), 40, 494.

Person (Emile), 306.

Péruse (Jean de la), v. La Pérdse.

Petit de Julleville. v. Julleville.

Pétrarque. 34, 33, 39, 61, 64. 65-66. 69, 73,79,89. 102. 1 17. 121, 123. 138, l'»8. 149, 156, 167-201, 230. 238. 240. 243, 253, 282, 286. 290, 296, 342, 363, 371, 492, 503, 517.

Pétrarquisme, 64. 79, 167-201 (particu- lièrement 17'4-I76, 179-188, 194-201). 3'.2. 396-398, 400, 319.

Pfl.\nzel, 172-173. 245, 369. 379.

Philelphe, 44.

Philibert-Emmanuel, duc de Savoie. 449-450.

Philippe II, roi d'Espagne, 331, 334.

Philippson (M.), .306, 307.

Pie IV, pape, 318.

PiÉRi, 174, 179, 194, 199

Pierre, barbier de Rome. 337

Pierre d'Ancems, ancêtre de Joachim, 18.

piganiol de la force, 42.

Pind.vre. 44, 55, 57, .38, 67, 73, 89, 91, 131, 216-217, 2.30. ±\^. 'i20, /.93, 519.

PiNVERT, 39, 299, 330, 476, 496.

PiTiLLANO (Camilla di,, courtisane ro- maine, 377.

Platon. 33-3'i, 78-79, 92. 124, 126. 142, 186, 190, 207. 229-230, 232, 234, 403. 473, 480.

Platonisme. 78-79, 174, 188-194, 197, 200-201, 229. 519.

Plaute, 28

Pléiade, origine de ce terme, 49

Pline l'Ancien, 60, 261.

Plôtz (Gustave), 70, 94, 97, 113, 138.

Plutarque, 54, 274, 480.

Pogge (le), 286, 290.

Pointeau (abbé Charles), 466.

Poitiers (Diane de), v. Diane de Poi- tiers.

Pôle (cardinall, 317.

INDEX

535

POLITIEN, 64.

PoNT-A-MoussoN (marquis do), 17. PoNTANUs, poète néo-latin, 62, 63, 137.

PONTUS DK TYAHI), V. TyaKI) .

PoHT (Colcsttn), \2, li, 17. 18, 458, oOo. PossEviNo (Antonio), 344-346. PosTEL (Guillaume), 274. PouLiN, baron do la Garde, amiral

d'Henri II, 447. Priscien, 36.

Properce, 39, 77. 129, 19:i, 283, 383. Proust (Jean), commentateur de Joa-

chim, 220, 223. Pythagore, 229.

O

Querini (cardinal), 344. Quicherat (Jules), 42-43. QuiNTiL Horatian, V. Aneau QuiNTiUEN, 44, 61, 124-26, 140, 430.

R

R.iBELAis, 67-68, 110, 118, 163, 262, 273,

278, 281. 282, 301, 388. Rabestan (seigneur), ami de Joachim,

210. Radier (Dreux du), 30, 47. Raince, secrétaire du cardinal du Bellay,

308. Ramus (Pierre), 274, 406. Ranke (L.), 306. Rathery (E.-J.-B.), 83, 296. R.\YNALDUS, 314. 318, 323. Rebitté. 44, 104.

Régnier (Mathurin), 193, 430, 497, 321 Revillout. 12, 281, 434, 439. 460, 306. Rhétoriqueurs, 70-72, 73, 92, 128-129,

149-130, 132-133. 136-137, 138. RiBiER (Guillaume), 97, 272, 273, 276.

278, 284, 302, 308, 309, 313-323. 330,

331, 337, 349, 330, 373. Robertet, ami de Joachim, 332. Robin du Fauz, v. Fauz. robiquet, 45, 56. Rochambeau (Achille de), 260. Roches (Dames des), 28. Rodoganachi (E.) 376. 377. RoiLLET (Claude), 488.

Romans français, 68-69, 132, 133.

Roman de la Rose. v. Rose.

Ronsard (Pierre de), 4, 19. 20, 22, 24, 29, 3C>-40, 42 '.Mi, 101. 114. 1.33 1.39, 142. 1.30-131, 1(13-1(56, 170 173. 177, 194, 203-217, 219, 223, 228. 2.33-236, 242- 244, ;30. 2;)4. 233. 304. 311, 329, 3;i0- 334, 360, 363. 3(i6-:î67, im. 391, 392. 394. 400, 403-403, 411, 413, 416, 417, 424, 428, 432, 4.33, 4i2 443, 443-447, 4.39, 472, 473, 4S6-487, 491 4%, 499, .iOO, 302, 303-304, 316. 319, 320-521, 322-323.

Rose (Roman de lai, 69-70, 72, 92, 156.

Rossant (André de), jurisconsulte lyon- nais, commentateur de Joachim, 176 177.

Rosset (Pierre), poète néo-latin, 103.

Rothschild (James de), 227, 430.

Rovère (Jérôme de la), v. La Rovkre.

Roy (Emile), 93, 106.

Sabeo (Fausto), poète néo-latin, 344. Sadolet, 31.

S.\GON (François), 75, 132, 161. Saint-André (M"" la Maréchale de), 443. Saint Gelays (Louis de), seigneur de

Lansac, v. Lansac. Saint-Gelays (Mellin de), 76, 77-78, 91,

123, 127. 128, 131, 142, 150, 157, 165,

169, 172, 198, 226-228, 229. 242, 284.

.354, 376, .379, 404. 422-429, 432, 437. Saint-Gelats (Octavien de), père de

Mellin, 70. Saint-Marc Girardin, 264, 503. Sainte-Beuve, 12, 13, 19, 26.37. 93, 97,

111, 1(38, 177, 200, 231, 274, 281, 282,

287. 317, 331, 361, 383, 408,409, 434,

439, 480, 303-506. S.unte-Croix (abbé de), v. Hunaut. Sainte-Croix (cardinal de), v. Marcel II . Sainte-Marthe (Charles de), 107-108.

242 244. Sainte-Marthe (Scévole de), 12. 14, 16,

19, 26, 28, 30, 40, 52, 55, 213, 358-

360, 390, 391, 457-458, 473, 498, .300. Salel (Hugues), 76, 91, 128, 165, 242,

491-492.

536

JOACHIM DU BELLAY

Salfi, 344.

Salluste, 60.

Salmon Macrin, V. Macrix-

Sanadon (P.), 501.

Sannazab, 34, H2, 03, 64, V.M), :J3(), 'M-I,

345. Sautreau de Marsy, 0OI-0O2. Sauvain (.Teanne),quafirisaioule de .loa-

chitn, 18. Sauval, 42. Saveuse, 456, 467. Scaliger. 52, 274, 494, 500. ScÈvE (Maurice), 70, 77. 78-80, 91, 1:28,

142, 165, 169, 174. 190, 218, 283, 38S.

SCHROEDER, 391.

SÉCHÉ (Léon), 1, 12, 14, 17, 18, 20, 383, 507-509.

Seco.nd (Jean), poète néo-latin, 62, 63, 137, 233, 274, 400. 502.

Selve (Odet de), ambassadeur de France à Rome, 315. 331, 375.

Sénéque, 30.

Seymour (Anne, Marguerite et Jeanne), filles du protecteur Edouard Sey- mour, élèves de Denisot, 241-244.

SiBiLET (Tliomas), 90-93, 98, 123, 127- 132, 134, 137, 138, 140, 146-147, 157, 159-160, 163, 169, 250, 254, 354.

SiLVESTRE (Armand), 1, 20.

SiRLETO (Gulielmo), 343.

SixTE-QuiNT, pape, .371).

SoissoNs( Hubert de i, poète néo-latin, 105.

SOPHOCt.E, 118.

SoREL (Charles), 500.

Spenser (Kdmund), 290, 496-497.

Spifa.me (Jacques), évoque de Nevers,

361. Stace, 59, 402, 405. Staél (M"" de), 298. Stoïcisme, 464. Strozzi, 331, 361. Stuart (Marie), reine d'Rcosse et de

France, 437, 445-446. SoRGKRES (Hélène de). 57.

SlLVIA MiRANDOLA, 361.

Tabourot »es .\ccords, 57, 176, 233. Tacite, 60, 285.

T.^GAULT, poète français, 243.

Tahureau (Jacques), t^6, 129, 194, 265, 349, 350, .354-356, 400, 417, 492

Taille (Jacques et Jean de la), v. La Taille.

Taillemont (Claude de). 218.

Tamizey de Larroque, 228, 243, 310.

Tell (J.), 50G.

Tetti (Scipione), 343.

Théatin (cardinal), v. Caraffa.

Theocrenus (Benedictus), poète néo- latin, 105.

Théociute, 54, 55, 63, 91, 124, 1.30, 263, 345, 410.

Thibait (Fr.), 71, 72. 282.

Tnou (Jacques-Auguste de), historien, 19, 241-242, 310, 314, 318, .321-322, 343. 34:;. 359, 481.

Thou (Nicolas de), trésorier de Heau- vais, 456, 466-467, 472.

Thucydide, 54.

Tibclle, 59, 129, 383.

Tiraboschi, 342, 344, .345.

Tiraqueau, jurisconsulte, 28.

TiTE-LivE, 44, 60, i'85.

Tonnerre (comtesse de), 225.

Tory (Geoffroy). 105.

TouRNON (cardinal de), 306, .308. 317, 321, 325, 349.

Toussaint (Jacques), 51, 273.

Toussepain (Jean), cbanoine et archi- diacre de Paris, 458.

TouTAiN (Charles), poète français, 26.

Trincant (Louis), de Loudun, 271.

Trissin (le), .342,

Tristan, v. Romans français.

Tronssay (I. Quintil du), pseudonyme de Joachim, 41.3-414.

TuRNKBE (Adrien), 52. 53, 105, 412. 414- 418, 430, 488.

TuRQUETY, 172, 347, 505.

Tyard (Pontus de), 4, 19, 147, 170-172, 192-194, 283, 350.

TzETZÉs. 53, 56.

u

Urfé (d'), ambassadeur de France à

Rome, 277, 308, 310. Urseau (abbé Charles), 23.

INDEX

337

Ursin, Ursiniis. nom latin d'Orsini,

343. UuvoY (René d'), camarade de Joachim

au Collège de Coquoret, 'i8, 82. Utenhove (Charles), ;M), 474, 477-47'.),

480, 493-494, .^13.

Vasquin (Philieull, de Carpentras, tra- ducteur de Pétrarque, 109. V.\T.\BLE (François), 273, 391.

V.\UQUEUN DE LA FrESNATE, V. La

Fresnaye. Vauthier (G.), 267. Veillard (Jacques), de Chartres, 19, 57,

473. Verdier (Antoine du), 32, 48, 8n, 228,

243, 337, 349, 390, 416, 417, 41S, 498. Vergèce (Ange), 51 Vianet (Joseph i, 369, 376, 403. 429, 497 Victoire lia), courtisane romaine, 306. Vida, poète néo-latin, 62, 419. Vidal (Pierre), aquafortiste. 20. Vieilleville, 186, 219, 224, 377, 450. Vigne (André de la), v. La Vigne. Villeneuve fdamoiselle de), v. Bellay

(Louise dut. Villon, 70, 156.

ViNEL's. d'Urbin, ami de Joachim, .327, 340. 349, 387.

Viole (Guillaume), évéque de Paris, 177.

Viole M"'), nièce ou parente du pré- cédent, 177-179. V. Olive.

Virgile, 35. 39, 44, 52, 59,61, 63. 91, f2, 105, 116, 117, 121.12.3, 124, 130, 132, 205, 225, 230, 252-254, 263, 274, 285, 342, 343, 345, 402, 407, 517.

VisGONTi, 288, 289.

ViTALis (Janus), poète néo-latin, 295.

Volney, 29S.

VouLTÉ (Jean), poète néo-latin, 105.

W

Waddington. 406.

Xénophon, 274.

X

Y

Yre (le bon moine de 1'), 156.

Zanchi (Basilio), poète néo-latin, 343- 345.

ic

TABLE DES MATIÈRES

AVANT-PROPOS i

BIBLIOGRAPHIE v

INTRODUCTION 1

PREMIÈRE PARTIE DE LA NAISSANCE AU VOYAGE DE ROME

1522-1553

CirAPiïRK I. Enfance et Jeunesse. Premières souffrances

Premières études. 132S-1547 Il

I. L'Aujou et la Loire H

H La famille du Bellay. La branche cadelte : les quatre frères du Bellay. La ])ranche aînée : les ascendants du poète H

111. Naissance de Joacliim. Premières années : commerce avec la nature. Premières souffrances : malheurs domestiques. Désœuvrement intellectuel. Rêves de gloire ..... IS

l\ . Séjour à Poitiers. Poitiers au xvi' siècle. Etudes juri- diques et littéraires. Premiers essais poétiques. Influence de Muret. Influence de Saluiou Macrin. Influence de Peletier id

V. Rencontre de Ronsard. Départ pour Paris 37

ij40 JOACHIM DU BELLAY

CnAPiTni: II. Le Collège de Coqueret. 1S47-1549 41

I. Le Collège de Coqueret 42

H. Jean Dorât principal de Coqueret. Un collège au xvi" siècle.

La Brigade et la Pléiade 4o

III. l^ducalion de la Pléiade. L'édiicalion par les livres. Dorât

professeur. Sa méthode : le latin enseigné par le grec.

Sa valeur comme philologue 40

IV. La culture grecque. Caractère surtout poétique. Les clas-

siques et les alexandrins. Défauts et mérites de Dorât helléniste. Du Bellay le moins grec des poètes de la Pléiade 52

V. La culture latine. Latins anciens. Latins modernes . . o9

VI. La culture italienne. Valeur esthétique des œuvres italiennes.

Vive impression produite sur la Pléiade (13

VII. La culture française.— Rabelais. Romans français. Roman de la Rose. Poésie des xiv' et xv"' siècles. Rhéto- riqueurs. Jean Lcmaire de Belges. Clément Marot. Les Marotiques et Saint-Gelays. Les Lyonnais : Antoine Héroct et Maurice Scève 66

VIN. L'éducation par la nature. Excursions dans la banlieue de Paris. Le voyage d'Arcueil en l.j49. Une partie de plaisir chez Brinon 80

IX. L'éducation par les arts Influence de Denisot. Relations avec les artistes. Les arts plastiques. La musique et la poésie 8.'i

X. Publication de VArt Poétique de Thomas Sibilet (l.i48). Impression qu'en ressentent les élèves de Dorât. Origine de la Deffence. La collaboration du groupe au manifeste.

Pourquoi ce fut du Bellay qui le signa. Publication

de la Deffence et illustration de la langue françoyse (1549) . 89

Chapitre III. La «Deffence de la Langue Françoyse ». 1S49. 99

I. L'antinomie de la Deffence. Comment on peut la résoudre.

Une ambition patriotique : le désir d'égaler l'Italie. Composition défectueuse de l'ouvrage 99

II. " La partie apologétique de la Deffence. Développement de

l'humanisme : dangers courus par le français 103

III. Précurseurs de du Bellay dans la défense de cette langue.

Rôle des poètes : Jacques Peletier, Charles de Sainte-Marthe, Charles Fontaine, François Habert. Utilité d'une nou- velle intervention 100

IV. Du Bellay défenseur du français. Théorie de l'origine des

langues. Arguments en faveur du français : sa pauvreté actuelle, sa richesse possible. Attaque contre les Latineurs. Nécessité d'écrire en français 110

TABLK DE< MATIÈRES ;)4I

CiiAi'iTUE IV. Ij'(( Illustration de la Langue Françoyse ». 1549. 119

1. La partie lh('"orique de la Deffence. Un nouvel art d'écrire : l'imitation des anciens et des italiens posée en principe. Les moyens d'illustrer la langue. Insuflisance de la tra- duction. — Nécessité de Tassirailation. Théorie de l'imi- tation empruntée à Quintilien. Fondation du classicisme. 119

II. Une nouvelle conception de la poésie. Rupture avec l'école de Marot. Proscription des vieilles formes rhétoricales.

Les nouveaux genres, petits et grands. Le sonnet^ l'ode, l'épopée. 126

in. Les ])réceptes relatifs à la forme. A. Langue : les néolo- gismes et les archaïsmes.— B. Style : les tours et les ligures.

C. Rythmique : le mètre et la rime. 133

IV. Introduction de l'art dans la poésie. Élaboration de l'œuvre

d'art. Définition du vrai poète. Mépris du vulgaire. Sainteté de la poésie . 139

Chapitre V. L'attaque de la « Deffence » et la défense de la

« Deffence » . 1349-1350 14i

I. La guerre contre l'ignorance. Résistance des disciples de

Marot La préface de Vlphigène de Sibilet (1549) . . . 14i

II. Guillaume des Autelz et sa Réplique aux furieuses défenses de

Louis Meigret (1530) 147

III. Le Quintil Horatian de Barthélémy Aneau (1550) ..... 151

IV. Défense de la Deffence : la seconde préface de l'Olioe (1330) . 138

V. Deux poèmes polémiques : la Musagnœoniachie et l'ode à

Ronsard Contre les envieux poètes (1330) 163

Chapitre Y1. L'(( Olive ». 1549-1550 167

1. Les deux éditions de VOlive. La part que du Bellay a prise à l'introduction du sonnet en France. Pontus de Tyard et du Bellay 167

II. L'imitation de Pétrarque et des Italiens 173

III. M'" Viole et du Bellay : le roman d'amour dans VOlive. . 177

IV. Les deux thèmes de l'Olive : beauté de la dame, amour du

poète .... 179

V. Les variations sur les deux thèmes. La nature. La mytho-

logie. — Les figures de rhétorique. La préciosité ... 183

VI. L'idéalisme platonicien et l'inspiration religieuse. Les

Xlil Sonnetz de l'honneste Amour (1332). ...... 188

VII. La réaction contre le pétrarquisme. \J Antérotique (1349J. La pièce A une Dame (1333). La valeur et linlluence de YOlive 194

542 JOACHIM DU BELLAY

Chapitre VII. Les « Vers Lyriques ». 1549 202

I. Les odes de 1549. Le rôle de du Bellay dans l'invention de

l'ode 202

II . Les odes philosophiques et morales 204

III. Les odes descriptives et mythologiques i08

IV. Les odes intimes et personnelles 212

V. Valeur des odes. Du Bellay rebelle au pindarisme . . 215

Chapitre VllI. Le « Recueil de Poésie ». 1549 218

I. Entrée d'Henri II à Paris (16 juin 1349). La Prosphonéma-

tique 218

II. Du Bellay se présente à Madame Marguerite. Origine du

Recueil de Poésie. Du Bellay courtisan ...... 222

III. Le Chant trinmphal sur le voyage de Boulongne et les odes

otlicielles . . 224

IV. Les odes littéraires 226

V. Le Dialogue d'un Amoureux et d'Echo 232

Chapitue IX. Nouvelles souffrances. 1549-1552 .... 234

I. Maladie de J. du Bellay 234

II. Consolations que lui procurent les lettres et la poésie.

La seconde édition de YOlive : l'ode A Salmon Macrin sur la mort de sa Gélonis (1530). Le Tombeau de Marguerite de Valois, Hoyne de iVafarre (1530-1551). Jeanne d'x\lbret

et du Bellay : les Sonnets à la Royne de Navarre . . . 237

III. Soucis et tracas domestiques 243

Chapitre X . Les « Traductions » et les « Inventions » de 1553 . 249

I. Caractère du recueil de 1552. L'épître-préface à Morel . . 249

II. Les traductions de du Bellay 232

m. Les œuvres de l'invention de l'auteur. La Complainte du

Désespéré 234

IV. Les pièces religieuses 257

V. Les pièces philosophiques 261

VI, Les pièces littéraires 263

VII. h' Adieu aux Muses. Le voyage de Rome fait de .1. du Bellay,

poète livresque, un poète personnel 267

TABLE DES MATIÈRES 543

SECONDE PARTIE DU VOYAGE DE ROME A LA MORT

1553-1560

Chapitre 1. Départ pour l'Italie. Le cardinal Jean du

Bellay. 1353 271

I. Le cardinal Jean du Bellay. Le politique. L'intellectuel . 271 II. Rapports du poète et du cardinal avant 1553 274

III. État d'esprit de Joachim. Ses pensées d'avenir. Ses rêves

d'humaniste 279

IV. Départ pour l'Italie. Sainl-Symphorien-de-Lay. Lyon.

Arrivée à Home (juin 1553) 281

Chapitre II. Les « Antiquitez de Rome »... 285

I. L'humanisme et les ruines de Rome. Promenades de

du Bellay dans Rome. Son poème Romae descriptlo. . 285 II. Les Antiquitez de Rome : les idées principales de l'ouvrage . 290 III. Valeur du recueil : c'est une œuvre de transition. Le Songe.

Une note nouvelle en poésie : le sentiment des ruines. 295

Chapitre III. La Tie de Joachim à Rome. 1553-15S7.

I. La vie publique 300

I Palais du cardinal à Rome. Son train de maison. Fonc- tions de Joachim 300

II. Rome en 1553. Situation religieuse. Situation politique.

Jules III. Sa politique. Son caractère 306

III. Marcel II (1555) 316

IV. Paul IV. Le cardinal du Bellay doyen du Sacré -Collège.

Sa disgrâce définitive. Caractère de Paul IV. La réforme de l'Église. La guerre contre l'Espagne. Rome en 155G. L'expédition du duc de Guise en Italie (1557) . 320

Chapitre IV. La vie de Joachim à Rome. 1553-1557.

II. La vie privée 336

I. Passe-temps de Joachim. Ses ennuis, ses dégoûts. . . . .336 II Ses consolations. Le monde savant à Rome. Annib.'d Caro. Érudits et poètes : la poésie latine. Satisfactions d'amour-propre 341

III. Les amis de Rome. Magny, Gordes, Panjas 347

IV. Les amis de France. Ronsard et Tahureau 351

V. Le culte des Muses : la poésie consolatrice. Origine des

Poemata et des Regrets . 356

54 i JOACHIM DU BELLAY

Chai-itre V . Les « Regrets ». 3o8

I. Les Poemata. Pourquoi du Bellay écrit en latin. Valeur

de ses œuvres latines 3o8

II. Les Regrets. Epoque de composition. Caractère nouveau

du recueil : la poésie intime et personnelle 361

III. La partie élégiaque des Regrets. Les Tristes d'Ovide.

Les douleurs de l'exil. L'amour du foyer et du sol natal. 364

IV. La partie satirique des Regrets. Les Satires de LArioste.

Comment du Bellay conçoit la satire. La peinture des mœurs romaines. La Rome des cardinaux. La Rome

des courtisanes 368

V. Valeur des Regrets. L'alliance du lyrisme et de la satire.

Un nouveau genre de sonnet. Le style naturel et facile. 377

Chapitre VI. Retour en France. 1S57-1S58 381

I. La passion de Joachim pour Faustine (1357) 381

II. Départ de Rome (août 1537). Itinéraire. Retour à Paris.

Une pièce de Dorât . 386

III. La maison de Jean de Morel. Intimité de du Bellay et de

Morcl. 390

IV. Les tracas domestiques du retour. Publication des recueils

composés en Italie (1338) 393

Chapitre VII. Les « Jeux Rustiques » 393

I. Caractère des Jeux Rustiques. Division du recueil. L'inspiration élégiaque. Fâcheux retour au pétrar- quisme. Les deux baisers 395

II L'inspiration satirique. Formes diverses qu'elle affecte.

L'esprit de du Bellay 400

m. L'inspiration rustique. Les Vœaz rustiques de Naugerius.

Valeur du recueil 406

Chapitre Vlll. —Le « Poëte Courtisan )).1359. ...... 412

I, La plaquette d'I. Quintil du Tronssay. Son caractère d'au- thenticité. — Problème qu'elle soulève 412

H. La Nouvelle manière défaire son profit des lettres. Pierre

de Paschal 414

III. Le Poëte Courtisan. Analyse.^ Conlirmation de la Décence. 418

IV. Origine et portée du Poëte Courtisan. Saint- Gelays et

du Bellay 422

V. Valeur du Poëte Courtisan : la première satire française . 429

TABLE DES MATIEUES .>Ï0

Chapitke IX. Du Bellay poète courtisan. 13S8-1559. . . . 431

1. Du Bellay courtisan. La dernière partie des Regrets et le Discours au Roy sur la Poësie. Rôle du poète parmi les grands 431

II. Du Bellay et Henri II. Médiocrité des poésies de

circonstance. Le sentiment patriotique chez du Bellay : l'Hymne au Roy sur la prinse de CaUais 434

III. Du Bellay et François II. Les deux Discours au Roy. . . 439

IV. Du Bellay et les grands de la Cour : Catherine île Médicis,

Diane de Poitiers, Jeanne d'Albret, Marie Stuart, les Guises,

Montmorency, etc 443

V. Du Bellay et Madame Marguerite 4V7

Chapitre X. Les derniers temps. 15S9-1560 4i)3

I. Les Lettres de J. du Bellay : leur intérêt documentaire. La

nàssion du poète à Paris. Du Bellay iut-il prêtre?. . . 4o3

II. Ses démêlés avec l'évêque et sa famille. L'aflaire des Regrets.

L'affaire des collations. Du Bellay et le cardinal :

les bénéfices ecclésiastiques de Joachim 439

III. La santé du poète. Etat i)hysique : les progrès de la surdité.

État moral : la ruine des illusions 473

IV. Consolations poétiques. Les dernières œuvres de du Bellay.

Les Xenia . 477

V. Mort de J. du Bellay (l" janvier loGO) Sa sépulture ; sou

épitaphe 480

Cu.vpiTRE XI. Du Bellay devant l'opinion 484

I. Du Bellay jugé par lui-même. Sa vanité poétique . . 484

II. Du Bellay jugé par ses contemporains. Hommages fu- nèbres : le tombeau du poète (lo60) L'édition de Morel et d'Aubert (1.^68-^o69). Du Bellay l'égal de Ronsard. . 4S0 III. Du Bellay jugé par la postérité.— Un sonnet de Spenser (1591).

Les travaux des savants : Sainte-Marthe, Colletet, Baillet, Ménage, Niceron, Goujet. Les Annales Poé- tiques (1778). Le Tableau de Sainte-Beuve (1828). Du Bellay au xix^ siècle. L'édition Marty-Laveaux (1866-1867).

La statue d'Ancenis (1894). L'Association Bretonne- Angevine ..... 496

CONCLUSION. L'Homme et le Poète iJH

INDEX 525

0

Çl&CjJLATt: A5 MONOGSAfla.

AS Lille. Université

162 Travaux u: mémoires

L39 t. 3

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