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ABREGE
DES GUERRES
RÈGNE DE LOUIS XIV
PRÉCÉDÉ D UNE NOTICE HISTORIQUE
CONFÉRENCES DONNEES AU RÉGIMENT DES CARABINIERS
LE CAPITAINE MARCHAL
Chevalier de rOrdre de Lcopold. Oflicici de lOnlre de la Giiiideloupc
LOUVAIN
V^^ G.-J. FONTEYN, LIBRAIRE -ÉDITEUR
Ituc de Bruxelles , (i
1872
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ABREGE DES GUERRES
DU
RÈGNE DE LOUIS XIV
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ABREGE
DES GUERRES
DU
RÈGNE DE LOUIS XIV
PRECEDE D UNE NOTICE HISTORIQUE
CONFERENCES DONNEES AU REGIMENT DES CARABINIERS
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vLE CAPITAINE MARCHAL.CT^-^^
Chevalier do TOrdre de Léopokl, Officier de l'Ordre de la Guadeloupe
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LOUVAIN
V^ C.-J. FONTEYN, LIBRAIRE -ÉDITEUR
Rue de Bruxelles, 6
1872
DC
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M3S
Tous droits réservés.
PRÉFACE.
Cet ouvrage n'était pas destiné à la publicité. Il n'a été
livré à l'impression qu'à la demande générale de MM. les
Officiers du Régiment des Carabiniers.
Son but est d'épargner des recherches aussi longues que
fatigantes à ceux qui veulent avoir un court aperçu des *
guerres du règne de Louis XIV, et principalement aux
officiers qui se préparent à subir les examens prescrits par
l'arrêté royal du 30 juin 1871.
Ce n'est pas un livre d'histoire, mais simplement, comme
l'indique le titre de Conférences, un résumé des principaux
événements militaires du règne de Louis XIV, d'après des
documents puisés dans les ouvrages indiqués ci-api'ès :
X Atlas historique de Lesage (comte de Las Cases); YHistoire
des guerres des Pays-Bas, par Carmichael-Smyth ; les notes
du colonel Lagrange sur le précédent ouvrage; Y Atlas des
plus mémorables batailles, combats et sièges, de Kausler;
les fastes généalogiques de la Belgique , par le chevalier
— VI
Marchal ; Le siècle de Louis XIV , par Voltaire ; Louis XIV ^
son gouvernement et ses relations diplomatiques avec VEu-
rope^ par Capefigue; YHistoire de France^ par Anquetil;
ï Histoire d'Espagne, par (I'Ascargota ; X Histoire de Bel-
gique, par Dewez; La guerre de 1671 à 1673 entre la
France et la Hollande, (publiée en 1675 à Amsterdam, sans
nom d'auteur) etc.
NOTICE HISTORIQUE.
PAYS-BAS.
Charles-Quint, né à Gand, en 1500, était fils de Philippe-
le-Beau et de Jeanne de Castille. Son père (fils de Maximilien
d'Autriche et de Marie de Bourgogne) lui légua les Pays-Bas
et la Franche-Comté ; il hérita de l'Espagne, de sa mère (fille
de Ferdinand et d'Isabelle d'Espagne). Plus tard, après la
mort de son aïeul Maximilien, il fut élu empereur d'Alle-
magne, et devint le plus puissant monarque que fEurope
eût eu depuis Charlemagne,
Charles-Quint détermina le pape Paul III à convoquer le
concile de Trente, pour arrêter les progrès de la réforme
religieuse. Le concile dura dix-huit ans (1545-1563).
Après vingt années d'un règne fécond en événements, ce
monarque abdiqua la couronne, en 1556, et se retira au mo-
nastère de Saint-Just, en Estramadure, où il mourut, en 1558.
Philippe II, son fils, devint roi d'Espagne et lui succéda dans
les Pays-Bas ; Ferdinand I, son frère, fut élu empereur d'Al-
lemagne.
Le nouveau souverain ne visita jamais les Pays-Bas, après
son couronnement comme roi d'Espagne. Ses maximes gou-
vernementales furent arbitraires à l'extrême, et en désaccord
— 2 —
complet avec les habitudes de liberté et les coutumes du
peuple et de la noblesse des Pays-Bas.
Vers cette époque, la réforme gagnait considérablement
du terrain. Philippe , aussi intolérant dans ses principes
religieux qu'absolu dans ses maximes politiques, résolut
d'arrêter les progrès de ce mouvement par la violence, et
chercha à introduire l'inquisition dans nos provinces.
Marguerite de Parme, fille naturelle de Charles-Quint, avait
été envoyée comme gouvernante dans les Pays-Bas, en 1559.
Elle eut pour premier ministre Perrenot de Granvelle, cardinal-
archevêque de Malines. Sous ce ministre commencèrent les
premiers troubles religieux. Les nobles du pays protestèrent
contre l'inquisition et présentèrent à Marguerite une requête
[compromis des nobles, 5 avril 1566). Trois cents confédérés
se rendirent, à cet effet, en cortège, au palais de la duchesse.
Au moment où la pétition lui fut présentée, le comte de
Berlaimont, voyant la duchesse effrayée du grand nombre des
confédérés, lui avait dit à demi-voix : « Rassurez-vous, Ma-
dame, ce n'est qu'une troupe de gueux. » Au repas que le
comte de Cuylembourg, auteur principal de la requête, donna
le soir de cette audience, le comte de Bréderode, ayant
rapporté ces paroles, proposa le nom de « gueux » comme
mot de ralliement du parti , et l'assemblée l'adopta avec
enthousiasme. Après le banquet, plusieurs des confédérés
parurent au balcon de l'hôtel de Cuylembourg, une besace
à la ceinture et une écuelle de bois à la main, dans laquelle
ils burent à la santé des gueux. Ce fut l'étincelle qui alluma
l'incendie de la révolution et amena, quelques années plus
tard, la séparation des provinces septentrionales.
Philippe II, afin de vaincre la rébellion, envoya le duc
d'Albe, don Alvarès de Tolède, comme gouverneur des Pays-
Bas, en remplacement de Marguerite de Parme (1567).
— o —
Le duc d'Albe signala le commencement de son adminis-
tration en faisant périr sur l'échafaud les comtes d'Egmont
et de Horne, et en ordonnant de nombreuses exécutions. Ces
mesures violentes envenimèrent le mal. Tous, catholiques et
protestants, se liguèrent contre le gouvernement espagnol.
Le chef principal de l'opposition au roi Philippe II fut Guil-
laume de Nassau, prince d'Orange, né en 1534, à Dillembourg,
et connu sous le nom de Taciturne. Il devint le fondateur de
l'indépendance néerlandaise, par la séparation des sept pro-
vinces septentrionales et la formation d'une puissante répu-
blique qu'il gouverna en qualité de stadhouder ou chef du
pouvoir exécutif.
Vunion d'Utrecht, entre les provinces du nord, date de jan-
vier 1579.
Le duc d'Albe, exécré à cause de son orgueil et de ses
cruautés, fut rappelé en Espagne, en 1573, et remplacé par
don Louis de Requesens, troisième gouverneur des Pays-Bas,
jusqu'en 1576, puis par don Juan d'Autriche, fils naturel de
Charles-Quint, quatrième gouverneur, jusqu'en 1578.
La guerre qui, par suite de ces événements, s'alluma dans
les Pays-Bas, et qu'on peut dire avoir commencé en 1568, par
la bataille livrée à Winschote entre les comtes de Nassau et
d'Aremberg, fut continuée avec fureur jusqu'en 1609, pendant
une période de quarante-un ans. Une trêve de douze ans fut
alors conclue à La Haye. Les hostilités recommencèrent, en
1621, et se poursuivirent jusqu'à ce que la paix de Munster
(1648), après une nouvelle période de vingt-sept années de
guerre, vint y remettre un terme.
L'autorité de Philippe était perdue dans les sept provinces
protestantes du nord. Dans les Pays-Bas catholiques, les
exactions des chefs espagnols, les procédés arbitraires des
différents gouverneurs et le mépris total de Philippe pour
_ i _
les privilèges et les coutumes de la nation, avaient aliéné les
esprits et ébranlé la fidélité de chacun. Les provinces catho-
liques étaient même parvenues à expulser don Juan d'Au-
triche, à démolir plusieurs citadelles construites par les
Espagnols et à rassembler une armée pour prévenir le retour
des troupes espagnoles, qui, peu de temps auparavant,
avaient été forcées d'abandonner les Pays-Bas.
Alexandre Farnèse, fils de Marguerite de Parme, cinquième
gouverneur-général, succéda à don Juan. Il unissait une
prudence consommée et une grande persévérance à de bril-
lantes qualités militaires. Il gouverna les Pays-Bas de 1578
à 1592. Grâce à ses efforts, Philippe II conserva son autorité
dans nos provinces.
Philippe II mourut, en 1598, ayant au préalable résigné
son pouvoir dans les Pays-Bas entre les mains de sa fille,
l'infante Isabelle et de l'archiduc Albert, qu'elle avait épousé.
Après Philippe II, l'Espagne fut gouvernée, jusqu'en 1621,
par son fils Philippe III, qui approuva la trêve pour l'indé-
pendance des Provinces-Unies, et par Philippe IV, fils du
précédent, de 1621 à 1665. A ce dernier succéda son fils,
Charles II (1665-1700).
L'archiduc Albert, neuvième gouverneur, et l'infante Isa-
belle firent leur entrée solennelle à Bruxelles, en novembre
1599. Ils s'appliquèrent à calmer les ressentiments par tous
les moyens en leur pouvoir et à gagner l'affection de leurs
nouveaux sujets dans les provinces catholiques.
Albert fit le fameux siège d'Ostende, qui dura trois ans.
Guillaume-le-Taciturne ayant été assassiné par Balthazar
Geerart, en 1584, les États-Généraux conférèrent les fonc-
tions suprêmes de stadhouder à son fils Maurice de Nassau,
— 5 —
capilaiiie-général et grand amiral. Il fut vainqueur de l'ar-
chiduc Albert, à la bataille de Nieuport (1600), et mourut
en 1625.
Après Maurice de Nassau, Frédéric-Henri, enfant d'un
autre lit du Taciturne (sa mère était fille de l'amiral français
Coligny), devint stadhouder. Frédéric ne vécut pas assez
longtemps pour voir l'indépendance des Provinces-Unies
sanctionnée par le traité de Munster. Son fds Guillaume II
lui succéda, en 1647, et mourut en 1650.
Quelques empiétements du stadhouder ayant froissé la
susceptibilité des États-Généraux, il fut résolu, à la mort de
Guillaume II, de supprimer le stadhouderat, et le gouverne-
ment passa entre les mains de quelques hommes énergiques,
tels que le pensionnaire Cats et plus tard le célèbre pension-
naire Jean De Witt, qui conduisirent les affaires de la répu-
blique avec vigueur et intelligence.
En 1660, un décret des États-Généraux porta que le fils
de Guillaume II, le prince d'Orange Guillaume III, né en
1650, serait nommé stadhouder et capitaine-général, à sa
majorité. Nous verrons ce prince h l'œuvre dans les guerres
de Louis XIV.
Nous avons déjà dit qu'en 1609, farchiduc Albert signa
avec les Hollandais une trêve de douze ans. L'archiduc mou-
rut à Bruxelles, en 1621, peu de mois après la fin de la trêve.
Isabelle continua l'administration des affaires des Pays-Bas
jusqu'à sa mort (1633).
Parmi les gouverneurs généraux qui lui succédèrent il
importe de citer : Ferdinand, cardinal-infant (1634-1641);
François de Mello (1641-1644) ; l'archiduc d'Autriche Léopold
Guillaume (1647-1656) ; don Juan d'Autriche, fils naturel de
Philippe III (1656-1659) ; le comte de Monterey (1670-1675) ;
— 6 —
Alexandre Farnèse, petit-tils de Marguerite de Parme (1680-
1682) ; enfin, à partir de 1692, Maximilien-Emmanuel, élec-
teur de Bavière, qui joua un rôle important dans les guerres
de Louis XIV.
De 1701 à 1704, en l'absence de Maximilien-Emmanuel,
qui dut se rendre en Allemagne, le marquis de Bedmar fut
commandant-général dans les Pays-Bas.
FRANGE.
Tandis que Charles-Quint étendait sa domination sur plu-
sieurs contrées de l'Europe, François I régnait en France.
Ce prince, après la victoire de Marignan sur les Suisses, fut
armé chevalier par Bayard (1515).
Les deux monarques élevaient des prétentions au trône
impérial d'Allemagne. Charles l'ayant emporté, il s'en suivit
une rivalité acharnée, et la possession du Milanais fut l'occa-
sion d'une guerre entre eux.
François I battu à Pavie (1525), fut emmené prisonnier à
Madrid. Rendu à la liberté, il refusa de remplir les engage-
ments qu'il avait contractés.
La guerre recommença et continua avec acharnement jus-
qu'à la paix de Cambrai, dite paix. des Dames (1529).
François I étant mort en 1547, son fils Henri II monta
sur le trône. Il épousa Catherine de Médicis et mourut d'un
coup de lance reçu dans un tournoi (1559).
Les troubles religieux en France commencèrent sous le
règne de François II, fils aîné et successeur de Henri II, pre-
mier époux de Marie Stuart, reine d'Ecosse.
— 7 —
François II mourut en 1560, laissant le trône à son frère
Charles IX. Ce fut sous le règne de ce dernier qu'eut lieu, à
l'instigation de Catherine de Médicis, sa mère, le massacre
des huguenots (La Saint-Barthélémy, 24 août 1572).
Charles régna jusqu'en 1574, sans laisser de postérité. La
couronne de France passa à son frère Henri III, auquel les
États-Généraux des Pays-Bas offrirent la souveraineté qu'il
refusa. Il fut assassiné, en 1589, par Jacques Clément.
Henri IV, roi de Navarre, ayant épousé en premières noces
Marguerite de Valois, sœur de Henri III, succéda à ce der-
nier. Il était du reste descendant de saint Louis, roi de
France.
Henri professait la religion protestante et fut chef des
huguenots. Aussi la Ligue refusa-t-elle de le reconnaître. Il
fut vainqueur du duc de Mayenne , chef des ligueurs , à
Arques (1589) et à Ivry (1590), assiégea Paris et y fit son
entrée, en 1594.
L'acte le plus important de son règne, Védit de Nantes{;V6^^),
accordait à ses sujets la liberté de conscience, l'exercice
public du culte réformé et le droit d'aspirer à toutes les
charges, sous condition de renoncer à toute ligue avec les
ennemis de l'État. Dirigé par Sully, premier ministre, son
gouvernement s'attacha à réparer les maux causés par la
guerre de religion.
Henri IV fit la guerre contre l'Espagne. Les hostilités se
terminèrent par la paix de Vervins (1598). Il fut assassiné par
Ravaillac, en 1610.
Louis XIII, fils aîné et successeur de Henri IV, régna de
1610 à 1643. Il n'était âgé que de neuf ans lorsqu'il monta
sur le trône. Sa mère, Marie de Médicis, se fit nommer régente.
Par sa laveur, un aventurier italien nommé Concini, qui
- 8 —
devint marquis et maréchal d'Ancre, obtint le pouvoir. Ses
procédés mécontentèrent les grands, à la tête desquels se
trouvait le prince de Condé.
Le maréchal d'Ancre ayant été assassiné, Albert de Luynes
le remplaça. A celui-ci succéda le cardinal de Richelieu,
évêque de Luçon. Il instigua toutes les guerres contre la
monarchie espagnole, afin d'établir la prépondérance poli-
tique de la France en Europe. A cet effet, il envoya des se-
cours et des subsides à la république de Hollande. Il aida
de même les protestants d'Allemagne, qui combattaient con-
tre l'empereur Ferdinand II, et contribua ainsi puissamment
à la continuation de la guerre de trente ans (1618-1648) qui
causa la ruine de l'Allemagne. Pour fortifier le pouvoir royal,
Richelieu diminua la puissance de la noblesse et anéantit
l'importance politique des huguenots par la prise de la Ro-
chelle, la dernière forteresse restée en leur pouvoir. Le
puissant cardinal-ministre gouverna la France pendant dix-
huit ans et mourut en 1642.
Louis XIV n'avait que cinq ans, à la mort de son père (1643).
Sa mère Anne d'Autriche, nommée régente, laissa à la tête
des affaires le cardinal Mazarin, qui continua la politique de
son prédécesseur Richelieu. Le nouveau ministre n'eut pas
le talent de se rendre populaire. Le parlement de Paris refusa
de ratifier les mesures financières qu'il avait proposées pour
couvrir les frais de la guerre de trente ans. Mazarin ayant
fait arrêter les chefs de l'opposition, la guerre civile éclata.
Elle prit le nom de guerre de la Fronde. Condé se mit à la
tête des révoltés, mais Turenne qui commandait les troupes
royales, défit les rebelles et rétablit la tranquillité.
La France avait déclaré la guerre à l'Espagne depuis 1635.
Une grande victoire remportée en 1643, à Rocroi, par le
- 9 -
jeune duc d'Eiigliien Condé II, depuis si illustre sous le nom
de grand Condé, releva le crédit politique de Mazarin. Les
succès furent ensuite contrebalancés par Turenne et Condé,
d'une part, et par Tarchiduc Léopold et don Juan d'Autriche,
quinzième et seizième gouverneurs-généraux des Pays-Bas,
d'autre part.
La paix des Pyrénées, conclue entre don Luis de Haro et
Mazarin , premiers ministres des rois d'Espagne et de
France, mit fin à la guerre. Elle fut signée, en 1659, dans l'île
des Faisans, au milieu de la Bidassoa. Un article du traité
stipulait le mariage de Marie-Thérèse, infante d'Espagne,
fille de Philippe IV, avec Louis XIV.
Mazarin mourut en 1661.
ANGLETERRE.
En Angleterre, la terrible guerre des Deux Roses (1455-
1485) pour la succession du royaume, contestée entre les
familles de Lancastre (rose rouge) et d'York (rose blanche),
venait à peine de finir, lorsque Henri VIII, l'héritier des
Deux Roses, l'homme aux six femmes et dont le règne fut
un tissu de cruautés et de scandales, introduisit le schisme
dans son pays. Il se fit proclamer chef suprême de l'Église
anglicane, afin de pouvoir répudier Catherine d'Arragon et
épouser Anne de Boulen qu'il fit décapiter plus tard. La ré-
forme se propagea sous Edouard VI, fils et successeur de
Henri VIII.
La sœur d'Edouard, Marie Tudor, fille de Catherine d'Ar-
ragon, monta sur le trône en 1553. Elle épousa Philippe II,
roi d'Espagne. Cette princesse rétablit le catholicisme en
Angleterre,
- 10 —
L'infortunée Jeanne Grey qu'Edouard VI avait désignée
comme son héritière et qui avait été proclamée reine, à la
mort de ce souverain, poursuivie par l'implacable ressenti-
ment de Marie Tudor, monta sur l'écliafaud ainsi que le
duc de Northumberland, beau-père de Jeanne et Dudley, son
mari.
Marie Tudor, morte en 1558, laissa le trône à sa sœur
Elisabeth, fille de Henri VIII et d'Anne de Boulen. Elisa-
beth, à son tour, usa de la force pour relever le protestan-
tisme.
Nous avons déjà vu que Marie Stuart, reine d'Ecosse, avait
été unie au roi de France François II. A la mort de ce sou-
verain, elle épousa son cousin Henri Darnley, qui mourut
assassiné par les ordres du comte de Bothwell. Ce crime et
ce mariage furent instigués par le comte de Murray, frère
naturel de Marie, gentilhomme intrigant et ambitieux. Après
le mariage, Murray dévoila le meurtre commis par Both-
well, et accusa publiquement Marie de complicité dans ce
forfait.
Une telle révélation mit le pays en émoi. Marie, faite pri-
sonnière, s'échappa. Son fils Jacques fut nommé roi d'Ecosse
et Murray régent. Marie dut chercher un asile auprès de la
reine Elisabeth; mais celle-ci voulant se venger des préten-
tions que Marie Stuart avait élevées autrefois au trône d'An-
gleterre, la tit monter sur l'échafaud (1587).
Après la mort d'Elisabeth (1603), son plus proche parent,
le fils de Marie Stuart, Jacques I, monta sur le trône. Il
réunit sous son sceptre l'Angleterre et l'Ecosse et devint
ainsi le premier roi de la Grande-Bretagne.
Charles I, fils de Jacques, lui succéda, en 1-625. Son règne
fut malheureux." Il soutint les droits des catholiques et mé-
contenta ainsi le parlement et le peuple. Une révolution
- H —
éclata en Angleterre et en Ecosse. Battu dans plusieurs ren-
contres, prisonnier et livré par les Écossais, Charles mou-
rut sur l'écliafaud (1649). C'est le premier exemple de régi-
cide dans l'histoire.
La république fut proclamée, avec le fanatique Olivier
Cromwell pour protecteur jusqu'en 1658. Son fils Richard
Cromwell lui succéda dans cette dignité. Impuissant à exer-
cer la dictature militaire avec autant d'énergie que son père,
il laissa toute autorité à ses généraux. L'un d'eux, Lambert,
se rendit maître de Londres et y établit un parlement. Cette
odieuse assemblée, qui mérita le nom de imrlement-croupiou
amena l'anarchie. Le général Monck profita de la guerre
civile pour restaurer la monarchie, et Charles II, fils de
Charles I, monta sur le trône (1660-1685). A l'avènement
de ce prince, la réaction fut telle que le peuple viola la sépul-
ture d'Olivier Cromwell et traîna son cadavre par les rues.
A Charles II succéda Jacques II (1685-1688) ; ses mesures
impolitiques le rendirent peu populaire. Il dut s'enfuir en
France.
La couronne d'Angleterre passa au prince d'Orange qui
régna sous le nom de Guillaume III. Ce prince avait épousé
Marie, fille de Jacques IL
ALLEMAGNE.
L'Allemagne, issue du démembrement de l'empire de Char-
lemagne, formait, au quatorzième siècle, une confédération
dont le chef était nommé par la Diète ou réunion des élec-
teurs (Bulle d'or de 1356).
Peux familles célèbres, les Habsbourg et les Hohenzollern,
— 12 —
(elles régnent encore de nos jours), y eurent presque toujours
la suprématie.
Voici, d'après de Las Cases, la curieuse origine de ces deux
familles.
Rodolphe de Habsbourg était un gentilhomme de l'Argau
(Suisse). Au milieu des troubles qui avaient ravagé l'Allema-
gne, il s'était acquis la réputation de grand capitaine et de
preux chevalier. Dans sa jeunesse, il avait été maître d'hôtel
d'Ottocar, roi de Bohême. Dans un âge plus avancé, il com-
manda les milices de Strasbourg et de Zurich. L'électeur
de Mayence ayant fait un voyage à Rome, l'honnête et brave
Rodolphe l'avait soigneusement garanti pendant sa route, des
brigands, qui, dans ces temps de désordres, infestaient
tous les chemins. Ce léger service lui valut la couronne im-
périale. En effet, ce même électeur présidait alors la Diète
d'élection, et la reconnaissance d'accord avec ses intérêts lui
fit proposer son généreux défenseur comme chef de l'empire.
Cependant on balançait encore , lorsqu'un gentilhomme ,
Frédéric de Hohenzollern, neveu de Rodolphe, fit valoir
adroitement une considération qui réunit tous les suffrages.
Le hasard avait voulu que trois électeurs ne fussent pas
encore mariés, et que Rodolphe eût précisément trois filles
nubiles. Frédéric n'eut pas de peine h faire comprendre
tout l'avantage d'avoir un empereur pour beau-père. Les trois
mariages devinrent les termes du traité, et Rodolphe fut
solennellement élu (1273).
Ce Frédéric de Hohenzollern fut le premier chef de la
maison de Prusse , comme Rodolphe celui de la maison
d'Autriche.
Rodolphe porta sur le trône les talents nécessaires. Un de
ses premiers soins fut de rétablir l'ordre parmi ses sujets, et
de se faire respecter de ses voisins.
- 15 -
Ottocar régnait en Bohême. Ce prince, à la faveur de
l'anarchie, avait secoué le joug de l'Allemagne dont il était
feudataire. Il s'empara même de l'héritage d'Autriche, dont
les maîtres s'étaient éteints durant les troubles.
Rodolphe le somma tout à la fois de rendre hommage pour
son royaume et de renoncer à son usurpation. Qu'on se figure
toute l'indignation d'un roi puissant qui se croit bravé par
celui qu'il appelle un de ses anciens domestiques. Aussi ne
répondit-il jamais aux sommations de l'empereur que par
des injures. « Que me veut Rodolphe? disait-il. Ne lui ai-je
» pas payé ses gages? Je ne lui dois plus rien. » Mais si
Rodolphe savait bien revendiquer ses droits, il savait encore
mieux les défendre. On prit les armes, on se battit, et Ottocar,
vaincu, fut obligé de se soumettre.
La prestation de l'hommage devait se faire dans une petite
île du Danube, dont les armées occupaient les deux rives.
Ottocar, pour ménager son orgueil , avait obtenu que la
cérémonie se passerait sous une tente, à l'abri de tous les
regards. Déjà, suivant l'usage, il était à genoux devant son
seigneur, ses mains étaient jointes entre les siennes, lorsque
tout-à-coup, par une tromperie méchante, la toile se leva et
fit voir aux deux armées, rangées en bataille, le fier Ottocar
dans cette position humiliante. Il se releva, la rage dans le
cœur et reprit les armes, mais il ne fut pas plus heureux.
Vaincu de nouveau, il périt dans la mêlée.
Rodolphe alors s'empara de ses États et, du consentement
de l'empire, investit ses enfants de la plus grande partie de
l'héritage d'Autriche.
Telle fut l'origine de la fortune de la maison de Habsbourg,
qui s'est élevée depuis à un si haut degré de gloire et de
puissance.
- 14 -
Nous avons vu après Ghaiies-Quint, son frère Ferdinand I
monter sur le trône impérial d'Allemagne (1556-1564). La
maison d'Autriche continua à régner, savoir : Maximilien II,
de 1564 à 1576; — Rodolphe II, de 1576 à 1612 ; — Mathias,
de 1612 à 1619; — Ferdinand II, de 1619 à 1637; — Ferdi-
nand III, de 1637 à 1657. — Léopold I, de 1657 à 1705.
L'effervescence religieuse amena, sous le règne de l'empe-
reur Mathias, les dissensions les plus graves. La guerre de
trente ans (1618-1648) faillit conduire l'Allemagne à sa perte.
Le prétexte en fut des plus futiles : en 1618, quelques ecclé-
siastiques hohémiens firent abattre des temples protestants
qu'on avait élevés chez eux. Ce prétexte religieux servit à
couvrir en réalité les projets ambitieux des rois de Danemark
et de Suède, et les plans de Richelieu. Tous les trois
visaient à abaisser la maison de Habsbourg qui semblait
vouloir convertir, à son bénéfice, le système fédératif de
l'Allemagne en une monarchie héréditaire. Une réclamation
ayant été adressée à Mathias , celui-ci envoya quelques
délégués à Prague, mais les protestants, instigués par les
manœuvres de l'électeur palatin Frédéric V, jetèrent les
représentants de l'empereur par les fenêtres du château. Cet
acte, connu sous le nom de défenestration de Prague, fut le
signal de la guerre.
Après Mathias, sous le règne de Ferdinand II, le comte
T'Serclaes de Tilly, qui commandait l'armée de la ligue ca-
tholique contre celle de l'union évangélique protestante,
sous les ordres de l'électeur palatin, gagna une bataille déci-
sive sous les murs de Prague. L'union évangélique appela à
son secours le roi de Danemark, Christian IV. Trois célèbres
aventuriers militaires, le comte de Mansfeld, Bernard de
Saxe-Weimar et Christian de Brunswick se joignirent à lui
contre l'Autriche.
— m -
L'empereur mit à la tête de ses troupes Walstein et Tilly.
Les rebelles furent battus de rechef, et la paix allait être
conclue, en 1629, lorsque le roi de Suède Gustave- Adolphe,
un des plus illustres guerriers de ce siècle, intervint. Il rem-
porta sur Tilly une grande victoire, près de Leipzig (1631), et
traversa l'Allemagne en vainqueur.
Tilly étant mort d'une blessure reçue à Augsbourg, l'empe-
reur confia le commandement à Walstein seul. Celui-ci livra
à Gustave-Adolphe la célèbre bataille de Lutzen (1632), dans
laquelle ce monarque, égaré par le brouillard, se jeta, au fort
de l'action, au milieu des troupes ennemies et périt. Les
soldats de Gustave vengèrent sa mort par une victoire écla-
tante.
L'empire dut lutter aussi contre la France. Les Espagnols,
qui soutenaient la ligue catholique, envahirent la Picardie,
s'emparèrent de Corbie, que Richelieu lui-même vint assiéger
et reprendre, en 1636.
Condé gagna la bataille de Rocroi (1643) contre Mello, et
ensuite celle de Fribourg (1644) contre Mercy, général au-
trichien. Ce dernier battit à son tour Turenne, à Marienthall
(1645), mais son armée fut vaincue par les Français, à Nord-
lingue, 011 il fut tué (1645).
En 1648, à Lens, Condé fut de nouveau vainqueur des
Espagnols, commandés par l'archiduc Léopold, tandis que
Turenne marchait sur Vienne.
La paix de Westphalie, conclue en 1648 par le congrès
réuni à Munster, mit fin à la guerre de trente ans. L'empire
céda la prépondérance à la France, qui acquit l'Alsace en
toute souveraineté. Tous les princes de l'empire recouvrè-
rent les États dont la guerre les avait privés ; la Suède acquit
dé vastes territoires dans le nord de l'Allemagne, et l'auto-
rité politique de l'empereur fut tout-à-fait amoindrie.
- 16 -
La même année le roi d'Espagne reconnut la république
de Hollande, sous Guillaume de Nassau, prince d'Orange.
Nous avons déjà parlé de la famille de Hohenzollern. En
1415, elle avait acquis l'électoral de Brandebourg, dont elle
prit le nom.
Georges-Guillaume, électeur pendant la guerre de trente
ans, eut un règne qui semble avoir été voué aux désastres'
et aux revers. Il hérita de la Prusse, de Clèves, de Juliers et
de la Poméranie, mais il eut constamment à disputer ces
beaux pays à des rivaux.
Son fils Frédéric-Guillaume lui succéda en 1640 ; c'est à
son avènement que commence l'époque brillante de la mai-
son de Brandebourg. Frédéric, si justement connu sous le
nom de grand électeur, affranchit la Prusse de la domina-
tion de la Pologne , termina la querelle de Juliers, obtint
définitivement pour sa part Clèves, recouvra une partie de
la Poméranie, et se fit accorder pour l'autre d'amples dédom-
magements. Ce prince créa par son génie la puissance de la
Prusse; il mourut en 1688.
Frédéric I, profitant de l'ascendant qu'avait exercé le
grand électeur Frédéric-Guillaume, son père, se fit couronner
roi de Prusse, en 1701. Il fut reconnu d'abord par l'empereur,
qui avait besoin de lui pour lutter contre Louis XIV, et bientôt
après par le reste de l'Europe.
Du règne de Frédéric I date pour le royaume de Prusse
une ère de prospérité et de splendeur qui s'est développée
jusqu'à nos jours.
- <7 -
RÈGNE DE LOUIS XIV.
Le jour même de la mort de Mazarin (1661), Louis XIV
déclara qu'il voulait régner seul. Aussi de ce moment date
son avènement réel.
Louis XIV était un souverain d'un grand génie, mais or-
gueilleux et ambitieux. Sous son règne, la personne royale
domina en tout et centralisa tous les pouvoirs.
Il eut pour ministre de la guerre le marquis de Louvois,
qui augmenta considérablement les forces de la France. Sous
son ministère, on divisa l'armée en corps constitués, régi-
ments, compagnies. On imposa l'uniforme et les manœuvres
furent réglementées. Une révolution complète se fit dans
l'art militaire.
Pendant les premières années du règne, Fouquet eut la
surintendance des finances. Ses prétentions à remplacer
Mazarin et ses anciennes relations avec la Fronde causèrent
sa disgrâce. Il fut accusé de dilapidation, après la célèbre
fête de Vaux, jeté en prison et remplacé par Colbert, finan-
cier d'un grand mérite.
Les amours du roi avec M"^ de Lavallière et M""' de Mon-
tespan, son mariage secret avec M™" de Maintenon, veuve du
poète cul-de-jatte Scarron, ont eu un retentissement im-
mense.
Louis XIV avait un frère, Philippe d'Orléans, qui épousa
Henriette d'Angleterre, fille de Charles I, et ensuite la prin-
cesse palatine Charlotte. Ce prince, aux mœurs légères, au
caractère dépravé, mourut en 1701.
L'histoire de l'homme au masque de fer, détenu à l'île
Ste-Marguerite, et qu'on présente comme celle d'un frère du
roi, est contestée par les historiens.
2
— 18 —
Louis XIV donna, à Versailles, sa résidence favorite, une
splendeur incomparable. Il embellit Paris, réorganisa les
armées de terre et de mer, institua les ordres du Saint-Es-
prit pour la noblesse et de Saint-Louis pour récompenser le
mérite des officiers, fonda l'hôtel des invalides et l'école de
Saint-Cyr, fit le code Louis, créa le grade de maréchal de
France, fonda l'Académie française des lettres, sciences et
beaux-arts, et donna en un mot à la France son maximum
d'éclat.
Le règne de Louis XIV qui mourut en 1715, est le plus
glorieux et le plus long de l'histoire de France. Nulle époque
ne fournit autant d'hommes remarquables. «Ge monarque, dit
l'abbé Maury, dans son discours de présentation à l'Aca-
démie française, eut à la tête de ses armées Turenne, Condé,
Luxembourg, Gatinat, Gréqui, Bouflflers, Montesquiou, Ven-
dôme et Villars. Château -Renaud , Duquesne , Tourville ,
Duguay-Trouin, commandaient ses escadres. Golbert, Lou-
vois, ïorcy, étaient appelés à ses conseils. Bossuet, Bourda-
loue, Massillon, lui annonçaient ses devoirs. Son premier
sénat avait Mole et Lamoignon pour chefs, Talon et d'Agues-
seau pour organes. Vauban fortifiait ses citadelles. Riquet
creusait ses canaux. Perrault et Mansard construisaient ses
palais. Puget, Girardon, Le Poussin, Le Sueur et Le Brun les
embellissaient. Le Nôtre dessinait ses jardins. Gorneille,
Racine, Molière, Quinaux, La Fontaine, La Bruyère, Boileau
éclairaient sa raison et amusaient ses loisirs. Montausier,
Bossuet, Fénélon, Huet, Fléchier, l'abbé de Fleury, élevaient
ses enfants. G'est avec cet auguste cortège de génies immor-
tels que Louis XIV, appuyé sur tous ces grands hommes, se
présente aux regards de la postérité. »
GUERRES DE LOUIS XIV.
« C'est un soleil dont l'aurore est obscurcie
par les troubles de la Fronde ; à son midi, il
brille du plus bel éclat et sa chaleur anime
toute la terre ; des nuages sombres signalent
son déclin et président à son coucher. »
(Le Comte de Las Cases.)
Paix des Pyrénées. — Guerre de Flandre el de Franche- Comté. —
Paix d.' Aix-la-Chapelle. — Guerre de Hollande. — Passage du Rhin. —
Maison du Eoi. — Évacuation de la Hollande. — Bataille de Seneff'e.
La paix conclue, en 1659, entre l'Espagne et la France,
par le Timté des Pyrénées, confirma cette dernière puissance
clans la possession de l'Alsace, lui acquit de plus le Roussil-
lon et beaucoup de villes des Pays-Bas, dans le Luxembourg,
le Hainaut, l'Artois et la Flandre. La nouvelle frontière fran-
çaise s'étendait à peu près de Gravelines à Montmédy. Un
des articles du traité de paix contenait une promesse de
mariage entre Louis XIV et l'infante d'Espagne Marie-Thé-
rèse qui renonçait, moyennant une dot de 500,000 couronnes
d'or, à tous ses droits au trône d'Espagne ou à quelque
partie que ce fut de la monarchie espagnole, même si la
famille régnante venait à manquer d'héritier mâle. Le mariage
eut lieu, en 1660,
— 20 —
Le roi d'Espagne, Philippe IV, mourut en 1665, ne laissant
pour héritier qu'un fils âgé de quatre ans, qu'il avait eu d'un
second mariage et qui régna sous le nom de Charles lï.
Louis XIV réclama aussitôt les duchés de Limbourg et de
Brabant, ainsi que la Franche-Comté. Les prétentions que la
cour de France fit valoir au profit de la reine étaient fondées
sur le droit de dévolution, droit purement coutumier, qui
était encore en vigueur dans certains cantons des Pays-Bas,
et en vertu duquel l'héritage paternel était attribué ou dévolu
aux enfants nés d'un premier mariage.
Après deux années de négociations infructueuses, la lutte,
quelquefois suspendue et jamais terminée, de la France et
de l'Espagne recommença.
Louis XIV rassembla son armée à Compiègne, en 1666, et
envahit les Pays-Bas, en 1667, avec trois corps d'armée. Le
premier, fort de 35,000 hommes, et commandé par le roi
ayant sous ses ordres le maréchal de Turenne, se dirigea sur
Charleroi, qui fut pris, ainsi qu'Ath, Tournai, Douai et Lille.
Cette dernière ville, la seule passablement défendue par les
Espagnols, dut capituler au bout de neuf jours. Le deuxième
corps, comptant 8,000 hommes, était commandé par le maré-
chal d'Aumont. Il s'empara d'Armentières, Furnes, Bergues-
St-Vinox, Courtrai et Audenarde. Le troisième corps, com-
prenant 4,000 hommes, sous les ordres du marquis de Créqui,
resta en observation dans le Luxembourg.
L'Espagne n'avait, pour résister à l'invasion, qu'environ
8,000 hommes, commandés par le comte de Marzin et le
prince de Ligne. Hors d'état d'arrêter l'ennemi, ces généraux
se retirèrent sur Bruxelles. Leur arrière-garde seule fut un
peu engagée avec les Français.
Après la reddition de Lille, Louis rentra à Paris, laissant
le (.'onimand(!m('iit à Turenne (jui pril Alost.
— 21 —
En 1668, Louis XIV, en personne, envahit la Franche-
Comté. Le prince de Condé commandait sous lui. Le roi
rencontra peu de résistance, les Espagnols n'étant nullement
préparés à la guerre. Il prit Besançon, Salins, Dôle et se
rendit maître en quinze jours de toute la province.
Ces rapides succès alarmèrent les Provinces-Unies et
l'Angleterre. Leurs députés, avec ceux de Suède, conclurent,
à l'instigation de De Witt, à la Haye, le traité de la Triple
Alliance, pour arrêter les progrès des armées françaises.
Cette alliance eut pour effet immédiat la paix d'Aix-la-
Chapelle (1668). La Franche-Comté fut restituée à l'Espagne,
et la France acquit Charleroi, Binche, Ath, Douai, Tournai,
Audenarde, Lille, Armentières, Courtrai, Bergues et Furnes.
Ces places furent aussitôt fortifiées par Vauban.
Louis XIV vivement irrité contre les Hollandais, les insti-
gateurs de la Triple Alliance, et poursuivant son dessein de
réunir les Pays-Bas à la monarchie française, se détermina
à porter la guerre d"iis les Provincîes Unies.
Il entreprit d'abord de s'attacher l'Angleterre et envoya,
dans ce but, k la cour de Charles II, Henriette, sœur de ce
souverain. Cette princesse avait épousé le duc Philippe
d'Orléans, frère de Louis XIV.
Charles II promit, au mépris de la Triple Alliance, 6,000
hommes de troupes anglaises et sa flotte. Il devait obtenir
en échange les îles de Walcheren et une somme considérable.
Yolaine de Kéroual, qui accompagnait Henriette et devint
plus tard favorite du roi d'Angleterre et duchesse de Ports-
mouth, contribua à cette négociation. La cour de France
parvint aussi facilement à gagner l'alliance de la Suède.
Cette puissance, en retour d'un fort subside, prit l'engage-
ment d'envoyer 10,000 fantassins et 6,000 chevaux, contre
— 22 —
tout État d'Allemagne qui tenterait de secourir les Hollan-
dais. Louis s'assura enfin du concours de l'évêque de Mun-
ster et de l'électeur de Cologne. L'Espagne résista à tous
les efforts tentés pir la France. D'un autre côté, l'électeur
de Brandebourg, Frédéric-Guillaume, résolut d'appuyer la
Hollande et s'engagea à lui fournir 20,000 hommes.
Louis XÏV commença les hostilités ei5 faisant envahir la
Lorraine par le maréchal marquis de Créqui (1670). Le duc de
Lorraine s'enfuit en Allemagne. La possession de la Lorraine,
interceptait toute communication entre les Pays-Bas et la
Franche-Comté.
Le 16 avril 1672, 6,000 Anglais, sous les ordres du duc de
Monmouth, fils naturel de Charles II, vinrent renforcer les
Français. Louis lança alors sa déclaration de guerre. Son
armée, forte de 130,000 hommes, était divisée en trois corps
commandés respectivement par Turenne, le prince de Condé
et le comte de Chamilly. Condé devait former l'avant-garde.
Le roi accompagnait le corps de Turenne auquel était attaché
le contingent britannique où Churchill, duc de Marlborough,
servait comme capitaine.
L'armée française marcha sur Charleroi, de là vers la
Meuse qu'elle franchit à Maeseyck, pour envahir la contrée
par la trouée entre le Rhin et la Meuse; on évitait ainsi
Maestricht qui fut bloqué. Les diverses villes des rives de
la Meuse et du Rhin se rendirent sans résistance.
Les Hollandais avaient environ 50,000 hommes dont les
trois quarts étaient dispersés dans les forteresses. Le prince
d'Orange, Guillaume-Henri de Nassau, plus tard roi d'Angle-
terre, alors âgé de 22 ans, vint avec 12,000 hommes occuper
la rive droite de l'Yssel, pour en disputer le passage aux
Français.
La sécheresse de la saison avait rendu le Rhin guéable à
— 23 —
peu près à la jonction de ce lleuve avec l'Yssel, près d'une
vieille tourelle qui servait de bureau de péage et qu'on nom-
mait le Tolkuys. Dix-sept soldats hollandais occupaient ce
poste.
Des gens du pays informèrent les Français de cet état de
choses. Le gué fut reconnu avec soin et jugé praticable à la
cavalerie, sauf sur une distance d'une vingtaine de pas h tra-
verser à la nage. Le passage fut aussitôt décidé d'après cette
reconnaissance.
Sur la rive opposée se trouvait le feld-maréchal Wurtz,
avec quatre régiments de cavalerie et deux d'infanterie,
troupes allemandes et hollandaises, retranchées derrière un
parapet en terre, à une lieue de l'endroit oii les Français
devaient franchir le tleuve.
« Ce fut, dit Gapefigue, un beau spectacle que le matin du
o juin 1672. Le régiment des cuirassiers dont le comte de
Rével était le colonel, commença à s'enfoncer dans les eaux
du Rhin. Ces hommes de forte stature, bardés de cuirasses,
montés sur des chevaux de haute taille, s'avançaient par
escadron à travers le courant du fleuve. Leurs armes bril-
laient de mille feux resplendissant au soleil. Parvenus au
milieu du Rhin, les cuirassiers ne purent tenir leurs rangs ;
quelques uns furent entraniés par la rapidité du flot et se
noyèrent. Heureusement pour eux, le feld-maréchal Wurtz
n'avait aucune artillerie, tandis que Condé les protégeait de
quelques volées de coup de canon, et de nouveaux escadrons
se mirent en bataille au bord de l'eau. »
Ainsi passèrent presque sans risque la meilleure cavalerie
et les volontaires gentilshommes de la Maison du Roi, en
tout 15,000 hommes. A peine quelques cavaliers hollandais
entrèrent-ils dans la rivière en faisant un simulacre de
défense. Ils s'enfuirent au bout de quelques instants devant
— 24 -
la multitude qui venait à eux. La Maison du Roi attaqua les
retranchements défendus par le maréchal Wurtz. Celui-ci tî ^
sa retraite avec précipitation, délaissant son arrière-garde
Il n'y aurait eu personne de tué dans cette journée, sans
l'imprudence du jeune duc de Longueville, neveu de Condé.
On dit qu'ayant la tête troublée par les fumées du vin, il tira
un coup de pistolet sur les ennemis qui demandaient grâce»
en leur criant : « Point de quartier pour cette canaille ! » Le
coup avait tué un de leurs officiers. L'infanterie hollandaise
exaspérée saisit aussitôt ses armes et tua le jeune duc, auteur
de cette injustifiable agression. Un capitaine de cavalerie
hollandaise, nommé Ossembroek, courut au prince de Condé,
au moment où celui-ci, ayant effectué le passage en bateau»
mettait pied à terre et s'apprêtait à monter à cheval. L'officier
appuya son pistolet à la tête du prince, mais Condé, par un
brusque mouvement, détourna le coup qui lui fracassa néan-
moins le poignet.
Les Français irrités passèrent par les armes tous les
ennemis qu'ils purent atteindre.
Louis XIV, après avoir dirigé lui-même toute la marche,
traversa le fleuve, avec l'infanterie, sur un pont de bateaux.
Avant de continuer notre récit, disons quelques mots de
la Maison du Roi dont nous venons de parler.
Sous Louis XIV, tout gentilhomme devait servir en temps
de guerre. Gomme il n'y avait pas assez de places d'officiers
vacautes dans les régiments, pour les nobles qui se pré-
sentaient, le roi résolut de former un corps spécial de tous
ceux d'entre eux laissés sans emploi. Ce corps s'appelait
Maison du Roi et comptait environ 2,000 nobles. Louis XIV
traitait avec une grande déférence les volontaires de sa Mai-
son. Il se découvrait souvent en leur présence, et ne les
-as-
saillait jamais que du nom de « Messieurs. » Dans les camps,
ces brillants gentilshommes menaient une vie bruyante.
Leurs loisirs étaient partagés entre un jeu effréné et la bonne
chère ; aussi, Louis se crut-il obligé de leur imposer une
discipline sévère. Sur les champs de bataille, la Maison du
Roi était admirable de valeur.
La position du prince d'Orange étant tournée par le pas-
sage du Rhin, effectué par l'armée française, Louis XIV
traversant de nouveau le fleuve, mais cette fois sans aucune
difficulté, pénétra au cœur de la Hollande et subjugua les
provinces de Gueldre, d'Over-Yssel et d'Utrecht. Il fixa sa
cour dans la ville d'Utrecht, et s'apprêtait à marcher sur
Amsterdam, mais il fut arrêté dans ses conquêtes, les Hol-
landais ayant coupé les digues et inondé le pays.
Le plan de campagne de Louvois était d'arriver à Amster-
dam par terre, à la faveur des gelées, tandis que les flottes
française et anglaise, sous les ordres du duc d'York, qui régna
plus tard sous le nom de Jacques II, attaqueraient par le
Zuiderzee. Ces projets furent déjoués par l'intrépide amiral
Ruyter, qui battit les flottes ennemies à Scheveningue.
Les Hollandais demandèrent bientôt la paix, mais ils ne
reçurent que des réponses pleines de hauteur et des proposi-
tions inacceptables. Désespérés, ils rétablirent le stadhouderat,
aboli antérieurement, et donnèrent au jeune prince d'Orange,
l'ardent partisan de la continuation de la guerre, toutes les
charges de ses prédécesseurs. Une populace furieuse mas-
sacra le grand pensionnaire Jean De Witt et son frère Cor-
neille, républicains zélés et excellents citoyens, mais qui,
par leur opposition à la continuation de la guerre et à la
maison d'Orange, étaient regardés comnie les auteurs des
calamités de la patrie.
— 26 -
La campagne de Hollande, que nous venons de décrire,
est appelée par quelques historiens la Guerre des médailles.
En effet, après la paix d'Aix-Ia-Gliapelle, les Hollandais firent
frapper plusieurs médailles commémoratives , dont l'une ,
représentant le soleil s'éteignant sous des flots d'eau, avait
cet exergue : lu conspectu meo stetit sol. (En ma présence le
soleil s'arrêta.) L'allusion était évidente, car un ambassadeur
des Provinces-Unies, à Paris, portait le nom de Josué, et
Louis, pour signaler que rien ne pouvait égaler sa gloire,
avait pris pour emblème un magnifique soleil avec la devise :
Nec pluribus impar.
Une telle insulte devait blesser l'irritable fierté de
Louis XIV. Aussi parmi les conditions imposées à la Hollande,
après l'invasion de 1672, il était stipulé qu'en reconnaissance
de la paix, les États-Généraux feraient présent, chaque année,
à Sa Majesté, d'une médaille d'or pesant un marc, laquelle
perpétuerait la bonté du roi de France envers la Hollande.
Entretemps l'électeur de Brandebourg arriva avec 20,000
hommes au secours de la Hollande. Les Français furent
obligés d'envoyer contre lui le maréchal de Turenne avec
12,000 hommes, qui passèrent le Rhin à Wesel, pour opérer
de concert avec les petits États allemands.
Léopold I envoya le comte de Montecuculli, avec un corps
d'armée, pour agir avec l'électeur de Brandeboui'g ; mais le
comte n'entreprit rien, les Franç^'ais n'ayant menacé aucune
place de l'empire.
Le corps de Turenne fut renforcé et menaça la Westphalie.
Aussitôt l'électeur de Brande])ourg, craignant pour ses pro-
pres États, fit la paix. Le duc de Lorraine dépossédé parvint
à lever 18,000 hommes et l'Espagne déclara la guerre à la
France.
— 27 —
Cependant Conclé investit subitement Maestricht, dont
Louis XIV dirigea le siège. La place fut prise en treize jours
(29 juin 1673). Ce siège est mémorable parce que c'est le
premier où l'on ait fait usage de zigzags, d'après la méthode
introduite par Vauban.
Le prince d'Orange, renforcé d'un contingent espagnol,
assiégea et reprit Naarden, passa le Rhin à Wesel, et alla
faire sa jonction avec Montecuculli, près de Bonn, évitant le
corps d'armée de Turenne.
En présence des corps d'armée considérables des Hollan-
dais, des Espagnols et des Impériaux, qui menaçaient les
Français à revers, ceux-ci évacuèrent toutes leurs conquêtes
de Hollande, sauf Grave, Maeseyck et Maestricht et se reti-
rèrent en Belgique. Les Impériaux prirent leurs quartiers
d'hiver dans l'électoral de Cologne.
L'année suivante (1674), le Parlement d'Angleterre ayant
refusé tout subside pour la guerre contre les Hollandais, le
roi Charles II fut obligé de faire la paix avec eux. Le corps
de Monmouth continua néanmoins à rester sur le continent,
comme partie intégrante de l'armée de Turenne. Les petits
États d'Allemagne firent aussi la paix avec les Provinces-
Unies, et Frédéric-Guillaume renouvela avec elles le traité
d'alliance, en vertu duquel il devait fournir un contingent de
20,000 hommes.
Léopold ï déclara la guerre à la France.
Louis XIV mit trois armées en campagne. Condé eut le
commandement de celle des Pays-Bas, forte de 40,000 hom-
mes ; Turenne de celle du Rhin, comptant 20,000 hommes,
tandis que le roi lui-même prit le commandement de la
troisième, évaluée à près de 60 à 70,000 combattants destinés
à opérer dans la Franche-Comté.
— 28 —
L'ancien plan de campagne de Louvois fut totalement
changé, en présence de la position des armées alliées à com-
battre. Il ne pouvait plus être question de prendre le Zuider-
zee comme objectif. La principale ligne d'opération devaient
être le Rhin et les Vosges. Il fut donc décidé que Condé se
tiendrait sur la défensive dans les Pays-Bas, que le roi en-
trerait dans la Franche-Comté, tandis que Turenne marche-
rait par l'Alsace vers le Palatinat, pour empêcher aux alliés
le passage du Rhin.
L'invasion de la Franche-Comté se fit sans rencontrer de
résistance. En moins d'un mois, le corps d'armée de Louis,
sous lequel commandait le duc de Navailles , s'empara de
tout le territoire ; et de Vesoul à Lons-le-Saulnier, le dra-
peau français remplaça le drapeau espagnol.
Condé vint prendre position entre Mons et Charleroi. Le
prince d'Orange voulut s'opposer à lui, mais bien que re-
cherchant une bataille, il n'osa attaquer les Français, dans
l'excellente position stratégique qu'ils occupaient. Le prince
se rabattit sur Audenarde, dans le but d'en faire le siège. Son
armée, forte de 55,000 hommes, était composée d'Espagnols,
sous les ordres du comte de Monterey, vingtième gouver-
neur des Pays-Bas, d'Allemands conduits par le comte de
Souches, et de Hollandais, sous son propre commandement.
Le 21 août 1674, au matin, l'armée alliée se trouvait à la
hauteur de Seneffe, marchant vers Ath et prêtant ainsi le
liane aux attaques de l'ennemi. Devant traverser plusieurs
défilés, elle fut obligée de se morceler. La cavalerie alle-
mande constituait l'avant-garde. Le corps de bataille, formé
principalement d'infanterie hollandaise et sous les ordres
directs d'Orange, venait ensuite; enhn l'arrière-garde du
comte de Monterey fermait la marche. Le terrain très-acci-
— 29 —
denté était couvert de haies et de bois ou entrecoupé de
marais.
Gondé, parfaitement au courant de tous les mouvements
de l'ennemi, fondit sur l'arrière-garde, qui sortait du village
de Seneffe et était séparée du reste des troupes. Au bruit de
cette surprise, le prince d'Orange accourut. L'arrière-garde
culbutée d'abord parvint à se reformer au village de Fayt
dont elle se fit un point d'appui. L'infanterie hollandaise cou-
ronna immédiatement toutes les hauteurs boisées sur sa
gauche. A cette époque, on ne connaissait pas encore l'art
de se porter d'une position à une autre en s'y déployant ra-
pidement; aussi les chocs successifs des Français furent
infructueux. Les assaillants s'étaient heurtés contre la co-
lonne presqu'entière des Hollandais. L'action fut des plus
acharnées et dura douze heures. Deux fois les Français
virent leurs assauts repoussés. La nuit étant survenue, la
bataille continua à la clarté de la lune. A minuit, Gondé or-
donna une dernière attaque (1), mais toutes les positions en-
(1) Malgré la position formidable de rennemi , emporté par son
com^age, et se flattant d'ailleurs que la terreur qu'avait dû répandre
son premier succès pourrait en entraîner un second , Condé mai-che
en avant avec inti-épidité. Dans ce moment , Fourilles , un de ses
meilleurs officiers et à qui l'arme de la cavalerie devait une discipline
nouvelle, voulut lui faire quelques observations sur un ordre d'attaque
qu'il reçut du prince. « Ce ne sont point des conseils que je vous
demande, répondit le pi'ince, dont la bouche n'était pas assez fermée
aux pai"oles d'outrage et d'impatience, ce n'est pas d'aujourd'hui que
je sais que vous aimez mieux raisonner que combattre. » Fourilles ne
méritait pas un tel reproche : il obéit frémissant de rage et disperse
tout devant lui. Mais il est frappé d'un coup mortel; il tombe, et encore
sensible à son affront :« Je ne demande à Dievi, dit-il en expirant,
qu'une heui'e de vie, poia- voir comment monsieur le prince se tii'era
d'affaire.» 11 l'aurait vu victorieux; mais parce que Condé, à la tête des
gardes du corps, paya de sa personne et vainquit l'opiniâtreté de ses
adversaires autant que leur courage. Le général espagnol marqviis
— 50 —
nemies étaient évacuées. Cette sanglante journée n'amena
aucun résultat. 25,000 hommes environ furent tués ou blessés.
Le bouillant Condé eut trois chevaux tués sous lui et faillit
être fait prisonnier.
Les deux partis s'attribuèrent l'avantage. Cependant le
prince de Condé n'avait pas réussi à couper l'arrière-garde
alliée, tandis que le prince d'Orange, poursuivant sa marche,
put investir Audenarde.
Vauban, qui avait la direction de la défense de la place,
ordonna d'ouvrir les écluses de l'Escaut, à Tournai. L'inon-
d'Assentar, frappé de six blessures, refusa de quitter le champ de
bataille, et une septième lui enleva la vie. Imitant son exemple, la
plupart des autres officiers furent tués ou grièvement blessés. Le
prince d'Orange se fortifia en hâte derrière des bois et des marais
dominés par des hauteurs où il plaça son artillerie, et conservant
toujours l'avantage du nombre, il se donna encore celui de la posi-
tion. Mais la déroute complète de l'ennemi ne pouvait étanclïsr chez
Condé la soif de la gloire; il forme sans délai son plan d'attaque,
l'exécute à l'instant et ne se rebute ni par les pertes qu'il éprouve , ni
par les renforts de troupes fraîches, par lesquelles l'ennemi remplace
celles qu'il a détruites. Un régiment d'infanterie plie à ses côtés; il
descend de cheval pour se mettre à sa tête. Mais sa présence ne peut
arrêter la fuite, et il se trouve presque livré à l'ennemi. « Sauvez-vous,
Monseigneur, lui crie-t-on, courez, vous allez être pris. » Maître de
hii-même, au milieu du danger : « On ne court pas, répond-il gaiement,
faisant allusion à. la goutte dont il était rongé , on ne court pas avec
mes mauvaises jambes. » Cependant il ordonna un mouvement décisif
à deux bataillons suisses , qu'effraie l'entreprise , ou qui, la regardant
comme impossible, haussent les épaules, et n'obéissent point. Il fallait
qu'il y eût quelque chose d'excusable dans ce l'efus, car au lieu de
s'emporter, Condé se contenta de dire froidement : « Cherchons-en
d'autres, car ceux-ci n'iront jamais. » La nuit qui survint n'arrêta pas
l'acharnement des soldats. La lune éclaira jusqu'à minuit un combat
qui durait depuis dix heures du matin, et au retour de l'aurore, le
prince voulait le renouveler ; mais lui seul avait encore envie de se
battre, et l'on prétend même qu'à ce moment, les deux armées frappées
d'iuie terreur mutuelle, s'éloignèrent simultanément du chaTnp de
bataille. (Note tirée d'AnquetilJ.
- M -
dation qui s'en suivit à Audenarde et les mouvements de
l'armée française obligèrent d'Orange h lever le siège. Il
envoya alors un corps de troupes pour s'emparer de Huy et
alla lui-même prendre part au siège de Grave , ville qui
ne tarda pas à se rendre. Condé envoya un renfort considé-
rable à Turenne et mit ses troupes en quartier d'hiver.
II
Turenne en Alsace et clans le Palatinat. — Bataille de Sinzheim. —
Combat d'Enzheim. — Affaire de Turkeim. — Mort de Turenne. —
Armée de la Moselle. — Turenne, Condé et Montecuculli. — Bataille de
Cassel. — Surprise de Léau. — Paix de Nimègue.
Les Impériaux voulaient traverser le Rhin et chasser les
Français de la Lorraine. Le duc de Lorraine s'était déjà
porté avec 9 à 10,000 hommes sur le Necker et attendait du
renfort pour marcher vers ses États. Turenne se trouvait à
Bâle, pour protéger la conquête de la Franche-Comté. Aus-
sitôt qu'il apprit la position du duc de Lorraine sur la rive
droite du Rhin, il descendit entre la rive gauche du fleuve
et les Vosges, jusqu'à Saverne, pour arrêter l'ennemi. Le duc
de Lorraine ne voulait pas agir avant d'avoir reçu ses ren-
forts ; il croyait du reste Turenne bien loin de lui, lorsque
ce dernier marcha vers la droite en changeant rapidement
de direction, l'atteigiiit le 16 juin 1674, à Sinzheim sur
l'Elzbach et lui livra combat.
Los Impériaux, ayant leur cavalerie aux ailes, étaient
rangés en bataille sur deux lignes, le dos tourné à la forêt
dite Stadt forle Wald, près de la ville de Sinzheim, où ils
— 32 --
n'avaient laissé pour la défense qu'un régiment d'infanterie
et 400 dragons.
Turenne, avec 8,900 hommes, prit position dans la vallée
de l'Elzbach, sur deux lignes ayant en front l'artillerie. Son
premier soin fut d'envoyer un détachement attaquer la gar-
nison de Sinzheim. Pendant une heure et demie, on combattit
dans les jardins et les bâtiments de l'abbaye voisine de la
ville. Une partie des Impériaux y furent faits prisonniers ;
le reste prit la fuite.
En vain le duc de Lorraine avait-il envoyé un régiment
pour soutenir ces troupes. Le régiment fut arrêté à mi-
chemin par un détachement français qui l'obligea h reculer.
Turenne envoya de l'infanterie occuper le ravin étroit qui
menait à la position des Impériaux. Il fit ensuite passer l'Elz-
bach au reste de ses troupes et les posta, en plusieurs
lignes, sur le plateau resserré qui se trouvait à droite du
ravin.
Pendant que Turenne prenait ses dispositions, le géné-
ral de Saint -Abre, qui commandait la première ligne,
s'avança en rase campagne et présenta à l'ennemi ses flancs
dégarnis. Le duc de Lorraine s'en aperçut, se précipita sur
lui et le culbuta sans beaucoup de peine. La cavalerie fran-
çaise prit la fuite, mais les corps d'infanterie purent se dé-
rober à la poursuite des cuirassiers impériaux, grâce à une
épaisse poussière.
Turenne accourut et fit avancer toute son armée dans
la plaine, où il prit une nouvelle position sur trois lignes
présentant un front aussi étendu que celui de l'ennemi.
Les Français reprirent alors l'offensive. L'affaire devint
chaude et les escadrons des deux armées, couverts d'un
épais nuage de poussière se chargèrent à différentes reprises.
Les Impériaux opposèrent une vive résistance. A la fin ce-
Légende
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— 33 —
pendant, le duc de Lorraine dut ordonner à sa seconde ligne
de battre en retraite dans la forêt; le reste de ses troupes
suivit bientôt le même chemin et le champ de bataille resta
au pouvoir de Turenne.
Les Impériaux gagnèrent le Necker, et se mirent en sûreté
au-delà de cette rivière.
Les Français perdirent 1,100 hommes; les Impériaux,
2,000, sans compter 500 prisonniers.
Kaussler attribue la défaite des Impériaux :
1° à la faible résistance qu'ils opposèrent au passage de
l'Elzbach par les Français ;
2° à leur position éloignée de Sinzheim, ce qui les força
de rester spectateurs oisifs de la prise de cette ville, et
permit aux Français de passer la rivière sans difficulté;
3° à la faute que commit le duc de Lorraine en envoyant
trop tard des troupes pour soutenir la garnisoli de Sinzheim ;
4° au manque d'artillerie des Impériaux; au moins n'est-il
fait mention de cette arme, dans aucune relation.
Cette victoire contribua puissamment à grandir Turenne
dans l'esprit de ses soldats et même de ses ennemis.
Turenne fit repasser le Rhin à ses troupes pour leur pro-
curer les subsistances dont elles avaient besoin.
Les renforts attendus par les Impériaux vinrent les rejoin-
dre sur le Necker. Turenne dont l'armée avait été aussi ren-
forcée par des troupes du corps de Gondé, traversa de nou-
veau le Rhin pour se porter contre les Impériaux. Les
généraux qui commandaient ceux-ci, mal instruits des forces
dont disposait le maréchal, reculèrent et mirent le Mein
entre eux et lui. Le Palatinat fut ainsi livré aux Français.
3
- u —
L'électeur palatin, après avoir tenu le parti de la France,
s'était tourné contre elle. Pour l'en punir et empêcher l'en-
nemi de subsister encore dans ce pays, les Français ravagè-
rent les campagnes, détruisirent ou incendièrent plusieurs
villes ou villages et commirent toutes espèces d'excès (4).
Leur armée alla ensuite s'établir aux environs de Landau.
Les Allemands, au nombre de 35,000 hommes, se portèrent
en avant, et traversèrent le Rhin à Mayence. On craignit en
France une invasion en Lorraine et en Champagne. Turenne
reçut en conséquence l'ordre d'évacuer l'Alsace, mais con-
fiant dans ses propres projets, il n'exécuta point ce mouve-
ment de retraite.
L'ennemi, reconnaissant la difficulté de forcer les Français
dans leur position, repassa le Rhin. Peu de temps après
cependant, il pénétra sans difficulté en Alsace par le pont de
(1) Le paysan, au désespoir, vengea sa ruine par des atrocités qu'il
se permit sur quelques maraudeurs , et surtout sur quelques Anglais
des régiments de Douglas et d'Hamilton, qui, malgré la paix entre
l'Angleterre et les États-Généraux, avaient refusé, par estime pour
Turenne, de quitter son armée. Ceux-ci , ayant rencontré leurs cama-
rades mutilés de la manière la plus barbare , massacrèrent à leur tour
tout ce qui se trouva sous leurs pas , et marchant comme des furieux,
le fer et la flamme à la main , ils incendièrent plusieurs villes , bourgs
et villages.
Dans la douleur et l'indignation dont fut pénétré l'électeur, il fit
porter à Turenne , par un trompette , une lettre piquante , où lui attri-
buant l'ordre formel de ces embrasements , il en faisait ironiquement
honneur au changement opéré en lui depuis sa conversion à la religion
catholique, et après lui avoir rappelé que ce pays désolé par ses
troupes avait autrefois servi d'asile à son père , il finissait par lui de-
mander heure et lieu pour tirer de lui une satisfaction, qu'il ne pouvait
obtenir à la tête d'une armée. Turenne, dans sa réponse , passa sous
silence l'article du cartel, il nia d'avoir donné les ordres odieux que
lui imputait l'électeur, lui rendit compte avec simplicité des causes
qui avaient amené ces malheurs imprévus et promit de les punir.
(AXQUETIL).
— 35 —
Strasbourg que les magistrats de cette ville neutre lui avaient
livré.
La situation de Turenne devenait d'autant plus critique
que rélecteur de Brandebourg, à la tête de 25,000 hommes,
était en marche pour se joindre aux 35,000 combattants
de l'armée alliée. Mais comme la saison était déjà avancée,
et que l'électeur n'avait d'autre projet pour cette année que
d'établir ses quartiers en Alsace, il marchait à très-petites
journées. Turenne profita de cette connaissance pour atta-
quer les Allemands, avant l'arrivée de l'électeur de Brande-
bourg.
Au jour fixé par lui (4 octobre 1674) et lorsqu'on ne pou-
vait le croire occupé que de sa propre sûreté dans son camp,
il se mit en mouvement, longea les Vosges jusqu'à Moltzheim,
et descendit des hauteurs de ce village pour tomber sur les
alliés qui débouchaient dans les plaines d'Enzheim. Malheu-
reusement une pluie affreuse ralentit sa marche et lui fit
trouver en bataille un ennemi qu'il eût surpris sans ce con-
tretemps. La pluie ne discontinua pas et même dans le cours
de l'action elle redoubla avec une telle violence que le com-
bat dut être suspendu ; aussi n'y eut-il aucune de ces évolu-
tions qui, souvent, décident de la victoire. Tous les efforts
de Turenne se portèrent contre la gauche des Allemands.
Ceux-ci étaient couverts sur ce point par un petit bois ; ils
y résistèrent à quatre attaques vigoureuses de l'infanterie
française, mais ils cédèrent à une cinquième conduite par
Turenne lui-même qui eut un cheval tué sous lui. Ce succès
entraîna le gain de la bataille. Les ennemis se retirèrent en
assez bon ordre sous le canon de Strasbourg, laissant 3,000
des leurs sur le terrain.
Ce nouvel avantage de Turenne retint ses ennemis dans
l'inaction jusqu'à l'arrivée de l'électeur. Après sa victoire,
- 36 —
il se retira dans les environs de Saverne et de Haguenau.
L'approche de l'électeur avec une armée de renfort consi-
dérable avait jeté l'alarme dans toute la France. Turenne
pourtant était tranquille. Au moment où les alliés, rejoints
par l'électeur, se proposaient de l'attaquer, il leur échappa
par une retraite habile. Il reçut en même temps un renfort
de 6,000 hommes, de l'intérieur de la France, tandis qu'une
division de 14,000 hommes de l'armée de Condé alla prendre
position dans la Lorraine allemande.
La saison était très-avancée. Les alliés, maîtres du Rhin,
prirent leurs quartiers d'hiver. Turenne laissa supposer qu'il
allait en faire autant. Il traversa donc les Vosges, comme
pour cantonner ses troupes en Lorraine.
Les alliés se postèrent sur une assez vaste étendue, la
droite appuyée au Rhin, la gauche vers les Vosges et le front
couvert par le ruisseau de Turkeim. Croyant les Français
loin d'eux, ils campaient dans une sécurité complète, lorsqu'à
la fin de novembre, et par un froid qui rendait invraisem-
blable toute marche d'armée, Turenne mit en mouvement
tous ses quartiers, ainsi que la division cantonnée dans la
Lorraine allemande. Ces corps marchèrent pendant un mois,
à l'insu les uns des autres, à travers les Vosges, par des
chemins différents et réputés impraticables.
Le 27 décembre 1674, toutes les troupes françaises se
trouvèrent réunies, à leur grand étonnement, dans la plaine
de Relfort, non loin des quartiers de l'armée du duc de Lor-
raine, lesquels furent aussitôt refoulés. Le duc et ses géné-
raux refusèrent d'ajouter foi aux premiers avis de l'appari-
tion de Turenne. Leur incrédulité ne fut pas de longue durée.
A chaque instant, en effet, des partis impériaux, ignorant la
proximité de l'armée française, tombaient au milieu de ses
divisions. Les quartiers les plus éloignés purent seuls se
- 37 -
soustraire à cette espèce de piège. Ils se réunirent à Tur-
keim, près de Golmar, où se tenait l'électeur de Brande-
bourg.
Le 5 janvier, toute l'armée française, pleine de confiance,
se trouva prête à attaquer. Turenne attendit la chute du jour
pour porter ses troupes en avant. Il comptait que l'ennemi,
surpris et découragé par ses pertes récentes, battrait en re-
traite, h la faveur de la nuit. Ces prévisions se réalisèrent;
les Impériaux se replièrent sur Strasbourg, où, le 11 jan-
vier 1675, ils repassèrent le Rhin, évacuant l'Alsace, comme
Turenne l'avait promis à Louis XIV.
En 16T5, les Français mirent de nouveau trois armées en
campagne. La première, sous les ordres de Louis XIV et de
Condé, devait opérer sur la Meuse. Une garnison française
renforça Liège, ville de l'électorat de Cologne, qui pouvait
offrir des ressources au prince d'Orange, dans le cas très-
probable, où il voudrait assiéger Maestricht.
Louis XIV, après avoir pris Dinant, Huy et Limbourg,
envoya une partie de ses troupes h Turenne et retourna à
Paris.
Les Suédois, en exécution du traité conclu avec la France
en 1670, avaient envahi le territoire prussien. L'électeur Fré-
déric-Guillaume quitta l'armée du Rhin pour défendre ses
États, laissant le commandement de l'armée alliée (Lorrains
et Impériaux) à Montecuculli.
Ce général se proposait d'envahir l'Alsace par Strasbourg.
Turenne, qui commandait la deuxième armée, fit construire
à la hâte et dans le plus grand secret un pont de bateaux, à
quatre lieues au-dessus de Strasbourg, et se plaça entre cette
ville et Montecuculli.
- 38 -
Le général impérial prit position pour menacer à son tour
le pont établi par Turenne. Celui-ci alors, sans que l'ennemi
s'en aperçût, en fit construire un autre, près d'Altenheim, à
une lieue de Strasbourg.
Montecuculli, obligé de reculer, alla prendre position sur
les hauteurs de la Renchen, petit affluent du Rhin.
Turenne projeta de l'en déloge^. Avec des peines infinies
il parvint à tourner la position ennemie, en remontant la
rivière jusqu'à sa source dans les montagnes, et se créant
un chemin h travers les bois, les fondrières et les ravins. Le
27 juillet 1675, voulant livrer bataille, il prit position à Salz-
bach, en face de l'armée impériale. Déjà son aile gauche et
son centre étaient placés, et il se portait vers la droite pour
reconnaître un corps ennemi qui manœuvrait , lorsqu'un
boulet de canon emporta, à ses côtés, le bras du marquis de
Saint-Hilaire et le frappa lui-même en plein corps (1). Ainsi
(1) Ce jour, 27 juillet, après avoir entendu- la messe et communié de
bonne heure, Turenne disposa son ordre de bataille : sa gauche et son
centre prirent position au lieu qu'ils devaient occuper dans le combat,
et sa droite n'eut plus qu'un movivement à faire pour s'y placer. Ce fut
dans ce moment que, considérant l'ordonnance de l'ennemi, et ne
pouvant, malgré sa réserve ordinaire, contenir l'excès de sa confiance,
il s'écria : « Je les tiens , et je vais recueillir les fruits d'une si pénible
campagne !» Il y avait déjà quatre mois qu'elle durait, et que les deux
chefs épuisaient l'un contre l'autre toutes les combinaisons de la
tactique la plus savante.
Cependant les officiers de la droite , inquiets du mouvement d'une
colonne ennemie, ne cessaient de députer vers le maréchal pour avoir
ses ordres, et pour qu'il vînt même prendre connaissance par ses yeux
de cette manœuvre. Il se rendit à leurs instances, et prit pour les
joindre un chemin creux à l'abri du feu. « Car, disait-il au comte
Hamiiton, je ne veux pas être tué aujourd'hui. » Près d'arriver, il re-
connut sur une éminence le marquis de Saint-Hilaire , lieutenant-
général de l'artillerie, et s'approcha de lui pour avoir quelques ren-
seignements sur la colonne dont on lui parlait. Le marquis la lui indi-
quait de la main, lorsque deux pièces de campagne tirant sur quelques
— 39 —
tomba cet illustre homme de guerre auquel Louis XIV ac-
corda la sépulture des rois à Saint-Denis.
Montecuculli avait été averti aussitôt de la joaort du maré-
chal par un déserteur. C'était peut-être pmir lui le moment
d'attaquer les Français, mais il ne profita de cet événement
que pour se donner quelques avantages de position et pré-
féra manœuvrer de façon à faire repasser le Rhin aux Fran-
çais, sauf à tomber sur eux, au moment critique du passage.
Dans ce but, il envoya un corps de cavalerie menacer le pont
d'Altenheim.
Dans l'armée française, les généraux comte de Lorges et
marquis de Vaubrun prétendirent au commandement. Ni
l'un ni l'autre ne connaissait les projets de Turenne, et l'ac-
cord ne put s'établir entre eux sur la conduite à suivre. Il
fut décidé, par le corps d'officiers, que les deux généraux
alterneraient dans le commandement, et que la retraite s'opé-
rerait dans la nuit. Un violent orage protégea ce mouvement,
et Montecuculli ne put rejoindre l'armée française qu'au
point du jour. Il apparut au moment où la moitié des
troupes seulement avait traversé le Rhin et il engagea, à
Altenheim, un combat avec l'arrière-garde qui, contre les
règles de l'art, n'était composée que d'infanterie. L'arrière-
bataillons français mis en mouvement , pour parer à celui de l'ennemi,
un des coups emporta un bras à Saint-Hilaire et alla frapper Turenne
qui fit encore une vingtaine de pas sur son cheval et tomba mort.
Le fils du marquis de Saint-Hilaire, qui a laissé des mémoires, et
qui rapporte les détails de cette catastrophe, à laquelle il était présent,
se jeta dans ce moment sur son père, et cherchait en lui avec inquiétude
un reste de vie qu'il craignait de ne plus trouver, lorsque le blessé lui
adressa ces paroles sublimes : « Ce n'est pas moi, mon filg, c'est ce
grand homme qu'il faut pleurer ; » et grand lui-même dans ses paroles
et ses actions , il ordonna à ce même fils de le quitter et de courir au
service de ses batteries. (Anquetil).
— 40 —
garde française fut très-maltraitée et le marquis de Vaubrun
perdit la vie dans l'action.
Montecuculli traversa le Rhin à Strasbourg, assiégea Ha-
guenau et Saverne, mais Louis XIV ayant envoyé immédiate-
ment Condé en Alsace avec des forces considérables, les
Impériaux durent repasser le Rhin, ce qui mit fin à la cam-
pagne sur cette frontière.
Le troisième corps français était commandé par Créqui.Les
Allemands avaient passé le Rhin à Coblentz et s'avançaient
pour reprendre Trêves (1). Le maréchal Créqui, en mar-
chant au secours de cette ville, se laissa surprendre au pont de
Conz (2) et fut complètement battu par le duc de Brunswick.
Créqui se sauva dans Trêves avec quatre officiers seulement
et fut fait prisonnier. La prise de Trêves fut le dernier fait
d'armes du duc de Lorraine, Charles IV. Il mourut peu après,
laissant ses droits et ses espérances à son neveu Charles V,
déjà connu par divers exploits militaires.
Dans les'_Pays-Bas, le prince d'Orange assiégea et prit Bin-
che (1675).
A cette époque de l'histoire nous voyons disparaître des
(1) Trêves était au pouvoir des Français depuis 1673.
(2) Les auteurs français que nous avons consultés assignent tous
Consarbrucq comme théâtre de cette affaire ; c'est une erreur. Des
renseignements certains nous permettent d'affirmer que l'action eut
lieu au pont de Conz, qui fut alors détruit. L'expression « Geschlagen
bei der Conzerbrilcke, » appliquée aux troupes de Créqui par les his-
toriens allemands, doit se traduire par : « battues prés du pont de
Conz » et non par : « battues à Consarbrucq. « Au surplus, quoique la
position de Consarbrucq soit renseignée sur quelques cartes , nous
pouvons affirmer qu'il n'y a pas de village de ce nom aux environs de
Trêves.
— Al —
champs de bataille trois illustres généraux : Turenne, par sa
mort; Condé et Montecuculli, par suite de leurs fatigues et de
leurs infirmités.
Louis XIV, en campagne, ne commandait jamais en per-
sonne. Il s'adjoignait toujours un de ses habiles maréchaux ;
néanmoins sa présence aux armées exerçait une influence
prodigieuse.
Tel était son ascendant sur les gentilshommes, qu'ils sa-
crifiaient tout pour le servir. Leur valeur était traditionnelle ;
ils savaient que noblesse oblige et mourir sur le champ de
bataille, sous les yeux du roi, était pour eux la fin la plus
enviable.
« Turenne, dit Gapefigue, résuma son art admirable dans
des marches rapides et imprévues, dans une suite de ma-
nœuvres qui portaient à l'improviste des masses d'un point
sur un autre, sans qu'elles fussent attendues ; il allait de sur-
prise en surprise. Turenne joignait h une grande prudence
la ferme et noble résolution d'épargner le soldat ; il n'aimait
point les batailles sans manœuvres, cette fixité terrible de
deux corps en face l'un de l'autre, qui se canonnent et se
fusillent. Turenne frappait des coups décisifs par la stratégie,
il coupait un corps d'armée, apparaissait en face d'un autre
au moment où celui-ci n'y prenait garde, de telle sorte qu'il
l'enlevait sans coup férir ; c'était le tacticien habile, qui agis-
sait à vol d'aigle, le général des marches et des contre-
marches. S'il épargnait la vie du soldat, il ne marchandait
pas avec ses fatigues, et plus d'une fois les braves gentils-
hommes murmuraient autour de lui, en cherchant à deviner
une manœuvre qu'ils ne comprenaient pas, tant elle était
contraire aux règles du noble courage qui fait qu'on marche
toujours en avant, Turenne, sous ce rapport, descendait aux
— 42 —
plus petits détails, il aimait à s'expliquer avec ses officiers ;
c'était le génie du raisonnement autant que de la guerre. »
« Condé, dit le même auteur, off're un talent tout différent ;
c'est un véritable chef de cavalerie légère, un capitaine
hardi que rien n'arrête. Ses plans naissent sur le champ de
bataille, dès qu'il les a conçus, il s'entête à les défendre.
Condé a-t-il résolu de prendre une position, il l'ordonne
coûte que coûte. — Qu'importe une grande effusion de sang?
Une fois qu'il a arrêté un plan, il faut qu'on l'exécute; il
n'écoute pas les remontrances, il traite de lâches les gen-
tilshommes qui n'obéissent pas jusqu'à la mort ! Il fait pren-
dre des mamelons par la cavalerie, il sacrifie les gardes du
corps, ses réserves pour s'emparer d'une position qu'il croit
utile; en un mot il n'épargne pas le sang du soldat, il le pro-
digue pour aboutir à son plan de campagne. Mais combien
le génie de Condé n'est-il pas admirable lorsqu'il improvise
une attaque soudaine sur un corps d'armée , puis sur un
autre, de telle sorte qu'il frappe à droite, à gauche, toujours
avec le même courage, avec le même sangfroid personnel ! A
chaque engagement il a deux ou trois chevaux tués sous lui ;
il est blessé, il s'expose à la mort, il semble que son sang
n'est pas plus précieux que celui du dernier soldat : c'est
l'esprit de la vieille chevalerie. — Turenne c'est l'art mili-
taire froid et moderne, c'est le chef de la nouvelle école.
Condé c'est encore la tactique des batailles féodales. »
Le comte Raimond de Montecuculli, né à Modène, général
instruit, habile, était d'une nature subtile et adroite ; les res-
sources de la guerre lui étaient familières. Ses écrits remar-
quables, commentés par Turpin de Crissé, sont encore lus
avec intérêt. Il fut longtemps chef de l'artillerie des armées
impériales.
Montecuculli était très-aimé des soldats sur lesquels il
- 43 -
exerçait une grande influence. Son origine italienne lui sus-
cita la jalousie des Allemands. Il servit l'Autriche avec cou-
rage, talent et dévouement.
Louis XIV prit le commandement de l'armée des Pays-Bas
en 1676 , et s'adjoignit le maréchal de Schomberg. Une
deuxième armée, sous le duc de Luxembourg, opéra en
Alsace, et une troisième, sous de Créqui, entre Sambre et
Meuse.
La première s'empara de la ville de Condé, puis de Bou-
chain; de Schomberg envoya alors le maréchal d'Humières
pour investir Aire.
Pendant ce temps, l'armée alliée essayait de reprendre
Maestricht, mais aussitôt que les Espagnols apprirent que la
ville d'Aire, une de leurs possessions, était menacée, ils se
séparèrent des Hollandais pour aller à son secours. Ils arri-
vèrent trop tard et le prince d'Orange fut obligé de lever le
siège de Maestricht.
Le maréchal de Créqui, à l'armée de Sambre et Meuse,
attaqua inopinément Bouillon dont il s'empara, bien que
cette ville appartînt au prince-évêque de Liège avec lequel
la France était en paix.
Le duc de Lorraine, Charles V, avait succédé à Monte-
cuculli dans le commandement. Il se rendit maître de Phi-
lipsbourg, en présence de l'armée du duc de Luxembourg,
qui ne put s'opposer au siège de cette ville.
Pendant le cours de la campagne, des négociations de
paix avaient été entamées à Nimègue, sous la médiation de
l'Angleterre , mais elles n'aboutirent pas immédiatement.
— u
L'armée des Pays-Bas, sous Louis XIV, ouvrit la campagne
de 1677 par la prise de Valenciennes, puis par celle de Cam-
brai. Pendant que le roi faisait le siège de cette dernière
ville, il envoya Philippe d'Orléans attaquer Saint-Omer.
Le prince d'Orange qui n'avait pu arriver assez tôt pour
secourir Valenciennes et avait trouvé trop de difficultés à
s'approcher de Cambrai, résolut de marcher sur Saint-Omer.
Il était arrivé à Cassel, quand le duc d'Orléans quitta ses
lignes pour aller le combattre (11 avril 1677).
Cassel est situé sur une hauteur au pied de laquelle coule
un petit ruisseau, le Peene-becque, affluent de l'Yzer, dont
les bords étaient couverts de broussailles. Le prince d'Orange
fit avancer une partie de sa première ligne pour défendre le
ruisseau et protéger une colonne de sa droite destinée à
ravitailler Saint-Omer. Sur ces entrefaites, arriva le duc de
Luxembourg avec un renfort envoyé par Louis XIV qui avait
appris la marche du prince d'Orange. Le duc de Luxembourg
pénétra le dessein de ce dernier. Sans lui laisser le temps
de l'exécuter, il fit attaquer brusquement les détachements
hollandais postés près du ruisseau, et les mit dans un désordre
qui ne put être réparé à cause de l'éloignement du reste de
la ligne. L'armée française ayant passé le ruisseau, la déroute
de la première ligne hollandaise ne tarda pas à se commu-
niquer à la seconde. Le prince d'Orange tenta en vain de
rallier ses troupes ; il fut obligé d'abandonner le champ de
bataille, laissant 5 à 6,000 hommes hors de combat ou pri-
sonniers.
Dans cette affaire, d'Humières commandait la droite et
Philippe d'Orléans le centre des Français. Ce dernier montra
une grande valeur. On prétend que Louis XIV, jaloux des
succès de son frère, ne voulut plus lui confier de comman-
dement d'armée.
— 45 -
Après la bataille, les Français retournèrent devant Saint-
Omer qui bientôt capitula.
Le prince d'Orange alla investir Charleroi, mais le duc de
Luxembourg, qui venait de prendre le commandement en
chef de l'armée des Pays-Bas, l'obligea à lever le siège.
Pendant l'hiver, les Français s'emparèrent sans peine de
Saint-Ghislain. Les eaux des fossés de cette place étaient
gelées et la garnison avait négligé de rompre la glace.
1,100 soldats espagnols qui occupaient la ville se rendirent.
A l'armée du Rhin, le maréchal de Créqui tenait tête, avec
succès, aux Impériaux qui essayaient de pénétrer en Lorraine
par la ligne de Trêves à Metz. Les Français repoussèrent
également un corps de troupes qui avait traversé le Rhin
pour envahir l'Alsace et faire jonction avec l'armée du duc
de Lorraine. Après plusieurs combats où il obtint l'avantage,
Créqui, passant à son tour le Rhin, alla s'emparer de Frei-
bourg.
Les succès des armées françaises alarmèrent les Anglais.
Le parlement se déclara ouvertement en faveur des Hollan-
dais, et décida qu'il n'accorderait plus de subsides pour la
guerre, à moins d'alliance avec la Hollande.
Cette même année, le prince d'Orange épousa la princesse
Marie, fdle du duc d'York, plus tard roi d'Angleterre, sous
le nom de Jacques IL
En 1678, l'armée de Flandre, sous les ordres de Louis XIV,
s'empara de Gand et d'Ypres.
Un incident, sans importance sur l'ensemble des opéra-
tions, mais qui montre ce que peut l'audace, en fait de sur-
prise militaire, mérite d'être raconté.
La petite ville de Léau, entourée de marais et d'eau, avait
une garnison espagnole de 600 hommes. Cette place, au dix-
septième siècle, présentait une forte enceinte, précédée d'un
fossé profond avec chemin couvert. Il s'y trouvait une cita-
delle en forme de carré bastionné ; cet ouvrage en terre était
fraisé et palissade avec soin.
Une seule route, très-étroite, bordée à droite et à gauche
de terrains impraticables, permettait l'approche jusqu'à la
contrescarpe. La route (.'tait défendue par de solides barrières.
Dans de telles conditions, Léau passait pour un poste
imprenable. Le colonel de la Bretèche, des dragons français,
en garnison à Maestricht, partit de cette ville, le 1 mai 1678,
avec 300 fantassins d'élite, 100 dragons, 250 cavaliers et une
compagnie de 50 habiles nageurs, sous les ordres du capitaine
de Brémeau. Ils emportèrent avec eux vingt batelets en osier
et jonc rendus imperméables au moyen d'une doublure en
toile cirée, et assez légers pour être transportés sans peine
à une grande distance.
Ces troupes marchèrent, par petits détachements, suivant
différents chemins et se réunirent, le 3 mai au soir, au point
de concentration désigné d'avance, à quatre lieues de Léau.
On se remit aussitôt en marche et on arriva, à une heure du
matin, devant la place à surprendre. On disposa les batelets
de jonc ainsi que le matériel et les agrès transportés sur les
lieux, afin de tout préparer pour construire un pont en quel-
ques instants.
Le capitaine de Brémeau et ses nageurs se jetèrent à l'eau.
Le bruit qu'ils firent en s'avançant à la nage, l'épée entre les
dents, éveilla l'attention d'une sentinelle qui donna l'alarme.
Les nageurs suivis de vingt soldats dans quelques-uns des
batelets, mirent pied à terre dans la place, en brisant les
palissades des retranchements et parvinrent jusqu'à la con-
trescarpe du fossé de la citadelle.
— 47 -
Un détachement de dragons , muni d'échelles , s'était
avancé par la chaussée et, couvrant de manteaux les pointes
dont étaient hérissées les barrières, franchit ces obstacles.
On en était là avant que l'ennemi eût eu le loisir de se
reconnaître.
Les dragons, en tête de l'attaque sur la chaussée, furent
suivis d'un second détachement apportant les objets néces-
saires à la construction d'un pont qu'ils commencèrent dès
l'instant de leur arrivée devant le fossé de la place. Cepen-
dant le feu de la citadelle ne permit pas d'achever ce
travail.
La situation devint critique ; mais les nageurs, aidés des
vingt soldats qui les avaient suivis traînèrent par dessus le
chemin couvert jusque dans le fossé de la citadelle quelques
batelets ainsi que des barques trouvées sur place. Une
partie des assaillants s'en servit pour passer le fossé, le reste
traversa à la nage. Entretemps d'autres soldats, accourus par
la chaussée, faisaient feu sur tous les Espagnols qui se mon-
traient sur les parapets de la citadelle.
Dès que les nageurs arrivèrent sur la rive opposée du
fossé, ils coupèrent les palissades et, malgré la résistance de
l'ennemi, s'établirent au pied du talus extérieur. Les Espa-
gnols épouvantés de la soudaineté de l'attaque, et se croyant
assaillis de tous côtés par des forces supérieures, abandon-
nèrent la citadelle et se réunirent sur l'esplanade.
Les Français ayant pointé les canons de la citadelle contre
la ville, les Espagnols se retirèrent alors dans la grande
église de Léau. Peu d'instants après, le gouverneur, don Her-
nandez, se rendit ainsi que toute la garnison, sans que ce
coup de main hardi eût coûté plus de 20 hommes aux
assaillants.
Après la prise d'Ypres, Louis XIV retourna en France,
laissant le commandement au duc de Luxembourg, qui se
dirigea sur Mons. La paix venait d'être signée à Nimègue, le
10 août à minuit, lorsque, le 14, dans l'après-midi, le prince
d'Orange attaqua vivement les Français à l'abbaye de Saint-
Denis et à la ferme de Casteau, non loin de Mons. L'infanterie
hollandaise demeura maîtresse du terrain après avoir tué
beaucoup de monde à l'ennemi.
On a reproché au prince d'Orange cette attaque faite après
la signature du traité de paix, mais, dans l'état des commu-
nications à cette époque, il n'était guère possible que la nou-
velle du traité pût parvenir de Nimègue à Mons en trois jours.
La paix de Nimègue eut pour effet de faire restituer par
les Français Maestricht à la Hollande. Ils rendirent à l'Es-
pagne, Charleroi, Binche, Ath, Audenarde et Courtrai, qui
leur avaient été cédés, à la paix d'Aix-la-Chapelle. Les Espa-
gnols abandonnèrent à la France, outre la Franche-Comté,
les places de Valenciennes , Bouchain, Condé, Cambrai,
Cateau-Cambresis, Aire, Saint-Omer, Ypres, Wervick, War-
neton, Poperinghe, Bailleul, Cassel, Bavai, Maubeuge.
En 1679 seulement l'empire fit la paix. Freibourg échut à
la France et Philipsbourg à l'empire. Le duc de Lorraine ne
recouvra point ses États que la France conserva.
Les Français, pour s'assurer leurs nouvelles conquêtes
de Flandre , construisirent une ligne de retranchements
depuis Dunkerque (qu'ils avaient acheté à Charles II) jusqu'à
Furnes ; de Furnes à la jonction de l'Yzer et du canal de
Dixmude (endroit où ils établirent le fort de Knocke) et de là
jusqu'à la Lys, à Commines. Plusieurs places fortes de la
Flandre française furent complétées.
— 49 -
III.
Prise de Strasbourg, — Siège de Luxembourg. — Trêve de Ratis-
bonne. — Renseignements historiques. — Ligue d'Augsbourg. — Affaire
de Walcourt. — Bataille de Fleurus.
L'ambition de Louis XIV ne fut point contenue par la paix
de Nimègue. Il projeta d'abord d'acquérir Strasbourg, ville
grande et riche, possédant un vaste arsenal, et d'une extrême
importance stratégique à cause de son pont sur le Rhin. L'or
et l'intrigue gagnèrent les magistrats de cette ville libre qui
fut livrée aux Français (1681). Vauban en fit aussitôt la bar-
rière la plus forte de la France.
Les agressions de Louis dans les Pays-Bas, engagèrent le
roi d'Espagne à lui déclarer la guerre en 1683.
Les Français, sous les ordres du maréchal d'Humières,
prirent Gourtrai et Dixmude , tandis que le maréchal de
, Créqui, alla assiéger la ville de Luxembourg. Louis XÏV, avec
le maréchal de Schomberg, se tint à la tête de l'armée d'ob-
servation. La place fut bien défendue par le prince de Groy.
La nature pierreuse du sol rendait les travaux d'approche
très-difficiles. Vauban en personne dirigea les attaques. La
résistance dura près d'un mois.
Après la prise de Luxembourg, Créqui se porta vers Trêves
et obligea l'électeur de cette ville à démanteler la place.
Les conquêtes de Louis XIV s'étendant de tous côtés, alar-
mèrent l'Europe qui était lasse de guerre, et les puissances,
d'un commun accord, arrêtèrent à Ratisbonne une trêve de
vingt ans (1684). Gourtrai et Dixmude retournèrent à l'Es-
4
- 80 -
pagne, mais les Français se maintinrent dans les deux places
si importantes de Luxembourg et de Strasbourg.
Quelques renseignements historiques sont indispensables
pour bien faire comprendre les événements qui vont suivre.
Nous avons vu précédemment la restauration des Stuart
par Monck, l'avènement de Charles II, en 1660, ainsi que le
discrédit de ce prince, causé par son ineptie et ses mœurs
légères. Charles II fut contraint par le parlement de cesser
les hostilités avec la Hollande et de sanctionner des lois de
répression contre les catholiques.
Ce fut au milieu des passions politiques et religieuses du
règne de ce souverain que parurent pour la première fois les
Whigs et les Tories, noms qui servirent d'abord à désigner les
membres de l'opposition et les partisans du gouvernement et
dans la suite le parti libéral et le parti conservateur. Le par-
lement voulut déclarer le duc d'York, frère du roi, indigne,
comme catholique, de succéder à la couronne d'Angleterre.
Charles II fit dissoudre cette assemblée. Il mourut en 1685.
Le duc d'York lui succéda sous le nom de Jacques II; le
duc de Monmouth, fils naturel du feu roi, voulut détrôner
Jacques II, les armes à la main, mais il fut vaincu à la ba-
taille de Sedgemore et décapité. Les troubles n'en conti-
nuèrent pas moins, le roi Jacques s' étant rendu tout à fait
impopulaire en froissant l'opinion publique par ses mesures
favorables aux catholiques.
Le prince d'Orange, gendre de Jacques, et chef du parti
protestant, fut invité par les mécontents à se rendre en
Angleterre. Aussitôt un soulèvement eut lieu et le roi dut
s'enfuir en France. Le parlement déclara qu'il avait abdiqué
et couronna Guillaume, prince d'Orange, époux de la prin-
cesse Marie d'Angleterre (1688).
— M -
Le nouveau souverain dut signer une déclaration des
droits, espèce de charte nationale, qui dotait l'Angleterre du
régime dit depuis constitutionnel ou parlementaire : le roi
gouverne avec des ministres responsables, dont les actes
sont contrôlés par le parlement.
Le pouvoir royal fut ainsi restreint, ce qui contraria sou-
vent les projets de guerre de Guillaume IIL Aussi avait-il
coutume de dire qu'il était « stadhouder d'Angleterre et roi
de Hollande. »
Plus tard Louis XIV tenta de remettre Jacques II sur le
trône, en profitant d'une révolte des Irlandais contre Guil-
laume III. Jacques fut accueilli avec quelque enthousiasme
en Irlande. L'amiral français Tourville battit les flottes
alliées d'Angleterre et de Hollande dans un sanglant combat
près de l'île de Wight. Cette victoire ne suffit pas pour
maintenir le roi détrôné, dont les troupes furent totalement
défaites à Slane, sur les bords de la Boyne, par Guillaume III,
qui avait débarqué en Irlande. Jacques II s'empressa de re-
tourner en France (1690).
Un autre événement remarquable de cette . époque fut la
révocation de l'édit de Nantes par Louis XIV (1685). Cette
mesure, la plus impolitique du règne de ce monarque, dé-
termina un grand nombre de Français à émigrer, et hâta
la révolution d'Angleterre qui précipita Jacques II du trône.
En 1686, se forma la fameuse ligue d'Augsbourg, dans le
but d'arrêter les envahissements toujours croissants de la
France. Par cette ligue l'empire, l'Espagne, la Suède, la Ba-
vière, la Saxe et les États du Haut-Rhin se garantissaient, en
cas d'attaque, un mutuel appui.
- o2 -
Louis rompit, dès 1688, la trêve de Ratisbonne, alléguant
les sentiments hostiles de l'Allemagne, manifestés par la
ligue d'Augsbourg.
Philippe d'Orléans, frère du roi, à la mort de sa femme,
Henriette d'Angleterre , avait épousé Elisabeth-Charlotte ,
sœur de l'électeur palatin. Ce dernier étant mort sans posté-
rité, Louis XIV revendiqua pour sa belle-sœur la succession
de l'électeur. Cette prétention fut repoussée par le corps ger-
manique, et le roi trouva dans ce refus un nouveau prétexte
de guerre.
Notons en passant qu'en 1688 mourut l'électeur de Bran-
debourg, Frédéric-Guillaume, auquel succéda son fils Fré-
déric L
Les Français mirent sur pied une armée de 80,000 hom-
mes, sous le commandement du dauphin, fils unique de
Louis XIV, auquel fut adjoint le maréchal de Duras.
Le dauphin Louis , âgé alors de vingt-sept ans , avait
épousé Marie-Anne de Bavière, dont il eut trois fils, savoir :
Louis, duc de Bourgogne (père de Louis XV), que nous ver-
rons plus tard commander les armées de France ; Philippe,
duc d'Anjou, qui devint roi d'Espagne ; et Charles, duc de
Berry.
L'armée du dauphin débuta par la prise de Philipsbourg,
dont le siège fut remarquable parce que pour la première
fois on y employa le tir h ricochet. Les Français prirent
ensuite Manheim et Frankenthal. Le maréchal de Boufflers
occupa presque toutes les places des électorats de Trêves,
de Mayence et de Cologne, mais il ne parvint pas à se rendre
maître de Coblentz.
- 53 -
A la fit! de l'année 1688, Louis déclara la guerre h la Hol-
lande, mais l'Angleterre devenue, par le mariage du prince
d'Orange, l'intime alliée des Provinces-Unies, déclara de son
côté la guerre à la France, en prétextant les tentatives de
restauration faites par Jacques II avec l'appui de Louis XIV.
Le roi d'Angleterre envoya un corps de troupes en Hol-
lande, sous les ordres de Marlborough, pour remplacer les
troupes hollandaises qu'il devait encore conserver en Angle-
terre.
Les coalisés formèrent trois armées : d'abord une armée
sur la Sambre, commandée par le prince de Waldeck. Elle
était composée de Hollandais, d'Espagnols et d'Anglais, et
devait attaquer la France par le nord. Une deuxième armée,
formée par les troupes prussiennes et par celles des cercles
du nord de l'Allemagne, devait opérer dans le Bas-Rhin, en se
portant sur Bonn et Cologne. La troisième armée, commandée
par le duc de Lorraine et composée des Impériaux et des
contingents de l'ouest de l'Allemagne, était destinée à agir
dans le Haut-Rhin.
Ainsi menacés de toutes parts, les Français durent se con-
centrer. Ils abandonnèrent le Palatinat et Trêves. Mais avant
leur départ, ils saccagèrent d'une façon épouvantable le
pays, afin d'empêcher l'ennemi de s'y procurer des subsis-
tances.
Le maréchal d'Humières fut opposé au corps de Waldeck,
sur la Sambre. Il eut un engagement avec l'ennemi, le
27 août 1689, à Walcourt. Un détachement de 1,500 hommes
envoyés en fourrageurs, ayant été coupé de l'armée alliée
par les troupes du maréchal, s'était jeté dans cette petite ville"
entourée d'une muraille. Le maréchal d'Humières voulant
— M —
poursuivre ce succès , fit donner imprudemment l'assaut ;
mais le prince de Waldeck accourut au secours de son déta-
chement et attaquant les Français avec vigueur, les obligea
de lâcher prise, en leur faisant éprouver des pertes considé-
rables.
L'électeur de Brandebourg prit Bonn et le duc de Lorraine,
Charles V, s'empara de Mayence. Ce dernier mourut peu
après.
L'échec de Walcourl causa la disgrâce du maréchal d'Hu-
mières. Il fut remplacé par le maréchal de Luxembourg.
Henri-François de Montmorency, duc de Lux^embourg, âgé
alors de soixante-trois ans, était un digne élève de Condé et
de Turenne.
Le prince de Waldeck attendait du secours dans les envi-
rons de Fleurus, lorsque le duc de Luxembourg, renforcé
d'une partie de l'armée de la Moselle, passa la Sambre entre
Charleroi et Namur et marcha contre les alliés.
Le prince de Waldeck rangea son armée, la droite à Wan-
genies , la gauche vers Wagnelée et à hauteur de Saint-
Amand, formant une ligne légèrement convexe du côté de
Fleurus. Il fit occuper Saint-Amand par cinq bataillons et
couvrit d'artillerie le front de sa première ligne. L'ensemble
de ses forces s'élevait à 37,800 hommes (38 bataillons, 38 es-
cadrons, 50 bouches à feu).
Le 1 juillet 1690, l'armée française, forte de 39,500 hom-
mes (37 bataillons, 80 escadrons, 70 bouches â feu), traversa
les villages de Lambusart et de Fleurus, laissés inoccupés
par l'ennemi, et vint prendre position sur les hauteurs qui
s'inclinent vers le ruisseau de Ligny.
— 35 —
Le duc de Luxembourg, reconnaissant la difficulté d'abor-
der l'ennemi de face, prit le parti de le tourner par la
gauche.
L'action commença de part et d'autre par un feu violent
d'artillerie.
Un corps français de 9 bataillons et de 31 bouches à feu
fut dirigé par Ligny sur le village de Saint-Amand, pour y
tenter une attaque. Ses batteries y canonnèrent avec succès
la cavalerie alliée. Le duc, avec un autre corps de 41 esca-
drons, 5 bataillons et 9 canons, dérobantsa marche h la faveur
de hauts blés, commença alors son mouvement tournant; à
cet effet il se porta par Ligny jusqu'à la chaussée de Bruxelles,
suivit une ancienne voie romaine qui coupe la chaussée
non loin de Brye, et alla se déployer entre Wagnelée et Ghes-
seau, pour prendre l'ennemi à dos.
L'attaque sur Saint-Amand réussit et Wagnelée, où les
alliés n'avaient pas pris position, fut occupé par les Français.
D'autre part, l'extrême gauche française pénétra dans Wan-
genies, mais le reste de cette aile fut refoulé. Ce revers par-
tiel n'eut pourtant aucun résultat fâcheux pour les Français.
Le prince de Waldeck s'étant aperçu seulement alors du
mouvement tournant exécuté par l'ennemi, chercha à parer
au danger, en tirant des troupes de sa réserve et de sa se-
conde ligne ; il plaça ces forces perpendiculairement à son
extrême gauche. Cette dernière manœuvre eut pour effet
d'affaiblir considérablement le centre des alliés, qui plia sous
les efforts des Français. Après un sanglant combat, le centre
des Français finit par opérer sa jonction avec le duc de
Luxembourg. Le prince de Waldeck culbuté de face, accablé
sur sa gauche, chercha alors à se reformer sur les hauteurs
de Saint-Fiacre. Mais l'artillerie française vint y canonner
ses carrés qui, harcelés ensuite par la cavalerie, finirent par
- 56 -
être brisés. L'armée du prince se retira en désordre sur
Charleroi.
Les alliés perdirent 8 à 6,000 hommes tués ou blessés et
autant de prisonniers. Les Français eurent 4 à 5,000 hommes
hors de combat.
Les causes de la défaite des alliés sont dues, d'après
Kausler :
1" à l'appréciation exacte du terrain faite par le duc de
Luxembourg ;
2° au manque de précautions du côté du prince de Wal-
deck qui ne se fit pas suffisamment éclairer ;
3° au défaut de résolution chez les alliés qui restèrent sur
la défensive ; •
4" à leur négligence à occuper les villages sur le front et
sur les flancs ;
5° enfin à la supériorité en nombre et en qualité de la
cavalerie française.
Les Français ne tirèrent pas grand parti de cette victoire.
Le prince de Waldeck, ayant enfin reçu ses renforts, l'armée
de Louis XIV, dans les Pays-Bas, dut rester sur la défensive.
IV
Le prince Eugène. — Câlinai. — Les Barbets. — Affaire de Staffarde, —
Sièges de Mons et de Namur par les Français. — Bataille de Steen-
kerque. — Combat naval de la Hogue. — Bataille de Neerwinden-
Tandis que Luxembourg portait des coups décisifs sur la
Sambre, l'armée française en Allemagne se bornait à de sim-
ples mouvements. Commandée par le dauphin, auquel était
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- 57 -
alors adjoint le comte de Lorges, elle faisait face à l'électeur
de Brandebourg, qui avait repris le commandement du duc
de Lorraine. Les deux armées en présence ne se signalèrent
par aucun fait d'armes remarquable. Les généraux allemands
s'opposèrent simplement à l'entrée des Français dans le
Wurtemberg.
Le duc de Savoie, Victor-Amédée, avait hésité pendant
quelque temps à entrer dans la ligue d'Augsbourg. Le prince
Eugène fut député auprès de lui pour l'engager à se joindre
aux ennemis de Louis XIV et réussit dans cette négociation.
Le prince Eugène-François de Savoie, arrière-petit-fils du
duc de Savoie Charles-Emmanuel, était fils du comte de Sois-
sons et d'Olympe Mancini, nièce de Mazarin. D'une com-
plexion délicate, on l'appelait dans sa jeunesse le petit abbé (1).
Français de naissance, il avait offert ses services à Louis XIV,
qui lui refusa un régiment, le jugeant incapable d'un tel
commandement. Le prince humilié en conçut une haine
implacable contre la France et, pour satisfaire son ressenti-
ment, il mit son épée au service de l'empereur. A vingt-
cinq ans, il avait fait toutes les campagnes de l'empire. C'est
à ce moment que nous le voyons paraître sur la scène,
comme général de l'armée impériale, au service de la Savoie.
Le général français Nicolas Catinat fut chargé d'envahir la
Savoie, à la tête de 20,000 hommes. Catinat, qui avait quitté
la robe pour l'épée, était un soldat de fortune, parvenu par
sa patience et son courage aux plus hauts grades militaires.
Un détachement de l'armée de Catinat, commandé par le
(1) Il était destiné à la prêtrise.
- 58 -
marquis de Feuquières, alla faire une guerre acharnée dans
les montagnes du pays de Vaud, où s'étaient retirés de nom-
breux calvinistes hostiles à la France. Cette expédition est
connue sous le nom de guerre des Barbets, en raison des lon-
gues barbes que portaient les montagnards vaudois.
Catinat marcha hardiment vers le Pô et livra bataille au
duc de Savoie, le 18 août 1690, k l'abbaye de Staff'arde, en
Piémont. Les dispositions de l'armée du duc étaient mau-
vaises; ses ailes non appuyées furent aisément tournées et
la déroute s'en suivit. Le duc perdit 3,000 hommes, les Fran-
çais beaucoup moins.
L'occupation de la Savoie et d'une partie du Piémont
devait être la conséquence de cette affaire, mais le prince
Eugène et le duc de Bavière, passés en Italie avec des ren-
forts, harcelèrent tant et si bien les Français que ceux-ci
lurent obligés de repasser les Alpes.
En 1691, Louis XIV, aidé du duc de Luxembourg, résolut
de s'emparer de Mons. L'attaque des Français partit des
liauteurs de Berlaimont. La garnison ne put se servir des
inondations, au moyen de la Haine et de la Trouille, pour
(.'mpêcher l'approche des Français, ceux-ci se trouvant d'une
part maîtres de Saint-Gliislain sur la Haine, et de l'autre
ayant détourné le cours de la Trouille. Le prince de Bergues
défendit bravement la place et en sortit avec les honneurs
de la guerre. La garnison alla rejoindre l'armée alliée.
Après ce succès, Louis XIV retourna à Paris, laissant le
commandement au duc de Luxembourg.
Pendant le siège, le roi Guillaume était revenu sur le
continent pour prendre le commandement de l'armée alliée
- m —
en Belgique. Il s'était porté sur Hal, dans le but de secourir
Mons ; l'infériorité numérique de ses troupes l'empêcha
d'abord d'aller plus avant. Son armée ayant été renforcée, il
put continuer sa marche ; mais aucune occasion ne se pré-
senta pour attaquer avec avantage. Au mois de septembre, il
retourna en Angleterre, après avoir remis le commandement
au prince de Waldeck. Celui-ci se dirigeait de Leuze vers
la Dendre, lorsque, le 18 septembre 1694, le maréchal de
Luxembourg fit attaquer un détachement de cavalerie de son
arrière-garde qui perdit 1,500 hommes, tandis que les
Français n'en laissèrent que 400 sur le terrain.
En 1692, le roi d'Espagne nomma l'électeur de Bavière,
Maximilien-Emmanuel , gouverneur-général des Pays-Bas
espagnols.
La même année, 120,000 Français entrèrent en ligne contre
les alliés. Ces forces furent divisées en deux corps, dont l'un,
sous Louis XIV aidé du maréchal de Boufflers, assiégea
Namur. L'autre, sous de Luxembourg, se tint en observation
sur la Méhaigne.
Le roi Guillaume, avec 97,000 hommes, se rapprocha de
cette rivière, mais il ne jugea pas convenable d'attaquer.
Le siège de Namur offrit surtout ceci de remarquable que
les deux plus célèbres ingénieurs militaires, dont l'histoire
fasse mention, s'y trouvèrent en présence : le baron de Coë-
horn, de l'armée hollandaise, qui dirigeait les travaux de la
défense, et Vauban, qui conduisait les attaques.
Les Français s'établirent sur les hauteurs qui dominent la
ville, entre la Sambre et la Meuse, et dirigèrent en même
tempe, du côté nord, une attaque contre l'enceinte, par la
vallée du fleuve. Des batteries établies sur la rive droite
agissaient à revers contre les fronts assiégés.
— 60 —
L'enceinte, ainsi battue en brèche de trois côtés à la fois,
fut bientôt enlevée. Les Français, attaquant ensuite la cita-
delle, enlevèrent d'assaut son premier retranchement avancé.
Un fort détaché en avant de la citadelle (le fort Guillaume
construit par Coëhorn) fut entouré d'une tranchée, de manière
à lui enlever toute communication avec la place, et dut se ren-
dre. Le restant des fortifications de ce côté tomba bientôt au
pouvoir des assiégeants (30 juin 1692).
Le roi retourna à Paris, après la reddition, laissant le com-
mandement au duc de Luxembourg.
Le roi Guillaume partit des environs de la Méhaigne, se
porta sur Hal et alla camper du côté de Tubize, sa gauche
vers ce village, sa droite à Sainte-Renelle. Le duc de Luxem-
bourg prit position près de Steenkerque, entre Braine-le-
Comte et Enghien.
Le roi Guillaume avait découvert qu'un secrétaire de l'élec-
teur de Bavière faisait l'espion dans l'armée des alliés, aux
gages du duc de Luxembourg. Il ordonna, sous menace de
mort, à cet individu d'écrire au maréchal de France que
l'armée hollandaise enverrait le jour suivant (3 août 1692),
un gros détachement aux fourrages et soutiendrait les four-
rageurs par un corps d'infanterie.
Le lendemain, en effet, les avant-postes français signalè-
rent l'approche de colonnes ennemies. Le duc de Luxem-
bourg, qui était indisposé, se préoccupa d'abord médiocre-
ment de cette nouvelle. Il se fiait aux renseignements donnés
par son espion.
Vers deux heures après midi, le roi Guillaume, avant d'avoir
achevé toutes ses dispositions, ordonna à sa gauche, composée
d'infanterie hollandaise, danoise et anglaise, sous les ordres
du duc de Wurtemberg, d'attaquer la droite des Français.
- 61 -
L'attaque se fit avec impétuosité. Les Français, qui avaient
pris rapidement les armes, eurent leur droite presqu'entiè-
rement culbutée ; si leur gauche et leur centre eussent été
attaqués en même temps, la journée était perdue pour eux.
Mais le terrain, hérissé d'obstacles tels que marais, brous-
sailles,, haies et filets d'eau, empêcha les autres colonnes des
alliés de soutenir le duc de Wurtemberg et de communiquer
entre elles. En outre, la cavalerie alliée alla par mégarde
s'embarrasser dans les broussailles et se mêler avec l'infan-
terie dont elle paralysa l'action.
Ces circonstances permirent aux Français de dégarnir sans
danger leur gauche et leur centre pour soutenir leur droite.
La Maison du roi, en tête de laquelle se trouvaient tous
les princes français, avait soutenu le premier choc avec un
courage héroïque. Son exemple fut suivi par les autres
troupes et les alliés furent repoussés à un quart de lieue.
Le comte de Solmes, commandant la réserve et à qui le
roi Guillaume avait expédié l'ordre d'avancer avec l'infan-
terie, n'envoya que sa cavalerie, inutile dans un pays aussi
accidenté.
Le marquis de Boufflers , campé à trois lieues de là ,
accourut au bruit du canon et décida la victoire en faveur des
Français.
A la nuit tombante, le roi Guillaume se retira sans être
poursuivi.
7,000 hommes restèrent sur le terrain. Les pertes parais»
sent avoir été égales de chaque côté.
La victoire des Français peut être attribuée à la valeur
déployée par les gentilshommes de la Maison du roi. Aussi
acquirent-ils depuis lors un renom de bravoure sans pareil (1).
(1) La victoire, due à la valeur de tous ces jeunes princes et de la
- 62 -
La bataille de Steenkerque est la dernière où l'on vit des
corps d'infanterie armés de la pique. Depuis lors on fit usage
du fusil muni de la baïonnette ; cette dernière venait d'être
inventée à Bayonne.
Le roi Guillaume alla camper à Grammont ; l'armée fran-
çaise s'établit entre Leuze, Tournai et Condé.
Le duc de Luxembourg partit pour Paris, laissant le com-
mandement au marquis de Boufflers,
Cette même année (1692), une tentative de restauration de
Jacques II sur le trône d'Angleterre amena une terrible ba-
taille navale entre les flottes anglaise et française, comman-
dées respectivement par lord Russell et l'amiral Tourville.
Le roi Jacques, ancien chef de la marine d'Angleterre, avait
des intelligences, avec les commandants des navires anglais.
Comptant sur la défection de ces officiers, il proposa un
débarquement sur les côtes de la Grande-Bretagne.
On prétend que le roi Guillaume, ayant connu le complot,
fit changer au dernier moment tous les capitaines de vaisseau
de l'escadre.
plus florissante noblesse du royaume, fit à la cour, à Paris et dans les
provinces, un effet qu'aucune bataille gagnée n'avait fait alors.
M. le Duc, le prince de Conti, MM. de Vendôme et leurs amis trou-
vaient, en s'en retournant, les chemins bordés de peuple ; les accla-
mations et la joie allaient jusqu'à la démence : toutes les femmes
s'empressaient d'attirer leurs regards. Les hommes portaient alors des
cravates de dentelle qu'on arrangeait avec assez de peine et de
temps. Les princes, s'étant habillés avec précipitation pour le combat;,
avaient passé négligemment ces cravates autour du cou. Les femmes
portèrent des ornements faits sur ce modèle ; on les appela des steen-
kerques. Toutes les bijouteries nouvelles étaient à la steenkerque. Un
jeune homme qui s'était trouvé à cette bataille était regardé avec em-
pressement. Le peuple s'attroupait partout autour des princes ; on
les aimait d'autant plus que leur faveur à la cour n'était pas égale à
leur gloire. (Voltaire).
- (55 -
Quoiqu'il en ait été, le 29 mai, les deux flottes se rencon-
trèrent. Les vaisseaux français, en nombre inférieur et très-
maltraités pendant l'affaire, durent se réfugier dans divers
ports de la côte de France. Les navires qui se retirèrent dans
les ports sans défense de Cherbourg et de la Hogue furent
brûlés.
En janvier 1693, le maréchal de Bouflflers s'empara de
Furnes.
L'armée française fut divisée en deux corps d'armée; l'un,
sous Louis XIV assisté du dauphin et du marquis de Bouf-
flers, l'autre sous les ordres du duc de Luxembourg.
Ces corps d'armée campèrent près de Mons, tandis que le
roi Guillaume prenait une excellente position près de Lou-
vain.
420,000 hommes se trouvaient du côté des Français,
80,000 seulement de l'autre. Cette énorme différence per-
mettait d'attaquer le roi Guillaume avec grande chance de
succès. Pourtant Louis XIV partit pour Versailles, envoyant
le dauphin avec un corps d'armée en Allemagne et laissant le
commandement du reste au duc de Luxembourg.
Ce dernier se rapprocha des alliés qui avaient pris posi-
tion à Meldert, à peu de distance de Tirlemont. Luxembourg
jugea le roi Guillaume trop avantageusement placé pour l'at-
taquer avec succès. Il marcha vers la Meuse comme s'il allait
assiéger Liège et envoya même Villeroi investir Huy. Cette
tactique, qui réussit, avait pour but de forcer le roi Guil-
laume à quitter sa position et à s'affaiblir par l'envoi de ren-
forts à Liège. L'armée alliée passa les deux Gètes et s'établit
à Neerwinden, tandis que Luxembourg était campé à Vinal-
mont sur la Méhaigne, à sept lieues de distance.
— U —
L'armée française se mit en marche vers Neerwinden. La
cavalerie arriva, le 28 juillet au soir, près de ce village.
Comme il était trop tard pour rien entreprendre ce jour, on
bivaqua. Le duc de Luxembourg était en force très-supé-
rieure ; il avait 89 bataillons, 195 escadrons ; les alliés 58 ba-
taillons, 117 escadrons. Aussi le maréchal de France crai-
gnait-il que le roi Guillaume ne profitât de la nuit pour
passer la Gète,sur laquelle il avait plusieurs ponts, et n'évitât
la bataille. Mais les alliés travaillèrent toute la nuit pour for-
tifier leur position. Des retranchements furent élevés entre
Neerwinden et Neerlanden, depuis le premier de ces vil-
lages jusqu'au ruisseau de Landen. En arrière de Rumsdoi^p,
on éleva une barricade de chariots. Les parapets furent
garnis de 90 bouches à feu et les villages de Laer, Neerwin-
den, Rumsdorp et Neerlanden fortement barricadés.
De, Neerwinden à la petite Gèle, le front se trouvait cou-
vert par une haie épaisse et un ruisseau.
La bataille commença le 29 juillet 1693, à huit heures
du matin, par une canonnade sur toute la ligne.
Les alliés étaient placés de la manière suivante :
L'artillerie dans les retranchements et à l'aile droite. Cette
aile était composée de troupes bavaroises sur trois lignes,
aux ordres de l'électeur Maximilien. Elle était appuyée à la
Gète, ayant en front les villages de Laer et de Neerwinden,
occupés par l'infanterie hanovrienne, brandebourgeoise et
anglaise. Au centre l'infanterie anglaise immédiatement der-
rière les retranchements entre Neerwinden et Neerlanden ;
plus en arrière, dans la plaine, une partie de la cavalerie an-
glaise, formée sur deux lignes. Enfin à l'aile gauche le reste de
la cavalerie anglaise également sur deux lignes, une fraction
en potence faute d'espace ; les villages de Rumsdorp et Neer-
landen , occupés par de l'infanlerie et des dragons anglais.
- 6b —
La gauche française était vis-à-vis de Laer et Neerwindeii,
le front garni d'artillerie. D'abord 32 bataillons, 4 escadrons,
3 batteries, sous les ordres du général Rubantel, puis 51 es-
cadrons commandés par le duc de Joyeuse.
Le centre entre Racour et Landen était couvert d'artillerie
et comprenait huit lignes : en première la Maison du roi,
17 escadrons (duc de Chartres); — en deuxième les Suisses
et gardes françaises, 11 bataillons ; — en troisième la cava-
lerie de Villeroi, 20 escadrons ; — en quatrième, 21 batail-
lons d'infanterie. Les quatre dernières lignes étaient formées
de 87 escadrons.
L'aile droite comprenait 25 bataillons avec artillerie en
front, sous le prince de Conti, devant Rumsdorp, et 16 esca-
drons du général de Caylus, près d'Attenhoven.
Le plan du duc de Luxembourg était de faire une fausse
attaque sur la gauche de l'ennemi et de diriger l'attaque
principale sur les villages de Laer et de Neerwinden.
A neuf heures du matin, presque toutes les forces étaient
engagées. L'infanterie française reçut l'ordre de se porter à
la baïonnette sur les villages de Laer et de Neerwinden.
Rumsdorp et Neerlanden furent occupés, bien que le duc
de Luxembourg n'eût pas ordonné de s'emparer de ces
dernières positions, mais simplement d'y contenir l'ennemi.
Deux fois l'infanterie française avait pénétré dans Neer-
winden et Laer; deux fois elle en fut repoussée, tandis que
la droite française échouait à l'attaque d'un ouvrage en face
de Neerlanden et devait abandonner avec grande perte les
villages de Rumsdorp et de Neerlanden. Pour rétablir l'ordre,
le duc de Luxembourg dut se porter personnellement de ce
dernier côté. Il ordonna ensuite une vigoureuse attaque de la
garde et de la Maison du roi sur Neerwinden, et d'autres
troupes du centre sur la partie retranchée au moyen de cha-
5
— 66 —
riots. En même temps le duc d'Harcourt, qui se trouvait à six
lieues de distance avec un corps détaché, arriva sur le champ
de bataille et se dirigea vers la droite des alliés, comme s'il
voulait tourner leur position. L'infanterie alliée dut être re-
tirée en partie des retranchements pour secourir la droite
fortement menacée. Quelques bataillons et 27 escadrons
français pénétrèrent dans les retranchements, tandis que
Laer et Neerwinden étaient enlevés définitivement à la baïon-
nette. La cavalerie française de l'aile gauche et du centre
s'avança alors vers la plaine occupée par les alliés, chargea
les escadrons de ceux-ci, qui, au lieu de couvrir la retraite
de l'infanterie, tournèrent le dos sans se servir du sabre,
mirent le désordre dans leurs propres troupes, et donnèrent
le signal d'une fuite précipitée de l'autre côté de la Gète (1).
(i) Guillaume renversa d'abord les escadrons qui se présentèrent
contre lui, mais enfin il fut renversé lui-même sous son cheval tué. Il
se l'eleva et continua le combat avec les efforts les plus obstinés.
Luxembourg entra deux fois, l'épée à la main, dans le village de
Neerwinden. Le duc de Villeroi fut le premier qui sauta dans les
retranchements des ennemis ; deux fois le village fut emporté et repris.
Ce fut à Neervirinden que Philippe, duc de Chartres (neveu de
Louis XIV et régent sous Louis XV), se montra digne petit-fils de
Henri IV. Il chargeait pour la troisième fois, à la tête d'un escadron ;
cette troupe étant repoussée, il se trouva dans un terrain creux, envi-
ronné de tous côtés d'hommes et de chevaux tués ou blessés. Un
escadron ennemi s'avance à lui, lui crie de se rendre : on le saisit; il
se défend seul, il blesse l'officier qui le retenait prisonnier; il s'en
débarrasse. On revole à lui dans le moment, et on le dégage. Le prince
de Condé, le prince de Conti son émule, qui s'étaient tant distingués à
Steenkerque, combattaient de même à Neerwinden pour leur vie,
comme pour leur gloire, et furent obligés de tuer des ennemis de leur
main.
Le maréchal de Luxembourg se signala et s'exposa plus que jamais.
Son fils, le duc de Montmorenci , se mit au-devant de lui , lorsqu'on le
tirait, et reçut le coup porté à son père. Enfin le général et les princes
prirent le village une troisième fois, et la bataille fut gagnée.
Peu de journées furent phis rnenrtrières. Il y eut environ vingt mille
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— 67 -
On s'était battu par uo ardent soleil de juillet jusqu'à qua-
tre'ou cinq heures après midi. A cette heure, toutes les posi-
tions des alliés étaient forcées.
Cette victoire fut une des plus complètes des Français en
Belgique. Les alliés perdirent 18,000 hommes, toute leur
artillerie , un grand nombre de drapeaux et laissèrent
1,500 prisonniers aux mains du vainqueur. Les Français
eurent 8,000 hommes tués ou blessés.
Les trophées conquis par cette victoire furent transportés
à Paris. La cathédrale en fut remplie; aussi le prince de Conti
put-il appeler le maréchal de Luxembourg : « le tapissier de
Notre-Dame. »
Les causes de la défaite des alliés sont attribuées, d'après
Kausler :
1° au mauvais choix du champ de bataille, qui ne présente
aucun enfoncement et qui offre à dos une rivière maréca-
geuse ;
2° à la supériorité numérique de l'infanterie française ;
3° à l'inaction de la cavalerie alliée durant l'affaire et à sa
fuite désordonnée à la fin de la bataille.
Les Français, après leur victoire, ne poursuivirent pas les
alliés. Ils se rabattirent vers la Meuse pour tirer leurs sub-
sistances de Liège, tandis que l'indomptable Guillaume alla
reconstituer une nouvelle armée aux environs de Bruxelles.
Au mois de septembre, le duc de Luxembourg se porta sur
Fleurus, pour couvrir les opérations du siège de Charleroi
par Villeroi. Ce siège, dont Vauban conduisit les travaux,
dura vingt-six jours; la place se rendit le 11 octobre 1693.
morts; douze mille du côté des alliés, et huit de celui des Français.
C'est à cette occasion qu'on disait qu'il fallait clianter plus de De
profundis que de Te Deuni (Voltaire),
Bataille de la Marsaille. — Le duc de Luxembourg.— Bombardement
de Bruxelles. — Prise de Namur par le roi Guillaume. —
Paix de Byswick.
Tandis que dans le nord se livrait la sanglante bataille de
Neerwinden, qu'en Allemagne l'armée française ravageait de
la façon la plus sauvage tout le pays de Heidelberg, en Es-
pagne, le maréchal de Noailles gagnait une bataille sur les
bords du Ter, et faisait une guerre de montagne acharnée.
L'Italie aussi était le théâtre de grandes opérations mili-
taires. Catinat, d'abord retranché au sommet des Alpes, en
attendant des renforts, descendit de ces montagnes et se
trouva face à face avec le duc de Savoie à la Marsaille (Pié-
mont).
« C'était, dit Capefigue, par une belle gelée d'octobre (1693),
si magnifique dans les Alpes ; le maréchal Catinat ne laissa
pas aux alliés le temps de se reconnaître ; il fit attaquer la
gauche de l'ennemi par 20 bataillons en colonne serrée, la
baïonnette au bout du fusil. La gendarmerie de France, les
dragons attaquèrent en même temps la molle cavalerie de
Naples et du Milanais, qui fut mise en déroute. La seconde
ligne en réserve, composée de cavalerie allemande, de forts
cuirassiers, accourut pour la rallier; elle fut elle-même en-
traînée : le champ de bataille demeura dans les mains des
Français. »
La campagne de 1694, dans les Pays-Bas, n'offrit rien de
bien remarquable. Elle fut commandée par le dauphin assisté
du duc de Luxembourg. L'armée se porta de Mons à Saint-
— 69 ~
Trond, tandis que le roi Guillaume se trouvait près de Lou-
vain. Les deux armées étaient à peu près de force égale. Les
Français allèrent reprendre ensuite leur ancienne position à
Vinalmont et s'y retranchèrent. Le roi Guillaume, de son
côté, tenta alors de surprendre Gourtrai ; il marcha lentement
par Sombreffe, Nivelles, Soignies sur Espierres. Les Français
gagnèrent de vitesse sur lui en allant de Namur k Mons,
Gondé, puis par la rive gauche de l'Escaut jusqu'à Tournai,
d'où ils barrèrent le passage à l'ennemi avec leur tête de
colonne près d'Espierres. Le dauphin fit élever des retran-
chements à Espierres et à Avelghem, afin d'empêcher le pas-
sage du fleuve.
Le roi Guillaume alla jusqu'à Audenarde, traversa l'Es-
caut, fit la contre-marche, et passant entre l'Escaut et la Lys,
marcha sur Gourtrai. Mais cette ville, défendue par des forces
considérables, était de plus bien appuyée par les lignes entre
la Lys et l'Yperlée. Une attaque contre elle eût été périlleuse.
Le roi Guillaume y renonça et mit son armée en quartier
d'hiver à Dixmude, Deynze et Roulers.
La ville de Huy prise et saccagée l'année précédente
par Villeroi , fut reprise par un détachement de l'armée
alliée.
En 1695, le commandement de l'armée de Belgique échut
au maréchal de Villeroi, par suite de la mort du duc de
Luxembourg.
Le caractère de ce dernier a été retracé par le maréchal
de Berwick dans les termes suivants : « Il mourut univer-
sellement regretté des gens de guerre. Jamais homme n'eut
plus de courage, de vivacité, de prudence, d'habileté ; jamais
homme n'eut plus la confiance des troupes qui étaient à ses
ordres ; mais l'inaction dans laquelle on l'avait vu rester,
— 70 -
après plusieurs de ses victoires, l'a fait soupçonner de n'avoir
point eu envie de finir la guerre, ne croyant pas pouvoir faire
la même figure à la cour, qu'à la tête de cent mille hommes.
Quand il était question d'ennemis, nul général plus brillant
que lui ; mais, du moment que l'action était finie, il voulait
s'occuper plus de ses plaisirs que des opérations de la cam-
pagne. Sa figure était aussi extraordinaire que son humeur
et sa conversation étaient agréables. Sa grande familiarité
lui avait attiré l'amitié des officiers ; et son indulgence à
l'égard des maraudeurs l'avait fait adorer des soldats qui, de
leur côté, se piquaient d'être toujours à leur devoir, quand
il avait besoin de leurs bras. »
Malgré cet éloge, les dévastations que permit de Luxem-
bourg à ses soldats, en Hollande, resteront comme une tache
à sa mémoire.
Le maréchal de Villeroi envoya une partie de son armée,
sous Bouffi ers, derrière les lignes de Commines qui furent
complétées de Menin, Courtrai, Helchin, à Espierres. Cette
immense ligne continue pouvait être considérée comme
ayant pour redoutes les places fortes de Tournai, Courtrai,
Menin, Ypres, Knocke, Furnes et Dunkerque.
Le roi Guillaume, qui avait concentré son armée à Aude-
narde, se dirigea sur Roulers, comme s'il voulait attaquer
les lignes de Commines, mais son dessein réel était d'occu-
per Villeroi et de l'empêcher de jeter du renfort dans Namur
que les alliés voulaient assiéger à leur tour. Guillaume en
effet marcha sur Namur qu'il investit, tandis qu'une partie
de ses troupes resta à Deynze, sous les ordres du prince de
Vaudemont.
Boufflers quitta en hâte les lignes de Commines et parvint
— 71 -
à se jeter dans Namur, avant que les communications fussent
interrompues.
Les Français résolurent d'attaquer le prince de Vaude-
mont. Ils lui enlevèrent un avant-poste de deux bataillons
près de Deynze. Vaudemont put toutefois se retirer sur Gand
sans être poursuivi. On ignore les motifs qui déterminèrent
Villeroi à s'arrêter au milieu d'une opération qui promettait
grand succès.
Villeroi s'empara de Deynze et deDixmude, qui se rendirent
sans résistance. Les commandants de ces places, ayant été
traduits devant une cour martiale, furent le premier cassé, le
second décapité.
Villeroi, dans le but de faire abandonner au roi Guillaume
le siège de Namur, se porta sur Bruxelles, dont Louis XIV
ordonna le bombardement en représailles de ceux de Dieppe,
Saint-Malo, Calais, Dunkerque par les Anglais. Tandis que Vil-
leroi prenait position sur les hauteurs du Scheut-Veld, hors
de la porte de Ninove, le prince de Vaudemont venait camper
avec 15,000 hommes à Dieghem, à une lieue et demie au
nord de Bruxelles et occuper ensuite les hauteurs de cette
ville, depuis Vleurgat jusqu'à la porte du rivage.
Le 13 août 1695, les Français mirent en batterie derrière
la censé (ou ferme) de Ransfort, à Molenbeek-Saint-Jean ,
18 pièces de gros calibre et 25 mortiers. Les Bruxellois en-
voyèrent des parlementaires au maréchal de France, mais
leurs démarches n'aboutirent pas.
Le bombardement commença à sept heures du soir et dura
fort avant dans la nuit. L'incendie allumé par les boulets
rouges éclata bientôt sur divers points de la ville, où régna
la plus épouvantable confusion. Le lendemain, de neuf heures
— 72 -
du matin à quatre heures de l'après-midi, le bombardement
reprit. L'incendie, poussé par un vent violent, se propagea
de façon à ne faire qu'un brasier du centre de Bruxelles.
3,830 maisons furent brûlées, 460 fortement endommagées.
Beaucoup de monuments disparurent dans ce sinistre, et,
chose bien plus déplorable, un grand nombre d'habitants
périrent (1). La garnison, manquant de munitions, n'avait pu
riposter que faiblement. La bourgeoisie prit des pavés et tua
bon nombre de Français qui s'étaient avancés trop près de la
ville.
Après avoir accompli leur œuvre de destruction, les Fran-
çais se retirèrent, le 15 août, avec la plus grande précipita-
tion, par la chaussée de Namur, pour essayer de faire lever
le siège de cette dernière ville. Villeroi avait alors 90,000
hommes de troupes. De son côté, Vaudemont, avec ses forces,
rejoignit le roi Guillaume qui put continuer le siège, en op-
posant aux Français une armée d'observation sur l'Orneau
(petit ruisseau passant à Gembloux). La position des alliés
sur l'Orneau étant forte, Villeroi n'osa les y attaquer. Il resta
à Gembloux jusqu'à la reddition de Namur, et prit alors ses
cantonnements près de Mons.
Le roi Guillaume suivit, pour assiéger Namur, le plan d'opé-
rations exécuté, en 1692, par les Français. Pendant l'occupa-
tion française, les fortifications de la' ville avaient reçu un
accroissement considérable.
L'enceinte fut prise d'abord, la citadelle ensuite (5 sep-
tembre 1695). Dans l'attaque de l'enceinte, on conduisit les
approches contre le pont, à la porte de Saint-Nicolas.
(J; On peut lire les détails navrants de ce bombardement, dans
l'Histoire de la ville de Bruxelles, par MM. Henné et Wauters.
- 73 -
En 1696, une nouvelle tentative infructueuse de restaura-
tion de Jacques II, en Irlande, obligea les troupes anglaises
à retourner dans leurs pays. Le roi Guillaume fut retenu en
Angleterre jusqu'au mois de mai.
Le général Coëhorn et lord Athlone, avec 30 bataillons,
bloquèrent Dinant et Givet, brûlèrent les magasins de ces
villes et revinrent, sans être inquiétés, à Namur d'où ils
étaient partis.
Les Français ayant fait la paix en Italie avec le duc de
Savoie, purent renforcer leur armée de Belgique (1697). Ils
formèrent trois corps, respectivement sous Villeroi, Bouf-
11ers et Catinat. Les forces totales s'élevaient à 133 batail-
lons, 350 escadrons.
Catinat débuta par le siège d'Atli qui capitula le 5 juin.
Villeroi et Boufflers descendirent le long de la Dendre jus-
qu'à hauteur de Ninove, dans le dessein d'assiéger Bruxelles,
mais le roi Guillaume s'étant placé entre eux et cette ville,
les Français n'osèrent pas quitter les bords de la rivière.
Sur le Rhin, les deux partis en présence restèrent dans
l'inaction. En Espagne, le maréchal de Noailles avait été
remplacé par le duc de Vendôme qui n'eut du reste aucune
occasion de se signaler.
Toutes les puissances étaient lasses de la guerre. Depuis
quelque temps déjà les hostilités se poursuivaient avec une
langueur qui faisait présager la paix. L'épuisement du reste
était le même chez tous les belligérants. Un traité entre l'An-
gleterre, laFrance, la Hollande et l'Espagne fut signé le 20 sep-
tembre 1697, au château de Ryswick, près de La Haye; l'em-
— 74 -
pire y adhéra le 30 septembre suivant. Par ce traité l'Espagne
resta en possession de la ville et de la province de Luxem-
bourg, du comté de Chiny, de Gharleroi, Mons, Ath et Cour-
trai. L'évêque de Liège eut en retour Dinant. Strasbourg fut
conservé à la France. Le fort de Kehl, sur la rive allemande,
resta à l'empire, auquel furent restitués Freibourg et Philips-
bourg. Le duc de Lorraine, fils de Charles V, recouvra ses
domaines.
VI.
Guerre de la succession d'Espagne. — Renseignements historiques. —
Guillaume III. — Le prince Eugène dans le Milanais. — Surprise de
Crémone. — Le duc de Vendôme. — Bataille de Luzzara.
Le traité des Pyrénées, en vertu duquel Marie-Thérèse,
fille de Philippe IV et femme de Louis XIV, avait renoncé à
tous ses droits au trône d'Espagne, avait été fait en vue
d'empêcher la réunion des couronnes de France et d'Espa-
pagne sur une même tète.
Charles II, frère aîné de Marie-Thérèse, mourut sans pos-
térité, le 1 novembre 1700. Ce monarque, pour empêcher la
l'éunion des royaumes de France et d'Espagne, fit un testa-
ment par lequel il désigna comme son successeur dans la
monarchie espagnole, non pas le dauphin ni le fils aîné du
dauphin, mais le second fils de ce prince, Philippe, duc
d'Anjou.
La mère de l'empereur d'Allemagne, Léopold, était fille de
Philippe III, cl par conséquent taule du dernier roi d'Espa-
gne, Charles II. Se fondant sur cette parenté et sur la renon-
- 75 -
dation des descendants de l'infante Marie-Tliérèse, Léopold
revendiqua ses droits à la succession espagnole. De ses deux
fils, les archiducs Joseph et Charles, l'aîné devant lui suc-
céder, il réclama pour le second le trône de Charles II.
La crainte de voir les Pays-Bas espagnols au pouvoir d'un
prince français, avait antérieurement déjà fait concevoir au
roi Guillaume un plan de partage de la succession de Char-
les II. Un traité avait même été conclu en conséquence entre
l'Angleterre, la Hollande et la France.
Les Espagnols s'indignèrent à l'idée de voir leur pays dé-
membré et ses dépouilles partagées par les puissances étran-
gères. La volonté nationale se déclara ouvertement en faveur
du duc d'Anjou, désigné par le feu roi. Louis XIV, renonçant
alors au traité de partage, présenta son petit-flls à la cour
de Versailles, comme roi d'Espagne, sous le nom de Phi-
lippe V.
Le nouveau souverain se rendit aussitôt à Madrid (4 dé-
cembre 1700).
Deux mois plus tard, Louis XIV informa officiellement
Philippe V, que son avènement au trône d'Espagne ne l'em-
pêcherait nullement, lui ou ses. descendants mâles, d'hériter
de la couronne de France, si son frère aîné mourait sans
héritier.
Une telle déclaration devait causer nécessairement une
vive sensation dans toute l'Europe. Elle eut pour effet d'asso-
cier aux prétentions de l'empereur d'Allemagne la plupart
des nations européennes, qui craignaient la trop grande puis-
sance de la famille des Bourbons.
Le premier acte de Philippe V fut de confirmer l'électeur
de Bavière dans les fonctions de gouverneur-général des
Pays-Bas espagnols. L'électeur reçut pour instruction d'obéir
à tout ce que Louis XIV jugerait à propos de lui ordonner
— 76 —
pour la sûreté de cette partie des domaines de son petit-ftls.
En conséquence l'électeur admit des troupes françaises dans
Nieuport, Audenarde, Xth, Mons, Charleroi, Namur et
Luxembourg. Ces troupes entrèrent secrètement, de nuit,
dans ces villes et y firent prisonniers 22 bataillons d'infan-
terie hollandaise, qui s'y trouvaient en garnison depuis la
paix deRyswick.
L'empereur ne se contenta pas de protester simplement
contre l'accession du duc d'Anjou au trône d'Espagne, mais
il fit tous ses préparatifs pour occuper les possessions espa-
gnoles en Italie, et y envoya le prince Eugène avec un corps
d'armée.
L'Angleterre reconnut Philippe V et le roi Guillaume lui
écrivit même une lettre pour le complimenter. Cependant
Guillaume se joignit aux Hollandais pour engager Louis XIV
à retirer les troupes françaises des places de la Belgique
nouvellement occupées, et il s'offrit à négocier un traité ten-
dant cl faire concéder à la Hollande la barrière de ces places.
Les États-Généraux réclamèrent seuls la complète exécution
du traité de partage. Mais Louis leur ayant offert de relâcher
les trojipes hollandaises faites prisonnières, à condition de
leconnaître le duc d'Anjou, cette proposition fut agréée, et
les troupes françaises demeurèrent en possession des sept
forteresses mentionnées plus haut.
Cependant les forces françaises, en Belgique, augmentaient
de jour en jour. La Hollande, inquiète, réclama l'assistance
• le la Grande-Bretagne. Le roi Guillaume, avec l'approbation
(lu parlement, tira 13,000 hommes de troupes de l'Irlande et
'le l'Ecosse et les envoya sur le continent, sous les ordres du
duc de Marlborough.
Jacques II mourut en 1701, à Saint-Germain. Le prince de
Stalles, son fils, fut reconnu aussitôt par Louis XIV, sous le
— 77 —
nom de Jacques III. Cet événement détermina l'Angleterre à
se joindre aux ennemis de la France.
Vers la fin de l'année 1701, les électeurs de Bavière et de
Cologne, les ducs de Brunswick et de Saxe-Gotha, le duc de
Savoie prirent le parti de la France et de l'Espagne.
L'empereur, les Hollandais et les Anglais conclurent un
traité, à La Haye, pour attaquer les Français dans les Pays-
Bas. Le roi de Danemark se joignit aux alliés et leur promit
un corps de 14,000 hommes. L'empereur s'assura le concours
de l'électeur de Brandebourg, en lui reconnaissant le titre et
la dignité de roi de Prusse ; l'électeur monta sur le trône,
sous le nom de Frédéric I.
La guerre paraissait alors inévitable ; aussi les différentes
puissances s'occupaient à en faire les préparatifs avec ardeur.
Les Français renforcèrent de plus en plus leur armée dans
les Pays-Bas. Leurs troupes, aidées de bandes considérables
de paysans, furent employées à la construetion d'une ligne
de retranchements qui s'étendait, presque sans interruptions,
de l'Escaut, sous Anvers, jusqu'à Wasseige sur la Méhaigne.
En dehors de ces lignes, les Français et les Espagnols occu-
paient Liège, Stevensweert, Ruremonde et Venlo, .sur la
Meuse.
L'empereur, la Hollande et l'Angleterre déclarèrent la
guerre à la France, en mai 1702. Au mois de septembre
suivant, les petits États d'Allemagne, à l'exception des élec-
torats de Bavière et de Cologne, suivirent cet exemple.
La France fit alliance avec le duc de Savoie , dont la fille
cadette avait épousé le jeune roi d'Espagne.
Le roi Guillaume devait se mettre à la tête des alliés, mais
il mourut dans le courant de l'année 1702, des suites d'une
chute de cheval.
Guillaume d'Orange, en mourant, laissa la réputation d'un
- 78 -
vaillant soldat, d'un général de talent. Il eut la gloire de
refouler les Français depuis les murs d'Amsterdam jusqu'à
la citadelle de Namur. Sans doute il essuya bien des revers,
et on peut dire que ce ne fut pas un général heureux ; mais
les éléments dont il disposait étaient bien inférieurs à ceux
de ses puissants ennemis. Les troupes sous ses ordres appar-
tenaient à toutes espèces de nations, et ces contingents sans
cohésion avaient des chefs divisés fréquemment par la ja-
lousie et des intérêts opposés. La commission des États,
ainsi que le conseil de guerre, qui devaient discuter d'avance
chacune de ses opérations militaires, paralysèrent souvent
son initiative, en ne lui laissant qu'une faible part d'autorité;
et pourtant, avec cette nature froidement énergique, qui le
caractérisait, après chaque défaite, loin d'être découragé, on
le retrouve, debout, prêt à recommencer et toujours redou-
table.
Guillaume, veuf depuis plusieurs années et sans postérité,
laissa le trône d'Angleterre à sa belle-sœur Anne Stuart. Il
avait désigné son neveu Jean-Guillaume Frison, prince de
Nassau-Dietz, pour lui succéder en Hollande ; mais le parti
républicain de ce pays, jaloux de toute autorité, supprima le
stadhouderat, qui ne continua à subsister que dans les pro-
vinces de Frise et de Groningue. Cette dignité fut rétablie
en 1747, en faveur du fils de Guillaume-le-Frison.
La guerre avait commencé de fait en Italie, dès la fin de
1701. L'empereur avait envoyé le prince Eugène, avec
30,000 hommes, menacer le Milanais. Le prince descendit
les montagnes du Tyrol, suivit la rive gauche de l'Adige, tra-
versa ce fleuve et attaqua vigoureusement les troupes de Câ-
linât postées à Carpi, petit village entouré de murs et défendu
par un château.
— vl> -
Soit prudence, soit timidité, Catinat battit en retraite jusque
derrière l'Oglio, bien que ses forces, unies h celles du duc
de Savoie, fussent doubles de celles des Impériaux. Par ce
succès l'armée allemande devint maîtresse des pays entre
l'Adige et l'Oglio.
Villeroi fut alors désigné pour commander l'armée d'Italie.
Il prit immédiatement l'offensive et attaqua le camp du prince
Eugène dans une forte position, à Chiari (11 septembre 1701).
L'entreprise était téméraire, car les retranchements à
enlever étaient peu abordables. Villeroi, malgré les avis de
ses lieutenants-généraux, ordonna l'attaque. Catinat, avant
de se décider à obéir, se fit répéter trois fois l'ordre de mar-
cher en avant. Les craintes des généraux français se réali-
sèrent; leurs troupes furent culbutées. Catinat, quoique
blessé, rendit l'important service de diriger la retraite; il
quitta ensuite l'armée et vint à Versailles rendre compte à
Louis XIV de sa conduite pendant qu'il exerçait le comman-
dement en chef.
L'hiver vint suspendre les hostilités. Les Impériaux le pas-
sèrent près de Mantoue, qu'ils investirent, et s'emparèrent
entretemps de Guastalla et de la Mirandola.
Le prince Eugène ouvrit la campagne suivante par une
tentative hardie sur Crémone, où se trouvait le maréchal de
Villeroi avec une forte garnison.
« Le 2 février 1702, vers quatre heures du matin, dit
Voltaire, le maréchal, qui dormait avec sécurité, est réveillé
au bruit des décharges de mousqueterie ; il se lève en hâte,
monte à cheval ; la première chose qu'il rencontre , c'est un
escadron ennemi. Le maréchal est aussitôt fait prisonnier et
— 80 —
conduit hors de la ville , sans savoir ce qui s'y passait et
sans pouvoir imaginer la cause d'un événement si étrange.
Le prince Eugène était déjà dans Crémone ; un prêtre attaché
au parti de l'empereur avait introduit les troupes allemandes
par un égout ; quatre cents soldats, entrés par cet égout dans
la maison du prêtre, avaient sur-le-champ égorgé la garde
de deux portes : celles-ci ouvertes , Eugène était entré avec
quatre mille hommes. Tout cela s'était fait avec ordre,
secret et diligence et avant que le maréchal de Villeroi fût
éveillé. Le gouverneur espagnol se montre d'abord dans les
rues avec quelques soldats ; il est tué d'un coup de fusil ;
tous les officiers généraux sont tués ou pris , à la réserve du
comte de Rével et du marquis de Praslin. Beaucoup d'autres
officiers français subirent le même sort. »
« Le hasard confondit la prudence du prince Eugène. »
« Un régiment de la garnison, qui devait être passé en revue
de grand matin par le chevalier d'Entragues, s'assemblait à
une extrémité de la ville, précisément dans le temps que le
prince Eugène entrait par l'autre ; ce corps résiste aux Alle-
mands qu'il rencontre, et donne le temps au reste de la gar-
nison d'accourir. Les officiers, les soldats, pêle-mêle, les uns
mal armés, les autres presque nus, sans commandement,
sans ordres, remplissent les rues, les places publiques. On
combat en confusion, on se retranche de rue en rue, de
place en place ; deux régiments irlandais qui faisaient partie
de la garnison arrêtèrent les efforts des Impériaux. Jamais
ville n'avait été surprise avec plus de sagesse, ni défendue
avec tant de valeur. La garnison était d'environ cinq mille
hommes ; le prince Eugène n'en avait pas encore introduit
plus de quatre mille. Un gros détachement devait arriver par
le pont du Pô : les mesures étaient bien prises, le hasard les
dérangea toutes. Ce pont du Pô, mal gardé par environ cent
— 81 —
soldats français, devait d'abord être saisi par les cuirassiers
allemands, qui, dans l'instant que le prince Eugène entra
dans la ville, furent commandés pour aller s'en emparer. Il
fallait pour cet effet, qu'étant entrés par la porte du midi,
voisine de l'égout, ils sortissent sur-le-champ de Crémone ,
du côté du nord, par la porte du Pô, et qu'ils courussent au
pont. Ils y allaient ; le guide qui les conduisait est tué d'un
coup de fusil d'une fenêtre ; les cuirassiers prennent une rue
pour une autre, ils allongent leur chemin. Dans ce petit
intervalle de temps, les Irlandais se jettent à la porte du Pô,
ils combattent et repoussent les cuirassiers ; le marquis de
Praslin profite du moment ; il fait couper le pont : alors le
secours que l'ennemi attendait ne put arriver et la ville est
sauvée. »
« Le prince Eugène, après avoir combattu tout le jour, maî-
tre de la porte par laquelle il était entré, se retire enfin,
emmenant le maréchal de Villeroi et bon nombre de prison-
niers. »
Le maréchal de Villeroi, peu aimé à la cour et de ses sol-
dats, fut remplacé par le duc de Vendôme.
Voltaire a caractérisé ce dernier dans les lignes suivantes :
« Le duc de Vendôme, petit-fils de Henri IV, était intrépide
comme lui, doux, bienfaisant, sans faste, ne connaissant ni
la haine, ni l'envie, ni la vengeance. Il n'était fier qu'avec les
princes; il se rendait l'égal de tout le reste. C'était le seul
général sous lequel le devoir du service, et cet instinct de
fureur qui obéit à la voix des officiers, ne menassent point
les soldats au combat : ils combattaient pour le duc de Ven-
dôme ; ils auraient donné leur vie pour le tirer d'un mauvais
pas, où la précipitation de son génie l'engageait quelquefois.
Il ne passait pas pour méditer ses desseins avec la même
6
— S2 —
profondeur que le prince Eugène, et pour entendre comme
lui l'art de faire subsister les armées. Il négligeait trop les
détails; il laissait périr la discipline militaire; la table et
le sommeil lui dérobaient trop de temps. Cette mollesse le
mit plus d'une fois en danger d'être enlevé; mais un jour
d'action, il réparait tout par une présence d'esprit et par des
lumières que le péril rendait plus vives; et ces jours d'action,
il les cherchait toujours : moins fait, à ce qu'on disait, pour
une guerre défensive, et aussi propre à l'offensive que le
prince Eugène. »
Philippe V, qui était allé à Naples pour s'y faire reconnaî-
tre, se rendit à l'armée d'Italie. Ses efforts unis à ceux de
Vendôme obligèrent Eugène à lever le blocus de Mantoue.
Les Français, à la suite de ce dernier avantage, se dispo-
saient à couper à Eugène la communication de Guastalla et
de la Mirandola, en se plaçant entre ces villes et le Pô,
lorsque le prince, traversant lui-même le fleuve, à leur insu,
se cacha aux environs de Luzzara, dans l'entre-deux de sa
rive droite et de la digue du Zéro, près de laquelle les Fran-
çais vinrent imprudemment asseoir leur camp, sans avoir
exploré le terrain au delà. Il s'était proposé de les attaquer
au moment où les fourrageurs étant aux champs et l'infan-
terie à la recherche de la paille et de l'eau, il lui serait aisé
de forcer le camp et de s'emparer des armes en faisceaux
et de la majeure partie des chevaux au piquet. L'accomplis-
sement de ce hardi projet eût entraîné la ruine totale de
l'armée : un hasard en prévint l'exécution. Les sinuosités du
Zéro et de la digue élevée pour contenir ses eaux se trou-
vaient en un point tellement rapproché du camp, qu'un offi-
cier, sans autre but que de satisfaire sa curiosité, s'avisa d'y
monter pour jeter un coup-d'œil sur le pays d'alentour. « Quel
- «3 —
fut son étonnement, dit Anquetil , d'apercevoir toute l'in-
fanterie impériale, en ordre de bataille, couchée ventre à
terre et la cavalerie par derrière pour la soutenir! »
L'officier donna aussitôt l'alarme et le combat ne tarda pas
à commencer. Les Impériaux n'eurent qu'à monter sur la
digue pour mettre sous leur feu l'armée combinée qui n'était
point formée en bataille. Bientôt ils franchirent la digue
pour s'approcher davantage, mais le terrain couvert de haies
et de buissons, les empêcha d'aborder tout le front et donna
le temps aux alliés de se former peu à peu. Quand l'armée
fut en ligne, l'attaque devint sans objet et les assaillants se
couvrirent de nouveau de la digue pour battre en retraite.
Cette bataille remarquable, dont chaque parti s'attribua le
gain, prit le nom de bataille de Luzzara; elle eut lieu le
15 août 1702.
Après l'affaire, Eugène resta sur la défensive et l'on peut
dire que Vendôme préserva le Milanais de l'invasion des
Impériaux.
VII.
Opérations dans les Pays-Bas. — Siège de Liège. — Opérations en
Allemagne. — Combat de Friedlingen. — Affaire d'Eeckeren.
Dans les Pays-Bas, les Hollandais commencèrent les hos-
tilités en assiégeant avec 18,000 hommes la petite forteresse
de Keisersweert sur le Rhin, qui était défendue par une
garnison française. Le reste de leur armée était campé
autour de Clèves.
Le marquis de Boufflers, à la tête de l'armée française,
descendit la Meuse, envoya un détachement pour secourir
_ si -
Keisersweert et marcha sur Clèves. Keisersweert n'en capi-
tula pas moins et les Hollandais se retirèrent de Clèves sur
Nimègue, poursuivis par les Français, jusqu'au pied des
glacis, où ces derniers perdirent un certain nombre d'hom-
mes par l'effet d'une canonnade partie des remparts de la
ville.
Les Français, comptant 66 bataillons, 114 escadrons, se
concentrèrent derrière la Nierse, cette rivière en front, et
leur gauche à son confluent avec la Meuse.
Marlborough réunit ses forces à Nimègue, 65 bataillons,
130 escadrons, passa la Meuse à Grave, marcha vers l'en-
nemi, tourna sa gauche, et obligea celui-ci à se retirer par
Ruremonde sur Brée.
Le général anglais vint camper k son tour devant cette
dernière localité.
Les Français se portèrent alors par Zonhoven et Beeringen
vers Eindhoven pour se placer entre les alliés et la ville de
Bois-le-Duc, d'où ces derniers tiraient leurs subsistances;
mais par ce mouvement, Marlborough se trouvait lui-même
entre l'armée française et la Meuse, sa base d'opérations.
Le duc de Marlborough, dont l'armée avait été considéra-
blement renforcée, prit position près de Helchteren, le front
couvert par le ruisseau dit Zwartebeek. Les Français se por-
tèrent vis-à-vis de lui, mais jugeant sa position trop forte, ils
se retirèrent, après une vive canonnade.
Au lieu de les poursuivre par le Brabant septentrional,
dont ils avaient pris la route, le général anglais s'empara de
Venlo, Stevensweert, Ruremonde et alla assiéger Liège.
Le faubourg d'Outre-Meuse, à Liège, était garanti, à cette
époque, au moyen d'une ligne de redoutes reliées entre elles
par une enceinte fortifiée, bien revêtue, avec fossé profond.
- 85 -
enfin par le fort de la Chartreuse, comme réduit ; la citadelle,
sur l'autre rive, se trouvait à peu près dans son état actuel.
Le lieutenant-général Violaine commandant la garnison
française, h Liège, forte de douze bataillons, en plaça huit
dans la citadelle, et quatre dans la Chartreuse. La ville fut
abandonnée.
L'attaque commença par la citadelle, du côté de Sainte-
Walburge, et l'assaut y fut donné le 23 octobre 1702. Le 29,
la garnison de la Chartreuse capitula et fut emmenée pri-
sonnière à Anvers.
De Boufflers tenta d'éloigner Marlborough de la Meuse, en
envoyant le marquis de Bedmar avec un corps composé de
Français et d'Espagnols faire une diversion sur Hulst, dans
la Flandre hollandaise; mais le gouverneur de la place fit
couper les digues et obligea par l'inondation les troupes
ennemies à battre en retraite, après avoir perdu 500 hommes.
Ainsi se termina, dans les Pays-Bas, la première campagne
de la guerre de la succession d'Espagne. Cette campagne fut
tout à l'avantage de Marlborough, car elle affranchit le cours
de la Meuse de la domination espagnole.
Les alliés s'étaient emparés de Landau et Haguenau, pen-
dant que Catinat, qui commandait en Alsace, était contraint
d'être spectateur de ces prises.
La France avait pour allié, nous l'avons déjà dit, l'électeur
de Bavière, qui opérait sur le Danube. Une jonction entre
l'armée d'Alsace et l'armée bavaroise fut projetée, et Villars,
lieutenant-général sous Catinat, et connu pour son caractère
entreprenant, chargé de l'effectuer avec une division forte de
18,000 hommes.
- 86 -
Villars se porta donc à Hûningue, pour y traverser le
Rhin. Le prince Louis de Bade, avec 25,000 hommes, avait
assis son camp dans la plaine de Friedlingen et l'avait cou-
vert par une série de redoutes et un fort.
Le général français fit prendre Neubourg, à cinq lieues
plus bas sur le Rhin ; cette ville assurait aux Autrichiens
la communication avec Freibourg. On y simula la construc-
tion d'un pont de bateaux. Le 14 octobre 1702, le prince
Louis, dans la crainte que les Français n'effectuassent leur
passage près de Neubourg, se retira vers la Kandern,
laissant 500 hommes dans le fort de Friedlingen.
Villars, aussitôt qu'il s'aperçut du départ des Allemands,
donna l'ordre de passer le Rhin par un pont de bateaux
reliant la petite île d'Hûningue aux deux rives du Rhin.
Le prince Louis fit faire sur-le-champ un mouvement
rétrograde à son armée ; la cavalerie et une partie de l'artil-
lerie se placèrent sur deux lignes dans la plaine, la droite
appuyée au fort de Friedlingen , la gauche aux hauteurs boi-
sées de Tillingen; l'infanterie se porta sur ces hauteurs ac-
compagnée de 6 escadrons et de 5 pièces.
L'infanterie française se dirigea du pont sur Weil et esca-
lada les hauteurs de Tillingen; la cavalerie française prit
position sur deux lignes, face à celle des Autrichiens.
Les Impériaux occupèrent la pointe la plus avancée de la
forêt de Tillingen, tandis que quatre brigades d'infanterie
avancèrent par des chemins différents vers la lisière de la
forêt; une cinquième brigade resta en réserve à Weil.
L'infanterie française débusqua les Autrichiens de la forêt,
mais au prix de pertes sensibles, et, poursuivant son succès,
s'avança en rase campagne. Les 6 escadrons allemands s'élan-
cèrent alors sur le flanc droit découvert des Français et y
répandirent la terreur. Les Français prirent la fuite à travers
- 87 -
la forêt (1) jusqu'au pied de la hauteur près de Weil où Vil-
lars parvint enfin à les rallier, mais non sans peine.
Pendant que ces choses se passaient à la droite de l'armée
française, sa cavalerie, par un mouvement simulé, chercha
à faire sortir la cavalerie impériale de sa position avanta-
geuse; à cet effet, il fut ordonné h la première ligne de
passer par les intervalles de la seconde, comme si elle avait
le projet de battre en retraite.
Les Impériaux, abandonnant l'avantage de la protection du
fort, marchèrent contre la cavalerie française qui les laissa
approcher jusqu'à cent pas. La cavalerie française, n'ayant
plus à craindre le canon du fort, qui eût atteint indistincte-
ment les troupes des deux armées, chargea à son tour, cul-
buta la première ligne ennemie, la rejeta sur la seconde et
les poursuivit jusqu'à la Kandern. L'infanterie impériale,
témoin de cette déroute, battit aussitôt en retraite sans être
toutefois vivement poursuivie par les Français. Chacune des
deux armées laissa 3,000 hommes tués ou blessés sur le ter-
rain, mais les Français firent 900 prisonniers.
Après la victoire, les soldats acclamèrent Villars maréchal
de France, sur le champ de bataille, et Louis XIV confirma
ce que la voix des soldats lui avait donné.
Villars n'osa s'aventurer sans munitions et sans vivres
(\) « J'ai entendu dire plus d'une fois au mai'échal de Villars que.
la bataille étant gagnée, comme il marchait à la tête de son infanterie,
mie voix cria : « Nous sommes coupés. » A ce mot, tous ses régiments
s'enfuirent. Il court à eux, et leur crie : « Allons, mes amis, la victoire
est à nous : Vive le roi ! » Les soldats répondirent, Vive le roi ! en
tremblant, et recommencent à fuir. La plvis grande peine qu'eut le
général, ce fut de rallier les vainqueurs. Si deux régiments ennemis
avaient paru dans le moment de cette terreur panique , les Français
étaient battus ; tant la fortune décide souvent du gain des batailles ! »
(Voltaire).
— 88 —
dans les défilés de la Forét-Noire pour poursuivre le prince
de Bade. Il regagna l'Alsace et mit ses troupes au repos.
Au printemps suivant, il fit sa jonction avec félecteur de
Bavière, comme nous le verrons dans la suite.
Les Espagnols avaient fait construire, après la séparation
des provinces du nord, un canal reliant la Meuse au Rhin,
de Venlo à Rheinsberg. Ce canal fut creusé dans le but de
rendre le commerce entre l'Allemagne et les Pays-Bas indé-
pendant des Hollandais.
Rheinsberg, ville fortitiée avec soin et occupée par les
Français, fut prise par un corps prussien, en février 1703.
Le 16 mai, Marlborough, prit Bonn, la seule place du Bas-
Rhin, encore au pouvoir des Français.
Louis XIV, mécontent de la campagne de f année précé-
dente eu Belgique, envoya Villeroi reprendre le comman-
dement de Boufïïers ; ce dernier resta cependant à l'armée
des Pays-Bas.
Villeroi commença par s'emparer de Tongres (9 mai 1703).
Marlborough, après le siège de Bonn, rejoignit le général
Overkerke, qui, en son absence, commandait l'armée des
Hollandais à Maestricht.
Les armées belligérantes, après plusieurs marches et con-
tre-marches, pendant lesquelles on les vit s'avancer paral-
lèlement sur les rives du Geer, séparées seulement par ce
mince filet d'eau, n'entreprirent aucune action de guerre
remarquable, et allèrent, celle de Marlborough h Bilsen,
comme si elle voulait marcher sur Anvers , et celle de
Villeroi, à Diest, pour lui barrer le passage.
Indépendamment des deux armées qui manœuvraient
ainsi, Villeroi avait un corps de troupes espagnoles dans les
environs d'x\nvei's, de Gand et d'Ostende ; ces forces étaient
- 8!> -
SOUS les ordres du marquis de Bedmar, commandant-général
des Pays-Bas, en l'absence de Maximilien-Emmanuel de
Bavière. Marlborough, de son côté, avait contié au général
hollandais Obdam, un corps qui se trouvait entre Bréda et
l'Écluse pour protéger la Flandre hollandaise.
Pendant les opérations sur le Geer, Marlborough envoya
le général Coëhorne, qui faisait partie du corps d'Obdam,
opérer une diversion dans le pays de Waes (entre Anvers
et Gand); pour protéger ce mouvement, il prescrivit au
général Obdam de prendre position à Eeckereu.
Le corps du général Obdam, se gardant avec une extrême
négligence, le marquis de Bedmar projeta de l'enlever. Il
demanda l'assentiment du maréchal Villeroi, qui lui envoya
un renfort de 30 compagnies, 30 escadrons, sous de BouC-
flers. Les Français eurent ainsi 19,000 hommes (28 batail-
lons, 48 escadrons) pour tenter cette entreprise.
Les Hollandais au nombre de 11,000 (13 bataillons, 26 es-
cadrons) étaient campés, la droite en avant d'Eeckeren, la
gauche en arrière du Donck ; derrière leur droite se trouvait
un bas-fond marécageux, auquel aboutissait une digue con-
duisant au fort Lillo.
Le 30 juin 1703, BoufElers détacha une partie de son infan-
terie, qui, sans que l'ennemi s'en aperçût, occupa Oorderen,
Hoevenen, Huysbrouck, Capellen, tournant l'aile gauche des
Hollandais et coupant leur retraite sur Lillo.
Obdam, s'étant aperçu de la position des Français sur ses
derrières, envoya le général Schulemberg, avec 500 dragons
vers Hoevenen, pour reprendre ce point. Il s'y engagea un
combat très-vif, à la suite duquel les Français restèrent
maîtres du village. Une attaque des Hollandais sur Oorderen
avec 2 bataillons, 4 canons eut plus de succès.
- 90 -
Cependant le reste de l'armée de Boufflers s'était déployé
sur plusieurs lignes vis-à-vis d'Eeckeren et repoussait de
front les Hollandais, tandis que six bataillons détachés du
corps principal français, se portant par Capellen, Hoevenen,
sur Oorderen, reprenaient ce dernier village conquis par
l'ennemi quelques instants auparavant, et prirent possession
de la grande digue de l'Escaut menant à Lillo.
Les alliés devaient faire face de tous côtés. Ils se battaient
avec opiniâtreté sur les digues du terrain qu'ils occupaient,
lorsque quatre bataillons espagnols, partis d'Anvers, qui
avaient longé le bord de l'Escaut en masquant leur marche
par la grande digue, et s'étaient emparés du fort Saint-Phi-
lippe, parurent à Wilmarsdonck. .
La confusion paraît avoir été à son comble en ce moment.
Le général Obdam, complètement cerné, s'échappa à tra-
vers les ennemis en se disant officier français. Il arriva à
Bréda avec cinq cavaliers de son armée.
Les Hollandais continuèrent avec la plus grande valeur
ce combat inégal, jusqu'à la nuit. Ils avaient pourtant cet
avantage sur l'ennemi, que celui-ci ne put faire usage de sa
nombreuse cavalerie, à cause de la nature du terrain entre-
coupé de digues et de marais.
A la nuit close, le général hollandais Schulemberg, auquel
élait échu le commandement, recueillit les meilleures troupes
et résolut de percer à tout prix à travers les ennemis. Mal-
gré la résistance la plus opiniâtre des Français, il emporta
à la baïonnette le village d'Oorderen, et parvint à se retirer,
à la pointe du jour, par la grande digue, sur le fort Lillo.
Dans Cette affaire, les Hollandais perdirent 2,500 hommes
tués, blessés ou prisonniers. Les Français et les Espagnols
éprouvèrent à peu près les mêmes pertes.
Les deux partis réclamèrent la victoire. Elle revient en
toute justice aux Français.
- 91 -
Mmiborougli alla de Bilseii h Hassell, puis à Beeringen,
tandis que Villeroi se repliait sur Aerschot. Les détache-
ments qui avaient combattu à Eeckeren, ayant rejoint leurs
armées respectives, celles-ci manœuvrèrent de façon à se
trouver en présence non loin d'Anvers. Les Français prirent
position pour défendre le pays de Waes, mais les alliés ju-
gèrent prudent de ne pas les attaquer,
Marlborougli dirigea alors son armée sur Vinalmont pour
protéger le siège de Huy. Villeroi alla à Wasseige, derrière
la Méhaigne.
Après la prise de Huy, les alliés se rapprochèrent des
Français dans le dessein de les attaquer, mais jugeant leur
position trop forte, ils allèrent camper à Saint-Trond et
envoyèrent un détachement prendre la ville de Limbourg. La
campagne ainsi terminée, les deux armées se mirent en can-
tonnements.
VIII.
Opérations de VUlars sur le Danube. — invasion dans le Tyrol. — Pre-
mière affaire de Hochstedt. — Les Camisards. — Combat sur le Spire-
bach. — Combat de Donauwerth.— Bataille de Hochstedt ou de Bleinheim.
Pendant l'hiver qui suivit la défaite du prince de Bade à
Friedlingen, l'électeur de Bavière, allié de la France, s'était
emparé, après plusieurs combats heureux, de tous les pas-
sages du Danube jusqu'à Passau exclusivement. Villars n'at-
tendait que la fonte des neiges pour le rejoindre. Il repassa
le Rhin à Hiiningue, descendit le fleuve, fit replier les quar-
tiers du prince de Bade, enleva une partie de ses bagages et
— 92 -
de ses munitions, le prévint sur la Kinzing, le força à rétro-
grader jusqu'à Stolhoffen et investit Kelil qu'il emporta de
vive force, en treize jours, sans que le prince pût s'y oppo-
ser. Reprenant alors ses projets de jonction, Villars laissa
le maréchal Tallard pour tenir le prince de Bade en échec,
suivit la vallée de la Kinsing, déboucha après douze jours
de marche pénible, près de la source du Danube et rejoignit
enfin les Bavarois à Tutlingen.
Le maréchal de Villars et l'électeur de Bavière ne vécurent
pas longtemps en bonne intelligence. Le premier proposait
de laisser une partie des troupes en observation à Dillingen
sur le Danube, et de marcher rapidement sur Vienne, avec
le reste, pour frapper l'empire au cœur même et amener de
suite la conclusion de la paix. L'électeur Maximilien-Emma-
nuel approuva ce plan, mais, à l'époque fixée pour son exé-
cution, il trouva moyen de ne pas y prêter son concours,
prétextant qu'un château qu'il possédait dans le Haut-Pala-
tinat, était menacé par le comte de Styrum, commandant
l'armée des Cercles, postée derrière le Necker.
L'électeur avait fait quelques réflexions sur son isolement
au milieu de l'Empire et commençait à craindre pour lui-
même. De là ses hésitations et les ménagements qu'il voulait
garder envers l'empereur.
Villars, désespéré de voir échouer ses projets, se contenta
de proposer à l'électeur une attaque dans le Tyrol, où Ven-
dôme se trouvait engagé avec les Impériaux.
En obligeant ces derniers à rétrograder, Villars comptait
sur une jonction possible de l'armée de Vendôme, pour ten-
ter la marche hardie sur Vienne, qu'il méditait.
Le Tyrol fut envahi facilement. Les Lupériaux battirent
en reti'aite, poursuivis par Vendôme. Mais ce succès ne fut
- 93 -
pas de longue durée. Le duc de Savoie, allié de la France,
changea subitement de parti, après des promesses que l'Em-
pereur lui avait faites. Cette défection engagea Louis XIV à
faire prisonniers 7 à 8,000 Piémontais, qui servaient dans
les rangs de l'armée française et à faire envahir la Savoie.
Ce qui restait de troupes au duc de Savoie, dans les places
fortes du Piémont, obligea Vendôme à revenir sur ses pas.
Dans le même temps, et par suite de ce mouvement, les
Tyroliens, revenus de leur première frayeur et aidés de
quelques troupes régulières, assaillirent avec avantage les
Bavarois et les expulsèrent de leur territoire. L'électeur, qui
s'était déjà établi à Innspruck, dut s'enfuir en toute hâte et
non sans danger.
Le maréchal Tallard, qui avait mission de tenir le prince
de Bade en échec, l'avait laissé échapper et, au lieu de le
poursuivre, s'occupait de faire le siège de Brissac dont il se
rendit maître.
Villars qui avait pris position à Dillingen, en attendant
l'heureuse issue de l'expédition des Bavarois, se trouvait
livré à lui-même avec 2S,000 hommes, et menacé par
l'armée du prince de Bade, renforcée par plusieurs contin-
gents allemands, sous les ordres de Styrum, jusqu'au chiffre
de 40,000 hommes.
Le camp retranché du maréchal Villars à Dillingen était
dans une situation défensive admirable, le dos appuyé au
Danube, le front couvert par un ruisseau qui coulait dans un
ravin assez profond. Ne pouvant aborder son adversaire de
face, le prince de Bade assit vis-à-vis de Dillingen, un camp
fortifié qu'il laissa avec des troupes suffisantes, au comman-
dement du comte de Styrum, et remonta lui-même le Da-
nube pour le traverser et prendre les Français à dos ou en-
vahir la Bavière.
— ni -
Villars, dans cette situation éminemment périlleuse, con-
jura l'électeur de Bavière de s'assurer d'Augsbourg, pour
protéger à revers l'armée française et détacha une division
de son armée pour obliger les alliés à remonter le fleuve le
plus haut possible.
Grâce à ces mesures, l'ennemi ne put traverser le Danube,
qu'au-dessus d'Ulm. L'électeur marcha de Munich sur Augs-
bourg, avec une telle lenteur qu'il n'y arriva que le jour
après la reddition de la ville au prince de Bade. Dès ce mo-
ment, pour dégager Villars, il restait encore la ressource
d'une bataille, mais l'électeur se refusa absolument à l'enga-
ger. Villars, irrité de cette faute, demanda son rappel.
Sur ces entrefaites, Villars apprit que le maréchal comte
de Styrum décampait et se dirigeait sur Donauwerth, avec
un équipage de bateaux. Villars exposa à l'électeur la néces-
sité urgente d'attaquer les alliés. L'électeur refusa : « Eh
bien! j'y marcherai seul avec les Français! » reprit Villars,
et il donna l'ordre du départ. Cette résolution énergique
décida l'électeur. Styrum, atteint près d'Hochstedt, fut com-
plètement défait (20 septembre 1703).
Voltaire raconte, à propos de cette affaire, qu'après la
première charge, l'armée ennemie et l'armée française, sai-
sies d'une terreur panique, prirent la fuite toutes les deux
en même temps, et que le maréchal de Villars se vit pres-
que isolé pendant quelques minutes sur le champ de bataille.
Il ranima toutefois ses troupes, les ramena au combat et
remporta ainsi la victoire, tuant 3,000 Impériaux et faisant
4,000 prisonniers.
L'électeur, qui avait combattu malgré lui, était ravi. Il
embrassa Villars sur le champ de bataille, ce qui ne l'empê-
cha pas de retomber dans ses irrésolutions.
Ce fut, pour ainsi dire, un malheur que cette victoire. On
crut en France que l'armée du Danube n'avait plus besoin de
secours, et Tallard, au lieu d'aller à son aide, s'attacha au
siège de Landau.
Les armées française et bavaroise marchèrent sur Mem-
mingeii. Ce mouvement, dû à l'inspiration de Villars, suffît
pour dégager Augsbourg.
Pendant ces opérations, Villars fut constamment contre-
carré par l'électeur de Bavière. Fatigué de ces dissensions
continuelles, il demanda de nouveau h être rappelé et fut
remplacé par le comte de Marsin.
Villars s'en alla dans les Cévennes combattre les Cami-
sards.
On désignait sous ce nom des bandes de calvinistes qui,
ne voulant pas se soumettre à la révocation de l'édit de
Nantes, s'étaient réfugiés dans les Cévennes et y luttaient
contre l'autorité de Louis XIV. Ils avaient l'habitude de
combattre la nuit, recouverts d'un vêtement blanc [camicia).
Nous avons laissé le maréchal de Tallard assiégeant Lan-
dau. Dans le but de secourir cette place, le prince de Hesse-
Cassel (plus tard roi de Suède), détaché de l'armée des Pays-
Bas, se joignit, sur les bords du Spirebach, au prince de
Nassau- Weilbourg, général des troupes palatines.
Tallard laissa la garde de tranchée devant la ville et mar-
cha au devant de l'ennemi qu'il rencontra au delà de la se-
conde branche du Spirebach. Ayant la vue basse, il prit pour
un mouvement de retraite une manœuvre d'une division
ennemie, et donna l'ordre d'attaquer avant que son armée
fût entièrement déployée et en ordre de combat.
- 96 —
Cette faute pouvait lui être des plus fatales, mais l'impé-
tuosité des Français, dans cette attaque où la baïonnette fit
le plus grand carnage, sauva leur armée.
Les alliés, surpris, commirent de leur côté la faute de
rejeter brusquement leurs ailes vers leur centre, au lieu de
s'étendre sur les flancs de l'armée française et de l'envelop-
per avant son entier déployement. Ce mouvement de con-
centration j\eta un tel désordre dans leurs rangs, qu'il décida
de la victoire en faveur des Français (15 novembre 1703).
Landau capitula le lendemain.
Cette affaire acquit au maréchal Tallard une réputation
qu'il ne méritait pas et une confiance que Louis XÏV paya
chèrement plus tard.
L'électeur de Bavière s'était emparé à son tour d'Augs-
bourg et de Passau. La route de Vienne était ainsi ouverte
aux Bavarois. La situation de l'empereur devenait d'autant
plus critique, qu'une révolte ayant éclaté en Hongrie, il se
trouvait menacé de toutes parts. Marlborough, qui était dans
les Pays-Bas, fut désigné pour aller à son secours.
Le secret de la marche du général anglais fut strictement
gardé, et la marche elle-même exécutée avec un talent admi-
rable.
Marlborough laissa le général Overkerke sur la défensive
dans les Pays-Bas, quitta Maestricht, le 16 mai 1704, passa
i^ Bonn, Coblentz, traversa le Mayn au-dessus de Mayence,
puis le Necker, s'avança vers le Danube, et rejoignit, non
loin de ce fleuve, le 22 juin suivant, l'armée impériale sous
les ordres du prince Louis de Bade.
Los armées combinées do Bavière et de France, sous les
- 97 -
ordres de l'électeur et du maréchal Marsin, occupaient un
camp retranché à Dillingen et avaient de gros détachements
à Ulm et à Donauwerth. L'électeur attendait sur les bords
du Danube l'arrivée d'une nouvelle armée française, dont
Louis XIV avait confié le commandement au maréchal de
Tallard. Celui-ci, en effet, était en route avec 35,000 hom-
mes,
Marlborough et le prince de Bade, s'avancèrent du côté
de Donauwerth pour y attaquer les Français et les Bavarois
réunis, qui, avec 7,000 hommes sous les ordres du feld-
maréchal Arco, occupaient les hauteurs fortifiées du Schel-
lenberg. En même temps, le prince Eugène, h la tête d'un
corps considérable, fut détaché du côté de Philipsbourg
pour interdire le passage du Rhin aux renforts attendus
de France.
Derrière les retranchements du Schellenberg, se trou-
vaient 11 bataillons bavarois sur deux lignes, aux ailes des-
quelles l'armée française avait : à gauche, 3 bataillons,
derrière le parapet entre Donauwerth et le Calvaire ; à droite,
2 bataillons, et derrière ceux-ci, en réserve, 2 régiments de
dragons.
L'avant-garde de Marlborough, forte de 6,000 fantassins
et 32 escadrons, soutint à elle seule presque tout le combat.
L'affaire commença par une attaque de 4 bataillons anglais
qui passèrent le Kaibach, sous le canon des Bavarois, et
s'établirent entre la forêt d'Oldennau et le village de Berg.
Une deuxième ligne, forte de 7 bataillons, suivit la première,
et la cavalerie fit halte, en troisième ligne, hors de portée du
feu, partie déployée, partie en colonne de marche.
L'attaque de la première ligne fut accueillie par un feu
qui causa de grandes pertes aux Anglais. Pour soutenir ces
troupes chancelantes, la deuxième ligne se porta à la pre-
7
— 98 —
mière et tenta vainement, à trois reprises, d'enlever les re-
tranchements. Les alliés battirent en retraite poursuivis par
les Bavarois. Marlborough engagea des troupes fraîches et
une vive fusillade s'engagea de part et d'autre. Cependant les
alliés allaient plier de nouveau, lorsque le prince Louis de
Bade arriva avec le gros de son armée sur le champ de ba-
taille. Les alliés tentèrent alors une attaque générale sur les
retranchements, ainsi qu'un coup de main sur le pont de Do-
nauwerth, seul point de retraite des Bavarois.
Le comte Arco, dans le but de parer à ce dernier danger,
détacha 4 bataillons pour renforcer la garnison de Donau-
vverth ; mais avant que ces bataillons eussent pu atteindre
la ville, une forte colonne de l'armée des alliés s'était emparée
de la hauteur du Calvaire,
Les Bavarois et les Français, entourés complètement par
des forces très-supérieures, enclouèrent leurs pièces et bat-
tirent en retraite, abandonnant le Schellenberg. Les troupes
de leur aile droite s'enfuirent par Zirgesheim vers Neubourg;
les autres s'ouvrirent un passage à la baïonnette vers Donau-
werth.
Le comte Arco, avec ces dernières, fit rétablir le pont
rompu par l'ennemi, le traversa en hâte et, abandonnant Do-
nauwerth, rejoignit l'électeur.
Les Bavarois et les Français laissèrent 1,600 hommes sur
le terrain. Les alliés 6,000.
Dans cette affaire, qui eut lieu le 2 juillet 1704, l'échec des
Bavarois et des Français doit être imputé, d'après Kausler,
à l'inconcevable inaction de l'électeur Maximilien et de Mar-
sin, qui n'étaient qu'à huit lieues de distance, dans leur camp
de Dillingen, et auraient pu envoyer au général Arco un ren-
fort dont le concours eût été précieux.
— 99 —
Les Impériaux s'emparèrent de Neubourg et parcoururent
tout le pays jusqu'à Munich. Ils ouvrirent alors des négocia-
lions avec l'électeur, qui s'était retiré à Augsbourg, pour
l'engager à embrasser la cause de l'empire. Mais la perspec-
tive de l'arrivée de Tallard engagea Maximilien-Emmanuël a
rester fidèle au parti de Louis XIV.
Le maréchal Tallard, afin de tromper les Impériaux sur
l'itinéraire qu'il se proposait de suivre, laissa supposer qu'il
allait faire sa jonction avec l'électeur par la Suisse. Il se
dirigea d'abord vers ce pays, puis il fit une marche rapide
de Strasbourg sur Freibourg et se réunit enfin à Maximilien-
Emmanuël qui s'était porté au-devant de lui jusqu'à Biberach,
non loin d'Augsbourg. Ce mouvement obligea les Impériaux
à repasser sur la rive gauche du Danube.
Pendant ce temps, le prince Eugène, qui s'était porté du
côté de Philipsbourg, se jugeant hors d'état de disputer le
passage du Rhin au maréchal Tallard, se hâta, à la tête de
ses troupes, consistant en 20 bataillons et en 60 escadrons,
de rejoindre l'armée du duc de Marlborough. Il prit position
entre Dillingen et Donauwerth, tandis que le prince de Bade
recommençait les hostilités en faisant le siège d'Ingolstadt.
L'électeur et le maréchal avaient résolu de surprendre
Eugène, avant sa jonction avec Marlborough. Dans ce des-
sein, ils avaient traversé le Danube et pris le chemin de Do-
nauwerth par Hochstedt. Mais le prince Eugène, pénétrant
les intentions de ses adversaires, s'était retiré à temps der-
rière la Wernitz où la jonction avec Marlborough avait pu se
faire. Les Impériaux, prenant alors l'offensive, s'avancèrent à
leur tour sur Hochstedt, pour attaquer les armées combinées
de Tallard et de Maximilien (13 août 1704).
- 100 —
Les Français et les Bavarois avec 60,000 hommes (84 ba-
taillons, 147 escadrons, 90 bouches à feu) prirent position,
la droite appuyée au Danube, «au village de Bleinhem, le
centre à Oberglauheim, la gauche à Luzingen et appuyée
contre l'Eichberg, le front couvert par le ruisseau dit Nebel-
bach. Cette ligne avait une étendue de plus d'une lieue et
demie. L'armée de Tallard était à la droite, celle de Marsin
au centre, celle de Maximilien à la gauche.
Bleinhem, point d'appui de la droite française, était occupé
par 27 bataillons ; entre ce village et le Danube, on avait
placé 12 escadrons de dragons; et à Oberglauheim, 12 ba-
taillons. Toute la cavalerie française et le reste de l'infan-
terie, 9 bataillons seulement, remplissaient sur deux lignes
l'intervalle de Bleinheim à Oberglauheim et de ce dernier
endroit à Luzingen.
L'armée de l'électeur avait sa droite à Luzingen, sa gauche
à l'Eichberg, Jusqu'au pied de la montagne, elle était formée
sur deux lignes ; au delà elle se trouvait sur une seule.
Le terrain occupé par les armées française et bavaroise
s'inclinait doucement vers le Nebelbach. Le front était garni
d'artillerie.
Il est clair que cet ordre de bataille était vicieux, car toute
l'infanterie se trouvant dans les villages, surtout à Blein-
heim, le reste de la position était trop faiblement défendu
par la cavalerie et l'artillerie seules.
Les Impériaux avaient 56,000 hommes (66 bataillons,
178 escadrons, 52 bouches h. feu). Ils arrivèrent, sur neuf
colonnes, par Schwenningen où Marlborough leur fit changer
de direction à droite pour les former de la manière suivante :
à l'aile gauche, entre la route de Dillingen à Donauwerth et le
Danube, 20 bataillons, 15 escadrons; au centre, jusqu'à Weil-
heim, un corps (lord Ghuixihill, frère de Marlborough) de
— 101 -
28 bataillons, ayant derrière lui sur deux lignes 71 esca-
drons; à la droite, le corps du prince Eugène était d'abord
formé de 92 escadrons, sur deux lignes, avec réserve, ensuite
de 13 bataillons également sur deux lignes.
L'artillerie était répartie sur tout le front des deux armées.
Aussitôt que les Impériaux furent rangés, Marlborough
commença l'attaque. Le centre de son corps d'armée passa
le Nebelbach, repoussa facilement le peu d'infanterie fran-
çaise, qui lui était opposé et, après un combat opiniâtre avec
la cavalerie ennemie, put prendre position au delà d'Unter-
glauheim ; mais ses ailes furent repoussées avec grande perte
de Bleinheim et d'Oberglauheim.
Marlborough s'apercevant alors que le centre des Français
était entièrement dégarni d'infanterie, se décida à percer sur
la grand'route de Hochstedt à Donauwerth. L'infanterie de sa
gauche simula des attaques sur Bleinheim; sa cavalerie du
centre, postée sur la deuxième ligne, traversa les intervalles
de l'infanterie, passa le ruisseau sous le feu de l'artillerie
ennemie, se forma dans la vallée et marcha vers la hauteur
pour y aborder Tallard. L'infanterie du centre suivit ce mou-
vement, à Unterglauheim et Oberglauheim, mais elle échoua
une seconde fois contre ce dernier village.
Entre Bleinheim et Oberglauheim, il s'était engagé un
combat de cavalerie, auquel ISO escadrons des deux côtés
prirent part. Plus d'une fois la cavalerie de Marlborough
fut rompue par les charges vigoureuses de la cavalerie fran-
çaise, commandée par Tallard lui-même ; mais elle se rallia,
par la protection de l'infanterie, dont le sangfroid et la fer-
meté causèrent de grandes pertes aux escadrons français qui
enfin durent abandonner le terrain.
L'armée de Tallard fut ainsi percée au centre. Les 9 ba-
taillons d'infanterie française, qui n'étaient pas dans les vil-
— 102 -
lages, furent taillés en pièces, et la plus grande partie de
l'artillerie française tomba au pouvoir des Anglais. Le maré-
chal ordonna la retraite.
A l'aile droite impériale, le prince Eugène fit attaquer Lu-
zingen et la forêt voisine, mais ses troupes furent repoussées
par celles de Maximilien, secondées par une partie de la
cavalerie de Marsin.
Tallard, en ordonnant la retraite, prescrivit aux troupes
de Bleinheim d'évacuer ce village , mais il était trop tard ;
elles étaient déjà coupées. L'ordre qu'il donna à Marsin,
de favoriser la retraite, en faisant faire une sortie par les
troupes d'Oberglauheim, ne reçut pas d'exécution.
Ce concours de circonstances désastreuses mit l'armée de
Tallard en pleine déroute. Elle se sauva dans toutes les direc-
tions. Un grand nombre de fuyards, manquant le pont de
Sonderheim , se noyèrent ou périrent sous les coups de
l'ennemi; le reste se rallia sur les hauteurs de Hochstedt.
Tallard lui-même fut blessé et fait prisonnier.
Marlborough poursuivit les fuyards jusqu'à Sonderheim,
envoya une partie de ses troupes renforcer les attaques sur
Obergiaulieim et Luzingen et se mit en mouvement avec
l'autre pour marcher contre Bleinheim.
Eugène parvint enfin, après de grandes difficultés, à em-
porter Luzingen.
Maximilien et Marsin, s'apercevant que leur flanc droit
était découvert par la débâcle de Tallard, et voyant appro-
cher le corps de troupes envoyé par Marlborough, battirent
en retraite, avec ordre, et purent rejoindre les débris de
l'armée de Tallard.
A la nuit, toutes les positions des Français et des Bavarois
étaient occupées par les alliés ; la garnison de Bleinheim, blo-
quée, mit bas les armes, sans avoir été d'aucune utilité durant
la bataille.
— 105 —
Dans cette journée, les Français et les Bavarois euren ^
15,000 hommes tués ou blessés, et laissèrent 14,000 prison-
niers, 35 canons, de nombreux drapeaux, bagages, chariots
de munitions, etc. aux mains du vainqueur. Les Impériaux
ne perdirent que 11,000 hommes, en tout.
On peut reprocher à ïallard, dit Kausler, les fautes sui-
vantes :
1' le partage de son armée en deux corps, sans qu'ils
fussent unis au centre par une force d'infanterie suffisante ;
2° la position trop en arrière du Nebelbach, de sorte que
l'armée française ne pouvait ni voir dans le vallon du ruis-
seau, ni le balayer par la canonnade, ce qui permit à l'ennemi
de le franchir sans être inquiété sérieusement ;
3" l'emploi vicieux de 27 bataillons à Bleinheim, alors que
4 bataillons eussent suffisamment défendu ce village.
Après la victoire, Marlborough, en récompense de ses ser-
vices, fut élevé à la dignité de prince de l'empire.
La défaite de Hochstedt fut un rude échec pour Louis XIV.
Elle transporta le théâtre de la guerre à plus de cent lieues
en arrière, et anéantit complètement les projets d'invasion
des Français en Autriche.
Villars, l'année précédente, avait eu l'occasion de marcher
sur Vienne, et il l'eût fait avec chance de succès, si le dé-
cousu des opérations de Tallard, au nord, la défection du
duc de Savoie, au sud, et les dissensions entre l'électeur de
Bavière et le maréchal lui-même n'eussent arrêté ce dernier
dans l'exécution de ce plan.
Dans la campagne que nous venons de décrire, le but était
le même : Vienne pour objectif. Mais les circonstances
n'étaient plus aussi favorables. Les forces de la France
étaient disséminées de la Meuse au Danube, sur une étendue
- 104 —
immense. Les Français avaient, en effet, un corps d'armée
dans les Pays-Bas, un autre, commandé par Villeroi, sur le
Bas-Rhin, enfin l'armée combinée de Tallard et de Marsin sur
le Danube. Le plan de campagne était trop vaste pour le
nombre de troupes qui opéraient sur une ligne aussi déve-
loppée.
Après la déroute de Hochstedt, les Français, plus affaiblis
encore, durent battre en retraite pour se concentrer, et la
France, au lieu de l'Allemagne, devint le théâtre des opéra-
tions militaires.
L'électeur de Bavière rallia les troupes françaises et bava-
roises à Ulm. Il laissa 9 bataillons pour la défense de cette
place et se rendit à marches forcées sur le Rhin, à travers la
Forêt-Noire.
La Bavière, privée ainsi de la présence de l'électeur, se
soumit tranquillement aux Lupériaux. L'électrice se retira à
Munich et, du consentement de l'électeur, conclut un traité
avec l'empereur. Elle s'engageait à congédier le petit nombre
de régiments bavarois demeurés en armes, et à ouvrir les
portes d'Ingolstadt, ainsi que des autres forteresses de la
Bavière, aux troupes impériales, sous la condition toutefois
qu'elle pourrait habiter Munich avec la famille électorale
jusqu'à la paix générale.
Marlborough se mit en marche vers la Belgique. Il traversa
le Necker, quatre-vingt-deux jours seulement après son pre-
mier passage de la même rivière, passa le Rhin, à Philips-
bourg, prit position pour soutenir le prince de Bade qui fai-
sait le siège de Landau, continua sa marche vers la Moselle,
s'empara de Trêves et ordonna au prince de Hesse-Cassel
d'assiéger Trarbach. A Mayence, il embarqua son infanterie
— 105 —
sur le Rhin et envoya sa cavalerie par le Luxembourg en
Hollande.
Landau et Trarbach ne tardèrent pas à se rendre.
IX.
Opéralions d'Eugène en Italie. — Affaire de Cassano. — Opérations de
Marlborough dans les Pays-Bas. — Bataille de Ramillies. — Bataille
de Turin. — Villars en Allemagne. — Eugène en Provence.
Après la bataille de Hochstedt, le prince Eugène descendit
vers le Milanais pour s'opposer à Vendôme, qui s'avançait
sur le ïyrol.
Turin était menacé par les Français. Pour dégager cette
ville, Eugène descendit la rive gauche de l'Adda. Vendôme
remonta la rive droite. Les deux armées furent en présence
à Cassano, où les Impériaux essayèrent de passer l'Adda par
le pont et par des gués voisins. Au début de l'action, quelques
bataillons français du centre furent surpris et mis en désordre,
mais les autres troupes reprirent vigoureusement l'offensive
et culbutèrent dans le fleuve les Impériaux qui l'avaient
passé.
Vendôme eut un cheval tué sous lui; Eugène fut blessé et
son armée ne put effectuer le passage projeté.
Pendant l'absence de Marlborough, les Français, ignorant
le but de la marche de ce général, en Allemagne, avaient tiré
des renforts considérables de leur armée de Belgique, pour
grossir les armées sur la Moselle et le Rhin. Le général
— 106 —
Overkei'ke, commandant les alliés dans les Pays-Bas, se pré-
valut de cette circonstance pour bombarder Namur. Il espé-
rait que les habitants, effrayés, forceraient la garnison à se
rendre. Cette tentative échoua.
Le général hollandais Spaer s'empara du fort Isabelle, près
de l'Écluse, et bombarda Bruges.
L'empereur Léopold mourut en 1705. Son fils aîné, l'archi-
duc Joseph, lui succéda, sous le nom de Joseph I.
Au printemps de l'année 1705, Marlborough se rendit de
Maestricht à Trêves, pour envahir la France par la vallée de
la Moselle.
Villars, après avoir pacifié les Cevennes, venait de prendre
le commandement d'une armée qui vint se placer devant
celle de Marlborough, dans une position très-forte, ce qui
engagea le général anglais à ne pas attaquer et à retourner à
Maestricht.
Dans les Pays-Bas, l'armée combinée de Villeroi et de
Maximilien alla s'établir à Vinalmont et s'empara de Huy,
pendant que Marlborough était sur la Moselle.
Un détachement de l'armée de Marlborough reprit Huy
sans coup férir; le général anglais lui-même s'établit à Vinal-
mont, tandis que les Français se postaient derrière les lignes
de retranchements construites par eux précédemment. Leur
quartier général fut placé à Meerdorp.
Marlborough marcha vers les retranchements , comme
pour les attaquer du côté de la Meuse ; puis, changeant subi-
tement de direction, il se porta rapidement sur Léau et prit
sans peine possession des villages situés sur la petite Gète et
ayant des ponts sur cette rivière, qui servait de fossé aux
_ 107 —
retranchements français. L'infanterie escalada les parapets
des lignes, les détruisit et les nivela sur une étendue suffi-
sante pour livrer passage aux autres armes. Les alliés se
trouvèrent ainsi dans l'intérieur des lignes françaises.
Marlborough s'empara de Tirlemont, plaça sa droite à cette
ville, sa gauche près d'Or'smael, au point où les lignes
avaient été forcées. Les Français vinrent pour l'y attaquer,
mais ils furent battus en détail et perdirent 4,000 hommes
tués ou blessés et 2,000 prisonniers.
L'armée de Villeroi alla se placer derrière la Dyle, près du
village de Neeryssche. Marlborough se porta aussitôt de ce
côté; ses avant-gardes tentèrent d'opérer le passage de la Dyle
à Corbeek, près de Neeryssche, mais elles furent repoussées.
Le général anglais résolut alors de tourner la position en-
nemie, en remontant vers la source de la Dyle, ce qu'il fit
en battant en retraite jusqu'à Meldert, et en marchant par
Orbais, Genappe et Braine-l'Alleud, sur le terrain entre la
Lasne et le ruisseau d'Yssche. Les Français, pris à revers,
se réfugièrent derrière le ruisseau d'Yssche. Marlborough
pouvait leur livrer bataille dans des circonstances exception-
nellement avantageuses, car ils étaient démoralisés, leurs
lignes avaient été forcées, leur position venait d'être tournée;
enfin, l'Yssche, leur nouvelle ligne de défense, n'était pas un
obstacle sérieux. Mais le temps se perdit chez les alliés en
pourparlers entre Marlborough et les membres du conseil
d'État hollandais qui suivaient l'armée en campagne, et sans
lesquels on ne pouvait rien entreprendre. Ces membres du
conseil se décidèrent pour la retraite et le mouvement tour-
nant si habilement combiné et exécuté par les alliés ne servit
à rien (1).
(1) Le général hollandais Schulemberg insista sur la convenance de
- 108 -
La campagne se termina pour les alliés par la prise de
Léau, puis par celle de Santvliet, sur la rive droite de l'Es-
caut. Après la prise de Léau, ils détruisirent les retranche-
ments qui s'étendaient de cette ville à la Méliaigne.
Les Français élevèrent une nouvelle ligne de défense,
depuis le confluent du Démer et de la Dyle, jusqu'à la Nèthe
en amont de Lierre.
Le 20 mai 1706, Marlborough vint camper entre Saint-
Trond et Tongres, sa droite à Looz, sa gauche k Corswarem,
vers la source du Geer ; il avait 73 bataillons, 123 escadrons,
120 bouches à feu, soit 60,000 hommes.
Villeroi qui commandait l'armée française forte de 74 ba-
taillons, 128 escadrons, 130 canons, soit 62,000 hommes,
passa la Dyle à Louvain, marcha sur Tirlemont, avec l'inten-
tion de barrer le chemin à Marlborough qu'il supposait vou-
loir assiéger Namur.
Marlborough, instruit de la marche des Français, quitta
soumetti'e la question de l'attaque à un conseil de guerre. Le colonel
Carmichael- Smith dit à ce propos : « Il est malaisé de comprendre
qu'un chef veuille subir pareille contrainte ou conserver un jour de
plus le commandement nominal d'une armée, sur les opérations de
laqtielle il conserve si peu de véritable influence. Mais l'égalité d'âme
du duc de Marlborough était extrême, peut-être fut-il le seul homme
au monde capable de conduire à la victoire une armée composée d'élé-
ments si hétérogènes, et agitée par un tel conflit d'intérêts divers.
Après avoir mené son armée au point précis où il désirait ; après avoir,
par un mouvement judicieux, tourné le flanc de l'ennemi, et forcé
celui-ci à quitter une bonne position, pour une autre, dans laquelle le
duc jugea avantageux de l'attaquer ; se voir interpeller par un officier
en sous-ordre, pour expliquer ses plans et ses intentions ; se voir forcé
d'écouter les oljservations et les objections de cet officier et ensuite
voir décider, contre son propre avis, une question purement militaire
par des gens de robe, qui n'y peuvent rien comprendre; il fallut pour
le souffrir une patience peu commune. »
— 109 —
son campement, le 22 mai et arriva, le 23, à Meerdorp, dans
le but de prendre l'offensive.
Villeroi fit occuper par une nombreuse infanterie les vil-
lages d'Autre-Église et d'Offuz. Il envoya 20 bataillons à Ra-
millies, village entouré d'un fossé profond, fit occuper par
une brigade d'infanterie le terrain entrecoupé de Taviers, et
poussa quelques troupes légères jusqu'à Franquenée. Sa
cavalerie se plaça sur deux lignes entre Ramillies et Taviers,
Son front était couvert sur la gauche par la petite Jauche.
Marlborough s'avança avec huit colonnes jusqu'à Meerdorp.
Il y arriva au moment où l'ennemi se formait. Il déploya son
armée, parallèlement à celle des Français, sur deux lignes,
la droite à Folx-les-Caves, la gauche à la Méhaigne, l'infan-
terie au centre, la cavalerie aux ailes, une troisième ligne
formée de 20 escadrons, en réserve.
Une courte reconnaissance avait fait voir au général an-
glais que la position était beaucoup plus abordable, en raison
de la nature du terrain, sur la droite de l'ennemi que sur sa
gauche, et que la hauteur de Hottomont était la clef de la
position. Il forma, en conséquence, le projet de faire une
vigoureuse fausse attaque sur l'aile gauche de l'ennemi, afin
d'obliger celui-ci à s'affaiblir sur l'aile droite, puis d'enlever
Taviers d'assaut et de tourner par là l'armée de Villeroi.
Le combat commença donc sur Autre-Église et Offuz par
l'infanterie de la droite alliée. Villeroi, aussitôt qu'il vit son
aile gauche menacée, tira quelques bataillons du centre pour
renforcer la partie attaquée, et remplit le vide qui en résulta
par des troupes de la droite. Ce mouvement occasionna du
désordre dans sa ligne de bataille.
Marlborough, ayant ordonné à quatre bataillons de sa
gauche de se porter sur Taviers et Franquenée, ces batail-
lons furent soutenus sur leur flanc droit par la cavalerie de
- no —
l'aile gauche alliée ; en même temps le centre allié se porta
sur quatre colonnes à Ramillies.
Un combat opiniâtre s'engagea à Taviers. Villeroi y ren-
força sa position par 14 escadrons de dragons qui, pour com-
battre à pied, laissèrent leurs chevaux hors du village. Les
dragons furent tués ou faits prisonnierset Taviers fut enlevé
d'assaut.
La cavalerie de l'aile gauche alliée culbuta la première
ligne de cavalerie française, mais elle fut vigoureusement
repoussée par la seconde. Marlborough vint h son secours
avec quelques escadrons tirés de sa droite. La cavalerie de
réserve alliée donna vigoureusement, entre Ramillies et
Taviers, contre les escadrons français qui combattirent avec
une valeur admirable. Mais finalement la droite française fut
enfoncée et tournée. Marlborough s'y établit à dos de la ligne
de bataille ennemie.
Dans le même temps Ramillies fut enlevé. Les troupes qui
défendaient ce village cherchèrent à se faire jour sur Hotto-
mont, mais elles furent taillées en pièces ou faites prison-
nières par la cavalerie alliée.
Après ces grands efforts, il y eut une courte pause dont
Villeroi chercha à profiter pour prendre une nouvelle posi-
tion entre Geest-Gerompont et Offuz, afin d'y recueillir les
troupes qui avaient été dispersées ; mais la confusion était
devenue trop grande pour permettre cette opération. Marl-
borough saisit ce moment pour achever sa victoire. Il fit
attaquer Offuz au centre, tandis qu'à l'extrême droite les
alliés, ne voulant pas rester dans l'inaction vis-à-vis de Folx,
s'avancèrent résolument sur Autre-Église et, tournant ce vil-
lage, culbutèrent les derniers régiments ennemis qui y fai-
saient résistajîce.
Los armées française et bavaroise se livrèrent alors à une
- m -
fuite désordonnée , vers Jodoigne et la grande Gète, pour-
suivies de près par la cavalerie alliée; elles battirent en
retraite jusqu'à Meldert.
Les pertes des Français et des Bavarois dans cette journée
s'élevèrent à 13,000 tués, blessés ou prisonniers; presque
toute l'artillerie, 80 drapeaux, les bagages tombèrent au pou-
voir des vainqueurs.
Les alliés évaluèrent leurs propres pertes à 3,600 hommes.
Les fautes principales commises par le maréchal de Ville-
roi, h Ramillies, sont, d'après Feuquières :
1° De n'avoir pas assez rapproché sa première ligne de
Ramillies et de Franquenée ;
2° D'avoir négligé d'organiser la défense de ces deux vil-
lages, et notamment d'en avoir confié la garde à la plus
mauvaise infanterie et aux dragons ;
3° D'avoir tenu ses deux lignes à une distance trop con-
sidérable l'une de l'autre ;
4" D'avoir dédaigné de renforcer son centre et sa droite,
lorsque tout lui annonçait que l'ennemi allait diriger ses
efforts sur ces deux points.
De Meldert, l'armée, vaincue et toujours poursuivie, battit
en retraite par Bruxelles , Gand, Courtrai ; elle marcha
ensuite sur Mons, où elle se divisa. Une partie resta dans
cette dernière ville, le reste se réfugia dans les places fortes
de Tournai, Lille, Menin et Ypres.
De son côté, Marlborough se porta sur Gand par Louvain,
Vilvorde et Alost.
Bruxelles fut évacué par les Français, ainsi que Gand dont
la citadelle se rendit au général anglais Cadogan. Le général
Overkerke prit Ostende ; les villes d'Audenarde , Anvers ,
— 112 -
Ath, Termonde, Menin, c'est-à-dire les forteresses princi-
pales des Pays-Bas, tombèrent au pouvoir des alliés.
Après le désastre de l'armée française à Ramillies ,
Louis XIV enleva h Villeroi le commandement de l'armée des
Pays-Bas pour le confier au duc de Vendôme. L'armée d'Italie
reçut pour chef le jeune duc d'Orléans, fils de Monsieur,
frère du roi.
Ce prince secondé par le maréchal Marsin se porta avec
une armée d'observation sur l'Adige, tandis que le duc de La
Feuillade assiégeait Turin.
Le prince Eugène quitta Vienne, avec 35,000 Impériaux,
Saxons, Prussiens et Palatins, pénétra en Italie par le Tyrol et
tourna la position de l'armée d'observation qui recula jus-
qu'aux retranchements élevés devant Turin.
L'armée de siège du duc de La Feuillade avait 40,300 hom-
mes. La place était défendue par 15,000 Piémontais.
Le prince Eugène résolut d'aborder l'ennemi par la langue
de terre entre la Doire et la Sture. Les Français, jugeant
leur position inattaquable de ce côté, ne s'étaient décidés
que le 6 septembre 1706, veille de la bataille, à élever une
ligne à redans entre ces deux cours d'eau.
Le duc d'Orléans qui disposait de 44,000 hommes, voulait
que l'armée française de siège suspendît les travaux d'attaque
pour concourir h. la bataille. Mais cet avis ne prévalut pas. Il
fut décidé au contraire que les Français attendraient l'ennemi
derrière la ligne de circonvallation et qu'ils continueraient
le siège avec vigueur. C'était une faute grave, car les lignes
à défendre sur les deux rives du Pô avaient un développe-
ment hors de proportion avec les forces disponibles pour
leur défense.
Tandis que des corps détachés de l'armée alliée se por-
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taient sur différents points contre les vastes lignes françaises,
gardées par des forces importantes sur la rive droite du Pô,
le prince Eugène faisait exécuter par le gros de son armée
une attaque de vive force contre la ligne à redans entre la
Doire et la Sture. Après trois assauts vaillamment repoussés
par les Français, l'armée alliée força enfin cette ligne. La
victoire était assurée alors aux Impériaux. L'armée française
d'observation fut refoulée sur plusieurs points ; une sortie de
la garnison de Turin l'assaillit à revers et acheva de la cul-
buter; la panique se communiqua à l'armée de siège qui
s'enfuit en désordre. La débâcle fut complète.
Les pertes des Français s'élevèrent à 3,200 tués ou blessés,
sans compter nombre de fuyards qui se noyèrent en voulant
passer sur la rive droite du Pô; plus de b,000 prisonniers et
un immense matériel de siège tombèrent au pouvoir des
vainqueurs; Marsin fut blessé mortellement et le duc d'Or-
léans assez gravement. Les alliés eurent i,000 tués et 2,300
blessés.
Cet échec entraîna pour la France des suites aussi funestes
que ceux de Hochstedt et de Ramillies. Toutes les conquêtes
françaises au delà des Alpes furent perdues.
Tandis que les armées de Louis XIV étaient battues dans
les Pays-Bas et en Italie, seul, Villars combattait sur le Rhin
avec succès. Il avait vis-à-vis de lui le prince de Bade qu'il
força à reculer. Il s'était même déjà emparé de Lauterbourg,
Drusenheim et Haguenau, lorsque la défaite de Ramillies
l'obligea à envoyer une partie de ses troupes à l'armée du
nord; il resta en conséquence sur la défensive.
Le prince de Bade étant mort pendant l'hiver de 1706, le
margrave de Bareith le remplaça dans le commandement
— \AA —
Villars, au printemps suivant, ayant reçu des renforts, atta-
qua le margrave dans les lignes de Stolhoffen, derrière les-
quelles étaient retranchés les Allemands, au nombre de
40,000.
Le maréchal de France força ces lignes et se porta rapi-
dement jusqu'à Ulm. Les puissances allemandes ayant de-
mandé en hâte du secours à Marlborough, celui-ci dut
dégarnir son armée pour secourir la Bavière menacée, et
cette diversion fut des plus heureuses pour la France, dans
la situation critique où elle se trouvait.
L'arrivée subite à Philipsbourg de l'électeur de Hanovre,
Georges-Louis, plus tard roi d'Angleterre, à la tête de con-
tingents saxons et hanovriens, força Villars à retourner en
Alsace.
Dans les Pays-Bas, les Français élevèrent, en 1707, une
ligne continue de redoutes entre Mons et la Sambre. A l'abri
de cette ligne et de la Sambre, les garnisons de Mons, Char-
leroi, Namur purent communiquer en sécurité ; de Mons li
Condé, puis de là jusqu'à Tournai, la Haine et l'Escaut ser-
vaient de barrière naturelle à l'armée française.
Les opérations militaires entre Marlborough et Vendôme
furent insignifiantes. Les armées belligérantes, après plu-
sieurs marches et contre-marches, pour se mettre en pré-
sence, ne purent se décider à l'attaque.
Le prince Eugène, après ses succès en Italie, projeta d'at-
taquer la France par la frontière du midi. Il devait être
secondé dans cette opération par le duc de Savoie. Il se
porta en Provence, dans le but d'assiéger Toulon, arsenal
principal des Français dans la Méditerrannée.
Le maréchal de Tessé vint au secours de la place. Des
— us —
renforts assez considérables purent y pénétrer, au moment
de l'investissement. Cette circonstance et la lenteur que mit
le duc de Savoie à rejoindre Eugène, obligèrent ce dernier à
renoncer à ses projets-.
La France, après six semaines d'occupation, fut délivrée
des Impériaux.
Les alliés furent plus heureux à Naples qu'ils enlevèrent
au roi d'Espagne, Philippe V.
La France perdit, en 1707, le maréchal de Vauban. Cet
illustre ingénieur, dans le cours de sa carrière, fit travailler
à trois cents places anciennes, en construisit trente-trois
nouvelles , conduisit cinquante-trois sièges et prit part à
cent quarante autres actions de guerre.
X.
Campagnes en Espagne de 1704 à -1707. — Campagne du duc de Bour-
gogne dans les Pays-Bas. — Bataille d'Audenarde. — Convoi dirigé
d'Ostende à Lille. — Embuscade de Wynendaele.
On se battait en Europe, depuis trois ans, pour la succes-
sion d'Espagne. Cette contrée, malgré son infortune, n'avait
point encore vu d'ennemis sur son sol. Le sang coulait au
loin pour ses dépouilles, mais elle n'y avait point encore
mêlé le sien. Enfin le moment fatal était arrivé pour elle
d'avoir sa part de tant de maux.
Le roi de Portugal, amorcé par quelques concessions en
Galicie et en Estramadure, ainsi que par le mariage qui lui
fut proposé, de sa fille avec l'archiduc Charles, fils de l'em-
— {J6 —
pereur Léopold T, ouvrit ses ports, au printemps de 1704,
à son gendre futur, aux Anglais et aux Hollandais.
L'archiduc Charles débarqua à Lisbonne avec 12,000 hom-
mes de troupes anglaises et hollandaises commandées par
le duc de Schomberg. Les Espagnols et les Français avaient
pour chef le duc de Berwick ; ce dernier courut à la ren-
contre des alliés et s'empara de plusieurs places ennemies
sur les deux rives du Tage, telles que Salvatierra, Portalègre
et grand nombre de châteaux forts.
Schomberg, mécontent des Hollandais, se retira et fut
remplacé par le comte de Galloway, connu auparavant sous
le nom de Ruvigny. Galloway, protestant français, était exilé
depuis la révocation de l'édit de Nantes.
Au mois d'août 1704, l'amiral anglais Rook se présenta
devant le poste important de Gibraltar qui, par une négli-
gence impardonnable, n'avait qu'une garnison tout-à-fait
insuffisante (200 hommes au plus). La force de la position
permit aux défenseurs de résister pendant trois jours aux
bordées de la flotte anglaise et aux efforts de 2,500 Anglais
et Allemands, sous les ordres du prince de Hesse-Darmstadt.
L'Angleterre prit possession de ce roc jugé imprenable et
elle l'a conservé depuis.
En 1705, Philippe V tenta de reprendre Gibraltar. H affai-
blit son armée de campagne de 8,000 hommes, pour investir
la place, tandis qu'une flotte de 50 vaisseaux s'approchait
pour seconder les opérations de terre. Les Portugais profi-
tèrent de cette diversion pour reprendre les places perdues
l'année précédente. L'amiral Rook défit devant Malaga les
flottes française et espagnole.
Le territoire espagnol fut entamé. Valencia et Albuquerque
succombèrent, Badajoz fut assiégé ; mais le coup le plus
terrible pour Philippe V fut que les alliés portèrent la guerre
en Catalogne.
— H7 -
Une flotte hollandaise et anglaise, sous les ordres du
comte de Péterborough, conduisit l'archiduc Charles de Lis-
bonne sur les côtes de Catalogne. La population de cette
province, dévouée à la maison d'Autriche, n'attendait qu'une
occasion pour se déclarer. Le siège de Barcelone la fournit.
Charles entra dans la ville, le i9 octobre 1705, et fut pro-
clamé, par la Catalogne entière, roi des Espagnes, sous le
nom de Charles IIL
La capitulation de Barcelone fut marquée par un singulier
incident. Pendant que Péterborough parlementait à une
porte, avec le gouverneur, des cris d'effroi et de désespoir
se firent entendre tout à coup dans la ville. « Vous nous tra-
hissez, s'écrie le gouverneur, pendant que nous parlemen-
tons de bonne foi. — Non, répond Péterborough, et si quel-
ques-uns, à la faveur de la cessation des hostilités, ont
pénétré dans votre ville, il faut que ce soient des Allemands
du prince de Darmstadt. Mais laissez-moi entrer avec mes
Anglais, je les chasse et je reviens capituler. » Le ton de
vérité avec lequel il parle décide le gouverneur, qui fait
ouvrir les portes. Tout se passe ainsi que l'a promis
Péterborough et celui-ci revient achever la capitulation.
Les provinces de Valence et d'Arragon suivirent l'exemple
de la Catalogne.
Philippe, attaqué de toutes parts, était en même temps
menacé sur les côtes par les flottes ennemies. Pour résister,
il dut disséminer ses forces. Suivi du maréchal français de
ïessé, il s'avança en Catalogne et entreprit imprudemment
le siège de Barcelone, qu'il fut bientôt obligé de lever. Il ne
trouva de sûreté pour ses troupes qu'en les ramenant en
Navarre par le Languedoc.
Cependant les désastres sur la frontière du Portugal étaient
plus funestes encore. Les Anglais et les Portugais commandés
— 118 —
par lord Galloway et le marquis de Las Minas, avaient pris
Alcantara, malgré les efforts du maréchal de Berwick et rien
ne s'opposait plus à leur marche victorieuse. Coria, Placen-
tia, étaient tombés devant eux. Ciudad-Rodrigo, Salamanque,
avaient ouvert leurs portes, Madrid même était devenu leur
proie. Galloway et Las Minas y avaient proclamé l'archiduc
Charles. C'en était fait de Philippe V, si son heureux rival,
secondant l'ardeur de ses braves alliés, fût venu leur donner
la main, au centre de l'Espagne. Son inaction, son incapacité
sauvèrent Philippe.
Ce dernier qui avait transféré k Burgos les débris de sa
monarchie expirante, rejoignit le duc de Berwick, déterminé
à vaincre ou à mourir. Fort de tout ce qu'il peut rassembler,
il prend poste, à Siguenza, sur les hauteurs qui séparent les
deux Castilles. Dès lors sa fortune prend une face nouvelle.
Il descend dans la plaine à la rencontre des ennemis qui, à
leur tour, l'évitent soigneusement, dans l'attente de l'arrivée
prochaine de l'archiduc. Ils évacuent Madrid, et Philippe V
rentre dans sa capitale, aux acclamations de tout son peuple.
Cependant l'archiduc arrive enfin, mais si faible, si dénué
de vivres, que, loin de risquer une attaque, il se décide à la
retraite. Philippe le poursuit, traverse le Tage à Aranjuez et
ne s'arrête qu'au Xucar, au delà duquel les ennemis prirent
leurs quartiers d'hiver.
En 1708, Louis XIV donna le commandement de l'armée
des Pays-Bas à son petit-fils le duc de Bourgogne, auquel il
adjoignit le duc de Vendôme. L'armée comptait 80 à '85,000
hommes (121 bataillons, 189 escadrons). L'électeur de Ba-
vière quitta les Pays-Bas et prit le commandement de l'armée
du Haut-Rhin.
Marlborough avait rassemblé ses forces, au mois de mai
— 119 —
1708, en avant de Hal. Le parlement anglais lui ayant refusé
un renfort de 10,000 hommes, il s'adressa à l'empereur, le
priant d'envoyer le princp Eugène avec 25,000 hommes.
Le duc de Bourgogne, qui avait son armée près de Mons,
marcha vers Soignies, comme s'il voulait attaquer les alliés.
Il n'en fit cependant rien, et alla camper la droite à Genappe,
la gauche à Bfaine-l'Alleud, faisant face à Marlborough, qui
s'était établi sur la rive gauche de la Dyle près de Louvain.
Les belligérants restèrent quelques semaines dans leurs
positions. Entretemps le gouvernement français fit faire,
entre Lille et Tournai, les apprêts du siège de Menin. Le duc
de Bourgogne voulut placer son armée entre la Lys et l'Es-
caut, le front tourné du côté d'Audenarde qu'il se proposait
de bloquer, pendant qu'on ferait le siège de Menin.
Dans cette vue, l'armée française marcha sur Alost, et
franchit l'Escaut, sur des ponts construits pour la circon-
stance à Gavre, à mi-chemin d'Audenarde à Gand ; arrivée
là, elle fit tête de colonne à gauche, pour achever l'exécution
de ses plans.
Avant de commencer le mouvement, le duc de Bourgogne
avait détaché des troupes contre Gand dont elles s'empa-
rèrent par surprise. D'autre part, les habitants de Bruges
avaient ouvert leurs portes au comte de La Mothe, général
français, qui commandait à Ypres.
Dès que Marlborough eut avis de la marche du duc de
Bourgogne, il quitta Louvain, à la tête de 80 h 85,000 hommes,
(112 bataillons, 180 escadrons) se dirigea sur Vilvorde et
de \h sur Anderlecht, près de Bruxelles. Il y fut informé
que l'ennemi se portait vers la Dendre. Aussitôt il se remit
à sa poursuite. Arrivé à Assche, il apprit que les Français
avaient déjà traversé la Dendre. Marchant alors sur Les-
sines, il continua sa route vers Audenarde et arriva en vue
— 120 —
des Français, le 11 juillet, au moment où ceux-ci opéraient
leur passage de l'Escaut, sans s'attendre le moins du monde
à trouver les alliés sur leur flanc à Audenarde.
Pendant la marche que nous venons de décrire, les 25,000
hommes de troupes impériales, sous Eugène, étaient arrivés
sur la Meuse, et avaient été dirigés par Maestricht sur Bruxel-
les, tandis qu'Eugène en personne, accompagné seulement
d'un faible détachement de cavalerie, avait rejoint Marlbo-
rough à Assche.
L'avant-garde alliée, sous les ordres des généraux Cadogan
et Ranzau, traversa l'Escaut sur quatre ponts jetés un peu
au-dessous d'Audenarde et s'établit derrière le ruisseau
d'Eyne ; elle y fit prisonniers un certain nombre d'éclaireurs
français. Le duc de Bourgogne soupçonnait si peu la proxi-
mité de Marlborough, qu'il s'imagina que ces soldats avaient
été pris par la garnison d'Audenarde et qu'il détacha sept
bataillons pour prendre possession du village d'Eyne. Ces
bataillons furent eux-mêmes attaqués et défaits par Cadogan
qui s'empara d'Eyne.
Sur ces entrefaites, l'armée de Marlborough, descendant
des hauteurs d'Audenarde, passa l'Escaut et poussa au delà
d'Eyne jusqu'au village de Heurne, où elle établit sa droite,
tandis que sa gauche s'étendait jusqu'à Wortegem.
Les Français se formèrent, la gauche à Aspre, le centre à
Huyse, la droite à Wanneghem, le front couvert par les bords
escarpés du ruisseau de Nockere.
Au lieu d'attendre dans cette forte position l'attaque des
alliés, le duc de Bourgogne ordonna à une partie de la cava-
lerie de sa droite de se porter en avant. Ce détachement,
parvenu entre les deux ruisseaux, s'arrêta en présence des
forces considérables qui se déployaient vis-à-vis de lui, Ven-
dôme ne voulut pas exposer ce corps isolé ; il ordonna à
— 121 —
d'autres troupes de passer également le ruisseau de Nockere.
Le duc de Bourgogne, mécontent de ce que l'on exécutât
un mouvement qu'il n'avait pas ordonné, le fit discontinuer à
l'instant.
Ainsi l'armée française perdit un temps précieux en mar-
ches et contre-marches et en ordres contradictoires, tandis
que les alliés se formaient avec précision sur les positions
les plus favorables du champ de bataille.
Une partie des troupes du duc de Bourgogne (30 batail-
lons), ayant reçu l'ordre de se porter en avant, attaqua avec
impétuosité le centre des alliés. Un combat acharné eut lieu
sur ce point. Toutes les troupes de la droite française pas-
sèrent le ruisseau de Nockere, et même un corps de cette
armée parvint h s'établir au hameau de Browaen, près d'Oycke.
Malgré une lutte vigoureuse, les Français, qui combattaient
sans ensemble, ne purent se maintenir dans leurs positions.
L'action était devenue presque générale, lorsque Marlbo-
rough, remarquant que l'aile droite de l'ennemi était en l'air,
ordonna au général Overkerque de tourner cette aile avec
une forte colonne et de prendre les Français à dos. Ce mou-
vement s'exécuta, malgré la valeureuse résistance de l'en-
nemi.
Les fréquentes attaques de front des alliés qui s'avançaient
sur le plateau, entre les deux bras du ruisseau d'Eyne, le
nombre croissant des troupes prenant les Français à revers
du côté d'Oycke, obligèrent ces derniers à battre en retraite
par les ravins difficiles du ruisseau de Nockere.
En vain le duc de Vendôme essaya-t-il de faire avancer la
gauche française laissée sur la rive gauche du ruisseau de
Nockere. Les alliés étaient déjà tellement proches qu'il fallut
renoncer à ce projet.
Il faisait tout à fait nuit lorsque les Français quittèrent le
— 1 22 —
champ de bataille en grand désordre. L'obscurité empêcha
la poursuite. La retraite se fit dans différentes directions,
mais principalement sur Gand. Un corps français de 9,000
hommes, à la faveur de la nuit, traversa une partie non
occupée de la ligne alliée et se réfugia à Courtrai.
Les alliés eurent 2,000 tués, 4,000 blessés; les Français
4,000 tués, 2,000 blessés et laissèrent 7,000 prisonniers.
La défaite des Français peut être attribuée :
[° an désordre qui existait dans leurs troupes, après le
passage de l'Escaut (1) ;
2" aux ordres contradictoires, donnés par le duc de Bour-
gogne et le duc de Vendôme, qui augmentèrent la confusion;
3« au manque d'ensemble dans les opérations pendant la
bataille.
Le duc de Bourgogne rallia son armée derrière le canal
entre Bruges et Gand et s'y retrancha.
Marlborough, après la victoire d'Audenarde, marcha sur
Menin , traversa la Lys , dans le voisinage de cette place, et,
forçant les ligues de Commines, entre la Lys et l'Yperlée,
lignes qu'il fît raser dans la suite, alla prendre position à
Wervick, pour être à portée de Lille dont il avait résolu d'en-
treprendre le siège.
(1) Les têtes de colonne se trouvaient, dit Saint-Simon, vivement
chargées en arrivant , et doublant et s'étendant à côté des autres
qu'elles renversaient souvent, elles les réduisaient par le désordre de
l'arrivée, à se rallier derrière elles, c'est-à-dire derrière d'autres haies,
parce que la diligence avec laquelle nos troupes s'avançaient, jointe
aux coupures du terrain, causait une confusion dont elles ne pouvaient
se débarrasser... Le désordre augmentait de moment en moment; per-
sonne ne reconnaissait sa troupe ; toutes étaient pêle-mêle, cavalerie,
infanterie, dragons; pas un bataillon, pas un escadron ensemble, et
tous en confusion lus uns sur les autres.
AUDENARDE
— 123 —
Les 25,000 hommes de troupes impériales du prince Eu-
gène, laissés à Bruxelles, furent désignés pour escorter
l'artillerie nécessaire au siège de Lille. Le convoi se dirigea
par Hal, Soignies et Ath sur Espierres, où Marlborough vint
à sa rencontre avec 60 bataillons et 100 escadrons.
Le prince Eugène, avec M bataillons, 60 escadrons, in-
vestit Lille, au mois d'août 1708.
C'était une entreprise hardie que le siège de cette ville,
en tenant compte des positions respectives des deux armées
et de la nécessité de tirer les convois de subsistances et de
munitions de Bruxelles et d'Ostende. Les Français étaient
maîtres de Gand et de Bruges ; entre ces deux villes se trou-
vait leur armée, dont les vides avaient été comblés au moyen
des troupes du comte de la Mothe, et qui comptait à peu près
le même effectif qu'avant la défaite d'Audenarde ; Nieuport et
Ypres étaient aussi au pouvoir des Français, ce qui assurait
à ceux-ci la navigation sur l'Yperlée ; enfin les troupes alliées
à Ostende ne pouvaient communiquer que très-difficilement
avec l'armée de Marlborough, à cause de la proximité des
garnisons françaises de Bruges et de Nieuport.
Lille était défendu par des forces respectables : 23 batail-
lons et 3 régiments de dragons ; de plus le gouvernement
français, dès qu'il eut appris l'arrivée du corps du prince
Eugène en Belgique, avait détaché de l'armée du Rhin 44 ba-
taillons et 65 escadrons, sous les ordres du duc de Berv^nck
qui s'était porté derrière Mons, Condé et Tournai.
Le prince Eugène commença néanmoins le siège de Lille
avec vigueur. Les Français résolurent de réunir leurs forces
pour secourir la place. A cet effet, le duc de Bourgogne et
te maréchal de Berwick se rejoignirent entre Grammont et
Lessines. Leurs armées combinées fortes de 140 bataillons,
— 124 -
250 escadrons, 200 bouches à feu, marchèrent de Lessines
sur Tournai et de là vers Lille.
Marlborough se réfugia derrière la Marque, dans la courbe
que forme ce petit affluent de la Deule autour de Lille. Les
Français ayant essayé de tourner la position, en remontant
la Marque jusqu'à sa source, Marlborough marcha parallèle-
ment à eux, établit sa droite à Noyelles sur la Deule, sa gau-
che à Fretin, et s'y retrancha.
Le duc de Bourgogne demeura plusieurs jours en face de
cette position et envoya chercher de la grosso artillerie à
Douai, pour détruire les retranchements. Mais n'ayant pas
réussi dans sa tentative, il se porta sur la rive droite de
l'Escaut, entre Audenarde et Tournai, pour empêcher qu'au-
cun convoi de munitions ou de subsistances pût parvenir de
Bruxelles à Lille. Deux de ces convois venaient précisément
d'arriver intacts dans les lignes du prince Eugène, pendant
que le duc de Bourgogne se trouvait en présence de Marl-
borough.
Aussitôt que le duc de Bourgogne eut effectué son mou-
vement vers l'Escaut, Marlborough se porta à Roncq, à trois
quarts de lieue de Menin et à environ deux lieues et demie
de Lille. Il était ainsi à même de retourner derrière la Mar-
que, si les Français menaçaient de se rapprocher de nouveau
de la place assiégée. Comme d'autre part il se trouvait aussi
sur la route d'Ostende, à treize lieues de cette ville dont il
comptait tirer maintenant les convois d'approvisionnements
nécessaires au siège de Lille, il put pousser un corps en
avant à Thourout pour protéger ces transports.
Afin d'empêcher le passage des convois expédiés d'Os-
tende, le duc de Bourgogne envoya à Bruges le comte de
la Mothe avec 34 bataillons, 63 escadrons.
— im —
Les Français étant, maîtres de Plasscliendaele, au point de
jonction du canal de Nieuport avec celui de Bruges à Os-
tende, aucun convoi ne pouvait, semblait-il, s'avancer en
sécurité. Il en passa un cependant, grâce à l'habileté de ceux
qui furent chargés de sa conduite.
Ce convoi quitta Ostende, le 28 septembre 1708, défila der-
rière le canal entre Ostende et Nieuport jusqu'à Leffmghe,
d'où il se dirigea par Cappelle-Saint-Pierre, Couckelaere et
Hooglede sur Roulers,
Marlborough, avec un corps considérable, se rendit à Rou-
lers et poussa en avant sur Thourout le général Webb avec
18 bataillons, 500 chevaux.
Le convoi devait passer sur la gauche de Thourout, de
sorte que le général Webb se trouva entre sa route et Bruges
où était le comte de la Mothe, On avait aussi posté 3 batail-
lons alliés au village d'Oudenbourg, non loin d'Ostende, afin
de contenir les Français établis à Plasscliendaele, et d'em-
pêcher qu'ils ne donnassent avis de la marche du convoi.
Cependant le comte de la Mothe, ayant été informé des
projets de l'ennemi, quitta Bruges, le 28 septembre, dans le
but d'intercepter le convoi. Il se porta à Moerdyck, sur la
route d'Ostende à Thourout, et resta dans cette position. Il
apprit bientôt que le convoi venait de passer sur sa gauche
et se hâta alors de le poursuivre.
Le général Webb , ayant été instruit de la marche du
comte de la Mothe, par une patrouille de cavaliers, fit avec
beaucoup d'habileté et de promptitude les dispositions néces-
saires pour le recevoir. Il conduisit ses troupes à Wynen-
daele, sur la route de Thourout, et les plaça en arrière d'une
ouverture entre deux bois, dans chacun desquels il eut soin
de mettre un bataillon en embuscade.
Les Français s'avancèrent en colonne dans l'ouverture. Le
— -126 —
feu qu'ils essuyèrent tout à coup et sans s'y attendre, sur
l'un et l'autre flanc aussi bien qu'en face, les jeta dans une
grande confusion, et ils se retirèrent aussitôt. Leurs dragons
vinrent ensuite très-mal k propos tenter le passage et per-
dirent grand nombre d'hommes dans une entreprise qui
n'offrait aucune chance de succès.
Le comte de la Mothe n'essaya point de tourner le général
Webb. Rien ne prouve d'ailleurs qu'il y eût réussi, puisqu'il
aurait dû faire un détour considérable, pendant lequel le
général Webb se serait mis sans doute en mesure de résister
en changeant de front. Au surplus, malgré sa supériorité
numérique, le général français ne poursuivit pas cette affaire.
Ignorant les forces réelles de Webb et craignant l'arrivée de
Marlborough, il se retira sur Bruges.
Les Français perdirent dans cette embuscade 3,500 hom-
mes; les alliés 900.
Le duc de Vendôme, irrité du passage du convoi, quitta
l'Escaut, vint reprendre le commandement du comte de la
Mothe et fixa son quartier-général à Oudenbourg. Marlbo-
rough s'avança jusqu'à Thourout pour l'attaquer. Mais Ven-
dôme se retira derrière le canal de Bruges à Ostende, et le
général anglais retourna à Roulers.
Cependant les Français, maîtres de Nieuport, parvinrent
à couper toutes les communications avec Ostende, à l'aide
des écluses de mer de la première de ces places-. Ils couvri-
rent ainsi d'inondations profondes le pays environnant. On
fit encore partir un ou deux convois par bateaux, mais les
Français ayant établi sur les inondations une petite flottille
de barques armées, toute expédition ultérieure devint impos-
sible.
— 127 —
Le village de Leffmghe, entouré d'eau, fui attaqué et pris ;
les alliés y perdirent d,200 soldats.
Sur ces entrefaites, le siège de Lille était continué vive-
ment. Après soixante-deux jours, la ville se rendit. La dé-
fense avait été dirigée par le duc de Boufflers. Celui-ci se
retira dans la citadelle qui fut aussitôt attaquée.
XI.
Opérations dans les Pays-Bas en 1708 et 4 709. — Passage de l'Escaut
par l'armée de Marlborougfi. — Louis XIV demande la paix. — Bataille
de Malplaquet. — Siège de Mons par le prince d'Orange.
L'électeur de Bavière, encore gouverneur des Pays-Bas
espagnols, avait quitté depuis quelque temps l'armée du
Rhin et avait demandé à pouvoir attaquer Bruxelles. Il partit
de Mons avec 15,000 hommes et arriva devant Bruxelles au
mois de novembre 1708. Aussitôt il fit établir des batteries
entre les portes de Louvain et de Namur.
Marlborough résolut de marcher au secours de Bruxelles.
Il lui fallait pour cela passer l'Escaut, et on se souvient que
l'armée française occupait la rive droite de ce fleuve depuis
Tournai jusqu'à Audenarde.
Les Français étaient si convaincus qu'il serait impossible
aux alliés d'opérer le passage, que le duc de Vendôme écrivit
à Louis XIV, la veille de l'arrivée de Marlborough sur l'Es-
caut, qu'il se faisait fort de le repousser.
L'armée de Marlborough passa la Lys à Courtrai et partit de
cette ville en deux colonnes. La colonne de gauche eut ordre
— 128 —
de passer l'Escaut à Gavre, de tourner à droite et d'attaquer
sur-le-champ tous les corps français qu'elle rencontrerait
sur les hauteurs au delà d'Audenarde. La colonne de droite
dut passer au-dessus d'Audenarde, à Kerkhove, puis tourner
à gauche, immédiatement après son passage, et se réunir
au-dessus d'Audenarde à la colonne de gauche. Le prince
Eugène devait quitter Lille, après y avoir laissé des forces
suffisantes pour continuer le siège de la citadelle et passer
l'Escaut sur la droite de Marlborough à Escanaffles.
La marche des colonnes fut calculée de manière à les faire
arriver toutes au point de concentration, le 27 novembre,
avant l'aurore. Enfin, comme dernière mesure, la garnison
d'Audenarde reçut ordre de faire une sortie au même mo-
ment, en ne laissant que le monde nécessaire pour garder
la place, et d'attaquer tous les corps français qu'elle trouve-
rait sur les hauteurs environnantes.
La marche des deux colonnes de Marlborough se fit avec
un plein succès; elles se réunirent sur les hauteurs au-dessus
d'Audenarde, ainsi qu'on se l'était proposé. La colonne du
prince Eugène, qui voulait passer à Escanaffles, y trouva l'en-
nemi en force. Eugène descendit le long de la rive gauche
et vint traverser le fleuve sur les traces de la colonne de
droite de Marlborough. L'opération se trouva ainsi achevée
et l'armée se concentra sur la rive droite de l'Escaut, au-
dessus d'Audenarde.
Les Français se retirèrent, partie à Gand, partie à Tournai.
Le prince Eugène retourna à Lille. Marlborough marcha sur
Bruxelles par Alost. Il n'eut pas l'occasion d'aller plus loin,
l'électeur de Bavière, à l'annonce de son arrivée, s'étant
déjà replié sur Mons.
— 129 —
La citadelle de Lille, qui résistait depuis quatre mois, se
rendit le 9 décembre 1708 (1).
Le siège de Gand par Marlborough termina la campagne.
Le comte de la Mothe, qui, avec un renfort, s'était jeté dans
cette place, au moment de l'investissement, capitula au bout
de six jours et obtint pour lui et sa troupe de se retirer en
armes à Tournai.
Peu de jours après, Bruges, Plasschendaele et Leffinglie
capitulèrent à leur tour.
Le général Overkerke, qu'on peut appeler le bras droit
de Marlborough, mourut en 1708.
Aux revers qui depuis quelques années accablaient les
armées françaises, vinrent s'ajouter les misères causées par
l'hiver si rigoureux de 1708 à 1709. La France était épuisée
par la disette et tous les maux de la guerre. Louis XIV offrit
la paix. Mais les conditions imposées par les alliés lui sem-
blèrent trop dures , car on ne lui demandait rien moins que
l'abdication de son petit-fds Philippe V, roi d'Espagne. Aussi,
malgré sa détresse, Louis refusa : « Puisqu'il faut faire la
» guerre, dit-il dans son conseil, j'aime mieux la faire ci mes
» ennemis qu'à mes enfants. »
Dans cette circonstance, il semble que le grand Roi, domi-
nant ses chagrins pour mettre toute sa confiance dans le
succès de ses armées, ait voulu justifier, par sa conduite,
cette anagramme réellement curieuse : Louis quatorzième, roi
(l) Anquetil raconte à ce sujet que lorsque Boufflers n'eut plus pour
subsister qu'un quartier de cheval, il invita le prince Eugène à venir
le partager avec lui.
— 450 —
(le France et de Navarre = Va, Dieu co^ifondi^a l'armée qui
osera te résister !
Au mois de juin 1709, l'armée alliée se réunit, à peu de
distance de Lille, du côté du midi, entre la Marque et la
Deule, presque sur le terrain même où Marlborough s'était
retranché, l'année précédente, pour résister au duc de Bour-
gogne. Mons, Condé, Douai, Betliune, St- Venant et Aire,
ainsi que les cours d'eau reliant ces villes, formaient, devant
le front des alliés, une barrière derrière laquelle le maréchal
de Villars, à qui Louis XIV avait confié la défense du royaume,
rassembla l'armée française. Il établit son camp dans une
position centrale, par rapport aux différents points de cette
ligne, et le fortifia avec grand soin.
Marlborough alla faire le siège de Tournai. Il ouvrit la
tranchée, le 7 juillet 1709, et dirigea trois attaques contre la
place : la première contre la partie de l'enceinte entre la
citadelle et l'Escaut ; la deuxième sur l'autre rive du fleuve
et la dernière sur la route de Courtrai. La ville se rendit le
28 juillet et la citadelle le 5 septembre. Le prince Eugène
commandait l'armée d'observation placée entre Tournai et
l'armée française.
Pendant les opérations du siège, Villars avait travaillé par
tous les moyens en son pouvoir à fortifier sa ligne de défense
au moyen de retranchements et d'inondations. Mais Marlbo-
rough, après la chute de Tournai, marcha rapidement par sa
gauche et ayant traversera Haine au-dessus de Mons, il
tourna la position de Villars et rendit de la sorte inutiles tous
les travaux de celui-ci.
Villars, de son côté, marcha eii dedans de ses lignes vers
Mons jusqu'à Malplaquet. La position qu'il choisit ne pou-
— 151 —
vait être plus favorable. Sur sa gauche, le bois épais de
Blangies et de Taisnières barrait tout l'intervalle qui séparait
l'armée française de la Haine ; sur sa droite, un autre bois
s'étendait jusque près de Maubeuge ; l'ouverture ou le pas-
sage qu'il eut à occuper n'avait pas une trop grande largeur;
le terrain présentait une arête entre les deux bois et des-
cendait en pente vers l'ennemi. Quantité d'arbres se trou-
vaient sous la main, propres à être transformés en abatis ou
autres défenses accessoires qui furent combinées avec des
retranchements sur la lisière inférieure du bois de Blangies
et sur l'ouverture entre les deux bois.
Les alliés vinrent camper en face des Français suivant une
ligne dont le centre était à Blaregnies, la droite vers Frame-
ries, la gauche vers la route de Bavai à Maubeuge. Ils res-
tèrent pendant deux jours dans cette position, dans l'attente
d'un corps de 19 bataillons, 10 escadrons, laissé à Tournai.
Villars profita de ce délai pour faire achever ses retranche-
ments.
Après une reconnaissance faite, le 10 septembre, par Marl-
borough et Eugène, il fut décidé par ces deux généraux de
livrer bataille le lendemain et de ne diriger contre l'aile
gauche de l'ennemi que des fausses attaques, tandis qu'on
opérerait vigoureusement contre l'aile droite; le général
Withers, commandant le corps venant de Tournai, devait
tourner la gauche des Français en traversant les bois de
Blangies et de Taisnières.
Le 11 septembre 1709, au matin, par un brouillard épais,
les alliés, avec 129 bataillons, 252 escadrons, lOS bouches à
feu, attaquèrent l'armée française forte de 130 bataillons,
260 escadrons, 80 bouches à feu, soit environ 110,000 hom-
mes, chiffre un peu inférieur à celui de l'armée de Marlbo-
rough.
— 432 —
L'infanterie française ainsi que l'artillerie garnissaient les
retranchements ; la cavalerie était en seconde ligne.
Villars se tint à l'aile gauche de son armée ; le marquis de
Boufflers, qui s'était mis volontairement sous ses ordres,
dirigea l'aile droite. Eugène s'opposa au premier et Marlbo-
rough au second.
Dès que le brouillard se fut un peu dissipé, les attaques
se dessinèrent ; l'armée des alliés prit position en face des
retranchements occupés par les Français. A l'aile gauche, le
prince d'Orange, commandant l'infanterie hollandaise, se
porta en avant, fut rudement accueilli et obligé de reculer.
Au centre, l'attaque fut aussi impétueuse que la résistance
fut énergique. L'aile droite des alliés pénétra dans le bois, le
traversa, délogea l'ennemi de ses retranchements avancés et
fit reculer la gauche française.
De ce dernier côté, Villars reprit vigoureusement l'offen-
sive, à la faveur d'un corps d'infanterie qu'il tira du centre ;
il repoussa dans le bois l'aile droite alliée, mais dans l'action
il fut grièvement blessé au genou, d'un coup de feu. Quel-
que temps encore il put commander, assis sur une chaise,
mais une défaillance obligea de le transporter au Quesnoy,
loin du champ de bataille. Le commandement en chef échut
alors à Boufflers.
L'aile droite française résista non-seulement avec avan-
tage, mais elle infligea des pertes immenses à l'infanterie
hollandaise, à la tête de laquelle le prince d'Orange com-
battait avec une valeur admirable.
Les alliés s'étant aperçus que les retranchements du centre
ennemi avaient été dégarnis pour soutenir la gauche si vive-
ment pressée , Eugène ordonna en conséquence de ce côté
une attaque générale et décisive.
Après une lutte des plus chaudes, les retranchements
Erameries
JàcitayLLlc
'WiAthis
Leo'eade
V,
— 153 —
furent enlevés; l'infanterie des alliés s'y établit pour soutenir
par son feu l'action de la cavalerie; le centre des Français plia,
et une charge de la grosse cavalerie allemande y fit une
trouée de façon à séparer entièrement les deux ailes.
Le maréchal de Boufflers, voyant que le centre de son
armée était enfoncé, que l'aile gauche se repliait vers Athis
et apprenant en même temps que l'aile droite venait de
céder aux efl^orts réitérés du prince d'Orange, ordonna la
retraite. L'aile gauche se retira sur Quiévrain et Valen-
ciennes, l'aile droite sur Bavai et Maubeuge.
La retraite des Français s'opéra avec tant d'ordre, que
très-peu de prisonniers et de pièces tombèrent au pouvoir
des alliés.
Les pertes totales des Français, dans cette mémorable
bataille, sont estimées de 12 h 14,000 hommes. La victoire
fut chèrement payée par les alliés, car la lutte eut lieu, de
part et d'autre, avec un acharnement sans pareil, .et les
retranchements qui couvraient les Français ne purent être
abordés qu'au prix de pertes énormes. On peut fixer à envi-
ron 20,000 le nombre des alliés tués et blessés.
« Si Dieu nous fait la grâce de perdre encore une pareille
bataille, écrivit Villars à Louis XIV, Votre Majesté peut
compter que ses ennemis sont détruits. »
Après la journée de Malplaquet, Marlborough entreprit le
siège de Mons. Il confia cette opération au jeune prince
d'Orange, Jean-Guillaume de Nassau-Dietz-Frison, qui venait
de se distinguer à Malplaquet par une bravoure incompara-
ble. On le vit, en effet, au fort du combat porter lui-même
ses drapeaux sur les retranchements français pour y ramener
son infanterie. Il voulait, suppose-t-on, par quelque action
d'éclat, obtenir le rétablissement du stadhouderat, aboli par
la défiance républicaine, à la mort de Guillaume III.
— 134 —
Mons ne tint qu'un mois. La ville avait été attaquée par les
hauteurs de Berlaimont et le front d'Havre.
Pendant le siège, l'armée française resta sur la défensive
entre le Quesnoy, Bavai et Maubeuge. Le maréchal de Ber-
wick, qui avait rejoint l'armée française après la bataille de
Malplaquet, construisit près de Maubeuge un camp retranché
dont le plan était habilement conçu.
Après la prise de Mons (23 octobre 1709), les alliés se
retirèrent à Gand, Bruges, Bruxelles et Louvain.
Au mois d'avril 1710, Marlborough partit de Tournai pour
assiéger Douai. Il s'empara de cette dernière ville, ainsi que
de Bethune. Le prince d'Orange prit Saint-Venant et le prince
d'Anhalt s'empara d'Aire.
Pendant le siège de Douai, Villars avait quitté Cambrai
pour se rendre à Arras, et marcher au secours de la place
assiégée ; cependant il ne jugea pas à propos d'attaquer
Marlborough. D'autre part, la position de Villars ne permit
pas au général anglais d'assiéger Arras, opération que, dans
toute autre circonstance, il eût sans doute entreprise pour
se rapprocher de la vallée de la Somme, comme il en avait
le dessein.
XII.
Campagnes en Espagne de 1707 à 1710. — Opérations dans les Pays-Bas
en 1711. — Prise de Bouchain. — Départ de Marlborough. — Inveslis-
sement de Landrecies.— Affaire de Denain. — Paix d'Ulrecht. — Traité
de la Barrière. — Mort de Louis XIV.
La fortune qui s'était montrée favorable aux armes de Phi-
lippe V, en Espagne, vers la lin de 1706, lui fut fidèle pen-
dant toute l'année 1707.
— 155 —
L'armée confédérée des Anglais, Allemands, Hollandais et
Portugais était cantonnée sur les frontières des provinces de
Valence et de Murcie. Elle était commandée par lord Gallo-
way et le marquis de Las Minas. Les armées espagnole et
française, sous le duc de Berwick, observaient de près tous
les mouvements de l'ennemi.
Une rencontre eut lieu dans les plaines d'Almanza, sur les
confins du royaume de Valence. Les deux armées s'attaquè-
rent avec intrépidité. Les Espagnols restèrent maîtres du
champ de bataille, après un combat opiniâtre et sanglant.
Des corps entiers de Portugais, d'Anglais et de Hollandais
furent forcés de rendre les armes. Ils perdirent 18,000 hom-
mes, tant morts que blessés ou prisonniers. Les munitions,
bagages et vivres tombèrent aux mains du vainqueur. Phi-
lippe dut en grande partie h cette victoire la conservation de
son royaume. Aussi fit-il élever sur le champ de bataille une
pyramide destinée à en perpétuer le souvenir.
L'affaire d'Almanza offre une circonstance bien bizarre.
Elle est gagnée, en Espagne, par un réfugié anglais (de Ber-
wick était fils naturel de Jacques II et d'Arabella Churchill,
sœur de Marlborough), commandant les Français, sur un
réfugié français (Ruvigny, devenu lord Gallov^^ay), comman-
dant les Anglais. Galloway et Las Minas y furent blessés.
Le duc d'Orléans, chef des troupes françaises en Italie,
quitta ce commandement pour prendre celui de l'armée d'Es-
pagne. II n'arriva qu'après la victoire d'Almanza. Aussitôt il
divisa les forces combinées des Espagnols et des Français en
trois corps, dont le premier, commandé par Berwick,
soumit le royaume de Valence ; le deuxième, sous le cheva-
lier d'Asfeld, le royaume de Murcie ; le duc, à la tête du
troisième corps, se réserva la conquête de l'intérieur et de
la Catalogne. Il prit Calatajud, entra dans Saragosse, s'em-
— 156 —
para de Balaguer et termina cette campagne par la prise de
Lérida, ville réputée imprenable et qui était le dépôt de
grandes richesses.
Philippe V et sa cour rentrèrent à Madrid.
En 1708, le duc d'Orléans prit Tortose, malgré la présence
de Stharemberg, général de l'archiduc Charles.
La campagne de 1709 présente peu d'intérêt; les deux
rivaux laissés à leurs propres forces étaient trop faibles pour
se porter de grands coups. L'archiduc était à Barcelone, Phi-
lippe V à Madrid ; leurs généraux, s'observaient ; Stharemberg
cependant reprit Balaguer et lord Galloway fut battu près de
Badajoz par le marquis du Bay, commandant les Espagnols.
A cette époque, le duc d'Orléans n'était plus à la tête des
troupes françaises. Il avait noué des intrigues avec quelques
Grands d'Espagne ; aussi Philippe V n'avait plus voulu accep-
ter ses services.
La guerre languissait depuis deux ans. Tout à coup elle se
ranima avec fureur; mais heureusement ce fut le dernier
éclat d'un feu qui s'éteint.
L'armée espagnole abandonnée à ses propres moyens, sous
les ordres du marquis de Villadarias, était en proie aux plus
cruelles dissensions. Philippe, dans l'espoir de se rallier les
esprits, vint la commander en personne. Il essaya inutile-
ment de reprendre Balaguer. Stharemberg obtint sur lui un
premier avantage à Almenara, et remporta à Saragosse une
victoire complète. Du Bay, qui avait remplacé Villadarias,
commandait dans cette journée malheureuse qui faillit pré-
cipiter Philippe V de son trône.
Stharemberg conduisit l'archiduc victorieux. Ils traversé-
— 137 —
rent les deux Castilles sans obstacle, entrèrent dans Madrid,
s'emparèrent de Tolède et descendirent en triomphe la rive
septentrionale du Tage, dans l'espoir d'être rejoints par les
Portugais et de terminer d'un coup la guerre.
Philippe paraissait perdu sans retour. Il s'était réfugié à
Valiadolid, sans troupes, sans argent.
Louis XIV, presque aussi malheureux que lui, ne pouvait
lui être d'aucun secours. La situation était désespérée. La
fidélité des Espagnols et l'heureuse étoile de Philippe sauvè-
rent ce dernier. Les Grands d'Espagne demandèrent à
Louis XÏV le secours de Vendôme. La présence de cet émi-
nent général changea la face des choses.
Une ardeur nouvelle ranima tous les esprits et la confiance
revint dans les cœurs. On courut en foule sous les drapeaux;
l'enthousiasme fut universel. Vendôme en profita pour con-
duire Philippe droit au Tage, afin de prévenir la jonction des
Portugais avec Stharemberg. Mais ce dernier, qui était venu
jusqu'à Talaveyra de la Reyna, las d'attendre les Portugais
que Du Bay retenait chez eux, manquant de vivres, craignant
pour ses derrières, avait déjà pris le parti de la retraite vers
l'Arragon.
Vendôme le poursuivit en toute hâte. Philippe rentra dans
Madrid en triomphe, Vendôme traversa le Henares, fondit
sur l'arrière-garde des ennemis, commandée par Stanhope,
l'enveloppa à Brihuega et la pressa si vivement qu'il l'obligea
à se rendre avec 5,000 hommes. Stharemberg, sur ces entre-
faites, était déjà dans les gorges des montagnes avec le gros
de son armée battant en retraite. Lorsqu'il fut averti du
danger que courait Stanhope, il accourut dans la plaine pour
le dégager, mais il était trop tard et il fut même obligé d'ac-
cepter le combat à Villa-Viciosa. L'action fut des plus vives
et longtemps incertaine. Enfin les alliés furent mis en
— 138 —
déroute par l'aile droite de l'armée castillane et le désordre
fut jeté dans leur centre par de brillantes charges de cava-
lerie. Stharemberg laissa 4,000 morts et 6,000 blessés ou
prisonniers ; le reste se sauva à la faveur de la nuit.
La campagne n'avait duré que deux mois.
Cette victoire fixa la couronne sur la tête de Philippe,
détruisit les espérances de son rival et termina la guerre.
C'est après cette bataille que Philippe, fatigué, car il n'avait
pu se déshabiller depuis trois jours, demanda un lit, et n'en
trouvant pas, Vendôme fit amonceler les drapeaux ennemis et
les lui indiqua comme le lit le plus doux et le plus digne
d'un roi.
Louis, le grand dauphin de France, mourut le 14 avril 1711.
Le 17 avril de la même année, la mort frappa également
l'empereur Joseph. Son frère Charles, compétiteur de Phi-
lippe V au trône d'Espagne, lui succéda, sous le nom de
Charles VL
Dans les Pays-Bas, en 1711, les Français restèrent stric-
tement sur la défensive, en prenant pour barrière la Canche,
depuis la mer jusqu'à sa source, puis une ligne de retranche-
ments de la Canche à la Scarpe ; ensuite cette rivière jusqu'au
point où de nouveaux retranchements la reliaient avec la
Sensée ; l'Escaut continuait la ligne entre Bouchain et Valen-
ciennes. On construisit de plus des lignes entre Maubeuge et
le Quesnoy, lignes qui furent prolongées de là à l'Escaut, en
arrière de Valenciennes ; les routes et les ponts furent dé-
truits ; les retranchements, les redoutes, les inondations,
les abatis furent employés partout où ils purent l'être avec
apparence d'utilité. Dans cette circonstance, les Français
montrèrent une prodigieuse activité =
— 139 -
Le duc de Marlborough réunit son armée en avant de
Douai. Villars, à la tête de la sienne, alla camper en face de
lui, derrière ses lignes ; son quartier-général était à Oisy.
Marlborough se porta par sa droite, comme s'il voulait forcer
la ligne de défense ennemie, entre la Scarpe et la Candie.
Villars marcha parallèlement à lui vers le point menacé; mais
tout à coup, dans la nuit du 4 août, Marlborough retourna sur
ses pas à marches forcées et traversa la Sensée à Aubencheul-
au-Bac, avant que les Français eussent pu s'opposer à ce
passage.
Le général anglais se posta, la droite à la Sensée, la gauche
à l'Escaut, Bouchain à dos; l'armée française prit position, la
gauche à Marquion, la droite à l'Escaut.
. Marlborough résolut de s'emparer de Bouchain avant toute
opération ultérieure. Il traversa l'Escaut, en marchant par sa
gauche, poussa celle-ci en avant jusqu'à Haspres sur la Selle
et plaça sa droite à Iwry sur l'Escaut.
Le général Fagel fut détaché avec un corps considérable
de troupes alliées pour investir Bouchain par la rive gauche
de l'Escaut.
Villars s'avança contre Bouchain, sur le terrain entre la
Sensée et l'Escaut. L'armée de Marlborough était maintenant
séparée en deux corps distincts par Bouchain et par l'Escaut,
et l'armée française, presque égale en nombre à ces deux
corps réunis, les menaçait à portée de canon. Il fallut donc
prendre les plus grandes précautions pour empêcher Villars
de les attaquer l'un après l'autre.
Marlborough se retrancha avec un soin extrême. Fagel en
fit autant. Le premier sur une étendue de deux lieues et
demie, le second sur un parcours de sept quarts de lieue.
Une ligne continue fut de plus érigée sur une longueur de
— 140 —
trois lieues et demie, depuis le camp de Fagel jusqu'à Mar-
chiennes, sur la Scarpe, dans le but d'assurer la marche des
convois tirés de cette dernière ville.
La résistance de Bouchain dura près d'un mois. La reddi-
tion se fit presque sous les yeux de l'armée française postée
entre l'Escaut et la Sensée.
Tel fut le dernier exploit de Marlborougli dans les Pays-
Bas. Ce grand capitaine dont la carrière militaire offre
l'exemple de tant de faits d'armes glorieux, fut disgracié par
suite d'intrigues el remplacé dans son commandement.
Le jeune prince d'Orange, en retournant en Hollande,
^près la campagne de 1711, périt au passage du Moerdyck,
dans le Hollandsch Diep. Il laissa un fils posthume, Guil-
laume-Charles-Henri-Frison, dont descend la famille qui
règne aujourd'hui en Hollande.
Le prince Eugène reprit le commandement de toutes les
armées alliées en Flandre, en 1712. Le duc d'Ormond fut mis
à la tête du contingent anglais.
Les hostilités commencèrent par la prise du Quesnoy par
le général Fagel.
Cette année,' la mort frappa cruellement encore la famille
de Louis XTV. Son petit-fils, le duc de Bourgogne, mourut
le 12 février 1712; la femme et l'enfant de ce dernier mouru-
rent quelques jours plus tard.
Louis XÏV, accablé de toutes les manières, désirait ardem-
ment la paix. Des négociations furent entamées à ce sujet
entre la France et l'Angleterre. En conséquence le duc d'Or-
mond et l'armée anglaise se séparèrent de leurs alliés, dans
— iU —
le courant de 1712, et le roi de France remit Dunkerque aux
Anglais comme gage de la sincérité de ses intentions.
Malgré la perte du contingent britannique, fort de 18,000
hommes, le prince Eugène poursuivit ses opérations en in-
vestissant Landrecies,
Pendant le siège de Bouchain, dans la campagne précé-
dente, le duc de Marlborougli avait fait, ainsi que nous l'avons
dit, de Marcliiennes sa place de dépôt, à cause des facilités
que présentait cette ville pour les transports par eau venant
de Hollande et d'Anvers.
Eugène, pendant le siège de Landrecies, continua à tirer
ses approvisionnements de Marchiennes; il dissémina son
armée derrière l'Écaillon, depuis Landrecies jusqu'au con-
fluent de cette rivière avec l'Escaut, près de Denain, et
entre Denain et Marchiennes, derrière une ligne de retran-
chements.
Villars, à l'instigation du marquis de Montesquieu, résolut
d'exécuter un plan de campagne hardi. Il se proposa d'atta-
quer les alliés dans Denain, avant qu'ils pussent recevoir le
moindre secours d'Eugène ; puis de tomber rapidement sur
Marchiennes, pour s'y emparer des immenses approvision-
nements de l'ennemi.
Il donna en conséquence des ordres succincts, comme s'il
allait délivrer Landrecies ; des ponts furent construits sur
les cours d'eau devant l'armée française de ce côté ; les tra-
vailleurs se dirigèrent vers la place investie par les alliés et
tous les mouvements des troupes françaises furent faits en
vue de tromper l'ennemi sur le but réel des opérations.
Eugène tomba dans le piège. Persuadé qu'il allait être atta-
qué sous Landrecies, il avait fait rapprocher de cette ville
— 142 —
l'armée d'observation, lorsque, le 23 juillet, au jour tombant,
Villars dirigea la plus grande partie de ses forces, avec un
équipage de ponts, vers l'Escaut. Ces troupes devaient mar-
cher sur Neuville, entre Bouchain et Denain, et y franchir le
fleuve immédiatement après leur arrivée.
Le passage de l'Escaut se fit sans opposition. Dès que le duc
d'Albermale, général des Hollandais, retranché sous Denain,
eut appris la marche rapide et inattendue des Français, il en
donna avis au prince Eugène, en lui demandant en toute
hâte du secours.
Les Français continuèrent à s'avancer au delà de l'Escaut,
malgré un marais profond qu'ils rencontrèrent, et arrivèrent
devant les lignes de Denain à Marchiennes. Ils forcèrent
ces lignes et prirent leurs dispositions pour attaquer aussitôt
le camp d'Albermale sous Denain, le 24 juillet 1712.
Les dispositions de Villars avaient été admirablement
prises : 20 bataillons, sous les ordres du comte de Coigny,
étaient restés en présence de l'armée du prince Eugène ; les
autres troupes, 50 bataillons, 105 escadrons, abordèrent le
camp de Denain, tandis que la garnison française de Valen-
ciennes reçut ordre d'attaquer de son côté le même point.
Le duc d'Albermale si vivement pressé envoyait heure par
heure des nouvelles au prince Eugène, pour qu'il hâtât la
marche des secours, surtout de l'artillerie. Le prince était
non loin de Denain, avec 14 bataillons d'élite, lorsque les
colonnes françaises, composées d'infanterie et de dragons
qui avaient mis pied à terre, s'avancèrent au pas de course
sur les retranchements des alliés, et, malgré un feu de mous-
queterie violent, parvinrent à entrer pêle-mêle dans le camp
ennemi.
A cet instant, les têtes de colonne du prince Eugène paru-
rent de l'autre côté de l'Escaut ; mais il était trop tard ! Les
— Wô -
troupes hollandaises culbutées et repoussées jusqu'aux bords
du fleuve, essuyèrent de grandes pertes; le duc d'Alber-
male rendit son épée avec plus de 3,000 hommes.
Les Français établis à Denain se trouvaient ainsi au centre
delà ligne alliée, clef de la position ennemie.
Marchiennes, investi pendant le combat par le comte de
Broglie, se rendit au bout de six jours. Cette place de dépôt
livra aux vainqueurs 5,000 hommes et d'immenses approvi-
sionnements .
La bataille de Denain, le plus beau fleuron de Villars, valut
à ce dernier le titre de Sauveur de la France. Ce combat eut
en eff'et des résultats inespérés.
Les places de Douai et de Boucliain, privées de communi-
cations depuis que les Français étaient maîtres de Mar-
chiennes, abandonnées à elles-mêmes, furent bientôt re-
prises. Eugène se vit forcé de lever le siège de Landrecies
el, de battre en retraite sur Mons. Le Quesnoy, demeuré sans
soutien, fut immédiatement assiégé et retomba au pouvoir
des Français.
Le combat de Denain eut aussi comme conséquence heu-
reuse pour la France de hâter la conclusion de la paix.
Les négociations engagées à Utrecht, depuis quelque
temps, aboutirent, au mois d'avril 1713. Le roi d'Espagne,
Philippe V, avait renoncé à ses droits éventuels à la couronne
de France, circonstance qui favorisa l'accord entre les négo-
ciateurs.
Diff'érents traités furent signés par la France et l'Espagne
d'une part, et la Hollande, l'Angleterre, la Prusse, la Savoie,
le Portugal de l'autre. L'empereur seul ne voulut pas aban-
— \u —
donner ses prétentions sur la monarchie espagnole et conti-
nua la guerre sur le Rhin.
Dans le traité avec la Hollande, il était stipulé que la mai-
son d'Autriche aurait la souveraineté des Pays-Bas espagnols.
Jusqu'à la conclusion d'un traité entre l'empereur et la Hol-
lande, les troupes hollandaises devaient remplacer les gar-
nisons françaises et espagnoles des forteresses cédées h
l'Autriche comme barrière de sûreté contre la France. Les
États-Généraux restituèrent à Louis XIV Lille, Bethune,
Saint-Venant et Aire. Les villes de Menin, Tournai, Furnes,
Dixmude, Ypres, Warneton, Commines, Werwick et le fort
de Knocke furent considérés comme faisant partie des Pays-
Bas, et gardés pour le moment par les Hollandais.
Par le traité avec la Savoie, on rendit à Victor-Amédée la
Savoie, le comté de Nice et leurs dépendances. L'île et le
royaume de Sicile furent cédés au duc.
L'électeur de Brandebourg fut reconnu roi de Prusse, par
la France et l'Espagne, en vertu d'un des traités signés à
Utrecht. H acquit en même temps la Haute-Gueldre et d'au-
tres territoires,
La guerre entre les Impériaux et les Français se poursuivit,
mais avec peu de vigueur. En 1713, le maréchal de Villars
s'empara sans difficulté de Spire, de Worms et de quelques
autres villes moins importantes du Rhin.
Il assiégea successivement Landau et Freibourg. La pre-
mière de ces villes capitula au bout de deux mois; la seconde
après un mois.
En mars 1714, le prince Eugène et le maréchal de Villars
signèrent à Rastadt les préliminaires de la paix entre la
France et remjjire.
— 14K -
Le traité détinitii' lut conclu îi Baden, le 7 septembre sui-
vant. Louis XIV conserva Landau ; toutes les places de la
rive droite du Rhin retournèrent à l'empereur qui prit pos-
session des Pays-Bas espagnols, conformément aux stipula-
tions du traité d'Utreclit.
Cette même année (15 novembre 1714), le traité entre
l'empereur et les Hollandais, sous la médiation de l'Angle-
terre, fut conclu à Anvers. Il reçut la dénomination de traité
de la Barrière.
Le traité de la Barrière, complément de ceux d'Utrecht,
de Rastadt et de Bade, fixait à 15,000 hommes l'effectif de
paix de l'armée des Pays-Bas, dont les trois cinquièmes h
fournir par l'empereur et les deux autres par les Hollandais.
Les troupes hollandaises devaient occuper exclusivement
Namur, Menin, Fumes, Warneton,Ypres et le fort de Knocke.
Termonde recevait une garnison d'Impériaux et de Hollandais.
Le trésor des Pays-Bas espagnols, devenus Pays-Bas autri-
chiens, devait payer annuellement à la Hollande 1,250,000
florins pour la solde des troupes des garnisons et l'entretien
des forteresses.
L'Angleterre garantit l'exécution de ces articles et s'enga-
gea à envoyer 10,000 hommes pour -défendre les places de la
Barrière, en cas d'attaque.
Louis XIV mourut le 1 septembre 1715.
Avec son règne finit la splendeur de la monarchie fran-
çaise.
10
ERRATA.
Page 10, ligne 14; après le mot Bothwell, ajoutez : Ce dernier parvint
à obtenir la main de la reine.
Page 14, ligne 11 ; au lieu de hohémiens, lisez bohémiens.
Page 18^ ligne 3; au lieu de inslilua les ordres du Saint-Esprit, pour
la noblesse, et de..., lisez releva l'ordre du Saint-
Esprit, créé en i518, par Henri III, pour la noblesse,
et institua l'ordre de...
Page 89, ligne 24; au lieu de Hu%jsbro\xk, lisez Muysbrouck.
Page 90, ligne 6; au lieu de prirent, lisez s'emparaient.
Page 98, ligne 3 ; au lieu de Marlborough engagea, lisez Marlborough
fit avancer.
TABLE DES MATIÈRES.
NOTICE HISTORIQUE.
PAGES
Pays-Bas 1
France 6
Angleterre. ..'... 9
Allemagne 11
Règne de Louis XIV 17
GUERRES DE LOUIS XIV.
I. Paix des Pyrénées. — Guerre de Flandre et de Franche-Comté.
— Paix d'Aix-la-Chapelle. — Guerre de Hollande. — Passage
du Rhin. — Maison du Roi. — Évacuation de la Hollande. —
Bataille de Seneffe 19
II. Turenne en Alsace et dans le Palatinat. — Bataille de Sinzheim.
— Combat d'Enzheim. — Affaire deTurkeim. — Mort de Turenne.
— Armée de la Moselle. — Turenne, Condé et MontecucuUi. —
Bataille de Cassel. — Surprise de Léau. — Paix de Nimègue, 31
III. Prise de Strasbourg. — Siège de Luxembourg. — Trêve q>
Ratisbonne. — Renseignements historiques. — Ligue d'Augs-
bourg. — Affaire de Walcourt. — Bataille de Fleurus .... 49
IV. Le prince Eugène. — Catinat. — Les Barbets. — Affaire de
Staffârde. — Sièges de Mons et de Namur par les Français. —
Bataille de Steenkerque. — Combat naval de la Hogue. — Ba-
taille de Neerwinden 50
V. Bataille de la Marsaille. — Le duc de Luxembourg. — Bom-
bardement de Bruxelles. — Prise de Namur par le roi Guillaume.
— Paix de Ryswick 68
VL Guerre de la succession d'Espagne. — Renseignements his-
toriques.— Guillaume III. — Le prince Eugène dans le Milanais.
— Surprise de Crémone. — Le duc de Vendôme. — Bataille de
Luzzara 74
VII. Opérations dans les Pays-Bas. — Siège de Liège. — Opéra-
tions en Allemagne. — Combat de Friedlingen. — Affaire d'Eec-
keren 83
— 148 —
VIII. Opérations de Villars sur le Danube. — Invasion dans le
Tyrol. — Première affaire de Hochstedt. — Les Camisards. —
Combat sur le Spirebach. — Combat de Donauwerth. — Bataille
de Hochstedt ou de Bleinheim 91
IX. Opérations d'Eugène en Italie. — Affaire de Cassano. — Opé-
rations de Marlboi'ough dans les Pays-Bas. — Bataille de Ra-
millies. — Bataille de Turin. — Villars en Allemagne. — Eugène
en Provence 105
X. Campagnes en Espagne de 1704 à 1707. — Campagne du duc
de Bourgogne dans les Pays-Bas. — Bataille d'Audenarde. —
Convoi dirigé d'Ostende à Lille. — Embuscade de Wynendaele. 115
XI. Opérations dans les Pays-Bas en 1708 et 1709. — Passage de
l'Escaut par l'armée de Marlborough. — Louis XIV demande la
paix. — Bataille de Malplaquet. — Siège de Mons par le prince
d'Orange 127
XII. Campagnes en Espagne de 1707 à 1710. — Opérations dans
leSj Pays-Bas en 1711. — Prise de Bouchain. — Départ de Marl-
borough.— Investissement de Landrecies. — Affaire de Denain.
— Paix d'Utrecht.— Traité de la Barrière.— Mort de Louis XIV. 134
CARTES ET PLANS.
CARTES pour suivre les opérations militaires dans les Pays-Bas ,
sur le Rhin, sur le Danube, en Esparjne et dans la Haute-Italie.
PLANS de la bataille de Slnzheim,
id.
Fleurus,
id.
Neerwinden,
id.
Friedlingen,
id.
Eeckeren,
id.
Donauwerth,
id.
Hochstedt,
id.
Ramillies,
id.
■Turin,
id.
Audenarde,
id.
Malplaquet.
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