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Full text of "Abrégé des guerres du régne de Louis XIV précédé d'une notice historique : conférences donnees au régiment des carabiniers"

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ABREGE 


DES  GUERRES 


RÈGNE  DE  LOUIS  XIV 


PRÉCÉDÉ   D  UNE    NOTICE    HISTORIQUE 


CONFÉRENCES   DONNEES  AU   RÉGIMENT   DES   CARABINIERS 


LE  CAPITAINE  MARCHAL 

Chevalier  de  rOrdre  de  Lcopold.  Oflicici  de  lOnlre  de  la  Giiiideloupc 


LOUVAIN 


V^^  G.-J.  FONTEYN,    LIBRAIRE -ÉDITEUR 


Ituc  de  Bruxelles  ,  (i 


1872 


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ABREGE    DES    GUERRES 


DU 


RÈGNE  DE  LOUIS  XIV 


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ABREGE 


DES  GUERRES 


DU 


RÈGNE  DE  LOUIS  XIV 


PRECEDE    D  UNE    NOTICE    HISTORIQUE 


CONFERENCES   DONNEES  AU    REGIMENT   DES   CARABINIERS 


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vLE  CAPITAINE  MARCHAL.CT^-^^ 

Chevalier  do  TOrdre  de  Léopokl,  Officier  de  l'Ordre  de  la  Guadeloupe 


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LOUVAIN 

V^  C.-J.  FONTEYN,    LIBRAIRE -ÉDITEUR 

Rue  de  Bruxelles,  6 

1872 


DC 
/ 1 7 

M3S 


Tous  droits  réservés. 


PRÉFACE. 


Cet  ouvrage  n'était  pas  destiné  à  la  publicité.  Il  n'a  été 
livré  à  l'impression  qu'à  la  demande  générale  de  MM.  les 
Officiers  du  Régiment  des  Carabiniers. 

Son  but  est  d'épargner  des  recherches  aussi  longues  que 
fatigantes  à  ceux  qui  veulent  avoir  un   court  aperçu   des  * 
guerres  du  règne   de   Louis   XIV,    et   principalement  aux 
officiers  qui  se  préparent  à  subir  les  examens  prescrits  par 
l'arrêté  royal  du  30  juin  1871. 

Ce  n'est  pas  un  livre  d'histoire,  mais  simplement,  comme 
l'indique  le  titre  de  Conférences,  un  résumé  des  principaux 
événements  militaires  du  règne  de  Louis  XIV,  d'après  des 
documents  puisés  dans  les  ouvrages  indiqués  ci-api'ès  : 
X Atlas  historique  de  Lesage  (comte  de  Las  Cases);  YHistoire 
des  guerres  des  Pays-Bas,  par  Carmichael-Smyth  ;  les  notes 
du  colonel  Lagrange  sur  le  précédent  ouvrage;  Y  Atlas  des 
plus  mémorables  batailles,  combats  et  sièges,  de  Kausler; 
les  fastes  généalogiques  de  la  Belgique ,    par  le   chevalier 


—      VI 


Marchal  ;  Le  siècle  de  Louis  XIV ,  par  Voltaire  ;  Louis  XIV ^ 
son  gouvernement  et  ses  relations  diplomatiques  avec  VEu- 
rope^  par  Capefigue;  YHistoire  de  France^  par  Anquetil; 
ï Histoire  d'Espagne,  par  (I'Ascargota ;  X Histoire  de  Bel- 
gique, par  Dewez;  La  guerre  de  1671  à  1673  entre  la 
France  et  la  Hollande,  (publiée  en  1675  à  Amsterdam,  sans 
nom  d'auteur)  etc. 


NOTICE  HISTORIQUE. 


PAYS-BAS. 


Charles-Quint,  né  à  Gand,  en  1500,  était  fils  de  Philippe- 
le-Beau  et  de  Jeanne  de  Castille.  Son  père  (fils  de  Maximilien 
d'Autriche  et  de  Marie  de  Bourgogne)  lui  légua  les  Pays-Bas 
et  la  Franche-Comté  ;  il  hérita  de  l'Espagne,  de  sa  mère  (fille 
de  Ferdinand  et  d'Isabelle  d'Espagne).  Plus  tard,  après  la 
mort  de  son  aïeul  Maximilien,  il  fut  élu  empereur  d'Alle- 
magne, et  devint  le  plus  puissant  monarque  que  fEurope 
eût  eu  depuis  Charlemagne, 

Charles-Quint  détermina  le  pape  Paul  III  à  convoquer  le 
concile  de  Trente,  pour  arrêter  les  progrès  de  la  réforme 
religieuse.  Le  concile  dura  dix-huit  ans  (1545-1563). 

Après  vingt  années  d'un  règne  fécond  en  événements,  ce 
monarque  abdiqua  la  couronne,  en  1556,  et  se  retira  au  mo- 
nastère de  Saint-Just,  en  Estramadure,  où  il  mourut,  en  1558. 
Philippe  II,  son  fils,  devint  roi  d'Espagne  et  lui  succéda  dans 
les  Pays-Bas  ;  Ferdinand  I,  son  frère,  fut  élu  empereur  d'Al- 
lemagne. 

Le  nouveau  souverain  ne  visita  jamais  les  Pays-Bas,  après 
son  couronnement  comme  roi  d'Espagne.  Ses  maximes  gou- 
vernementales furent  arbitraires  à  l'extrême,  et  en  désaccord 


—     2     — 

complet  avec  les  habitudes  de  liberté  et  les  coutumes  du 
peuple  et  de  la  noblesse  des  Pays-Bas. 

Vers  cette  époque,  la  réforme  gagnait  considérablement 
du  terrain.  Philippe ,  aussi  intolérant  dans  ses  principes 
religieux  qu'absolu  dans  ses  maximes  politiques,  résolut 
d'arrêter  les  progrès  de  ce  mouvement  par  la  violence,  et 
chercha  à  introduire  l'inquisition  dans  nos  provinces. 

Marguerite  de  Parme,  fille  naturelle  de  Charles-Quint,  avait 
été  envoyée  comme  gouvernante  dans  les  Pays-Bas,  en  1559. 
Elle  eut  pour  premier  ministre  Perrenot  de  Granvelle,  cardinal- 
archevêque  de  Malines.  Sous  ce  ministre  commencèrent  les 
premiers  troubles  religieux.  Les  nobles  du  pays  protestèrent 
contre  l'inquisition  et  présentèrent  à  Marguerite  une  requête 
[compromis  des  nobles,  5  avril  1566).  Trois  cents  confédérés 
se  rendirent,  à  cet  effet,  en  cortège,  au  palais  de  la  duchesse. 
Au  moment  où  la  pétition  lui  fut  présentée,  le  comte  de 
Berlaimont,  voyant  la  duchesse  effrayée  du  grand  nombre  des 
confédérés,  lui  avait  dit  à  demi-voix  :  «  Rassurez-vous,  Ma- 
dame, ce  n'est  qu'une  troupe  de  gueux.  »  Au  repas  que  le 
comte  de  Cuylembourg,  auteur  principal  de  la  requête,  donna 
le  soir  de  cette  audience,  le  comte  de  Bréderode,  ayant 
rapporté  ces  paroles,  proposa  le  nom  de  «  gueux  »  comme 
mot  de  ralliement  du  parti ,  et  l'assemblée  l'adopta  avec 
enthousiasme.  Après  le  banquet,  plusieurs  des  confédérés 
parurent  au  balcon  de  l'hôtel  de  Cuylembourg,  une  besace 
à  la  ceinture  et  une  écuelle  de  bois  à  la  main,  dans  laquelle 
ils  burent  à  la  santé  des  gueux.  Ce  fut  l'étincelle  qui  alluma 
l'incendie  de  la  révolution  et  amena,  quelques  années  plus 
tard,  la  séparation  des  provinces  septentrionales. 

Philippe  II,  afin  de  vaincre  la  rébellion,  envoya  le  duc 
d'Albe,  don  Alvarès  de  Tolède,  comme  gouverneur  des  Pays- 
Bas,  en  remplacement  de  Marguerite  de  Parme  (1567). 


—      o      — 


Le  duc  d'Albe  signala  le  commencement  de  son  adminis- 
tration en  faisant  périr  sur  l'échafaud  les  comtes  d'Egmont 
et  de  Horne,  et  en  ordonnant  de  nombreuses  exécutions.  Ces 
mesures  violentes  envenimèrent  le  mal.  Tous,  catholiques  et 
protestants,  se  liguèrent  contre  le  gouvernement  espagnol. 

Le  chef  principal  de  l'opposition  au  roi  Philippe  II  fut  Guil- 
laume de  Nassau,  prince  d'Orange,  né  en  1534,  à  Dillembourg, 
et  connu  sous  le  nom  de  Taciturne.  Il  devint  le  fondateur  de 
l'indépendance  néerlandaise,  par  la  séparation  des  sept  pro- 
vinces septentrionales  et  la  formation  d'une  puissante  répu- 
blique qu'il  gouverna  en  qualité  de  stadhouder  ou  chef  du 
pouvoir  exécutif. 

Vunion  d'Utrecht,  entre  les  provinces  du  nord,  date  de  jan- 
vier 1579. 

Le  duc  d'Albe,  exécré  à  cause  de  son  orgueil  et  de  ses 
cruautés,  fut  rappelé  en  Espagne,  en  1573,  et  remplacé  par 
don  Louis  de  Requesens,  troisième  gouverneur  des  Pays-Bas, 
jusqu'en  1576,  puis  par  don  Juan  d'Autriche,  fils  naturel  de 
Charles-Quint,  quatrième  gouverneur,  jusqu'en  1578. 

La  guerre  qui,  par  suite  de  ces  événements,  s'alluma  dans 
les  Pays-Bas,  et  qu'on  peut  dire  avoir  commencé  en  1568,  par 
la  bataille  livrée  à  Winschote  entre  les  comtes  de  Nassau  et 
d'Aremberg,  fut  continuée  avec  fureur  jusqu'en  1609,  pendant 
une  période  de  quarante-un  ans.  Une  trêve  de  douze  ans  fut 
alors  conclue  à  La  Haye.  Les  hostilités  recommencèrent,  en 
1621,  et  se  poursuivirent  jusqu'à  ce  que  la  paix  de  Munster 
(1648),  après  une  nouvelle  période  de  vingt-sept  années  de 
guerre,  vint  y  remettre  un  terme. 

L'autorité  de  Philippe  était  perdue  dans  les  sept  provinces 
protestantes  du  nord.  Dans  les  Pays-Bas  catholiques,  les 
exactions  des  chefs  espagnols,  les  procédés  arbitraires  des 
différents  gouverneurs  et  le  mépris  total  de  Philippe  pour 


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les  privilèges  et  les  coutumes  de  la  nation,  avaient  aliéné  les 
esprits  et  ébranlé  la  fidélité  de  chacun.  Les  provinces  catho- 
liques étaient  même  parvenues  à  expulser  don  Juan  d'Au- 
triche, à  démolir  plusieurs  citadelles  construites  par  les 
Espagnols  et  à  rassembler  une  armée  pour  prévenir  le  retour 
des  troupes  espagnoles,  qui,  peu  de  temps  auparavant, 
avaient  été  forcées  d'abandonner  les  Pays-Bas. 

Alexandre  Farnèse,  fils  de  Marguerite  de  Parme,  cinquième 
gouverneur-général,  succéda  à  don  Juan.  Il  unissait  une 
prudence  consommée  et  une  grande  persévérance  à  de  bril- 
lantes qualités  militaires.  Il  gouverna  les  Pays-Bas  de  1578 
à  1592.  Grâce  à  ses  efforts,  Philippe  II  conserva  son  autorité 
dans  nos  provinces. 

Philippe  II  mourut,  en  1598,  ayant  au  préalable  résigné 
son  pouvoir  dans  les  Pays-Bas  entre  les  mains  de  sa  fille, 
l'infante  Isabelle  et  de  l'archiduc  Albert,  qu'elle  avait  épousé. 

Après  Philippe  II,  l'Espagne  fut  gouvernée,  jusqu'en  1621, 
par  son  fils  Philippe  III,  qui  approuva  la  trêve  pour  l'indé- 
pendance des  Provinces-Unies,  et  par  Philippe  IV,  fils  du 
précédent,  de  1621  à  1665.  A  ce  dernier  succéda  son  fils, 
Charles  II  (1665-1700). 

L'archiduc  Albert,  neuvième  gouverneur,  et  l'infante  Isa- 
belle firent  leur  entrée  solennelle  à  Bruxelles,  en  novembre 
1599.  Ils  s'appliquèrent  à  calmer  les  ressentiments  par  tous 
les  moyens  en  leur  pouvoir  et  à  gagner  l'affection  de  leurs 
nouveaux  sujets  dans  les  provinces  catholiques. 

Albert  fit  le  fameux  siège  d'Ostende,  qui  dura  trois  ans. 

Guillaume-le-Taciturne  ayant  été  assassiné  par  Balthazar 
Geerart,  en  1584,  les  États-Généraux  conférèrent  les  fonc- 
tions suprêmes  de  stadhouder  à  son  fils  Maurice  de  Nassau, 


—     5     — 

capilaiiie-général  et  grand  amiral.  Il  fut  vainqueur  de  l'ar- 
chiduc Albert,  à  la  bataille  de  Nieuport  (1600),  et  mourut 
en  1625. 

Après  Maurice  de  Nassau,  Frédéric-Henri,  enfant  d'un 
autre  lit  du  Taciturne  (sa  mère  était  fille  de  l'amiral  français 
Coligny),  devint  stadhouder.  Frédéric  ne  vécut  pas  assez 
longtemps  pour  voir  l'indépendance  des  Provinces-Unies 
sanctionnée  par  le  traité  de  Munster.  Son  fds  Guillaume  II 
lui  succéda,  en  1647,  et  mourut  en  1650. 

Quelques  empiétements  du  stadhouder  ayant  froissé  la 
susceptibilité  des  États-Généraux,  il  fut  résolu,  à  la  mort  de 
Guillaume  II,  de  supprimer  le  stadhouderat,  et  le  gouverne- 
ment passa  entre  les  mains  de  quelques  hommes  énergiques, 
tels  que  le  pensionnaire  Cats  et  plus  tard  le  célèbre  pension- 
naire Jean  De  Witt,  qui  conduisirent  les  affaires  de  la  répu- 
blique avec  vigueur  et  intelligence. 

En  1660,  un  décret  des  États-Généraux  porta  que  le  fils 
de  Guillaume  II,  le  prince  d'Orange  Guillaume  III,  né  en 
1650,  serait  nommé  stadhouder  et  capitaine-général,  à  sa 
majorité.  Nous  verrons  ce  prince  h  l'œuvre  dans  les  guerres 
de  Louis  XIV. 

Nous  avons  déjà  dit  qu'en  1609,  farchiduc  Albert  signa 
avec  les  Hollandais  une  trêve  de  douze  ans.  L'archiduc  mou- 
rut à  Bruxelles,  en  1621,  peu  de  mois  après  la  fin  de  la  trêve. 
Isabelle  continua  l'administration  des  affaires  des  Pays-Bas 
jusqu'à  sa  mort  (1633). 

Parmi  les  gouverneurs  généraux  qui  lui  succédèrent  il 
importe  de  citer  :  Ferdinand,  cardinal-infant  (1634-1641); 
François  de  Mello  (1641-1644)  ;  l'archiduc  d'Autriche  Léopold 
Guillaume  (1647-1656)  ;  don  Juan  d'Autriche,  fils  naturel  de 
Philippe  III  (1656-1659)  ;  le  comte  de  Monterey  (1670-1675)  ; 


—     6     — 

Alexandre  Farnèse,  petit-tils  de  Marguerite  de  Parme  (1680- 
1682)  ;  enfin,  à  partir  de  1692,  Maximilien-Emmanuel,  élec- 
teur de  Bavière,  qui  joua  un  rôle  important  dans  les  guerres 
de  Louis  XIV. 

De  1701  à  1704,  en  l'absence  de  Maximilien-Emmanuel, 
qui  dut  se  rendre  en  Allemagne,  le  marquis  de  Bedmar  fut 
commandant-général  dans  les  Pays-Bas. 


FRANGE. 

Tandis  que  Charles-Quint  étendait  sa  domination  sur  plu- 
sieurs contrées  de  l'Europe,  François  I  régnait  en  France. 
Ce  prince,  après  la  victoire  de  Marignan  sur  les  Suisses,  fut 
armé  chevalier  par  Bayard  (1515). 

Les  deux  monarques  élevaient  des  prétentions  au  trône 
impérial  d'Allemagne.  Charles  l'ayant  emporté,  il  s'en  suivit 
une  rivalité  acharnée,  et  la  possession  du  Milanais  fut  l'occa- 
sion d'une  guerre  entre  eux. 

François  I  battu  à  Pavie  (1525),  fut  emmené  prisonnier  à 
Madrid.  Rendu  à  la  liberté,  il  refusa  de  remplir  les  engage- 
ments qu'il  avait  contractés. 

La  guerre  recommença  et  continua  avec  acharnement  jus- 
qu'à la  paix  de  Cambrai,  dite  paix. des  Dames  (1529). 

François  I  étant  mort  en  1547,  son  fils  Henri  II  monta 
sur  le  trône.  Il  épousa  Catherine  de  Médicis  et  mourut  d'un 
coup  de  lance  reçu  dans  un  tournoi  (1559). 

Les  troubles  religieux  en  France  commencèrent  sous  le 
règne  de  François  II,  fils  aîné  et  successeur  de  Henri  II,  pre- 
mier époux  de  Marie  Stuart,  reine  d'Ecosse. 


—     7     — 

François  II  mourut  en  1560,  laissant  le  trône  à  son  frère 
Charles  IX.  Ce  fut  sous  le  règne  de  ce  dernier  qu'eut  lieu,  à 
l'instigation  de  Catherine  de  Médicis,  sa  mère,  le  massacre 
des  huguenots  (La  Saint-Barthélémy,  24  août  1572). 

Charles  régna  jusqu'en  1574,  sans  laisser  de  postérité.  La 
couronne  de  France  passa  à  son  frère  Henri  III,  auquel  les 
États-Généraux  des  Pays-Bas  offrirent  la  souveraineté  qu'il 
refusa.  Il  fut  assassiné,  en  1589,  par  Jacques  Clément. 

Henri  IV,  roi  de  Navarre,  ayant  épousé  en  premières  noces 
Marguerite  de  Valois,  sœur  de  Henri  III,  succéda  à  ce  der- 
nier. Il  était  du  reste  descendant  de  saint  Louis,  roi  de 
France. 

Henri  professait  la  religion  protestante  et  fut  chef  des 
huguenots.  Aussi  la  Ligue  refusa-t-elle  de  le  reconnaître.  Il 
fut  vainqueur  du  duc  de  Mayenne ,  chef  des  ligueurs ,  à 
Arques  (1589)  et  à  Ivry  (1590),  assiégea  Paris  et  y  fit  son 
entrée,  en  1594. 

L'acte  le  plus  important  de  son  règne,  Védit  de Nantes{;V6^^), 
accordait  à  ses  sujets  la  liberté  de  conscience,  l'exercice 
public  du  culte  réformé  et  le  droit  d'aspirer  à  toutes  les 
charges,  sous  condition  de  renoncer  à  toute  ligue  avec  les 
ennemis  de  l'État.  Dirigé  par  Sully,  premier  ministre,  son 
gouvernement  s'attacha  à  réparer  les  maux  causés  par  la 
guerre  de  religion. 

Henri  IV  fit  la  guerre  contre  l'Espagne.  Les  hostilités  se 
terminèrent  par  la  paix  de  Vervins  (1598).  Il  fut  assassiné  par 
Ravaillac,  en  1610. 

Louis  XIII,  fils  aîné  et  successeur  de  Henri  IV,  régna  de 
1610  à  1643.  Il  n'était  âgé  que  de  neuf  ans  lorsqu'il  monta 
sur  le  trône.  Sa  mère,  Marie  de  Médicis,  se  fit  nommer  régente. 
Par  sa  laveur,  un  aventurier  italien  nommé  Concini,  qui 


-     8     — 

devint  marquis  et  maréchal  d'Ancre,  obtint  le  pouvoir.  Ses 
procédés  mécontentèrent  les  grands,  à  la  tête  desquels  se 
trouvait  le  prince  de  Condé. 

Le  maréchal  d'Ancre  ayant  été  assassiné,  Albert  de  Luynes 
le  remplaça.  A  celui-ci  succéda  le  cardinal  de  Richelieu, 
évêque  de  Luçon.  Il  instigua  toutes  les  guerres  contre  la 
monarchie  espagnole,  afin  d'établir  la  prépondérance  poli- 
tique de  la  France  en  Europe.  A  cet  effet,  il  envoya  des  se- 
cours et  des  subsides  à  la  république  de  Hollande.  Il  aida 
de  même  les  protestants  d'Allemagne,  qui  combattaient  con- 
tre l'empereur  Ferdinand  II,  et  contribua  ainsi  puissamment 
à  la  continuation  de  la  guerre  de  trente  ans  (1618-1648)  qui 
causa  la  ruine  de  l'Allemagne.  Pour  fortifier  le  pouvoir  royal, 
Richelieu  diminua  la  puissance  de  la  noblesse  et  anéantit 
l'importance  politique  des  huguenots  par  la  prise  de  la  Ro- 
chelle, la  dernière  forteresse  restée  en  leur  pouvoir.  Le 
puissant  cardinal-ministre  gouverna  la  France  pendant  dix- 
huit  ans  et  mourut  en  1642. 

Louis  XIV  n'avait  que  cinq  ans,  à  la  mort  de  son  père (1643). 
Sa  mère  Anne  d'Autriche,  nommée  régente,  laissa  à  la  tête 
des  affaires  le  cardinal  Mazarin,  qui  continua  la  politique  de 
son  prédécesseur  Richelieu.  Le  nouveau  ministre  n'eut  pas 
le  talent  de  se  rendre  populaire.  Le  parlement  de  Paris  refusa 
de  ratifier  les  mesures  financières  qu'il  avait  proposées  pour 
couvrir  les  frais  de  la  guerre  de  trente  ans.  Mazarin  ayant 
fait  arrêter  les  chefs  de  l'opposition,  la  guerre  civile  éclata. 
Elle  prit  le  nom  de  guerre  de  la  Fronde.  Condé  se  mit  à  la 
tête  des  révoltés,  mais  Turenne  qui  commandait  les  troupes 
royales,  défit  les  rebelles  et  rétablit  la  tranquillité. 

La  France  avait  déclaré  la  guerre  à  l'Espagne  depuis  1635. 
Une  grande  victoire  remportée  en  1643,  à  Rocroi,  par  le 


-     9     - 

jeune  duc  d'Eiigliien  Condé  II,  depuis  si  illustre  sous  le  nom 
de  grand  Condé,  releva  le  crédit  politique  de  Mazarin.  Les 
succès  furent  ensuite  contrebalancés  par  Turenne  et  Condé, 
d'une  part,  et  par  Tarchiduc  Léopold  et  don  Juan  d'Autriche, 
quinzième  et  seizième  gouverneurs-généraux  des  Pays-Bas, 
d'autre  part. 

La  paix  des  Pyrénées,  conclue  entre  don  Luis  de  Haro  et 
Mazarin ,  premiers  ministres  des  rois  d'Espagne  et  de 
France,  mit  fin  à  la  guerre.  Elle  fut  signée,  en  1659,  dans  l'île 
des  Faisans,  au  milieu  de  la  Bidassoa.  Un  article  du  traité 
stipulait  le  mariage  de  Marie-Thérèse,  infante  d'Espagne, 
fille  de  Philippe  IV,  avec  Louis  XIV. 

Mazarin  mourut  en  1661. 


ANGLETERRE. 

En  Angleterre,  la  terrible  guerre  des  Deux  Roses  (1455- 
1485)  pour  la  succession  du  royaume,  contestée  entre  les 
familles  de  Lancastre  (rose  rouge)  et  d'York  (rose  blanche), 
venait  à  peine  de  finir,  lorsque  Henri  VIII,  l'héritier  des 
Deux  Roses,  l'homme  aux  six  femmes  et  dont  le  règne  fut 
un  tissu  de  cruautés  et  de  scandales,  introduisit  le  schisme 
dans  son  pays.  Il  se  fit  proclamer  chef  suprême  de  l'Église 
anglicane,  afin  de  pouvoir  répudier  Catherine  d'Arragon  et 
épouser  Anne  de  Boulen  qu'il  fit  décapiter  plus  tard.  La  ré- 
forme se  propagea  sous  Edouard  VI,  fils  et  successeur  de 
Henri  VIII. 

La  sœur  d'Edouard,  Marie  Tudor,  fille  de  Catherine  d'Ar- 
ragon, monta  sur  le  trône  en  1553.  Elle  épousa  Philippe  II, 
roi  d'Espagne.  Cette  princesse  rétablit  le  catholicisme  en 
Angleterre, 


-     10     — 

L'infortunée  Jeanne  Grey  qu'Edouard  VI  avait  désignée 
comme  son  héritière  et  qui  avait  été  proclamée  reine,  à  la 
mort  de  ce  souverain,  poursuivie  par  l'implacable  ressenti- 
ment de  Marie  Tudor,  monta  sur  l'écliafaud  ainsi  que  le 
duc  de  Northumberland,  beau-père  de  Jeanne  et  Dudley,  son 
mari. 

Marie  Tudor,  morte  en  1558,  laissa  le  trône  à  sa  sœur 
Elisabeth,  fille  de  Henri  VIII  et  d'Anne  de  Boulen.  Elisa- 
beth, à  son  tour,  usa  de  la  force  pour  relever  le  protestan- 
tisme. 

Nous  avons  déjà  vu  que  Marie  Stuart,  reine  d'Ecosse,  avait 
été  unie  au  roi  de  France  François  II.  A  la  mort  de  ce  sou- 
verain, elle  épousa  son  cousin  Henri  Darnley,  qui  mourut 
assassiné  par  les  ordres  du  comte  de  Bothwell.  Ce  crime  et 
ce  mariage  furent  instigués  par  le  comte  de  Murray,  frère 
naturel  de  Marie,  gentilhomme  intrigant  et  ambitieux.  Après 
le  mariage,  Murray  dévoila  le  meurtre  commis  par  Both- 
well, et  accusa  publiquement  Marie  de  complicité  dans  ce 
forfait. 

Une  telle  révélation  mit  le  pays  en  émoi.  Marie,  faite  pri- 
sonnière, s'échappa.  Son  fils  Jacques  fut  nommé  roi  d'Ecosse 
et  Murray  régent.  Marie  dut  chercher  un  asile  auprès  de  la 
reine  Elisabeth;  mais  celle-ci  voulant  se  venger  des  préten- 
tions que  Marie  Stuart  avait  élevées  autrefois  au  trône  d'An- 
gleterre, la  tit  monter  sur  l'échafaud  (1587). 

Après  la  mort  d'Elisabeth  (1603),  son  plus  proche  parent, 
le  fils  de  Marie  Stuart,  Jacques  I,  monta  sur  le  trône.  Il 
réunit  sous  son  sceptre  l'Angleterre  et  l'Ecosse  et  devint 
ainsi  le  premier  roi  de  la  Grande-Bretagne. 

Charles  I,  fils  de  Jacques,  lui  succéda,  en  1-625.  Son  règne 
fut  malheureux." Il  soutint  les  droits  des  catholiques  et  mé- 
contenta ainsi  le  parlement  et  le  peuple.  Une  révolution 


-     H     — 

éclata  en  Angleterre  et  en  Ecosse.  Battu  dans  plusieurs  ren- 
contres, prisonnier  et  livré  par  les  Écossais,  Charles  mou- 
rut sur  l'écliafaud  (1649).  C'est  le  premier  exemple  de  régi- 
cide dans  l'histoire. 

La  république  fut  proclamée,  avec  le  fanatique  Olivier 
Cromwell  pour  protecteur  jusqu'en  1658.  Son  fils  Richard 
Cromwell  lui  succéda  dans  cette  dignité.  Impuissant  à  exer- 
cer la  dictature  militaire  avec  autant  d'énergie  que  son  père, 
il  laissa  toute  autorité  à  ses  généraux.  L'un  d'eux,  Lambert, 
se  rendit  maître  de  Londres  et  y  établit  un  parlement.  Cette 
odieuse  assemblée,  qui  mérita  le  nom  de  imrlement-croupiou 
amena  l'anarchie.  Le  général  Monck  profita  de  la  guerre 
civile  pour  restaurer  la  monarchie,  et  Charles  II,  fils  de 
Charles  I,  monta  sur  le  trône  (1660-1685).  A  l'avènement 
de  ce  prince,  la  réaction  fut  telle  que  le  peuple  viola  la  sépul- 
ture d'Olivier  Cromwell  et  traîna  son  cadavre  par  les  rues. 

A  Charles  II  succéda  Jacques  II  (1685-1688)  ;  ses  mesures 
impolitiques  le  rendirent  peu  populaire.  Il  dut  s'enfuir  en 
France. 

La  couronne  d'Angleterre  passa  au  prince  d'Orange  qui 
régna  sous  le  nom  de  Guillaume  III.  Ce  prince  avait  épousé 
Marie,  fille  de  Jacques  IL 


ALLEMAGNE. 

L'Allemagne,  issue  du  démembrement  de  l'empire  de  Char- 
lemagne,  formait,  au  quatorzième  siècle,  une  confédération 
dont  le  chef  était  nommé  par  la  Diète  ou  réunion  des  élec- 
teurs (Bulle  d'or  de  1356). 

Peux  familles  célèbres,  les  Habsbourg  et  les  Hohenzollern, 


—     12     — 

(elles  régnent  encore  de  nos  jours),  y  eurent  presque  toujours 
la  suprématie. 

Voici,  d'après  de  Las  Cases,  la  curieuse  origine  de  ces  deux 
familles. 

Rodolphe  de  Habsbourg  était  un  gentilhomme  de  l'Argau 
(Suisse).  Au  milieu  des  troubles  qui  avaient  ravagé  l'Allema- 
gne, il  s'était  acquis  la  réputation  de  grand  capitaine  et  de 
preux  chevalier.  Dans  sa  jeunesse,  il  avait  été  maître  d'hôtel 
d'Ottocar,  roi  de  Bohême.  Dans  un  âge  plus  avancé,  il  com- 
manda les  milices  de  Strasbourg  et  de  Zurich.  L'électeur 
de  Mayence  ayant  fait  un  voyage  à  Rome,  l'honnête  et  brave 
Rodolphe  l'avait  soigneusement  garanti  pendant  sa  route,  des 
brigands,  qui,  dans  ces  temps  de  désordres,  infestaient 
tous  les  chemins.  Ce  léger  service  lui  valut  la  couronne  im- 
périale. En  effet,  ce  même  électeur  présidait  alors  la  Diète 
d'élection,  et  la  reconnaissance  d'accord  avec  ses  intérêts  lui 
fit  proposer  son  généreux  défenseur  comme  chef  de  l'empire. 
Cependant  on  balançait  encore  ,  lorsqu'un  gentilhomme , 
Frédéric  de  Hohenzollern,  neveu  de  Rodolphe,  fit  valoir 
adroitement  une  considération  qui  réunit  tous  les  suffrages. 
Le  hasard  avait  voulu  que  trois  électeurs  ne  fussent  pas 
encore  mariés,  et  que  Rodolphe  eût  précisément  trois  filles 
nubiles.  Frédéric  n'eut  pas  de  peine  h  faire  comprendre 
tout  l'avantage  d'avoir  un  empereur  pour  beau-père.  Les  trois 
mariages  devinrent  les  termes  du  traité,  et  Rodolphe  fut 
solennellement  élu  (1273). 

Ce  Frédéric  de  Hohenzollern  fut  le  premier  chef  de  la 
maison  de  Prusse ,  comme  Rodolphe  celui  de  la  maison 
d'Autriche. 

Rodolphe  porta  sur  le  trône  les  talents  nécessaires.  Un  de 
ses  premiers  soins  fut  de  rétablir  l'ordre  parmi  ses  sujets,  et 
de  se  faire  respecter  de  ses  voisins. 


-     15    - 

Ottocar  régnait  en  Bohême.  Ce  prince,  à  la  faveur  de 
l'anarchie,  avait  secoué  le  joug  de  l'Allemagne  dont  il  était 
feudataire.  Il  s'empara  même  de  l'héritage  d'Autriche,  dont 
les  maîtres  s'étaient  éteints  durant  les  troubles. 

Rodolphe  le  somma  tout  à  la  fois  de  rendre  hommage  pour 
son  royaume  et  de  renoncer  à  son  usurpation.  Qu'on  se  figure 
toute  l'indignation  d'un  roi  puissant  qui  se  croit  bravé  par 
celui  qu'il  appelle  un  de  ses  anciens  domestiques.  Aussi  ne 
répondit-il  jamais  aux  sommations  de  l'empereur  que  par 
des  injures.  «  Que  me  veut  Rodolphe?  disait-il.  Ne  lui  ai-je 
»  pas  payé  ses  gages?  Je  ne  lui  dois  plus  rien.  »  Mais  si 
Rodolphe  savait  bien  revendiquer  ses  droits,  il  savait  encore 
mieux  les  défendre.  On  prit  les  armes,  on  se  battit,  et  Ottocar, 
vaincu,  fut  obligé  de  se  soumettre. 

La  prestation  de  l'hommage  devait  se  faire  dans  une  petite 
île  du  Danube,  dont  les  armées  occupaient  les  deux  rives. 
Ottocar,  pour  ménager  son  orgueil ,  avait  obtenu  que  la 
cérémonie  se  passerait  sous  une  tente,  à  l'abri  de  tous  les 
regards.  Déjà,  suivant  l'usage,  il  était  à  genoux  devant  son 
seigneur,  ses  mains  étaient  jointes  entre  les  siennes,  lorsque 
tout-à-coup,  par  une  tromperie  méchante,  la  toile  se  leva  et 
fit  voir  aux  deux  armées,  rangées  en  bataille,  le  fier  Ottocar 
dans  cette  position  humiliante.  Il  se  releva,  la  rage  dans  le 
cœur  et  reprit  les  armes,  mais  il  ne  fut  pas  plus  heureux. 
Vaincu  de  nouveau,  il  périt  dans  la  mêlée. 

Rodolphe  alors  s'empara  de  ses  États  et,  du  consentement 
de  l'empire,  investit  ses  enfants  de  la  plus  grande  partie  de 
l'héritage  d'Autriche. 

Telle  fut  l'origine  de  la  fortune  de  la  maison  de  Habsbourg, 
qui  s'est  élevée  depuis  à  un  si  haut  degré  de  gloire  et  de 
puissance. 


-     14     - 

Nous  avons  vu  après  Ghaiies-Quint,  son  frère  Ferdinand  I 
monter  sur  le  trône  impérial  d'Allemagne  (1556-1564).  La 
maison  d'Autriche  continua  à  régner,  savoir  :  Maximilien  II, 
de  1564  à  1576;  —  Rodolphe  II,  de  1576  à  1612  ;  —  Mathias, 
de  1612  à  1619;  —  Ferdinand  II,  de  1619  à  1637;  —  Ferdi- 
nand III,  de  1637  à  1657.  —  Léopold  I,  de  1657  à  1705. 

L'effervescence  religieuse  amena,  sous  le  règne  de  l'empe- 
reur Mathias,  les  dissensions  les  plus  graves.  La  guerre  de 
trente  ans  (1618-1648)  faillit  conduire  l'Allemagne  à  sa  perte. 
Le  prétexte  en  fut  des  plus  futiles  :  en  1618,  quelques  ecclé- 
siastiques hohémiens  firent  abattre  des  temples  protestants 
qu'on  avait  élevés  chez  eux.  Ce  prétexte  religieux  servit  à 
couvrir  en  réalité  les  projets  ambitieux  des  rois  de  Danemark 
et  de  Suède,  et  les  plans  de  Richelieu.  Tous  les  trois 
visaient  à  abaisser  la  maison  de  Habsbourg  qui  semblait 
vouloir  convertir,  à  son  bénéfice,  le  système  fédératif  de 
l'Allemagne  en  une  monarchie  héréditaire.  Une  réclamation 
ayant  été  adressée  à  Mathias ,  celui-ci  envoya  quelques 
délégués  à  Prague,  mais  les  protestants,  instigués  par  les 
manœuvres  de  l'électeur  palatin  Frédéric  V,  jetèrent  les 
représentants  de  l'empereur  par  les  fenêtres  du  château.  Cet 
acte,  connu  sous  le  nom  de  défenestration  de  Prague,  fut  le 
signal  de  la  guerre. 

Après  Mathias,  sous  le  règne  de  Ferdinand  II,  le  comte 
T'Serclaes  de  Tilly,  qui  commandait  l'armée  de  la  ligue  ca- 
tholique contre  celle  de  l'union  évangélique  protestante, 
sous  les  ordres  de  l'électeur  palatin,  gagna  une  bataille  déci- 
sive sous  les  murs  de  Prague.  L'union  évangélique  appela  à 
son  secours  le  roi  de  Danemark,  Christian  IV.  Trois  célèbres 
aventuriers  militaires,  le  comte  de  Mansfeld,  Bernard  de 
Saxe-Weimar  et  Christian  de  Brunswick  se  joignirent  à  lui 
contre  l'Autriche. 


—    m    - 

L'empereur  mit  à  la  tête  de  ses  troupes  Walstein  et  Tilly. 
Les  rebelles  furent  battus  de  rechef,  et  la  paix  allait  être 
conclue,  en  1629,  lorsque  le  roi  de  Suède  Gustave- Adolphe, 
un  des  plus  illustres  guerriers  de  ce  siècle,  intervint.  Il  rem- 
porta sur  Tilly  une  grande  victoire,  près  de  Leipzig  (1631),  et 
traversa  l'Allemagne  en  vainqueur. 

Tilly  étant  mort  d'une  blessure  reçue  à  Augsbourg,  l'empe- 
reur confia  le  commandement  à  Walstein  seul.  Celui-ci  livra 
à  Gustave-Adolphe  la  célèbre  bataille  de  Lutzen  (1632),  dans 
laquelle  ce  monarque,  égaré  par  le  brouillard,  se  jeta,  au  fort 
de  l'action,  au  milieu  des  troupes  ennemies  et  périt.  Les 
soldats  de  Gustave  vengèrent  sa  mort  par  une  victoire  écla- 
tante. 

L'empire  dut  lutter  aussi  contre  la  France.  Les  Espagnols, 
qui  soutenaient  la  ligue  catholique,  envahirent  la  Picardie, 
s'emparèrent  de  Corbie,  que  Richelieu  lui-même  vint  assiéger 
et  reprendre,  en  1636. 

Condé  gagna  la  bataille  de  Rocroi  (1643)  contre  Mello,  et 
ensuite  celle  de  Fribourg  (1644)  contre  Mercy,  général  au- 
trichien. Ce  dernier  battit  à  son  tour  Turenne,  à  Marienthall 
(1645),  mais  son  armée  fut  vaincue  par  les  Français,  à  Nord- 
lingue,  011  il  fut  tué  (1645). 

En  1648,  à  Lens,  Condé  fut  de  nouveau  vainqueur  des 
Espagnols,  commandés  par  l'archiduc  Léopold,  tandis  que 
Turenne  marchait  sur  Vienne. 

La  paix  de  Westphalie,  conclue  en  1648  par  le  congrès 
réuni  à  Munster,  mit  fin  à  la  guerre  de  trente  ans.  L'empire 
céda  la  prépondérance  à  la  France,  qui  acquit  l'Alsace  en 
toute  souveraineté.  Tous  les  princes  de  l'empire  recouvrè- 
rent les  États  dont  la  guerre  les  avait  privés  ;  la  Suède  acquit 
dé  vastes  territoires  dans  le  nord  de  l'Allemagne,  et  l'auto- 
rité politique  de  l'empereur  fut  tout-à-fait  amoindrie. 


-     16    - 


La  même  année  le  roi  d'Espagne  reconnut  la  république 
de  Hollande,  sous  Guillaume  de  Nassau,  prince  d'Orange. 


Nous  avons  déjà  parlé  de  la  famille  de  Hohenzollern.  En 
1415,  elle  avait  acquis  l'électoral  de  Brandebourg,  dont  elle 
prit  le  nom. 

Georges-Guillaume,  électeur  pendant  la  guerre  de  trente 
ans,  eut  un  règne  qui  semble  avoir  été  voué  aux  désastres' 
et  aux  revers.  Il  hérita  de  la  Prusse,  de  Clèves,  de  Juliers  et 
de  la  Poméranie,  mais  il  eut  constamment  à  disputer  ces 
beaux  pays  à  des  rivaux. 

Son  fils  Frédéric-Guillaume  lui  succéda  en  1640  ;  c'est  à 
son  avènement  que  commence  l'époque  brillante  de  la  mai- 
son de  Brandebourg.  Frédéric,  si  justement  connu  sous  le 
nom  de  grand  électeur,  affranchit  la  Prusse  de  la  domina- 
tion de  la  Pologne ,  termina  la  querelle  de  Juliers,  obtint 
définitivement  pour  sa  part  Clèves,  recouvra  une  partie  de 
la  Poméranie,  et  se  fit  accorder  pour  l'autre  d'amples  dédom- 
magements. Ce  prince  créa  par  son  génie  la  puissance  de  la 
Prusse;  il  mourut  en  1688. 

Frédéric  I,  profitant  de  l'ascendant  qu'avait  exercé  le 
grand  électeur  Frédéric-Guillaume,  son  père,  se  fit  couronner 
roi  de  Prusse,  en  1701.  Il  fut  reconnu  d'abord  par  l'empereur, 
qui  avait  besoin  de  lui  pour  lutter  contre  Louis  XIV,  et  bientôt 
après  par  le  reste  de  l'Europe. 

Du  règne  de  Frédéric  I  date  pour  le  royaume  de  Prusse 
une  ère  de  prospérité  et  de  splendeur  qui  s'est  développée 
jusqu'à  nos  jours. 


-     <7     - 
RÈGNE    DE    LOUIS    XIV. 

Le  jour  même  de  la  mort  de  Mazarin  (1661),  Louis  XIV 
déclara  qu'il  voulait  régner  seul.  Aussi  de  ce  moment  date 
son  avènement  réel. 

Louis  XIV  était  un  souverain  d'un  grand  génie,  mais  or- 
gueilleux et  ambitieux.  Sous  son  règne,  la  personne  royale 
domina  en  tout  et  centralisa  tous  les  pouvoirs. 

Il  eut  pour  ministre  de  la  guerre  le  marquis  de  Louvois, 
qui  augmenta  considérablement  les  forces  de  la  France.  Sous 
son  ministère,  on  divisa  l'armée  en  corps  constitués,  régi- 
ments, compagnies.  On  imposa  l'uniforme  et  les  manœuvres 
furent  réglementées.  Une  révolution  complète  se  fit  dans 
l'art  militaire. 

Pendant  les  premières  années  du  règne,  Fouquet  eut  la 
surintendance  des  finances.  Ses  prétentions  à  remplacer 
Mazarin  et  ses  anciennes  relations  avec  la  Fronde  causèrent 
sa  disgrâce.  Il  fut  accusé  de  dilapidation,  après  la  célèbre 
fête  de  Vaux,  jeté  en  prison  et  remplacé  par  Colbert,  finan- 
cier d'un  grand  mérite. 

Les  amours  du  roi  avec  M"^  de  Lavallière  et  M""'  de  Mon- 
tespan,  son  mariage  secret  avec  M™"  de  Maintenon,  veuve  du 
poète  cul-de-jatte  Scarron,  ont  eu  un  retentissement  im- 
mense. 

Louis  XIV  avait  un  frère,  Philippe  d'Orléans,  qui  épousa 
Henriette  d'Angleterre,  fille  de  Charles  I,  et  ensuite  la  prin- 
cesse palatine  Charlotte.  Ce  prince,  aux  mœurs  légères,  au 
caractère  dépravé,  mourut  en  1701. 

L'histoire  de  l'homme  au  masque  de  fer,  détenu  à  l'île 
Ste-Marguerite,  et  qu'on  présente  comme  celle  d'un  frère  du 
roi,  est  contestée  par  les  historiens. 

2 


—     18     — 

Louis  XIV  donna,  à  Versailles,  sa  résidence  favorite,  une 
splendeur  incomparable.  Il  embellit  Paris,  réorganisa  les 
armées  de  terre  et  de  mer,  institua  les  ordres  du  Saint-Es- 
prit pour  la  noblesse  et  de  Saint-Louis  pour  récompenser  le 
mérite  des  officiers,  fonda  l'hôtel  des  invalides  et  l'école  de 
Saint-Cyr,  fit  le  code  Louis,  créa  le  grade  de  maréchal  de 
France,  fonda  l'Académie  française  des  lettres,  sciences  et 
beaux-arts,  et  donna  en  un  mot  à  la  France  son  maximum 
d'éclat. 

Le  règne  de  Louis  XIV  qui  mourut  en  1715,  est  le  plus 
glorieux  et  le  plus  long  de  l'histoire  de  France.  Nulle  époque 
ne  fournit  autant  d'hommes  remarquables.  «Ge  monarque,  dit 
l'abbé  Maury,  dans  son  discours  de  présentation  à  l'Aca- 
démie française,  eut  à  la  tête  de  ses  armées  Turenne,  Condé, 
Luxembourg,  Gatinat,  Gréqui,  Bouflflers,  Montesquiou,  Ven- 
dôme et  Villars.  Château -Renaud  ,  Duquesne  ,  Tourville  , 
Duguay-Trouin,  commandaient  ses  escadres.  Golbert,  Lou- 
vois,  ïorcy,  étaient  appelés  à  ses  conseils.  Bossuet,  Bourda- 
loue,  Massillon,  lui  annonçaient  ses  devoirs.  Son  premier 
sénat  avait  Mole  et  Lamoignon  pour  chefs,  Talon  et  d'Agues- 
seau  pour  organes.  Vauban  fortifiait  ses  citadelles.  Riquet 
creusait  ses  canaux.  Perrault  et  Mansard  construisaient  ses 
palais.  Puget,  Girardon,  Le  Poussin,  Le  Sueur  et  Le  Brun  les 
embellissaient.  Le  Nôtre  dessinait  ses  jardins.  Gorneille, 
Racine,  Molière,  Quinaux,  La  Fontaine,  La  Bruyère,  Boileau 
éclairaient  sa  raison  et  amusaient  ses  loisirs.  Montausier, 
Bossuet,  Fénélon,  Huet,  Fléchier,  l'abbé  de  Fleury,  élevaient 
ses  enfants.  G'est  avec  cet  auguste  cortège  de  génies  immor- 
tels que  Louis  XIV,  appuyé  sur  tous  ces  grands  hommes,  se 
présente  aux  regards  de  la  postérité.  » 


GUERRES  DE  LOUIS  XIV. 


«  C'est  un  soleil  dont  l'aurore  est  obscurcie 
par  les  troubles  de  la  Fronde  ;  à  son  midi,  il 
brille  du  plus  bel  éclat  et  sa  chaleur  anime 
toute  la  terre  ;  des  nuages  sombres  signalent 
son  déclin  et  président  à  son  coucher.  » 

(Le  Comte  de  Las  Cases.) 


Paix  des  Pyrénées.  —  Guerre  de  Flandre  el  de  Franche- Comté.  — 
Paix  d.' Aix-la-Chapelle.  —  Guerre  de  Hollande. —  Passage  du  Rhin. — 
Maison  du  Eoi.  —  Évacuation  de  la  Hollande.  —  Bataille  de  Seneff'e. 


La  paix  conclue,  en  1659,  entre  l'Espagne  et  la  France, 
par  le  Timté  des  Pyrénées,  confirma  cette  dernière  puissance 
clans  la  possession  de  l'Alsace,  lui  acquit  de  plus  le  Roussil- 
lon  et  beaucoup  de  villes  des  Pays-Bas,  dans  le  Luxembourg, 
le  Hainaut,  l'Artois  et  la  Flandre.  La  nouvelle  frontière  fran- 
çaise s'étendait  à  peu  près  de  Gravelines  à  Montmédy.  Un 
des  articles  du  traité  de  paix  contenait  une  promesse  de 
mariage  entre  Louis  XIV  et  l'infante  d'Espagne  Marie-Thé- 
rèse qui  renonçait,  moyennant  une  dot  de  500,000  couronnes 
d'or,  à  tous  ses  droits  au  trône  d'Espagne  ou  à  quelque 
partie  que  ce  fut  de  la  monarchie  espagnole,  même  si  la 
famille  régnante  venait  à  manquer  d'héritier  mâle.  Le  mariage 
eut  lieu,  en  1660, 


—     20     — 

Le  roi  d'Espagne,  Philippe  IV,  mourut  en  1665,  ne  laissant 
pour  héritier  qu'un  fils  âgé  de  quatre  ans,  qu'il  avait  eu  d'un 
second  mariage  et  qui  régna  sous  le  nom  de  Charles  lï. 

Louis  XIV  réclama  aussitôt  les  duchés  de  Limbourg  et  de 
Brabant,  ainsi  que  la  Franche-Comté.  Les  prétentions  que  la 
cour  de  France  fit  valoir  au  profit  de  la  reine  étaient  fondées 
sur  le  droit  de  dévolution,  droit  purement  coutumier,  qui 
était  encore  en  vigueur  dans  certains  cantons  des  Pays-Bas, 
et  en  vertu  duquel  l'héritage  paternel  était  attribué  ou  dévolu 
aux  enfants  nés  d'un  premier  mariage. 

Après  deux  années  de  négociations  infructueuses,  la  lutte, 
quelquefois  suspendue  et  jamais  terminée,  de  la  France  et 
de  l'Espagne  recommença. 

Louis  XIV  rassembla  son  armée  à  Compiègne,  en  1666,  et 
envahit  les  Pays-Bas,  en  1667,  avec  trois  corps  d'armée.  Le 
premier,  fort  de  35,000  hommes,  et  commandé  par  le  roi 
ayant  sous  ses  ordres  le  maréchal  de  Turenne,  se  dirigea  sur 
Charleroi,  qui  fut  pris,  ainsi  qu'Ath,  Tournai,  Douai  et  Lille. 
Cette  dernière  ville,  la  seule  passablement  défendue  par  les 
Espagnols,  dut  capituler  au  bout  de  neuf  jours.  Le  deuxième 
corps,  comptant  8,000  hommes,  était  commandé  par  le  maré- 
chal d'Aumont.  Il  s'empara  d'Armentières,  Furnes,  Bergues- 
St-Vinox,  Courtrai  et  Audenarde.  Le  troisième  corps,  com- 
prenant 4,000  hommes,  sous  les  ordres  du  marquis  de  Créqui, 
resta  en  observation  dans  le  Luxembourg. 

L'Espagne  n'avait,  pour  résister  à  l'invasion,  qu'environ 
8,000  hommes,  commandés  par  le  comte  de  Marzin  et  le 
prince  de  Ligne.  Hors  d'état  d'arrêter  l'ennemi,  ces  généraux 
se  retirèrent  sur  Bruxelles.  Leur  arrière-garde  seule  fut  un 
peu  engagée  avec  les  Français. 

Après  la  reddition  de  Lille,  Louis  rentra  à  Paris,  laissant 
le  (.'onimand(!m('iit  à  Turenne  (jui  pril  Alost. 


—     21      — 

En  1668,  Louis  XIV,  en  personne,  envahit  la  Franche- 
Comté.  Le  prince  de  Condé  commandait  sous  lui.  Le  roi 
rencontra  peu  de  résistance,  les  Espagnols  n'étant  nullement 
préparés  à  la  guerre.  Il  prit  Besançon,  Salins,  Dôle  et  se 
rendit  maître  en  quinze  jours  de  toute  la  province. 

Ces  rapides  succès  alarmèrent  les  Provinces-Unies  et 
l'Angleterre.  Leurs  députés,  avec  ceux  de  Suède,  conclurent, 
à  l'instigation  de  De  Witt,  à  la  Haye,  le  traité  de  la  Triple 
Alliance,  pour  arrêter  les  progrès  des  armées  françaises. 

Cette  alliance  eut  pour  effet  immédiat  la  paix  d'Aix-la- 
Chapelle  (1668).  La  Franche-Comté  fut  restituée  à  l'Espagne, 
et  la  France  acquit  Charleroi,  Binche,  Ath,  Douai,  Tournai, 
Audenarde,  Lille,  Armentières,  Courtrai,  Bergues  et  Furnes. 
Ces  places  furent  aussitôt  fortifiées  par  Vauban. 

Louis  XIV  vivement  irrité  contre  les  Hollandais,  les  insti- 
gateurs de  la  Triple  Alliance,  et  poursuivant  son  dessein  de 
réunir  les  Pays-Bas  à  la  monarchie  française,  se  détermina 
à  porter  la  guerre  d"iis  les  Provincîes  Unies. 

Il  entreprit  d'abord  de  s'attacher  l'Angleterre  et  envoya, 
dans  ce  but,  k  la  cour  de  Charles  II,  Henriette,  sœur  de  ce 
souverain.  Cette  princesse  avait  épousé  le  duc  Philippe 
d'Orléans,  frère  de  Louis  XIV. 

Charles  II  promit,  au  mépris  de  la  Triple  Alliance,  6,000 
hommes  de  troupes  anglaises  et  sa  flotte.  Il  devait  obtenir 
en  échange  les  îles  de  Walcheren  et  une  somme  considérable. 
Yolaine  de  Kéroual,  qui  accompagnait  Henriette  et  devint 
plus  tard  favorite  du  roi  d'Angleterre  et  duchesse  de  Ports- 
mouth,  contribua  à  cette  négociation.  La  cour  de  France 
parvint  aussi  facilement  à  gagner  l'alliance  de  la  Suède. 
Cette  puissance,  en  retour  d'un  fort  subside,  prit  l'engage- 
ment d'envoyer  10,000  fantassins  et  6,000  chevaux,  contre 


—     22     — 

tout  État  d'Allemagne  qui  tenterait  de  secourir  les  Hollan- 
dais. Louis  s'assura  enfin  du  concours  de  l'évêque  de  Mun- 
ster et  de  l'électeur  de  Cologne.  L'Espagne  résista  à  tous 
les  efforts  tentés  pir  la  France.  D'un  autre  côté,  l'électeur 
de  Brandebourg,  Frédéric-Guillaume,  résolut  d'appuyer  la 
Hollande  et  s'engagea  à  lui  fournir  20,000  hommes. 

Louis  XÏV  commença  les  hostilités  ei5  faisant  envahir  la 
Lorraine  par  le  maréchal  marquis  de  Créqui  (1670).  Le  duc  de 
Lorraine  s'enfuit  en  Allemagne.  La  possession  de  la  Lorraine, 
interceptait  toute  communication  entre  les  Pays-Bas  et  la 
Franche-Comté. 

Le  16  avril  1672,  6,000  Anglais,  sous  les  ordres  du  duc  de 
Monmouth,  fils  naturel  de  Charles  II,  vinrent  renforcer  les 
Français.  Louis  lança  alors  sa  déclaration  de  guerre.  Son 
armée,  forte  de  130,000  hommes,  était  divisée  en  trois  corps 
commandés  respectivement  par  Turenne,  le  prince  de  Condé 
et  le  comte  de  Chamilly.  Condé  devait  former  l'avant-garde. 
Le  roi  accompagnait  le  corps  de  Turenne  auquel  était  attaché 
le  contingent  britannique  où  Churchill,  duc  de  Marlborough, 
servait  comme  capitaine. 

L'armée  française  marcha  sur  Charleroi,  de  là  vers  la 
Meuse  qu'elle  franchit  à  Maeseyck,  pour  envahir  la  contrée 
par  la  trouée  entre  le  Rhin  et  la  Meuse;  on  évitait  ainsi 
Maestricht  qui  fut  bloqué.  Les  diverses  villes  des  rives  de 
la  Meuse  et  du  Rhin  se  rendirent  sans  résistance. 

Les  Hollandais  avaient  environ  50,000  hommes  dont  les 
trois  quarts  étaient  dispersés  dans  les  forteresses.  Le  prince 
d'Orange,  Guillaume-Henri  de  Nassau,  plus  tard  roi  d'Angle- 
terre, alors  âgé  de  22  ans,  vint  avec  12,000  hommes  occuper 
la  rive  droite  de  l'Yssel,  pour  en  disputer  le  passage  aux 
Français. 

La  sécheresse  de  la  saison  avait  rendu  le  Rhin  guéable  à 


—     23     — 

peu  près  à  la  jonction  de  ce  lleuve  avec  l'Yssel,  près  d'une 
vieille  tourelle  qui  servait  de  bureau  de  péage  et  qu'on  nom- 
mait le  Tolkuys.  Dix-sept  soldats  hollandais  occupaient  ce 
poste. 

Des  gens  du  pays  informèrent  les  Français  de  cet  état  de 
choses.  Le  gué  fut  reconnu  avec  soin  et  jugé  praticable  à  la 
cavalerie,  sauf  sur  une  distance  d'une  vingtaine  de  pas  h  tra- 
verser à  la  nage.  Le  passage  fut  aussitôt  décidé  d'après  cette 
reconnaissance. 

Sur  la  rive  opposée  se  trouvait  le  feld-maréchal  Wurtz, 
avec  quatre  régiments  de  cavalerie  et  deux  d'infanterie, 
troupes  allemandes  et  hollandaises,  retranchées  derrière  un 
parapet  en  terre,  à  une  lieue  de  l'endroit  oii  les  Français 
devaient  franchir  le  tleuve. 

«  Ce  fut,  dit  Gapefigue,  un  beau  spectacle  que  le  matin  du 
o  juin  1672.  Le  régiment  des  cuirassiers  dont  le  comte  de 
Rével  était  le  colonel,  commença  à  s'enfoncer  dans  les  eaux 
du  Rhin.  Ces  hommes  de  forte  stature,  bardés  de  cuirasses, 
montés  sur  des  chevaux  de  haute  taille,  s'avançaient  par 
escadron  à  travers  le  courant  du  fleuve.  Leurs  armes  bril- 
laient de  mille  feux  resplendissant  au  soleil.  Parvenus  au 
milieu  du  Rhin,  les  cuirassiers  ne  purent  tenir  leurs  rangs  ; 
quelques  uns  furent  entraniés  par  la  rapidité  du  flot  et  se 
noyèrent.  Heureusement  pour  eux,  le  feld-maréchal  Wurtz 
n'avait  aucune  artillerie,  tandis  que  Condé  les  protégeait  de 
quelques  volées  de  coup  de  canon,  et  de  nouveaux  escadrons 
se  mirent  en  bataille  au  bord  de  l'eau.  » 

Ainsi  passèrent  presque  sans  risque  la  meilleure  cavalerie 
et  les  volontaires  gentilshommes  de  la  Maison  du  Roi,  en 
tout  15,000  hommes.  A  peine  quelques  cavaliers  hollandais 
entrèrent-ils  dans  la  rivière  en  faisant  un  simulacre  de 
défense.  Ils  s'enfuirent  au  bout  de  quelques  instants  devant 


—     24     - 

la  multitude  qui  venait  à  eux.  La  Maison  du  Roi  attaqua  les 
retranchements  défendus  par  le  maréchal  Wurtz.  Celui-ci  tî  ^ 
sa  retraite  avec  précipitation,  délaissant  son  arrière-garde 

Il  n'y  aurait  eu  personne  de  tué  dans  cette  journée,  sans 
l'imprudence  du  jeune  duc  de  Longueville,  neveu  de  Condé. 
On  dit  qu'ayant  la  tête  troublée  par  les  fumées  du  vin,  il  tira 
un  coup  de  pistolet  sur  les  ennemis  qui  demandaient  grâce» 
en  leur  criant  :  «  Point  de  quartier  pour  cette  canaille  !  »  Le 
coup  avait  tué  un  de  leurs  officiers.  L'infanterie  hollandaise 
exaspérée  saisit  aussitôt  ses  armes  et  tua  le  jeune  duc,  auteur 
de  cette  injustifiable  agression.  Un  capitaine  de  cavalerie 
hollandaise,  nommé  Ossembroek,  courut  au  prince  de  Condé, 
au  moment  où  celui-ci,  ayant  effectué  le  passage  en  bateau» 
mettait  pied  à  terre  et  s'apprêtait  à  monter  à  cheval.  L'officier 
appuya  son  pistolet  à  la  tête  du  prince,  mais  Condé,  par  un 
brusque  mouvement,  détourna  le  coup  qui  lui  fracassa  néan- 
moins le  poignet. 

Les  Français  irrités  passèrent  par  les  armes  tous  les 
ennemis  qu'ils  purent  atteindre. 

Louis  XIV,  après  avoir  dirigé  lui-même  toute  la  marche, 
traversa  le  fleuve,  avec  l'infanterie,  sur  un  pont  de  bateaux. 

Avant  de  continuer  notre  récit,  disons  quelques  mots  de 
la  Maison  du  Roi  dont  nous  venons  de  parler. 

Sous  Louis  XIV,  tout  gentilhomme  devait  servir  en  temps 
de  guerre.  Gomme  il  n'y  avait  pas  assez  de  places  d'officiers 
vacautes  dans  les  régiments,  pour  les  nobles  qui  se  pré- 
sentaient, le  roi  résolut  de  former  un  corps  spécial  de  tous 
ceux  d'entre  eux  laissés  sans  emploi.  Ce  corps  s'appelait 
Maison  du  Roi  et  comptait  environ  2,000  nobles.  Louis  XIV 
traitait  avec  une  grande  déférence  les  volontaires  de  sa  Mai- 
son. Il  se  découvrait  souvent  en  leur  présence,  et  ne  les 


-as- 
saillait jamais  que  du  nom  de  «  Messieurs.  »  Dans  les  camps, 
ces  brillants  gentilshommes  menaient  une  vie  bruyante. 
Leurs  loisirs  étaient  partagés  entre  un  jeu  effréné  et  la  bonne 
chère  ;  aussi,  Louis  se  crut-il  obligé  de  leur  imposer  une 
discipline  sévère.  Sur  les  champs  de  bataille,  la  Maison  du 
Roi  était  admirable  de  valeur. 

La  position  du  prince  d'Orange  étant  tournée  par  le  pas- 
sage du  Rhin,  effectué  par  l'armée  française,  Louis  XIV 
traversant  de  nouveau  le  fleuve,  mais  cette  fois  sans  aucune 
difficulté,  pénétra  au  cœur  de  la  Hollande  et  subjugua  les 
provinces  de  Gueldre,  d'Over-Yssel  et  d'Utrecht.  Il  fixa  sa 
cour  dans  la  ville  d'Utrecht,  et  s'apprêtait  à  marcher  sur 
Amsterdam,  mais  il  fut  arrêté  dans  ses  conquêtes,  les  Hol- 
landais ayant  coupé  les  digues  et  inondé  le  pays. 

Le  plan  de  campagne  de  Louvois  était  d'arriver  à  Amster- 
dam par  terre,  à  la  faveur  des  gelées,  tandis  que  les  flottes 
française  et  anglaise,  sous  les  ordres  du  duc  d'York,  qui  régna 
plus  tard  sous  le  nom  de  Jacques  II,  attaqueraient  par  le 
Zuiderzee.  Ces  projets  furent  déjoués  par  l'intrépide  amiral 
Ruyter,  qui  battit  les  flottes  ennemies  à  Scheveningue. 

Les  Hollandais  demandèrent  bientôt  la  paix,  mais  ils  ne 
reçurent  que  des  réponses  pleines  de  hauteur  et  des  proposi- 
tions inacceptables. Désespérés,  ils  rétablirent  le  stadhouderat, 
aboli  antérieurement,  et  donnèrent  au  jeune  prince  d'Orange, 
l'ardent  partisan  de  la  continuation  de  la  guerre,  toutes  les 
charges  de  ses  prédécesseurs.  Une  populace  furieuse  mas- 
sacra le  grand  pensionnaire  Jean  De  Witt  et  son  frère  Cor- 
neille, républicains  zélés  et  excellents  citoyens,  mais  qui, 
par  leur  opposition  à  la  continuation  de  la  guerre  et  à  la 
maison  d'Orange,  étaient  regardés  comnie  les  auteurs  des 
calamités  de  la  patrie. 


—     26     - 

La  campagne  de  Hollande,  que  nous  venons  de  décrire, 
est  appelée  par  quelques  historiens  la  Guerre  des  médailles. 
En  effet,  après  la  paix  d'Aix-Ia-Gliapelle,  les  Hollandais  firent 
frapper  plusieurs  médailles  commémoratives ,  dont  l'une , 
représentant  le  soleil  s'éteignant  sous  des  flots  d'eau,  avait 
cet  exergue  :  lu  conspectu  meo  stetit  sol.  (En  ma  présence  le 
soleil  s'arrêta.)  L'allusion  était  évidente,  car  un  ambassadeur 
des  Provinces-Unies,  à  Paris,  portait  le  nom  de  Josué,  et 
Louis,  pour  signaler  que  rien  ne  pouvait  égaler  sa  gloire, 
avait  pris  pour  emblème  un  magnifique  soleil  avec  la  devise  : 
Nec  pluribus  impar. 

Une  telle  insulte  devait  blesser  l'irritable  fierté  de 
Louis  XIV.  Aussi  parmi  les  conditions  imposées  à  la  Hollande, 
après  l'invasion  de  1672,  il  était  stipulé  qu'en  reconnaissance 
de  la  paix,  les  États-Généraux  feraient  présent,  chaque  année, 
à  Sa  Majesté,  d'une  médaille  d'or  pesant  un  marc,  laquelle 
perpétuerait  la  bonté  du  roi  de  France  envers  la  Hollande. 

Entretemps  l'électeur  de  Brandebourg  arriva  avec  20,000 
hommes  au  secours  de  la  Hollande.  Les  Français  furent 
obligés  d'envoyer  contre  lui  le  maréchal  de  Turenne  avec 
12,000  hommes,  qui  passèrent  le  Rhin  à  Wesel,  pour  opérer 
de  concert  avec  les  petits  États  allemands. 

Léopold  I  envoya  le  comte  de  Montecuculli,  avec  un  corps 
d'armée,  pour  agir  avec  l'électeur  de  Brandeboui'g  ;  mais  le 
comte  n'entreprit  rien,  les  Franç^'ais  n'ayant  menacé  aucune 
place  de  l'empire. 

Le  corps  de  Turenne  fut  renforcé  et  menaça  la  Westphalie. 
Aussitôt  l'électeur  de  Brande])ourg,  craignant  pour  ses  pro- 
pres États,  fit  la  paix.  Le  duc  de  Lorraine  dépossédé  parvint 
à  lever  18,000  hommes  et  l'Espagne  déclara  la  guerre  à  la 
France. 


—     27     — 

Cependant  Conclé  investit  subitement  Maestricht,  dont 
Louis  XIV  dirigea  le  siège.  La  place  fut  prise  en  treize  jours 
(29  juin  1673).  Ce  siège  est  mémorable  parce  que  c'est  le 
premier  où  l'on  ait  fait  usage  de  zigzags,  d'après  la  méthode 
introduite  par  Vauban. 

Le  prince  d'Orange,  renforcé  d'un  contingent  espagnol, 
assiégea  et  reprit  Naarden,  passa  le  Rhin  à  Wesel,  et  alla 
faire  sa  jonction  avec  Montecuculli,  près  de  Bonn,  évitant  le 
corps  d'armée  de  Turenne. 

En  présence  des  corps  d'armée  considérables  des  Hollan- 
dais, des  Espagnols  et  des  Impériaux,  qui  menaçaient  les 
Français  à  revers,  ceux-ci  évacuèrent  toutes  leurs  conquêtes 
de  Hollande,  sauf  Grave,  Maeseyck  et  Maestricht  et  se  reti- 
rèrent en  Belgique.  Les  Impériaux  prirent  leurs  quartiers 
d'hiver  dans  l'électoral  de  Cologne. 

L'année  suivante  (1674),  le  Parlement  d'Angleterre  ayant 
refusé  tout  subside  pour  la  guerre  contre  les  Hollandais,  le 
roi  Charles  II  fut  obligé  de  faire  la  paix  avec  eux.  Le  corps 
de  Monmouth  continua  néanmoins  à  rester  sur  le  continent, 
comme  partie  intégrante  de  l'armée  de  Turenne.  Les  petits 
États  d'Allemagne  firent  aussi  la  paix  avec  les  Provinces- 
Unies,  et  Frédéric-Guillaume  renouvela  avec  elles  le  traité 
d'alliance,  en  vertu  duquel  il  devait  fournir  un  contingent  de 
20,000  hommes. 

Léopold  ï  déclara  la  guerre  à  la  France. 

Louis  XIV  mit  trois  armées  en  campagne.  Condé  eut  le 
commandement  de  celle  des  Pays-Bas,  forte  de  40,000  hom- 
mes ;  Turenne  de  celle  du  Rhin,  comptant  20,000  hommes, 
tandis  que  le  roi  lui-même  prit  le  commandement  de  la 
troisième,  évaluée  à  près  de  60  à  70,000  combattants  destinés 
à  opérer  dans  la  Franche-Comté. 


—     28     — 

L'ancien  plan  de  campagne  de  Louvois  fut  totalement 
changé,  en  présence  de  la  position  des  armées  alliées  à  com- 
battre. Il  ne  pouvait  plus  être  question  de  prendre  le  Zuider- 
zee  comme  objectif.  La  principale  ligne  d'opération  devaient 
être  le  Rhin  et  les  Vosges.  Il  fut  donc  décidé  que  Condé  se 
tiendrait  sur  la  défensive  dans  les  Pays-Bas,  que  le  roi  en- 
trerait dans  la  Franche-Comté,  tandis  que  Turenne  marche- 
rait par  l'Alsace  vers  le  Palatinat,  pour  empêcher  aux  alliés 
le  passage  du  Rhin. 

L'invasion  de  la  Franche-Comté  se  fit  sans  rencontrer  de 
résistance.  En  moins  d'un  mois,  le  corps  d'armée  de  Louis, 
sous  lequel  commandait  le  duc  de  Navailles ,  s'empara  de 
tout  le  territoire  ;  et  de  Vesoul  à  Lons-le-Saulnier,  le  dra- 
peau français  remplaça  le  drapeau  espagnol. 

Condé  vint  prendre  position  entre  Mons  et  Charleroi.  Le 
prince  d'Orange  voulut  s'opposer  à  lui,  mais  bien  que  re- 
cherchant une  bataille,  il  n'osa  attaquer  les  Français,  dans 
l'excellente  position  stratégique  qu'ils  occupaient.  Le  prince 
se  rabattit  sur  Audenarde,  dans  le  but  d'en  faire  le  siège.  Son 
armée,  forte  de  55,000  hommes,  était  composée  d'Espagnols, 
sous  les  ordres  du  comte  de  Monterey,  vingtième  gouver- 
neur des  Pays-Bas,  d'Allemands  conduits  par  le  comte  de 
Souches,  et  de  Hollandais,  sous  son  propre  commandement. 

Le  21  août  1674,  au  matin,  l'armée  alliée  se  trouvait  à  la 
hauteur  de  Seneffe,  marchant  vers  Ath  et  prêtant  ainsi  le 
liane  aux  attaques  de  l'ennemi.  Devant  traverser  plusieurs 
défilés,  elle  fut  obligée  de  se  morceler.  La  cavalerie  alle- 
mande constituait  l'avant-garde.  Le  corps  de  bataille,  formé 
principalement  d'infanterie  hollandaise  et  sous  les  ordres 
directs  d'Orange,  venait  ensuite;  enhn  l'arrière-garde  du 
comte  de  Monterey  fermait  la  marche.  Le  terrain  très-acci- 


—     29     — 

denté  était  couvert  de  haies  et  de  bois  ou  entrecoupé  de 
marais. 

Gondé,  parfaitement  au  courant  de  tous  les  mouvements 
de  l'ennemi,  fondit  sur  l'arrière-garde,  qui  sortait  du  village 
de  Seneffe  et  était  séparée  du  reste  des  troupes.  Au  bruit  de 
cette  surprise,  le  prince  d'Orange  accourut.  L'arrière-garde 
culbutée  d'abord  parvint  à  se  reformer  au  village  de  Fayt 
dont  elle  se  fit  un  point  d'appui.  L'infanterie  hollandaise  cou- 
ronna immédiatement  toutes  les  hauteurs  boisées  sur  sa 
gauche.  A  cette  époque,  on  ne  connaissait  pas  encore  l'art 
de  se  porter  d'une  position  à  une  autre  en  s'y  déployant  ra- 
pidement; aussi  les  chocs  successifs  des  Français  furent 
infructueux.  Les  assaillants  s'étaient  heurtés  contre  la  co- 
lonne presqu'entière  des  Hollandais.  L'action  fut  des  plus 
acharnées  et  dura  douze  heures.  Deux  fois  les  Français 
virent  leurs  assauts  repoussés.  La  nuit  étant  survenue,  la 
bataille  continua  à  la  clarté  de  la  lune.  A  minuit,  Gondé  or- 
donna une  dernière  attaque  (1),  mais  toutes  les  positions  en- 


(1)  Malgré  la  position  formidable  de  rennemi ,  emporté  par  son 
com^age,  et  se  flattant  d'ailleurs  que  la  terreur  qu'avait  dû  répandre 
son  premier  succès  pourrait  en  entraîner  un  second ,  Condé  mai-che 
en  avant  avec  inti-épidité.  Dans  ce  moment ,  Fourilles ,  un  de  ses 
meilleurs  officiers  et  à  qui  l'arme  de  la  cavalerie  devait  une  discipline 
nouvelle,  voulut  lui  faire  quelques  observations  sur  un  ordre  d'attaque 
qu'il  reçut  du  prince.  «  Ce  ne  sont  point  des  conseils  que  je  vous 
demande,  répondit  le  pi'ince,  dont  la  bouche  n'était  pas  assez  fermée 
aux  pai"oles  d'outrage  et  d'impatience,  ce  n'est  pas  d'aujourd'hui  que 
je  sais  que  vous  aimez  mieux  raisonner  que  combattre.  »  Fourilles  ne 
méritait  pas  un  tel  reproche  :  il  obéit  frémissant  de  rage  et  disperse 
tout  devant  lui.  Mais  il  est  frappé  d'un  coup  mortel;  il  tombe,  et  encore 
sensible  à  son  affront  :«  Je  ne  demande  à  Dievi,  dit-il  en  expirant, 
qu'une  heui'e  de  vie,  poia-  voir  comment  monsieur  le  prince  se  tii'era 
d'affaire.»  11  l'aurait  vu  victorieux;  mais  parce  que  Condé,  à  la  tête  des 
gardes  du  corps,  paya  de  sa  personne  et  vainquit  l'opiniâtreté  de  ses 
adversaires  autant  que  leur  courage.   Le  général  espagnol  marqviis 


—     50     — 

nemies  étaient  évacuées.  Cette  sanglante  journée  n'amena 
aucun  résultat.  25,000  hommes  environ  furent  tués  ou  blessés. 
Le  bouillant  Condé  eut  trois  chevaux  tués  sous  lui  et  faillit 
être  fait  prisonnier. 

Les  deux  partis  s'attribuèrent  l'avantage.  Cependant  le 
prince  de  Condé  n'avait  pas  réussi  à  couper  l'arrière-garde 
alliée,  tandis  que  le  prince  d'Orange,  poursuivant  sa  marche, 
put  investir  Audenarde. 

Vauban,  qui  avait  la  direction  de  la  défense  de  la  place, 
ordonna  d'ouvrir  les  écluses  de  l'Escaut,  à  Tournai.  L'inon- 


d'Assentar,  frappé  de  six  blessures,  refusa  de  quitter  le  champ  de 
bataille,  et  une  septième  lui  enleva  la  vie.  Imitant  son  exemple,  la 
plupart  des  autres  officiers  furent  tués  ou  grièvement  blessés.  Le 
prince  d'Orange  se  fortifia  en  hâte  derrière  des  bois  et  des  marais 
dominés  par  des  hauteurs  où  il  plaça  son  artillerie,  et  conservant 
toujours  l'avantage  du  nombre,  il  se  donna  encore  celui  de  la  posi- 
tion. Mais  la  déroute  complète  de  l'ennemi  ne  pouvait  étanclïsr  chez 
Condé  la  soif  de  la  gloire;  il  forme  sans  délai  son  plan  d'attaque, 
l'exécute  à  l'instant  et  ne  se  rebute  ni  par  les  pertes  qu'il  éprouve ,  ni 
par  les  renforts  de  troupes  fraîches,  par  lesquelles  l'ennemi  remplace 
celles  qu'il  a  détruites.  Un  régiment  d'infanterie  plie  à  ses  côtés;  il 
descend  de  cheval  pour  se  mettre  à  sa  tête.  Mais  sa  présence  ne  peut 
arrêter  la  fuite,  et  il  se  trouve  presque  livré  à  l'ennemi.  «  Sauvez-vous, 
Monseigneur,  lui  crie-t-on,  courez,  vous  allez  être  pris.  »  Maître  de 
hii-même,  au  milieu  du  danger  :  «  On  ne  court  pas,  répond-il  gaiement, 
faisant  allusion  à.  la  goutte  dont  il  était  rongé ,  on  ne  court  pas  avec 
mes  mauvaises  jambes.  »  Cependant  il  ordonna  un  mouvement  décisif 
à  deux  bataillons  suisses ,  qu'effraie  l'entreprise ,  ou  qui,  la  regardant 
comme  impossible,  haussent  les  épaules,  et  n'obéissent  point.  Il  fallait 
qu'il  y  eût  quelque  chose  d'excusable  dans  ce  l'efus,  car  au  lieu  de 
s'emporter,  Condé  se  contenta  de  dire  froidement  :  «  Cherchons-en 
d'autres,  car  ceux-ci  n'iront  jamais.  »  La  nuit  qui  survint  n'arrêta  pas 
l'acharnement  des  soldats.  La  lune  éclaira  jusqu'à  minuit  un  combat 
qui  durait  depuis  dix  heures  du  matin,  et  au  retour  de  l'aurore,  le 
prince  voulait  le  renouveler  ;  mais  lui  seul  avait  encore  envie  de  se 
battre,  et  l'on  prétend  même  qu'à  ce  moment,  les  deux  armées  frappées 
d'iuie  terreur  mutuelle,  s'éloignèrent  simultanément  du  chaTnp  de 
bataille.  (Note  tirée  d'AnquetilJ. 


-     M     - 

dation  qui  s'en  suivit  à  Audenarde  et  les  mouvements  de 
l'armée  française  obligèrent  d'Orange  h  lever  le  siège.  Il 
envoya  alors  un  corps  de  troupes  pour  s'emparer  de  Huy  et 
alla  lui-même  prendre  part  au  siège  de  Grave ,  ville  qui 
ne  tarda  pas  à  se  rendre.  Condé  envoya  un  renfort  considé- 
rable à  Turenne  et  mit  ses  troupes  en  quartier  d'hiver. 


II 


Turenne  en  Alsace  et  clans  le  Palatinat.  —  Bataille  de  Sinzheim.  — 
Combat  d'Enzheim.  —  Affaire  de  Turkeim.  —  Mort  de  Turenne.  — 
Armée  de  la  Moselle.  —  Turenne,  Condé  et  Montecuculli.  —  Bataille  de 
Cassel.  —  Surprise  de  Léau.  —  Paix  de  Nimègue. 

Les  Impériaux  voulaient  traverser  le  Rhin  et  chasser  les 
Français  de  la  Lorraine.  Le  duc  de  Lorraine  s'était  déjà 
porté  avec  9  à  10,000  hommes  sur  le  Necker  et  attendait  du 
renfort  pour  marcher  vers  ses  États.  Turenne  se  trouvait  à 
Bâle,  pour  protéger  la  conquête  de  la  Franche-Comté.  Aus- 
sitôt qu'il  apprit  la  position  du  duc  de  Lorraine  sur  la  rive 
droite  du  Rhin,  il  descendit  entre  la  rive  gauche  du  fleuve 
et  les  Vosges,  jusqu'à  Saverne,  pour  arrêter  l'ennemi.  Le  duc 
de  Lorraine  ne  voulait  pas  agir  avant  d'avoir  reçu  ses  ren- 
forts ;  il  croyait  du  reste  Turenne  bien  loin  de  lui,  lorsque 
ce  dernier  marcha  vers  la  droite  en  changeant  rapidement 
de  direction,  l'atteigiiit  le  16  juin  1674,  à  Sinzheim  sur 
l'Elzbach  et  lui  livra  combat. 

Los  Impériaux,  ayant  leur  cavalerie  aux  ailes,  étaient 
rangés  en  bataille  sur  deux  lignes,  le  dos  tourné  à  la  forêt 
dite  Stadt  forle  Wald,  près  de  la  ville  de  Sinzheim,  où  ils 


—     32     -- 

n'avaient  laissé  pour  la  défense  qu'un  régiment  d'infanterie 
et  400  dragons. 

Turenne,  avec  8,900  hommes,  prit  position  dans  la  vallée 
de  l'Elzbach,  sur  deux  lignes  ayant  en  front  l'artillerie.  Son 
premier  soin  fut  d'envoyer  un  détachement  attaquer  la  gar- 
nison de  Sinzheim.  Pendant  une  heure  et  demie,  on  combattit 
dans  les  jardins  et  les  bâtiments  de  l'abbaye  voisine  de  la 
ville.  Une  partie  des  Impériaux  y  furent  faits  prisonniers  ; 
le  reste  prit  la  fuite. 

En  vain  le  duc  de  Lorraine  avait-il  envoyé  un  régiment 
pour  soutenir  ces  troupes.  Le  régiment  fut  arrêté  à  mi- 
chemin  par  un  détachement  français  qui  l'obligea  h  reculer. 

Turenne  envoya  de  l'infanterie  occuper  le  ravin  étroit  qui 
menait  à  la  position  des  Impériaux.  Il  fit  ensuite  passer  l'Elz- 
bach au  reste  de  ses  troupes  et  les  posta,  en  plusieurs 
lignes,  sur  le  plateau  resserré  qui  se  trouvait  à  droite  du 
ravin. 

Pendant  que  Turenne  prenait  ses  dispositions,  le  géné- 
ral de  Saint -Abre,  qui  commandait  la  première  ligne, 
s'avança  en  rase  campagne  et  présenta  à  l'ennemi  ses  flancs 
dégarnis.  Le  duc  de  Lorraine  s'en  aperçut,  se  précipita  sur 
lui  et  le  culbuta  sans  beaucoup  de  peine.  La  cavalerie  fran- 
çaise prit  la  fuite,  mais  les  corps  d'infanterie  purent  se  dé- 
rober à  la  poursuite  des  cuirassiers  impériaux,  grâce  à  une 
épaisse  poussière. 

Turenne  accourut  et  fit  avancer  toute  son  armée  dans 
la  plaine,  où  il  prit  une  nouvelle  position  sur  trois  lignes 
présentant  un  front  aussi  étendu  que  celui  de  l'ennemi. 

Les  Français  reprirent  alors  l'offensive.  L'affaire  devint 
chaude  et  les  escadrons  des  deux  armées,  couverts  d'un 
épais  nuage  de  poussière  se  chargèrent  à  différentes  reprises. 
Les  Impériaux  opposèrent  une  vive  résistance.  A  la  fin  ce- 


Légende 

ce  It)  3f        xjô 

HD     JkxX4^£AÀ^  aUCU]IUXi\Ji  Sh^'--M£iylVV 

m  -u)        ûcciLfi.n-'ni.  x.eô  y'ui^in^-ià 

MM  ^ItHtee  t)ii  c)iJ^(^c'Aoti:<x^tite 

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fipï7^  5ooofia^ 


Suùyt  Py'cîf^aÙ 


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v-^ ^ 


—     33     — 

pendant,  le  duc  de  Lorraine  dut  ordonner  à  sa  seconde  ligne 
de  battre  en  retraite  dans  la  forêt;  le  reste  de  ses  troupes 
suivit  bientôt  le  même  chemin  et  le  champ  de  bataille  resta 
au  pouvoir  de  Turenne. 

Les  Impériaux  gagnèrent  le  Necker,  et  se  mirent  en  sûreté 
au-delà  de  cette  rivière. 

Les  Français  perdirent  1,100  hommes;  les  Impériaux, 
2,000,  sans  compter  500  prisonniers. 

Kaussler  attribue  la  défaite  des  Impériaux  : 

1°  à  la  faible  résistance  qu'ils  opposèrent  au  passage  de 
l'Elzbach  par  les  Français  ; 

2°  à  leur  position  éloignée  de  Sinzheim,  ce  qui  les  força 
de  rester  spectateurs  oisifs  de  la  prise  de  cette  ville,  et 
permit  aux  Français  de  passer  la  rivière  sans  difficulté; 

3°  à  la  faute  que  commit  le  duc  de  Lorraine  en  envoyant 
trop  tard  des  troupes  pour  soutenir  la  garnisoli  de  Sinzheim  ; 

4°  au  manque  d'artillerie  des  Impériaux;  au  moins  n'est-il 
fait  mention  de  cette  arme,  dans  aucune  relation. 

Cette  victoire  contribua  puissamment  à  grandir  Turenne 
dans  l'esprit  de  ses  soldats  et  même  de  ses  ennemis. 

Turenne  fit  repasser  le  Rhin  à  ses  troupes  pour  leur  pro- 
curer les  subsistances  dont  elles  avaient  besoin. 

Les  renforts  attendus  par  les  Impériaux  vinrent  les  rejoin- 
dre sur  le  Necker.  Turenne  dont  l'armée  avait  été  aussi  ren- 
forcée par  des  troupes  du  corps  de  Gondé,  traversa  de  nou- 
veau le  Rhin  pour  se  porter  contre  les  Impériaux.  Les 
généraux  qui  commandaient  ceux-ci,  mal  instruits  des  forces 
dont  disposait  le  maréchal,  reculèrent  et  mirent  le  Mein 
entre  eux  et  lui.  Le  Palatinat  fut  ainsi  livré  aux  Français. 

3 


-    u    — 

L'électeur  palatin,  après  avoir  tenu  le  parti  de  la  France, 
s'était  tourné  contre  elle.  Pour  l'en  punir  et  empêcher  l'en- 
nemi de  subsister  encore  dans  ce  pays,  les  Français  ravagè- 
rent les  campagnes,  détruisirent  ou  incendièrent  plusieurs 
villes  ou  villages  et  commirent  toutes  espèces  d'excès  (4). 
Leur  armée  alla  ensuite  s'établir  aux  environs  de  Landau. 

Les  Allemands,  au  nombre  de  35,000  hommes,  se  portèrent 
en  avant,  et  traversèrent  le  Rhin  à  Mayence.  On  craignit  en 
France  une  invasion  en  Lorraine  et  en  Champagne.  Turenne 
reçut  en  conséquence  l'ordre  d'évacuer  l'Alsace,  mais  con- 
fiant dans  ses  propres  projets,  il  n'exécuta  point  ce  mouve- 
ment de  retraite. 

L'ennemi,  reconnaissant  la  difficulté  de  forcer  les  Français 
dans  leur  position,  repassa  le  Rhin.  Peu  de  temps  après 
cependant,  il  pénétra  sans  difficulté  en  Alsace  par  le  pont  de 


(1)  Le  paysan,  au  désespoir,  vengea  sa  ruine  par  des  atrocités  qu'il 
se  permit  sur  quelques  maraudeurs ,  et  surtout  sur  quelques  Anglais 
des  régiments  de  Douglas  et  d'Hamilton,  qui,  malgré  la  paix  entre 
l'Angleterre  et  les  États-Généraux,  avaient  refusé,  par  estime  pour 
Turenne,  de  quitter  son  armée.  Ceux-ci ,  ayant  rencontré  leurs  cama- 
rades mutilés  de  la  manière  la  plus  barbare ,  massacrèrent  à  leur  tour 
tout  ce  qui  se  trouva  sous  leurs  pas  ,  et  marchant  comme  des  furieux, 
le  fer  et  la  flamme  à  la  main ,  ils  incendièrent  plusieurs  villes ,  bourgs 
et  villages. 

Dans  la  douleur  et  l'indignation  dont  fut  pénétré  l'électeur,  il  fit 
porter  à  Turenne ,  par  un  trompette ,  une  lettre  piquante ,  où  lui  attri- 
buant l'ordre  formel  de  ces  embrasements ,  il  en  faisait  ironiquement 
honneur  au  changement  opéré  en  lui  depuis  sa  conversion  à  la  religion 
catholique,  et  après  lui  avoir  rappelé  que  ce  pays  désolé  par  ses 
troupes  avait  autrefois  servi  d'asile  à  son  père ,  il  finissait  par  lui  de- 
mander heure  et  lieu  pour  tirer  de  lui  une  satisfaction,  qu'il  ne  pouvait 
obtenir  à  la  tête  d'une  armée.  Turenne,  dans  sa  réponse ,  passa  sous 
silence  l'article  du  cartel,  il  nia  d'avoir  donné  les  ordres  odieux  que 
lui  imputait  l'électeur,  lui  rendit  compte  avec  simplicité  des  causes 
qui  avaient  amené  ces  malheurs  imprévus  et  promit  de  les  punir. 

(AXQUETIL). 


—     35     — 

Strasbourg  que  les  magistrats  de  cette  ville  neutre  lui  avaient 
livré. 

La  situation  de  Turenne  devenait  d'autant  plus  critique 
que  rélecteur  de  Brandebourg,  à  la  tête  de  25,000  hommes, 
était  en  marche  pour  se  joindre  aux  35,000  combattants 
de  l'armée  alliée.  Mais  comme  la  saison  était  déjà  avancée, 
et  que  l'électeur  n'avait  d'autre  projet  pour  cette  année  que 
d'établir  ses  quartiers  en  Alsace,  il  marchait  à  très-petites 
journées.  Turenne  profita  de  cette  connaissance  pour  atta- 
quer les  Allemands,  avant  l'arrivée  de  l'électeur  de  Brande- 
bourg. 

Au  jour  fixé  par  lui  (4  octobre  1674)  et  lorsqu'on  ne  pou- 
vait le  croire  occupé  que  de  sa  propre  sûreté  dans  son  camp, 
il  se  mit  en  mouvement,  longea  les  Vosges  jusqu'à  Moltzheim, 
et  descendit  des  hauteurs  de  ce  village  pour  tomber  sur  les 
alliés  qui  débouchaient  dans  les  plaines  d'Enzheim.  Malheu- 
reusement une  pluie  affreuse  ralentit  sa  marche  et  lui  fit 
trouver  en  bataille  un  ennemi  qu'il  eût  surpris  sans  ce  con- 
tretemps. La  pluie  ne  discontinua  pas  et  même  dans  le  cours 
de  l'action  elle  redoubla  avec  une  telle  violence  que  le  com- 
bat dut  être  suspendu  ;  aussi  n'y  eut-il  aucune  de  ces  évolu- 
tions qui,  souvent,  décident  de  la  victoire.  Tous  les  efforts 
de  Turenne  se  portèrent  contre  la  gauche  des  Allemands. 
Ceux-ci  étaient  couverts  sur  ce  point  par  un  petit  bois  ;  ils 
y  résistèrent  à  quatre  attaques  vigoureuses  de  l'infanterie 
française,  mais  ils  cédèrent  à  une  cinquième  conduite  par 
Turenne  lui-même  qui  eut  un  cheval  tué  sous  lui.  Ce  succès 
entraîna  le  gain  de  la  bataille.  Les  ennemis  se  retirèrent  en 
assez  bon  ordre  sous  le  canon  de  Strasbourg,  laissant  3,000 
des  leurs  sur  le  terrain. 

Ce  nouvel  avantage  de  Turenne  retint  ses  ennemis  dans 
l'inaction  jusqu'à  l'arrivée  de  l'électeur.  Après  sa  victoire, 


-     36     — 

il  se  retira  dans  les  environs  de  Saverne  et  de  Haguenau. 

L'approche  de  l'électeur  avec  une  armée  de  renfort  consi- 
dérable avait  jeté  l'alarme  dans  toute  la  France.  Turenne 
pourtant  était  tranquille.  Au  moment  où  les  alliés,  rejoints 
par  l'électeur,  se  proposaient  de  l'attaquer,  il  leur  échappa 
par  une  retraite  habile.  Il  reçut  en  même  temps  un  renfort 
de  6,000  hommes,  de  l'intérieur  de  la  France,  tandis  qu'une 
division  de  14,000  hommes  de  l'armée  de  Condé  alla  prendre 
position  dans  la  Lorraine  allemande. 

La  saison  était  très-avancée.  Les  alliés,  maîtres  du  Rhin, 
prirent  leurs  quartiers  d'hiver.  Turenne  laissa  supposer  qu'il 
allait  en  faire  autant.  Il  traversa  donc  les  Vosges,  comme 
pour  cantonner  ses  troupes  en  Lorraine. 

Les  alliés  se  postèrent  sur  une  assez  vaste  étendue,  la 
droite  appuyée  au  Rhin,  la  gauche  vers  les  Vosges  et  le  front 
couvert  par  le  ruisseau  de  Turkeim.  Croyant  les  Français 
loin  d'eux,  ils  campaient  dans  une  sécurité  complète,  lorsqu'à 
la  fin  de  novembre,  et  par  un  froid  qui  rendait  invraisem- 
blable toute  marche  d'armée,  Turenne  mit  en  mouvement 
tous  ses  quartiers,  ainsi  que  la  division  cantonnée  dans  la 
Lorraine  allemande.  Ces  corps  marchèrent  pendant  un  mois, 
à  l'insu  les  uns  des  autres,  à  travers  les  Vosges,  par  des 
chemins  différents  et  réputés  impraticables. 

Le  27  décembre  1674,  toutes  les  troupes  françaises  se 
trouvèrent  réunies,  à  leur  grand  étonnement,  dans  la  plaine 
de  Relfort,  non  loin  des  quartiers  de  l'armée  du  duc  de  Lor- 
raine, lesquels  furent  aussitôt  refoulés.  Le  duc  et  ses  géné- 
raux refusèrent  d'ajouter  foi  aux  premiers  avis  de  l'appari- 
tion de  Turenne.  Leur  incrédulité  ne  fut  pas  de  longue  durée. 
A  chaque  instant,  en  effet,  des  partis  impériaux,  ignorant  la 
proximité  de  l'armée  française,  tombaient  au  milieu  de  ses 
divisions.  Les  quartiers  les  plus  éloignés  purent  seuls  se 


-     37     - 

soustraire  à  cette  espèce  de  piège.  Ils  se  réunirent  à  Tur- 
keim,  près  de  Golmar,  où  se  tenait  l'électeur  de  Brande- 
bourg. 

Le  5  janvier,  toute  l'armée  française,  pleine  de  confiance, 
se  trouva  prête  à  attaquer.  Turenne  attendit  la  chute  du  jour 
pour  porter  ses  troupes  en  avant.  Il  comptait  que  l'ennemi, 
surpris  et  découragé  par  ses  pertes  récentes,  battrait  en  re- 
traite, h  la  faveur  de  la  nuit.  Ces  prévisions  se  réalisèrent; 
les  Impériaux  se  replièrent  sur  Strasbourg,  où,  le  11  jan- 
vier 1675,  ils  repassèrent  le  Rhin,  évacuant  l'Alsace,  comme 
Turenne  l'avait  promis  à  Louis  XIV. 


En  16T5,  les  Français  mirent  de  nouveau  trois  armées  en 
campagne.  La  première,  sous  les  ordres  de  Louis  XIV  et  de 
Condé,  devait  opérer  sur  la  Meuse.  Une  garnison  française 
renforça  Liège,  ville  de  l'électorat  de  Cologne,  qui  pouvait 
offrir  des  ressources  au  prince  d'Orange,  dans  le  cas  très- 
probable,  où  il  voudrait  assiéger  Maestricht. 

Louis  XIV,  après  avoir  pris  Dinant,  Huy  et  Limbourg, 
envoya  une  partie  de  ses  troupes  h  Turenne  et  retourna  à 
Paris. 

Les  Suédois,  en  exécution  du  traité  conclu  avec  la  France 
en  1670,  avaient  envahi  le  territoire  prussien.  L'électeur  Fré- 
déric-Guillaume quitta  l'armée  du  Rhin  pour  défendre  ses 
États,  laissant  le  commandement  de  l'armée  alliée  (Lorrains 
et  Impériaux)  à  Montecuculli. 

Ce  général  se  proposait  d'envahir  l'Alsace  par  Strasbourg. 
Turenne,  qui  commandait  la  deuxième  armée,  fit  construire 
à  la  hâte  et  dans  le  plus  grand  secret  un  pont  de  bateaux,  à 
quatre  lieues  au-dessus  de  Strasbourg,  et  se  plaça  entre  cette 
ville  et  Montecuculli. 


-     38     - 

Le  général  impérial  prit  position  pour  menacer  à  son  tour 
le  pont  établi  par  Turenne.  Celui-ci  alors,  sans  que  l'ennemi 
s'en  aperçût,  en  fit  construire  un  autre,  près  d'Altenheim,  à 
une  lieue  de  Strasbourg. 

Montecuculli,  obligé  de  reculer,  alla  prendre  position  sur 
les  hauteurs  de  la  Renchen,  petit  affluent  du  Rhin. 

Turenne  projeta  de  l'en  déloge^.  Avec  des  peines  infinies 
il  parvint  à  tourner  la  position  ennemie,  en  remontant  la 
rivière  jusqu'à  sa  source  dans  les  montagnes,  et  se  créant 
un  chemin  h  travers  les  bois,  les  fondrières  et  les  ravins.  Le 
27  juillet  1675,  voulant  livrer  bataille,  il  prit  position  à  Salz- 
bach,  en  face  de  l'armée  impériale.  Déjà  son  aile  gauche  et 
son  centre  étaient  placés,  et  il  se  portait  vers  la  droite  pour 
reconnaître  un  corps  ennemi  qui  manœuvrait ,  lorsqu'un 
boulet  de  canon  emporta,  à  ses  côtés,  le  bras  du  marquis  de 
Saint-Hilaire  et  le  frappa  lui-même  en  plein  corps  (1).  Ainsi 


(1)  Ce  jour,  27  juillet,  après  avoir  entendu-  la  messe  et  communié  de 
bonne  heure,  Turenne  disposa  son  ordre  de  bataille  :  sa  gauche  et  son 
centre  prirent  position  au  lieu  qu'ils  devaient  occuper  dans  le  combat, 
et  sa  droite  n'eut  plus  qu'un  movivement  à  faire  pour  s'y  placer.  Ce  fut 
dans  ce  moment  que,  considérant  l'ordonnance  de  l'ennemi,  et  ne 
pouvant,  malgré  sa  réserve  ordinaire,  contenir  l'excès  de  sa  confiance, 
il  s'écria  :  «  Je  les  tiens ,  et  je  vais  recueillir  les  fruits  d'une  si  pénible 
campagne  !»  Il  y  avait  déjà  quatre  mois  qu'elle  durait,  et  que  les  deux 
chefs  épuisaient  l'un  contre  l'autre  toutes  les  combinaisons  de  la 
tactique  la  plus  savante. 

Cependant  les  officiers  de  la  droite ,  inquiets  du  mouvement  d'une 
colonne  ennemie,  ne  cessaient  de  députer  vers  le  maréchal  pour  avoir 
ses  ordres,  et  pour  qu'il  vînt  même  prendre  connaissance  par  ses  yeux 
de  cette  manœuvre.  Il  se  rendit  à  leurs  instances,  et  prit  pour  les 
joindre  un  chemin  creux  à  l'abri  du  feu.  «  Car,  disait-il  au  comte 
Hamiiton,  je  ne  veux  pas  être  tué  aujourd'hui.  »  Près  d'arriver,  il  re- 
connut sur  une  éminence  le  marquis  de  Saint-Hilaire ,  lieutenant- 
général  de  l'artillerie,  et  s'approcha  de  lui  pour  avoir  quelques  ren- 
seignements sur  la  colonne  dont  on  lui  parlait.  Le  marquis  la  lui  indi- 
quait de  la  main,  lorsque  deux  pièces  de  campagne  tirant  sur  quelques 


—     39     — 

tomba  cet  illustre  homme  de  guerre  auquel  Louis  XIV  ac- 
corda la  sépulture  des  rois  à  Saint-Denis. 

Montecuculli  avait  été  averti  aussitôt  de  la  joaort  du  maré- 
chal par  un  déserteur.  C'était  peut-être  pmir  lui  le  moment 
d'attaquer  les  Français,  mais  il  ne  profita  de  cet  événement 
que  pour  se  donner  quelques  avantages  de  position  et  pré- 
féra manœuvrer  de  façon  à  faire  repasser  le  Rhin  aux  Fran- 
çais, sauf  à  tomber  sur  eux,  au  moment  critique  du  passage. 
Dans  ce  but,  il  envoya  un  corps  de  cavalerie  menacer  le  pont 
d'Altenheim. 

Dans  l'armée  française,  les  généraux  comte  de  Lorges  et 
marquis  de  Vaubrun  prétendirent  au  commandement.  Ni 
l'un  ni  l'autre  ne  connaissait  les  projets  de  Turenne,  et  l'ac- 
cord ne  put  s'établir  entre  eux  sur  la  conduite  à  suivre.  Il 
fut  décidé,  par  le  corps  d'officiers,  que  les  deux  généraux 
alterneraient  dans  le  commandement,  et  que  la  retraite  s'opé- 
rerait dans  la  nuit.  Un  violent  orage  protégea  ce  mouvement, 
et  Montecuculli  ne  put  rejoindre  l'armée  française  qu'au 
point  du  jour.  Il  apparut  au  moment  où  la  moitié  des 
troupes  seulement  avait  traversé  le  Rhin  et  il  engagea,  à 
Altenheim,  un  combat  avec  l'arrière-garde  qui,  contre  les 
règles  de  l'art,  n'était  composée  que  d'infanterie.  L'arrière- 


bataillons  français  mis  en  mouvement ,  pour  parer  à  celui  de  l'ennemi, 
un  des  coups  emporta  un  bras  à  Saint-Hilaire  et  alla  frapper  Turenne 
qui  fit  encore  une  vingtaine  de  pas  sur  son  cheval  et  tomba  mort. 

Le  fils  du  marquis  de  Saint-Hilaire,  qui  a  laissé  des  mémoires,  et 
qui  rapporte  les  détails  de  cette  catastrophe,  à  laquelle  il  était  présent, 
se  jeta  dans  ce  moment  sur  son  père,  et  cherchait  en  lui  avec  inquiétude 
un  reste  de  vie  qu'il  craignait  de  ne  plus  trouver,  lorsque  le  blessé  lui 
adressa  ces  paroles  sublimes  :  «  Ce  n'est  pas  moi,  mon  filg,  c'est  ce 
grand  homme  qu'il  faut  pleurer  ;  »  et  grand  lui-même  dans  ses  paroles 
et  ses  actions ,  il  ordonna  à  ce  même  fils  de  le  quitter  et  de  courir  au 
service  de  ses  batteries.  (Anquetil). 


—     40     — 

garde  française  fut  très-maltraitée  et  le  marquis  de  Vaubrun 
perdit  la  vie  dans  l'action. 

Montecuculli  traversa  le  Rhin  à  Strasbourg,  assiégea  Ha- 
guenau  et  Saverne,  mais  Louis  XIV  ayant  envoyé  immédiate- 
ment Condé  en  Alsace  avec  des  forces  considérables,  les 
Impériaux  durent  repasser  le  Rhin,  ce  qui  mit  fin  à  la  cam- 
pagne sur  cette  frontière. 

Le  troisième  corps  français  était  commandé  par  Créqui.Les 
Allemands  avaient  passé  le  Rhin  à  Coblentz  et  s'avançaient 
pour  reprendre  Trêves  (1).  Le  maréchal  Créqui,  en  mar- 
chant au  secours  de  cette  ville,  se  laissa  surprendre  au  pont  de 
Conz  (2)  et  fut  complètement  battu  par  le  duc  de  Brunswick. 
Créqui  se  sauva  dans  Trêves  avec  quatre  officiers  seulement 
et  fut  fait  prisonnier.  La  prise  de  Trêves  fut  le  dernier  fait 
d'armes  du  duc  de  Lorraine,  Charles  IV.  Il  mourut  peu  après, 
laissant  ses  droits  et  ses  espérances  à  son  neveu  Charles  V, 
déjà  connu  par  divers  exploits  militaires. 

Dans  les'_Pays-Bas,  le  prince  d'Orange  assiégea  et  prit  Bin- 
che  (1675). 

A  cette  époque  de  l'histoire  nous  voyons  disparaître  des 


(1)  Trêves  était  au  pouvoir  des  Français  depuis  1673. 

(2)  Les  auteurs  français  que  nous  avons  consultés  assignent  tous 
Consarbrucq  comme  théâtre  de  cette  affaire  ;  c'est  une  erreur.  Des 
renseignements  certains  nous  permettent  d'affirmer  que  l'action  eut 
lieu  au  pont  de  Conz,  qui  fut  alors  détruit.  L'expression  «  Geschlagen 
bei  der  Conzerbrilcke,  »  appliquée  aux  troupes  de  Créqui  par  les  his- 
toriens allemands,  doit  se  traduire  par  :  «  battues  prés  du  pont  de 
Conz  »  et  non  par  :  «  battues  à  Consarbrucq.  «  Au  surplus,  quoique  la 
position  de  Consarbrucq  soit  renseignée  sur  quelques  cartes ,  nous 
pouvons  affirmer  qu'il  n'y  a  pas  de  village  de  ce  nom  aux  environs  de 
Trêves. 


—     Al     — 

champs  de  bataille  trois  illustres  généraux  :  Turenne,  par  sa 
mort;  Condé  et  Montecuculli,  par  suite  de  leurs  fatigues  et  de 
leurs  infirmités. 

Louis  XIV,  en  campagne,  ne  commandait  jamais  en  per- 
sonne. Il  s'adjoignait  toujours  un  de  ses  habiles  maréchaux  ; 
néanmoins  sa  présence  aux  armées  exerçait  une  influence 
prodigieuse. 

Tel  était  son  ascendant  sur  les  gentilshommes,  qu'ils  sa- 
crifiaient tout  pour  le  servir.  Leur  valeur  était  traditionnelle  ; 
ils  savaient  que  noblesse  oblige  et  mourir  sur  le  champ  de 
bataille,  sous  les  yeux  du  roi,  était  pour  eux  la  fin  la  plus 
enviable. 

«  Turenne,  dit  Gapefigue,  résuma  son  art  admirable  dans 
des  marches  rapides  et  imprévues,  dans  une  suite  de  ma- 
nœuvres qui  portaient  à  l'improviste  des  masses  d'un  point 
sur  un  autre,  sans  qu'elles  fussent  attendues  ;  il  allait  de  sur- 
prise en  surprise.  Turenne  joignait  h  une  grande  prudence 
la  ferme  et  noble  résolution  d'épargner  le  soldat  ;  il  n'aimait 
point  les  batailles  sans  manœuvres,  cette  fixité  terrible  de 
deux  corps  en  face  l'un  de  l'autre,  qui  se  canonnent  et  se 
fusillent.  Turenne  frappait  des  coups  décisifs  par  la  stratégie, 
il  coupait  un  corps  d'armée,  apparaissait  en  face  d'un  autre 
au  moment  où  celui-ci  n'y  prenait  garde,  de  telle  sorte  qu'il 
l'enlevait  sans  coup  férir  ;  c'était  le  tacticien  habile,  qui  agis- 
sait à  vol  d'aigle,  le  général  des  marches  et  des  contre- 
marches. S'il  épargnait  la  vie  du  soldat,  il  ne  marchandait 
pas  avec  ses  fatigues,  et  plus  d'une  fois  les  braves  gentils- 
hommes murmuraient  autour  de  lui,  en  cherchant  à  deviner 
une  manœuvre  qu'ils  ne  comprenaient  pas,  tant  elle  était 
contraire  aux  règles  du  noble  courage  qui  fait  qu'on  marche 
toujours  en  avant,  Turenne,  sous  ce  rapport,  descendait  aux 


—     42     — 

plus  petits  détails,  il  aimait  à  s'expliquer  avec  ses  officiers  ; 
c'était  le  génie  du  raisonnement  autant  que  de  la  guerre.  » 

«  Condé,  dit  le  même  auteur,  off're  un  talent  tout  différent  ; 
c'est  un  véritable  chef  de  cavalerie  légère,  un  capitaine 
hardi  que  rien  n'arrête.  Ses  plans  naissent  sur  le  champ  de 
bataille,  dès  qu'il  les  a  conçus,  il  s'entête  à  les  défendre. 
Condé  a-t-il  résolu  de  prendre  une  position,  il  l'ordonne 
coûte  que  coûte. —  Qu'importe  une  grande  effusion  de  sang? 
Une  fois  qu'il  a  arrêté  un  plan,  il  faut  qu'on  l'exécute;  il 
n'écoute  pas  les  remontrances,  il  traite  de  lâches  les  gen- 
tilshommes qui  n'obéissent  pas  jusqu'à  la  mort  !  Il  fait  pren- 
dre des  mamelons  par  la  cavalerie,  il  sacrifie  les  gardes  du 
corps,  ses  réserves  pour  s'emparer  d'une  position  qu'il  croit 
utile;  en  un  mot  il  n'épargne  pas  le  sang  du  soldat,  il  le  pro- 
digue pour  aboutir  à  son  plan  de  campagne.  Mais  combien 
le  génie  de  Condé  n'est-il  pas  admirable  lorsqu'il  improvise 
une  attaque  soudaine  sur  un  corps  d'armée ,  puis  sur  un 
autre,  de  telle  sorte  qu'il  frappe  à  droite,  à  gauche,  toujours 
avec  le  même  courage,  avec  le  même  sangfroid  personnel  !  A 
chaque  engagement  il  a  deux  ou  trois  chevaux  tués  sous  lui  ; 
il  est  blessé,  il  s'expose  à  la  mort,  il  semble  que  son  sang 
n'est  pas  plus  précieux  que  celui  du  dernier  soldat  :  c'est 
l'esprit  de  la  vieille  chevalerie.  —  Turenne  c'est  l'art  mili- 
taire froid  et  moderne,  c'est  le  chef  de  la  nouvelle  école. 
Condé  c'est  encore  la  tactique  des  batailles  féodales.  » 

Le  comte  Raimond  de  Montecuculli,  né  à  Modène,  général 
instruit,  habile,  était  d'une  nature  subtile  et  adroite  ;  les  res- 
sources de  la  guerre  lui  étaient  familières.  Ses  écrits  remar- 
quables, commentés  par  Turpin  de  Crissé,  sont  encore  lus 
avec  intérêt.  Il  fut  longtemps  chef  de  l'artillerie  des  armées 
impériales. 

Montecuculli  était  très-aimé  des  soldats  sur  lesquels  il 


-     43       - 

exerçait  une  grande  influence.  Son  origine  italienne  lui  sus- 
cita la  jalousie  des  Allemands.  Il  servit  l'Autriche  avec  cou- 
rage, talent  et  dévouement. 

Louis  XIV  prit  le  commandement  de  l'armée  des  Pays-Bas 
en  1676 ,  et  s'adjoignit  le  maréchal  de  Schomberg.  Une 
deuxième  armée,  sous  le  duc  de  Luxembourg,  opéra  en 
Alsace,  et  une  troisième,  sous  de  Créqui,  entre  Sambre  et 
Meuse. 

La  première  s'empara  de  la  ville  de  Condé,  puis  de  Bou- 
chain;  de  Schomberg  envoya  alors  le  maréchal  d'Humières 
pour  investir  Aire. 

Pendant  ce  temps,  l'armée  alliée  essayait  de  reprendre 
Maestricht,  mais  aussitôt  que  les  Espagnols  apprirent  que  la 
ville  d'Aire,  une  de  leurs  possessions,  était  menacée,  ils  se 
séparèrent  des  Hollandais  pour  aller  à  son  secours.  Ils  arri- 
vèrent trop  tard  et  le  prince  d'Orange  fut  obligé  de  lever  le 
siège  de  Maestricht. 

Le  maréchal  de  Créqui,  à  l'armée  de  Sambre  et  Meuse, 
attaqua  inopinément  Bouillon  dont  il  s'empara,  bien  que 
cette  ville  appartînt  au  prince-évêque  de  Liège  avec  lequel 
la  France  était  en  paix. 

Le  duc  de  Lorraine,  Charles  V,  avait  succédé  à  Monte- 
cuculli  dans  le  commandement.  Il  se  rendit  maître  de  Phi- 
lipsbourg,  en  présence  de  l'armée  du  duc  de  Luxembourg, 
qui  ne  put  s'opposer  au  siège  de  cette  ville. 

Pendant  le  cours  de  la  campagne,  des  négociations  de 
paix  avaient  été  entamées  à  Nimègue,  sous  la  médiation  de 
l'Angleterre ,  mais  elles  n'aboutirent  pas  immédiatement. 


—    u 


L'armée  des  Pays-Bas,  sous  Louis  XIV,  ouvrit  la  campagne 
de  1677  par  la  prise  de  Valenciennes,  puis  par  celle  de  Cam- 
brai. Pendant  que  le  roi  faisait  le  siège  de  cette  dernière 
ville,  il  envoya  Philippe  d'Orléans  attaquer  Saint-Omer. 

Le  prince  d'Orange  qui  n'avait  pu  arriver  assez  tôt  pour 
secourir  Valenciennes  et  avait  trouvé  trop  de  difficultés  à 
s'approcher  de  Cambrai,  résolut  de  marcher  sur  Saint-Omer. 
Il  était  arrivé  à  Cassel,  quand  le  duc  d'Orléans  quitta  ses 
lignes  pour  aller  le  combattre  (11  avril  1677). 

Cassel  est  situé  sur  une  hauteur  au  pied  de  laquelle  coule 
un  petit  ruisseau,  le  Peene-becque,  affluent  de  l'Yzer,  dont 
les  bords  étaient  couverts  de  broussailles.  Le  prince  d'Orange 
fit  avancer  une  partie  de  sa  première  ligne  pour  défendre  le 
ruisseau  et  protéger  une  colonne  de  sa  droite  destinée  à 
ravitailler  Saint-Omer.  Sur  ces  entrefaites,  arriva  le  duc  de 
Luxembourg  avec  un  renfort  envoyé  par  Louis  XIV  qui  avait 
appris  la  marche  du  prince  d'Orange.  Le  duc  de  Luxembourg 
pénétra  le  dessein  de  ce  dernier.  Sans  lui  laisser  le  temps 
de  l'exécuter,  il  fit  attaquer  brusquement  les  détachements 
hollandais  postés  près  du  ruisseau,  et  les  mit  dans  un  désordre 
qui  ne  put  être  réparé  à  cause  de  l'éloignement  du  reste  de 
la  ligne.  L'armée  française  ayant  passé  le  ruisseau,  la  déroute 
de  la  première  ligne  hollandaise  ne  tarda  pas  à  se  commu- 
niquer à  la  seconde.  Le  prince  d'Orange  tenta  en  vain  de 
rallier  ses  troupes  ;  il  fut  obligé  d'abandonner  le  champ  de 
bataille,  laissant  5  à  6,000  hommes  hors  de  combat  ou  pri- 
sonniers. 

Dans  cette  affaire,  d'Humières  commandait  la  droite  et 
Philippe  d'Orléans  le  centre  des  Français.  Ce  dernier  montra 
une  grande  valeur.  On  prétend  que  Louis  XIV,  jaloux  des 
succès  de  son  frère,  ne  voulut  plus  lui  confier  de  comman- 
dement d'armée. 


—     45     - 

Après  la  bataille,  les  Français  retournèrent  devant  Saint- 
Omer  qui  bientôt  capitula. 

Le  prince  d'Orange  alla  investir  Charleroi,  mais  le  duc  de 
Luxembourg,  qui  venait  de  prendre  le  commandement  en 
chef  de  l'armée  des  Pays-Bas,  l'obligea  à  lever  le  siège. 

Pendant  l'hiver,  les  Français  s'emparèrent  sans  peine  de 
Saint-Ghislain.  Les  eaux  des  fossés  de  cette  place  étaient 
gelées  et  la  garnison  avait  négligé  de  rompre  la  glace. 
1,100  soldats  espagnols  qui  occupaient  la  ville  se  rendirent. 

A  l'armée  du  Rhin,  le  maréchal  de  Créqui  tenait  tête,  avec 
succès,  aux  Impériaux  qui  essayaient  de  pénétrer  en  Lorraine 
par  la  ligne  de  Trêves  à  Metz.  Les  Français  repoussèrent 
également  un  corps  de  troupes  qui  avait  traversé  le  Rhin 
pour  envahir  l'Alsace  et  faire  jonction  avec  l'armée  du  duc 
de  Lorraine.  Après  plusieurs  combats  où  il  obtint  l'avantage, 
Créqui,  passant  à  son  tour  le  Rhin,  alla  s'emparer  de  Frei- 
bourg. 

Les  succès  des  armées  françaises  alarmèrent  les  Anglais. 
Le  parlement  se  déclara  ouvertement  en  faveur  des  Hollan- 
dais, et  décida  qu'il  n'accorderait  plus  de  subsides  pour  la 
guerre,  à  moins  d'alliance  avec  la  Hollande. 

Cette  même  année,  le  prince  d'Orange  épousa  la  princesse 
Marie,  fdle  du  duc  d'York,  plus  tard  roi  d'Angleterre,  sous 
le  nom  de  Jacques  IL 


En  1678,  l'armée  de  Flandre,  sous  les  ordres  de  Louis  XIV, 
s'empara  de  Gand  et  d'Ypres. 

Un  incident,  sans  importance  sur  l'ensemble  des  opéra- 
tions, mais  qui  montre  ce  que  peut  l'audace,  en  fait  de  sur- 
prise militaire,  mérite  d'être  raconté. 


La  petite  ville  de  Léau,  entourée  de  marais  et  d'eau,  avait 
une  garnison  espagnole  de  600  hommes.  Cette  place,  au  dix- 
septième  siècle,  présentait  une  forte  enceinte,  précédée  d'un 
fossé  profond  avec  chemin  couvert.  Il  s'y  trouvait  une  cita- 
delle en  forme  de  carré  bastionné  ;  cet  ouvrage  en  terre  était 
fraisé  et  palissade  avec  soin. 

Une  seule  route,  très-étroite,  bordée  à  droite  et  à  gauche 
de  terrains  impraticables,  permettait  l'approche  jusqu'à  la 
contrescarpe.  La  route  (.'tait  défendue  par  de  solides  barrières. 

Dans  de  telles  conditions,  Léau  passait  pour  un  poste 
imprenable.  Le  colonel  de  la  Bretèche,  des  dragons  français, 
en  garnison  à  Maestricht,  partit  de  cette  ville,  le  1  mai  1678, 
avec  300  fantassins  d'élite,  100  dragons,  250  cavaliers  et  une 
compagnie  de  50  habiles  nageurs,  sous  les  ordres  du  capitaine 
de  Brémeau.  Ils  emportèrent  avec  eux  vingt  batelets  en  osier 
et  jonc  rendus  imperméables  au  moyen  d'une  doublure  en 
toile  cirée,  et  assez  légers  pour  être  transportés  sans  peine 
à  une  grande  distance. 

Ces  troupes  marchèrent,  par  petits  détachements,  suivant 
différents  chemins  et  se  réunirent,  le  3  mai  au  soir,  au  point 
de  concentration  désigné  d'avance,  à  quatre  lieues  de  Léau. 
On  se  remit  aussitôt  en  marche  et  on  arriva,  à  une  heure  du 
matin,  devant  la  place  à  surprendre.  On  disposa  les  batelets 
de  jonc  ainsi  que  le  matériel  et  les  agrès  transportés  sur  les 
lieux,  afin  de  tout  préparer  pour  construire  un  pont  en  quel- 
ques instants. 

Le  capitaine  de  Brémeau  et  ses  nageurs  se  jetèrent  à  l'eau. 
Le  bruit  qu'ils  firent  en  s'avançant  à  la  nage,  l'épée  entre  les 
dents,  éveilla  l'attention  d'une  sentinelle  qui  donna  l'alarme. 
Les  nageurs  suivis  de  vingt  soldats  dans  quelques-uns  des 
batelets,  mirent  pied  à  terre  dans  la  place,  en  brisant  les 
palissades  des  retranchements  et  parvinrent  jusqu'à  la  con- 
trescarpe du  fossé  de  la  citadelle. 


—     47      - 

Un  détachement  de  dragons ,  muni  d'échelles ,  s'était 
avancé  par  la  chaussée  et,  couvrant  de  manteaux  les  pointes 
dont  étaient  hérissées  les  barrières,  franchit  ces  obstacles. 
On  en  était  là  avant  que  l'ennemi  eût  eu  le  loisir  de  se 
reconnaître. 

Les  dragons,  en  tête  de  l'attaque  sur  la  chaussée,  furent 
suivis  d'un  second  détachement  apportant  les  objets  néces- 
saires à  la  construction  d'un  pont  qu'ils  commencèrent  dès 
l'instant  de  leur  arrivée  devant  le  fossé  de  la  place.  Cepen- 
dant le  feu  de  la  citadelle  ne  permit  pas  d'achever  ce 
travail. 

La  situation  devint  critique  ;  mais  les  nageurs,  aidés  des 
vingt  soldats  qui  les  avaient  suivis  traînèrent  par  dessus  le 
chemin  couvert  jusque  dans  le  fossé  de  la  citadelle  quelques 
batelets  ainsi  que  des  barques  trouvées  sur  place.  Une 
partie  des  assaillants  s'en  servit  pour  passer  le  fossé,  le  reste 
traversa  à  la  nage.  Entretemps  d'autres  soldats,  accourus  par 
la  chaussée,  faisaient  feu  sur  tous  les  Espagnols  qui  se  mon- 
traient sur  les  parapets  de  la  citadelle. 

Dès  que  les  nageurs  arrivèrent  sur  la  rive  opposée  du 
fossé,  ils  coupèrent  les  palissades  et,  malgré  la  résistance  de 
l'ennemi,  s'établirent  au  pied  du  talus  extérieur.  Les  Espa- 
gnols épouvantés  de  la  soudaineté  de  l'attaque,  et  se  croyant 
assaillis  de  tous  côtés  par  des  forces  supérieures,  abandon- 
nèrent la  citadelle  et  se  réunirent  sur  l'esplanade. 

Les  Français  ayant  pointé  les  canons  de  la  citadelle  contre 
la  ville,  les  Espagnols  se  retirèrent  alors  dans  la  grande 
église  de  Léau.  Peu  d'instants  après,  le  gouverneur,  don  Her- 
nandez,  se  rendit  ainsi  que  toute  la  garnison,  sans  que  ce 
coup  de  main  hardi  eût  coûté  plus  de  20  hommes  aux 
assaillants. 


Après  la  prise  d'Ypres,  Louis  XIV  retourna  en  France, 
laissant  le  commandement  au  duc  de  Luxembourg,  qui  se 
dirigea  sur  Mons.  La  paix  venait  d'être  signée  à  Nimègue,  le 
10  août  à  minuit,  lorsque,  le  14,  dans  l'après-midi,  le  prince 
d'Orange  attaqua  vivement  les  Français  à  l'abbaye  de  Saint- 
Denis  et  à  la  ferme  de  Casteau,  non  loin  de  Mons.  L'infanterie 
hollandaise  demeura  maîtresse  du  terrain  après  avoir  tué 
beaucoup  de  monde  à  l'ennemi. 

On  a  reproché  au  prince  d'Orange  cette  attaque  faite  après 
la  signature  du  traité  de  paix,  mais,  dans  l'état  des  commu- 
nications à  cette  époque,  il  n'était  guère  possible  que  la  nou- 
velle du  traité  pût  parvenir  de  Nimègue  à  Mons  en  trois  jours. 


La  paix  de  Nimègue  eut  pour  effet  de  faire  restituer  par 
les  Français  Maestricht  à  la  Hollande.  Ils  rendirent  à  l'Es- 
pagne, Charleroi,  Binche,  Ath,  Audenarde  et  Courtrai,  qui 
leur  avaient  été  cédés,  à  la  paix  d'Aix-la-Chapelle.  Les  Espa- 
gnols abandonnèrent  à  la  France,  outre  la  Franche-Comté, 
les  places  de  Valenciennes ,  Bouchain,  Condé,  Cambrai, 
Cateau-Cambresis,  Aire,  Saint-Omer,  Ypres,  Wervick,  War- 
neton,  Poperinghe,  Bailleul,  Cassel,  Bavai,  Maubeuge. 

En  1679  seulement  l'empire  fit  la  paix.  Freibourg  échut  à 
la  France  et  Philipsbourg  à  l'empire.  Le  duc  de  Lorraine  ne 
recouvra  point  ses  États  que  la  France  conserva. 

Les  Français,  pour  s'assurer  leurs  nouvelles  conquêtes 
de  Flandre ,  construisirent  une  ligne  de  retranchements 
depuis  Dunkerque  (qu'ils  avaient  acheté  à  Charles  II)  jusqu'à 
Furnes  ;  de  Furnes  à  la  jonction  de  l'Yzer  et  du  canal  de 
Dixmude  (endroit  où  ils  établirent  le  fort  de  Knocke)  et  de  là 
jusqu'à  la  Lys,  à  Commines.  Plusieurs  places  fortes  de  la 
Flandre  française  furent  complétées. 


—     49     - 


III. 


Prise  de  Strasbourg,  —  Siège  de  Luxembourg.  —  Trêve  de  Ratis- 
bonne.  —  Renseignements  historiques.  —  Ligue  d'Augsbourg.  —  Affaire 
de  Walcourt.  —  Bataille  de  Fleurus. 


L'ambition  de  Louis  XIV  ne  fut  point  contenue  par  la  paix 
de  Nimègue.  Il  projeta  d'abord  d'acquérir  Strasbourg,  ville 
grande  et  riche,  possédant  un  vaste  arsenal,  et  d'une  extrême 
importance  stratégique  à  cause  de  son  pont  sur  le  Rhin.  L'or 
et  l'intrigue  gagnèrent  les  magistrats  de  cette  ville  libre  qui 
fut  livrée  aux  Français  (1681).  Vauban  en  fit  aussitôt  la  bar- 
rière la  plus  forte  de  la  France. 

Les  agressions  de  Louis  dans  les  Pays-Bas,  engagèrent  le 
roi  d'Espagne  à  lui  déclarer  la  guerre  en  1683. 

Les  Français,  sous  les  ordres  du  maréchal  d'Humières, 
prirent  Gourtrai  et  Dixmude ,  tandis  que  le  maréchal  de 
,  Créqui,  alla  assiéger  la  ville  de  Luxembourg.  Louis  XÏV,  avec 
le  maréchal  de  Schomberg,  se  tint  à  la  tête  de  l'armée  d'ob- 
servation. La  place  fut  bien  défendue  par  le  prince  de  Groy. 
La  nature  pierreuse  du  sol  rendait  les  travaux  d'approche 
très-difficiles.  Vauban  en  personne  dirigea  les  attaques.  La 
résistance  dura  près  d'un  mois. 

Après  la  prise  de  Luxembourg,  Créqui  se  porta  vers  Trêves 
et  obligea  l'électeur  de  cette  ville  à  démanteler  la  place. 

Les  conquêtes  de  Louis  XIV  s'étendant  de  tous  côtés,  alar- 
mèrent l'Europe  qui  était  lasse  de  guerre,  et  les  puissances, 
d'un  commun  accord,  arrêtèrent  à  Ratisbonne  une  trêve  de 
vingt  ans  (1684).  Gourtrai  et  Dixmude  retournèrent  à  l'Es- 

4 


-      80     - 

pagne,  mais  les  Français  se  maintinrent  dans  les  deux  places 
si  importantes  de  Luxembourg  et  de  Strasbourg. 

Quelques  renseignements  historiques  sont  indispensables 
pour  bien  faire  comprendre  les  événements  qui  vont  suivre. 

Nous  avons  vu  précédemment  la  restauration  des  Stuart 
par  Monck,  l'avènement  de  Charles  II,  en  1660,  ainsi  que  le 
discrédit  de  ce  prince,  causé  par  son  ineptie  et  ses  mœurs 
légères.  Charles  II  fut  contraint  par  le  parlement  de  cesser 
les  hostilités  avec  la  Hollande  et  de  sanctionner  des  lois  de 
répression  contre  les  catholiques. 

Ce  fut  au  milieu  des  passions  politiques  et  religieuses  du 
règne  de  ce  souverain  que  parurent  pour  la  première  fois  les 
Whigs  et  les  Tories,  noms  qui  servirent  d'abord  à  désigner  les 
membres  de  l'opposition  et  les  partisans  du  gouvernement  et 
dans  la  suite  le  parti  libéral  et  le  parti  conservateur.  Le  par- 
lement voulut  déclarer  le  duc  d'York,  frère  du  roi,  indigne, 
comme  catholique,  de  succéder  à  la  couronne  d'Angleterre. 
Charles  II  fit  dissoudre  cette  assemblée.  Il  mourut  en  1685. 

Le  duc  d'York  lui  succéda  sous  le  nom  de  Jacques  II;  le 
duc  de  Monmouth,  fils  naturel  du  feu  roi,  voulut  détrôner 
Jacques  II,  les  armes  à  la  main,  mais  il  fut  vaincu  à  la  ba- 
taille de  Sedgemore  et  décapité.  Les  troubles  n'en  conti- 
nuèrent pas  moins,  le  roi  Jacques  s' étant  rendu  tout  à  fait 
impopulaire  en  froissant  l'opinion  publique  par  ses  mesures 
favorables  aux  catholiques. 

Le  prince  d'Orange,  gendre  de  Jacques,  et  chef  du  parti 
protestant,  fut  invité  par  les  mécontents  à  se  rendre  en 
Angleterre.  Aussitôt  un  soulèvement  eut  lieu  et  le  roi  dut 
s'enfuir  en  France.  Le  parlement  déclara  qu'il  avait  abdiqué 
et  couronna  Guillaume,  prince  d'Orange,  époux  de  la  prin- 
cesse Marie  d'Angleterre  (1688). 


—     M      - 

Le  nouveau  souverain  dut  signer  une  déclaration  des 
droits,  espèce  de  charte  nationale,  qui  dotait  l'Angleterre  du 
régime  dit  depuis  constitutionnel  ou  parlementaire  :  le  roi 
gouverne  avec  des  ministres  responsables,  dont  les  actes 
sont  contrôlés  par  le  parlement. 

Le  pouvoir  royal  fut  ainsi  restreint,  ce  qui  contraria  sou- 
vent les  projets  de  guerre  de  Guillaume  IIL  Aussi  avait-il 
coutume  de  dire  qu'il  était  «  stadhouder  d'Angleterre  et  roi 
de  Hollande.  » 

Plus  tard  Louis  XIV  tenta  de  remettre  Jacques  II  sur  le 
trône,  en  profitant  d'une  révolte  des  Irlandais  contre  Guil- 
laume III.  Jacques  fut  accueilli  avec  quelque  enthousiasme 
en  Irlande.  L'amiral  français  Tourville  battit  les  flottes 
alliées  d'Angleterre  et  de  Hollande  dans  un  sanglant  combat 
près  de  l'île  de  Wight.  Cette  victoire  ne  suffit  pas  pour 
maintenir  le  roi  détrôné,  dont  les  troupes  furent  totalement 
défaites  à  Slane,  sur  les  bords  de  la  Boyne,  par  Guillaume  III, 
qui  avait  débarqué  en  Irlande.  Jacques  II  s'empressa  de  re- 
tourner en  France  (1690). 

Un  autre  événement  remarquable  de  cette .  époque  fut  la 
révocation  de  l'édit  de  Nantes  par  Louis  XIV  (1685).  Cette 
mesure,  la  plus  impolitique  du  règne  de  ce  monarque,  dé- 
termina un  grand  nombre  de  Français  à  émigrer,  et  hâta 
la  révolution  d'Angleterre  qui  précipita  Jacques  II  du  trône. 

En  1686,  se  forma  la  fameuse  ligue  d'Augsbourg,  dans  le 
but  d'arrêter  les  envahissements  toujours  croissants  de  la 
France.  Par  cette  ligue  l'empire,  l'Espagne,  la  Suède,  la  Ba- 
vière, la  Saxe  et  les  États  du  Haut-Rhin  se  garantissaient,  en 
cas  d'attaque,  un  mutuel  appui. 


-      o2      - 

Louis  rompit,  dès  1688,  la  trêve  de  Ratisbonne,  alléguant 
les  sentiments  hostiles  de  l'Allemagne,  manifestés  par  la 
ligue  d'Augsbourg. 

Philippe  d'Orléans,  frère  du  roi,  à  la  mort  de  sa  femme, 
Henriette  d'Angleterre ,  avait  épousé  Elisabeth-Charlotte , 
sœur  de  l'électeur  palatin.  Ce  dernier  étant  mort  sans  posté- 
rité, Louis  XIV  revendiqua  pour  sa  belle-sœur  la  succession 
de  l'électeur.  Cette  prétention  fut  repoussée  par  le  corps  ger- 
manique, et  le  roi  trouva  dans  ce  refus  un  nouveau  prétexte 
de  guerre. 

Notons  en  passant  qu'en  1688  mourut  l'électeur  de  Bran- 
debourg, Frédéric-Guillaume,  auquel  succéda  son  fils  Fré- 
déric L 

Les  Français  mirent  sur  pied  une  armée  de  80,000  hom- 
mes, sous  le  commandement  du  dauphin,  fils  unique  de 
Louis  XIV,  auquel  fut  adjoint  le  maréchal  de  Duras. 

Le  dauphin  Louis ,  âgé  alors  de  vingt-sept  ans ,  avait 
épousé  Marie-Anne  de  Bavière,  dont  il  eut  trois  fils,  savoir  : 
Louis,  duc  de  Bourgogne  (père  de  Louis  XV),  que  nous  ver- 
rons plus  tard  commander  les  armées  de  France  ;  Philippe, 
duc  d'Anjou,  qui  devint  roi  d'Espagne  ;  et  Charles,  duc  de 
Berry. 

L'armée  du  dauphin  débuta  par  la  prise  de  Philipsbourg, 
dont  le  siège  fut  remarquable  parce  que  pour  la  première 
fois  on  y  employa  le  tir  h  ricochet.  Les  Français  prirent 
ensuite  Manheim  et  Frankenthal.  Le  maréchal  de  Boufflers 
occupa  presque  toutes  les  places  des  électorats  de  Trêves, 
de  Mayence  et  de  Cologne,  mais  il  ne  parvint  pas  à  se  rendre 
maître  de  Coblentz. 


-     53     - 

A  la  fit!  de  l'année  1688,  Louis  déclara  la  guerre  h  la  Hol- 
lande, mais  l'Angleterre  devenue,  par  le  mariage  du  prince 
d'Orange,  l'intime  alliée  des  Provinces-Unies,  déclara  de  son 
côté  la  guerre  à  la  France,  en  prétextant  les  tentatives  de 
restauration  faites  par  Jacques  II  avec  l'appui  de  Louis  XIV. 

Le  roi  d'Angleterre  envoya  un  corps  de  troupes  en  Hol- 
lande, sous  les  ordres  de  Marlborough,  pour  remplacer  les 
troupes  hollandaises  qu'il  devait  encore  conserver  en  Angle- 
terre. 

Les  coalisés  formèrent  trois  armées  :  d'abord  une  armée 
sur  la  Sambre,  commandée  par  le  prince  de  Waldeck.  Elle 
était  composée  de  Hollandais,  d'Espagnols  et  d'Anglais,  et 
devait  attaquer  la  France  par  le  nord.  Une  deuxième  armée, 
formée  par  les  troupes  prussiennes  et  par  celles  des  cercles 
du  nord  de  l'Allemagne,  devait  opérer  dans  le  Bas-Rhin,  en  se 
portant  sur  Bonn  et  Cologne. La  troisième  armée,  commandée 
par  le  duc  de  Lorraine  et  composée  des  Impériaux  et  des 
contingents  de  l'ouest  de  l'Allemagne,  était  destinée  à  agir 
dans  le  Haut-Rhin. 

Ainsi  menacés  de  toutes  parts,  les  Français  durent  se  con- 
centrer. Ils  abandonnèrent  le  Palatinat  et  Trêves.  Mais  avant 
leur  départ,  ils  saccagèrent  d'une  façon  épouvantable  le 
pays,  afin  d'empêcher  l'ennemi  de  s'y  procurer  des  subsis- 
tances. 

Le  maréchal  d'Humières  fut  opposé  au  corps  de  Waldeck, 
sur  la  Sambre.  Il  eut  un  engagement  avec  l'ennemi,  le 
27  août  1689,  à  Walcourt.  Un  détachement  de  1,500  hommes 
envoyés  en  fourrageurs,  ayant  été  coupé  de  l'armée  alliée 
par  les  troupes  du  maréchal,  s'était  jeté  dans  cette  petite  ville" 
entourée  d'une  muraille.  Le  maréchal  d'Humières  voulant 


—     M     — 

poursuivre  ce  succès ,  fit  donner  imprudemment  l'assaut  ; 
mais  le  prince  de  Waldeck  accourut  au  secours  de  son  déta- 
chement et  attaquant  les  Français  avec  vigueur,  les  obligea 
de  lâcher  prise,  en  leur  faisant  éprouver  des  pertes  considé- 
rables. 

L'électeur  de  Brandebourg  prit  Bonn  et  le  duc  de  Lorraine, 
Charles  V,  s'empara  de  Mayence.  Ce  dernier  mourut  peu 
après. 

L'échec  de  Walcourl  causa  la  disgrâce  du  maréchal  d'Hu- 
mières.  Il  fut  remplacé  par  le  maréchal  de  Luxembourg. 
Henri-François  de  Montmorency,  duc  de  Lux^embourg,  âgé 
alors  de  soixante-trois  ans,  était  un  digne  élève  de  Condé  et 
de  Turenne. 

Le  prince  de  Waldeck  attendait  du  secours  dans  les  envi- 
rons de  Fleurus,  lorsque  le  duc  de  Luxembourg,  renforcé 
d'une  partie  de  l'armée  de  la  Moselle,  passa  la  Sambre  entre 
Charleroi  et  Namur  et  marcha  contre  les  alliés. 

Le  prince  de  Waldeck  rangea  son  armée,  la  droite  à  Wan- 
genies ,  la  gauche  vers  Wagnelée  et  à  hauteur  de  Saint- 
Amand,  formant  une  ligne  légèrement  convexe  du  côté  de 
Fleurus.  Il  fit  occuper  Saint-Amand  par  cinq  bataillons  et 
couvrit  d'artillerie  le  front  de  sa  première  ligne.  L'ensemble 
de  ses  forces  s'élevait  à  37,800  hommes  (38  bataillons,  38  es- 
cadrons, 50  bouches  à  feu). 

Le  1  juillet  1690,  l'armée  française,  forte  de  39,500  hom- 
mes (37  bataillons,  80  escadrons,  70  bouches  â  feu),  traversa 
les  villages  de  Lambusart  et  de  Fleurus,  laissés  inoccupés 
par  l'ennemi,  et  vint  prendre  position  sur  les  hauteurs  qui 
s'inclinent  vers  le  ruisseau  de  Ligny. 


—     35     — 

Le  duc  de  Luxembourg,  reconnaissant  la  difficulté  d'abor- 
der l'ennemi  de  face,  prit  le  parti  de  le  tourner  par  la 
gauche. 

L'action  commença  de  part  et  d'autre  par  un  feu  violent 
d'artillerie. 

Un  corps  français  de  9  bataillons  et  de  31  bouches  à  feu 
fut  dirigé  par  Ligny  sur  le  village  de  Saint-Amand,  pour  y 
tenter  une  attaque.  Ses  batteries  y  canonnèrent  avec  succès 
la  cavalerie  alliée.  Le  duc,  avec  un  autre  corps  de  41  esca- 
drons, 5  bataillons  et  9  canons,  dérobantsa  marche  h  la  faveur 
de  hauts  blés,  commença  alors  son  mouvement  tournant;  à 
cet  effet  il  se  porta  par  Ligny  jusqu'à  la  chaussée  de  Bruxelles, 
suivit  une  ancienne  voie  romaine  qui  coupe  la  chaussée 
non  loin  de  Brye,  et  alla  se  déployer  entre  Wagnelée  et  Ghes- 
seau,  pour  prendre  l'ennemi  à  dos. 

L'attaque  sur  Saint-Amand  réussit  et  Wagnelée,  où  les 
alliés  n'avaient  pas  pris  position,  fut  occupé  par  les  Français. 
D'autre  part,  l'extrême  gauche  française  pénétra  dans  Wan- 
genies,  mais  le  reste  de  cette  aile  fut  refoulé.  Ce  revers  par- 
tiel n'eut  pourtant  aucun  résultat  fâcheux  pour  les  Français. 
Le  prince  de  Waldeck  s'étant  aperçu  seulement  alors  du 
mouvement  tournant  exécuté  par  l'ennemi,  chercha  à  parer 
au  danger,  en  tirant  des  troupes  de  sa  réserve  et  de  sa  se- 
conde ligne  ;  il  plaça  ces  forces  perpendiculairement  à  son 
extrême  gauche.  Cette  dernière  manœuvre  eut  pour  effet 
d'affaiblir  considérablement  le  centre  des  alliés,  qui  plia  sous 
les  efforts  des  Français.  Après  un  sanglant  combat,  le  centre 
des  Français  finit  par  opérer  sa  jonction  avec  le  duc  de 
Luxembourg.  Le  prince  de  Waldeck  culbuté  de  face,  accablé 
sur  sa  gauche,  chercha  alors  à  se  reformer  sur  les  hauteurs 
de  Saint-Fiacre.  Mais  l'artillerie  française  vint  y  canonner 
ses  carrés  qui,  harcelés  ensuite  par  la  cavalerie,  finirent  par 


-     56     - 

être  brisés.  L'armée  du  prince  se  retira  en  désordre  sur 
Charleroi. 

Les  alliés  perdirent  8  à  6,000  hommes  tués  ou  blessés  et 
autant  de  prisonniers.  Les  Français  eurent  4  à  5,000  hommes 
hors  de  combat. 

Les  causes  de  la  défaite  des  alliés  sont  dues,  d'après 
Kausler  : 

1"  à  l'appréciation  exacte  du  terrain  faite  par  le  duc  de 
Luxembourg  ; 

2°  au  manque  de  précautions  du  côté  du  prince  de  Wal- 
deck  qui  ne  se  fit  pas  suffisamment  éclairer  ; 

3°  au  défaut  de  résolution  chez  les  alliés  qui  restèrent  sur 
la  défensive  ;  • 

4"  à  leur  négligence  à  occuper  les  villages  sur  le  front  et 
sur  les  flancs  ; 

5°  enfin  à  la  supériorité  en  nombre  et  en  qualité  de  la 
cavalerie  française. 

Les  Français  ne  tirèrent  pas  grand  parti  de  cette  victoire. 
Le  prince  de  Waldeck,  ayant  enfin  reçu  ses  renforts,  l'armée 
de  Louis  XIV,  dans  les  Pays-Bas,  dut  rester  sur  la  défensive. 


IV 


Le  prince  Eugène.  —  Câlinai.  — Les  Barbets.  —  Affaire  de  Staffarde,  — 
Sièges  de  Mons  et  de  Namur  par  les  Français.  —  Bataille  de  Steen- 
kerque.  —  Combat  naval  de  la  Hogue.  —  Bataille  de  Neerwinden- 


Tandis  que  Luxembourg  portait  des  coups  décisifs  sur  la 
Sambre,  l'armée  française  en  Allemagne  se  bornait  à  de  sim- 
ples mouvements.  Commandée  par  le  dauphin,  auquel  était 


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-      57     - 

alors  adjoint  le  comte  de  Lorges,  elle  faisait  face  à  l'électeur 
de  Brandebourg,  qui  avait  repris  le  commandement  du  duc 
de  Lorraine.  Les  deux  armées  en  présence  ne  se  signalèrent 
par  aucun  fait  d'armes  remarquable.  Les  généraux  allemands 
s'opposèrent  simplement  à  l'entrée  des  Français  dans  le 
Wurtemberg. 

Le  duc  de  Savoie,  Victor-Amédée,  avait  hésité  pendant 
quelque  temps  à  entrer  dans  la  ligue  d'Augsbourg.  Le  prince 
Eugène  fut  député  auprès  de  lui  pour  l'engager  à  se  joindre 
aux  ennemis  de  Louis  XIV  et  réussit  dans  cette  négociation. 

Le  prince  Eugène-François  de  Savoie,  arrière-petit-fils  du 
duc  de  Savoie  Charles-Emmanuel,  était  fils  du  comte  de  Sois- 
sons  et  d'Olympe  Mancini,  nièce  de  Mazarin.  D'une  com- 
plexion  délicate,  on  l'appelait  dans  sa  jeunesse  le  petit  abbé  (1). 
Français  de  naissance,  il  avait  offert  ses  services  à  Louis  XIV, 
qui  lui  refusa  un  régiment,  le  jugeant  incapable  d'un  tel 
commandement.  Le  prince  humilié  en  conçut  une  haine 
implacable  contre  la  France  et,  pour  satisfaire  son  ressenti- 
ment, il  mit  son  épée  au  service  de  l'empereur.  A  vingt- 
cinq  ans,  il  avait  fait  toutes  les  campagnes  de  l'empire.  C'est 
à  ce  moment  que  nous  le  voyons  paraître  sur  la  scène, 
comme  général  de  l'armée  impériale,  au  service  de  la  Savoie. 

Le  général  français  Nicolas  Catinat  fut  chargé  d'envahir  la 
Savoie,  à  la  tête  de  20,000  hommes.  Catinat,  qui  avait  quitté 
la  robe  pour  l'épée,  était  un  soldat  de  fortune,  parvenu  par 
sa  patience  et  son  courage  aux  plus  hauts  grades  militaires. 

Un  détachement  de  l'armée  de  Catinat,  commandé  par  le 

(1)  Il  était  destiné  à  la  prêtrise. 


-     58     - 

marquis  de  Feuquières,  alla  faire  une  guerre  acharnée  dans 
les  montagnes  du  pays  de  Vaud,  où  s'étaient  retirés  de  nom- 
breux calvinistes  hostiles  à  la  France.  Cette  expédition  est 
connue  sous  le  nom  de  guerre  des  Barbets,  en  raison  des  lon- 
gues barbes  que  portaient  les  montagnards  vaudois. 

Catinat  marcha  hardiment  vers  le  Pô  et  livra  bataille  au 
duc  de  Savoie,  le  18  août  1690,  k  l'abbaye  de  Staff'arde,  en 
Piémont.  Les  dispositions  de  l'armée  du  duc  étaient  mau- 
vaises; ses  ailes  non  appuyées  furent  aisément  tournées  et 
la  déroute  s'en  suivit.  Le  duc  perdit  3,000  hommes,  les  Fran- 
çais beaucoup  moins. 

L'occupation  de  la  Savoie  et  d'une  partie  du  Piémont 
devait  être  la  conséquence  de  cette  affaire,  mais  le  prince 
Eugène  et  le  duc  de  Bavière,  passés  en  Italie  avec  des  ren- 
forts, harcelèrent  tant  et  si  bien  les  Français  que  ceux-ci 
lurent  obligés  de  repasser  les  Alpes. 

En  1691,  Louis  XIV,  aidé  du  duc  de  Luxembourg,  résolut 
de  s'emparer  de  Mons.  L'attaque  des  Français  partit  des 
liauteurs  de  Berlaimont.  La  garnison  ne  put  se  servir  des 
inondations,  au  moyen  de  la  Haine  et  de  la  Trouille,  pour 
(.'mpêcher  l'approche  des  Français,  ceux-ci  se  trouvant  d'une 
part  maîtres  de  Saint-Gliislain  sur  la  Haine,  et  de  l'autre 
ayant  détourné  le  cours  de  la  Trouille.  Le  prince  de  Bergues 
défendit  bravement  la  place  et  en  sortit  avec  les  honneurs 
de  la  guerre.  La  garnison  alla  rejoindre  l'armée  alliée. 

Après  ce  succès,  Louis  XIV  retourna  à  Paris,  laissant  le 
commandement  au  duc  de  Luxembourg. 

Pendant  le  siège,  le  roi  Guillaume  était  revenu  sur  le 
continent  pour  prendre  le  commandement  de  l'armée  alliée 


-    m    — 

en  Belgique.  Il  s'était  porté  sur  Hal,  dans  le  but  de  secourir 
Mons  ;  l'infériorité  numérique  de  ses  troupes  l'empêcha 
d'abord  d'aller  plus  avant.  Son  armée  ayant  été  renforcée,  il 
put  continuer  sa  marche  ;  mais  aucune  occasion  ne  se  pré- 
senta pour  attaquer  avec  avantage.  Au  mois  de  septembre,  il 
retourna  en  Angleterre,  après  avoir  remis  le  commandement 
au  prince  de  Waldeck.  Celui-ci  se  dirigeait  de  Leuze  vers 
la  Dendre,  lorsque,  le  18  septembre  1694,  le  maréchal  de 
Luxembourg  fit  attaquer  un  détachement  de  cavalerie  de  son 
arrière-garde  qui  perdit  1,500  hommes,  tandis  que  les 
Français  n'en  laissèrent  que  400  sur  le  terrain. 

En  1692,  le  roi  d'Espagne  nomma  l'électeur  de  Bavière, 
Maximilien-Emmanuel ,  gouverneur-général  des  Pays-Bas 
espagnols. 

La  même  année,  120,000  Français  entrèrent  en  ligne  contre 
les  alliés.  Ces  forces  furent  divisées  en  deux  corps,  dont  l'un, 
sous  Louis  XIV  aidé  du  maréchal  de  Boufflers,  assiégea 
Namur.  L'autre,  sous  de  Luxembourg,  se  tint  en  observation 
sur  la  Méhaigne. 

Le  roi  Guillaume,  avec  97,000  hommes,  se  rapprocha  de 
cette  rivière,  mais  il  ne  jugea  pas  convenable  d'attaquer. 

Le  siège  de  Namur  offrit  surtout  ceci  de  remarquable  que 
les  deux  plus  célèbres  ingénieurs  militaires,  dont  l'histoire 
fasse  mention,  s'y  trouvèrent  en  présence  :  le  baron  de  Coë- 
horn,  de  l'armée  hollandaise,  qui  dirigeait  les  travaux  de  la 
défense,  et  Vauban,  qui  conduisait  les  attaques. 

Les  Français  s'établirent  sur  les  hauteurs  qui  dominent  la 
ville,  entre  la  Sambre  et  la  Meuse,  et  dirigèrent  en  même 
tempe,  du  côté  nord,  une  attaque  contre  l'enceinte,  par  la 
vallée  du  fleuve.  Des  batteries  établies  sur  la  rive  droite 
agissaient  à  revers  contre  les  fronts  assiégés. 


—     60     — 

L'enceinte,  ainsi  battue  en  brèche  de  trois  côtés  à  la  fois, 
fut  bientôt  enlevée.  Les  Français,  attaquant  ensuite  la  cita- 
delle, enlevèrent  d'assaut  son  premier  retranchement  avancé. 
Un  fort  détaché  en  avant  de  la  citadelle  (le  fort  Guillaume 
construit  par  Coëhorn)  fut  entouré  d'une  tranchée,  de  manière 
à  lui  enlever  toute  communication  avec  la  place,  et  dut  se  ren- 
dre. Le  restant  des  fortifications  de  ce  côté  tomba  bientôt  au 
pouvoir  des  assiégeants  (30  juin  1692). 

Le  roi  retourna  à  Paris,  après  la  reddition,  laissant  le  com- 
mandement au  duc  de  Luxembourg. 

Le  roi  Guillaume  partit  des  environs  de  la  Méhaigne,  se 
porta  sur  Hal  et  alla  camper  du  côté  de  Tubize,  sa  gauche 
vers  ce  village,  sa  droite  à  Sainte-Renelle.  Le  duc  de  Luxem- 
bourg prit  position  près  de  Steenkerque,  entre  Braine-le- 
Comte  et  Enghien. 

Le  roi  Guillaume  avait  découvert  qu'un  secrétaire  de  l'élec- 
teur de  Bavière  faisait  l'espion  dans  l'armée  des  alliés,  aux 
gages  du  duc  de  Luxembourg.  Il  ordonna,  sous  menace  de 
mort,  à  cet  individu  d'écrire  au  maréchal  de  France  que 
l'armée  hollandaise  enverrait  le  jour  suivant  (3  août  1692), 
un  gros  détachement  aux  fourrages  et  soutiendrait  les  four- 
rageurs  par  un  corps  d'infanterie. 

Le  lendemain,  en  effet,  les  avant-postes  français  signalè- 
rent l'approche  de  colonnes  ennemies.  Le  duc  de  Luxem- 
bourg, qui  était  indisposé,  se  préoccupa  d'abord  médiocre- 
ment de  cette  nouvelle.  Il  se  fiait  aux  renseignements  donnés 
par  son  espion. 

Vers  deux  heures  après  midi,  le  roi  Guillaume,  avant  d'avoir 
achevé  toutes  ses  dispositions,  ordonna  à  sa  gauche,  composée 
d'infanterie  hollandaise,  danoise  et  anglaise,  sous  les  ordres 
du  duc  de  Wurtemberg,  d'attaquer  la  droite  des  Français. 


-     61      - 

L'attaque  se  fit  avec  impétuosité.  Les  Français,  qui  avaient 
pris  rapidement  les  armes,  eurent  leur  droite  presqu'entiè- 
rement  culbutée  ;  si  leur  gauche  et  leur  centre  eussent  été 
attaqués  en  même  temps,  la  journée  était  perdue  pour  eux. 
Mais  le  terrain,  hérissé  d'obstacles  tels  que  marais,  brous- 
sailles,, haies  et  filets  d'eau,  empêcha  les  autres  colonnes  des 
alliés  de  soutenir  le  duc  de  Wurtemberg  et  de  communiquer 
entre  elles.  En  outre,  la  cavalerie  alliée  alla  par  mégarde 
s'embarrasser  dans  les  broussailles  et  se  mêler  avec  l'infan- 
terie dont  elle  paralysa  l'action. 

Ces  circonstances  permirent  aux  Français  de  dégarnir  sans 
danger  leur  gauche  et  leur  centre  pour  soutenir  leur  droite. 

La  Maison  du  roi,  en  tête  de  laquelle  se  trouvaient  tous 
les  princes  français,  avait  soutenu  le  premier  choc  avec  un 
courage  héroïque.  Son  exemple  fut  suivi  par  les  autres 
troupes  et  les  alliés  furent  repoussés  à  un  quart  de  lieue. 

Le  comte  de  Solmes,  commandant  la  réserve  et  à  qui  le 
roi  Guillaume  avait  expédié  l'ordre  d'avancer  avec  l'infan- 
terie, n'envoya  que  sa  cavalerie,  inutile  dans  un  pays  aussi 
accidenté. 

Le  marquis  de  Boufflers ,  campé  à  trois  lieues  de  là , 
accourut  au  bruit  du  canon  et  décida  la  victoire  en  faveur  des 
Français. 

A  la  nuit  tombante,  le  roi  Guillaume  se  retira  sans  être 
poursuivi. 

7,000  hommes  restèrent  sur  le  terrain.  Les  pertes  parais» 
sent  avoir  été  égales  de  chaque  côté. 

La  victoire  des  Français  peut  être  attribuée  à  la  valeur 
déployée  par  les  gentilshommes  de  la  Maison  du  roi.  Aussi 
acquirent-ils  depuis  lors  un  renom  de  bravoure  sans  pareil  (1). 

(1)  La  victoire,  due  à  la  valeur  de  tous  ces  jeunes  princes  et  de  la 


-     62      - 

La  bataille  de  Steenkerque  est  la  dernière  où  l'on  vit  des 
corps  d'infanterie  armés  de  la  pique.  Depuis  lors  on  fit  usage 
du  fusil  muni  de  la  baïonnette  ;  cette  dernière  venait  d'être 
inventée  à  Bayonne. 

Le  roi  Guillaume  alla  camper  à  Grammont  ;  l'armée  fran- 
çaise s'établit  entre  Leuze,  Tournai  et  Condé. 

Le  duc  de  Luxembourg  partit  pour  Paris,  laissant  le  com- 
mandement au  marquis  de  Boufflers, 

Cette  même  année  (1692),  une  tentative  de  restauration  de 
Jacques  II  sur  le  trône  d'Angleterre  amena  une  terrible  ba- 
taille navale  entre  les  flottes  anglaise  et  française,  comman- 
dées respectivement  par  lord  Russell  et  l'amiral  Tourville. 

Le  roi  Jacques,  ancien  chef  de  la  marine  d'Angleterre,  avait 
des  intelligences,  avec  les  commandants  des  navires  anglais. 
Comptant  sur  la  défection  de  ces  officiers,  il  proposa  un 
débarquement  sur  les  côtes  de  la  Grande-Bretagne. 

On  prétend  que  le  roi  Guillaume,  ayant  connu  le  complot, 
fit  changer  au  dernier  moment  tous  les  capitaines  de  vaisseau 
de  l'escadre. 


plus  florissante  noblesse  du  royaume,  fit  à  la  cour,  à  Paris  et  dans  les 
provinces,  un  effet  qu'aucune  bataille  gagnée  n'avait  fait  alors. 

M.  le  Duc,  le  prince  de  Conti,  MM.  de  Vendôme  et  leurs  amis  trou- 
vaient, en  s'en  retournant,  les  chemins  bordés  de  peuple  ;  les  accla- 
mations et  la  joie  allaient  jusqu'à  la  démence  :  toutes  les  femmes 
s'empressaient  d'attirer  leurs  regards.  Les  hommes  portaient  alors  des 
cravates  de  dentelle  qu'on  arrangeait  avec  assez  de  peine  et  de 
temps.  Les  princes,  s'étant  habillés  avec  précipitation  pour  le  combat;, 
avaient  passé  négligemment  ces  cravates  autour  du  cou.  Les  femmes 
portèrent  des  ornements  faits  sur  ce  modèle  ;  on  les  appela  des  steen- 
kerques.  Toutes  les  bijouteries  nouvelles  étaient  à  la  steenkerque.  Un 
jeune  homme  qui  s'était  trouvé  à  cette  bataille  était  regardé  avec  em- 
pressement. Le  peuple  s'attroupait  partout  autour  des  princes  ;  on 
les  aimait  d'autant  plus  que  leur  faveur  à  la  cour  n'était  pas  égale  à 
leur  gloire.  (Voltaire). 


-      (55      - 

Quoiqu'il  en  ait  été,  le  29  mai,  les  deux  flottes  se  rencon- 
trèrent. Les  vaisseaux  français,  en  nombre  inférieur  et  très- 
maltraités  pendant  l'affaire,  durent  se  réfugier  dans  divers 
ports  de  la  côte  de  France.  Les  navires  qui  se  retirèrent  dans 
les  ports  sans  défense  de  Cherbourg  et  de  la  Hogue  furent 
brûlés. 

En  janvier  1693,  le  maréchal  de  Bouflflers  s'empara  de 
Furnes. 

L'armée  française  fut  divisée  en  deux  corps  d'armée;  l'un, 
sous  Louis  XIV  assisté  du  dauphin  et  du  marquis  de  Bouf- 
flers,  l'autre  sous  les  ordres  du  duc  de  Luxembourg. 

Ces  corps  d'armée  campèrent  près  de  Mons,  tandis  que  le 
roi  Guillaume  prenait  une  excellente  position  près  de  Lou- 
vain. 

420,000  hommes  se  trouvaient  du  côté  des  Français, 
80,000  seulement  de  l'autre.  Cette  énorme  différence  per- 
mettait d'attaquer  le  roi  Guillaume  avec  grande  chance  de 
succès.  Pourtant  Louis  XIV  partit  pour  Versailles,  envoyant 
le  dauphin  avec  un  corps  d'armée  en  Allemagne  et  laissant  le 
commandement  du  reste  au  duc  de  Luxembourg. 

Ce  dernier  se  rapprocha  des  alliés  qui  avaient  pris  posi- 
tion à  Meldert,  à  peu  de  distance  de  Tirlemont.  Luxembourg 
jugea  le  roi  Guillaume  trop  avantageusement  placé  pour  l'at- 
taquer avec  succès.  Il  marcha  vers  la  Meuse  comme  s'il  allait 
assiéger  Liège  et  envoya  même  Villeroi  investir  Huy.  Cette 
tactique,  qui  réussit,  avait  pour  but  de  forcer  le  roi  Guil- 
laume à  quitter  sa  position  et  à  s'affaiblir  par  l'envoi  de  ren- 
forts à  Liège.  L'armée  alliée  passa  les  deux  Gètes  et  s'établit 
à  Neerwinden,  tandis  que  Luxembourg  était  campé  à  Vinal- 
mont  sur  la  Méhaigne,  à  sept  lieues  de  distance. 


—     U     — 

L'armée  française  se  mit  en  marche  vers  Neerwinden.  La 
cavalerie  arriva,  le  28  juillet  au  soir,  près  de  ce  village. 
Comme  il  était  trop  tard  pour  rien  entreprendre  ce  jour,  on 
bivaqua.  Le  duc  de  Luxembourg  était  en  force  très-supé- 
rieure ;  il  avait  89  bataillons,  195  escadrons  ;  les  alliés  58  ba- 
taillons, 117  escadrons.  Aussi  le  maréchal  de  France  crai- 
gnait-il que  le  roi  Guillaume  ne  profitât  de  la  nuit  pour 
passer  la  Gète,sur  laquelle  il  avait  plusieurs  ponts,  et  n'évitât 
la  bataille.  Mais  les  alliés  travaillèrent  toute  la  nuit  pour  for- 
tifier leur  position.  Des  retranchements  furent  élevés  entre 
Neerwinden  et  Neerlanden,  depuis  le  premier  de  ces  vil- 
lages jusqu'au  ruisseau  de  Landen.  En  arrière  de  Rumsdoi^p, 
on  éleva  une  barricade  de  chariots.  Les  parapets  furent 
garnis  de  90  bouches  à  feu  et  les  villages  de  Laer,  Neerwin- 
den, Rumsdorp  et  Neerlanden  fortement  barricadés. 

De,  Neerwinden  à  la  petite  Gèle,  le  front  se  trouvait  cou- 
vert par  une  haie  épaisse  et  un  ruisseau. 

La  bataille  commença  le  29  juillet  1693,  à  huit  heures 
du  matin,  par  une  canonnade  sur  toute  la  ligne. 

Les  alliés  étaient  placés  de  la  manière  suivante  : 

L'artillerie  dans  les  retranchements  et  à  l'aile  droite.  Cette 
aile  était  composée  de  troupes  bavaroises  sur  trois  lignes, 
aux  ordres  de  l'électeur  Maximilien.  Elle  était  appuyée  à  la 
Gète,  ayant  en  front  les  villages  de  Laer  et  de  Neerwinden, 
occupés  par  l'infanterie  hanovrienne,  brandebourgeoise  et 
anglaise.  Au  centre  l'infanterie  anglaise  immédiatement  der- 
rière les  retranchements  entre  Neerwinden  et  Neerlanden  ; 
plus  en  arrière,  dans  la  plaine,  une  partie  de  la  cavalerie  an- 
glaise, formée  sur  deux  lignes.  Enfin  à  l'aile  gauche  le  reste  de 
la  cavalerie  anglaise  également  sur  deux  lignes,  une  fraction 
en  potence  faute  d'espace  ;  les  villages  de  Rumsdorp  et  Neer- 
landen ,  occupés  par  de  l'infanlerie  et  des  dragons  anglais. 


-     6b     — 

La  gauche  française  était  vis-à-vis  de  Laer  et  Neerwindeii, 
le  front  garni  d'artillerie.  D'abord  32  bataillons,  4  escadrons, 
3  batteries,  sous  les  ordres  du  général  Rubantel,  puis  51  es- 
cadrons commandés  par  le  duc  de  Joyeuse. 

Le  centre  entre  Racour  et  Landen  était  couvert  d'artillerie 
et  comprenait  huit  lignes  :  en  première  la  Maison  du  roi, 
17  escadrons  (duc  de  Chartres);  —  en  deuxième  les  Suisses 
et  gardes  françaises,  11  bataillons  ;  —  en  troisième  la  cava- 
lerie de  Villeroi,  20  escadrons  ;  —  en  quatrième,  21  batail- 
lons d'infanterie.  Les  quatre  dernières  lignes  étaient  formées 
de  87  escadrons. 

L'aile  droite  comprenait  25  bataillons  avec  artillerie  en 
front,  sous  le  prince  de  Conti,  devant  Rumsdorp,  et  16  esca- 
drons du  général  de  Caylus,  près  d'Attenhoven. 

Le  plan  du  duc  de  Luxembourg  était  de  faire  une  fausse 
attaque  sur  la  gauche  de  l'ennemi  et  de  diriger  l'attaque 
principale  sur  les  villages  de  Laer  et  de  Neerwinden. 

A  neuf  heures  du  matin,  presque  toutes  les  forces  étaient 
engagées.  L'infanterie  française  reçut  l'ordre  de  se  porter  à 
la  baïonnette  sur  les  villages  de  Laer  et  de  Neerwinden. 
Rumsdorp  et  Neerlanden  furent  occupés,  bien  que  le  duc 
de  Luxembourg  n'eût  pas  ordonné  de  s'emparer  de  ces 
dernières  positions,  mais  simplement  d'y  contenir  l'ennemi. 

Deux  fois  l'infanterie  française  avait  pénétré  dans  Neer- 
winden et  Laer;  deux  fois  elle  en  fut  repoussée,  tandis  que 
la  droite  française  échouait  à  l'attaque  d'un  ouvrage  en  face 
de  Neerlanden  et  devait  abandonner  avec  grande  perte  les 
villages  de  Rumsdorp  et  de  Neerlanden.  Pour  rétablir  l'ordre, 
le  duc  de  Luxembourg  dut  se  porter  personnellement  de  ce 
dernier  côté.  Il  ordonna  ensuite  une  vigoureuse  attaque  de  la 
garde  et  de  la  Maison  du  roi  sur  Neerwinden,  et  d'autres 
troupes  du  centre  sur  la  partie  retranchée  au  moyen  de  cha- 

5 


—     66     — 

riots.  En  même  temps  le  duc  d'Harcourt,  qui  se  trouvait  à  six 
lieues  de  distance  avec  un  corps  détaché,  arriva  sur  le  champ 
de  bataille  et  se  dirigea  vers  la  droite  des  alliés,  comme  s'il 
voulait  tourner  leur  position.  L'infanterie  alliée  dut  être  re- 
tirée en  partie  des  retranchements  pour  secourir  la  droite 
fortement  menacée.  Quelques  bataillons  et  27  escadrons 
français  pénétrèrent  dans  les  retranchements,  tandis  que 
Laer  et  Neerwinden  étaient  enlevés  définitivement  à  la  baïon- 
nette. La  cavalerie  française  de  l'aile  gauche  et  du  centre 
s'avança  alors  vers  la  plaine  occupée  par  les  alliés,  chargea 
les  escadrons  de  ceux-ci,  qui,  au  lieu  de  couvrir  la  retraite 
de  l'infanterie,  tournèrent  le  dos  sans  se  servir  du  sabre, 
mirent  le  désordre  dans  leurs  propres  troupes,  et  donnèrent 
le  signal  d'une  fuite  précipitée  de  l'autre  côté  de  la  Gète  (1). 


(i)  Guillaume  renversa  d'abord  les  escadrons  qui  se  présentèrent 
contre  lui,  mais  enfin  il  fut  renversé  lui-même  sous  son  cheval  tué.  Il 
se  l'eleva  et  continua  le  combat  avec  les  efforts  les  plus  obstinés. 

Luxembourg  entra  deux  fois,  l'épée  à  la  main,  dans  le  village  de 
Neerwinden.  Le  duc  de  Villeroi  fut  le  premier  qui  sauta  dans  les 
retranchements  des  ennemis  ;  deux  fois  le  village  fut  emporté  et  repris. 

Ce  fut  à  Neervirinden  que  Philippe,  duc  de  Chartres  (neveu  de 
Louis  XIV  et  régent  sous  Louis  XV),  se  montra  digne  petit-fils  de 
Henri  IV.  Il  chargeait  pour  la  troisième  fois,  à  la  tête  d'un  escadron  ; 
cette  troupe  étant  repoussée,  il  se  trouva  dans  un  terrain  creux,  envi- 
ronné de  tous  côtés  d'hommes  et  de  chevaux  tués  ou  blessés.  Un 
escadron  ennemi  s'avance  à  lui,  lui  crie  de  se  rendre  :  on  le  saisit;  il 
se  défend  seul,  il  blesse  l'officier  qui  le  retenait  prisonnier;  il  s'en 
débarrasse.  On  revole  à  lui  dans  le  moment,  et  on  le  dégage.  Le  prince 
de  Condé,  le  prince  de  Conti  son  émule,  qui  s'étaient  tant  distingués  à 
Steenkerque,  combattaient  de  même  à  Neerwinden  pour  leur  vie, 
comme  pour  leur  gloire,  et  furent  obligés  de  tuer  des  ennemis  de  leur 
main. 

Le  maréchal  de  Luxembourg  se  signala  et  s'exposa  plus  que  jamais. 
Son  fils,  le  duc  de  Montmorenci ,  se  mit  au-devant  de  lui ,  lorsqu'on  le 
tirait,  et  reçut  le  coup  porté  à  son  père.  Enfin  le  général  et  les  princes 
prirent  le  village  une  troisième  fois,  et  la  bataille  fut  gagnée. 

Peu  de  journées  furent  phis  rnenrtrières.  Il  y  eut  environ  vingt  mille 


Coi  1 L l>ai  dcJiicdiina en 


Légende 

0.. 
1    f         ■     7 

ÉI     La-<,>a- Cette  Ltî 

J 1  il  a  \\i.cA,  i  f  Ji  i  J  t  iiicc'  ^c  Jjo^s 


—     67     - 

On  s'était  battu  par  uo  ardent  soleil  de  juillet  jusqu'à  qua- 
tre'ou  cinq  heures  après  midi.  A  cette  heure,  toutes  les  posi- 
tions des  alliés  étaient  forcées. 

Cette  victoire  fut  une  des  plus  complètes  des  Français  en 
Belgique.  Les  alliés  perdirent  18,000  hommes,  toute  leur 
artillerie ,  un  grand  nombre  de  drapeaux  et  laissèrent 
1,500  prisonniers  aux  mains  du  vainqueur.  Les  Français 
eurent  8,000  hommes  tués  ou  blessés. 

Les  trophées  conquis  par  cette  victoire  furent  transportés 
à  Paris. La  cathédrale  en  fut  remplie;  aussi  le  prince  de  Conti 
put-il  appeler  le  maréchal  de  Luxembourg  :  «  le  tapissier  de 
Notre-Dame.  » 

Les  causes  de  la  défaite  des  alliés  sont  attribuées,  d'après 
Kausler  : 

1°  au  mauvais  choix  du  champ  de  bataille,  qui  ne  présente 
aucun  enfoncement  et  qui  offre  à  dos  une  rivière  maréca- 
geuse ; 

2°  à  la  supériorité  numérique  de  l'infanterie  française  ; 

3°  à  l'inaction  de  la  cavalerie  alliée  durant  l'affaire  et  à  sa 
fuite  désordonnée  à  la  fin  de  la  bataille. 

Les  Français,  après  leur  victoire,  ne  poursuivirent  pas  les 
alliés.  Ils  se  rabattirent  vers  la  Meuse  pour  tirer  leurs  sub- 
sistances de  Liège,  tandis  que  l'indomptable  Guillaume  alla 
reconstituer  une  nouvelle  armée  aux  environs  de  Bruxelles. 

Au  mois  de  septembre,  le  duc  de  Luxembourg  se  porta  sur 
Fleurus,  pour  couvrir  les  opérations  du  siège  de  Charleroi 
par  Villeroi.  Ce  siège,  dont  Vauban  conduisit  les  travaux, 
dura  vingt-six  jours;  la  place  se  rendit  le  11  octobre  1693. 


morts;  douze  mille  du  côté  des  alliés,  et  huit  de  celui  des  Français. 
C'est  à  cette  occasion  qu'on  disait  qu'il  fallait  clianter  plus  de  De 
profundis  que  de  Te  Deuni  (Voltaire), 


Bataille  de  la  Marsaille. —  Le  duc  de  Luxembourg.—  Bombardement 

de  Bruxelles.  —  Prise  de  Namur  par  le  roi  Guillaume.  — 

Paix  de  Byswick. 

Tandis  que  dans  le  nord  se  livrait  la  sanglante  bataille  de 
Neerwinden,  qu'en  Allemagne  l'armée  française  ravageait  de 
la  façon  la  plus  sauvage  tout  le  pays  de  Heidelberg,  en  Es- 
pagne, le  maréchal  de  Noailles  gagnait  une  bataille  sur  les 
bords  du  Ter,  et  faisait  une  guerre  de  montagne  acharnée. 

L'Italie  aussi  était  le  théâtre  de  grandes  opérations  mili- 
taires. Catinat,  d'abord  retranché  au  sommet  des  Alpes,  en 
attendant  des  renforts,  descendit  de  ces  montagnes  et  se 
trouva  face  à  face  avec  le  duc  de  Savoie  à  la  Marsaille  (Pié- 
mont). 

«  C'était,  dit  Capefigue,  par  une  belle  gelée  d'octobre  (1693), 
si  magnifique  dans  les  Alpes  ;  le  maréchal  Catinat  ne  laissa 
pas  aux  alliés  le  temps  de  se  reconnaître  ;  il  fit  attaquer  la 
gauche  de  l'ennemi  par  20  bataillons  en  colonne  serrée,  la 
baïonnette  au  bout  du  fusil.  La  gendarmerie  de  France,  les 
dragons  attaquèrent  en  même  temps  la  molle  cavalerie  de 
Naples  et  du  Milanais,  qui  fut  mise  en  déroute.  La  seconde 
ligne  en  réserve,  composée  de  cavalerie  allemande,  de  forts 
cuirassiers,  accourut  pour  la  rallier;  elle  fut  elle-même  en- 
traînée :  le  champ  de  bataille  demeura  dans  les  mains  des 
Français.  » 


La  campagne  de  1694,  dans  les  Pays-Bas,  n'offrit  rien  de 
bien  remarquable.  Elle  fut  commandée  par  le  dauphin  assisté 
du  duc  de  Luxembourg.  L'armée  se  porta  de  Mons  à  Saint- 


—     69     ~ 

Trond,  tandis  que  le  roi  Guillaume  se  trouvait  près  de  Lou- 
vain.  Les  deux  armées  étaient  à  peu  près  de  force  égale.  Les 
Français  allèrent  reprendre  ensuite  leur  ancienne  position  à 
Vinalmont  et  s'y  retranchèrent.  Le  roi  Guillaume,  de  son 
côté,  tenta  alors  de  surprendre  Gourtrai  ;  il  marcha  lentement 
par  Sombreffe,  Nivelles,  Soignies  sur  Espierres.  Les  Français 
gagnèrent  de  vitesse  sur  lui  en  allant  de  Namur  k  Mons, 
Gondé,  puis  par  la  rive  gauche  de  l'Escaut  jusqu'à  Tournai, 
d'où  ils  barrèrent  le  passage  à  l'ennemi  avec  leur  tête  de 
colonne  près  d'Espierres.  Le  dauphin  fit  élever  des  retran- 
chements à  Espierres  et  à  Avelghem,  afin  d'empêcher  le  pas- 
sage du  fleuve. 

Le  roi  Guillaume  alla  jusqu'à  Audenarde,  traversa  l'Es- 
caut, fit  la  contre-marche,  et  passant  entre  l'Escaut  et  la  Lys, 
marcha  sur  Gourtrai.  Mais  cette  ville,  défendue  par  des  forces 
considérables,  était  de  plus  bien  appuyée  par  les  lignes  entre 
la  Lys  et  l'Yperlée.  Une  attaque  contre  elle  eût  été  périlleuse. 
Le  roi  Guillaume  y  renonça  et  mit  son  armée  en  quartier 
d'hiver  à  Dixmude,  Deynze  et  Roulers. 

La  ville  de  Huy  prise  et  saccagée  l'année  précédente 
par  Villeroi ,  fut  reprise  par  un  détachement  de  l'armée 
alliée. 

En  1695,  le  commandement  de  l'armée  de  Belgique  échut 
au  maréchal  de  Villeroi,  par  suite  de  la  mort  du  duc  de 
Luxembourg. 

Le  caractère  de  ce  dernier  a  été  retracé  par  le  maréchal 
de  Berwick  dans  les  termes  suivants  :  «  Il  mourut  univer- 
sellement regretté  des  gens  de  guerre.  Jamais  homme  n'eut 
plus  de  courage,  de  vivacité,  de  prudence,  d'habileté  ;  jamais 
homme  n'eut  plus  la  confiance  des  troupes  qui  étaient  à  ses 
ordres  ;  mais  l'inaction  dans  laquelle  on  l'avait  vu  rester, 


—     70     - 

après  plusieurs  de  ses  victoires,  l'a  fait  soupçonner  de  n'avoir 
point  eu  envie  de  finir  la  guerre,  ne  croyant  pas  pouvoir  faire 
la  même  figure  à  la  cour,  qu'à  la  tête  de  cent  mille  hommes. 
Quand  il  était  question  d'ennemis,  nul  général  plus  brillant 
que  lui  ;  mais,  du  moment  que  l'action  était  finie,  il  voulait 
s'occuper  plus  de  ses  plaisirs  que  des  opérations  de  la  cam- 
pagne. Sa  figure  était  aussi  extraordinaire  que  son  humeur 
et  sa  conversation  étaient  agréables.  Sa  grande  familiarité 
lui  avait  attiré  l'amitié  des  officiers  ;  et  son  indulgence  à 
l'égard  des  maraudeurs  l'avait  fait  adorer  des  soldats  qui,  de 
leur  côté,  se  piquaient  d'être  toujours  à  leur  devoir,  quand 
il  avait  besoin  de  leurs  bras.  » 

Malgré  cet  éloge,  les  dévastations  que  permit  de  Luxem- 
bourg à  ses  soldats,  en  Hollande,  resteront  comme  une  tache 
à  sa  mémoire. 


Le  maréchal  de  Villeroi  envoya  une  partie  de  son  armée, 
sous  Bouffi  ers,  derrière  les  lignes  de  Commines  qui  furent 
complétées  de  Menin,  Courtrai,  Helchin,  à  Espierres.  Cette 
immense  ligne  continue  pouvait  être  considérée  comme 
ayant  pour  redoutes  les  places  fortes  de  Tournai,  Courtrai, 
Menin,  Ypres,  Knocke,  Furnes  et  Dunkerque. 

Le  roi  Guillaume,  qui  avait  concentré  son  armée  à  Aude- 
narde,  se  dirigea  sur  Roulers,  comme  s'il  voulait  attaquer 
les  lignes  de  Commines,  mais  son  dessein  réel  était  d'occu- 
per Villeroi  et  de  l'empêcher  de  jeter  du  renfort  dans  Namur 
que  les  alliés  voulaient  assiéger  à  leur  tour.  Guillaume  en 
effet  marcha  sur  Namur  qu'il  investit,  tandis  qu'une  partie 
de  ses  troupes  resta  à  Deynze,  sous  les  ordres  du  prince  de 
Vaudemont. 

Boufflers  quitta  en  hâte  les  lignes  de  Commines  et  parvint 


—      71      - 

à  se  jeter  dans  Namur,  avant  que  les  communications  fussent 
interrompues. 

Les  Français  résolurent  d'attaquer  le  prince  de  Vaude- 
mont.  Ils  lui  enlevèrent  un  avant-poste  de  deux  bataillons 
près  de  Deynze.  Vaudemont  put  toutefois  se  retirer  sur  Gand 
sans  être  poursuivi.  On  ignore  les  motifs  qui  déterminèrent 
Villeroi  à  s'arrêter  au  milieu  d'une  opération  qui  promettait 
grand  succès. 

Villeroi  s'empara  de  Deynze  et  deDixmude,  qui  se  rendirent 
sans  résistance.  Les  commandants  de  ces  places,  ayant  été 
traduits  devant  une  cour  martiale,  furent  le  premier  cassé,  le 
second  décapité. 


Villeroi,  dans  le  but  de  faire  abandonner  au  roi  Guillaume 
le  siège  de  Namur,  se  porta  sur  Bruxelles,  dont  Louis  XIV 
ordonna  le  bombardement  en  représailles  de  ceux  de  Dieppe, 
Saint-Malo,  Calais,  Dunkerque  par  les  Anglais.  Tandis  que  Vil- 
leroi prenait  position  sur  les  hauteurs  du  Scheut-Veld,  hors 
de  la  porte  de  Ninove,  le  prince  de  Vaudemont  venait  camper 
avec  15,000  hommes  à  Dieghem,  à  une  lieue  et  demie  au 
nord  de  Bruxelles  et  occuper  ensuite  les  hauteurs  de  cette 
ville,  depuis  Vleurgat  jusqu'à  la  porte  du  rivage. 

Le  13  août  1695,  les  Français  mirent  en  batterie  derrière 
la  censé  (ou  ferme)  de  Ransfort,  à  Molenbeek-Saint-Jean , 
18  pièces  de  gros  calibre  et  25  mortiers.  Les  Bruxellois  en- 
voyèrent des  parlementaires  au  maréchal  de  France,  mais 
leurs  démarches  n'aboutirent  pas. 

Le  bombardement  commença  à  sept  heures  du  soir  et  dura 
fort  avant  dans  la  nuit.  L'incendie  allumé  par  les  boulets 
rouges  éclata  bientôt  sur  divers  points  de  la  ville,  où  régna 
la  plus  épouvantable  confusion.  Le  lendemain,  de  neuf  heures 


—     72     - 

du  matin  à  quatre  heures  de  l'après-midi,  le  bombardement 
reprit.  L'incendie,  poussé  par  un  vent  violent,  se  propagea 
de  façon  à  ne  faire  qu'un  brasier  du  centre  de  Bruxelles. 
3,830  maisons  furent  brûlées,  460  fortement  endommagées. 
Beaucoup  de  monuments  disparurent  dans  ce  sinistre,  et, 
chose  bien  plus  déplorable,  un  grand  nombre  d'habitants 
périrent  (1).  La  garnison,  manquant  de  munitions,  n'avait  pu 
riposter  que  faiblement.  La  bourgeoisie  prit  des  pavés  et  tua 
bon  nombre  de  Français  qui  s'étaient  avancés  trop  près  de  la 
ville. 

Après  avoir  accompli  leur  œuvre  de  destruction,  les  Fran- 
çais se  retirèrent,  le  15  août,  avec  la  plus  grande  précipita- 
tion, par  la  chaussée  de  Namur,  pour  essayer  de  faire  lever 
le  siège  de  cette  dernière  ville.  Villeroi  avait  alors  90,000 
hommes  de  troupes.  De  son  côté,  Vaudemont,  avec  ses  forces, 
rejoignit  le  roi  Guillaume  qui  put  continuer  le  siège,  en  op- 
posant aux  Français  une  armée  d'observation  sur  l'Orneau 
(petit  ruisseau  passant  à  Gembloux).  La  position  des  alliés 
sur  l'Orneau  étant  forte,  Villeroi  n'osa  les  y  attaquer.  Il  resta 
à  Gembloux  jusqu'à  la  reddition  de  Namur,  et  prit  alors  ses 
cantonnements  près  de  Mons. 

Le  roi  Guillaume  suivit,  pour  assiéger  Namur,  le  plan  d'opé- 
rations exécuté,  en  1692,  par  les  Français.  Pendant  l'occupa- 
tion française,  les  fortifications  de  la' ville  avaient  reçu  un 
accroissement  considérable. 

L'enceinte  fut  prise  d'abord,  la  citadelle  ensuite  (5  sep- 
tembre 1695).  Dans  l'attaque  de  l'enceinte,  on  conduisit  les 
approches  contre  le  pont,  à  la  porte  de  Saint-Nicolas. 


(J;  On  peut  lire  les  détails  navrants  de  ce  bombardement,  dans 
l'Histoire  de  la  ville  de  Bruxelles,  par  MM.  Henné  et  Wauters. 


-     73     - 

En  1696,  une  nouvelle  tentative  infructueuse  de  restaura- 
tion de  Jacques  II,  en  Irlande,  obligea  les  troupes  anglaises 
à  retourner  dans  leurs  pays.  Le  roi  Guillaume  fut  retenu  en 
Angleterre  jusqu'au  mois  de  mai. 

Le  général  Coëhorn  et  lord  Athlone,  avec  30  bataillons, 
bloquèrent  Dinant  et  Givet,  brûlèrent  les  magasins  de  ces 
villes  et  revinrent,  sans  être  inquiétés,  à  Namur  d'où  ils 
étaient  partis. 

Les  Français  ayant  fait  la  paix  en  Italie  avec  le  duc  de 
Savoie,  purent  renforcer  leur  armée  de  Belgique  (1697).  Ils 
formèrent  trois  corps,  respectivement  sous  Villeroi,  Bouf- 
11ers  et  Catinat.  Les  forces  totales  s'élevaient  à  133  batail- 
lons, 350  escadrons. 

Catinat  débuta  par  le  siège  d'Atli  qui  capitula  le  5  juin. 

Villeroi  et  Boufflers  descendirent  le  long  de  la  Dendre  jus- 
qu'à hauteur  de  Ninove,  dans  le  dessein  d'assiéger  Bruxelles, 
mais  le  roi  Guillaume  s'étant  placé  entre  eux  et  cette  ville, 
les  Français  n'osèrent  pas  quitter  les  bords  de  la  rivière. 

Sur  le  Rhin,  les  deux  partis  en  présence  restèrent  dans 
l'inaction.  En  Espagne,  le  maréchal  de  Noailles  avait  été 
remplacé  par  le  duc  de  Vendôme  qui  n'eut  du  reste  aucune 
occasion  de  se  signaler. 

Toutes  les  puissances  étaient  lasses  de  la  guerre.  Depuis 
quelque  temps  déjà  les  hostilités  se  poursuivaient  avec  une 
langueur  qui  faisait  présager  la  paix.  L'épuisement  du  reste 
était  le  même  chez  tous  les  belligérants.  Un  traité  entre  l'An- 
gleterre, laFrance,  la  Hollande  et  l'Espagne  fut  signé  le  20  sep- 
tembre 1697,  au  château  de  Ryswick,  près  de  La  Haye;  l'em- 


—     74     - 

pire  y  adhéra  le  30  septembre  suivant.  Par  ce  traité  l'Espagne 
resta  en  possession  de  la  ville  et  de  la  province  de  Luxem- 
bourg, du  comté  de  Chiny,  de  Gharleroi,  Mons,  Ath  et  Cour- 
trai.  L'évêque  de  Liège  eut  en  retour  Dinant.  Strasbourg  fut 
conservé  à  la  France.  Le  fort  de  Kehl,  sur  la  rive  allemande, 
resta  à  l'empire,  auquel  furent  restitués  Freibourg  et  Philips- 
bourg.  Le  duc  de  Lorraine,  fils  de  Charles  V,  recouvra  ses 
domaines. 


VI. 


Guerre  de  la  succession  d'Espagne.  —  Renseignements  historiques.  — 
Guillaume  III.  —  Le  prince  Eugène  dans  le  Milanais.  —  Surprise  de 
Crémone.  —  Le  duc  de  Vendôme.  —  Bataille  de  Luzzara. 


Le  traité  des  Pyrénées,  en  vertu  duquel  Marie-Thérèse, 
fille  de  Philippe  IV  et  femme  de  Louis  XIV,  avait  renoncé  à 
tous  ses  droits  au  trône  d'Espagne,  avait  été  fait  en  vue 
d'empêcher  la  réunion  des  couronnes  de  France  et  d'Espa- 
pagne  sur  une  même  tète. 

Charles  II,  frère  aîné  de  Marie-Thérèse,  mourut  sans  pos- 
térité, le  1  novembre  1700.  Ce  monarque,  pour  empêcher  la 
l'éunion  des  royaumes  de  France  et  d'Espagne,  fit  un  testa- 
ment par  lequel  il  désigna  comme  son  successeur  dans  la 
monarchie  espagnole,  non  pas  le  dauphin  ni  le  fils  aîné  du 
dauphin,  mais  le  second  fils  de  ce  prince,  Philippe,  duc 
d'Anjou. 

La  mère  de  l'empereur  d'Allemagne,  Léopold,  était  fille  de 
Philippe  III,  cl  par  conséquent  taule  du  dernier  roi  d'Espa- 
gne, Charles  II.  Se  fondant  sur  cette  parenté  et  sur  la  renon- 


-      75       - 

dation  des  descendants  de  l'infante  Marie-Tliérèse,  Léopold 
revendiqua  ses  droits  à  la  succession  espagnole.  De  ses  deux 
fils,  les  archiducs  Joseph  et  Charles,  l'aîné  devant  lui  suc- 
céder, il  réclama  pour  le  second  le  trône  de  Charles  II. 

La  crainte  de  voir  les  Pays-Bas  espagnols  au  pouvoir  d'un 
prince  français,  avait  antérieurement  déjà  fait  concevoir  au 
roi  Guillaume  un  plan  de  partage  de  la  succession  de  Char- 
les II.  Un  traité  avait  même  été  conclu  en  conséquence  entre 
l'Angleterre,  la  Hollande  et  la  France. 

Les  Espagnols  s'indignèrent  à  l'idée  de  voir  leur  pays  dé- 
membré et  ses  dépouilles  partagées  par  les  puissances  étran- 
gères. La  volonté  nationale  se  déclara  ouvertement  en  faveur 
du  duc  d'Anjou,  désigné  par  le  feu  roi.  Louis  XIV,  renonçant 
alors  au  traité  de  partage,  présenta  son  petit-flls  à  la  cour 
de  Versailles,  comme  roi  d'Espagne,  sous  le  nom  de  Phi- 
lippe V. 

Le  nouveau  souverain  se  rendit  aussitôt  à  Madrid  (4  dé- 
cembre 1700). 

Deux  mois  plus  tard,  Louis  XIV  informa  officiellement 
Philippe  V,  que  son  avènement  au  trône  d'Espagne  ne  l'em- 
pêcherait nullement,  lui  ou  ses.  descendants  mâles,  d'hériter 
de  la  couronne  de  France,  si  son  frère  aîné  mourait  sans 
héritier. 

Une  telle  déclaration  devait  causer  nécessairement  une 
vive  sensation  dans  toute  l'Europe.  Elle  eut  pour  effet  d'asso- 
cier aux  prétentions  de  l'empereur  d'Allemagne  la  plupart 
des  nations  européennes,  qui  craignaient  la  trop  grande  puis- 
sance de  la  famille  des  Bourbons. 

Le  premier  acte  de  Philippe  V  fut  de  confirmer  l'électeur 
de  Bavière  dans  les  fonctions  de  gouverneur-général  des 
Pays-Bas  espagnols.  L'électeur  reçut  pour  instruction  d'obéir 
à  tout  ce  que  Louis  XIV  jugerait  à  propos  de  lui  ordonner 


—     76     — 

pour  la  sûreté  de  cette  partie  des  domaines  de  son  petit-ftls. 
En  conséquence  l'électeur  admit  des  troupes  françaises  dans 
Nieuport,  Audenarde,  Xth,  Mons,  Charleroi,  Namur  et 
Luxembourg.  Ces  troupes  entrèrent  secrètement,  de  nuit, 
dans  ces  villes  et  y  firent  prisonniers  22  bataillons  d'infan- 
terie hollandaise,  qui  s'y  trouvaient  en  garnison  depuis  la 
paix  deRyswick. 

L'empereur  ne  se  contenta  pas  de  protester  simplement 
contre  l'accession  du  duc  d'Anjou  au  trône  d'Espagne,  mais 
il  fit  tous  ses  préparatifs  pour  occuper  les  possessions  espa- 
gnoles en  Italie,  et  y  envoya  le  prince  Eugène  avec  un  corps 
d'armée. 

L'Angleterre  reconnut  Philippe  V  et  le  roi  Guillaume  lui 
écrivit  même  une  lettre  pour  le  complimenter.  Cependant 
Guillaume  se  joignit  aux  Hollandais  pour  engager  Louis  XIV 
à  retirer  les  troupes  françaises  des  places  de  la  Belgique 
nouvellement  occupées,  et  il  s'offrit  à  négocier  un  traité  ten- 
dant cl  faire  concéder  à  la  Hollande  la  barrière  de  ces  places. 
Les  États-Généraux  réclamèrent  seuls  la  complète  exécution 
du  traité  de  partage.  Mais  Louis  leur  ayant  offert  de  relâcher 
les  trojipes  hollandaises  faites  prisonnières,  à  condition  de 
leconnaître  le  duc  d'Anjou,  cette  proposition  fut  agréée,  et 
les  troupes  françaises  demeurèrent  en  possession  des  sept 
forteresses  mentionnées  plus  haut. 

Cependant  les  forces  françaises,  en  Belgique,  augmentaient 
de  jour  en  jour.  La  Hollande,  inquiète,  réclama  l'assistance 
•  le  la  Grande-Bretagne.  Le  roi  Guillaume,  avec  l'approbation 
(lu  parlement,  tira  13,000  hommes  de  troupes  de  l'Irlande  et 
'le  l'Ecosse  et  les  envoya  sur  le  continent,  sous  les  ordres  du 
duc  de  Marlborough. 

Jacques  II  mourut  en  1701,  à  Saint-Germain.  Le  prince  de 
Stalles,  son  fils,  fut  reconnu  aussitôt  par  Louis  XIV,  sous  le 


—      77     — 

nom  de  Jacques  III.  Cet  événement  détermina  l'Angleterre  à 
se  joindre  aux  ennemis  de  la  France. 

Vers  la  fin  de  l'année  1701,  les  électeurs  de  Bavière  et  de 
Cologne,  les  ducs  de  Brunswick  et  de  Saxe-Gotha,  le  duc  de 
Savoie  prirent  le  parti  de  la  France  et  de  l'Espagne. 

L'empereur,  les  Hollandais  et  les  Anglais  conclurent  un 
traité,  à  La  Haye,  pour  attaquer  les  Français  dans  les  Pays- 
Bas.  Le  roi  de  Danemark  se  joignit  aux  alliés  et  leur  promit 
un  corps  de  14,000  hommes.  L'empereur  s'assura  le  concours 
de  l'électeur  de  Brandebourg,  en  lui  reconnaissant  le  titre  et 
la  dignité  de  roi  de  Prusse  ;  l'électeur  monta  sur  le  trône, 
sous  le  nom  de  Frédéric  I. 

La  guerre  paraissait  alors  inévitable  ;  aussi  les  différentes 
puissances  s'occupaient  à  en  faire  les  préparatifs  avec  ardeur. 

Les  Français  renforcèrent  de  plus  en  plus  leur  armée  dans 
les  Pays-Bas.  Leurs  troupes,  aidées  de  bandes  considérables 
de  paysans,  furent  employées  à  la  construetion  d'une  ligne 
de  retranchements  qui  s'étendait,  presque  sans  interruptions, 
de  l'Escaut,  sous  Anvers,  jusqu'à  Wasseige  sur  la  Méhaigne. 
En  dehors  de  ces  lignes,  les  Français  et  les  Espagnols  occu- 
paient Liège,  Stevensweert,  Ruremonde  et  Venlo, .sur  la 
Meuse. 

L'empereur,  la  Hollande  et  l'Angleterre  déclarèrent  la 
guerre  à  la  France,  en  mai  1702.  Au  mois  de  septembre 
suivant,  les  petits  États  d'Allemagne,  à  l'exception  des  élec- 
torats  de  Bavière  et  de  Cologne,  suivirent  cet  exemple. 

La  France  fit  alliance  avec  le  duc  de  Savoie ,  dont  la  fille 
cadette  avait  épousé  le  jeune  roi  d'Espagne. 

Le  roi  Guillaume  devait  se  mettre  à  la  tête  des  alliés,  mais 
il  mourut  dans  le  courant  de  l'année  1702,  des  suites  d'une 
chute  de  cheval. 

Guillaume  d'Orange,  en  mourant,  laissa  la  réputation  d'un 


-     78     - 

vaillant  soldat,  d'un  général  de  talent.  Il  eut  la  gloire  de 
refouler  les  Français  depuis  les  murs  d'Amsterdam  jusqu'à 
la  citadelle  de  Namur.  Sans  doute  il  essuya  bien  des  revers, 
et  on  peut  dire  que  ce  ne  fut  pas  un  général  heureux  ;  mais 
les  éléments  dont  il  disposait  étaient  bien  inférieurs  à  ceux 
de  ses  puissants  ennemis.  Les  troupes  sous  ses  ordres  appar- 
tenaient à  toutes  espèces  de  nations,  et  ces  contingents  sans 
cohésion  avaient  des  chefs  divisés  fréquemment  par  la  ja- 
lousie et  des  intérêts  opposés.  La  commission  des  États, 
ainsi  que  le  conseil  de  guerre,  qui  devaient  discuter  d'avance 
chacune  de  ses  opérations  militaires,  paralysèrent  souvent 
son  initiative,  en  ne  lui  laissant  qu'une  faible  part  d'autorité; 
et  pourtant,  avec  cette  nature  froidement  énergique,  qui  le 
caractérisait,  après  chaque  défaite,  loin  d'être  découragé,  on 
le  retrouve,  debout,  prêt  à  recommencer  et  toujours  redou- 
table. 

Guillaume,  veuf  depuis  plusieurs  années  et  sans  postérité, 
laissa  le  trône  d'Angleterre  à  sa  belle-sœur  Anne  Stuart.  Il 
avait  désigné  son  neveu  Jean-Guillaume  Frison,  prince  de 
Nassau-Dietz,  pour  lui  succéder  en  Hollande  ;  mais  le  parti 
républicain  de  ce  pays,  jaloux  de  toute  autorité,  supprima  le 
stadhouderat,  qui  ne  continua  à  subsister  que  dans  les  pro- 
vinces de  Frise  et  de  Groningue.  Cette  dignité  fut  rétablie 
en  1747,  en  faveur  du  fils  de  Guillaume-le-Frison. 

La  guerre  avait  commencé  de  fait  en  Italie,  dès  la  fin  de 
1701.  L'empereur  avait  envoyé  le  prince  Eugène,  avec 
30,000  hommes,  menacer  le  Milanais.  Le  prince  descendit 
les  montagnes  du  Tyrol,  suivit  la  rive  gauche  de  l'Adige,  tra- 
versa ce  fleuve  et  attaqua  vigoureusement  les  troupes  de  Câ- 
linât postées  à  Carpi,  petit  village  entouré  de  murs  et  défendu 
par  un  château. 


—     vl>     - 

Soit  prudence,  soit  timidité,  Catinat  battit  en  retraite  jusque 
derrière  l'Oglio,  bien  que  ses  forces,  unies  h  celles  du  duc 
de  Savoie,  fussent  doubles  de  celles  des  Impériaux.  Par  ce 
succès  l'armée  allemande  devint  maîtresse  des  pays  entre 
l'Adige  et  l'Oglio. 

Villeroi  fut  alors  désigné  pour  commander  l'armée  d'Italie. 
Il  prit  immédiatement  l'offensive  et  attaqua  le  camp  du  prince 
Eugène  dans  une  forte  position,  à  Chiari  (11  septembre  1701). 

L'entreprise  était  téméraire,  car  les  retranchements  à 
enlever  étaient  peu  abordables.  Villeroi,  malgré  les  avis  de 
ses  lieutenants-généraux,  ordonna  l'attaque.  Catinat,  avant 
de  se  décider  à  obéir,  se  fit  répéter  trois  fois  l'ordre  de  mar- 
cher en  avant.  Les  craintes  des  généraux  français  se  réali- 
sèrent; leurs  troupes  furent  culbutées.  Catinat,  quoique 
blessé,  rendit  l'important  service  de  diriger  la  retraite;  il 
quitta  ensuite  l'armée  et  vint  à  Versailles  rendre  compte  à 
Louis  XIV  de  sa  conduite  pendant  qu'il  exerçait  le  comman- 
dement en  chef. 

L'hiver  vint  suspendre  les  hostilités.  Les  Impériaux  le  pas- 
sèrent près  de  Mantoue,  qu'ils  investirent,  et  s'emparèrent 
entretemps  de  Guastalla  et  de  la  Mirandola. 


Le  prince  Eugène  ouvrit  la  campagne  suivante  par  une 
tentative  hardie  sur  Crémone,  où  se  trouvait  le  maréchal  de 
Villeroi  avec  une  forte  garnison. 

«  Le  2  février  1702,  vers  quatre  heures  du  matin,  dit 
Voltaire,  le  maréchal,  qui  dormait  avec  sécurité,  est  réveillé 
au  bruit  des  décharges  de  mousqueterie  ;  il  se  lève  en  hâte, 
monte  à  cheval  ;  la  première  chose  qu'il  rencontre ,  c'est  un 
escadron  ennemi.  Le  maréchal  est  aussitôt  fait  prisonnier  et 


—     80     — 

conduit  hors  de  la  ville ,  sans  savoir  ce  qui  s'y  passait  et 
sans  pouvoir  imaginer  la  cause  d'un  événement  si  étrange. 
Le  prince  Eugène  était  déjà  dans  Crémone  ;  un  prêtre  attaché 
au  parti  de  l'empereur  avait  introduit  les  troupes  allemandes 
par  un  égout  ;  quatre  cents  soldats,  entrés  par  cet  égout  dans 
la  maison  du  prêtre,  avaient  sur-le-champ  égorgé  la  garde 
de  deux  portes  :  celles-ci  ouvertes ,  Eugène  était  entré  avec 
quatre  mille  hommes.  Tout  cela  s'était  fait  avec  ordre, 
secret  et  diligence  et  avant  que  le  maréchal  de  Villeroi  fût 
éveillé.  Le  gouverneur  espagnol  se  montre  d'abord  dans  les 
rues  avec  quelques  soldats  ;  il  est  tué  d'un  coup  de  fusil  ; 
tous  les  officiers  généraux  sont  tués  ou  pris ,  à  la  réserve  du 
comte  de  Rével  et  du  marquis  de  Praslin.  Beaucoup  d'autres 
officiers  français  subirent  le  même  sort.  » 
«  Le  hasard  confondit  la  prudence  du  prince  Eugène.  » 
«  Un  régiment  de  la  garnison,  qui  devait  être  passé  en  revue 
de  grand  matin  par  le  chevalier  d'Entragues,  s'assemblait  à 
une  extrémité  de  la  ville,  précisément  dans  le  temps  que  le 
prince  Eugène  entrait  par  l'autre  ;  ce  corps  résiste  aux  Alle- 
mands qu'il  rencontre,  et  donne  le  temps  au  reste  de  la  gar- 
nison d'accourir.  Les  officiers,  les  soldats,  pêle-mêle,  les  uns 
mal  armés,  les  autres  presque  nus,  sans  commandement, 
sans  ordres,  remplissent  les  rues,  les  places  publiques.  On 
combat  en  confusion,  on  se  retranche  de  rue  en  rue,  de 
place  en  place  ;  deux  régiments  irlandais  qui  faisaient  partie 
de  la  garnison  arrêtèrent  les  efforts  des  Impériaux.  Jamais 
ville  n'avait  été  surprise  avec  plus  de  sagesse,  ni  défendue 
avec  tant  de  valeur.  La  garnison  était  d'environ  cinq  mille 
hommes  ;  le  prince  Eugène  n'en  avait  pas  encore  introduit 
plus  de  quatre  mille.  Un  gros  détachement  devait  arriver  par 
le  pont  du  Pô  :  les  mesures  étaient  bien  prises,  le  hasard  les 
dérangea  toutes.  Ce  pont  du  Pô,  mal  gardé  par  environ  cent 


—     81      — 

soldats  français,  devait  d'abord  être  saisi  par  les  cuirassiers 
allemands,  qui,  dans  l'instant  que  le  prince  Eugène  entra 
dans  la  ville,  furent  commandés  pour  aller  s'en  emparer.  Il 
fallait  pour  cet  effet,  qu'étant  entrés  par  la  porte  du  midi, 
voisine  de  l'égout,  ils  sortissent  sur-le-champ  de  Crémone , 
du  côté  du  nord,  par  la  porte  du  Pô,  et  qu'ils  courussent  au 
pont.  Ils  y  allaient  ;  le  guide  qui  les  conduisait  est  tué  d'un 
coup  de  fusil  d'une  fenêtre  ;  les  cuirassiers  prennent  une  rue 
pour  une  autre,  ils  allongent  leur  chemin.  Dans  ce  petit 
intervalle  de  temps,  les  Irlandais  se  jettent  à  la  porte  du  Pô, 
ils  combattent  et  repoussent  les  cuirassiers  ;  le  marquis  de 
Praslin  profite  du  moment  ;  il  fait  couper  le  pont  :  alors  le 
secours  que  l'ennemi  attendait  ne  put  arriver  et  la  ville  est 
sauvée. » 

«  Le  prince  Eugène,  après  avoir  combattu  tout  le  jour,  maî- 
tre de  la  porte  par  laquelle  il  était  entré,  se  retire  enfin, 
emmenant  le  maréchal  de  Villeroi  et  bon  nombre  de  prison- 
niers. » 

Le  maréchal  de  Villeroi,  peu  aimé  à  la  cour  et  de  ses  sol- 
dats, fut  remplacé  par  le  duc  de  Vendôme. 

Voltaire  a  caractérisé  ce  dernier  dans  les  lignes  suivantes  : 
«  Le  duc  de  Vendôme,  petit-fils  de  Henri  IV,  était  intrépide 
comme  lui,  doux,  bienfaisant,  sans  faste,  ne  connaissant  ni 
la  haine,  ni  l'envie,  ni  la  vengeance.  Il  n'était  fier  qu'avec  les 
princes;  il  se  rendait  l'égal  de  tout  le  reste.  C'était  le  seul 
général  sous  lequel  le  devoir  du  service,  et  cet  instinct  de 
fureur  qui  obéit  à  la  voix  des  officiers,  ne  menassent  point 
les  soldats  au  combat  :  ils  combattaient  pour  le  duc  de  Ven- 
dôme ;  ils  auraient  donné  leur  vie  pour  le  tirer  d'un  mauvais 
pas,  où  la  précipitation  de  son  génie  l'engageait  quelquefois. 
Il  ne  passait  pas  pour  méditer  ses  desseins  avec  la  même 

6 


—      S2      — 

profondeur  que  le  prince  Eugène,  et  pour  entendre  comme 
lui  l'art  de  faire  subsister  les  armées.  Il  négligeait  trop  les 
détails;  il  laissait  périr  la  discipline  militaire;  la  table  et 
le  sommeil  lui  dérobaient  trop  de  temps.  Cette  mollesse  le 
mit  plus  d'une  fois  en  danger  d'être  enlevé;  mais  un  jour 
d'action,  il  réparait  tout  par  une  présence  d'esprit  et  par  des 
lumières  que  le  péril  rendait  plus  vives;  et  ces  jours  d'action, 
il  les  cherchait  toujours  :  moins  fait,  à  ce  qu'on  disait,  pour 
une  guerre  défensive,  et  aussi  propre  à  l'offensive  que  le 
prince  Eugène.  » 

Philippe  V,  qui  était  allé  à  Naples  pour  s'y  faire  reconnaî- 
tre, se  rendit  à  l'armée  d'Italie.  Ses  efforts  unis  à  ceux  de 
Vendôme  obligèrent  Eugène  à  lever  le  blocus  de  Mantoue. 

Les  Français,  à  la  suite  de  ce  dernier  avantage,  se  dispo- 
saient à  couper  à  Eugène  la  communication  de  Guastalla  et 
de  la  Mirandola,  en  se  plaçant  entre  ces  villes  et  le  Pô, 
lorsque  le  prince,  traversant  lui-même  le  fleuve,  à  leur  insu, 
se  cacha  aux  environs  de  Luzzara,  dans  l'entre-deux  de  sa 
rive  droite  et  de  la  digue  du  Zéro,  près  de  laquelle  les  Fran- 
çais vinrent  imprudemment  asseoir  leur  camp,  sans  avoir 
exploré  le  terrain  au  delà.  Il  s'était  proposé  de  les  attaquer 
au  moment  où  les  fourrageurs  étant  aux  champs  et  l'infan- 
terie à  la  recherche  de  la  paille  et  de  l'eau,  il  lui  serait  aisé 
de  forcer  le  camp  et  de  s'emparer  des  armes  en  faisceaux 
et  de  la  majeure  partie  des  chevaux  au  piquet.  L'accomplis- 
sement de  ce  hardi  projet  eût  entraîné  la  ruine  totale  de 
l'armée  :  un  hasard  en  prévint  l'exécution.  Les  sinuosités  du 
Zéro  et  de  la  digue  élevée  pour  contenir  ses  eaux  se  trou- 
vaient en  un  point  tellement  rapproché  du  camp,  qu'un  offi- 
cier, sans  autre  but  que  de  satisfaire  sa  curiosité,  s'avisa  d'y 
monter  pour  jeter  un  coup-d'œil  sur  le  pays  d'alentour.  «  Quel 


-      «3     — 

fut  son  étonnement,  dit  Anquetil ,  d'apercevoir  toute  l'in- 
fanterie impériale,  en  ordre  de  bataille,  couchée  ventre  à 
terre  et  la  cavalerie  par  derrière  pour  la  soutenir!  » 

L'officier  donna  aussitôt  l'alarme  et  le  combat  ne  tarda  pas 
à  commencer.  Les  Impériaux  n'eurent  qu'à  monter  sur  la 
digue  pour  mettre  sous  leur  feu  l'armée  combinée  qui  n'était 
point  formée  en  bataille.  Bientôt  ils  franchirent  la  digue 
pour  s'approcher  davantage,  mais  le  terrain  couvert  de  haies 
et  de  buissons,  les  empêcha  d'aborder  tout  le  front  et  donna 
le  temps  aux  alliés  de  se  former  peu  à  peu.  Quand  l'armée 
fut  en  ligne,  l'attaque  devint  sans  objet  et  les  assaillants  se 
couvrirent  de  nouveau  de  la  digue  pour  battre  en  retraite. 

Cette  bataille  remarquable,  dont  chaque  parti  s'attribua  le 
gain,  prit  le  nom  de  bataille  de  Luzzara;  elle  eut  lieu  le 
15  août  1702. 

Après  l'affaire,  Eugène  resta  sur  la  défensive  et  l'on  peut 
dire  que  Vendôme  préserva  le  Milanais  de  l'invasion  des 
Impériaux. 


VII. 


Opérations  dans  les  Pays-Bas.  —  Siège  de  Liège.  —  Opérations  en 
Allemagne.  —  Combat  de  Friedlingen.  —  Affaire  d'Eeckeren. 


Dans  les  Pays-Bas,  les  Hollandais  commencèrent  les  hos- 
tilités en  assiégeant  avec  18,000  hommes  la  petite  forteresse 
de  Keisersweert  sur  le  Rhin,  qui  était  défendue  par  une 
garnison  française.  Le  reste  de  leur  armée  était  campé 
autour  de  Clèves. 

Le  marquis  de  Boufflers,  à  la  tête  de  l'armée  française, 
descendit  la  Meuse,  envoya  un  détachement  pour  secourir 


_     si     - 

Keisersweert  et  marcha  sur  Clèves.  Keisersweert  n'en  capi- 
tula pas  moins  et  les  Hollandais  se  retirèrent  de  Clèves  sur 
Nimègue,  poursuivis  par  les  Français,  jusqu'au  pied  des 
glacis,  où  ces  derniers  perdirent  un  certain  nombre  d'hom- 
mes par  l'effet  d'une  canonnade  partie  des  remparts  de  la 
ville. 

Les  Français,  comptant  66  bataillons,  114  escadrons,  se 
concentrèrent  derrière  la  Nierse,  cette  rivière  en  front,  et 
leur  gauche  à  son  confluent  avec  la  Meuse. 

Marlborough  réunit  ses  forces  à  Nimègue,  65  bataillons, 
130  escadrons,  passa  la  Meuse  à  Grave,  marcha  vers  l'en- 
nemi, tourna  sa  gauche,  et  obligea  celui-ci  à  se  retirer  par 
Ruremonde  sur  Brée. 

Le  général  anglais  vint  camper  k  son  tour  devant  cette 
dernière  localité. 

Les  Français  se  portèrent  alors  par  Zonhoven  et  Beeringen 
vers  Eindhoven  pour  se  placer  entre  les  alliés  et  la  ville  de 
Bois-le-Duc,  d'où  ces  derniers  tiraient  leurs  subsistances; 
mais  par  ce  mouvement,  Marlborough  se  trouvait  lui-même 
entre  l'armée  française  et  la  Meuse,  sa  base  d'opérations. 

Le  duc  de  Marlborough,  dont  l'armée  avait  été  considéra- 
blement renforcée,  prit  position  près  de  Helchteren,  le  front 
couvert  par  le  ruisseau  dit  Zwartebeek.  Les  Français  se  por- 
tèrent vis-à-vis  de  lui,  mais  jugeant  sa  position  trop  forte,  ils 
se  retirèrent,  après  une  vive  canonnade. 

Au  lieu  de  les  poursuivre  par  le  Brabant  septentrional, 
dont  ils  avaient  pris  la  route,  le  général  anglais  s'empara  de 
Venlo,  Stevensweert,  Ruremonde  et  alla  assiéger  Liège. 

Le  faubourg  d'Outre-Meuse,  à  Liège,  était  garanti,  à  cette 
époque,  au  moyen  d'une  ligne  de  redoutes  reliées  entre  elles 
par  une  enceinte  fortifiée,  bien  revêtue,  avec  fossé  profond. 


-     85     - 

enfin  par  le  fort  de  la  Chartreuse,  comme  réduit  ;  la  citadelle, 
sur  l'autre  rive,  se  trouvait  à  peu  près  dans  son  état  actuel. 

Le  lieutenant-général  Violaine  commandant  la  garnison 
française,  h  Liège,  forte  de  douze  bataillons,  en  plaça  huit 
dans  la  citadelle,  et  quatre  dans  la  Chartreuse.  La  ville  fut 
abandonnée. 

L'attaque  commença  par  la  citadelle,  du  côté  de  Sainte- 
Walburge,  et  l'assaut  y  fut  donné  le  23  octobre  1702.  Le  29, 
la  garnison  de  la  Chartreuse  capitula  et  fut  emmenée  pri- 
sonnière à  Anvers. 

De  Boufflers  tenta  d'éloigner  Marlborough  de  la  Meuse,  en 
envoyant  le  marquis  de  Bedmar  avec  un  corps  composé  de 
Français  et  d'Espagnols  faire  une  diversion  sur  Hulst,  dans 
la  Flandre  hollandaise;  mais  le  gouverneur  de  la  place  fit 
couper  les  digues  et  obligea  par  l'inondation  les  troupes 
ennemies  à  battre  en  retraite,  après  avoir  perdu  500  hommes. 
Ainsi  se  termina,  dans  les  Pays-Bas,  la  première  campagne 
de  la  guerre  de  la  succession  d'Espagne.  Cette  campagne  fut 
tout  à  l'avantage  de  Marlborough,  car  elle  affranchit  le  cours 
de  la  Meuse  de  la  domination  espagnole. 


Les  alliés  s'étaient  emparés  de  Landau  et  Haguenau,  pen- 
dant que  Catinat,  qui  commandait  en  Alsace,  était  contraint 
d'être  spectateur  de  ces  prises. 

La  France  avait  pour  allié,  nous  l'avons  déjà  dit,  l'électeur 
de  Bavière,  qui  opérait  sur  le  Danube.  Une  jonction  entre 
l'armée  d'Alsace  et  l'armée  bavaroise  fut  projetée,  et  Villars, 
lieutenant-général  sous  Catinat,  et  connu  pour  son  caractère 
entreprenant,  chargé  de  l'effectuer  avec  une  division  forte  de 
18,000  hommes. 


-     86     - 

Villars  se  porta  donc  à  Hûningue,  pour  y  traverser  le 
Rhin.  Le  prince  Louis  de  Bade,  avec  25,000  hommes,  avait 
assis  son  camp  dans  la  plaine  de  Friedlingen  et  l'avait  cou- 
vert par  une  série  de  redoutes  et  un  fort. 

Le  général  français  fit  prendre  Neubourg,  à  cinq  lieues 
plus  bas  sur  le  Rhin  ;  cette  ville  assurait  aux  Autrichiens 
la  communication  avec  Freibourg.  On  y  simula  la  construc- 
tion d'un  pont  de  bateaux.  Le  14  octobre  1702,  le  prince 
Louis,  dans  la  crainte  que  les  Français  n'effectuassent  leur 
passage  près  de  Neubourg,  se  retira  vers  la  Kandern, 
laissant  500  hommes  dans  le  fort  de  Friedlingen. 

Villars,  aussitôt  qu'il  s'aperçut  du  départ  des  Allemands, 
donna  l'ordre  de  passer  le  Rhin  par  un  pont  de  bateaux 
reliant  la  petite  île  d'Hûningue  aux  deux  rives  du  Rhin. 

Le  prince  Louis  fit  faire  sur-le-champ  un  mouvement 
rétrograde  à  son  armée  ;  la  cavalerie  et  une  partie  de  l'artil- 
lerie se  placèrent  sur  deux  lignes  dans  la  plaine,  la  droite 
appuyée  au  fort  de  Friedlingen ,  la  gauche  aux  hauteurs  boi- 
sées de  Tillingen;  l'infanterie  se  porta  sur  ces  hauteurs  ac- 
compagnée de  6  escadrons  et  de  5  pièces. 

L'infanterie  française  se  dirigea  du  pont  sur  Weil  et  esca- 
lada les  hauteurs  de  Tillingen;  la  cavalerie  française  prit 
position  sur  deux  lignes,  face  à  celle  des  Autrichiens. 

Les  Impériaux  occupèrent  la  pointe  la  plus  avancée  de  la 
forêt  de  Tillingen,  tandis  que  quatre  brigades  d'infanterie 
avancèrent  par  des  chemins  différents  vers  la  lisière  de  la 
forêt;  une  cinquième  brigade  resta  en  réserve  à  Weil. 

L'infanterie  française  débusqua  les  Autrichiens  de  la  forêt, 
mais  au  prix  de  pertes  sensibles,  et,  poursuivant  son  succès, 
s'avança  en  rase  campagne.  Les  6  escadrons  allemands  s'élan- 
cèrent alors  sur  le  flanc  droit  découvert  des  Français  et  y 
répandirent  la  terreur.  Les  Français  prirent  la  fuite  à  travers 


-     87     - 

la  forêt  (1)  jusqu'au  pied  de  la  hauteur  près  de  Weil  où  Vil- 
lars  parvint  enfin  à  les  rallier,  mais  non  sans  peine. 

Pendant  que  ces  choses  se  passaient  à  la  droite  de  l'armée 
française,  sa  cavalerie,  par  un  mouvement  simulé,  chercha 
à  faire  sortir  la  cavalerie  impériale  de  sa  position  avanta- 
geuse; à  cet  effet,  il  fut  ordonné  h  la  première  ligne  de 
passer  par  les  intervalles  de  la  seconde,  comme  si  elle  avait 
le  projet  de  battre  en  retraite. 

Les  Impériaux,  abandonnant  l'avantage  de  la  protection  du 
fort,  marchèrent  contre  la  cavalerie  française  qui  les  laissa 
approcher  jusqu'à  cent  pas.  La  cavalerie  française,  n'ayant 
plus  à  craindre  le  canon  du  fort,  qui  eût  atteint  indistincte- 
ment les  troupes  des  deux  armées,  chargea  à  son  tour,  cul- 
buta la  première  ligne  ennemie,  la  rejeta  sur  la  seconde  et 
les  poursuivit  jusqu'à  la  Kandern.  L'infanterie  impériale, 
témoin  de  cette  déroute,  battit  aussitôt  en  retraite  sans  être 
toutefois  vivement  poursuivie  par  les  Français.  Chacune  des 
deux  armées  laissa  3,000  hommes  tués  ou  blessés  sur  le  ter- 
rain, mais  les  Français  firent  900  prisonniers. 

Après  la  victoire,  les  soldats  acclamèrent  Villars  maréchal 
de  France,  sur  le  champ  de  bataille,  et  Louis  XIV  confirma 
ce  que  la  voix  des  soldats  lui  avait  donné. 

Villars  n'osa  s'aventurer  sans  munitions  et  sans  vivres 


(\)  «  J'ai  entendu  dire  plus  d'une  fois  au  mai'échal  de  Villars  que. 
la  bataille  étant  gagnée,  comme  il  marchait  à  la  tête  de  son  infanterie, 
mie  voix  cria  :  «  Nous  sommes  coupés.  »  A  ce  mot,  tous  ses  régiments 
s'enfuirent.  Il  court  à  eux,  et  leur  crie  :  «  Allons,  mes  amis,  la  victoire 
est  à  nous  :  Vive  le  roi  !  »  Les  soldats  répondirent,  Vive  le  roi  !  en 
tremblant,  et  recommencent  à  fuir.  La  plvis  grande  peine  qu'eut  le 
général,  ce  fut  de  rallier  les  vainqueurs.  Si  deux  régiments  ennemis 
avaient  paru  dans  le  moment  de  cette  terreur  panique ,  les  Français 
étaient  battus  ;  tant  la  fortune  décide  souvent  du  gain  des  batailles  !  » 
(Voltaire). 


—     88     — 

dans  les  défilés  de  la  Forét-Noire  pour  poursuivre  le  prince 
de  Bade.  Il  regagna  l'Alsace  et  mit  ses  troupes  au  repos. 
Au  printemps  suivant,  il  fit  sa  jonction  avec  félecteur  de 
Bavière,  comme  nous  le  verrons  dans  la  suite. 

Les  Espagnols  avaient  fait  construire,  après  la  séparation 
des  provinces  du  nord,  un  canal  reliant  la  Meuse  au  Rhin, 
de  Venlo  à  Rheinsberg.  Ce  canal  fut  creusé  dans  le  but  de 
rendre  le  commerce  entre  l'Allemagne  et  les  Pays-Bas  indé- 
pendant des  Hollandais. 

Rheinsberg,  ville  fortitiée  avec  soin  et  occupée  par  les 
Français,  fut  prise  par  un  corps  prussien,  en  février  1703. 
Le  16  mai,  Marlborough,  prit  Bonn,  la  seule  place  du  Bas- 
Rhin,  encore  au  pouvoir  des  Français. 

Louis  XIV,  mécontent  de  la  campagne  de  f  année  précé- 
dente eu  Belgique,  envoya  Villeroi  reprendre  le  comman- 
dement de  Boufïïers  ;  ce  dernier  resta  cependant  à  l'armée 
des  Pays-Bas. 

Villeroi  commença  par  s'emparer  de  Tongres  (9  mai  1703). 

Marlborough,  après  le  siège  de  Bonn,  rejoignit  le  général 
Overkerke,  qui,  en  son  absence,  commandait  l'armée  des 
Hollandais  à  Maestricht. 

Les  armées  belligérantes,  après  plusieurs  marches  et  con- 
tre-marches, pendant  lesquelles  on  les  vit  s'avancer  paral- 
lèlement sur  les  rives  du  Geer,  séparées  seulement  par  ce 
mince  filet  d'eau,  n'entreprirent  aucune  action  de  guerre 
remarquable,  et  allèrent,  celle  de  Marlborough  h  Bilsen, 
comme  si  elle  voulait  marcher  sur  Anvers ,  et  celle  de 
Villeroi,  à  Diest,  pour  lui  barrer  le  passage. 

Indépendamment  des  deux  armées  qui  manœuvraient 
ainsi,  Villeroi  avait  un  corps  de  troupes  espagnoles  dans  les 
environs  d'x\nvei's,  de  Gand  et  d'Ostende  ;  ces  forces  étaient 


-     8!>     - 

SOUS  les  ordres  du  marquis  de  Bedmar,  commandant-général 
des  Pays-Bas,  en  l'absence  de  Maximilien-Emmanuel  de 
Bavière.  Marlborough,  de  son  côté,  avait  contié  au  général 
hollandais  Obdam,  un  corps  qui  se  trouvait  entre  Bréda  et 
l'Écluse  pour  protéger  la  Flandre  hollandaise. 

Pendant  les  opérations  sur  le  Geer,  Marlborough  envoya 
le  général  Coëhorne,  qui  faisait  partie  du  corps  d'Obdam, 
opérer  une  diversion  dans  le  pays  de  Waes  (entre  Anvers 
et  Gand);  pour  protéger  ce  mouvement,  il  prescrivit  au 
général  Obdam  de  prendre  position  à  Eeckereu. 

Le  corps  du  général  Obdam,  se  gardant  avec  une  extrême 
négligence,  le  marquis  de  Bedmar  projeta  de  l'enlever.  Il 
demanda  l'assentiment  du  maréchal  Villeroi,  qui  lui  envoya 
un  renfort  de  30  compagnies,  30  escadrons,  sous  de  BouC- 
flers.  Les  Français  eurent  ainsi  19,000  hommes  (28  batail- 
lons, 48  escadrons)  pour  tenter  cette  entreprise. 

Les  Hollandais  au  nombre  de  11,000  (13  bataillons,  26  es- 
cadrons) étaient  campés,  la  droite  en  avant  d'Eeckeren,  la 
gauche  en  arrière  du  Donck  ;  derrière  leur  droite  se  trouvait 
un  bas-fond  marécageux,  auquel  aboutissait  une  digue  con- 
duisant au  fort  Lillo. 

Le  30  juin  1703,  BoufElers  détacha  une  partie  de  son  infan- 
terie, qui,  sans  que  l'ennemi  s'en  aperçût,  occupa  Oorderen, 
Hoevenen,  Huysbrouck,  Capellen,  tournant  l'aile  gauche  des 
Hollandais  et  coupant  leur  retraite  sur  Lillo. 

Obdam,  s'étant  aperçu  de  la  position  des  Français  sur  ses 
derrières,  envoya  le  général  Schulemberg,  avec  500  dragons 
vers  Hoevenen,  pour  reprendre  ce  point.  Il  s'y  engagea  un 
combat  très-vif,  à  la  suite  duquel  les  Français  restèrent 
maîtres  du  village.  Une  attaque  des  Hollandais  sur  Oorderen 
avec  2  bataillons,  4  canons  eut  plus  de  succès. 


-       90     - 

Cependant  le  reste  de  l'armée  de  Boufflers  s'était  déployé 
sur  plusieurs  lignes  vis-à-vis  d'Eeckeren  et  repoussait  de 
front  les  Hollandais,  tandis  que  six  bataillons  détachés  du 
corps  principal  français,  se  portant  par  Capellen,  Hoevenen, 
sur  Oorderen,  reprenaient  ce  dernier  village  conquis  par 
l'ennemi  quelques  instants  auparavant,  et  prirent  possession 
de  la  grande  digue  de  l'Escaut  menant  à  Lillo. 

Les  alliés  devaient  faire  face  de  tous  côtés.  Ils  se  battaient 
avec  opiniâtreté  sur  les  digues  du  terrain  qu'ils  occupaient, 
lorsque  quatre  bataillons  espagnols,  partis  d'Anvers,  qui 
avaient  longé  le  bord  de  l'Escaut  en  masquant  leur  marche 
par  la  grande  digue,  et  s'étaient  emparés  du  fort  Saint-Phi- 
lippe, parurent  à  Wilmarsdonck. . 

La  confusion  paraît  avoir  été  à  son  comble  en  ce  moment. 

Le  général  Obdam,  complètement  cerné,  s'échappa  à  tra- 
vers les  ennemis  en  se  disant  officier  français.  Il  arriva  à 
Bréda  avec  cinq  cavaliers  de  son  armée. 

Les  Hollandais  continuèrent  avec  la  plus  grande  valeur 
ce  combat  inégal,  jusqu'à  la  nuit.  Ils  avaient  pourtant  cet 
avantage  sur  l'ennemi,  que  celui-ci  ne  put  faire  usage  de  sa 
nombreuse  cavalerie,  à  cause  de  la  nature  du  terrain  entre- 
coupé de  digues  et  de  marais. 

A  la  nuit  close,  le  général  hollandais  Schulemberg,  auquel 
élait  échu  le  commandement,  recueillit  les  meilleures  troupes 
et  résolut  de  percer  à  tout  prix  à  travers  les  ennemis.  Mal- 
gré la  résistance  la  plus  opiniâtre  des  Français,  il  emporta 
à  la  baïonnette  le  village  d'Oorderen,  et  parvint  à  se  retirer, 
à  la  pointe  du  jour,  par  la  grande  digue,  sur  le  fort  Lillo. 

Dans  Cette  affaire,  les  Hollandais  perdirent  2,500  hommes 
tués,  blessés  ou  prisonniers.  Les  Français  et  les  Espagnols 
éprouvèrent  à  peu  près  les  mêmes  pertes. 

Les  deux  partis  réclamèrent  la  victoire.  Elle  revient  en 
toute  justice  aux  Français. 


-     91      - 

Mmiborougli  alla  de  Bilseii  h  Hassell,  puis  à  Beeringen, 
tandis  que  Villeroi  se  repliait  sur  Aerschot.  Les  détache- 
ments qui  avaient  combattu  à  Eeckeren,  ayant  rejoint  leurs 
armées  respectives,  celles-ci  manœuvrèrent  de  façon  à  se 
trouver  en  présence  non  loin  d'Anvers.  Les  Français  prirent 
position  pour  défendre  le  pays  de  Waes,  mais  les  alliés  ju- 
gèrent prudent  de  ne  pas  les  attaquer, 

Marlborougli  dirigea  alors  son  armée  sur  Vinalmont  pour 
protéger  le  siège  de  Huy.  Villeroi  alla  à  Wasseige,  derrière 
la  Méhaigne. 

Après  la  prise  de  Huy,  les  alliés  se  rapprochèrent  des 
Français  dans  le  dessein  de  les  attaquer,  mais  jugeant  leur 
position  trop  forte,  ils  allèrent  camper  à  Saint-Trond  et 
envoyèrent  un  détachement  prendre  la  ville  de  Limbourg.  La 
campagne  ainsi  terminée,  les  deux  armées  se  mirent  en  can- 
tonnements. 


VIII. 


Opérations  de  VUlars  sur  le  Danube.  —  invasion  dans  le  Tyrol.  —  Pre- 
mière affaire  de  Hochstedt.  —  Les  Camisards.  —  Combat  sur  le  Spire- 
bach. — Combat  de  Donauwerth.— Bataille  de  Hochstedt  ou  de  Bleinheim. 


Pendant  l'hiver  qui  suivit  la  défaite  du  prince  de  Bade  à 
Friedlingen,  l'électeur  de  Bavière,  allié  de  la  France,  s'était 
emparé,  après  plusieurs  combats  heureux,  de  tous  les  pas- 
sages du  Danube  jusqu'à  Passau  exclusivement.  Villars  n'at- 
tendait que  la  fonte  des  neiges  pour  le  rejoindre.  Il  repassa 
le  Rhin  à  Hiiningue,  descendit  le  fleuve,  fit  replier  les  quar- 
tiers du  prince  de  Bade,  enleva  une  partie  de  ses  bagages  et 


—     92     - 

de  ses  munitions,  le  prévint  sur  la  Kinzing,  le  força  à  rétro- 
grader jusqu'à  Stolhoffen  et  investit  Kelil  qu'il  emporta  de 
vive  force,  en  treize  jours,  sans  que  le  prince  pût  s'y  oppo- 
ser. Reprenant  alors  ses  projets  de  jonction,  Villars  laissa 
le  maréchal  Tallard  pour  tenir  le  prince  de  Bade  en  échec, 
suivit  la  vallée  de  la  Kinsing,  déboucha  après  douze  jours 
de  marche  pénible,  près  de  la  source  du  Danube  et  rejoignit 
enfin  les  Bavarois  à  Tutlingen. 

Le  maréchal  de  Villars  et  l'électeur  de  Bavière  ne  vécurent 
pas  longtemps  en  bonne  intelligence.  Le  premier  proposait 
de  laisser  une  partie  des  troupes  en  observation  à  Dillingen 
sur  le  Danube,  et  de  marcher  rapidement  sur  Vienne,  avec 
le  reste,  pour  frapper  l'empire  au  cœur  même  et  amener  de 
suite  la  conclusion  de  la  paix.  L'électeur  Maximilien-Emma- 
nuel  approuva  ce  plan,  mais,  à  l'époque  fixée  pour  son  exé- 
cution, il  trouva  moyen  de  ne  pas  y  prêter  son  concours, 
prétextant  qu'un  château  qu'il  possédait  dans  le  Haut-Pala- 
tinat,  était  menacé  par  le  comte  de  Styrum,  commandant 
l'armée  des  Cercles,  postée  derrière  le  Necker. 

L'électeur  avait  fait  quelques  réflexions  sur  son  isolement 
au  milieu  de  l'Empire  et  commençait  à  craindre  pour  lui- 
même.  De  là  ses  hésitations  et  les  ménagements  qu'il  voulait 
garder  envers  l'empereur. 

Villars,  désespéré  de  voir  échouer  ses  projets,  se  contenta 
de  proposer  à  l'électeur  une  attaque  dans  le  Tyrol,  où  Ven- 
dôme se  trouvait  engagé  avec  les  Impériaux. 

En  obligeant  ces  derniers  à  rétrograder,  Villars  comptait 
sur  une  jonction  possible  de  l'armée  de  Vendôme,  pour  ten- 
ter la  marche  hardie  sur  Vienne,  qu'il  méditait. 

Le  Tyrol  fut  envahi  facilement.  Les  Lupériaux  battirent 
en  reti'aite,  poursuivis  par  Vendôme.  Mais  ce  succès  ne  fut 


-     93      - 

pas  de  longue  durée.  Le  duc  de  Savoie,  allié  de  la  France, 
changea  subitement  de  parti,  après  des  promesses  que  l'Em- 
pereur lui  avait  faites.  Cette  défection  engagea  Louis  XIV  à 
faire  prisonniers  7  à  8,000  Piémontais,  qui  servaient  dans 
les  rangs  de  l'armée  française  et  à  faire  envahir  la  Savoie. 
Ce  qui  restait  de  troupes  au  duc  de  Savoie,  dans  les  places 
fortes  du  Piémont,  obligea  Vendôme  à  revenir  sur  ses  pas. 
Dans  le  même  temps,  et  par  suite  de  ce  mouvement,  les 
Tyroliens,  revenus  de  leur  première  frayeur  et  aidés  de 
quelques  troupes  régulières,  assaillirent  avec  avantage  les 
Bavarois  et  les  expulsèrent  de  leur  territoire.  L'électeur,  qui 
s'était  déjà  établi  à  Innspruck,  dut  s'enfuir  en  toute  hâte  et 
non  sans  danger. 

Le  maréchal  Tallard,  qui  avait  mission  de  tenir  le  prince 
de  Bade  en  échec,  l'avait  laissé  échapper  et,  au  lieu  de  le 
poursuivre,  s'occupait  de  faire  le  siège  de  Brissac  dont  il  se 
rendit  maître. 

Villars  qui  avait  pris  position  à  Dillingen,  en  attendant 
l'heureuse  issue  de  l'expédition  des  Bavarois,  se  trouvait 
livré  à  lui-même  avec  2S,000  hommes,  et  menacé  par 
l'armée  du  prince  de  Bade,  renforcée  par  plusieurs  contin- 
gents allemands,  sous  les  ordres  de  Styrum,  jusqu'au  chiffre 
de  40,000  hommes. 

Le  camp  retranché  du  maréchal  Villars  à  Dillingen  était 
dans  une  situation  défensive  admirable,  le  dos  appuyé  au 
Danube,  le  front  couvert  par  un  ruisseau  qui  coulait  dans  un 
ravin  assez  profond.  Ne  pouvant  aborder  son  adversaire  de 
face,  le  prince  de  Bade  assit  vis-à-vis  de  Dillingen,  un  camp 
fortifié  qu'il  laissa  avec  des  troupes  suffisantes,  au  comman- 
dement du  comte  de  Styrum,  et  remonta  lui-même  le  Da- 
nube pour  le  traverser  et  prendre  les  Français  à  dos  ou  en- 
vahir la  Bavière. 


—    ni    - 

Villars,  dans  cette  situation  éminemment  périlleuse,  con- 
jura l'électeur  de  Bavière  de  s'assurer  d'Augsbourg,  pour 
protéger  à  revers  l'armée  française  et  détacha  une  division 
de  son  armée  pour  obliger  les  alliés  à  remonter  le  fleuve  le 
plus  haut  possible. 

Grâce  à  ces  mesures,  l'ennemi  ne  put  traverser  le  Danube, 
qu'au-dessus  d'Ulm.  L'électeur  marcha  de  Munich  sur  Augs- 
bourg,  avec  une  telle  lenteur  qu'il  n'y  arriva  que  le  jour 
après  la  reddition  de  la  ville  au  prince  de  Bade.  Dès  ce  mo- 
ment, pour  dégager  Villars,  il  restait  encore  la  ressource 
d'une  bataille,  mais  l'électeur  se  refusa  absolument  à  l'enga- 
ger. Villars,  irrité  de  cette  faute,  demanda  son  rappel. 

Sur  ces  entrefaites,  Villars  apprit  que  le  maréchal  comte 
de  Styrum  décampait  et  se  dirigeait  sur  Donauwerth,  avec 
un  équipage  de  bateaux.  Villars  exposa  à  l'électeur  la  néces- 
sité urgente  d'attaquer  les  alliés.  L'électeur  refusa  :  «  Eh 
bien!  j'y  marcherai  seul  avec  les  Français!  »  reprit  Villars, 
et  il  donna  l'ordre  du  départ.  Cette  résolution  énergique 
décida  l'électeur.  Styrum,  atteint  près  d'Hochstedt,  fut  com- 
plètement défait  (20  septembre  1703). 

Voltaire  raconte,  à  propos  de  cette  affaire,  qu'après  la 
première  charge,  l'armée  ennemie  et  l'armée  française,  sai- 
sies d'une  terreur  panique,  prirent  la  fuite  toutes  les  deux 
en  même  temps,  et  que  le  maréchal  de  Villars  se  vit  pres- 
que isolé  pendant  quelques  minutes  sur  le  champ  de  bataille. 
Il  ranima  toutefois  ses  troupes,  les  ramena  au  combat  et 
remporta  ainsi  la  victoire,  tuant  3,000  Impériaux  et  faisant 
4,000  prisonniers. 

L'électeur,  qui  avait  combattu  malgré  lui,  était  ravi.  Il 
embrassa  Villars  sur  le  champ  de  bataille,  ce  qui  ne  l'empê- 
cha pas  de  retomber  dans  ses  irrésolutions. 


Ce  fut,  pour  ainsi  dire,  un  malheur  que  cette  victoire.  On 
crut  en  France  que  l'armée  du  Danube  n'avait  plus  besoin  de 
secours,  et  Tallard,  au  lieu  d'aller  à  son  aide,  s'attacha  au 
siège  de  Landau. 

Les  armées  française  et  bavaroise  marchèrent  sur  Mem- 
mingeii.  Ce  mouvement,  dû  à  l'inspiration  de  Villars,  suffît 
pour  dégager  Augsbourg. 

Pendant  ces  opérations,  Villars  fut  constamment  contre- 
carré par  l'électeur  de  Bavière.  Fatigué  de  ces  dissensions 
continuelles,  il  demanda  de  nouveau  h  être  rappelé  et  fut 
remplacé  par  le  comte  de  Marsin. 

Villars  s'en  alla  dans  les  Cévennes  combattre  les  Cami- 
sards. 

On  désignait  sous  ce  nom  des  bandes  de  calvinistes  qui, 
ne  voulant  pas  se  soumettre  à  la  révocation  de  l'édit  de 
Nantes,  s'étaient  réfugiés  dans  les  Cévennes  et  y  luttaient 
contre  l'autorité  de  Louis  XIV.  Ils  avaient  l'habitude  de 
combattre  la  nuit,  recouverts  d'un  vêtement  blanc  [camicia). 

Nous  avons  laissé  le  maréchal  de  Tallard  assiégeant  Lan- 
dau. Dans  le  but  de  secourir  cette  place,  le  prince  de  Hesse- 
Cassel  (plus  tard  roi  de  Suède),  détaché  de  l'armée  des  Pays- 
Bas,  se  joignit,  sur  les  bords  du  Spirebach,  au  prince  de 
Nassau- Weilbourg,  général  des  troupes  palatines. 

Tallard  laissa  la  garde  de  tranchée  devant  la  ville  et  mar- 
cha au  devant  de  l'ennemi  qu'il  rencontra  au  delà  de  la  se- 
conde branche  du  Spirebach.  Ayant  la  vue  basse,  il  prit  pour 
un  mouvement  de  retraite  une  manœuvre  d'une  division 
ennemie,  et  donna  l'ordre  d'attaquer  avant  que  son  armée 
fût  entièrement  déployée  et  en  ordre  de  combat. 


-     96     — 

Cette  faute  pouvait  lui  être  des  plus  fatales,  mais  l'impé- 
tuosité des  Français,  dans  cette  attaque  où  la  baïonnette  fit 
le  plus  grand  carnage,  sauva  leur  armée. 

Les  alliés,  surpris,  commirent  de  leur  côté  la  faute  de 
rejeter  brusquement  leurs  ailes  vers  leur  centre,  au  lieu  de 
s'étendre  sur  les  flancs  de  l'armée  française  et  de  l'envelop- 
per avant  son  entier  déployement.  Ce  mouvement  de  con- 
centration j\eta  un  tel  désordre  dans  leurs  rangs,  qu'il  décida 
de  la  victoire  en  faveur  des  Français  (15  novembre  1703). 

Landau  capitula  le  lendemain. 

Cette  affaire  acquit  au  maréchal  Tallard  une  réputation 
qu'il  ne  méritait  pas  et  une  confiance  que  Louis  XÏV  paya 
chèrement  plus  tard. 


L'électeur  de  Bavière  s'était  emparé  à  son  tour  d'Augs- 
bourg  et  de  Passau.  La  route  de  Vienne  était  ainsi  ouverte 
aux  Bavarois.  La  situation  de  l'empereur  devenait  d'autant 
plus  critique,  qu'une  révolte  ayant  éclaté  en  Hongrie,  il  se 
trouvait  menacé  de  toutes  parts.  Marlborough,  qui  était  dans 
les  Pays-Bas,  fut  désigné  pour  aller  à  son  secours. 

Le  secret  de  la  marche  du  général  anglais  fut  strictement 
gardé,  et  la  marche  elle-même  exécutée  avec  un  talent  admi- 
rable. 

Marlborough  laissa  le  général  Overkerke  sur  la  défensive 
dans  les  Pays-Bas,  quitta  Maestricht,  le  16  mai  1704,  passa 
i^  Bonn,  Coblentz,  traversa  le  Mayn  au-dessus  de  Mayence, 
puis  le  Necker,  s'avança  vers  le  Danube,  et  rejoignit,  non 
loin  de  ce  fleuve,  le  22  juin  suivant,  l'armée  impériale  sous 
les  ordres  du  prince  Louis  de  Bade. 

Los  armées  combinées  do  Bavière  et  de  France,  sous  les 


-     97     - 

ordres  de  l'électeur  et  du  maréchal  Marsin,  occupaient  un 
camp  retranché  à  Dillingen  et  avaient  de  gros  détachements 
à  Ulm  et  à  Donauwerth.  L'électeur  attendait  sur  les  bords 
du  Danube  l'arrivée  d'une  nouvelle  armée  française,  dont 
Louis  XIV  avait  confié  le  commandement  au  maréchal  de 
Tallard.  Celui-ci,  en  effet,  était  en  route  avec  35,000  hom- 
mes, 

Marlborough  et  le  prince  de  Bade,  s'avancèrent  du  côté 
de  Donauwerth  pour  y  attaquer  les  Français  et  les  Bavarois 
réunis,  qui,  avec  7,000  hommes  sous  les  ordres  du  feld- 
maréchal  Arco,  occupaient  les  hauteurs  fortifiées  du  Schel- 
lenberg.  En  même  temps,  le  prince  Eugène,  h  la  tête  d'un 
corps  considérable,  fut  détaché  du  côté  de  Philipsbourg 
pour  interdire  le  passage  du  Rhin  aux  renforts  attendus 
de  France. 

Derrière  les  retranchements  du  Schellenberg,  se  trou- 
vaient 11  bataillons  bavarois  sur  deux  lignes,  aux  ailes  des- 
quelles l'armée  française  avait  :  à  gauche,  3  bataillons, 
derrière  le  parapet  entre  Donauwerth  et  le  Calvaire  ;  à  droite, 
2  bataillons,  et  derrière  ceux-ci,  en  réserve,  2  régiments  de 
dragons. 

L'avant-garde  de  Marlborough,  forte  de  6,000  fantassins 
et  32  escadrons,  soutint  à  elle  seule  presque  tout  le  combat. 

L'affaire  commença  par  une  attaque  de  4  bataillons  anglais 
qui  passèrent  le  Kaibach,  sous  le  canon  des  Bavarois,  et 
s'établirent  entre  la  forêt  d'Oldennau  et  le  village  de  Berg. 
Une  deuxième  ligne,  forte  de  7  bataillons,  suivit  la  première, 
et  la  cavalerie  fit  halte,  en  troisième  ligne,  hors  de  portée  du 
feu,  partie  déployée,  partie  en  colonne  de  marche. 

L'attaque  de  la  première  ligne  fut  accueillie  par  un  feu 
qui  causa  de  grandes  pertes  aux  Anglais.  Pour  soutenir  ces 
troupes  chancelantes,  la  deuxième  ligne  se  porta  à  la  pre- 

7 


—     98     — 

mière  et  tenta  vainement,  à  trois  reprises,  d'enlever  les  re- 
tranchements. Les  alliés  battirent  en  retraite  poursuivis  par 
les  Bavarois.  Marlborough  engagea  des  troupes  fraîches  et 
une  vive  fusillade  s'engagea  de  part  et  d'autre.  Cependant  les 
alliés  allaient  plier  de  nouveau,  lorsque  le  prince  Louis  de 
Bade  arriva  avec  le  gros  de  son  armée  sur  le  champ  de  ba- 
taille. Les  alliés  tentèrent  alors  une  attaque  générale  sur  les 
retranchements,  ainsi  qu'un  coup  de  main  sur  le  pont  de  Do- 
nauwerth,  seul  point  de  retraite  des  Bavarois. 

Le  comte  Arco,  dans  le  but  de  parer  à  ce  dernier  danger, 
détacha  4  bataillons  pour  renforcer  la  garnison  de  Donau- 
vverth  ;  mais  avant  que  ces  bataillons  eussent  pu  atteindre 
la  ville,  une  forte  colonne  de  l'armée  des  alliés  s'était  emparée 
de  la  hauteur  du  Calvaire, 

Les  Bavarois  et  les  Français,  entourés  complètement  par 
des  forces  très-supérieures,  enclouèrent  leurs  pièces  et  bat- 
tirent en  retraite,  abandonnant  le  Schellenberg.  Les  troupes 
de  leur  aile  droite  s'enfuirent  par  Zirgesheim  vers  Neubourg; 
les  autres  s'ouvrirent  un  passage  à  la  baïonnette  vers  Donau- 
werth. 

Le  comte  Arco,  avec  ces  dernières,  fit  rétablir  le  pont 
rompu  par  l'ennemi,  le  traversa  en  hâte  et,  abandonnant  Do- 
nauwerth,  rejoignit  l'électeur. 

Les  Bavarois  et  les  Français  laissèrent  1,600  hommes  sur 
le  terrain.  Les  alliés  6,000. 

Dans  cette  affaire,  qui  eut  lieu  le  2  juillet  1704,  l'échec  des 
Bavarois  et  des  Français  doit  être  imputé,  d'après  Kausler, 
à  l'inconcevable  inaction  de  l'électeur  Maximilien  et  de  Mar- 
sin,  qui  n'étaient  qu'à  huit  lieues  de  distance,  dans  leur  camp 
de  Dillingen,  et  auraient  pu  envoyer  au  général  Arco  un  ren- 
fort dont  le  concours  eût  été  précieux. 


—     99     — 

Les  Impériaux  s'emparèrent  de  Neubourg  et  parcoururent 
tout  le  pays  jusqu'à  Munich.  Ils  ouvrirent  alors  des  négocia- 
lions  avec  l'électeur,  qui  s'était  retiré  à  Augsbourg,  pour 
l'engager  à  embrasser  la  cause  de  l'empire.  Mais  la  perspec- 
tive de  l'arrivée  de  Tallard  engagea  Maximilien-Emmanuël  a 
rester  fidèle  au  parti  de  Louis  XIV. 

Le  maréchal  Tallard,  afin  de  tromper  les  Impériaux  sur 
l'itinéraire  qu'il  se  proposait  de  suivre,  laissa  supposer  qu'il 
allait  faire  sa  jonction  avec  l'électeur  par  la  Suisse.  Il  se 
dirigea  d'abord  vers  ce  pays,  puis  il  fit  une  marche  rapide 
de  Strasbourg  sur  Freibourg  et  se  réunit  enfin  à  Maximilien- 
Emmanuël  qui  s'était  porté  au-devant  de  lui  jusqu'à  Biberach, 
non  loin  d'Augsbourg.  Ce  mouvement  obligea  les  Impériaux 
à  repasser  sur  la  rive  gauche  du  Danube. 

Pendant  ce  temps,  le  prince  Eugène,  qui  s'était  porté  du 
côté  de  Philipsbourg,  se  jugeant  hors  d'état  de  disputer  le 
passage  du  Rhin  au  maréchal  Tallard,  se  hâta,  à  la  tête  de 
ses  troupes,  consistant  en  20  bataillons  et  en  60  escadrons, 
de  rejoindre  l'armée  du  duc  de  Marlborough.  Il  prit  position 
entre  Dillingen  et  Donauwerth,  tandis  que  le  prince  de  Bade 
recommençait  les  hostilités  en  faisant  le  siège  d'Ingolstadt. 

L'électeur  et  le  maréchal  avaient  résolu  de  surprendre 
Eugène,  avant  sa  jonction  avec  Marlborough.  Dans  ce  des- 
sein, ils  avaient  traversé  le  Danube  et  pris  le  chemin  de  Do- 
nauwerth par  Hochstedt.  Mais  le  prince  Eugène,  pénétrant 
les  intentions  de  ses  adversaires,  s'était  retiré  à  temps  der- 
rière la  Wernitz  où  la  jonction  avec  Marlborough  avait  pu  se 
faire.  Les  Impériaux,  prenant  alors  l'offensive,  s'avancèrent  à 
leur  tour  sur  Hochstedt,  pour  attaquer  les  armées  combinées 
de  Tallard  et  de  Maximilien  (13  août  1704). 


-     100     — 

Les  Français  et  les  Bavarois  avec  60,000  hommes  (84  ba- 
taillons, 147  escadrons,  90  bouches  à  feu)  prirent  position, 
la  droite  appuyée  au  Danube,  «au  village  de  Bleinhem,  le 
centre  à  Oberglauheim,  la  gauche  à  Luzingen  et  appuyée 
contre  l'Eichberg,  le  front  couvert  par  le  ruisseau  dit  Nebel- 
bach.  Cette  ligne  avait  une  étendue  de  plus  d'une  lieue  et 
demie.  L'armée  de  Tallard  était  à  la  droite,  celle  de  Marsin 
au  centre,  celle  de  Maximilien  à  la  gauche. 

Bleinhem,  point  d'appui  de  la  droite  française,  était  occupé 
par  27  bataillons  ;  entre  ce  village  et  le  Danube,  on  avait 
placé  12  escadrons  de  dragons;  et  à  Oberglauheim,  12  ba- 
taillons. Toute  la  cavalerie  française  et  le  reste  de  l'infan- 
terie, 9  bataillons  seulement,  remplissaient  sur  deux  lignes 
l'intervalle  de  Bleinheim  à  Oberglauheim  et  de  ce  dernier 
endroit  à  Luzingen. 

L'armée  de  l'électeur  avait  sa  droite  à  Luzingen,  sa  gauche 
à  l'Eichberg,  Jusqu'au  pied  de  la  montagne,  elle  était  formée 
sur  deux  lignes  ;  au  delà  elle  se  trouvait  sur  une  seule. 

Le  terrain  occupé  par  les  armées  française  et  bavaroise 
s'inclinait  doucement  vers  le  Nebelbach.  Le  front  était  garni 
d'artillerie. 

Il  est  clair  que  cet  ordre  de  bataille  était  vicieux,  car  toute 
l'infanterie  se  trouvant  dans  les  villages,  surtout  à  Blein- 
heim, le  reste  de  la  position  était  trop  faiblement  défendu 
par  la  cavalerie  et  l'artillerie  seules. 

Les  Impériaux  avaient  56,000  hommes  (66  bataillons, 
178  escadrons,  52  bouches  h.  feu).  Ils  arrivèrent,  sur  neuf 
colonnes,  par  Schwenningen  où  Marlborough  leur  fit  changer 
de  direction  à  droite  pour  les  former  de  la  manière  suivante  : 
à  l'aile  gauche,  entre  la  route  de  Dillingen  à  Donauwerth  et  le 
Danube,  20  bataillons,  15  escadrons;  au  centre,  jusqu'à  Weil- 
heim,  un  corps  (lord  Ghuixihill,  frère  de  Marlborough)  de 


—     101      - 

28  bataillons,  ayant  derrière  lui  sur  deux  lignes  71  esca- 
drons; à  la  droite,  le  corps  du  prince  Eugène  était  d'abord 
formé  de  92  escadrons,  sur  deux  lignes,  avec  réserve,  ensuite 
de  13  bataillons  également  sur  deux  lignes. 

L'artillerie  était  répartie  sur  tout  le  front  des  deux  armées. 

Aussitôt  que  les  Impériaux  furent  rangés,  Marlborough 
commença  l'attaque.  Le  centre  de  son  corps  d'armée  passa 
le  Nebelbach,  repoussa  facilement  le  peu  d'infanterie  fran- 
çaise, qui  lui  était  opposé  et,  après  un  combat  opiniâtre  avec 
la  cavalerie  ennemie,  put  prendre  position  au  delà  d'Unter- 
glauheim  ;  mais  ses  ailes  furent  repoussées  avec  grande  perte 
de  Bleinheim  et  d'Oberglauheim. 

Marlborough  s'apercevant  alors  que  le  centre  des  Français 
était  entièrement  dégarni  d'infanterie,  se  décida  à  percer  sur 
la  grand'route  de  Hochstedt  à  Donauwerth.  L'infanterie  de  sa 
gauche  simula  des  attaques  sur  Bleinheim;  sa  cavalerie  du 
centre,  postée  sur  la  deuxième  ligne,  traversa  les  intervalles 
de  l'infanterie,  passa  le  ruisseau  sous  le  feu  de  l'artillerie 
ennemie,  se  forma  dans  la  vallée  et  marcha  vers  la  hauteur 
pour  y  aborder  Tallard.  L'infanterie  du  centre  suivit  ce  mou- 
vement, à  Unterglauheim  et  Oberglauheim,  mais  elle  échoua 
une  seconde  fois  contre  ce  dernier  village. 

Entre  Bleinheim  et  Oberglauheim,  il  s'était  engagé  un 
combat  de  cavalerie,  auquel  ISO  escadrons  des  deux  côtés 
prirent  part.  Plus  d'une  fois  la  cavalerie  de  Marlborough 
fut  rompue  par  les  charges  vigoureuses  de  la  cavalerie  fran- 
çaise, commandée  par  Tallard  lui-même  ;  mais  elle  se  rallia, 
par  la  protection  de  l'infanterie,  dont  le  sangfroid  et  la  fer- 
meté causèrent  de  grandes  pertes  aux  escadrons  français  qui 
enfin  durent  abandonner  le  terrain. 

L'armée  de  Tallard  fut  ainsi  percée  au  centre.  Les  9  ba- 
taillons d'infanterie  française,  qui  n'étaient  pas  dans  les  vil- 


—     102     - 

lages,  furent  taillés  en  pièces,  et  la  plus  grande  partie  de 
l'artillerie  française  tomba  au  pouvoir  des  Anglais.  Le  maré- 
chal ordonna  la  retraite. 

A  l'aile  droite  impériale,  le  prince  Eugène  fit  attaquer  Lu- 
zingen  et  la  forêt  voisine,  mais  ses  troupes  furent  repoussées 
par  celles  de  Maximilien,  secondées  par  une  partie  de  la 
cavalerie  de  Marsin. 

Tallard,  en  ordonnant  la  retraite,  prescrivit  aux  troupes 
de  Bleinheim  d'évacuer  ce  village ,  mais  il  était  trop  tard  ; 
elles  étaient  déjà  coupées.  L'ordre  qu'il  donna  à  Marsin, 
de  favoriser  la  retraite,  en  faisant  faire  une  sortie  par  les 
troupes  d'Oberglauheim,  ne  reçut  pas  d'exécution. 

Ce  concours  de  circonstances  désastreuses  mit  l'armée  de 
Tallard  en  pleine  déroute.  Elle  se  sauva  dans  toutes  les  direc- 
tions. Un  grand  nombre  de  fuyards,  manquant  le  pont  de 
Sonderheim ,  se  noyèrent  ou  périrent  sous  les  coups  de 
l'ennemi;  le  reste  se  rallia  sur  les  hauteurs  de  Hochstedt. 
Tallard  lui-même  fut  blessé  et  fait  prisonnier. 

Marlborough  poursuivit  les  fuyards  jusqu'à  Sonderheim, 
envoya  une  partie  de  ses  troupes  renforcer  les  attaques  sur 
Obergiaulieim  et  Luzingen  et  se  mit  en  mouvement  avec 
l'autre  pour  marcher  contre  Bleinheim. 

Eugène  parvint  enfin,  après  de  grandes  difficultés,  à  em- 
porter Luzingen. 

Maximilien  et  Marsin,  s'apercevant  que  leur  flanc  droit 
était  découvert  par  la  débâcle  de  Tallard,  et  voyant  appro- 
cher le  corps  de  troupes  envoyé  par  Marlborough,  battirent 
en  retraite,  avec  ordre,  et  purent  rejoindre  les  débris  de 
l'armée  de  Tallard. 

A  la  nuit,  toutes  les  positions  des  Français  et  des  Bavarois 
étaient  occupées  par  les  alliés  ;  la  garnison  de  Bleinheim,  blo- 
quée, mit  bas  les  armes,  sans  avoir  été  d'aucune  utilité  durant 
la  bataille. 


—     105     — 

Dans  cette  journée,  les  Français  et  les  Bavarois  euren  ^ 
15,000  hommes  tués  ou  blessés,  et  laissèrent  14,000  prison- 
niers, 35  canons,  de  nombreux  drapeaux,  bagages,  chariots 
de  munitions,  etc.  aux  mains  du  vainqueur.  Les  Impériaux 
ne  perdirent  que  11,000  hommes,  en  tout. 

On  peut  reprocher  à  ïallard,  dit  Kausler,  les  fautes  sui- 
vantes : 

1'  le  partage  de  son  armée  en  deux  corps,  sans  qu'ils 
fussent  unis  au  centre  par  une  force  d'infanterie  suffisante  ; 

2°  la  position  trop  en  arrière  du  Nebelbach,  de  sorte  que 
l'armée  française  ne  pouvait  ni  voir  dans  le  vallon  du  ruis- 
seau, ni  le  balayer  par  la  canonnade,  ce  qui  permit  à  l'ennemi 
de  le  franchir  sans  être  inquiété  sérieusement  ; 

3"  l'emploi  vicieux  de  27  bataillons  à  Bleinheim,  alors  que 
4  bataillons  eussent  suffisamment  défendu  ce  village. 

Après  la  victoire,  Marlborough,  en  récompense  de  ses  ser- 
vices, fut  élevé  à  la  dignité  de  prince  de  l'empire. 

La  défaite  de  Hochstedt  fut  un  rude  échec  pour  Louis  XIV. 
Elle  transporta  le  théâtre  de  la  guerre  à  plus  de  cent  lieues 
en  arrière,  et  anéantit  complètement  les  projets  d'invasion 
des  Français  en  Autriche. 

Villars,  l'année  précédente,  avait  eu  l'occasion  de  marcher 
sur  Vienne,  et  il  l'eût  fait  avec  chance  de  succès,  si  le  dé- 
cousu des  opérations  de  Tallard,  au  nord,  la  défection  du 
duc  de  Savoie,  au  sud,  et  les  dissensions  entre  l'électeur  de 
Bavière  et  le  maréchal  lui-même  n'eussent  arrêté  ce  dernier 
dans  l'exécution  de  ce  plan. 

Dans  la  campagne  que  nous  venons  de  décrire,  le  but  était 
le  même  :  Vienne  pour  objectif.  Mais  les  circonstances 
n'étaient  plus  aussi  favorables.  Les  forces  de  la  France 
étaient  disséminées  de  la  Meuse  au  Danube,  sur  une  étendue 


-     104     — 

immense.  Les  Français  avaient,  en  effet,  un  corps  d'armée 
dans  les  Pays-Bas,  un  autre,  commandé  par  Villeroi,  sur  le 
Bas-Rhin,  enfin  l'armée  combinée  de  Tallard  et  de  Marsin  sur 
le  Danube.  Le  plan  de  campagne  était  trop  vaste  pour  le 
nombre  de  troupes  qui  opéraient  sur  une  ligne  aussi  déve- 
loppée. 

Après  la  déroute  de  Hochstedt,  les  Français,  plus  affaiblis 
encore,  durent  battre  en  retraite  pour  se  concentrer,  et  la 
France,  au  lieu  de  l'Allemagne,  devint  le  théâtre  des  opéra- 
tions militaires. 


L'électeur  de  Bavière  rallia  les  troupes  françaises  et  bava- 
roises à  Ulm.  Il  laissa  9  bataillons  pour  la  défense  de  cette 
place  et  se  rendit  à  marches  forcées  sur  le  Rhin,  à  travers  la 
Forêt-Noire. 

La  Bavière,  privée  ainsi  de  la  présence  de  l'électeur,  se 
soumit  tranquillement  aux  Lupériaux.  L'électrice  se  retira  à 
Munich  et,  du  consentement  de  l'électeur,  conclut  un  traité 
avec  l'empereur.  Elle  s'engageait  à  congédier  le  petit  nombre 
de  régiments  bavarois  demeurés  en  armes,  et  à  ouvrir  les 
portes  d'Ingolstadt,  ainsi  que  des  autres  forteresses  de  la 
Bavière,  aux  troupes  impériales,  sous  la  condition  toutefois 
qu'elle  pourrait  habiter  Munich  avec  la  famille  électorale 
jusqu'à  la  paix  générale. 

Marlborough  se  mit  en  marche  vers  la  Belgique.  Il  traversa 
le  Necker,  quatre-vingt-deux  jours  seulement  après  son  pre- 
mier passage  de  la  même  rivière,  passa  le  Rhin,  à  Philips- 
bourg,  prit  position  pour  soutenir  le  prince  de  Bade  qui  fai- 
sait le  siège  de  Landau,  continua  sa  marche  vers  la  Moselle, 
s'empara  de  Trêves  et  ordonna  au  prince  de  Hesse-Cassel 
d'assiéger  Trarbach.  A  Mayence,  il  embarqua  son  infanterie 


—     105     — 

sur  le  Rhin  et  envoya  sa  cavalerie  par  le  Luxembourg  en 
Hollande. 
Landau  et  Trarbach  ne  tardèrent  pas  à  se  rendre. 


IX. 


Opéralions  d'Eugène  en  Italie.  — Affaire  de  Cassano.  —  Opérations  de 
Marlborough  dans  les  Pays-Bas.  —  Bataille  de  Ramillies.  —  Bataille 
de  Turin.  —  Villars  en  Allemagne.  —  Eugène  en  Provence. 


Après  la  bataille  de  Hochstedt,  le  prince  Eugène  descendit 
vers  le  Milanais  pour  s'opposer  à  Vendôme,  qui  s'avançait 
sur  le  ïyrol. 

Turin  était  menacé  par  les  Français.  Pour  dégager  cette 
ville,  Eugène  descendit  la  rive  gauche  de  l'Adda.  Vendôme 
remonta  la  rive  droite.  Les  deux  armées  furent  en  présence 
à  Cassano,  où  les  Impériaux  essayèrent  de  passer  l'Adda  par 
le  pont  et  par  des  gués  voisins.  Au  début  de  l'action,  quelques 
bataillons  français  du  centre  furent  surpris  et  mis  en  désordre, 
mais  les  autres  troupes  reprirent  vigoureusement  l'offensive 
et  culbutèrent  dans  le  fleuve  les  Impériaux  qui  l'avaient 
passé. 

Vendôme  eut  un  cheval  tué  sous  lui;  Eugène  fut  blessé  et 
son  armée  ne  put  effectuer  le  passage  projeté. 

Pendant  l'absence  de  Marlborough,  les  Français,  ignorant 
le  but  de  la  marche  de  ce  général,  en  Allemagne,  avaient  tiré 
des  renforts  considérables  de  leur  armée  de  Belgique,  pour 
grossir  les  armées  sur  la  Moselle  et  le  Rhin.  Le  général 


—     106     — 

Overkei'ke,  commandant  les  alliés  dans  les  Pays-Bas,  se  pré- 
valut de  cette  circonstance  pour  bombarder  Namur.  Il  espé- 
rait que  les  habitants,  effrayés,  forceraient  la  garnison  à  se 
rendre.  Cette  tentative  échoua. 

Le  général  hollandais  Spaer  s'empara  du  fort  Isabelle,  près 
de  l'Écluse,  et  bombarda  Bruges. 

L'empereur  Léopold  mourut  en  1705.  Son  fils  aîné,  l'archi- 
duc Joseph,  lui  succéda,  sous  le  nom  de  Joseph  I. 

Au  printemps  de  l'année  1705,  Marlborough  se  rendit  de 
Maestricht  à  Trêves,  pour  envahir  la  France  par  la  vallée  de 
la  Moselle. 

Villars,  après  avoir  pacifié  les  Cevennes,  venait  de  prendre 
le  commandement  d'une  armée  qui  vint  se  placer  devant 
celle  de  Marlborough,  dans  une  position  très-forte,  ce  qui 
engagea  le  général  anglais  à  ne  pas  attaquer  et  à  retourner  à 
Maestricht. 

Dans  les  Pays-Bas,  l'armée  combinée  de  Villeroi  et  de 
Maximilien  alla  s'établir  à  Vinalmont  et  s'empara  de  Huy, 
pendant  que  Marlborough  était  sur  la  Moselle. 

Un  détachement  de  l'armée  de  Marlborough  reprit  Huy 
sans  coup  férir;  le  général  anglais  lui-même  s'établit  à  Vinal- 
mont, tandis  que  les  Français  se  postaient  derrière  les  lignes 
de  retranchements  construites  par  eux  précédemment.  Leur 
quartier  général  fut  placé  à  Meerdorp. 

Marlborough  marcha  vers  les  retranchements ,  comme 
pour  les  attaquer  du  côté  de  la  Meuse  ;  puis,  changeant  subi- 
tement de  direction,  il  se  porta  rapidement  sur  Léau  et  prit 
sans  peine  possession  des  villages  situés  sur  la  petite  Gète  et 
ayant  des  ponts  sur  cette  rivière,  qui  servait  de  fossé  aux 


_      107     — 

retranchements  français.  L'infanterie  escalada  les  parapets 
des  lignes,  les  détruisit  et  les  nivela  sur  une  étendue  suffi- 
sante pour  livrer  passage  aux  autres  armes.  Les  alliés  se 
trouvèrent  ainsi  dans  l'intérieur  des  lignes  françaises. 

Marlborough  s'empara  de  Tirlemont,  plaça  sa  droite  à  cette 
ville,  sa  gauche  près  d'Or'smael,  au  point  où  les  lignes 
avaient  été  forcées.  Les  Français  vinrent  pour  l'y  attaquer, 
mais  ils  furent  battus  en  détail  et  perdirent  4,000  hommes 
tués  ou  blessés  et  2,000  prisonniers. 

L'armée  de  Villeroi  alla  se  placer  derrière  la  Dyle,  près  du 
village  de  Neeryssche.  Marlborough  se  porta  aussitôt  de  ce 
côté;  ses  avant-gardes  tentèrent  d'opérer  le  passage  de  la  Dyle 
à  Corbeek,  près  de  Neeryssche,  mais  elles  furent  repoussées. 
Le  général  anglais  résolut  alors  de  tourner  la  position  en- 
nemie, en  remontant  vers  la  source  de  la  Dyle,  ce  qu'il  fit 
en  battant  en  retraite  jusqu'à  Meldert,  et  en  marchant  par 
Orbais,  Genappe  et  Braine-l'Alleud,  sur  le  terrain  entre  la 
Lasne  et  le  ruisseau  d'Yssche.  Les  Français,  pris  à  revers, 
se  réfugièrent  derrière  le  ruisseau  d'Yssche.  Marlborough 
pouvait  leur  livrer  bataille  dans  des  circonstances  exception- 
nellement avantageuses,  car  ils  étaient  démoralisés,  leurs 
lignes  avaient  été  forcées,  leur  position  venait  d'être  tournée; 
enfin,  l'Yssche,  leur  nouvelle  ligne  de  défense,  n'était  pas  un 
obstacle  sérieux.  Mais  le  temps  se  perdit  chez  les  alliés  en 
pourparlers  entre  Marlborough  et  les  membres  du  conseil 
d'État  hollandais  qui  suivaient  l'armée  en  campagne,  et  sans 
lesquels  on  ne  pouvait  rien  entreprendre.  Ces  membres  du 
conseil  se  décidèrent  pour  la  retraite  et  le  mouvement  tour- 
nant si  habilement  combiné  et  exécuté  par  les  alliés  ne  servit 
à  rien  (1). 

(1)  Le  général  hollandais  Schulemberg  insista  sur  la  convenance  de 


-     108     - 

La  campagne  se  termina  pour  les  alliés  par  la  prise  de 
Léau,  puis  par  celle  de  Santvliet,  sur  la  rive  droite  de  l'Es- 
caut. Après  la  prise  de  Léau,  ils  détruisirent  les  retranche- 
ments qui  s'étendaient  de  cette  ville  à  la  Méliaigne. 

Les  Français  élevèrent  une  nouvelle  ligne  de  défense, 
depuis  le  confluent  du  Démer  et  de  la  Dyle,  jusqu'à  la  Nèthe 
en  amont  de  Lierre. 

Le  20  mai  1706,  Marlborough  vint  camper  entre  Saint- 
Trond  et  Tongres,  sa  droite  à  Looz,  sa  gauche  k  Corswarem, 
vers  la  source  du  Geer  ;  il  avait  73  bataillons,  123  escadrons, 
120  bouches  à  feu,  soit  60,000  hommes. 

Villeroi  qui  commandait  l'armée  française  forte  de  74  ba- 
taillons, 128  escadrons,  130  canons,  soit  62,000  hommes, 
passa  la  Dyle  à  Louvain,  marcha  sur  Tirlemont,  avec  l'inten- 
tion de  barrer  le  chemin  à  Marlborough  qu'il  supposait  vou- 
loir assiéger  Namur. 

Marlborough,  instruit  de  la  marche  des  Français,  quitta 


soumetti'e  la  question  de  l'attaque  à  un  conseil  de  guerre.  Le  colonel 
Carmichael- Smith  dit  à  ce  propos  :  «  Il  est  malaisé  de  comprendre 
qu'un  chef  veuille  subir  pareille  contrainte  ou  conserver  un  jour  de 
plus  le  commandement  nominal  d'une  armée,  sur  les  opérations  de 
laqtielle  il  conserve  si  peu  de  véritable  influence.  Mais  l'égalité  d'âme 
du  duc  de  Marlborough  était  extrême,  peut-être  fut-il  le  seul  homme 
au  monde  capable  de  conduire  à  la  victoire  une  armée  composée  d'élé- 
ments si  hétérogènes,  et  agitée  par  un  tel  conflit  d'intérêts  divers. 
Après  avoir  mené  son  armée  au  point  précis  où  il  désirait  ;  après  avoir, 
par  un  mouvement  judicieux,  tourné  le  flanc  de  l'ennemi,  et  forcé 
celui-ci  à  quitter  une  bonne  position,  pour  une  autre,  dans  laquelle  le 
duc  jugea  avantageux  de  l'attaquer  ;  se  voir  interpeller  par  un  officier 
en  sous-ordre,  pour  expliquer  ses  plans  et  ses  intentions  ;  se  voir  forcé 
d'écouter  les  oljservations  et  les  objections  de  cet  officier  et  ensuite 
voir  décider,  contre  son  propre  avis,  une  question  purement  militaire 
par  des  gens  de  robe,  qui  n'y  peuvent  rien  comprendre;  il  fallut  pour 
le  souffrir  une  patience  peu  commune.  » 


—     109     — 

son  campement,  le  22  mai  et  arriva,  le  23,  à  Meerdorp,  dans 
le  but  de  prendre  l'offensive. 

Villeroi  fit  occuper  par  une  nombreuse  infanterie  les  vil- 
lages d'Autre-Église  et  d'Offuz.  Il  envoya  20  bataillons  à  Ra- 
millies,  village  entouré  d'un  fossé  profond,  fit  occuper  par 
une  brigade  d'infanterie  le  terrain  entrecoupé  de  Taviers,  et 
poussa  quelques  troupes  légères  jusqu'à  Franquenée.  Sa 
cavalerie  se  plaça  sur  deux  lignes  entre  Ramillies  et  Taviers, 
Son  front  était  couvert  sur  la  gauche  par  la  petite  Jauche. 

Marlborough  s'avança  avec  huit  colonnes  jusqu'à  Meerdorp. 
Il  y  arriva  au  moment  où  l'ennemi  se  formait.  Il  déploya  son 
armée,  parallèlement  à  celle  des  Français,  sur  deux  lignes, 
la  droite  à  Folx-les-Caves,  la  gauche  à  la  Méhaigne,  l'infan- 
terie au  centre,  la  cavalerie  aux  ailes,  une  troisième  ligne 
formée  de  20  escadrons,  en  réserve. 

Une  courte  reconnaissance  avait  fait  voir  au  général  an- 
glais que  la  position  était  beaucoup  plus  abordable,  en  raison 
de  la  nature  du  terrain,  sur  la  droite  de  l'ennemi  que  sur  sa 
gauche,  et  que  la  hauteur  de  Hottomont  était  la  clef  de  la 
position.  Il  forma,  en  conséquence,  le  projet  de  faire  une 
vigoureuse  fausse  attaque  sur  l'aile  gauche  de  l'ennemi,  afin 
d'obliger  celui-ci  à  s'affaiblir  sur  l'aile  droite,  puis  d'enlever 
Taviers  d'assaut  et  de  tourner  par  là  l'armée  de  Villeroi. 

Le  combat  commença  donc  sur  Autre-Église  et  Offuz  par 
l'infanterie  de  la  droite  alliée.  Villeroi,  aussitôt  qu'il  vit  son 
aile  gauche  menacée,  tira  quelques  bataillons  du  centre  pour 
renforcer  la  partie  attaquée,  et  remplit  le  vide  qui  en  résulta 
par  des  troupes  de  la  droite.  Ce  mouvement  occasionna  du 
désordre  dans  sa  ligne  de  bataille. 

Marlborough,  ayant  ordonné  à  quatre  bataillons  de  sa 
gauche  de  se  porter  sur  Taviers  et  Franquenée,  ces  batail- 
lons furent  soutenus  sur  leur  flanc  droit  par  la  cavalerie  de 


-    no    — 

l'aile  gauche  alliée  ;  en  même  temps  le  centre  allié  se  porta 
sur  quatre  colonnes  à  Ramillies. 

Un  combat  opiniâtre  s'engagea  à  Taviers.  Villeroi  y  ren- 
força sa  position  par  14  escadrons  de  dragons  qui,  pour  com- 
battre à  pied,  laissèrent  leurs  chevaux  hors  du  village.  Les 
dragons  furent  tués  ou  faits  prisonnierset  Taviers  fut  enlevé 
d'assaut. 

La  cavalerie  de  l'aile  gauche  alliée  culbuta  la  première 
ligne  de  cavalerie  française,  mais  elle  fut  vigoureusement 
repoussée  par  la  seconde.  Marlborough  vint  h  son  secours 
avec  quelques  escadrons  tirés  de  sa  droite.  La  cavalerie  de 
réserve  alliée  donna  vigoureusement,  entre  Ramillies  et 
Taviers,  contre  les  escadrons  français  qui  combattirent  avec 
une  valeur  admirable.  Mais  finalement  la  droite  française  fut 
enfoncée  et  tournée.  Marlborough  s'y  établit  à  dos  de  la  ligne 
de  bataille  ennemie. 

Dans  le  même  temps  Ramillies  fut  enlevé.  Les  troupes  qui 
défendaient  ce  village  cherchèrent  à  se  faire  jour  sur  Hotto- 
mont,  mais  elles  furent  taillées  en  pièces  ou  faites  prison- 
nières par  la  cavalerie  alliée. 

Après  ces  grands  efforts,  il  y  eut  une  courte  pause  dont 
Villeroi  chercha  à  profiter  pour  prendre  une  nouvelle  posi- 
tion entre  Geest-Gerompont  et  Offuz,  afin  d'y  recueillir  les 
troupes  qui  avaient  été  dispersées  ;  mais  la  confusion  était 
devenue  trop  grande  pour  permettre  cette  opération.  Marl- 
borough saisit  ce  moment  pour  achever  sa  victoire.  Il  fit 
attaquer  Offuz  au  centre,  tandis  qu'à  l'extrême  droite  les 
alliés,  ne  voulant  pas  rester  dans  l'inaction  vis-à-vis  de  Folx, 
s'avancèrent  résolument  sur  Autre-Église  et,  tournant  ce  vil- 
lage, culbutèrent  les  derniers  régiments  ennemis  qui  y  fai- 
saient résistajîce. 

Los  armées  française  et  bavaroise  se  livrèrent  alors  à  une 


-   m    - 

fuite  désordonnée ,  vers  Jodoigne  et  la  grande  Gète,  pour- 
suivies de  près  par  la  cavalerie  alliée;  elles  battirent  en 
retraite  jusqu'à  Meldert. 

Les  pertes  des  Français  et  des  Bavarois  dans  cette  journée 
s'élevèrent  à  13,000  tués,  blessés  ou  prisonniers;  presque 
toute  l'artillerie,  80  drapeaux,  les  bagages  tombèrent  au  pou- 
voir des  vainqueurs. 

Les  alliés  évaluèrent  leurs  propres  pertes  à  3,600  hommes. 

Les  fautes  principales  commises  par  le  maréchal  de  Ville- 
roi,  h  Ramillies,  sont,  d'après  Feuquières  : 

1°  De  n'avoir  pas  assez  rapproché  sa  première  ligne  de 
Ramillies  et  de  Franquenée  ; 

2°  D'avoir  négligé  d'organiser  la  défense  de  ces  deux  vil- 
lages, et  notamment  d'en  avoir  confié  la  garde  à  la  plus 
mauvaise  infanterie  et  aux  dragons  ; 

3°  D'avoir  tenu  ses  deux  lignes  à  une  distance  trop  con- 
sidérable l'une  de  l'autre  ; 

4"  D'avoir  dédaigné  de  renforcer  son  centre  et  sa  droite, 
lorsque  tout  lui  annonçait  que  l'ennemi  allait  diriger  ses 
efforts  sur  ces  deux  points. 


De  Meldert,  l'armée,  vaincue  et  toujours  poursuivie,  battit 
en  retraite  par  Bruxelles ,  Gand,  Courtrai  ;  elle  marcha 
ensuite  sur  Mons,  où  elle  se  divisa.  Une  partie  resta  dans 
cette  dernière  ville,  le  reste  se  réfugia  dans  les  places  fortes 
de  Tournai,  Lille,  Menin  et  Ypres. 

De  son  côté,  Marlborough  se  porta  sur  Gand  par  Louvain, 
Vilvorde  et  Alost. 

Bruxelles  fut  évacué  par  les  Français,  ainsi  que  Gand  dont 
la  citadelle  se  rendit  au  général  anglais  Cadogan.  Le  général 
Overkerke  prit  Ostende  ;  les  villes  d'Audenarde  ,  Anvers , 


—     112     - 

Ath,  Termonde,  Menin,  c'est-à-dire  les  forteresses  princi- 
pales des  Pays-Bas,  tombèrent  au  pouvoir  des  alliés. 

Après  le  désastre  de  l'armée  française  à  Ramillies , 
Louis  XIV  enleva  h  Villeroi  le  commandement  de  l'armée  des 
Pays-Bas  pour  le  confier  au  duc  de  Vendôme.  L'armée  d'Italie 
reçut  pour  chef  le  jeune  duc  d'Orléans,  fils  de  Monsieur, 
frère  du  roi. 

Ce  prince  secondé  par  le  maréchal  Marsin  se  porta  avec 
une  armée  d'observation  sur  l'Adige,  tandis  que  le  duc  de  La 
Feuillade  assiégeait  Turin. 

Le  prince  Eugène  quitta  Vienne,  avec  35,000  Impériaux, 
Saxons,  Prussiens  et  Palatins,  pénétra  en  Italie  par  le  Tyrol  et 
tourna  la  position  de  l'armée  d'observation  qui  recula  jus- 
qu'aux retranchements  élevés  devant  Turin. 

L'armée  de  siège  du  duc  de  La  Feuillade  avait  40,300  hom- 
mes. La  place  était  défendue  par  15,000  Piémontais. 

Le  prince  Eugène  résolut  d'aborder  l'ennemi  par  la  langue 
de  terre  entre  la  Doire  et  la  Sture.  Les  Français,  jugeant 
leur  position  inattaquable  de  ce  côté,  ne  s'étaient  décidés 
que  le  6  septembre  1706,  veille  de  la  bataille,  à  élever  une 
ligne  à  redans  entre  ces  deux  cours  d'eau. 

Le  duc  d'Orléans  qui  disposait  de  44,000  hommes,  voulait 
que  l'armée  française  de  siège  suspendît  les  travaux  d'attaque 
pour  concourir  h.  la  bataille.  Mais  cet  avis  ne  prévalut  pas.  Il 
fut  décidé  au  contraire  que  les  Français  attendraient  l'ennemi 
derrière  la  ligne  de  circonvallation  et  qu'ils  continueraient 
le  siège  avec  vigueur.  C'était  une  faute  grave,  car  les  lignes 
à  défendre  sur  les  deux  rives  du  Pô  avaient  un  développe- 
ment hors  de  proportion  avec  les  forces  disponibles  pour 
leur  défense. 

Tandis  que  des  corps  détachés  de  l'armée  alliée  se  por- 


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taient  sur  différents  points  contre  les  vastes  lignes  françaises, 
gardées  par  des  forces  importantes  sur  la  rive  droite  du  Pô, 
le  prince  Eugène  faisait  exécuter  par  le  gros  de  son  armée 
une  attaque  de  vive  force  contre  la  ligne  à  redans  entre  la 
Doire  et  la  Sture.  Après  trois  assauts  vaillamment  repoussés 
par  les  Français,  l'armée  alliée  força  enfin  cette  ligne.  La 
victoire  était  assurée  alors  aux  Impériaux.  L'armée  française 
d'observation  fut  refoulée  sur  plusieurs  points  ;  une  sortie  de 
la  garnison  de  Turin  l'assaillit  à  revers  et  acheva  de  la  cul- 
buter; la  panique  se  communiqua  à  l'armée  de  siège  qui 
s'enfuit  en  désordre.  La  débâcle  fut  complète. 

Les  pertes  des  Français  s'élevèrent  à  3,200  tués  ou  blessés, 
sans  compter  nombre  de  fuyards  qui  se  noyèrent  en  voulant 
passer  sur  la  rive  droite  du  Pô;  plus  de  b,000  prisonniers  et 
un  immense  matériel  de  siège  tombèrent  au  pouvoir  des 
vainqueurs;  Marsin  fut  blessé  mortellement  et  le  duc  d'Or- 
léans assez  gravement.  Les  alliés  eurent  i,000  tués  et  2,300 
blessés. 

Cet  échec  entraîna  pour  la  France  des  suites  aussi  funestes 
que  ceux  de  Hochstedt  et  de  Ramillies.  Toutes  les  conquêtes 
françaises  au  delà  des  Alpes  furent  perdues. 


Tandis  que  les  armées  de  Louis  XIV  étaient  battues  dans 
les  Pays-Bas  et  en  Italie,  seul,  Villars  combattait  sur  le  Rhin 
avec  succès.  Il  avait  vis-à-vis  de  lui  le  prince  de  Bade  qu'il 
força  à  reculer.  Il  s'était  même  déjà  emparé  de  Lauterbourg, 
Drusenheim  et  Haguenau,  lorsque  la  défaite  de  Ramillies 
l'obligea  à  envoyer  une  partie  de  ses  troupes  à  l'armée  du 
nord;  il  resta  en  conséquence  sur  la  défensive. 

Le  prince  de  Bade  étant  mort  pendant  l'hiver  de  1706,  le 
margrave  de  Bareith  le  remplaça  dans  le  commandement 


—     \AA     — 

Villars,  au  printemps  suivant,  ayant  reçu  des  renforts,  atta- 
qua le  margrave  dans  les  lignes  de  Stolhoffen,  derrière  les- 
quelles étaient  retranchés  les  Allemands,  au  nombre  de 
40,000. 

Le  maréchal  de  France  força  ces  lignes  et  se  porta  rapi- 
dement jusqu'à  Ulm.  Les  puissances  allemandes  ayant  de- 
mandé en  hâte  du  secours  à  Marlborough,  celui-ci  dut 
dégarnir  son  armée  pour  secourir  la  Bavière  menacée,  et 
cette  diversion  fut  des  plus  heureuses  pour  la  France,  dans 
la  situation  critique  où  elle  se  trouvait. 

L'arrivée  subite  à  Philipsbourg  de  l'électeur  de  Hanovre, 
Georges-Louis,  plus  tard  roi  d'Angleterre,  à  la  tête  de  con- 
tingents saxons  et  hanovriens,  força  Villars  à  retourner  en 
Alsace. 

Dans  les  Pays-Bas,  les  Français  élevèrent,  en  1707,  une 
ligne  continue  de  redoutes  entre  Mons  et  la  Sambre.  A  l'abri 
de  cette  ligne  et  de  la  Sambre,  les  garnisons  de  Mons,  Char- 
leroi,  Namur  purent  communiquer  en  sécurité  ;  de  Mons  li 
Condé,  puis  de  là  jusqu'à  Tournai,  la  Haine  et  l'Escaut  ser- 
vaient de  barrière  naturelle  à  l'armée  française. 

Les  opérations  militaires  entre  Marlborough  et  Vendôme 
furent  insignifiantes.  Les  armées  belligérantes,  après  plu- 
sieurs marches  et  contre-marches,  pour  se  mettre  en  pré- 
sence, ne  purent  se  décider  à  l'attaque. 

Le  prince  Eugène,  après  ses  succès  en  Italie,  projeta  d'at- 
taquer la  France  par  la  frontière  du  midi.  Il  devait  être 
secondé  dans  cette  opération  par  le  duc  de  Savoie.  Il  se 
porta  en  Provence,  dans  le  but  d'assiéger  Toulon,  arsenal 
principal  des  Français  dans  la  Méditerrannée. 

Le  maréchal  de  Tessé  vint  au  secours  de  la  place.  Des 


—    us    — 

renforts  assez  considérables  purent  y  pénétrer,  au  moment 
de  l'investissement.  Cette  circonstance  et  la  lenteur  que  mit 
le  duc  de  Savoie  à  rejoindre  Eugène,  obligèrent  ce  dernier  à 
renoncer  à  ses  projets-. 

La  France,  après  six  semaines  d'occupation,  fut  délivrée 
des  Impériaux. 

Les  alliés  furent  plus  heureux  à  Naples  qu'ils  enlevèrent 
au  roi  d'Espagne,  Philippe  V. 

La  France  perdit,  en  1707,  le  maréchal  de  Vauban.  Cet 
illustre  ingénieur,  dans  le  cours  de  sa  carrière,  fit  travailler 
à  trois  cents  places  anciennes,  en  construisit  trente-trois 
nouvelles ,  conduisit  cinquante-trois  sièges  et  prit  part  à 
cent  quarante  autres  actions  de  guerre. 


X. 


Campagnes  en  Espagne  de  1704  à  -1707.  —  Campagne  du  duc  de  Bour- 
gogne dans  les  Pays-Bas.  —  Bataille  d'Audenarde.  —  Convoi  dirigé 
d'Ostende  à  Lille.  —  Embuscade  de  Wynendaele. 

On  se  battait  en  Europe,  depuis  trois  ans,  pour  la  succes- 
sion d'Espagne.  Cette  contrée,  malgré  son  infortune,  n'avait 
point  encore  vu  d'ennemis  sur  son  sol.  Le  sang  coulait  au 
loin  pour  ses  dépouilles,  mais  elle  n'y  avait  point  encore 
mêlé  le  sien.  Enfin  le  moment  fatal  était  arrivé  pour  elle 
d'avoir  sa  part  de  tant  de  maux. 

Le  roi  de  Portugal,  amorcé  par  quelques  concessions  en 
Galicie  et  en  Estramadure,  ainsi  que  par  le  mariage  qui  lui 
fut  proposé,  de  sa  fille  avec  l'archiduc  Charles,  fils  de  l'em- 


—     {J6     — 

pereur  Léopold  T,  ouvrit  ses  ports,  au  printemps  de  1704, 
à  son  gendre  futur,  aux  Anglais  et  aux  Hollandais. 

L'archiduc  Charles  débarqua  à  Lisbonne  avec  12,000  hom- 
mes de  troupes  anglaises  et  hollandaises  commandées  par 
le  duc  de  Schomberg.  Les  Espagnols  et  les  Français  avaient 
pour  chef  le  duc  de  Berwick  ;  ce  dernier  courut  à  la  ren- 
contre des  alliés  et  s'empara  de  plusieurs  places  ennemies 
sur  les  deux  rives  du  Tage,  telles  que  Salvatierra,  Portalègre 
et  grand  nombre  de  châteaux  forts. 

Schomberg,  mécontent  des  Hollandais,  se  retira  et  fut 
remplacé  par  le  comte  de  Galloway,  connu  auparavant  sous 
le  nom  de  Ruvigny.  Galloway,  protestant  français,  était  exilé 
depuis  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes. 

Au  mois  d'août  1704,  l'amiral  anglais  Rook  se  présenta 
devant  le  poste  important  de  Gibraltar  qui,  par  une  négli- 
gence impardonnable,  n'avait  qu'une  garnison  tout-à-fait 
insuffisante  (200  hommes  au  plus).  La  force  de  la  position 
permit  aux  défenseurs  de  résister  pendant  trois  jours  aux 
bordées  de  la  flotte  anglaise  et  aux  efforts  de  2,500  Anglais 
et  Allemands,  sous  les  ordres  du  prince  de  Hesse-Darmstadt. 

L'Angleterre  prit  possession  de  ce  roc  jugé  imprenable  et 
elle  l'a  conservé  depuis. 

En  1705,  Philippe  V  tenta  de  reprendre  Gibraltar.  H  affai- 
blit son  armée  de  campagne  de  8,000  hommes,  pour  investir 
la  place,  tandis  qu'une  flotte  de  50  vaisseaux  s'approchait 
pour  seconder  les  opérations  de  terre.  Les  Portugais  profi- 
tèrent de  cette  diversion  pour  reprendre  les  places  perdues 
l'année  précédente.  L'amiral  Rook  défit  devant  Malaga  les 
flottes  française  et  espagnole. 

Le  territoire  espagnol  fut  entamé.  Valencia  et  Albuquerque 
succombèrent,  Badajoz  fut  assiégé  ;  mais  le  coup  le  plus 
terrible  pour  Philippe  V  fut  que  les  alliés  portèrent  la  guerre 
en  Catalogne. 


—      H7      - 

Une  flotte  hollandaise  et  anglaise,  sous  les  ordres  du 
comte  de  Péterborough,  conduisit  l'archiduc  Charles  de  Lis- 
bonne sur  les  côtes  de  Catalogne.  La  population  de  cette 
province,  dévouée  à  la  maison  d'Autriche,  n'attendait  qu'une 
occasion  pour  se  déclarer.  Le  siège  de  Barcelone  la  fournit. 
Charles  entra  dans  la  ville,  le  i9  octobre  1705,  et  fut  pro- 
clamé, par  la  Catalogne  entière,  roi  des  Espagnes,  sous  le 
nom  de  Charles  IIL 

La  capitulation  de  Barcelone  fut  marquée  par  un  singulier 
incident.  Pendant  que  Péterborough  parlementait  à  une 
porte,  avec  le  gouverneur,  des  cris  d'effroi  et  de  désespoir 
se  firent  entendre  tout  à  coup  dans  la  ville.  «  Vous  nous  tra- 
hissez, s'écrie  le  gouverneur,  pendant  que  nous  parlemen- 
tons de  bonne  foi.  —  Non,  répond  Péterborough,  et  si  quel- 
ques-uns, à  la  faveur  de  la  cessation  des  hostilités,  ont 
pénétré  dans  votre  ville,  il  faut  que  ce  soient  des  Allemands 
du  prince  de  Darmstadt.  Mais  laissez-moi  entrer  avec  mes 
Anglais,  je  les  chasse  et  je  reviens  capituler.  »  Le  ton  de 
vérité  avec  lequel  il  parle  décide  le  gouverneur,  qui  fait 
ouvrir  les  portes.  Tout  se  passe  ainsi  que  l'a  promis 
Péterborough  et  celui-ci  revient  achever  la  capitulation. 

Les  provinces  de  Valence  et  d'Arragon  suivirent  l'exemple 
de  la  Catalogne. 

Philippe,  attaqué  de  toutes  parts,  était  en  même  temps 
menacé  sur  les  côtes  par  les  flottes  ennemies.  Pour  résister, 
il  dut  disséminer  ses  forces.  Suivi  du  maréchal  français  de 
ïessé,  il  s'avança  en  Catalogne  et  entreprit  imprudemment 
le  siège  de  Barcelone,  qu'il  fut  bientôt  obligé  de  lever.  Il  ne 
trouva  de  sûreté  pour  ses  troupes  qu'en  les  ramenant  en 
Navarre  par  le  Languedoc. 

Cependant  les  désastres  sur  la  frontière  du  Portugal  étaient 
plus  funestes  encore.  Les  Anglais  et  les  Portugais  commandés 


—     118     — 

par  lord  Galloway  et  le  marquis  de  Las  Minas,  avaient  pris 
Alcantara,  malgré  les  efforts  du  maréchal  de  Berwick  et  rien 
ne  s'opposait  plus  à  leur  marche  victorieuse.  Coria,  Placen- 
tia,  étaient  tombés  devant  eux.  Ciudad-Rodrigo,  Salamanque, 
avaient  ouvert  leurs  portes,  Madrid  même  était  devenu  leur 
proie.  Galloway  et  Las  Minas  y  avaient  proclamé  l'archiduc 
Charles.  C'en  était  fait  de  Philippe  V,  si  son  heureux  rival, 
secondant  l'ardeur  de  ses  braves  alliés,  fût  venu  leur  donner 
la  main,  au  centre  de  l'Espagne.  Son  inaction,  son  incapacité 
sauvèrent  Philippe. 

Ce  dernier  qui  avait  transféré  k  Burgos  les  débris  de  sa 
monarchie  expirante,  rejoignit  le  duc  de  Berwick,  déterminé 
à  vaincre  ou  à  mourir.  Fort  de  tout  ce  qu'il  peut  rassembler, 
il  prend  poste,  à  Siguenza,  sur  les  hauteurs  qui  séparent  les 
deux  Castilles.  Dès  lors  sa  fortune  prend  une  face  nouvelle. 
Il  descend  dans  la  plaine  à  la  rencontre  des  ennemis  qui,  à 
leur  tour,  l'évitent  soigneusement,  dans  l'attente  de  l'arrivée 
prochaine  de  l'archiduc.  Ils  évacuent  Madrid,  et  Philippe  V 
rentre  dans  sa  capitale,  aux  acclamations  de  tout  son  peuple. 

Cependant  l'archiduc  arrive  enfin,  mais  si  faible,  si  dénué 
de  vivres,  que,  loin  de  risquer  une  attaque,  il  se  décide  à  la 
retraite.  Philippe  le  poursuit,  traverse  le  Tage  à  Aranjuez  et 
ne  s'arrête  qu'au  Xucar,  au  delà  duquel  les  ennemis  prirent 
leurs  quartiers  d'hiver. 

En  1708,  Louis  XIV  donna  le  commandement  de  l'armée 
des  Pays-Bas  à  son  petit-fils  le  duc  de  Bourgogne,  auquel  il 
adjoignit  le  duc  de  Vendôme.  L'armée  comptait  80  à '85,000 
hommes  (121  bataillons,  189  escadrons).  L'électeur  de  Ba- 
vière quitta  les  Pays-Bas  et  prit  le  commandement  de  l'armée 
du  Haut-Rhin. 

Marlborough  avait  rassemblé  ses  forces,  au  mois  de  mai 


—      119      — 

1708,  en  avant  de  Hal.  Le  parlement  anglais  lui  ayant  refusé 
un  renfort  de  10,000  hommes,  il  s'adressa  à  l'empereur,  le 
priant  d'envoyer  le  princp  Eugène  avec  25,000  hommes. 

Le  duc  de  Bourgogne,  qui  avait  son  armée  près  de  Mons, 
marcha  vers  Soignies,  comme  s'il  voulait  attaquer  les  alliés. 
Il  n'en  fit  cependant  rien,  et  alla  camper  la  droite  à  Genappe, 
la  gauche  à  Bfaine-l'Alleud,  faisant  face  à  Marlborough,  qui 
s'était  établi  sur  la  rive  gauche  de  la  Dyle  près  de  Louvain. 

Les  belligérants  restèrent  quelques  semaines  dans  leurs 
positions.  Entretemps  le  gouvernement  français  fit  faire, 
entre  Lille  et  Tournai,  les  apprêts  du  siège  de  Menin.  Le  duc 
de  Bourgogne  voulut  placer  son  armée  entre  la  Lys  et  l'Es- 
caut, le  front  tourné  du  côté  d'Audenarde  qu'il  se  proposait 
de  bloquer,  pendant  qu'on  ferait  le  siège  de  Menin. 

Dans  cette  vue,  l'armée  française  marcha  sur  Alost,  et 
franchit  l'Escaut,  sur  des  ponts  construits  pour  la  circon- 
stance à  Gavre,  à  mi-chemin  d'Audenarde  à  Gand  ;  arrivée 
là,  elle  fit  tête  de  colonne  à  gauche,  pour  achever  l'exécution 
de  ses  plans. 

Avant  de  commencer  le  mouvement,  le  duc  de  Bourgogne 
avait  détaché  des  troupes  contre  Gand  dont  elles  s'empa- 
rèrent par  surprise.  D'autre  part,  les  habitants  de  Bruges 
avaient  ouvert  leurs  portes  au  comte  de  La  Mothe,  général 
français,  qui  commandait  à  Ypres. 

Dès  que  Marlborough  eut  avis  de  la  marche  du  duc  de 
Bourgogne,  il  quitta  Louvain,  à  la  tête  de  80  h  85,000  hommes, 
(112  bataillons,  180  escadrons)  se  dirigea  sur  Vilvorde  et 
de  \h  sur  Anderlecht,  près  de  Bruxelles.  Il  y  fut  informé 
que  l'ennemi  se  portait  vers  la  Dendre.  Aussitôt  il  se  remit 
à  sa  poursuite.  Arrivé  à  Assche,  il  apprit  que  les  Français 
avaient  déjà  traversé  la  Dendre.  Marchant  alors  sur  Les- 
sines,  il  continua  sa  route  vers  Audenarde  et  arriva  en  vue 


—      120     — 

des  Français,  le  11  juillet,  au  moment  où  ceux-ci  opéraient 
leur  passage  de  l'Escaut,  sans  s'attendre  le  moins  du  monde 
à  trouver  les  alliés  sur  leur  flanc  à  Audenarde. 

Pendant  la  marche  que  nous  venons  de  décrire,  les  25,000 
hommes  de  troupes  impériales,  sous  Eugène,  étaient  arrivés 
sur  la  Meuse,  et  avaient  été  dirigés  par  Maestricht  sur  Bruxel- 
les, tandis  qu'Eugène  en  personne,  accompagné  seulement 
d'un  faible  détachement  de  cavalerie,  avait  rejoint  Marlbo- 
rough  à  Assche. 

L'avant-garde  alliée,  sous  les  ordres  des  généraux  Cadogan 
et  Ranzau,  traversa  l'Escaut  sur  quatre  ponts  jetés  un  peu 
au-dessous  d'Audenarde  et  s'établit  derrière  le  ruisseau 
d'Eyne  ;  elle  y  fit  prisonniers  un  certain  nombre  d'éclaireurs 
français.  Le  duc  de  Bourgogne  soupçonnait  si  peu  la  proxi- 
mité de  Marlborough,  qu'il  s'imagina  que  ces  soldats  avaient 
été  pris  par  la  garnison  d'Audenarde  et  qu'il  détacha  sept 
bataillons  pour  prendre  possession  du  village  d'Eyne.  Ces 
bataillons  furent  eux-mêmes  attaqués  et  défaits  par  Cadogan 
qui  s'empara  d'Eyne. 

Sur  ces  entrefaites,  l'armée  de  Marlborough,  descendant 
des  hauteurs  d'Audenarde,  passa  l'Escaut  et  poussa  au  delà 
d'Eyne  jusqu'au  village  de  Heurne,  où  elle  établit  sa  droite, 
tandis  que  sa  gauche  s'étendait  jusqu'à  Wortegem. 

Les  Français  se  formèrent,  la  gauche  à  Aspre,  le  centre  à 
Huyse,  la  droite  à  Wanneghem,  le  front  couvert  par  les  bords 
escarpés  du  ruisseau  de  Nockere. 

Au  lieu  d'attendre  dans  cette  forte  position  l'attaque  des 
alliés,  le  duc  de  Bourgogne  ordonna  à  une  partie  de  la  cava- 
lerie de  sa  droite  de  se  porter  en  avant.  Ce  détachement, 
parvenu  entre  les  deux  ruisseaux,  s'arrêta  en  présence  des 
forces  considérables  qui  se  déployaient  vis-à-vis  de  lui,  Ven- 
dôme ne  voulut  pas  exposer  ce  corps  isolé  ;  il  ordonna  à 


—      121      — 

d'autres  troupes  de  passer  également  le  ruisseau  de  Nockere. 

Le  duc  de  Bourgogne,  mécontent  de  ce  que  l'on  exécutât 
un  mouvement  qu'il  n'avait  pas  ordonné,  le  fit  discontinuer  à 
l'instant. 

Ainsi  l'armée  française  perdit  un  temps  précieux  en  mar- 
ches et  contre-marches  et  en  ordres  contradictoires,  tandis 
que  les  alliés  se  formaient  avec  précision  sur  les  positions 
les  plus  favorables  du  champ  de  bataille. 

Une  partie  des  troupes  du  duc  de  Bourgogne  (30  batail- 
lons), ayant  reçu  l'ordre  de  se  porter  en  avant,  attaqua  avec 
impétuosité  le  centre  des  alliés.  Un  combat  acharné  eut  lieu 
sur  ce  point.  Toutes  les  troupes  de  la  droite  française  pas- 
sèrent le  ruisseau  de  Nockere,  et  même  un  corps  de  cette 
armée  parvint  h  s'établir  au  hameau  de  Browaen,  près  d'Oycke. 
Malgré  une  lutte  vigoureuse,  les  Français,  qui  combattaient 
sans  ensemble,  ne  purent  se  maintenir  dans  leurs  positions. 

L'action  était  devenue  presque  générale,  lorsque  Marlbo- 
rough,  remarquant  que  l'aile  droite  de  l'ennemi  était  en  l'air, 
ordonna  au  général  Overkerque  de  tourner  cette  aile  avec 
une  forte  colonne  et  de  prendre  les  Français  à  dos.  Ce  mou- 
vement s'exécuta,  malgré  la  valeureuse  résistance  de  l'en- 
nemi. 

Les  fréquentes  attaques  de  front  des  alliés  qui  s'avançaient 
sur  le  plateau,  entre  les  deux  bras  du  ruisseau  d'Eyne,  le 
nombre  croissant  des  troupes  prenant  les  Français  à  revers 
du  côté  d'Oycke,  obligèrent  ces  derniers  à  battre  en  retraite 
par  les  ravins  difficiles  du  ruisseau  de  Nockere. 

En  vain  le  duc  de  Vendôme  essaya-t-il  de  faire  avancer  la 
gauche  française  laissée  sur  la  rive  gauche  du  ruisseau  de 
Nockere.  Les  alliés  étaient  déjà  tellement  proches  qu'il  fallut 
renoncer  à  ce  projet. 

Il  faisait  tout  à  fait  nuit  lorsque  les  Français  quittèrent  le 


—     1 22     — 

champ  de  bataille  en  grand  désordre.  L'obscurité  empêcha 
la  poursuite.  La  retraite  se  fit  dans  différentes  directions, 
mais  principalement  sur  Gand.  Un  corps  français  de  9,000 
hommes,  à  la  faveur  de  la  nuit,  traversa  une  partie  non 
occupée  de  la  ligne  alliée  et  se  réfugia  à  Courtrai. 

Les  alliés  eurent  2,000  tués,  4,000  blessés;  les  Français 
4,000  tués,  2,000  blessés  et  laissèrent  7,000  prisonniers. 

La  défaite  des  Français  peut  être  attribuée  : 

[°  an  désordre  qui  existait  dans  leurs  troupes,  après  le 
passage  de  l'Escaut  (1)  ; 

2"  aux  ordres  contradictoires,  donnés  par  le  duc  de  Bour- 
gogne et  le  duc  de  Vendôme,  qui  augmentèrent  la  confusion; 

3«  au  manque  d'ensemble  dans  les  opérations  pendant  la 
bataille. 

Le  duc  de  Bourgogne  rallia  son  armée  derrière  le  canal 
entre  Bruges  et  Gand  et  s'y  retrancha. 

Marlborough,  après  la  victoire  d'Audenarde,  marcha  sur 
Menin ,  traversa  la  Lys ,  dans  le  voisinage  de  cette  place,  et, 
forçant  les  ligues  de  Commines,  entre  la  Lys  et  l'Yperlée, 
lignes  qu'il  fît  raser  dans  la  suite,  alla  prendre  position  à 
Wervick,  pour  être  à  portée  de  Lille  dont  il  avait  résolu  d'en- 
treprendre le  siège. 


(1)  Les  têtes  de  colonne  se  trouvaient,  dit  Saint-Simon,  vivement 
chargées  en  arrivant ,  et  doublant  et  s'étendant  à  côté  des  autres 
qu'elles  renversaient  souvent,  elles  les  réduisaient  par  le  désordre  de 
l'arrivée,  à  se  rallier  derrière  elles,  c'est-à-dire  derrière  d'autres  haies, 
parce  que  la  diligence  avec  laquelle  nos  troupes  s'avançaient,  jointe 
aux  coupures  du  terrain,  causait  une  confusion  dont  elles  ne  pouvaient 
se  débarrasser...  Le  désordre  augmentait  de  moment  en  moment;  per- 
sonne ne  reconnaissait  sa  troupe  ;  toutes  étaient  pêle-mêle,  cavalerie, 
infanterie,  dragons;  pas  un  bataillon,  pas  un  escadron  ensemble,  et 
tous  en  confusion  lus  uns  sur  les  autres. 


AUDENARDE 


—     123     — 

Les  25,000  hommes  de  troupes  impériales  du  prince  Eu- 
gène, laissés  à  Bruxelles,  furent  désignés  pour  escorter 
l'artillerie  nécessaire  au  siège  de  Lille.  Le  convoi  se  dirigea 
par  Hal,  Soignies  et  Ath  sur  Espierres,  où  Marlborough  vint 
à  sa  rencontre  avec  60  bataillons  et  100  escadrons. 

Le  prince  Eugène,  avec  M  bataillons,  60  escadrons,  in- 
vestit Lille,  au  mois  d'août  1708. 

C'était  une  entreprise  hardie  que  le  siège  de  cette  ville, 
en  tenant  compte  des  positions  respectives  des  deux  armées 
et  de  la  nécessité  de  tirer  les  convois  de  subsistances  et  de 
munitions  de  Bruxelles  et  d'Ostende.  Les  Français  étaient 
maîtres  de  Gand  et  de  Bruges  ;  entre  ces  deux  villes  se  trou- 
vait leur  armée,  dont  les  vides  avaient  été  comblés  au  moyen 
des  troupes  du  comte  de  la  Mothe,  et  qui  comptait  à  peu  près 
le  même  effectif  qu'avant  la  défaite  d'Audenarde  ;  Nieuport  et 
Ypres  étaient  aussi  au  pouvoir  des  Français,  ce  qui  assurait 
à  ceux-ci  la  navigation  sur  l'Yperlée  ;  enfin  les  troupes  alliées 
à  Ostende  ne  pouvaient  communiquer  que  très-difficilement 
avec  l'armée  de  Marlborough,  à  cause  de  la  proximité  des 
garnisons  françaises  de  Bruges  et  de  Nieuport. 

Lille  était  défendu  par  des  forces  respectables  :  23  batail- 
lons et  3  régiments  de  dragons  ;  de  plus  le  gouvernement 
français,  dès  qu'il  eut  appris  l'arrivée  du  corps  du  prince 
Eugène  en  Belgique,  avait  détaché  de  l'armée  du  Rhin  44  ba- 
taillons et  65  escadrons,  sous  les  ordres  du  duc  de  Berv^nck 
qui  s'était  porté  derrière  Mons,  Condé  et  Tournai. 

Le  prince  Eugène  commença  néanmoins  le  siège  de  Lille 
avec  vigueur.  Les  Français  résolurent  de  réunir  leurs  forces 
pour  secourir  la  place.  A  cet  effet,  le  duc  de  Bourgogne  et 
te  maréchal  de  Berwick  se  rejoignirent  entre  Grammont  et 
Lessines.  Leurs  armées  combinées  fortes  de  140  bataillons, 


—     124     - 

250  escadrons,  200  bouches  à  feu,  marchèrent  de  Lessines 
sur  Tournai  et  de  là  vers  Lille. 

Marlborough  se  réfugia  derrière  la  Marque,  dans  la  courbe 
que  forme  ce  petit  affluent  de  la  Deule  autour  de  Lille.  Les 
Français  ayant  essayé  de  tourner  la  position,  en  remontant 
la  Marque  jusqu'à  sa  source,  Marlborough  marcha  parallèle- 
ment à  eux,  établit  sa  droite  à  Noyelles  sur  la  Deule,  sa  gau- 
che à  Fretin,  et  s'y  retrancha. 

Le  duc  de  Bourgogne  demeura  plusieurs  jours  en  face  de 
cette  position  et  envoya  chercher  de  la  grosso  artillerie  à 
Douai,  pour  détruire  les  retranchements.  Mais  n'ayant  pas 
réussi  dans  sa  tentative,  il  se  porta  sur  la  rive  droite  de 
l'Escaut,  entre  Audenarde  et  Tournai,  pour  empêcher  qu'au- 
cun convoi  de  munitions  ou  de  subsistances  pût  parvenir  de 
Bruxelles  à  Lille.  Deux  de  ces  convois  venaient  précisément 
d'arriver  intacts  dans  les  lignes  du  prince  Eugène,  pendant 
que  le  duc  de  Bourgogne  se  trouvait  en  présence  de  Marl- 
borough. 

Aussitôt  que  le  duc  de  Bourgogne  eut  effectué  son  mou- 
vement vers  l'Escaut,  Marlborough  se  porta  à  Roncq,  à  trois 
quarts  de  lieue  de  Menin  et  à  environ  deux  lieues  et  demie 
de  Lille.  Il  était  ainsi  à  même  de  retourner  derrière  la  Mar- 
que, si  les  Français  menaçaient  de  se  rapprocher  de  nouveau 
de  la  place  assiégée.  Comme  d'autre  part  il  se  trouvait  aussi 
sur  la  route  d'Ostende,  à  treize  lieues  de  cette  ville  dont  il 
comptait  tirer  maintenant  les  convois  d'approvisionnements 
nécessaires  au  siège  de  Lille,  il  put  pousser  un  corps  en 
avant  à  Thourout  pour  protéger  ces  transports. 

Afin  d'empêcher  le  passage  des  convois  expédiés  d'Os- 
tende, le  duc  de  Bourgogne  envoya  à  Bruges  le  comte  de 
la  Mothe  avec  34  bataillons,  63  escadrons. 


—    im    — 

Les  Français  étant,  maîtres  de  Plasscliendaele,  au  point  de 
jonction  du  canal  de  Nieuport  avec  celui  de  Bruges  à  Os- 
tende,  aucun  convoi  ne  pouvait,  semblait-il,  s'avancer  en 
sécurité.  Il  en  passa  un  cependant,  grâce  à  l'habileté  de  ceux 
qui  furent  chargés  de  sa  conduite. 

Ce  convoi  quitta  Ostende,  le  28  septembre  1708,  défila  der- 
rière le  canal  entre  Ostende  et  Nieuport  jusqu'à  Leffmghe, 
d'où  il  se  dirigea  par  Cappelle-Saint-Pierre,  Couckelaere  et 
Hooglede  sur  Roulers, 

Marlborough,  avec  un  corps  considérable,  se  rendit  à  Rou- 
lers et  poussa  en  avant  sur  Thourout  le  général  Webb  avec 
18  bataillons,  500  chevaux. 

Le  convoi  devait  passer  sur  la  gauche  de  Thourout,  de 
sorte  que  le  général  Webb  se  trouva  entre  sa  route  et  Bruges 
où  était  le  comte  de  la  Mothe,  On  avait  aussi  posté  3  batail- 
lons alliés  au  village  d'Oudenbourg,  non  loin  d'Ostende,  afin 
de  contenir  les  Français  établis  à  Plasscliendaele,  et  d'em- 
pêcher qu'ils  ne  donnassent  avis  de  la  marche  du  convoi. 

Cependant  le  comte  de  la  Mothe,  ayant  été  informé  des 
projets  de  l'ennemi,  quitta  Bruges,  le  28  septembre,  dans  le 
but  d'intercepter  le  convoi.  Il  se  porta  à  Moerdyck,  sur  la 
route  d'Ostende  à  Thourout,  et  resta  dans  cette  position.  Il 
apprit  bientôt  que  le  convoi  venait  de  passer  sur  sa  gauche 
et  se  hâta  alors  de  le  poursuivre. 

Le  général  Webb ,  ayant  été  instruit  de  la  marche  du 
comte  de  la  Mothe,  par  une  patrouille  de  cavaliers,  fit  avec 
beaucoup  d'habileté  et  de  promptitude  les  dispositions  néces- 
saires pour  le  recevoir.  Il  conduisit  ses  troupes  à  Wynen- 
daele,  sur  la  route  de  Thourout,  et  les  plaça  en  arrière  d'une 
ouverture  entre  deux  bois,  dans  chacun  desquels  il  eut  soin 
de  mettre  un  bataillon  en  embuscade. 

Les  Français  s'avancèrent  en  colonne  dans  l'ouverture.  Le 


—     -126     — 

feu  qu'ils  essuyèrent  tout  à  coup  et  sans  s'y  attendre,  sur 
l'un  et  l'autre  flanc  aussi  bien  qu'en  face,  les  jeta  dans  une 
grande  confusion,  et  ils  se  retirèrent  aussitôt.  Leurs  dragons 
vinrent  ensuite  très-mal  k  propos  tenter  le  passage  et  per- 
dirent grand  nombre  d'hommes  dans  une  entreprise  qui 
n'offrait  aucune  chance  de  succès. 

Le  comte  de  la  Mothe  n'essaya  point  de  tourner  le  général 
Webb.  Rien  ne  prouve  d'ailleurs  qu'il  y  eût  réussi,  puisqu'il 
aurait  dû  faire  un  détour  considérable,  pendant  lequel  le 
général  Webb  se  serait  mis  sans  doute  en  mesure  de  résister 
en  changeant  de  front.  Au  surplus,  malgré  sa  supériorité 
numérique,  le  général  français  ne  poursuivit  pas  cette  affaire. 
Ignorant  les  forces  réelles  de  Webb  et  craignant  l'arrivée  de 
Marlborough,  il  se  retira  sur  Bruges. 

Les  Français  perdirent  dans  cette  embuscade  3,500  hom- 
mes; les  alliés  900. 

Le  duc  de  Vendôme,  irrité  du  passage  du  convoi,  quitta 
l'Escaut,  vint  reprendre  le  commandement  du  comte  de  la 
Mothe  et  fixa  son  quartier-général  à  Oudenbourg.  Marlbo- 
rough s'avança  jusqu'à  Thourout  pour  l'attaquer.  Mais  Ven- 
dôme se  retira  derrière  le  canal  de  Bruges  à  Ostende,  et  le 
général  anglais  retourna  à  Roulers. 

Cependant  les  Français,  maîtres  de  Nieuport,  parvinrent 
à  couper  toutes  les  communications  avec  Ostende,  à  l'aide 
des  écluses  de  mer  de  la  première  de  ces  places-.  Ils  couvri- 
rent ainsi  d'inondations  profondes  le  pays  environnant.  On 
fit  encore  partir  un  ou  deux  convois  par  bateaux,  mais  les 
Français  ayant  établi  sur  les  inondations  une  petite  flottille 
de  barques  armées,  toute  expédition  ultérieure  devint  impos- 
sible. 


—      127     — 

Le  village  de  Leffmghe,  entouré  d'eau,  fui  attaqué  et  pris  ; 
les  alliés  y  perdirent  d,200  soldats. 

Sur  ces  entrefaites,  le  siège  de  Lille  était  continué  vive- 
ment. Après  soixante-deux  jours,  la  ville  se  rendit.  La  dé- 
fense avait  été  dirigée  par  le  duc  de  Boufflers.  Celui-ci  se 
retira  dans  la  citadelle  qui  fut  aussitôt  attaquée. 


XI. 


Opérations  dans  les  Pays-Bas  en  1708  et  4  709.  —  Passage  de  l'Escaut 
par  l'armée  de  Marlborougfi.  —  Louis  XIV  demande  la  paix. —  Bataille 
de  Malplaquet.  —  Siège  de  Mons  par  le  prince  d'Orange. 


L'électeur  de  Bavière,  encore  gouverneur  des  Pays-Bas 
espagnols,  avait  quitté  depuis  quelque  temps  l'armée  du 
Rhin  et  avait  demandé  à  pouvoir  attaquer  Bruxelles.  Il  partit 
de  Mons  avec  15,000  hommes  et  arriva  devant  Bruxelles  au 
mois  de  novembre  1708.  Aussitôt  il  fit  établir  des  batteries 
entre  les  portes  de  Louvain  et  de  Namur. 

Marlborough  résolut  de  marcher  au  secours  de  Bruxelles. 
Il  lui  fallait  pour  cela  passer  l'Escaut,  et  on  se  souvient  que 
l'armée  française  occupait  la  rive  droite  de  ce  fleuve  depuis 
Tournai  jusqu'à  Audenarde. 

Les  Français  étaient  si  convaincus  qu'il  serait  impossible 
aux  alliés  d'opérer  le  passage,  que  le  duc  de  Vendôme  écrivit 
à  Louis  XIV,  la  veille  de  l'arrivée  de  Marlborough  sur  l'Es- 
caut, qu'il  se  faisait  fort  de  le  repousser. 

L'armée  de  Marlborough  passa  la  Lys  à  Courtrai  et  partit  de 
cette  ville  en  deux  colonnes.  La  colonne  de  gauche  eut  ordre 


—     128     — 

de  passer  l'Escaut  à  Gavre,  de  tourner  à  droite  et  d'attaquer 
sur-le-champ  tous  les  corps  français  qu'elle  rencontrerait 
sur  les  hauteurs  au  delà  d'Audenarde.  La  colonne  de  droite 
dut  passer  au-dessus  d'Audenarde,  à  Kerkhove,  puis  tourner 
à  gauche,  immédiatement  après  son  passage,  et  se  réunir 
au-dessus  d'Audenarde  à  la  colonne  de  gauche.  Le  prince 
Eugène  devait  quitter  Lille,  après  y  avoir  laissé  des  forces 
suffisantes  pour  continuer  le  siège  de  la  citadelle  et  passer 
l'Escaut  sur  la  droite  de  Marlborough  à  Escanaffles. 

La  marche  des  colonnes  fut  calculée  de  manière  à  les  faire 
arriver  toutes  au  point  de  concentration,  le  27  novembre, 
avant  l'aurore.  Enfin,  comme  dernière  mesure,  la  garnison 
d'Audenarde  reçut  ordre  de  faire  une  sortie  au  même  mo- 
ment, en  ne  laissant  que  le  monde  nécessaire  pour  garder 
la  place,  et  d'attaquer  tous  les  corps  français  qu'elle  trouve- 
rait sur  les  hauteurs  environnantes. 

La  marche  des  deux  colonnes  de  Marlborough  se  fit  avec 
un  plein  succès;  elles  se  réunirent  sur  les  hauteurs  au-dessus 
d'Audenarde,  ainsi  qu'on  se  l'était  proposé.  La  colonne  du 
prince  Eugène,  qui  voulait  passer  à  Escanaffles,  y  trouva  l'en- 
nemi en  force.  Eugène  descendit  le  long  de  la  rive  gauche 
et  vint  traverser  le  fleuve  sur  les  traces  de  la  colonne  de 
droite  de  Marlborough.  L'opération  se  trouva  ainsi  achevée 
et  l'armée  se  concentra  sur  la  rive  droite  de  l'Escaut,  au- 
dessus  d'Audenarde. 

Les  Français  se  retirèrent,  partie  à  Gand,  partie  à  Tournai. 
Le  prince  Eugène  retourna  à  Lille.  Marlborough  marcha  sur 
Bruxelles  par  Alost.  Il  n'eut  pas  l'occasion  d'aller  plus  loin, 
l'électeur  de  Bavière,  à  l'annonce  de  son  arrivée,  s'étant 
déjà  replié  sur  Mons. 


—     129     — 

La  citadelle  de  Lille,  qui  résistait  depuis  quatre  mois,  se 
rendit  le  9  décembre  1708  (1). 

Le  siège  de  Gand  par  Marlborough  termina  la  campagne. 
Le  comte  de  la  Mothe,  qui,  avec  un  renfort,  s'était  jeté  dans 
cette  place,  au  moment  de  l'investissement,  capitula  au  bout 
de  six  jours  et  obtint  pour  lui  et  sa  troupe  de  se  retirer  en 
armes  à  Tournai. 

Peu  de  jours  après,  Bruges,  Plasschendaele  et  Leffinglie 
capitulèrent  à  leur  tour. 

Le  général  Overkerke,  qu'on  peut  appeler  le  bras  droit 
de  Marlborough,  mourut  en  1708. 


Aux  revers  qui  depuis  quelques  années  accablaient  les 
armées  françaises,  vinrent  s'ajouter  les  misères  causées  par 
l'hiver  si  rigoureux  de  1708  à  1709.  La  France  était  épuisée 
par  la  disette  et  tous  les  maux  de  la  guerre.  Louis  XIV  offrit 
la  paix.  Mais  les  conditions  imposées  par  les  alliés  lui  sem- 
blèrent trop  dures ,  car  on  ne  lui  demandait  rien  moins  que 
l'abdication  de  son  petit-fds  Philippe  V,  roi  d'Espagne.  Aussi, 
malgré  sa  détresse,  Louis  refusa  :  «  Puisqu'il  faut  faire  la 
»  guerre,  dit-il  dans  son  conseil,  j'aime  mieux  la  faire  ci  mes 
»  ennemis  qu'à  mes  enfants.  » 

Dans  cette  circonstance,  il  semble  que  le  grand  Roi,  domi- 
nant ses  chagrins  pour  mettre  toute  sa  confiance  dans  le 
succès  de  ses  armées,  ait  voulu  justifier,  par  sa  conduite, 
cette  anagramme  réellement  curieuse  :  Louis  quatorzième,  roi 


(l)  Anquetil  raconte  à  ce  sujet  que  lorsque  Boufflers  n'eut  plus  pour 
subsister  qu'un  quartier  de  cheval,  il  invita  le  prince  Eugène  à  venir 
le  partager  avec  lui. 


—     450     — 

(le  France  et  de  Navarre  =  Va,  Dieu  co^ifondi^a  l'armée  qui 
osera  te  résister  ! 

Au  mois  de  juin  1709,  l'armée  alliée  se  réunit,  à  peu  de 
distance  de  Lille,  du  côté  du  midi,  entre  la  Marque  et  la 
Deule,  presque  sur  le  terrain  même  où  Marlborough  s'était 
retranché,  l'année  précédente,  pour  résister  au  duc  de  Bour- 
gogne. Mons,  Condé,  Douai,  Betliune,  St- Venant  et  Aire, 
ainsi  que  les  cours  d'eau  reliant  ces  villes,  formaient,  devant 
le  front  des  alliés,  une  barrière  derrière  laquelle  le  maréchal 
de  Villars,  à  qui  Louis  XIV avait  confié  la  défense  du  royaume, 
rassembla  l'armée  française.  Il  établit  son  camp  dans  une 
position  centrale,  par  rapport  aux  différents  points  de  cette 
ligne,  et  le  fortifia  avec  grand  soin. 

Marlborough  alla  faire  le  siège  de  Tournai.  Il  ouvrit  la 
tranchée,  le  7  juillet  1709,  et  dirigea  trois  attaques  contre  la 
place  :  la  première  contre  la  partie  de  l'enceinte  entre  la 
citadelle  et  l'Escaut  ;  la  deuxième  sur  l'autre  rive  du  fleuve 
et  la  dernière  sur  la  route  de  Courtrai.  La  ville  se  rendit  le 
28  juillet  et  la  citadelle  le  5  septembre.  Le  prince  Eugène 
commandait  l'armée  d'observation  placée  entre  Tournai  et 
l'armée  française. 

Pendant  les  opérations  du  siège,  Villars  avait  travaillé  par 
tous  les  moyens  en  son  pouvoir  à  fortifier  sa  ligne  de  défense 
au  moyen  de  retranchements  et  d'inondations.  Mais  Marlbo- 
rough, après  la  chute  de  Tournai,  marcha  rapidement  par  sa 
gauche  et  ayant  traversera  Haine  au-dessus  de  Mons,  il 
tourna  la  position  de  Villars  et  rendit  de  la  sorte  inutiles  tous 
les  travaux  de  celui-ci. 

Villars,  de  son  côté,  marcha  eii  dedans  de  ses  lignes  vers 
Mons  jusqu'à  Malplaquet.  La  position  qu'il  choisit  ne  pou- 


—     151     — 

vait  être  plus  favorable.  Sur  sa  gauche,  le  bois  épais  de 
Blangies  et  de  Taisnières  barrait  tout  l'intervalle  qui  séparait 
l'armée  française  de  la  Haine  ;  sur  sa  droite,  un  autre  bois 
s'étendait  jusque  près  de  Maubeuge  ;  l'ouverture  ou  le  pas- 
sage qu'il  eut  à  occuper  n'avait  pas  une  trop  grande  largeur; 
le  terrain  présentait  une  arête  entre  les  deux  bois  et  des- 
cendait en  pente  vers  l'ennemi.  Quantité  d'arbres  se  trou- 
vaient sous  la  main,  propres  à  être  transformés  en  abatis  ou 
autres  défenses  accessoires  qui  furent  combinées  avec  des 
retranchements  sur  la  lisière  inférieure  du  bois  de  Blangies 
et  sur  l'ouverture  entre  les  deux  bois. 

Les  alliés  vinrent  camper  en  face  des  Français  suivant  une 
ligne  dont  le  centre  était  à  Blaregnies,  la  droite  vers  Frame- 
ries,  la  gauche  vers  la  route  de  Bavai  à  Maubeuge.  Ils  res- 
tèrent pendant  deux  jours  dans  cette  position,  dans  l'attente 
d'un  corps  de  19  bataillons,  10  escadrons,  laissé  à  Tournai. 
Villars  profita  de  ce  délai  pour  faire  achever  ses  retranche- 
ments. 

Après  une  reconnaissance  faite,  le  10  septembre,  par  Marl- 
borough  et  Eugène,  il  fut  décidé  par  ces  deux  généraux  de 
livrer  bataille  le  lendemain  et  de  ne  diriger  contre  l'aile 
gauche  de  l'ennemi  que  des  fausses  attaques,  tandis  qu'on 
opérerait  vigoureusement  contre  l'aile  droite;  le  général 
Withers,  commandant  le  corps  venant  de  Tournai,  devait 
tourner  la  gauche  des  Français  en  traversant  les  bois  de 
Blangies  et  de  Taisnières. 

Le  11  septembre  1709,  au  matin,  par  un  brouillard  épais, 
les  alliés,  avec  129  bataillons,  252  escadrons,  lOS  bouches  à 
feu,  attaquèrent  l'armée  française  forte  de  130  bataillons, 
260  escadrons,  80  bouches  à  feu,  soit  environ  110,000  hom- 
mes, chiffre  un  peu  inférieur  à  celui  de  l'armée  de  Marlbo- 
rough. 


—     432     — 

L'infanterie  française  ainsi  que  l'artillerie  garnissaient  les 
retranchements  ;  la  cavalerie  était  en  seconde  ligne. 

Villars  se  tint  à  l'aile  gauche  de  son  armée  ;  le  marquis  de 
Boufflers,  qui  s'était  mis  volontairement  sous  ses  ordres, 
dirigea  l'aile  droite.  Eugène  s'opposa  au  premier  et  Marlbo- 
rough  au  second. 

Dès  que  le  brouillard  se  fut  un  peu  dissipé,  les  attaques 
se  dessinèrent  ;  l'armée  des  alliés  prit  position  en  face  des 
retranchements  occupés  par  les  Français.  A  l'aile  gauche,  le 
prince  d'Orange,  commandant  l'infanterie  hollandaise,  se 
porta  en  avant,  fut  rudement  accueilli  et  obligé  de  reculer. 
Au  centre,  l'attaque  fut  aussi  impétueuse  que  la  résistance 
fut  énergique.  L'aile  droite  des  alliés  pénétra  dans  le  bois,  le 
traversa,  délogea  l'ennemi  de  ses  retranchements  avancés  et 
fit  reculer  la  gauche  française. 

De  ce  dernier  côté,  Villars  reprit  vigoureusement  l'offen- 
sive, à  la  faveur  d'un  corps  d'infanterie  qu'il  tira  du  centre  ; 
il  repoussa  dans  le  bois  l'aile  droite  alliée,  mais  dans  l'action 
il  fut  grièvement  blessé  au  genou,  d'un  coup  de  feu.  Quel- 
que temps  encore  il  put  commander,  assis  sur  une  chaise, 
mais  une  défaillance  obligea  de  le  transporter  au  Quesnoy, 
loin  du  champ  de  bataille.  Le  commandement  en  chef  échut 
alors  à  Boufflers. 

L'aile  droite  française  résista  non-seulement  avec  avan- 
tage, mais  elle  infligea  des  pertes  immenses  à  l'infanterie 
hollandaise,  à  la  tête  de  laquelle  le  prince  d'Orange  com- 
battait avec  une  valeur  admirable. 

Les  alliés  s'étant  aperçus  que  les  retranchements  du  centre 
ennemi  avaient  été  dégarnis  pour  soutenir  la  gauche  si  vive- 
ment pressée ,  Eugène  ordonna  en  conséquence  de  ce  côté 
une  attaque  générale  et  décisive. 
Après  une  lutte  des  plus  chaudes,  les   retranchements 


Erameries 


JàcitayLLlc 


'WiAthis 


Leo'eade 

V, 


—     153     — 

furent  enlevés;  l'infanterie  des  alliés  s'y  établit  pour  soutenir 
par  son  feu  l'action  de  la  cavalerie;  le  centre  des  Français  plia, 
et  une  charge  de  la  grosse  cavalerie  allemande  y  fit  une 
trouée  de  façon  à  séparer  entièrement  les  deux  ailes. 

Le  maréchal  de  Boufflers,  voyant  que  le  centre  de  son 
armée  était  enfoncé,  que  l'aile  gauche  se  repliait  vers  Athis 
et  apprenant  en  même  temps  que  l'aile  droite  venait  de 
céder  aux  efl^orts  réitérés  du  prince  d'Orange,  ordonna  la 
retraite.  L'aile  gauche  se  retira  sur  Quiévrain  et  Valen- 
ciennes,  l'aile  droite  sur  Bavai  et  Maubeuge. 

La  retraite  des  Français  s'opéra  avec  tant  d'ordre,  que 
très-peu  de  prisonniers  et  de  pièces  tombèrent  au  pouvoir 
des  alliés. 

Les  pertes  totales  des  Français,  dans  cette  mémorable 
bataille,  sont  estimées  de  12  h  14,000  hommes.  La  victoire 
fut  chèrement  payée  par  les  alliés,  car  la  lutte  eut  lieu,  de 
part  et  d'autre,  avec  un  acharnement  sans  pareil,  .et  les 
retranchements  qui  couvraient  les  Français  ne  purent  être 
abordés  qu'au  prix  de  pertes  énormes.  On  peut  fixer  à  envi- 
ron 20,000  le  nombre  des  alliés  tués  et  blessés. 

«  Si  Dieu  nous  fait  la  grâce  de  perdre  encore  une  pareille 
bataille,  écrivit  Villars  à  Louis  XIV,  Votre  Majesté  peut 
compter  que  ses  ennemis  sont  détruits.  » 

Après  la  journée  de  Malplaquet,  Marlborough  entreprit  le 
siège  de  Mons.  Il  confia  cette  opération  au  jeune  prince 
d'Orange,  Jean-Guillaume  de  Nassau-Dietz-Frison,  qui  venait 
de  se  distinguer  à  Malplaquet  par  une  bravoure  incompara- 
ble. On  le  vit,  en  effet,  au  fort  du  combat  porter  lui-même 
ses  drapeaux  sur  les  retranchements  français  pour  y  ramener 
son  infanterie.  Il  voulait,  suppose-t-on,  par  quelque  action 
d'éclat,  obtenir  le  rétablissement  du  stadhouderat,  aboli  par 
la  défiance  républicaine,  à  la  mort  de  Guillaume  III. 


—     134     — 

Mons  ne  tint  qu'un  mois.  La  ville  avait  été  attaquée  par  les 
hauteurs  de  Berlaimont  et  le  front  d'Havre. 

Pendant  le  siège,  l'armée  française  resta  sur  la  défensive 
entre  le  Quesnoy,  Bavai  et  Maubeuge.  Le  maréchal  de  Ber- 
wick,  qui  avait  rejoint  l'armée  française  après  la  bataille  de 
Malplaquet,  construisit  près  de  Maubeuge  un  camp  retranché 
dont  le  plan  était  habilement  conçu. 

Après  la  prise  de  Mons  (23  octobre  1709),  les  alliés  se 
retirèrent  à  Gand,  Bruges,  Bruxelles  et  Louvain. 

Au  mois  d'avril  1710,  Marlborough  partit  de  Tournai  pour 
assiéger  Douai.  Il  s'empara  de  cette  dernière  ville,  ainsi  que 
de  Bethune.  Le  prince  d'Orange  prit  Saint-Venant  et  le  prince 
d'Anhalt  s'empara  d'Aire. 

Pendant  le  siège  de  Douai,  Villars  avait  quitté  Cambrai 
pour  se  rendre  à  Arras,  et  marcher  au  secours  de  la  place 
assiégée  ;  cependant  il  ne  jugea  pas  à  propos  d'attaquer 
Marlborough.  D'autre  part,  la  position  de  Villars  ne  permit 
pas  au  général  anglais  d'assiéger  Arras,  opération  que,  dans 
toute  autre  circonstance,  il  eût  sans  doute  entreprise  pour 
se  rapprocher  de  la  vallée  de  la  Somme,  comme  il  en  avait 
le  dessein. 


XII. 


Campagnes  en  Espagne  de  1707  à  1710.  —  Opérations  dans  les  Pays-Bas 
en  1711.  —  Prise  de  Bouchain.  —  Départ  de  Marlborough.  —  Inveslis- 
sement  de  Landrecies.—  Affaire  de  Denain.  —  Paix  d'Ulrecht.  —  Traité 
de  la  Barrière.  —  Mort  de  Louis  XIV. 

La  fortune  qui  s'était  montrée  favorable  aux  armes  de  Phi- 
lippe V,  en  Espagne,  vers  la  lin  de  1706,  lui  fut  fidèle  pen- 
dant toute  l'année  1707. 


—     155     — 

L'armée  confédérée  des  Anglais,  Allemands,  Hollandais  et 
Portugais  était  cantonnée  sur  les  frontières  des  provinces  de 
Valence  et  de  Murcie.  Elle  était  commandée  par  lord  Gallo- 
way  et  le  marquis  de  Las  Minas.  Les  armées  espagnole  et 
française,  sous  le  duc  de  Berwick,  observaient  de  près  tous 
les  mouvements  de  l'ennemi. 

Une  rencontre  eut  lieu  dans  les  plaines  d'Almanza,  sur  les 
confins  du  royaume  de  Valence.  Les  deux  armées  s'attaquè- 
rent avec  intrépidité.  Les  Espagnols  restèrent  maîtres  du 
champ  de  bataille,  après  un  combat  opiniâtre  et  sanglant. 
Des  corps  entiers  de  Portugais,  d'Anglais  et  de  Hollandais 
furent  forcés  de  rendre  les  armes.  Ils  perdirent  18,000  hom- 
mes, tant  morts  que  blessés  ou  prisonniers.  Les  munitions, 
bagages  et  vivres  tombèrent  aux  mains  du  vainqueur.  Phi- 
lippe dut  en  grande  partie  h  cette  victoire  la  conservation  de 
son  royaume.  Aussi  fit-il  élever  sur  le  champ  de  bataille  une 
pyramide  destinée  à  en  perpétuer  le  souvenir. 

L'affaire  d'Almanza  offre  une  circonstance  bien  bizarre. 
Elle  est  gagnée,  en  Espagne,  par  un  réfugié  anglais  (de  Ber- 
wick était  fils  naturel  de  Jacques  II  et  d'Arabella  Churchill, 
sœur  de  Marlborough),  commandant  les  Français,  sur  un 
réfugié  français  (Ruvigny,  devenu  lord  Gallov^^ay),  comman- 
dant les  Anglais.  Galloway  et  Las  Minas  y  furent  blessés. 

Le  duc  d'Orléans,  chef  des  troupes  françaises  en  Italie, 
quitta  ce  commandement  pour  prendre  celui  de  l'armée  d'Es- 
pagne. II  n'arriva  qu'après  la  victoire  d'Almanza.  Aussitôt  il 
divisa  les  forces  combinées  des  Espagnols  et  des  Français  en 
trois  corps,  dont  le  premier,  commandé  par  Berwick, 
soumit  le  royaume  de  Valence  ;  le  deuxième,  sous  le  cheva- 
lier d'Asfeld,  le  royaume  de  Murcie  ;  le  duc,  à  la  tête  du 
troisième  corps,  se  réserva  la  conquête  de  l'intérieur  et  de 
la  Catalogne.  Il  prit  Calatajud,  entra  dans  Saragosse,  s'em- 


—     156     — 

para  de  Balaguer  et  termina  cette  campagne  par  la  prise  de 
Lérida,  ville  réputée  imprenable  et  qui  était  le  dépôt  de 
grandes  richesses. 
Philippe  V  et  sa  cour  rentrèrent  à  Madrid. 

En  1708,  le  duc  d'Orléans  prit  Tortose,  malgré  la  présence 
de  Stharemberg,  général  de  l'archiduc  Charles. 

La  campagne  de  1709  présente  peu  d'intérêt;  les  deux 
rivaux  laissés  à  leurs  propres  forces  étaient  trop  faibles  pour 
se  porter  de  grands  coups.  L'archiduc  était  à  Barcelone,  Phi- 
lippe V  à  Madrid  ;  leurs  généraux,  s'observaient  ;  Stharemberg 
cependant  reprit  Balaguer  et  lord  Galloway  fut  battu  près  de 
Badajoz  par  le  marquis  du  Bay,  commandant  les  Espagnols. 

A  cette  époque,  le  duc  d'Orléans  n'était  plus  à  la  tête  des 
troupes  françaises.  Il  avait  noué  des  intrigues  avec  quelques 
Grands  d'Espagne  ;  aussi  Philippe  V  n'avait  plus  voulu  accep- 
ter ses  services. 

La  guerre  languissait  depuis  deux  ans.  Tout  à  coup  elle  se 
ranima  avec  fureur;  mais  heureusement  ce  fut  le  dernier 
éclat  d'un  feu  qui  s'éteint. 

L'armée  espagnole  abandonnée  à  ses  propres  moyens,  sous 
les  ordres  du  marquis  de  Villadarias,  était  en  proie  aux  plus 
cruelles  dissensions.  Philippe,  dans  l'espoir  de  se  rallier  les 
esprits,  vint  la  commander  en  personne.  Il  essaya  inutile- 
ment de  reprendre  Balaguer.  Stharemberg  obtint  sur  lui  un 
premier  avantage  à  Almenara,  et  remporta  à  Saragosse  une 
victoire  complète.  Du  Bay,  qui  avait  remplacé  Villadarias, 
commandait  dans  cette  journée  malheureuse  qui  faillit  pré- 
cipiter Philippe  V  de  son  trône. 

Stharemberg  conduisit  l'archiduc  victorieux.  Ils  traversé- 


—     137     — 

rent  les  deux  Castilles  sans  obstacle,  entrèrent  dans  Madrid, 
s'emparèrent  de  Tolède  et  descendirent  en  triomphe  la  rive 
septentrionale  du  Tage,  dans  l'espoir  d'être  rejoints  par  les 
Portugais  et  de  terminer  d'un  coup  la  guerre. 

Philippe  paraissait  perdu  sans  retour.  Il  s'était  réfugié  à 
Valiadolid,  sans  troupes,  sans  argent. 

Louis  XIV,  presque  aussi  malheureux  que  lui,  ne  pouvait 
lui  être  d'aucun  secours.  La  situation  était  désespérée.  La 
fidélité  des  Espagnols  et  l'heureuse  étoile  de  Philippe  sauvè- 
rent ce  dernier.  Les  Grands  d'Espagne  demandèrent  à 
Louis  XÏV  le  secours  de  Vendôme.  La  présence  de  cet  émi- 
nent  général  changea  la  face  des  choses. 

Une  ardeur  nouvelle  ranima  tous  les  esprits  et  la  confiance 
revint  dans  les  cœurs.  On  courut  en  foule  sous  les  drapeaux; 
l'enthousiasme  fut  universel.  Vendôme  en  profita  pour  con- 
duire Philippe  droit  au  Tage,  afin  de  prévenir  la  jonction  des 
Portugais  avec  Stharemberg.  Mais  ce  dernier,  qui  était  venu 
jusqu'à  Talaveyra  de  la  Reyna,  las  d'attendre  les  Portugais 
que  Du  Bay  retenait  chez  eux,  manquant  de  vivres,  craignant 
pour  ses  derrières,  avait  déjà  pris  le  parti  de  la  retraite  vers 
l'Arragon. 

Vendôme  le  poursuivit  en  toute  hâte.  Philippe  rentra  dans 
Madrid  en  triomphe,  Vendôme  traversa  le  Henares,  fondit 
sur  l'arrière-garde  des  ennemis,  commandée  par  Stanhope, 
l'enveloppa  à  Brihuega  et  la  pressa  si  vivement  qu'il  l'obligea 
à  se  rendre  avec  5,000  hommes.  Stharemberg,  sur  ces  entre- 
faites, était  déjà  dans  les  gorges  des  montagnes  avec  le  gros 
de  son  armée  battant  en  retraite.  Lorsqu'il  fut  averti  du 
danger  que  courait  Stanhope,  il  accourut  dans  la  plaine  pour 
le  dégager,  mais  il  était  trop  tard  et  il  fut  même  obligé  d'ac- 
cepter le  combat  à  Villa-Viciosa.  L'action  fut  des  plus  vives 
et  longtemps  incertaine.   Enfin   les   alliés    furent  mis  en 


—     138     — 

déroute  par  l'aile  droite  de  l'armée  castillane  et  le  désordre 
fut  jeté  dans  leur  centre  par  de  brillantes  charges  de  cava- 
lerie. Stharemberg  laissa  4,000  morts  et  6,000  blessés  ou 
prisonniers  ;  le  reste  se  sauva  à  la  faveur  de  la  nuit. 

La  campagne  n'avait  duré  que  deux  mois. 

Cette  victoire  fixa  la  couronne  sur  la  tête  de  Philippe, 
détruisit  les  espérances  de  son  rival  et  termina  la  guerre. 

C'est  après  cette  bataille  que  Philippe,  fatigué,  car  il  n'avait 
pu  se  déshabiller  depuis  trois  jours,  demanda  un  lit,  et  n'en 
trouvant  pas,  Vendôme  fit  amonceler  les  drapeaux  ennemis  et 
les  lui  indiqua  comme  le  lit  le  plus  doux  et  le  plus  digne 
d'un  roi. 

Louis,  le  grand  dauphin  de  France,  mourut  le  14  avril  1711. 
Le  17  avril  de  la  même  année,  la  mort  frappa  également 
l'empereur  Joseph.  Son  frère  Charles,  compétiteur  de  Phi- 
lippe V  au  trône  d'Espagne,  lui  succéda,  sous  le  nom  de 
Charles  VL 

Dans  les  Pays-Bas,  en  1711,  les  Français  restèrent  stric- 
tement sur  la  défensive,  en  prenant  pour  barrière  la  Canche, 
depuis  la  mer  jusqu'à  sa  source,  puis  une  ligne  de  retranche- 
ments de  la  Canche  à  la  Scarpe  ;  ensuite  cette  rivière  jusqu'au 
point  où  de  nouveaux  retranchements  la  reliaient  avec  la 
Sensée  ;  l'Escaut  continuait  la  ligne  entre  Bouchain  et  Valen- 
ciennes.  On  construisit  de  plus  des  lignes  entre  Maubeuge  et 
le  Quesnoy,  lignes  qui  furent  prolongées  de  là  à  l'Escaut,  en 
arrière  de  Valenciennes  ;  les  routes  et  les  ponts  furent  dé- 
truits ;  les  retranchements,  les  redoutes,  les  inondations, 
les  abatis  furent  employés  partout  où  ils  purent  l'être  avec 
apparence  d'utilité.  Dans  cette  circonstance,  les  Français 
montrèrent  une  prodigieuse  activité = 


—     139     - 

Le  duc  de  Marlborough  réunit  son  armée  en  avant  de 
Douai.  Villars,  à  la  tête  de  la  sienne,  alla  camper  en  face  de 
lui,  derrière  ses  lignes  ;  son  quartier-général  était  à  Oisy. 
Marlborough  se  porta  par  sa  droite,  comme  s'il  voulait  forcer 
la  ligne  de  défense  ennemie,  entre  la  Scarpe  et  la  Candie. 
Villars  marcha  parallèlement  à  lui  vers  le  point  menacé;  mais 
tout  à  coup,  dans  la  nuit  du  4  août,  Marlborough  retourna  sur 
ses  pas  à  marches  forcées  et  traversa  la  Sensée  à  Aubencheul- 
au-Bac,  avant  que  les  Français  eussent  pu  s'opposer  à  ce 
passage. 

Le  général  anglais  se  posta,  la  droite  à  la  Sensée,  la  gauche 
à  l'Escaut,  Bouchain  à  dos;  l'armée  française  prit  position,  la 
gauche  à  Marquion,  la  droite  à  l'Escaut. 

.  Marlborough  résolut  de  s'emparer  de  Bouchain  avant  toute 
opération  ultérieure.  Il  traversa  l'Escaut,  en  marchant  par  sa 
gauche,  poussa  celle-ci  en  avant  jusqu'à  Haspres  sur  la  Selle 
et  plaça  sa  droite  à  Iwry  sur  l'Escaut. 

Le  général  Fagel  fut  détaché  avec  un  corps  considérable 
de  troupes  alliées  pour  investir  Bouchain  par  la  rive  gauche 
de  l'Escaut. 

Villars  s'avança  contre  Bouchain,  sur  le  terrain  entre  la 
Sensée  et  l'Escaut.  L'armée  de  Marlborough  était  maintenant 
séparée  en  deux  corps  distincts  par  Bouchain  et  par  l'Escaut, 
et  l'armée  française,  presque  égale  en  nombre  à  ces  deux 
corps  réunis,  les  menaçait  à  portée  de  canon.  Il  fallut  donc 
prendre  les  plus  grandes  précautions  pour  empêcher  Villars 
de  les  attaquer  l'un  après  l'autre. 

Marlborough  se  retrancha  avec  un  soin  extrême.  Fagel  en 
fit  autant.  Le  premier  sur  une  étendue  de  deux  lieues  et 
demie,  le  second  sur  un  parcours  de  sept  quarts  de  lieue. 
Une  ligne  continue  fut  de  plus  érigée  sur  une  longueur  de 


—     140     — 

trois  lieues  et  demie,  depuis  le  camp  de  Fagel  jusqu'à  Mar- 
chiennes,  sur  la  Scarpe,  dans  le  but  d'assurer  la  marche  des 
convois  tirés  de  cette  dernière  ville. 

La  résistance  de  Bouchain  dura  près  d'un  mois.  La  reddi- 
tion se  fit  presque  sous  les  yeux  de  l'armée  française  postée 
entre  l'Escaut  et  la  Sensée. 

Tel  fut  le  dernier  exploit  de  Marlborougli  dans  les  Pays- 
Bas.  Ce  grand  capitaine  dont  la  carrière  militaire  offre 
l'exemple  de  tant  de  faits  d'armes  glorieux,  fut  disgracié  par 
suite  d'intrigues  el  remplacé  dans  son  commandement. 

Le  jeune  prince  d'Orange,  en  retournant  en  Hollande, 
^près  la  campagne  de  1711,  périt  au  passage  du  Moerdyck, 
dans  le  Hollandsch  Diep.  Il  laissa  un  fils  posthume,  Guil- 
laume-Charles-Henri-Frison, dont  descend  la  famille  qui 
règne  aujourd'hui  en  Hollande. 

Le  prince  Eugène  reprit  le  commandement  de  toutes  les 
armées  alliées  en  Flandre,  en  1712.  Le  duc  d'Ormond  fut  mis 
à  la  tête  du  contingent  anglais. 

Les  hostilités  commencèrent  par  la  prise  du  Quesnoy  par 
le  général  Fagel. 

Cette  année,'  la  mort  frappa  cruellement  encore  la  famille 
de  Louis  XTV.  Son  petit-fils,  le  duc  de  Bourgogne,  mourut 
le  12  février  1712;  la  femme  et  l'enfant  de  ce  dernier  mouru- 
rent quelques  jours  plus  tard. 

Louis  XÏV,  accablé  de  toutes  les  manières,  désirait  ardem- 
ment la  paix.  Des  négociations  furent  entamées  à  ce  sujet 
entre  la  France  et  l'Angleterre.  En  conséquence  le  duc  d'Or- 
mond et  l'armée  anglaise  se  séparèrent  de  leurs  alliés,  dans 


—     iU      — 

le  courant  de  1712,  et  le  roi  de  France  remit  Dunkerque  aux 
Anglais  comme  gage  de  la  sincérité  de  ses  intentions. 

Malgré  la  perte  du  contingent  britannique,  fort  de  18,000 
hommes,  le  prince  Eugène  poursuivit  ses  opérations  en  in- 
vestissant Landrecies, 

Pendant  le  siège  de  Bouchain,  dans  la  campagne  précé- 
dente, le  duc  de  Marlborougli  avait  fait,  ainsi  que  nous  l'avons 
dit,  de  Marcliiennes  sa  place  de  dépôt,  à  cause  des  facilités 
que  présentait  cette  ville  pour  les  transports  par  eau  venant 
de  Hollande  et  d'Anvers. 

Eugène,  pendant  le  siège  de  Landrecies,  continua  à  tirer 
ses  approvisionnements  de  Marchiennes;  il  dissémina  son 
armée  derrière  l'Écaillon,  depuis  Landrecies  jusqu'au  con- 
fluent de  cette  rivière  avec  l'Escaut,  près  de  Denain,  et 
entre  Denain  et  Marchiennes,  derrière  une  ligne  de  retran- 
chements. 

Villars,  à  l'instigation  du  marquis  de  Montesquieu,  résolut 
d'exécuter  un  plan  de  campagne  hardi.  Il  se  proposa  d'atta- 
quer les  alliés  dans  Denain,  avant  qu'ils  pussent  recevoir  le 
moindre  secours  d'Eugène  ;  puis  de  tomber  rapidement  sur 
Marchiennes,  pour  s'y  emparer  des  immenses  approvision- 
nements de  l'ennemi. 

Il  donna  en  conséquence  des  ordres  succincts,  comme  s'il 
allait  délivrer  Landrecies  ;  des  ponts  furent  construits  sur 
les  cours  d'eau  devant  l'armée  française  de  ce  côté  ;  les  tra- 
vailleurs se  dirigèrent  vers  la  place  investie  par  les  alliés  et 
tous  les  mouvements  des  troupes  françaises  furent  faits  en 
vue  de  tromper  l'ennemi  sur  le  but  réel  des  opérations. 

Eugène  tomba  dans  le  piège.  Persuadé  qu'il  allait  être  atta- 
qué sous  Landrecies,  il  avait  fait  rapprocher  de  cette  ville 


—     142     — 

l'armée  d'observation,  lorsque,  le  23  juillet,  au  jour  tombant, 
Villars  dirigea  la  plus  grande  partie  de  ses  forces,  avec  un 
équipage  de  ponts,  vers  l'Escaut.  Ces  troupes  devaient  mar- 
cher sur  Neuville,  entre  Bouchain  et  Denain,  et  y  franchir  le 
fleuve  immédiatement  après  leur  arrivée. 

Le  passage  de  l'Escaut  se  fit  sans  opposition.  Dès  que  le  duc 
d'Albermale,  général  des  Hollandais,  retranché  sous  Denain, 
eut  appris  la  marche  rapide  et  inattendue  des  Français,  il  en 
donna  avis  au  prince  Eugène,  en  lui  demandant  en  toute 
hâte  du  secours. 

Les  Français  continuèrent  à  s'avancer  au  delà  de  l'Escaut, 
malgré  un  marais  profond  qu'ils  rencontrèrent,  et  arrivèrent 
devant  les  lignes  de  Denain  à  Marchiennes.  Ils  forcèrent 
ces  lignes  et  prirent  leurs  dispositions  pour  attaquer  aussitôt 
le  camp  d'Albermale  sous  Denain,  le  24  juillet  1712. 

Les  dispositions  de  Villars  avaient  été  admirablement 
prises  :  20  bataillons,  sous  les  ordres  du  comte  de  Coigny, 
étaient  restés  en  présence  de  l'armée  du  prince  Eugène  ;  les 
autres  troupes,  50  bataillons,  105  escadrons,  abordèrent  le 
camp  de  Denain,  tandis  que  la  garnison  française  de  Valen- 
ciennes  reçut  ordre  d'attaquer  de  son  côté  le  même  point. 

Le  duc  d'Albermale  si  vivement  pressé  envoyait  heure  par 
heure  des  nouvelles  au  prince  Eugène,  pour  qu'il  hâtât  la 
marche  des  secours,  surtout  de  l'artillerie.  Le  prince  était 
non  loin  de  Denain,  avec  14  bataillons  d'élite,  lorsque  les 
colonnes  françaises,  composées  d'infanterie  et  de  dragons 
qui  avaient  mis  pied  à  terre,  s'avancèrent  au  pas  de  course 
sur  les  retranchements  des  alliés,  et,  malgré  un  feu  de  mous- 
queterie  violent,  parvinrent  à  entrer  pêle-mêle  dans  le  camp 
ennemi. 

A  cet  instant,  les  têtes  de  colonne  du  prince  Eugène  paru- 
rent de  l'autre  côté  de  l'Escaut  ;  mais  il  était  trop  tard  !  Les 


—     Wô     - 

troupes  hollandaises  culbutées  et  repoussées  jusqu'aux  bords 
du  fleuve,  essuyèrent  de  grandes  pertes;  le  duc  d'Alber- 
male  rendit  son  épée  avec  plus  de  3,000  hommes. 

Les  Français  établis  à  Denain  se  trouvaient  ainsi  au  centre 
delà  ligne  alliée,  clef  de  la  position  ennemie. 

Marchiennes,  investi  pendant  le  combat  par  le  comte  de 
Broglie,  se  rendit  au  bout  de  six  jours.  Cette  place  de  dépôt 
livra  aux  vainqueurs  5,000  hommes  et  d'immenses  approvi- 
sionnements . 

La  bataille  de  Denain,  le  plus  beau  fleuron  de  Villars,  valut 
à  ce  dernier  le  titre  de  Sauveur  de  la  France.  Ce  combat  eut 
en  eff'et  des  résultats  inespérés. 

Les  places  de  Douai  et  de  Boucliain,  privées  de  communi- 
cations depuis  que  les  Français  étaient  maîtres  de  Mar- 
chiennes, abandonnées  à  elles-mêmes,  furent  bientôt  re- 
prises. Eugène  se  vit  forcé  de  lever  le  siège  de  Landrecies 
el,  de  battre  en  retraite  sur  Mons.  Le  Quesnoy,  demeuré  sans 
soutien,  fut  immédiatement  assiégé  et  retomba  au  pouvoir 
des  Français. 

Le  combat  de  Denain  eut  aussi  comme  conséquence  heu- 
reuse pour  la  France  de  hâter  la  conclusion  de  la  paix. 

Les  négociations  engagées  à  Utrecht,  depuis  quelque 
temps,  aboutirent,  au  mois  d'avril  1713.  Le  roi  d'Espagne, 
Philippe  V,  avait  renoncé  à  ses  droits  éventuels  à  la  couronne 
de  France,  circonstance  qui  favorisa  l'accord  entre  les  négo- 
ciateurs. 

Diff'érents  traités  furent  signés  par  la  France  et  l'Espagne 
d'une  part,  et  la  Hollande,  l'Angleterre,  la  Prusse,  la  Savoie, 
le  Portugal  de  l'autre.  L'empereur  seul  ne  voulut  pas  aban- 


—    \u    — 

donner  ses  prétentions  sur  la  monarchie  espagnole  et  conti- 
nua la  guerre  sur  le  Rhin. 

Dans  le  traité  avec  la  Hollande,  il  était  stipulé  que  la  mai- 
son d'Autriche  aurait  la  souveraineté  des  Pays-Bas  espagnols. 
Jusqu'à  la  conclusion  d'un  traité  entre  l'empereur  et  la  Hol- 
lande, les  troupes  hollandaises  devaient  remplacer  les  gar- 
nisons françaises  et  espagnoles  des  forteresses  cédées  h 
l'Autriche  comme  barrière  de  sûreté  contre  la  France.  Les 
États-Généraux  restituèrent  à  Louis  XIV  Lille,  Bethune, 
Saint-Venant  et  Aire.  Les  villes  de  Menin,  Tournai,  Furnes, 
Dixmude,  Ypres,  Warneton,  Commines,  Werwick  et  le  fort 
de  Knocke  furent  considérés  comme  faisant  partie  des  Pays- 
Bas,  et  gardés  pour  le  moment  par  les  Hollandais. 

Par  le  traité  avec  la  Savoie,  on  rendit  à  Victor-Amédée  la 
Savoie,  le  comté  de  Nice  et  leurs  dépendances.  L'île  et  le 
royaume  de  Sicile  furent  cédés  au  duc. 

L'électeur  de  Brandebourg  fut  reconnu  roi  de  Prusse,  par 
la  France  et  l'Espagne,  en  vertu  d'un  des  traités  signés  à 
Utrecht.  H  acquit  en  même  temps  la  Haute-Gueldre  et  d'au- 
tres territoires, 

La  guerre  entre  les  Impériaux  et  les  Français  se  poursuivit, 
mais  avec  peu  de  vigueur.  En  1713,  le  maréchal  de  Villars 
s'empara  sans  difficulté  de  Spire,  de  Worms  et  de  quelques 
autres  villes  moins  importantes  du  Rhin. 

Il  assiégea  successivement  Landau  et  Freibourg.  La  pre- 
mière de  ces  villes  capitula  au  bout  de  deux  mois;  la  seconde 
après  un  mois. 

En  mars  1714,  le  prince  Eugène  et  le  maréchal  de  Villars 
signèrent  à  Rastadt  les  préliminaires  de  la  paix  entre  la 
France  et  remjjire. 


—     14K     - 

Le  traité  détinitii'  lut  conclu  îi  Baden,  le  7  septembre  sui- 
vant. Louis  XIV  conserva  Landau  ;  toutes  les  places  de  la 
rive  droite  du  Rhin  retournèrent  à  l'empereur  qui  prit  pos- 
session des  Pays-Bas  espagnols,  conformément  aux  stipula- 
tions du  traité  d'Utreclit. 

Cette  même  année  (15  novembre  1714),  le  traité  entre 
l'empereur  et  les  Hollandais,  sous  la  médiation  de  l'Angle- 
terre, fut  conclu  à  Anvers.  Il  reçut  la  dénomination  de  traité 
de  la  Barrière. 

Le  traité  de  la  Barrière,  complément  de  ceux  d'Utrecht, 
de  Rastadt  et  de  Bade,  fixait  à  15,000  hommes  l'effectif  de 
paix  de  l'armée  des  Pays-Bas,  dont  les  trois  cinquièmes  h 
fournir  par  l'empereur  et  les  deux  autres  par  les  Hollandais. 
Les  troupes  hollandaises  devaient  occuper  exclusivement 
Namur,  Menin,  Fumes,  Warneton,Ypres  et  le  fort  de  Knocke. 
Termonde  recevait  une  garnison  d'Impériaux  et  de  Hollandais. 
Le  trésor  des  Pays-Bas  espagnols,  devenus  Pays-Bas  autri- 
chiens, devait  payer  annuellement  à  la  Hollande  1,250,000 
florins  pour  la  solde  des  troupes  des  garnisons  et  l'entretien 
des  forteresses. 

L'Angleterre  garantit  l'exécution  de  ces  articles  et  s'enga- 
gea à  envoyer  10,000  hommes  pour -défendre  les  places  de  la 
Barrière,  en  cas  d'attaque. 

Louis  XIV  mourut  le  1  septembre  1715. 
Avec  son  règne  finit  la  splendeur  de  la  monarchie  fran- 
çaise. 


10 


ERRATA. 


Page  10,  ligne  14;  après  le  mot  Bothwell,  ajoutez  :  Ce  dernier  parvint 
à  obtenir  la  main  de  la  reine. 

Page  14,  ligne  11  ;  au  lieu  de  hohémiens,  lisez  bohémiens. 

Page  18^  ligne  3;  au  lieu  de  inslilua  les  ordres  du  Saint-Esprit,  pour 
la  noblesse,  et  de...,  lisez  releva  l'ordre  du  Saint- 
Esprit,  créé  en  i518,  par  Henri  III,  pour  la  noblesse, 
et  institua  l'ordre  de... 

Page  89,  ligne  24;  au  lieu  de  Hu%jsbro\xk,  lisez  Muysbrouck. 

Page  90,  ligne    6;  au  lieu  de  prirent,  lisez  s'emparaient. 

Page  98,  ligne  3  ;  au  lieu  de  Marlborough  engagea,  lisez  Marlborough 
fit  avancer. 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


NOTICE  HISTORIQUE. 

PAGES 

Pays-Bas 1 

France 6 

Angleterre.     ..'... 9 

Allemagne 11 

Règne  de  Louis  XIV 17 

GUERRES  DE  LOUIS  XIV. 

I.  Paix  des  Pyrénées. —  Guerre  de  Flandre  et  de  Franche-Comté. 

—  Paix  d'Aix-la-Chapelle.  —  Guerre  de  Hollande.  —  Passage 
du  Rhin.  —  Maison  du  Roi.  —  Évacuation  de  la  Hollande.  — 
Bataille  de  Seneffe 19 

II.  Turenne  en  Alsace  et  dans  le  Palatinat. — Bataille  de  Sinzheim. 

—  Combat  d'Enzheim. —  Affaire  deTurkeim. —  Mort  de  Turenne. 

—  Armée  de  la  Moselle.  —  Turenne,  Condé  et  MontecucuUi.  — 
Bataille  de  Cassel.  —  Surprise  de  Léau.  —  Paix  de  Nimègue,      31 

III.  Prise  de  Strasbourg.  —  Siège  de  Luxembourg.  —  Trêve  q> 
Ratisbonne.  —  Renseignements  historiques.  —  Ligue  d'Augs- 
bourg.  —  Affaire  de  Walcourt.  —  Bataille  de  Fleurus  ....       49 

IV.  Le  prince  Eugène.  —  Catinat.  —  Les  Barbets.  —  Affaire  de 
Staffârde.  —  Sièges  de  Mons  et  de  Namur  par  les  Français.  — 
Bataille  de  Steenkerque.  —  Combat  naval  de  la  Hogue.  —  Ba- 
taille de  Neerwinden 50 

V.  Bataille  de  la  Marsaille.  —  Le  duc  de  Luxembourg.  —  Bom- 
bardement de  Bruxelles. — Prise  de  Namur  par  le  roi  Guillaume. 

—  Paix  de  Ryswick 68 

VL  Guerre  de  la  succession  d'Espagne.  —  Renseignements  his- 
toriques.—  Guillaume  III. —  Le  prince  Eugène  dans  le  Milanais. 

—  Surprise  de  Crémone.  —  Le  duc  de  Vendôme.  —  Bataille  de 
Luzzara 74 

VII.  Opérations  dans  les  Pays-Bas.  —  Siège  de  Liège.  —  Opéra- 
tions en  Allemagne.  —  Combat  de  Friedlingen.  —  Affaire  d'Eec- 
keren 83 


—     148     — 

VIII.  Opérations  de  Villars  sur  le  Danube.  —  Invasion  dans  le 
Tyrol.  —  Première  affaire  de  Hochstedt.  —  Les  Camisards.  — 
Combat  sur  le  Spirebach.  —  Combat  de  Donauwerth.  —  Bataille 

de  Hochstedt  ou  de  Bleinheim 91 

IX.  Opérations  d'Eugène  en  Italie.  —  Affaire  de  Cassano.  —  Opé- 
rations de  Marlboi'ough  dans  les  Pays-Bas.  —  Bataille  de  Ra- 
millies.  —  Bataille  de  Turin.  —  Villars  en  Allemagne.  —  Eugène 

en  Provence 105 

X.  Campagnes  en  Espagne  de  1704  à  1707.  —  Campagne  du  duc 
de  Bourgogne  dans  les  Pays-Bas.  —  Bataille  d'Audenarde.  — 
Convoi  dirigé  d'Ostende  à  Lille.  —  Embuscade  de  Wynendaele.     115 

XI.  Opérations  dans  les  Pays-Bas  en  1708  et  1709.  —  Passage  de 
l'Escaut  par  l'armée  de  Marlborough.  —  Louis  XIV  demande  la 
paix.  —  Bataille  de  Malplaquet.  —  Siège  de  Mons  par  le  prince 
d'Orange 127 

XII.  Campagnes  en  Espagne  de  1707  à  1710.  —  Opérations  dans 
leSj  Pays-Bas  en  1711.  —  Prise  de  Bouchain.  —  Départ  de  Marl- 
borough.—  Investissement  de  Landrecies.  —  Affaire  de  Denain. 

—  Paix  d'Utrecht.—  Traité  de  la  Barrière.—  Mort  de  Louis  XIV.    134 

CARTES  ET  PLANS. 

CARTES  pour  suivre  les  opérations  militaires  dans  les  Pays-Bas , 
sur  le  Rhin,  sur  le  Danube,  en  Esparjne  et  dans  la  Haute-Italie. 

PLANS  de  la  bataille  de  Slnzheim, 


id. 

Fleurus, 

id. 

Neerwinden, 

id. 

Friedlingen, 

id. 

Eeckeren, 

id. 

Donauwerth, 

id. 

Hochstedt, 

id. 

Ramillies, 

id. 

■Turin, 

id. 

Audenarde, 

id. 

Malplaquet. 

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